Une réaction à l'espace anticipé

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UNE REACTION A L’ESPACE ANTICIPE ETUDE DU QUARTIER DES POETES A PIERREFITTE-SUR-SEINE

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L'étude du quartier des Poètes à Pierrefitte-sur-Seine Enoncé théorique de Master en architecture, EPFL 2012-2013

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PLAN DE PIERREFITTE-SUR-SEINE EN 2008

QUARTIER DES POETES

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Une réaction à l’espace anticipéLe cas du quartier des Poètes à Pierrefitte-sur-Seine

Ecole Polytechnique Fédérale de LausanneAnnée 2012-2013

Enoncé théorique de Master en Architecture de

Marine Beaumanoir

Sous la direction de

Luca Pattaroni, ProfesseurAndrea Bassi, Directeur pédagogique

Barbara Tirone, maître EPFL

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Sommaire

RemerciementsIntroductionChapitre I : La construction d’un quartier1/ Le développement d’une petite ville de banlieue

A- Une ville agricoleB- Une ville industrielle C- Une villégiature ParisienneD- Une ville pavillonnaireE- Une ville communiste

2/ La naissance des logements sociaux

A- Politique de logement social au début du XXème siècleB- L’urgence de la reconstruction post-guerreC- L’influence du modernismeD- La rationalisation de la constructionE- La création des ZUPF- La création des ZAC

3/ Controverse et alternative aux grands ensembles

A- La remise en question des grands ensemblesB- Le mouvement post-68C- La densification du quartier des PoètesD- Une architecture sociale et écologiqueE- L’ensemble Desnos et les difficultés de construction

Chapitre II : L’échec des Poètes1/ La fragilisation du quartier

A- Des difficultés techniquesB- La dégradation du contexte économique et socialC- Un modèle qui ne convient plusD- L’exode urbain et la paupérisation de la population

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2/ L’installation d’un malaise

A- Les difficultés d’intégration des nouveaux habitantsB- Le quartier victime de la ségrégationC- Violences urbaines, délinquance et dégradationD- Une dégradation de l’habitat

E- Un abandon des gestionnaires

3/ Le rejet du quartier des Poètes

A- Une architecture « in-appropriable »B- Des choix esthétiques incomprisC- Une stigmatisation des formes urbaines D- Ségrégation spatiale

E- La ville à trois vitesses

4/ Des tentatives d’amélioration

A- La politique de la villeB- L’action du centre socialC- Une nouvelle dynamique communautaire

D- L’effondrement

Chapitre III : Vers un nouvel espoir?1/ La question de la Patrimonialisation des Grands Ensembles

A- Lancement du plan ANRUB- Les arguments contre la démolitionC- La volonté d’une ville égalitaireD- Des détériorations trop importantes

2/ Une opposition à la démolition

A- L’action du collectif DOCOMOMOB- Réaction de la communeC- Une incompréhension des deux opposantsD- La mémoire d’un quartier

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3/ Le nouveau projet de l’ANRU

A- L’ouverture du quartierB- La construction de nouveaux logementsC- Une nouvelle attractivitéD- La résidentialisation des espaces

Conclusion

Bibliographie

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Remerciements

Je tiens à remercier les différentes personnes qui m’ont reçue à Pierrefitte-sur-Seine, et m’ont apporté de précieuses informations tout au long de mes recherches :

Michel Fourcade, Maire de Pierrefitte-sur-Seine, Alexandra Rosinski, chef de CabinetDieudonné Abogo, Chef de projet à la Maison de l’EmploiReda Karroum, directeur du Centre social et culturel Maroc-Châtenay-PoètesFarida Galou, Responsable Famille au Centre social et culturel Maroc-Châtenay-PoètesLaure Tesson, au Service de Rénovation UrbaineAnne-Sophie Honnet, aux Archives municipalesHibat Tabib, Directeur de l’AFPAD, fondateur de l’ex Centre social Georges Brassens

L’ensemble du centre social et culturel Maroc-Châtenay-Poètes, pour leur disponibilité et leur accueil chaleureux.

Je tiens également à remercier l’équipe enseignante, Luca Pattaroni, Professeur, Barbara Tirone, Maître EPFL, et Andrea Bassi, Directeur pédagogique pour leur implication et leur aide durant cette première phase de projet de diplôme.

Pour leur soutien, leur relecture et leurs conseils avisés : Hervé, Sylvie et Juliette Beaumanoir, Guillaume Lesage, Constance Bodenez, Luc Guillemot et Alan Hasoo.

Pour ses dessins, Louise.

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Introduction

Pierrefitte-sur-Seine est une ville de banlieue parisienne, à la charnière entre l’urbanisation continue de la Seine-Saint-Denis et les espaces moins denses du Val d’Oise. C’est comme cela qu’on la définit de coutume, comme une ville de banlieue parmis les autres, avec ses avantages et ses difficultés. S’interroge-t-on seulement : la banlieue est-elle un phénomène purement spatial : une ceinture urbanisée dépendant d’un centre ? Une catégorie sociologique : elle concerne ceux qui vivent en marge de la société ? Un phénomène culturel : elle se définit par les pratiques culturelles qu’elle a vu naître (rap, tag…) ? Un lieu symbolique : celui du discrédit de ses habitants ?1 Dans les esprits, toutes les banlieues sont confondues.

Pierrefitte, comme toutes les villes de banlieues, a vu son territoire se transformer à une vitesse impressionnante ces 150 dernières années. Comme la plupart des villes de banlieues, elle a connu la construction des grands ensembles. Comme quelques villes de Seine-Saint-Denis, elle fut sélectionnée pour être le terrain d’expérimentation d’une architecture nouvelle : celle du courant Renaudie.

Les banlieues françaises, au travers de l’image véhiculée des grands ensembles, sont vus d’une vision globalisante. Chaque quartier a pourtant une dynamique particulière, liée aux caractéristiques de la population, son histoire, sa forme urbaine et sa politique locale. L’urbanisation croissante a dépassé les limites préexistantes, les frontières sont invisibles, mais restent néanmoins étanches.2

Le quartier des Poètes ne fait pas exception. Il est issu de différentes dynamiques, parfois nationales, parfois plus locales, et porte en lui toute l’histoire de la commune. Pourtant, ce quartier est un cas à part, son histoire est complexe : « C’est un cas... oui, un cas d’école ! », comme

1 Hervé Viellard-Baron, « La banlieue, question de définition » in Banlieues, une anthologie, Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaire Romandes, 20082 Colette Pétonnet, Espaces habités, Ethnologie des banlieues, Paris, Editions Gallilée, 1982

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le dit lui-même le Maire de la commune lorsque je lui explique mon choix d’étude.3

Les architectes du courant Renaudie sont en opposition avec l’architecture rigoureuse des grands ensembles. Ils prennent en charge la construction du quartier dès le début des années 80 et achèveront le dernier bâtiment en 1993. Dans ce laboratoire urbain, ils tentent par la mise en place de nombreux dispositifs de construire des espaces « pour les gens ». Cet espace, c’est « l’Espace Anticipé » 4, nommé ainsi en raison de sa capacité particulière d’appropriation par ses habitants.

« S‘approprier un espace - logement, voisinage, quartier, ville ou village - consiste à nouer avec lui des relations affectives riches de sens; on aime s’y retrouver, on sent qu’il vous met en valeur aux yeux de vos proches et de vos visiteurs, il perd son anonymat pour devenir «votre» rue, «votre» square favori, «votre» maison.L’appropriation ne peut se décréter; elle résulte, plus ou moins vite et plus ou moins intensément, de la fréquentation répétitive des lieux, de la possibilité de les améliorer un peu, de les marquer par des objets personnels ou par des habitudes de fréquentation. »Jean-Paul Lacaze, La ville et l’urbanisme, Flammarion, 1999

Moins de quinze ans plus tard, le constat est tout autre. Dégradations du bâti et actes de violence ont pris le pas sur la vie de quartier. Habitants et voisins rejettent cette architecture qu’ils n’arrivent pas à s’approprier. Ses caractéristiques spatiales sont détournés, l’espace anticipé est devenu l’espace d’inappropriation. La démolition du quartier est décidée en 2007.

Comment le projet initial des concepteurs du quartier, pour une architecture centrée sur l’Homme et ses pratiques, a-t’elle pu engendrer un quartier que ses habitants rejettent et récusent ?

Au travers des multiples terrains d’études que propose le quartier des Poètes, je m’attacherai à comprendre en quoi cette architecture est

3 Entretien avec Michel Fourcade, Maire de Pierrefitte-sur-Seine depuis 2008, 22 Octobre 20124 Espaces habités, espaces anticipés, Rapport de recherche UMR CNRS 6173 Cités territoires environnement et sociétés, Agence nationale de la recherche, mai 2008

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liée à son devenir. La rencontre avec des acteurs locaux ainsi que le témoignage d’habitants seront à la base de toute argumentation.

Dans un premier temps, il est nécéssaire de comprendre les perspectives dans lesquelles la commune de Pierrefitte s’est rapprochée ou dégagée des dynamiques observées dans les autres banlieues pour en arriver à ce choix architectural.

De son projet dans les années 1970 à sa démolition, puisqu’ainsi en est l’issue du quartier, quels sont les rapports que les habitants ont entretenus avec les bâtiments et comment leur comportement a-t’il modifié les fonctions spatiales et agencements du quartier ? En quoi sont-t-il dépendant d’une multitude de paramètres sociaux, économiques et urbains ?

Le dernier élément que j’évoquerai sera celui de la patrimonialisation des grands ensembles, question faisant débat dans un territoire ou l’agence Nationale de Renouvellement Urbain fait le choix de démolir pour reconstruire une nouvelle architecture normée.

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Chapitre I : La Construction d’un quartier

1/ Le développement d’une petite ville de banlieue

Depuis sa première activité, en tant qu’exploitant viticole pour l’Abbaye de Saint-Denis au moyen-âge, la commune de Pierrefitte subit de nombreux bouleversements. La développement d’axes de circulation, des mouvements de population, ou encore la présence d’activités sur son territoire ou à proximité, sont autant de phénomènes qui amèneront sa transformation d’une petit ville agricole en une banlieue résidentielle de Seine-Saint-Denis.

A- Une ville Agricole

Le nom de Pierrefitte-sur-Seine apparaît pour la première fois dans les écrits au milieu du IXème siècle. En 862, l’abbé de Saint-Denis officialise la commune en en choisissant ses vignobles pour la consommation des religieux de son Abbaye. A l’époque, il y a plusieurs domaines viticoles à Pierrefitte. Les exports de vin se font grâce à la Route Impériale n°15 qui traverse la ville en reliant l’Abbaye de Saint-Denis à la Cathédrale de Beauvais.

Le morcellement de la commune, tel qu’il sera longtemps conservé en de longues parcelles étroites, est à associer à la culture des vignes. Au VIIIème siècle, les moines et les seigneurs repeuplèrent la France en y installant des colons, auxquels ils donnaient une certaine superficie de terres labourables, de prés, de vignes, ou de bois, pour faire vivre une famille. Ils apportaient leur travail et devaient payer l’impôt. Chaque propriétaire léguait ensuite à ses descendants une partie de ses « rangs de vignes », conservant ainsi la longueur du terrain tout en en divisant la largueur.6

5 Les Routes Impériales ne seront cependant numérotées de la sorte qu’à partir de 1824, elles seront remplacées par les Routes Royales, puis Nationales. La route Impériale en question est aujourd’hui la Route Nationale 1 qui traverse la commune. Sources : http://routes.wikia.com/6 Roger Fréville, Pierrefitte, ma ville, Paris, 1976, Les éditeurs français réunis, p.20

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Au fur et à mesure des siècles, la ville est victime de plusieurs dommages : elle est notamment partiellement détruite lors de la guerre de Cent Ans, et subit plusieurs épidémies qui affaibliront tant sa population que ses cultures viticoles. Peu à peu, les plantations de vignes disparaissent et sont en partie remplacées par une culture maraîchère. La ville se développe très lentement jusqu’au XVIIème siècle.

La route royale fait naître dans le village quelques activités telles que relais et auberges. Le groupement urbain initial se subdivise en deux parties : le quartier de la Grand-Rue (actuelle Rue de Paris), et celui de la Rue Guéroux. Dans le premier se trouvent les quelques maisons aisées, l’habitat populaire des ouvriers agricoles et les activités de halte routière. Le second est occupé par les grandes maisons des propriétaires fonciers. Au début du XIXème siècle, Pierrefitte comprend de nombreuses propriétés et domaines où nobles et marchands habitent. Une majorité de la population est cependant très pauvres, ces familles travaillent en hiver dans les propriétés, et en été dans les vignes.

Dès 1844, la construction des ponts de l’île Saint-Denis à Gennevilliers permet aux maraîchers de la région de porter plus rapidement leurs légumes vers les marchés de Paris et de Saint-Denis.7 La mise en service de ces moyens de transports renforce la place stratégique de Pierrefitte. La ville s’oppose ensuite à la construction de la ligne de chemin de fer Paris-Creil par la compagnie des chemins de fer du Nord car elle craint la perte de plusieurs hectares de culture. Elle accepte finalement sa création en 1859. La nouvelle gare permettra d’augmenter considérablement les échanges de commerces avec la capitale.

En 1861, sur 915 habitants à Pierrefitte, 448 personnes vivent du maraîchage et des cultures variées, 248 de travaux artisanaux, manuels, ainsi que du commerce, 99 de rentes, pensions d’Etat ou de propriétés foncières, et 51 de tâches et métiers divers, dont un médecin, une sage

7 Collectif, Le patrimoine des communes de la Seine-Saint-Denis, 1994, 413p. in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006

Image : L’urbanisation de Pierrefitte au XVIIIème siècle, « Pierrefitte - Carte dite des Chasses (1764-1773) », Monographie des Communes du Département de la Seine

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femme et un notaire.8 Pierrefitte est donc une ville qui vit principalement de ses cultures, mais l’export de marchandises tend à s’essouffler suite à la construction de routes permettant l’importation à Paris de produits venant du Sud de la France.

B- Une ville industrielle

La période du Second Empire est le moment d’un extraordinaire développement de la grande industrie, du commerce et des transports en France. Ce bond en avant va amener à l’exode rural, et créer un déplacement des mains d’œuvres des campagnes vers les villes. De jeunes ruraux chassés par la vulgarisation de nouvelles techniques agricoles amènent une nouvelle main d’œuvre et forment à Paris un véritable prolétariat ouvrier. Mais la capitale se présente sous le même aspect qu’au moyen âge : des ruelles sombres, étroites et insalubres favorisent la transmission de nombreuses maladies parmi ses habitants des classes populaires.

Afin de remédier à cela, le Baron Haussmann entame dès le milieu du XIXème siècle des travaux d’embellissement de la capitale. Les prix de l’immobilier augmentent, et les populations les plus pauvres se voient contraintes de trouver un logement en périphérie. Cette inflation est voulue par Haussmann afin de protéger la ville des soulèvements politiques, comme il l’écrivit à Napoléon III « Il faut accepter dans la juste mesure la cherté des loyers et des vivres […] comme un auxiliaire utile pour défendre Paris contre l’invasion des ouvriers de la Province ».9

Cette hausse du prix du mètre carré intervient tandis que la révolution industrielle est en plein essor. Les industries qui s’étaient toujours trouvées dans les installations urbaines existantes, telles que des immeubles désaffectés ou des cours, nécessitent de nouveaux espaces plus grands. On recherche des terrains plats, grands et bien desservis pour y installer les industries. C’est l’éclatement des grandes villes.10

8 Roger Fréville, Pierrefitte, ma ville, Paris, 1976, Les éditeurs français réunis p.759 Propos cités par Louis Girard in Napoléon III, Paris, Editions Fayard, 198610 Pierre Georges, « Introduction à l’étude de la banlieue » in Banlieues, une anthologie, Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2008, p.52

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Le bassin de plaine de Saint-Denis correspond à cette demande. Il offre de grandes zones pouvant être mises à disposition des industries, et est particulièrement bien relié à Paris grâce à la ligne de chemin de fer installée en 1859. Plusieurs industries s’y implantent et leur commerce est facilité par la création en 1882 de la Grande Ceinture, une ligne de chemin de fer contournant Paris afin de faciliter le transport de marchandises. De nombreuses activités se développent dans la région, mais Pierrefitte présente une topographie trop accidentée pour que l’installation des industries de la Plaine Saint-Denis ne s’étende jusqu’à son territoire. Elles permettront cependant quelques retombées industrielles sur la ville dès les années 1880 avec la création de plusieurs petites entreprises.

« Déjà avant la révolution notre ville dépendait en grande partie de l’abbaye de Saint-Denis, cela a continué ensuite : Pierrefitte a toujours vu son destin économique dépendre de celui du bassin industriel de Saint-Denis » Daniel Bioton et divers, Pierrefitte(s), 1989, Editions les Halles de Paris, p.13

Une population essentiellement ouvrière vient s’implanter à proximité des usines de la Plaine dans lesquelles elle travaille, y compris à Pierrefitte. Le lieu-dit « Les Joncherolles », aussi appelé « Petit Pierrefitte » se peuple de constructions ouvrières très compactes à l’écart du centre-ville, à proximité de l’usine de la Compagnie du gaz ainsi que d’une fabrique de colle. À l’époque, ces constructions sont remarquées par la commune pour leur état de grande pauvreté, ainsi que de ses habitants.11 Dans la région, il n’est pas coutume que le patronat construise de logement pour ses ouvriers, étant donné l’absence de nécessité de fixer la main d’œuvre sur le territoire. À la différence des industries minières qui s’établissent en fonction des ressources des sols à l’écart des tissus urbains, l’implantation à Paris et dans sa banlieue est considérée comme acquise.

Les conditions de vie de ces ouvriers au début du XXème siècle sont très difficiles et fréquemment comparées au bagne. Leurs journées de travail sont longues, parfois du matin quatre heures au soir 22 heures. La banlieue devient le dépotoir parisien dont personne ne se préoccupe.

11 Roger Fréville, Pierrefitte, ma ville, Paris, Les éditeurs français réunis, 1976, p.95

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« Une population d’étrangers réputés dangereux, de parisiens aigris et de provinciaux déracinés tente de vivre dans des villes qui ne sont ni des villes, ni des villages, mais des espaces occupés par des fonctions hybrides : lotissements, entrepôts, usines, et tout ce que Paris rejette : cimetières, hôpital franco-musulman, emprises ferroviaires. »Annie Fourcaut, Bobigny, Banlieue Rouge, 1986, p.13

C- Une villégiature Parisienne

A partir de 1859, la gare de Pierrefitte-Stains est desservie par la ligne de chemin de fer nouvellement crée Paris-Creil, les déplacements deviennent plus aisés pour la population. Pierrefitte devient une petite villégiature pour les Parisiens aisés souhaitant échapper aux miasmes de la grande ville en aménageant en banlieue des résidences confortables.

Une ligne de Tramway tractée par des chevaux relie Paris au rond-point de la Caserne à Saint-Denis, un particulier assurant le transport des personnes et des marchandises jusqu’à Pierrefitte. En 1874 la commune demande un prolongement, mais celui-ci est refusé. De nouvelles lignes de tramways viennent aussi faciliter l’accès à la commune au début du XXème siècle. Ainsi, c’est la ligne n°3, qui à partir de 1901 relie la Mairie de Pierrefitte au Pont de Saint-Cloud, nécessitant un changement à Saint-Denis pour se rendre à Paris. Elle sera fermée en 1910 et remplacée par la ligne PC, de Mairie de Pierrefitte à la Porte de Clignancourt. La ligne 11b, Gare de l’Est-Barrage de Pierrefitte vient rejoindre le réseau en 1922. Les deux lignes de tramways seront supprimées en 1936 pour être remplacées par des autobus, alors considérés comme plus modernes.12

Le peuple Parisien et des villes de banlieue environnantes profitent du développement de ces transports pour se rendre régulièrement à Pierrefitte. Ce sont les fêtes champêtres et cabarets réputés de la Butte-Pinson qui attirent la population des environs, de tous horizons

12 Roger Fréville, Pierrefitte, ma ville, Paris, Les éditeurs français réunis, 1976, p.105

Image : Les franciliens viennent à Pierrefitte pour se rendre aux fêtes ayant lieu sur la Butte Pinson, Carte Postale Ancienne, « Pierrefitte - Chemin de la Butte Pinson », 1915, delcampe.net

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confondus : les auteurs Honoré de Balzac et Théophile Gautier y rencontrèrent notamment l’acteur Frédérick Lemaître.

« En haut de la rue de Paris, il fallait tourner à gauche et emprunter l’avenue de la République, qui montait à l’assaut de la Butte-Pinson. Là était le but de ce cortège qui venait tous les dimanche de Pierrefitte, mais aussi de Paris et de tous les environs : les deux bals du «Moulin de la Galette» et du «Garden Dancing», lieux de tous les plaisirs, oasis de toutes les félicités. »Daniel Bioton et divers, Pierrefitte(s), Saint-Ouen, Editions les Halles de Paris, 1989, p.130

La municipalité tente de profiter de cette marge de la population aisée pour développer la commune et ses activités. Dans les années 1890, elle vend des terrains constructibles à destination de ces parisiens de passage, dans l’espoir de leur installation. La forte fréquentation de Pierrefitte la transforme peu à peu en un lieu d’habitat.

« La ville vend des terrains communaux sur le Boulevard de la station […], on espère que les parisiens construiront, viendront animer le commerce local et serviront d’exemple à d’autres acheteurs éventuels. »« Des nouvelles du villages » tirées du Journal de Saint-Denis, années 1890 environ (non précisé), cité par Roger Fréville, in Pierrefitte, ma ville, Paris, les Editeurs français réunis, 1976, p.111

D- Une ville pavillonnaire

En 1896 à Pierrefitte, on recense 2’468 habitants, contre 915 en 1861. Le XXème siècle démarre sur une importante augmentation de la population liée aux différents flux migratoires : ouvriers de la Plaine Saint-Denis, provinciaux principalement originaires de Picardie, ou classes aisées parisiennes. La ville comporte 383 maisons, dont 51 de deux étages et 5 de trois étages et plus, constituant 717 logements, 32 ateliers et 47 commerces.13

13 Alain Faure, Les premiers banlieusards, aux origines des banlieues de Paris (1860-1940), Paris, Editions Créaphis, 1991

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Pour toutes ces populations, l’habitat individuel semble être la solution idéale. Pour les classes aisées, la banlieue représente la tranquillité et l’hygiène, qui prévaut sur l’éloignement de la capitale. Nombreux sont ceux, qui avant d’avoir pu acheter leur logement sont passés par l’hôtel où la proximité fut grande. Le pavillon est pour eux symbole de liberté, il permet une amélioration de l’habitat avec entre autre l’isolement des parents ou la séparation par sexe des enfants dans les chambres.

En ce qui concerne les classes populaires, le pavillon est surtout convoité pour son rapport à l’extérieur. Les provinciaux quittant leur petite commune rurale favorisent leur installation en banlieue pour ces conditions. Ils se trouvent très attachés à la possibilité de disposer d’un potager ainsi que d’un poulailler, qui hormis qu’elle rappelle leur tradition de cultivateurs, permet notamment une réduction du coût de la vie.

La loi Ribot, adoptée en avril 1908, vise à favoriser l’accession à la propriété de tous les salariés en proposant la création de sociétés de crédit immobilier. Celles-ci sont financées en partie sur fond public ou parapublic, elles peuvent prêter à des ménages à faibles ressources les 80% nécessaires à l’acquisition ou à la construction d’une maison. Cette reforme conservatrice se base sur les thèses développées par l’abbé Lemire, fondateur de la « ligue du coin de terre et du foyer » crée en 1897. « Etudier, propager et réaliser par les moyens en son pouvoir toutes les mesures propres à établir la famille sur la base naturelle et divine qui est la possession de la terre et du foyer ».14

L’arrivée de ces nouvelles populations transforme le paysage de la commune, jusqu’ici à dominante agricole. Pierrefitte devient rapidement une banlieue pavillonnaire, comme la plupart des terrains restant et entourant les terrains industriels de la région, c’est à dire les versants de vallées, les zones accidentées et impropres au grand développement industriel. La construction rapide de nombreux pavillons est un facteur d’accélération du passage à la modernité urbaine de ces communes restées semi-rurales jusqu’alors.

Le développement de la ville pavillonnaire s’effectue d’abord entre le centre ancien et la gare, puis au Sud dans le quartier du Petit Pierrefitte.

14 Jean-Marc Stébé, Le Logement social en France de 1789 à nos jours, Presses Universitaires de France, Que sais-je? , n°763, avril 1998

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Les quartiers pavillonnaire du Maroc, et Hirondelle voient aussi le jour à cette époque. Le passé agricole de la commune propose de longues bandes étroites qui facilitent la transformation du parcellaire en lotissements qu laissent cependant son identité à la commune.15 En revanche, elle crée une réelle difficulté à construire des opérations de tailles importantes, notamment en raison de la multiplicité des propriétaires. De plus, cette division du parcellaire complique la création d’une organisation commune. Sous l’influence des bailleurs et promoteurs, des logiques de marchés viennent contrarier la mise en place d’une gestion collective. Selon Annie Fourcault, cette époque est marquée par « le triomphe du libéralisme en matière d’urbanisme ».16 Certains lotissements ne sont pas achevés, les habitants vivent sans électricité et pataugent dans le bourbier.

En décembre 1920, le conseil municipal décide de prendre l’urbanisation de la commune en main par un vote « Les terrains à caractère spéculatifs seront frappés d’un impôt foncier spécial et l’assainissement rendu obligatoire.» Cette promesse n’est pas tenue et les lotisseurs continuent de construire sans équiper leurs lotissements. À l’échelle nationale, ceux que l’on appelle les mal-lotis protestent afin que l’Etat intervienne.

Les lois de 1919 et 1924 ont forcé les lotisseurs à déposer des projets d’aménagement devant les commissions départementales, mais l’application est restée floue. Le gouvernement met alors en place en 1928 la loi Sarraut qui marque un tournant décisif : l’Etat finance à 50% d’importants travaux de viabilité, d’assainissement et d’hygiène. L’autre partie du financement est assurée par une caisse départementale montée par les Mal-lotis, organisés en syndicats autorisés.

La même année, la loi Loucheur dans l’un de ses volets multiplie les mesures en faveur de l’accession à la propriété : baisse de l’apport initial et subventions accordées aux familles nombreuses et aux mutilés de guerre. Dans d’autres communes, elle permet le morcellement des

15 Plan local d’urbanisme, Commune de Pierrefitte-sur-Seine, département de Seine-Saint-Denis, 200916 Annie Fourcaut, Bobigny, Banlieue Rouge, 1986, p.22

Image : De nombreux pavillons se construisent à Pierrefitte aux alentours du centre ville, Carte Postale Ancienne, « Pierrefitte - Vue Panoramique », non datée, delcampe.net

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grandes propriétés et du parcellaire maraîcher pour la construction de pavillons et lotissements. Si elle permet à de nombreux ouvriers de devenir propriétaires, cette réforme n’est pas neutre. Elle favorise le patronat et les conservateurs très en faveurs de cette loi : par la dispersion des populations ouvrières dans l’habitat individuel, elle évite la création de communautés ainsi que de possibles regroupements salariaux.

E- Une ville communiste

Un phénomène de protestation à la domination patronale se produit néanmoins à cette époque en banlieue parisienne avec la croissance du parti communiste. Dans un premier temps, ce sont les élections législatives de 1924 qui lui donnent une légitimité électorale, puis en 1925, neuf communes de Seine-banlieue17 deviennent communistes. Pierrefitte rejoint en 1929 cette « Banlieue rouge » qui commence à former de véritables bastions et lutte contre la crise économique de 1929.

Plus qu’une opinion politique, le communisme des banlieues apparaît comme une culture populaire.18 Au delà des résultats électoraux, ce sont les associations, syndicats et patronages qui marquent la vie quotidienne de cette banlieue rouge. En 1931, la construction de la maison du peuple par ses habitants marque l’importance du phénomène dans la commune.

L’équipement des villes est un enjeu électoral pour le parti communiste. Celui-ci voit les interventions municipales comme un moyen supplémentaire de favoriser la progression du parti, mais aussi comme une façon de répondre à des besoins multiples survenus après la guerre de 1914-1918.19 On s’occupe à cette époque de l’enlèvement des

17 Le département de la Seine est composé jusqu’en 1968 de Paris et d’une majeure partie de sa première couronne. Seine-banlieue désigne donc la première périphérie de Paris, dans laquelle vivent les populations ouvrières. 18 Annie Fourcaut, Bobigny, Banlieue Rouge, 1986, p.1619 Jean Girault, cité par Jean-Paul Flamand, Loger le peuple… 2001, p.246 in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006

Image : A Pierrefitte, les lotissements sont desservis par des chemins de terre. Photo « La Rue Barnold avant 1939 » in Patrick Laigre, Pierrefitte, d’un bout à l’autre du siècle, 1993, Editions La Franciade

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ordures, de la viabilité des lotissements défectueux. Plusieurs écoles sont construites, dont le groupe scolaire Eugène Varlin en 1933.20 Le logement n’est pas la priorité de la municipalité, qui profite du tissu lâche de la commune pour absorber les flux de population que le territoire de la Plaine ne suffit plus à loger. Cela est aussi du, selon Annie Fourcaut, à « l’absence d’une politique du logement cohérente définie par le parti communiste ».21 Le processus d’urbanisation de Pierrefitte se fait en douceur et suit l’augmentation de la population jusqu’à la seconde guerre mondiale.

« Comment le parti communiste, qui apparaît à partir de 1921, va-t-il intégrer dans sa politique, notamment par le biais de son intervention municipale, le problème du logement ? L’intervention communiste dans la ville municipale est conçue comme un moyen supplémentaire de favoriser la progression du Parti et comme une façon de répondre, après la guerre de 1914-18, à des besoins multiples : équipements, transports, voirie, égouts, construction d’écoles, adduction d’eau, d’électricité. Constatons que le logement tient peu de place. »Jean-Paul Flamand, Loger le peuple. Essai sur l’histoire du logement social, 2001, p.246

20 Roger Fréville, Pierrefitte, ma ville, Paris, 1976, Les éditeurs français réunis21 Annie Fourcaut, Bobigny, Banlieue Rouge, 1986, p.178

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2/ La Naissance des logements sociaux

Durant le Second Empire, les travaux de Haussmann ont délogé les populations les plus pauvres qui se sont alors installées en banlieue. La hausse du prix du mètre carré ainsi que la nécessité de grands espaces ont amené à l’installation d’industries dans la Plaine-Saint-Denis.

Le parcellaire étroit, dû à un passé agricole, ou encore les accidents topographiques, n’ont pas permis à Pierrefitte de voir s’implanter sur son territoire de telles activités. Le développement des transports a cependant permis à une population diverse, tant des Parisiens en villégiature que des ruraux de s’installer dans la commune.

Encouragés par plusieurs lois allant dans leur sens, les habitants s’orientent vers l’habitat individuel qui transforme bientôt la commune en une banlieue résidentielle pavillonnaire. Les lotissements se développent, et la ville autour. La politique communiste de l’époque, amenée par la forte présence ouvrière, ne donne pas la priorité au logement.

A- La politique de logements sociaux au début du XXème siècle

L’histoire du logement social en France débute au milieu du XXème

siècle avec la construction par le patronat de logements pour ouvriers, entreautres la Cité Napoléon à Paris en 1851 et le familistère de Guise en 1858. Ces cités ouvrières orientent les solutions aux questions d’habitat vers le logement collectif. Dans les villes et les banlieues, ce sont les taudis qui dominent et l’Etat semble incapable d’impulser une véritable politique du logement.

La prise de conscience de la question du logement social se fait à l’échelle européenne et internationale en 1889, lors du premier Congrès international des Habitations à Bon Marché, organisé à Paris.22

L’appellation HBM (Habitations à Bon Marchés) y est crée, elle sera très rapidement encadrée par des dispositions législatives nationales.

22 Roger-Henri Guerrand, Les origines du logement social en France: 1850-1914, Editions de la Villette, 2010 in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006

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Adoptée le 30 novembre 1894, la loi Siegfried est la première mesure réglementaire visant à répondre à la question du logement par la construction massive d’Habitations à Bon Marché. Elle encourage la création d’offices HBM en cherchant à protéger la propriété et la promotion privée. Elle donne l’autorisation à certains organismes tels que bureaux de bienfaisance, hospices, hôpitaux, ou encore Caisses des dépôts, d’investir une partie de leur patrimoine dans la construction d’habitations à bon marché. Elle incite à la mise à disposition de logements à prix social avec une exonération fiscale, donne le droit de consentir des prêts pour la construction des HBM, ou rend encore possible la création dans chaque département de « comités de patronage chargés d’encourager la construction de maisons à bon marché destinées à loger des personnes qui, n’étant pas propriétaires, vivent principalement de leur travail et de leur salaire». La loi Siegfried reste essentiellement incitative, et les résultats ne seront pas à la hauteur des ambitions. La preuve est que 10 ans plus tard, à peine plus de 1’500 logements auront été créés à l’initiative de sociétés ou de coopératives d’HBM.

Quelques années plus tard, en 1906, un recensement général enquête sur les conditions de logement et met en évidence la situation alarmante dans laquelle vivent encore des millions de familles. En avril de la même année, la loi Strauss est adoptée afin de répondre à l’urgence de cette situation. Elle vient en soutien à la loi Siegfried en rendant obligatoire les comités de patronage qu’elle avait proposés, à raison d’au moins un par département. Elle autorise par la même occasion les communes et les départements à employer une partie de leurs fonds pour venir en aide aux sociétés d’HBM.

En décembre 1912, la loi Bonnevay marque une rupture définitive dans les politiques du logement engagées tout au long du XIXème siècle. Elle affirme que « les pouvoirs publics ont désormais le droit mais surtout le devoir » d’intervenir en matière de construction et de gestion des logements sociaux. Ainsi, elle vise à mettre fin à plus d›un siècle de libéralisme, et à lui substituer la puissance de l’interventionnisme étatique et du « municipalisme ». Comme telle, elle donne la possibilité aux communes et aux départements de créer des sociétés et des offices publics HBM, dont l›existence sera nécessairement soumise à l’agrément du Conseil d’Etat.

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Malgré le consensus qui semble se dégager en matière de construction de logements, les urgences sont à cette époque à la préparation de la guerre, et il faudra attendre la fin de celle-ci pour que la construction de nombreux offices HBM soit enclenchée. Leur nombre passe de 169 en 1920 à 294 en 1925.23 Avec 400’000 logements détruits pendant la guerre, la situation n’aura jamais été aussi critique.

Malgré ces initiatives, l’offre de logements en France et particulièrement de logements sociaux reste largement inférieure à la demande. En juillet 1928, le vote de la loi Loucheur est un coup de fouet pour la crise économique, le logement social, et les offices HBM. Elle prévoit sur cinq ans la construction de 260’000 logements, soit 200’000 logements à bon marché et 60’000 à loyer moyen, destinés à la location ou à l’accession. Elle donne aussi la possibilité aux offices HBM de construire pour de nouvelles couches sociales, et met ainsi l’Etat face à ses responsabilités. Cette réforme n’est pas neutre et subit l’influence des bailleurs et promoteurs. Elle crée des logiques de marchés qui viennent contrarier la mise en place d’une gestion collective. La crise économique de 1929 entraîne l’arrêt de la construction et la non-reconduction de la loi Loucheur. A la veille de la seconde guerre mondiale, la Fédération des sociétés Anonymes d’HBM réclame une révision fondamentale de la législation. Celle-ci est reportée en vue du contexte international.

La situation de Pierrefitte que nous avons précédemment étudiée tient éloignée la municipalité de la construction de logements sociaux jusqu’à la seconde guerre mondiale. D’une manière générale, la France présente à ce moment là un gros retard dans la construction de logements par rapport à ses voisins européens.24 Le secteur du bâtiment n’a connu que peu de restructuration durant l’entre deux guerres et peine à être productif.

23 Jean-Marc Stébé, Le Logement social en France de 1789 à nos jours, Presses Universitaires de France, Que sais-je?, n°763, avril 199824 Claude Loupiac, La ville entre représentations et réalités, Paris, Scéren-CNDP, (Patrimoine références), 2005, p. 199. in Elise Guillerm, La Reception de la ZAC des Poètes, 2006

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B- L’urgence de la reconstruction Post-Guerre

A la sortie de la guerre, les dommages immobiliers s’étendent sur l’ensemble du territoire en raison de l’amplitude des bombardements et des choix stratégiques des Alliés. La France doit aussi faire face à une forte croissance démographique liée à la reprise de la fécondité, ainsi qu’au retour des soldats, prisonniers et déportés. Les populations les plus traumatisées expriment fréquemment la volonté de ne pas retourner s’installer dans la même région qu’avant la guerre, afin d’échapper à des souvenirs douloureux.25 Ces facteurs amènent l’Etat à faire face à une nouvelle crise du logement, qui devient sa priorité. Les aides et exonérations fiscales sont nombreuses et la base des financements se fonde sur « l’aide à la pierre ».

En 1947, une première loi favorise les prêts à taux réduits de l’Etat aux organismes de HBM, remboursables en 65 ans avec remise complète des intérêts pendant deux ans. La priorité est donnée aux logements sociaux locatifs. En 1949, la révision de la législation désirée avant la guerre a enfin lieu. Les Habitations Bon Marché deviennent les Habitations à Loyer Modéré (HLM). La loi propose un système de prime à la construction payable pendant vingt ans. Les HLM deviennent l’outil principal de l’Etat pour lutter contre la crise du logement de l’après-guerre.

Ce système rencontre des difficultés de mise en place et d’application, et la crise du logement peine à se résorber. De l’échelle nationale à l’échelle municipale, il n’est pas aisé d’assurer la gestion de la construction. La municipalité fait en 1951 la demande de création d’un office municipal d’habitations, qui n’aboutira finalement qu’en 1959.

« A Pierrefitte, dans les années d’après guerre, comme dans toute la région parisienne, se loger convenablement est un problème ; malgré les demandes pressantes du Conseil municipal en avril

25 Pierre Merlin, Des grands ensembles aux cités, l’avenir d’une utopie, 2012, Paris, Editions Ellipses

Image : A la sortie de la guerre, le Nord de la ville est essentiellement composé d’habitat pavillonnaire. Ministère de la Reconstruction et de l’urbanisme, Plan topographique de la localisation et des caractéristiques du patrimoine bâti, 1948, Archives Municipales

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1951, le ministre de la Reconstruction oppose un refus définitif à la création d’un office municipal d’habitation ». Roger Fréville, Pierrefitte, ma ville, Paris, 1976, Les éditeurs français réunis

En 1953, Pierre Courant, le ministre de la Reconstruction et du Logement, fait voter le « Plan Courant », une loi qui met en place une série d’interventions facilitant la construction de logements, tant du point de vue foncier que du point de vue du financement. Elle autorise notamment des primes et prêts aux constructeurs, et permet le droit d’expropriation pour intérêt public. L’avantage est donné aux acquéreurs de terrains qui y construisent des habitations de plans types, vendus ou loués à des sommes peu élevées. On assiste la même année à la mise en place du 1% patronal en faveur du logement. Cette mesure consiste en une obligation de participation financière à la construction pour les entreprises de plus de dix salariés.

Le véritable choc survient l’année suivante avec la campagne de l’Abbé Pierre sur les ondes radiophoniques le 1er février 1954, qui fait suite à la mort d’un enfant et d’une femme dans la rue courant janvier de la même année. Elle déclenche une prise de conscience collective de la situation de pauvreté extrême dans laquelle se trouvent de nombreuses familles. Le gouvernement décide d’un crédit de 10 milliards de francs en faveur des mal lotis, permettant la création de centres d’hébergement ainsi que de 12’000 logements neufs en cités d’urgence gérés par la communauté Emmaüs.

« Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent ! »Appel de l’Abbé Pierre, prononcé le 1erer février 1954 sur les antennes de Radio-Luxembourg

Cette époque marque la reconnaissance d’un droit au logement décent. La construction de 240’000 logements par an est envisagée, pour répondre à une demande de 4’500’000 logements. La population urbaine

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est passée de 25,5 à 31,3 millions26, il devient nécessaire d’augmenter la densité des zones de lotissements pavillonnaires de l’entre-deux guerres. L’un des enjeux de la France pour sortir plus fort de cette guerre dévastatrice et de l’échec des premières années de reconstruction est de montrer un visage de modernité. Apparaît au même moment un sursaut dans le domaine de l’économie, de l’industrie, de l’administration, qui se traduit par de nouvelles logiques de mise en place dans le domaine urbain, passant d’un enjeu économique à un enjeu social. Le logement devient un élément de régulation de cette pauvreté et offre la possibilité de découvrir de nouvelles formes architecturales. Le secteur de la construction s’oriente alors vers les thèses du mouvement moderne.

C- L’influence du modernisme

Le modernisme s’est affirmé dès 1933, lors du quatrième congrès international d’architecture moderne (CIAM) à Athènes. Des conclusions de cette rencontre, Le Corbusier publie «La Charte d’Athènes», texte fondateurs de l’architecture et de l’urbanisme moderne, sous-entendant une fusion de ces deux disciplines. Ce manifeste énonce les moyens d’améliorer les conditions d’existence de la ville moderne, qui doit permettre l’épanouissement harmonieux de quatre grandes fonctions humaines : habiter, travailler, se récréer et circuler.

Selon le Corbusier, les banlieues à cette époque ne sont que les descendants dégénérés des faubourgs, la ville doit être envisagée à l’échelle du territoire qui l’entoure. Il rêve d’une table rase de l’existant, sous l’impulsion d’une autorité politique « éclairée » par l’architecte, c’est à dire lui-même.27 Le soleil, la verdure et les espaces sont les matériaux de l’urbanisme et doivent éradiquer les taudis : l’étroitesse des rues et les fortes densités sont condamnées au profit du fonctionnalisme, de la recherche d’efficacité. Il propose ainsi une vision hiérarchisée de la ville, répartissant les quatre fonctions humaines en zoning entre réseaux

26 Georges Lancon et Nicolas Buchroud, Ces banlieues qui nous font peur... : Une stratégie d’action pour transformer la gestion des quartiers d’habitat social, 2003, Editions l’Harmattan27 Thierry Paquot, « Banlieues, un singulier pluriel » introduction à Banlieues, une anthologie, Lausanne, 2008, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes

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de circulation, espaces verts et lieux d’habitation. C’est ce que l’on caractérisera d’urbanisme progressiste.

Appliqué au logement, Le Corbusier, via le mouvement moderne, propose une nouvelle vision du logement collectif. C’est un projet esthétique, sous tendu par une vision humaniste de l’habitat et porté par une approche innovante de la construction. Dans les années 1950, l’opinion publique n’est pas ouverte aux sciences sociales, mais le gouvernement recherche une réponse quantitative à une demande massive.28 Dans le contexte d’après-guerre et en vue de l’urgence de la situation, ce mouvement architectural s’adapte particulièrement aux constructions de grands ensembles.

D- La rationalisation de la construction

L’aspect des bâtiments connaît à cette époque un grand bouleversement, que l’on peut imputer à de nombreux facteurs : la rationalisation de la construction, la standardisation des éléments, l’urgence de la situation du parc locatif, ou encore le manque de recul nécessaire des bailleurs et décideurs de l’époque. Le Corbusier fait appliquer les principes de la charte d’Athènes, mais ne participe pas aux programmes de reconstruction. Ses préconisations seront réappropriées, réinterprétées, dévoyées par la médiocrité d’une partie des architectes qui trouvèrent en la charte d’Athène « un cadre doctrinal accueillant pour des projets constructifs hétéroclites ».29

L’industrialisation a introduit une nouvelle dimension, les bâtiments deviennent plus longs, un urbanisme de « barre » apparait dans le paysage, souvent impressionnant par son gigantisme et du plus mauvais effet sur le reste du paysage urbain.30 Ces bâtiments de dimension importante sont justifiés par gain de temps et économie : construire

28 Georges Lancon et Nicolas Buchroud, Ces banlieues qui nous font peur... : Une stratégie d’action pour transformer la gestion des quartiers d’habitat social, 2003, Editions l’Harmattan29 Denis La Mache, L’art d’habiter un grand ensemble HLM, 2006, L’Harmattan, p.1430 Jean-Olivier Simonetti, Réflexion sur l’industrialisation de la construction et la production du bâti, Norois n°1, 1977, p.564 in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006

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beaucoup et vite. L’utilisation du chemin de grue très économique en comparaison aux coûts exorbitants de démontage des engins de levage est traditionnellement évoquée pour expliquer cet allongement.

L’emploi de l’acier rend aussi possible la construction d’un urbanisme de « tours ». L’accroissement de la hauteur des bâtiments coïncide avec le renchérissement du prix des terrains, et incite donc à la rentabilité de celui-ci. On construit en hauteur pour profiter de l’air et du soleil. Les théories du mouvement moderne favorisent aussi l’utilisation de procédés industriels, la standardisation et la préfabrication des éléments, selon une finalité à la fois esthétique et pratique.

On choisit des terrains vastes, non accidentés, et souvent isolés. Les ensembles de logements sont installés sur les terrains sans véritable rapport avec ceux-ci. La dimension favorisée est celle du territoire, du paysage. Les références au paquebot ou au monastère, chères à Le Corbusier, sont à ce propos très révélatrices du rapport entre l’architecture et la ville 31 : il s’agit d’objet solitaires, souvent déconnectés de toute logique urbaine. Les espaces intercalaires sont rarement l’objet d’une réflexion, ils sont fréquemment mal conçus. On construit les logements sans prévoir ni emplois ni équipements, qu’ils soient publics ou privés.

De cette manière, Pierrefitte répond à la demande croissante de logements qui frappe la Plaine Saint-Denis par la construction de 149 logements économiques et familiaux, rue Jules Châtenay entre 1956 et 1959. La présence de ces grandes barres d’habitation vient chambouler le paysage environnant. Le quartier est à cette époque peu urbanisé, il est essentiellement composé de pavillons construits durant le XXème siècle ainsi que de quelques terrains agricoles. Hormis l’école Eugène Varlin, aucun équipement ne se trouve à proximité. Ces zones dortoirs sont les conséquences de l’urbanisation de l’entre deux-guerres, auxquels l’Etat va devoir réagir.

31 Jean Castex, Philippe R. Panerai et Jean-Charles Depaule, Formes urbaines : de l’ilot à la barre, Paris, 1997, Editions Parenthèses

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E- La création des ZUP

L’application de la charte d’Athènes dès les années 1950 a amené à la déconcentration de la ville au profit d’autres formes urbaines : grands ensembles, nouveaux villages, centres directionnels, zones industrielles, commerciales, campus ou « villes satellites autonomes » telles que les villes nouvelles. L’installation de ces nouvelles morphologies urbaines dans le paysage français amène des situations géographiques diverses, et crée parfois des quartiers neufs à l’écart des centres urbains. Cette rupture de continuité avec la ville ancienne s’accompagne de désagréments tels que l’apparition de zones dortoirs, la destruction des quartiers populaires ou encore ségrégation de la population en fonction de la nature des logements.

En 1958, l’Etat met en place des actions politiques en faveur de ces espaces hétéroclites aux usages et qualités douteux, avec une action publique : la création des Zones à Urbaniser en Priorité, les ZUP. La dispersion des premiers grands ensembles pose en effet le souci du manque d’infrastructures et de superstructures, et oblige à multiplier les travaux pour la desserte, l’approvisionnement etc. L’Etat a pour objectif avec les ZUP de répondre à la demande des habitants qui dure depuis l’installation des lotissements dans les anciennes communes rurales telles que Pierrefitte.

Afin d’éviter les cités dortoirs dans les ZUP, le choix et l’achat des terrains, ainsi que la programmation des équipements sont placés sous l’autorité du préfet et des services de l’Etat.32 Cependant, l’équilibre habitat-emploi est difficile, car les ZUP sont rarement attractives pour les entreprises. Dans le cas de Pierrefitte, la Plaine Saint-Denis continue de concentrer l’essentiel des activités, et la commune peine à implanter de nouvelles entreprises le long de la route nationale 1. De nombreux logements seront construits à cette époque. En 1961, 118 appartements voient le jour au Colombier-Pasteur et sont suivis en 1965 de 225

32 Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.32

Image : La construction des grands ensembles de Sarcelles (au Nord) ou des barres du quartier Châtenay (au centre) dénotent avec le paysage pavillonnaire environnant. Photo aérienne, 31 décembre 1962, IGN, géoportail.fr

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logements aux Joncherolles, puis de 190 logements à la Fontaine Rosée en 1967.

Le rythme de 300’000 logements par an est atteint dès 1959.33 Au total, ce sont 195 ZUP, 2,2 Millions de logements pour l’essentiel de types HLM qui sont construits à cette époque. En Île-de-France, plus de 110 grands ensembles comportent plus de 1’000 logements. Ce nombre considérable de logements construits en une si faible période marque l’apogée des « années de béton », de l’urbanisation liée à l’économie, à la levée des blocages financiers, l’industrialisation et la généralisation de la préfabrication. La France résorbe son retard vis à vis de ses voisins européens.

F- La création des ZAC

En 1967, l’Etat met en place les Zones d’Aménagement Concerté, les ZAC, qui viennent remplacer les ZUP. Il s’agit d’une procédure plus souple, pouvant faire appel à une maîtrise d’ouvrage publique comme privée. Le but est de faciliter la concertation entre les collectivités publiques et les promoteurs privés, qui faisaient preuve de beaucoup de réticence à l’égard des ZUP. Dans la continuité de celles-ci, elles doivent mélanger dans une même zone activités, industrie, tourisme et logements.

La commune mène à cette époque une politique vigoureuse de modernisation de ses infrastructures. Elle rattrape son retard en terme d’équipements dans de nombreux quartiers. On assiste par exemple à une modernisation dans le domaine de l’éducation avec la construction des groupes scolaires Jaurès en 1961 et Joliot-Curie en 1967, des maternelles H. Vallon en 1975 et Lemaître en 1977, ainsi que du Collège Courbet en 1974 ; dans le domaine du sanitaire, avec la construction du centre médico-social en 1972, du centre médico psychologique en 1975, des crèches L. Michel en 1973 et E. Cotton en 1983, du Foyer E. Dolet en 1976. Au niveau des équipements sportifs, deux gymnases sont crées au cours des années 1960 : J. Jaurès en 1961 et Joliot-Curie en 1968.34

33 Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 200634 Sandrine Monchicourt, Analyse du contexte local de Pierrefitte, 1996, p.4

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Pierrefitte tire profit de cette nouvelle loi sur les zones d’aménagement concertées, et la commune subit dans les années 60-70 une urbanisation accélérée liée à sa forte croissance démographique. Hormis l’augmentation de la population liée à la fin de la seconde guerre mondiale, plusieurs faits majeurs justifient cela.

Premièrement, l’arrivée de travailleurs originaires d’Afrique du Nord dans le secteur de la construction. Remplaçant les prisonniers allemands dont le travail forcé fut interrompu en 1948 par le plan Marshall, ils constituaient un fort potentiel de main-d’œuvre nombreuse et peu exigante sur les conditions salariales pour la construction de logements d’urgence et de baraquements. La ministre de la Santé avait alors déclaré l’ouverture des frontières pour satisfaire les besoins de main-d’œuvre. En 1976, et selon la loi du 29 avril, ils pourront être rejoints par femmes et enfants : c’est l’époque du regroupement familial. En 1954, on comptait 1,5 millions d’étrangers soit 3,6% de la population totale française, en 1975 ils sont 3,4 millions soit 6,5% de celle-ci.35 Ces populations déracinées et aux faibles revenus s’installent à proximité de leurs lieux de travail, là où le logement est le moins cher.

Dans un second temps, la migration des populations vers les grands ensembles s’explique par la résorption des bidonvilles, rendue officielle par la loi du 10 juillet 1970 et instituant la notion de périmètre insalubre. Elle amène à la destruction de ces taudis situés dans la première couronne parisienne et le départ de ses habitants. La violence psychologique de ces expropriations assimile la résorption des bidonvilles à l’absorption de ses « coupables » derrière le béton neutre des grands ensembles.36

Enfin, l’indépendance des colonies entre 1956 et 1962 amène au rapatriement des citoyens français installés en Afrique du Nord : les « Pieds Noirs ». Le cumul de ces populations correspond à un total d’environ à 1,5 million de personnes, soit environ 3% de la population française. Préalablement estimés à 200’000 ou 300’000, le gouvernement n’a rien prévu pour leur arrivée. Certaines régions telles que l’Île-de-

35 Jean-Paul Flamand, Loger le peuple. Essai sur l’histoire du logement social, 2001, p.25736 Colette Pétonnet, Espaces habités, Ethnologie des banlieues, Paris, 1982, Editions Gallilée

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France pratiquent une politique de discrimination positive, réservant aux arrivants jusqu’à 30% des places en HLM.37

Pour loger tous ces nouveaux habitants, la zone du Barrage, qui devient par la suite la ZAC du Barrage, puis ZAC des Poètes, est mise à l’étude depuis 1963. Le morcellement de la zone en de longues et étroites parcelles, de quatre à cinq mètres sur cent en moyenne38, n’a pas permis à la construction de s’y développer lors de l’urbanisation de la commune.

Il faut attendre 1976 pour que les premiers bâtiments du quartier apparaissent, avec en 1976 la construction de 325 HLM locatifs dans les tours Boris Vian par le bailleur OSICA.39 Vingt petites tours d’une hauteur maximale de neuf étages et comprenant 800 logements collectifs sont initialement prévues dans le quartier.

Ces immeubles sont conçus pour se raccorder aux deux quartiers limitrophes de Sarcelles, les Vignes Blanches et André Gide, avec une densité particulièrement élevée.40 La population reçoit très positivement ces nouveaux logements. Situés au milieu des champs, ils apportent tout le confort de la modernité qui faisait défaut au parc locatif de la commune : salle d’eau, WC intérieur, chauffage central. C’est l’âge d’or du mouvement HLM.

37 Jean-Baptiste Malet, « L’arrivée des Pieds Noirs, un big bang sociologique », Le Ravi, enquête et satire en PACA, 23 mars 201238 Sandra Jacquot, Etude pour le réaménagement du quartier des Poètes, 1996, p.9 in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 200639 Roger Fréville, Pierrefitte, ma ville, Paris, Les éditeurs français réunis, 197640 «Avenant n°3 à la convention du 17 mars 1962 concernant la mission d’architecte en chef de la ZAC de Pierrefitte Le Barrage secteur est », s.d., Archives communales 965 W 308-5, cité par Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.106

Image : Les tours Boris Vian, croquis réalisé le 27 septembre 2012

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3/ Controverse et Alternative aux grands ensembles

Si la politique de logement collectif a débuté dès le milieu du XIXème siècle, avec notamment la création des Habitations Bon Marché et le développement des offices, Pierrefitte s’est toujours tenue à l’écart des ces phénomènes nationaux. Pendant un siècle, le logement social s’est développé lentement au travers de plusieurs lois.

Cependant, à la sortie de la seconde guerre mondiale, la France a subit une grave crise du logement, causée par une destruction massive de son patrimoine cumulée à une forte augmentation de la démographie. Les politiques ont à cette époque cherché de nouveau outils pour lutter contre cette crise et offrir un droit au logement décent.

Le secteur de la construction s’est alors orienté vers les thèses du mouvement moderne, souhaitant donner une réponse quantitative à une demande massive. La charte d’Athènes fut appliqueé et dévoyée par la médiocrité des architectes. La recherche de gain de temps et d’économie financière a amené à la construction de grandes opérations de logements sur de larges zones, sans prévoir d’emplois ni d’équipements autour : ce sont les grands ensembles.

Des mouvements de population importants en Île-de-France amenèrent à ce moment de nombreux nouveaux habitants sur la commune de Pierrefitte. Les premières tours apparaissent dans la ZAC des Poètes au milieu des années 1970.

A- La remise en question des grands ensembles

Dans les années 1970, la commune commence cependant à rencontrer des difficultés économiques. Des sociétés quittent le territoire et sont redéployées en Province, comme la société l’ « Armorique », délocalisée à Tours et laissant ses 1’200 ouvriers sans emploi. La Seine-Saint-Denis connaît une période de désindustrialisation, accompagnée du chômage et de la précarisation de sa population. Les habitants des grands ensembles sont les premiers touchés par cette crise, leur situation se dégrade.

Ajoutés à cela, les 300’000 logements sortis de terre chaque année bouleversent le paysage français. Une prise de conscience collective

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pousse sociologues, chercheurs et politiques à se questionner sur les banlieues et cette forme dorénavant impopulaire qu’est celle des grands ensembles. « Rupture de la continuité bâtie, destruction des quartiers populaires, apparition de zones dortoirs, ségrégation de la population en fonction des logements, monotonie architecturale, gigantisme, fortes densités de peuplement et détériorations »41 ouvrent la voie à une critique globale, et sont présentés comme générateur du mal-être social. Prenant pour exemple la ville de Sarcelles, limitrophe de Pierrefitte, le terme de « Sarcellite » est employé par la Presse pour désigner ces quartiers stigmatisés à l’échelle nationale.

Ces tensions se répercutent jusque dans les ministères, où le gouvernement décide d’agir. Olivier Guichard, ministre de l’Aménagement du Territoire, de l’Equipement, du Logement et du Tourisme marque une rupture définitive avec l’urbanisme élaboré depuis la Libération. En contradiction avec le modèle des ZUP, cette politique schizophrène affirme l’échec de la reconstruction post-guerre et introduit la remise en question des grands ensembles. En 1971, une première circulaire intitulée « Tours et Barres » interdit la construction de tours dans les villes de moins de 50’000 habitants. Le 21 mars 1973, la circulaire Guichard réaffirme les objectifs de 1971 et donne un coup d’arrêt à la construction des grands ensembles.

« Après les efforts considérables accomplis pour augmenter la production massive de logements neufs, il est aujourd’hui indispensable de répondre plus efficacement aux aspirations à une meilleure qualité de l’habitat et de l’urbanisme et de lutter contre le développement de la ségrégation sociale par l’habitat.»Circulaire du 21 mars 1973, relative aux formes d’urbanisation dites «grands ensembles» et à la lutte contre la ségrégation sociale par l’habitat, in Journal officiel de la république française, 5 avril 1973, p.3864

La taille des opérations et la hauteur des tours sont limitées, ainsi que la hauteur des barres à trois étages, ce qui permettra d’éviter l’installation d’ascenseurs. Le nombre de logements dans les ZAC est maîtrisé, on maximise à 1›000 logements maximum dans les agglomérations de moins de 50›000 habitants et à 2›000 pour les autres agglomérations. Chaque ZAC doit comporter au moins 20% de logements HLM, et au

41 Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.58

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maximum 50%.42 Le but est d’apporter une véritable mixité sociale dans ces quartiers sinistrés. Cette mesure sera cependant peu appliquée, aucune sanction n’étant prévue pour les contrevenants.

B- Le mouvement post-68

Cette remise en question du système institutionnel relaye les contradictions mises à jour en 1968 par les mouvements protestataires. Les manifestants se sont appropriés la rue et remettent en cause son cadre : la ville, comme cadre d’interactions des problèmes sociaux.43 Une approche humaniste et culturelle de la ville et de l’habitat est plébiscitée, on vise à une révolution de l’architecture moderne.

Une réforme des écoles d’architecture en décembre 1968 sépare celle-ci de l’école des Beaux-Arts et rompt avec sa pratique académique et sa tradition d’enseignement reposant sur des valeurs esthétiques « plus d’actualité ». Elle amène à un élargissement des préoccupations des architectes en faveur des sciences sociales. Ils s’intéressent à la question des grands ensembles et tentent de proposer de nouvelles solutions, d’offrir une autre architecture au monde populaire.

A la fin des années 1970, on voit apparaître une tendance architecturale nouvelle, qualifiée de « proliférante ». Fondée sur une lecture sociologique de la pratique architecturale et une analyse du mode de vie,44 elle donnera naissance à des projets de grande ampleur caractérisés par Jacques Lucan « de structures en nappes, des mégastructures horizontales et des combinatoires.»45 Des grappes accrochées s’articulent autour d’une rue, élément déterminant pour lier les différentes composantes et lieu de condensation d’activités.

42 Annie Fourcaut, «Trois discours : une politique ? » dans Urbanisme, 2002, p.4443 Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.7644 Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.8545 Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000). Histoire et théorie, 2001, p.203 in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006

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D’autres architectures s’inspirent aussi de l’architecture proliférante pour répondre à des problématiques diverses. La question de l’habitat individuel étant au centre des préoccupations des français, et les architectes tentent d’y répondre en créant une nouvelle forme d’habitat, l’habitat intermédiaire. Des cellules superposées en une forme pyramidale donnent accès à de spacieuses terrasses : c’est la création de l’école « Gradins-jardins. »

Dans cette lignée, l’architecte Jean Renaudie développe son style propre et élabore des formes nouvelles d’habitat adaptées à la demande sociale du programme. Persuadé que la superposition monotone des cellules dans les bâtiments nuit aux relations, Jean Renaudie tente de nouvelles connexions au sein d’un ensemble de logements, et développe de nouveaux espaces de relation. Son architecture est considérée comme proliférante dans son travail extrêmement poussé sur le maillage et les réseaux, facilitant les rapports quotidiens entre les habitants.

« Il développe une méthodologie particulière de projet qui le pousse à observer de façon presque sociologique les habitudes des riverains. Cette réflexion sur les liaisons est intimement mêlée à une volonté de solliciter une appropriation active des lieux.»Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.93

Les bâtiments sont disposés autour de l’espace central, en référence à la place de village. Ils proposent des entrées en chicanes, des loggias, des galeries d’accès. Le béton est assouplit par des issues secondaires, débouchant aux extrémités sur des escaliers extérieurs.46 Cette esthétique marque la création d’un nouveau mouvement d’influence architectural, appelé « courant Renaudie ». Il sera suivi par de nombreux architectes à cette époque qui, souvent formés à son contact, héritent de ses conceptions.

La création en 1972 de la Sodétat 93, Société d’Economie mixte d’Equipement et d’Aménagement du Territoire de la Seine Saint-Denis, favorise le développement de cette architecture sur son territoire. En effet, la Sodétat 93 présente dès sa création une volonté politique forte, mêlant préoccupation humaniste et ambition de développement. Son

46 Colette Pétonnet, Espaces habités, Ethnologie des banlieues, Paris, 1982, Editions Galilée

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souhait est d’améliorer l’environnement urbain tout en revalorisant l’image du département, considéré comme le plus pauvre et défavorisé de banlieue.

Pour cela, la Sodétat 93 fixe rapidement une ligne de conduite architecturale, réunissant autour d’elle un groupe d’architectes missionnés pour leurs conceptions architecturales et dont « le noyau est influencé par les conceptions de Jean Renaudie ».47 Sans passer par les concours et appels d’offres habituellement d’usage, elle signe les contrats par affinités politiques.48 Pendant vingt ans, elle est le maître d’ouvrage de 6’000 logements au travers la Seine-Saint-Denis, c’est à elle que l’on doit cette recherche d’innovation.49 Comme plus de 23 communes des environs, Pierrefitte, et le quartier des Poètes sont choisis comme laboratoire d’expérience pour cette architecture utopique.

C- La densification du quartier

Le changement de maître d’ouvrage, passant des mains de la SCIC (une filiale de la caisse des dépôts) à la Sodétat 93 amène de gros bouleversements dans la ZAC du Barrage et marque un changement de cap stylistique. Le projet de l’architecte Beufé est remis en cause par le nouvel aménageur, et seules dix des vingt tours initialement proposées voient le jour, représentant 377 logements contre 800 prévus. L’étude des parties Est et Ouest de la ZAC est alors confiée par la Sodétat 93 aux architectes Yves et Luc Euvremer.

47 Marie-Hélène Bacqué et Sylvie Fol, Le devenir des banlieues rouges, 1989, p.73 in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 200648 Lettre de Daniel Bioton à Jean-Pierre Lefebvre, 9 décembre 1993, archives personnes de Jean-Pierre Lefebvre, in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 200649 Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.107

Image :maquette de l’ensemble Jacques Brel, architectes Nicole et Michel Autheman, non datée, in Coll. Urbanisme. Seine-Saint-Denis, Publication de la Sodétat, 1980, p.49

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« On a voulu mettre ici cette architecture innovante et de qualité pour que des personnes d’origines modestes puissent accéder à des logements atypiques, des logements d’architectes, avec des balcons, des terrasses, des duplex, de grands logements donnant sur des patios arborés. C’était une utopie communiste, sociale. Dans les années 80, cette architecture est devenue très à la mode et ils ont changé de programme. »Entretien avec Laure Tesson, Service de rénovation urbaine de Plaine Commune, 26 Octobre 2012

Le premier bâtiment réalisé est celui de la copropriété Mermoz en 1981, comprenant 57 logements en accession à la propriété. Dans la continuité de celui-ci, les époux Michel et Nicole Autheman réalisent la même année la Résidence Jacques Brel et ses 56 appartements. Ces constructions se caractérisent par la réflexion des architectes sur les connexions entre espaces privés et publics, sur la distribution des logements. Les accès se font grâce à des porches et arcades qui marquent fortement l’esthétique des bâtiments.

Situés à proximité du tissu pavillonnaire du quartier du Maroc, les deux bâtiments clôturent l’Est du quartier et de par leur faible hauteur font le lien avec celui-ci. « Des jeux de volumes, de couleurs, de façades les distinguent des réalisations purement fonctionnelles des immeubles précédemment construits ». L›époque a changé et les aspirations des bailleurs comme des habitants ont évolué : l’esthétique souhaitée est celle de logements individuels superposés.50

En 1983, la Résidence Georges Brassens, comme l’appelle ses concepteurs, est réalisée. Elle comporte 203 appartements, 300 places de parkings, ainsi que 800m2 d’équipements socio-culturel. Elle marque les esprits par son béton teinté de rose, qui donnera au quartier son nom officieux de « Cité Rose ». Yves et Luc Euvremer travaillent sur ce projet en collaboration avec Jean Renaudie, l’ensemble est très marqué par son influence. En effet, on reconnaît notamment son courant de

50 PSS Architecture - Urbanisme – Aménagement du territoire, http://www.pss-archi.eu, « Cité des Poètes – Ensemble Jacques Brel », mis à jour le 14 avril 2010, consulté le 10 décembre 2012

Image : La façade sur cour de la résidence Mermoz, in Yves et Luc Euvremer, Fragments de ville, Paris/Milan, Sodétat 93, Carte Segrete 93, p.27

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pensée architecturale dans le plan masse du bâtiment, asymétrique et très sinueux, ou encore dans ses façades pyramidales.

D- Une architecture sociale et écologique

Lors de la construction de l’ensemble du quartier, les critiques des habitants suivent l’opinion nationale et sont vives à l’égard des grands ensembles. Cependant, les Poètes réussissent à attirer la population par ses différentes qualités, et une véritable vie de quartier s’y développe. La réalisation du film « Les Poètes, un passé, un avenir » par le service de Rénovation Urbaine de Plaine Commune, les émissions de radio consacrées au quartier, ou encore les témoignages rassemblés nous permettent de revenir sur ses premières années et les souvenirs de sa réception par ses habitants.

Une première partie d’entre eux est tout d’abord charmée dès la construction des tours de Boris Vian par la situation de ces nouveaux appartements. Maryse Rémy, la gardienne de l’ensemble de tours de1978 à 2006 assure que le quartier était à cette époque très demandé.51 Les bâtiments apportent en effet une modernité qui dépasse celle de nombreux pavillons, avec notamment l’installation de l’eau courante ou de l’électricité. De plus, la ZAC du Barrage n’est que peu urbanisée à la fin des années 1970, et les habitants se reconnaissent dans une ambiance de petit village fortement marquée. Les immeubles sont entourés de champs de poiriers, et la grande surface des appartements fait gage de qualité. Denise Sylla, habitante depuis 1979 est très enthousiaste à propos de cette époque, « On se croyait à la campagne ! ».52

Le quartier se crée une réputation favorable dans la commune de Pierrefitte, et les nouvelles constructions (Brel, Mermoz, et Brassens)

51 Entretien avec Maryse Rémy, gardienne de l’ensemble Boris Vian 1978-2006, Collectif, Les Poètes, un passé, un avenir, 2011, DVD, Plaine Commune - Communauté d’agglomération52 Entretien avec Denise Sylla, habitante de Boris Vian 1979-2006, Collectif, Les Poètes, un passé, un avenir, 2011, DVD, Plaine Commune - Communauté d’agglomération

Image : Vue de la Place Georges Brassens, in Yves et Luc Euvremer, Fragments de ville, Paris/Milan, Sodétat 93, Carte Segrete 93, p

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sont bien reçues par la population. La politique d’attribution de la commune ne cherche pas particulièrement à loger les plus pauvres et nombreux sont les jeunes couples avec quelques enfants en bas âge qui s’y installent. L’architecture innovante des frères Euvremer attire même un certain public curieux de découvrir de nouvelles manières d’habiter :

« En 1983, c’était une volonté de ma part d’habiter dans des immeubles collectifs nouveaux, qui sortent de la barre, de la tour, de l’appartement carré classique. J’avais envie de participer de l’évolution architecturale en habitant des pièces à vivre plutôt que des pièces traditionnelles. […] J’avais envie d’un logement de qualité tout en restant dans un HLM avec mes enfants. » Catherine Hanriot, Maire de Pierrefitte-sur-Seine 1998-2008 et habitante des Poètes 1983-2002, propos recueillis par François Chaslin pour l’émission radiophonique Métropolitains n°305, 15 février 2006

Les nouveaux logements sont aussi appréciés pour leur rapprochement de l’habitat individuel, rêve numéro un des français depuis la fin des années 1970. L’articulation du logement sur plusieurs étages, avec de nombreux duplex ou triplex, permettent un niveau à dominante publique avec l’entrée, la cuisine et le séjour, ainsi qu’un niveau à dominante individuelle et privée comprenant chambres et salles de bain. Ils ne sont pas sans rappeler l’organisation des maisonnettes en rangées.53 Les terrasses ou prolongements extérieurs sont aussi une alternative de qualité au jardin de la maison individuelle et sont permis par la forme pyramidale du bâtiment Brassens. Chaque habitant se voit distribuer plusieurs plantes à y installer, le but étant que la végétation abonde et fleurisse la cité. Elle permet par la même occasion une isolation thermique des terrasses, et place pour cela le bâtiment en une pointe avancée en matière de logements social et écologique. En cas de pluies violentes, les terrasses retiennent les eaux et protègent le quartier des inondations.

53 Nicolas Bassand, Didier Challand, Frédéric Franck, « Profonde, sérielle, ponctuelles : Innovation architecturale de trois formes urbaines », Habitat en devenir, 2009

Image : Axonométrie d’un logement de la copropriété Mermoz, 1977 in Yves et Luc Euvremer, Fragments de ville, Paris, Sodétat 93, Carte Segrete 93, p28

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« Le logement qui m’a été attribué c’était un duplex en rez-de-chaussée, donc j’étais comme en pavillon, parce que j’avais des mètres carrés à l’extérieur, une terrasse plantée, et j’avais la chance de pouvoir organiser des barbecues, des réceptions avec amis, et donc tout ça me semblait très bien dès que nous avons emménagé. Et beaucoup de ceux qui sont venus chez moi ont dit « Oh mais c’est formidable ! ». J’ai été dans le magasin Ambiance, qui est sur la nationale, j’ai acheté des meubles modernes pour une vie moderne ! » Entretien avec Catherine Hanriot, Maire de Pierrefitte-sur-Seine 1998-2008 et habitante des Poètes 1983-2002, propos recueillis par Elise Guillerm, le 22 mars 2006

Une vie populaire riche et dynamique comme dans les anciens faubourgs, s’installe aux Poètes : jeux de cartes, courses à vélo, sorties, fêtes etc. Le quartier connaît une mixité de rencontres et d’associations, on y trouve une véritable convivialité multi-ethnique. En suivant les propos de l’architecte et théoricien Amos Rapoport, qui défend la thèse du lien entre l’environnement et le comportement d’une personne,54 on peut attribuer en partie ce mérite à l’architecture innovante proposée par la Sodétat 93. L’environnement architectural, comme le souhaitaient les architectes, favorise les relations entre les habitants du quartier.

« La qualité architecturale des espaces collectifs, remarquable support à la convivialité dans la cité, montre avec évidence le respect et la considération avec lesquels son auteur traite les espaces qu’il conçoit pour les futurs habitants de ses logements et la haute estime qu’il porte à leur bien vivre la cité. »Raoul Pastrana, Lettre à Maître Gilles Caillet, 20 novembre 2009

L’ensemble de la ZAC étant piétonne, les habitants sont protégés des nuisances automobiles, et les lieux conviviaux de rencontres sont multipliés dans l’ensemble du quartier comme dans chaque bâtiment. La Place Brassens, par exemple, présente un amphithéâtre et permet l’organisation de nombreuses fêtes et rendez-vous en tant que centre

54 Amos Rapoport, Culture, Architecture et Design, 2000, 160 p.

Images : La vie de quartier aux Poètes, extraits d’un film réalisé par Jean-Pierre Lefebvre, 8 mai 1992, in « La cité des Poètes, une destruction planifiée », un film de Mathilde Chikitou, 2009

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névralgique du quartier. Dans son prolongement direct, et facilitant les interactions avec celui-ci, se trouve l’espace socio-culturel de 800m2 dans lequel s’installera en 1992 le centre social Georges Brassens.

« Par opposition aux axes orthogonaux qui prédominent dans les grands ensembles, on crée des espaces courbes, dominés par des points forts de rencontre dans une logique de diversification des espaces. L’absence de grands espaces de flux, comme la dalle ou les allées, au profit de petits espaces de circulation ou de rencontre, doit permettre une échelle plus humaine et des déplacements plus sereins, par opposition aux mouvements effrénés dont on a affublé les grands ensembles. » Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.150

Plusieurs commerces sont aussi présents dans le quartier et rythment la vie des habitants. On trouve sur la place Brassens un salon de coiffure, une supérette, une boulangerie, une pharmacie et une boutique de produits africains. La présence du centre socio-culturel, du gymnase Eugène Varlin, d’un plateau d’évolution et du groupe scolaire à proximité de la place Brel facilitent la vie des habitants et attirent les habitants de Sarcelles. La cité Rose a une formidable renommée, et les demandes de logements ne cessent d’augmenter sur le quartier. Il est à nouveau nécessaire de densifier la ZAC.

E- L’ensemble Robert Desnos et les difficultés de construction55

Depuis la fin des années 1970, l’architecte Jeronimo Padron-Lopez étudie pour la Sodétat la dernière parcelle de la ZAC, située tout au Sud-Ouest de celle-ci, afin d’y construire un programme exclusivement dévoué à l’habitation.

La procédure de ZAC, sensée être plus souple, se heurte aux différents échelons administratifs. Les conditions économiques ne sont pas favorables et le chantier est sans cesse retardé. En février 1985, l’office HLM chargé du projet se retire du programme compte tenu

Image : Plan masse préalable du quartier en 1977, in Bruno Suner (et Al.) « Logements ZAC Desnos », in Sodétat 93, un laboratoire urbain, Supplément à L’architecture d’Aujourd’hui n°295, octobre 1994, p.56

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du dépassement important du prix de référence. Il prévient à l’époque de « l’impossibilité de loger des familles aux revenus modestes dans un logement de qualité à des conditions de loyers abordables pour tous ».56 L’office HLM de la Sodétat ne fait fi de cet avertissement et reprend le projet à son compte malgré des comptes d’investissement déséquilibrés.57 Plutôt que de ne s’unir dans la difficulté, les différents partenaires et maîtres d’ouvrages de la ZAC s’emportent les uns contre les autres. La ville de Pierrefitte et la Sodétat sont en litige, ce qui ne va pas sans nuire à la construction du bâtiment. Les retards dans le chantier amènent à des dégradations et du vandalisme.

Etant donné la situation au début des années 1990, la municipalité émet quelques réserves quant à la construction de l’ensemble Desnos. On comptabilise cependant 1’200 demandes de logements en cours sur la commune, la demande est telle qu’il faut construire de nouveaux logements. Quatre cent nouveaux appartements sont construits, accolés à la Résidence Brassens.

« Deux corps de bâtiments de plan en U se développent symétriquement de part et d’autre d’un vide central longitudinal, coiffé d’une verrière à doubles plans, appelé séjour urbain. Deux corps carrés fermés autour d’une cour appelée patio, cellules superposées en une ascension en gradins qui permet de dégager des espaces de terrasses plantées. Tous les appartements ont accès à une terrasse ou un jardin, à l’exception de certains rez-de-chaussée qui ont accès à la pelouse du patio.»Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.120

Un nouveau bâtiment non prévu dans le plan masse de 1979, appelé « bâtiment écran » est construit long de la Route Nationale 1 pour supprimer les nuisances acoustiques de cette importante voie de

56 Lettre de J. Palies, directeur de l’office HLM La Campinoise chargée du projet au maire de Pierrefitte, datant du 5 mars 1985, Archives communales57 « Opération Desnos-Historique », document de travail de la Sodétat, 1992, Archives personnelles de Jean-Pierre Lefebvre in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006

Image : Les terrasses de l’ensemble Desnos donnant sur un patio, photographie non datée, 2.archi.fr/DOCOMOMO-FRANCE

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communication. Il apporte 218 logements supplémentaires, mais supprime un programme de 1’000m2 de commerces initialement prévus.

La Résidence Desnos poursuit l’esprit des récents ensembles du quartier, en attachant une grande importance aux modes de vies des habitants et aux relations entre eux. Pour cela, tous les logements sont conçus sur un plan différent, leur géométrie complexe donnant lieu à des dispositions intérieures originales. Le Salon urbain dessert les appartements tout en offrant à ses habitants une circulation couverte et arborisée, un espace de rencontre protégé des intempéries. La végétation luxuriante s’associe à l’esthétique brutaliste du bâtiment en béton brut, et intimise chaque logement en été. Lorsqu’elle disparaît en hiver, elle laisse passer plus de lumière dans les appartements.

Hélas, cette époque est marquée par de nombreux problèmes dans le secteur de la construction. La complexité du bâtiment ajoute une difficulté supplémentaire et la maîtrise d’ouvrage doit faire face à quatre faillites successives d’entreprises. Les dégradations et actes de vandalisme dans le quartier aggravent les conditions d’insécurité. L’intervention des entreprises est plus difficile et plus coûteuse, et les logements peinent à être terminés entre l’année 1993 et 1994. Jugés non conformes, ils ne seront jamais réceptionnés.58

« Les habitants s’installent dans un quartier où les aménagements ne sont pas livrés, où les bâtiments limitrophes ne sont pas peuplés, et où l’environnement est déjà marqué par les dégradations. Dès 1992, avant même l’emménagement de tous les habitants, la ville commence à réfléchir à des opérations de réhabilitation, tant les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. »Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.103

58 La réception est l’acte par lequel le maître d’ouvrage déclare accepter l’ouvrage, avec ou sans reserve.

Image : L’intérieur du séjour urbain, in Bruno Suner (et Al.) « Logements ZAC Desnos », in Sodétat 93, un laboratoire urbain, Supplément à L’architecture d’Aujourd’hui n°295, octobre 1994, p.57

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Chapitre II : L’échec des Poètes

1/ La fragilisation du quartier

Au cours des années 1970, les difficultés rencontrées par les grands ensembles ont amené à des critiques acerbes envers ces formes urbaines, remises alors en question par le gouvernement. Un mouvement architectural, en opposition avec l’architecture moderne, a alors tenté de développer un courant favorisant les connexions, les réseaux, et les espaces de relations. Souvent proche des milieux communistes, il fut mis en application dans de nombreuses communes de Seine-Saint-Denis.

Dans le quartier des Poètes, la construction de dix tours de logements fut remise en question pour laisser place à des bâtiments du courant Renaudie. Cette architecture originale attire de nombreuses personnes, notamment pour son identification au logement individuel, ou son rôle social qui développe une vie populaire riche et dynamique dans le quartier. Le quartier fut l’objet de nombreuses demandes de logements, nécessitant sa densification.

La construction de l’ensemble Robert Denos commença alors. Pendant une dizaine d’années, elle eu à souffrir de nombreuses difficultés administratives et financières. Les retards dans les travaux amenèrent dégradation et vandalisme dans le quartier. Les logements, de mauvaise facture, ne furent jamais terminés, et les habitants s’installèrent dans ce quartier inachevé.

A- Des difficultés techniques

Dès l’installation des locataires dans le bâtiment Robert Desnos, ceux-ci se plaignent des conditions dans lesquels ils sont accueillis. Techniquement, le bâtiment ne répond pas à ses objectifs et, toute considération esthétique mise à part, les habitants sont nombreux à mettre en exergue leur difficulté à y habiter. Les autres bâtiments du quartier se dégradent rapidement depuis plusieurs années. Unanimes, les habitants dénoncent une mauvaise finition mettant en péril leur situation économique. 90% des locataires présents dans le quartier sont des locataires sociaux possédant un niveau de vie peu élevé. Il leur est

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donc difficile d’engager régulièrement des frais pour venir à bout des dégâts imputables à la construction de leur logement.

« Des joints n’ont pas été posés entre des plaques de béton, lorsque la pluie venait de l’Ouest, elle entrait dans ma salle à manger et inondait la moitié de la pièce. Dans les salles de bains, il y avait des fuites d’origines inconnues. Chaque année je devais refaire ma salle de bain à cause de l’infiltration ! Tout a été fait au rabais. Les planchers n’étaient pas plans. Il fallait régulièrement changer les lave-linges car ils cassaient avec les trépidations »Catherine Hanriot, maire de Pierrefitte-sur-Seine 1998-2008, habitante des Poètes 1983-2002, propos recueillis par François Chaslin, pour l’émission radiophonique Métropolitains n°305, 15 février 2006

Des erreurs de conception sont aussi relevées par les locataires, qui se trouvent ainsi très vite dépassés par la gestion de leur appartement. La réception des travaux n’ayant pas eu lieu, le bâtiment Desnos ne dispose pas de garantie décennale permettant au bailleur l’enclenchement d’une procédure d’assurance. Les gouttières en béton de Desnos sont mal dimensionnées, de la mousse s’y forme et elles sont rapidement bouchées. Elles inondent les terrasses et les garages, provoquant de nombreuses infiltrations et pourritures dans les logements.59 L’isolation de plusieurs bâtiments laisse à désirer, les volumes sont difficiles à chauffer et les bailleurs garantissent la faible température de 14°C. Pendant deux hivers après la construction de Brassens, les locataires sont soumis à des interruptions de chauffage après 22h tous les soirs sans exceptions pour cause de disjonction.60 Les habitants se trouvent dans l’obligation de compenser par l’installation de chauffages électriques très coûteux qui déséquilibrent d’autant plus leur budget.

A cela s’ajoute les grandes surfaces souhaitées par les architectes, qui seront la cause de loyers très élevés en comparaison à d’autres

59 Entretien avec Reda Karroum, directeur du centre social et culturel Maroc-Châtenay-Poètes, Pierrefitte-sur-Seine, le 24 Octobre 201260 Coll., « Cité G. Brassens. Problèmes de chauffage », Saint-Denis Républicain, 18 janvier 1985

Image : La verrière devient rapidement opaque, ne laissant entrer que peu de lumière dans le séjour urbain. Photographie de Guido Prestigiovanni, in La Cité des Poètes, 2009

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logements sociaux. L’entretien de l’ensemble du quartier est aussi rendu difficile, par son absence de circulation automobile, ou par les particularités de son architecture. Personne ne peut entretenir la rivière de sable d’une cinquantaine de mètres cube, ni le labyrinthe végétal. Les parties communes généreuses et alambiquées, nécessitent un entretien bien supérieur à la moyenne que les bailleurs ne peuvent pas toujours assumer. Les bâtiments se dégradent au fur et à mesure.

« Il y avait une verrière, et lorsqu’ils l’ont construite, personne n’a pensé à son entretien. Ce qui veut dire qu’après c’était très difficile de l’entretenir, il fallait des professionnels en baudrier, presque des alpinistes ! Et donc à force que la pluie tombe elle est devenue opaque, elle ne laissait plus passer la lumière »Entretien avec Reda Karroum, directeur du centre social et culturel Maroc-Châtenay-Poètes, Pierrefitte-sur-Seine, le 24 Octobre 2012

En 1989, les locataires des Poètes exigent déjà une baisse des loyers, un meilleur entretien tant sur le plan de la propreté (ménage, peintures extérieures et intérieures), de l’organisation des espaces communs (solidité des boites aux lettres, circulation automobile au sein du quartier) que sur des systèmes de chauffage et éclairage. Ils n’obtiennent pas de réponse immédiate.

Un sentiment d’injustice règne dans le quartier, les habitants se sentent dupés et abandonnés par leurs bailleurs. Les litiges entres les différents maîtres d’ouvrages lors de la construction de l’ensemble Desnos amènent à un laisser-aller des gestionnaires de la ZAC. Pour régler les malfaçons ou dégradations, les solutions proposées sont des solutions au rabais, des compromis.

B- La dégradation du contexte économique et social

Les habitants des Poètes rencontrent de plus en plus de difficultés au quotidien. A une échelle nationale, le choc pétrolier de 1973 a entraîné un durcissement de la situation. La puissance de l’importation étrangère, et la concurrence entre les pays aggravent encore la crise économique de l’époque. Les classes sociales pauvres ainsi que les classes sociales moyennes sont celles qui en souffrent le plus. Dans les années 1980, le chômage ne tarde pas à atteindre des sommets aux Poètes en comparaison

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au reste de la commune. A l’image de nombreux grands ensembles français, le quartier des Poètes en sera particulièrement touché. C’est une « société de travailleurs sans travail » qui s’y crée. La philosophe Hannah Arendt développe ce propos et met en exergue la schizophrénie du monde actuel, opposant l’aspiration à l’automatisation du travail moderne et l’importance du travail inculqué par la société occidentale. Priver un homme de travail, c’est lui ôter le sens de sa vie et le placer dans une situation d’exclusion.61

Une partie de la population des grands ensembles se trouve donc dans une situation de rupture sociale. Les personnes concernées vivent une descente aux enfers qui s’accompagne de la dégradation de leurs conditions de vie. Ils cumulent progressivement les handicaps qui les paralysent pour une éventuelle réinsertion professionnelle : les difficultés d’adéquation entre la formation et l’emploi, la rigidité structurelle des instances, l’effet pervers de l’assistance, et la barrière psychologique du retour à l’emploi.62

Le chômage et la fragilisation du rapport à l’emploi se font ressentir à tous les niveaux de la vie quotidienne, et se traduisent notamment par un déclin du communisme. Les rapports sociaux au sein d’une commune ou d’un quartier sont modifiés, et le voisin qui auparavant était assimilé à un camarade ne l’est plus. On assiste à une perte de l’identité ouvrière des quartiers, accompagnée d’un mécanisme de désaffiliation.

«Le pourcentage d’ouvriers dans la population active passe de plus de 40% en 1970 à 29% en 1990. Ce remodelage met à mal la vie sociale et culturelle qui s’étaient nouées au fil des décennies au sein des banlieues rouges.»Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.139

Ce mouvement entraîne le repli de chacun sur soi, et le découragement face à la dégradation du cadre de vie. Les incivilités prennent le dessus sur la vie de quartier, les cambriolages et les actes de violences sont

61 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, 196162 Georges Lancon et Nicolas Buchroud, Ces banlieues qui nous font peur... : Une stratégie d’action pour transformer la gestion des quartiers d’habitat social, 2003, Editions l’Harmattan

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recensés en masse. En 1987, c’est le début de la guerre des gangs, les habitants du quartier prennent peur et sortent peu de chez eux. La réputation des Poètes se détériore grandement face à la surabondance de difficultés.

« En 1971, il n’y avait à Pierrefitte qu’une cinquantaine de demandeurs d’emploi, et encore, lorsqu’on disait « demandeurs d’emplois » avait-on un certain sourire. Il y en a aujourd’hui près de 1500 et cela ne fait pas du tout sourire […] En 1971, les problèmes de la délinquance se posaient beaucoup moins, les problèmes de la drogue n’existaient pas. En 1971, être expulsé pour les difficultés à payer un loyer était plus qu’exceptionnel. Je pourrais poursuivre ainsi pour beaucoup d’éléments de notre vie quotidienne. » Daniel Bioton, « Conférence sur l’urbanisme », 20 novembre 1987, Archives communales

C- Un modèle qui ne convient plus

En parallèle de sa dégradation, le quartier des Poètes fait l’objet de mouvements de populations. Au départ, les Poètes sont le fruit d’une dynamique enthousiaste lancée par un élan communiste. Plusieurs élus de la commune font parti de ce mouvement et habitent les logements. Ces personnes font le choix d’investir ce quartier nouveau qui doit leur apporter un plus par rapport au logement social.63

Initialement, les locataires sont donc principalement issus de la classe moyenne, il s’agit de jeunes ménages avec enfants. La ZAC est le lieu privilégié pour accueillir les familles et grands ménages car les logements sont grands et comprennent trois ou quatre pièces. La proportion d’enfants et de jeunes dans la population est très forte. Comme dans la majorité des grands ensembles, confort, grands espaces et hygiène sont particulièrement appréciés et incitent à l’agrandissement de la famille. Les naissances post-installation amènent très rapidement à un nombre d’enfants très supérieur à la moyenne nationale ainsi qu’à un

63 Entretien avec Stéphane Vigne, propos recueillis par Elise Guillerm, 15 mars 2006

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surpeuplement du quartier. Dans le quartier des Poètes en 1990, 44% de la population a moins de vingt ans.64

Avec l’évolution des mœurs, on assiste aussi à la modification des structures familiales : le prolongement du célibat, l’augmentation du nombre de personnes divorcées, des personnes âgées isolées, la décohabitation des jeunes du milieu familial. Dans la plupart des HLM, le logement de 3-4 pièces normalisé est de moins en moins adapté aux modes de vie familiaux de plus en plus diversifiés. Les architectes des Poètes et du courant d’architecture lancé par Jean Renaudie refusent l’utilisation de logements-types et avaient souhaité répondre à cette diversification parmi les habitants en proposant des logements tous différents les uns des autres.

« La variété et l’originalité des types de logements proposés à la location montrent la volonté du concepteur d’offrir à chaque candidat la possibilité de choisir l’espace d’habitation qui lui convient le mieux. Pouvoir choisir son logement dans le parc social est un privilège rare que peu d’opérations ont su offrir. »Raoul Pastrana, Architecte, Lettre à Maître Gilles Caillet, 20 novembre 2009

La difficulté de gestion d’attribution des logements sociaux n’a pourtant pas permis de profiter de cette belle intention des architectes. Les locataires se retrouvent placés au mieux dans des logements qui leur correspondent sur le moment, mais se retrouvent très contraints lorsque leur situation familiale évolue. Dépendants des bailleurs sociaux, ils ne peuvent envisager un changement de logement selon leurs besoins tant que le marché est trop serré. En 1981 la commune comptabilise en effet 900 demandes de logements sans réponses auprès de l’office municipal d’HLM.65

Si au départ une très large majorité de la population est satisfaite de son logement, la dégradation du quartier ou la difficulté d’adaptation des appartements pour les familles prend rapidement le dessus sur

64 INSEE, « Fiche profil Quartiers de la politique de la ville », ZUS les Poètes, Données des recensements 1990 et 1999, Annexe 10 de La Reception de la ZAC des Poètes, Elise Guillerm, 200665 Préface de Daniel Bioton, DDE de la Seine-Saint-Denis, Commune de Pierrefitte, Pierrefitte-sur-Seine, 1982

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l’enthousiasme premier. Le quartier des Poètes est assimilé par les autres habitants de la commune à l’échec des grands ensembles français.

Les habitants se divisent alors en trois catégories : une première partie de la population, qui comprend les ménages les plus âgés et les plus stables, se contente de sa situation et n’envisage pas de changement. Une autre partie, concernant les classes sociales les moins aisées, est contrainte par ses difficultés économiques. Elles n’ont pas d’autre choix que de prolonger leur séjour dans le quartier, parfois même contre leur volonté. Enfin, la dernière partie des habitants, en phase d’ascension sociale, émet le désir de quitter le quartier pour un environnement plus serein.

D- L’exode Urbain et la paupérisation de la population

Les hommes politiques depuis la circulaire Guichard s’interrogent fréquemment au sujet de la reconstruction d’urgence et des grands ensembles qui semblent de plus en plus voués à l’échec. Hormis la stigmatisation de ces quartiers par l’opinion publique, ils font aussi l’objet d’un déficit des dépenses publiques. En 1976, une étude est commandée à l’économiste et Premier Ministre de l’époque Raymond Barre sur les modalités de financement et de gestion du logement social. Elle aboutira à une réforme du financement du logement, la loi Barre, du 3 janvier 1977. Elle a pour objet de « favoriser la satisfaction des besoins en logements et en particulier de faciliter l’accession à la propriété, de promouvoir la qualité de l’habitat, d’améliorer l’habitat existant et d’adapter les dépenses de logements à la situation de famille et aux ressources des occupants tout en laissant subsister un effort de leur part.»66

Cette loi marque une volonté de l’Etat de se désengager en favorisant l’aide à la personne plutôt que l’aide à la pierre. Elle met en place pour cela la création de prêt d’accession à la propriété (PAP), de prêts locatifs aidés (PLA), de prêts conventionnés (PC) et de l’aide personnalisée au logement (APL). Elle encourage donc le souhait d’accession à la

66 Extrait de Olivier Guichard, Circulaire du 21 mars 1973 relative aux formes d’urbanisation dites « grands ensembles » et à la lutte contre la ségrégation sociale par l’habitat.

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propriété en permettant de devenir propriétaire de son logement pour une dépense comparable à celle d’un loyer social.

A partir de ce moment, on assiste à la recherche de logements construits sur des terrains bon marchés pour des revenus modestes. Le pavillon est souvent caractérisé de rêve des français, pour cause, c’est la promesse d’un chez soi pas trop cher et valant toutes les concessions. Pour certains, il exerce une fascination, comme un réflexe archaïque de l’homme qui construit sa maison.67 Il permet aussi le recours à une intimité familiale contrastant avec celle de l’habitat collectif,68 et particulièrement avec les grands ensembles à l’insonorisation parfois douteuse développant une proximité dérangeante entre les locataires.

Une multitude de maisons individuelles se construisent alors dans la périphérie des villes, c’est l’exode urbain. Ceux qui peuvent construire sont aussi les plus instruits ou les mieux intégrés dans la société française, car pour cela il faut connaître les formalités, (notaire, architecte etc.), lire les journaux, parler français69. Les locataires des grands ensembles en phase d’ascension sociale, dont ceux du quartier des Poètes, fuient les difficultés de leur quartier et s’installent dans l’habitat pavillonnaire. On assiste rapidement à une évasion des classes moyennes, à un déséquilibre du peuplement dans les quartiers.70

Les logements vacants sont à nouveau attribués, mais les populations défavorisées aux revenus les plus faibles sont maintenant majoritaires dans les demandes de logement. En 1985, la résorption des bidonvilles amène beaucoup de jeunes et d’enfants en provenance de communautés déracinées et tenues à l’écart de la société française : une partie d’entre eux présente d’énormes lacunes d’intégration. Dans le quartier, la plupart des habitants doivent faire face à de grosses difficultés financières. On assiste à un manque de mixité conduisant à un phénomène de

67 Colette Pétonnet, Espaces habités, Ethnologie des banlieues, Paris, 1982, Editions Gallilée, p.95 68 Alain Faure, Les premiers banlieusards, aux origines des banlieues de Paris (1860-1940), Paris, Editions Créaphis, 1991 69 Colette Pétonnet, Espaces habités, Ethnologie des banlieues, Paris, 1982, Editions Gallilée, p.9570 Pierre Merlin, Des grands ensembles aux cités, l’avenir d’une utopie, 2012, Paris, Editions Ellipse

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paupérisation du quartier des Poètes. Celui-ci amène à la création progressive d’un ghetto au sein de la commune de Pierrefitte.

« Au début des années 80, à Brassens il y avait un peu de tout : beaucoup de collègues de la ville, des fonctionnaires qui venaient d’arriver sur Paris, qui étaient assez jeunes et qui ont été logés là quelques années. Très vite ça a périclité parce qu’il y a eu des problèmes de cambriolages avec les terrasses, puis le chômage. Il y a eu un turn-over, un changement de population qui s’est fait rapidement, et au final une population principalement immigrée qui à partir des années 90 venait plutôt d’Afrique sub-saharienne avec des revenus très faibles. »Entretien avec Laure Tesson, Service de Rénovation urbaine de Plaine Commune, 25 Octobre 2012

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2/ L’installation d’un malaise

Les défauts de construction de la plupart des bâtiments ayant pesé sur les budgets des habitants qui ont tenté de venir à bout des malfaçons, ou encore les difficulté d’entretien des bailleurs pour cette architecture utopique ont amené à une dégradation du bâti du quartier. Les litiges entre les différents maîtres d’ouvrage n’ont pas permis à la population qui réclame de meilleures conditions de vie d’être écoutée.

Parallèlement à cela, un durcissement de la situation économique et l’importance du chômage qui touche les populations les plus fragilisée ont amené à la création d’une « société de travailleurs sans travail », qui n’ont plus de raisons d’être et se trouvent en situation de rupture sociale. On assista alors à un phénomène de repli sur soi et de découragement face à la dégradation du cadre de vie. L’augmentation des violences et détériorations suivirent.

La réputation des Poètes fut grandement détériorée face à la surabondance de difficultés. Une partie de la population, qui ne se retrouve plus dans ses logements a décidé de quitter le quartier pour accéder à la propriété. Les classes sociales ont été partir de ce moment déséquilibrées, et un manque de mixité fut observé. Le relogement des populations en difficultés dans les appartements vides amena à un phénomène de paupérisation des grands ensembles.

A- Les difficultés d’intégration des nouveaux habitants

Dans le quartier des Poètes cohabitent 4’500 habitants, soit près d’un cinquième de la population Pierrefittoise. La mairie souhaite, en construisant ce quartier, reloger un maximum de Pierrefittois et donner un logement aux enfants des habitants désirant s’installer sur la commune.71 Mais les autres bailleurs l’entendent différemment, et l’office départemental consacre seulement 30% des logements qu’elle a construits aux pierrefittois. Le reste est attribué à une population extérieure à la ville aux parcours multiples, en provenance des lieux les plus divers, d’origine ethniques et nationales variées, mais surtout

71 «ZAC du Barrage», Réunion du Bureau Municipal, 1 février 1984, Archives communales

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n’ayant aucune histoire commune. Les habitants doivent faire face à une première difficulté, l’absence de sentiment d’appartenance, souvent perçu comme facteur de lien et d’intégration.

« Que ce soit dans une famille, dans un quartier, dans une ville, dans un pays, le sentiment d’appartenance à une communauté, à des valeurs, c’est ça qui nous permet de nous intégrer dans un espace avec un ensemble de gens. Si l’on a rien avec les uns et les autres, qu’est ce qui m’empêche de poser un problème ? A l’inverse, si je n’ai pas ce sentiment d’appartenance, qui peut m’aider si j’ai un problème ? C’est aussi un sentiment de solidarité entre les uns et les autres. »Entretien avec Hibat Tabib, Directeur de l’AFPAD, fondateur de l’ancien centre social Georges Brassens, le 03 Décembre 2012

Une partie importante de ces nouveaux arrivants est issue de l’immigration. Cette partie de la population cumule les handicaps économiques de la population nationale, auxquels il faut ajouter le décalage culturel, la barrière de la langue, ainsi que les codes de fonctionnement de la société. Cette population est très fragilisée en France, mais contrainte d’y rester malgré tout, car les difficultés tellesque maladies et pauvreté sont mieux aidées que dans le pays d’origine.72 Ces différents obstacles se traduisent par un sentiment d’infirmité.

On note par exemple la mise à contribution des enfants comme traducteurs pour l’accompagnement dans les démarches, la peur de se perdre, de ne pas reconnaître son logement entraînant la difficulté à sortir de chez soi. Les enfants de migrants sont éduqués par la société française, mais sont sans cesse partagés entre deux cultures : leurs parents craignant les mauvaises mœurs, et surtout qu’ils deviennent des étrangers à eux-mêmes.73 Une importante différence de culture, ainsi que la présence d’un fort sentiment religieux, peuvent être des facteurs allant à l’encontre d’une intégration des habitations dans le quartier et auprès de la population autochtone. L’obligation de vivre à côté d’étrangers

72 Georges Lancon et Nicolas Buchroud, Ces banlieues qui nous font peur... : Une stratégie d’action pour transformer la gestion des quartiers d’habitat social, 2003, Editions l’Harmattan73 Colette Pétonnet, Espaces habités, Ethnologie des banlieues, Paris, 1982, Editions Gallilée

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dans une proximité telle est fréquemment mal vécue par ces habitants, qui ne comprennent pas ces différences.

« J’ai rencontré aussi beaucoup de gens qui étaient relogés par le 1% patronal, qui travaillaient à Aulnay chez Citroën, et qui faisaient venir leurs épouses qui étaient restées au pays. […] Ces braves gens ne maîtrisaient pas la vie collective quelque part… »Extrait de l’entretien réalisé avec Catherine Hanriot le 23 mars 2006 par Elise Guillerm

Rapidement, la proportion d’habitants émigrés ou issus de l’immigration devient importante sur le quartier. Le recensement de 1990 présente 25,8% de la population comme étant de nationalité étrangère. Il n’existe pas de statistique concernant le nombre de personnes d’origine étrangère, mais étant donné que la France applique le droit du sol, on imagine que de nombreux enfants sont nés sur le territoire après l’arrivée de leurs parents, et résident aux Poètes. Dans ce type de situation, l’ethnologue Colette Pétonnet met en avant l’existence d’un « Seuil de tolérance ». Il s’agit du fait qu’un groupe ayant élu domicile dans un lieu, et perçu comme majoritaire peut devenir facteur de déséquilibre, malgré des statistiques prouvant parfois le contraire.74 Si l’hétérogénéité du quartier est mise à mal, le risque existe de créer une dualité entre les autochtones et les émigrés.

On observe cependant une concentration des flux migratoires en Île-de-France qui amplifie ce phénomène. Il est reproché aux bailleurs sociaux à Pierrefitte le choix inavoué de concentrer une population africaine dans le seul quartier des Poètes et d’avoir ainsi créé une situation de ségrégation raciale.75 Cette situation dégrade d’autant plus le climat déjà tendu du quartier que les familles françaises et d’origines étrangères ne perçoivent pas de la même manière leur installation dans des HLM.

« Le partage d’un même espace résidentiel avec les familles étrangères marque, pour les familles françaises, la ténuité d’une distance sociale. Ce marquage spatial est souvent vécu comme un

74 Colette Pétonnet, Espaces habités, Ethnologie des banlieues, Paris, 1982, Editions Gallilée75 Entretien avec des habitants des Poètes, hommes anonymes 25 ans et 40 ans, le 25 Octobre 2012

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CHOMAGE

NON-DIPLÔMES

MOINS DE 25 ANS

MENAGES RECOMPOSES

ETRANGERS

FAMILLESMONOPARENTALES

20 %

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QUARTIER DES POETES

PIERREFITTE-SUR-SEINE

PARIS

CHOMAGE

NON-DIPLÔMES

MOINS DE 25 ANS

MENAGES RECOMPOSES

ETRANGERS

FAMILLESMONOPARENTALES

20 %

40 %

60 %

QUARTIER DES POETES

PIERREFITTE-SUR-SEINE

PARIS

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CHOMAGE

NON-DIPLÔMES

MOINS DE 25 ANS

MENAGES RECOMPOSES

ETRANGERS

FAMILLESMONOPARENTALES

20 %

40 %

60 %

QUARTIER DES POETES

PIERREFITTE-SUR-SEINE

PARIS

RECENSEMENT

DE 1990 :

RECENSEMENT

DE 1999 :

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mode angoissant. Si pour les familles immigrées, l’accession au logement HLM représente une ascension sociale, la situation est inverse pour les familles françaises : en effet, l’installation en HLM est, pour un grand nombre, la résultante d’une cassure d’ordre familial ou professionnel, pour certains d’un basculement dans la marginalité provoqué par une extrême pauvreté cumulée à un ensemble de facteurs d’ordre individuel. »Claire Calogirou, Sauver son honneur. Rapports sociaux en milieu urbain défavorisé, 1989, p.19

B- Le quartier victime de la ségrégation

La mixité, déjà faible, s’amoindrit aux Poètes et la population est de plus en plus pauvre. Aux difficultés d’intégration des habitants s’ajoutent un taux élevé de chômage, 19,2% en 1990 dans le quartier, contre 7,9% à l’échelle nationale, puis 21,3% en 1999 contre 10,2%.76 On assiste aussi à une augmentation des bénéficiaires du RMI. Une forte proportion des ménages n’est pas imposable, en 2008 elle correspond à 58% des ménages.

Cet éloignement de l’emploi s’explique par un cercle vicieux dont les habitants du quartier sont les victimes. Sur le niveau scolaire dans un premier temps, une intégration difficile, la barrière de la langue pour les primo-arrivants ou encore les conditions de vies non propices à l’apprentissage, entraînent un niveau faible dans les établissements scolaires des quartiers sensibles. La création des Zones d’Education Prioritaire (ZEP) ne parvient pas à résorber cette différence, mais l’officialise cependant par une volonté de discrimination positive. Les élèves en échec ne présentent pas de manque d’intérêt pour l’éducation, mais un manque de confiance en eux qui s’exprime sous la forme d’une impatience extrême.77 Le système scolaire français s’adapte difficilement

76 Statistiques INSEE, d’après les recensements de 1990 et 1999, http://insee.fr77 Jacques Donzelot, La ville à trois vitesses, 2006, Revue Esprit

Image : Entre 1990 et 1999, le quartier des Poètes accueille de plus en plus de populations fragilisées. Graphique reprenant les données des recencesements de la population de 1990 et 1999, sources INSEE

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à cette situation, de nombreux élèves décrochent de leurs études et en sortent sans formation.

A cela s’ajoute pour d’autres le manque de qualifications professionnelles, de maîtrise de la langue française, du permis de conduire. Les situations familiales éclatées et complexes ajoutent des difficultés de garde d’enfants. L’offre d’emploi dans le bassin de la Seine-Saint-Denis est inadaptée par rapport aux qualifications des habitants du quartiers. La commune de Pierrefitte, en sa qualité de banlieue résidentielle, ne propose qu’un nombre très limité d’offres. Tous ces facteurs sont autant de paralysies face à un marché de l’emploi de plus en plus fermé.

Les habitants passent de stages de formation en périodes de chômage, de petits boulots. La distance spatiale avec les emplois disponibles induit des frais de déplacement importants, ceux-ci rapportent à peine plus que le chômage. Cela crée un phénomène de dissuasion qui entraine la spirale dans laquelle est prise la population. Cette réputation est attribuée aux quartiers sensibles et convainc l’opinion publique. Les habitants tentent de s’en défaire, mais deviennent malgré tout les victimes d’une discrimination à l’embauche. L’adresse ainsi que le quartier d’une personne sont des facteurs négatifs dans une candidature. La population souffre de la stigmatisation de son quartier, son sentiment d’échec est publiquement affiché.78

« Demandez à un livreur de vous livrer « La Redoute », elle vous livre pas ! Les gens ont envie de dire où ils habitent, et là on a l’impression de vivre dans un collectif anonyme qui n’a pas de sens puisqu’on peut même pas y pénétrer et donc on est concentrés, tournés sur nous même… »Entretien avec Catherine Hanriot, maire de Pierrefitte-sur-Seine 1998-2008, propos recueillis par Elise Guillerm, le 22 mars 2006

La banlieue ressentie est pourtant différente de la banlieue imaginée. Les deux tiers des locataires de l’habitat social sont satisfaits de leur logement, mais pas de leur voisinage. La littérature, l’opinion politique, la TV, internet etc. sont une part importante de la construction de

78 Pierre Merlin, Des grands ensembles aux cités, l’avenir d’une utopie, 2012, Paris, Editions Ellipse

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l’imaginaire collectif.79 En mettant en avant les difficultés d’un quartier par la manipulation des médias, ils créent la stigmatisation et l’isolement de ces populations, et les entraînent dans une ségrégation encore plus profonde.

L’ennui s’installe dans les cités, les jeunes se sentent exclus de la société. Certains d’entre eux commencent à utiliser l’isolement comme une ressource. Pour s’en sortir, ils développent une économie parallèle dans leurs quartiers au travers du travail au noir ou des trafics illégaux. Avec ces activités illicites et parfois dangereuses, ils amènent l’insécurité dans les quartiers.80

C- Violences urbaines, délinquance et dégradations

Jusqu’en 1980, les habitants des logements collectifs manifestaient moins de sentiment d’insécurité que ceux des individuels avec 36% contre 39% en 1977. Par la suite, cette sensibilité s’est considérablement inversée, 60% des habitants de logements collectifs se sentent en danger contre 48% des habitants de logements individuels en 1984.81 Les Poètes ne font pas l’exception : s’il est certain qu’il n’existe pas de corrélation entre les violences urbaines, la paupérisation de la population, et la proportion d’immigrés,82 l’échec de l’intégration des jeunes dans l’univers social au sein duquel ils évoluent remplacent l’enthousiasme des premiers temps par un climat de désenchantement, de monotonie. La délinquance s’installe progressivement dans le quartier.

Qu’elle soit culturelle, scolaire, ou encore liée à l’emploi, la violence des institutions est en partie à l’origine de ce type de comportement. La devise de la République française « Liberté, égalité, fraternité » semble hypocrite face à l’exclusion qu’ils subissent au quotidien. Celle-ci crée chez ces personnes un sentiment de rage, et l’attitude adoptée devient

79 Hervé Viellard-Baron, « La banlieue, question de définition » in Banlieues, une anthologie, Lausanne, 2008, Presses Polytechniques et Universitaire Romandes80 Jacques Donzelot, La ville à trois vitesses, 2006, Revue Esprit81 Pierre Peillon, Utopies et désordres urbains, 2001, p.20682 Georges Lancon et Nicolas Buchroud, Ces banlieues qui nous font peur... : Une stratégie d’action pour transformer la gestion des quartiers d’habitat social, 2003, Editions l’Harmattan

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la provocation. La frustration et la colère accumulée par les jeunes amènent dès lors à des regroupement en bandes, des dégradations, un rejet du pouvoir, de la loi, des violences envers des personnes, les biens matériels, des insultes, du trafic etc.

Seul le principe de fraternité est retenu de la devise française, et devient un refuge. Les quartiers en difficulté doivent faire face à la naissance d’une société particulière, la nature contrainte de l’entre-soi. Le regroupement en bande donne naissance à la création de valeurs propres : honneur, solidarité, plaisir de casser. Le fait d’imposer aux plus faibles ses valeurs permet de dégager un sentiment de peur. Selon le sociologue Jacques Donzelot, cette attitude est un symbole de recherche de reconnaissance. Il est amplifié par la création d’une économie parallèle du trafic, permettant l’investissement de l’argent vite acquis dans le pays d’origine, et par la même occasion permet d’exister aux yeux des autres.83

En 1987, le quartier des Poètes est marqué par le début de la guerre des gangs. La grande proximité avec la cité André Gide de Sarcelles mène à des conflits entre les deux entités. Les deux collèges de Pierrefitte créent aussi une division au sein de la ville, le Nord affronte le Sud. La place Georges Brassens et les espaces communs des bâtiments sont le théâtre d’affrontements et de la délinquance.

En 1992, Lucienne Bui-Trong, commissaire aux Renseignements Généraux établit une classification de la dangerosité des quartiers. Elle place les Poètes au sixième échelon d’une échelle en comportant huit, soit : « Action préméditées et organisées contre policiers et gendarmes : attaque ouverte du commissariat / Embuscades, guet-apens, pare-chocage, volonté de blesser ».84

Les violences se retournent aussi contre la cité elle-même. Les sous-sols sont le lieu de dégradations de voitures, de pillages. Les commerçants ainsi que la gardienne subissent plusieurs fois des braquages. Sortir

83 Jacques Donzelot, La ville à trois vitesses, 2006, Revue Esprit84 Lucienne Bui-Trong, L’insécurité des quartiers sensibles : une échelle d’évaluation, Les cahiers de la sécurité intérieures, août - octobre 1983

Image : Les parties communes sont dégradées et désertées. Photographies de Guido Prestigiovanni, in La Cité des Poètes, 2009

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de chez soit revient à se mettre en situation d’insécurité. Les habitants prennent peur et n’osent plus sortir de chez eux après la tombée de la nuit, ils ne reçoivent plus non plus de visites. Le quartier se trouve moralement enclavé, il est déserté. Seuls ceux qui se trouvent contraints font l’effort de s’y rendre. La crainte des représailles tient les Poètes dans le silence.

« Dans les pays du tiers monde, il n’y a pas d’Etat de droit, mais les gens réagissent. Il y a une opinion publique. En France, en revanche, il existe un Etat de droit, mais il présente des failles dans les quartiers difficiles, ou les habitants ne réagissent pas face à la violence. Ils ont peur, mais n’osent rien dire. »Hibat Tabib, propos recueillis par Marie-Pierre Subtil, Agir et Prévenir à la Cité des Poètes, Le Monde, 1999

Cette violence est favorisée par l’architecture des bâtiments Brassens et Desnos. Les nombreux coins et recoins proposent de petits espaces isolés et à l’abri des regards, permettant toute sorte d’activités illicites. Ils sont propices à l’insécurité du quartier. Suite à cela, les passerelles, couloirs, culs-de-sac, la verrière de la place Desnos, éléments architecturaux censés favoriser les rencontres sont devenus autant d’éléments anxiogènes qui incitent le passant à ne pas s’attarder.85

« C’était des parties communes gigantesques, avec des passerelles, des coursives, des couloirs, des entrées partout : c’était labyrinthique. Beaucoup de couloirs formaient des petits goulots coupe-gorges. J’ai connu le quartier à cette époque là, et on faisait très attention. »Entretien avec Laure Tesson, Service de Rénovation urbaine de Plaine Commune, 25 Octobre 2012

Quant au souhait des architectes de favoriser la communication entre les habitants, il est malheureusement utilisé à mauvais escient. Les terrasses en gradin permettent aux jeunes délinquants de se rendre dans les étages en toute discrétion en escaladant facilement les façades. Les appartements sont fréquemment visités, et parfois cambriolés plusieurs

85 Commentaire anonyme posté le 9 décembre 2009 sur http://archipostcard.blogspot.ch/2009/10/la-cite-des-poetes-pierrefitte.html

Image : Les couloirs sombres du bâtiment Denos, lieu de dégradation et de violence. Photographie de Guido Prestigiovanni, in La Cité des Poètes, 2009

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fois dans la même année. Les habitants sont séquestrés chez eux, ils n’osent plus sortir ou partir en vacances de peur de ne pas retrouver leurs biens à leur retour.

« Je n’avais jamais l’esprit tranquille ici, quand je partais travailler j’avais peur que les jeunes passent par mes terrasses, rentrent chez moi me prendre mes affaires, comme ils l’ont fait chez mon voisin à deux reprises. »Habitant du quartier, homme anonyme, « La Cité des Poètes, une destruction planifiée », un film de Mathilde Chikitou, 2009

La violence des jeunes se retourne contre un lieu in-appropriable. Les jeunes délinquants s’approprient le bâtiment par le détournement. Cette violence peut être perçue comme un mode élémentaire d’appropriation du territoire par la domination : « Dire la limite du territoire que l’on juge le sien ». Ils s’accommodent des contraintes du bâti en utilisant par exemple le dédale crée par les architectes pour passer d’appartements en appartements sans aucun soucis.

« Le bâtiment était très communicatif dans la pensée de l’architecte, le but étant que les habitants puissent se parler de chez eux. Le problème c’est que c’était surtout communicatif pour les voleurs qui passaient d’un appartement à l’autre. Tous les moyens faits pour que les gens communiquent, bien sûr c’était idéal, mais pas dans un contexte comme tel […] Quelque chose qui peut très bien marcher dans un lieu peut être pire dans un autre contexte. Cette architecture n’était pas adaptée par rapport au niveau de délinquance, de violence, aux jeunes qui dominaient l’espace… »86

Entretien avec Hibat Tabib, Directeur de l’AFPAD, fondateur de l’ancien centre social Georges Brassens, le 03 Décembre 2012

Le problème de la délinquance est un enjeux d’ordre national, difficile à résoudre quel que soit le type d’architecture. Cependant, l’architecture alambiquée des Poètes ajoute une difficulté supplémentaire aux forces de l’ordre souhaitant intervenir sur le quartier. Les délinquants ont une connaissance très précise de leur quartier et la mettent à profit en utilisant

Images : Les terrasses du bâtiment Brassens, communiquant les unes avec les autres. in Yves et Luc Euvremer, Fragments de ville, Paris, Sodétat 93, Carte Segrete 93, p28

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le labyrinthe formé par les passerelles et coursives pour échapper aux forces de l’ordre lors de course-poursuites.

La difficulté d’accès au quartier, de part son choix d’être piéton, ralentit aussi les démarches d’intervention policière. Son emplacement limitrophe du Val d’Oise est aussi un obstacle supplémentaire. La proximité de Sarcelles et la frontière avec cette commune crée des tensions au niveau de la gestion policière du quartier : les policiers de Sarcelles ne peuvent pas intervenir dans Pierrefitte car il ne s’agit pas du leur, et vice versa. Les Poètes sont livrés à eux-mêmes et deviennent une zone de non-droit.

D- Une dégradation de l’habitat

La représentation que chacun se fait du quartier diffère selon les catégories de population. En effet, le sentiment d’insécurité n’est pas perçu de la même manière par chacun, et c’est pour les voisins tels que les habitants de pavillonnaire qu’il est le plus dérangeant. Pour les institutions, la délinquance a aussi son importance car elle entraîne la détérioration du bâti. Mais pour les habitants, les premiers reproches vont envers les malfaçons, les infiltrations et l’absence d’entretien de leur quartier.87

Une appropriation inattendue des espaces publics dégage par ailleurs quelques inquiétudes quant à l’évolution du cadre de vie.88 « On peut cependant noter que l’écorçage des jeunes arbres par des passants ou le rejet des détritus dans les plantations ne constituent pas des facteurs favorables à un environnement de qualité, pas plus d’ailleurs que les déjections des animaux domestiques sur les pelouses ».89

87 Pierre Peillon, Utopie et désordres urbains, 2001, p.140 in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.15688 Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.13389 Lettre de l’adjoint au maire à la société Gestion immobilière Services, datant du 30 juillet 1986, Archives communales, 965 W 311-2

Images : Photographies de la place Brassens occupée par les voitures, et du bâtiment Brassens dans un état de dégradation avancé, anonyme, non datées, http://tess2pierrefitte93.skyrock.com/

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La volonté d’un quartier piéton est aussi un échec. Certains parkings sont inondés et inutilisables. D’autres, en raison des scènes de violence qui s’y déroulent, sont peu fréquentés. Les habitants cherchent à stationner au plus près possible de leurs immeubles, et utilisent pour cela les espaces publics. La municipalité déplore le « nombre de plus en plus important de véhicules qui encombrent l’aire de jeux et les zones piétonnières de la cité. »90

La copropriété Mermoz présente aussi des difficultés peu de temps après sa livraison. Les propriétaires des appartements sont en effet une population aux revenus relativement faibles, qui a contracté des emprunts à taux élevés étant donné le peu d’apport personnel, et dont le taux d’effort est très important pour pouvoir assumer le remboursement.

« Le niveau d’endettement d’une majorité des copropriétaires, ainsi que des impayés de charges importants, perturbent gravement le bon fonctionnement de cette copropriété qui se retrouve notamment dans l’incapacité d’honorer ses factures courantes et de faire face aux besoins en travaux. »Dossier ANRU, « Projet de rénovation Urbaine, Pierrefitte-sur-Seine, quartier des Poètes, Volume 2, Le contexte et l’historique du projet, présentation du projet de rénovation urbaine », janvier 2006, p.20

Concernant le reste du quartier, une répartition des espaces aux frontières inexactes perturbe l’entretien. « Vous avez un espace public dont on ne sait pas trop à qui est-ce qu’il appartient. Est-il à la ville, à un bailleur ? On ne sait pas… », déclare Reda Karroum, directeur du centre social Maroc-Châtenay-Poètes depuis 2009.91 La multiplicité des bailleurs sociaux sur un si petit territoire entraîne des difficultés de gestions. Ce n’est pas à un interlocuteur qu’il faut s’adresser, mais auprès de quatre différents, chacun appliquant sa propre politique d’intervention.

La « théorie de la vitre brisée » sembla s’appliquer au quartier. Celle-ci soutient qu’une petite dégradation, si elle n’est pas vite remédiée, en entraîne une seconde par l’amorce d’un cercle vicieux. Ainsi, on

90 « ZAC du Barrage », réunion du Bureau municipal, 19 février 1982, Archives Communales, 96 W311-191 Entretien avec Reda Karroum, directeur du centre social et culturel Maroc-Châtenay-Poètes, Pierrefitte-sur-Seine, le 24 Octobre 2012

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observe aux Poètes que le laisser aller du quartier l’a amené à un état de délabrement rapidement ingérable.92

D- Un abandon des gestionnaires

Face à la violence et la détérioration de leurs bâtiments, les bailleurs sociaux adoptent des comportements différents. Pour tous, la dégradation du quartier n’est pas de bonne augure puisqu’elle amène à une désertion de celui-ci. En 1992, 28% des appartements sont vacants, et ne sont pas plébiscités malgré qu’il existe 1’200 demandes de logements sur la ville. Les commerces du quartier ferment un à un. Cela entraîne une réaction en chaîne et les appartements sont de plus en plus difficiles à louer.

En 1992, les bailleurs se réunissent pour l’amélioration du quartier. Leur première action est remarquable et symbolique. Ils entreprennent de gros effort d’amélioration de l’habitat et de la qualité de vie avec notamment la construction d’un local poubelles, la rénovation des façades et des halls, la réparation des ascenseurs, et l’installation de digicodes.93 C’est à cette époque que la façade rose du bâtiment Brassens sera d’ailleurs repeinte en beige.

Au cours des années suivantes, les actes d’incivilités reprennent cependant le dessus sur cet effort, et la cité est à nouveau dégradée. L’importance des dégradations devient rapidement ingérable, à moins de réagir automatiquement. Pour cela, l’implication des bailleurs varie selon la gestion qui en est faîte. Les tours de Boris Vian disposent par exemple d’un gardiennage qui lui permet d’être très réactif. Maryse Rémy, la gardienne de cet ensemble entre 1978 et 2006, est une habitante du quartier qui permet une évaluation rapide de la situation et une action en conséquence. Certains bailleurs font le choix de sous-traiter la gestion de leur bâtiment, avec l’emploi d’entreprises de ménages ou d’une permanence téléphonique qui ne va pas toujours mesurer le degré de gravité du problème. En ne réagissant pas automatiquement à ces actes de vandalisme, l’état de délabrement de la Cité des Poètes empire.

92 http://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_de_la_vitre_brisée, consulté le 3 janvier 201393 Nathalie Dollé en collaboration avec Hibat Tabib, La cité des Poètes, Comment créer une dynamique de quartier face à la violence, Paris, Editions Le Temps des Cerises, 1998

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Dans le cas précis d’urgences sur le quartier, la réputation des Poètes lui joue une nouvelle fois un tour. Les entreprises d’astreintes qui peuvent être convoquées lors d’une panne exercent leur droit de retrait, de peur d’être agressées durant leur intervention le soir ou la nuit. Ces mesures, bien que parfois utilisées à raison, entrent en contradiction avec les droits des locataires à disposer d’un logement décent.

En 2011, l’exemple d’une coupure d’eau un samedi à 22 heures dans les bâtiments de l’ensemble Jacques Brel crée la panique dans le quartier. Le dimanche la population se mobilise et se rend au gymnase avec des seaux pour alimenter le quartier en eau. La situation ne sera réglée que 24 heures après. Les réactions des habitants sont vives « C’est le moyen âge !», ou encore « Pas une affiche pour nous informer … nous sommes des laissés pour compte ! »94

Les locataires développent avec ce type d’événements un ressentiment très fort. Ils sont atteints par cet habitat dégradé, que ce soit par les malfaçons de la construction ou par les actes de vandalismes, et la ségrégation dont ils sont les victimes. La seule action qu’ils puissent mener pour lutter contre cet abandon serait la création d’associations de locataires, qui ferait le lien entre les habitants et les bailleurs et remonterait ainsi les doléances. Malheureusement, l’absence de sentiment d’appartenance au quartier, ou encore une communication non aisée entre les locataires a installé un climat de laisser-aller qui n’encourage pas à ce type de mobilisation.

94 « Quatre immeuble privés d’eau potable », Le Parisien, 07.02.2011

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3/ Le rejet du quartier des Poètes

Le quartier des Poètes fut repeuplé suite au départ de ses habitants initiaux, et les nouveaux arrivants eurent à faire face à de nombreux handicaps, culturels comme économiques. Leur intégration dans le quartier en subit les conséquences dramatiques, la qualité de vie diminuant avec les rapports entre les habitants et le sentiment d’appartenance.

La mixité, déja faible, s’est amoindrie. Stigmatisée, la population s’est retrouvée entraînée dans un cercle vicieux l’isolant de plus en plus de la population comme de l’emploi. Le climat de désenchantement et de monotonie a permis l’installation de la délinquance dans les quartiers à partir de 1984. L’architecture est détournée à des fins négatives pour la propagation de la violence dans le quartier. Une zone de non droit apparaît alors, le bâti est la cible des actes de vandalisme.

Devant la dégradation du quartier, les bailleurs appliquèrent chacun leur propre politique d’intervention. Malgré qu’ils tentèrent d’améliorer en 1992 le confort et la qualité de vie des habitants, les actes d’incivilité reprirent le dessus dans les années suivantes. Les réactions furent ensuite plus disparates. Les habitants se sentent abandonnés, méprisés, ce qui augmente le phénomène de leur désintéressement du quartier.

A- Une architecture in-appropriable

Il est fréquemment ressenti par la population que l’architecture et l’urbanisme de l’habitat collectif interdisent l’appropriation du lieu. Cela est particulièrement exacerbée dans le cas d’habitat locatif, qui voue les habitants à un transit permanent, une situation temporaire qui s’étend à l’infini. Les locataires expriment le souhait d’avoir un « chez-soi ». C’est pourquoi Jean Renaudie et les architectes appliquant sa pensée imaginent des ensembles de logements où chaque appartement est unique. Ils souhaitent par cela encourager l’appropriation du logement par les habitants.95

95 Espaces habités, espaces anticipés, Rapport de recherche UMR CNRS 6173 Cités territoires environnement et sociétés, Agence nationale de la recherche, mai 2008

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«On ne peut imaginer qu’il existe une solution unique, une solution-type […] Il n’y a pas deux familles identiques qui vont habiter ces logements et les relations interfamiliales ou entre habitants ne répondent pas à des modèles simples, déterminés à l’avance. La diversité architecturale constitue donc, à mon sens, un élément susceptible de favoriser la vie commune ou semi-commune des futurs habitants. D’où le souci d’arriver à produire des logements qui soient tous différents les uns des autres, loin du principe habituel en architecture qui consiste à produire un appartement-type ». Jean Renaudie, La logique de la complexité, 1992, p. 14 in Espaces habités, espaces anticipés, Rapport de recherche UMR CNRS 6173 Cités territoires environnement et sociétés, Agence nationale de la recherche, mai 2008

Afin de générer cette diversité de logements, une découpe complexe de l’ensemble Robert Desnos donne lieu à des dispositions intérieures originales. Le système constructif nécéssaire à cette disposition ne va pas sans dégager d’importantes contraintes structurelles. Celles-ci génèrent par exemple des espaces étroits ou encore la présence de poteaux tous les cinq mètres, se retrouvant indifféremment au centre d’une pièce à vivre, des espaces de circulation, des cuisines ou salle de bains, rendant les logement particulièrement difficiles à meubler.96

On peut associer le cas de la cité des Poètes à la réception des logements de Renaudie. Un rapport de l’Agence Nationale de la Recherche intitulé « Espaces habités, Espaces Anticipés » s’intéresse à la réception de ces logements par ses habitants et distingue deux types de population. Les premiers sont réceptifs aux intentions de l’architecte, ne disposent que de peu de mobilier ou d’héritage, et sont surtout curieux d’une nouvelle façon d’habiter. Ils déclarent avoir aménagé leur appartement facilement. Le fait que ce type d’architecture soit reconnue nationalement ou qu’ils disposent chacun d’un appartement différent les valorise.

Les seconds avouent en revanche avoir rencontré des difficultés à investir les lieux et à trouver une place pour chaque chose. Ils déplorent la petite taille des chambres au profit des espaces de vie. Pour cela, les logements s’adaptent difficilement dans le cas d’enfants restant tard chez leurs parents, ou de familles devant loger plusieurs enfants par chambre. Les habitants « bataillent avec l’architecture, tantôt reconstituent des

96 Image : Plan de logements de l’ensemble Brassens, in Yves et Luc Euvremer, Fragments de ville, Paris, Sodétat 93, Carte Segrete 93, p28

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angles droits, tantôt bouchent les baies vitrées ou ferment les espaces ouverts. ». Le modèle d’habitat proposé ne correspond pas à leurs normes culturelles d’habitation.

« Tout le monde n’est pas, dès le départ habitant d’un groupe d’immeuble de ce genre là. »Catherine Hanriot, propos recueillis par François Chaslin pour l’émission radiophonique Métropolitains n°305, 15 février 2006

Marc Breviglieri, dans son article au sein de l’ouvrage « Habitat en devenir », met en évidence le fait que la possibilité d’aménager à sa guise son logement est essentielle pour pouvoir l’habiter pleinement.97 Le fait de s’approprier un espace, de se le rendre propre, est en lien avec l’idée que l’on se fait de sa propre situation sociale. Le mal-être éprouvé dans ces appartements ne peut être compensé par une quelconque valorisation sociale de l’architecture. Elle renvoie à ses habitants l’image de leur échec d’ascension sociale.

B- Des choix esthétiques incompris

Les ensembles Desnos et Brassens, comme la majorité des œuvres architecturales du courant Renaudie, présentent une esthétique tout a fait particulière et issue du mouvement Brutaliste dont ils ont été inspirés. Ce style architectural apparaît en Grande-Bretagne dans les années 1950, avec les réalisations des architectes Alison et Peter Smithson et la parution de l’ouvrage « New Brutalism » du critique Reyner Banham. Cette architecture se qualifie par sa vérité constructive98, son dépouillement et la simplicité de ses effets plastiques. L’usage du béton brut est fréquemment retrouvé.

Jeronimo Padron-Lopez et les frères Euvremer ont appliqué ces théories sur leurs bâtiments, en ajoutant la volonté d’adoucir le béton par la présence d’une végétation luxuriante offerte aux locataires lors

97 Marc Breviglieri, Habitat en devenir, 200998 La vérité constructive peut se comprendre par le fait de ne souhaiter pour un bâtiment qu’une affirmation de sa technique de construction.

Image : Plan de logements de l’ensemble Brassens, in Yves et Luc Euvremer, Fragments de ville, Paris, Sodétat 93, Carte Segrete 93, p28

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de leur installation dans les appartements. Installées sur les terrasses, les plantes faisaient partie intégrante de la composition architecturale. Malheureusement, un décalage culturel, ainsi que le cumul de difficultés des habitants combiné aux malfaçons de la construction ont amené la population à délaisser la plupart des terrasses. L’effet obtenu se démarque largement de celui escompté.

Les réactions des habitants vis à vis de l’esthétique des bâtiments sont nombreuses et rudes. Lors d’un concours de photographies organisé par la RATP en 1993, David un jeune Pierrefittois de15 ans habitant dans un pavillon a photographié la cité Robert Desnos : « Je n’aimerais pas vivre ici. Tout est gris. Quand on ouvre la fenêtre, on voit la même tristesse. Même les fleurs sont séchées.»99 L’univers gris et bétonné s’apparente dans l’imaginaire collectif à un synonyme de tristesse. Pour les habitants des Poètes, il n’est pas compris comme un choix esthétique mais est assimilé aux déboires qu’a connus le chantier. Dans les esprits, il est devenu souvent synonyme de malfaçon, de défaut de finition.

« Au début c’était bien. Malheureusement, ça n’a jamais été terminé. C’est resté toujours gris, cela n’a jamais été peint. »Habitant du quartier, homme anonyme, « La Cité des Poètes, une destruction planifiée », un film de Mathilde Chikitou, 2009

Catherine Hanriot, la Maire de Pierrefitte de 1998 à 2008 se livre elle aussi à cet amalgame, critiquant « le côté dégradé, pas fini, tout est du béton brut ! ça a jamais été peint »100 Jacqueline Coignard, journaliste à Libération, parle de l’ensemble Robert Desnos dont « les angles restent couleur béton naturel ». Elle compare même l’esthétique du séjour urbain à « un hangar désaffecté ».101 Cet espace, dessiné avec beaucoup de précision par l’architecte, ne sera jamais utilisé comme il le

99 E.M., « Par le mécénat social, la RATP amadoue la banlieue » Libération, 29 janvier 1993 in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.153100 Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.154101 Jacqueline Coignard, « Retricoter du lien social », Libération, 21 mai 2002

Image : La majorité des terrasses de l’ensemble Desnos sont délaissées par les habitants. L’effet escompté est loin de lui obtenu. Photographie anonyme, non datée, http://tess2pierrefitte93.skyrock.com/

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souhaitait. Véritable caisse de résonance, la verrière qui aurait dû abriter jeux d’enfants et rencontres, fait l’objet de nombreuses discordes entre habitants du quartier. Certains diront à propos de celle-ci : « L’architecte avait une vision qu’on n’a jamais su exploiter ».102

Les bâtiments se qualifient aussi par la réflexion des architectes portée sur les espaces extérieurs communs. Les saillies irrégulières dans le bâtiment Brassens forment des placettes. Ils ont pour but de dégager plusieurs espaces de convivialité et de favoriser l’appropriation active des lieux par la rencontre entre les habitants. Mais la cité n’est pas un village, c’est un groupement contraint. Cet espace voulu social apparaît comme hostile et inconnu tant que l’habitant ne l’aura pas humanisé à son tour.103 Comme l’explique l’ethnologue Colette Pétonnet : « Une cour centrale et nue, ronde par surcroit, est aussi terrifiante qu’un mirador. » 104

Aux Poètes, ces recoins sont devenus le théâtre d’autant de violence qu’elles échappent à ses habitants. La dégradation ainsi que le manque d’entretien des parties communes font de ces lieux des espaces in-appropriables et rejetés par les habitants. Dans ce contexte, les idées futuristes des années 1980 sont un fiasco.

C- Une stigmatisation des formes urbaines

Ce que l’on qualifie généralement de « forme urbaine » tente d’analyser une multitude de facteurs, allant de la typologie d’un bâtiment à la description d’une partie d’un territoire. Dans un premier temps, nous pouvons constater que la forme des barres et tours des grands ensembles est facilement repérable en opposition à l’environnement urbain tels que les quartiers pavillonnaires de banlieue.

102 Collectif, Les Poètes, un passé, un avenir, 2011, Plaine Commune - Communauté d’agglomération, 2011103 Colette Pétonnet, Espaces habités, Ethnologie des banlieues, Paris, 1982, Editions Gallilée104 Colette Pétonnet, Espaces habités, Ethnologie des banlieues, Paris, 1982, Editions Gallilée

Image : Le béton brut du bâtiment Desnos, assimilé par les habitants à un bâtiment « non fini ». Photographie de Gian Paolo Minelli, 2009

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Desnos et Brassens sont soumis à des critiques proches de celles qui avaient accompagné la réception des grands ensembles. Ces critiques vont vers un type d’édifice et ne sont plus liés à un parti esthétique. La Sarcellitte, terme utilisé depuis les années 1960 pour décrire la « maladie du gigantisme et de l’isolement » 105 semble avoir atteint le quartier. Il subit une mauvaise réception des autres habitants de la commune. Ceux-ci ont une vision unilatérale des quartiers, tous assimilés à des cités, à des zones. Les architectes en rupture avec le grand ensemble se retrouvent ainsi rattrapés par le débat sur le rapport entre forme urbaine et contenu social. Ce processus de stigmatisation des grands ensembles est lourd de conséquences sur les représentations des quartiers d’habitat social.

Le quartier des Poètes se distingue aussi par sa forte densité. Lors du recensement de 1999, le quartier comptabilise 3’005 habitants, soit 19’350 habitants par km2, la moyenne de la ville étant de 7’853 habitants par km2. Les Poètes est la zone la plus dense de la ville.106

« Quand j’étais jeune collégienne, je trouvais qu’ils construisaient beaucoup aux Poètes. Une fois mariée, je me suis rendue compte que les demandes de logements étaient vraiment importantes sur la commune. Il y avait une forte proportion de population jeune et pierrefittoise qui désirait avoir un logement sur la ville : il était donc important d’avoir du logement social. En revanche, c’est vrai que lorsqu’ils ont construit Desnos, j’ai trouvé qu’ils avaient un peu abusé. Autant, lorsque Brassens a été construit c’était assez joli, mais après le quartier est devenu vraiment trop dense. »Entretien avec Farida Galou, référente Famille du centre social et culturel Maroc-Chatenay-Poètes, Présidente de l’association des Femmes Pierrefittoises et habitante de Pierrefitte, 24 Octobre 2012

105 Denis La Mache, L’art d’habiter un grand ensemble HLM, 2006, L’Harmattan106 Dossier ANRU, « Projet de rénovation Urbaine, Pierrefitte-sur-Seine, quartier des Poètes, Volume 2, Le contexte et l’historique du projet, présentation du projet de rénovation urbaine », janvier 2006, p.9

Image : Derrière les pavillons de Pierrefitte, les grands ensembles sont facilement repérables. Croquis réalisé le 27 septembre 2012.

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La densité bâtie est un facteur important de perception de l’espace par l’homme. L’anthropologue Edward T. Hall étudie l’influence de la densité sur les comportements humains au travers d’expériences sur des animaux. Il conclut de ses travaux qu’elle peut-être à l’origine de stress et perturbations.107

« Si l’on veut accroître la densité d’une population de rats tout en gardant les animaux en bonne condition physique, il suffit de les placer dans des boîtes séparées, de façon qu’ils ne puissent pas se voir […] On peut empiler indéfiniment les boites. Malheureusement les animaux ainsi enfermés deviennent stupides. »Edward T. Hall, La dimension cachée, New York, 1966

Ce type de discours a été repris dans les critiques des grands ensembles pour dénoncer leur univers « inhumain ». Cependant, l’architecture du courant Renaudie favorisant la communication entre les habitants s’efforce d’éviter ce genre de situation. Par contraposition, on pourrait reprocher une trop grande proximité entre les habitants à l’origine de leur malaise. Julien Darmon, dans son ouvrage « Villes à Vivre » nous rappelle un élément important : « La perception de la densité a peu à voir avec les mesures quantitatives. Il faut notamment distinguer la densité choisie et la densité subie. Les grands ensembles sont rejetés parce qu’ils sont largement imposés à des populations qui ne désirent pas y vivre.» 108

L’anthropologue Amos Rapoport partage ce point de vue dans le livre « Culture, Architecture et Design ». Il y explique qu’il existe un lien entre l’environnement et le comportement d’une personne. Des environnements semblables peuvent produire des effets très différents sur les individus en fonction des caractéristiques qui sont les leurs. Selon sa théorie, beaucoup de ces caractéristiques sont culturelles ou influencées par la culture.

107 Edward T. Hall, La dimension cachée, New York, 1966108 Julien Darmon, Villes à vivre, 2011, p.99

Image : La proximité entre les habitants, derrière les rideaux d’un appartement du bâtiment Brassens. Image extraite de « La cité des Poètes, une destruction planifiée », un film de Mathilde Chikitou, 2009

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« La densité et le surpeuplement sont perçus très différemment par les membres de différents groupes, de telle sorte que les mêmes normes ne peuvent être appliquées et qu’un nombre identique de personnes par habitation sera évalué très différemment par les uns et les autres et aura donc des conséquences diverses. »Amos Rapoport, Culture, Architecture et Design, 2000, p.50

La ville dense est possible si elle désirée, mais aussi à condition d’être intense et compacte. Elle peut l’être en terme d’activités, avec un accès facilité à un large éventail de services, de commerces, d’équipements et d’emploi. Malheureusement, le quartier des Poètes et sa population rejetée semblent exclus de cette dynamique.

« On me dit, «Mais Paris c’est très dense, les Champs-Elysées par exemple !», je réponds «Bien sur, ceux-là vous me les mettez à Pierrefitte et il n’y a pas de soucis, je signe !». Parce que c’est vrai qu’on peut vivre dans une zone dense si la moyenne des revenus tourne entre 5 et 10’000 euros, mais ce n’est pas la même chose quand la moyenne tourne entre 500 et 1’000 euros. Les gens ne vivent pas de la même façon, c’est ça que les gens ont parfois du mal à intégrer. »Michel Fourcade, Maire de Pierrefitte-sur-Seine depuis 2008, 22 Octobre 2012

Cette architecture pensée en période de plein emploi est donc amenée à fonctionner dans un contexte tout autre. L’absence de malfaçons, ainsi qu’une meilleure situation économique et sociale des habitants semble indispensable pour une appropriation du bâtiment. Les malfaçons restent néanmoins un défaut qui dans tous les cas porte préjudice à cet architecture. Le cas est d’ailleurs vérifié, puisque une opération identique au bâtiment Brassens a été réalisée dans le 94. Celle-ci est actuellement dans un état tout à fait correct, et sa population se plaît à y vivre. En tous les cas, l’architecture ne peut être jugée seule responsable de la situation du quartier.

« Les environnements ne sont pas déterminants dans la mesure où ils ne peuvent être à l’origine d’un comportement (au sens large des actions, pensées, sentiments etc.). Ils ne peuvent que favoriser ou inhiber certains comportements, processus cognitifs, humeurs et autres. On est en droit de penser que les environnements inhibiteurs

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ont plus d’effet que les environnements favorables, car il est plus facile de bloquer des comportements que d’en générer.»Amos Rapoport, Culture, Architecture et Design, 2000, p.21-22

D- Ségrégation spatiale

Le rejet dont les habitants des Poètes sont victimes n’est pas la seule raison de leur isolement. Celui-ci commence d’ailleurs par leur isolement physique, par rapport aux quartiers environnants, mais aussi par rapport à l’ensemble de la commune de Pierrefitte-sur-Seine.

Dès la conception du quartier, les architectes émettent des réserves quant à son emplacement. La Route Nationale 1, qui borde le secteur ouest, est un axe routier structurant qui voit passer chaque jour 45’000 véhicules.109 Si elle fait office de lien Nord-Sud dans la commune, l’importance de son trafic a aussi la particularité d’exercer une forte coupure entre l’Est et l’Ouest. Ses aménagements la rendent difficilement traversables, pour les véhicules comme pour les piétons. Pour pallier aux fortes nuisances sonores qu’elle dégage, un talus présentant une forte déclivité a été aménagé auprès du quartier. La séparation physique en est d’autant plus accentuée qu’elle devient visuelle.

Afin de proposer une vie de quartier stimulante et semblable à celle d’un petit village, les architectes ont fait le choix de rendre le quartier entièrement piéton. Il n’est donc pas possible d’y accéder avec son véhicule. Les places de stationnements se trouvent en sous-sols et sont destinées aux habitants. A l’extérieur, peu de places sont proposées à d’éventuels visiteurs. Toute personne extérieure doit donc se rendre aux Poètes par les transports en communs. Malheureusement, ceux-ci desservent mal la zone. Le quartier est éloigné du centre-ville de Pierrefitte, de la gare RER de Pierrefitte-Stains, ainsi que des stations de métro dans la zone Sud de la ville.

Le manque d’activité est aussi un facteur d’isolement du quartier. Le peu de commerce est destiné à un usage de proximité et sert uniquement aux habitants pour du dépannage. En effet, à quelques kilomètres de là, le long de la nationale 1, se trouvent plusieurs grandes surfaces

109 Plan local d’urbanisme, Commune de Pierrefitte-sur-Seine, département de Seine-Saint-Denis, 2009

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aux coûts moindres qui attirent les habitants de toute la commune. De tous les équipements sociaux initialement prévus par le programme du quartier, seul le gymnase a été réalisé, et est principalement utilisé par les habitants des bâtiments environnants. Pour se rendre aux Poètes, il faut donc le désirer. Le quartier n’est jamais traversé par hasard par les habitants de la commune.

Sa situation le détermine rapidement comme un quartier « trop coupé par rapport au reste de la ville et plus rejeté sur Sarcelles que sur Pierrefitte ».110 Les quartiers André Gide et Les Vignes Blanches de Sarcelles sont accolés au quartier des Poètes, et communiquent entre eux. Rapidement, ils forment une seule unité, et notamment à cause de la coloration d’une partie de leurs bâtiments sont renommés par les habitants « La Cité Rose ». Ces populations vivent ensembles malgré la frontière entre deux villes, deux départements. Le sentiment d’appartenance à la commune et l’intégration de la population dans la vie locale en souffre une fois de plus.

« Dans la philosophie des jeunes et des habitants, ces trois quartiers faisaient parti d’un seul et même quartier. C’est pour cela que c’était compliqué, car les gens ne connaissent pas les frontières. Deux personnes habitant à dix mètres l’une de l’autres étaient plus proches que deux personnes habitant la même ville. Mais les habitants de Sarcelles allaient dans des écoles de leur commune, et ceux de Pierrefitte restaient à Pierrefitte. Il y avait cette ambiguïté là. Sarcelles est aussi une plus grosse ville avec de nombreuses infrastructures, les habitants participaient majoritairement aux activités proposées par Sarcelles. Cela a accentué la fracture Nord-Sud dans la commune de Pierrefitte. »Entretien avec Reda Karroum, directeur du centre social Maroc-Châtenay-Poètes, Pierrefitte-sur-Seine, le 24 Octobre 2012

110 « Compte-rendu de la réunion du 5 avril 1978 », p.1 Archives communales 965 W 311-1, cité par Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.112

Image : Le quartier des Poètes (au centre) est isolé par rapport à l’environnement pavillonaire de la commune. Son absence de voirie l’associe aux quartiers limitrophes de Sarcelles. Photographie aérienne 2000.2005, IGN, géoportail.fr

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E- La ville à trois vitesses

La localisation du quartier des Poètes correspond à une logique nationale de territorialisation des classes sociales qu’a notamment étudié le sociologue Jacques Donzelot. Mis en valeur dans son réputé article « La ville à trois vitesses », cette théorie analyse une nouvelle ségrégation horizontale à la périphérie des villes, venant remplacer la ségrégation verticale des immeubles bourgeois des années 1850 111 : soit, les riches se retrouvent au cœur des villes, les pauvres à l’extérieur, et les classes moyennes encore plus éloignées.

Nous avons précédemment étudié les mécanismes qui ont amené à la construction d’un quartier de logements sociaux dans la commune de Pierrefitte. Cependant, nous pouvons nous étonner que cette ville, qui il y a un siècle à peine était peuplée de populations les plus diverses ait aujourd’hui à faire face sur l’ensemble de son territoire à une population aux revenus de plus en plus faibles. La commune dans son intégralité subit une ségrégation à une échelle que l’on peut qualifier de régionale.

En effet, l’arrivée d’une population en difficulté d’intégration économique comme sociale dans une commune, telle que celle des Poètes à Pierrefitte, entraîne un phénomène de rejet de la part des autres habitants. Similaire au « seuil de tolérance »112, le « seuil de rupture » peut transformer une commune en territoire défavorisé, et créer une perte de l’attractivité. Le souci des politiques est de maintenir la classe moyenne là où les pauvres provoquent leur départ : l’équilibre républicain est dépendant d’une composition sociale.

Les parcelles étant moins chères au fur et à mesure que l’on s’éloigne de Paris. Les classes moyennes les moins fortunés se retrouvent à l’extrémité extérieure. Leur installation dans le péri-urbain est un gage de tranquillité de voisinage. L’achat du logement dans ces communes se fait généralement à l’âge de scolarisation des enfants, elle est perçue comme un ticket d’entrée dans cette nouvelle caste. La rupture avec les milieux défavorisés est totale pour ne pas être vaine : il arrive par

111 Pierre Merlin, Des grands ensembles aux cités, l’avenir d’une utopie, 2012, Paris, Editions Ellipse 112 Voir le chapitre II-2-A « Les difficultés d’intégration des nouveaux habitants »

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exemple qu’on ne trouve pas d’équipements sportifs dans ces communes pour éviter d’attirer une population des cités.113

On assiste à la création d’un « entre soi protecteur », une crainte liée à la protection des espaces et des biens privés. On note d’ailleurs l’apparition en surabondance de clôtures, protections etc., ainsi que d’une quasi-privatisation des espaces communs. Les habitants émettent le souhait de se protéger en créant de nouveaux mécanismes de fermeture : la rue en boucle, l’accès pour riverains uniquement. A l’inverse des cités où l’on assiste à un repli chez soi, on est ici dans le cas de la prolongation de la quiétude du chez soi vers l’extérieur. Malgré que les deux classes se côtoient à la périphérie des villes, ce mécanisme induit un malaise, à l’origine de la création d’un rapport de domination des classes sociales sur les plus faibles. Les classes moyennes se trouvent elles aussi rejetées par les classes aisées, que Jacques Donzelot appelle « les gagnants », et ressentent un fort sentiment d’exclusion.

En effet, les classes les plus aisées retournent quant à elles en ville, où elles n’ont pas à craindre l’insécurité, le prix du foncier étant une barrière suffisante. Le voisinage est valorisateur et les habitants se trouvent face à une situation d’ubiquité : facilité et rapidité des déplacements, proximité de tous les services. La part la plus favorisée des classes moyennes revient elle aussi dans les centre-ville pour goûter au pittoresque, là où il n’y a pas de crainte de se frotter aux classes pauvres, car l’appétit immobilier entraîne le départ des ouvriers, employés et professions intermédiaires.

Face à une telle situation d’exclusion, la bonne foi Républicaine est mise en opposition avec l’hypocrisie sociale, le refus de prendre en compte les particularités des minorités ethniques ainsi que leur confinement dans les endroits les plus défavorisés. La périphérie est marquée par la dépendance, la misère, l’écrasement de sa population exploitée, la répression et la dépolitisation.114

113 Jacques Donzelot, La ville à trois vitesses, 2006, Revue Esprit114 Paul-Henry Chombart de Lauwe, « Périphérie des villes et crise de civilisation» in La banlieue aujourd’hui, 1982, L’Harmattan, p.303-316

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4/ Des tentatives d’amélioration

L’architecture originale du courant Renaudie a crée des dispositions particulière au sein de chaque appartement. Mais la population fragilisée qui s’y est installée a parfois du mal à s’approprier son logement, le mal être éprouvé renvoie à ses habitants l’image de leur échec d’ascension sociale. De plus, une large partie de la population rejette l’esthétique des ensembles Desnos et Brassens. Par sa forme, le quartier est stigmatisé et rejeté par la population environnante.

Les habitants du quartier sont d’autant plus exclus que leur quartier n’est pas relié au reste de la ville. Il se met alors à fonctionner comme un village, en autharcie avec les quartier limitrophes de Sarcelles, ce qui pose de nombreux soucis de gestion.

Isolée des autres classes sociales, la population du quartier est démunie et ne parvient pas à se dégager du cercle vicieux dans lequel elle est tombée.

A- La politique de la ville

Depuis la circulaire Guichard, marquant le désaveu des grands ensembles, la France instaure de nombreux dispositifs spécifiques pour tenter d’apporter des réponses aux maux des quartiers défavorisés des grandes villes. Ce que l’on appelle « politique de la ville » met en place une approche globale des problèmes, agissant à la fois comme une politique sociale et comme une politique urbaine.

« Parce que son champ d’application est multidimensionnel, la politique de la Ville recouvre une très grande diversité d’interventions portant à la fois sur la réhabilitation des logements et l’urbanisme, l’action sociale et culturelle, l’école, l’emploi et l’insertion professionnelle, la prévention de la délinquance et la sécurité. »Cyprien Avenel, Sociologie des quartiers sensibles, 2007, Editions Armand Colin, p.98

Les premières actions démarrent à partir de 1977 avec la Circulaire Habitat et Vie Sociale. Elle est destinée à réhabiliter certaines cités de HLM dégradées par une amélioration de l’aspect extérieur du bâtiment et

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parfois du confort intérieur. Elle propose aussi la mise en place d’actions concourant au développement de la vie sociale tels que l’aménagement des espaces extérieurs, l’implantation d’équipements collectifs, ou la création d’animations sociales. Dans les faits, cette intervention se concentre sur la dimension esthétique au détriment d’une véritable démarche sociale.115 En 1983, la mission « Banlieue 89 » orchestrée par l’architecte Roland Castro essuie les mêmes critiques. Elle concerne exclusivement la réhabilitation des façades des bâtiments, les projets sont perçus comme superficiels.116

En vue de l’échec de l’action sur le bâti, le nouveau gouvernement socialiste réoriente la politique vers une action économique et sociale à travers le lancement du plan « Développement social des quartiers » (DSQ). L’objectif est de s’intéresser à tous les aspects de la vie du quartier, d’abord dans une perspective autocentrée, puis dans une perspective correctrice au moyen de discrimination positive. Il repose pour cela sur trois principes phares : partenariat, transversalité, et territorialisation. Parallèlement à cela, des initiatives se développent et créent les Missions Locales pour l’emploi des jeunes ou encore les zones d’éducation prioritaires (ZEP). Le bilan social de ces actions est considéré comme extrêmement positif, sur le plan qualitatif comme quantitatif. Malheureusement, durant les quelques années qu’ont duré ces actions, la situation économique générale s’est encore dégradée et la situation des grands ensembles aggravée.

À partir de 1990, cette dynamique d’actions est institutionnalisée par la création du Ministère la Ville. Pendant une dizaine d’années, il voit fleurir de nombreux projets : les Grands Projets Urbains (GPU), les Contrats de Ville, l’apparition des Zones Urbaines Sensibles (ZUS), et les Nouveaux Contrats de Ville. Progressivement, ils impliquent un changement d’échelle d’intervention : «On passe du logement à l’habitat, puis du quartier à la ville, jusqu’à l’agglomération, cette

115 Pierre Merlin, Des grands ensembles aux cités, l’avenir d’une utopie, 2012, Paris, Editions Ellipses, p. 110 116 Georges Lancon et Nicolas Buchroud, Ces banlieues qui nous font peur... : Une stratégie d’action pour transformer la gestion des quartiers d’habitat social, 2003, Editions l’Harmattan

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dernière devenant aujourd’hui le niveau pertinent pour le traitement de la ségrégation.» 117

Les quartiers dans lesquels ses initiatives sont appliquées sont sélectionnés en nombre limité par les institutions. Dans un premier temps, le décalage temporel de la Cité des Poètes avec les difficultés des grands ensembles français le tient éloigné de ces actions. A partir des années 1990, il devient cependant urgent de proposer une initiative pour freiner la descente aux enfers du quartier des Poètes.

Alors que les travaux de construction du quartier ne sont pas encore achevés, la commune de Pierrefitte est consciente des importants défauts que celui-ci présente. Dès 1992 une revalorisation de l’ensemble des espaces libres est étudiée dans le cadre du projet municipal « Mieux vivre au quotidien ». Les propositions portent sur l’aménagement des circulations piétonnes, le renforcement de l’éclairage public, la valorisation des espaces plantés, la mise en œuvre d’une signalétique facilitant les accès, l’aménagement de terrains de sports, ainsi que sur la création d’un parcours de santé sur les terrains limitrophes de Sarcelles pour développer des activités communes aux deux villes. Le projet se présente finalement sous la forme d’une réhabilitation légère et partiellement réalisé, se concentrant sur les équipements sportifs et l’entretien des espaces verts. La même année, les bailleurs sociaux se réunissent pour une amélioration de l’habitat et de la qualité de vie des habitants.118

Dans le cadre du Pacte de relance pour la Ville, le quartier des Poètes est classé en 1996 en tant que Zone Urbaine Sensible (ZUS) parmi 751 autres en France. Cette formalisation des « quartiers en difficulté » doit en faire les cibles prioritaires de la politique de la Ville. Si cette classification n’apporte pas de changement immédiat, elle permet la prise en compte de la commune de Pierrefitte dans les dispositifs de Politique de la Ville à partir de l’an 2000. En juin 2000 est signé un Contrat de Ville, suivi en juin 2001 d’une convention Grand Projet de Ville pour le quartier Sud. En 2001, le quartier est retenu dans le cadre

117 Cyprien Avenel, Sociologie des quartiers sensibles, 2007, Editions Armand Colin, p.99118 Nathalie Dollé en collaboration avec Hibat Tabib, La cité des Poètes, Comment créer une dynamique de quartier face à la violence, Paris, Editions Le Temps des Cerises, 1998

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des Opération de Renouvellement Urbain (ORU). Dans ce contexte, la Ville de Pierrefitte et ses partenaires lancent une réflexion d’ensemble pour le réaménagement du quartier des Poètes.

B- L’action du centre social et culturel Georges Brassens

Dès la réception du bâtiment Georges Brassens, une grande salle est mise à disposition des habitants du quartier pour l’organisation de la vie sociale et pour recevoir les initiatives des habitants. Elle permet l’accueil d’activités éducatives avec cours d’informatique ou la présence d’une salle de lecture, et qui permet aussi de tenir des événement culturels comme des expositions, des spectacles, ou encore le salon du regroupement des artistes pierrefittois. Les habitants sont les seuls gestionnaires de cet espace, la vie de quartier est à l’époque rythmée et organisée par l’ancrage historique du communisme.

Au début des années 1990, les conditions se dégradent considérablement. Quatre phénomènes sont relevés par la mairie pour témoigner de l’urgence de la situation : 28% des appartements sont vacants et sans demande malgré les 1’200 requêtes de logement sociaux sur la ville, les commerces ferment un à un, le front national est la deuxième force politique de la commune et comptabilise 16% des électeurs du quartier des Poètes,119 et enfin l’espace public est privatisé par une partie des jeunes, devenu le lieu d’une violence ingérable.

Daniel Bioton le Maire de l’époque, contacte Hibat Tabib, un avocat iranien installé dans la commune voisine de Stains, pour tenter de rétablir une situation normale sur le quartier. La municipalité lui donne carte blanche, ainsi qu’aux habitants motivés. En 1992, le centre social et culturel Georges Brassens voit le jour au sein d’un tissu social riche et douloureux.

«Je n’imaginais pas qu’il existait en France une misère tellement profonde et une violence tellement gratuite »Entretien avec Hibat Tabib, Directeur de l’AFPAD, fondateur de l’ancien centre social Georges Brassens, le 03 Décembre 2012

119 Sandrine Monchicourt, Analyse du contexte local de Pierrefitte, 1996, p.3

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La mobilisation des habitants se fait progressivement au fur et à mesure des mois. En 1993, un événement déclenche une réaction vive : l’émission de débats de société « La Marche du siècle » s’est intéressée au quartiers des Poètes, et a interrogé les résidents de manière à obtenir un « choc des images ». Nombreux sont ceux qui expriment leur désaccord et leur profond mécontentement face au sentiment d’avoir été piégés. Au lendemain de l’émission, ils sont nombreux à se déclarer « fiers de vivre ici ! »120.

« Si le commentateur reconnaît du bout des lèvres que le quartier pourrait être “plutôt agréable à vivre“, que “les espaces verts ont été privilégiés“, c’est pour mettre l’instant d’après, mieux en relief les tags et graffitis que des journalistes, emportés par leur élan, ont été filmer jusque sur les portes de la cité de la ville voisine ! Rien sur la vie associative, le travail quotidien de ces dizaines de bénévoles qui donnent leur temps pour vivre autrement, de l’ouverture des écoles sur le quartier, des luttes des habitants avec leur maire pour obtenir des îlotiers, des activités du centre Georges Brassens. « Pourquoi taire cette autre banlieue, notre solidarité alors que nous en avions tous parlé ? » Interroge Monique, qui en a “assez“ qu’on compare son quartier au “Bronx ou à Chicago“ ». B.S, « La marche du siècle » à la cité des Poètes, Le Parisien, 24 juin 1993

Quelques mois plus tard, l’émission « Saga Cités » met en évidence la violence insoutenable du quartier. Cette prise de conscience d’un ressentiment commun ajoutée à la révolte contre « La Marche du siècle » engendrent un déclic chez les habitants. Pour lutter contre la stigmatisation dont ils ont été les victimes, ils s’investissent d’autant plus dans la vie de quartier. On observe alors une nette amélioration du cadre de vie. Un concept de médiation se met en place au sein du centre, tentant de résoudre les difficultés de communication entre les diverses franges de la population du quartier.

Malheureusement, après deux années et demi de travail dans le quartier, le constat d’échec est total auprès d’une catégorie de jeunes : l’espace public est toujours autant privatisé, le centre social est continuellement attaqué et des personnes agressées. Un important acte de vandalisme

120 B.S, « La marche du siècle à la cité des Poètes », Le Parisien, 24 juin 1993

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dans les locaux marque les esprits au cours de l’année 1995. Par la dégradation du centre, c’est toute son action sur le quartier qui est visée. L’équipe décide de réagir en provoquant un choc chez les jeunes par la fermeture symbolique du centre et un arrêt des activités leur étant destinées. Durant cette période, une réflexion est engagée avec les habitants, les institutions.

« Cinq mois plus tard, le centre social ré-ouvrait, et cette fois avec un projet dans lequel nous avions défini une série de principes : la violence est l’affaire de tous, et pas seulement celle de la police et de la justice ; l’espace public doit être reconquis car la présence des adultes est un élément de prévention. Les parents africains du quartier ont par exemple pris l’initiative d’organiser des rondes pour interdire aux enfants de moins de 15 ans de leur communauté de sortir après 20h. Convaincus qu’il faut « tout un village pour élever un enfant », nous avons entrepris de créer un climat de respect, de confiance avec les jeunes, tout en nous montrant très exigeant avec eux. Nous avons rejeté l’idée que la paix sociale s’achetait et résisté aux jeunes qui arrivaient en force au centre social pour réclamer de pouvoir partir à la neige […] Bien sûr, cela n’allait pas sans risque. Il est arrivé que ma voiture soit dégradée car j’avais opposé un refus à un jeune. Mais je n’étais pas seul. Pour fonctionner, la résistance doit être collective. »Propos d’Hibat Tabib, recueillis par Véronique Berkani, « Il faut tout un village pour élever un enfant », Territoires, avril 2002, p.40-41

Ces principes sont mis en place au cours de l’année. Les parents fournissent une aide précieuse et canalisent les jeunes en rappliquant en masse lors de situations tendues : les jeunes se trouvent impuissant face à l’autorité parentale. Un important travail de reconquête de l’espace public est mené, les habitants se regroupent le soir sur la place Brassens pour montrer qu’elle appartient à tout le monde. Une association, « Les petites graines » plante des fleurs Place Brassens. Une participation des artistes permet aussi l’appropriation de cette architecture difficilement acceptée : les jeunes réalisent une fresque sur un bâtiment et repeignent la partie basse de la verrière pour lutter contre les dégradations.

Le centre social se distingue dès lors d’un lieu de consommation d’activités et devient un levier de rencontre et d’échanges, un organisateur de vie sociale où chacun est acteur et propose. On observe

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la transformation des héros négatifs en acteurs investis, amenant à un recul de la délinquance : la démarche collective entreprise devient un exemple qui suscite l’admiration. Le quotidien Le Monde consacre un article mettant en valeur les actions positives de la Cité et redorant son image121 : l’effet est très valorisateur pour les habitants qui reprennent confiance en leur quartier.

En 1998, le quartier est devenu l’affaire de tous. Tout le monde sans exception s’accorde à dire qu’il y avait eu un changement. En effet, le front national ne récolte plus que 9% des voix dans le quartier, le taux d’appartements vacants est redescendu aux alentours de 7-8%, et les plaintes au commissariat avaient diminuées. En quelques années, la situation des Poètes a donc sensiblement évoluée. Les habitants retrouvent un climat d’apaisement et la vie de quartier particulièrement dynamique semblable à celle de ses débuts.

C- Une nouvelle dynamique communautaire

A la fin des années 1990, la ville de Pierrefitte lance avec neuf autres villes du département une charte intercommunale autour d’objectifs communs de développement. En s’appuyant sur la complémentarité entre les villes, la communauté nouvellement formée agit dans le cadre de compétences qui lui ont été transférées. Les domaines concernés sont l’aménagement du territoire, le développement économique et les services à la population. En 2000 et suite à la loi dite « Chevènement », Pierrefitte devient membre fondateur de la Communauté d’agglomération de Plaine-Commune.

Cette nouvelle dynamique permet de définir des stratégies cohérentes et solidaires sur un territoire d’échelle pertinente. La communauté développe de nombreuses structures groupées sur l’ensemble de la zone : l’université de Paris 13, bibliothèques, cité du cinéma, centres sportifs, aquatiques qui renforcent l’activité d’une partie du département, ainsi que la mise en place d’une multitudes d’activités culturelles et touristiques. Elle est aussi très impliquée dans le développement des transports, de la construction et le domaine de l’emploi.

121 Marie-Pierre Subtil, « Agir et prévenir à la Cité des Poètes », Le Monde, 1er décembre 1999

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Ce dernier point est très important sur le territoire de Pierrefitte. En effet la commune, a été très touchée par le déclin industriel de la Plaine Saint-Denis. Le taux d’emploi communal est très faible avec un ratio de 0,43 contre 0,74 en moyenne en Seine-Saint-Denis. Lorsque l’on compare la répartition des actifs ayant un emploi à Pierrefitte-sur-Seine et celle des actifs Pierrefittois ayant un emploi par secteurs d’activités, des distorsions apparaissent : le remplacement des activités secondaires par des emplois tertiaires ne profite pas à une population peu qualifiée.122 En 1999, l’Institut National des Statistiques recense 33% de chômeurs dans le quartier des Poètes, et 21,2% sur la commune de Pierrefitte contre 11,8% à l’échelle nationale. Le taux élevé de chômage, entraînant une population à faibles revenus est une des premières raisons du mal-être des habitants sur la commune.

« Notre quartier, comme toutes les banlieues, ne souffre pas de l’immigration, comme on voudrait nous le faire croire, de Le Pen à Debré, mais bien sûr du chômage. » José, habitant du quartier des Poètes, propos recueillis lors d’une réunion publique en la présence du réalisateur Patrice Chéreau, in Coll., Bienvenue Patrice Chéreau, 93 Hebdo, 7-13 mars 1997, op. cit.

Aux dispositifs précédemment mis en place de pôle emploi ou de la mission locale, une nouvelle structure gérée par la Communauté d’Agglomération s’installe sur la commune : la Maison de l’Emploi. Elle propose la construction d’un parcours comprenant des formations diverses allant du permis de conduire à l’obtention d’une qualification professionnelle, la préparation aux dossiers de candidatures et entretien, jusqu’à la recherche d’emploi. Cette aide est précieuse pour les habitants, une partie d’entre eux ayant eu à faire face à l’échec scolaire, ne maîtrisant pas la langue française ou vivant des situations familiales complexes.

En parallèle de cela, la communauté d’agglomération incite à la création d’activités économique et l’installation d’entreprises sur son territoire par l’instauration d’une taxe professionnelle unique. Celle-ci doit permettre de baisser les bases d’impositions, auparavant très hautes sur la commune de façon à compenser l’exonération de taxe d’habitation de plus de la moitié de la population communale. La maison de l’Emploi

122 Plan local d’urbanisme, Commune de Pierrefitte-sur-Seine, département de Seine-Saint-Denis, 2009, p.38

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s’efforce d’entretenir un partenariat avec ces entreprises pour proposer les offres d’emplois en priorité aux habitants.

D- L’effondrement du quartier

Durant la quinzaine d’années suivant le début des années 1990, on note trois secteurs d’activités qui tentent de rétablir un équilibre sur le quartier des Poètes. Des actions dans le domaine de la construction, dans le domaine de l’emploi, et dans le domaine de l’accompagnement social. C’est ce dernier qui semble avoir obtenu les résultats les plus convaincants et peut se vanter d’avoir réussi à restaurer une vie de quartier conviviale aux Poètes durant quelques années.

En 2001, Hibat Tabib fonde une association pour la Formation, la Prévention, et l’Accès au Droit, qui a pour but de répondre aux besoins des habitants lors de problèmes sociaux fréquemment liés à des questions de droit.123 Il quitte alors la direction du centre social Georges Brassens. Suite à son départ, quatre directeurs se succèdent en quelques années. Le contexte économique est de plus en plus difficile, et la violence refait surface dans le quartier qui se dégrade. La population baisse les bras face à la situation de laisser-aller. En 2006, le centre social n’obtient pas l’agrément lui permettant d’exister : les habitants assistent à sa fermeture.

A la suite de cela, et sans explication possible, on assiste à un plongeon du quartier dont il pourra difficilement se relever. La violence atteint alors des proportions inouïes, les agressions sont extrêmement fréquentes et se dirigent contre tout le monde, habitants de la cité, représentants des forces de l’ordre, journalistes ou encore professionnels du corps médical. Les cages d’escaliers et recoins deviennent le théâtre de rackets et viols.

L’économie parallèle se développe aussi de manière prodigieuse. Des combats de chiens ont lieu dans les parkings,124 le trafic de drogue explose, et une sombre histoire de cocaïne frelatée en provenance du

123 Entretien avec Hibat Tabib, novembre 2006, Guy Boubault et Vincent Roussel, « irenees.net, un site de ressources pour la paix », http://irenees.net, 124 « Interpellations après des combats de molosses », Seine-Saint-Denis Matin, Le Parisien 25.10.2007

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quartier se trouve même à l’origine d’un décès et d’une cinquantaine de malaises en Ile de France.

Le quartier n’est plus entretenu et les ordures sont rarement récoltées, les entreprises exerçant leur droit de retrait pour se protéger de la violence.125 Dans les appartements désertés et ne faisant pas l’objet de demandes s’organisent de nombreux squats. 80% des habitants veulent quitter le quartier.

Le quartier s’est donc effondré à la suite du départ d’Hibat Tabib. Il est impossible d’affirmer que ces deux éléments soient absolument liés. Cependant, la préface de Michel Bonetti à l’ouvrage « Ces banlieues qui nous font peur… » de Georges Lançon et Nicolas Buchroud nous amène à penser que l’équilibre instable du quartier des Poètes tenait sur les épaules d’Hibat Tabib, entraînant avec lui sa politique d’action si personnelle.

« On peut aisément se rendre compte que des quartiers similaires, dont les populations sont pratiquement identiques, connaissent des évolutions radicalement différentes. Il suffit même, parfois d’un changement de proviseur pour qu’un lycée qui fonctionne relativement bien devienne un lieu de violence ou de racket. »Michel Bonetti, préface, in Georges Lancon et Nicolas Buchroud, Ces banlieues qui nous font peur... : Une stratégie d’action pour transformer la gestion des quartiers d’habitat social, 2003, Editions l’Harmattan

125 Données extraites des commentaires anonymes postés sur la vidéo Quartier des Poètes, Pierrefitte-sur-Seine, quartier en état de décrépitude et des familles désabusées, vidéo Youtube, http://www.youtube.com/watch?v=GMXOn3PCGS0, 03.09.2009, visionné le 04.09.2012

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Chapitre III : Vers un nouvel espoir?

1/ La question de la Patrimonialisation des Grands ensembles

Face à l’état de dégradation du quartier et la stigmatisation de ses habitants, plusieurs tentatives d’amélioration de la situation furent mises en place. En menant des actions sur le bâti comme sur la vie sociale, la politique de la ville tenta à une échelle nationale de répondre au problème généralisé des grands ensembles. Ces interventions eurent cependant un bilan plus ou moins positif.

A une échelle plus locale, la communauté d’agglomération rejoint par la ville instaura de nombreux dispositifs agissant sur l’aménagement du territoire, le développement économique et les services à la population. Mais c’est surtout l’action du centre social Georges Brassens qui eut l’effet le plus significatif sur le quartier. Par une implication des habitants, et l’organisation d’une vie de quartier semblable à celle d’un village africain dans lequel « le quartier est l’affaire de tous », la situation s’améliora conséquemment entre 1990 et 2000.

C’est à ce moment là qu’Hibat Tabib, directeur du centre social, a quitté son poste en 2001. Suite à cela, la quartier a assisté à une forte augmentation des violences, de la délinquance, une absence d’entretien. Il plonge alors sans pouvoir se relever.

A- Lancement du plan ANRU

Au début des années 2000, prise dans le dynamisme de la nouvelle Communauté d’agglomération, la commune de Pierrefitte se lance dans un vaste programme de développement sur son territoire. Importants travaux d’aménagements, modification de la politique de l’habitat, développement économique et de l’emploi, et soutien à la mobilisation de la population sont les orientations définies en 2002 par le plan d’aménagement durable de la commune.126 Pour obtenir la ville durable,

126 Plan local d’urbanisme, Commune de Pierrefitte-sur-Seine, département de Seine-Saint-Denis, 2009

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active et solidaire souhaitée, elle engage d’importants travaux sur les différents quartiers.

La situation du quartier des Poètes est quant à elle prise en compte dans le cadre du dispositif d’Opération de Renouvellement Urbain (ORU) pour lequel il a été sélectionné. Une première étude est engagée en 2002, aboutissant à la proposition d’un schéma d’aménagement. Le programme de la Politique de la Ville subit au même moment de nombreuses modifications et aboutit à la création de l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU). Ses objectifs sont clairs : sur 5 ans, son but est de répondre à la fracture sociale à partir de trois piliers qui sont l’emploi, le logement, et l’égalité des chances. Le dossier constitué par la commune nécessite de profonds changements pour répondre aux attentes de l’ANRU.

En 2005, après plusieurs études menées par divers urbanistes et aménageurs, un dossier est déposé. Il contient une proposition de réhabilitation mettant l’accent sur le désenclavement et la dé-densification du quartier des Poètes. L’idée est de créer une voie de desserte au cœur de la cité dans le prolongement de la verrière, aboutissant directement sur la RN1. La création d’un square, la mise en résidentialisation du secteur et la sécurisation des parkings sont aussi envisagés. On parle à cette époque de démolir une partie du bâtiment Desnos, de l’ordre d’une petite centaine de logements. Etant donné les difficultés de la population à s’approprier ce bâtiment, les réactions sont vives et ne se font pas attendre : « C’est un site épouvantable, insécure, fermé, dont les expérimentations architecturales se sont révélées catastrophiques… »127

La municipalité obtient un crédit de 30 millions de francs pour réaliser le projet. Peu de temps après cependant, l’Etat revient sur sa décision, le préfet déclarant trouver le projet « pas suffisamment ambitieux, trop peu radical ». Les différents partenaires considèrent les propositions faites jusqu’à présent comme insuffisantes pour faire évoluer véritablement la

127 E.B, « On reparle de démolitions aux Poètes », Le Parisien, 29 janvier 2005

Image : Plan des démolitions envisagées (en jaune), et des nouveaux aménagements prévus pour le quartier en 2005 (en rouge). D’après l’étude urbaine du quartier des Poètes, in Convention d’opération de renouvellement urbain, Quartier des Poètes 2002-2006, Contrat de ville de Pierrefitte-sur-Seine

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configuration du site et son attractivité. L’ANRU accorde un délai de six mois à la Ville et ses partenaires pour revoir le projet.

En envisageant un crédit plus important, les architectes retravaillent le plan d’aménagement. Cette fois ci, la réflexion se porte sur l’urbain, mais aussi sur tout l’environnement social. Le nouveau plan propose une seconde école, un gymnase remplaçant celui délabré, et un centre social hors du quartier. Il intègre aussi de nouveaux moyens de transports, avec une station de tramway à proximité du site. La démolition de la partie Ouest du quartier, soit la totalité des ensembles Brassens et Desnos, ainsi que d’une partie du bâtiment Brel est envisagée de manière à désenclaver le quartier.

« J’ai habité vingt ans dans ce quartier et je n’avais pas envie de voir des logements détruits. Mais nous avons fait étude sur étude, retourné le problème dans tous les sens, et il faut certainement casser du béton pour casser l’image de ce quartier en grande difficulté. Je dois faire mon Deuil ».Catherine Hanriot, maire de Pierrefitte 1998-2001, propos recueillis par E.B « On reparle de démolitions aux Poètes », Le Parisien, 29 janvier 2005

En novembre 2005, la municipalité convie tous les habitants du quartier Nord de la ville à une assemblée générale. 150 personnes se réunissent et votent à l’unanimité le fait de déposer à l’ANRU ce dossier prônant la démolition des bâtiments. Plus tard, le vote des habitants ce jour-là sera utilisé par la mairie comme argument massue, malgré que le nombre dérisoire d’habitants présents en comparaison à la totalité du quartier ne soit jamais mentionné.128 Pourtant, ce choix de démolition n’est pas toujours compris :

« Sur Desnos il y avait assez peu de débat sur la démolition de ce patrimoine qui a toujours été en mauvais état, même à sa livraison

128 Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006, p.203

Image : Plan des démolitions envisagées (en jaune), et des nouveaux aménagements prévus pour le quartier en 2009 (en rouge). D’après l’étude urbaine du quartier des Poètes, in ANRU, Projet de rénovation Urbaine, Pierrefitte-sur-Seine, quartier des Poètes, Volume 2, Le contexte et l’historique du projet, présentation du projet de rénovation urbaine, 2006

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dans les années 90 : il y avait des tas de problèmes, cela fuyait de tous les côtés. Quinze après c’était encore pire, la verrière fuyait, il y avait des inondations. Concernant Brassens, c’était un peu différent. Il était en meilleur état, cela avait été un peu mieux conçu, un peu mieux construit : c’était un choix plus controversé. »Entretien avec Laure Tesson, Service de rénovation urbaine de Plaine Commune, 26 Octobre 2012

Le cas du quartier des Poètes n’est pas rare, et la question de la démolition des grands ensembles soulève une polémique nationale. La politique de l’ANRU, lancée par Jean-Louis Borloo lorsqu’il était ministre délégué à la ville et à la Rénovation urbaine entre 2002 et 2004, est à l’origine de nombreuses démolitions-reconstruction, destinées à « casser les ghettos urbains ». Il lui est reprochée de vouloir produire autant un choc psychologique que de créer des possibilités de réaménagement.

B- Les arguments contre la démolition

La démolition des grands ensembles n’est pourtant pas un fait nouveau. Les premières actions de ce genre font leur apparition en France en 1983, dans le cadre du plan Mission 89 orchestrée par l’architecte Roland Castro. Elle devient tabou au début des années 1990, l’administration reculant devant l’idée de démolir des bâtiments construits relativement peu de temps auparavant, et dont les emprunts n’étaient pas encore amortis. La réhabilitation devient le mode d’intervention privilégiée, jusqu’à ce qu’il soit avoué qu’elle ne pouvait pas être la solution à tous les problèmes. Le dispositif ANRU est décrié dans le sens où les démolitions sont si fréquentes qu’elles semblent parfois automatiques et ne faisant pas suite à une réflexion poussée.

Le geste de la démolition n’est en effet pas anodin. Synonyme d’un aveu d’échec, c’est une action violente, tant physiquement que moralement. La valeur urbaine et architecturale des grands ensembles est souvent mésestimée, et la démolition contribue à augmenter le phénomène de stigmatisation des quartiers concernés en attribuant les difficultés sociales de certains comportements délinquants aux formes urbaines. Ironie du sort, on peut remarquer que la construction des grands ensembles a été amenée cinquante ans auparavant pour pallier aux mêmes maux que l’on attribuait aux taudis pavillonnaires des faubourgs.

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Les politiques ne réalisent pas toujours le traumatisme qu’elle peut créer, et à quel point elle peut être difficile à accepter par les habitants. Par une maximalisation des interventions souvent médiatisées, ces actions sont parfois vues comme une provocation. Pour qualifier ces opérations parfois rapidement programmées, Michel Bonetti, dans la préface de l’ouvrage « Ces banlieues qui nous font peur... » de Georges Lançon et Nicolas Buchroud emploie même l’expression « noyer le bébé avec l’eau du bain ».129 En effet, il est souvent reproché aux bailleurs sociaux et municipalités concernées la volonté plus ou moins avouée de déplacer des locataires difficiles et insolvables.

Au travers de ce geste fort qualifié de « table rase », la complexité de l’histoire de ces quartiers est évacuée par un processus de négation. Selon Annie Fourcaut, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, le rejet de cette histoire relève d’un sentiment « anti urbain » qui met en évidence un manque d’analyse historique.

« Pour certains, il s’agit de donner un coup de pied dans la fourmilière et de faire table rase du passé. Cette conception oblitère le fait que ces quartiers ont en fait une histoire et les habitants également. Et l’histoire tissée par les habitants s’appuie sur l’histoire de cet environnement. Même si cette histoire est marquée souvent par la dégradation de ces espaces urbains, scandée par des émeutes ou des événements traumatisants, elle est également nourrie par une foule de souvenirs riches en émotion. L’histoire de chaque individu se fonde sur l’histoire des lieux dans lesquels il a vécu, qui sont autant de repères existentiels et leur disparition représente une perte douloureuse. Le fait de vouloir démolir brutalement ces quartiers revient à éradiquer leur historicité.»Michel Bonetti, « Les risques de dérive dans la transformation des grands ensembles. Analyse d’une vingtaine de projets de renouvellement urbain » dans Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes, 2006, p.193

Si la plupart des politiques voient en la démolition la solution ultime au rétablissement de l’ordre dans leurs quartiers, des chercheurs en sciences humaines et sociales, des intellectuels, et même certains bailleurs sociaux se sont opposés à ce type d’actions. Pour certains, il s’agit de

129 Michel Bonetti, préface in Georges Lancon et Nicolas Buchroud, Ces banlieues qui nous font peur... : Une stratégie d’action pour transformer la gestion des quartiers d’habitat social, 2003, Editions l’Harmattan

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mettre en valeur l’importance des relations de voisinage tissées au cours du temps par les habitants à partir de ces espaces devenus familiers. Pour d’autres, l’importance des emprunts en cours des bailleurs ainsi que le manque cruel de logements sociaux sont des freins suffisants à la démolition. Leur souhait va vers une volonté de changer l’opinion négative des grands ensembles et faire avec ce qui existe déjà plutôt que de démolir l’existant.

C’est dans cette optique qu’agit d’ailleurs le Grand Paris, projet lancé en 2007 et visant à transformer l’agglomération parisienne en une métropolie mondiale en « symbiose avec son environnement »130. La consultation internationale mise en place publie un rapport intitulé « Requalifier les grands ensembles » et proposant une série de principes à appliquer dans le cadre de la redynamisation de quartiers difficiles :

« Favoriser, lorsque cela est possible, la réhabilitation des immeubles plutôt que leur destruction/reconstruction. Ce procédé permet de valoriser la mémoire du lieu et de réaliser un changement profond, pour un coût moindre. Remplir les espaces vides des grands ensembles par de nouvelles formes et fonctions urbaines favorisant la mixité fonctionnelle et le lien social. Améliorer la performance énergétique des grands ensembles serait l’occasion de transformer la distribution interne des logements en améliorant les conditions de l’espace habitable et en créant de nouveaux espaces privatifs. L’insertion de nouveaux bâtiments, avec des usages mixtes correspond à une légère densification. »Atelier international du Grand Paris, Requalifier les grands ensembles, Consultation 2008/2009 du Grand Paris, p.30

C- La volonté d’une ville égalitaire

Dans le cas de certains quartiers, une multitude d’opérations précédemment tentées n’ont aboutit à aucun résultat. Un important coût de la réhabilitation et une vétusté du cadre bâti sont des éléments défavorables qui n’encouragent pas les pouvoirs publics et les bailleurs à investir dans la rénovation des bâtiments concernés. La fédération Nationale des Offices d’HLM tente d’établir un discours variant selon

130 wwww.mon-grandparis.fr, consulté le 7 décembre 2012

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la situation. Des problèmes techniques insolubles ou encore une forte forme urbaine ne permettant pas d’améliorations sont considérés comme des éléments irréparables nécessitant une démolition.

« Les problèmes de démolition des immeubles HLM dans les quartiers ne sont pas de simples problèmes de choix politiques ou de problématiques urbaines. Ils proviennent d’abord de l’obsolescence des bâtiments existants, du départ des locataires en place et des difficultés de relocation […] Il fallut constater que la réhabilitation à outrance pouvait être ça et là interprétée comme un coûteux et vain acharnement thérapeutique »Olivier Piron, inspecteur général de l’équipement in La rénovation des quartiers d’habitat social : L’engagement des Offices dans les opérations de rénovation urbaine, Fédération Nationale des Offices d’HLM, Paris, Editions La Découverte, 2007, p.167

Défendant ce propos, l’historienne des théories et des formes urbaines architecturales Françoise Choay milite contre toutes les formes actuelles de muséification de la ville.131 Selon elle, notre époque de mondialisation a fait du terme de patrimoine l’un de ses mots clés. Mais la reconnaissance patrimoniale est aussi souvent le facteur d’une hausse des prix. La présentation d’un cadre de vie atypique et à forte valeur culturelle transforme l’habitat rejeté en l’espace de la gentrification. De valeur historique, mémorielle et identitaire, le concept de patrimoine évolue en une notion culturelle opportuniste et décomplexée commercialement. A cela, Françoise Choay préfère privilégier une pratique mémorielle qui conditionne l’innovation.

Les projets de l’ANRU proposent une nouvelle opportunité pour ces quartiers pour lesquels peu d’espoir subsiste. Ils se distinguent des précédentes actions par leur volonté d’obtenir des territoires semblables d’un point de vue morphologique, architectural, urbanistique et fonctionnel. La destruction d’immeubles de grandes tailles doit pouvoir permettre de reconstruire plus petit, de l’habitat collectif ou individuel, et développer ainsi la mixité urbaine. Par la déconcentration, les communes espèrent obtenir une élimination de la ségrégation sociale et spatiale.

131 Françoise Choay, Le patrimoine en question, anthologie pour un combat, Seuil, 2009

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« Ces projets sont complexes. Ils constituent pour autant, en réunissant des volontés formidables, des opportunités exceptionnelles d’agir sur des situations qui, jusqu’ici, n’avaient pas pu être traitées à la hauteur des besoins. Leur réussite sera le moyen d’affirmer la modernité des HLM et un atout de premier ordre pour la qualité de vie dans l’habitat social et pour l’image de nos villes. »Jean-Pierre Caroff, président de la Fédération nationale des Offices HLM in Coll., La rénovation des quartiers d’habitat social, Editions La Découverte, Paris, 2007

D- Des détériorations trop importantes

Dans le cas de Pierrefitte, le quartier des Poètes ne parvient pas à se dégager de la stigmatisation croissante qu’il subit. Le début des années 2000 a vu une accentuation des discriminations, de la délinquance, des dégradations volontaires du patrimoine immobilier, une augmentation du taux de chômage, et le développement d’activités illicites. Cette conjonction de facteurs semble aux yeux des décideurs irrécupérables.132

La forme du quartier enclavé, les malfaçons des bâtiments et l’état de dégradation trop important deviennent les arguments principaux en faveur de la démolition de Desnos et Brassens. A moins d’un changement radical de population ne cumulant pas les difficultés des habitants actuels du quartier, la situation ne promet que peu de possibilités d’amélioration.

« Ca aurait pu être quelque chose de bien, mais je pense que cela s’est fait au mauvais endroit, et avec les mauvaises personnes. »Ibrahima Li, habitant du quartier des Poètes intervenant dans l’émission radiophonique de François Chaslin, Métropolitains n°305, 15 Février 2006

« Je suis allé très souvent voir vos opérations. Je vous assure qu’elles sont extrêmement dégradées, que les populations sont violentes, que les gens ont peur, que le côté intime et labyrinthique fait peur à certaines personnes dans cette situation de dégradation physique et je dirais même sociale. Vous sentez bien que la même opération de

132 Collectif, Les Poètes, un passé, un avenir, 2011, Plaine Commune - Communauté d’agglomération

Image : La barrière formée par l’ensemble Desnos, photographie anonyme, non datée, http://tess2pierrefitte93.skyrock.com/

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logement, dans une situation où les gens sont heureux que dans une situation où les gens sont dans la dèche, font du trafic de drogue etc., cela ne fonctionne pas de la même façon. »François Chaslin, Emission radiophonique Métropolitains n°305, 15 février 2006

Par leur difficultés financières, les bailleurs et la municipalité n’ont d’autre choix que de se résoudre au programme de l’ANRU pour obtenir des fonds permettant la rénovation du quartier. En effet, le nombre croissant d’appartements vides dans les bâtiments a entraîné une importante baisse de revenus pour les bailleurs qui ne leur permet pas d’engager à nouveaux des fonds pour une réhabilitation sans garantie d’efficacité. Concernant la commune, son tissu à forte dominante résidentielle et l’absence d’activités économiques sur son territoire en ont fait la ville la plus pauvre du département. Le dossier déposé constitue le seul espoir pour vivre mieux dans un quartier cumulant trop de difficultés.

« Ah, on a tout essayé. Je vous jure qu’on a tout essayé dans ce quartier ! De s’occuper des plus jeunes, de s’occuper des parents, de créer une maison des parents, de travailler sur les aspects possibles et imaginables, d’essayer de créer du lien, de responsabiliser ceux qui doivent être responsabilisés, d’essayer d’obtenir que des moyens de force de l’ordre pénètrent dans notre quartier… »Catherine Hanriot, maire de Pierrefitte-sur-Seine 1998-2008 et ancienne habitante du quartier des Poètes, propos recueillis par Elise Guillerm, 22 mars 2006

En juillet 2007, une convention « programme de rénovation urbaine » est signée en partenariat entre la ville de Pierrefitte, l’ANRU, l’Etat, la communauté d’agglomération Plaine Commune et quatre bailleurs sociaux. La décision de démolition de 442 logements sociaux et la reconstruction de 450 nouveaux, ainsi que la démolition reconstruction des équipements publics existants est acceptée pour un budget de 156 millions d’euros.133

133 Dossier ANRU, « Projet de rénovation Urbaine, Pierrefitte-sur-Seine, quartier des Poètes, Volume 2, Le contexte et l’historique du projet, présentation du projet de rénovation urbaine », janvier 2006, p.9Image : Les recoins sombres du bâtiment Denos, et l’état avancé de délabrement du quartier. Photographies de Guido Prestigiovanni, in La Cité des Poètes, 2009

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2/ Une opposition à la démolition du quartier

Dans le cadre de la commuté d’agglomération, la commune s’est lancée dans un programme de développement sur son territoire, le quartier des Poètes est engagé dans le dispositif ANRU. Le projet propose une intervention sociale, avec la création de nouveaux équipements ainsi que sur l’urbain avec la démolition de certains bâtiments en mauvais état permettant un désenclavement du quartier.

Une controverse suit cette annonce de démolition, le dispositif de l’ANRU étant décrié car considéré comme un automatisme. De nombreux arguments incitent à favoriser la réhabilitation à la démolition, prenant en considération tant des facteurs humains qu’économiques. D’autres en revanche voient en la démolition une nouvelle opportunité pour des quartiers d’obtenir un rétablissement d’un « droit à la ville », de favoriser la mixité et d’éliminer la ségrégation sociale et spatiale.

Dans le cas des Poètes, l’impossibilité du quartier à se dégager de la stigmatisation croissante qu’il subit, l’enclavement, les malfaçons des bâtiments et l’état de dégradation trop important deviennent les arguments principaux en faveur de la démolition. Etant donné la faiblesse de leurs ressources, la mairie et les bailleurs ne disposent d’autre choix que de déposer le dossier à l’ANRU. En 2007, le projet de démolition-reconstruction est accepté.

A- L’action du collectif DOCOMOMO

Deux ans après le lancement du projet ANRU, et alors qu’une partie de la population a déjà été relogée, une partie du corps architectural prends connaissance des intentions de démolition et se soulève contre la volonté des habitants et politiques locaux. Les créateurs de cette manifestation sont les architectes du projet Jeronimo Padron-Lopez ainsi que les frères Euvremer, accompagnés de Jean-Pierre Lefebvre, ancien directeur de la Sodétat à l’origine de la construction de ces logements. Ils rassemblent autour d’eux de nombreux architectes tant issus du groupe informels des Renaudiens avec Iwona Buczkowska et Renée Gailhoustet, que de diverses tendances stylistiques : Ricardo Porro, Olivier et Edith Girard, Francis Gaussel, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Jean Nouvel etc.

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En 2009, ils rallient le collectif DOCOMOMO France pour faire entendre leur voix et créent ainsi une pétition qui rassemble 440 signatures. Ils dénoncent l’action gouvernementale de l’ANRU et s’inquiètent du devenir architectural français. Leurs formes d’expressions sont multiples : articles, publications de lettres de soutien, débats, émissions.

Ce combat rejoint celui œuvré à l’encontre des démolitions des grands ensembles d’une manière générale en France, pour ses arguments que nous lui connaissons de développement durable et de conservation de la mémoire du lieu. Le quartier des Poètes ne fait pas exception, et au contraire, sa situation délicate mise en exergue par le collectif DOCOMOMO prend tout son sens au sein d’un tel argumentaire :

« C’est par la stratification et l’évolution dans le temps que la ville trouve ses racines, rarement par la table rase. C’est dans cette histoire stratifiée que les habitants, aussi, ont une chance de pouvoir se retrouver, se reconnaître, s’identifier. C’est le moins qu’on leur doit, dans cette terre de déracinement qu’est la Seine Saint-Denis. »Bénédicte Chaljub, Hubert Lempereur, courrier de soutien au collectif DOCOMOMO, 22 novembre 2009

Mais le combat qui anime les architectes est bien plus profond. Avec la démolition du quartier des Poètes décrit comme une « Œuvre architecturale majeure, un palais de la fin du XXème siècle » c’est l’image d’un mouvement architectural qui est menacé.134

« Les opérations de démolition des grands ensembles sont en général néfastes du point de vue humain parce qu’ils privent les habitants d’une partie de leur mémoire individuelle et familiale et néfastes parce que le fait induit par la démolition des bâtiments est toujours la disparition de la mémoire collective. Quand la démolition concerne un ensemble exemplaire autant socialement que architecturalement comme la Cité Robert Desnos il peut être considéré comme un assassinat culturel. Aucune autorité n’a le droit d’infliger à ses administrés un tel déchirement. »Raoul Pastrana, Lettre à Maître Gilles Caillet, 20 novembre 2009

134 DOCOMOMO-France, Communiqué de presse du 30 novembre 2009, http://www2.archi.fr/DOCOMOMO-FR/dossier-poetes-pierrefitte.htm, consulté le 27 septembre 2012

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La dimension écologique, sociale et acoustique de cette architecture est mise en avant par le collectif qui défend les qualités plastiques de ces réalisations, le caractère expérimental de la démarche architecturale ainsi que la singularité formelle des recherches.135 Les architectes souhaitent obtenir, par leur action, une protection au titre des monuments historiques de cette architecture empêchant sa démolition.

« Il y a des architectures qui nous émeuvent, qui nous étonnent, où on se sent « ailleurs ». Des lieux généreux, élégants et conviviaux, où l’autre trouve sa juste place dans l’intimité des espaces construits et dans la sociabilité des lieux de rencontres. De véritables prouesses architecturales réalisées dans des prix dérisoires par rapport aux qualités du bâti, avec tant d’efforts de tous les acteurs du moment. Telle est l’architecture du Quartier des Poètes réalisée par Jeronimo Padron-Lopez. S’inscrivant dans le démarche de Jean Renaudie, elle la complète, elle l’interprète, elle la prolonge. Porteuse d’un regard personnel digne de l’architecte de talent – on peut chercher les inspirations lointaines dans la vie communautaire des phalanstères du début du siècle dernier, dans le brutalisme du mouvement moderne, dans les cités jardins - elle nous offre un ensemble écologique bien avant l’heure, qui demande aujourd’hui, à travers son séjour urbain, de s’épanouir, de développer toutes les possibilités de modernité et de technicité dont il est porteur. Il y a peu de quartiers construits d’une telle qualité. »Iwona Buczkowska, Non à la démolition du quartier des Poètes, 21 Septembre 2009

Selon le collectif, la réputation des Poètes est absolument indépendante de son architecture. Les malfaçons des bâtiments, pourtant reconnues comme responsables du délabrement initial de Desnos et Brassens ne sont jamais évoquées. L’architecture est présentée comme la victime des conséquences d’une mauvaise gestion sociale du quartier, mettant en cause bailleurs sociaux et la municipalité.

« Madame le Maire aurait pu rappeler que c’est la ville qui gérait - très mal – ce patrimoine, elle a contribué à fabriquer le ghetto en attribuant n’importe comment les HLM. Sa responsabilité est

135 Jeanne Broyon, Il faut sauver la cité des Poètes !, vidéo pour latélélibre.fr, 2009

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engagée, pas celle des architectes qui sont écartés de la gestion ultérieure du patrimoine. »Courrier de Jean-Pierre Lefebvre faisant suite à l’émission radiophonique Métropolitains de François Chaslin, « Maître Corbeau », 20 février 2006

Partie intégrante de cette gestion dépréciée par le collectif, une attribution douteuse des logements sociaux est énoncée ayant amené à la formation progressive d’un ghetto dans le quartier. S’il est difficile de s’assurer de la véracité de cette information, il est cependant constaté que la population présente dans le quartier avant sa démolition est majoritairement issue de l’immigration africaine136 et dispose de très faibles revenus. Les architectes accusent la municipalité de vouloir ainsi se débarrasser des populations indésirables lors de leur relogement.

« Au cours de l’émission de radio, un invité locataire (Ibrahima Li), dans son intervention, a évoqué un problème de répartition sociale, de non-mixité. Effectivement, 80 à 90% des locataires de l’Opération des Poètes appartiennent à des communautés issues de l’immigration africaine. Ces populations ont été systématiquement et volontairement regroupées lors des affectations de logements, ce qui a eu pour effet de créer des ghettos, avec les épouvantables conséquences qu’on connaît… […] Nous n’osons penser, et pourtant nous le craignons, que la raison VERITABLE pour laquelle on sent cet acharnement à vouloir démolir, soit de profiter de l’opportunité du versant financier de la loi Borloo pour dé-ghettoïser le site des Poètes. Si tel était le cas, ce calcul sournois relèverait de l’inhumanité la plus cynique. »Luc et Yves Euvremer, Courrier au Préfet du 22 février 2006

Comme dernier argumentaire, le collectif met en cause les coûts importants liés à la démolition, amplifié par la complexité structurelle des bâtiments. Les architectes établissent une proposition de réhabilitation équivalente à un cinquième du prix de la démolition ajouté à celui de la reconstruction, soit 40 millions contre 156 millions. Le lundi 12 octobre 2009, leur action est tant médiatisé qu’ils sont reçus au ministère de la

136 Selon Hibat Tabib, le quartier est « africanisé ». Entretien avec Hibat Tabib, Directeur de l’AFPAD, fondateur de l’ancien centre social Georges Brassens, le 03 Décembre 2012

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culture. Le 30 novembre, le tribunal administratif de Montreuil réfère une suspension des travaux.137

B- Réaction de la commune

Lorsque tombe la décision du tribunal administratif de Montreuil, les travaux ont commencé depuis un mois et leur arrêt ne va pas sans amener de nouvelles complications. Dans les faits, cette décision « bloque tout », entraînant du retard dans chacune des phases du projet. Les travaux du gymnase, initialement prévus pour débuter en décembre 2009, sont remis à plus tard.

A moitié vidé de ses habitants, le quartier est abandonné. Pour protéger l’accès au bâtiment Desnos qui est alors partiellement démoli, on l’entoure de barrières métalliques. Mais la sécurisation du chantier est difficile à obtenir, et d’autant plus dangereuse qu’une partie de la population habite encore le quartier. Le bâtiment en ruine est squatté et miné par le trafic de drogue. Pour le Maire, qui s’exprime dans le journal le Parisien, cette suspension du chantier réjouit en premier lieu les dealers.138

La réaction des habitants ne se fait pas attendre, la consternation domine. Ils dénoncent le gouffre existant entre leur réalité quotidienne et l’action des architectes, intellectuels parisiens basés dans les beaux quartiers. « Il suffit de venir voir, y vivre, pour se poser la question “est-ce que c’est bien ou pas bien ?“» déclare Baraka Ahamada, jeune homme habitant le quartier dans le film « Les Poètes, un passé, un avenir » réalisé en mémoire de celui-ci. Dans le ressenti de la population, ce combat oppose les conditions de vie des locataires à l’égo des architectes.139

« La démolition a été très controversée mais par des gens qui avaient fait n’importe quoi. Je m’excuse, mais je leur dis régulièrement ! Il y avait 400 et quelques logements à démolir, il se trouve que j’ai eu

137 Elodie Souillé, « Partiellement démoli, le quartier fantôme attend », Le Parisien, 13 février 2010. 138 Elodie Souillé, « Le chantier de la cité des Poètes suspendu », Le Parisien, 01 février 2010139 Elodie Souillé, « Le chantier de la cité des Poètes suspendu », Le Parisien, 01 février 2010

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une pétition de 440 architectes et je leur ai dit « Ca tombe bien, vous en habitez un chacun et le problème n’existe plus ». Sauf qu’il n’y en a pas un seul qui a voulu venir y habiter. »Michel Fourcade, Maire de Pierrefitte-sur-Seine depuis 2008, 22 Octobre 2012

Le principal combat des habitants va envers les propos des architectes, qui ne retiennent que l’architecture exceptionnelle du quartier, semblant passer outre les difficultés techniques que subissent les bâtiments des Poètes et que nous connaissons.

« Nous, ce monument historique, on n’en veut pas. On nous impose un monument dans un ghetto où personne ne veut habiter […] On vit dans deux mondes parallèles. Ils n’ont jamais mis les pieds dans une cité, ça se sent » soupire, ulcéré Nouredine Abdou. »Elodie Souillé, « Partiellement démoli, le quartier fantôme attend », Le Parisien, 13 février 2010.

Lors d’une réunion publique, la population se soulève à son tour. Suite à l’impulsion de Nouredine Abdou, habitant engagé du quartier, une association souhaitant la reprise des travaux est crée : l’Association de défense du projet de rénovation urbaine du quartier des Poètes de la ville de Pierrefitte-sur-Seine (ADRUP). Elle regroupe rapidement 150 adhérents, et organise une pétition qui recueille plus de 1’500 signatures. Les habitants vont en personne la déposer au secrétariat d’Etat en charge du logement et de l’urbanisme.

C- Une incompréhension des deux opposants

Le conflit entre, d’un côté les architectes et la Sodétat 93, et de l’autre les habitants, les bailleurs et la municipalité est ancien. A l’époque de la réception du quartier et en vues des difficultés rencontrées, des échanges musclés entre le Maire Daniel Bioton et le directeur de la Sodétat Jean-Pierre Lefebvre ont installé un climat de mésentente dans lequel chacun a choisi son camp.140

140 Lettre de Daniel Bioton à Jean-Pierre Lefebvre, 9 décembre 1993, archives personnes de Jean-Pierre Lefebvre, in in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine, 2006

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Avec l’action du collectif DOCOMOMO et la riposte de l’ADRUP, la situation empire et devient très conflictuelle. Les deux parties n’arrivent pas à trouver de terrain d’entente, et pour cause, la discussion est très mal engagée. Avec le lancement des travaux en 2009, des panneaux de chantiers vantant les mérites du programme de l’ANRU sont installés sur le quartier. Ils représentent des habitants s’exprimant à propos des logements et titrent « Les appartements étaient très mal foutus, à quoi il pensait l’architecte ? ». Ces propos violents exacerbent la réaction des architectes qui crient à la manipulation politique pour obtenir des fonds de l’ANRU.

« Je connais un certain nombre d’élus de bourgades rurales qui auraient besoin de crédits pour simplement réhabiliter, mais qui du coup présentent un dossier de démolition-reconstruction en maquillant la réalité, en la noircissant pour obtenir le sésame ANRU. Si on veut des subventions, il faut aller à l’ANRU. Et aller à l’ANRU, cela signifie démolir. Est-ce vraiment pertinent quand on sait qu’il manque plusieurs centaines de milliers de logements ? »Thierry Repentin, « L’Esprit de l’ANRU a été détourné » propos recueillis par Cyril Poy, L’Humanité, 19 décembre 2005, in Elise Guillerm, La Réception de la ZAC des Poètes, 2006, p.182

Malgré que le projet soit scellé depuis deux ans et que des présentations multiples aient eut lieu auparavant, cet événement déclenche le mouvement d’opposition à la démolition. Se rendant anonymement à un conseil de quartier, l’un des architectes du bâtiment Brassens prend la parole pour faire l’éloge de sa réalisation et briser l’assimilation de celle-ci aux difficultés rencontrées par Desnos. A la suite de son intervention, il lui est demandé de se présenter. Les habitants s’élèvent alors contre sa position : « Il faut habiter là, monsieur ! »141. Cette tentative de manipulation est mal vécue par la population. Suivi de peu par la suspension du chantier, les habitants se sentent inconsidérés par les architectes. Denise Sylla, une habitante déclare « On ne regarde même pas les humain […] les habitants l’ont mal pris ».

En effet, toutes les difficultés qu’affrontent la population sont évincées, ou peu prises en compte. En 2005, une émission radiophonique présentée

141 Entretien avec Laure Tesson, Service de rénovation urbaine de Plaine Commune, 26 Octobre 2012. Pas de précisions s’il s’agissait de Yves ou Luc Euvremer

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par le critique François Chaslin met en confrontation les propos de Catherine Hanriot, la Maire de l’époque et ceux de Luc Euvremer. Ce dernier s’agace des plaintes entendues, jugées selon lui peu importantes, et réagit de manière très virulente. Les architectes semblent être dans le déni. Si à aucun moment il ne leur ai mis la seule responsabilité de l’échec du quartier sur le dos, ils n’acceptent de reconnaître aucun des torts qu’ils ont pu causer.

“J’ai l’impression qu’aujourd’hui les architectes sont restés sur cette idée de départ et d’idée généreuse, et que la confrontation réelle n’a pas encore été admise ou faite.” Stéphane Vigne, chef de projet rénovation urbaine ZAC des Poètes, Propos recueillis par Elise Guillerm, 15 mars 2006

La Mairie reçoit à cette époque de nombreuses demandes de précisions de personnes dans l’incompréhension et souhait être éclairés sur la situation.142 Effectivement, et comme le déclare la journaliste Caroline Taix c’est « à croire que la présidente de DOCOMOMO, Agnès Cailliau, ne parle pas du même lieu. » 143

Chacun reste donc campé sur ses positions, et l’on assiste à la création d’un « malentendu », sans issue possible. Les architectes vivant personnellement l’échec du quartier sans l’accepter, et les habitants et la municipalité exprimant sans condition leur désir de faire une table rase de ce passé douloureux pour s’offrir un avenir plus réjouissant. Les deux parties, prises par des sentiments forts ne trouvent pas de commun accord, et c’est la décision du tribunal administratif de Montreuil qui scelle donc le sort des bâtiments Desnos et Brassens.

L’arrêt rendu le 25 février 2010 déboute les requêtes lancées par le collectif DOCOMOMO d’annulation du permis de démolir. La raison est donnée aux habitants, estimant que « l’ensemble immobilier n’a pas

142 Entretien avec Michel Fourcade, Maire de Pierrefitte-sur-Seine depuis 2008, 22.10.2012143 Caroline Taix, « Architectes contre résidents: la démolition d’une cité du 93 fait débat », Arigenews.com, chaîne d’information en Ariège-Pyrénées, le 1er février 2010

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atteint les objectifs de son concepteur en matière de qualité de vie et d’écologie ».144

« La difficulté de l’architecture, c’est qu’elle est toujours d’une certaine façon œuvre de quelqu’un et container de la vie d’autres gens. Quand le container abrite des vies difficiles, le choix est douloureux, mais je crois qu’il faut choisir la vie ».François Daune, architecte urbaniste, in Collectif, Les Poètes, un passé, un avenir, 2011, DVD, Plaine Commune - Communauté d’agglomération

D- La mémoire d’un quartier

Les travaux reprennent donc aux Poètes dès la fin des délais légaux. Si la majeure partie des habitants se sont battus pour en arriver à la démolition de leur quartier, le choc n’en est pas moins grand. Le traumatisme évoqué par les sciences sociales lors de la démolition de bâtiments de logements se vérifie à Pierrefitte. Les relogements de la population se font au compte goutte, et le fait de voir partir un à un ses voisins matérialise la sentence proche. Certains d’entre eux se mettent à exprimer des regrets concernant les premiers temps :

« Ca aurait vraiment pu être quelque chose de très sympa… Enfin, cela l’a été… Un peu comme en Italie, ou les gens se parlent d’une terrasse à l’autre. Ca fait bizarre de parler de ça, car tout est tellement délabré maintenant que j’ai du mal à m’imaginer comment c’était il y a 15 ans en arrière. »Joëlle Guillevic, habitante depuis 19984, in Collectif, Les Poètes, un passé, un avenir, 2011, DVD, Plaine Commune - Communauté d’agglomération

Pour accompagner la difficulté des enfants du quartier à se défaire de ce lieu, l’école Eugène Varlin mène un gros travail d’écriture et de création artistique sur la mémoire des Poètes. Les réactions sont très différentes,

144 Caroline Taix, « Architectes contre résidents: la démolition d’une cité du 93 fait débat », Arigenews.com, chaîne d’information en Ariège-Pyrénées, le 1er février 2010

Images : Les travaux des élèves de l’école Varlin, Extraits de Julien Lahmi, « Se souvenir des Poètes », http://www.dailymotion.com/video/xe1eur_se-souvenir-des-poetes-3e-partie_creation, film, 2009

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certains enfants ne regrettant rien, d’autres exprimant un sentiment très fort à l’égard du quartier :145

« Un quartier détruitComme un radeau brisé,Une machoire cassée,Une famille démolieMon quartier se fait détruire, Triste de déménager, quitter mes amis,Tout ça est une perte de ma cité.J’aime ma cité,Comme ma famille que j’aime beaucoup,Si mon quartier se fait détruire, Mon cœur sera brisé,Comme si j’avais perdu quelqu’un de précieux,Comme un frère triste de partir en voyage.Mon école sera démolie,Il y a des copains qui partent,Et ça c’est triste. »Poème d’un élève de l’école Eugène Varlin, 2009

Le sentiment d’appartenance au quartier qui manquait tant à sa cohérence ces dernières années semble apparaître avec l’annonce de sa démolition. C’est un véritable deuil que certains d’entre eux vivent.

« Le jour où cela va être détruit, on va voir ce que cela va faire… C’est un endroit qu’on ne peut pas oublier. On ne peut pas oublier Desnos comme ça… »Habitante du quartier, propos extraits de la vidéo « Des murs portent paroles » réalisée par Plaine Commune avec Tranches de vie, 10 juillet 2009

Une à une, les familles sont relogées, les habitants font leur adieux au quartier. Selon une prise en compte au maximum de leur besoins, ils sont installés sur la ville pour la plupart d’entre eux, dans la communauté d’agglomération ou, pour une petite partie, sur d’autres communes plus éloignées. Ce mécanisme entraîne un blocage des lignes d’attente de

145 Julien Lahmi, « Se souvenir des Poètes », http://www.dailymotion.com/video/xe1eur_se-souvenir-des-poetes-3e-partie_creation, film, 2009

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logements sociaux depuis trois ans et demi.146 Le coût du déménagement est pris en charge par l’ANRU, et les loyers ne peuvent être plus chers que ceux précédemment payés par les locataires.147 Mais l’embarras, n’est pas uniquement matérielle. Devoir recommencer à zéro, dans un nouvel environnement, est une source de difficultés pour certains habitants.

« C’est vrai que c’est très difficile pour des personnes, puisque c’est un peu une part d’eux qui part. Les gens ont gardé cette nostalgie du quartier et ses bons souvenirs. C’est aussi très douloureux pour les gens qui ont été relogé ailleurs, car quand vous avez 60 ans, que vous avez passé 30 ans ici, et que l’on vous dit que vous allez déménagé dans un autre quartier, même si le logement est mieux, vous n’avez pas trente ans devant vous pour vous refaire un cercle d’amis, des voisins etc. »Entretien avec Reda Karroum, Directeur du centre social Maroc-Chatenay-Poètes, Pierrefitte-sur-Seine, le 24 Octobre 2012

Les travaux de l’ANRU continuent cependant, et, forts des erreurs du passé, municipalité, bailleurs et habitants se tournent déjà vers l’avenir qui leur est proposé.

146 Entretien avec Michel Fourcade, Maire de Pierrefitte-sur-Seine depuis 2008, 22.10.2012147 Mylène Sacksick, « Vers un nouveau quartier des Poètes », Le journal de Pierrefitte, 28 octobre-11novembre 2005, n°20, p.2

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3/ Le nouveau projet

Deux ans après le lancement du projet, le soulèvement d’une partie du corps architectural contre la volonté des habitants et politiques a agravé un conflit pré-existant. Les premiers défendirent l’architecture particulière des bâtiments, faisant fi des malfaçons. Ils obtinrent une suspension des travaux en novembre 2009. Cette situation entraîna du retard dans le projet, augmentant la délinquance et le trafic dans le quartier abandonné. Les habitants furent consternés par une telle décision, et dénoncèrent vigoureusement le décalage entre les idées des architectes et leur réalité quotidienne.

La violence des propos tenus les uns envers les autres a exacerbé les réactions des architectes comme des habitants. Les architectes crient à la manipulation politique, les élus et habitants s’indignent du mépris des architectes pour leurs conditions de vie. Les deux opposants ont une prise à coeur sans recul du conflit, générant un « malentendu ». Le manque de prise en considération des propos par les deux parties aboutit à une stérilité du débat. En février 2010, le tribunal administratif de Montreuil donne raison aux habitants et les travaux sont relancés.

Les habitants quittent le quartier un à un, cela matérialise l’approche de la « sentence ». Ainsi, et malgré le fait que la majeure partie d’entre eux se soit battue pour la reprise des travaux, certains d’entre eux se mettent à exprimer des regrets concernant les premiers temps du quartier. Le sentiment d’appartenance se crée pour quelque chose qui va disparaître.

A- L’ouverture du quartier148

Le projet de l’ANRU se définit autour de quatre axes principaux pour le quartier. Le premier d’entre eux s’efforce de proposer une situation à l’enclavement du quartier, isolé de la commune par l’absence de voies de dessertes, le nombre d’impasses, de culs de sacs, le fait qu’il soit exclusivement piéton etc. : « Désenclaver durablement le site en le réinscrivant pleinement dans la ville et dans son environnement avec

Image : La démolition des bâtiments Robert Desnos et Georges Brassens doit permettre l’ouverture du quartier. Photographie anonyme, non datée, http://tess2pierrefitte93.skyrock.com/

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des ouvertures depuis la RN1 au niveau de la rue Jacques Prévert et depuis Sarcelles ».149

Autrefois en effet, la Route nationale 1 était destinée à un avenir autoroutier. On comprends donc la décision de l’époque de fermer le quartier sur cette force source de nuisances. Le projet de tramway sur pneu vient cependant modifier les ambitions de cet axe de circulation. Reliant la commune de Pierrefitte du Nord au Sud mais aussi avec Sarcelles, Saint-Denis et leur important réseau de transports en communs, il propose de nombreuses stations, dont deux aux pieds du quartier des Poètes. La Route Nationale 1 est donc considérée à une autre échelle. Une place accueillant un équipement public y est crée, faisant office de connexion avec le quartier. Elle offre aussi la possibilité de mise en place de nouvelles voieries :

« La création d’un véritable réseau de voies de circulation à l’intérieur du quartier est une condition indispensable pour sortir du contexte actuel de deux systèmes urbains se tournant le dos : le pavillonnaire pour Pierrefitte et les grands ensembles de Sarcelles. »Convention d’opération de renouvellement urbain, Quartier des Poètes 2002-2006, Contrat de ville de Pierrefitte-sur-Seine

Trois axes importants sont alors crées. Le premier est parallèle à la Route Nationale 1, il part de celle-ci et se connecte à une nouvelle rue devant être crée à Sarcelles. Appelé « Mail Georges Brassens » en mémoire du bâtiment situé auparavant au même endroit, il constitue une promenade plantée reliant les quartiers de ces deux villes. Les deux autres axes traversent la ZAC d’Ouest et en Est. La Rue Nougaro, la plus au Sud, longe les nouvelles constructions, passant devant six des tours Boris Vian et la copropriété Mermoz. Le Mail Boris Vian, prolongé dans sa partie Est par la rue Cesaria Evora, coupe l’ensemble Boris Vian en deux parties et détache le bâtiment Jacques Brel de la copropriété. Cette nouvelle voirie nécessite la démolition d’une partie des bâtiments Brel

149 Dossier ANRU, « Projet de rénovation Urbaine, Pierrefitte-sur-Seine, quartier des Poètes, Volume 2, Le contexte et l’historique du projet, présentation du projet de rénovation urbaine », janvier 2006, p.29

Image : Le Mail Georges Brassens, une promenade plantée desservant de nombreux logements. Image de synthèse du projet ANRU, réalisée par le Service de Rénovation Urbaine de Plaine Commune, juillet 2012

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afin de se rattacher à la rue Jules Châtenay, elle même en connexion avec Sarcelles.

Ces nouvelles voieries, en plus du désenclavement qu’elles génèrent, permettent pour les bâtiments existant la création d’entrées directement sur rue, et ainsi d’une adresse. Cette préoccupation, chère aux habitants avant la démolition, permet ainsi une meilleure reconnaissance du quartier.

« Je me suis aperçue au fil du temps que les gens veulent vivre dans une rue, avec une adresse. Parce que là, on n’a pas d’adresse quand on habite au quartier des Poètes. »Entretien avec Catherine Hanriot, maire de Pierrefitte-sur-Seine 1998-2008, propos recueillis par Elise Guillerm, le 22 mars 2006

Les problèmes autrefois générés par le manque de stationnement tentent aussi d’être résolus. Effectivement, créer des voies supplémentaires va permettre de créer des places de stationnement public. Ceux-ci devraient permettre aux visiteurs de pénétrer le quartier et de s’y arrêter, mais aussi et surtout devraient éviter une appropriation inattendue de l’espace public, comme cela était le cas auparavant. De nombreux parkings semi-enterrés sont aussi prévus pour les habitants.

B- La construction de nouveaux logements

Le deuxième des quatre axes de l’ANRU pour les Poètes concerne la requalification du parc de logements. Son objectif premier est d’apporter une mixité qui n’était auparavant pas présente en raison des 90% de logements sociaux existants sur le quartier. Cette axe d’étude s’intitule « Dédensifier et diversifier les statuts et les typologies d’habitat (logement social, accession, locatif privé) » 150

La première action entreprise est donc la démolition des bâtiments Brassens, Desnos, et d’une partie de Jacques Brel et Mermoz, comprenant respectivement 201, 218, 23 et 12 logements, soit un total de 440 appartements. A l’exception de la copropriété Mermoz qui

150 Dossier ANRU, « Projet de rénovation Urbaine, Pierrefitte-sur-Seine, quartier des Poètes, Volume 2, Le contexte et l’historique du projet, présentation du projet de rénovation urbaine », janvier 2006, p.29

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comprend du logement privé, le reste des bâtiments sont exclusivement constitués de logements sociaux.

Les bailleurs sont tenus à la règle du « un pour un » et doit reconstruire le même nombre de logements que ceux démolis. La municipalité souhaite éviter de commettre à nouveau l’erreur du « ghetto », en concentrant ces logements sur une zone dense et contrainte. Le choix est fait de disperser ces logements sur différents secteurs de la commune, permettant ainsi une meilleure insertion de ceux-ci. 26 sont construits à proximité de la Marie, et plusieurs plots de 30 appartements sont en projets dans la zone requalifiée des Tartes. Plaine Commune Habitat, un des bailleurs, fait le choix d’acquérir un immeuble appartenant auparavant à des assurances le long de la Route Nationale 1 pour le requalifier en 123 logements sociaux.

Le reste des logements sociaux sont prévus pour être reconstruits sur le site. Le projet de l’ANRU prévoit d’apporter une mixité au quartier en mêlant à ces logements sociaux une cinquantaine de logements issus de la promotion immobilière privée. Mais une mauvaise estimation financière des espaces publics crée un déficit et il est nécessaire d’augmenter la densification du quartier pour permettre un rééquilibrage des budgets. Cinquante autres logements privés sont donc ajoutés au quartier.151

Se sont finalement sept îlots qui sont dessinés, allant du R+2 au R+4. L’un d’entre eux appartient à la Foncière logement, entreprise dépendant du 1% patronal et financeur de l’ANRU. En contrepartie, des terrains lui sont cédés gratuitement dans les quartiers, lui permettant d’engager des programmes d’investissement locatif privés. Elle entreprend la construction de 80 logements correspondants aux loyers du marché pour les salariés du 1% patronal. Ce sont donc au total 170 logements de promotion privée qui sont programmés sur le site.

Les trois derniers îlots sont destinés à du logement locatif social. Il appartiennent à différents bailleurs auparavant déjà présents sur le quartier : I3F, OPH93 (anciennement Office Département 93), et Plaine Commune Habitat. Les logements sociaux, au nombre de 172, représentent 50% des nouvelles constructions du quartier. La densité

151 Entretien avec Laure Tesson, Service de rénovation urbaine de Plaine Commune, 26 Octobre 2012

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obtenue est légèrement inférieure à celle démolie : 810 logements contre 900 auparavant.

Le programme de l’ANRU prévoit aussi la réhabilitation des bâtiments du quartier souffrant de détériorations. 412 logements sociaux des tours Boris Vian et du bâtiment Jacques Brel, ainsi que 43 logements privés de la copropriété Mermoz sont concernés par ces travaux. Ces requalifications sont d’autant plus importantes qu’elles doivent permettre une unification du quartier, au niveau de l’état physique des bâtiments, mais aussi dans l’esprit des habitants qui ne doivent pas se sentir délaissés dans un quartier clinquant neuf.

Sur les tours Boris Vian, une réhabilitation « moyenne » doit permettre d’assurer aux bâtiments une pérennité pour les 20 prochaines années. Les principales interventions portent sur les façades et fenêtres, l’étanchéité et quelques mises aux normes. Sur les bâtiments Brel et Mermoz, la réhabilitation est sensiblement la même. L’intervention est toutefois plus lourde en ce qui concerne l’isolation, ces bâtiments souffrant d’important problèmes de chauffage.152

Les travaux sont planifiés entre 2009 et 2014, seul un bâtiment de logements sociaux appartenant à I3F étant aujourd’hui construit. L’esthétique des bâtiments projetés diffère grandement du brutalisme ayant marquée le quartier pendant des années. Sur les tours, la nouvelle isolation permet un changement du revêtement de façade et ainsi l’utilisation du bois, de panneaux similis, de couleurs, etc. On remarque aussi que la végétation est extrêmement mise en valeur dans les images de promotion, dans lesquelles des familles heureuses s’épanouissent. Tous ces éléments souhaitent apporter dans les esprits convivialité et chaleur au quartier, et combinés à la petite dimension des bâtiments, ils espèrent pouvoir « l’humaniser ».

Pour la construction de ces nouveaux logements, la commune se doit de respecter une règle dite « des quatre-quarts », fixée par la communauté d’agglomération. Afin de s’assurer d’un équilibre des fonctions dans la commune, la construction de 1m2 logement doit être suivie de

Images : La réhabilitation des tours de l’ensemble Boris Vian promet l’usage de matériaux «humains» et facilement appropriables par ses habitants. Images de synthèse des projets, fournies par le Service de Rénovation Urbaine de Plaine Commune

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1m2 activité économique, 1m2 d’équipement de proximité, et 1m2 de grandsde espaces verts et sportifs. Ces nouvelles fonctions vont amener une attractivité au quartier.

C- Une nouvelle attractivité153

Le troisième axe d’étude concerne l’attractivité du quartier et la volonté d’y installer des dispositifs « rayonnants ». Les équipements publics sont des composants importants d’un quartier et doivent permettre de l’intégrer à la ville. Le dispositif suggère de « Proposer une offre d’équipements renouvelée répondant aux besoins des habitants du quartier et largement ouverts sur le reste de la Ville et diversifier les fonctions en introduisant de l’activité économique. »

Le premier des bâtiments concernés par les travaux est le gymnase Varlin, situé derrière l’école du même nom. Dans un état déplorable à la fin des années 2000, il est démoli courant 2010 et remplacé par un nouvel équipement qui ouvre ses portes en mai 2012 : le Palais des Sports Pierre Mâchon. D’une envergure de 3’000m2, il doit pouvoir accueillir une population en provenance de toute la commune, et être utilisé par les écoles et associations. Sa localisation a proximité de la Route Nationale 1 et la création d’une place publique permettant un accès sur celle-ci va d’ailleurs dans ce sens, lui offrant une visibilité depuis l’axe reliant toute la commune. De la même manière, une station de tramway à proximité immédiate de l’équipement lui assure une bonne connexion.

Le groupe scolaire Eugène Varlin présente aussi de nombreuses difficultés qui nécessitent une intervention. Avec pas moins d’un millier d’élèves et plus de 80 enseignants, il est l’un des plus gros groupes scolaires de France, ce qui ne va pas sans ajouter une difficulté de gestion. Partie intégrante du quartier et avec l’apparition des problèmes de celui-ci, l’école est rapidement devenue « l’école du ghetto ». Le choix est fait de diviser le quartier en deux écoles, et de manière à désenclaver celui-ci, elle accueilleront aussi des élèves des rues environnantes.

Image : Le Palais des sports Pierre Machon est les premier des équipements du quartier à être réalisé. Architectes : Gilles Lehoux et Pierre Phily, 2012, photographie fournie par le Service de Rénovation Urbaine de Plaine Commune

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Un nouveau bâtiment, le groupe scolaire Danielle Mitterrand, est alors planifié pour une ouverture d’ici fin 2014 dans le Nord du quartier, en contrebas du Palais des Sports. Le bâtiment existant, datant en partie des années 1930, est réhabilité. Une des ailes comprenant notamment l’école maternelle est démolie, et doit permettre l’installation à sa place du nouveau centre-social.

Depuis 2009, un nouveau centre social, le centre social et culturel Maroc-Châtenay-Poètes, s’est installé dans des locaux provisoires en face de son emplacement futur. Le bâtiment projeté triple les surfaces actuelles des locaux, et doit permettre l’accueil de nombreuses activités. Son but n’est pas de venir en remplacement au centre social Georges Brassens, fermé en 2006 pour cause de non-agrément, et qui était le centre du quartier des Poètes. Sa position au sein de la cité le rendait très pratique pour ses habitants, mais inaccessible à toute personne extérieure au quartier.

La nouvelle position du centre est une forte volonté politique allant dans le sens de la création de mixité avec les autres quartiers. Au carrefour des quartiers du Maroc, Châtenay et des Poètes, d’où son nom provisoire, il doit permettre un rassemblement des populations des quartiers Nord. Souhaitant éviter la fracture Nord-Sud au sein de la ville, liée par exemple à deux collèges différents, le centre social travaille en partenariat avec celui situé au Sud de la commune. Des excursions de groupe se faisant avec 50% des participants en provenance de chacun des centres permet de créer une nouvelle cohérence.154

Dernier élément, l’importance d’adjoindre au quartier des locaux à vocation économique. En vue du contexte, cette opération s’avère difficile. En effet, Pierrefitte souffre de la concurrence avec le nouveau quartier de la Plaine Saint-Denis, qui propose de nombreux espaces disponibles, plus accessibles et pas forcément plus chers. La solution envisagée est l’installation de petites activités, petites entreprises, qui ne peuvent pas être comparées avec les mastodontes de la Plaine.

Mais le quartier n’est pas encore établi, et il faut d’abord qu’il se transforme pour réussir à attirer des entreprises et commerciaux. Ces activités doivent avoir envie de venir, croire à un potentiel possible,

154 Entretien avec Reda Karroum, directeur du centre social et culturel Maroc-Châtenay-Poètes, Pierrefitte-sur-Seine, le 24 Octobre 2012

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à un marché, et pour cela, le quartier doit être installé. Un commerce d’alimentation ne peut par exemple pas être envisagé, les habitants préférant prendre la voiture pour trouver à quelques minutes du quartier, sur la Route Nationale 1, des grandes surfaces proposant des produits à moindre couts.

La société d’économie mixte missionnée par Plaine Commune réalise actuellement des études de marchés pour proposer des scénarios alternatifs. Plusieurs projets sont envisagés, tels que la création d’une résidence étudiante, d’un hôtel ou même d’une brasserie. Mais tant que le quartier n’aura pas été transformé, seuls quelques commerces de proximité, tels que pharmacie ou épicerie de dépannage peuvent être projetés de manière sure. Une boulangerie a d’ailleurs ouvert ses portes sur la rue Jules Châtenay, dans le premier bâtiment achevé en 2011.

D- La résidentialisation des espaces

Le dernier axe est l’une des priorités de l’ANRU, et se retrouve dans de nombreuses opération qu’elle entreprend. Il s’intitule « Redéfinir le statut et les fonctions des espaces publics tant dans la structuration interne du quartier que dans ses relations avec son environnement ».

Ce sont les espaces publics du quartiers, initialement destinés à la rencontre des habitants, qui sont ici visés. Avec la dégradation du quartier, ils sont devenus des espaces laissés à l’abandon, tels que le Séjour urbain du bâtiment Desnos, ou encore laissant place à une appropriation négative tels que la place Brassens ou les nombreuses placettes, coins et recoins formés par l’architecture originale de ces ensembles.

Le postulat de la résidentialisation propose une délimitation de ses territoires, et leur définition d’une appartenance précise. Entourant les bâtiments ou au sein de ceux-ci, ils appartiennent au bailleur ou à la copropriété concerné et forment alors des résidences. La limite peut être matérialisée de manières différentes : par des murs, des grilles, une barrière végétale ou encore un changement de matérialité.155 Elle apporte une clarté de définition nécessaire aux habitants comme aux

155 Résidentialisation, http://fr.wikipedia.org/wiki/Résidentialisation, consulté le 12 décembre 2012

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gestionnaires. Chacun doit ensuite assumer la gestion de son propre patrimoine.

On donne une échelle plus réduite aux ensembles d’habitation. Les espaces publics deviennent dissuasifs, voire privatisés. Cette disposition vise à une restauration du civisme, souhaitant amener à une plus grande responsabilisation de la collectivité, et ainsi éviter d’éventuels actes de dégradation ou d’incivilités. Ce contrôle social informel est cependant à considérer avec précaution, pouvant dégénérer en une logique de « l’entre-soi », fermant chaque bâtiment sur lui-même et ne permettant pas de développement d’une vie de quartier.

La résidentialisation des espaces amène aussi à la privatisation de la plupart des espaces verts. Pour pallier à cela, et permettre la rencontre des habitants, plusieurs espaces publics sont aménagés dans le quartier. Deux petits squares sont projetés, l’un d’eux comprenant des jeux d’enfants. Une plaine de jeux est aussi accolée au Palais des sports, de l’autre côté du Mail.156

Image : La résidentialisation du bâtiment Jacques Brel amène à la mise en place de grilles et de barrières végétales. Les espaces publics sont privatisés. Image de synthèse du projet, fournie par le Service de Rénovation Urbaine de Plaine Commune

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Conclusion

La Sodétat 93, en missionnant les architectes du courant Renaudie, désirait en tout point se distinguer du logement social construit par le mouvement moderne. Son souhait était celui d’une architecture remettant en cause les grands ensembles, se voulant sociale, et permettant d’offrir de beaux logements se rapprochant de l’habitat individuel aux habitants de la Seine-Saint-Denis. Favorisant les rencontres entre les habitants, elle devait être génératrice d’une vie de quartier. C’est d’ailleurs ce qu’elle fut dans un premier temps. La population qui s’installa aux Poètes à ses débuts était curieuse, attirée par cette architecture exceptionnelle. Elle y développa une vie populaire riche et dynamique.

Mais en quelques années, le quartier devient le lieu d’une délinquance extrême, le bâti subit des dégradations irrémédiables et l’entretien est quasi-nul. Malgré que les architectes aient cherché à dépasser la monotonie des espaces et leur fonctionnalisme, on assiste paradoxalement à des difficultés similaires. L’architecture ne peut cependant être la source des difficultés rencontrées par le quartier, mais elle peut-être le cadre dans lequel celles-ci se déroulent.

La première cause du rejet du quartier est la stigmatisation dont il est victime. Sa forme urbaine et sa densité l’assimilent dans les esprits des habitants aux représentations qui entourent l’habitat social. Il devient alors le lieu de projections, de ressentiments, de peurs. Son enclavement empire ce phénomène. Les liaisons sinueuses et le caractère piéton du quartier sont des éléments qui, malgré qu’elles se posent en rupture avec les conceptions de zoning des espaces du mouvement moderne, ne parviennent pas à créer un morceau de ville.

Dans le cas du quartier des Poètes, l’architecture joua un rôle particulier étant donné l’importance des malfaçons des bâtiments, responsables en partie de sa dépréciation par ses habitants. Elles furent les premières à amener la dégradation du bâti.

C’est la confrontation entre cette stigmatisation ayant tendance à dévaloriser l’habitat social et les difficultés techniques rencontrées par ses habitants qui entraînèrent le déclin du quartier. Encouragées par des lois allant dans leur sens, elles favorisèrent le départ des classes

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moyennes, amenant ainsi à une paupérisation rapide des Poètes, puis plus tard à la création d’un ghetto.

Suivirent les conséquences d’une crise touchant particulièrement les quartiers de banlieues : le fort taux de chômage notamment, la ségrégation des habitants. Tant de mécanismes économiques et sociaux qui amenèrent à un repli sur soi de sa population, à une désaffiliation du quartier. Les violences apparurent, et avec elles de nouvelles dégradations, volontaires cette fois.

L’architecture et les habitants se mirent alors à souffrir l’un de l’autre. L’esthétisme brutaliste ne fut pas compris et focalisa des jugements esthétiques s’en prenant aux architectes. Les géométries originales subirent le même sort. Ces choix apparurent, au contraire de leurs intentions, comme un mépris envers la population.

De la même manière, les espaces dédiés à l’appropriation furent détournés. A l’inverse des espaces monotones des grands ensembles, ils offrirent autant de nouvelles possibilités de nuire à autrui. Face à l’ampleur des dégâts et aux coûts nécessaires à une amélioration, les gestionnaires abandonnèrent toute idée de sauvetage du quartier. Les habitants, cumulant un ressentiment très fort, exercèrent alors un rejet très marqué de cette architecture qu’ils n’arrivaient pas à s’approprier.

La dégradation, la stigmatisation les violences et l’enclavement du quartier furent les arguments mis en avant pour justifier sa démolition. Entraînés par la surpuissance de l’ANRU, nous nous permettrons de douter de la pertinence de ce choix. Si la mise en place de nouveaux axes de circulations comme de transports à proximité doit permettre un désenclavement du quartier, on peut néanmoins s’interroger de son orientation vers des « logements normés ». Rectilignes, privatisés, les espaces publics du quartier sont transformés en autant de lieux surveillés et interdisant définitivement toute appropriation.

« Ou bien on fait des avenues bien droites, avec des murs et des caméras, ou bien on fait des choses diffuses, qui se promènent, avec de la végétation, des bancs, des squares, des jardins, des recoins. {…} On a l’impression qu’on s’achemine progressivement vers des normes et des directives de la préfecture de police. Les halls des

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immeubles vont être traités au minimum, cela va être un trou de souris où l’on ne peut pas se rencontrer. »Yves et Luc Euvremer, La Cité des Poètes, un film de Mathilde Chikitou, 2009

Serions-nous en présence d’un cycle ramenant la situation à celle de Paris sous Haussmann ? On détruit l’architecture alambiquée pour éviter les rassemblements non-voulus et permettre une meilleure surveillance ? Pourtant, la structure villageoise crée par les architectes fut positive dans la démarche de village africain mise en place par Hibat Tabib. Dans toutes autres conditions, on imagine qu’elle peut apporter des bénéfices importants à la vie de quartier. La question se retourne alors vers l’accompagnement social, qui, en vue des expériences précédemment menées, semble finalement être plus au cœur de l’avenir des Poètes que celle du bâti.

« La question importante est celle de l’accompagnement social : avoir une vision de ce que l’on veut faire dans une ville, dans un quartier, quelles sont les perspectives… Il faut construire un projet social en même temps. L’habitat est bien sur un facteur important, c’est clair. Mais ce n’est pas avec cette idée du gouvernement de tout démolir que la question des violences, de la domination territoriale et de l’insécurité vont être réglées. Ce n’est pas complètement lié à la question de l’habitat. C’est aussi lié à la question de l’éducation, aux modes de vies, aux relations entre les liens et les autres, à une volonté politique locale qui mène des projets, qui s’intéresse aux habitants, qui les implique, qui est capable de créer des espaces pour les habitant, qu’ils aient un sentiment d’appartenance. »Entretien avec Hibat Tabib, Directeur de l’AFPAD, fondateur de l’ancien centre social Georges Brassens, le 03 Décembre 2012

La faute est donc injustement et de manière récurrente rejetée sur l’architecture. Avec la démolition du quartier, les architectes, à qui l’on a demandé de faire preuve d’un travail de création, voient disparaître leur travail qu’est l’œuvre architecturale. Mais l’architecture ne peut-être purement conceptuelle, elle est un cadre matériel d’interactions entre le passé, la conjoncture, le devenir, et les différentes mentalités qui accompagnent ces périodes. Se sont donc ses habitants qui sont les premiers concernés par sa situation. Ainsi il est compréhensible qu’un débat ait eu lieu entre les différents « propriétaires » de ce quartier.

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Il est en revanche regrettable que chacun ait pris trop à cœur la forme dans laquelle ce combat a été mené ainsi que les conséquences d’une telle décision. Cette confrontation stérile ne permit malheureusement pas d’aboutir à un compromis conciliant les intérêts des habitants du quartier en le rendant plus «habitable», tout en valorisant le patrimoine architectural.

Mon intervention par le projet d’architecture s’efforcera d’aller dans ce sens, en prenant en compte les différents éléments évoqués lors de l’établissement de cette étude. Ainsi, le projet de l’ANRU sera dans un premier temps remis en question, à la faveur d’une structure urbaine incitant à l’organisation villageoise. Dans un second temps, le projet architectural proposera une réhabilitation des bâtiments Brel et de la copropriété Mermoz, conservant les qualités exceptionnelles de ce bâti tout en en améliorant les conditions d’habitat.

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Entretiens :

Entretien avec Abogo Dieudonné, 23 Octobre 2010

Entretien avec Fourcade Michel, 22 Octobre 2010

Entretien avec Galou Farida, 24 Octobre 2010

Entretien avec Karroum Reda, 24 Octobre 2012

Entretien avec Tabib Hibat, 3 décembre 2012

Entretien avec Tesson Laure, 25 Octobre 2012

Elise Guilerm, Entretien avec Euvermer Yves, 14 Mars 2006

Elise Guillerm, Entretien avec Hanriot Catherine, 22 Mars 2006

Elise Guillerm, Entretien avec Vigne Stéphane, 15 Mars 2006

Irenes.net, Entretien avec Tabib Hibat, « Une pédagogie de l’espoir », 2 Novembre 2009

Documents fournis par la commune et l’ANRU :

ANRU, Projet de rénovation Urbaine, Pierrefitte-sur-Seine, quartier des Poètes, Volume 2, Le contexte et l’historique du projet, présentation du projet de rénovation urbaine, 2006.

Ville de Pierrefitte-sur-Seine, Plan local d’urbanisme, 2009.

Ville de Pierrefitte-sur-Seine, Convention de mise en œuvre du projet de rénovation urbaine, 2007.

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Ville de Pierrefitte-sur-Seine, Pierrefitte-sur-Seine, quartier Les Poètes, Revue de projet n°2, 2010.

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Documents fournis par le collectif DOCOMOMO

Buczkowska Iwona, « Non à la démolition du quartier des Poètes ! », 21 Novembre 2009

Chaljub Bénédicte et Lempereur Bruno, Lettre ouverte, 22 Novembre 2009

Housieaux Pierre, « Lettre de soutien au collectif DOCOMOMO de l’association Sauvegarde et Mise en valeur du Paris Historique », 9 Novembre 2009

Kroll Lucien, Message d’appui de Lucien Kroll, 2009

Nébot Bernard, « Lettre à Frédéric Mitterand, Pour la préservation de l’ensemble d’habitat social « les Poètes » à Pierrefitte 93 », 24 Novembre 2009

Nouvel Jean, « Soutien à l’action de DOCOMOMO France contre la démolition de la Cité des Poètes », 11 Novembre 2009

Pastrana Raoul, « Lettre à Maître Gilles Caillet dans le cadre de la procédure Judiciaire Padron Lopez, DOCOMOMO France et autres », 20 Novembre 2009

Rapin Jean-Pierre, Attestation, 2009

Rapin Jean-Pierre et Mariétan Pierre, « Un Crime culturel se commet », 2009

Renaudie Serge, « Lettre de soutien au collectif DOCOMOMO »,

Gailhoustet Renée, Lettre de Renée Gailhoustet à Maître Gilles Caillet, 2009

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- 178 - - 179 -PLAN DU QUARTIER DES POETES EN 2008

BREL

MERMOZ

VIAN

BRASSENS

DESNOS

ECOLEVARLIN

GYMNASEVARLIN

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EPFL 2012-2013ENNONCE THEORIQUE DE MASTER EN ARCHITECTURE

MARINE BEAUMANOIR

SOUS LA DIRECTION DE

LUCA PATTARONI, PROFESSEURANDREA BASSI, DIRECTEUR PEDAGOGIQUE

BARBARA TIRONE, MAÎTRE EPFL