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1 CRITIQUE DES NOTIONS DE TRADITION ET DINNOVATION THEORIQUES Matthieu QUIDU Les notions de tradition et d‟innovation théoriques ont été, jusqu‟à présent dans cet ouvrage, considérées comme suffisamment utiles et heuristiques pour étudier la problématique de la pluralité des programmes de recherche en sciences du sport. Cependant, ces notions ne vont pas sans poser problèmes. Deux types de difficultés peuvent être avancés, en référence à la distinction entre « compréhension » et « extension » d‟un concept. Tout d‟abord, la pertinence et la validité aussi bien théoriques, empiriques qu‟ontologiques de ces catégories peuvent-elles être attestées ? D‟autre part, une fois avérée la validité minimale de cette bipartition, se pose la question délicate de l‟assigna tion des divers travaux scientifiques dans l‟une ou l‟autre des catégories. Pour éclairer cette double problématique, deux démarches vont être successivement mises en œuvre, sur la base de la distinction proposée par Benatouïl (1999) entre approches « critique » et « pragmatique ». Une première lecture, qui sera dite critique et mobilisera les ressources de la philosophie, de l‟histoire et de la sociologie des sciences, consiste à discuter sur les plans ontologique, théorique et empirique cette catégorisati on. Il s‟agira d‟en cerner les limites, les apports, les conditions d‟utilisation. La seconde approche, dite pragmatique, propose d‟abandonner le point de vue en surplomb et en extériorité de l‟épistémologie critique. Il conviendra de s‟intéresser à la faç on dont les acteurs scientifiques eux-mêmes, dans leurs pratiques quotidiennes, utilisent cette partition, la contestent, l‟amendent… APPROCHES CRITIQUES DES NOTIONS DE TRADITION ET DINNOVATION THEORIQUES Une conception contestable, linéaire et disjonctive, de la temporalité L‟approche critique convoque tout d‟abord les apports de la philosophie des sciences. Il est possible, en référence à Latour (1991) et Serres (1994), de démontrer que la bipartition tradition-innovation s‟avère solidaire d‟une conception spécifique et contestable de la temporalité. Celle-ci peut être qualifiée de « linéaire et disjonctive » : elle distingue, de façon univoque, un « avant » et un « après », un « passé » et un « futur ». Ces deux temps, séparés par le surgissement d‟une innovation révolutionnaire qui introduit une rupture radicale et irréversible, sont associés à des jugements de valeur contrastés : la nouveauté se présente comme le dépassement des insuffisances voire des impasses du regard classique considéré dès lors comme obsolète et dépassé. L‟idéologie finaliste et téléonomique prévaut. La flèche du temps est orientée vers un futur associé inéluctablement au progrès. L‟assimilation entre

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CRITIQUE DES NOTIONS DE TRADITION ET D’INNOVATION THEORIQUES

Matthieu QUIDU

Les notions de tradition et d‟innovation théoriques ont été, jusqu‟à présent dans cet

ouvrage, considérées comme suffisamment utiles et heuristiques pour étudier la

problématique de la pluralité des programmes de recherche en sciences du sport. Cependant,

ces notions ne vont pas sans poser problèmes. Deux types de difficultés peuvent être avancés,

en référence à la distinction entre « compréhension » et « extension » d‟un concept. Tout

d‟abord, la pertinence et la validité aussi bien théoriques, empiriques qu‟ontologiques de ces

catégories peuvent-elles être attestées ? D‟autre part, une fois avérée la validité minimale de

cette bipartition, se pose la question délicate de l‟assigna tion des divers travaux scientifiques

dans l‟une ou l‟autre des catégories.

Pour éclairer cette double problématique, deux démarches vont être successivement

mises en œuvre, sur la base de la distinction proposée par Benatouïl (1999) entre approches

« critique » et « pragmatique ». Une première lecture, qui sera dite critique et mobilisera les

ressources de la philosophie, de l‟histoire et de la sociologie des sciences, consiste à discuter

sur les plans ontologique, théorique et empirique cette catégorisation. Il s‟agira d‟en cerner les

limites, les apports, les conditions d‟utilisation. La seconde approche, dite pragmatique,

propose d‟abandonner le point de vue en surplomb et en extériorité de l‟épistémologie

critique. Il conviendra de s‟intéresser à la façon dont les acteurs scientifiques eux-mêmes,

dans leurs pratiques quotidiennes, utilisent cette partition, la contestent, l‟amendent…

APPROCHES CRITIQUES DES NOTIONS DE TRADITION ET D’INNOVATION THEORIQUES

Une conception contestable, linéaire et disjonctive, de la temporalité

L‟approche critique convoque tout d‟abord les apports de la philosophie des sciences.

Il est possible, en référence à Latour (1991) et Serres (1994), de démontrer que la bipartition

tradition-innovation s‟avère solidaire d‟une conception spécifique et contestable de la

temporalité. Celle-ci peut être qualifiée de « linéaire et disjonctive » : elle distingue, de façon

univoque, un « avant » et un « après », un « passé » et un « futur ». Ces deux temps, séparés

par le surgissement d‟une innovation révolutionnaire qui introduit une rupture radicale et

irréversible, sont associés à des jugements de valeur contrastés : la nouveauté se présente

comme le dépassement des insuffisances voire des impasses du regard classique considéré dès

lors comme obsolète et dépassé. L‟idéologie finaliste et téléonomique prévaut. La flèche du

temps est orientée vers un futur associé inéluctablement au progrès. L‟assimilation entre

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tradition et conservatisme s‟opère alors aisément. Au final, passé révolu et présent véridique

sont les deux faces d‟une même vision.

Cette conception par révolution irréversible et coupure épistémologique est fortement

contestée. Serres l‟interprète tout d„abord comme la concrétisation d‟une vanité et d‟un

narcissisme trompeurs : « de même que dans l‟espace nous nous situons au centre, au nombril

des choses et de l‟univers, pour le temps, par le progrès, nous ne cessons d‟être au sommet, à

la pointe, à l‟extrême perfection du développement ; nous avons dès lors toujours raison pour

la simple, banale et naïve raison que nous vivons au moment présent ». Dit autrement, pour

cet auteur, « la courbe que trace l‟idée de progrès projette dans le temps la fatuité exprimée

dans l‟espace par la position centrale ». La flèche du temps marquerait donc la trajectoire de

la course à la première place ; ce n‟est pas du temps mais le simple jeu de la concurrence. La

coupure temporelle équivaut à une expulsion dogmatique.

Latour propose un autre type d‟argument : pour cet auteur, le progrès moderne ne

serait pensable qu‟à la condition que tous les éléments d‟un système donné soient

contemporains. Or, une innovation ne constitue jamais une totalité cohérente de composantes

qui appartiendraient à un même flux temporel. Chaque système fait tenir ensemble des

éléments hétérogènes provenant de diverses périodes. Toute action est fondamentalement

poly-temporelle. Selon Latour, « nous n‟avons jamais ni avancé ni reculé ; nous avons

toujours activement brassé des éléments appartenant à des temps différents. Chaque action

associe, combine et re-déploie des acteurs innombrables dont certains sont neufs mais il n‟est

pas possible de les considérer tous comme nouveaux. Leur cohésion n‟est pas assez grande

pour que l‟on puisse trancher nettement avec le passé ». Serres corrobore : « un objet forme

toujours l‟agrégat disparate de solutions scientifiques et techniques d‟âges différents ;

l‟ensemble de l‟objet n‟est contemporain que par le montage… Nous faisons sans cesse en

même temps des gestes archaïques, modernes et futuristes ».

Au final, une découverte n‟est perçue comme révolutionnaire que parce que les traces

de sa constitution sont effacées et que les liens qui la faisaient dépendre de ses prédécesseurs

sont rompus (Latour, 1991). Plus précisément, pour Serres, les renouvellements scientifiques

font redécouvrir des auteurs que les paradigmes précédents avaient fait passer pour dépassés.

Serres soutient par exemple que Lucrèce rejoint notre temps en tant que penseur des flux, des

turbulences et du chaos. Un même auteur appartiendrait donc à plusieurs temps et serait

susceptible de rejoindre le nôtre sur des questions analogues à celles que reformulent les

renouvellements scientifiques. De l‟actuel est encore actif dans ce qui semblait oublié depuis

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longtemps. Au final, une découverte forte dévoilerait un passé intelligent qui avait été occulté

par un blocage récent.

Sur la base de ces critiques, une temporalité alternative est formalisée, fissurant la

valeur ontologique de la partition tradition-innovation. Chez Latour, la spirale remplace la

flèche : « si j‟organise les éléments, non plus le long d‟une ligne, mais d‟une spirale, le futur

et le passé demeurent mais le futur a la forme d‟un cercle en expansion dans toutes les

directions ; le passé n‟est pas dépassé mais repris, répété, recombiné, réinterprété, refait ».

Des éléments qui paraissent éloignés si nous suivons la spirale peuvent se retrouver très

proches si nous comparons les boucles. Inversement des éléments très contemporains à en

juger par la ligne deviennent très éloignés si nous parcourons un rayon. Une telle temporalité

par spirale rend finalement inadéquates les étiquettes archaïques ou avancées. Serres, de son

côté, congédie l‟idée de flux laminaire au profit d‟un écoulement turbulent et tourbillonnaire :

« le temps ne coule pas mais percole, il passe et ne passe pas, le temps est un filtre où tel flux

passe alors que d‟autres ne passent pas ». Serres poursuit en mobilisant l‟image d‟un temps

plié, permettant des rapprochements imprévus : dans un temps qui se tord, des choses qu‟un

temps linéaire sépare peuvent être proches ; et inversement, des choses que la ligne

rapprochait peuvent s„avérer très éloignées. La topologie, en tant que science des voisinages

et des déchirures, s‟oppose à la géométrie métrique, science des distances bien définies et

stables. Elle renouvelle le paysage des savoirs, décrivant un nouvel ensemble de

rapprochements, d‟éloignements, de ruptures, de plis.

En somme, la partition entre l‟innovation et la tradition théoriques est apparue comme

sous-tendue par une temporalité où prévaut la flèche du temps distinguant l‟avant de l‟après

en conférant une supériorité symbolique au second qui dépasse, en le niant, le premier. Cette

vision est contestable et une temporalité alternative est proposée. On peut la résumer en deux

points : a) chaque production scientifique doit être moins considérée comme innovante ou

traditionnelle dans sa totalité que comme un assemblage original d‟éléments épistémiques

hétérogènes poly-chrones ; b) des éléments épistémiques peuvent traverser les époques, être

repris sous des formes diverses d‟une période à l‟autre, réactualisés. Ces deux dimensions

complémentaires, mises en évidence par la réflexion philosophique, comportent-elles une

validité empirique lorsqu‟on se penche sur l‟histoire des sciences ?

Des éléments épistémiques traversant les époques

Concernant le point b), une série de travaux historiques font la démonstration d‟entités

épistémiques reprises d‟une époque à l‟autre, reconfigurées. Comme le soutient Morin (1991),

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des formes noologiques anciennes persistent parmi les modernes, les noyautent, les parasitent,

y trouvent une vitalité nouvelle. Ces entités peuvent être de nature diverse : orientations

ontologiques ou thêmata (Holton), dynamismes imaginaires (Canguilhem) ou schèmes

d‟intelligibilité (Berthelot).

Holton (1981) qualifie de thêmata des conceptions ontologiques fondamentales, des

présupposés globalisants sur l‟essence des phénomènes. Ces croyances et intuitions premières

sur la nature de l‟être permettent d‟étayer le travail scientifique en lui donnant un sens. En

nombre restreint, les thêmata se présentent sous la forme de couples d‟opposition : continuité

versus discontinuité, élément versus totalité, unité versus diversité, ordre versus désordre…

Leur caractéristique principale est qu‟ils échappent à toute logique de la preuve et demeurent

irréfutables. L‟une des thèses majeures d‟Holton réside dans l‟idée d‟une permanence des

options thêmatiques à travers l‟histoire des sciences. Holton parle d‟« invariants », de

« structures relativement immuables persistant en dépit des diverses révolutions ». Par

exemple, les thêmata de simplicité et de nécessité, organisateurs de l‟œuvre de Copernic , se

retrouvent dans certaines théories contemporaines en physique. Ou encore : « la plupart des

physiciens contemporains se rattachent thématiquement à l‟atomisme de Démocrite ». Le

principe de complémentarité de Bohr entrerait de son côté en résonance avec la théorie

antique de la lumière promouvant un couplage entre le sujet et l‟objet de l‟observation.

L‟ambition d‟Holton est bien de « découvrir des identités de vues sous les différences

superficielles ». Par le biais de ces choix ontologiques, « les préoccupations de l‟homme

moderne se relient avec celles des générations passées ». L‟un des espoirs les plus persistants

de l‟humanité aura par exemple été de découvrir quelques lois générales de forme simple.

L‟existence de ces principes dont « la valeur d‟attraction subsiste bien après que les théories

où ils s‟insèrent ont été abandonnées » accrédite la conception spiralaire et tourbillonnaire de

la temporalité suivant laquelle des entités épistémiques persisteraient, sous une forme

réactualisée, en dépit des révolutions paradigmatiques. Celles-ci perdent dès lors de leur

radicalité et de leur puissance de rupture. La flèche du temps, et ce qu‟elle sous-tend de

rupture irréversible, s‟estompe à l‟instar de l‟analyse par Holton de la contribution

d‟Einstein : « la fameuse révolution qu‟Einstein est censé avoir amené dans les conceptions

physiques de 1905 s‟avère être essentiellement une tentative de retour aux sources d‟une

pureté classique, d‟une antique simplicité ».

Selon Holton, les thêmata participeraient d‟un fond commun de l‟imaginaire. Outre

ces croyances ontologiques, des images et symboles demeureraient au-delà des révolutions

paradigmatiques. C‟est la thèse que soutient Canguilhem (1952), à partir de son étude

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historique sur la théorie cellulaire en biologie : « les théories scientifiques, pour ce qui est des

concepts fondamentaux et des principes d‟explication, se greffent sur d‟antiques images, sur

des mythes ». « Les théories ne procèdent jamais directement des faits mais plutôt des

théories antérieures, souvent très anciennes ». Ainsi, le plasma serait par exemple « un avatar

logique du fluide mythologique générateur de toute vie ». Des thèmes théoriques survivent

donc à leur destruction apparente qu‟une polémique et une réfutation se flattent d‟avoir

obtenue. Canguilhem s‟appuie alors sur Klein : « on retrouve un petit nombre d‟idées

fondamentales revenant avec insistance chez les auteurs qui travaillent sur des objets les plus

divers et qui se placent à des points de vue différents. Ces auteurs ne les ont pas reprises aux

autres ; ces hypothèses fondamentales paraissent représenter des modes de pensée constants

qui font partie de l‟explication des sciences ». Les rêves de savants connaissent la persistance

d‟un petit nombre de thèmes fondamentaux. Ainsi, l‟homme reconnaît facileme nt ses propres

rêves dans les aventures et les succès de ses semblables. Par exemple, tous ceux qui ont

trouvé dans la cellule l‟élément dernier de la vie ont sans doute oublié qu‟ils réalisaient un

rêve de Buffon. La mise à jour de connivences, parfois inconscientes et involontaires, entre

théories appartenant à des âges différents fragilise encore la puissance explicative de la flèche

temporelle. La thèse de la récurrence de thèmes d‟imagination est approfondie par Durand

(1968). Pour cet auteur, le mundus de l‟imaginaire se compose de trois structures majeures qui

traversent les époques et étayent l‟activité scientifique. Quidu (dans cet ouvrage , b) démontre

par exemple que les renouvellements paradigmatiques contemporains en sciences du sport

résonnent avec les structures synthétiques et mystiques de l‟image dont les avatars antérieurs

sont à rechercher pour les premières dans le romantisme et les philosophies messianistes de

l‟histoire et pour les secondes dans les thèmes du réalisme, du monisme et de l‟ immanence.

Outre ces conceptions ontologiques et ces schémas imaginaires, d‟autres entités

épistémiques participant du travail scientifique persistent à travers les âges. Il en va ainsi des

« schèmes d‟intelligibilité » formalisés par Berthelot (1990) et définis comme des « matrices

d‟opérations de connaissance ordonnées à un point de vue ontologique et épistémologique

fondamental ». Ces schèmes seraient très anciens et « attachés à la connaissance dès ses

premières formes » ; et ce parce qu‟ils « atteignent les grandes lignes de saillance du réel tel

qu‟il se donne dans toute expérience anthropo-sociale ». Les schèmes se sont en quelque sorte

déposés et sédimentés dans les systèmes successifs de connaissance prenant le visage du

mythe, de la religion, de la philosophie, de la sagesse populaire, du savoir technique. La

pensée scientifique serait alors une rupture non pas au niveau des schèmes mais des

conditions et exigences de leurs mises en œuvre, le raisonnement expérimental. Dit autrement,

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les innovations épistémologiques se situeraient moins dans le noyau explicatif des schèmes,

ancien, que dans l‟usage scientifique inédit qui en est fait.

Conformément à l‟intuition philosophique d‟une temporalité tourbillonnaire, nous

avons pu montrer, travaux d‟histoire des sciences à l‟appui, que plusieurs types d‟entités

épistémiques traversaient les périodes, certes en subissant des reconfigurations, résistaient à la

succession des révolutions paradigmatiques. Il n‟est pas ici question d‟inférer sur les causes

possibles d‟une telle récurrence (cf. le débat opposant les thèses de structures cognitives

innées par Boyer versus de préoccupations humaines universelles par Morin) mais bien de

noter que la radicalité des innovations s‟en trouve affaiblie. La première dimension de la

conception alternative du temps formulée par Serres et Latour possède donc une certaine

validité empirique. Quant à la seconde, suivant laquelle toute étude scientifique mêlerait des

entités hétérogènes appartenant à des temps multiples, les limites de ce chapitre ne permettent

pas d‟en attester définitivement. Cependant, elle présente une valeur descriptive

potentiellement élevée. Celle-ci pourrait être démontrée via l‟étude des bibliographies de

publications scientifiques récentes. Selon nous, mais cette hypothèse devrait être éprouvée de

façon systématique, celles-ci mêlent des schémas imaginaires antiques, des références

philosophiques et des croyances ontologiques anciennes, des résultats empiriques et des

sophistications méthodologiques récents…

Au travers de ses deux dimensions, la conception de la temporalité alternative aux

thèmes de la flèche, des révolutions et des ruptures radicales, semble présenter une certaine

valeur heuristique. La temporalité linéaire et disjonctive étant effritée, la catégorisation

innovation-tradition qu‟elle sous-tend s‟en trouve, par cascade, affaiblie.

Quels mécanismes pour l’innovation ?

Si « aucune innovation n‟est véritablement révolutionnaire » (Onfray, 1989), la

problématique devient : sur quels aspects porte l‟innovation ? Quels en sont les mécanismes ?

Cette interrogation dépasse le strict cadre de cette contribution. Bornons-nous à esquisser

quelques lignes à approfondir. Morin (1991) formalise plusieurs principes d‟évolution des

idées parmi lesquels le schisme et l‟hybridation. Suivant le premier processus, un rameau

déviant d‟une orthodoxie s‟en différencie progressivement jusqu‟à développer des principes

nucléaires propres et originaux. Quant au second processus, il part de l‟idée que l‟innovation

s‟opère rarement ex nihilo mais plus vraisemblablement sur la base d‟une rencontre, d‟un

croisement, d‟une fécondation entre deux traditions ou objets théoriques. L‟originalité

résiderait alors moins dans les composantes que dans le montage. D‟autre part, selon Morin

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toujours, une innovation n‟est jamais isolée : elle participe de mutations plus amples, ne

serait-ce que d‟un point de vue symbolique. Quidu (dans cet ouvrage, a) démontre comment

les programmes innovants en sciences du sport résonnent entre eux du point de vue

imaginaire mais font également écho à des transformations au-delà du seul champ

académique, dans le domaine des pratiques corporelles, éducatives, économiques…

Feyerabend (1979) soutient de son côté l‟idée suivant laquelle nombre d‟innovations

scientifiques seraient la résultante de transgressions de règles méthodologiques. Par exemple,

la contre-induction, c'est-à-dire le recours à des hypothèses contredisant les théories bien

confirmées et/ou les résultats empiriques bien établis, est un ferment puissant d‟innovation.

Les préjugés seraient mis en évidence plus facilement par contraste que par analyse. Une

tolérance initiale vis-à-vis des imprécisions, abus d‟adhocité et incohérences des innovations

apparaît même comme indispensable à leur correction ultérieure. Tel préalable jugé absurde,

non méthodique, déraisonnable se transforme en une pré-condition inévitable pour la clarté et

le succès empirique ultérieurs. Un grand travail est nécessaire pour rendre la création plus

acceptable. Cela suppose que celle-ci apparaisse aux yeux de certains acteurs comme

intéressante, intrigante.

Au final, penser l‟innovation, c‟est surtout réfléchir aux résistances qui s‟y opposent.

Morin corrobore : créer suppose de s‟affranchir, relativement, des déterminations biologiques

et culturelles. Des conditions favorables à cette autonomisation sont alors dégagées : la

tolérance aux déviances et aux débats ; des influences théoriques et philosophiques plurielles

nées d‟échanges et de communications avec d‟autres cultures et permettant d‟affaiblir les

dogmatismes ; une plongée dans l‟histoire ouvrant le champ de la connaissance et permettant

de dépasser nos centrismes. Serres soutient à cet égard que « l‟oubli expose à la redite ».

Au sein de ces conditions contextuelles propices à l‟innovation, certains individus

manifestent, de par leurs singularités psychologiques et sociologiques, davantage de

propension à l‟innovation, se montrant moins sensibles au poids de la normalisation. Pour

Holton, les créateurs présentent un esprit d‟indépendance et de rébellion, un narcissisme

développé, une tendance à l‟introversion… D‟un point de vue sociologique, Morin soutient

que « les penseurs radicaux vivent les problèmes centraux posés par les carences de leur

culture tout en étant souvent périphériques à cette culture ». Les créateurs ont fréquemment le

sentiment d‟être étranger chez soi, dans leur propre culture. Ainsi Einstein reconnaît-il : « je

suis un véritable solitaire qui n‟a jamais appartenu de tout cœur à l‟Etat, au pays national, au

cercle des amitiés, ni même à la famille restreinte et qui a éprouvé à l‟égard de toutes ces

attaches un sentiment jamais assoupi d‟étrangeté ». Abernethy & Sparrow (1992), s‟appuyant

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sur Kuhn (1983), corroborent cette idée suivant laquelle les innovateurs seraient faiblement

déterminés et attachés aux paradigmes traditionnels : « les tenants du nouveau paradigme sont

soit jeunes, soit peu investis émotionnellement dans le précédent, peu formatés par ses règles

de pratique ». Outre cette sous-détermination, une poly-détermination peut constituer un atout

pour la création : nombreux sont en effet les innovateurs possédant des dispositions plurielles

voire antagonistes suscitant des crises internes, une réflexivité critique et finalement une

innovation, notamment par synthèse créatrice des idées contraires. Selon Morin, les créateurs

sont « souvent des bâtards culturels partagés entre deux origines, deux modes de pensée, deux

ethnocentrismes, des déclassés, métèques, marranes, exilés qui ressentent une faille dans leur

identité ou leur appartenance ; la faille peut s‟élargir jusqu‟à faire s‟écrouler en eux la

croyance au système officiel de vérité ».

Nous ne poussons pas plus avant cette réflexion relative aux processus d‟innovation,

celle-ci n‟étant pas l‟objet prioritaire de la présente note. Il s‟agit en revanche d‟étudier le

bien-fondé de la bipartition tradition-innovation. Celle-ci est apparue, sur la base des apports

de la philosophie et de l‟histoire des idées, comme discutable d‟un point de vue ontologique,

théorique et empirique. Néanmoins, considérer que les notions de tradition et d‟innovation

sont réductibles à des enjeux épistémiques et idéels serait par trop incomplet. En effet, la

simple évocation d‟une innovation ou d‟une tradition dans le champ scientifique est

empreinte, plus ou moins consciemment, de jugements de valeur. L‟assignation à l‟une ou

l‟autre des catégories ne génère pas les mêmes profits symboliques. L‟appartenance à

l‟innovation est souvent reliée à l‟acquisition d‟un certain prestige et de positions

avantageuses, comme l‟avait pressenti Serres : « la ligne du progrès n‟est pas le temps, mais

la trajectoire de la course à la première place, le simple jeu de la concurrence, encore la

guerre ». Ce que Bourdieu (2001) confirme : l‟irruption de l‟innovation a pour effet de

« modifier les règles de distribution des profits dans l‟ensemble du champ : tous ceux qui

avaient un capital lié à l‟ancienne manière de faire connaissent une banqueroute symbolique

et leur travail est renvoyé au passé dépassé, à l‟archaïque ». Cet état de fait est renforcé par le

droit que s‟arrogent les innovateurs à réécrire l‟histoire de leur discipline : « le premier arrivé,

le vainqueur de la bataille obtient pour prix le droit de réinventer l‟histoire à son profit.

L‟histoire donne alors un bel effet de réel à l‟auto-publicité » (Serres, 1994). Bourdieu ne dit

pas autre chose lorsqu‟il écrit : l‟histoire des sciences « est l‟enjeu de luttes ; chacun des

protagonistes développe une vision de cette histoire conforme aux intérêts liés à la position

qu‟il occupe dans cette histoire ». Derrière les questions cognitives, semblent bien se profiler

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des enjeux sociaux ; interviennent des procédures de domination sociale. La sociologie des

sciences, notamment au travers du programme critique des champs, constitue ici une

ressource incontournable.

Enjeux socio-symboliques de la partition innovation-tradition

Un premier indicateur de ces enjeux sociaux réside dans le fait trivial que les

chercheurs s‟auto-présentent fréquemment comme innovants, très rarement comme

traditionnels. Feyerabend (1979) a mis à jour les stratégies argumentaires, qualifiées de

propagande, déployées par les innovateurs pour légitimer leurs découvertes. Il en va ainsi des

conceptions coperniciennes défendues par Galilée. Ce dernier, pour convaincre du bien-fondé

de sa conception, n‟a pas hésité à mobiliser des hypothèses ad hoc, à négliger des faits

importants : « Galilée l‟emporte grâce à son style, son art de la persuasion, parce qu‟il écrit en

italien et parce qu‟il attire ceux qui par tempérament sont opposés aux idées anciennes et aux

principes d‟enseignement qui y sont attachés ».

De son côté, Grossetti (2006a) étudie la « rhétorique de la refondation et de la table

rase » développée par Latour au sujet de sa propre contribution. Ce dernier propose de mettre

au rebus une grande partie des acquis de la sociologie voire de la réinventer dans son

ensemble. Pour ce faire, Latour met en scène une opposition (Corcuff, 2006) entre d‟un côté

« la sociologie des associations » qu‟il promeut et de l‟autre « la sociologie de la société »

(appellation qu‟aucun collectif ne revendique) qu‟il récuse. Cette partition est considérée par

Grossetti comme forcée et artificielle ; sa seule fonction serait de produire « un effet de

radicalité » (Gingras, 1995 ; Bourdieu, 2001) sous la forme de la rupture définitive et

irréversible. Le mode est binaire : « nous, novateurs versus les autres, vides, archaïques et

obsolètes ». L‟ambition est forte : il ne s‟agit pas moins que de supplanter les paradigmes

classiques en érigeant une nouvelle science normale. Nous ne nous attarderons pas ici sur la

contradiction performative que recèle chez Latour cette façon de procéder alors même qu‟il

avait lui-même par le passé, dans le sillage de Serres, fustigé la conception linéaire et

disjonctive de la temporalité discutée ci-avant. Cette constatation est néanmoins révélatrice :

si un auteur comme Latour procède de la sorte alors même qu‟il en a dénoncé le caractère

illusoire, c‟est que cette rhétorique lui procure des intérêts, en l‟occurrence socio-symboliques

voire commerciaux. Grossetti note enfin, chez Latour, une tendance à la dogmatisation du

principe de symétrie généralisée, opération qui est sans doute incontournable dans l‟ambition

d‟affirmation d‟une théorie qui se veut ultime et générale mais en devient fermée et exclusive.

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Lahire (1996) avait déjà noté cette tendance au durcissement voire à l‟universalisation

d‟une grille conceptuelle présentée comme novatrice par certains chercheurs en vue de se

rendre reconnaissables et d‟en retirer des profits symboliques. Lahire propose une explication

fondée sur le mode de reconnaissance dans le champ académique : « un auteur reconnu en

sciences sociales est un chercheur identifié à partir d‟une grille théorique reconnaissable. Cet

état de fait incite davantage les auteurs à travailler dans le sens de la production de

l‟originalité de cette grille tout au long de leurs travaux qu‟à opérer des déplacements de leurs

langages d‟analyse ». Selon Lahire (1998), « il est question de prestige dans ces prises de

position théoriques généralistes. Prendre le point de vue le plus général, haut, transcendant

semble un modèle rêvé. Les théoriciens jouent dans l‟ordre théorique les mêmes stratégies

que les hommes d‟Etat, la perte de lucidité et de relativité est un gain d‟envergure ».

Cette interprétation est corroborée par Bouveresse (1999) : ce dernier étudie les

procédés mis en œuvre par Debray cherchant à faire passer une idée triviale pour une

découverte révolutionnaire et radicale. Ce dernier recourt à une analogie au théorème de

Gödel. Celle-ci, considérée par Bouveresse comme imprécise, abusive et purement rhétorique,

n‟apporte rien du point de vue du contenu. En revanche, elle n‟est pas neutre du point de vue

des profits sociaux, médiatiques et commerciaux qu‟elle génère en faisant sensation, en

produisant des effets de virtuosité, bref en substituant la séduction à la démonstration.

Convoquer Bourdieu (1996) permet de comprendre la diffusion de telles stratégies :

certains intellectuels privilégient le verdict du marché, propre au champ médiatique, au

détriment du jugement critique censé structurer le champ académique. Pire, les profits glanés

et les positions avantageuses conquises dans le premier univers sont réinvestis dans le

second ; et ce notamment par les chercheurs hétéronomes, c'est-à-dire les moins dotés en

capital spécifique académique, les moins reconnus par leurs pairs. Les normes esthétiques du

spectaculaire, de l‟extraordinaire, du sensationnel, du scoop et de la radicalité visant la

séduction du plus grand nombre tendent alors à se substituer aux normes cognitives. Le

champ scientifique semble perdre en autonomie, c'est-à-dire de sa capacité à promouvoir sa

logique propre.

L‟auto-qualification d‟« innovation révolutionnaire » peut donc se comprendre comme

la conséquence de l‟intrusion dans le champ académique des normes du marché médiatique.

La structure propre du champ scientifique semble également responsable, à l‟ins tar des thèses

développées par Broad & Wade (1987) d‟une pression à la créativité pour exister

scientifiquement. Cela fait notamment écho à Merton (1997) pour qui l‟« originalité » est

l‟une des normes supérieures du champ institutionnel. Seuls sont récompensés les productions

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originales, parfois frauduleuses, et les acteurs démontrant la paternité des découvertes. Le

deuxième ne gagne rien. La logique de surenchère dans le dépassement-surpassement s‟en trouve

légitimée. Le système incite à une course concurrentielle pour l‟innovation ; les carrières en

dépendent. Et Bourdieu (2001) de corroborer : « il faudrait réfléchir à l‟usage de l‟opposition

vieux-neuf qui est sans doute un obstacle au progrès de la science ; la sociologie souffre du

fait de la recherche de distinction à tout prix encourageant à forcer artificiellement les

différences, retardant l‟accumulation dans un paradigme commun ». S‟ensuivent des

mouvements pendulaires dans la production de connaissances tels que les cycles de « mort et

résurrection de la philosophie tantôt avec ou sans sujet ». Bourdieu y voit des phénomènes

générationnels : « les nouveaux entrants se posent quasi systématiquement en s‟opposant aux

plus anciens donc en portant un regard critique sur leurs travaux ».

L‟approche critique que nous avons développée a permis de mettre en lumière

certaines failles, insuffisances et limitations inhérentes à la bipartition innovation-tradition

théoriques. La philosophie des sciences a permis de démontrer se relativité à une conception

singulière de la temporalité (linéaire et disjonctive) qui s‟est avérée contestable. En effet,

l‟histoire des sciences révèle que de nombreux éléments épistémiques survivent à la survenue

des révolutions paradigmatiques. Une innovation n‟est jamais ni totale ni radicale. Elle ne

constitue qu‟un montage contemporain de composantes d‟âges multiples. Nous avons enfin

démontré, à partir de la sociologie des sciences, que la catégorisation considérée n‟est pas

réductible à des enjeux cognitifs et se trouve chargée d‟enjeux sociaux : ceux qui se

présentent comme innovants attirent systématiquement les profits symboliques voire

commerciaux. La mise en évidence de certaines limites inhérentes à la partition innovation-

tradition ne justifie pas pour autant son abandon strict. Il convient plus raisonnablement d‟en

expliciter les apports spécifiques et surtout les précautions d‟un usage raisonnable. Dit

autrement, les critiques étant énoncées, que reste-t-il de la pertinence de cette catégorisation ?

Sa validité est à mettre « sous conditions » (Lahire, 1998).

Que reste-t-il de la partition innovation-tradition théoriques ?

Quelle est tout d‟abord la valeur empirique de la partition tradition-innovation que

Kuhn (1990) qualifie de « tension essentielle » de l‟activité scientifique ? Le fait d‟avoir

relativisé la portée soi-disant radicale et révolutionnaire des innovations scientifiques ne doit

en aucun cas masquer l‟idée que l‟espace théorique est traversé par une pluralité de

programmes de recherche, lesquels ne sont pas nécessairement tous contemporains. Comme le

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concède Berthelot (1990), la pluralité des orientations de recherche est un « fait que l‟on

constate et qui semble irréductible ». La pluralité peut être formalisée et cartographiée, à

l‟instar des divers schèmes d‟intelligibilité dégagés par l‟auteur. Au sein de ce paysage, les

programmes doivent être situés historiquement. Tous ne sont pas apparus au même moment.

Certains se sont même construits par opposition à leurs prédécesseurs, sur la base d‟une

critique de leurs insuffisances associée à la production d‟une alternative. Ainsi Benatouïl

(1999) considère-t-il l‟approche pragmatique en sociologie comme « une émergence

dialectique » à partir de la théorie critique des champs de pouvoir. De telles configurations

peuvent évidemment être repérées dans le champ des sciences du sport (Quidu, dans cet

ouvrage a, b) : par exemple, le programme de l‟action situé peut être lu comme une

émergence dialectique à partir du paradigme computationnel. A ce stade de la réflexion, trois

critères nécessaires mais non suffisants peuvent être mobilisés pour qualifier une innovation :

un programme innovant doit être chronologiquement postérieur à des adversaires théoriques

identifiables contre lesquels il se construit, qu‟il critique et auquel il propose une alternative

qui génère une controverse épistémologique. Ne perdons pas de vue néanmoins les limitations

énoncées ci-avant : la postériorité d‟un programme sur un autre ne doit jamais occulter le fait

que chaque programme demeure fondamentalement un assemblage d‟éléments hétérogènes et

poly-chrones ; d‟autre part, pour exister, certains programmes n‟hésitent pas à « inventer » un

adversaire pour se poser en s‟opposant.

Le schéma kuhnien semble donc présenter une certaine validité empirique lorsque sont

distinguées les phases de « science normale » et de « crise paradigmatique ». En revanche, la

question de la résolution des crises semble davantage problématique : Kuhn suggère que

l‟antique science normale est vouée, à terme (l‟auteur demeure évasif sur l‟empan temporel

précis du processus, ce qui pose problème car cette imprécision est en quelque sorte une façon

d‟avoir toujours raison), à la disparition, se trouvant supplantée par son rival paradigmatique.

Or, comme le note Grossetti (2006a), le problème est que le schéma de Thomas Kuhn, qui ne

fonctionne pas forcément toujours très bien pour les sciences de la nature (Galison, 2002), n‟a

jamais fonctionné en sciences sociales, et encore moins en sociologie, où les disputes se

terminent en général par l‟ajout d‟une nouvelle chapelle à la kyrielle de celles qui existent

déjà. L‟innovation ne détruit que très rarement la tradition qui continue à se développer , ce

qui relativise donc la vision par révolution-dépassement-remplacement. Des programmes

concurrents, comme le soutiennent Lakatos (1994) et Berthelot (1990), sont donc voués à

coexister durablement. Quidu (dans cet ouvrage, a) formalise à ce propos les divers modes de

cohabitation entre traditions rivales de recherche, lesquels vont bien au-delà d‟une conception

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étriquée de l‟incommensurabilité condamnant les programmes à l‟indifférence et au

développement parallèle.

Au final, le surgissement d‟un point de vue innovant ne produit pas ipso facto la

désagrégation des modèles traditionnels sur le mode illusoire d‟une révolution radicale et

irréversible. Il convient plus raisonnablement de reconnaître que le paysage des modèles

concurrents se trouve reconfiguré par cette innovation. Toutefois, stigmatiser le « culte du

nouveau » (Serres, 1994) ne doit pas conduire à nier la survenue d‟une innovation. Il s‟agit

donc de redoubler de vigilance sur la caractérisation de celle-ci.

Une exigence majeure devient de spécifier les niveaux épistémiques auxquels se

situent les innovations, de les formaliser et d‟en préciser les filiations historiques. De façon

symétrique, il convient de repérer des niveaux moins marqués par l‟innovation et partageant

des éléments communs avec les rivaux programmatiques. Quels peuvent être ces niveaux

épistémiques ? Il peut tout d‟abord s‟agir d‟un niveau dit ontologique et symbolique. Pour

reprendre la méthodologie des programmes de recherche (Lakatos, 1994), on se situe ici au

sein du noyau dur, lequel est composé d‟images structurantes (Durand, 1968 ; Quidu, 2010) et

de postulats fondateurs sur la nature des phénomènes. Holton (1981) évoque pour sa part

l‟idée de thêmata. Une innovation paradigmatique génère souvent une rupture avec les

programmes classiques sur ce plan, comme l‟a démontré Kuhn. La discussion porte sur les

présupposés fondamentaux, mobilise des arguments et références philosophiques.

L‟innovation, en apportant un regard extérieur permettant la décentration, concourt à rendre

visibles les partis-pris ontologiques rivaux qui avaient été rendus implicites par la pratique

habituelle de la science normale. Le point de vue novateur peut également introduire un

bouleversement dans l‟échelle d‟appréhension des phénomènes étudiés. Dans ce cadre,

Grossetti (2006b) distingue, dans le domaine des sciences sociales, les échelles de temps

(durée des processus), de masse (nombre d‟unités d‟action impliquées) et de généralité

(nombre de contextes concernés). L‟objet d‟étude du programme peut également s‟avérer

novateur au regard des processus considérés par les traditions classiques de recherche. Bien

souvent, ce qui était considéré par le programme classique comme du bruit, marginal et

insignifiant, devient pour le programme novateur le cœur de l‟analyse (Prigogine & Stengers,

1992). Pour Funkenstein (1995), « une théorie antérieure assigne à l‟absurde certaines

conséquences qui seront érigées en principe de base des théories futures ». Il en va ainsi du

développement de l‟approche dynamique en psychologie sociale (Ninot & Fortes, 2007) : la

variabilité, l‟instabilité et l‟historicité du processus auto-évaluatif, considérées classiquement

comme non significatives, deviennent objet d‟analyse. L‟innovation peut porter sur d‟autres

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plans : schèmes d‟intelligibilité, concepts, théories, modèles, méthodes analytiques,

construction des données. De nombreuses catégorisations de l‟activité scientifique existent et

il n‟est pas ici question d‟en discuter. L‟enjeu est simplement de spécifier les niveaux affectés

par l‟innovation et ceux qui ne le sont pas. Les divers niveaux et composants de l‟activité

scientifique doivent également être envisagés dans leurs liens, conformément à l‟hypothèse de

l‟« holisme épistémologique ». Deux contributions de cet ouvrage satisfont particulièrement

ces exigences : Fortes & Ninot envisagent les relations entre les différents plans

(ontologiques, théoriques, méthodologiques, psychométriques…) de l‟approche dynamique en

psychologie sociale pour marquer sa distinction avec les approches nomothétiques

traditionnelles ; de leur côté, Sève et al font l‟effort de formaliser leur programme de

recherche du cours d‟action en distinguant notamment les composantes du noyau dur et de la

ceinture protectrice.

Nous pouvons pousser plus en avant cet effort de spécification des niveaux concernés

par la nouveauté paradigmatique : celle-ci peut très bien innover aux plans ontologiques,

théoriques, conceptuels, méthodologiques mais demeurer très traditionnelle sur des niveaux

plus profonds, que Morin (1991) qualifie d‟« arché-paradigme ». L‟arché-paradigme classique

repose sur les principes de disjonction, de simplification et de réduction là où le paradigme

novateur serait dialogique. Ce niveau arché-paradigmatique se concrétise notamment dans le

mode d‟articulation des programmes de recherche rivaux : les programmes perpétuant, vis-à-

vis de leurs rivaux, des relations marquées par l‟antagonisme, la radicalisation des oppositions

et l‟exclusivité s‟inscrivent dans l‟arché-paradigme classique, disjonctif et réductif ; à

l‟inverse, des programmes développant, vis-à-vis de leurs concurrents, des relations de

complémentarité s‟inscrivent dans l‟arché-paradigme novateur dialogique. Ainsi, des

programmes de recherche innovants sur de nombreuses dimensions (ontologique, théorique,

conceptuel…) peuvent tout à fait se montrer fondamentalement classiques du point de vue

arché-paradigmatique : il en va ainsi des approches dynamiques, pragmatiques et du cours

d‟action lorsque celles-ci radicalisent les antagonismes vis-à-vis de leurs rivaux et se

présentent comme exclusives. D‟autres travaux semblent innovants du point de vue arché-

paradigmatique à l‟instar de Lemoine (2007) pour qui les approches cognitivistes et

dynamiques, généralement considérées comme irréductibles, peuvent représenter deux

facettes complémentaires et alternatives du contrôle moteur (Quidu, 2010). Au final, des

innovations de surface pourraient masquer des inerties traditionnalistes profondes et enfouies.

Cette conception par strates superposées est corroborée par Serres (1994) : « le régime des

révolutions n‟est qu‟apparent. En dessous de ces coupures, coulent des flux lents et visqueux.

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La surface donne l‟impression de ruptures parfaitement discontinues, tremblements de terre

historiques dont la brève violence remodèle le paysage ; mais, très bas, continue un transport

extraordinairement régulier, à peine perceptible, sur une toute autre échelle de temps ». Les

innovations paradigmatiques pourraient correspondre à cette couche superficielle quand

l‟arché-paradigme évoqué par Morin coïnciderait avec ces strates enfouies, évoluant sur un

empan temporel beaucoup plus étendu. Prigogine & Stengers (1992) ont développé une

interprétation de ce type en soutenant que la mécanique quantique et la relativité d‟Einstein,

bien que révolutionnaires sous de nombreux aspects, n‟ont pas rompu avec l‟idéal classique

d‟intelligibilité fondé sur le principe de raison suffisante, de symétrie temporelle, et au final

de négation du temps.

La possibilité d‟innovation théorique étant désormais reconnue, l‟exigence d‟en

spécifier les niveaux épistémiques affirmée, il convient pour finir de questionner l‟opération

permettant l‟assignation des divers travaux scientifiques dans l‟une ou l‟autre des catégories

innovation ou tradition. Quelles précautions respecter pour réaliser cette opération de façon

transparente en écartant les désignations arbitraires qui risqueraient d‟alimenter les enjeux

sociaux de domination et de relégation ? Tout d‟abord, l‟assignation d‟un corpus de travaux

dans l‟une des deux catégories doit s‟appuyer sur des critères précis, en référence aux

différents niveaux épistémiques évoqués ci-avant. Ensuite, l‟opération doit être précisément

datée et située dans le temps : en effet, un programme qui pourrait être associé, à un temps t, à

la catégorie innovation n‟a pas vocation à y demeurer indéfiniment. Il sera à son tour critiqué

dans ses fondements ontologiques, conceptuels et méthodologiques par une alternative

paradigmatique qui le fera changer de statut. Conformément à la dimension dynamique,

réformatrice et dialectique de l‟activité scientifique (Bachelard, 1940), l‟innovation d‟hier

deviendra inéluctablement la tradition de demain. De ce fait, aucune assignation n‟est

définitive ni irréversible ; elle est nécessairement temporaire et référée à une configuration

épistémologique donnée. Un programme n‟est jamais traditionnel ou innovant en soi mais

relativement à ses rivaux. Les jugements épistémologiques devront être réactualisés à mesure

que le paysage des programmes de recherche concurrents se redessine. En outre, la portée

d‟un programme dans un champ scientifique donné n‟est pas nécessairement immédiate ; son

retentissement et sa reprise par les pairs peuvent être différés. Cette constatation incite à la

prudence vis-à-vis des opérations d‟assignation instantanée. A l‟instar de Lakatos (1994), des

évaluations diachroniques et historiques en référence à la dynamique de développement d‟une

nouveauté paradigmatique devraient être privilégiées.

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Reste enfin à définir les acteurs ayant la responsabilité de cette opération

d‟assignation : cette tâche doit-elle être prise en charge par les philosophes des sciences ou

par les scientifiques eux-mêmes ? Chacune de ces alternatives présentent des limites

spécifiques. La réalisation de cette opération par le philosophe des sciences (pour exemple

Dosse, 1995) tend à perpétuer l‟image de l‟épistémologue policier, en surplomb, en situation

d‟extériorité. L‟analyste risque en outre, si l‟on se réfère à Serres (1994), de marquer un

certain retard vis-à-vis des sciences en cours d‟invention : dans la mesure où certains

« épistémologues travaillent sur des sciences déjà passées », leur jugement, irréductiblement

daté, ne peut que s‟avérer obsolète. Lorsqu‟elle est assurée par le scientifique lui-même (pour

exemple Prigogine & Stengers, 1992), l‟opération de qualification risque d‟être surchargée en

procédures d‟autolégitimation. Il apparaît en effet difficile de surmonter les centrismes de

chacun (Morin, 1986). En attestent les tentations de réécriture de l‟histoire de son domaine

scientifique à partir d‟un emprisonnement dans son propre point de vue. Ces pratiques ont été

fréquemment stigmatisées (Bourdieu, 2001 ; Serres, 1994). Pour sa part, Andrieu (2001)

s‟interroge dans les termes suivants : en faisant l‟histoire de son propre domaine, « ne risque-

t-on pas de légitimer ses propres découvertes en reconstruisant une histoire modélo-

centriste ? ».

Face à ces dérives possibles, quelle position adopter ? Une confrontation des

qualifications opérées par les chercheurs et les épistémologues pourrait constituer une

première solution en permettant de dépasser les limites de chaque point de vue, sur le mode

d‟une objectivation réciproque (Benatouïl, 1999). L‟acteur scientifique apporte sa

connaissance engagée du domaine quand l‟épistémologue fait valoir sa connaissance des

limites tant sociales qu‟épistémiques des procédures d‟autolégitimation. Une seconde

solution, plus réaliste, consisterait, à la suite de Berthelot (1990), à ne pas chercher à

personnaliser l‟opération de qualification mais à la déléguer à la communauté scientifique

dans son ensemble. Il s‟agit dès lors d‟apprécier comment les prétendants programmatiques à

l‟innovation vont être interprétés, reçus, contestés, développés, déformés. Une innova tion

n‟existera authentiquement qu‟à la condition d‟être reprise par les acteurs scientifiques, de les

intéresser, de mobiliser les énergies, d‟enrôler des alliés, de susciter des résistances (Stengers,

1992 ; Latour, 2001). Cette lecture, qui prête moins attention à l‟étiquetage en lui-même

qu‟aux effets de l‟innovation et aux réactions qu‟elle suscite, coïncide avec une approche

pragmatique qu‟il convient désormais de mettre en œuvre de façon systématique.

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APPROCHE PRAGMATIQUE DE L’INNOVATION ET DE LA TRADITION THEORIQUES

L‟approche pragmatique promeut un changement de focale par rapport à l‟approche

critique, en surplomb et extériorité, en s‟attachant aux opérations que les acteurs eux-mêmes

mettent en œuvre dans leur pratique quotidienne. Il s‟agit désormais de prendre au sérieux

leurs actions et réactions face à cette problématique de l‟innovation et de la tradition

théoriques. L‟analyse pragmatique se déploiera sur un corpus empirique circonscrit et

singulier, le numéro 60 de la revue Science & Motricité paru en 2007, dont l‟architecture

originale constitue une richesse indéniable : en effet, cet opus se compose tout d‟abord d‟un

article-cible de synthèse, formalisant une innovation paradigmatique, en l‟occurrence

l‟approche dynamique en psychologie sociale. L‟éditeur principal de la revue parle à son

propos d‟une « perspective de recherche tout à fait originale ». Sur cette base, plusieurs

articles courts réagissent à cette proposition novatrice. Ceux-ci offrent alors un panorama

large des positions que les scientifiques sont susceptibles d‟adopter vis-à-vis des travaux se

présentant comme innovants. L‟analyse pragmatique aura pour but la formalisation des

attitudes, positions et interprétations vis-à-vis de l‟innovation théorique. Dit autrement,

comment les scientifiques eux-mêmes abordent-ils, justifient-ils ou critiquent-ils les notions

de tradition et d‟innovation théoriques ?

L’auto-présentation de l’innovation

Intéressons-nous tout d‟abord à la façon dont Ninot & Fortes, auteurs de l‟article de

synthèse, s‟y prennent pour présenter, justifier, légitimer les renouvellements dont ils sont à

l‟origine. Les contributeurs considèrent tout d‟abord leurs travaux comme participant d‟une

véritable révolution paradigmatique, en atteste leur référence à Kuhn : « selon le philosophe

Thomas Kuhn, la science ne se construit pas et n‟évolue pas par simple accumulation de

connaissances, mais par des changements de la façon de concevoir et de traiter les problèmes

scientifiques ». Le point de départ de la justification s‟ancre dans une disqualification

argumentée des approches dites « classiques » ou « traditionnelles » : « même si ce paradigme

permet la mise en relation des variables, des psychologues le critiquent largement pour son

faible intérêt pratique et ses limites heuristiques » ; ou encore : « ces travaux ont mis en

évidence des différences interindividuelles et des corrélats sans jamais pouvoir expliquer le

fonctionnement causal ou prévoir l‟évolution des variables étudiées chez un sujet lambda ».

Les limites des approches classiques, leurs insuffisances et poi nts-aveugles sont

systématiquement repérés. La critique porte notamment sur le plan ontologique, niveau de

discussion caractéristique des configurations de crise paradigmatique : « les bases

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opérationnelles de la psychologie sociale classique visent à mettre en évidence des chaînes

linéaires de causes à effets susceptibles d‟éclairer le réel » ; « le postulat est que la

connaissance approfondie des structures et fonctions simples permet d‟expliquer la

complexité apparente de pensées, sentiments et comportements en situation sociale manifeste

ou imaginaire » ; « l‟esprit ne peut être réduit à des mécanismes séparés sans prendre en

compte les influences mutuelles et leur coordination » ; « une telle découverte invite à ne plus

penser en terme de déterminisme linéaire, mais à considérer le système étudié comme un

système complexe, comprenant de multiples interactions non-linéaires entre les éléments qui

le composent » ; « Nowak et Vallacher proposent de faire entrer la psychologie sociale dans

un champ où contexte écologique, temps et complexité ne peuvent être négligés » ; « les

travaux nomothétiques tablent sur des relations linéaires dans les structures

multidimensionnelles ou hiérarchiques, autrement dit, sur des rapports directs et

proportionnels. Or, nous pouvons nous interroger sur la nature linéaire d‟une part de

l‟évolution des éléments qui composent les construits psychologiques et d‟autre part de leurs

relations »…

La discussion porte aussi sur l‟étage des théories et concepts, des stratégies de recueil

et d‟analyse des données, des échelles d‟observation : « ces statistiques descriptives ne

donnent qu‟une image appauvrie de la variabilité, dans la mesure où elles ignorent l‟ordre

dans lequel les observations ont été recueillies. Les analyses de séries temporelles visent à

dépasser ces limites et justement à donner des informations sur la dynamique de la série,

c‟est-à-dire sur la manière dont la variabilité se construit, observation après observation. Elles

mettent en évidence un principe de fonctionnement individuel » ; « l‟étude des construits

psychologiques a utilisé essentiellement des protocoles nomothétiques statiques, autrement dit

fondés sur quelques mesures répétées d‟un groupe de sujets espacées d‟au moins un mois »

Sur ces différents plans de discussion, sont reprochées aux approches classiques leurs

dimensions réductionnistes, formelles, décontextualisées : « cette approche analytique et

réductionniste a été l‟unique voie d‟exploration des construits au cours du premier siècle

d‟existence de la psychologie sociale » ; « ce réductionnisme a conduit les chercheurs en

psychologie à négliger ou sous-estimer l‟influence du temps et/ou du contexte écologique

dans la caractérisation des variables étudiées » ; « les relations causales issues de méthodes

analytiques restent limitées dans la généralisation de pensées, sentiments et comportements,

dans l‟explication d‟un comportement individuel en contexte écologique et dans la probabilité

de prévoir un comportement ou une attitude à un niveau individuel ou groupal » ; « l‟étude

séparée des constituants du système ne mènerait à rien dans la compréhension du

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fonctionnement global du système » ; « les études en psychologie sociale ont délaissé la prise

en compte du contexte écologique dans la caractérisation des valeurs obtenues. Les tâches

artificielles de laboratoire, les situations de rupture du contexte pour la passation de divers

instruments et les techniques rétrospectives ont pu isoler des variables autant qu‟elles les ont

décontextualisées. En se déconnectant de l‟évolution écologique des dimensions étudiées, la

recherche en psychologie a produit des modèles abstraits et parfois simplistes n‟étant pas plus

opérationnels sur le terrain ».

Sur la base de ces critiques réalisées aux divers niveaux épistémiques, est formulée

l‟alternative paradigmatique : « l‟impossibilité de répondre à ces deux objectifs majeurs de la

psychologie sociale nécessite d‟entrevoir de nouvelles approches où la variabilité intra-

individuelle va jouer un rôle crucial dans la sortie de cette impasse ». Ce qui était

antérieurement considéré comme marginal, insignifiant devient objet d‟étude : « c‟est à ce

moment que la prise en compte des micro-variations susceptibles d‟entraîner des changements

de plus forte amplitude est omise » ; « la faible fréquence d‟acquisition va masquer le

processus étudié. La primauté donnée à la personnalité suivant la perspective structuraliste et

dispositionnelle a pu négliger toute variabilité intra-individuelle, celle-ci étant attribuée la

plupart du temps à l‟erreur de mesure » ; « l‟événement mineur peut devenir aussi important

que l‟événement majeur. Si les psychologues se sont largement intéressés aux impacts des

événements majeurs, ils ont souvent sous-estimé les conséquences d‟événements de vie

mineurs, fréquents et de faible intensité ».

Cette innovation n‟est pas créée ex nihilo mais résulte de la mise en œuvre d‟une

approche éprouvée dans d‟autres domaines sur un nouvel objet empirique : « et si le temps

jouait un rôle majeur dans le fonctionnement des construits psychologiques ? Prigogine

conteste l‟élimination du temps dans les lois classiques de la physique » ; « cette nouvelle

orientation rejoint d‟autres changements paradigmatiques tels que le dépassement des

conceptions mécanistes classiques et du déterminisme méthodologique simplificateur pour

des principes fondés sur l‟incertitude depuis Heisenberg, la causalité probabiliste… ».

L‟accent est mis sur la radicalité de l‟innovation, rompant de façon franche et

irréversible avec les approches classiques : les auteurs évoquent un secteur de recherche

« quasi-vierge » : « le nouveau champ de la psychologie sociale initié par Nowak et Vallacher

(1998) légitime l‟intérêt de tester de manière intra-individuelle les hypothèses laissées en

suspens par les travaux interindividuels ». Delignières, auteur ayant également contribué à

l‟émergence de ce programme de recherche, insiste sur la puissance de rupture qu‟il recèle :

« les conséquences théoriques de ce résultat sont très importantes : c‟est une refonte totale des

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conceptions relatives au soi qui est appelée, sur la base des théories de la complexité » ;

« l‟article introductif, rédigé par Grégory Ninot et Marina Fortes rend compte d‟une

perspective de recherche tout à fait originale en psychologie sociale… Il s‟agit d‟une

approche particulièrement novatrice. On se situe ici aux frontières de la connaissance

scientifique, ces travaux mettant en évidence des résultats et testant des hypothèses jusqu‟à

présent complètement négligés dans la littérature… Les outils classiques se révélaient

complètement inadaptés, et il était nécessaire d‟innover à tout niveau pour tester ces nouvelles

hypothèses… Si l‟on a souvent reproché aux STAPS d‟être à la traîne des disciplines

constituées, de ne générer que des sous-produits de démarches créées par ailleurs, on ne peut

qu‟être satisfait de voir des recherches issues de nos laboratoires occuper une tête de pont,

méthodologique et théorique. Car c‟est bien de cela qu‟il s‟agit ici : ce point de vue n‟avait

jusqu‟à présent jamais été adopté, ces procédures métrologiques et statistiques n‟avaient

jamais été appliquées sur ce type de données ».

Malgré le caractère novateur de leur approche, les auteurs soutiennent avoir dépassé

une phase originelle « analogique », balbutiements semblent-ils inhérents au transfert d‟une

approche donnée sur un objet de recherche inédit. Le dépassement de cette phase

métaphorique permet d‟insister sur le sérieux et les exigences que se sont imposés les auteurs

dans le développement de leur approche : « cette nouvelle voie scientifique exige d‟autant

plus de rigueur pour ne pas être perçue comme un effet de mode ou hermétique à toute

critique. Les pièges épistémologiques tels que l‟analogie, les bonds conceptuels, les leurres

technologiques ou l‟exploitation de méthodes inappropriées sont légions » ; « Nowak et

Vallacher (1998) ont ouvert la psychologie sociale à la perspective dynamique. Seulement,

leurs écrits proposent des analogies avec la physique et des simulations sur ordinateur sans

produire de protocoles empiriques. D‟autres auteurs convaincus de la puissance heuristique de

la variabilité intra-individuelle sont également restés au stade des hypothèses. La lourdeur des

protocoles, le manque d‟instruments brefs, l‟obligation d‟utiliser des analyses de séries

temporelles rarement inscrites aux programmes des cursus universitaires en psychologie et le

scepticisme des experts des revues devant la nouveauté ont été autant de freins à l‟avènement

de preuves empiriques ou expérimentales. Aujourd‟hui, tous les éléments théoriques et

méthodologiques semblent réunis pour que des chercheurs explorent ce secteur quasi -

vierge » ; « les modèles théoriques, les méthodes, les instruments de recueil de données et les

techniques d‟analyse sont désormais au point afin de fournir une vérification des hypothèses

de fonctionnement psychologique laissées en suspens par les travaux nomothétiques

classiques ».

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Diversité des réactions face à l’innovation

Etudions à présent la diversité des attitudes et réactions, aussi bien élogieuses,

sceptiques que critiques, vis-à-vis de l‟article-cible présenté comme innovant. Une première

série d‟interprétations cherche à relativiser la radicalité et la puissance de rupture contenues

dans l‟application de l‟approche dynamique en psychologie sociale. Plusieurs stratégies

argumentaires sont alors déployées.

Une première attitude consiste à démontrer que des programmes antérieurs, passés

sous silence par Ninot & Fortes, avaient d‟ores et déjà développé des préoccupations

analogues : ainsi Lévêque écrit-il : « l‟article concerné aurait gagné à ne pas oublier que

l‟interactionnisme dynamique prenait déjà en compte les effets conjugués et réciproques des

variables intra-individuelles et des variables situationnelles » ; « l‟effet du temps est au cœur

de la compréhension clinique… La temporalité des phénomènes psychiques y est première

dans l‟élaboration psychique d‟un sujet, ses rythmes, ses connexions associatives, ses

fixations, régressions ». Tap propose une interprétation homologue : « je ne puis qu‟être

d‟accord avec Ninot-Fortes sur l‟intérêt d‟une psychologie sociale dynamique, mais je

voudrais rappeler que cette prise en compte de processus complexes et de leur dynamique

n‟est pas vraiment nouvelle. Il suffit de se référer à Kurt Lewin. Ce rappel historique ne remet

pas bien sûr en question l‟intérêt d‟une relance plus moderne de la psychologie dynamique.

Mais il permet d‟analyser pourquoi les conceptions holistiques anciennes de la personne et de

ses interactions avec les autres en tant que personnes (interpersonnel), avec l‟entourage

(groupal) et avec la situation (trois dimensions de la psychologie sociale environnementale ou

écologique) ont eu du mal à se développer » ; « ce que nous proposent ici ces deux auteurs est

donc à saluer. Toutefois, je pense qu‟il n‟est pas que les « récents travaux des physiciens et

des biologistes de la complexité…» qui devraient être évoqués. D‟autres propositions comme

celles de Kurt Lewin, de la gestalt-théorie, des approches phénoménologiques mériteraient

d‟être rappelées tant elles sont inscrites dans les cadres des sciences de l‟exercice physique ;

l‟approche clinique peut aussi être considérée comme une approche dynamique, dans le sens

où elle s‟intéresse dans une perspective idiographique à l‟évolution psychique ». Pour

Fontayne, « l‟idée que « le Soi est à la fois stable et instable, à la fois confirmé et évolutif…

est assez ancienne en psychologie sociale. Les concepts d‟estime de soi « trait » et « état »,

ainsi que les outils développés dans le domaine général ou dans le domaine du sport attestent

de cette préoccupation chez les chercheurs » ; et de continuer : « quoiqu‟il puisse être écrit, il

existe un certain nombre de travaux portant sur les fluctuations de l‟estime de soi. Les

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approches nomothétiques « classiques » ont donc réussi à mettre en évidence l‟existence

d‟une « estime de soi-état » sensible au contexte social ».

Une seconde stratégie tend à démontrer que des programmes rivaux contemporains ont

été caricaturés. Des homologies voire des convergences de résultats auraient pourtant pu être

repérées si la mise en scène des oppositions n‟avait pas été si forcée : pour Lévêque, « les

auteurs auraient dû veiller à ne pas caricaturer l‟approche psychanalytique et clinique et à se

souvenir que des auteurs majeurs comme D. Anzieu (1997), soucieux d‟en extraire l‟essence

et de la dégager du champ thérapeutique pour la resituer dans le commun, l‟ont rebaptisé

« approche psycho-dynamique de la personnalité » ; « cette formulation bien connue de

Lagache (1949) marquait une ambition bien plus large de ce corpus théorique à saisir la

globalité et la complexité des adaptations humaines, saisies justement selon des protocoles

patients et répétitifs de nature idiographique ; une forte analogie se découvre ici entre la

fréquence des recueils d‟informations en analyse dynamique et le patient « regroupement et

recoupement de signes » ; « ainsi les réactions hétéro-plastiques et autoplastiques

s‟enchevêtrent et s‟entrelacent, sans exclure les moments de crise propices aux

réaménagements. Sommes-nous si loin « de la croisée entre adaptation et préservation »

évoquée par les auteurs. Ainsi, d‟une connaissance plus approfondie des modèles trop vite

récusés, les auteurs auraient pu déceler des analogies et points de convergence insoupçonnés

avec l‟approche privilégiée dans l‟article; la discussion sur les questions essentielles de la

linéarité et de la prédictibilité des réponses en aurait été enrichie ». La mise en scène des

oppositions, comme stratégie permettant de légitimer sa propre contribution, est également

stigmatisée par Tap : « je suis entièrement d‟accord avec la critique des conceptions linéaires

formulée par Ninot et Fortes, en début de leur article. Mais cette critique s‟applique à la

psychologie expérimentale ou à la psychologie différentielle dans leurs aspects

méthodologiques. Il me semble qu‟elle s‟applique moins à la psychologie sociale ».

Certains travaux concurrents et contemporains ont été caricaturés quand d‟autres ont

été carrément passés sous silence : pour Fontayne, « d‟autres approches, notamment dans le

domaine de la cognition sociale, ont abordé le problème de la variabilité des construits, et (j‟)

estime que l‟article cible a quelque peu négligé ces pistes théoriques » ; « s‟il pouvait sembler

légitime de présenter « la perspective dynamique initiée par Nowak et Vallacher en 1998 dans

la psychologie sociale » comme un « nouveau courant », la démonstration de ce point de vue

pouvait être accompagnée du fait que ce n‟est pas la seule proposition « écologique » avancée

dans le champ de la psychologie sociale, en particulier dans celui de la cognition sociale ».

Pour Lévêque, « les auteurs prennent la précaution de préciser que les « vécus » (mais ce

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terme renvoie à la psychologie qualitative et compréhensive, dont la psychologie clinique

reste la matrice !) sont distincts selon les sujets, « que l‟importance qui leur est accordée

diffère en fonction du contexte » et que « rien ne peut présager des impacts que la personne va

subir ». Par ces affirmations ils « répliquent » des constats cliniques itératifs, devenus des

postulats tant l‟accumulation des données les a confirmés ».

Une autre attitude réside dans le retournement, suivant la logique de l‟arroseur arrosé,

de l‟argument du « réductionnisme » contre Ninot & Fortes alors même que ces derniers

avaient utilisé cette même rhétorique, mais pour critiquer les approches classiques. Ainsi,

Lévêque écrit-il « c‟est la subjectivité d‟un sujet, conçue dans son intégrité et sa singularité la

plus holistique, qui assure à cette diversité, à cette multitude de signes une forme de

cohérence, loin de toute focalisation a priori sur telle ou telle variable analytique » ;

« l‟approche clinique apporte de surcroît une vision holistique du système, alors que

l‟approche dynamique tend à se centrer sur une variable unique » ; « les modes d‟organisation

et d‟agencement possibles d‟une variable dans le temps sont décrits avec clarté, mais l‟effort

de modélisation « se paye » d‟un renoncement qui tient au fait que l‟observation se limite à

une seule variable à la fois, réduction qui reproduit les carences reprochées, à juste titre, aux

approches analytiques ». Pour Tap, « le fait de limiter sa recherche à l‟auto-évaluation, et à

plus forte raison à l‟estime de soi, est déjà un réductionnisme » ; « la présentation

méthodologique et technique et les exemples proposés dans l‟article Ninot-Fortes montrent

d‟ailleurs comment la rigueur dans le recueil des données accentue encore le réductionnisme

méthodologique, au point d‟en venir à n‟utiliser qu‟un seul item (ou un nombre très restreint

d‟items) pour analyser les rythmes temporels de l‟estime de soi. Comment dès lors défendre à

la fois une conception holistique du fonctionnement intra-personnel et psychosocial et la

réduction à un processus (estime de soi) et à une technique fortement appauvrie (échelle très

réduite) ? ».

Ces diverses stratégies ont en commun de contribuer à relativiser la radicalité de

l‟innovation, sur laquelle les auteurs de l‟article-cible avaient pourtant insisté. Une autre

catégorie d‟attitudes tend à discuter la validité même de l‟approche, sa puissance explicative

voire sa pertinence. Des imprécisions voire des incohérences conceptuelles peuvent être mises

en lumière. Pour Lévêque, « les modes d‟organisation et d‟agencement possibles d‟une

variable dans le temps sont décrits avec clarté, mais l‟effort de modélisation « se paye » d‟un

renoncement qui consiste en l‟oubli des principes d‟imprévisibilité et de contingence valorisés

dans les théories de la complexité ». Quant à Fontayne, il écrit : « les auteurs ont eu beaucoup

de difficulté à faire, en termes de mesure, la distinction entre estime de soi-état et humeur » ;

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« la distinction entre événements corrélés et indépendants mériterait d‟être précisée (on peut

tout à fait obtenir de fortes corrélations entre des événements indépendants ; e.g., la forte

corrélation avérée entre le nombre de nouveau-nés et de cigognes au printemps en Alsace) » ;

« il existe en ce domaine une telle multitude de concepts et de terminologies qu‟il apparaît

nécessaire de nous interroger sur l‟imbrication extrême entre évolution des approches

théoriques (i.e., d‟un modèle hiérarchique à un modèle « dynamique » de l‟estime de soi),

instruments de mesure (i.e., passage d‟un questionnaire multifactoriel avec échelle Likert –

ISP-25 – à une échelle analogique à un item – ISP-6) et résultats empiriques (i.e., stabilité

versus préservation-adaptation) ».

La robustesse de certains énoncés empiriques semble contestée : pour Lagarde &

Bardy, « la corrélation croisée ne donne pas d‟information sur la causalité des interactions

entre deux systèmes, car, à l‟instar d‟autres mesures portant sur les relations entre deux séries

temporelles (e.g., l‟information mutuelle, la cohérence), il s‟agit d‟une quantité symétrique.

Aucune information n‟est gagnée par le calcul de la cross-corrélation (X,Y) par rapport au

calcul de la cross-corrélation (Y,X) ».

Au sein de cette attitude, certains auteurs insistent sur les exigences à satisfaire, pas

forcément respectées par Ninot & Fortes, lorsqu‟on se risque à importer un cadre conceptuel

donné sur un objet inédit de recherche : ainsi Lagarde & Bardy rappellent-ils certaines

exigences inhérentes à l‟approche dynamique, comme par exemple « trouver les états stables

et les bifurcations » : « dans cette perspective, faire l‟inventaire des bifurcations, qui sont des

changements qualitatifs de la variable collective quand un paramètre de contrôle est varié, est

une étape essentielle pour révéler la dynamique d‟un système non linéaire » (sous-entendu

Ninot & Fortes n‟ont pas réalisé cette opération) ; « il faut s‟attacher à découvrir le(s)

variable(s) collective(s), et il faut découvrir le(s) paramètre(s) de contrôle, qui se révèlent l‟un

l‟autre. On peut se demander si l‟estime de soi représentée sur la Figure 1 de Ninot & Fortes a

le statut de variable collective en l‟absence d‟une transition de phase, et des signatures

spécifiques d‟une perte de stabilité » ; « l‟étude de la stabilité impose plusieurs règles du

jeu » ; « la présentation de la dynamique des construits sociaux par Ninot & Fortes ne

présentent pas de façon très explicite les relations entre les différents niveaux qui composent

le système qu‟ils étudient. En faisant l‟hypothèse que l‟estime de soi est une variable

collective, quels sont les niveaux plus élémentaires ou microscopiques ? S‟agit-il d‟autres

variables de nature psychosociale, ou plutôt de variables cognitives, ou encore de variables

physiologiques ? »

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Une autre position consiste à douter de la puissance heuristique de l‟approche

dynamique en psychologie sociale en la considérant davantage comme un modèle purement

descriptif. Ainsi Fontayne s‟interroge-t-il pour « savoir si l‟approche qui nous est proposée ici

ne demeure finalement pas plus descriptive qu‟explicative des phénomènes étudiés ». Quant à

Woodman & Hardy, ils considèrent: “the example given by Ninot and Fortes is a descriptive

account of the individual; it is not theoretically driven. In our opinion, the more interesting

question is: why does an individual‟s self-esteem change over time? As this is not the

principal concern within dynamic systems theory as outlined by Ninot and Fortes, we believe

that dynamic systems theory is a misnomer and should probably be called dynamic systems

model. Such descriptive approaches are evident throughout much of the motor control

literature. In relation to Ninot and Fortes‟ example, although it is interesting and important to

note sudden changes in the young girl‟s self-esteem, it is more interesting and theoretically

fruitful to understand why such changes occur”.

La pertinence même de l‟approche dans le domaine de la psychologie sociale est

parfois mise en doute. Certains auteurs émettent à ce propos l‟idée suivant laquelle la

contribution de Ninot & Fortes sortirait du champ de cette discipline . D‟après Fontayne,

« certaines de leurs propositions peuvent d‟ailleurs apparaître plus proches du champ de la

psychologie différentielle que de celui de la psychologie sociale » Quant à Tap, « Gregory

Ninot et Marina Fortes partent d‟emblée de l‟hypothèse selon laquelle la notion d’estime de

soi a une place importante dans le champ de la psychologie sociale. Cette hypothèse est

pourtant objet à discussion. Cela revient en effet à prendre position sur les objectifs de la

psychologie sociale et de ses limites par rapport à la psychologie… Il convient d‟ailleurs de

remarquer que les notions d‟identité, de sentiment de valeur personnelle ou d‟estime de soi,

sont restées bien longtemps absentes du champ de la psychologie sociale. En conséquence,

prétendre que « l‟estime de soi est l‟un des concepts les plus usités de la psychologie sociale »

est abusif ».

Ces attitudes sceptiques voire critiques n‟épuisent pas la totalité des réactions

présentes dans le corpus d‟étude. Plusieurs auteurs reconnaissent les apports, notamment en

termes de pertinence, de la contribution de Ninot & Fortes. Pour Fox, « the work on the

dynamics of self-esteem of Ninot, Fortes and colleagues is a refreshing addition to the

research literature. In my view it offers one of the most promising perspectives I have seen for

some years for the furtherance of understanding of key elements of the mystery provided by

the self”; “these researchers have chosen a structural framework of the physical self that has

been verified through many studies with several different populations. Their unique

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contribution, as far as I am aware, is that for the first time, this is systematically set in a

timeframe context at the ideographic level. They have borrowed statistical techniques from

other disciplines to attempt to document the nature of change in self-esteem and elements of

the physical self within each individual. If measurement is successful, this has to be an

important breakthrough and comes at a time when the field has been rather stagnant and

seemingly satisfied with nomothetic description”; “I believe that this approach offers

considerable potential for exciting new insights into our understanding of the mechanisms

underpinning the true function of the self”; “this approach offers a rich within subject design,

it has the advantage of studying individual differences in reactions to similar acute and

chronic perturbations in the physical domain”. Pour Tap, « Ninot-Fortes, à la suite d‟autres

auteurs mettent l‟accent sur la nécessaire prise en compte de la variabilité intra-individuelle et

avec elle sur l‟importance « développementale » des processus et de l‟instabilité de ces

processus. Il s‟agit-là, manifestement d‟un apport théorique et méthodologique majeur » ;

pour Tap toujours, « je suis en total accord avec Ninot et Fortes lorsqu‟ils affirment, à propos

de l‟estime de soi, que le chercheur doit examiner « les traces d‟une variable psychologique

transcrite dans un contexte naturel et authentique ».

Pour certains, la pertinence de l‟approche est telle qu‟ils proposent d‟en étendre la

mise en œuvre à d‟autres objets d‟étude. Stephan avance la fécondité potentielle d‟un transfert

de cette approche pour « l‟analyse des stratégies de coping face aux environnements

stressants » : « ce commentaire insiste sur les apports potentiels que pourraient avoir les

concepts et méthodes présentés par les auteurs pour l‟étude du coping en milieu sportif » ; « la

conception dynamique du coping est récente. Les études sur cette dimension ont, comme pour

l‟estime de soi, longtemps suscité des protocoles nomothétiques, fondés majoritairement sur

la comparaison de plusieurs groupes… Ces travaux se sont exposés à plusieurs limites

théoriques et méthodologiques. Les comparaisons statiques entre groupes ne sont pas

révélatrices de la réalité du processus d‟adaptation… La prise en considération du

fonctionnement individuel dans son contexte écologique, postulée par la psychologie sociale

dynamique, et au plus prés de l‟occurrence des évènements apparaît comme une alternative à

ces biais et permet de rendre compte de la réalité des efforts adaptatifs » ; « l‟application des

concepts et méthodes utilisés récemment en psychologie de la santé et défendus par Ninot et

Fortes pourrait permettre une meilleure compréhension de la réalité de l‟adaptation aux

situations sportives, et des mécanismes sous-jacents à la production de performances. La

psychologie sociale dynamique peut ainsi trouver un terrain d‟expression privilégié dans le

cadre de l‟étude des stratégies de coping en milieu sportif ». D‟autres auteurs demeurent

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toutefois plus prudents quant au potentiel d‟extension de l‟approche dynamique à d‟autres

thèmes d‟étude de la psychologie sociale : ainsi, pour Fontayne, « aucune démonstration n‟est

faite en ce qui concerne la généralisation de cette approche à d‟autres concepts, ni même à la

possibilité de prendre en compte d‟autres variables ou bien différents niveaux d‟analyse ».

Une autre attitude, révélatrice d‟un intérêt perçu envers l‟approche innovante décrite,

consiste à en proposer des sophistications empiriques. Delignières contribue par exemple à

accroître la robustesse de certains énoncés d‟observation : « ce résultat est crucial car il

confirme, en apportant cette fois la preuve statistique, que les séries d‟estime de soi sont sous-

tendues par des processus fractals ». Des sophistications théoriques sont également proposées,

à l‟image de la proposition faîte par Delignières d‟unifier des résultats originellement

contradictoires : « ces modèles ARFIMA supposent que les corrélations fractales ne rendent

pas compte de l‟ensemble des auto-corrélations présentes dans les séries. Des processus à

court terme, auto-régressifs ou de moyenne mobile, semblent également à l‟œuvre. Ceci

suggère que le modèle préservation/adaptation que nous avons par ailleurs proposé pourrait

conserver sa pertinence pour décrire le fonctionnement macroscopique et à court terme du

système, simultanément au déploiement de la dynamique fractale des séries ».

Au final, le fait que le programme de recherche ici envisagé suscite à la fois des

résistances et des enthousiasmes (jugement de pertinence, proposition d‟extension à d‟autres

phénomènes, sophistications empiriques et théoriques…) est révélateur de sa vitalité. En

adoptant une lecture pragmatique, l‟innovation ne peut ici être considérée comme fictive ni

purement rhétorique mais bien effective et prometteuse.

CONCLUSION

La conjonction des approches critiques et pragmatiques a permis de confronter des

focales complémentaires sur une problématique commune, à savoir la pertinence, la validité et

la fécondité de la bipartition innovation-tradition théoriques. Les points de vue en extériorité

couplés au suivi des acteurs dans leurs pratiques quotidiennes ont permis d‟en pointer les

failles, les dérives, les limitations tout en en dégageant les apports possibles et les précautions

d‟usage. Cet effort réflexif apparaissait incontournable pour questionner le bien-fondé de

l‟une des conventions d‟analyse fondatrices du présent ouvrage collectif. Le parti -pris retenu

s‟est donc voulu clairement analytique.

Dans le cadre de cette conclusion, nous nous autorisons quelques incursions vers une

autre posture, plus normative : celle-ci renvoie aux attitudes épistémologiques à adopter vis-à-

vis de la pluralité des programmes de recherche en sciences du sport, assignables

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respectivement aux catégories de la tradition et de l‟innovation. Nous considérons tout

d‟abord, à la suite de Feyerabend (1979), Kuhn (1983) et Morin (1991), la diversité des

traditions de recherche et les concurrences qu‟elle génère comme une auba ine pour le progrès

de la connaissance. En effet, tout programme, considéré isolément, comporte des zones

aveugles ontologiques, théoriques et empiriques, sur lesquels il ne peut intervenir en

demeurant dans son propre cadre paradigmatique : ainsi, pour Morin, « un système d‟idées ne

peut guère porter la critique sur ses propres axiomes et principes fondamentaux. Il ne dispose

pas de l‟aptitude réflexive à s‟autocritiquer dans ses fondements ». Une thèse homologue est

défendue par Kuhn pour qui seul le changement de monde perceptif permet la mise en lumière

de certaines insuffisances intrinsèques à un paradigme donné. Feyerabend considère de son

côté la prolifération des théories comme une voie majeure pour accroître le contenu empirique

de chaque programme.

La pluralité des programmes apparaît donc comme une ressource théorique

potentiellement féconde pour le progrès des connaissances. Encore faut-il établir quelques

principes minimaux de confrontation réglée. Berthelot (1990) soutient à cet égard que « le

problème de la validité différentielle des théories rivales est rarement posé tant les théoriciens

cherchent à prouver l‟une aux dépens de l‟autre en les considérant comme inéluctablement

incommensurables. La critique se résume souvent à une opposition entre modèles

d‟intelligibilité conduisant à un verdict d‟invalidation. Mais, ce faisant, on nie la spécificité

explicative des théories. Là où dans la pratique scientifique courante les modes

d‟intelligibilité coexistent oscillant entre rejet et tolérance de l‟altérité, il s‟agit d‟élaborer une

procédure de confrontation réglementée par une norme commune permettant de reconnaître la

qualité scientifique d‟une explication par-delà les choix méthodologiques et ontologiques ».

Cette exigence générique n‟impose aucune technique particulière de la preuve et laisse à

chaque programme le soin d‟élaborer ou d‟adapter celle qui est la plus appropriée à son

schème. En effet, la première étape du procès de confrontation entre théories concurrentes

doit porter sur la structure explicative associée à chaque option en y appliquant les normes de

validation et de réfutation congruentes avec le schème d‟intelligibilité mis en œuvre. La

seconde étape s‟appuie ensuite sur l‟idée qu‟« il y a toujours une base empirique partiellement

commune » aux théories rivales. En effet, un même phénomène peut être appréhendé selon

des vues différentes. Le fait de la preuve est dans l‟aptitude des théories à se dégager de cette

gangue originelle que constituent les options ontologiques pour tendre vers un langage

commun. La question centrale devient : quel est le gain de connaissance autorisé par le

passage d‟un programme à l‟autre ? (Quidu, 2009).

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Cette procédure de confrontation réglée entre programmes étant formalisée, il convient

de préciser la façon d‟en évaluer les résultats : quels jugements porter vis-à-vis de la

pertinence et de la validité des programmes considérés respectivement comme innovants et

traditionnels ? Nous refusons tout d‟abord de discréditer un programme pour la seule et

unique raison qu‟il serait « traditionnel ». Nous rejoignons en ceci Canguilhem (1952) pour

qui « l‟antériorité chronologique ne produit pas d‟elle-même une infériorité logique du simple

fait d‟être passée donc révolue, une erreur parce que d‟hier ». Une telle attitude

épistémologique doit être lue, en référence à Bourdieu (1996), comme le refus de la

pénétration dans le champ scientifique des normes propres au champ médiatique et au marché

économique : un système d‟idées ne peut être considéré comme supérieur, et s‟arroger le droit

de supprimer la concurrence, pour la banale raison qu‟il serait (ou se présenterait comme)

révolutionnaire, radical, sensationnel. La nécessité de normes critiques doit être réaffirmée en

lieu et place du verdict de l‟audimat et des jugements esthétiques. Quelles peuvent être ces

normes ?

Nous avançons l‟idée suivant laquelle des critères d‟évaluation doivent être appliqués

de manière symétrique aux programmes rivaux, qu‟ils relèvent de la tradition ou de

l‟innovation. Cette proposition fait écho à la méthodologie des programmes de recherche de

Lakatos (1994). Pour cet auteur, la force d‟un programme réside dans sa fécondité, c'est-à-dire

dans sa capacité à déplacer les problèmes empiriques et théoriques de façon progressive. Les

jugements évaluatifs doivent être réalisés non pas de façon instantanée sur une théorie isolée

mais sur une série diachronique de théories ordonnées en programme et saisies dans leur

dynamique de perfectionnement ou de dégénérescence (Quidu, 2010). Le critère déterminant

est le degré d‟accroissement du contenu : un programme donné est-il capable de prédire des

faits inédits, en partie corroborés et impensables par les programmes rivaux ? Tant que les

hypothèses permettent d‟augmenter le contenu (en évitant les hypothèses ad hoc qui

n‟apportent aucune conséquence supplémentaire indépendamment testable), le programme

sera dit fécond et il est légitime de l‟approfondir. A l‟inverse, si l‟heuristique d‟un programme

ne génère à long terme que des explications ad hoc (et donc pas de contenu empirique

nouveau), il sera rationnel de l‟abandonner au profit d‟une métaphysique rivale plus

productive. Faire la preuve de la fécondité d‟un programme ne conduit pas de facto à rejeter

ses rivaux. C‟est bien à une concurrence comparative entre programmes que Lakatos invite :

« dans l‟histoire des sciences, les mises à l‟´epreuve sont des combats triangulaires entre des

théories rivales, l‟expérimentation et la croissance empirique résultant de la concurrence ».

Précisons enfin que Lakatos, à la différence de Kuhn pour qui une crise paradigmatique est le

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prélude nécessaire d‟une révolution scientifique, permet de rendre compte de la rivalité

persistante de programmes rivaux : en effet, « un programme de recherche progressif n‟a pas

besoin d‟être précédé par la dégénérescence de son rival ».

Une telle nuance entre les propositions de Kuhn et de Lakatos nous amène à une

dernière remarque : dans le présent chapitre, nous avons discuté la valeur de la bipartition

innovation-tradition mais avons utilisé indistinctement les concepts de « paradigme » et de

« programme de recherche ». Cette indifférenciation est acceptable lorsque l‟on se situe à un

haut niveau de généralité. Elle devient plus problématique lorsque l‟effort de caractérisation

s‟affine. A ce stade de précision, ces deux concepts cessent de superposer et leur valeur

différentielle apparaît : pour Berthelot (2001), la notion de paradigme ou plus exactement de

matrice disciplinaire désigne « un ensemble aux contours flous, faiblement formalisé. Il s‟agit

d‟un montage hétéroclite (dont Kuhn n‟ébauche aucune structuration) de généralisations

symboliques (structure des lois…), de croyances métaphysiques (registre d‟analogies), de

valeurs et d‟exemples concrets partagés. De son côté, le programme est défini comme un

point de vue de recherche à composition double : le noyau dur condense des propositions

ontologiques de base (axiomes) qui seront préservées de la falsification par l‟instauration d‟un

glacis protecteur. Ce dernier est constitué d‟hypothèses auxiliaires qui, elles, sont réfutables et

seront adaptées pour soutenir le choc des mises à l‟épreuve tout en préservant intact le noyau

dur. Le glacis protecteur se caractérise par une double heuristique, négative en ce qu‟elle

empêche que le noyau dur subisse les contrecoups d‟une contradiction empirique ; et positive

en ce qu‟elle guide le choix des problèmes, l‟enchaînement des modèles et l‟élaboration

d‟hypothèses. Mieux structurée d‟un point de vue synchronique, la notion de programme de

recherche semble également plus efficace sur le registre diachronique : l‟existence des

heuristiques permet d‟envisager le programme non plus seulement de façon instantanée mais

dans sa dynamique de perfectionnement, d‟affinement et d‟épuration.

Les propositions de Kuhn et Lakatos s‟opposent enfin quant à la vision du

développement scientifique qui est construite, sa rationalité et les modes de gestion de la

pluralité épistémique. Kuhn part de l‟idée suivant laquelle « le couperet de l‟expérience ne

tranche jamais de façon définitive et univoque, à la différence de ce que pensait Popper ».

Cette constatation le conduit vers une pente relativiste (Berthelot, 2001) ou plus exactement

vers une voie argumentativiste (Bouvier, 1995) que récuse Lakatos. Ce dernier tente

d‟intégrer ce fait empirique dans un rationalisme préservé : la notion de programme de

recherche permet de sortir de l‟aporie du couperet expérimental tout en étant compatible avec

l‟idée que la science est simultanément une activité sociale : « ce n‟est pas parce que la

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science réelle admet des faits insuffisamment étayés et refuse de remettre en cause ses

théories aux premiers dénis expérimentaux qu‟elle est irrationnelle et ordonnée à des facteurs

extrascientifiques » (Berthelot, 1990).

BIBLIOGRAPHIE

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