Une théorie réflexive du souvenir épisodique

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Dialogue http://journals.cambridge.org/DIA Additional services for Dialogue: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here Une théorie réflexive du souvenir épisodique Jérôme Dokic Dialogue / Volume 36 / Issue 03 / June 1997, pp 527 554 DOI: 10.1017/S0012217300017042, Published online: 13 April 2010 Link to this article: http://journals.cambridge.org/ abstract_S0012217300017042 How to cite this article: Jérôme Dokic (1997). Une théorie réflexive du souvenir épisodique. Dialogue, 36, pp 527554 doi:10.1017/S0012217300017042 Request Permissions : Click here Downloaded from http://journals.cambridge.org/DIA, IP address: 150.135.135.70 on 24 May 2013

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Une théorie réflexive du souvenir épisodique

Jérôme Dokic

Dialogue / Volume 36 / Issue 03 / June 1997, pp 527 ­ 554DOI: 10.1017/S0012217300017042, Published online: 13 April 2010

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Une theorie reflexive du souvenirepisodique*

JEROME DOKIC Universite de Geneve

ABSTRACT: This paper deals with the distinction between factual and episodicmemory (memory that p vs. memory of particular x). The following theses aredefended, (i) Episodic memory is internally related to a particular past experience.(ii) Factual memory about x does not imply episodic memory ofx. (Hi) Episodicand factual memory may carry the same kind of information about the past. Finally,(iv) episodic memories are reflexive factual memories. When I remember x in theepisodic sense, I have a collection of factual memories not only about x, but equallyand simultaneously about the fact that this same collection comes directly from mypast experience.

Introduction

Cet article porte sur une distinction familiere entre deux types de sou-venir. La distinction qui m'interesse a ete etablie, certes sous des formeset avec des nuances assez differentes, par Bertrand Russell, HenriBergson, Alfred Ayer ou Norman Malcolm (entre autres)1. On peut lapresenter dans un premier temps par le biais d'un contraste grammaticalentre deux types de comptes rendus du souvenir : ceux de la forme «S sesouvient que p», ou S est un sujet et «p» une proposition, et ceux de laforme «S se souvient de x», ou x est un objet, une personne, un evene-ment, une scene, etc., c'est-a-dire en tout cas une entite particuliere. Sui-vant une terminologie courante, je vais appeler «factuels» les souvenirsdecrits par les premiers comptes rendus, et «episodiques» ceux decrits parles seconds.

Dialogue XXXVI (1997), 527-54© 1997 Canadian Philosophical Association/Association canadienne de philosophie

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Varticle est structure de la maniere suivante. Dans la premiere section,je presente l'enigme que pose la distinction entre le souvenir episodiqueet le souvenir factuel. Dans la deuxieme section, je suggere que cette dis-tinction concerne ce que les psychologues appellent le souvenir explicite —ce qui me permet de mettre de cote ici le cas des souvenirs implicites. Dansla troisieme section, je tente de clarifier la notion de souvenir episodiqueen tenant compte de certaines analogies et differences avec la notion deperception simple (ou non epistemique) introduite par Fred Dretske.Dans la quatrieme section, je discute une proposition de Gareth Evanspour comprendre la distinction entre les deux types de souvenir. La der-niere section est plus positive : je suggere que la specificite du souvenirepisodique par rapport au souvenir factuel concerne la presence d'un ele-ment reflexif.

1. Le probleme

L'usage ordinaire etablit un contraste assez net entre deux types de sou-venir. Je me souviens que Brutus a tue Cesar (je l'ai appris a l'ecole), maisje ne me souviens ni de Brutus, ni de Cesar, ni de l'assassinat lui-meme. IIsemble qu'il soit toujours possible de se souvenir que ... x..., ou «... x...»est une proposition qui contient le terme singulier «x», alors que Ton nese souvient pas de Pentite x. Intuitivement, ce contraste est lie au fait quele souvenir episodique a, relativement au souvenir factuel, un rapportplus etroit et plus direct a l'experience passee du sujet. Le souvenir epi-sodique implique essentiellement un renvoi a un moment particulier dansle passe : les choses dont on peut se souvenir au sens episodique sont cellesque Ton a deja vecues soi-meme. Meme lorsque la description superfi-cielle d'un souvenir episodique ne comporte aucune reference au passe,comme lorsqueje dis queje me souviens de tel personnage, il doit y avoirune reference sous-entendue a une experience particuliere que le sujet afaite par le passe : par exemple, je me souviens d'avoir rencontre ouapercu ce personnage a un moment precis2. Le contenu du souvenir fac-tuel, en revanche, ne concerne pas forcement le passe, de sorte que ce typede souvenir ne decrit pas necessairement quelque chose que le sujet avecu, meme dans un sens tres large du mot «vecu» : je peux me souvenirqu'un certain theoreme est valide, ou que j'ai un rendez-vous chez le den-tiste demain.

Le contraste entre le souvenir episodique et le souvenir factuel est telque certains types trop simples de reduction ou de definition du souvenirepisodique en termes de souvenir factuel semblent compromis. Parexemple, on ne peut pas considerer le souvenir episodique de x simple-ment comme un souvenir factuel du type «S se souvient qu'il a faitl'experience de x» (ou comme un ensemble de souvenirs factuels de cetype)3. II est en effet possible qu'on ait dit au sujet qu'il a fait une telleexperience dans le passe, ou qu'il l'ait appris d'une autre maniere apres

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l'avoir oublie au sens episodique (de sorte qu'il n'a plus aucun souvenirepisodique de x). Je peux me souvenir que j'ai fait l'experience de visiterla Chine etant enfant, parce que mes parents me l'ont raconte plus tard,meme si je n'ai aucun souvenir de ma visite en Chine.

De meme, on ne peut pas definir le souvenir episodique de x simple-ment comme un souvenir factuel a propos de x qui, en un sens intuitif,derive tout droit d'une experience passee de x de la part du sujet, c'est-a-dire sans que, par exemple, un temoignage exterieur (ecrit ou oral) soitintervenu pour relayer l'information. Pour reprendre Pexemple d'Eliza-beth Anscombe (1974), Goethe annonce au debut de son autobiographicqu'il va raconter des evenements de son enfance sans toujours savoir s'ils'en souvient ou si on les lui a rapportes ulterieurement. Ce que Goetheveut dire, semble-t-il, c'est qu'il y a certaines propositions «p» de sonautobiographic telles qu'il serait dispose a affirmer quelque chose comme«je ne sais plus si je me souviens que/?, ou si on me l'a rapporte plus tard».A l'evidence, Goethe utilise ici une notion etroite de souvenir factuel,selon laquelle un souvenir factuel a propos de x doit remonter tout droita une experience passee de x. Ainsi, selon cette notion, mon souvenir quej'ai visite la Chine n'est pas un veritable souvenir factuel, puisqu'il vienttout droit de mes parents. II en va de meme pour mon souvenir que Brutusest l'assassin de Cesar (d'ailleurs, dans ce dernier cas, je peux pour ainsidire deduire du contenu de mon souvenir que celui-ci ne remonte pas toutdroit a mon experience passee). Toutefois, meme cette notion etroite desouvenir factuel ne doit pas etre confondue avec celle de souvenirepisodique : intuitivement, on ne peut pas dire d'un souvenir episodiquequ'on ne sait plus s'il a pour origine directe une experience passee ou untemoignage exterieur.

La formule de Goethe nous invite finalement a reconnaitre trois typesde souvenir :

A. Les souvenirs episodiques de x.

B. Les souvenirs factuels a propos de x qui derivent tout droit d'uneexperience passee de x.

C. Les souvenirs factuels a propos de x qui ne derivent pas tout droitd'une experience passee de x (mais par exemple d'un temoignageexterieur relatif a x).

La notion de «deriver tout droit» reste bien entendu a preciser — elleest sans doute (partiellement) d'ordre causal. Elle doit au moins per-mettre d'exclure certains intermediaires ou relais informationnels entrel'experience passee et le souvenir present, comme le temoignageexterieur4. Ainsi, lorsque Goethe dit qu'il ne sait plus s'il se souvient veri-tablement de quelque fait de son enfance ou si on le lui a rapporte aprescoup, il fait allusion aux souvenirs de type B (des souvenirs factuels veri-

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tables selon la notion etroite dont il se sert) par opposition aux souvenirsde type C : la difference entre ces deux types de souvenir factuel n'est pastoujours transparente a l'introspection.

Comme le dit Anscombe, la formule de Goethe pose une enigme, quipour nous prend la forme suivante : quel est exactement ce rapportinterne a l'experience passee que semble avoir le souvenir episodique? Cerapport est qualifie d'«interne» parce que le souvenir episodique ne derivepas seulement de facto de l'experience passee du sujet, mais le fait qu'ilremonte directement a une telle experience se montre pour ainsi dire dansle souvenir lui-meme. Le but de cet article est precisement de proposer unesolution a cette enigme qui mette en lumiere la specificite du souvenir epi-sodique par rapport au souvenir factuel.

2. Memoire implicite et memoire explicite

Avant de poursuivre, il vaut la peine de mettre brievement en rapport ladistinction entre le souvenir episodique et le souvenir factuel avec uneautre distinction, empruntee a la psychologie cognitive, entre les souve-nirs implicites et les souvenirs explicites. Les psychologues ont introduitla notion d'un souvenir implicite pour rendre compte de situations parti-culieres dans lesquelles l'experience passee d'un sujet influence causale-ment son comportement present sans qu'il en soit conscient. Un souvenirexplicite, par contraste, est un souvenir essentiellement conscient; plusprecisement, il est lie a un «sens subjectif qu'un contenu mental particu-lier represente un episode ou des episodes tires de son passe personnel))5.

Cette definition du souvenir explicite s'applique a des occurrences co-gnitives particulieres. Toutefois, le terme ordinaire «souvenir» peut egale-ment designer des souvenirs dispositionnels : en ce sens, je me souviens dema derniere descente a ski, ou que j'ai recemment skie a tel endroit, memesi mon esprit est applique ailleurs. Bien que de tels souvenirs ne soient pasdes experiences conscientes, ils ne sont pas implicites au sens de la psy-chologie cognitive, puisqu'ils sont quand meme lies a des dispositions suf-fisamment fortes de former des souvenirs explicites (par exemple si laconversation se porte sur le ski). Un souvenir implicite, en revanche, esttypiquement independant d'une disposition a se souvenir explicitement.Les amnesiques profonds ont des souvenirs implicites, dans la mesure ouleur experience passee influence leur comportement present, mais ils sontloins d'etre disposes a former les souvenirs explicites qui leur per-mettraient d'etre conscients de cette influence. Dans ce qui suit, et sauf in-dication contraire, je considere les souvenirs comme des occurrencescognitives particulieres, et non pas comme des dispositions.

Une premiere question que Ton peut se poser est de savoir si les souve-nirs episodiques sont tous explicites, ou si Ton doit admettre que certainsd'entre eux sont implicites. Considerons a ce propos le celebre exemple deMartin et Deutscher (1966, p. 167-168). On demande a un artiste de

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peindre une scene imaginaire. L'artiste compose un tableau realiste repre-sentant une maison avec beaucoup de details — des nuances de couleurchoisies, des contours determines, des personnages habilles de faconparticuliere, etc. A la grande surprise de l'artiste, sans doute, ses parentsreconnaissent sans peine dans la peinture une maison qu'il a vue une seulefois dans son enfance.

Martin et Deutscher pretendent que l'artiste a (ce que j'appelle) un sou-venir episodique de la maison qu'il a vue etant jeune, ou plus precisementd'une scene de son passe dans laquelle cette maison etait impliquee. Us nefont pas la distinction entre memoire explicite et memoire implicite, maison peut considerer que leur exemple implique un cas fictif de memoireimplicite. L'experience passee de l'artiste influence son comportementpresent sans qu'il en soit conscient: si l'artiste n'avait pas vu la maisonen question dans son enfance, il n'aurait pas peint le tableau de la facondont il l'a fait aujourd'hui. Mais il n'a pas la disposition de traiter cons-ciemment les informations vehiculees par son «souvenir» comme desinformations concernant son propre passe. S'il a un souvenir episodique,done, il est implicite.

Toutefois, certaines considerations laissent a penser que l'artiste n'a pasun souvenir episodique authentique, surtout si celui-ci n'est cense se ma-nifester que dans sa performance picturale. En peignant son tableau, l'ar-tiste n'est pas conscient de la maison de son enfance; il n'est pas enrelation intentionnelle appropriee avec une scene particuliere de sonpasse. Bien entendu, il est conscient de peindre, et il est egalement cons-cient de peindre une scene contenant une maison determinee. Mais lascene qu'il est conscient de peindre est une «scene dans l'image»; ce n'estpas celle dont il serait conscient s'il se souvenait explicitement de lamaison de son enfance. Si Ton devait attribuer a l'artiste un souvenir epi-sodique de la scene vecue etant jeune, il faudrait pouvoir utiliser uncompte rendu de re du type «il y a une scene passee que l'artiste imagine».(S'il se souvenait de la scene de son enfance, il pourrait se l'imaginer enpeignant.) Or il me semble precisement qu'un tel compte rendu serait in-correct dans la situation envisagee. Les seuls comptes rendus pertinentsattribuables a l'artiste sont de dicto et du type «L'artiste imagine une sceneavec telles et telles caracteristiques». Un compte rendu de ce type n'im-plique pas le compte rendu de re «il y a reellement une scene passee quel'artiste imagine», qui ne peut pas etre litteralement attribue a l'artiste6.

Voici une autre facon, plus prudente peut-etre, de formuler l'argument.Un souvenir episodique de la maison impliquerait une relation intention-nelle a un moment particulier du passe — le moment auquel l'artiste a vula maison. Celui qui a un souvenir de ce genre doit etre capable de serepresenter au moins approximativement la relation temporelle entre lemoment present et celui de la scene passee dont il se souvient. Or la per-formance picturale de l'artiste ne semble pas dependre d'une telle

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representation. Elle aurait pu se derouler exactement de la meme facon sil'artiste avait vu la maison a un tout autre moment. Pour expliquer lacoincidence, il est raisonnable de postuler une relation causale entre lascene passee et la performance presente, quel que soit l'intervalle tem-porel entre ces deux evenements. Mais toutes les relations causales ne fon-dent pas une representation de re1. On objectera que dans le cas pertinent,la performance de l'artiste est justement sous-tendue par une representa-tion implicite d'un moment particulier du passe. A ce stade, toutefois, laballe est dans le camp de l'objecteur, qui doit demontrer l'existence decette representation, puisque l'exemple tel qu'il est presente par Martinet Deutscher ne requiert pas son attribution a l'artiste.

Qu'en est-il des souvenirs factuels? II est clair que ceux qui sont cons-ciemment fondes sur des souvenirs episodiques sont a fortiori explicites:le sujet de tels souvenirs a l'impression qu'ils vehiculent des informationssur son experience passee. Par contre, tous les souvenirs factuels ne sontpas explicites au sens etroit utilise jusqu'ici, puisque comme on l'a vu, ilsn'impliquent pas forcement une representation du passe. On peut nean-moins envisager une definition un peu plus large du terme «explicite»,selon lequel un souvenir explicite implique au minimum la dispositiond'exploiter consciemment les informations vehiculees par le souvenircomme concernant (ou du moms comme etant censees concerner) \emonde reel — passe, present ou futur. Selon cette nouvelle definition, lesouvenir conscient que j'ai un rendez-vous chez le dentiste demain, parexemple, peut etre tenu pour explicite. En fait, meme les souvenirs rap-portes par Goethe qui ne sont pas reconnus comme des souvenirs sontexplicites, puisqu'ils impliquent un traitement conscient de l'information.

II reste a savoir si tous les souvenirs factuels sont explicites au sens largequi vient d'etre defini. On a vu que l'artiste dans l'exemple de Martin etDeutscher n'a pas de souvenir episodique de la maison, mais en a-t-il unsouvenir factuel? Un tel souvenir serait implicite, puisque l'artiste n'a pasla disposition d'utiliser consciemment les informations vehiculees par son«souvenir» comme concernant le monde reel — il croit seulement exercerson imagination. En fait, l'argument qui a ete presente contre la theseselon laquelle l'artiste a un souvenir episodique peut etre generalise a cer-tains souvenirs factuels. Prenons le souvenir que cette maison avait (a unmoment non defini du passe) telles et telles caracteristiques, ou «cettemaison» exprime un concept ou une representation implicite de la part del'artiste. Ce souvenir factuel n'est pas fonde sur un souvenir episodiquede la maison, sinon l'argument en question s'appliquerait directement.Mais le concept deictique exprime par «cette maison» n'est pas neces-sairement fonde sur un souvenir episodique8. De maniere generate,comme nous l'avons vu, le souvenir factuel que ...x... (ou «x» est unterme referentiel) n'implique pas logiquement le souvenir episodique dex. Quoi qu'il en soit, la performance picturale de l'artiste ne semble pas

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dependre d'une representation singuliere d'une maison en particulier; anouveau, elle aurait pu etre la meme s'il avait observe une autre maisonayant des caracteristiques similaires, ou meme un simple dessin. En cesens, je ne vois aucune raison contraignante d'affirmer que si l'artiste n'apas de souvenir episodique de la maison de son enfance, il a en revancheun souvenir factuel la concernant en particulier9.

On peut done conclure que si des souvenirs factuels sous-tendentimplicitement la performance picturale de l'artiste, ils ne peuvent etre quegeneraux, comme le souvenir de dicto qu'il existait une maison ayant telleset telles caracteristiques. A premiere vue, cette conclusion n'est pas endisaccord avec la psychologie cognitive, qui tend a considerer la memoireimplicite comme etant surtout sensible aux proprietes perceptives etsuperficielles des stimuli, alors que la memoire explicite est liee a unerepresentation conceptuelle du passe beaucoup plus elaboree.

La psychologie cognitive voit toutefois une autre difference entre lamemoire implicite et la memoire explicite : la premiere, contrairement ala seconde, est divisible en plusieurs sous-systemes relativement indepen-dants. (Differentes taches requerant la memoire implicite font intervenirdifferents mecanismes cognitifs.) Cette difference est liee a un trait carac-teristique du souvenir explicite, qui ne vient normalement jamais seul,mais se detache d'un arriere-plan d'autres souvenirs explicites suffisam-ment coherents entre eux pour constituer une conception systematique denotre passe. Par contre, si l'artiste a des souvenirs qui sous-tendentimplicitement sa performance picturale, ils semblent isoles de ses autressouvenirs, en particulier explicites, et relever d'une espece a part.

Ces differences (cf. Parkin, 1993) remettent en question le partage dessouvenirs implicites en deux, d'une facon analogue au partage des souve-nirs explicites en «episodiques» et «factuels». Elles minent egalementl'idee qu'un meme souvenir peut, sans alteration essentielle, etre tantotimplicite tantot explicite. Pour cette raison, je reserverai dorenavant lestermes «souvenir episodique» et «souvenir factuel» pour designer dessouvenirs explicites. Alors que le souvenir episodique rend le sujet cons-cient d'une chose ou d'une entite particuliere, le souvenir factuel rend lesujet conscient &'xxnfaitw :

implicitessouvenirs <Z^ ^j^- episodiques

explicites*(conscients)

• factuels

Figure 1

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Les souvenirs episodiques et factuels — tout explicites qu'ils soient —ne sont pas forcement doxastiques. Le souvenir episodique de x seraitdoxastique si et seulement s'il impliquait une croyance propositionnelle apropos de x. Le souvenir factuel que p serait doxastique si et seulements'il impliquait la croyance que p. Mais il n'est pas evident que ces impli-cations tiennent. Je peux avoir un souvenir episodique veritable de x etn'avoir aucune croyance a propos de x, parce que je crois (a tort) que monexperience mnesique actuelle est illusoire. Par exemple, j'ai vu un vaseparticulier, dont j'ai maintenant un souvenir episodique. Mais on reussita me convaincre que je n'ai rien vu du tout, et qu'on a artificiellementinduit en moi une impression illusoire de souvenir. J'ai quand meme ladisposition de traiter les informations vehiculees par mon souvenircomme des informations censees concerner mon passe. Par exemple, jepeux dire quelque chose comme «j'ai l'impression de me souvenir d'avoirvu un vase Ming, mais en fait, mon impression est illusoire»".

De meme, je peux avoir un souvenir factuel que p. et ne pas avoir lacroyance que p. Par exemple, mon souvenir factuel est fonde sur un sou-venir episodique que je considere (a nouveau a tort) comme illusoire. Laencore, je peux quand meme declarer «j'ai l'impression de me souvenirque ce vase etait de la periode Ming, mais en fait, mon impression est illu-soire». Le cas est certes plus difficile pour les souvenirs factuels qui ne sontpas fondes sur un souvenir episodique, car ils semblent tous impliquer lacroyance correspondante. Mais peut-etre ces souvenirs factuels sont-ilsassocies a certaines tendances a croire, normalement suivies par le sujet,mais susceptibles en principe d'etre inhibees par des croyances contraires,plus solides12.

En resume, le contraste entre deux types de souvenirs, tel qu'il a etepresente a la section 1, concerne les souvenirs explicites. Une these sup-plementaire est que les souvenirs implicites ne sont pas d'authentiquessouvenirs. Notre discussion de l'exemple de Martin et Deutscher sembleconfirmer en partie cette these : il est malaise de decrire le sujet d'un sou-venir implicite comme etant en relation intentionnelle avec un objet ouune scene du passe. Toutefois, meme si j'ai tort sur ce point, le contrastepertinent existe toujours, et il reste a en donner l'explication. C'est cetteexplication specifique qui m'interesse ici.

3. Analogies et differences entre la memoire et la perception

Le souvenir factuel a, par definition, un contenu propositionnel composede concepts que le sujet a dans son repertoire cognitif. Lorsqu'on attribueun souvenir factuel a un sujet, on lui attribue du meme coup les conceptsqui composent son contenu. En d'autres termes, le souvenir factuel que/?implique au moins la pensee que pn. Le souvenir episodique de ximplique-t-il lui aussi que le sujet pense a x? Est-il possible de se souvenir

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de x sans avoir aucune pensee a propos de x, peut-etre meme sans avoiraucun concept de xi

On peut aborder ces questions en essayant d'exploiter d'eventuellesanalogies avec la perception. Fred Dretske a defendu l'idee selon laquelleil existe deux formes de perception, decrites respectivement par uncompte rendu propositionnel du type «S percoit que p», ou «p» est uneproposition, et un compte rendu nominal du type «S percoit x», ou x estune entite particuliere. La premiere forme de perception est appelee«epistemique», la seconde «simple» (ou «non epistemique»). Or suivantDretske, alors que la perception epistemique que p implique au moins lapensee que p de la part du sujet (pour les memes raisons que dans le casdu souvenir factuel), cela ne vaut pas necessairement pour la perceptionsimple de x : il est possible de percevoir quelque chose au sens simple sansmeme avoir le concept de cette chose14.

Etant donne les ressemblances grammaticales entre les verbes «per-cevoir» et «se souvenir» (tous deux admettent un complement nominalaussi bien que propositionnel), il vaut la peine de se demander si les argu-ments que Dretske invoque en faveur de son interpretation de la notionde perception simple peuvent etre appliques, mutatis mutandis, au sou-venir episodique. Je vais retenir ici deux types d'arguments qui me parais-sent etre parmi les plus importants : 1) l'argument des aspects negliges et2) l'argument des erreurs d'identification perceptive.

1. Je discute pendant une bonne vingtaine de minutes avec Pierre, unami que je n'avais plus vu depuis longtemps. A aucun moment de la dis-cussion, je ne remarque qu'il porte une moustache. Pourtant, la mous-tache est un element de mon champ visuel. Selon Dretske, si la moustacheest bien visible, je la vois au sens simple. Par contre, je ne forme aucunepensee a propos de la moustache, ce qui implique que je ne la vois pas ausens epistemique. Je ne vois pas que Pierre porte une moustache.

Supposons que peu apres la rencontre, je me souvienne de Pierre.S'ensuit-il necessairement que je me souvienne, au sens episodique, de samoustache? II semble que non. De maniere generate, je peux sans douteme souvenir d'une scene percue a un certain moment dans le passe sansme souvenir de tous les aspects ou details de la scene percus a ce moment,que ceux-ci aient ete remarques ou non. II est done tout a fait possible queje me souvienne de Pierre, de ma rencontre avec lui, mais pas de sa mous-tache.

Mais la question qui nous interesse est un peu differente : est-ilpossiblequ'en me souvenant de Pierre, je me souvienne de sa moustache sans laremarquer — de meme qu'en percevant attentivement Pierre, je percevaissa moustache sans la remarquer? Si mon souvenir est explicite, je dois etreau moins dispose a utiliser consciemment certaines informations qu'ilvehicule comme des informations concernant mon experience passee (cf.section 2), mais cela n'implique peut-etre pas que je doive avoir la dispo-

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sition de les utiliser toutes, dont celles qui concernent la moustache dePierre.

II y a toutefois une asymetrie entre le souvenir et la perception qui nousempeche de donner une reponse positive a cette derniere question. Dansle cas perceptif, le fait que je n'ai pas remarque la moustache de Pierrecontribue a expliquer pourquoi je n'ai forme aucune pensee a son propos.Selon Dretske, j'etais tout de meme conscient de la moustache; il faut faireune difference entre deux types d'aspects sur lesquels je n'ai pas portemon attention : les aspects negliges qui se trouvaient dans mon champvisuel (des details de l'arriere-plan ou, dans le cas precis, de la figurememe), et ceux qui ne s'y trouvaient pas (par exemple, le mur derrieremoi). J'etais conscient des premiers, mais pas des seconds. Or rien ne cor-respond a cette difference dans le cas du souvenir. II n'y a pas de «champmnesique» analogue au champ visuel, qui serait constitue d'entites simul-tanement rememorees mais pas toutes remarquees. Je peux parfoisdecider de me souvenir de tel aspect plutot que de tel autre, mais il n'y apas d'attention mnesique que je choisis de diriger tantot ici, tantot la. Jepeux m'imaginer apres coup avoir porte mon attention visuelle sur unaspect puis sur un autre; je peux meme m'en souvenir si, contrairement ace qui se produit dans l'exemple initial, je l'ai fait au moment de la ren-contre. Mais lorsque je me souviens d'un aspect particulier de monexperience passee, les autres aspects ne sont pas au meme moment l'objetd'un souvenir occurrentiel, de la meme facon que la perception de Pierreest liee au meme moment a la perception occurrentielle (et pas seulementdispositionnelle) de sa moustache.

Que se passe-t-il lorsque je me souviens apres coup de la moustache dePierre? Je repense a la rencontre, et je m'exclame : «Tiens, il s'est laissepousser la moustache». Je pense qu'il faut resister ici a la tentation de con-siderer ce cas comme etant similaire a celui dans lequel je detourne monattention perceptive de Pierre pour la porter sur sa moustache (ce que jen'ai pas fait dans l'exemple initial). Avant que je detourne mon attentionperceptive de Pierre pour la porter sur sa moustache, j'etais deja conscientde celle-ci. Par contre, avant que je me souvienne de la moustache dePierre (en supposant que je ne Faie pas remarquee au moment de la ren-contre), je n'avais aucun souvenir explicite de celle-ci. Peut-etre avais-jedans le cerveau une trace neuronale laissee par la perception simple de lamoustache, mais cette trace n'a cause un souvenir explicite qu'au momentde mon exclamation15.

2. Passons au deuxieme type d'exemple, qui implique une erreur d'iden-tification perceptive. Je prends un chat paresseusement love sur le sofapour un vieux pull-over noir. Selon Dretske (1978), j'ai une perceptionsimple du chat bien que je n'aie aucune pensee a son propos — il est pos-sible que j'ignore totalement la presence d'un chat dans la piece en ques-tion. Par consequent, je ne vois pas qu'i\ y a un chat sur le sofa.

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Supposons que je repense un peu plus tard a cet episode. Je crois avoirun souvenir que j'exprime en disant «je me souviens de ce pull-over; je medemande qui l'a laisse la». Ce souvenir apparent est de type episodique,mais j'ai egalement un souvenir factuel apparent que j'exprime en disant«je me souviens que ce pull-over etait sur le sofa»16. Notons que ce sou-venir factuel apparent est illusoire, car aucun pull-over ne se trouvait surle sofa en question. Mais la question est de savoir si j'ai un souvenirveridique du chat que je ne reconnais pas comme un souvenir de chat.

La encore, la raison qui motive la these de Dretske selon laquelle j'aipercu le chat au sens simple ne correspond a rien sur le plan du souvenir.Dans le cas perceptif, il faut bien expliquer sur quoi porte l'erreur d'iden-tification. J'ai confondu quelque chose avec un pull-over, et pour faire cetteconfusion, j'ai du percevoir en un certain sens le chat. Je n'ai pas ete vic-time d'une hallucination complete (comme si j'avais cru voir un pull-overnoir la ou il n'y avait rien du tout). Mais lorsque je crois me souvenir d'unpull-over, je ne confonds pas une image-souvenir de chat avec une image-souvenir de pull-over. La confusion n'a eu lieu qu'une fois, au moment dela perception. C'est cette faute originelle, pour ainsi dire, qui determinele caractere des souvenirs episodiques apparents que j'ai ulterieurement.

Une autre option consisterait a soutenir que le souvenir episodiqueapparent du pull-over est le produit d'une «confusion» faite par le cerveauen interpretant la trace neuronale laissee par la perception simple du chat.Mais premierement, du point de vue du sujet conscient, le souvenir epi-sodique apparent du pull-over est le meme que cette trace soit preserveeou non. S'il n'est pas vrai que de maniere generate, la similitude sur le planconscient implique l'identite mentale, il n'y a aucune raison, dans le casprecis, de Her le souvenir episodique apparent du pull-over a la mesinter-pretation d'une trace eventuellement laissee par la perception simple duchat. Par ailleurs, et deuxiemement, meme si Ton peut prouver qu'unetelle misinterpretation a lieu, il ne s'ensuit pas automatiquement que monsouvenir episodique apparent d'un pull-over soit lie a un souvenirveridique du chat (que je ne reconnais pas comme tel).

II est certes possible que je me rende compte de mon erreur par la suite,et me convainque d'avoir vu un chat et non un pull-over. En un certainsens, je peux modifier ou ajuster mon attitude mnesique, et declarer «jeme souviens de ce chat sur le sofa». Nous pourrions done admettrequ'apres ma prise de conscience, j'ai un souvenir episodique veridique apropos du chat, bien que je n'aie pas remarque ce dernier au moment dela perception17. II ne faudrait pas en conclure, toutefois, que ce souvenirepisodique existait avant la prise de conscience. A nouveau, peut-etre laperception simple du chat a-t-elle laisse une trace dans mon cerveau, maiscette trace ne saurait etre identifiee a un souvenir explicite.

En resume, la notion de souvenir episodique n'est pas exactement ana-logue a celle de perception simple, du moins en ce qui concerne les liens

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entre ces episodes mentaux et la pensee. Les arguments qui semblentmotiver la these selon laquelle la perception simple de x n'implique pasde pensee a propos de x ne peuvent pas etre invoques pour montrer quele souvenir episodique de x n'implique pas de pensee a propos de x. II estdone assez plausible de supposer que tout souvenir episodique de ximph'que normalement, de la part du sujet, une pensee relative a x. Uncorollaire egalement plausible est que le souvenir episodique de ximplique le souvenir factuel a propos de x. En effet, si le souvenir epi-sodique de x implique quelque pensee relative a x, il y aura toujours unsouvenir factuel que le sujet pourra formuler a propos de x, ne serait-ceque le souvenir factuel minimal que x existait et etait percu a un momentdonne.

On objectera peut-etre que cette conclusion vaut pour les occurrencesde souvenirs, mais pas pour les souvenirs dispositionnels. On peut donepretendre qu'avant ma prise de conscience dans les deux exemplespresentes, j'avais un souvenir episodique dispositionnel de la moustacheet du chat, mais pas de souvenir factuel dispositionnel relatif a la mous-tache et au chat. Je ferai deux remarques a propos de cette objection.Premierement, je n'etais pas forcement dispose a me souvenir de la mous-tache et du chat au sens ou je suis dispose a me souvenir de ma dernieredescente a ski. Si Ton m'avait demande avant mes prises de conscience dedecrire le visage de Pierre ou ce qu'il y avait sur le sofa, il est probable queje n'aurais mentionne ni moustache ni chat. Si tel etait le cas, l'hypotheseselon laquelle j'avais des souvenirs au sens dispositionnel ordinaire duterme serait contestable. Deuxiemement, et independamment de lapremiere remarque, l'objection n'est pas convaincante : dans la mesure ouje suis dispose a former un souvenir episodique de la moustache et duchat, je suis egalement dispose a former un souvenir factuel relatif a lamoustache et au chat. Sur le plan dispositionnel non plus, il n'est pas evi-dent que le souvenir episodique soit independant de tout souvenirfactuel18.

4. Une proposition d'Evans

Gareth Evans propose d'expliquer de la maniere suivante la differenceentre le souvenir episodique et le souvenir factuel: «Cette distinction[entre se souvenir de x et se souvenir que ... x... ] repose sur le genre d'infor-mation retenue» (1982, p. 267, n. 1). L'idee est que le souvenir factuel estla retention d'un contenu conceptuel, qui n'est autre que son contenupropositionnel, alors que le souvenir episodique vehicule des informa-tions non conceptuelles sur le passe.

II faut distinguer deux sens dans lesquels l'information vehiculee parun souvenir peut etre dite «non conceptuelle». Elle peut etre non concep-tuelle au sens ou elle comporte des finesses qui ne sauraient etre renduespar une description en termes purement generaux. La perception vehicule

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de l'information non conceptuelle en ce sens. Nous pouvons distinguerpar la vue beaucoup plus de nuances chromatiques que nous n'avons deconcepts generaux de couleur — le concept «rouge», par exemple,s'applique a un grand nombre de nuances differentes de rouge. Mais lesouvenir peut lui aussi vehiculer de l'information non conceptuelle surson objet. Nous pouvons nous souvenir de la nuance specifique decouleur qu'avait tel aspect d'un tableau. Lorsque nous voulons exprimernotre pensee a propos d'une nuance specifique que nous percevons oudont nous nous souvenons, nous pouvons employer des termes indexi-caux du type «cette nuance», qui expriment des concepts fondes sur laperception ou sur la memoire. Ces concepts sont associes a des capacites«recognitionnelles» (cf. McDowell, 1994), qui permettent au sujet dereconnaitre la nuance specifique en question dans certaines circons-tances19.

Dans ce sens de «non conceptuel», meme le souvenir factuel peut vehi-culer de l'information non conceptuelle. On me montre des photographiesd'un village chinois en me disant «tu as visite ce village quand tu etaisenfant». Plus tard, j'ai un souvenir factuel que j'exprime en disant «je mesouviens que j'ai visite ce village», bien que je ne me souvienne plus del'avoir visite. L'expression «ce village» exprime un concept indexical quicontribue au contenu conceptuel du souvenir factuel, bien qu'il vehiculede l'information non conceptuelle sur le village en question. La simplepresence d'information non conceptuelle ne rend pas le souvenir epi-sodique. (Les memes remarques valent pour le cas ou je revois de vieuxfilms de vacances.)

On pourrait objecter que mon souvenir factuel vehicule de l'informa-tion non conceptuelle dans l'exacte mesure ou il repose essentiellementsur un souvenir episodique — dans le cas precis, un souvenir episodiquede la photographie. Mais cette objection ne tient pas : comme dansl'exemple de Goethe tout a l'heure, il est possible que je ne sache plusaujourd'hui si mon souvenir derive tout droit d'une photographie du vil-lage ou du village lui-meme, de sorte que la remarque «je ne sais plus si jem'en souviens (au sens de Goethe) ou si on me l'a dit» est intelligiblememe si le contenu du souvenir factuel est indexical et vehicule de l'infor-mation non conceptuelle sur son objet.

Peut-on au moins formuler une condition necessaire du souvenir epi-sodique en disant qu'il doit vehiculer de l'information non conceptuelle,contrairement au souvenir factuel? Comme le souvenir factuel peut vehi-culer de l'information de ce genre, ce serait une condition non suffisantedu souvenir episodique. La valeur de cette suggestion depend de ce qu'ilfaut penser de l'exemple suivant. Je pretends me souvenir de ma maisond'enfance. Je peux donner spontanement toute une serie d'explications entermes generaux : je sais qu'elle avait un jardin, qu'elle etait situeequelque part dans tel quartier de telle ville, que le toit etait fait de tuiles

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brunes. Lorsqu'on m'interroge sur d'autres aspects de la maison, je suiscapable de fournir un certain nombre d'indications generates. Mais je n'aiaucune image mentale, meme confuse, de la nuance exacte du brun enquestion, de la situation particuliere ou de l'etendue precise du jardin. Jene peux que m'imaginer l'une des nombreuses maisons qui repondraienta ma description, sans savoir laquelle ressemble le plus a ma maisond'enfance. Pourtant, je n'ai pas seulement un ensemble de souvenirs fac-tuels a propos de la maison : j'insiste sur le fait que ces souvenirs factuelssont tous fondes sur mon souvenir personnel de cette maison, et que jen'ai beneficie d'aucun temoignage exterieur sur la question. Si cet exempleest considere comme faisant intervenir un souvenir episodique, alorscelui-ci ne vehicule pas d'information non conceptuelle. L'absenced'information non conceptuelle ne rend pas le souvenir factuel. L'attitudecontraire consisterait a dire que l'exemple implique uniquement des sou-venirs factuels, et aucun souvenir episodique.

L'information vehiculee par un souvenir peut etre dite «non concep-tuelle» en un second sens, plus controverse. C'est ce sens qui est vise parEvans lorsqu'il tente d'expliquer la specificite du souvenir episodique parrapport au souvenir factuel. Lorsque le sujet a un souvenir de type epi-sodique, il est dans un etat mnesique non conceptuel (a non-conceptualmemory state, Evans, 1982, p. 239). Par exemple, il est en mesure de juger,en etant protege contre les erreurs d'identification, «j'etais tout a l'heureface a un arbre qui brulait». Cet etat informationnel non conceptuel dif-fere de celui qui caracterise la perception, et qui nous permet de juger,avec les memes garanties de protection, «je suis face a un arbre qui brule».Les deux etats vehiculent typiquement de l'information non conceptuelledans le premier sens, mais la difference concerne precisement le rapportau passe :«[...] si le sujet est dans l'etat mnesique, il lui semble que telleet telle chose etait le cas» (Evans, 1982, p. 239). La proposition est doneque l'information non conceptuelle vehiculee par le souvenir episodiqueest essentiellement au passe, contrairement a celle que vehicule parfois lesouvenir factuel (ou a celle que vehicule toujours la perception).

Comme le reconnait Evans, la difficulte liee a cette position concernela facon dont une information qui concerne essentiellement le passe surun plan preconceptuel peut se manifester dans le comportement du sujet.En fait, il nous manque une definition plus precise de cette seconde notiond'information non conceptuelle. Une question urgente est de savoir si unorganisme qui ne possede aucun concept peut etre dans un etat informa-tionnel de ce genre20. Si la reponse est negative, il faut montrer que lareference intentionnelle au passe n'est pas assuree en realite sur le planconceptuel. Est-ce l'information non conceptuelle elle-meme qui est aupasse, ou est-elle seulement concue comme telle? Si la reponse a la ques-tion urgente est positive, il faut relever un formidable defi : celui dedemontrer que le comportement prelinguistique cense manifester la

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detention d'une information de ce genre ne peut pas etre decrit en termesplus primitifs, qui n'impliquent pas la reference a un moment passe par-ticulier. Par exemple, Campbell (1994, chap. 2) a suggere que le compor-tement de certains animaux apparemment capables d'orientationtemporelle peut etre explique en termes de phases, et que cette explicationn'implique pas que ces animaux aient le concept d'un moment passe par-ticulier. La these de Campbell tend vers la conclusion plus generate selonlaquelle le comportement dans lequel se manifeste la detention d'uneinformation concernant un moment passe particulier est necessairementconceptuel, et suppose la maitrise d'un langage partage.

5. La solution

Les resultats obtenus jusqu'ici peuvent se resumer de la maniere suivante.a) Le souvenir episodique a un rapport interne, quel qu'il soit, a uneexperience passee particuliere du sujet. b) Le souvenir factuel a propos dex n'implique pas le souvenir episodique de x. c) II y a une forte presomp-tion en faveur de la these selon laquelle le souvenir episodique de ximplique quelque souvenir factuel a propos de x2X. d) II n'est pas clair quele contenu informationnel du souvenir episodique soit necessairement denature differente de celui du souvenir factuel. Dans cette section, je vaistenter d'esquisser une theorie du souvenir episodique qui rende comptede ces quatre points.

Suivant la theorie que je propose, le souvenir episodique est une especede souvenir factuel. II y aurait autrement dit deux formes de souvenirsfactuels, dont l'une peut aussi etre appelee «episodique» — et non pas unedistinction exclusive entre souvenirs factuels et souvenirs episodiques.Comment rendre compte alors de la propriete remarquable du souvenirepisodique, a savoir qu'il renvoie de maniere interne a l'experience passeedu sujet?

Une possibility consiste a supposer que le contenu du souvenir epi-sodique comporte une reference directe au souvenir lui-meme, c'est-a-dire est reflexif. Lorsque j'ai un souvenir episodique que j'exprime endisant «je me souviens de *», le contenu du souvenir est en realite logique-ment plus complexe, et devrait etre formule au moyen d'une conjonction :

(R) Je me souviens que (... x... et ce souvenir-ci derive tout droit demon experience passee de x).

La reflexivite vient du terme deictique «ce souvenir-ci», qui designe juste-ment l'episode mental particulier dont le contenu conjonctif qu'il exprimeen partie est un aspect. Si ce contenu est concu sur le modele d'une pro-position singuliere, il contient comme constituant l'episode meme du sou-venir avec lequel il est associe. L'idee est la suivante : lorsque je mesouviens de x au sens episodique, j'ai un ensemble de souvenirs factuels

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qui portent non seulement sur x, mais egalement et simultanement sur lefait que ces memes souvenirs derivent tout droit de mon experience passeede x. Les souvenirs episodiques sont des souvenirs factuels reflexifs22.

Si je n'ai plus aucun souvenir de ma visite en Chine, mais que Ton m'ainforme de cette experience notable de mon enfance, je peux garder unsouvenir factuel que j'ai visite la Chine. Mais ce souvenir n'est pas reflexifcomme un souvenir episodique : en me souvenant que j'ai visite la Chine,je ne me souviens pas que ce souvenir derive tout droit d'une experiencepassee — si un tel souvenir est reflexif, et done si je me souviens de sonorigine causale immediate, je sais qu'il ne derive pas de mon experience,mais du temoignage d'autrui. II ne s'agit pas d'un souvenir episodique dema visite en Chine selon la theorie reflexive, bien qu'il puisse etre lie ausouvenir episodique du temoignage.

Comme on l'a vu, il ne suffit pas qu'un souvenir factuel derive effective-ment tout droit de mon experience passee pour que je puisse m'en sou-venir au sens episodique. La theorie reflexive rend compte de ce trait. Elleexige que je me souvienne aussi que le souvenir factuel que j'ai actuelle-ment a son origine directe dans mon experience passee. Les trois types desouvenirs distingues plus haut a partir de la remarque de Goethe peuventetre redecrits de la maniere suivante :

A. Les souvenirs reflexifs.

B. Les souvenirs non reflexifs qui derivent tout droit d'une experiencepassee.

C. Les souvenirs non reflexifs qui ne derivent pas tout droit d'uneexperience passee (mais par exemple d'un temoignage exterieur).

La difference entre B et C est purement externe; elle concerne des pro-prietes causales des episodes de souvenir dont le sujet peut n'avoir aucuneidee. L'origine causale, par contre, est inscrite dans le contenu meme dessouvenirs reflexifs — en cela, ce sont les seuls qui sont a proprementparler episodiques. On peut ainsi expliquer pourquoi la categorie A n'estpas concernee par la formule de Goethe. On sait normalement lorsqu'ona un souvenir episodique, parce qu'il est «annonce» comme souvenir parson contenu reflexif. II est done forcement reconnu comme tel par le sujet(ou du moins comme un souvenir apparent).

La theorie reflexive a des affinites evidentes avec la theorie de l'inten-tionnalite de John Searle (1983), qui introduit egalement la notion d'unetat mental reflexif. (Le terme searlien est «sui-referentiel»). Dans sa theo-rie, le souvenir «d'avoir vu une fleur» est reflexif, au sens ou il fait partiedes conditions de satisfaction du souvenir que la vision passee de la fleurcause ce meme souvenir (Searle, 1983, p. 122-123; je suis ici la paginationde la traduction francaise). Les remarques de Searle sur le souvenir sont

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laconiques, mais on peut quand meme relever deux differences poten-tielles entre sa theorie et celle qui est proposee ici. Premierement, l'intro-duction de la notion de reflexivite repond a des problemes theoriquesconcernant l'intentionnalite en general, alors qu'elle est motivee ici pardes problemes specifiques au souvenir. Selon Searle, la perception, l'in-tention et l'action sont egalement reflexifs, mais il me semble (pour desraisons que je ne peux developper ici) que la reflexivite du souvenir estplus evidente que, par exemple, celle de la perception. En second lieu, cesont les conditions de satisfaction du souvenir qui sont reflexives selonSearle, alors que la reflexivite fait ici partie de ce dont le sujet doit se sou-venir pour avoir un souvenir episodique. La difference pourrait etre per-tinente; considerez en effet ce que Searle dit a propos de la perception :

[...] quand je dis que l'experience visuelle est causalement sui-referentielle, je neveux pas dire que la relation causale soit vue, et encore moins que l'experiencevisuelle soit vue. En fait, seuls les objets et etats de choses sont vus, et une partiedes conditions de satisfaction de l'experience visuelle de les voir est que l'expe-rience elle-meme soit necessairement causee par ce qui est vu (1983, p. 69).

Si Ton applique ce que dit Searle dans ce passage au cas du souvenir, iln'est pas necessaire, pour avoir le souvenir d'avoir vu la fleur, de se sou-venir que ce meme souvenir derive de l'experience de la fleur. II suffit quele fait que le souvenir derive de l'experience fasse partie des conditions desatisfaction du souvenir lui-meme. Le souvenir est «reussi» seulement s'ilderive effectivement de l'experience; il est «rate» dans le cas contraire.Meme les souvenirs de type B sont reflexifs au sens specifique de Searle.La reflexivite en ce sens definit une notion de souvenir qui s'apparente aumieux a celle de Goethe; elle ne rend pas compte de la difference, qui nousinteresse ici, entre les souvenirs de type B et ceux de type A.

Ce dernier point pourrait susciter l'objection suivante. Pour avoir lesouvenir s, le sujet doit se souvenir que s a une certaine propriete reflexive.II doit done identifier s. Mais pour ce faire, il doit se tourner vers son con-tenu, qui dit que s a une certaine propriete. Or, pour savoir de quel con-tenu il s'agit, il doit deja avoir identifie s. Nous sommes pris dans unregressus a l'infini23.

Cette objection repose toutefois sur la premisse selon laquelle, pouridentifier un souvenir, il est necessaire d'identifier son contenu tout entier.En fait, un episode mental comporte deux aspects : un mode (ou une atti-tude) et un contenu. Dans certains cas, il est possible d'identifier un telepisode par le fait qu'il exemplifie un mode a un moment particulier —sans reference explicite a son contenu entier. C'est ce qui se passe dans lecas precis: le terme deictique «ce souvenir-ci» qui figure dans la formula-tion complete du souvenir episodique exprime un sens dont la saisierepose simplement sur un episode de conscience particulier. II n'est pas

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necessaire d'identifier tout le contenu de cet episode pour y fairereference.

Considerons une autre objection possible. Sa premisse centrale est quele compte rendu R d'un souvenir conjonctif peut etre reformule demaniere plus perspicace comme suit, c'est-a-dire en separant nettementles deux parties de la conjonction :

(R') Jemesouviensque ...x... etjemesouviens(aumememoment)que ce souvenir derive tout droit de mon experience passee de x.

R' est le compte rendu de deux souvenirs, et le terme deictique «ce sou-venire, qui figure dans l'expression du deuxieme souvenir, designe le pre-mier souvenir en tant qu'etat mental. Si R est logiquement equivalent aR', la theorie proposee revient simplement a dire qu'un souvenir epi-sodique est un souvenir factuel de type B qui est l'objet d'un autre sou-venir, de deuxieme ordre, selon lequel ce souvenir de type B derive toutdroit de Pexperience passee du sujet. Le souvenir de deuxieme ordre peutetre a son tour de type B ou de type C. Nul besoin en tout cas de faireintervenir la categorie A des souvenirs reflexifs, puisqu'un souvenir epi-sodique peut etre essentiellement defini en termes de souvenirs de type Bou de type C.

L'objection est alors que cette theorie est intuitivement fausse. Con-siderons en effet le deuxieme souvenir rapporte par R'. Je peux avoir untel souvenir en ignorant son origine causale, c'est-a-dire meme si j'aioublie s'il derive tout droit de mon experience passee ou d'un temoignageexterieur. Par exemple, je ne peux pas exclure la possibility qu'un jour, mesparents m'aient dit: «Nous ne t'avons jamais raconte cette histoire. Ellene peut venir que de toi; c'est l'un de tes souvenirs», et qu'apres ce temoi-gnage, j'ai seulement garde le souvenir factuel que mon souvenir que... x... derive tout droit de mon experience passee de x, en oubliant que jetiens ce souvenir de deuxieme ordre de mes parents. Mais on peut avoir lesoupcon que si je ne peux pas exclure cette possibility (alors que je con-sidere tous mes souvenirs comme veridiques), c'est que je n'ai pas de veri-table souvenir episodique de l'evenement x en question. Je sais que monsouvenir que ...x... derive de mon experience passee, mais je ne le sais pasde la meme facon que si je me souvenais de x (au sens episodique). Intui-tivement, mon acces a ma propre experience passee n'est pas aussi directqu'il pourrait l'etre si j'avais un authentique souvenir episodique.

II semble done que Ton puisse avoir les deux souvenirs factuels decritsen R' sans avoir le souvenir episodique pertinent. On peut certes insisteren exigeant que mon souvenir de deuxieme ordre soit lui-meme l'objetd'un autre souvenir, de troisieme ordre, selon lequel il derive tout droit demon experience passee. Mais la meme question se pose de savoir si le sujetse souvient de l'origine causale du souvenir de troisieme ordre. S'il ne s'en

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souvient pas, son souvenir n'est pas veritablement episodique. A l'evi-dence, cette manoeuvre ne fait que repousser le probleme a l'infini.

A mon avis, cette objection est correcte sur un point important: R'n'est pas une representation adequate du souvenir episodique. Nean-moins, elle ne porte pas contre R pour la bonne raison que sa premisseest fausse : R n'est pas logiquement equivalent a R'. On peut certes mon-trer, en invoquant quelques principes plausibles, que R' est une con-sequence de R : si j'ai le souvenir episodique de x, j'ai eo ipso un souvenirfactuel a propos de x et aussi un souvenir de deuxieme ordre selon lequelmon souvenir a propos de x derive tout droit de mon experience passee24.Par contre, R' n'implique pas R. Notons tout d'abord que Ton ne peut pasdeduire R de R' simplement en invoquant le principe selon lequel si je mesouviens que p et je me souviens que q, je me souviens que p et q. C'estque les termes deictiques «ce souvenir-ci» et «ce souvenir» respectivementen R et en R' n'ont pas la meme reference. Le premier terme deictiquedesigne un souvenir particulier qui possede un contenu reflexif et logique-ment complexe. Or ce souvenir est un episode mental distinct de celuidesigne par le deuxieme terme deictique, dont le contenu ne comporteaucun element reflexif.

D'autres principes pourraient-ils nous aider a deduire R de R'? J'endoute. On peut raisonner ici par l'absurde. Supposons en effet que le sou-venir reflexif decrit par R derive uniquement des souvenirs decrits par R'.Pour avoir le souvenir reflexif en question, c'est-a-dire (en ne mentionnantqu'une partie de son contenu) pour me souvenir que ce souvenir-ci derivetout droit de mon experience passee, il faudrait que je me souvienne queles deux souvenirs decrits par R' derivent tout droit de mon experiencepassee. Dans le cas contraire, je ne serais pas sur que mon souvenir reflexifderivat exclusivement de mon experience passee, ce qui est contradictoire.Si je tiens mon souvenir reflexif pour veridique, je sais par la-meme qu'ilderive tout droit, et done exclusivement, de mon experience passee. Orcomme on l'a vu, je ne me souviens pas forcement que le deuxieme sou-venir decrit par R' derive tout droit de mon experience passee. Pourautant que je le sache, done, mon souvenir reflexif pourrait deriver enpartie d'un temoignage exterieur, sur lequel se serait fonde le souvenir dedeuxieme ordre decrit par R'. A nouveau, le probleme n'est pas regie enintroduisant un souvenir factuel de troisieme ordre selon lequel mon sou-venir de deuxieme ordre derive tout droit de mon experience passee. Tantque ce souvenir est de type B ou de type C, je peux ignorer son originecausale directe. Et si j'ignore son origine causale directe, je ne peux pasgarantir que mon souvenir reflexif derive exclusivement de mon expe-rience passee (par opposition a un temoignage exterieur). II semble doneque Ton ne puisse pas definir un souvenir de type A simplement a partirde souvenirs de type B ou C.

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D'un mot, la theorie reflexive rend compte de l'intuition, qui sous-tendait l'objection soulevee contre elle, selon laquelle il est possibled'avoir les souvenirs rapportes par R' sans avoir de souvenir episodiquede x. Par contre, selon ma suggestion, R est la representation approprieed'un souvenir episodique. C'est qu'un souvenir reflexif n'est pas la memechose qu'un souvenir de deuxieme ordre. Si R' est le compte rendu dedeux souvenirs, dont un de deuxieme ordre, R est le compte rendu d'unseul souvenir, proprement reflexif.

Un autre probleme potentiel concerne Failure apparemment assezsophistiquee que prennent les souvenirs episodiques selon R. La theoriereflexive implique-t-elle que les jeunes enfants sont incapables d'avoir dessouvenirs episodiques? Si c'est le cas, elle peut paraitre contre-intuitive.

La bonne reponse me semble etre que des enfants raisonnablementjeunes peuvent avoir les souvenirs rapportes par R, et done qu'ils sontcapables de se souvenir de leur passe au sens episodique. J'aimerais fairedeux remarques sur ce point. La premiere est que si R represente pourainsi dire la forme logique des souvenirs episodiques, il n'est pas besoinde requerir d'un sujet qui a un souvenir episodique qu'il articule son con-tenu de maniere a faire ressortir l'aspect reflexif, et a formuler explicite-ment la proposition R. II suffit que le souvenir conscient se presente demaniere reflexive, ou plus precisement que son contenu presente le sou-venir actuel comme derivant tout droit de l'experience passee. Je ne voispas pourquoi les jeunes enfants n'auraient pas de souvenirs se presentantde cette maniere comme des souvenirs de leur propre passe.

Ma seconde remarque concerne a nouveau la psychologie cognitive. IIest plausible de supposer que la capacite d'avoir des souvenirs epi-sodiques est liee a celle, plus generate, d'avoir des etats mentaux d'ordresuperieur, e'est-a-dire des attitudes a propos de ses propres etats mentaux.(C'est un autre aspect du fait que R implique R'.) La capacite d'avoir desetats mentaux d'ordre superieur fait partie de ce qu'il est convenuaujourd'hui d'appeler une «theorie de l'esprit». On sait que cette theoriecommence a etre maitrisee vers l'age de quatre ans. II devrait dones'ensuivre, selon la theorie reflexive, que les souvenirs episodiques emer-gent seulement a cet age. Or des travaux experimentaux confirment queles souvenirs episodiques dependent d'une theorie de l'esprit. II semblequ'avant quatre ans, les enfants ne puissent pas saisir la relation entre lesinformations dont ils disposent au moment present et les experiencesqu'ils ont faites auparavant. S'ils peuvent raconter des episodes impor-tants de leur passe, ils n'ont pas encore les moyens de reflechir a l'origineperceptive de leurs connaissances. II s'ensuit qu'ils sont encore incapablesd'avoir des souvenirs proprement episodiques25.

J'ai essaye de repondre a ce qui m'a paru etre les objections principalesa la theorie reflexive du souvenir episodique. Pour terminer, j'aimerais

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faire quelques breves remarques supplementaires sur la portee de latheorie :

1. La theorie reflexive explique pourquoi je peux a la limite avoir unsouvenir episodique de x sans avoir d'information non conceptuelle sur x(au premier sens presente a la section 4). Je me souviens de x au sens epi-sodique, mais les informations que j'ai sur x sont toutes generates. (Parexemple, je me souviens de la couleur rouge de x, mais je ne me souviensplus de la nuance specifique de rouge qu'avait x.) Ce qui compte avanttout pour le souvenir episodique, c'est que son contenu comporte un ele-ment reflexif. La presence d'informations preconceptuelles portant surl'episode passe est sans doute importante, et peut-etre typique du sou-venir episodique, mais elle est en principe secondaire26.

2. Le souvenir exprime par «je me souviens que ce souvenir a pourorigine directe une experience» n'implique pas que le souvenir en tant queconnaissance ait immediatement succede a l'experience. Dans certains cas,la memoire est simplement la retention d'une connaissance acquise pard'autres moyens epistemiques (comme la perception ou le temoignage)27.Dans d'autres cas, elle est source de connaissance. Lorsque je reflechis ama rencontre avec Pierre, je me souviens tout a coup qu'il portait unemoustache. A aucun moment de la rencontre, je n'avais remarque samoustache. Je ne savais done pas, au moment ou je lui parlais, qu'il enportait une. Cette connaissance, je l'ai acquise plus tard, par l'entremisede mon souvenir.

La theorie reflexive peut en principe rendre compte de la difference enquestion. II suffit d'interpreter la condition exprimee par «deriver toutdroit» de maniere suffisamment large, sans requerir qu'a chaque instantde la periode qui separe le souvenir present de l'experience passee, le sujetse souvienne de la moustache de Pierre (au sens dispositionnel ou non).Meme s'il n'y a pas a proprement parler de souvenir de la moustache entrela rencontre de mon ami et la prise de conscience ulterieure, on peut parlerdu souvenir lie a la prise de conscience comme derivant tout droit (et donesans l'aide du temoignage d'autrui) de l'experience passee de la mous-tache. (II s'agirait alors d'une perception simple au sens de Dretske.)

3. La theorie reflexive implique que lorsque j'ai un souvenir episodiquede x, j'ai aussi un souvenir factuel relatif a mon experience passee de x, asavoir le souvenir que l'un des mes souvenirs derive tout droit d'une telleexperience. Mais lorsque j'ai un souvenir episodique de x, ai-je aussi unsouvenir episodique de mon experience de x? Dois-je me souvenir de monexperience de x? Pas necessairement. Ce dernier souvenir serait en effetde la forme suivante, ou «F» designe quelque propriete attribuee al'experience :

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548 Dialogue

(RE) Je me souviens que (mon experience passee de x est Fet ce souve-nir-ci derive tout droit de mon experience passee de mon experi-ence passee de x).

Si Ton pense qu'il est possible d'avoir l'experience de x sans avoir l'expe-rience de faire l'experience de JC, c'est-a-dire sans que l'experience de x soita son tour l'objet d'une experience de ma part (de type perceptif ou non),alors R n'implique pas RE : il est possible de se souvenir de x sans se sou-venir de sa propre experience de x. A Pevidence, cette reponse est entiere-ment schematique, mais la detailler nous entrainerait trop loin. II faudraitregler entre autres le probleme de savoir dans quelles conditions nosexperiences perceptives ordinaires sont egalement l'objet d'une expe-rience de notre part.

4. Enfin, on sait tous qu'avec le temps, on oublie la composante reflexivede nos souvenirs episodiques, qui se transforment alors en des souvenirsde la categorie B.

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Souvenir episodique 549

Appendice : quelques analogies et differences entre la memoireet la perception

«SE(S, x)» se lit «Le sujet S a un souvenir episodique de l'entite x».«SF(S, p)» se lit «Le sujet S au un souvenir factuel que p».

«PS(S, x)» se lit «Le sujet S a une perception simple de l'entite x».«PE(S, /?)» se lit «Le sujet S a une perception epistemique que/>».

MEMOIRE PERCEPTION (d'apres Dretske)

(1) SE(S, x) -> S est conscient de x (V) PS(S, x) -> S est conscient de x(2) SE(S, x) -» S pense que ...x... (T) -.[PS(S, x) -> S pense que . . .x . . .](3) -.[SE(S, x) -> S croit que ...x...] (3') -,[PS(S, x) -> S croit que ...x...}(4) -.[SE(S, x) -> S sait que ...x...} (4') -,[PS (S, x) -> S sait que . . .* . . . ](5) SE(S, x ) - > S a l'impression de se (5') -i[PS(S, x ) ^ S a Fimpression de

souvenir percevoir]

(6) SF(S, p) —> S est conscient que/; (6') PE(S,/>) -> S est conscient quep(7) SF(S, p) -^ S pense que p {!') PE(S, p) -> S pense que />(8) -> [SF(S, />) -> S croit que p] (8') ? PE(S, ̂ ) -> S croit que p(9) ^[SF(S,p) -> S sait que/;] (9') ? PE(S,/;) -> S sait quep(10) -.[SFCS,/;) - > S a i'impression de (10') -,[PE(S,/;) - > S a l'impression de

se souvenir] percevoir]

(11) SE(S, x) -> SF(S,...x...) (11') ->[PS(S, x) -> PE(S,...x...)]

- (1) et (6) definissent respectivement le souvenir episodique et le souve-nir factuel comme des souvenirs explicites (cf. section 2).

- (2) correspond a la conclusion de la section 3; (7) est presente au debutde la section 3. Rappelons que (2) est compatible avec (3), de meme que(7) est compatible avec (8): on peut saisir la pensee que/7 sans que celle-ci soit le contenu d'une croyance que p (elle peut etre, par exemple, lecontenu d'une supposition, ou d'un desir que/?).

- (3) et (8) representent la these selon laquelle le souvenir (respectivementepisodique et factuel) n'est pas doxastique (cf. section 2). Par ailleurs,(3) implique (4) et (8) implique (9).

- (5) veut dire que le souvenir episodique est toujours reconnu par le sujetcomme un souvenir apparent. Autrement dit, lorsque le sujet a un sou-venir episodique, il a l'impression de se souvenir, meme dans le cas ouil tient cette impression pour illusoire. Par contre, (10) indique que lesouvenir factuel n'est pas lie a une telle impression.

- (11) est affirme a la fin de la section 3 : tout souvenir episodique de ximplique quelque souvenir factuel a propos de x.

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550 Dialogue

- (10 et (60 correspondent a la these de Dretske selon laquelle la percep-tion simple et la perception epistemique sont deux formes de con-science.

- (20 a (40 et (IT) definissent l'independance de la perception simple parrapport a la perception epistemique selon Dretske. Par ailleurs, (20implique (30 qui implique (40-

- (50 resulte d'une interpretation par Dretske (1969, p. 7-8) de certainessituations experimentales dans lesquelles les sujets ont l'impressionqu'ils imaginent alors qu'ils voient.

- (70 resulte de la nature propositionnelle du contenu de la perceptionepistemique.

- (80 et (90 semblent etre acceptes par Dretske, mais nous avons vu(section 3) qu'il vaut mieux rejeter ces implications.

- Pour Dretske (100 v aut car selon lui (1991), les sujets capables de«vision aveugle» dans les experiences de Weiskrantz voient au sensepistemique, mais n'ont pas l'impression de voir.

Notes

* Cet article a pu etre acheve grace a une bourse du Fonds national suisse de larecherche scientifique (n° 8210-046542). Une version anterieure a ete presenteeen 1996 au CREA (Paris), et a l'Universite de Nottingham. Je tiens a remercierles auditeurs presents, et en particulier Joelle Proust et Francois Recanati. Je suisegalement redevable a Eros Corazza, a Kevin Mulligan et a deux rapporteursanonymes de cette revue pour leurs commentaires ecrits pertinents et forts utiles.

1 Cf. Ayer, 1956, Bergson, 1939, Malcolm, 1963 et Russell, 1921. Je me concen-tre ici sur deux formes de souvenir, sans prejuger de la question de savoir s'ilen existe d'autres (comme par exemple les souvenirs decrits par des comptesrendus du type «je me souviens comment faire de la bicyclette»).

2 Cf. Wiggins, 1993. Lorsque la reference a un moment passe particulier n'estpas pertinente, «je me souviens de x» ne decrit pas un souvenir episodique,mais peut avoir le sens de «je connais/reconnais x». (II peut aussi avoir un toutautre sens, comme dans «je me souviens du theoreme de Pythagore», qui decritprobablement un ensemble de souvenirs factuels.)

3 Je precise que dans cet article, l'expression «faire l'experience de x» designeune experience veridique de x. Cette experience est souvent perceptive, maispas toujours : je peux me souvenir de ma mauvaise humeur de la veille seule-ment si j'en ai fait l'experience, mais cette experience n'etait pas de type per-ceptif.

4 On peut admettre en ce sens qu'un souvenir derive tout droit de l'experiencepassee meme si le temoignage exterieur est venu renforcer regulierement le sou-venir.

5 Schacter, 1991, p. 180; cf. aussi Schacter, 1987.6 Peut-etre est-il acceptable de dire «il y a reellement une scene passee que

l'artiste peint», mais ce serait une interpretation a la troisieme personne (par

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exemple du point de vue des parents) et non pas le compte rendu d'un etatmental relationnel de l'artiste.

7 La pensee contraire est un exemple de ce qu'Evans (1982) critique sous le nomde «modele de la photographie». En un certain sens, on pourrait dire quel'artiste a une «photographie cerebrale» de la maison qu'il a vue, mais a nou-veau, cela ne suffit pas a lui attribuer une representation de re de cette maison.

8 Cf. l'exemple de la photographie du village chinois a la section 4 du presentarticle.

9 Malcolm (1963, p. 213-214) discute un exemple similaire a celui de l'artiste etconclut qu'il n'introduit aucune asymetrie notable entre le souvenir factuel etce qu'il appelle le souvenir «perceptif» — c'est-a-dire, grosso modo, le souve-nir episodique accompagne d'images mentales. Don Locke (1971, p. 56) estenclin a suivre l'opinion de Munsat (1965) selon laquelle des exemples de cegenre impliquent le souvenir episodique mais pas le souvenir factuel, mais cesauteurs ne font pas non plus la distinction entre la memoire implicite et lamemoire explicite.

10 Pour la distinction generale entre une conscience de chose et une consciencede fait, cf. Dretske, 1993. Notons que ma terminologie, telle qu'elle est resumeedans la figure 1, s'accorde avec celle de Parkin (1993) du moins si ce qu'ilappelle «souvenir semantique» (qui dans sa definition la plus generale con-cerne la retention d'informations diverses sur le monde, de meme que la con-naissance du langage et des concepts) peut etre assimile au souvenir factuel.

11 Ce que je ne peux pas dire sans me contredire, par contre, c'est «je me souviensde ce vase, mais en fait ce vase n'existe pas». En effet, si on se souvient de x,alors x existe. De meme, si on se souvient quep, alorsp.

12 La non-doxasticite du souvenir est analogue a celle de la perception; pour laperception, cf. Evans, 1982, p. 122 sqq.

13 J'utilise ici le terme «pensee» de telle facon que la pensee quep n'implique pasforcement la croyance quep. Une pensee est le contenu d'une attitude propo-sitionnelle. Par exemple, la pensee exprimee par la phrase «il pleut» peut etrele contenu d'une croyance (je crois qu'il pleut) mais aussi d'un desir (je desirequ'il pleuve) ou d'une simple supposition (supposons qu'il pleuve).

14 Cf. Dretske, 1969, 1978, 1993. A plusieurs reprises, Dretske semble suggererque la perception epistemique quep est doxastique, au sens ou elle impliquela croyance quep. Mais le contraste entre la perception quep et la perceptionde x n'est pas le meme que celui entre un etat mental doxastique et un etatmental non doxastique : en fait, les deux formes de perception sontnon doxas-tiques. En particulier, si la perception quep implique la pensee quep, il est pos-sible de percevoir que p sans croire que p. (Cette distinction me sembleremettre en question l'une des lignes argumentatives de Dretske [1993, p. 268-269], mais je ne veux pas elaborer ce point ici.)

15 Pour une defense de la these selon laquelle, dans une telle situation, la percep-tion simple doit avoir laisse une trace dans le cerveau, cf. Martin et Deutscher,1966.

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552 Dialogue

16 Comme les souvenirs sont par definition veridiques, j'utilise le terme «souve-nir apparent* pour designer ou bien un souvenir veritable, ou bien une impres-sion illusoire de souvenir, c'est-a-dire quelque chose que le sujet prend a tortpour un souvenir.

17 Je ne vais pas defendre cette these ici. Notons seulement que si elle est correcte,il n'est pas vrai que le contenu du souvenir episodique doit etre «fidele» en touspoints a celui de l'experience fondatrice.

18 Cf. l'appendice a cet article pour un resume de quelques proprietes pertinentesde la memoire et de la perception.

19 En fait, notre capacite de reconnaitre une nuance specifique est fort limitee parrapport a nos capacites de discrimination perceptive : cf. Raffman, 1995. Lefosse qui existe entre ces deux types de capacite est problematique pour unetheorie (comme celle de McDowell, 1994) selon laquelle l'information nonconceptuelle vehiculee par la perception peut etre entierement specifiee sur leplan conceptuel. Mais il n'est pas problematique (du moins pas pour cette rai-son) pour la theorie analogue selon laquelle l'information non conceptuellevehiculee par le souvenir peut etre entierement specifiee sur le planconceptuel: intuitivement, cette information est moins «fine» que celle quevehicule la perception.

20 Pour une question similaire, mais posee a propos de la perception, et done dela premiere notion d'information non conceptuelle (qui n'est pas essentielle-ment au passe), cf. Bermudez (1994), qui repond par l'affirmative, et Peacocke(1994), qui defend la reponse negative.

21 Cf. la these de Malcolm (1963) — adaptee a notre terminologie — selon la-quelle le souvenir episodique ne se comprend que sur un arriere-plan de sou-venirs factuels.

22 II est interessant de constater que certains psychologues refusent de separernettement la memoire episodique de la memoire semantique (c'est-a-dire,grosso modo, la memoire factuelle; cf. note 10). Par exemple, Parkin (1993)considere que ces formes de memoire doivent plutot etre considerees commedifferents aspects d'un seul systeme, ce qui est compatible avec la theoriereflexive.

23 Searle (1983, p. 111, n. 5) mentionne une objection similaire a sa propre theo-rie du contenu reflexif de l'action mais la leve egalement.

24 La demonstration est simple, quoiqu'un peu fastidieuse. R decrit un souvenirepisodique s de la forme «je me souviens que (.. .x... ets derive tout droit demon experience passee de x)». En appliquant le principe selon lequel si je mesouviens que/? et q, je me souviens que/> et je me souviens que q, je peux tirerde.? les deux souvenirs suivants «je me souviens que .. .x...» et «je me souviensque s derive tout droit de mon experience passee dex». Appelons ces souvenirsrespectivement «t» et «u». On peut faire alors l'hypothese plausible que je mesouviens que le souvenir t derive tout droit de mon experience passee de x,puisque je me souviens a) que t derive tout droit de s, b) que j derive tout droitde mon experience passee de x (e'est mon souvenir «), et done c) qu'aucun

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Souvenir episodique 553

relais informationnel externe (comme le temoignage) n'est intervenu demaniere essentielle entre s et mon experience passee de x. J'ai done le souvenirv «je me souviens que t derive tout droit de l'experience passee de x». Or t etv sont precisement les deux souvenirs decrits par R'.

25 Cf. Perner, 1991 et Perner et Ruffman, 1995. Ces auteurs expliquent de cettefacon le phenomene d'«amnesie de l'enfance», e'est-a-dire le fait que les adultesn'ont generalement pas de souvenirs des quatre premieres annees environ deleur enfance.

26 Certes, comme le contenu du souvenir episodique est specifie au moyen d'unterme deictique de la forme «ce souvenir-ci», il est sans doute lie a des infor-mations preconceptuelles portant non pas sur l'episode passe mais sur le sou-venir present.

27 Cf. Dummett, 1993. Dummett ne parle pas ici des cas ou le souvenir apparaitclairement comme une source de connaissance, et pas seulement comme laretention d'une connaissance acquise autrement.

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