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http://lib.uliege.be https://matheo.uliege.be Étude qualitative du vécu schizophrénique dans son processus dansé Auteur : Capovilla, Chloé Promoteur(s) : Englebert, Jérôme Faculté : þÿFaculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l Education Diplôme : Master en sciences psychologiques, à finalité spécialisée en psychologie clinique Année académique : 2018-2019 URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/8356 Avertissement à l'attention des usagers : Tous les documents placés en accès ouvert sur le site le site MatheO sont protégés par le droit d'auteur. Conformément aux principes énoncés par la "Budapest Open Access Initiative"(BOAI, 2002), l'utilisateur du site peut lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces documents, les disséquer pour les indexer, s'en servir de données pour un logiciel, ou s'en servir à toute autre fin légale (ou prévue par la réglementation relative au droit d'auteur). Toute utilisation du document à des fins commerciales est strictement interdite. Par ailleurs, l'utilisateur s'engage à respecter les droits moraux de l'auteur, principalement le droit à l'intégrité de l'oeuvre et le droit de paternité et ce dans toute utilisation que l'utilisateur entreprend. Ainsi, à titre d'exemple, lorsqu'il reproduira un document par extrait ou dans son intégralité, l'utilisateur citera de manière complète les sources telles que mentionnées ci-dessus. Toute utilisation non explicitement autorisée ci-avant (telle que par exemple, la modification du document ou son résumé) nécessite l'autorisation préalable et expresse des auteurs ou de leurs ayants droit.

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http://lib.uliege.be https://matheo.uliege.be

Étude qualitative du vécu schizophrénique dans son processus dansé

Auteur : Capovilla, Chloé

Promoteur(s) : Englebert, Jérôme

Faculté : þÿ�F�a�c�u�l�t�é� �d�e� �P�s�y�c�h�o�l�o�g�i�e�,� �L�o�g�o�p�é�d�i�e� �e�t� �S�c�i�e�n�c�e�s� �d�e� �l ��E�d�u�c�a�t�i�o�n

Diplôme : Master en sciences psychologiques, à finalité spécialisée en psychologie clinique

Année académique : 2018-2019

URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/8356

Avertissement à l'attention des usagers :

Tous les documents placés en accès ouvert sur le site le site MatheO sont protégés par le droit d'auteur. Conformément

aux principes énoncés par la "Budapest Open Access Initiative"(BOAI, 2002), l'utilisateur du site peut lire, télécharger,

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UNIVERSITÉ DE LIÈGE FACULTÉ DE PSYCHOLOGIE, LOGOPÉDIE ET

SCIENCE DE L’ÉDUCATION

ÉTUDE QUALITATIVE DU VÉCU SCHIZOPHRÉNIQUE DANS SON

DISPOSITIF DANSÉ

PROMOTEUR : Jérôme ENGLEBERT LECTEUR : Clara LIBERA et Frédéric WIDART

Mémoire composé en vue de l’obtention du titre de

Master en science psychologique Par Chloé CAPOVILLA

Année académique 2018-2019

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« Notre corps n'est pas seulement un espace expressif parmi les autres, il est l'origine de tous les autres, le mouvement même d'expression, ce qui projette au-

dehors les significations en leur donnant un lieu, ce qui fait qu'elles se mettent à exister comme des choses, sous

nos mains, sous nos yeux. »

Merleau-Ponty. M

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REMERCIEMENTS

Je voudrais remercier en premier lieu mon promoteur, Monsieur Jérôme Englebert. En m’ouvrant à la phénoménologie vous m’avez ouvert des portes de compréhension que je

n’aurai jamais poussées. Merci.

Un grand merci aux participants de l’atelier « Expression corporelle », pour leur précieux témoignages et la confiance qu’ils m’ont accordée.

Merci aux membres du Centre de l’Ancre pour m’avoir offert leur confiance dans la réalisation des ateliers. Ainsi qu’un remerciement particulier pour le Dr Razafinimanana.

Votre soutien et intérêt pour mes ateliers m’ont particulièrement touché.

Merci à Pauline, ergothérapeute du centre qui m’a épaulé dans l’animation de l’atelier. Le rythme sans toi n’était pas gagné !

Je remercie du plus profond de mon cœur ma famille, sans qui je ne pourrai écrire ces mots.

Un merci tout particulier à ma mère, qui m’a soutenu jusqu’à la dernière ligne de ce mémoire.

Merci à vous mes amies de toujours, Élodie Verseillie, Virginie Fenet et Jessica Gautier. Vous m’accompagnez depuis mes premiers pas en psychologie et vous avez su m’épauler à

chaque stade (et il y en a eu beaucoup…). Votre soutien m’a beaucoup apporté.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ................................................................................................................ 1

CHAPITRE 1 : CONSTRUCTION DE L’ÉTUDE ............................................................ 3

1- TERRAIN DE RECHERCHE ........................................................................................... 3

L’Ancre .......................................................................................................................... 3

Recrutement ................................................................................................................... 4

2- CHOIX METHODOLOGIQUE ........................................................................................ 4

Des perspectives complémentaires.................................................................................. 4

Position du chercheur dans sa recherche........................................................................ 7

3- OUTILS DE MESURE .................................................................................................... 1

Méthode par théorisation ancrée - GTM ......................................................................... 1

Description des entretiens cliniques ............................................................................... 4

Observation .................................................................................................................... 5

4- CREATION DES ATELIERS ........................................................................................... 7

Définition rapide de la Danse-thérapie ........................................................................... 7

Construction des séances clés ......................................................................................... 8

CHAPITRE 2 : CONSCIENCE CORPORELLE ............................................................ 11

1- LA PERTE DES CORPS ............................................................................................... 12

Définition du Leib et du Körper .................................................................................... 12

Quand le Leib désincarne le Körper ............................................................................. 13

Vivre son corps dans l’hypertonie................................................................................. 17

2- SPECTATEUR DE SON CORPS ..................................................................................... 21

3- UN COSMONAUTE PERDU DANS L’ESPACE................................................................. 23

CHAPITRE 3 : TERRITORIALISATION ...................................................................... 26

1- ESPACE OBJECTIF .................................................................................................... 26

2- LIEN ENTRE CORPS VECU ET ESPACE VECU .............................................................. 29

3- L’OBSTACLE DE L’HYPER-REFLEXIVITE DANS L’ESPACE COMMUN .......................... 31

4- INTEGRATION D’AUTRUI DANS SON ESPACE TOPOLOGIQUE...................................... 34

Chemin relationnel de Patrick ...................................................................................... 34

Communication intercorporelle .................................................................................... 35

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CHAPITRE 4 : AXE RELATIONNEL ............................................................................ 41

1- CONSTRUCTION D’UNE EMPATHIE GROUPALE ........................................ 41

Effet d’habituation........................................................................................................ 42

Mémoire intercorporelle, base d’un sens commun ........................................................ 44

Le groupe dans son processus d’intercorporalité .......................................................... 46

2- S’INDIVIDUALISER PAR LE GROUPE .......................................................................... 48

Affirmation de soi ......................................................................................................... 48

3- LA PLACE DE LA CONFIANCE DANS LE LACHER PRISE .............................................. 49

Confiance en les autres ................................................................................................ 49

Confiance en soi ........................................................................................................... 51

CONCLUSION .................................................................................................................. 53

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................. 55

ANNEXES .......................................................................................................................... 60

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INTRODUCTION !

Schizophrénie ; Lieu d’expression où la raison s’arrête. Souvent catégorisée, classée et

repensée, la schizophrénie est une pathologie qui pose question. Plusieurs auteurs se sont

penchés sur son sujet afin d’en construire une compréhension ordonnée. Toutefois, caractérisée

comme désorganisée et envahissante, l’ordonner ne nous mettrait-il pas en porte à faux ? Et si

la solution était le désordre ? Et si l’immersion dans le territoire schizophrénique était une

solution pour mieux l’appréhender ?

Kraepelin caractérisait la schizophrénie dans une fragmentation de la conscience. À l’image

d’un orchestre sans chef d'orchestre, le sujet ne parviendrait pas à organiser sa pensée qui

s’exprimait dans une cacophonie ambiante. Par la suite, Bleuer perdure cette image d’une unité

défectueuse dans la fragmentation de sa pensée, sentiment d’être et volonté. Dans une approche

plus contemporaine, la psychopathologie phénoménologique s’accorde sur un trouble de

l’Ipséité caractérisant un amoindrissement « d’être soi ». C’est-à-dire du sentiment d’existence

dans rapport au monde et à soi.

Dans une volonté de percevoir la pathologie dans toute sa subjectivité, la phénoménologie

dresse une présentation large de la schizophrénie. Dans le sens que celle-ci comprend de

nombreuses facettes évolutives. Loin de s’exprimer dans une linéarité. La schizophrénie se

manifeste dans des intensités différentes que ce soit d’un sujet à un autre ou d’un même sujet

dans une situation différente. A la hauteur de la complexité humaine, une généralisation de cette

maladie serait beaucoup trop réductrice et risquerait de passer à côté de concept clé, utile à sa

compréhension. Pour Fuchs, nous devons aller au-delà d’une simple description des symptômes

qui la composent. Une analyse approfondie des perturbations schizophréniques sur l’expérience

de soi est indispensable pour comprendre tous les rouages qui la façonnent.

Dans une volonté de répondre à cette grande exploration de la maladie, je vous invite à examiner

trois vécus de sujets souffrant de schizophrénie. Et puisque tout le challenge de cette pathologie

est de pouvoir la repenser indéfiniment pour en repérer toutes ses caractéristiques, je vous

propose de l’étudier au sein d’une recherche expérimentale. A l’aide d’un dispositif dansé

Repenser sa manière de pensée pour appréhender une pathologie qui pense trop ? C’est à en perdre

la tête.

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adapté, il pourrait être intéressant d’investiguer le vécu schizophrénique dans son expression la

plus primaire, le corps.

Au cours de cette recherche, j’aimerai maintenir la subjectivité des informateurs au centre de

mon analyse. Chaque individu possédant sa particularité propre, il est important de le concevoir

dans sa globalité et pas uniquement à travers la maladie. Ainsi, ce mémoire sera traversé de

différents courants, qui me paraissent adéquates pour une telle analyse. Ces approches seront

la phénoménologie clinique, phénoménologie dansée et la psychomotricité. Ce choix résulte

d’une volonté d’appréhender la maladie sous un autre angle afin d’en souligner tous ces

paradoxes.

Maintenant que mon sujet est introduit, m’autorisez-vous à vous proposer cette danse

schizophrénique ? Promis, seul votre esprit devra être mis de côté.

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CHAPITRE 1 : CONSTRUCTION DE L’ÉTUDE

1-!Terrain de recherche

L’Ancre !

Ma recherche s’est déroulée au sein du Centre de Revalidation Psychosociale (CRP) de

l’Ancre à Oupeye. Ce centre accueille environ quarante-huit usagers pour une durée maximale

de cinq ans, à raison d’un maximum de cinq jours par semaine. L’objectif de l’Ancre est

d’accueillir toute personne présentant des difficultés d’adaptation et d’insertion psychosociale

(au niveau professionnel, familial et/ou social) découlant de problèmes psychologiques

importants ou de troubles psychiatriques. La prise en charge d’usagers chroniques demeure une

caractéristique fondamentale du centre. L’établissement compte environ 48% d’usagers

souffrant de trouble psychotique, 32% de trouble de l’humeur et 20% de trouble anxieux.

Sachant que presque la totalité́ des usagers présente des comorbidités.

Le CRP a pour objectif d’établir un projet individualisé, en tenant compte des besoins et des

objectifs personnels de chaque usager. La finalité de cette intervention est l’amélioration et

l’insertion de la personne sur les plans de l’habitat, du travail et de la vie sociale. Pour ce faire,

l’établissement propose un programme comprenant divers ateliers (autonomie,

psychoéducation, atelier d’affirmation de soi, etc.) pouvant aider l’usager dans ses objectifs

thérapeutiques. Par ce fait, le CRP est composé d’une équipe pluridisciplinaire de seize

thérapeutes ; deux assistantes sociales, une infirmière et une logopède, trois psychologues, un

psychiatre, médecin et kinésithérapeute, trois ergothérapeutes, un assistant psychologue et enfin

deux éducateurs spécialisés.

Il est important de souligner dans un premier temps que j’ai intégré la structure en tant que

psychologue stagiaire. C’est à travers ce statut que j’ai pu mettre en place des ateliers de danse-

thérapie au sein du programme du centre. Néanmoins, afin d’éviter tout contre sens

déontologique, j’ai débuté la présente recherche à la fin de ce stage en tant qu’étudiante

chercheuse. De plus, je n’avais pris aucun des participants de l’atelier en charge lorsque

j’occupais le statut psychologue stagiaire. Enfin, il a été rappelé à chaque participant la position

de chercheuse dans laquelle je me trouvais durant l’atelier.

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Recrutement Ayant effectué un stage de psychologie au sein du CRP, je m’étais déjà familiarisée

avec le centre. Une réunion pluridisciplinaire fut mise au point, afin d’introduire en profondeur

mon étude et ses critères d’inclusion. Une liste d’usagers a ensuite été proposée par l’équipe et

moi-même.

Le recrutement s’est effectué en deux étapes. Dans un premier temps, le premier contact avec

l’atelier fut délivré par les thérapeutes du centre. Profitant du changement des programmes

thérapeutiques, les thérapeutes ont demandé aux usagers concernés s’ils souhaitaient intégrer

l’atelier de danse-thérapie. Puis, lorsque le sujet consentait à y participer, je leur demandais, de

façon individuelle, s’il voulait intégrer l’étude.

Ne comprenant pas de mesure directe sur le terrain (enregistrement, film, etc.), les usagers

avaient la liberté de refuser l’étude, tout en profitant de l’atelier. A noter que mes observations

de terrain utilisées dans ma recherche ne concernent que les informateurs de l’étude. Notons

par ailleurs que tous les participants de la séance étaient informés du caractère expérimental des

séances et de son enracinement dans mes recherches universitaires.

Par ce fait, sur un groupe de six participants, deux ont refusé de participer à l’étude et un ne

pouvait être inclus car non diagnostiqué schizophrène. Ainsi, l’échantillonnage de l’étude

s’élevait à trois participants, exclusivement des hommes âgés de 26 à 38 ans et tous

diagnostiqués schizophrènes stabilisés.

2-!Choix méthodologique

Des perspectives complémentaires

Mon travail a la volonté de s’inscrire dans une approche clinique de la phénoménologie.

Ainsi, au cours de sa réalisation, il m’a paru évident de ne pas considérer les personnes

schizophréniques à travers leurs pathologies, mais davantage à travers leur subjectivité. La

particularité de ce mémoire est qu’il s’inscrit dans une recherche expérimentale, en mettant en

place des séances de danse-thérapie. Ainsi, son objectif est d’investir le vécu des participants

durant ces séances, à l’aide d’entretiens et d’observations.

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Dans ce contexte, j’ai préconisé une perspective en première personne, afin de mettre

l’expression du sujet au centre de ma réflexion. Cependant les observations de terrain seront

menées dans une perceptive en troisième personne. Cette approche est assumée dans l’unique

but d’illustrer le vécu du sujet au sein du phénomène exprimé. Il ne vise en aucun cas à « trahir »

son expression ou de le catégoriser à travers des liens causaux

Par ce fait, il m’était primordial de situer ce mémoire à la croisée des chemins entre

phénoménologie, psychomotricité et danse.

Le choix d’inscrire ce mémoire dans une approche phénoménologique résulte de mon

désir de m’éloigner des sciences empiristes, souvent promues par les sciences humaines. Selon

Englebert (2013) les méthodes empiristes réduisent la compréhension du sujet en évitant

d’étudier le phénomène dans sa globalité. Il dénonce une tendance à simplifier l’analyse en

favorisant un point de vue catégorial et causal au détriment d’une perspective globale. Omettant

ainsi, toute la complexité du phénomène étudié. La compréhension du phénomène serait réduite

à une manipulation de variables qui rompt avec la subjectivité du sujet. En soit, il renonce à

habiter le phénomène dans son contexte (Merleau-Ponty cité par Englebert, 2013, p15). Sheets-

Johnstone (2015) associe la phénoménologie à une analyse existentielle de l’homme faisant

abstraction d’explication causaliste ou d’interprétation des phénomènes. L’analyse repose

davantage sur une mise en dialogue des théories avec le vécu subjectif des sujets, que sur son

interprétation causaliste. De par ce point de vue, Heidegger (2013) et Sheets-Johnstone (2015)

privilégient la phénoménologie dans son approche méthodologique plutôt que théorique. Elle

permet de structurer notre compréhension de l’homme à travers une description de sa

subjectivité et de sa façon d’être au monde. Elle éclaire « la qualité des expériences subjectives

des patients, leurs significations personnelles et la configuration selon laquelle elles [ces

significations] se répartissent » (Stanghellini, 2008, p4, cité par Recchia, 2016, p3).

Husserl est le premier à proposer cette méthode, décrivant la rencontre entre le préréflexif et le

pré-objectif. De fait, la phénoménologie promeut l’observation d’expériences immédiates et

directes de la conscience de l’homme face au monde (Sheets-Johnstone, 2015).

Dans son ouvrage « phenomenology of dance » (2015), Sheets-Johnstone met un point

d’honneur à associer la phénoménologie dans le processus danser. Pour elle, la danse rend

compte d’une conscience préréflexive qui englobe la totalité de l’individu. En ce sens, le

processus danser fait appel à une appréhension du corps comme le savoir direct d’un corps

vécu, mais également habité. A l’instar d’Englebert, l’auteur veut se soustraire d’un point de

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vue local pour appréhender le phénomène dans sa globalité. Ainsi, Sheets-Johnstone utilise la

phénoménologie pour rendre compte d’une expérience vécue, non pas par l’unique

appréhension des sensations physiques, mais par une présence corporelle (« Body’s

hereness »). Cette notion nous intéresse particulièrement, car elle se structure sur la conscience

spatiale du corps humain. En s’accordant aux écrits de Merleau-Ponty (1945, 1968), la présence

corporelle saisit nos gestes et nos mouvements dans une perception unifiée et continue. La

projection, constante et mouvante du corps, s’inscrit dans un savoir immédiat moteur, mais

aussi spatial. Dans l’appréhension du vécu schizophrénique, la présence corporelle nous

questionne par exemple sur les perceptions intuitives du sujet dans un espace donné. Comme

le précise Merleau-Ponty (1942), le corps créait l’espace à travers sa mise en action, mais

également à travers sa compréhension intuitive du monde.

En parallèle, l’approche psychomotrice de la personne schizophrène m’est davantage utile pour

une lecture motrice et clinique du sujet. Elle offre une compréhension générale du sujet à travers

son rapport à soi (État de corps), à l’espace (Étayage psychocorporel dans le Laban Movement

Analysis, 1994), et aux autres (Accordage tonico-postural et relation sujet-groupe).

De plus, l’approche psychomotrice a également été un guide dans la création et l’animation des

ateliers de danse-thérapie. Ceci m’a notamment permis de proposer des séances adaptées à la

population, mais également d’enrichir ma réflexion sur leur vécu. Associée à la

phénoménologie, l’approche psychomotrice était un support pour mettre en lumière mes

observations de terrain avec le récit des informateurs. Il va de soi qu’elle ne fut pas considérée

comme un dictionnaire « traduisant » les mouvements du sujet comme une preuve de son vécu.

Le point de départ de mes observations et de mes réflexions reste le discours du sujet. Par la

suite, les observations de terrain n’ont été utilisées que pour appuyer leurs vécus et enrichir ma

réflexion sur les phénomènes observés.

Conjointement, la création d’atelier au sein du CRP demande une préparation du chercheur

envers le centre qui l’accueille. J’entends par préparation le fait que je ne pouvais pas proposer

n’importe quel exercice, ou aborder mon terrain d’analyse sans m’être renseignée sur la

population. Le travail du corps et son impact ne doivent pas être pris à la légère. Renfermant

une mémoire corporelle forte, l’habitacle du sujet est un lieu d’interaction entre conscience et

inconscience, où les défenses et angoisses peuvent s’activer très rapidement. Par ce fait, il

m’était impossible d’appliquer à la lettre la notion d’Husserl (1997) sur un « retour aux choses

mêmes ». Dans son approche phénoménologique, il souligne la nécessité d’aborder les

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phénomènes sans aucun préjugé, attente ou pré-réflexion. L’objectif étant de nous défaire de

toutes préconceptions pour aborder le phénomène tel qu’il vient à nous. « Faire fi de toute

considération théorique qui aurait pour effet de troubler ou de biaiser l’étude du

phénomène » (Englebert, 2013, p17).

Ma position au sein du centre, mais également auprès des usagers m’a amené à provoquer ce

contre sens méthodologique. Au sein de l’atelier et dans mon rapport aux participants, je me

refusais d’émettre des préjugés ou des attentes à leur encontre. Cela m’aurait amené à me

focaliser sur ces pré-réflexions, en omettant d’autres réflexions plus pertinentes. Toutefois, la

création des exercices a été pensée à travers diverses théories de la maladie et certaines

précautions ou désirs d’investigation en ont été influencés. Par exemple aux vues d’un accord

commun des auteurs (Pankow, Englebert, Sass, Fuchs, etc.) sur le caractère instable du corps

dans son incorporation au monde, aucun exercice impliquant un contact physique n’a été

proposé. J’évitais ainsi toute activation d’angoisse, d’intrusion. D’un autre côté, la perte de sens

commun ou l’impasse relationnel du vécu schizophrénique, m’a amené à préconiser des

exercices en binôme ou en groupe, afin d’explorer ces difficultés.

Ainsi, lors de ma rencontre avec les sujets je n’étais pas en position naïve, mais je m’efforçais

à ne pas projeter sur le sujet des « vécus théorisés » qui auraient pu limiter ma compréhension.

Position du chercheur dans sa recherche

Au sein de ce travail universitaire j’ai dû occuper simultanément le statut de chercheuse

et de thérapeute durant les ateliers. Assistée par une ergothérapeute du centre, l’animation s’est

effectuée en binôme. Toutefois, la construction et la direction des séances se sont réalisées à

travers ma propre réflexion.

Ce double statut m’a permis d’alterner entre des positions plus actives ou plus passives. Durant

les séances je définissais davantage ma position comme étant active. Mettant en relation un

rapport de corps, ce type d’atelier demande une implication complète du thérapeute. Par ce fait,

je n’étais jamais dans une position de chercheuse, afin de maintenir une « attention pratique »

sur les participants. C’est-à-dire que mes actions et réflexions étaient tournées vers les

participants et leur vécu du mouvement et des autres. Au cours des séances, je restais focalisée

sur l’observation des différents chemins internes et la manière dont je pouvais les faire évoluer

(Cf Création de l’atelier).

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A contrario, lorsque la séance se finissait, je prenais un temps pour adopter une position plus

passive afin de retranscrire mes observations et impression dans mon journal de bord. Ces notes

pouvaient se centrer sur un seul informateur comme sur l’ensemble du groupe.

En me reposant sur l’approche « Englebertienne » (2013, 2005) du phénoménologue dans sa

recherche, j’ai pu expérimenter la place « d’observateur participant » (2013, p13). Dans sa

quête d’une compréhension fine du sujet, il suggère une alternance des positions passives et

actives du phénoménologue, afin de se rapprocher au plus près du vécu subjectif de son

informateur. Le phénoménologue, en s’immergeant dans le terrain, accepte d’être partie

prenante de la situation et de son objet d’étude. Les phénomènes observés sont révélés par ce

dernier mais exprimés et développés par le sujet.

Ainsi, le chevauchement des positions m’a permis, d’expérimenter une double compréhension

des acteurs.

Dans un premier temps, mon immersion dans le groupe m’a permis d’aborder les sujets dans

une compréhension plus subjective relevant du corps à corps. Puis dans un second temps, les

entretiens et notamment la verbalisation de leur vécu, m’a permis d’approcher leur propre

subjectivité et ainsi de faire évoluer ma compréhension.

Toutefois au cours de la recherche, j’ai constaté un biais non négligeable et surement inévitable

de cette immersion directe. Lorsque je questionnais le vécu des ateliers, les informateurs

s’alignaient sur une réponse positive, soulignant les effets relaxants des séances. Ce vécu peut

tout à fait être vrai et marqué une caractéristique principale des effets de la danse-thérapie, mais

parallèlement cela me questionne sur l’effet de désirabilité sociale. Ce biais renvoie à une

volonté des acteurs de plaire à son interlocuteur et de lui faire plaisir. Réalisant moi-même

l’atelier, qui plus est dans un cadre de validation d’une formation, il est important de garder à

l’esprit que certains retours peuvent avoir été influencés par ce phénomène. Ne pouvant

remettre en question l’intégralité des entretiens, je préférais informer le lecteur de ma prudence

dans l’analyse des vécus et admettre un possible biais de l’étude.

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3-!Outils de mesure !

Méthode par théorisation ancrée - GTM

Mon projet visant à révéler la subjectivité des personnes schizophrènes, il m’incombait

d’appliquer une méthode rigoureuse et structurée pour rendre compte, avec exactitude, du vécu

des sujets. Réalisant une recherche qualitative, la méthode par théorisation ancrée (Grounded

Theory Method, GTM) semblait être la plus adéquate pour répondre aux exigences

méthodologiques de ce mémoire.

Au même titre que l’approche phénoménologique, la GTM tend à s’éloigner des méthodes

empiristes afin de se détacher de toute catégorisation des sujets. Par ce fait, elle met un point

d’honneur à s’ancrer dans le vécu des acteurs pour en restituer toute leur subjectivité. Lejeune

(2016, p20) souligne par ailleurs que la méthode « convient à toute question visant à

comprendre les acteurs, en partant de la façon dont ils vivent et appréhendent ce qui leur

arrive ».

Je me suis donc appuyée sur cette méthode scientifique afin de recueillir et d’analyser le vécu

des participants. Dans l’intention de répondre au mieux aux exigences de la méthode, j’ai pu,

au préalable, m’exercer en suivant les cours de Pratique de la recherche qualitative dispensés

par Lejeune. Par la suite, j’ai respecté l’organisation rigoureuse de la GTM, me permettant de

structurer ma recherche dans le respect du vécu du sujet, mais également dans mon temps de

travail. A la différence des méthodes traditionnelles de recherche, la GTM propose de mener

les différentes phases d’investigation en parallèle. La recherche de littérature, collecte de

données, analyses et rédaction ne se succèdent plus, mais sont réalisées en amont, afin de créer

chez le chercheur un questionnement perpétuel et un enrichissement de sa réflexion.

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! 2!

De ce fait, la méthode par théorisation ancrée regroupe trois types d’activité ; le codage ouvert,

axial et sélectif.

Le codage ouvert traduit les premiers contacts avec les participants. Lejeune y préconise une

attitude naïve du chercheur, c’est-à-dire une absence de recherche théorique au préalable.

L’objectif étant de garder la plus « grande ouverture possible afin d’identifier un maximum de

caractéristiques du sujet de recherche » (Lejeune, 2016, p20).

Notons que sur ce point, le principe de naïveté, tel qu’enseigné par Lejeune, n’a pu être

appliqué, comme expliqué plus haut.

Désireuse d’observer les effets de la danse-thérapie auprès d’une population schizophrène,

j’étais plus à l’aise à l’idée de structurer ma réflexion plutôt que d’investir le terrain sans grille

de codage. Toutefois, cette structure s’est limitée à trois grands thèmes ; le rapport identitaire,

le rapport au corps et aux autres de l’informateur durant les séances.

Par la suite, la construction des propriétés s’est réalisée dans une liberté de parole des

participants. Les entretiens étant semi-structurés, ils étaient libres de s’exprimer sur les trois

thèmes ou uniquement sur celui dont ils étaient le plus à l’aise.

La construction de diverses propriétés fut ainsi réalisée sur la base d’entretien durant le temps

2 de la recherche (cf Graphique récapitulatif). Notons qu’aucune propriété n’a directement

découlé des observations de terrain. Issue d’une perception en troisième personne, j’ai préféré

utiliser ces informations durant le codage sélectif comme appui des dires du sujet.

Le codage axial est une articulation des différentes propriétés proposées dans le codage ouvert.

Auprès d’un même participant et en comparaison avec les autres, il m’a permis de mettre en

avant des points communs, mais aussi des variantes dans leur perception de soi et des autres.

Au cours de la dernière étape d’analyse, j’ai fait une sélection des phénomènes les plus

développés et pertinents de l’étude. Il est arrivé que certains informateurs développent les

prémisses de phénomènes intéressants lors du dernier entretien, mais par manque de temps, et

de disponibilité de terrain, certaines analyses ont été abandonnées.

Lors de cette dernière étape, une partie de son processus s’est réalisée en amont de nouvelles

recherches littéraires. En effet, mettant en lumière de nouveaux phénomènes avec d’autres

connexions, il m’était important de réactualiser mes connaissances théoriques. Cela a été un

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! 3!

véritable appui pour mettre en dialogue les théories phénoménologiques avec les phénomènes

étudiés.

Ci-dessous figure un graphique récapitulatif de l’organisation de travail.

Temps 1 Temps 2 Temps 3

1er entretien 2ème entretien 3ème entretien

Passation de 4 séances Passation de 4 séances

. Retranscription des entretiens

. Retranscription des entretiens . Analyse des différents codages

. Retranscription des entretiens . Analyse des différents codages . Recherche littéraire

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! 4!

Description des entretiens cliniques

Tableaux récapitulatifs des entretiens menés

Informateurs Entretien 1 Entretien 2 Entretien 3 Lieu de

l’entretien

Pierre 03/12/18 12/03/19 05/04/19 CRP de l’Ancre

Patrick 14/02/18 15/03/19 05/04/19 CRP de l’Ancre

William 15/02/18 14/03/19 05/04/19 CRP de l’Ancre

Pour mener à bien ma recherche, j’ai réalisé une totalité de neuf entretiens auprès de

trois participants (Trois entretiens par acteurs). Ils ont tous été réalisés au sein du CRP de

l’Ancre de façon individuelle et pour une durée d’environ une heure. Je comptais trois temps

d’entretien ; Avant, pendant et après la réalisation des séances de danse-thérapie.

Cette étude se voulait exploratoire afin d’investir le vécu du sujet schizophrène au travers des

séances de danse-thérapie. J’ai pour cela organisé mes observations en trois grands points :

1) Le rapport du sujet avec lui-même, 2) Avec son corps et 3) Avec les autres.

De ce fait, les entretiens étaient semi-structurés afin de laisser la voix du sujet s’expérimenter

et construire au fur et à mesure des phénomènes propre à leur subjectivité.

A l’image d’un entonnoir, aucune hypothèse n’a été formulée aux abords de la recherche. La

recherche étant exploratrice, je souhaitais m’ouvrir à un maximum de pistes de recherche sans

idée préconçue. Puis, au fil des entretiens, des phénomènes ont émergé amenant l’apparition

d’hypothèses. Si durant le premier temps, la structure des entretiens restait la même. Durant le

temps 2 et 3 elle était dirigée vers la subjectivité du sujet. Par exemple durant le temps 2, une

partie de l’entretien avec Patrick s’est centrée sur son impression de perte de corps dans la

lenteur. Au cours du temps 3, William a, quant à lui, préféré développer sur sa notion de lâché

prise.

Enfin, chaque entretien a été enregistré en format audio et retranscrit dans son intégralité puis

stocké dans un fichier protégé. Il va de soi que chaque participant présent dans l’étude a été

anonymisé pour des raisons de déontologie évidente.

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! 5!

Observation Au début de la recherche je me refusais d’inclure mes observations de terrain dans

l’étude. Leurs rédactions avaient pour unique but de développer un point de vue individualisé

et général du groupe, afin d’améliorer les prochaines séances. Mon premier refus découle du

questionnement déontologique qu’il soulève. Sur un groupe de six participants, seulement la

moitié ont accepté de participer à l’étude et signés le formulaire de consentement. Ainsi, il

m’était impossible de révéler mes observations de groupe sans avoir au préalablement informé

et demandé l’autorisation aux personnes exclues de l’étude.

Pour ne pas aller à l’encontre de mes valeurs déontologiques, il va de soi que l’ensemble des

participants était prévenu du cadre de recherche dans lequel l’atelier s’inscrivait et que des

observations de terrain pouvaient appuyer mes recherches.

De plus, les observations utilisées pour la recherche étaient uniquement centrées sur les

informateurs de l’étude.

Mon changement d’attitude fait également suite à une première analyse de résultat. Je me suis

rapidement rendu compte d’un décalage entre ce qui est développé en entretien et ce que je

voyais en atelier. Le rapport à soi, à son corps et aux autres, sont des sujets délicats à développer,

mais également à investir. Ils demandent certaines capacités d’introspection qui ne sont pas

acquises par tout le monde (présence ou non de pathologie). Ainsi, j’ai remarqué une difficulté

à verbaliser certains vécus qui étaient pourtant investigués et assumés en atelier.

L’observation de terrain répond à une volonté de compréhension de l’être dans son inscription

spatiale, temporelle et surtout corporelle. Sheets-Johnstone (2015) soulignait que toute

conception sur la relation de l’homme au monde devait être basée sur le savoir de sa conscience

corporelle en interaction avec le monde. Parallèlement, sa subjectivité seule n’existe pas. Sa

construction et sa compréhension prennent leurs sens à travers les rencontres intersubjectives

du sujet face à son monde social. En tant que phénomène incarné, la subjectivité de l’homme

se définit autant par ses dires que par son expression sur le terrain (Englebert, 2013).

Par conséquent, c’est dans une subjectivité autant incarnée par le sujet que par moi-même, que

cette étude s’inscrit. Bien que mes analyses reposent sur une formation de danse-thérapeute,

complétée par des connaissances en psychomotricité, ces analyses restent subjectives et seront

donc présentées comme un témoignage de ma propre subjectivité dans cette expérience

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! 6!

thérapeutique. De plus, précisons qu’en art-thérapie, différents courants de pensées peuvent

s’opposer sur l’interprétation des créations thérapeutiques. De mon point de vue, leurs

interprétations n’ont de sens que lorsqu’elles sont accompagnées de l’expression du vécu du

sujet.

L’ambiguïté de cette approche est qu’elle m’éloigne de l’objectivité droite et rigide du

chercheur, mais paradoxalement elle me rapproche d’un vécu de corps intersubjectif. Faire

résonnance de son corps pour comprendre l’autre.

Pour assurer une certaine objectivité dans ces analyses, il est important de mettre en avant

l’utilisation de la grille d’analyses du mouvement de Laban (Laban, 1988 ; Lesage, 2014) dans

ma compréhension des sujets.

Cette approche, sans rentrer dans les détails, vise à appréhender le mouvement et sa

compréhension de l’être, à travers quatre grandes notions : Le poids - L’espace - Le temps et

Le flux. Je considère chaque notion comme un outils précieux de la danse-thérapie, structurant

une perceptive du corps d’un point de vue organique, moteur et symbolique (Annexes 1).

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! 7!

4-!Création des ateliers !

Définition rapide de la Danse-thérapie

La danse-thérapie est née aux États-Unis dans les années 1950. Issue des techniques

dérivées de la psychanalyse, elle s’inscrit dans le mouvement des thérapies psychocorporelles

et intègre la « grande famille » de l’art thérapie.

Danse – Thérapie, soigner par la danse ? Dans quelle mesure la danse peut-elle être

thérapeutique ? En quoi la danse, dans son processus artistique peut-elle avoir une visée

thérapeutique ?

Lesage (2006), dans son introduction psychomotrice au processus dansé, met en lumière que la

danse et l’art ne sont pas à eux seul thérapeutique. Van Gogh ne fut pas apaisé de sa folie par

son art, tout comme Garritano (Danseuse Italienne) ne fut pas protégé de l’anorexie par la danse.

En revanche, le dispositif et le cadre dans lesquels s’inscrivent la danse portent toute son

importance.

Pour Greilsammer, H (2014) la danse-thérapie est porteuse d’un cadre permettant la mise en

jeu de l’archaïque, ce qui amène le sujet à une prise de conscience de son corps et de soi comme

étant un être actif dans son propre mouvement. La danse-thérapie étant basée sur des

mouvements libres, elle aide à l’expression de soi, tout en favorisant l’émergence et la mise en

mouvement de sensations, d’affects, d’émotions et de représentations. En utilisant le processus

créatif, elle invite le corps à se vivre, mais également à être l’instrument de ses créations. A

travers ses mouvements et son rapport à l’espace, le corps est actif et il doit être travaillé comme

tel, c’est à dire avec ses tensions, résistances et relâchement (Loiset-Buet, 2004). A.Boyer-

Labrouche (2012) parle d’ailleurs de « corps instrumental » et de « corps communiquant »

(p107) car dans son engagement, le sujet rend signifié l’expression de son mouvement et va

être à l’origine d’une communication envers soi et les autres.

Enfin, la danse-thérapie est à différencier d’un cours de danse. Elle n’a pas à vocation

d’enseigner une maitrise du mouvement de part des techniques ou codes normatives. Bien au

contraire c’est à travers l’écoute du sujet et de son corps qu’elle s’inscrit. Le mouvement se

veut libre, afin de laisser le sujet s’expérimenter et partir à la recherche de sa propre subjectivité.

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! 8!

Construction des séances clés

Les séances de danse-thérapie s’inscrivent dans une vision évolutive des patients.

L’objectif premier étant d’être à l’écoute du sujet et de repérer son chemin interne, afin d’éviter

ses angoisses et surpasser ses blocages. Le thérapeute n’est pas dans une position de

« sachant », bien au contraire. C’est le patient qui possède ses propres clés de compréhension

et c’est à nous d’observer son fonctionnement pour l’aider à les trouver. Ainsi, les séances ne

sont pas pensées en termes de rééducation, mais en termes d’écoute et d’expérimentation. La

maladie participant à une déformation du vécu, il est autant plus important « d’explorer et de

comprendre l'espace vécu du patient afin de rouvrir son horizon de possibilités » (Fuchs, 2007,

p423).

Les ateliers de danse-thérapie se sont déroulés dans les locaux du CRP durant 8

semaines. A raison d’une séance par semaine d’une heure, tous les vendredis.

Les séances ont toutes été découpées en quatre temps ; 1) Phase d’échauffement, 2) Travail en

binôme, 3) Travail en groupe et 4) Temps de parole (Exemple d’un déroulement de séance en

Annexes 2).

Au sein de cette découpe, j’ai volontairement alterné les principes énoncés par Fuchs sur

l’incorporalité et sa résonnance. Tantôt j’invitais le participant à ressentir une résonance plus

intracorporelle et tantôt plus intercorporelle. Cette oscillation avait pour but d’amoindrir les

angoisses, pouvant être sur soi ou sur les autres. Et de favoriser un va-et-vient entre conscience

de soi et conscience du groupe.

Si la structure reste inchangée de la première à la dernière séance, les exercices proposés sont

continuellement remis en question et réévaluer à la fin de chaque séance. Ainsi, certains

exercices sont volontairement répétés afin que le sujet puisse se l’approprier. D’autres sont

changés pour éviter un sentiment d’ennui et inviter le sujet s’expérimenter sur d’autres plans.

Mon approche durant les séances fut d’encadrer les participants autour de consignes larges. Ne

voulant pas biaiser leurs expressions, aucun mouvement n’étaient imposés. De plus, le sujet

restait libre de faire évoluer l’exercice, selon ses envies et disponibilités. Ainsi, je limitais mes

interventions et laissais le sujet évoluer et expérimenter par lui-même, tout en sécurisant son

expression et son espace.

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! 9!

Exercice des bambous1!!

Durant cet exercice, j’ai demandé aux participants de se mettre en binôme, face à face. Ils

devaient tenir un bambou dans chaque main et danser en continu, les yeux ouverts puis fermés.

Le fait d’ouvrir et de fermer les yeux avait pour objectif de développer d’autres perceptions de

soi et de localiser différemment son corps dans l’espace. De plus, le maintien des bambous

demande une certaine concentration car différentes forces se jouent ; l’ancrage au sol, les

pressions internes et externe sur le bambou, etc.

C’est un travail intégratif, c’est-à-dire qu’à travers cet interaction, le bambou invite le sujet à

intégrer l’autre dans une partie de sa kinesphère. Par ailleurs, étant continuellement en

mouvement, l’intégration de l’autre se réalise également dans un mouvement commun. Grâce

à la solidité du bambou, les mouvements sont interconnectés permettant alors de structurer le

corps : Je pousse avec ma main qui déplie mon coude pour engager mon bras, suivi de

l’omoplate, etc.

L’exercice invite également les acteurs à coexister dans un travail du flux (Définition Annexe

1) ; C’est-à-dire de prendre conscience des capacités à contrôler le mouvement en interaction

avec l’autre (Initier le mouvement, se laisser guider, etc.).

Exercice du Miroir En groupe, les participants se positionnent en cercle. Puis, chacun à leur tour, ils proposeront

un enchainement de mouvements d’environ huit secondes. Les mouvements doivent être

suffisamment lents et simples pour que le reste du groupe puisse les reproduire en

simultanément. Lorsque le sujet a terminé, il peut « passer le relai » à la personne qu’il souhaite.

La seule contrainte est que le passage doit se faire dans le silence.

Cet exercice possède une forte valence empathique qui place chaque participant au centre de

l’attention. Ainsi, de façon alternée, le participant est suiveur puis meneur.

L’exercice demande une écoute groupale mais aussi une certaine affirmation de soi. Tout

d’abord pour oser produire le mouvement devant le groupe puis pour « passer le relai ». En

effet, la parole étant interdite c’est à travers l’intention du geste ou le regard que le participant

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!1!Photo, Annexes 2!

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se fait comprendre. Sans ces deux outils, il devient compliqué de se « débarrasser » du

mouvement, amenant souvent le groupe dans un état d’incompréhension (« il a passé le

mouvement ? », « On doit continuer à l’imiter ? », « Ah c’est lui qui avait le mouvement, je

pensais que c’était l’autre ! », etc.).

On retrouve également une valorisation de soi par l’amplification des mouvements. La

dimension transpersonnelle qui joue sur l’imitation peut être perçue comme une « validation de

soi » par autrui ; « En faisant le mouvement, je m’expose. En reproduisant mon mouvement, ils

le valident ». Parallèlement, cela permet aussi de favoriser le sentiment d’appartenance au

groupe.

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! 11!

CHAPITRE 2 : CONSCIENCE CORPORELLE

La dimension corporelle a longtemps été mise de côté par la psychologie, au profit

d’études approfondies sur l’appareil psychique. À l‘inverse, les approches plus physiologiques

telles que la médecine ou les neurosciences ont investi massivement le corps à travers des

perceptives plus mécaniques. Le corps est défini comme un réceptacle organique où sa seule

connexion au monde résulte d’une appréhension neurologique. Le corps et l’esprit sont alors

deux composantes séparées qui ne peuvent pas s’habiter réciproquement.

La philosophie fut l’un des premiers courants à s’intéresser au corps comme une composante

sensitive et ouverte au monde. Dans une perspective Gestaltienne, Merleau-Ponty rappelle

l’importance du corps percevant dans son rapport existentiel et au monde. Étant un a priori, le

corps s’incarne dans le monde à travers une double perception. C’est-à-dire, « ce par quoi » il

se présente au monde grâce à son action. Puis, à l’inverse « ce par rapport à quoi » le monde

est accessible par son inspection (Merleau-Ponty, 1945, p369, cité par Angelino, 2008). Pour

cela, le corps ne dispose pas d’un seul outil d’appréhension et de compréhension. Le corps est

composé d’un ensemble de perceptives sensorielles, motrices mais également spatio-

temporelles, qui l’aident à s’adapter sans cesse à son besoin d’unification et d’être au monde

(Angelino, 2008). Le corps est alors le centre de perception de l’homme, dont sa cohérence

psychophysique oscille entre une perception vécue du corps (Leib) et une perception plus

primaire et anatomique (Körper) (Englebert et Valentiny, 2017).

Cette ouverture au monde, mais également à soi, questionne particulièrement sur notre manière

de vivre notre corps, en particulier pour les personnes schizophrènes. De nombreux auteurs

s’accordent sur une perte de corps (Pankow, Englebert, Sass, etc.). Mais que signifie

exactement cette perte de corps ? Et surtout comment les sujets schizophrènes vivent et

s’expriment sans un corps pour se définir et se raconter ?

Au cours des séances de danse-thérapie cette dernière question m’a longtemps guidée dans mon

appréhension de la population. Les nombreuses réflexions et observations de terrain m’ont

amené à penser, qu’aussi fine soit-elle, la connexion corps-esprit est maintenue par la

subjectivité du sujet, mais que sa structure est impactée par un fonctionnement discursif et

inadapté.

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! 12!

1-!La perte des corps !

Définition du Leib et du Körper

Dans son approche phénoménologique des corps, Wehrle (2019) aborde le corps en tant

que sujet (être un corps) et objet d’intentionnalité (avoir un corps). Le corps sujet ou Leib, fait

référence à un corps dans lequel nous vivons et nous expérimentons de façon directe et intuitive

nos interactions (Englebert et Valentiny, 2017). C’est par ce corps que le sujet exprime toute

son intentionnalité et sa subjectivité. Il correspond à ce que le sujet est pour lui-même ; en tant

qu’être incarné dans le monde (Wehrle, 2019). Ainsi, son vécu est intérieur et s’exprime en

première personne. Pour Englebert, ce corps vécu est le lieu d’intégration des perceptions du

sujet sur lui-même et le monde. Le Leib structure et organise son expérience, de sorte à lui

fournir une implication et un accordage au monde, ainsi qu’une conscience de soi.

Presque en opposition, le corps objet ou Körper est vécu et investi comme corps physique. Dans

sa dimension d’objet, il régit une perception extérieure à la troisième personne. En comparaison

au Leib, il est dévitalisé et fait état d’une manière pré-objective à ressentir ses sensations, grâce

à ses capacités sensitives et kinesthésiques (Wehrle, 2019).

Dans notre compréhension de l’être schizophrénique, il me semble nécessaire de poursuivre

l’analyse de l’étude à travers le point de vue de Wehrle. En reprenant appui sur les écrits

d’Husserl (1997, 2001), il met en avant la double structure du corps dans son incarnation vécue.

Le corps est à la fois « ce qui nous permet de percevoir […] et en même temps un objet perçu,

même s’il ne peut être perçu qu’imparfaitement par soi-même » (Wehrle, 2019, p2).

L’incarnation de l’homme se fait alors à travers ce double mouvement où le sujet est à la fois

objet et sujet de l’expérience. En tant qu’individu, nous ne sommes pas uniquement passifs ou

actifs face au monde. Le corps, par ces corps, est capable de se ressentir et de s’expérimenter

par sa matérialité, tout comme il est touché et conscient de sa visibilité par le monde (Plessner,

1970). L’unité psycho-physique du corps découle d’une interaction constante entre le Leib et le

Körper sans quoi l’expérience corporelle et la conscience de soi deviennent défaillantes

(Englebert et Valentiny, 2017).

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Quand le Leib désincarne le Körper

Au sein du vécu schizophrénique, Englebert et Valentiny (2017) parlent d’une

déconnexion entre le Körper et le Leïb. Les deux pôles sont ressentis comme désinvestit l’un

de l’autre. La conscience du soi interne n’interagit plus avec son corps physique, véritable pont

entre le dedans et le dehors. La connexion rompue, les auteurs parlent de perturbation de

l’ipséité, le trouble fondamental de la schizophrénie.

Dans son explication du modèle contemporain du trouble de l’ipséité, Sass (2013) présente

l’ipséité comme une référence au sens le plus fondamental de la présence de soi. Elle soutient

l’être dans son rapport au monde, mais aussi à soi-même. Au travers de ses pensées et actions,

l’homme se définit comme le propre sujet de ses expériences. En d’autres termes, l’Ipséité

permet d’exister en tant que conscience de son expérience et de son orientation vers le monde

(Sass, 1998). Pour Jasper (1997) cette conscience de soi passe par quatre états primordiaux ; le

sentiment d’activité (la conscience d’être actif), la conscience d’unité, la conscience d’identité

et la conscience d’une distinction entre soi et le monde. Chacune de ces prises de conscience

découle des capacités internes du sujet. Par exemple, ses perceptions visuelles, proprioceptives,

et sensorielles, sa mémoire, ses pensées, ses sentiments, etc. toutes capacités permettent de

réaliser une réflexion psychique sur son vécu. Pour Gallese et Ferri (2013), les réflexions qui

découlent de ces perceptions font écho au sentiment d’être soi.

L’altération de l’ipséité se traduit par une perte de la conscience et de l’expérience de soi. Sans

ces deux objets d’investigation privilégiés, la présence de soi s’amoindrit et « dérègle » notre

appréhension de nous-même et celle du monde. Au sein de l’expérience schizophrénique, cela

s’illustre par le sentiment « de ne plus posséder un corps privé où vivre des expériences

personnelles comme siennes » (Stanghellini cité dans Englebert,J.,& Valentiny, C. 2017, p146).

Sans corps privé, l’incarnation de soi vacille, rendant nos expériences privées défaillantes. Cela

peut notamment se traduire par la perturbation de deux points : la perspective de la première

personne et se percevoir comme un agent de ses actions (Gallese et Ferri, 2013). Lors

d’expériences vécues, les pensées, les perceptions et les émotions peuvent être sans cesse

renvoyées à l’extérieur de soi. Englebert et Valentiny parlent d’esprit désincarné où le sujet se

perçoit à la troisième personne et n’investit pas ses expériences de vie. Le sujet schizophrène

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! 14!

isole alors sa conscience de son corps, provoquant un sentiment de perte de présence et

d’existence.

S’éloignant d’un concept monolithique, la perturbation de l’ipséité se manifeste sur deux

principales dimensions ; L’hyper-réflexivité et l’auto-affection (Sass, 2013) aussi appelées

Sentiment de soi diminué (Englebert, Jean-Marie, Weber,& Vermeylen, 2016). Sass précise

que ces dimensions sont évolutives. Elles ne stagnent pas dans le temps, ni d’une situation à

une autre. Ainsi, il n’est pas rare de voir une hétérogénéité de ses manifestions d’un sujet à un

autre, ou d’une période à une autre, selon un même individu.

L’hyper-réflexivité se caractérise par une conscience de soi excessive. Tout est sujet au

questionnement, à tel point que la conscience devient envahissante et entrave la compréhension

du sujet. Lors des entretiens, Patrick fait d’ailleurs part d’une perte de contrôle.

« J’essaye de ne pas me poser de questions parce que si je commence, la machine se met en

route et là je n’arrive plus à la stopper. Je veux dire… ça part dans tous les sens et après c’est

compliqué de calmer tout ça ». (Patrick, le 05/04/19)

La perte de contrôle sous-tend alors une volonté de maitriser l’hyper-réflexivité, ou plutôt de

ne pas la provoquer, pour ne pas « mettre en route la machine ». Si la pensée n’est pas

contrôlable, alors les thématiques qui lui viennent en tête ne le sont pas non plus. Au fur et à

mesure des entretiens, Patrick révèle une angoisse diffuse d’insécurité. Cette dernière

s’accompagne souvent de comportements ou croyances défensives afin de se préserver d’un

possible danger.

« Ça m’est arrivé d’être anxieux, envers… enfin d’avoir peur du futur. Si admettons je ne faisais

pas quelque chose, j’avais peur qu’un truc de mauvais arrive, ou sinon je le sens… je sais pas

comment le dire mais… je peux être dans une situation totalement normal, pénard et là je sens

que ça va pas… Alors j’observe, je me mets un peu de côté et… je fais attention quoi » (Patrick,

le 05/04/19).

Sans parvenir à définir et donc à agir sur le danger, l’hyper-réflexivité de Patrick le met en

retrait du monde. L’inconnue devient insupportable, c’est pourquoi l’hypervigilence devient un

repère sécurisant.

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! 15!

« Ah ! Ne pas savoir c’est la pire des choses ! Même quand quelqu’un de nouveau arrive [A la

salle de sport], on ne le connaît pas, on ne connaît pas son passé. Intérieurement je me méfierais

plus que les autres. Je ne risquerais pas de me prendre un coup ou quoi » (Patrick, le 05/04/19).

L’hyper-réflexivité semble s’accompagner d’une focalisation inquiétante du monde qui vient

altérer la perception et l’ancrage du sujet dans une réalité qui n’est plus objective.

« J’ai tout le temps des pensées, du matin au soir. Je veux dire, comme moi j’ai des yeux, je vois

beaucoup de choses, surtout les personnes tordues. Je me dis qu’on n’aurait pas dû en arriver à

ce point-là […] Je les vois partout, dans la rue, et sur internet. Ça dure depuis… que le monde

est vivant, il y a toujours eu des viols, c’est dégueulasse, des morts, des meurtres, des tromperies.

Pour moi ce n’est pas un monde merveilleux ». (Patrick, le 05/04/19)

La conscience de l’acteur modifie sa perception du monde, mais également son ancrage. Au

lieu de produire une vue d’ensemble teintée de nuance, son appréhension du monde est focale

et insécure. L’hyper-réflexivité ne joue pas uniquement sur le biais attentionnel du sujet, mais

également sur son rapport au monde. À"l’affut du danger, Patrick semble se mettre en retrait,

préférant observer le monde pour s’assurer de sa sécurité. Cette perte d’adhérence au monde

soulève la question du vécu du sujet dans son adaptation au monde, mais aussi dans son

expression identitaire.

Le sentiment de soi diminué, autre facette du déficit ipséitaire participe lui aussi à la

perte de l’ancrage et de l’identité du sujet schizophrène

Le « sentiment de soi » renvoie au sens le plus basique d’exister. Au cours de sa vie, l’individu

est traversé par différentes expériences qui l’amènent à s’éprouver de diverses manières. Dans

un mécanisme implicite, ce sentiment de soi fait écho à la façon dont le sujet se conscientise,

se perçoit et se vit. Il prend racine dans la subjectivité du sujet pour soutenir un rôle actif dans

son existence (Panars, J.,& Sass,L. 2003). Le sujet se vit et se raconte à la première personne,

ce qui lui permet de s’assurer de sa propre présence dans le monde. Sous les écrits de Vigarello,

Klein (2014) postule un lien direct entre cette conscience personnelle de soi et le vécu corporel.

Lorsque nous ressentons notre corps, nous ressentons notre existence. Le déclin du sentiment

d’existence amène à une expérience de soi amoindrie. Le sujet se désinvestit de lui-même et de

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! 16!

son identité propre. Il se perçoit à la troisième personne perturbant ainsi son adhérence au

monde. Il se perçoit comme moins capable, mais également comme moins concerné par ses

interactions externes et internes. Durant les entretiens, Pierre me fait part d’un certain

détachement avec le monde. Se définissant comme solitaire, il perçoit un écart entre lui et les

autres.

« Je n’ai pas beaucoup d’amis. Il faut dire que je n’entretiens pas mes relations non plus. Je...

comment dire... je n’envoie pas essentiellement de messages à mes amis ou de demandes

particulières de sortir avec eux… Je me trouve des fois différent… je veux dire… Des fois je me

trouve moins beau, moins intelligent. J’ai l’impression de n’être personne. C’est seulement

maintenant que j’essaye de prendre confiance en moi ». (Pierre, le 03/12/18)

Dans son vécu, Pierre souligne s’être toujours senti différent. Dans un premier temps, il

m’avoue avoir aimé cultiver cette différence notamment par les tatouages et le « choc » que

cela pouvait susciter. Sur ce point nous pouvons rejoindre les écrits de Sass et Klein, où le

sentiment de soi prend racine dans une volonté d’être au monde et d’un investissement du corps

comme un soutien identitaire.

[En parlant de ses tatouages] « Avant, je ne voulais pas me fondre dans la masse, en fait

j’essayais de choquer, de me donner une image. Ce n’est plus le cas maintenant et puis de toute

façon le tatouage est devenu quelque chose de banal » (Pierre, le 03/12/18).

Il semblerait que l’investissement de Pierre reste partiel et instable puisqu’il révèle un certain

paradoxe. D’un côté, l’informateur se désintéresse d’autrui, mais d’un autre côté, il s’appuie

sur leurs regards pour s’investir identitairement et corporellement. De plus, l’investissement du

corps par les tatouages ne lui permet plus, aujourd’hui, de se définir face à autrui. L’objectif

premier étant de choquer, cela ne fait plus sens dans notre société où le tatouage commence à

entrer dans les mœurs. Les repères identitaires de l’acteur paraissent ainsi instables et son

discours fait davantage écho à un investissement de soi pour autrui ou une dévalorisation par

rapport à autrui. Dans une attitude solitaire, Pierre se place dans une position d’observateur, où

son corps mais aussi son identité ne sont plus investis à travers « son propre chef » mais comme

support pour atteindre autrui.

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! 17!

À travers les vécus de l’hyper-réflexivité et du sentiment de soi diminué, nos informateurs

semblent limiter leurs éprouvés corporels au second plan, sans parvenir à les vivre au premier.

Les acteurs se détachent du monde, ou en tout cas s’en éloignent pour se percevoir et se vivre

à la troisième personne.

Pour Englebert et Valentiny (2017), ce vécu dans la perte de présence de soi, fait suite à un

désinvestissement réciproque du Leib et Körper. Sass (2003), souligne à juste titre que l’Ipséité,

étayée par ces deux corps, n’est pas une entité stagnante. À la lumière des capacités évolutives

de l’homme, le sujet évolue à travers ses expériences vécues et l’attention qu’il y porte. La

schizophrénie possède, certes une désorganisation du self, perturbant son incarnation au monde

et à soi-même, mais elle ne déroge pas à cette règle évolutive. Le déficit de l’ipséité provoque

un rapport au réel altéré mais pas inexistant. Ainsi, il est d’autant plus intéressant d’observer ce

rapport au monde à travers les variantes qu’il propose.

Vivre son corps dans l’hypertonie

Dans leur article, Gallese et Ferri (2013) proposent un lien entre la conscience de soi et

le soi corporel. Ils mettent notamment en avant les propriétés du corps comme porteur de la

perspective en première personne et de la conscience d’être agent de l’action.

Les propriétés corporelles font appel aux capacités de l’homme, à percevoir ses sensations et

les induire comme siennes. En parallèle, cette perception autocentrée se réfère à la

reconnaissance du sujet à être agent de l’action. Ce lien logique entre sensation et

reconnaissance de notre action serait à la base du soi corporel. Lorsque nous avons abordé cette

notion avec Patrick, celui-ci m’a rapidement indiqué ne ressentir son corps qu’à travers la

contraction musculaire.

« Le moment que je préfère le plus c’est quand je contracte les muscles pendant

plusieurs secondes. Là c’est le seul moment où je me dis ; là tu es en train de travailler

et là… au moment même où je me sens tellement bien que je pourrai le faire pendant des

heures entières en fait ». (Patrick, le 05/04/19)

Pour l’informateur, le soi corporel semble passer par une contraction musculaire intense. En

psychomotricité, le muscle est associé à l’action. Il se contracte pour stimuler le corps, le

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« réveiller » afin de le rendre plus disponible. La tonicité du corps joue alors le rôle de

contenant, permettant au sujet de se ressentir grâce à une liberté de mouvement (Lesage,

2014). Il semblerait que pour Patrick, cette activation du corps soit un lieu de jouissance où il

peut se reconnecter à son corps.

« Le muscle commence à chauffer, il commence à être congestionner, quand le muscle il est

comme ça pour moi c’est comme si j’avais très bien travaillé. Ça me fait du bien de ressentir mes

muscles comme s’ils étaient en train de me parler » […] « C’est comme si admettons j’avais perdu

un contact avec une personne et que quand moi, je contracte mes muscles c’est comme si la

personne revient pour me parler et là c’est une émotion qui me fait du bien à moi ». (Patrick, le

01/04/19)

La tonicité du corps renvoie à une preuve d’existence, de reconnexion avec une personne/corps

perdu. Pour Laban (1994), l’utilisation du muscle et notamment de sa tonicité est une façon de

s’affirmer dans le monde ; « Je peux, je me manifeste". L’expression du sujet se fait par cette

maitrise du mouvement, qui reste massive. Durant les séances de danse-thérapie, Patrick s’est

uniquement exprimé à travers une hypertonie. Quel que soit, l’exercice ou la qualité de

mouvement demandé (léger, mou, plané, etc.), les mouvements de l’acteur se traduisaient par

l’exécution de geste gymnique, altérant entre flexions et extensions. Cependant, la qualité du

mouvement et sa valeur expressive passent par différentes nuances de tonicités. C’est une

manière de s’exprimer sous différentes formes, un peu comme à l’oral avec la tonalité de la

voix. Lorsque nous parlons notre tonalité change au cours du discours. Dans le processus dansé

le mécanisme est le même. Cela renvoie à une forme d’empreinte corporelle où chacun, par des

mouvements qui lui sont propres, exprime sa subjectivité. Or, Patrick s’exprime dans une même

tonicité. Celle-ci reste massive et contractée, donnant l’impression d’une motricité lourde.

L’acteur semble ainsi ne s’exprimer que sur un langage unique, privé de vocabulaire.

Le soi corporel semble alors partiellement perçu par l’informateur. À travers la contraction

musculaire et les sensations qu’elles procurent, il parvient à vivre son corps intensément. De

plus, en se positionnant en tant que moteur de son action, Patrick semble établir le lien entre la

sensation corporelle et la reconnaissance de l’action. Toutefois, Jeannerod (2007), précise que

cette perception « d’agent acteur » ne se limite pas à la reconnaissance de mouvement exécuté

intensément. Il serait réducteur de penser que le sentiment d’expérience de soi ne s’exprime

que dans l’exécution des actions. En tant qu’être vivant, notre corps se compose d’une multitude

de repères sensoriels et proprioceptifs. Ainsi, lors de l’exécution d’un mouvement physique, il

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est d’autant plus facile de le repérer car il active davantage des perceptions explicites du corps.

Mais lorsque nous sommes statiques, ou lorsque le mouvement est lent, nos capacités sont plus

internes et notre attention plus focale. Cette perception est moins intuitive mais automatique,

c’est elle par exemple qui s’active lorsque nous ressentons un danger non perceptible. Ainsi, le

soi corporel prend son sens autant dans une action formée par l’exécution d’un mouvement,

que sans mouvement. Or, lors des séances et notamment dans l’expérimentation de

mouvements lents, Patrick rapporte ne plus se sentir connecté à son corps.

[Au cours des exercices] « Je suis tellement lent dans les mouvements, que je ne sens rien. Enfin

je ne vois pas ce qu’on peut sentir. A ce moment-là, je me dis dans ma tête que là ça ne sert à

rien, que je suis une personne inutile. Pour moi, aller doucement c’est comme si… je vais dire ça

comment… c’est comme si je n’avançais pas. Aller doucement c’est vraiment être bloqué… c’est

comme si j’étais bloqué d’une certaine façon. C’est être ramolli, c’est être inutile » (Patrick, le

05/04/19).

C’est dans la lenteur que l’informateur perçoit un décalage avec son corps ; ne rien sentir, être

inutile, bloqué. Si l’hypertonie à une valeur de contenant, la simple lenteur constitue une perte

de stimulation mais aussi d’existence.

« Je suis tellement lent dans les mouvements que je me dis dans ma tête que là ça ne sert à

rien, que je suis une personne inutile ». (Patrick, le 15/03/19)

A travers son vécu corporel, l’informateur place le corps comme un outil d’existence ; « ça ne

sert à rien », « je n’avançais pas », « c’est être inutile ». La contraction prend ici un sens

utilitaire. Il est un outil pour se reconnecter à soi, mais que comprend cette connexion ? Au

cours de nos échanges, Patrick montre à plusieurs reprises un sentiment de soi bas qui dénote

avec son discours et sa démonstration de force durant les séances.

« La différence avec les autres c’est 24h sur 24 que ce soit ici ou dehors. Par exemple avec

les thérapeutes j’ai l’impression qu’ils sont ici (main haute) et moi là (main basse). Pourquoi,

parce que à l’école je n’étais pas un pro, parce que j’ai des difficultés et les thérapeutes ils sont

plutôt normaux je veux dire. A l’école je n’étais pas un pro, j’étais plus bas que les autres. Au

niveau scolaire, j’avais dur à parler et voilà. Juste d’avoir dur à parler et être plus pensif que les

autres c’est plus ça qui est compliqué ». (Patrick, le 05/04/19)

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Lorsque Patrick, me parle de son corps, il ne se dévalorise pas et ne montre pas de signe de

difficulté. À travers ses muscles, il se met en avant en soulignant le besoin d’avoir un

entrainement spécial, plus intense que les autres. Cet entrainement peut faire écho à un soi

corporel amoindri, demandant un sur-stimulation pour être ressenti. Mais il peut également

faire écho à un besoin de se renarcissiser.

« La plupart des personnes ne contractent pas, parce que la plupart des personnes ont peur

d’avoir mal, mais malheureusement dans un sport il faut toujours s’attendre à avoir un petit peu

mal aux muscles ou quelque chose comme ça. Moi ça ne me dérange » [...] « La petite brûlure

dans les muscles… pour moi c’est une façon de sentir mon corps… Plus je contracte… plus… je

veux dire le muscle est beaucoup plus dur… il prend vite forme je veux dire. Il prend beaucoup

plus de volume et c’est ça qui me fait du bien…. Plus moi je contracte et plus je vois la

différence ». (Patrick, le 05/04/19)

Le sport est alors un moyen de se muscler pour s’aimer mais également pour marquer une

différence positive avec les autres ; Je peux le faire mais pas eux. Klein (2014) disait que le

sentiment de soi s’instaurait et s’affirmait dans l’éprouvé corporel.!Il semblerait que dans la

contraction musculaire, une conscience de soi émerge sortant l’informateur d’une position

passive, observatrice. Pour Patrick, la tonicité est un retour à un corps qui travaille, qui le met

en action. C’est également un outil pour avancer.

!« Je n’aime pas le mot doucement […] J’ai toujours été quelqu’un qui veut toujours avancer.

Je fais beaucoup pour sculpter mon corps et là quand je me mets devant le miroir et ben c’est

impressionnant parce que… je vois le changement et pour moi de voir le changement, ça me fait

avancer. Des fois je recule un petit peu mais j’avance toujours plus vite ». (Patrick, le 05/04/19)

Au travers de son vécu, le corps paraît être une défense face à la maladie, au monde. C’est une

force qui permet à Patrick de s’affirmer et d’avancer malgré l’adversité. Parallèlement,

l’informateur m’explique utiliser les entrainements sportifs comme une échappatoire à l’hyper-

réflexivité.

!« Quand les pensées arrivent je préfère m’entrainer pour moins y penser. Je me focalise sur

l’entrainement et ça passe […] La seule fois où je me sens en sécurité, c’est quand je fais mon

sport. Même si, porter beaucoup de poids est très dangereux… c’est comme si j’en avais besoin.

Pour souffler un peu » (Patrick, le 05/04/19).

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Le sport semble être le seul outil dont dispose Patrick pour faire face à la maladie. Un véritable

souffle qui se paie au prix d’une hyperstimulation. Toutefois, peut-on parler d’une incarnation

de soi par le corps ?

Au cours de ce vécu, les manifestations de Patrick mettent en avant ses capacités à vivre son

expérience comme une jouissance de soi, mais aussi comme un lieu sécuritaire qui le protège

de ses pensées. Toutefois, cette capacité reste limitée à un seul vécu corporel et rend le « vécu

général » de Patrick, d’une certaine façon, dichotomique.

Toute d’abord, il semble vivre son corps mais sans le conscientiser. Pour faire face à son hyper-

réflexivité, il la contre balance avec une hypertonicité. Pour oublier une hyperconscience de

son environnement et de ses peurs, il oriente sa conscience vers son corps hyper-stimulé. La

conscience ne semble pas réellement investie, mais réorientée vers des composantes plus

plaisantes et sécuritaires.

2-!Spectateur de son corps « Le sujet est celui qui n’a pas de visage et dont le visage se met à exister du point de vue de

l’autre » (Sami-Ali, 1998, p34) Durant mon premier entretien avec Pierre, je suis surprise d’un « décalage » dans sa

communication verbale et non-verbale. L’informateur, dans une voix monotone et lasse,

présente un discours détaché avec une impression de désintérêt pour l’autre. Toutefois, au

niveau non-verbal, ses yeux me transpercent. Son regard soutient le mien et me donne

l’impression d’une attente particulière de sa part. L’entretien se poursuit et naturellement vient

la question du regard dans la relation à l’autre. Celui-ci m’explique y accorder une grande place,

que ce soit le regard d’autrui sur lui ou son regard sur autrui :

[Quelle partie du corps préférez-vous chez vous ?] « Mes cheveux, j’y fais très attention, je ne

serai pas dire pourquoi. J’ai fait des études en esthétique. Mon visage, je dirai que je ne suis pas

trop laid garçon, mais des fois il faut que je m’apprête quand ça part dans tous le sens. Il me faut

bien une heure pour m’apprêter le matin. […] Je ne voudrais pas qu’on pense que je suis négligé

». (Pierre, le 03/12/2018).

« Lorsqu’arrive une nouvelle personne, je laisse un jour ou deux. J’analyse, je vois comment

la personne est et après je me lance vers la personne.[…] C’est pour voir si c’est quelqu’un de

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gentil, mature… Je trouve que ça se voit déjà dans le regard. On dit que le regard est le miroir

de l’âme donc voilà̀ ». (Pierre, le 03/12/18)

Au vu de notre précédente observation, ce décalage paraît souligner l’intérêt du sujet pour

autrui, au détriment de soi. Toutefois, lors de l’exercice en miroir, ce mécanisme s’inverse, ou

plutôt se complète.

« C’était particulier… bouger devant les autres ne me dérange pas mais quand tout le monde

fait mon mouvement… et bien je dois dire que c’est assez drôle et en même temps on a envie de

se montrer, enfin de montrer ce qu’on sait faire » (Pierre, 12/03/19).

Au cours de cet exercice (qui a été répété dans le temps), l’investissement de Pierre dans ce jeu

de miroir fut très intéressant. En effet, lorsque c’était à lui de guider le groupe, il réalisait des

mouvements qu’il n’avait jamais expérimentés, en improvisation seule. Par des mouvements

centripètes (vers soi), l’informateur passait sa main sur ses jambes, bras, visages et tête. Loin

d’être un mouvement érotique, l’engagement du corps donnait davantage l’impression d’une

découverte du corps et de ses parties. Le plus intéressant fut au niveau du visage. Comme une

réappropriation du corps, Pierre se caressait le visage en observant son reflet chez les autres.

Un jeu se mettait alors en place ; qui regarde qui ?

La conscience corporelle de Pierre n’étant pas pré-réflexible, elle semble se réaliser à travers

ce miroir humain géant. L’exercice présentant une forte valence empathique, c’est par le regard,

mais également le mime, que le corps pensé devient commun. Ainsi, par le regard du groupe et

leur action, Pierre semble se révéler comme objet incarné.

« On se prend au jeu. Je veux dire, c’est un peu nous le chef. Et puis, c’est assez

agréable quand tout le monde est ensemble. Ça fait un peu chorégraphie » (Pierre, 05/04/19).

L’expérience n’est plus uniquement interne et individuelle, mais groupale. L’externe se mêle à

l’interne pour faire écho d’une expérience identitaire. Comme l’explique Englebert (2013) la

conscience corporelle n’est pas qu’une reconnaissance de soi (« Je suis »), mais d’abord une

expérimentation de soi ; « Je ressens ce que je suis ».

Malgré notre volonté d’investiguer ce vécu, Pierre c’est très peu exprimé à ce sujet. Ainsi, on

ne peut que supposer, grâce aux observations, que le sujet se met en demeure dans le regard

d’autrui. À la lumière du corps pour autrui de Sartre, il semblerait que Pierre ait besoin de

l’autre pour saisir les structures de son être (Sartre, 1976).

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3-!Un cosmonaute perdu dans l’espace

Au cours de ce troisième point, je vous propose de poser un regard phénoménologique

(teinté de psychanalyse) sur le vécu de Patrick durant une séance de relaxation. Ce dernier relate

une expérience de dépersonnalisation où l’espace devient un lieu d’angoisse sans limite.

Dans un contexte de prise en charge de personne schizophrène, il me paraît important de

rappeler qu’une grande majorité des recherches contre-indique cette méthode pour des sujets

psychotiques. Toutefois, comme nous l’avons expliqué dans le « Chapitre 1 : Création de

l’atelier » (p16), le protocole a été utilisé dans sa dimension d’éveil sensoriel et d’étayage de la

fonction contenante. Par ailleurs les exercices qui nous posaient le plus question ont été discutés

avec le Dr Razafinimanana, puis retravaillés sur ses précieux conseils.

Durant les séances de Danse-thérapie, un temps de relaxation d’environ 10 à 15 minutes était

consacré en début ou en fin de séance. Reprenant les bases de la méthode de Jacobson, les

participants pouvaient se positionner comme ils le souhaitaient, à savoir ; allongés sur le dos,

assis par terre ou sur une chaise. Lors des précédentes séances, Patrick avait plusieurs fois

essayé de s’allonger pour finalement se résoudre à faire l’exercice assis. C’est à la troisième

séance que l’acteur m’informe avoir pris la décision de le faire allonger. Respectant son choix,

l’ergothérapeute se plaça à ses côtés pour le rassurer et pallier à d’éventuels débordements.

Durant cette séance, l’exercice de relaxation fut réalisé en fin d’atelier. Patrick nous

explique que durant les trente premières secondes, ses pensées étaient principalement tournées

vers la satisfaction de réaliser cet exercice. Puis, en position allongée, il réalisa la hauteur sous

plafond, ce qui déclencha une succession de pensées et un état de stress.

« Et alors mes pensées ont pris le dessus, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à stresser

beaucoup plus » (Patrick, le 15/03/19).

Dans cette première approche du discours de l’informateur, il semblerait que l’envahissement

des pensées ait déclenché l’expérience de dépersonnalisation. L’interrogeant sur ces pensées,

Patrick révèle avoir peur des plafonds trop hauts et notamment du vide qui le constitue. Pour

développer son vécu, l’informateur utilise l’image d’une bulle qui l’englobe lui et le vide. Puis

il enrichit sa métaphore en se matérialisant en tant que cosmonaute.

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« J’ai une impression de vertige comme si j’allais tomber dans le vide en fait… c’est comme si

admettons, on me met dans l’espace. L’espace, il y a un vide, ben personne n’a jamais compris

le pourquoi du comment ! d’un côté c’est fascinant et de l’autre ça fait peur. […] En fait, c’est

comme si l’espace s’allongeait… c’est vraiment bizarre comme sensation. […] Moi, je suis plaqué

au sol mais le vide… je veux dire il me paraît immense ! J’ai l’impression de me perdre, un peu

comme le cosmonaute qui perd son attache en plein vol » (Patrick, le 15/03/19).

Pour Sami-Ali (2004), le corps, de par sa construction physique, fait naturellement état d’un

dedans et dehors de soi. Toutefois sa perception n’est pas tout aussi naturelle. Pour l’auteur, la

distinction entre les deux espaces, passe par la modification de la ligne de démarcation entre

soi et le monde. Cette modification permet de s’incorporer au monde lorsque celui-ci est

plaisant et à l’inverse, de s’en éloigne quand il est déplaisant. Or, il semblerait que Patrick

possède des difficultés à s’éloigner d’une excitation extérieure trop angoissante.

Tout d’abord, notons la présence de pensées envahissantes qui semble priver le sujet d’une

conscience suffisamment forte pour l’aider à prendre de la distance avec son vécu. Par ailleurs,

comme je l’ai noté plus haut, le principal outil de reconnexion au corps, dont dispose le sujet,

est la contraction musculaire. Or, même si le protocole de Jacobson inclus des contractions,

cela ne semble pas aider l’informateur à renouer avec son corps. La conscience parait aspirée

par un « espace qui s’allonge », l’isolant alors de son corps qui ne remplit plus une fonction de

contenant.

Si Patrick localise son corps fixé au sol, il le projette pourtant dans un espace sans fin. En cédant

aux pensées, les limites corporelles deviennent floues et Patrick semble se perdre dans une

fusion d’espace (Dedans-dehors). Dans un rapport dialectique, Pankow (1993) place le corps

comme un modèle structurant de l’espace. À l’aide de ses récepteurs sensoriels mais également

de ses projections imaginaires, l’homme organise son espace interne et externe. Toutefois,

lorsque celui-ci ne possède plus de corps contenant, l’organisation spatiale s’en voit dissoute,

au même titre que ses repères et limites. Les directions n’ont plus de sens (Haut, bas, droite,

gauche, etc). A l’image de l’espace cosmique, le sujet se perd dans un néant sans dimension

organisatrice.

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Au sein du vécu schizophrénique, Sami-Ali (2004) avance une hypothèse d’un dedans infiltré

par un dehors. Le corps n’étant plus structurant, il ne permet plus d’habiter son espace. Mais à

l’inverse l’espace, n’étant plus structuré, peut se confondre à l’espace privé du sujet, créant

ainsi un unique espace topographique. Dans un langage de perception interne/externe, les

espaces se transposent pour créer un unique espace ; un corps imaginaire.

À travers ce terme Sami-Ali met en lumière plusieurs mécanismes de projection qui limitent ou

déforment l’espace vécu par le sujet. N’ayant pu investiguer davantage le vécu de Patrick, je

préfère me limiter à la transposition d’espace, afin de ne pas m’écarter de son expérience

subjective.

Enfin, à la lumière de ces observations, le corps de Patrick serait le siège d’expériences

troublantes où la perte de repère spatiale positionne le sujet dans une perte de présence. Ni le

Körper, ni le Leib n’ont pu être investi, laissant l’informateur sans accroche, sans « attache en

plein vol » (Patrick, le 15/03/19).

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CHAPITRE 3 : TERRITORIALISATION

1-!Espace objectif

Il convient de préciser qu’au cours de ce chapitre, la territorialisation sera abordée comme un

repère spatio-temporel dans lequel se joue des manifestations identitaires et codes sociaux

implicites. Deleuze et Guatari (Cité par Sibertin-Blanc, 2010) introduisent ce phénomène pour

définir la capacité de l’homme à s’approprier un espace objectif, afin d’en faire un territoire

investi, un espace vécu. L’espace devient vécu lorsque l’individu le transforme par l’expression

de sa subjectivité. L’investissement de l’espace se traduirait alors par son habitation à travers

les actes, l’imagination et le vécu du sujet (Englebert et al, 2016). Notons qu’à travers cette

étude, l'espace sera défini comme le produit d’une interaction entre l’organisme du sujet et celui

du milieu. L’espace objectif étant caractérisé comme un milieu vierge de toute territorialisation,

donc de toute interaction.

L’investissement de l’espace se fait au cours du temps et se développe à travers un ensemble

de gestes quotidiens appelés ritournelle (Englebert, Gauthier, Weber, & Vermeylen, 2016). La

ritournelle est propre au sujet et lui permet de créer ses propres repères. Son application permet

à l’individu de marquer le territoire de son empreinte et de le rendre familier. Une

territorialisation réussie serait alors associée à un sentiment de stabilité et de confort (on se sent

chez soi). Notons qu’il serait réducteur de limiter la territorialisation à une imprégnation passive

du milieu ; de par ses codes et ses contraintes, l’espace possède lui aussi son empreinte

(Eglebert et Follet, 2014). En habitant un espace, le sujet se prête alors à un jeu de « double

influence ». Ses actions influencent l’environnement, qui l’influence en retour. Ce « double

mouvement d’investissement » (Deleuze et Guattari cité par Englebert. 2012) souligne que nous

ne pouvons habiter un milieu sans en être habité (Englebert, 2011). Le processus de

territorialisation sous-tend alors la capacité du sujet à s’exprimer, mais également à recevoir

l’expression de ce milieu. Sous cet angle de réflexion, une partie de la territorialisation

reposerait sur la capacité du sujet à combiner son expression en rythme avec l’espace choisi.

Dans son ouvrage « l’espace imaginaire » (1974), Sami-Ali représente cette capacité à travers

les schèmes (p79). Elles se définissent par une mémoire corporelle où se développent les

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expériences sensorielles et relationnelles, ainsi qu’un système de relations qui permet

d’élaborer des liens de plus en plus complexes entre Soi et l’objet. Face à l’environnement, les

schèmes s’expriment de façon préréflexive, en alternant l’assimilation des données et de

l’accommodation. L’assimilation est une réorganisation perceptive du milieu de façon à

l’incorporer au fonctionnement du sujet. C’est-à-dire que les schèmes favorisent l’assimilation

de données soutenant le fonctionnement du sujet, et évite les données qui vont à son encontre.

A l’inverse, l’accommodation est un ensemble de changements auquel le sujet se soumet pour

mieux s’ajuster au milieu. L’adaptation du milieu découle alors de ces deux processus qui ne

peuvent s’appliquer de façon « pure ». L’assimilation des données dépend d’une certaine

accommodation et inversement (Sami-Ali, 1974).

Pour Sami-Ali et Englebert (2012) la temporalité joue un rôle primordial dans cette relation à

l’espace. Le processus de quotidienneté proposé par Englebert (2012) repose sur la faculté de

posséder des bases et repères suffisamment stables pour envisager de possibles changements

au sein de l’espace investi. Selon Englebert (2016) les personnes souffrant de schizophrénie ne

pourraient faire acte de ritournelle et de territorialisation, car leur base identitaire et temporelle

ne serait pas suffisamment stable. Ces personnes seraient alors prises au piège dans un quotidien

sans processus. Cela se traduirait par une difficulté à construire et organiser ses repères

temporels au point d’affecter l’émergence d’un territoire. Un territoire sans temps serait comme

un contenant sans limite. L’espace est présent mais la dispersion des repères le rend infiniment

angoissant. Sans quotidien dans lequel s’inscrire, le psychotique serait alors nu, sans outil pour

se définir ou se socialiser.

Partant de cette réflexion, il m’était primordial de proposer un espace objectif suffisamment

stable et sécurisant pour favoriser une territorialisation groupale. Rappelons que c’est par le

maintien de repères stables qu’une territorialisation peut avoir lieu. Ne pouvant agir sur la base

identitaire des participants, je pouvais essayer d’induire des repères spatio-temporels à travers

la mise en place de rituels.

Tout d’abord, en inscrivant l’atelier dans l’emploi du temps des usagers et de l’établissement,

cela me permettait d’acquérir une certaine organisation temporelle. Au CRP, ces repères spatio-

temporels étaient constamment rappelés par un emploi du temps individuel et un autre général

(accrochés dans le hall du CRP) ainsi qu’un rappel oral de chaque activité en début et milieu de

journée.

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! 28!

Puis, la préparation de l’atelier constituée, à elle seule, un rituel propre à chaque participant.

L’ouverture de la salle, le transport des tapis, le déplacement des tables, des chaises, etc. Toutes

ces tâches transformaient progressivement une salle inutilisée en salle de danse. Si au début je

l’aménageais seule, très vite les participants ont, chacun à leur manière, œuvré aux préparatifs.

Les repères et territoires prenaient alors peu à peu forme.

Patrick fut l’un des premiers à proposer son aide. De façon extravagante, il mettait un point

d’honneur à préparer et ranger la salle à chaque séance. Cela se traduisait notamment par une

démonstration de force. Lorsque les usagers décidaient de porter une table à deux, Patrick

décidait de la porter seul. Il en va de même pour les tapis, un sous chaque bras. Si un usager

venait lui aussi à porter deux tapis en même temps, alors Patrick passait à trois.

Pour lui, l’investissement de l’espace débuta dans une démonstration de soi et de sa capacité à

aider les autres par sa force physique. Ce qui est intéressant dans ce geste quotidien est qu’il

aura eu une influence sur l’environnement. En effet, il était devenu contre-productif d’apporter

son tapis, puisque Patrick s’en chargeait. L’atelier étant composé de six participants deux ou

trois allers retours de ce dernier suffisait pour que le compte y soit. Par ailleurs, son

investissement est à la fois attendu et renforcé par l’environnement. De façon implicite, Patrick

était devenu l’usager en charge des tapis et il en était remercié par l’ensemble des participants

pour cela. Parallèlement, à chaque démonstration de force, j’effectuais un rappel des sécurités

ce qui, indirectement, renforçait son comportement puisqu’il le mettait en avant. D’autre part,

mes rappels et la répétition dans lesquels, ils s’inscrivaient, étaient le résultat du rythme imposé

par Patrick. Comme il devenait habituel pour Patrick de porter plusieurs tapis, il était habituel

pour moi d’en rappeler les risques systématiquement. Ainsi, une partie du processus de

quotidienneté de Patrick fut intégrée au mien.

Si Patrick s’appropriait l’espace de façon remarquée, William construisait ses repères de façon

plus discrète et individuelle. Au cours des séances, il prit l’habitude de s’accompagner d’une

bouteille de coca. Ancien alcoolique, il m’expliqua en entretien qu’il en était devenu dépendant

durant sa dernière cure. Ainsi, une fois avoir déplacer les tables et les chaises, la bouteille était

systématiquement sortie de son sac et positionnée dans le coin droit de la salle. Tout comme

ses chaussures (enlevées pour l’atelier) qui était soigneusement rangées sous cette même table.

N’ayant pas investi ce rangement en entretien, je ne peux que supposer un investissement de

l’espace objectal par l’appropriation d’une de ses parties. On remarque une superposition des

territoires (individuel et groupal) sans envahissement apparent.

Enfin Pierre était souvent le premier à poser ses affaires à l’ouverture de la salle, mais

étrangement disparaissait lors des préparatifs. Il réapparaissait pour disposer son tapis, toujours

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face à moi, ce qui parallèlement le plaçait au centre de la salle. De manière générale la

disposition des tapis changeait rarement. Ce qui est intéressant, c’est qu’un plus grand espace

était automatiquement laissé à Arthur (usager du centre ne faisant pas parti de l’étude).

Possédant des traits autistiques, le contact avec les autres lui est très difficile. Sans demande

particulière de ma part, l’ensemble du groupe prit l’habitude de lui laisser la place devant à

droite. Nous remarquons que l’appropriation de l’espace peut autant se faire de manière

collective, qu’individuelle. La salle de danse (espace objectif) devient progressivement un

territoire du groupe où des sous-territoires se forment. Rappelons que la territorialisation est un

processus dynamique comprenant des interactions entre les différents rythmes des participants.

Ces rythmes se créent et s’influencent à travers une ritournelle générale. Le territoire renferme

alors une sécurité affective et identitaire qui se base autant sur des repères physiques (actes de

ritournelle) que temporels (répétition des gestes dans le temps). Par ces premiers éléments

d’appropriation, les informateurs nous livrent quelques indices sur leur rapport à soi, au corps

et aux autres.

2-!Lien entre corps vécu et espace vécu !

Développé au cours du Chapitre 2, le corps vécu est le lieu d’intégration des perceptions

subjectives du sujet. Possédant la double casquette de structure et d’organisation de

l’expérience, le corps vécu fournit une implication au monde de par son accordage aux autres,

à l’environnement et à sa conscience de soi. Comme le souligne Ajuriaguerra et al (2009)

l’acquisition des perceptions sensori-motrices durant l’enfance permet de placer l’individu dans

l’action, mais également dans l’observation de ses échanges. Le corps devient un outil de

perception interne du monde qui permet son incorporation. Ce phénomène demande au sujet de

pouvoir se ressentir et s’expérimenter en s’appuyant sur des éléments autour de lui. Son ressenti

mais également la projection imaginaire qui en résulte, participent à l’inscrire dans une réalité

autant physique que psychologique (Oury, 2016). Ainsi, l’appréhension de l’espace et la

conscience du corps ne sont pas à isoler, mais au contraire à juxtaposer (Ajuriaguerra, 2013).

L’espace vécu est un espace transformé par l’expression subjectif du sujet (Englebert, 2011).

Comme nous l’avons vu, d’un point de vu macro, la territorialisation de groupe s’inscrit dans

des habitudes spatiales mais aussi individuelles. Mais quand est-il du point de vue micro ? Que

se passe-t-il, lorsque l’espace devient partagé et qu’une communication motrice laisse place à

une réalité de corps ?

!

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Boutinaud (2016) met en avant que ce schéma corporel comporte une dimension structurante

du corps dans une réalité organique. Cette dimension comporte deux perceptions. La première

présente le corps dans sa figuration spatiale qu’elle régit par sa capacité́ sensorielle. Boutinaud

intègre la notion de somatognosie polysensorielle qui fait référence aux connaissances de

l’individu sur son corps et sur ses capacités sensorielles à relier les différentes parties de son

corps (capacité tactile, visuelle, proprioceptive, etc.) La deuxième perception met en avant le

rôle indispensable de la sensorialité dans la construction du schéma corporel. Dans cette

approche, le sens kinesthésique fait état de la capacité à sentir, maitriser et interpréter le

mouvement du corps. Les différentes tâches motrices ne sont pas seulement des expériences du

corps centré sur lui-même, mais aussi des expériences qui s’inscrivent dans le monde (Merleau-

Ponty cité par Ajuriaguerra et al, 2009). Sur la base de propriétés tactiles, kinesthésiques et

visuelles, le schéma corporel se construit et se réactualise en permanence, suivant les anciennes

et nouvelles expériences (Merkling, 2010). Étant une représentation permanente du corps et de

sa figuration spatiale, sa fonction ne se limite pas seulement à observer ou agir. Il est une

sauvegarde intuitive des stimulations issues de nos interactions. Ainsi, le schéma corporel ne

se construit pas seul, mais à travers la rencontre d’objets et de corps dans l’espace. La

compréhension de ces sauvegardes résonne chez le sujet et l’influence directement dans son

rapport à soi et à l’autre.

Le schéma corporel « donne un sens moteur au signe verbal » (Ajuriaguerra, p173, 2009).

C’est-à-dire que le corps, dans sa perception interne du monde mais aussi dans sa façon de

s’exprimer, est une clé dans la compréhension de l’individu. Le corps, de par sa posture et ses

mouvements, est le garant d’un langage moteur qui ne peut exister qu’à travers le temps et

l’espace. Le corps n’est rien sans un espace pour le vivre, de même que l’espace n’est rien sans

un corps pour le créer. Dans cette approche, le corps est un point de référence, mais également

un moyen de créer un espace orienté (Binswanger, 1971). L’utilisation du schéma corporel et

de la notion de corps dans l’espace seraient ainsi un outil d’exploration du langage moteur et

de son expérience dans le monde. Dans notre approche, l’espace ne doit pas être considéré

comme séparateur. Lorsque deux corps se rencontre, nous parlerons davantage d’une

superposition des espaces permettant d’en créer un nouveau. A la lumière des écrits d’Englebert

sur l’espace topologique, c’est le corps du sujet qui organise son espace, tout comme celui de

l’autre. Toutefois, les symptômes schizophréniques peuvent altérer fonction structurante du

corps, rendant difficiles son appréhension de l’espace et du corps.

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! 31!

3-!L’obstacle de l’hyper-réflexivité dans l’espace commun

!L’hyper-réflexivité est une « forme de conscience qui interroge ce qui devrait intuitivement

aller de soi » (Englebert,J.,& Valentiny, C. 2017, p181). Tout ce qui est abordé de manière

intuitive et naturelle par la population générale, est remis en question pour les sujets souffrant

de schizophrénie. Ils abordent sur un mode réflexif-explicite des phénomènes préreflexif-

implicites (Englebert,J.,& Valentiny, C. 2017). Tout est sujet au questionnement, à tel point

que la conscience devient envahissante et entrave l’existence du sujet. « Les pensées ne peuvent

être pensées » (De Hert et al. 2000, p167). Dans cette approche de la pathologie, nous nous

retrouvons davantage dans une perspective « esprit-corps » ou « esprit-environnement ». C’est-

à-dire que l’appréhension du monde passe d’abord par la pensée avant d’être réellement perçue

et vécue. D’où le caractère handicapant de l’hyper-réflexivité qui représente un véritable mur

entre ces deux pans. Au cours des ateliers, la parole étant interdite, la communication devient

non-verbal et invite le corps à être le seul outil d’expression et d’appréhension de l’autre. Ainsi,

dans cette communication primaire, il serait intéressant d’observer à travers quelle perceptive

les acteurs appréhendent l’autre, ainsi que leur vécu du mouvement partagé.

Dans « l’exercice du bambou », Patrick vient à exprimer sa difficulté à investir sa relation à

l’autre. Le mouvement ne serait plus de l’ordre du préréflexif (de l’intuitif) mais de l’hyper-

réflexivité. Chaque pensée et mouvement deviennent réflexion, de sorte que le corps vécu et

son interaction sociale passent au second plan.

« J’ai eu une sensation extrêmement bizarre, parce que d’habitude je le fais avec un usager

et pas avec un thérapeute et là je dois avouer que ça m’a fait très bizarre. Parce qu’au moment

même, j’étais en train de me dire c’est bizarre, je ne sais pas comment faire. Moi je n’ai pas

l’habitude de faire ça… Ça fait une émotion un peu plus forte qu’à la normale. Je me demandais

comment je dois bouger, comment je dois faire ça, faire si. Donc j’étais vraiment en train de me

dire, je vais le faire normalement mais ce n’était pas si facile que ça. » (Patrick, le 15/03/19).

Notons, qu’au sein de notre société, danser cesse de devenir intuitif et il l’est encore moins

lorsque nous devons le faire avec des bambous. De ce point de vue, le vécu de Patrick semblerait

traduire un sentiment d’inconfort dans le mouvement dansé, d’autant plus lorsqu’il est partagé

avec une personne qu’il connaît peu. Toutefois, la réflexion de l’informateur sur le mouvement

et l’importance de paraitre normal l’amène rapidement à se focaliser sur cette norme, pour en

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oublier de vivre l’instant. L’interaction est ressentie comme une bizarrerie où chaque

mouvement est questionné, au point que cela devient un blocage corporel et relationnel.

Pendant les ateliers, l’hyper-réflexivité de l’informateur semble se centrer sur sa difficulté à

comprendre l’autre, ainsi qu’à lui faire confiance. Interrogé sur ses interactions avec les usagers,

Patrick souligne :

« […] Personnellement j’ai encore du mal à bouger comme les autres, surtout quand on est

ensemble. C’est assez compliqué à certains moments de comprendre l’exercice… et la personne.

On n’est jamais sûr où elle veut aller… Et là je me dis mais qu’est-ce que je dois faire ? enfin on

ne peut pas faire confiance à 100%, je reste quand même un petit peu méfiant. Parce que on ne

sait pas comment la personne va réagir […]. Même, entre parenthèses comme moi je suis à la

maison, je ne fais pas confiance à 100%, puisqu’on ne peut jamais faire confiance à 100% ».

(Patrick, 05/04/19)

Le sujet semble se trouver face à un dilemme permanent entre compréhension et confiance en

l’autre. Comment faire confiance quand on ne comprend pas ? Pour comprendre l’autre on doit

pouvoir s’ouvrir à la communication. Or s’ouvrir demande une certaine confiance.

Durant les ateliers, chaque interaction a donné lieu à de profonds questionnements sur le niveau

de sécurité de la situation. Par exemple, Patrick me confiait s’être toujours positionné proche

de la porte de sortie. Chaque pièce était investie d’une réflexion poussée afin de déterminer

quelle était la position la plus sécuritaire en cas d’imprévu, de catastrophe. Il en va de même

pour ses interactions avec les autres participants. Il était très important pour lui d’être à l’aise

avec ses partenaires, sans quoi il aurait stoppé les ateliers ainsi que l’étude. L’insécurité de

Patrick résulterait d’une appréhension telle de l’imprévu, « on ne peut jamais savoir », qu’elle

guiderait ses comportements et interactions sociales.

Notons que lorsque le corps vécu venait à être interrogé durant ces interactions, à l’inverse de

Pierre et William, il était impossible pour Patrick de se référer à ses sensations corporelles.

Chaque interaction était investie d’une nécessité de confiance mais également de contrôle de la

situation. Durant l’exercice des bambous, il était proposé de garder les yeux ouverts ou fermer.

Dans une communication non-verbale, fermer les yeux tend à accroitre les autres sens, comme

le toucher et la proprioception (Lesage, 2014). Cependant, Patrick souligne ;

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« A certains moments j’y arrive (fermer les yeux) mais je vais dire comme je n’ai pas le

contrôle autour de moi, j’ouvrais les yeux pour être sûr et certain qu’il n’y a pas de problème.

Mais fermer les yeux totalement c’est impossible. […] La personne reste proche … Et puis comme

moi je ne sais pas ce qui passe… les pensées arrivent. Je dois regarder pour être sûr, sinon je

suis perdu. Je ne sais pas ce qui se passe » (Patrick, le 05/04/2019)

Il devient impossible de fermer les yeux car sa conscience l’oriente systématiquement vers une

insécurité situationnelle. Sa conscience restant focalisée sur sa mise en sécurité, l’interaction

sociale n’est alors plus investie par le corps mais par une réflexion autocentrée. Se centrer sur

ses émotions relèverait d’un travail fastidieux puisque cela demanderait au sujet de « baisser sa

garde » pour s’ouvrir à la compréhension d’autrui.

Englebert (2013) soutient l’hypothèse d’un trouble de la conscience sensorielle et primitive du

soi dans l’expérience schizophrénique. Ne pouvant investir ses sensations dans la relation à

l’autre, le sujet semble privé d’une conscience corporelle. Or, nous savons que Patrick est

capable de ressentir et d’investir son corps sous certaines conditions. Mais il lui est beaucoup

plus difficile de l’utiliser comme outil de résonance pour comprendre autrui. Penser son corps

en présence d’un autre renvoie à une réalité trop angoissante qui n’aide pas le sujet à développer

une réflexion de corps, mais au contraire à en faire abstraction, pour faire face au « danger ».

L’écart entre corps et conscience vient à renforcer les difficultés de compréhension d’autrui.

En s’appuyant sur les écrits de Wallon, Ajuriaguerra (2017) souligne la nécessité d’un corps

résonnant dans la compréhension de l’autre. Dès sa naissance, le nourrisson évolue dans un

mécanisme primaire qui consiste à ressentir ses besoins et à les communiquer par le corps ;

Cris, pleurs, gesticulation, etc. Très tôt il apprend et amène son entourage à se synchroniser à

ses besoins. Cette résonance corporelle fait appel à une compréhension intuitive des états

émotionnels de l’autre à travers notre propre corps (Fuchs, 2016). En cas de perturbation, Fuchs

parle de troubles intentionnels marquant l’incapacité du sujet à se diriger vers le monde à travers

sa corporalité.

Au-delà d’un ancrage identitaire, la conscience corporelle est un appui pour mieux

communiquer et intégrer les intentions d’autrui. Durant l’exercice des bambous, l’hyper-

réflexivité de Patrick semble le couper de ses sensations internes, l’amenant à désinvestir une

relation interpersonnelle par le corps. Toutefois, l’atelier étant centré sur des activités

interpersonnelles, il serait faux d’affirmer qu’aucune relation n’a été mise en place.

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! 34!

4-!Intégration d’autrui dans son espace topologique !

Chemin relationnel de Patrick

Comme nous avons pu l’appréhender dans la Chapitre 2, Patrick possède certaine difficulté

à structurer son espace à travers son corps, notamment quand celui-ci est sujet à des projections.

Au sein d’un espace partagé ,cette perturbation de la structure du corps rend déficitaire l’espace

topologique. Cela peut se traduire par la difficulté à intégrer l’autre dans un espace commun

(Stanghellini et Ballerini, 2011). C’est-à-dire à l’incorporer au sein de sa kinesphère, de son

espace intime.

Au cours des séances de danse-thérapie, il est important de noter que chaque exercice (seul, en

binôme ou en groupe) a été pensé pour laisser le participant explorer ses limites motrices et

psychologiques. Ainsi, le sujet est libre de choisir (ou pas) les outils de l’atelier, ainsi que de

les remanier à sa guise. Lorsque les participants sont en binôme, la seule consigne est de prendre

en compte son partenaire dans le mouvement. L’objectif est d’introduire autrui dans l’espace

topologique du sujet. Puis observer quel « chemin corporel » et relationnel ce dernier utilise

afin d’entrer en contact, tout en sauvegardant une sécurité interne.

En permanence sur ses gardes, Patrick m’explique avoir toujours un œil ouvert sur ce qui se

passe autour de lui. A travers son vécu, il me donne l’impression de ne pas posséder de territoire

sur lequel se reposer. L’environnement ne pouvant lui assurer une sécurité de l’ordre du 100%,

il se doit de l’assurer par lui-même, en restant vigilant. Ne se sentant en sécurité nulle part,

l’hypervigilence est une façon précaire d’affirmer son existence au monde, mais également

auprès d‘autrui. Lors de l’exercice des bambous, l’absence de visuel sur son partenaire semble

priver l’informateur d’un important repère spatial. La perte du repère visuel et la proximité du

partenaire rendent nerveux le sujet, qui explique ne plus avoir le contrôle de la situation. En ne

voyant plus ce qui se passe, il ne peut réagir efficacement lors d’un imprévu. Ce qui est

intéressant dans cet investissement de l’espace relationnel est qu’à défaut d’utiliser son corps

et les bambous comme lieu de résonance et de séparation de l’autre, Patrick utilise le regard et

notamment l’hypervigilence comme frontière entre Soi et le reste du monde. L’informateur

semble alors organiser son espace et sa relation à l’autre à travers un unique repère visuel. La

défense du Self passerait ainsi par une constante surveillance du monde, d’où la nécessité pour

lui de garder les yeux ouverts.

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! 35!

Pour l’informateur la relation est ainsi établie par le regard, véritable outil de mise à distance,

mais également de surveillance de l’autre.

[Fermer les yeux] « C’est un exercice où je devais surmonter ma peur […]. Les personnes qui

sont à côté de moi (les usagers) je ne les connais pas super bien. Je ne sais pas de quoi ils sont

capables. C’est pour ça que je dois garder les yeux ouverts… je n’ai pas le contrôle sur ce qui se

passe, avec les yeux ouverts je suis sûr et certain de ce qui se passe » (Patrick, le 15/03/19).

Le regard fait partie des perceptions immédiates du corps pour comprendre et interagir avec

autrui (Fuchs, 2016). Toutefois, il est davantage plus proche d’une conscience réfléchie que

d’une conscience de corps plus intuitive (Joly et Berthoz, 2013). C’est d’ailleurs cette

conscience réfléchie qui influence Patrick dans ses relations interpersonnelles. Percevoir autrui

par le corps, demande de déplacer son attention sur son corps et les sensations qui l’animent.

Or ce déplacement attentionnel est « impossible » pour Patrick qui le traduit automatiquement

comme non sécurisante.

Le corps vécu n’est plus un lieu d’intégration vers le monde mais un lieu de protection du

monde. Patrick semble s’enfermer dans un investissement unique d’hypervigilence, le privant

d’une implication au monde et surtout d’un accordage aux autres. Le dehors étant trop

menaçant, il ne permet pas à l’informateur de s’y reposer pour se connecter au dedans. Le

dedans, la conscience de soi, étant troublé par son hyper-réflexivité, ne parvient pas à s’orienter

vers un environnement assez sécurisant pour s’ouvrir à lui.

Communication intercorporelle

Au cours de l’atelier, la mise à disposition de bambous ou de ballons avait pour objectif

de créer un contenant entre les corps. L’espace partagé se structurait alors en trois entités

connectées de façon linéaire, au sens propre du terme. L’objet étant placé au milieu des corps,

son rôle est d’établir un lien inter-corporel entre les deux individus. L’activité motrice générée

sur l’objet peut alors être un moyen pour l’homme de découvrir et d’investir d’autres

perceptions corporelles et relationnelles.

Fuchs dans sa réflexion sur les relations intersubjectives, soulignait que les émotions et

sensations éprouvées lors de la rencontre étaient de véritables repères spatiaux « englobant le

sujet incarné et la situation dans une interactions circulaire » (Fuchs, p3, 2016). Chacun des

protagonistes s’influençant à travers un jeu d’expression et de réaction. Au cours des entretiens,

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! 36!

Pierre décrivait le travail en binôme comme un moment d’échange et de confiance. Le

mouvement y est évoqué comme fluide marquant une communication avec son partenaire.

Fuchs (2016) reprend ce phénomène à travers la notion d’intercorporalité.

!L’intercorporalité repose sur une connexion préréflexive de deux corps. Au-delà d’une

communication verbale, la rencontre des corps laisse place à un échange intersubjectif, pouvant

donner lieu à une compréhension intuitive (juste ou pas) de l’autre (Englebert et Valentiny,

2017). Pour Fuchs cette compréhension primaire passe par les sensations corporelles (locales

ou générales) de la personne. Véritable repère sensoriel, le corps vécu devient un outil de

résonance face à celui d’autrui (résonance corporelle). En d’autres termes, c’est l’impact de

l’expression d’autrui sur mon corps qui me permet d’induire une compréhension de son!état

émotionnel ou de son intention. Cependant, comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, le corps

vécu du schizophrène fait défaut de par ses difficultés d’incorporation et d’incarnation. Ce

désengagement corporel rendant difficile l’investissement de ses propres expériences

sensorielles. Néanmoins, il serait réducteur de positionner les participants dans une attitude

passive dénouée d’engagement dans l’exercice. Se prêtant au jeu des bambous, les informateurs

décrivaient un instant de partage intercorporel, sans communication verbale.

![Exercice des bambous] « Quand on ferme les yeux c’est vraiment avec la pression que l’on

sent. Je sentais que l’autre guidait et puis je poussais à mon tour. On sent mieux les yeux fermés…

On se comprend, c’est fluide » (William, le 05/04/19).

Dans son vécu, William utilise sa perception interne pour percevoir l’intention motrice de son

partenaire, puis en retour, il émet une intention vers lui. La réception de signaux sensoriels

semble être un guide dans cet espace vécu, laissant place à un partage du mouvement.

Dans son ouvrage « Corps réel, corps imaginaire », Sami-Ali (1998) place le corps comme une

composante intuitive d’une création d’un double espace : Espace pour soi (englobant les

sensations locales et générales évoquées par Fuchs) et l’espace partagé (englobant le partage

intercorporel). En prenant le corps comme point de départ d’une structure de l’espace, Sami-

Ali souhaite dépasser la vision dichotomique d’un dedans (interne au corps) et d’un dehors

(externe). L’homme se vivant à travers son incarnation au monde, les deux espaces s’englobent

pour créer un vécu (Fuchs, 2007). Durant le partage avec les bambous, l’espace vécu rejoins

cette vision d’un espace partagé, où l’instant semble être vécu et expérimenté à deux.

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« Je vais dire que je bougeais avec la personne et on essayait de communiquer. Quand j’allais

à gauche, la personne allait aussi à gauche et ainsi de suite. On n’avait pas besoin de se parler,

le mouvement allait tout seul » (William, le 05/04/19).

Il semblerait que William ne soit pas dans une perspective en première ou troisième personne

mais en deuxième personne (Fuchs et Jaecher, 2009). Pour Fuchs et Jaecher, ce phénomène fait

référence à l’intersubjectivité relationnelle. Leur interaction fait état d’une compréhension

sociale qui repose, en grande partie, sur l’incarnation corporel. Au travers de leur vécu, on

remarque une intentionnalité du geste vers autrui ; Je perçois cela donc je réponds ceci. Leur

action s’engage par le corps rendant la relation dynamique. Pierre soulignait :

« Quand on le faisait à deux, les mouvements sont plus fluides. Je ne serai pas dire pourquoi…

Je sens quand il pousse un peu, alors je réponds et puis ça se fait. C’est assez agréable. On se

laisse porter » (Pierre, 05/04/19)

Les intentions de chacun semblent être prises en compte pour créer un mouvement commun.

Oury (2016) parle de disparition du corps dans le processus dansé. Afin de pouvoir s’incarner

dans un état de grâce, le danseur met sa conscience de côté pour vivre le moment, le

mouvement. Pour Pierre, se « laisser porter », traduit une volonté de suivre le mouvement de

l’autre pour apprécier cette danse commune.

Pierre et William semble vivre le même phénomène d’intersubjectivité, mais à travers un vécu

de l’interaction différente. Pierre exprime plus un laisser-aller dans la communication, où

l’autre guide, alors que William est davantage acteur de l’échange, où il prend une place active

dans la relation.

« Avec les bambous par exemple… je pousse un petit peu pour faire comprendre que c’est moi

et tout ça quoi. Voilà… je montre que c’est moi qui décide » (William, le 05/04/19).

Le corps semble définir un soi actif où l’interaction rend les mouvements et sensations

signifiants. Dans un travail de pression, le maintien de l’attention sur une force focal et partager

renforce la vision d’un « je peux, je me manifeste » (Laban, 1994). Le « moi-corps » s’éveille

pour s’affirmer et montrer sa part de subjectivité En partageant le même espace, la résonance

corporelle s’inscrit dans l’expression posturale et gestuelle des corps. Le corps de William est

affecté par l’expression motrice de son partenaire et ensemble ils parviennent à communiquer

par le mouvement. Un phénomène cinétique et émotionnel semble se partager dans une

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! 38!

kinesthésie entremêlée. A l’inverse du vécu de William, Pierre fait davantage référence à une

passivité assumée dans sa relation de corps à corps.

[Travailler en binôme] « Je me sentais dirigé, même assez bien dans les exercices. On se laisse

aller et là c’est plus facile. On réfléchit moins en fait… c’est assez agréable, c’est comme si on

ne faisait qu’un […]. On ne contrôle pas ou l’autre contrôle… en fait on le fait ensemble… sans

parler… on est ensemble quoi ». (Pierre, le 04/05/19)

En se référant à notre précédente analyse sur Patrick, Pierre parle d’une baisse de la réflexion

pour favoriser une résonance commune voire fusionnelle. L’informateur semble trouver un

appui extérieur pour exister en tant que corps commun. Dans ses écrits, Englebert (2012, 2016,

2017) met en avant le principe de corps commun chez la personne schizophrène. Comme nous

l’avons développé, le corps représente à lui seul une entité capable de ressentir et d’intégrer son

environnement, afin d’en exprimer sa propre individualité et compréhension du monde

(Chapitre 2). Toutefois, la difficulté à s’investir en tant qu’être actif de son propre corps peut

altérer la rencontre. L’espace ne comprend plus deux corps contenants, mais un seul au

détriment de la perte de l’autre. Pour Pierre, la rencontre des corps semble se réaliser à travers

un lâcher pris dans la réflexion et le contrôle. Ce n’est plus lui qui dirige, c’est l’autre ou

ensemble.

A travers le vécu de Pierre et William, deux phénomènes sont à souligner ; Le phénomène

d’incorporation au monde avec la prise en compte de l’intention motrice du partenaire par le

bambou et la résonance intercorporelle de l’échange.

A l’instar d’un aveugle, l’incorporation au monde se fait par les participants à travers

l’intégration du bambou dans son schéma corporel moteur (Fuchs, 2016). Celui-ci est alors vécu

comme une extension de soi. Par le bambou, le schéma corporel s’étend et incorpore le corps

d’autrui pour favoriser une compréhension de son échange. Néanmoins, l’incorporation du

corps de l’autre ne veut pas obligatoirement dire compréhension du partenaire.

[Travail en binôme avec un ballon] « On n’arrivait pas à le contrôler, on perdait la balle

souvent quand même. J’essayais de ne pas l’agripper et Julie l’agrippait de temps en temps et …

c’était compliqué, je ne savais pas où elle voulait aller. Peut-être que c’est moi qui reculais trop

vite, je ne sais pas ». (Pierre, le 05/04/19).

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! 39!

Pierre perçoit l’intention de sa partenaire sans parvenir à la comprendre. La résonance n’est pas

complémentaire et induit un sentiment de désaccordage dans la relation.

Ce qui est à noter ici est la perte de contenance de l’objet. Le ballon, à l’inverse du bambou,

possède une structure moins stable. Tout d’abord, sa circonférence fait que les corps sont plus

proches et qu’il est plus difficile de voir l’autre. Le ballon étant rond et légèrement mou, cela

accentue la difficulté de prise en main, mais également l’intention motrice de son partenaire. Il

en va de même avec l’élastique (même exercice, seul l’objet change). Même si le visuel est

dégagé, la perte de raideur dans l’objet amène à une absence d’indicateur spatial et

communicationnel.

« Chloé : Qu’est-ce qui vous gêne dans l’élastique ?

William : Ah dans l’élastique ? ben suivre le mouvement de l’autre, se comprendre. Parce que

des fois c’était détendu et je galérais (rire). C’est plus facile avec les bambous parce qu’ils sont

plus durs et on sait où aller. Avec l’élastique on doit plus deviner… on ne savait pas trop suivre

la personne. C’était plus ambiguë. » (William, le 05/04/19).

Au cours de l’interaction, le matériel semble structurer un change. N’ayant pas la possibilité de

parler (Règle de l’atelier), l’objet médiateur constitue un repère dans la communication à

l’autre. Lorsque ce repère perd en efficacité, le sujet ne peut plus se reposer sur lui, et doit

développer d’autres chemins de compréhension. Ainsi, William fait part d’une difficulté à

comprendre l’autre et à maintenir la communication des corps. Ce qui est intéressant, est que

malgré la répétition de l’exercice, aucun des participants n’a réussi à dépasser cette « épreuve ».

Tous relatent le sentiment d’être perdus et de ne plus pouvoir communiquer convenablement

avec son binôme. Par ailleurs, le ballon, comme l’élastique, offre d’autres chemins corporels

qui n’ont pu être découverts et investis par les informateurs.

Ce qui est intéressant dans ces différents vécus, est que la résonance intercorporelle peut être

perçue par les acteurs. A travers la perte de sens commun, plusieurs auteurs s’accordent sur la

tendance des schizophrènes à s’isoler du reste de la société. Ne comprenant pas le monde qui

les entoure, la marginalisation est une réponse récurrente (Pontonnier, Galland, Vaille-Perret,

Tourtauchaux, & Jalenques, 2007 ; Simonet, Brazo, 2005). Toutefois, à travers nos

observations, il semblerait que sous certaines conditions, une communication par le corps est

possible. De plus, cette compréhension intercorporelle serait renforcée par une écoute de l’autre

et de ses sens.

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« Il faut être à l’écoute de l’autre sinon on fait tomber le bambou. Et puis si on ne l’écoute

pas, ça part dans tous les sens quoi… on le sent, ce n’est pas fluide » (Pierre, le 05/04/19).

Le mouvement passe par une écoute réciproque. Lors de son vécu Pierre précise que la fluidité

résulte dans un bon accordage à l’autre : « si on ne l’écoute pas, ça par dans tous les sens ».

L’interaction montre une double influence. Le sujet passe par une écoute intracorporelle

(sensorielle) pour amorcer une résonnance intercorporelle. A travers leur force centrifuge, les

acteurs se sentent et se guident dans une conscience quasi-intuitive. Ainsi, l’accordage du

mouvement des deux corps se fait grâce au système sensorimoteur. La communication ne

semble plus se baser sur une relation esprit-corps, mais davantage sur un corps à corps ou plutôt

corps – bambou – corps.

A travers les différents vécus des informateurs, nous remarquons qu’une superposition des

territoires ne constitue pas une source d’angoisse importante. Toutefois, l’incorporation de

l’autre au sein de son territoire peut activer des défenses comme auprès de Patrick

Mais qu’en est-il du système inter-affectif ? De part un accordage moteur, les acteurs de l’étude

ressentent-ils un accordage affectif qui serait la base d’une communication incarnée ?

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CHAPITRE 4 : AXE RELATIONNEL

1-!CONSTRUCTION D’UNE EMPATHIE GROUPALE

Si durant les précédents chapitres, je me suis arrêtée sur divers phénomènes, j’aimerai

consacrer ce dernier aux évolutions apparues durant les séances. Le mouvement fut la première

grande évolution. Sans grande surprise, les premières séances ne furent pas des plus riches en

termes de spontanéité. Mais lorsqu’une majorité des participants s’accorde sur une difficulté à

danser, on peut rapidement remarquer que l’appréhension se trouve à d’autres niveaux que la

danse. Pour William, cela pouvait s’apparenter à une peur du groupe ou plutôt à s’affirmer

parmi ces membres.

« Avant, les premières, surtout les duels, enfin les binômes j’étais gêné de mal faire et puis

même pendant les premières séances avec les autres… aussi pour les miroirs, faire les gestes et

tout ça j’étais gêné. Je me demandais comment faire et tout ça, je ne durais pas trop longtemps

et je refilais directement le mouvement [Exercice en miroir] » (William, le 05/04/19)

Pour Pierre, la difficulté du mouvement se situait davantage dans l’appréhension du groupe et

la peur d’être rejeté.

« Je ne me sentais pas des plus à l’aise… Surtout en miroir, je suis assez gauche faut dire. Je

n’arrivais pas à me coordonner aux autres et ça, ça m’énerve […] Je sais pas, je me sentais un

peu exclus, pas dedans. Ça c’est assez énervant » (Pierre, le 12/03/19)

Enfin pour Patrick, danser est impossible. A sa simple évocation, il se sent beaucoup trop

ridicule et ses pensées sont sans cesse tournées vers ce que les gens pourraient dire sur lui.

« Dans ma tête le mode danser c’est un truc que je ne supporte pas, que je n’arrive pas à faire.

Et même quand je vois les autres personnes pratiquer la danse, moi je me dis dans ma tête... je

ne comprends pas comment eux, ils arrivent à danser, comme ça pénard, devant tout le monde.

Et moi je me dis dans ma tête ; mais ils ne sont pas gênés ? ou un truc comme ça. Enfin... parce

que moi danser devant tout le monde, c’est impossible. […] Même si j’oserai, j’aurai trop de

pensées ; Qu’est-ce qu’ils disent sur moi… Enfin ça serait trop gênant » (Patrick, le 15/03/19).

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Nous verrons par la suite que ces trois appréhensions ont su évoluer durant les huit séances,

afin de donner lieu à d’encourageants progrès.

Effet d’habituation

L’habituation désigne une forme d’apprentissage, qui tend à diminuer l’intensité

d’apparition d’une réponse, suite à une exposition répétée. Ce phénomène fait ainsi appel à une

répétition dans le temps, où le sujet, face à ses mêmes appréhensions, va apprendre à mieux les

contrôler et surtout à développer des stratégies aidantes. Au fil des séances, la structure de

l’atelier reste inchangée, cela avait pour objectif de faciliter la mise en place de rituels à travers

des habitudes sociales, mais aussi corporelles. Dans le chapitre 3, nous avons vu qu’une certaine

habitude sociale pouvait se former dans la territorialisation de l’atelier. Sur la base de

mouvements, d’assimilations et d’accommodations, le groupe se crée ou du moins il s’installe.

Comme Englebert le souligne dans le phénomène de territorialisation, pour pouvoir se vivre, il

faut pouvoir habiter son territoire. Le corps répond à cette même mécanique. Pour pouvoir se

vivre, il faut pouvoir s’habiter.

Au cours des séances, la répétition des exercices mais aussi le maintien du groupe ont été un

véritable bénéfice dans l’évolution des sujets. Les participants se connaissant déjà avant

l’atelier, les prémices d’un esprit de groupe était déjà posé.

Pour Mendes (2016), au cours du processus dansé, le corps devient conscience (habité) à

travers la répétition du mouvement, mais également par sa prise de conscience. A l’inverse d’un

travail à la chaîne, la répétition ne doit pas être aliénante mais vécue. La répétition induit alors

une forme de conscience pré-objective où le mouvement est pensé, sans être réfléchi.

« C’était plus fluide [les mouvements]. Je ne serai pas l’expliquer. Je suppose à force de les

faire et puis j’étais plus détendu aussi. Comme on sait ce qu’il faut faire, on a moins besoin de

réfléchir et là c’est plus agréable On réfléchit moins, on le fait » (Pierre, le 05/04/19).

A travers la répétition, Pierre met en lumière le mécanisme de la mémoire corporelle. Tel qu’il

est pensé par Ajuriaguerra (2009) et Fuchs (2016), notre corps emmagasine une multitude

d’expériences au cours de son développement. Que ce soit de façon implicite (codes sociaux,

coutumes, etc.) ou de façon procédurale (faire du vélo, marcher, etc.), le corps récupère toutes

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ces informations pour les appliquer de façon presque automatique. Au cours des ateliers, la

répétition d’exercices permet de stimuler cette mémoire corporelle. Car, n’imposant aucun

mouvement, c’est le sujet lui-même qui produit et affine son empreinte motrice2. Ainsi, même

si celui-ci ne vit pas à proprement dit son mouvement, cela reste son mouvement avec la part

de subjectivité qu’il sous-tend.

Pour Sheets-Johnstone, l’incorporation du geste dans sa répétition découle de l’intention que le

sujet lui porte. La répétition permet de stimuler la mémoire, mais le sujet doit pouvoir s’engager

dans sa création pour pouvoir vraiment la vivre. « Un mouvement est appris quand le corps

s’engage dans sa compréhension » (Bergson, 1991, p112). Les auteurs invitent donc le sujet à

s’expérimenter pour aller au-delà d’une simple répétition de geste.

« Et ben j’avais dur au début. Je ne comprenais pas comment les autres pouvaient le faire et

pas moi. En fait, je me suis dit ; Mais si tu n’essayes pas, ça va servir à rien ! Et puis je sais que

je suis bien entouré. Maintenant que je suis avec le groupe, je ne me tracasse pas. J’arrivais pas

trop à m’y mettre, un peu mais… je voulais essayer… et puis c’était pas trop mal. Maintenant je

suis beaucoup moins, mais alors beaucoup moins gêné ! » (Patrick, le 05/04/19).

En sortant de sa position d’observation, Patrick est parvenu à oser le mouvement. Même si

celui-ci ne sera jamais reconnu comme dansé, cela a permis de le « débloquer » d’une position

passive. Notons, que la volonté de se mettre en retrait, puis de s’inclure dans le mouvement du

groupe, peut faire état de défense ou d’angoisse. Pour Patrick, au vu de nos précédentes

observations, cela se traduit par une véritable envie d’aller de l’avant, malgré la perception d’un

monde dangereux. Par ailleurs, il s’appuie sur le groupe comme facteur de sécurité ; « Être bien

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!2!Dans une approche plus psychomotrice, l’alliance des deux donne lieu à ce que j’appelle l’empreinte

motrice. Dès sa naissance, l’homme s’expérimente et développe son schéma sensori-moteur en oscillant

entre le Leib et le Körper. Le corps se ressent intérieurement pour s’exprimer et être vu de l’extérieur.

L’individu y développe alors des mécanismes moteur intuitifs qui s’enracinent dans sa mémoire

corporelle. Cet enracinement est d’autant plus facilité qu’il est sous-tendu par des préférences affectives.

En d’autres termes, dans sa répétition motrice, le sujet se crée une identité corporelle qui est aussi bien

étayée par le vécu physique que psychologique de sa matérialité (Joly et Berthoz, 2013). Ainsi, dans ses

postures et mouvements, l’homme se construit des habitudes motrices qui permettent de structurer son

rapport à soi et aux autres. !

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entouré ». Au cours des ateliers, il semblerait que ces deux facteurs ; « répétition » et « groupe »

soient liés par une double influence.

Lesage (2014), dans son approche dynamique du groupe, préconise des exercices à forte

valence empathique pour une population psychotique. Le travail en miroir par exemple se

repose sur une imitation par amplification du mouvement. Sans aller à la recherche d’une

variation de l’empreinte corporelle, cet exercice invite les participants à « développer leur

conscience du moi-corporel3 afin d’enrichir et de consolider leur dimension narcissique »

(Lesage, 2014, p115). A travers cette résonance du Self, le sujet consolide sa relation à autrui

en s’identifiant et se différenciant d’autrui. Pour Lesage, cette oscillation des positions permet

de rejouer la dimension symbiotique dans une expérience sensori-motrice. En ce qui concerne

notre étude, cet exercice a permis de faire émerger une mémoire intercorporelle du groupe au

travers d’un phénomène de sens commun.

Mémoire intercorporelle, base d’un sens commun

Tout d’abord, la mémoire corporelle du groupe constitue à un apprentissage implicite

qui s’est construit au fur et à mesure des rencontres. Ainsi, au bout d’un certain nombre de

séances, les sujets possèdent une connaissance préexistante commune. Ils connaissent le

déroulement de l’atelier et la manière d’interagir avec le groupe. Nous ne sommes pas dans une

simple assimilation de l’interaction, mais dans un enrichissement de l’expérience

« Le faire ensemble c’est moins gênant, parce que tout le monde le fait. Là on est tous pareils,

tous dans le même panier (rire) » (William, le 05/04/19).

La notion égalitaire de William fait écho à une expérience partagée. L’immersion du groupe

renvoie à un esprit communautaire « tous dans le même panier », comme si la danse était une

épreuve à surmonter ensemble.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!3!Utilisé par Lesage (2006) pour définir l’identité de la personne à travers ses mouvements (tonus, flux et posture), ses sensations corporelles et sa mémoire corporelle. !

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« Je veux dire s’il y avait quelqu’un qui avait dur à faire un mouvement je vais dire ben… on

ne le forçait pas. On était plus derrière lui pour lui dire ne te tracasse pas, on est là » (Patrick,

05/04/19).

Dans une volonté de comprendre les interactions sociales par le corps, Fuchs met en lumière la

notion d’habitus de Bourdieu (1977). Véritable mémoire partagée d’un groupe, l’habitus

regroupe un ensemble de dispositions, comportements et compétences partagés par ses

membres. Dans des mécanismes de mimétisme et de routines implicites, il permet de guider

efficacement le comportement du sujet dans le groupe et de créer une bonne compréhension

sociale.

Au cours de l’atelier, cet habitus s’est construit au fur et à mesure. Face à l’avancée du groupe,

il a dû, de temps à autre, surpasser certains décalages dans le groupe.

Lors des exercices d’improvisation, il était intéressant de découvrir de quelle manière les

participants s’exprimaient individuellement dans l’espace. Chacun investissait le moment à sa

manière ; quand certains rasés les murs, d’autres tentés de s’affirmer au centre. Mais le plus

fascinant résultait dans une forme d’accordage commune des sujets dans la qualité du

mouvement4. Par exemple, lorsque la musique était plus aérée et légère5, les mouvements

possédaient une teinte plus glissée relâchée. A l’inverse lorsqu’elle était plus rythmée et

énergique6, les mouvements s’affirmaient davantage dans des sautillements et une marche

rapide. Ainsi, selon la musique et la consigne, le groupe s’accordait plus ou moins sur une

qualité de corps, sauf Patrick. Ses mouvements se traduisaient par un comportement plus

gymnique qui dénotait avec le groupe. Sans prendre en compte le rythme de la musique ou la

qualité de mouvement des autres, il se déplaçait dans l’atelier en réalisant des séries de flexions

et d’étirements. Persuadé de répondre parfaitement aux consignes, Patrick creusait petit à petit

un décalage avec l’ensemble du groupe. Ce qui paraissait intuitif pour le groupe, ne l’était pas

pour lui. Toutefois, le principe de la danse-thérapie n’étant pas d’imposer les choses, je laissais

Patrick s’exprimer dans son désaccord avec le groupe. Puis, au fur et à mesure des séances, ses

mouvements se sont adoucis, donnant lieu à des enchainements plus fluides. L’évolution ne fut

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!4!N’ayant pas de donné d’interview sur ce phénomène, mon analyse se base sur mes observations de terrain. !5!Escellum – Chimes : https://www.youtube.com/watch?v=5nGWBKiel1k 6!Hang Massive – Once Again :!https://www.youtube.com/watch?v=xk3BvNLeNgw !

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pas fulgurante mais présente. Sans mot, sans contrainte, Patrick a doucement accordé une partie

de son vocabulaire aux autres.

Lorsque nous venions à aborder son vécu dans le groupe, Patrick me parla d’une impression de de lien familial :

« Je veux dire… du bien être… eu… je me sens plutôt bien je veux dire. Bon pas à 100% je

veux dire mais j’oublie quelques petits problèmes entre parenthèse. Je veux… c’est comme si on

était comme dans une espèce de famille en fait. Pour moi… enfin… on travaille les uns avec les

autres. Pour moi c’est quand même important » (Patrick, le 05/04/19).

Le travail de groupe semble être un véritable tremplin pour le travail de soi. En englobant mais

aussi en dissociant ces membres, le groupe paraît traduire une familiarité favorisant le lâcher-

prise ?

Le groupe dans son processus d’intercorporalité

Au cours des séances, les participants ont développé un esprit de groupe de plus en plus

présent. Lorsque je les ai interrogés sur ce sujet, ils m’ont rapidement fait parvenir des notions

d’entre-aide et de solidarité.

[Perception d’une évolution dans l’atelier ?] « Je vais dire c’est plus le contact avec les autres.

On est beaucoup plus… je vais dire ça comment… on s’aide de plus en plus je vais dire.

Chloé : Et comment la voyez-vous cette aide ?

Patrick : Je vais dire, sur la façon de bouger… sur la façon de parler avec les autres… je vais

dire qu’il y a quand même un énorme respect donc je vais dire que c’est super bien fait. Pour moi

c’est très bien fait ». (Patrick, le 05/04/19)

Patrick met en avant un sentiment diffus d’empathie groupale. Une atmosphère empathique qui

porte le groupe dans son évolution. Pour mieux comprendre ce phénomène de contagion, je

vous propose de l’illustrer à travers l’exercice du miroir et la théorie d’incorporation mutuelle

de Fuchs. Au début des séances, cet exercice fut abordé dans une grande cacophonie.

« On était perdu… on était tout le temps en train de chercher ce qu’il fallait faire. Si c’était bien

à nous qu’on a passé le mouvement etcétéra ». (Pierre, le 05/04/19)

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Le groupe ne parvenait pas à suivre le mouvement dans la passation. Cela se traduisait par un

manque d’attention, ainsi que par la difficulté à affirmer sa posture envers les autres. Puis au

cours des ateliers, les personnes commencent à se connaitre dans le contexte dansé, un esprit

de groupe de forme et l’exercice devient connu.

[Exercice en miroir] « Ben comme je dis, je pense qu’au début on était plus fermé les uns sur

les autres… enfin un chacun dans soi-même puis en évoluant, ben on fait des exercices ensemble

et tout ça. On s’écoute en fait.. en fin on est plus attentif quoi. On sait qui le fait et à qui il le passe

» (William, le 05/04/19).

Dans son approche, Fuchs parle de communication incarnée (2014) où les corps des sujets se

mettent en lien (lien corporel). Lorsque que les protagonistes rentrent en communication en

face à face, un lien inter-corps se produit. De par sa posture, l’expression de son visage ou

l’intonation de sa voix (non présente dans l’étude), le sujet 1 influence le sujet 2 qui produit

une impression sur son expression. Par exemple, lorsque je demande à Patrick de m’illustrer

l’entraide au sein du groupe, il me fait référence aux regards échangés.

« A certain moment l’exercice n’est pas simple, enfin je veux dire on a pas l’habitude de faire

ces mouvements. Du coup… comment je peux dire… avec le regard… enfin quand on se regarde.

On voit qu’on est pareil. Et ben, c’est comme si on se disait, oui moi aussi c’est difficile mais on

est là » (Patrick, le 05/04/19).

On retrouve ici un échange non-verbal où le sujet, par son expression, produit une impression

sur Patrick qui s’exprime à son tour. L’échange se construit alors à travers un processus

circulaire d'impressions et d'expressions.

Pour revenir à l’exercice en miroir, William parle d’une écoute du groupe vers le sujet ; « on

est plus attentif quoi. On sait qui le fait et à qui il le passe ». Cette écoute s’est construite dans

le temps et a permis de faire émerger d’habiles interactions. Durant la toute dernière séance, les

participants étaient beaucoup plus coordonnés, mettant en avant une véritable compréhension.

« J’ai trouvé que c’était plus sympa. Je veux dire, on était tous ensemble, un peu comme si on

se comprenait. On savait où allait le mouvement et qui l’avait (rire). C’est un peu comme si on

avait une grande conversation » (Pierre, le 05/04/19).

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! 48!

Fuchs parle d’incorporation mutuelle. Les informateurs se regardent, perçoivent l’information

exprimée par l’un deux pour ensuite, littéralement l’incorporer et produire une nouvelle

réflexion ; « le mouvement est maintenant à moi, je peux m’exprimer » ou « le mouvement est

passé à un autre, je vais l’écouter ». Dans une écoute intersubjective, le groupe se coordonne,

se parle. Pour Pierre, une non-coordination est ressentie comme une exclusion du groupe (cf,

p 49). Sans pouvoir l’expliquer, il se sent exclu, renforçant l’idée d’une communication

groupale basée sur une résonance corporelle mutuelle.

Enfin pour Fuchs, cette communication, ainsi que l’empathie et la compréhension sociale qui

en découlent, ne serait pas basée sur des efforts réflexifs et cognitifs pour décoder son prochain,

mais, sur « une interaction pré-réflexive, corporelle et non verbale. De cette manière, le corps

devient un support de l'intersubjectivité. (Fuchs 2013, cité par Schmidsberger, 2016)

Appliquée à une population schizophrène, cette théorie laisse penser que le sujet peut de façon

pré-réflexive entrer dans une communication intersubjective. Au travers de cet exercice, le vécu

des informateurs le confirme, mais de façon générale. Ce phénomène d’intercorporalité n’a pu

être abordé qu’en dernier entretien. Ainsi, nous avons une vision macro de la situation. Une

investigation approfondie sur ce phénomène pourrait révéler quelques nuances, notamment

dans une possible altération de la résonnance corporelle individuelle et commune.

Il se trouve que cette empathie groupale a eu d’autres impacts sur les informateurs, notamment

sur l’affirmation et la confiance en soi.

2-!S’individualiser par le groupe !

Affirmation de soi

Au cours du précèdent point, nous avons pu voir à quel point le groupe pouvait apparaître

dans une conscience unitaire, mais dans cet exercice de partage, il peut également être porteur

de différenciation. Pour William, le fait d’avoir travaillé en groupe et notamment de danser

devant tout le monde à provoquer un déclic.

[Exercice du miroir] « Je vais dire bénéfique. Ça m’a permis de débloquer certaines choses

en moi. […] Au niveau Psychologique. Oui par rapport à la confiance en soi. Dans les

mouvements aussi pour bouger et tout ça […] Ben ça m’a aidé à me comprendre un peu mieux,

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je me disant que dans le groupe voilà tout le monde fait la même chose et qu’il ne faut pas être

gêné. Et dans la société aussi il ne faut pas être trop gêné ». (William, le 05/04/19)

Pour William, danser devant tout le monde fut un challenge. En dehors du CRP, l’informateur

m’explique se sentir parfois à l’écart de la société. De par sa maladie, il précisait ressentir

parfois de la gêne quand il devait prendre la parole. Ainsi, pour lui danser devant tout un groupe

était une vraie épreuve d’affirmation de soi. Par ailleurs, William ne s’est pas arrêté à ce

sentiment. Au cours de la dernière séance, il a proposé plusieurs variantes dans le mouvement.

Innovant à tel point qu’il introduit les « pirouettes », mouvement que personne n’avait oser

expérimenter avant. A travers ces propositions, l’informateur s’extrait en partie du groupe pour

développer des initiatives permettant d’affirmer sa différence. Le corps devient acteur d’une

affirmation de soi et porteur d’une identité individuelle.

« Oui, maintenant je peux innover, rien qu’avec la boule et aussi je tournais sur moi-

même, deux fois je crois (rire). […] J’ai plus confiance en moi… Je suis moins… enfin…

je suis un peu mieux. Je me donne plus de qualité » (William, le 05/04/19).

Lorsque le danseur parvient à jouir d’un corps maitrisé, Oury parle d’un « corps en apparition ».

En s’expérimentant, William s’est positionné comme un être actif, capable de s’incarner : « je

peux ».

3-!La place de la confiance dans le lâcher prise !Confiance en les autres

Durant les séances, les participants ont souligné la nécessité d’une relation de confiance et de

lâcher prise dans la compréhension de l’autre et de soi. Selon l’informateur, le lâcher prise ne

se situe pas au même endroit.

Pour Patrick, comme nous l’avons développé au Chapitre 3, cela passe essentiellement par le

regard. Repère sécuritaire dans un monde insécure. Le regard est un véritable outil pour entrer

en contact avec quelqu’un. C’est par lui, que l’informateur observe, analyse et juge. Lorsqu’il

en est privé, il devient impossible d’être en interaction, les pensées devenant trop envahissantes.

Toutefois, durant notre dernier entretien Patrick met en avant sa vision familiale du groupe,

soulignant ainsi la sécurité qui lui apporte. Ici aussi, le regard est omni présent.

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[Nous parlions du dernier exercice en miroir que Patrick a qualifié de moment fort]

Chloé : Qu’est ce qui était fort ?

Patrick : La confiance, la façon de se regarder dans les yeux, la façon de bouger, de rigoler, de

parler » (Patrick, le 05/04/19).

Par ce fait, l’exercice en miroir semble presque être un exercice fait pour Patrick. Lors de sa

réalisation, il se place juste devant la porte (accès de sortie) et l’ensemble du groupe est

positionné en cercle, donc tous visibles. Ainsi, il est facile pour Patrick d’appliquer son

hypervigilence et de « profiter » de l’exercice.

Comme nous le disions au début du chapitre, pour Patrick danser est impossible. Aussi, quand

son tour est arrivé, ses mécanismes de défenses se sont activés donnant lieu à un enchainement

sportif, ainsi que quelques blagues. Ce qui est intéressant, est qu’au moment où Patrick a décidé

de s’impliquer dans l’atelier, ses mouvements sont devenus plus fluides laissant apparaître une

danse gymnique.

« Au début je me sentais timide un peu, enfin extrêmement. Mais maintenant, je me sens un

peu plus libéré […] Libéré… je sens que je peux bouger plus qu’avant, qu’en temps normal.

Penser moins de ce que les gens vont penser de moi » (Patrick, le 15/03/19).

La mise en confiance par le groupe (l’environnement) a été l’élément déclencheur de son lâcher

prise. Sami-Ali (1984) disait que lorsque nous rentrons en contact avec une autre personne,

nous faisions face à une autre réalité que la nôtre. L’individualisation ne se fait pas uniquement

par le sujet seul, mais par l’existence de l’autre. En parvenant à trouver un terrain sécuritaire,

Patrick a réussi à expérimenter un mouvement qui n’était pas hypertonique. Un mouvement

plus libre.

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Confiance en soi

Pour Pierre, le lâcher prise se trouve davantage dans son rapport à lui-même. Nous avons

pu l’observer dans le Chapitre 2, Pierre a une tendance à se positionner en dehors de lui-même,

pour se regarder à travers les yeux d’autrui. Par ailleurs, cette incarnation à la troisième

personne semble avoir un impact sur son rapport au corps durant la danse. Ses mouvements

sont saccadés donnant l’impression d’une activation morcelée du corps. Pierre définit lui-même

sa posture comme un automate

« J’ai du mal, quand je danse, je suis très raide. On dirait pratiquement un automate, un

robot » (Pierre, le 05/04/19).

Lorsque que je viens à interroger ce vécu de corps, le sujet m’informe ne pas se reconnaître

dans ses mouvements. Il se décrit davantage comme un artiste libre, sans limite. Aux antipodes

de son vécu, cela interroge quant à cette scission entre le corps et l’esprit. Englebert disait que

le schizophrène est enfermé dans sa maladie, dans un corps qu’il ne reconnaît pas.

Durant une séance, il était proposé aux participants de réaliser une improvisation avec l’objet

de leur choix. Pierre avait pris un foulard. De nature légère, l’objet invite à la fluidité du geste.

Au cours de l’entretien qui suivi, l’informateur m’expliqua que cette sensation de fluidité a été

vécu comme une liberté.

[Quelle évolution avez-vous senti depuis le début de l’atelier ?] « … un lâcher prise je crois, dans

le mouvement. Être plus libre dans mes mouvements, être moins raide. Comme avec le foulard,

c’était agréable la fluidité » (Pierre, le 05/04/19).

Mais pour Pierre, la fluidité n’est pas l’unique moyen pour se ressentir.

« Danser, c’est pouvoir s’évader, Vous savez je ne le fais pas uniquement ici, à la maison aussi.

Je me lâche à la maison. […] Quand je danse, je suis libéré de mes pensées, Avoir des pensées

positives au lieu de pensées négatives. Un peu lâcher du lest quoi, sur ce fardeau qui père sur

mes épaules, qui me pèse ». (Pierre, le 05/04/19).

Le fardeau dont fait référence Pierre, est sa maladie. Il m’explique l’accepter mais devoir tout

le temps en parler, au CRP, à la maison, etc. Dans la danse et notamment dans le mouvement

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fluide, Pierre se sent « plus détendu », moins stressé. Quand il danse, il n’a pas à parler, à

expliquer. Il fait.

« Avec ma maladie, il arrive que je me pose souvent des questions. Ça me tracasse fort, des

fois je n’arrive pas à dormir. Mais non, durant les ateliers, je n’y pense pas. Quand je danse, je

suis comme tout le monde, un peu gauche (rire) » (Pierre, le 05/04/19).

Au-delà, de son rapport au corps et à soi, Pierre a trouvé dans la danse un moyen de s’évader

mais aussi de se retrouver. Pour l’informateur le mouvement donne confiance en soi car on est

plus dans le pensé mais dans l’agir.

« Quand on pense, on ne fait rien. On reste assis et voilà quoi. Alors que dans l’atelier, on

bouge… on suit la musique, on essaye de se lâcher. C’est pas simple mais au moins on est pas

assis » (Pierre, le 05/04/19).

Pierre, dans ce vécu, se place acteur du changement. C’est à travers la danse et les tentatives de

lâcher prise qu’il s’éloigne des pensées négatives. Si Pierre disait ne pas se reconnaître dans les

mouvements saccadés, les mouvements fluides lui permettent de s’évader. Pour lui, la confiance

en soi est un agir, un moyen de ne plus être enfermé. Mendes disait que le corps pouvait

s’acquitter de la pensée pour se connaître, car avant de se penser, le corps se sent. Il semblerait

que pour Pierre, l’évasion ne se fait pas à travers la réflexion mais par l’action.

Durant ce chapitre, nous avons pu voir que dès que le corps est en action, il s’expose à une autre

vision de soi et du monde. S’expérimenter n’est pas quelque chose de simple, mais grâce à un

environnement positif et bienveillant, tester de nouveaux éprouvés peut être bénéfique, voire

enrichissant.

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CONCLUSION

Au cours de ce mémoire, j’ai tenté d’explorer le vécu schizophrénique dans une

dimension tridimensionnelle ; le vécu du sujet dans son rapport à soi, à son corps et à autrui.

Recherche ambitieuse, je voulais ouvrir au maximum mes horizons pour pouvoir cerner la

personne schizophrène dans son vécu le plus primaire, le corps. A travers le dispositif dansé,

j’invitais les participants à explorer ces dimensions dans une approche préconsciente des

choses. En atelier, les participants étaient directement mis dans action et ils devaient ensuite

composer avec leur fonctionnement. En faisant bien attention à ce que le dispositif soit adapté

à la population, mon objectif était de laisser s’exprimer et s’expérimenter les participants. De

cette façon, divers phénomènes pouvaient émerger pouvant faire état de leurs subjectivités,

mais également du fonctionnement pathologique qu’ils peuvent sous-tendre.

Ainsi, au cours du chapitre 2, nous avons pu aborder le corps schizophrénique dans un

déracinement du Leib et du Körper. Toutefois, à l’image d’un arbre déraciné par le vent, des

racines peuvent rester ancrées au sol ?. Ainsi, aussi précaire soit son lien, l’arbre garde tout de

même une connexion à la terre. De ce fait, le vécu de l’hyper réflexivité et du sentiment du soi

amoindri viennent illustrer une expérience schizophrénique teintée de nuances. Car même si

ces vécus font état d’une perturbation dans l’ancrage identitaire, ils permettent également de

mettre en lumière un fonctionnement qui s’adapte à l’expérience pathologique. L’hyper-

réflexivité de Patrick n’est pas qu’une manifestation pathologique de la maladie. Elle met en

avant tout un fonctionnement qui est propre au sujet. Le sentiment d’insécurité,

l’hypervigilence, l’hypertonie, sont autant de manifestations qui s’entremêlent. Elles révèlent à

la fois les « freins » de Patrick, mais aussi ses outils pour « aller de l’avant ». Toutes ces

expressions composent la subjectivité de l’informateur et mettent en avant la grande complexité

de l’être à s’incarner.

Il en va de même pour Pierre, son incarnation ne se traduit pas par une simple position

d’observateur. Ne parvenant à s’investir seul, le regard d’autrui est un outil pour s’enraciner à

sa terre. A travers l’exercice en miroir, Pierre s’est expérimenté par le regard des autres,

illustrant une incarnation à la troisième personne. Mais parallèlement, toujours à travers la

danse, il a su s’expérimenter comme être actif, capable de prendre de la distance avec la

maladie.

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Puis, dans le chapitre 3 j’ai tenté de repenser le phénomène de territorialisation à travers la

psychomotricité des informateurs. Cela a notamment donné lieu à une réflexion sur la

communication intercorporelle des sujets durant l’exercice des bambous. Véritable objet

d’incorporation au monde, il a permis entre autres d’établir une connexion motrice entre les

acteurs de l’étude. Même si le vécu des participants diffèrent, une communication de corps à

corps est possible, quand celle-ci est sécuritaire.

Enfin dans le chapitre 4, je souhaitais mettre en avant certaines évolutions des acteurs durant

cette étude, dont le phénomène d’empathie groupale qui a été particulièrement présent lors des

ateliers. Véritable moteur pour le groupe, mais aussi pour les participants, il a permis d’explorer

la communication incarnée à travers l’exercice en miroir. Sur ce point, il est important de

préciser que le CRP constitue à lui seul un lieu sécurisant favorisant ce phénomène. Au travers

d’une population schizophrénique, cette incarnation devrait donner lieu à de plus amples

recherches. Car, à l’inverse des précédents chapitres, nous n’avions pu dans celui-là explorer

les nuances que pouvaient offrir ce phénomène.

Ainsi, il serait fort intéressant de continuer à explorer la communication intersubjective des

corps schizophrènes dans leur compréhension sociale et empathique. À la lumière des écrits de

Fuchs, cela reste très important de ne pas considérer le sujet uniquement à travers de sa

pathologie, mais à travers le fonctionnement qui l’entoure. Car même si les racines sont fines,

elles maintiennent tout de même un arbre grand par son expérience de vie.

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