Terre promise premiers chapitres

23

Transcript of Terre promise premiers chapitres

Page 1: Terre promise premiers chapitres
Page 2: Terre promise premiers chapitres
Page 3: Terre promise premiers chapitres

TERRE PROMISE

Page 4: Terre promise premiers chapitres

© Stéphane Chasteller, 2011

éditions Embrasure

www.editions-embrasure.com

ISBN : 978-2-940382-24-8

Page 5: Terre promise premiers chapitres

stéphane ChasTeller

Terre promise

Roman

EMBR

ASUR

E

Page 6: Terre promise premiers chapitres
Page 7: Terre promise premiers chapitres

à Anne Auger Gourdon

Page 8: Terre promise premiers chapitres
Page 9: Terre promise premiers chapitres

à Lise Thibeault

Page 10: Terre promise premiers chapitres
Page 11: Terre promise premiers chapitres

« J’entre dans la vie pour sortir bientôt ; je viens me montrer comme les autres ;

après, il faudra disparaître. »

Bossuet

Page 12: Terre promise premiers chapitres
Page 13: Terre promise premiers chapitres

la route, large, presque majestueuse, traversait de loin de loin des villages désolés qui s’enorgueillissaient d’avoir une église ou un château, classé et restauré, qui méritait peut-être qu’on s’y arrêtât mais solénoir était si pressé qu’il renonça à visiter ces vestiges du passé. il se contentait de tourner un peu la tête pour admi-rer la longueur d’une façade, la hauteur d’un clocher, l’ampleur d’un cours, l’avancée d’un promontoire où s’éboulaient les restes d’une citadelle dévastée. le soleil perçait faiblement à travers les nuages, répandant une lumière terne sur cette campagne déshabitée où les arbres, exsangues, semblaient grelotter. il était enfin entré en Franche-Comté où son père s’était replié dans une retraite amère et languissante, compliquée par la présence de sa grand-mère qu’il avait recueillie. se rap-pelant qu’il roulait depuis trois heures, il jugea prudent de faire une halte. Un panneau indiquait qu’on était à avancey. il se rangea sur le bas-côté de la route sans oublier de mettre son clignotant comme put le constater avec approbation un gendarme hâlé et dépoitraillé qui

1

Page 14: Terre promise premiers chapitres

Terre...14

cherchait à tuer l’ennui qui le tourmentait. il se tenait en vigie à l’une des fenêtres d’un immeuble de quatre étages, fragment de béton urbain égaré dans la boue, dévoué à la surveillance du territoire, moins pour obser-ver d’improbables incidents que pour rêver à la beauté de son pays plein de pierre et de soleil. solénoir qui avait connu l’ennui atroce de la vie militaire approuva cet homme qui attendait comme lui des choses qui peut-être ne se produiraient jamais. la route était meilleure, et le ciel plus profond à mesure qu’on se rapprochait de Besançon. les villages qu’on appelle Cités en Franche-Comté, peut-être par un reste de fierté espagnole mêlée de vanité française, avaient quelque chose d’animé. la sévérité et la majesté de l’architecture soulignaient par contraste l’air gai et débonnaire des passants occupés à de menues affaires qui semblaient innocentes à solénoir. Bientôt il prendrait la route sinueuse pour atteindre le premier plateau ; si la mer de nuages daignait se retirer des hauteurs pour s’écouler comme une avalanche dans la plaine triste et empoissée, il verrait surgir les alpes bernoises et il serait heureux un instant. Tout serait parfait : il ne regretterait que l’absence de ces écharpes de brouillard bleuté, qui, l’hiver, flottent par endroits, dans les combes et les dépressions, en s’effilochant, en se déchirant, pour former d’autres écharpes aussi éphé-mères que celles dont elles sont issues. Ce brouillard de gaze ne semblait se tisser que par caprice, pour voiler et dévoiler, comme si la nature voulait jouer avec elle-même. Ce n’était pas le brouillard pesant et insistant de la puisaye et du Tonnerrois ! il reconnut à sa droite l’hô-tel des impôts dessiné par ledoux. il était arrivé. il gara

Page 15: Terre promise premiers chapitres

... promise 15

sa voiture dans la rue bien qu’il sût que son père ne man-querait pas de lui demander ou plutôt de lui reprocher pourquoi il ne voulait pas entrer sa voiture puisqu’ils avaient plusieurs garages… Cette sollicitude paternelle le dissuadait de faire le voyage plus souvent. Quand son père comprendrait-il qu’il ne sera plus jamais l’enfant qui, en se juchant sur ses épaules, riait d’admiration ?

Dès qu’il eut passé le seuil de la porte, son père s’em-pressa de l’inviter avant toutes choses à venir fumer un cigare dans son bureau. son père n’attendrait pas donc qu’il ait déposé ses affaires dans sa chambre pour abor-der l’épineux sujet. solénoir tira une bouffée en prenant un air concentré et attentif. son père commença à rap-peler les faits : la grand-mère de solénoir avait vendu une villa, située à hyères, qui leur appartenait en indivision. solénoir, comme les autres indivisaires, avait consenti à vendre. aujourd’hui l’acquéreur demandait « à bon droit », une réduction du prix de vente, insinuant qu’il pourrait porter l’affaire devant les tribunaux. il déclarait qu’on avait cherché à le tromper en lui remettant le rap-port du diagnostic immobilier sur les termites au der-nier moment, une heure seulement avant la signature de l’acte authentique… Ce rapport indiquait en effet qu’on avait décelé la présence d’insectes xylophages en plu-sieurs endroits. solénoir, estimant que l’acquéreur avait toute chance de l’emporter, avait tenté de persuader son père de transiger et d’octroyer au plaignant un dédom-magement. mais sa grand-mère, fine mouche, qui se targuait de « savoir lire entre les lignes », avait rejeté cette proposition. pouvait-on accepter que ce monsieur, ait une maison, presque habitable, pour rien, et « qui plus

Page 16: Terre promise premiers chapitres

Terre...16

est », avec vue sur la mer (réduite il est vrai par la crois-sance exubérante des palmiers que la mairie avait plan-tés pour faire une promenade) ? si on avait consenti à la vendre à un prix très inférieur au marché, n’était-ce pas sans raison ? sans doute, la maison était infestée de termites mais leur présence était visible à « l’œil nu »… Tout le monde le savait ! solénoir était surpris d’appren-dre qu’il savait depuis longtemps une chose qu’il avait toujours ignorée… son père au reste n’avait pas d’idée précise sur la question et ne faisait que reprendre, moins par conviction que par paresse, les arguments débités par sa sœur et par sa mère. il entendait les raisons de son fils mais il pensait que solénoir devait pour un fois, une seule fois, faire confiance à sa tante et sa grand-mère. Cet homme, n’ignorant aucun secret de cabinet, sachant expliquer les conduites les plus indéchiffrables de Kim song ii, n’avait pas le moindre goût pour les questions domestiques qui le forçaient à quitter les tours d’horizon de la haute politique pour galvauder son intel-ligence en l’appliquant à des objets insignifiants. aussi avait-il pris l’habitude de charger sa sœur de la gestion de ses affaires auxquelles il feignait de ne rien compren-dre en se prévalant de son infériorité moins pour flatter sa sœur que pour se rappeler in petto qu’il n’était pas né pour se mêler à de si chétifs intérêts. Fils, petit-fils, et frère de généraux, il avait essayé plusieurs métiers : soldat, contremaître, antiquaire, tenancier de café, jar-dinier, attaché linguistique, sans jamais songer à persé-vérer dans une profession qu’il n’avait exercée que par défaut ou par accident. Contrairement à son frère cadet, attaché militaire à l’ambassade de prague, il n’avait pas

Page 17: Terre promise premiers chapitres

... promise 17

pu faire une vraie carrière. il s’en consolait en cherchant à diminuer l’attrait qu’il éprouvait pour la vie brillante d’attaché ; il s’exagérait les contraintes liées à l’exercice de toute fonction : être amené à obéir à des ordres absur-des, se laisser bâillonner par le devoir de réserve, avaler des couleuvres, rédiger des rapports sur des faits déri-soires, être obligé d’apprécier l’humour d’un supérieur hiérarchique. solénoir préféra enfin céder aux objurga-tions familiales, sachant maintenant que rien ne pourrait ébranler ses parents, drapés dans leur droit le plus entier, que jamais, ils ne consentiraient à concéder la moindre réparation à « cet aigrefin ». son père, ne perdant pas son temps à vérifier si solénoir était bien convaincu, sortit d’une chemise un formulaire pré-rempli. il le posa sur la table en invitant son fils à continuer à délibérer s’il ne pouvait se résigner d’emblée à signer un mandat qu’il serait délicat de révoquer. le père de solénoir se retira dans l’embrasure de la haute croisée qui donnait sur le jardin à l’abandon depuis la mort de sa femme. les her-bes avaient tout envahi. après avoir signé d’une main nonchalante et expédiente le mandat d’un avocat dont le nom, tout au moins, inspirait confiance, solénoir se sen-tit soulagé. il n’avait plus à s’en soucier. il salua son père qui lui rappela l’heure du dîner et sortit doucement.

Page 18: Terre promise premiers chapitres
Page 19: Terre promise premiers chapitres

solénoir n’aimait pas les longs dîners et encore moins les longs dîners de famille. il tâchait pourtant de trouver un mot agréable pour chacun, de faire rire ses neveux par des facéties qui mystifiaient leurs parents qu’il se conciliait en louant l’intelligence de leurs enfants. Ce genre de compliments qu’il redisait à chaque rencontre, faisait plaisir au frère de solénoir qui ne vivait, n’existait, ne respirait que pour ses enfants bien qu’ils commen-çassent à montrer de l’ingratitude, et qu’ils affectas-sent l’indifférence des trop-aimés qui veulent se défaire de l’amour excessif dont ils sont comblés et accablés. Quand solénoir entra dans le séjour, il vit que tout le monde était déjà là et chacun l’attendait un verre à la main. il embrassa tous ses parents, ce qui lui prit un certain temps, mais comme il n’avait pas salué sa nièce préférée en premier, contrairement à son habitude, elle se promit de ne lui adresser ni la parole ni un regard. mais elle céda vite au chantage de son oncle qui lui fit observer, goguenard, que l’air sévère s’alliait très mal à son genre de beauté. elle se mit à rire aussi. le frère

2

Page 20: Terre promise premiers chapitres

Terre...20

cadet de solénoir était heureux de revoir son frère et lui prodiguait des conseils : il l’incitait à se marier, à mener l’existence de tout le monde, à avoir des enfants. solénoir souriait des niaiseries de son frère qui oubliait qu’il avait déjà un fils. Ce fils rejetait en s’en moquant les goûts qu’il essayait de développer chez lui. il transmettait ses doléances par le canal de sa mère qui triomphait dans ses circonstances en songeant que ce père ne pouvait pas se targuer, au final, d’avoir la confiance de son fils. il s’agaçait du « nous » employé par son fils, désignant sa mère et son beau-père, et qui ne l’incluait jamais.

– au fond, tu as peut-être raison conclut le frère de solénoir qui commençait à percevoir chez ses deux jeu-nes enfants qu’il idolâtrait des signes d’ingratitude.

il était si difficile de les satisfaire. ils n’étaient jamais contents et ne remerciaient que sur l’instance d’un parent.

Chacun devait porter un toast, à ses projets, à ses amours, à ses enfants, ou à un vœu secret. C’est le père de solénoir qui avait institué cette coutume à son retour de séoul pour inciter chacun à s’exprimer. on levait son verre mais on ne trinquait pas. le beau-frère de solénoir se décida à porter un toast à ses spéculations, à l’achat d’une grosse parcelle de terrain qu’il voulait diviser en lots et vendre tels quels, sans les viabiliser. la sœur de solénoir leva son verre sans enthousiasme. elle s’était un peu confiée à lui avant le repas : elle préten-dait ne pas vouloir l’embêter avec ses histoires mais elle ne savait plus quoi faire, se plaignant sans pouvoir se décider à quitter cet homme plein de projets qu’il ne

stephane
Texte tapé à la machine
stephane
Texte tapé à la machine
stephane
Texte tapé à la machine
stephane
Texte tapé à la machine
,
stephane
Texte tapé à la machine
stephane
Texte tapé à la machine
stephane
Texte tapé à la machine
stephane
Texte tapé à la machine
stephane
Texte tapé à la machine
stephane
Texte tapé à la machine
stephane
Texte tapé à la machine
Page 21: Terre promise premiers chapitres

... promise 21

réalisait jamais, passant de lubie en lubie. solénoir ne répondit rien, sourit, et chercha à l’amuser. il avait peur d’éprouver une certaine sympathie pour cet homme qui ne se résigne pas au train-train conjugal, mais sympathie mêlée d’hostilité. son jeune cousin, qui avait préféré ne pas l’inviter à son mariage pour ne pas avoir un nombre impair d’invités, était là aussi, détendu et à son affaire. le père de solénoir avait menacé, avec plus de grabuge que de fermeté, de ne pas honorer de son auguste pré-sence et de son robuste appétit le banquet de noces. mais il ne manqua pas de s’y rendre, cédant aux ins-tances de ce fils paria qui ne voulait pas que son père souffre d’être isolé comme lui-même l’était au sein de sa propre famille. Vieux et veuf, il avait besoin de l’affec-tion de tous ses neveux. son cousin l’avait exonéré d’une corvée. il lui avait évité les désagréments du voyage, et la difficulté de trouver une chambre simple un samedi soir dans une région qui accueille de nombreux pari-siens fuyant dès le vendredi une ville qu’ils prétendent ne plus supporter avant de recommencer à l’apprécier le samedi soir quand l’ennui les envahit tout à coup, au moment du dessert. il ne fut pas au reste surpris. Depuis qu’il était seul, son cousin ne l’invitait plus que de loin en loin. solénoir ne cherchait plus à rendre des invitations qui auraient obligé son parent à l’inviter à nouveau alors qu’il ne cherchait qu’à rompre avec ce pestiféré de néo-célibataire qui offrait des fleurs à la maîtresse de maison sans penser que son nouvel état ne se conciliait plus avec de telles largesses. le cousin voulait porter un toast aux amours de solénoir. sa grand-mère portait un toast à la justice, au droit des gens de bonne foi, et à leur victoire

Page 22: Terre promise premiers chapitres

Terre...22

car le demandeur serait débouté. la tante de solénoir, agacée, invita sa mère à plus de prudence, et porta à son tour un toast à la solidarité familiale. solénoir porta un toast à la « perspicuité » des discours judiciaires et au jargon du palais… on mangea ensuite en parlant et en riant beaucoup. solénoir cependant pensait à rentrer et se préparait à l’annoncer à son père qui peut-être le prierait de rester au moins jusqu’à demain. solénoir y consentit. le lendemain, au moment de se séparer, le père de solénoir déclara qu’il fallait se voir, s’appeler, ou s’écrire plus souvent. solénoir acquiesça, embrassa son père et s’en retourna le cœur léger.

Page 23: Terre promise premiers chapitres

Pour joindre l’auteur :

http://stephanechasteller-un.blogspot.com/