T'H~OPIUM CARlIt · mènent la danse mélodique (Jordan Rudess se fendant en outre, comme dans...

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S ila plupart des groupes progressifs italiens actuels puisent principale- ment leur inspiration dans les années 70, Laviantica rompt quelque peu avec cette tendance. Certes, la formation romaine fait de fréquents allers retours avec les seventies, mais sa modernité de ton ne trompera personne sur sa volonté de coller à son époque. Certains esprits conciliants vous diront même que ce groupe représente peut-être ce que l'Italie peut nous offrir actuellement de mieux en matière de progressif accessible et ambitieux. La recette ? On vous la donne sans plus tarder . on prend un claviériste/chanteur féru de sonorités analo- giques (Paolo Musolino), un pianiste à la John Tout (Luciano Stendardi), un guitariste (Marco Palma) tombé tout petit dans un chaudron de Franco Mussida (vous savez bien, ce son tout à la fois chaud, plein et pro- fond) et une section rythmique (Paolo Perilli à la basse et Andrea «Skya» Schiappelli der- rière les fûts) impeccable et offrant une éner- gie très actuelle. Vous y ajoutez une interpré- tation qui s'impose comme un modèle du genre: difficile de trouver en effet le moindre faux-pas dans les neuf compositions (de 2 à 11 minutes) gravées sur ce CD. S'y côtoient ainsi, par exemple, une intro spatiale (elntro»), une ballade nostalgique (<<Finche Il Giorno Non Fiscine»), des mor- ceaux évoquant le PFM de Passpartu (<<Nel Vento», «La Pioggia»), d'autres (comme «Icaro») qui offrent une fraîcheur mélodique assez typique d'un néo progressif latin ... Cependant, si le prog repose ici sur des recettes connues et sur une technique solide, capable alors de nous combler en partie, il lui manque peut-être un côté plus aventureux pour emporter pleinement l'adhésion ... Heureusement, le dernier morceau arrive et impose avec brio ses 12 minutes instrumen- tales pour chasser les dernières réticences. Disparues donc les envolées vocales si typiques de l'Italie progressive par la langue utilisée bien sûr mais aussi par leur théâtrali- té, place ici à des joutes acérées entre les musiciens, auxquels vient se joindre un violo- niste particulièrement inspiré. Clessidra se clôt ainsi de la meilleure des manières, offrant sur ses dernières minutes un progres- sif plus universel qui possède une réelle pro- fondeur thématique et des séquences d'une intensité mélodique assez incroyable. Inutile donc de vous préciser que "Laviantica" (pas étonnant que le groupe ait choisi ce titre) est le porte drapeau indéniable des ambitions musicales de ses auteurs, tirant les autres morceaux de Clessidra vers le haut. Comme si le groupe nous offrait, dans ce final décoiffant, la clé pour pénétrer pleinement au cœur de son univers musical, le rendant plus cohérent et ambitieux que les premières écoutes ne le laissent supposer. Bertrand POURCHERON et Olivier PELLETANT A vec ce nouveau projet, trois généra- tions de musiciens de prog asso- cient leurs talents respectifs. Pour les années 80, c'est Tony Levin, principale- ment connu pour avoir été bassiste de King Crimson et Peter Gabriel, et ambassadeur du stick. Aux côtés de ce vétéran, Jordan Rudess, dont la carrière est sous les feux des projecteurs depuis son intronisation au sein de Dream Theater, à la fin des années 1990, et le plus jeune Marco Minnemann, assuré- ment un des meilleurs batteurs du circuit actuel (Steven Wilson ne s'y est pas trompé en le recrutant dans son équipe). Leur album, divisé en pas moins de quatorze pistes, aux durées variables (de trois à huit minutes), est quasi exclusivement instrumental; seul le der- nier titre, «Service Engine», présente quelques lignes de chant, d'ailleurs allé- chantes, mais desservies par un abus d'effet. Sur le papier, et en raison de la partici- pation de Tony Levin et Jordan Rudess, on ne peut s'empêcher de songer à un parallè- le avec Liquid Tension Experiment, ce qua- tuor de la seconde moitié des années 90, adepte d'une fusion débridée, qui compre- nait également dans ses rangs Mike Portnoy et John Petrucci. La guitare est toutefois ici plus secondaire -elle est tenue par Marco Minnemann-, et ce sont les claviers qui mènent la danse mélodique (Jordan Rudess se fendant en outre, comme dans Dream Theater, de sonorités très proches de la gui- tare électrique). Pour autant, la batterie est bien mise en valeur au mixage, au détriment d'ailleurs d'une basse parfois trop écrasée, trop effacée. Mais quand Tony Levin sculpte des rondes basses, comme sur «Mew», le doux «Orbiter» ou «Ignorant Elephant», quel plaisir! Stylistiquement, le menu est relative- ment varié. Certains morceaux ne sont pas sans évoquer le créneau de Derek Sherinian en solo, celui d'un jazz-rock inspiré, parfois musclé, servi par des thèmes accrocheurs et des musiciens techniquement irrépro- chables. Au point parfois d'apparaître plus cérébral. «Marcopolis», «Scrod», au thème principal addictif, ou «Mew» en sont d'excel- lents exemple. 43 Ce dernier est par ailleurs une des com- positions les plus riches et les plus ambi- tieuses, avec, dans un genre plus prog, évo- quant aussi bien Rush, le space-rock ou Steven Wilson, le conclusif «Service Engine». «Descent» est à mettre un peu à part, la base jouant un rôle plus central dans une composition plus originale, légèrement crimsonienne, dont on pourrait en partie rap- procher «Dancing Feet». Sur un mode plus paisible, la très belle ballade «The Blizzard» doit absolument être mentionnée : pourvue d'une mélodie touchante, elle bénéficie d'ar- rangements soignés et d'un solo de Rudess parmi ses plus inspirés. Egalement plus tran- quille, plus atmosphérique, «Enter The Core» arbore un des thèmes les plus purs de l'al- bum, qui tourne tel un carrousel sans jamais lasser, un nuage de simili mellotron en fond. On a également parfois l'impression d'écouter un opus solo de Jordan Rudess, à la fois du fait de la domination de ses nom- breuses interventions de claviers, qui fusent à qui mieux mieux, et d'un esprit prog-circus caractéristique (le wakemanien «Twitch», «Afa Vulu» ou le plus tendu «Ignorant Elephant»). C'est là un des bémols que l'on peut diagnostiquer chez LMR, Rudess ayant par trop tendance à s'accaparer les parties solistes, l'autre tenant à l'occasionnelle inégalité d'inspiration de rares compositions. Un bien bel album, exigeant et riche, qui devrait pouvoir compenser ses quelques baisses d'intensité par un travail peut-être plus collectif et équilibré. Jean-Guillaume LANUQUE T'H~ OPIUM CARlIt «.Ardor» (2013) Nor - ferMa I('ecords - 51'30 N ight B/ooms, le premier album de The Opium Cartel, side-project du leader-guitariste de White Willow Jacob Holm-Lupo, creusait le sillon d'une folk-prog sucrée encore riche des parures acoustiques et pastorales des premiers White Willow (du fascinant Ex-Tenebris en particulier). Ardor, son successeur, nous immerge d'emblée dans un univers en appa- rence bien différent, aux sonorités synthé- tiques et à la mélancolie infiniment plus pudique, typiques de ces groupes de la pre- mière moitié des années 80 que les communi- cants actuels du marché du disque tentent tant bien que mal de remettre au goût du jour : Depeche Mode, The Blue Nile, Prefab Sprout, Japan, Ultravox, voire A-Ah ou Cock Robin. De quoi, a priori, rebuter l'amateur de White Willow. De quoi, aussi, douter de la sin- cérité de l'entreprise de Jacob Holm-Lupo, qu'on pourrait à bon droit accuser de surfer sur la vague d'un revival 80's orchestré par les médias depuis quelques années dans tous les domaines de la pop culture. Mais plus Ardor déroule son cortège de mélodies simples et tristes, portées par des clones de Midge Ure (timbre froid, phrasé détaché), de nappes de synthé tourbillon- nantes tout droit sorties des usines Korg du début des années 80 et de programmations rythmiques (œuvres du vétéran Mathias Olsson) qui tentent d'émuler le claquement sec des premières batteries MIDI, moins on est enclin à bouder son plaisir. On serait même tenté de réévaluer une époque et un son qui constituèrent une remise en cause assez radicale des valeurs formelles du rock progressif, en même temps qu'une proposi- tion artistique plus profonde et authentique que ce que la doxa prog a pu laisser croire parfois, aveuglée par une forme de ressenti- ment certes bien légitime.

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Si la plupart des groupes progressifsitaliens actuels puisent principale-ment leur inspiration dans les

années 70, Laviantica rompt quelque peuavec cette tendance. Certes, la formationromaine fait de fréquents allers retours avecles seventies, mais sa modernité de ton netrompera personne sur sa volonté de coller àson époque.

Certains esprits conciliants vous dirontmême que ce groupe représente peut-être ceque l'Italie peut nous offrir actuellement demieux en matière de progressif accessible etambitieux. La recette ? On vous la donnesans plus tarder . on prend unclaviériste/chanteur féru de sonorités analo-giques (Paolo Musolino), un pianiste à laJohn Tout (Luciano Stendardi), un guitariste(Marco Palma) tombé tout petit dans unchaudron de Franco Mussida (vous savezbien, ce son tout à la fois chaud, plein et pro-fond) et une section rythmique (Paolo Perilli àla basse et Andrea «Skya» Schiappelli der-rière les fûts) impeccable et offrant une éner-gie très actuelle. Vous y ajoutez une interpré-tation qui s'impose comme un modèle dugenre: difficile de trouver en effet le moindrefaux-pas dans les neuf compositions (de 2 à11 minutes) gravées sur ce CD.

S'y côtoient ainsi, par exemple, une introspatiale (elntro»), une ballade nostalgique(<<Finche Il Giorno Non Fiscine»), des mor-ceaux évoquant le PFM de Passpartu (<<NelVento», «La Pioggia»), d'autres (comme«Icaro») qui offrent une fraîcheur mélodiqueassez typique d'un néo progressif latin ...

Cependant, si le prog repose ici sur desrecettes connues et sur une technique solide,capable alors de nous combler en partie, il luimanque peut-être un côté plus aventureuxpour emporter pleinement l'adhésion ...Heureusement, le dernier morceau arrive etimpose avec brio ses 12 minutes instrumen-tales pour chasser les dernières réticences.Disparues donc les envolées vocales sitypiques de l'Italie progressive par la langueutilisée bien sûr mais aussi par leur théâtrali-té, place ici à des joutes acérées entre lesmusiciens, auxquels vient se joindre un violo-niste particulièrement inspiré. Clessidra seclôt ainsi de la meilleure des manières,offrant sur ses dernières minutes un progres-sif plus universel qui possède une réelle pro-fondeur thématique et des séquences d'uneintensité mélodique assez incroyable.

Inutile donc de vous préciser que"Laviantica" (pas étonnant que le groupe aitchoisi ce titre) est le porte drapeau indéniabledes ambitions musicales de ses auteurs,

tirant les autres morceaux de Clessidra versle haut. Comme si le groupe nous offrait,dans ce final décoiffant, la clé pour pénétrerpleinement au cœur de son univers musical,le rendant plus cohérent et ambitieux que lespremières écoutes ne le laissent supposer.

Bertrand POURCHERONet Olivier PELLETANT

Avec ce nouveau projet, trois généra-tions de musiciens de prog asso-cient leurs talents respectifs. Pour

les années 80, c'est Tony Levin, principale-ment connu pour avoir été bassiste de KingCrimson et Peter Gabriel, et ambassadeur dustick. Aux côtés de ce vétéran, JordanRudess, dont la carrière est sous les feux desprojecteurs depuis son intronisation au seinde Dream Theater, à la fin des années 1990,et le plus jeune Marco Minnemann, assuré-ment un des meilleurs batteurs du circuitactuel (Steven Wilson ne s'y est pas trompéen le recrutant dans son équipe). Leur album,divisé en pas moins de quatorze pistes, auxdurées variables (de trois à huit minutes), estquasi exclusivement instrumental; seul le der-nier titre, «Service Engine», présentequelques lignes de chant, d'ailleurs allé-chantes, mais desservies par un abus d'effet.

Sur le papier, et en raison de la partici-pation de Tony Levin et Jordan Rudess, onne peut s'empêcher de songer à un parallè-le avec Liquid Tension Experiment, ce qua-tuor de la seconde moitié des années 90,adepte d'une fusion débridée, qui compre-nait également dans ses rangs Mike Portnoyet John Petrucci. La guitare est toutefois iciplus secondaire -elle est tenue par MarcoMinnemann-, et ce sont les claviers quimènent la danse mélodique (Jordan Rudessse fendant en outre, comme dans DreamTheater, de sonorités très proches de la gui-tare électrique). Pour autant, la batterie estbien mise en valeur au mixage, au détrimentd'ailleurs d'une basse parfois trop écrasée,trop effacée. Mais quand Tony Levin sculptedes rondes basses, comme sur «Mew», ledoux «Orbiter» ou «Ignorant Elephant», quelplaisir! Stylistiquement, le menu est relative-ment varié. Certains morceaux ne sont passans évoquer le créneau de Derek Sherinianen solo, celui d'un jazz-rock inspiré, parfoismusclé, servi par des thèmes accrocheurs etdes musiciens techniquement irrépro-chables. Au point parfois d'apparaître pluscérébral. «Marcopolis», «Scrod», au thèmeprincipal addictif, ou «Mew» en sont d'excel-lents exemple.

43

Ce dernier est par ailleurs une des com-positions les plus riches et les plus ambi-tieuses, avec, dans un genre plus prog, évo-quant aussi bien Rush, le space-rock ouSteven Wilson, le conclusif «ServiceEngine». «Descent» est à mettre un peu àpart, la base jouant un rôle plus central dansune composition plus originale, légèrementcrimsonienne, dont on pourrait en partie rap-procher «Dancing Feet». Sur un mode pluspaisible, la très belle ballade «The Blizzard»doit absolument être mentionnée : pourvued'une mélodie touchante, elle bénéficie d'ar-rangements soignés et d'un solo de Rudessparmi ses plus inspirés. Egalement plus tran-quille, plus atmosphérique, «Enter The Core»arbore un des thèmes les plus purs de l'al-bum, qui tourne tel un carrousel sans jamaislasser, un nuage de simili mellotron en fond.

On a également parfois l'impressiond'écouter un opus solo de Jordan Rudess, àla fois du fait de la domination de ses nom-breuses interventions de claviers, qui fusentà qui mieux mieux, et d'un esprit prog-circuscaractéristique (le wakemanien «Twitch»,«Afa Vulu» ou le plus tendu «IgnorantElephant»). C'est là un des bémols que l'onpeut diagnostiquer chez LMR, Rudess ayantpar trop tendance à s'accaparer les partiessolistes, l'autre tenant à l'occasionnelleinégalité d'inspiration de rares compositions.Un bien bel album, exigeant et riche, quidevrait pouvoir compenser ses quelquesbaisses d'intensité par un travail peut-êtreplus collectif et équilibré.

Jean-Guillaume LANUQUE

T'H~OPIUMCARlIt

«.Ardor» (2013)Nor - ferMa I('ecords - 51'30

N ight B/ooms, le premier album deThe Opium Cartel, side-project duleader-guitariste de White Willow

Jacob Holm-Lupo, creusait le sillon d'unefolk-prog sucrée encore riche des paruresacoustiques et pastorales des premiersWhite Willow (du fascinant Ex-Tenebris enparticulier). Ardor, son successeur, nousimmerge d'emblée dans un univers en appa-rence bien différent, aux sonorités synthé-tiques et à la mélancolie infiniment pluspudique, typiques de ces groupes de la pre-mière moitié des années 80 que les communi-cants actuels du marché du disque tentent tantbien que mal de remettre au goût du jour :Depeche Mode, The Blue Nile, PrefabSprout, Japan, Ultravox, voire A-Ah ou CockRobin. De quoi, a priori, rebuter l'amateur deWhite Willow. De quoi, aussi, douter de la sin-cérité de l'entreprise de Jacob Holm-Lupo,qu'on pourrait à bon droit accuser de surfersur la vague d'un revival 80's orchestré parles médias depuis quelques années danstous les domaines de la pop culture.

Mais plus Ardor déroule son cortège demélodies simples et tristes, portées par desclones de Midge Ure (timbre froid, phrasédétaché), de nappes de synthé tourbillon-nantes tout droit sorties des usines Korg dudébut des années 80 et de programmationsrythmiques (œuvres du vétéran MathiasOlsson) qui tentent d'émuler le claquementsec des premières batteries MIDI, moins onest enclin à bouder son plaisir. On seraitmême tenté de réévaluer une époque et unson qui constituèrent une remise en causeassez radicale des valeurs formelles du rockprogressif, en même temps qu'une proposi-tion artistique plus profonde et authentiqueque ce que la doxa prog a pu laisser croireparfois, aveuglée par une forme de ressenti-ment certes bien légitime.