Une visite à La Valette

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Texte de Chantal Deckmyn, tiré de : Aller par quatre chemins à La Valette du Var, 2005

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Page 1: Une visite à La Valette

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mobiliste orclinaire habitant Marseille,

La Valette, c'était une sortie d'autoroute à

deux coups, en épissure, en.tre Toulon et

La Garde. Limage était plus que confuse,

puisclue, avant de retrouver dans ma

mémoire cette localisation autoroutière,j'avais vaguement confondu La Valette avec

les Sablettes, de l'autre côté de Toulon.

Puis, j'ai été invitée à La Valette, et j'y suis

venue en visite.Deux images de la Valette se sont alors

imposées à moi , en tension l'une avec

I'autre, presque tête-bêche comme les figu-

res des cartes à iouer: I'une là-haut, vers ie

cie1, l'autre dans le fond de la vallée'

Fli'I lir,l-Il. ir11 ; irl{,rj}iti ii, lLli.',.tLt. Là-haut,

Ie ciel de La Valette était occupé par une

divinité tutélaire: le Coudon.

Quelque chose 1à-haut, 1a déesse mère,

la terre, la montagne, quelque chose qui

côtoyait le clel et les dieux venait répondre

à ce coup d'ceil, instinctif et antédiluvien

des humains vers le cie1, pour déchiflrerl'avenir, le sien ou celui du temps, dans 1a

forme des nuages ou dans le vol des oiseaux,

ou encore, presque sans y penser, adresser

une émotion, une prière, une rêverie de

I'instant. Partout dans la ville, entre 1es

toitures, au bout des rues ou en haut des

arbres, pointe ie museau du Coudon, tour

à tour conquérant, embr:umé, facétieux,

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ou menaçant sous la nuée. Et quand il nele croise pas, le regard rencontre d'autresfigures tutélaires, certaines presque aussiarchaïques, d'autres sophistiquées jusqu'aubaroque: des statues de vierges nichées à

l'angle des rues ou au creux des murs.La peinture spécialement, mais aussi la 1it-

térature, retiennent ces emblèmes telluri-ques qui marquent de leur signe l'identitéde villes ou de territoires: le mont Fuji, leVésuve ou I'Etna, mais aussi, plus près de

nous la Sainte-Victoire. ou le mont Ven-toux.

Au roNo EN BAS, uN DRAGoN. Tout en bas,

au fond du talweg serpentait i'autoroutequi, ce n'était pas banal, coupait la com-mune en deux. Après le bon génie d'enhaut, celui-là faisait figure de dragon, undragon qui n'était pas près d'être maté, quin'avait pas encore rencontré le saint Geor-

ges ou le saint Michel qui le mettrait autapis.

Une sorte de monstre en effet, ou de chi-mère, car cet espace qui traverse La Valettede bout en bout et au beau milieu, estd'abord une fibre neutre, froide, une longueparcelle non seulement étrangère à la ville,mais sans commune mesure avec elle, à 1a

fois extra-territoriale et hors d'échelle. Deson vrai norn A57-C52, elle est un microsegment du vaste maillage que lance leréseau autoroutier à travers toute la France

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et 1'Europe. Mais ce corps étranger et quasi

sans attache, à f identité ..globaler, que la

localité ne retient que par ses deux petites

bretelles, est également un hybride: espace

privé par son statut, nul ne peut I'emprunter

sans payer un droit d'entrée, espace public

par son usage. Un espace privé appartient

à quelqu'un, un espace public appartient

à tout le monde: cet espace chimérique,ni privé, ni public est un espace qu'il est

impossible de s'approprier. I1 fait partie de

ces espaces paradoxaux, dont la place et

les effets sont particulièrement difficiles à

métaboliser, à intégrer dans 1'ordinaire de

la vie courante.

Au rrrrrru, uNr rnoNrIÈnr. En coupant

la commune par son milieu, cette traverse

autoroutière retourne comme une pieuvre

ia topologie la plus communément admise,

qui veut que la place d'une frontière soit

autour d'un territoire. Ici, la frontière tra-

verse le territoire par son milieu, renver-

sant l'ordre des choses d'une façon aussi

radicale qu'avait pu le faire en son temps

le mur de Berlin. Ce qui était le centre, ce

vers quoi regardaient les tracés, conver-

geaient les chemins, est devenu un dos,

un bord, des confins ou, comme on dit en

géomorphologie, un <bout du mondett.

Ici aussi les continuités sont interrompues,

les chemins butent, se détournent et glis-

sent le long de la frontière, ou se retournent,

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ou font des impasses, ou encore s'enfouis-

sent. Une maison de ville paraît mainte-nant aussi coupée de son univers. aussi

abandonnée que si on l'avait déposée surune voie ferrée, une maison des champs,qu'on imaginerait en lisière, aux confinscampagnards, se retrouve presque sur laligne, en plein sur le centre géométriquede la carte urbaine, non loin des grandes

halles du commerce automobile que I'ontrouve d'ordinaire le long des nationales à

la sortie des villes. Parfois, la frontière et

ses rapides passe au fond d'un jardin.

Auroun DE LA FRoNTTÈnr, No vraN's raNoËT GALoNS. Une frontière, même intérieure,engendre ses défenses, ses protections,l'étagement de ses bordures successives:

lices, talus, glacis, murs de soutènement,grilles, grillages, fossés.

Ici il ne s'agit pas d'une limite féconde pourle paysage et ses habitants, comme unehaie retenant la terre, abritant les oiseauxet les insectes, comme un bocage drainantles pierres du champ et l'eau du sous-sol,

non plus comme des rives, tournées vers le

fleuve avec lequel elles dialoguent.Ici les confins entourant la frontière évo-

quent plutôt le minimum légal des répon-

ses techniques de sécurité, avec leur cor-

tège de No man's land,s et de dépotoirs.

Mais une frontière ne peut échapper à sa

dimension métaphysique de limite, d'invi-

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tation au voyage, d'attirance pour les loin-tains et l'au-delà; ni à sa qualité de marge,

où peuvent s'épanouir le flou, le mystère,

la rêverie, parfois la solitude et l'oubli des

autres. Les lieux abandonnés aux détrituset les lieux investis par le jeu des enfants

sont parfois les mêmes.

Lr raprs. Létablissement de frontières, de

limites protectrices, est pourtant bien l'une

des premières caractéristiques de f installa-

tion humaine, de I'investissement du pay-

sage par les humains, que cet investisse-

ment prenne la forme de champs, de villes

ou de jardins. I1 s'agit de séparer l'univers

du chaos, de protéger du monde sauvage

un espace organisé par le sens, hiérarchisépar ce que l'on appelle la civilisation. Les

lisières successives, comme l'ordre mani-festé par l'espace, construisent, acclima-

tent, enseignent, conduisent du sauvage au

civilisé, du plus naturel au plus culturel;et inversement avertissent de la sortie de

la ville (de ce que 1'ordre féoda1 désignait

comme le ban), puis de la banlieue, vers

la campagne, la forêt et, au-delà, vers les

gouffres.Un objet rend compte de cette élaboration

de la bordure, de la lisière et de l'étagement

des motifs, autour de polarités extrême-

ment hiérarchisées, civilisées, un objet à la

limite de l'art et de l'artisanat, c'est le tapis.

Un tapis, c'est un univers en miniature.

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C'est ce que les humains, qu'ils soient de

Perse, dAnatolie ou de Chine ont inventéde plus matériel et de plus symboliquepour s'isoler du sol froid, humide ou pous-

siéreux, mais aussi pour se démarquer dumonde sauvage et désordonné des forêtset des gouffres. Le jardin idéal de l'Eden,la ville parfaite ..du bon gouvernement>>,

la ville métaphysique se trouvent miniatu-risés et soigneusement entourés dans ces

cartographies laineuses ou soyeuses de

I'utopie qui, comme la ville, ont su traver-

ser quelques millénaires.

La vrrrr TRADITIoNNELLE, uN CHAMP

rnrrÈnrurnt rtacNÉrrsÉ. Le tapis dessine

une ville et la ville dessine un tapis. Lunet l'autre montrent que I'espace habité parles humains, ville ou jardin, est un champentièrement vectorisé, dans lequel chaquepoint est doué d'un sens et d'une valeursymbolique, et par là souvent d'une valeurmarchande. Ici en noir et blanc, le tapisdessiné par la ville de Rome au XVIII"siècle. Le plan de Rome gravé par Nolli en

r74o colorie en noir les pleins de la ville,I'espace privé invisible et inaccessible, et

laisse en blanc cet espace en creux, visibleet accessible, qui constitue l'espace public.Dans l'enceinte d'un théâtre ou d'un opéra,

chaque lieu est une place, une place avec

une valeur propre, hiérarchisée par rap-port aux autres et selon la polarisation

.83

de l'espace autour de la scène. Il en va de

même à I'intérieur d'un palais de justice

mais aussi sur l'esplanade d'un marché et,

en fait, dans tout l'espace habité, même au

cimetière. Chaque point de la ville a unevaleur vectorielle, chaque emplacementse situe par rapport à des,polarités et des

plus values: que ce soit une église, unefontaine, un commerce, une gare, ou unlieu emblématique. Dans la ville tradition-nelle, il n'est pas un centimètre carré quiéchappe à la hiérarchisation des espaces, à

cet ordonnancement.Ce que nous montre également ce plan,c'est l'équivalence des pleins et des creux,

chacun des dessins qu'ils forment peuttour à tour venir au premier plan, êtresélectionné par le regard comme la <,bonne

formerr. I1 n'y a pas une forme sur un fond,il y a deux formes emboîtées, chacune étantla matrice et la contre forme de l'autre. Ce

tissage des pleins et des creux, c'est ce que

l'on appelle aujourd'hui le tissu urbain,désignant ainsi la vil1e millénaire, qui a

été jusqu'à très récemment, exactementjusqu'au milieu du XX" siècle, I'un des

universaux de l'être humain.

La rtoonnnrtÉ, re oÉsecnÉcarrox. C'est

à cette époque, qui correspond à l'époquemoderne en architecture, que la figure s'est

renversée et que le processus de tissage

des pleins et des creux (que I'on voit sur la

tiIt

3

F'f,i.: i:

Ef".t ,

rl

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figure du bas) a été remplacé par l'instal-Iation (en haut) d'objet pleins et solitaires,

des immeubles, sur des territoires devenus

selon l'expression des modernes une < table

rase>>: les pleins et les creux ont cessé de

s'engendrer mutuellement, les pleins ont

cessé de modeler ces creux doués de forme

et de sens, qui sont pourtant le support de

la vie citoyenne et que l'on appelle I'espace

public. Avec la désagrégation concomitante

de l'espace public et de l'espace privé, la villetissée devient caduque: elle est désormais

désignée sous le nom de centre ancien ou

de ville historique.

Ln V.a,rrrrr pRrsE DANS rrs Nrarrrrs. L.q.

V.nrrrrr ET srs RoNDs-porNTs. Revenons

maintenant à nos tapis et à tenter de com-

prendre comment La Valette s'arrange de

ce tapis moderne dont le dessin est nonpas entouré mais traversé par sa bordure.

Son motif principal, le centre ville que l'onappelle ici le noyau villageois, s'il compose

bien un tissage urbain, paraît à la fois

réduit et décentré. Quant à l'échelle glo-

bale autoroutière, qui semble prendre La

Valette dans sa maille un peu au hasard,

elle n'est pas sans influence, loin s'en faut,

sur la structure même de son paysage.

La grande maille tubulaire engendre quasi

automatiquement ses propres sous-systè-

mes, des mailles d'échelle moyenne, pres-

que aussi tubulaires: les rocades, puis les

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voies rapides ou boulevards, ponctuées et

articulées entre eux par des ronds-points.Dans les mailles sectorielles et sur les

ronds-points, dans ces non lieux propres à

la modernité, ces non lieux où, en parti-culier, se gomme f identité d'une ville, laValette dilapide une partie de ses trésors.

Elle y abandonne ses plus-values urbainesque sont I'hospitalité (ses hôtels sont loca-

lisés dans les mailles extraterritoriales et

non dans le tissu urbain de la localité) et

Ies emblèmes: ses objets de gloire ou de

commémoration ne sont guère mis à l'hon-neur, ils ne sont entourés ni de parvis, nide motifs ou d'espaces galonnés, ils se

trouvent exposés, aux quatre coins des

ronds-points et des carrefours, à 1a foisexposés et déposés là, au même titre que

les objets fonctionnels, les pancartes et le

tri sélectif avec les rebus et les canisettes

(ou, en provençal, les cagadou), derrièreune bordure de trottoir jaune et une languede macadam rose. L'arbre de la paix est

garé le long de la voie parmi les véhiculeset derrière les poubelles.

Lts curs-or-sAc, LEs coNTRE-sENs rr LËs

NoN-SENS. Ce maillage qui rythme et

enserre l'espace moderne de La Valette,

c'est ce que les historiens de la ville appel-

lent l'urbanisme de secteur. Le dessinn'est plus celui d'une hiérarchie entre des

motifs mais d'un quadrillage dans lequel

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chaque subdivision est autonome et homo-

gène. À f intérieur de chacune d'entre e1les

la déclinaison de la voirie se poursuit en

réduisant successivement calibres, flux et

débits. Autour des immeubles solitairesposés sur la "table 14ssr>, les modernes

avaient également rêvé des < sept voies >>,

elles aussi autonomes dans leurs fonctions

respectives. Les voies n'ont plus rien à

voir avec la trame des rues, elles desser-

vent chacune exclusivement des espaces

privés, formant chacune un appendice

clui se termine par un cul-de-sac selon

une structure en arbre dans les cités ou

les lotissements. Cette ségrégation, con-

tagieuse par nature, spécialise les voies et

canalise les flux, offrant de façon répétitive

dans la ville le paradoxe de chemins quiparaissent faits pour cheminer et qui,pourtant, sont barrés. Le contre-sens et

1e non-sens n'appartiennent pas qu'à 1a

langue des mots, ils sont aussi le fait de

I'espace construit par les humains, I'espace

moderne, on 1e sait, en propose à foison, le

cinéaste Tati s'en est suffisamment gaussé,

mais par une sorte d'effet retour, ou si l'onpréfère, par osmose, l'espace traditionnelaussi envisage de fermer ses rues, et ses

trottoirs. Cette proposition de contre-sens

et de non-sens dans I'espace de la ville, ce

n'est pas avec La Valette, dans son identité,

qu'elle nous met en contact, au contraire,

elle nous renvoie à une version tout ce qu'il

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y a d'international de la modernité urbaine,homogénéisante, productrice de non-lieuxet donc de non-identité.

La prrunr suR LE crrr. Ainsi le dragonA57-C52, prenant le cæur de la ville dans

ses mailles, et se propageant en faisantdes ronds autour d'elle, cette frontièreintérieure était peut-être un visage de La

Valette, mais elle restait sans doute sa limitela plus technique. Elle ne me paraissait pas

délimiter un au-delà, un horizon qui me

parlerait de La Valette, de la métaphysique

de son paysage, du rêve de La Valette surelle-même.

Après l'idée furtive d'un au-delà de l'ère

automobile, à essayer de penser le visage

de La Valette sans son tronçon d'autoroute,

pourquoi pas, comme Berlin après le mur,le mouvement qui s'est imposé à moi a été

de relever Ie nez, quitter la pliure d'en bas

pour celle d'en haut, retrouver ce geste si

naturel à La Valette de lever les yeux vers

1e Coudon.

Déchiffrer La Valette, son tapis, c'étaitpeut-être chercher la lisière d'en haut. Les

tapis sont posés sur le sol, cela ne les empê-

che pas, pour certains, d'être des tapis de

prière. fe me suis demandé ce que racon-

terait le motif de la lisière dans une topolo-

gie différente, qui se polariserait autour de

cet autre motif, la figure du Coudon sur leciel, je me suis demandé quel galon faisait

Page 7: Une visite à La Valette

I

I

I88

La Valette au bord et autour de son ciel. Si

.le ciel. par-dessus le toit. et par-dessus 1e

m17r,hli, nous parlerait de la Valette.

Cela me permettait en effet de renccintrer

la Valette dans son ,<calmerr, ses transpa-

rences. Cela me rassurait de la retrouver

à travers le désordre du vivant et de la fer-

tilité, de penser que sa modernité pouvait

encore être entourée par ses origines rura-les et varoises, et de voir que, partout, Ia

campagne poussait ses branches, ses brinsd'herbe et ses bourgeons. fe pouvais ainsime souvenir de La Valette à travers son

présent, dans sa façon d'ouvrir largementson paysage, entre luminosité et grain de la

pierre, entre palmiers et citronniers.

Lr Nrz rN rkn EN vrLLE. Dans le <noyau

villageois >, en levant la tête on retrouvait

les autres génies du lieu, les petites statues

que la ville porte comme des amulettes

collectives, et les emblèmes, religieuxou républicains qui sont les insignes de

l'espace public, qui s'adressent à tous les

habitants et qui accueillent les autres en

leur disant : < Vous êtes ici chez vous n. Onrencontrait aussi les signes qui démontrent

ou qui affichent la qualité et la singularitéde La Valette. Qui disent en même tempsle plaisir de s'y trouver aujourd'hui et la

gloire de ses anciens qui font, eux aussi,

parties des fondations et des génies dulieu. On se retrouvait chez soi, en effet, les

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maisons étaient bien les maisons des villes

et des villages du coin, avec leurs murs quicachent les trésors de f intimité, avec leurs

débords de toiture emmêlés dans les bran-

ches de platanes, le tranchant de la pierre

sur le ciel un peu trop fort, le canal des

rues étroites comme la pupille rétrécie d'unfelin. Le mur du cimetière avait lui aussi

une façon particulière de dessiner sur leciel des dentelles emmêlées de fils, même

si, en comparaison, sa partie plus récente

semblait manquer un peu de lyrisme ou de

fantaisie.

Lr nÊvr arvrÉnrcain. Puis, quittant le

noyau villageois, je rencontrai quelque

chose comme 1e premier rêve américainde La Valette, cet étagement de corniches

en surplomb, ce paysage de pins d'Alep,

de palmiers et d'agaves, cette côte d'Azuentre 1es années 20 eT 3o qui avait séduitles riches Américains, non plus commeles Anglais pour son soleil hivernal, maispour son été luxuriant, sa folie et sa dou-

ceur, pour une perfection qui en faisaità leurs yeux un Éden. Lécrivain Rebecca

West note à cette époque : c'est < l'endroit le

plus proche du paradis que je connaisse. >

En se retirant les Hemingway, les Dos

Passos, les Murphy et les Fitzgeraldauraient laissé les reflets de cette splen-

deur dont rêve encore La Valette, quelque-

fois sous 1a forme d'un american way of

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90

life à lravers les lotissements individuelsenrichis d'évocations hollywoodiennes. La

Valette-sur-ciel, c'est aussi quelque chose

de la Californie, chaque maison a son artde vivre, ses gardes du corps et ses emblè-

mes personnels, ses tapis et ses panoramas

ses tendresses pour les murs courbes, les

plantes en pot et les pots à feu pour les

pigeons, les tourterelles ou les lions,le rêve

s'est atomisé en une mosaïque où chacunexprime son propre génie.

D'un lion à l'autre tout un monde paral-

1è1e, avec son bestiaire semble habiter les

collines de La Valette. La production Hol-lywoodienne a quelquefois à voir avec le

Peplum, et Vénus avec sainte Blandine, Ies

fantassins veillent, sur le pied de guerre.

Même les HLM participaient de cette pro-vençalité rêvée, leurs entrées pouvaientprendre des airs Hitchcockiens et les auto-

mobiles ces héroïnes vénérées du débutdu vingtième siècle, ies voitures adorées,

trônaient encore en plein ciel, sur des

piédestaux.

La zoxr coMMERcrALr. Le second rêve

américain de La Valette, c'est sa mêgazonecommerciale. Toujours sous le museaubienveillant du Coudon, elle lance vers

le ciel ses annonces multicolores faisantvibrer ses points d'exclamation, ses méga

lettres et ses méga structures dans lalumière agitant ses tigres de papier et ses

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fanions, dressant dans le ciel, sans peur

et sans reproche, les emblèmes maltraités

de ses bannières poussiéreuses et un peu

effrangées.

Lrs srnnrs. Voilà, je suis très heureuse de

mon voyage à La Valette, j,'y ai rencontré le

monde entier ou presque, l'ère agricole, la

modernité et la post-modernité.

Je rn'y suis surtout sentie bien accueillie

dans la généreuse ouverture de son pay-

sage sur le ciel et la lumière. La Valette n'est

pas maillée que de routes et d'autoroutes,

entre ciel et terre, elle est aussi veinée par

les reflets de la lumière captée et ramenés

au sol dans ce réseau qu'elle entretient soi-

gneusement: celui de l'eau, des rivières,

canaux et fontaines.Et puis elle brille matin et soir de ce mer-

veilleux réseau de pièges à lumière qu'elle

déploie sur son territoire : les serres.

Page 9: Une visite à La Valette

t1

i

Éric DuyckaertsCucurbitacée sauvoge ......,...,....... p. 4

Suzanne HetzelPrendre place / Objets divers

/Attentions particulières.-.-.-.-. p. 18

Hendril< Sturm

. Transect ....,,..................*..-,.-_.... p. 4g

Chantal DeckmynUne visite à la Valette ...-..-......... p. 76

Entretiens Yannick Cricchi,tl1r lsabelleBourgeois,IExtraiis]

Porcours de santé.....,....,.............. p. 92

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