Un peuple dispersé Le rôle de la première guerre...

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Le dessous des cartes : la diaspora palestinienne 1 LA DIASPORA PALESTINIENNE Recherches et écriture: LEPAC/ Mathias Strobel Réalisation : Alain Jomier Graphisme : Pierre-Jean Canac Diffusion sur Arte le 12.12.2007 à 22:30 Alors que l’année 2008 célébra le 60e anniversaire de la naissance d’Israël, les Palestiniens sont toujours sans État et forment en nombre la première communauté de réfugiés au monde. Où vivent-ils et quel est leur statut ? Un peuple dispersé Les Palestiniens forment un peuple d’environ 10 millions de personnes, dispersées à travers le monde. Ils vivent avant tout au Proche-Orient : - d’abord en Cisjordanie, où ils sont 2,5 millions, - dans la bande de Gaza, 1,4 million, - et en Israël, où ils sont 1,4 million (soit 20% de la population du pays) et ont la nationalité israélienne. Hors de la Palestine historique : - quelque 3 millions de Palestiniens vivent en Jordanie, - Ils seraient 400 000 au Liban, - 400 000 en Syrie, - 600 000 dans les autres Etats arabes. Et hors du Moyen-Orient, ils seraient notamment plus de 200 000 en Europe et environ 250 000 aux Etats-Unis. Au total, près de la moitié de la population palestinienne dispose du statut de réfugié. Pour comprendre cette diaspora et ce statut de réfugié, il faut rappeler le rôle joué par deux événements historiques déterminants. Le rôle de la première guerre israélo-arabe Le premier événement est la guerre de 1948, qui fait suite au plan de partage de la Palestine. En novembre 1947, c’est-à-dire peu de temps après la Shoah, une résolution de l’ONU partage la Palestine, qui est alors sous mandat britannique en deux territoires : l’un arabe, l’autre juif. Ce plan est accepté par les Juifs, mais refusé par les Arabes de Palestine. Et quand l’Etat d’Israël est proclamé en 1948, les pays arabes voisins entrent en guerre contre l’Etat hébreu, mais ils sont vaincus. C’est ainsi que le tout jeune Etat israélien accroît son territoire par rapport à ce qui était prévu dans le plan de partage de 47. L’exode des Palestiniens Environ 700 000 Palestiniens se sont enfuis à cause de la guerre ou parce qu'ils ont été expulsés. Ils se réfugient alors essentiellement au Liban, en

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Le dessous des cartes : la diaspora palestinienne 1

LA DIASPORA PALESTINIENNE Recherches et écriture: LEPAC/ Mathias Strobel Réalisation : Alain Jomier Graphisme : Pierre-Jean Canac Diffusion sur Arte le 12.12.2007 à 22:30

Alors que l’année 2008 célébra le 60e anniversaire de la naissance d’Israël, les Palestiniens sont toujours sans État et forment en nombre la première communauté de réfugiés au monde. Où vivent-ils et quel est leur statut ?

Un peuple dispersé

Les Palestiniens forment un peuple d’environ 10 millions de personnes, dispersées à travers le monde. Ils vivent avant tout au Proche-Orient : - d’abord en Cisjordanie, où ils sont 2,5 millions, - dans la bande de Gaza, 1,4 million, - et en Israël, où ils sont 1,4 million (soit 20% de la population du pays) et ont la nationalité israélienne. Hors de la Palestine historique : - quelque 3 millions de Palestiniens vivent en Jordanie, - Ils seraient 400 000 au Liban, - 400 000 en Syrie, - 600 000 dans les autres Etats arabes. Et hors du Moyen-Orient, ils seraient notamment plus de 200 000 en Europe et environ 250 000 aux Etats-Unis. Au total, près de la moitié de la population palestinienne dispose du statut de réfugié. Pour comprendre cette diaspora et ce statut de réfugié, il faut rappeler le rôle joué par deux événements historiques déterminants.

Le rôle de la première guerre

israélo-arabe

Le premier événement est la guerre de 1948, qui fait suite au plan de partage de la Palestine. En novembre 1947, c’est-à-dire peu de temps après la Shoah, une résolution de l’ONU partage la Palestine, qui est alors sous mandat britannique en deux territoires : l’un arabe, l’autre juif. Ce plan est accepté par les Juifs, mais refusé par les Arabes de Palestine. Et quand l’Etat d’Israël est proclamé en 1948, les pays arabes voisins entrent en guerre contre l’Etat hébreu, mais ils sont vaincus. C’est ainsi que le tout jeune Etat israélien accroît son territoire par rapport à ce qui était prévu dans le plan de partage de 47.

L’exode des Palestiniens

Environ 700 000 Palestiniens se sont enfuis à cause de la guerre ou parce qu'ils ont été expulsés. Ils se réfugient alors essentiellement au Liban, en

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Syrie, en Transjordanie (aujourd’hui Jordanie), mais aussi en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, alors sous contrôle arabe. Pour prendre en charge ces populations palestiniennes, une agence de l’ONU est créée en 1948, l’UNRWA. Cette agence leur apporte une aide en matière de santé, d’éducation, de services sociaux. Selon l’UNRWA, seuls les Palestiniens qui habitaient sur le territoire de la Palestine mandataire, et qui ont perdu leur maison et leurs moyens de subsistance à cause du conflit de 1948, sont considérés comme réfugiés. Ce statut s’applique aussi à leurs descendants.

Le rôle de la guerre de 1967

Le second événement qui joue un rôle majeur dans la dispersion des Palestiniens, c’est la Guerre des Six jours en 1967. Cette guerre éclair, remportée là encore par Israël face à ses voisins arabes, conduit à l’annexion de nouveaux territoires par Israël (le Golan, la Cisjordanie, Gaza), et provoque un nouvel exode de quelque 400 000 Palestiniens, dont la moitié vers la Jordanie. Ainsi, deux guerres, à vingt ans d’écart, ont dispersé les Palestiniens dans la région. Et cette dispersion est accrue par les migrations à caractère économique, car de nombreux Palestiniens n’ont pas sur place de perspectives d’emploi, et partent travailler à l’étranger, notamment dans les pays pétroliers du Moyen-Orient.

Le cas de la Jordanie

Aujourd’hui, on ne peut pas parler des Palestiniens de la diaspora comme d’un tout, car leurs statuts et leurs conditions de vie sont tout à fait variables. Regardons d’abord l’exemple de la Jordanie, où les Palestiniens sont le plus nombreux. En Jordanie, les Palestiniens vivent principalement dans le nord, et dans les camps de réfugiés (voir la carte suivante). Sur 6 millions de Jordaniens, près de la moitié sont d’origine palestinienne. Parmi ces Palestiniens: - il y a d’abord les réfugiés de 1948, - ensuite, les Palestiniens qui résidaient en Cisjordanie lorsque ce territoire était partie intégrante du royaume jordanien (entre 1950 et 1967). Ces Palestiniens sont alors devenus Jordaniens - à cela s’ajoutent les réfugiés de 1967 (officiellement appelés “déplacés”). - Le pays a aussi accueilli quelque 400 000 Palestiniens qui travaillaient au Koweït, et qui en furent expulsés lorsqu’ Arafat a pris la décision de soutenir l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990. En effet, l’Irak soutenait alors financièrement l’Organisation de Libération de la Palestine. Aujourd’hui, la plupart des Palestiniens de Jordanie possèdent la citoyenneté du pays. En outre, les mariages entre Jordaniens et Palestiniens sont plus nombreux que dans les autres pays de la région. Dans l’ensemble, les Jordano-Palestiniens sont bien intégrés dans la société, d’autant que leur niveau de formation leur permet de jouer un rôle important dans l’économie du pays, notamment dans le secteur bancaire.

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Septembre Noir

Or cette communauté palestinienne a aussi été un facteur d’instabilité politique. En 1970, lorsque le roi Hussein de Jordanie signe un plan de rapprochement avec Israël, certaines factions palestiniennes appellent à le renverser. En réaction, le régime jordanien lance une offensive contre les commandos palestiniens présents dans les camps de réfugiés (triangles rouges sur la carte). Ces événements, dits de “Septembre Noir”, ont fait entre 10 000 et 15 000 morts, surtout des civils, et ont conduit à l’expulsion de l’OLP alors basée en Jordanie. L’OLP est parti s’installer au Liban.

Le cas du Liban

Au Liban, la situation des Palestiniens est beaucoup plus difficile. Ce pays abrite des réfugiés surtout issus de la première guerre israélo-arabe de 1948. La moitié d’entre eux résident dans ces douze camps, que l’on voit sur la carte. A l’origine c’était des tentes de toiles, car en 1948 les Palestiniens prévoyaient un retour rapide dans leur pays. Or, les tentes ont été progressivement remplacées par des petits baraquements, puis par des maisons de faible hauteur, à cause des contraintes de construction imposées par la loi libanaise.

Les camps informels

À ces camps officiels s’ajoutent une quinzaine de camps de réfugiés, qui ne sont pas reconnus par l’UNRWA, mais dans lesquels l’organisation intervient tout de même. C’est le cas notamment du camp de Sabra, détruit pendant la guerre civile libanaise (massacres de Sabra et Chatila en 1982), et reconstruit ensuite de façon sommaire.

De véritables bidonvilles

Certains camps ressemblent aujourd’hui à de véritables bidonvilles. En effet, la loi libanaise interdit aux Palestiniens d’acquérir une propriété en dehors des camps. Elle restreint aussi leur accès aux services sociaux et au marché du travail. Si bien que 2/3 des 400 000 Palestiniens du Liban vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. En fait, les autorités libanaises considèrent toujours les Palestiniens comme des réfugiés, avec un statut transitoire. Les camps sont perçus comme un facteur d’instabilité. Ils ont souvent servi de base arrière aux opérations militaires contre Israël. Et puis les Palestiniens ont été largement partie prenante dans la guerre civile libanaise, entre 1975 et 1990.

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L’insurrection de Nahr el Bahred

Plus récemment, certains camps, comme Nahr el-Bahred ont été investis par des mouvements islamistes radicaux. Au printemps 2007, des jihadistes de diverses nationalités ont lancé à partir de ce camp une

offensive contre l’armée libanaise, avant d’être vaincus militairement au bout de plusieurs mois de combats. Les 32 000 réfugiés palestiniens qui vivaient dans ce camp ont dû être déplacés, principalement vers le camp de Baddaoui.

Pour les Palestiniens se combinent l’absence de statut juridique, l’aggravation des conditions de vie, l’instrumentalisation du religieux à des fins politiques, donc un nombre croissant d’entre eux cherchent à émigrer, notamment vers l’Europe ou les Etats-Unis où certains exercent des métiers tout à fait qualifiés. Mais pas question pour autant d’écarter l’idée de rentrer en Palestine, surtout si un Etat palestinien voit le jour. Alors, l’idée est entretenue par certains dirigeants palestiniens. Mais aussi par les Etats arabes, ce qui vient justifier leur faible implication pour améliorer le quotidien des populations palestiniennes qu’ils accueillent. Le soutien arabe à la cause palestinienne est avant tout financier, parfois diplomatique mais c’est tout, pour le reste, il est plus vocal que réel, et depuis longtemps instrumentalisé à des fins politiques. En fait, il ne s’agit pas d’être pro-Palestinien, mais d'être surtout anti-Israélien. En fait la perspective du retour est peu vraisemblable. La venue de millions de réfugiés palestiniens bouleverserait l’équilibre démographique entre Israël et les territoires palestiniens. Et d’autre part, un tel retour impliquerait qu’Israël reconnaisse sa part de responsabilité dans l’exode des Palestiniens de 48. Ce qui est tout de même fort peu vraisemblable.