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Tabledesmatières

Chapitre1

Chapitre2

Chapitre3

Chapitre4

Chapitre5

Chapitre6

Chapitre7

Chapitre8

Chapitre9

Chapitre10

Chapitre11

Chapitre12

Londres14mai1602

IlfaisaitsombredanslesruellesdésertesdeSouthwark.L'airétaitemplid'unepuanteurd'algues,decloaquesetdepoissonsmorts.Ilserrainconsciemmentsamainetl'entraînaplusloin.—Nous aurions mieux fait de longer la rivière, chuchota-t-il. Nous allons nous perdre dans cedédale.—Oui, sanscompterqu'il y aunvoleurouunassassinauxaguets à chaquecoinde rue,dit-elled'unevoixamusée.Super,non?Entoutcas,c'estmillefoismieuxquedepassersontempsàfairesesdevoirsentrequatremurs!Ellerelevasalourderobeetsehâta.Ilneputs'empêcherdesourire.Lucypossédaitletalentremarquabledevoirtoujoursleboncôtédeschoses.Riennel'effrayait,pasmêmelefameuxâged'ordel'Angleterrequiencemomentméritaitsipeusonnomets'annonçaitmêmeplutôtsinistre.- Dommage que nous n'ayons jamais plus de trois heures devant nous, regretta-t-elle.Hamletm'auraitencoreplusemballéesijen'avaispasdûlevoirparépisodes.Elleévitaadroitementunehorribleflaquedeboue—dumoinsespéra-t-ilqu'ilnes'agissaitquedeboue.Puisellefitquelquespasdedanseetvirevoltasurelle-même.-Ainsi,laconsciencefaitdenousdeslâches...N'était-cepasgrandiose?Ilacquiesçaenréprimantunnouveausourire.EnprésencedeLucy,ilavaittroptendanceàsourire.S'iln'yprenaitgarde,ilfiniraitparpasserpourledernierdesidiots!Ils se dirigeaient vers London Bridge. Southwark Bridge, qui eût été plus pratique, n'étaitmalheureusement pas encore construit. Ils devaient donc se presser s'ils voulaient que leur détoursecretparleXVIIèmesiècleresteinaperçu.MonDieu,quenedonnerait-ilpaspourpouvoirenfinretirercecolblancempeséquiressemblaitàl'undecestrucsenplastiquequeleschiensdoiventporteraprèsuneopération!Lucytournaàdroiteendirectiondufleuve.EllesemblaittoujourspenseràShakespeare.-Aufait,Paul,combienas-tudonnéàcetypepourqu'ilnouslaisseentrerauGlobeThéâtre?-Quatredecesgrossespièces,paslamoindreidéedeleurvaleur,dit-ilenriant.C'étaitsansdouteuneannéedesalaireouquelquechosed'approchant.-Entoutcas,çaabienservi.Onétaitsuperbienplacés.Ils atteignirent London Bridge au pas de course. Comme à l'aller, Lucy s'arrêta pour faire descommentairessurlesmaisonsdupont.Maisill'emmenaplusloin.-Tu saisbienqueMrGeorgenousaditqu'en restant sousune fenêtreon risquaitde recevoir lecontenud'unpotdechambresurlatête.Etpuistuvasnousfaireremarquer!- On ne se croirait même pas sur un pont, ça ressemble à une rue ordinaire. Oh, regarde, ça

bouchonne!Ilestvraimenttempsqu'ilsconstruisentd'autresponts.London Bridge était encore très animé, mais les voitures, les chaises à porteurs et les calèchesvoulanttraverserlaTamisen'avançaientpasd'unyard.Plusloinenavant,onentendaitdesvoix,desjuronsetdeshennissementsdechevaux.Justeàcôtéd'eux,unhommeàchapeaunoirsepenchaparlafenêtred'unecalèche.Soncoldedentelleblancheempeséeserelevajusqu'àsesoreilles.-N'ya-t-ilpasd'autremoyendepassercetterivièrenauséabonde?cria-t-ilenfrançaisaucocher.Celui-ciréponditquenonenajoutant:-Etdetoutefaçon,noussommesbloqués!Jevaisallervoircequisepasse.Çavacertainementsedégagersanstarder,messire.Engrommelant,l'hommerentrasatête,sonchapeauetsoncol,tandisquelecochermitpiedàterreetsefrayaunchemindanslacohue.—Tuasentendu,Paul?CesontdesFrançais,chuchotaLucy,enthousiasmée.Destouristes!-Oui,formidable!Maisdépêchons-nous,nousn'avonsplusbeaucoupdetemps.Il se rappelait vaguement avoir lu qu'on avait un jour détruit ce pont et qu'on l'avait reconstruitquinzemètresplusloin.Pasvraimentlemeilleurendroitpourunsautdansletemps!Ils suivirent le cocher, mais furent arrêtés un peu plus loin par une foule compacte et unencombrementdevoitures.-J'aientendudirequ'unecharrettequitransportaitdesfûtsd'huileaprisfeu,disaitunefemmeàquivoulaitl'entendre.Ilsvontencorefinirparmettrelefeuàcepont.-Maiscen'estpaspouraujourd'hui,autantquejesache,murmuraPaulenprenantLucyparlebras.Viens,faisonsdemi-touretattendonsnotresautdansletempsdel'autrecôté.-Tutesouviensdumotdepasse?Justepourlecasoùnousn'arriverionspasàtemps.-Quelquechoseavec«couteau»et«cave».-Guttacavatlapident,idiot.Ellelevalatêteversluienriant.SesyeuxbleusbrillaientdeplaisiretilpensasoudainàcequeluiavaitrépondusonfrèreFalkquandilluiavaitdemandéquelétaitlemomentidéal.«Jeneperdraispasmontempsàdiscourir.Jeleferaistoutsimplement.Après,ellepeuttoujourst'encolleruneettuserasfixé.»Naturellement, Falk avait voulu savoir de qui il était question, mais Paul n'avait pas eu envied'entamer une discussion qui aurait commencé par : « Tu sais bien que les rapports entre les deVilliersetlesMontrosedoiventêtredenaturepurementprofessionnelle!»etquiseseraitterminéepar : « D'ailleurs, toutes les filles Montrose sont barbantes et finissent par devenir des dragonscommeladyArista.»Barbantes,tuparles!C'étaitpeut-êtrevalablepourlesautresfillesMontrose,maiscertainementpaspourLucy.Lucyqui l'étonnait chaque jour davantage, à qui il confiait des choses qu'il n'avait encore jamaisracontéesàpersonne.Lucyavecquionpouvaitlittéralement...Ilinspiraungrandcoup.-Pourquoit'arrêtes-tu?demandaLucy.Maisils'étaitdéjàpenchéverselleetilpressaseslèvressurlessiennes.Pendanttroissecondes,il

craignit d'être repoussé. Mais une fois remise de sa surprise, elle répondit à son baiser, d'abordprudemment,puisdefaçonplusmarquée.À vrai dire, ce n'était pas le moment idéal ; à vrai dire, ils étaient terriblement pressés, car ilspouvaientàchaqueinstantsauterdansletemps,etàvraidire...Pauloublialetroisième«àvraidire».Laseulechosequicomptaitmaintenant,c'étaitLucy.Maisilaperçutunesilhouetteàcapuchesombre,quilefitsursauterdefrayeur.Lucyleregardaquelquesinstants,intriguée,avantderougiretdefixersespieds.- Désolée, murmura-t-elle, gênée. Larry Coleman a dit aussi que quand j'embrassais, ça donnaitl'impressiondesefaireécraserunepoignéedegroseillesàmaquereausurlevisage.-Desgroseillesàmaquereau?dit-ilensecouantlatête.EtquidiableestceLarryColeman?Cettefois,elleparutnettementtroublée,alorscommentaurait-ilpuluienvouloir?Ildevaitd'abordessayerderemettreenordrelechaosquirégnaitdanssapropretête.IlécartaLucydelalueurdestorches,lapritparlesépaulesetlaregardadroitdanslesyeux.-OK,Lucy!Primo:tonbaiseraplutôtungoût...defraises.Deuzio:sijetrouveceLarryColeman,je luicollemonpoingsur lafigure.Tertio :notebien lemomentoùnousensommesrestés.Pourl'instant,nousavonsuntoutpetitproblème.Ilmontralegéantquisortaitmaintenanttranquillementdel'ombred'unecharretteetsepenchaitverslafenêtredelacalècheduFrançais.Lucyouvritdegrandsyeuxeffarés.-Bonsoir,baron,ditl'homme.Ilparlaitaussilefrançaiset,enentendantsavoix,Lucys'agrippaaubrasdePaul.-Jesuisravidevousrevoir,poursuivitl'homme.C'estunbienlongchemindesFlandresjusqu'ici.Ilretirasacapuche.Del'intérieurdelacalèche,uncridesurprisesefitentendre.-Lefauxmarquis!Quefaites-vousdoncici?Commentsepeut-il...?-J'aimeraisbienlesavoiraussi,chuchotaLucy.-Est-ceainsiqu'onsaluesondescendant?réponditgaiementlegéant.Aprèstout,jesuislepetit-filsdupetit-filsdevotrepetit-fils,etmêmesionseplaîtàm'appeler«l'hommesansprénom»,jepeuxvous assurerque j'en aiun.Etmêmeplusieurs, pour êtreplus exact.Puis-jevous tenir compagniedansvotrecalèche?Iln'estpasparticulièrementagréablederesterdeboutetcepontvaencoreresterengorgéunbonmoment.Sansattendrelaréponsenimêmejeterundernierregardcirculaire,ilouvritlaporteetgrimpadanslevéhicule.LucyavaittiréPaulsurlecôtépourl'éloignerdelalumièredestorches.-C'estbienluilSeulementbeaucoupplusjeune.Qu'allons-nousfairemaintenant?-Riendutout,chuchotaPaul.Nouspouvonsdifficilementnouspointeretdire«Salut»!Nousnedevrionspasnoustrouverici.-Maiscommentsefait-ilqu'ils'ytrouve,lui?

-Unstupidehasard.Entoutcas,ilnefautpasqu'ilnousvoie.Viens,descendonssurlarive!Mais ils restèrent surplace, fixant lacalèche,apparemmentencoreplus fascinésparcette sombrefenêtrequeparlascèneduGlobeThéâtre.-Lorsdenotredernièrerencontre,jevousaipourtantfaitnettementcomprendrecequejepensedevous,disaitmaintenantlebaronbelge.-Certesoui,vousmel'avezbienfaitcomprendre!LerireduvisiteurdonnalachairdepouleàPaulsansqu'ilsachepourquoi.-Madécisionestirrévocable!repritlavoixlégèrementtremblantedubaron.Jeremettraicetengindiabolique à l'Alliance, quelles que soient les méthodes perfides que vous utiliserez pour m'endissuader.Jevoussaisalliéaveclediable.-Qu'est-cequ'ilveutdire?chuchotaLucy.Paulsecouasimplementlatête.Unlégerriresefitdenouveauentendre.-Monancêtrebornéetaveuglé !Combienvotrevie -et lamienne ! -eûtétéplussimplesivousm'aviez écouté, moi, plutôt que votre évêque ou ces regrettables fanatiques de l'Alliance. Si vousaviez utilisé votre raison au lieu de votre rosaire.Si vous aviez compris quevous faites partie dequelquechosedeplusgrandquecequevotreprêtrevousprêche.La réponse du baron sembla consister en unNotre père. Lucy et Paul n'entendirent qu'un douxmarmonnement.-Amen!soupiralevisiteur.C'estdoncvotrederniermotencetteaffaire?-Vousêteslediableenpersonne!pestalebaron.Quittezmavoitureetnevousprésentezplusjamaisàmavue!-Commevousledésirez.Ilresteraitencoreunseuldétailàrégler.Jenevousenaipasparléjusqu'àprésent pournepasvous inquiéter inutilement,mais survotrepierre tombale, que j'ai vuedemespropresyeux,onpeutlirele«14mai1602»commejourdevotremort.-Maisc'est...s'écrialebaron.-...aujourd'hui,c'estexact.Etnousnesommesplustrèsloindeminuit.-Qu'est-cequ'ilestentraindefaire,là?chuchotaLucy.-Ilromptsespropreslois,ditPaulensentantlachairdepoulegagnersanuque.Ilparlede...Ils'interrompit,avecaucreuxdel'estomacunesensationbienconnuedemalaise.-Moncocherserabientôtderetour,ditlebarond'unevoixdevenueangoissée.-Oui,jen'endoutepas,réponditlevisiteurd'unairpresqueennuyé.C'estpourquoijevaisfairevite.Lucyavaitposésamainsursonventre.-Paul!-Jesais,jelesensaussi.Mincedemince...Ilfautpartird'icisinousnevoulonspasnousretrouverdanslefleuve.Ill'entraînaparlebrasenveillantsoigneusementànepastournersonvisageverslafenêtre.-Certes,vousêtesmortdansvotrepaysdessuitesd'unméchant rhume,poursuivait l'hommeà lacapuchetandisqu'ilspassaientfurtivementdevantlacalèche.Maiscommemesvisiteschezvousont

eupourconséquencequevousvoustrouvezaujourd'huiici,àLondres,enpleinesanté,quelquechoseadûêtre sensiblementperturbé.Scrupuleuxcomme je suis, jemesensdonc tenud'aiderunpeu lamort.Préoccupéparsasensationaucreuxdel'estomac,Paulétaitentraind'estimerlenombredemètresqui les séparaient encore de la rive,mais le sens de ces paroles s'infiltra dans sa conscience et ils'immobilisadenouveau.Lucylepinçaàlataille.-Cours,dit-elletoutendémarrantelleaussi.Nousn'avonsplusquequelquessecondes!Lesgenouxflageolants,ilsuivitLucyet,danssacourse,alorsquelarivecommençaitàsebrouillerdevantsesyeux,luiparvint,del'intérieurdelacalèche,uncriterrifiantbienqu'assourdi,suiviparun«diantre!»prononcédansunrâle...Puisunsilencedemort.

LucyetPaulontétéenvoyésaujourd'huià15heuresenl’année1948pourélapser.Àleurretourà19heures,ilsontatterridansleparterrederoses,devantlafenêtredelasalleduDragon, en costumes du XVIIe siècle, complètement trempés. Ils m'ont semblé fortperturbés et leurs paroles étaient incohérentes, de sorte que j'en ai informé contreleurgrélordMontroseetFalkdeVilliers.Maisl'histoires'estexpliquéefacilement.LordMontrose se souvenait encore fort bien du bal costumé donné dans le jardin en l'année1948,aucoursduquelquelquesinvités,parmilesquelsLucyetPaul,aprèsavoirconsommébeaucouptropd'alcool,s'étaientretrouvésdanslebassindespoissonsrouges.LordLucasaendossélaresponsabilitédecetincidentetapromisderemplacerlesdeuxexemplairesdétruits des roses « Ferdinand Picard » et « Mrs John Laing ». Lucy et Paul ont étésévèrementexhortésàneplustoucheràl'alcoolàl'aveniretceàquelqueépoquequecesoit.

ExtraitdesAnnalesdesVeilleurs18décembre1992

Rapport:J.Mountjoy,adeptede2egrade.

Chapitre1

-Jeunesgens,noussommesdansuneéglise.Onnes'embrassepas!Effarée, je reculaiaussitôtenm'attendantàvoirseprécipiterversnousuncuréd'unautreâge, lasoutaneflottanteetlevisagecourroucé.Maiscen'étaitpaslecuréquiavaitdérangénotrebaiser.Cen'étaitmêmepersonne.C'étaitjusteunpetitgargouillot,accroupisurunbanc,quimeregardait,toutaussiébahiquemoi.Cequi,àtoutprendre,étaitdifficilementpossible.Àvraidire,j'étaisbienau-delàdelastupéfaction.Enfait,j'avaisplutôtd'énormescoupuresdanslefonctionnementdemoncerveau.Tout avait commencé avec ce baiser. Gideon de Villiers m'avait embrassée, moi, GwendolynShepherd!Naturellement, j'aurais dû me demander ce qui lui avait pris tout à coup, car enfin nous noustrouvionsdansunconfessionnal,quelquepartàBelgravia,en1912,ausortird'unefuiteéchevelée,pleined'entravesdetoutessortes,àcommencerparmarobelongueavecsoncolmarinridicule.J'auraispufairedescomparaisonsanalytiquesentrelesbaisersquej'avaisdéjàreçusetchercheràsavoirpourquoiGideonembrassaittellementmieux.J'aurais aussi pu réfléchir au fait que la cloison entre nous et le guichet par lequelGideon avaitréussiàpasserlatêteetlesbrasn'offraientpaslesconditionsidéalespourunbaiser.Etmedireaussique jen'avaispasbesoind'encoreplusdechaosdansmavie alorsque jevenaisd'apprendre troisjoursauparavantquej'avaishéritédugènefamilialduvoyagedansletemps.Maisenréalité,jen'avaisplusriendanslatête,saufpeut-êtredesOhhhh,MmmmetEncore.Desortequejeneressentispasvraimentmeshabituelstiraillementsauventre.Cenefutdoncqu'envoyantcepetitgargouillotcroiserlesbrasetmelancerunregardfuribondetenm'apercevantaussique lerideauvertveloursduconfessionnalavaitsubitementviréaucacad'oie,que jecomprisquenousétionsrevenusdansleprésent.-Chiotte!Gideonserepliadanssoncompartimentdeconfessionnalensefrottantlecrâne.Chiotte!Jeretombaidurementdemonseptièmecieletenoubliailegargouillot.-Moi,jen'aipastrouvéçasimal,dis-jeenm'efforçantdemelajouercool.Malheureusement, j'étais un peu essoufflée, ce qui diminuait sensiblement l'effet produit. Jen'arrivaispasàregarderGideonetjegardaidésespérémentlesyeuxfixéssurlerideau.MonDieu ! Je venais de traverser une centaine d'années sansm'en rendre compte, parce que cebaiser m'avait complètement et totalement... troublée. Je veux dire, ce type n'arrête pas de vousrabrouer,et laminuted'aprèsonseretrouveàcourircommedesfous,avecdeshommesarmésdepistoletsànostrousseset,d'uncoup,commeça,ilsemetàdirequevousêtesquelqu'undetoutàfaitparticulieretilvousembrasse.Etundecesbaisers!Untrucàmerendreinstantanémentjalousedetouteslesfillesquiluiavaientapprisça.-Personneenvue!constata-t-ilenseglissanthorsduconfessionnal.Bon,nousallonsprendre lebuspourretourneràTemple.Viens,ilsdoiventnousattendre.

Ahurie,jeglissaiunœilversluiparlafentedurideau.Devais-jecomprendrequ'ilvoulaitrepasseràl'ordredujour?Aprèsunbaiser(c'eûtétémieuxavant,maislàlemalétaitfait!),ondevraitpeut-être bien expliquer quelques choses fondamentales, non ? Ce baiser avait-il été une sorte dedéclarationd'amour?Pouvait-ilmêmesignifierqueGideonetmoinousétionsensemblemaintenant?Ounousétions-noussimplementunpeupelotés,parcequenousn'avionsriendemieuxàfaire?-Jenemonteraipasdansunbusaveccetterobe,affirmai-jeenmelevantleplusdignementpossible.Je me serais mordu la langue plutôt que de poser une seule des questions qui venaient de metraverserlatête.Marobeétaitblanche,avecdesrubansdesatinbleucielàlatailleetaucol.Sansdoutelederniercrien1912,maispasvraimentappropriéepourlestransportsencommunduXXIesiècle.-Nousallonsprendreuntaxi,annonçai-je.Gideonsetournasimplementversmoisansmecontredire.Avecsaredingoteetsonpantalonàplis,ilmedonnal'impressiondenepassesentirnonplustrèsà l'aisepourvoyagerenbus.Pourtant, ilavait fière allure là-dedans, d'autant plus que ses cheveux n'étaient plus impeccablement plaquésderrière les oreilles comme encore deux heures plus tôt,mais qu'ils lui tombaient sur le front enbouclesfolles.Jesortisdanslanefetlerejoignisenfrissonnant.Ilfaisaitunfroidglaciallà-dedans.Ouétait-cedûaufaitquejen'avaispratiquementpasréussiàdormirdepuistroisjours?Ouàcequivenaitde sepasser ?Cesderniers temps,moncorpsavait sansdoute sécrétéplusd'adrénalinequedanslesseizeannéesprécédentes.Ils'étaitpassétellementdechosesetj'avaiseusipeudetempspouryréfléchirquematêtemenaçaitd'éclater.Sij'avaisétéunpersonnagedeBD,ilyauraiteuunegrossebulleavecunénormepointd'interrogationau-dessusdematête.Etpeut-êtreaussiquelquestêtesdemort.Ilfallaitréagir.SiGideonvoulaitpasseràl'ordredujour,ehbiend'accord,moiaussijepouvaislefaire.-OK,fichonslecamp,dis-jesèchement.Jemelesgèleici.Jevoulusmefaufilerdevantlui,maisilmeretintparlebras.-Écoute,pourtoutàl'heure...Ils'arrêtalà,sansdoutedansl'espoirquejel'interrompe.Ceque,naturellement, jene fispas. J'avais tropenviede savoir cequ'il avait àmedire.Deplus,j'avaisdumalàrespirerenlesentantsiprèsdemoi.-Cebaiser...cen'est...Denouveauunephrase inachevée.Mais je la complétai aussitôt enpensée.Cen'est pas ceque tucrois.Oh,d'accord,maisalors,ilauraitpus'endispenser,non?C'étaitcommemettrelefeuàunrideauets'étonneraprèsquetoutelamaisonbrûle.(Jesais,lacomparaisonn'estpasterrible.)Jen'avaisnulleenvie de lui faciliter les choses et je le regardai froidement en attendant qu'il continue. C'est-à-dire,j’essayaideleregarderfroidement,maisenréalitéj'avaisprobablementaffichémalgrémoiunregarddugenreJesuislepetitBambi,nemetuepas,s'ilteplaît.Ilnemanquaitplusquemalèvresemetteàtrembler.Cen'estpascequetucrois.Vas-y,dis-le!

Mais Gideon ne dit rien du tout. Il retira une épingle demes cheveux en désordre (ma coiffuretarabiscotéedevaitdonnerl'impressionqu'uncoupled'oiseauxs'yétaitniché),pritunemèchedanssamainetsel'enroulaautourdudoigt.Del'autremain,ilcommençaàmecaresserlevisage,etpuisilsepenchaversmoietm'embrassa,avecprécautioncettefois.Jefermailesyeux...etbisrepetita:moncerveau semit de nouveau agréablement enmode off. (Il n'émit plus rien que :Ohhhh,Mmmh etEncore.)Toutefois,pasplusd'unedizainedesecondes,car,toutprèsdenous,unevoixénervées'écria:-Vousn'allezquandmêmepasremettreça!Effrayée,jerepoussaidoucementGideonetaperçusaussitôtlevisagegrimaçantdupetitgargouillotmaintenant suspendu, la tête en bas, en haut de la galerie sous laquelle nous nous trouvions. Plusexactement,c'étaitl'espritd'unegargouille.Gideonavaitlâchémescheveuxetaffichaitunvisageimpassible.Oh,monDieu!Qu'allait-ilpenserdemoi?Sesyeuxvertsnelaissaientriendeviner,toutauplusunlégerétonnement.-Je...jecroyaisavoirentenduquelquechose,murmurai-je.-Ahbon,fit-il,unpeusurpris,maistoutàfaitaimable.-C'estmoiquetuasentendu,ditlegargouillot.C'estmoiquetuasentendu!Ilavaitàpeuprèslatailled'unchat,etsonvisageressemblaitaussiàceluid'unchat.Maisenplusdesesdeuxgrandesoreillesdelynxpointues,ilavaitdeuxcornesrondesaumilieu,depetitesailessurledosetunelonguequeueécailleusedelézard,quiseterminaitentriangleetremuaitd'excitation.-Ettupeuxaussimevoir!ajouta-t-il.Jenerépondispas.-Alors,nousferionsmieuxdepartir,ditGideon.-Tupeuxmevoiretm'entendre!s'enthousiasmalepetitgargouillot.Ilselaissatombersurunbancdepuislagalerieetsemitàsautillersurplace.Ilavaitlavoixenrouéed'unenfantenrhumé.-Jel'aicompristoutdesuite,poursuivit-il.Surtoutnepasfaired'erreur,sinonjen'arriveraisplusàm'endébarrasser.Jefeignisl’indifférenceetbalayaiduregardlesbancsenmedirigeantversleportail.Gideonmetintlaporte.-Merci,c'esttropaimable!ditlegargouillot,quienprofitapoursefaufilerluiaussiàl'extérieur.Dehors, sur le trottoir, la lumière me fit cligner des yeux. Le ciel était couvert, le soleil ne semontraitpas,maisd'aprèsmonestimationondevaitapprocherdusoir.-Eh,là!Attends-moidonc!s'écrialegargouillotentirantsurmarobe.Ilfaudraitqu'onseparled'urgence!Ouille,tumemarchessurlespieds,là...Nefaispascellequinemevoitpas.Jesaisquec'estfaux.Sabouchecrachaunpeud'eauquiformaunetoutepetiteflaquesurmabottineàboutons.-Oups.'xcuse!Çam'arriveseulementquandjem'énerve.Jelevailesyeuxsurlafaçadedel'église.Elledevaitêtredestylevictorien,avecdesvitrauxcolorésetdeuxjoliestoursouvragées.Desbriquesalternantavecuncrépidecouleurblanccrèmeformaientunjoyeuxmotifàrayures.Maisj'eusbeauregarderjusqu'enhaut, jen'ydécouvrisaucunefiguresculptéeniaucunegargouille.C'étaitpourlemoinsétrangedevoircetespritrôderparici.

-Jesuislà!s'écrialegargouillotens'agrippantaumur,justedevantmonnez.Ilpouvaitgrimpercommeunlézard, touteslesgargouillessaventlefaire.Jefixaiunesecondelabriqueàcôtédesatêteetmedétournai.Legargouillotn'étaitplusaussisûrquejepuissevraimentlevoir.-Ah,s'ilteplaît,dit-il.J'aimeraistellementparleràquelqu'und'autrequ'àsirArthurDonanCoyle.Pasmalraffiné,lep'titgars.Maisjenetombaipasdanslepiège.Çamefaisaitunpeudepeine,biensûr,mais je savais comme ces petitsmonstres peuvent devenir importuns. Et puis ilm'avait aussidérangéeenpleinbaiseret,àcausedelui,Gideondevaitprobablementméprendremaintenantpourunefichuelunatique.-S'ilteplaît,s'ilteplaît,s'iiiiiiiiilteplaîîîît!supplialagargouille.Jecontinuaiàl'ignorerdetoutesmesforces.MonDieu,j'avaisbiend'autresproblèmessurledos.Gideon s'était approché du bord de la chaussée pour héler un taxi. Naturellement, il en arrivaaussitôtundelibre.Ilyadesgensquionttoujoursdelaveinepourcegenredechoses.Oucommeuneautoriténaturelle.Magrand-mèreladyArista,parexemple.Ellen'aqu'àseplanterauborddelarueavecsonregardsévèrepourqueleschauffeursdetaxipilentnet.-Tuviens,Gwendolyn?- Tu ne peux pas partir comme ça, maintenant ! Alors que nous venons juste de nous trouver,pleurnichaunepetitevoixenrouée,d'untondéchirant.Si nous avions été seuls, jeme serais sans doute laissé aller à lui répondre.Malgré ses caninespointues et sespiedsgriffus, il étaitplutôtmignonet ilmanquaitprobablementdecompagnie. (LefantômedesirArthurConanDoyleavaitcertainementmieuxàfaire.D'ailleurs,quevenait-ilfaireàLondres,celui-là?)Maisquandoncommuniqueavecdesespritsenprésenced'autrespersonnes,ellesvousprennent-avecunpeudechance-pourunementeuseouunecomédienneoualors—danslaplupart des cas — pour une folle. D'autre part, la dernière gargouille-démon avec laquellej'avaisconversés'étaitmontréesicollantequ'ellem'auraitpresquesuiviejusquedanslestoilettes.Levisagefigé,jeprisdoncplacedansletaxietregardaidroitdevantaudémarrage.Assisàcôtédemoi,Gideon lorgnaitpar la fenêtre.Lessourcils levés, lechauffeurexaminanoscostumesdans lerétroviseur,maissanscommentaire.Ilfallaitluiensavoirgré.-Bientôt6heuresetdemie,meditGideon,visiblementsoucieuxd'unéchangedesplusneutres.Pasétonnantquejemeuredefaim.Maintenant qu'il en parlait, je ressentis aussi la même chose. Vu l'ambiance délétère à la tablefamilialedupetitdéjeuner,jen'avaismêmepasavalélamoitiédemontoastet,commetoujours,lerepas de la cantine avait été infect. Jeme rappelai avec une certaine nostalgie les sandwichs et lessconesappétissantssurlatableàthédeladyTilney,quinousétaientmalheureusementpasséssouslenez.LadyTilney!Ducoup, jepensaiqueGideonetmoidevrions faire lepointsurnotreaventureenl'année1912.Carleschosesavaientcomplètementdérailléetjemedemandaisbiencequ'endiraientlesVeilleurs,quinecomprenaientpasdu tout lesplaisanteries au sujetdesvoyagesdans le temps.Gideonetmoi,nousétionspartisaveclamissiondecollecterladyTilneydanslechronographe(soitdit entre nous, je n'en avais toujours pas compris les raisons,mais tout ça semblait d'une extrêmeimportance:pourautantquejesache,ils'agissaitdesauverlemonde,pasmoins).Toutefois,avant

que nous puissions le faire, ma cousine Lucy et Paul - officiellement les méchants de toute cettehistoire-étaiententrésen jeu(dumoins, la familledeGideonenétait-ellepersuadée,et luiaussi).LucyetPaulavaientprétendumentvolélesecondchronographeets'étaientcachésavecdanslepassé.Depuisdesannées,ilsn'avaientplusdonnédenouvelles,jusqu'àcequ'ilssurgissentchezladyTilneyetfichentunepagaillepaspossibledansnotreréunionautourd'unetassedethé.Je ne savais plus exactement quand les pistolets étaient entrés apparus - dansma peur, je l'avaisrefoulé demamémoire—maisGideon en était venu à tenir une arme sur la tempe de Lucy, unpistoletqu'iln'auraitpasdûemporter,àvraidire.(Commemoi,monportable,maisaumoinsonnepeuttuerpersonneavecunportable!)Ensuite,nousnousétionsréfugiésdansl'église.Maispendanttoutcetemps,jen'avaispaspumedéfairedel'idéequetoutcetrucavecLucyetPauln'étaitpasaussiclairquelesdeVilliersseplaisaientàledire.-Qu'est-cequ'onvabienpouvoirracontermaintenantàproposdeladyTilney?demandai-je.—Ehbien...réponditGideonensefrottantlefrontd'unairlas.Nonpasqu'ilfaillementir,maisonferait peut-être mieux de passer une ou deux choses sous silence. Ne t'en mêle pas et laisse-moiparler,çavaudramieux.Ilavaitretrouvésonbonvieuxtondecommandantenchef.-Oui,biensûr,dis-je.Jemecontenteraidehocherlatêteetdelafermer,commeilsiedàunejeunefille.Instinctivement,jemecroisailesbrassurlapoitrine.PourquoiGideonnepouvait-ildoncjamaissecomporter normalement ?D'abord, ilm'embrassait (et pas qu'une fois !), pour ensuite se la jouergrand-maîtredelalogedesVeilleurs!Nousrestâmesunlongmomentàregarderlepaysage,chacundesoncôté.CefutfinalementGideonquirompitlesilenceetcelameprocuraunecertainesatisfaction.-Qu'est-cequ'ilya?Lechataavalétalangue?Ilsemblaitpresquegêné.-Pardon?-Mamèremedemandaittoujoursçaquandj'étaispetit.Quandj'avaisl'airaussibutéquetoiencemoment.-Tuasunemère!Jeremarquaiaussitôtlastupiditédemaquestion.MonDieu!Gideonlevaunsourcil.-Qu'est-cequetucroyais?demanda-1-il,amusé.Quej'étaisunandroïde,assembléparoncleFalketMrGeorge?-Cen'estpassiabsurdequeça.Tuasdesphotosdetoibébé?Ententantdem'imaginerGideonenbébé,avecungrosvisagejouffluetlecrânechauve,jenepusm'empêcherdesourire.-Ettesparents?Vivent-ilsaussiàLondres?ajoutai-je.Gideonfitnondelatête.-MonpèreestmortetmamèrehabiteàAntibes,danslesuddelaFrance.Pendantuncourtinstant,ilsepressaleslèvresetjecrusqu'ilallaitretomberdanssonmutisme.Maisilreprit:- Avec mon petit frère et son nouveau mari, monsieurAppelle-moi-donc-papaBertelin. Il a une

entreprise qui fabrique des microcomposants pour appareils électroniques et apparemment lesaffairesmarchentdutonnerre:entoutcas,ilaappeléCrésussonyachtm'as-tu-vu.J'en restai comme deux ronds de flan. Autant d'informations personnelles d'un seul coup, ça neressemblaitpasdutoutàGideon.-Oh,maisçadoitêtresuper-cooldepassersesvacanceslà-bas,non?-C'estsûr,dit-ild'untonmoqueur.Ilyaunepiscinegrandecommedeuxcourtsdetennisetceyachtàlaconadesrobinetsenor.-Entoutcas,c'esttoujoursmieuxqu'uncottagesanschauffageàPeebles.Dansmafamille,onpassaitenprincipelesvacancesd'étéenEcosse.-Ataplace,ajoutai-je,sij'avaisunefamilledanslesuddelaFrance,j'iraislavoirtouslesweek-ends.Mêmesanspiscineetsansyacht.Gideonmeregardaensecouantlatête.-Ahoui?Etcommenttuferaissitudevaisenplussautertouteslesdeuxheuresdanslepassé?Cen'estpasvraimentsuperà150surl'autoroute.-Oh!Cettehistoiredevoyagedans le tempsétait tropnouvellepourmoiet jen'avaispasencoreeu leloisirderéfléchiràtoutessesconséquences.Iln'yavaitquedouzeporteursdugène—répartissurplusieurs siècles—et jen'arrivais toujourspasà réaliserque j'en faisaispartie.En fait, c'étaitmacousineCharlottequiétaitprévuepourçaetelles'yétaitpréparéefébrilement.Maispourdesraisonsimpénétrables,mamère avait trafiqué les données demanaissance et,maintenant, on était dans lepétrin.ToutcommeGideon,j'avaisdésormaislechoixentresauterdansletempsdefaçoncontrôléeàl'aideduchronographeoumefairesurprendreàn'importequelinstantetn'importequelendroitparunbonddansletemps,cequi-parexpérience-n'étaitpasfranchementagréable.-Naturellement,ilfaudraitemporterlechronographeavectoi,commeçatuseraissûrdepouvoirélapserdetempsàautredansdesépoquessansdanger,avançai-je.Gideonpoussaunsoupirsansjoie.-Oui,etcommeçajepourraisbiensûrvoyagertranquilleetdécouvrirpleindesiteshistoriquesenchemin.Maisd'abord,onnemepermettraitjamaisd'emporterlechronographedansmonsacàdosetpuisilyatoi...qu'est-cequetuferais,toi,sanscetengin?Iljetaunregardparlafenêtre,puisreprit:-GrâceàLucyetPaul,iln'enresteplusqu'un,l'aurais-tuoublié?Savoixs'étaitdenouveauéchauffée,commetoujoursquandilétaitquestiondeLucyetPaul.Jehaussai les épaules etme tournai aussi vers la fenêtre.Le taxi avançait aupas, endirectiondePiccadilly.Ehbien,super!HeuredepointedusoirdanslaCity!Nousserionssansdoutearrivésplusviteàpied.—Apparemment,tun'aspasencoretoutàfaitcomprisquetun'aurasplusguèrel'occasiondequittercetteîle,Gwendolyn,remarquaGideonavecunenuanced'amertume.Nimêmecetteville.Aulieudet'emmener en vacances en Ecosse, ta famille aurait mieux fait de te montrer le vaste monde.Maintenant, c'est trop tard.Prépare-toiànepouvoir regarder toutcedont tu rêvesquesurGoogleEarth.

Lechauffeursortitunlivremalenpoint,s'adossaàsonsiègeetsemittranquillementàlire.-Mais...tuespourtantalléenBelgiqueetàParis,objectai-je.Pourfilerdanslepasséàpartirdelà-basetprendresonsangàceje-ne-sais-plus-qui,etcetruc...-Biensûr!m'interrompit-il.Avecmononcle, troisVeilleursetunecostumière.Unvoyagesuper !Sans compter que laBelgique est un pays follement exotique.Qui ne rêve pas d'aller passer troisjoursenBelgique?!Intimidéeparsonemportementsoudain,jedemandaidoucement:-Oùpartirais-tusituavaislechoix?-Tuveuxdire,sijen'étaispasfrappéparcettemalédictionduvoyagedansletemps?MonDieu...jene saurais pas par où commencer : Chili, Brésil, Pérou, Costa Rica, Canada, Alaska, Vietnam,Australie,Nouvelle-Zélande... énuméra-t-il avec un faible sourire.Bon enfin, presque partout, saufsurlalune.Maiscen'estpasfranchementagréablederéfléchiràcequ'onnepourrajamaisfairedanssavie.Ilfauts'habitueràl'idéeque,questionvoyages,notrevieseraplutôtmonotone.-Saufencequiconcernelesvoyagesdansletemps.Jerougis,carilavaitdit«notrevie»,cequimesemblaitenquelquesortetellement...intime.-Aumoins,cen'estquejusticepourcompensercescontrôlessempiternelsetcetemprisonnement,ditGideon.Sanscesvoyagesdansletemps,ilyabellelurettequejeseraismortd'ennui.Paradoxal,maisvrai.-Etmoi, jemecontenteraisdequelques frissons enmatantde tempsen tempsunbon thriller, jet'assure.Jeregardaiavecenvieuncyclistequisefaufilaitdans lesencombrements.Jevoulaisrentrerchezmoi !Lesvoituresdevantnousnebougeaientpasd'unmillimètre, cequine semblait pasgêner lemoinsdumondenotrechauffeur,toujoursplongédanssalecture.-SitafamillevitdanslesuddelaFrance...oùhabites-tu,toi?demandai-jeàGideon.-Récemment,jemesuistrouvéunappartàChelsea.Maisjen'ysuisquepourmedoucheretdormir.Lesraresfoisoùjem'ytrouve,enfait.Il soupira. Ces trois derniers jours, il avait à l'évidence dormi aussi peu que moi. Voire moinsencore.-Sinon,dèsmesonzeans,j'aihabitéchezmononcleFalkàGreenwich.Quandmamèrearencontrémonsieur Tête-à-claques et a voulu quitter l'Angleterre, les Veilleurs n'étaient évidemment pasd'accord.Monsautd'initiationétaitprocheetj'avaisencorebeaucoupdechosesàapprendre.-Etalors,tamèret'alaisséseul?Mumn'auraitjamaiseulecœuràfaireça,j'enétaissûre.Gideonhaussalesépaules.-J'aimebienmononcle,ilesttoutàfaitsympaquandilnejouepasaugrand-maîtredelaLoge.Entoutcas,jel'appréciemillefoisplusquemonsoi-disantbeau-père.-Mais...J'hésitaiàluiposerlaquestionetjereprisenchuchotant:-Maisellenetemanquepas?Denouveau,unhaussementd'épaules.

- Jusqu'àmesquinze ans, quand jepouvais encorevoyagernormalement, j'ai toujourspassémesvacanceslà-bas.MamèrevientaussiaumoinsdeuxfoisparmoisàLondres.Officiellementpourmerendrevisite,maisen réalitéplutôtpourdépenser l'argentdeM.Bertelin.Elleaun faiblepour lesfringues,leschaussuresetlesbijouxanciens.Etaussipourlesrestaurantsmacrobiotiquesétoiles.CettefemmesemblaitvraimentêtreuneMumdelivred'images.-Ettonfrère?-Raphaël?IlestdevenuunvraiFrançais.IlappelleTête-à-claques«Papa»etilreprendraunjoursonempiredeplatine.Mêmesi,pourl'instant, toutsembleindiquerqu'iln'obtiendramêmepassonbac,cegrandparesseux.Lesfillesl'intéressentplusqueseslivres.Gideonposasonbrasderrièremoi,surledosdusiège,etmarespirationcommençaàs'accélérer.-Pourquoimeregardes-tucommeça?demanda-t-il.Jetefaisdelapeine,là?-Unpeu,dis-jesincèrement.Je pensais bien sûr au petit garçon de onze ans qui avait dû rester seul enAngleterre. Chez descachottiersquil'avaientobligéàprendredescoursd'escrimeetdeviolon.Etàjoueraupolo!-Falkn'estmêmepastononcle.Justeunparentéloigné,ajoutai-je.Derrièrenous,lesklaxonss'énervaient.Lechauffeurdetaxilevafurtivementlesyeuxetfîtavancerlavoituresansselaisserpourautantdétournerdesalecture.J'espéraisseulementquelechapitreneseraitpastroppassionnant.Gideonnesemblaitluiprêteraucuneattention.-Falkatoujoursétécommeunpèrepourmoi.Cen'estpaslapeinedemeregardercommesij'étaisDavidCopperfield,dit-ilavecunsourireencoin.-Hein?Commentça,DavidCopperfield?Gideonsoupira.-JeveuxdirelehérosduromandeDickens,paslemagicien.Aufait,est-cequeçat'arrivedelireunlivredetempsentemps?Voilà, ilétaitderetour, leGideonavecsonairsupérieur.Etma têtequivibraitdéjàde toutecetteamabilitéetcetteintimité!Étrangement,jefuspresquesoulagéederetrouvercebonvieuxsaletype.Jeprismonairleplusméprisantetm'écartaiunpeudelui.-Àvraidire,jepréfèrelalittératuremoderne.-Ahoui?réponditGideonavecunelueurd'amusementdanslesyeux.Etquoi,parexemple?IlnepouvaitpassavoirquemacousineCharlottem'avaitposérégulièrementcettequestionpendantdes années, avec la même arrogance. En fait, je lisais pas mal de choses et je l'avais toujoursrenseignée de bonne grâce.Mais commeCharlotte avait toujours rejeté avecméprismes lecturescomme«peuexigeantes»et«débilitéspour filles», j'avais finiparenavoirassezet je luiavaiscloué lebecune foispour toutes.Parfois, il fautbattre lesgensavec leurspropresarmes.Le truc,c'estdenejamaismontrerlamoindrehésitationdanslaconversationetdeglisserenpassantlenomd'unauteurdebest-seller reconnu,aumieux l'undeceuxdontonavraiment lu lebouquin.D'autrepart:pluslesnomsontuneconsonanceexotiqueetétrangère,etmieuxc'est.JelevailementonetregardaiGideondanslesyeux.- Eh bien, par exemple, j'aime bien lire George Matussek, Wally Lamb, Pjotr Selvjeniki, LiisaTikaanenen;enfait,jetrouveformidablestouslesauteursfinlandais,ilsontuntelsensparticulierde

l'humour;etpuisaussitoutdeJackAugustMerrywether,bienquesondernierm'aitunpeudéçue;évidemment aussi Helen Marundi, Tahuro Yashamato, Lawrence Delaney, et naturellementGrimphook,Tscherkowsky,Maland,Pitt...Gideonavaitl'aircomplètementahuri.Jelevailesyeuxauciel.-RudolfPitt,pasBrad.Lecoindeseslèvrestressaillitlégèrement.-MêmesijedoisdirequeNeiged'améthystenem'apaspludutout,poursuivis-jerapidement.Tropdemétaphores pompeuses, tu ne trouves pas ? En lisant, je n'arrêtais pas de penser que quelqu'und'autrel'avaitécritpourlui.-Neiged'améthyste?répétaGideonavecunfrancsourire,cettefois.Ahoui,moiaussij'aitrouvéçaterriblementpompeux.Enrevanche,L'Avalanched'ambrem'avraimentplu.Jenepusm'empêcherdesourireaussi.-Oui,avecL'Avalanched'ambre,ilavraimentméritélegrandprixautrichiendelittérature.Etquepenses-tudeTakoshiMahuro?-Sespremiersouvrages,çava,maisjetrouveunpeufatigantqu'ilressorteencoreettoujourssestraumatismes de jeunesse, dit Gideon. Parmi les auteurs japonais, je préfère plutôt YamamotoKawasakiouHarukiMurakami.Là,jerisdeboncœur.-MaisMurakamiexistevraiment!-Jesais,ditGideon.Charlottem'aoffertundeseslivres.Quandnousreparleronsdebouquins,jeluiconseilleraiNeiged'améthyste.De...c'étaitquoisonnomdéjà?-RudolfPitt.Charlotte lui avait offert un livre ?Comme... euh... c'était gentil de sapart. Il fallait déjà en avoirl'idée.Etsinon,qu'est-cequ'ilsfaisaientd'autreensemble,àpartparlerdelivres?Monenviederirem'étaitpasséed'uncoup.Commentpouvais-jed'ailleursêtretranquillementassiselààbavarderavecGideoncommesiriennes'étaitpasséentrenous?Pourtant,nousaurionseuencorequelquespetiteschosesfondamentalesàéclaircirsurlesujet.Jelefixaiduregardetprisunegrandeinspirationsanssavoirexactementcequej'allaisluidemander.Pourquoim'as-tuembrassée?-Noussommesbientôtarrivés,ditGideon.Désorientée,jejetaiunœilparlafenêtre.Ehbienoui...lechauffeuravaitapparemmentmissonlivredecôtéetreprislaconduite,etmaintenantils'apprêtaitàtournerdanslaCrownOfficeRowduquartierduTemple,oùlasociétésecrètedesVeilleursavaitsonquartiergénéral.Unpeuplustard,ilgaralavoituresurl'unedesplacesdeparkingréservées,àcôtéd'uneBentleyrutilante.-Vousêtesvraimentsûrquenouspouvonsresterici?-Pasdeproblème,luiassuraGideon.Puisildescendit.-Non,Gwendolyn,turestesdansletaxipendantquejevaischercherl'argent,dit-ilquandjevoulusle suivre. Et n'oublie pas : quoi qu'ils nous demandent, tume laisses parler. Je n'en ai pas pourlongtemps.-Lecompteurtourne,grommelalechauffeur,demauvaisehumeur.Luietmoi,nousvîmesGideondisparaîtreparmi lesvénérablesmaisonsdeTempleet jecomprisalorsqu'ilm'avaitlaisséelàengage,enattendantdepouvoirpayerlacourse.

-Voustravaillezauthéâtre?medemandalechauffeur.-Pardon?Qu'est-cequec'étaitquecetteombrequivolaitau-dessusdenous?-Jeveuxdire,àcausedevosdrôlesdecostumes.-Non,aumusée.Letoitdelavoitureémitdecurieuxgrattements.Commesiunoiseauyavaitatterri.Ungrosoiseau.-Qu'est-cequec'estqueça?-Quoidonc?demandalechauffeur.-Ondiraitqu'ilyaunecorneillesurletoitouquelquechosedecegenre,dis-je,enespérantquecesoitlecas.Évidemment,cenefutpasunecorneillequipenchalatêteverslafenêtre.MaislepetitgargouillotdeBelgravia!Envoyantmonairhorrifié,ilaffichaunsouriretriomphantsursonvisagedechatetcrachaunpaquetd'eausurlepare-brise.

Rienn'empêchel’amour;ilneconnaîtniporteniverrou.Etpénètrepartout.Ilestdetouttemps,atoujoursbattudesailesEtleferaéternellement.

MatthiasClaudius(1740-1815)

Chapitre2

-Ca te lacoupe,hein?s'écria lepetitgargouillot.Maisonne sedébarrassepas si facilementdeceuxdemonespèce.Depuismadescentedutaxi,iln'arrêtaitpasdemenoyerdeparoles.-Bon,d'accord.Écoute…Je jetainerveusementun regardvers lavoiture. J'avaisdit auchauffeurque jedevais absolumentsortirparcequejemesentaismal,etmaintenantilmefixaitd'unairméfiant,trèsétonnédemevoirparleraumur.Gideonn'étaittoujourspasenvue.-D'autrepart, je peuxvoler, dit le gargouillot endéployant ses ailes.Commeune chauve-souris.Plusvitequen'importequeltaxi.-Bon,écoute,cen'estpasparcequejepeuxtevoirque...-Voiretentendre!m'interrompitlemarmouset.Sais-tucombienc'estrare?Ladernièrequiapumevoir et m'entendre était Mme Tussaud et elle n'appréciait malheureusement pas vraiment macompagnie.Laplupartdutemps,ellem'aspergeaitd'eaubéniteenfaisantsesprières.Lapauvre,elleétaitunpeusensible.Ilroulalesyeux.-Tusaisbien,elleavutropdetêtescoupéesàParis...expliqua-t-il.Puisilcrachadenouveauunpaquetd'eau,justedevantmespieds.-Arrêteça!-Excuse!C'estjustel'énervement.Petitsouvenirdemonépoquedegouttière.J'avaispeud'espoirdem'endébarrasser,maisjevoulaisaumoinstenterlecoup.Sanslebrusquer.Jemepenchaidoncsurluipourleregarderlesyeuxdanslesyeux.-Tuescertainementunp'titgarssympa,maistunepeuxpasresteravecmoi!Mavieestdéjàassezcompliquéecommeçaet,àvraidire,lesespritsquejeconnaismesuffisentamplement.Alors,s'ilteplaît,fais-moileplaisird'allervoirailleurs.- Je ne suis pas un esprit, se vexa le gargouillot. Je suis un démon.Ou plutôt... ce qui reste d'undémon.- Où est la différence ? m'écriai-je, désespérée. Je ne devrais voir ni esprits ni démons,tucomprends?Retournedanstonéglise!- Tu ne vois pas la différence ? C'est pourtant simple ! Les esprits ne sont que des calques depersonnes décédées qui ne veulent pas quitter cemonde, pour une raison ou une autre.Maismoi,j'étaisdéjàundémonquandj'étaisenvie.Tunevastoutdemêmepasmecollerdanslemêmepanierquelesespritsordinaires.D'ailleurs,cen'estpasmonéglise.J'aimesimplementm'ypromener.Le chauffeur de taxime fixait, bouche bée. Par la fenêtre ouverte de la voiture, il entendait sansdoutetoutcequejedisais.Jemepassailamainsurlefront.

-Çam'estégal.Entoutcas,tunepeuxpasresteravecmoi.-Dequoias-tupeur?ditlegargouillotenserapprochantdemoi,latêtepenchéesurlecôté.Denosjours,onnebrûlepluscommesorcièrescellesquienvoientouensaventunpeuplusquelesautres.-Maisdenosjours,ceuxquiparlentauxesprits-et...hmm...auxdémons-seretrouventdirectchezlepsy,rétorquai-je.Tunecomprendsdoncpasque...Jem'arrêtailà.Çaneservaitàrien.Jenem'ensortiraispasparlaméthodedouce.Alors,jefronçailessourcilsetdéclarai,leplusdurementpossible:-Cen'estpasparcequej'ailapoissedepouvoirtevoirquetuasledroitdemetenircompagnie.Lemarmousetsemontratotalementimpassible.-Maistoi,tuasledroitdemetenircompagnie,bienheureusequetues...-Pourdireleschosesclairement:tumedéranges!Alors,vast'en,s'ilteplaît,m'énervai-je.-Pasd'accord!Tuleregretteraisvite.Voilàd'ailleurstonbécoteurquirevient,dit-ilenpointantleslèvresavecdesbruitsdebaiser.-Ah,laferme!m'énervai-jeenvoyantGideontournerlecoinàgrandspas.Etfiche-moilecampàjamais!Je prononçai ces derniersmots sans remuer les lèvres, comme un ventriloque.Naturellement, legargouillotn'enfutpasdutoutimpressionné.-Passurceton,jeunedemoiselle!s'amusa-t-il.Dis-toibienceci:quandonmechasseparlaporte,jereviensparlafenêtre.Gideonn'étaitpasseul.MrGeorgecouraitderrièrelui,toutessoufflé,ens'efforçantderesteràsahauteur.Pourtant,sonvisagerayonnadèsqu'ilmevit.-Gwendolyn,Dieumerci,s'écriaMrGeorgeensetamponnantlefrontavecunmouchoir.Toutvabien,mafille?-Cepetitgrossoufflecommeunelocomotive,constatalegargouillot.-Toutvabien,MrGeorge.Nousavonsjusteeuquelques...petits...problèmes.Gideon,quiétaitentraindedonnerdeuxoutroisbilletsauchauffeurdetaxi,melançaunregardd'avertissementpardessusletoitdelavoiture.-...avecletiming,ajoutai-jeàvoixbasse,ensuivantdesyeuxlechauffeurquidéboîtadesaplacedeparkingets'enalla.-Oui,Gideonm'adéjàfaitpartdecomplications,réponditMrGeorge.C'est incompréhensible, ildoit y avoir une faille dans le système, il va falloir analyser ça à fond. Et si possible revoirl'ensemble.Maisleprincipal,c'estqu'ilnevoussoitrienarrivé.MrGeorgem'offritsonbras,cequiavaitplutôtl'airétrange,étantdonnéqu'ilfaisaitunedemi-têtedemoinsquemoi.-Allez,viens,mafille,dit-ilenm'entraînant,ilnousresteencorequelquespetiteschosesàfaire.-Enfait,jevoulaisrentrerchezmoileplusvitepossible,dis-je.Lemarmousetgrimpalelongd'untuyauetsesuspenditau-dessusdenousàlagouttièredutoitenchantantàtue-têteFriendswillbefriends.

-Oh,oui,certainement,réponditMrGeorge.Maisaujourd'hui,tun'esrestéequetroisheuresdanslepassé.Pourêtretoutàfaittranquilledemainaprès-midi,ilfautquetuélapsesencorequelquesheuresmaintenant. Ne t'inquiète pas, rien de fatigant. Dans une cave confortable où tu pourras faire tesdevoirs.-Mais...Mumm'attendetsefaitcertainementdusouci!Deplus,onétaitmercredietc'étaitlejourdupoulet-frites.Sansparlerdelabaignoireetdemonlitquin'attendaientquemoi!Dansunetellesituation,vouloirm'ennuyerencoreavecdesdevoirsétaittoutdemêmeunpeufort!Il fallaitquequelqu'unmesigneunmotd'excuse.CommeGwendolynparticipeencemomentàdesmissionsimportantesdevoyagesdansletemps,ilfaudraitéviteràl'avenirdeluidonnerdesdevoirs.Là-haut, sur le toit, le gargouillot chantait toujours en braillant et l'envie me démangeait de lereprendre.GrâceàSingstaretauxaprès-mididekaraokéchezmonamieLeslie,jeconnaissaistousles textes sur le bout des doigts, même ceux deQueen, et je savais pertinemment qu'il n'était pasquestiondecornichondanscettechanson.-Deuxheuressuffiront,déclaraGideon,quimarchaitdenouveaud'unsigrandpasqueMrGeorgeetmoiavionsdumalàlesuivre.Ensuite,ellepourraretournerchezelleetsecoucher.Jedétestaisquel'onparledemoiàlatroisièmepersonneenmaprésence.-Oui,etelles'enréjouitdéjà,ironisai-je.Carelleestvraimenttrèsfatiguée.-Nousallonsappelertamèreetluiexpliquerquetuserasàlamaisonà10heuresauplustard,ditMrGeorge.Dix heures ?Adieu, poulet rôti. A coup sûr,ma part serait depuis longtemps engloutie parmongoinfredepetitfrère.-«When you're throughwith this life and all hope is lost », chanta le gargouillot en se laissantdescendre,moitiévolant,moitiécramponnéaumurdebriques,pouratterrirgracieusementàcôtédemoi,surlepavé.- Nous prétendrons que tu as encore cours, ajouta Mr George, plus pour lui que pour moi. Ilvaudraitmieuxneriendire.Était-cedelasollicitudeouvoulait-ilsimplementsedébarrasserdemoi?-Oui,mais...peut-êtreaussiquej'aimeraisbienprendremontemps,yas-tuseulementpensé?J'aiuntasdequestionsàposeretj'enaiassezdenepasavoirderéponses.Gideonralentitlégèrementsonallure.-Detoutefaçon,personneneterépondrait...Aujourd'hui,ilsveulentseulementsavoircommentilsefait que Paul et Lucy étaient prévenus de notre arrivée. Etmalheureusement, sur ce coup-là, tu esencorenotresuspectenuméroun.Cenotremedonnauncoupaucœur,cequim'abattitplutôt.-Jesuislaseuleàneriensavoirdetoutça!Gideonsoupira.-J'aipourtantdéjàessayédetel'expliquer.Pourlemoment,ilestpossiblequetusoiscomplètementignorante et... innocente, mais personne ne sait ce que tu vas faire dans le futur. N'oublie pas, tupourrastoujoursvoyagerdanslepasséettupourraistrèsbieninformerLucyetPauldenotrevisite.Ilréfléchitunmomentavantderectifier:

-Euh...tuauraispulesinformer.Jelevailesyeuxauciel.-Maistoiaussi!Etd'ailleurs...pourquoiserait-cejustementl'undenousdeux?MargretTilneynepourrait-ellepaselle-mêmese laisserunmessagedans lepassé?Ou lesVeilleurs?Uspourraientdonnerunelettreàl'undesvoyageursden'importequelleépoqueversn'importequelleépoque...-Eh? fit legargouillotquivolaitmaintenantau-dessusdenous.Quelqu'unpeut-ilm'expliquercequevousracontez?Jen'ycomprendsquecouic.-Ilyacertainementtoutessortesd'explicationspossibles,ditGideonenralentissantencore lepas.Maisaujourd'hui,ilm'asembléqueLucyetPault'avaient...disons...impressionnée.Ils'arrêta,lâchamonbrasetmeregardagravement.-Tuleurauraisparlé,ajouta-t-il.Tuauraisécoutéleurtissudemensonges,etsijen'avaispasétélà,tuleurauraispeut-êtremêmedonnéspontanémenttonsangpourlechronographevolé.-Non,cen'estpasvrai!rétorquai-je.Maisj'auraisvraimentaimélesentendre.Ilsnem'ontpasfaitsimauvaiseimpression.Gideonhochalatête.-Tuvois,c'estbiencequejevoulaisdire.Gwendolyn,cesgensontl'intentiondebriserunsecretquia été gardé durant des siècles. Ils cherchent à obtenir quelque chose. Et c'est pour cela qu'ils ontbesoindenotresang.Jesuissûrqu'ilsnereculerontdevantrienpourarriveràleursfins.Ilseretiradufrontquelquesbouclesbrunesetjeretinsinstinctivementmonsouffle.MonDieu,qu'ilétaitbeau!Cesyeuxverts,lafinelignedeseslèvres,sonteintpâle...toutenluiétaittoutsimplementparfait.Deplus,ilsentaitsibonquependantunesecondejecaressail'idéedeposermatêtesursapoitrine.Maisnaturellement,jenelefispas.-Tuaspeut-êtreoubliéquenousaussi,nousvoulionsleursang.Etc'esttoiquiasappuyéunpistoletsurlatempedeLucy,etpaslecontraire,dis-je.Ellen'étaitpasarmée.UneridedecolèresecreusasurlefrontdeGideon.-Gwendolyn,jet'enprie,nesoispassistupide!Nousavons—onsedemandebiencomment-étéattirésdansunguet-apens.LucyetPauldisposaientderenforts,ilsétaientaumoinsàquatrecontreun!-Deux!m'écriai-je.J'étaislàaussi!-Cinq,sioncompteladyTilney.Sansmonpistolet,nousserionsprobablementmortsàl'heurequ'ilest. Du moins, ils auraient pu nous prélever du sang, car c'était bien leur intention. Et toi, tuvoulaisparleraveceux?Jememordislalèvre.-Ehoh!ditlegargouillot.Personnenepenseàmoiici?Jesuiscomplètementdanslecirage,avectoutesvoshistoires.-Jeconçoistontrouble,ditGideond'unevoixradoucie,maisd'unecondescendanceévidente.Cesderniersjours,tuasvécutropdechosesnouvelles.Tun'yétaisabsolumentpaspréparée.Commentpourrais-tualorscomprendredequoiilretourne?Cequ'iltefautmaintenant,c'estrentrercheztoiettemettreaulit.Alors,réglonstoutçaauplusvite.Ilmepritdenouveauparlebrasetm'entraînaplusloinenajoutant:-C'estmoiquiparleraiettuconfirmerasmesdires,d'accord?

-Oui,çafaitdéjàaumoinsvingtfoisquetumelerépètes!m'énervai-je,avantdemeplanterdevantuneplaqueenlaitonportant l'inscriptionLadies.Vousn'avezqu'àcommencersansmoi.J'aibesoind'allerauxtoilettesdepuislemoisdejuin1912.Gideonmelibéra.-Turetrouverastouteseulelechemind'enhaut?-Évidemment,luiassurai-je.Enfait,jen'étaispastoutàfaitcertainedepouvoirmefieràmonsensdel'orientation.Cettemaisonavaittropdecouloirs,d'escaliers,derecoinsetdeportes.- Très bien ! dit le gargouillot. Nous voici débarrassés de ce jeune chevrier.Maintenant, tu vaspouvoirm'expliquercequisepasseexactementici!J'attendis queGideon ait tourné le coin suivant, puis j'ouvris la porte des toilettes et ordonnai augargouillot:-Allez,entrelà-dedans!-Quoi?répondit-ilenmejetantunregardfroissé.DanslesWC?Ehbien,jetrouveçaunpeu...-Jemefichedecequetupenses.Iln'yaguèred'endroitsoùl'onpuissediscutertranquillementavecdesdémonsetjeneveuxpascourirlerisqued'êtreentendue!Allez,maintenant!Legargouillotsepinçalenezetmesuivitdanslestoilettesàcontrecœur.Cetendroitnesentaitquefaiblementlesdésinfectantsetlecitron.Jejetaiuncoupd'œilàlacabine.Personne.-Bon,écoute-moi!Jesaisquej'auraidumalàmedébarrasserdetoi,maissituveuxresteràmescôtés,ilvafalloirt'enteniràquelquesrègles,c'estclair?-Nepas se fourrer les doigts dans le nez, ne pas dire de grosmots, ne pas effrayer les chiens...débitalegargouillot.-Hein?Non,cequejevoudrais,c'estquetunet'introduisespasdansmasphèreprivée.Jeveuxêtreseule la nuit et dansma salle de bains et, s'il arrivait que quelqu'unm'embrasse encore, dis-je enravalantmasalive,j'aimeraismieuxnepasavoirdespectateur,c'estclair?- Tsss ! fit le gargouillot. Dire qu'il faut entendre ça dans la bouche de quelqu'un qui vient dem'entraînerdanslesWC!-Alors,noussommesd'accord?Turespecterasmasphèreprivée?-Loindemoil'idéedeteregardertedoucherou-beurk,Dieum'engarde!-entraind'embrasserquelqu'un, déclara le gargouillot.Tu n'as rien à craindre de ce côté-là.Et en général, je trouve çaaussiplutôtennuyeuxd'observerlesgensquidorment.Çaronfle...çabave...etjepréfèrenepasparlerdureste...—Deplus,tudevrastetairequandjeseraiaulycéeouquejeparleraiavecquelqu'un...et,s'ilteplaît:situnepeuxpast'empêcherdechanter,alorsfais-leenmonabsence!—Jesaisaussitrèsbienimiterunetrompetteouuncordeposte,m'informalegargouillot.Tuasunchien?-Non.J'inspiraiungrandcoup.Aveccegaillard-là,ilmefaudraitdesnerfsd'acier.—Tunepourraispast'enprocurerun?Alarigueur,unchatiraitaussi,maisjen'aimepastropleur

arroganceetilsneselaissentpasfacilementagacer.Certainsoiseauxpeuventaussimevoir.Tuasunoiseau?—Magrand-mèrene supportepas les animaux,dis-je en réprimant l'envied'ajouterqu'elle avaitsansdouteaussiunedentcontrelesanimauxinvisibles.D'accord,alorsreprenonstoutaudébut:jem'appelleGwendolynShepherd.Contentedeteconnaître.—Xemerius,répliqualegargouillot,lagueulerayonnante.Ravi!dit-ilengrimpantsurlelavaboetenmeregardantdansleblancdesyeux.Vraiment!Très,trèsravi!Tum'achèterasunchat?—Non,etmaintenantsorsd'ici,j'aiunbesoinpressant!-Oups!Xemerius se hâta de traverser la porte fermée, et je l'entendis de nouveau chanter dans lecouloirFriendswillbefriends.Jepristoutmontempsdanslestoilettes.Jemelavaiconsciencieusementlesmainsetm'aspergeailevisage d'eau froide, dans l'espoir de retrouver des idées claires. Mais sans parvenir à stopper lemanègeinfernaldespenséesquitournaientdansmatête.Danslemiroir,oneûtditquedescorneillesavaient fait leur nid dans ma coiffure. Je tentai de lisser mes cheveux avec mes doigts et demeremonterlemoral.ToutcommemonamieLesliel'auraitfaitsielleavaitétélà.- « Allez, c'est juste l'affaire de quelques heures, Gwendolyn. Et puis, pour quelqu'un qui est sihorriblementfatiguéetquial'estomacvide,tun'aspassimauvaisemine.»Monvisagedanslemiroirmeregardaitavecdegrandsyeuxréprobateursombrésdenoir.-«Bon,d'accord!Tuasvraimentunemineatroce.Maisàvraidire,onaconnupire.Rappelle-toi,quandtuaseulavaricelle.Alors,hautlescœurs!Tuvaslefaire!»Dehors,Xemeriuss'étaitsuspenduàunlustrecommeunechauve-souris.-Çaficheunpeuleschocottesici,dit-il.Jeviensdevoirpasseruntempliermanchot,tuleconnais?-Non,dis-je.Dieumerci!Viens,ilfautquej'aillepar-là.-Tum'expliquerascetrucdesvoyagesdansletemps?-Jen'ycomprendsrienmoi-même.-Tum'achèterasunchat?-Non.-Maismoi, je sais où on peut en avoir un gratis.OhEh ! II y aquelqu'undans cette armure dechevalier.Jejetaiunregardendouceversl'armure.Etilmesemblavraimentvoirdesyeuxbrillerderrièrelavisière fermée. C'était lamême statue de chevalier que j'avais effrontément tapotée sur l'épaule laveille,encroyantnaturellementqu'ilnes'agissaitqued'unélémentdedécoration.Laveillemesemblaitremonteràdesannées.Devant la salle duDragon, je tombai surMrs Jenkins, la secrétaire.Elle portait unplateau etmeremerciadeluitenirlaporte.-Pourcommencer,duthéetdesbiscuits,mapoulette,dit-elleavecunsourired'excuse.MrsMalloryest repartiechezelledepuis longtempset jevaisallervoirdans lacuisineceque jepourraisvousfaireàmanger,mespauvresenfants.

J'approuvai poliment,mais j'étais sûre qu'avec un petit effort on aurait pu entendremon estomacgrogner:«PassedoncplutôtunecommandechezleChinois!»Dans la salle, on nous attendait déjà : Falk, l'oncle de Gideon, qui, avec ses yeux d'ambre et sacrinière grise, me faisait toujours penser à un loup ; le docteurWhite, toujours aussi raide et leregardcourroucé,danssoncostumeéternellementnoiret,àmagrandesurprise,MrWhitman,aliasl'Écureuil,mon prof d'anglais et d'histoire.Du coup, jeme sentis doublementmal et jememis àtripoternerveusementlerubanbleucieldemarobe.Cematin,MrWhitmannousavaitsurprises,monamie Leslie et moi, en train de sécher les cours et nous avait passé un savon. De plus, il avaitconfisquétouteslesrecherchesdeLeslie.Jusqu'ici,nousn'avionsfaitquesupposersonappartenanceauCercleintérieurdesVeilleurs,maislànotrehypothèsesetrouvaitofficiellementconfirmée.-Ah,tevoici,Gwendolyn,ditamicalementFalkdeVilliers,maissansaucunsourire.Ilmeparutmériter unbon rasage,mais il faisait peut-êtrepartie de ceshommesqui se rasent lematinetquiontlesoirunebarbedetroisjours.C'étaitsansdoutedûauxombressombresautourdesabouche,entoutcasilavaitl'airnettementplustenduetsoucieuxquelaveilleoumêmeencoreàmidi.Unloupdominantnerveux.En tout cas, Mr Whitman me fit un clin d'œil et le docteur White grogna quelque chosed'incompréhensibled'oùressortaientlesmots«femmes»et«ponctualité».ÀcôtédudocteurWhitesetrouvaitcommetoujoursRobert, lepetitespritblondinet,quisemblaitêtreleseulàseréjouirdemevoir,carilmefitunsourirerayonnant.RobertétaitlefilsdudocteurWhite ; il s'était noyé à l'âge de sept ans dans une piscine et, depuis, suivait son père comme sonombre. Naturellement, j'étais la seule à le voir, et parce que le docteurWhite était toujours là, jen'avais pas encore réussi à mener une conversation sérieuse avec Robert, histoire de savoir parexemplepourquoiilcontinuaitàhanterlaTerre.Les bras croisés,Gideon était adossé à l'un desmurs ornés de sculptures. Son regard ne fit quem'effleurerpours'arrêterensuitesurlesbiscuitsqueMrsJenkinsapportaitsurunplateau.J'espéraisquesonestomacgrognaitaussifortquelemien.Xemeriuss'étaitglissédevantmoietinspectaitl'ensembled'unairapprobateur.-Tonnerre!s'exclama-t-il.Pasmal,laboutique!Il fit tout le tour en admirant les sculptures que je neme lassais pas non plus de contempler. Enparticulierlasirènequinageaitau-dessusducanapé.Chacunedesesécaillesétaitfinementtravailléeet ses nageoires luisaient dans des tons de bleu turquoise. La salle du Dragon devait son nom àl'énormemonstrequiserpentaitentreleslustresetquiparaissaitvraiaupointdepouvoirdépliersesailesàtoutinstantetdes'envoler.SousleregarddeXemerius,lepetitespritouvritdegrandsyeuxstupéfaitsetsecachaderrièrelesjambesdudocteurWhite.Jeluiauraisbiendit:«N'aiepaspeur,ilveutseulementjouer»,maisparlerd'undémonàunesprit,quandlapièceestpleinedegensquinevoientnil'unnil'autre,n'étaitpasvraimentrecommandé.-Bon,jevaisessayerdetrouverquelquechoseàmangerdanslacuisine,ditMrsJenkins.-Etdansquelleintention,ajoutai-je.Gideonfronçaaussitôtlessourcils.-L'intentionest claire commede l'eaude roche,déclara-t-il. Ilsontbesoindenotre sangpour lecollecterdanslechronographevolé.C'estpourquoiilsavaientaussiamenédurenfort.

-Votrevisiten'estconsignéenullepartdanslesAnnales,remarquaMrGeorge.Pourtant,vousavezétéencontactavecaumoinstroisVeilleurs,sansparlerdesgardespostésenhautdesescaliers.Vousvoussouvenezdeleursnoms?-C'estlepremiersecrétairequinousareçusenpersonne,réponditGideon,écartantuneboucledesonfront.Burghes,ouquelquechosecommeça.IlnousaexpliquéquelesfrèresJonathanetTimothydeVilliersétaientattendusendébutdesoiréepourélapser,tandisqueladyTilneyl'avaitdéjàfaitaupetitmatin.EtunhommedunomdeWinsleynousaconduitsàBelgraviaencalèche.Ildevaitnousattendredevantlaporte,maisquandnoussommessortisdelamaison,lacalècheavaitdisparu.Nousavonsdûfuiràpiedetnouscacherenattendantderessauterdansletemps.Jeme sentis rougir à l'évocationde notre cachette. Jemepenchai vite pour prendre unbiscuit etdissimulermonvisagederrièremescheveux.-Ce jour-là, le rapportaété faitparunVeilleurduCercle intérieur,uncertainFrankMine. Ilnecomporte que quelques lignes, d'abord sur la météo, puis sur une marche de protestation dessuffragettesdans laCityetony litaussique ladyTilneyestarrivéeà l'heurepourélapser.Aucunemention d'incidents particuliers. Les jumeaux deVilliers ne sont pas cités. Dans ces années-là, ilsfaisaientpourtantpartieduCercleintérieur.MrGeorgesoupiraenrefermantledossier.-Trèsétrange,conclut-il.Toutcelaindiqueraituncomplotdansnospropresrangs.-Mais ça n'explique pas comment Lucy et Paul savaient que vous apparaîtriez à ce jour et à cemomentprécischezladyTilney,objectaMrWhitman.-Pouh!s'énervaXemeriusdepuislecanapé.Çafaitunpeutropdenoms,toutça.C'estàvousfilerletournis!-C'estpourtantsimple,ditledocteurWhiteenposantdenouveausesyeuxsurmoi.Tout le monde ici avait le regard pensif et sombre, y compris moi. Je n'avais rien fait, maismanifestementilspensaienttousquedanslefuturjefiniraisparressentirlebesoinderévéleràLucyetPaul l'instant denotre visite chez ladyTilney... pour je ne sais quelle raison.Tout cela était forttroublantetplusj'yréfléchissais,plusçameparaissaitillogique.Etsoudain,jemesentistrèsseule.-Vousm'aveztousl'airplutôtzarbis,ditXemeriusensautantducanapépoursesuspendrelatêteenbasàl'undesénormeslustres.Desvoyagesdansletemps...hein?Nousautres,nousavonspourtantdéjàvupasmaldechoses,maisjen'aiencorejamaisentenduuntrucpareil!-Ilyaunechosequejenecomprendspas,remarquai-je.Pourquoivousattendiez-vousàcequ'ilyaitquelquechosed'écritsurnousdanscesAnnales,MrGeorge?Jeveuxdire,s'ils'ytrouvaitquoiquecesoit,vousl'auriezvuavantetvousauriezsuquenousallionspartirlà-bascejour-làetcequenousallionsvivre.Oubienest-cecommedanscefilmavecAshtonKutcher?Chaquefoisquel'undenousrevientdupassé,toutlefuturaaussichangé?-C'estunequestionintéressanteethautementphilosophique,réponditMrWhitmancommesinousnoustrouvionsàsoncours.Jeneconnaispascefilmdonttuparles,maisilestvraique-selonleslois de la logique - le moindre changement dans le passé peut avoir une extrême influence surl'avenir.IlyaunenouvelledeRayBradburyqui...-Peut-êtreallons-nous repoussercettediscussionphilosophiqueàplus tard, l’interrompitFalkdeVilliers.Pourlemoment,j'aimeraisvousentendremeraconterendétailceguet-apensdanslamaison

deladyTilneyetcommentvousavezréussiàvousenfuir.JelorgnaiversGideon.Àluidedébitersaversionsanspistolet.Jeprisencoreunbiscuit.-Nousavonseude la chance, commençaGideonsans sedépartirde soncalme. J'ai toutde suiteremarquéquequelque chose clochait.LadyTilneyne semblait pas lemoinsdumonde surprisedenousvoir.LatableétaitmiseetquandPauletLucyontfaitleurapparitionetquelemajordomes'estplantédevant laporte,Gwendolynetmoiavonsfilépar lapiècevoisineet l'escalierdeservice.Lacalècheavaitdisparu,alorsnousavonscouru.Il ne semblait pas avoir trop de mal à mentir. Pas de rougeur traîtresse, pas de battement depaupières, le regard droit, la voix bien ferme. Pourtant, je trouvai qu'il manquait à sa version del'histoirelepetitquelquechosequilarendraitcrédible.-Curieux,remarqualedocteurWhite.Sileguet-apenseutétébienpréparé,ilseussentétéarméseteussentfaitensortedenepasvouslaisserfuir.- J'ai la tête à l'envers, dit Xemerius depuis le lustre. Je déteste ces formes verbales hypercompliquéesquimêlentl'indicatifetlesubjonctif.JejetaiunregardattentifàGideon.Maintenant,ilfallaitqu'ilinventequelquechoses'ilvoulaits'enteniràsaversionsanspistolet.-Jecroisquenouslesavonstoutsimplementprisdecourt,dit-il.-Hmm,fitFalk.Lesautresnesemblaientguèreplusconvaincus.Riend'étonnant!Gideonavaitratésoncoup.Quitteàmentir,ilfallaitrajouterpleindedétailstroublantsquin'intéressaientpersonne.-Nousavonsvraimentétésuperrapides,m'empressai-jededire.L'escalierdeserviceétaitcirédefrais,j'aifaillimeretrouverlesquatrefersenl'air,enfaitj'aiplusglissésurlesmarchesquejenelesaidescendues.Sijenem'étaispastenueàlarampe,jeseraismaintenantaulit,en1912,aveclanuquebrisée.Quesepasse-t-ilexactementsionmeurtdanslepassé?Est-cequelecorpsmortrevienttoutseulparunsautdansletemps?Bon,entoutcas,nousavonseuunesacréeveinequelaportedubassoitouverte,parcequ'unedomestiqueentraitjustementavecsonpanieraubras.Unegrosseblonde.Un peu plus et Gideon la renversait, il y avait des œufs dans le panier, ça aurait fait une sacréecochonnerie.Maisnoussommespassésprèsd'elleencourantetnousavonsfiléàtoutevitessedanslarue.J'aiuneampouleàl'orteil.Gideons'étaitradosséàsachaiseetilavaitcroisélesbras.Jenepusinterprétersonregard,maisilnemontraitniapprobationnireconnaissance.-Laprochainefois,jemettraidestennis,ajoutai-jedanslesilencegénéral.Suiteàquoi,jeprisencoreunbiscuit.Apparemment,j'étaislaseuleàenprendre.-J'aiunethéorie,ditlentementMrWhitmantoutentripotantlabagueàsceaudesamaindroite.Etplusj'yréfléchis,plusjesuiscertaind'êtredanslevrai.Si...-Çam'ennuiedelerépéterencore,maisellenedevraitpasassisteràcettediscussion,ditGideon.Monpincementaucœurempira.Cettefois,jen'étaispasseulementblessée,maisfurieuse.-Ilaraison,approuvaledocteurWhite.C'estdelapureinconsciencedelalaisserprendrepartànosréflexions.-MaisnousavonsbesoindesdéclarationsdeGwendolyn,objectaMrGeorge.Lemoindresouvenir

d'unvêtement, deparolesprononcéesoud'une apparenceextérieurepourrait nous livrerun indicedécisifsurletempsdebasedeLucyetdePaul.- Elle saura encore tout ça demain ou après-demain, remarqua Falk de Villiers. Je pense que lemieuxseraitquetul'emmènesenbaspourélapser,Thomas.MrGeorgecroisalesbrassursagrossebedaineetsetut.- C'est moiqui vais aller dans... au chronographe et contrôler le voyage dans le temps, dit MrWhitmanenrepoussantsachaise.-Bien, acquiesça Falk.Deux heures seront amplement suffisantes.Un adepte pourra attendre sonretour.Nousavonsbesoindetoiici.JejetaiunregardinterrogateuràMrGeorge.Ilnefitquehausserlesépaulesd'unairrésigné.-Viens,Gwendolyn,m'invitaMrWhitmanquis'étaitdéjàlevéd'unbond.Plusviteceserafini,plustôt tu seras au lit, comme ça au moins tu pourras de nouveau bien participer en classe. Je suisd'ailleursimpatientdeliretadissertationsurShakespeare.MonDieu!Non,maisqueltoupet!Cen'étaitvraimentpaslemomentdemeparlerdeShakespeare!Je faillis protester,mais jeme ravisai.Dans le fond, je n'avais plus envied'écouter cebavardageidiot.Jevoulaisrentrerchezmoietoubliertoutesceshistoiresdevoyagesdansletemps,ycomprisGideon.Libreàeuxdetourneretderetournerdanstouslessensdessecretsdansleursalledébile,jusqu'à en tomber de fatigue ! C'est ce que je souhaitais particulièrement à Gideon. Avec descauchemarscarabinésenprime!Xemeriusavaitraison:ilsétaienttouszarbislLeplusbête,c'estquejenepusm'empêchertoutdemêmedelorgnerversGideonenpensantuntructordudugenre:S'ilmesourit,jeluipardonnetout.Cequ'ilnefitnaturellementpas.Enrevanche,ilposasurmoiunregardinexpressif:impossiblededirecequisepassaitdanssatête.Unmoment,lesouvenirdenotrebaisermeparutsetrouverdansunlointainsans fin,etpour jenesaisquelle raison je repensaisoudainàcetadagequeCynthiaDale,notreoracledel'amourenclasse,aimaitàciter:«Yeuxverts,naturefroide,nulletraced'amour...»-Bonnenuit,dis-jedignement.-Bonnenuit,marmonnèrent-ilstous.Avraidire,tous,saufGideonquisecontentaderépondre:-N'oubliezpasdeluibanderlesyeux,MrWhitman.MrGeorge renifla d'irritation et tandis queMrWhitman ouvrait la porte etme poussait dans lecouloir,jel'entendisdire:-Avez-vouspenséquec'estjustementnotrecomportementdiscriminatoirequipourraitamenerleschosesàsepassercommeellessepasseront?Dans le bruit que fit la lourde porte en se refermant, je n'entendis pas si quelqu'un répondit.Xemeriussegrattaitlatêteavecleboutdesaqueue.-C'estvraimentleclublepluscrassequej'aiejamaisvu!-Neprendspasçatropàcœur,Gwendolyn,ditMrWhitmanensortantunfoulardnoirdesavesteetenmeletenantsouslenez.Ilsetrouvequetueslanouvellevenuedanscejeu.Lagrandeinconnuedansl'équation.Quepouvais-jerépondre?Pourmoi, toutcelaétait tellementnouveau!Troisjoursplustôt, jene

savaisriendel'existencedesVeilleurs.Mavieétaitencoretoutàfaitnormale.Bon,plusoumoins.-MrWhitman,avantdemebander lesyeux...vouspourriezpeut-êtrepasserprendremesaffairesdansl'atelierdeMmeRossini?J'yailaissédeuxtenuesd'uniformeetilmefautquelquechosepourm'habillerdemain.Etpuis,moncartables'ytrouveaussi.-Maisbiensûr,ditMrWhitman,déjàpartienfaisanttournoyergaiementlefoulard.Tupeuxdéjàcommencerà techanger, tune rencontreraspersonnependant tonvoyagedans le temps.Enquelleannéedevons-noust'envoyer?-Aucuneimportance,sic'estpourmeretrouverenferméedansunecave.-Ehbien,cedoitêtreuneannéeoùtupourrasatterrirsansproblèmedans,euh...danscettecave,enétant sûre de n'y trouver personne. A partir de 1945, cela ne devrait pas présenter de problème -auparavant, ces espacesont servi d'abris anti-aériens. Que dirais-tu de 1974 ? C'est l'année demanaissance,unebonneannée,dit-ilenriant.Oualors,le30juin1966.Lejouroùl'Angleterreagagnécontrel'AllemagnelafinaleduMondial.Maislefootnet'intéressepasvraiment,n'est-cepas?- Surtout pas si je suis enfermée vingtmètres sous terre dans un trou sans fenêtres, répliquai-je,fatiguée.-Maistoutcela,c'estpourteprotéger,soupiraMrWhitman.-Eh,uninstant!intervintXemerius,quivoletaitprèsdemoi.Jesuisencoreperduavectoutça.Est-ceàdirequetuvasgrimperdansunemachineetvoyagerdanslepassé?-Exact,répondis-je.-Alors,prenonsplutôt l'année1948!s'écriaMrWhitmand'unairréjoui.Jeuxolympiquesd'étéàLondres.Commeilmeprécédait,ilneputmevoirleverlesyeuxenl'air.-Voyagesdansletemps!Tsss!Ehbien,onpeutdirequejemesuisfaitlàunesacréeconquête!ditXemerius.Etpourlapremièrefois,jecruspercevoirdanssavoixunesortederespect.La pièce du chronographe se trouvait aux fins fonds de la Terre et même si l'on ne m'y avaitemmenéeetnem'enavait ressortiequ'avec lesyeuxbandés, jem'imaginaispouvoir lasitueràpeuprès.Ne serait-ce queparceque j'en étais déjà sortie sansbandeau, deux fois, en1912 et en1782.Tandisquejesuivaislescouloirsetlesescaliersàpartirdel'atelierdecouturedeMmeRossini, lechemin me paraissait déjà familier, mais il me sembla tout de même qu'à la finMrWhitman fitencoreundétourspécialementdestinéàm'embrouiller.-Onpeutdirequ'ilrendçapassionnant,ditXemerius.Maispourquoiont-ilscachécettemachineàremonterletempsdansuneobscureoubliette?J'entendis Mr Whitman parler avec quelqu'un, puis une lourde porte s'ouvrit, se referma et MrWhitmanmeretiralefoulard.Jeclignaidesyeuxàlalumière.AcôtédeMrWhitmansetenaitunjeunehommerouxencostumenoir, apparemment nerveux et transpirant d'excitation. Je me retournai vers Xemerius qui, pours'amuser,passaitjustementlatêteparlaportefermée.-C'estlapremièrefoisquejevoisdesmurspareils,dit-ilenréapparaissant.Ilssontsiépaisqu'onpourraitbienyavoiremmuréunéléphant...etentravers,situvoiscequejeveuxdire.

-Gwendolyn,voiciMrMarley,adeptedepremiergrade,m'annonçaMrWhitman.Ilvat'attendreicijusqu'àtonretouretteraccompagneraenhaut.MrMarley,voiciGwendolynShepherd,leRubis.-Trèshonoré,miss,ditlerouquinavecunepetitecourbette.Jeluifisunsouriregêné.-Euh...oui,enchantée,moiaussi.MrWhitman entreprit de s'occuper d'un coffre de sécurité dernier cri, à écran clignotant, que jen'avaispasremarquélorsdemesdeuxprécédentspassagesdanscettepièce.Ilétaitdissimuléderrièreunetapisseriebrodéedescènesmédiévales.Deschevaliersavecchevauxetcasquesàpanacheetdejeuneschâtelainescoifféesdehenninsadmiraientvisiblementunjeunehommeàmoitiénuquiavaitterrassé un dragon. Quand Mr Whitman entra la suite de chiffres, le rouquin Mr Marley baissadiscrètement les yeux,mais on ne pouvait rien voir étant donné que le large dos deMrWhitmancachait l'écran. La porte du coffre s'ouvrit doucement et MrWhitman en sortit le chronographe,enveloppédansunveloursrouge,etleposasurlatable.Desurprise,MrMarleys'arrêtaderespirer.-MrMarleydécouvreaujourd'huilafaçond'utiliserlechronographe,m'informaMrWhitmanavecunclind'œil.Ilmedésignadumentonunelampedepocheposéesurlatable.-Prends-la,medit-il,aucasoùl'électricitéposeraitdesproblèmes.Commeça,tun'auraspaspeurdanslenoir.-Merci.J'hésitai à lui demander enplus un insecticide, car ce genredevieille cavedevait regorger aussid'araignées...etderats?Cen'étaitpassympadem'envoyerlà-bastouteseule.-Vouspourriezmedonneraussiungourdin?-Ungourdin?Gwendolyn,tunerencontreraspersonnelà-bas.-Maisilyapeut-êtredesrats...- Les rats auront plus peur de toi que le contraire, crois-moi, dit Mr Whitman en déballant lechronographe.Impressionnant,n'est-cepas,MrMarley?-Oui,sir,trèsimpressionnant.MrMarleyinspectarespectueusementl'appareil.-Lèche-cul!s'écriaXemerius.Lesrouquinssonttoujoursdeslèche-bottes.Tunetrouvespas?- Jem'imaginais ça plus grand, dis-je. Et je n'aurais jamais pensé qu'unemachine à remonter letempspuisseautantressembleràunehorlogedecheminée.Xemeriussifflaentresesdents.-Mazette!C'estdelaquincailleriedepremière!Sicesclinquantssontvrais,jen'hésiteraispasnonplusàcollerçadansuncoffre.Le chronographe était réellement serti de pierres d'une grosseur impressionnante qui, parmi lessurfacespeintesetgravéesdecetétrangeappareil,scintillaientcommelesjoyauxdelaCouronne.-Gwendolynachoisil'année1948,ditMrWhitmantoutenouvrantdesclapetsetenactionnantdeminusculesengrenages.VoussavezcequiaeulieuàcettedateàLondres,MrMarley?

-LesJeuxolympiquesd'été,sir,réponditMrMarley.-Prétentieux!ditXemerius.Lesrouquinssonttousdesprétentieux.-Trèsbien,notaMrWhitmanenseredressant.Gwendolynvaatterrirle12aoûtàmidietpasseralà-bascentvingtminutesprécisément.Es-tuprête,Gwendolyn?Jeravalaimasalive.-J'aimeraisencoresavoir...Êtes-vousvraimentsûrquejenerencontreraipersonne?Misàpartlesratsetlesaraignées.MrGeorgem'adonnésabaguepourqu'onnemefasserien...-Ladernièrefois,tuassautédanslasallededocumentation,quiatoujoursétéàtouteslesépoquesunendroittrèsfréquenté.Maiscettepièce-ciestvide.Siturestestranquilleetquetunebougespas-l'endroit sera de toute façon fermé à clé -, tu ne rencontreras personne. Dans les années d'après-guerre,onararementpénétrédanscettepartiedescaves.Onétaittropoccupéàdesreconstructionsensurface.MrWhitmansoupira.-Uneépoquepassionnante...ajouta-t-il.-Maissiquelqu'unentraittoutdemêmeparhasardjusteàcemoment-làetmevoyait?Jedevraisaumoinsconnaîtrelemotdepassedujour.MrWhitmanlevadessourcilslégèrementirrités.-Personnen'entrera,Gwendolyn.Encoreunefois:tuvasatterrirdansunespacefermé,yséjournercentvingtminutesetrevenirensuitesansquepersonnedel'année1948ensacherien.Sinon,onauraittrouvémentiondetavisitedanslesAnnales.D'autrepart,nousn'avonspasletempsd'allerrechercherlemotdepassedecettejournée.-L'essentielestdeparticiper,dittimidementMrMarley.-Pardon?-La devise des Jeux olympiques étaitL'essentiel est de participer, répétaMrMarley en fixant leplancherd'unairgêné.Jel'airetenu,parcequed'habitudelesmotsdepassesonttoujoursenlatin.XemeriuslevalesyeuxauplafondetMrWhitmanmesemblaprêtàfairelamêmechose.-Ah,ah!Ehbien,Gwendolyn,tuasentendu?Nonpasquetuenaiesbesoin,maissiçatepermetdetesentirmieux...Tuveuxbienvenirmaintenant,s'ilteplaît?Jem'avançaivers lechronographeet tendismamainàMrWhitman.D'uncoupd'ailes,Xemeriusatterritparterreàcôtédemoi.-Etmaintenant?demanda-t-il,toutexcité.Maintenant, la partie désagréable s'annonçait. Mr Whitman avait ouvert un clapet dans lechronographeetilposamonindexdansl'ouverture.-Jecroisquejevaism'agripperàtoi,ditXemeriusensecramponnantàmoncoucommeunpetitsinge.Jen'auraisriendûsentir,maisj'euscommel'impressionqu'onmepassaitunchâlemouilléautourducou.D'excitation,MrMarleyouvritdesyeuxgrandscommedessoucoupes.-Mercipourlemotdepasse,luidis-je.

Puisuneaiguillesepiquadansmondoigtetlapièces'emplitd'unelumièrerouge.Jeserraifortlalampe de poche en grimaçant, les couleurs et les visages disparurent dans un tourbillon et unesecoussetraversamoncorps.

23juin1542,Florence.Chargéparlesupérieurdelacongrégationd'uncasextrêmementcurieuxexigeantlaplusgrandediscrétionetl'intuitionlaplusfine.Elisabella,laplusjeunefilledeM{1}.,quivitdepuisdixans strictement reclusederrière lesmursd'uncouvent,porteapparemmentunsuccube{2} en elle, qui témoigned'une liaisonavec lediable.Lorsdemavisite, j'ai puréellement me persuader d'un possible engrossement de cette jeune fille ainsi que d'unespritlégèrementperturbé.Alorsquel'abbesse,quijouitdetoutemaconfianceetsembleêtre une femme de bon sens, n'exclut pas une explication naturelle à ce phénomène, lesoupçondesorcellerievientprécisémentdupèredelajeunefille.Ilprétendavoirvudesespropresyeuxlediable-souslaformed'unjeunehomme—embrasserlajeunefilledanslejardinetsedématérialiserensuiteenunnuagedefumée{3},laissantunelégèreodeurdesoufre.Deuxautrespensionnairesducouventtémoignentavoirvuplusieursfoislediableen compagnie d'Elisabella et que celui-ci lui a offert des pierres précieuses en cadeau.Pourinvraisemblablequeparaissecettehistoire,enconsidérationdulienétroitentreM.etR.M.{4}etdiversamisduVatican,ilm'estdifficilededouterofficiellementdesaraisonetd'accusersimplementsafilledeluxure.Enconséquencedequoi,jemèneraidemaindesinterrogatoiresavectouteslespersonnesconcernées.

ExtraitdesProtocolesd'InquisitiondupèredominicainGianRetroBaribi

Pièced'archivesdelabibliothèqueuniversitairedePadoue(déchiffrée,traduiteettraitéeparleDrM.Giordano)

Chapitre3

-Gwendolyn?Lasensationd'humiditéautourdemoncouavaitdisparu.J'allumaivitelalampedepoche.Maislapièceoùj'avaisatterriétaitdéjàéclairéeparuneampoulefaiblardequisebalançaitauplafond.-Salut!ditquelqu'un.Jesursautai.Dansceréduitencombrédetoutessortesdecaissesetdemeubles,unjeunehommeauteintpâleétaitappuyécontrelemur,prèsdelaporte.-L'ess...l'essentielestdeparticiper,bredouillai-je.-Gwen...GwendolynShepherd?bredouilla-t-ilenretour.Jefisouidelatête.-Commentsavez-vousmonnom?Lejeunehommesortitunefeuilledepapierfroisséedelapochedesonpantalonetmelatendit.Ilavait l'airaussinerveuxquemoi. Ilportaitdesbretellesetdespetites lunettes rondes ;sescheveuxblondsétaientséparésparuneraiesurlecôté,pommadésàoutranceetplaquésenarrière.Dansunvieux polar, il aurait pu jouer l'assistant grande gueule mais inoffensif du commissaire endurcifumantclopesurclope,quiesttombéamoureuxdel'amiedugangsterporteusedeboasenplumesetquifinittoujoursparêtretuéàlafin.Jemecalmaiunpeuetjetaiuncoupd'œilcirculaire.Iln'yavaitpersonned'autredanslapièce,etXemeriusavaitdisparu.Apparemment,ilpouvaittraverserlesmursmaispasvoyagerdansletemps.Enhésitant,jeprislafeuille.Elleétaitjaunie:unepageàcarreauxd'uncahieràspirales,salementarrachée à l'endroit des perforations. Il y était écrit, en lettres tremblées, dans une écritureétonnammentfamilière:PourlordLucasMontrose:Important!!!!12août1948,midi,laboratoiredechimie.S'ilteplaît,viensseul.GwendolynShepherdMoncœurse remitàbattre lachamade.LordLucasMontroseétaitmongrand-père !Mortquandj'avaisdixans.J'observaiavecinquiétudeledéliédu«L».Aucundoutepossible!Cespattesdechatressemblaientàs'yméprendreauxmiennes.Incompréhensible!Jelevailesyeuxverslejeunehomme.-D'oùsortez-vousça?Etquiêtes-vous?-C'esttoiquil'asécrit?-Çasepourrait,dis-je,tandisquemespenséesdansaientlasarabande.Sijel'avaisécrit,commentsefaisait-ilquejenem'ensouviennepas?-Oùavez-voustrouvéça?- Cette feuille, je l'ai depuis cinq ans. On me l'a glissée avec une lettre dans la poche de monmanteau.Lejourdelacérémoniedepassageaudeuxièmegrade.Lalettredisait:Celuiquigardelessecretsdevraitaussiconnaîtrelesecretderrièrelesecret.Prouvequetupeuxnonseulementtetaire

maisaussipenser.Aucunesignature.C'étaituneautreécriturequecellesurceboutdepapier,une...hmm...plutôtélégante,unpeudémodée.Jememordillailalèvre.—Jenecomprendspas.-Moinonplus,avoualejeunehomme.J'aitoujourscruqu'ils'agissaitd'unesorted'examen.Untestdeplus,pourainsidire.Jenel'aijamaisracontéàpersonne,j'aitoujoursattenduquequelqu'unm'enparleouqued'autresindicesapparaissent.Maisilnes'estrienpassé.Etaujourd'hui,jemesuisglisséici, histoiredevoir.Àvrai dire, je nem'attendaisplus àgrand-chose.Maisvoilàque tu surgis dunéantetquetutematérialisesdevantmoi.Àmidipile.Pourquoim'as-tuécritcettelettre?Pourquoinousrencontrons-nousdanscettecave?Etdequelleannéeviens-tu?-2011,dis-je.Désolée,maisjen'aimalheureusementpasderéponsepourlesautresquestions...Etd'ailleurs,quiêtes-vous?ajoutai-jeaprèsm'êtreéclaircilavoix.-Oh,excuse-moi.Jem'appelleLucasMontrose.Jesuisadeptededeuxièmegrade.-LucasMontrose?81BourdonPlace?m'étonnai-je.Lejeunehommeacquiesça.-C'estl'adressedemesparents,oui.-Alors...Jelefixaiduregardetprisunegrandeinspiration:-...Vousêtesmongrand-père.-Ohnon,onnevapasremettreça!ditlejeunehommedansunprofondsoupir.Puisilsesecoua,sedétachadumur,époussetal'unedeschaisesempiléesàl'enversdansuncoindelapièceetlaposadevantmoi.-Onferaitpeut-êtremieuxdes'asseoir,non?J'ailesjambesencoton.-Moiaussi,avouai-jeenmelaissanttombersurlesiègequ'ilm'offrait.Lucasprituneautrechaiseets'assitenfacedemoi.-Tuesdoncmapetite-fille,dit-ilavecun faiblesourire.Tusais,çamefait toutdrôle. Jenesuismêmepasmarié.Àvraidire,mêmepasfiancé.-Quelâgeas-tudonc?Oh,excuse,jedevraislesavoir,tuesdel'année1924,doncen1948,tudoisavoirvingt-quatreans.-Oui,confirma-t-il.Jelesauraidanstroismois.Ettoi,quelâgeas-tu?-Seizeans.-ToutcommeLucy.Lucy.Jenepusm'empêcherdepenseràcequ'ellem'avaitcriédansledosquandnousnousétionsenfuisdechezladyTilney.Jen'arrivaistoujourspasàcroirequej'étaisassiseenfacedemongrand-père.Jeluicherchaidesressemblances avec l'homme sur les genoux duquel j'avais écouté des histoires passionnantes.Quim'avait protégéedeCharlotte, quand elle affirmait que jevoulaisme rendre intéressante avecmeshistoiresd'esprits.Maislevisagelissedecethommenesemblaitmontreraucuneressemblanceaveccelui,parcouruderidesetdesillons,duvieilhommequej'avaisconnu.Enrevanche,jeluitrouvailesyeuxbleusdemamère, sonmenton énergique et ce sourire aussi qu'ilmontraitmaintenant. Je

fermaiunmomentlespaupières,cequejevoyaisiciétaittoutsimplement...trop.-Voyonsvoir,ditLucasdoucement.Ehbien,suis-je...euh...ungentilgrand-père?J'avais dumal à retenir les larmes qui commençaient àme chatouiller le nez. Je ne fis donc quehocherlatête.-Lesautresvoyageursarriventtoujoursofficiellementetconfortablementenhaut,danslasalleduDragonoudanslasallededocumentation,constataLucas.Pourquoias-tuchoisicevieuxlaboratoiresinistre?-Jene l'aipaschoisi, répondis-jeenm'essuyant lenezdudosde lamain.Jenesavaismêmepasqu'il s'agissaitd'un laboratoire.Demon temps,cetendroitestunecave toutà faitnormaleavecuncoffreoùl'ongardelechronographe,-Vraiment?Ehbien,denos joursaussi, ilyadéjàbelle lurettequecen'estplusun laboratoire,m'informaLucas.Mais,àl'origine,cettepièceétaitutiliséecommelaboratoiresecretd'alchimie.C'estune des plus vieilles pièces dans cesmurs.Des centaines d'années avant la création de laLoge ducomte de Saint-Germain, des alchimistes londoniens et des magiciens y menaient déjà desexpériencesàlarecherchedelapierrephilosophaisOnpeutencorevoirauxmurs,parendroits,desdessins terrifiants et des formules secrètes et on raconteque si lesmurs sontd'une telle épaisseur,c'estparcequ'ilsrenfermentdesosetdescrânes...Ils'arrêtalàetsemordillaleslèvres.-Tuesdoncmapetite-fille,reprit-ilensuite.Puis-jetedemanderduquel...euh...demesenfants?-Mums'appelleGrâce,dis-je.Elleteressemble.Lucashochalatête.-Lucym'aparlédeGrâce.Elleprétendquec'est laplusgentilledemesenfants etque les autresseraientdespetits-bourgeois.Ilfitunegrimaceetajouta:-J'aidumalàm'imaginerquejevaisavoirunjourdesenfantspetits-bourgeois...oudetoutefaçon...desenfants...-C'estpossiblequ'ilsnetiennentpasdetoi,maisdetafemme...murmurai-je.Lucassoupira.- Depuis deuxmois que Lucy est arrivée ici pour la première fois, ils me taquinent tous, parcequ'elle a lesmêmes cheveux roux qu'une fille quime... bon... qui...m'intéresse.Mais Lucy n'a pasvoulumedirequijevaisépouser.Ellepenseque,sinon,jepourraismeraviseretquevoustous,vouspourrieznepasnaître.-Legèneduvoyagedans le temps,que tafutureva transmettre,estsansdouteplusdécisifque lacouleurdesescheveux,dis-je.Tuauraisdûlareconnaîtreàça.-C'estbiencequiestdrôle,ditLucasens'avançantunpeusursachaise.JetrouvedeuxfillesdelalignéedeJadetoutaussi...euh...attirantes:numérod'observation4etnumérod'observation8.-Ah,ahldis-je.-Tu sais, je n'arrivepas àmedécider en cemoment.Peut-être qu'unepetite indicationde ta partpourraitmettreuntermeàmonindécision.Jehaussailesépaules.

-Situveux.Magrand-mère,donctafemme,estla...-Non!s'écriaLucasenlevantlesbras.J'aichangéd'avis,jepréfèrequetunem'endisesrien.Ilsegrattalatêted'unairgênépuisilenchaîna:-C'estl'uniformedeSaintLennox,n'est-cepas?Jereconnaislesarmessurlesboutons.—Exact,répondis-jeenjetantunœilsurmavestebleufoncé.

MmeRossiniavaitapparemment lavéet repassé toutça,en toutcasmesvêtementsétaientcommeneufs et sentaient légèrement la lavande.Deplus, elle avaitdû fairequelquechoseà laveste : ellem'allaitbeaucoupmieux.-MasœurMadeleinevaaussiàSaintLennox.Àcausedelaguerre,ellenepasserasondiplômedefind'étudesquecetteannée.-TanteMaddy?Jenelesavaismêmepas.-TouteslesfillesMontrosevontàSaintLennox.Lucyaussi.Ellealemêmeuniformequetoi.CeluideMaddyestvertfoncéavecdublanc.Etlajupeestàcarreaux...Bon,reprit-ilaprèss'êtreéclaircilavoix,aucasoùtoutçat'intéresse...maisnousferionsmieuxdenousconcentreretdenousdemanderpourquoinousnousrencontronsiciaujourd'hui.Donc,àsupposerquetuaiesécritcebillet...-...quejel'écrirai!-...etquetumeleferasparvenirlorsd'undetesfutursvoyagesdansletemps...pourquoicrois-tul'avoirfait?-Tuveuxdire,pourquoijeleferai?...Bon,ilyatoutdemêmecommeunelogiquedanstoutça.Tupeuxsansdoutem'expliquerpasmaldechoses.Maisjenesaispasnonplus...Jeregardaimonjeunegrand-pèred'unairperplexe.-...TuconnaisbienLucyetPaul?-PauldeVilliersvientélapsericidepuislemoisdejanvier.Entre-temps,ilaprisdeuxansdeplus,c'estunpeuterrifiant.EtLucieestvenuepourlapremièrefoisenjuin.Jem'occupeleplussouventd'euxquand elle est là.C'est en général très... amusant. Je les aide à faire leurs devoirs.Et je doisavouerquePaulestlepremierdeVilliersquimesoitsympathique.Ils'éclaircitlavoixavantdereprendre:-Situviensdel'année2011,tudoisbienlesconnaîtretouslesdeux.C'estdrôledepenserqu'ilsvontmaintenantsurleursquaranteans...N'oubliepasdelessaluerdemapart.-Non,jenepourraipaslefaire.Oh,monDieu,quec'étaitcompliqué!Etjedevaismemontrerprudentedanscequejeracontais,tantquejenecomprenaispasmoi-mêmecequisepassaitici.Lesmotsdemamèrerésonnaienttoujoursdansmes oreilles : «Ne fais confiance à personne.Même pas à tes propres sentiments. »Mais ilfallaitbienquejemeconfieàquelqu'unetquiseprêtaitmieuxàlaconfidencequemongrand-père?Jedécidaidetoutmisersurunecarte:-JenepeuxpassaluerLucyetPauldetapart.Ilsontfauchélechronographeetsautéavecluidanslepassé.-Quoi?!s'exclamaLucas,lesyeuxécarquillésderrièreseslunettes.Pourquoiauraient-ilsfaitça?Jen'ycroispas.Jamaisilsne...Quandest-cequeçaseseraitpassé?

-En1994,dis-je.L'annéedemanaissance.-En1994,PaulauravingtansetLucydix-huit,réfléchitLucasàvoixhaute.Doncdansdeuxans.Carelleamaintenantseizeansetlui,dix-huit.Ilesquissaunsourired'excuseavantdepoursuivre.- Je ne veux pas dire naturellementmaintenant,mais seulement...maintenant, quand ils viendrontélapsercetteannée.-Cesdernièresnuits, jen'aivraimentpasbeaucoupdormi,dis-je.Encemoment, j'ai l'impressionquemoncerveauestenbarbeàpapa.Etdetoutefaçon,jesuisnulleencalcul.-LucyetPaulsont...Cequetumeraconteslàn'apasdesens.Ilsneferaientjamaisquelquechosed'aussi...insensé!- Pourtant, c'est ce qu'ils ont fait. Je pensais que tu pourrais peut-êtreme dire pourquoi. Àmonépoque, ilsveulent tousmefairecroirequ'ilssont...mauvais.Oucinglés.Ou lesdeux.En toutcas,dangereux.Quandj'ai rencontréLucy,ellem'aditque jedevaismerenseignersur lecavaliervert.Alors:c'estquoicecavaliervert?Lucasmeregardad'unairperplexe.- Tu as rencontré Lucy ?Mais tu viens deme dire qu'elle avait disparu avec Paul, l'année de tanaissance.Ilsemblatoutàcouppenseràquelquechose.-S'ilsontemportélechronographeaveceux,commentpeux-tuvoyagerdansletemps?reprit-il.-Jelesairencontrésen1912.ChezladyTilney.EtilyaundeuxièmechronographequelesVeilleursutilisentpournous.-LadyTilney?Çafaitquatreansqu'elleestmorte.Et ledeuxièmechronographen'estmêmepasfonctionnel.Jesoupirai.-Maintenant,si!Écoute,Grand-Père(Lucassursautaàcemot),pourmoi, toutçaestencoreplusembrouilléquepourtoi,carjusqu'àcesderniersjoursjen'avaispaslamoindreidéedetoutcebazar.Jenepeuxrient'expliquer.Onm'aenvoyéeicipourélapser,monDieu,jenesaismêmepascommentonécritcemotstupide,jel'aientendupourlapremièrefoishier.C'estlatroisièmefoisquejevoyagedans le temps avec le chronographe. Avant, j'ai fait trois sauts incontrôlés. Ce qui n'était pasparticulièrementfolichon.Maisenfait,ilspensaienttousquec'étaitmacousineCharlottequiportaitlegène,parcequ'elleestnéelebonjouretquemamèreamentisurlejourdemanaissance.Ducoup,Charlottea reçuàmaplacedescoursdedanse,elle sait tout sur lapesteetKingGeorge,elle saitmanierl'épée,monterenamazoneetjouerdupiano...etDieuseulsaitencorecequ'elleaapprisdansses cours demystères.Moi, je ne sais rien, sauf le peu qu'onm'a raconté depuis hier, et ce n'estvraimentpasbeaucoup,niédifiant.Etleplusgravedetout,c'estquejen'aimêmepaseuencoreletemps de comprendre tout cequi s'est passé. Leslie - c'estmon amie - a googlé tout ça,maisMrWhitmannousaconfisquéleclasseuretdetoutefaçonjen'enavaismêmepascomprislamoitié.Ilssemblenttousavoirattendudemoiquelquechosedeparticulieret,maintenant,ilssonttousdéçus.- Rubis rouge, doué de la magie du corbeau, ferme en Sol majeur le cercle que douze ontformé,murmuraLucas.

-Oui,tuvois,lamagieducorbeau,blablabla.Malheureusement,ons'esttrompéd'adresseavecmoi.Le comte de Saint-Germainm'a étranglée à distance, j'ai entendu sa voix dansma tête et puis ceshommesontsurgiàHydeParkavecdespistoletsetdesépéesetj'aidûentuerun,parcequ'ilallaittuerGideon,quiest...C'estuntel...Jeprisunegrandeinspirationpouraussitôtm'épancherdenouveau.-Enréalité,Gideonest toutàfaitdétestable, il faitcommesi jen'étaisqu'unbouletpour luietcematinilaembrasséCharlotte,rienquesurlajoue,maispeut-êtrequeçaveutdirequelquechose,entoutcas jen'auraispasdû l'embrassersans luidemanderavant,car finalement jene leconnaisquedepuisunjouroudeux,maissoudain,ilétaitsi...gentiletalors... toutestallésivite...et ilspensenttousquec'estmoiquiauraistrahiquandnoussommesallésvoirladyTilney,carnousavonsbesoindesonsangetaussideceluideLucyetPaul,maisilsontaussibesoindusangdeGideonetdumien,ceuxquileurmanquentencoredansleurchronographe.Etpersonnenemeditcequivasepasserunefoisquelesangdetoutlemondeseracollectédanslechronographe,etparfoisjepensequ'ilsnelesaventmêmepastrèsbieneux-mêmes.EtLucyaditquejedoistedemanderdesrenseignementssurlecavaliervert.Lucasavaitplissélesyeuxderrièreseslunettesetc'étaitclairqu'iltentaitdésespérémentdetrouverunsensàcedélugedeparoles.-Jen'aiaucuneidéedequipourraitêtrececavaliervert,dit-il.Jeregrette,maisc'estlapremièrefoisquej'enentendsparler.C'estpeut-êtreletitred'unfilm?Pourquoinedemandes-tupas...Tupourraispeut-êtremedemanderçaen2011?Jeleregardai,effrayée.-Oh, je comprends, s'empressa-t-il d'enchaîner.Tu ne pourras pasme le demander, parce que jeseraialorsmortdepuislongtempsouque-vieux,sourdetaveugle-jesomnoleraidansunemaisonderetraite...Non,non,s'ilteplaît,jeneveuxpaslesavoir.Cettefois,jenepusretenirmeslarmes.Jesanglotaiaumoinstrentesecondes,parceque-siétrangequecelaparaisse-mongrand-pèrememanquaitsoudainterriblement.-Jet'aimaisbeaucoup,dis-jefinalement.Lucasmetenditunmouchoiretmeregardaaveccompassion.-Tuenes sûre? Jen'aimepas lesenfants.Desemmerdeurs, jedirais...Mais tuétaispeut-êtreunspécimenremarquablementgentil.Etmêmecertainement.-Oui,c'estvrai.Maistuétaissympaavectouslesenfants,déclarai-jeenmemouchantbruyamment.MêmeavecCharlotte.Nousnoustûmesunmoment,puisLucassortitunemontredesapoche.-Ilnousresteencorecombiendetemps?s'inquiéta-t-il.-Ilsm'ontenvoyéeiciexactementpourdeuxheures.-Cen'estvraimentpaslong.Nousavonsdéjàperdubeaucouptropdetemps,dit-ilenselevant.Jevaismeprocurerdescrayonsetdupapieretnousallonsessayerdemettreunpeud'ordredanstoutcemicmac.Lemieuxseraitqueturestesici,sansbouger.Jehochaisimplementlatête.UnefoisLucasparti,jerestailà,leregardfixe,latêtedanslesmains.Ilavaitraison,c'étaitlemomentdegarderlatêtefroide.

Quipouvaitsavoirquandjerencontreraisdenouveaumongrand-père?Dequelleschosesàvenirdevais-je l'informer et lesquelles devais-je passer sous silence ? Inversement, je me demandaisdésespérémentquellesinformationsutilesilpouvaitmedonner.Danslefond,ilétaitmonseulallié.Maisjusteàlamauvaiseépoque.Enquoiétait-ilalorscapabledem'aiderdepuislàoùilsetrouvait?Lucas s'absenta un longmoment et, aubout desminutes, je commençai à douter demapremièreimpression. Il avait peut-êtrementi et ne tarderait pas à réapparaître avecLucy et Paul, armé d'ungrandcouteaupourmeprendredusang.Inquiète,jefinisparmeleveretcherchaiquelquechosequipourraitmeservird'arme.Dansuncoin,j'avisaiuneplancheavecunclourouillé,maisquandjelasoulevai,elles'effritasousmesdoigts.Laporteserouvritaumêmeinstantetmonjeunegrand-pèresurgit,unbloc-notessouslebrasetunebananeàlamain.Jerespiraidesoulagement.-Tiens,pourcalmertafaim.Lucasmelançalabanane,pritunetroisièmechaisesurlapile,l'installaentrenousetyposalebloc-notes.-Désoléd'avoirmisautantdetemps,dit-ilensuite.CestupideKennethdeVillierss'estmissurmonchemin, là-haut.CesdeVilliers, jenepeuxpas lessouffrir, il faut toujoursqu'ils fourrent leurnezpartout,ilsveulenttoutcontrôler,déciderdetoutetilssaventtoujourstoutmieuxquetoutlemonde!-C'estsûr,murmurai-je.Lucassecouasonpoignet.-Bon, alors, allons-y...mapetite-fille !Tu es leRubis, le douzièmeduCercle.LeDiamant de lafamilledeVilliersestnédeuxansavanttoi.Àtonépoque,ildoitdoncavoirdanslesdix-neufans.Etcomments'appelle-t-ildéjà?-Gideon,dis-jeensentantuneondedechaleurmeparcourir.GideondeVilliers.LecrayondeLucasglissasurlepapier.- Et il est ignoble, comme tous les de Villiers, mais tu l'as tout de même embrassé si j'ai biencompris.Tun'espasunpeujeunepourça?-Maisnon!protestai-je.Aucontraire,j'aiplutôtduretardàl'allumage.Àpartmoi,touteslesfillesdemaclasseprennentdéjàlapilule.Oui,enfin,toutessaufAishani,PeggyetCassieClarke,maislesparentsd'AishaniétaientdesIndiensconservateursetilstueraientAishanisiellenefaisaitqueregarderungarçon.Peggypréféraitsansdoute les filles. Quant à Cassie... certainement que son acné disparaîtrait un jour et qu'elleredeviendraitalorssympaaveclesautresetcesseraitdericaner:«Qu'est-cequet'asàmeregarderbêtement?»,chaquefoisquequelqu'untournaitsimplementlatêteverselle.-Oh,etnaturellement,Charlottesesouciedusexecommedel'anquarante.Cen'estpaspourrienqueGordonGeldermanlasurnomme«laReinedesglaces».Maismaintenant,jenesuisplussisûrequecesoitvrai...Jegrinçaidesdents enpensant à la façondontCharlotte avait regardéGideon... etviceversa.EnréfléchissantàlavitesseaveclaquelleGideonavaiteul'idéedem'embrasser,c'est-à-direexactementledeuxièmejourdenotrerencontre, jen'osaismêmepasm'imaginertoutcequiavaitpusepasserentreCharlotteetluidanslesnombreusesannéesoùilss'étaientcôtoyés.-Quellepilule?s'étonnaLucas.

-Pardon?Oh,monDieu,en1948,ilsdevaientsansdouteseservirencoredepréservatifsenboyaudevacheoudetrucscommeçacommemoyencontraceptif...àsupposerqu'ilslefassent.Maisjepréféraisn'enriensavoir.-Jenetienspasàparlerdesexeavectoi,Grand-Père,vraimentpas.Lucasmeregardaensecouantlatête.-Etmoi,jenevoudraismêmepasentendrecemotdanstabouche.Etlà,jeneparlepasdeGrand-Père.-D'accord,dis-jeenépluchantlabananetandisqueLucasprenaitdesnotes.Puisj'ajoutai:-Qu'est-cequevousditespourça?-Pourquoi?-Àlaplacedesexe?-Nousn'enparlonspas,ditLucas,obstinémentpenchésursonbloc-notes.Entoutcas,pasavecdesfillesdeseizeans.Bon,alors:LucyetPaulontvolélechronographeavantqu'onaitpucollecterlesangdesdeuxderniersvoyageursdansletemps.Ducoup,onaremisenmarcheledeuxième,maisilluimanquelesangdetouslesautresvoyageurs.-Non,plusmaintenant.Gideonestallélesvoirpresquetousetilapuleurpréleverdusang.IlnemanqueplusqueladyTilneyetl'Opale,Elisequelquechose.-ElaineBurghley,ditLucas.Unedamedelacourd'ElisabethI",mortedefièvrepuerpéraleàl'âgededix-huitans.-Exact.EtlesangdeLucyetPaul,naturellement.Donc,nouscouronsaprèsleursangeteuxaprèslenôtre.C'estdumoinscequej'aicompris.-Ainsi,ilyamaintenantdeuxchronographespourcompléterleCercle?C'estvraiment...incroyable!-Quesepassera-t-il,unefoisleCerclerefermé?-Alors,lesecretvaserévéler,ditsolennellementLucas.-Ahnon!Pastoiaussi!m'écriai-jeensecouantfarouchementlatête.Onnepourraitpaslefaireunpeuplusconcretpourunefois?-Lesprophétiesparlentdelamontéedel'aigle,delavictoiredeshommessurlamaladieetlamort,del'avènementd'unenouvelleère.-Ah,ah,dis-je,Gros-Jeancommedevant.C'estdoncquelquechosedebien,non?-Detrèsbien,même.Quelquechosequivafaireavancertoutel'humanitédefaçondécisive.C'estpourquoi le comtedeSaint-Germaina fondé l'OrdredesVeilleurs etquenouscomptonsdansnosrangs leshommes lesplus intelligentset lespluspuissantsdumonde.Nousvoulons tousgarder lesecret,afinqu'ilpuisseêtrerévéléaumomentdonnéetsauverlemonde.OK.C'étaitundiscoursclair.Dumoins,leplusclairquej'aiejamaisentenduenmatièredesecret.-MaispourquoiLucyetPaulneveulent-ilspasqueleCercleseferme?

Lucassoupira.-Jen'enaipaslamoindreidée.Quanddisais-tulesavoirrencontrés?-En1912,répondis-je.Enjuin.Le22oule24,jenem'ensouviensplusexactement.Plusjecherchaisàm'ensouvenir,moinsj'enétaissûre.-C'était peut-êtrebien le12 ? repris-je.En tout cas, un chiffrepair, j'en suis certaine.Le18 ?Etc'étaitdansl'après-midi.LadyTilneyavaittoutpréparésurlatablepourunthécomplet.J'entrevisalorscequejevenaisdedireetmeposailamaindevantlabouche.-Oh!-Qu'ya-t-il?-Voilàquejetel'airacontéettuvasledireàLucyetPauletc'estpourçaqu'ilspeuventguetternotrearrivéelà-bas.Donc,danslefond,c'esttoiletraître,pasmoi.Bienque...celareviennesansdouteaumême.-Quoi ?Oh,non ! s'écriaLucas en secouant énergiquement la tête. Jene ferai pas ça. Jene leurparlerai même pas de toi... ce serait de la folie ! Si je leur dis demain qu'ils vont voler lechronographeetvoyageravecdanslepassé,ilsvonttomberraidesmorts.Ilfautbienréfléchiràcequ'onditsurlefuturàquelqu'un,tuentends?-Bon,peut-êtrequetuneleurdiraspasdemain,tuasencorebeaucoupd'annéesdevanttoi,dis-jeenmâchonnantpensivementmabanane.D'unautrecôté...jemedemandeàquelleépoqueilsontbienpusauteraveclechronographe?Pourquoipasàcetteépoque-ci?Ici,ilsauraientaumoinsdéjàunami,àsavoirtoi.Peut-êtrequetumemensetqu'ilspoireautentdéjàdepuislongtempsàlaportepourmepomperdusang.-Jenesaispasdutoutoùilspourraientavoirsauté,soupiraLucas.Jenepeuxmêmepasm'imaginerqu'ilsenarriventàfaireunetellefolie.Oupourquoi!Jenesaisfichtrementrienderien,ajouta-t-il,découragé.-Apparemment,noussommesdoncdeuxencemomentàneriensavoirdutout,dis-je, toutaussiabattue.Lucasnotacavaliervert,deuxièmechronographeetladyTilneysursoncalepinetfitsuivreletoutd'ungrandpointd'interrogation.-Cequ'ilnousfaut,c'estuneautrerencontre...plustard!D'icilà,jepourraiapprendreunefouledechoses,remarqua-t-ilensuite.Çameparutévident.-Enprincipe, on devraitm'envoyer élapser en 1956,Nous pourrions peut-être alors nous revoirdemainsoir.-Ah,ah!fitLucas.Pourtoi,1956,c'estpeut-êtredemain,maispourmoic'est...Maisbon,onvayréfléchir.Siont'envoieélapseràuneépoquepostérieureàcelle-ci,sera-ceaussidanscettepièce?Jehochailatête.-Jepensequeoui.Maistunevastoutdemêmepasfairelepieddegrueici,matinetsoir.D'autrepart,Gideonpourraitsepointeràtoutmoment,carildoitélapserluiaussi.-Jesaiscommentnousallonsfaire,ditLucasavecunenthousiasmecroissant.Laprochainefoisque

tu atterriras ici, tu n'auras qu'à simplement venirme voir ! J'ai un bureau au deuxième étage. Tudevraspasserdevantdeuxgardes,maisçaneposerapasdeproblèmesituleurdisquetut'esperdue.Tu leur raconteras que tu esma cousineHazel.De la campagne. Je vais commencer aujourd'hui àparlerdetoiàtoutlemonde.- Mais MrWhitman prétend que tout est toujours fermé à clé ici, et d'autre part je ne sais pasexactementoùsetrouvecetendroit.-Iltefaudrauneclé,naturellement.Etlemotdepassedujour,ditLucasenjetantuncoupd'œildanslapièce. Jevais te faire faireundoubleque jevaisdéposerquelquepart pour toi.Avec lemotdepasse. Aumieux, dans lemur. Là-derrière, les briques sont légèrement disjointes, tu vois ? Nouspourronspeut-êtrenousyaménageruncreux.Ilseleva,sefaufiladanslebric-à-bracets'agenouilladevantlemur.-Viensvoir,dit-il.Jevaisallerchercherunoutiletcreuserunecacheparfaite.Laprochainefois,tun'aurasqu'àsortircettepierrepourtrouverlacléetlemotdepasse.-Maisilyadespierrespartout!m'écriai-je.-Tun'asqu'àrepérercelle-ci:cinquièmerangàpartirdubas,àpeuprèsaucentredumur.Mince!Monongle!Bon,entoutcas,voilàmonplanetjeletrouvebon.-Maisilfaudraitquetudescendesicitouslesjourspourchangerlemotdepasse.Commentvas-tufaire?Tun'étudiespasàOxford?-Onne renouvellepas lemotdepasse tous les jours, réponditLucas. Ilnousarrivedegarder lemêmependantdessemaines.Notebienlapositiondecettepierre.Jetemettraiaussiunplan,pourtepermettred'arriverenhaut.Àpartird'ici,descouloirssecretstraversentlamoitiédeLondres.Iljetaunregardàsamontre.-Etmaintenant,reprit-il,nousallonsnousrasseoiretprendrequelquesnotes.Méthodiquement.Tuverras,nousensauronsplusàlafin.-Ounousresteronstoujoursdeuxignorantsdansunecavemoisie.Lucaspenchalatêtedecôtéetmefitunsouriremalicieux.-Peut-êtrequetupourraismedireenpassantsileprénomdetagrand-mèrecommenceparunA.OuparunC?Jenepusm'empêcherdesourire.-Qu'est-cequiteplairaitlemieux?

LECERCLEDESDOUZE

NomPierreCorrespondance

alchimiqueAnimalArbre

LancelotdeVilliers1560-1607AmbreCalcinatioGrenouilleHêtre

ElaineBurghley1562-1580OpalePutrefactio

etmortificioHibouNoisetierWilliamdeVilliers

1636-1689AgateSublimatioOursNoyer

CeciliaWoodville1628-1684Aiguë-marineSolutioChevalÉrable

RobertLeopold,comtedeSaint-Germain

1703-1784ÉmeraudeDistillatioAigleChêneJeannedePontcarré,madamed'Urfé

1705-1775CitrineCoagulatioSerpentGinkgo

JonathanetTimothydeVilliers1875-1944et1875-1930CornalineExtractioFauconPommier

MargretTilney1877-1944JadeDigestioRenardTilleul

PauldeVilliers

1974-TourmalinenoireCeratioLoupSorbierLucyMontrose

1976-SaphirFermentanoLynxSaule

GideondeVilliers1992-DiamantMultiplicatioLionIf

GwendolynShepherd

1994-RubisProjectioCorbeauBouleauExtraitdesChroniquesdesVeilleursVolume4,«LeCercledesDouze»

Chapitre4

-Gwenny!Gwenny,réveille-toi!J'émergeai lourdementdesprofondeursdemon sommeil, de ce rêveoù j'avais étéune trèsvieillefemmebossue,prétendants'appelerGwendolynShepherdetvenirde2080,assiseenfaced'unGideonsuperbe,etjevissubitementlevisagefamilierdemapetitesœurCaroline,avecsonnezretroussé.—Ah,enfin!dit-elle.Jepensaisquejen'arriveraispasàteréveiller.Jedormaisquandtuesrentréehiersoir.Etpourtant j'avaisvraimentessayédegarder l'œilouvert.Tunousasencoreramenéunerobededingue?-Non,dis-jeenmeredressant.Cettefois,j'aipumechangerlà-bas.- Ce sera toujours comme ça ? Tu vas toujours rentrer quand je dormirai ?Mum est si bizarredepuisquecettehistoiret'estarrivée.EttunousmanquesàNicketàmoi...Sanstoi, lesdînerssontétranges.—Ilsl'onttoujoursété,luiassurai-jeenmelaissantretombersurl'oreiller.Laveilleausoir,unelimousinem'avaitreconduiteàlamaison.Jeneconnaissaispaslechauffeur,maisMrMarley,lerouquin,m'avaitraccompagnéejusqu'àlaporte.Jen'avaispasrevuGideonetj'enétaisfortaise.C'étaitbienassezderêverdeluitoutelanuit.Mr Bernhard, le majordome de ma grand-mère, m'avait accueillie à la porte, toujours aussipolimentimpassible.Mumétaitvenueàmarencontredansl'escalieretm'avaitembrasséecommesije revenais d'une expédition polaire. Moi aussi, j'étais contente de la voir, mais je lui en voulaistoujours un peu. Parce qu'elle m'avait menti. Et qu'elle ne voulait pas me dire pourquoi. Hormisquelques phrases cryptiques : «Ne fais confiance à personne... dangereux... secret... blablabla », jen'avaisrienapprisd'ellepouvantexpliquersoncomportement.Ducoup,etaussiparcequejemouraisdefatigue,j'avaismangéensilenceunpetitpeudepouletfroidetj'étaisalléeaulitsansriendireàMumdesévénementsdelajournée.D'ailleursàquoibon?Ellesefaisaitdéjàassezdesoucicommeça.Ellemesemblaitpresqueaussiépuiséequemoi.Carolinemesecouadenouveaulebras.-Eh!Terendorspas!-Maisnon.Je sautai alors du lit et constatai que,malgré la longue conversation téléphonique que j'avais eueavecLeslielaveilleausoir,j'avaistoutdemêmedormisuffisamment...MaisoùétaitpasséXemerius?Ilavaitdisparuquandj'étaisentréedanslasalledebainsetiln'étaitplusréapparudepuis.Ladouchefinitdemeréveillercomplètement.Jemelavailescheveux,endouce,avecleshampoingultracherdeMumetsonaprès-shampoing,aurisqued'êtretrahieparcemerveilleuxparfumderoseetdepamplemousse.Enmefrottantlatêteaveclaserviette,jemedemandaimachinalementsiGideonaimaitlesrosesetlespamplemousses,pourmerappeleraussitôtsévèrementàl'ordre.J'avaisdormiquelquesheuresàpeinequejerepensaisdéjààcenul!Mais,jevousledemande,est-ce que ça valait vraiment le coup d'en faire tout un plat ? Bon, on s'était un peu bécotés dans leconfessionnal,maisilavaitreprissonrôledesaletypejusteaprèset,biendormiounon,jepréférais

neplusmerappelermachuteduseptièmeciel.C'estdurestecequej'avaisditaussiàLesliequi,laveille,n'arrêtaitplusdemebassineravecça.Jemeséchailescheveux,m'habillaietdescendisverslasalleàmanger.Caroline,Nick,Mumetmoioccupions le troisième étage de la maison. Le seul à peu près vivable dans cette baraque quiappartenaitàmafamilledepuisledébutdestemps(aumoins!).Lerestedel'immeubleétaitbourréd'antiquitésetdetableauxdediversancêtres,dontonnepouvaitpasdirequ'ilsreprésentaientunrégalpourlesyeux.Etnousavionsunesalledebal,oùj'avaisapprisàNickàfaireduvélo,évidemmentencachette,maistoutlemondesavaitbienquelacirculationenvilleétaiteffroyablementdangereuse.Commesisouvent,jeregrettaiquenousnepuissionspasmangercheznous,enhaut,justeMumetnous.Maismagrand-mère, ladyArista, tenaitàcequenousnous retrouvions tousdanssasinistresalleàmanger,dontleslambrisavaientlacouleur...duchocolataulait,cequidumoinsétaitlaseulecomparaisonflatteusequimesoitjamaisvenueàl'esprit.L'autreétant...euh...plutôtinappétissante.Aujourd'huiaumoins,l'ambianceétaitnettementmeilleurequelaveille,commejeleremarquaidèsmonentréedanslapièce.LadyArista, qui avait quelque chosed'unprofesseur deballet toujours prête à vous taper sur lesdoigts,ditaimablement:-Bonjour,monpetit!EtCharlotteetsamèremesourirent,commesiellessavaientquelquechosedont-unefoisdeplus-jen'avaispaslamoindreidée.Étant donné que tanteGlenda neme souriait habituellement jamais— elle ne le faisait d'ailleurspratiquement pour personne, mis à part un tressaillement aigrelet du coin de ses lèvres - et queCharlottem'avaitjetéhierquelquesméchancetésàlatête,jemetinsaussitôtsurmesgardes.-Ilestarrivéquelquechose?demandai-je.Nick,monpetit frèrededouzeans,mefitunsourireencoinquandjem'assisàmaplaceprèsdeCaroline, etmamèremeglissa une énorme assiette de toasts auxœufs brouillés. J'avais tellementfaimquejefaillistournerdel'œilensentantlefumetmemonteraunez.-Ah,monDieu!s'écriatanteGlenda.Tuveuxsansdoutequetafilleaitdèsaujourd'huisoncontentdegraisseetdecholestérolpourlemois,n'est-cepas,Grâce?-Toutjuste,réponditMumavecindifférence.-Ellet'envoudraplustard,denepasavoirfaitplusattentionàsasilhouette,reprittanteGlendaensouriantdenouveau.-Gwendolynaunesilhouetteimpeccable,déclaraMum.-Pourlemoment...peut-être,dittanteGlenda,toutsourire.-Vousluiavezmisquelquechosedanssonthé?chuchotai-jeàCaroline.- Quelqu'un vient de téléphoner et, depuis, elle et Charlotte sont d'humeur joyeuse, me réponditCaroline.Commemétamorphosées!Àcetinstant,Xemeriusatterritsurlereborddefenêtre,repliasesailesettraversalavitre.-Bonjour,dis-jegaiement.

-Bonjour!répondit-ilensautillantversunechaisevide.Tandisquelesautresmeregardaient,unpeuétonnés,Xemeriussegrattaleventre.-C'estunefamillepasmalgrandequetuaslà!...Jen'aipasencoretoutvu,maisj'airemarquéqu’ilyabeaucoupdefemmesdanscettemaison.Trop, j'aimeraisdire.Et lamoitiéd'entreellesauraientbienbesoinqu'onleschatouilled'urgence.Ilsecouasesailesavantdepoursuivre:- Où sont les pères de tous ces petits enfants ? Et les animaux domestiques ? Unemaison aussigigantesqueetmêmepasuncanari!Jesuisdéçu.Jemefendisd'unsourireencoin.-Oùestgrand-tanteMaddy?m'informai-jetoutenmangeanttranquillement.-Jecrainsquelebesoindesommeildemachèrebelle-sœursoitplusgrandquesacuriosité,déclaradignementladyArista.Elle se tenait droite commeun « i » etmangeait, le petit doigt en l'air, un demi-toast beurré. (Jen'avaisd'ailleursjamaisvumagrand-mèreautrementquedroitecommeun«i».)-Sonréveilmatinald'hierl'arendued'unehumeurexécrabletoutelajournée,poursuivit-elle.Nousnelaverronsprobablementpasapparaîtreavant10heures.-C'estaussibiencommeça,glapittanteGlenda.Sonverbiagesurlesœufsdesaphiretleshorlogesdelatouresttoutjustebonàvousachever.Et...commenttesens-tu,Gwendolyn?J'imaginequetoutcelaestforttroublantpourtoi.-Hmm,fis-je.-Cedoitêtreterriblededevoirconstatertoutàcoupquel'onestnéepourdegrandeschosessanspouvoirrépondreauxattentes,poursuivit-elleenembrochantunpetitboutdetomatedanssonassiette.-MrGeorgerapportequeGwendolynnes'estpassimaldébrouilléejusqu'àprésent,ditladyArista.Etavantquejepuissemeréjouirdesontémoignagedesolidarité,elleajouta:-Entoutcas,onauraitpus'attendreàpire.Gwendolyn,aujourd'huiencore,onvapasserteprendreaulycéeetteconduireàTemple.Cettefois,Charlottet'accompagnera.Ellepritunegorgéedethé.Commej'avaislaboucheoccupéeparmonœufbrouillé,jenepusqu'écarquillerdesyeuxeffrayés,tandisqueNicketCarolinedemandèrentàmaplace:-Pourquoiça?-Parce que, dit tante Glenda en ballottant bizarrement la tête, Charlotte sait faire tout ce queGwendolyndevraitsavoirfairepoursatisfaireàpeuprèsàsamission.Etmaintenant,enraisondesévénements chaotiquesdecesderniers jours,onaimerait là-basqueCharlotte aide sa cousineà sepréparerpoursesprochainssautsdansletemps.ElledébitaçacommesisafillevenaitderemporterlesJeuxolympiques.Aumoins.-Lesprochainssautsdansletemps.C'est-à-dire?-Qu'est-cequec'estqueceméchantmancheàbalairouquin?demandaXemerius.J'espèrepourtoiqu'ilnes'agitqued'uneparenteéloignée.

-Nonpasquecettedemandenousaitsurprises,maisnousavonstoutdemêmehésitéàyaccéder.Carenfin,Charlotten'aplusd'obligations.Mais...soupira-t-elledefaçonthéâtrale,Charlotteestbienconscientedel'importancedecettemissionetelles'offregénéreusementàcontribuerenpartieàsaréussite.Mamère soupira aussi enme dédiant un sourire compatissant.Charlotte remit unemèche de sescheveuxrouxbrillantsderrièrel'oreilleetclignadescilsdansmadirection.-Hein?s'étonnaNick.Qu'est-cequeCharlottedoitapprendreàGwenny?-Oh,dittanteGlenda,lesjouesrosissantd'enthousiasme.Unefouledechoses,maisilseraitabsurdede penser que Gwendolyn va pouvoir rattraper en si peu de temps ce que Charlotte a acquis enl'espace de tant d'années, sans parler de la... eh bien... euh... de la répartition inégale des talentsnaturels, en l'occurrence. On ne peut qu'essayer de transmettre le strict nécessaire. Avant tout,Gwendolynmanquequasitragiquementdeculturegénéraleetdemanièresadaptéesàchaqueépoque...d'aprèscequej'aientendudire.Nonmais,quelculot!Quiavaitbienpuluiraconterça?-Oui,etonnepeutpasnonplussepasserdebonnesmanièresquandonséjourneseuledansunecaveferméeàclé,dis-je.Onnesaitjamais,uncloportepourraittoujoursvousregarderentraindevousfourrerlesdoigtsdanslenez.Carolinegloussa.-Ohnon,Gwenny, je regrettededevoir tedireça,maisçavabientôt secompliquerunpeupluspourtoi,intervintCharlotteenmegratifiantd'unregardquisevoulaitsansdoutecompatissant,maisquimefitplutôtl'effetd'êtreempreintd'unejoiemaligne.-Tacousinearaison,approuvaladyAristaavecceregardperçantquim'avaittoujoursunpeufichulafrousse,maisquimefitmaintenanttressaillirpourdebon.Surdesordresvenusdetrèshaut,tuvaspasserbeaucoupdetempsauXVIIIesiècle.- Et parmi des gens, complétaCharlotte.Des gens qui trouveraient très étrange que tu ne sachesmêmepaslenomduroiquirègnedanslepays.Oucequ'estunréticule.Hein?unquoi?-C'estquoiunréticule?s'étonnaCaroline.Charlottesouritfinement.-Tun'asqu'àdemanderàtasœur.Je luidécochaiun regard irrité.Pourquoiéprouvait-elle toujoursautantde joieàme fairepasserpourunestupideignorante?TanteGlendaritdoucement.- C'est une sorte de sac à main, un sac à la con, le plus souvent rempli d'un bazar inutile, ditXemerius.Etdemouchoirs.Etdeselsàrespirer.Ah!- Un réticule est un terme dépassé pour désigner un sac à main, Caroline, dis-je sans quitterCharlotteduregard.Sespaupièrestressaillirentdesurprise,maisellegardasonfinsourire.-Surdesordresvenusdetrèshaut.Qu'est-cequeçaveutdire?s'étonnaMumens'adressantàladyArista.JepensaisquenousavionsconvenudelaisserGwendolynautantquepossibleàl'écartdetoutça.De l'envoyerseulementélapserdansdesépoques tranquilles.Commentpouvez-vousmaintenant

déciderdel'exposeràunteldanger?-Ne temêle pas de ça,Grâce, répondit froidementma grand-mère.Tu as déjà fait assez demalcommeça.Mamèresemorditleslèvres.EllejetaunregardfurieuxàladyArista,puisellerepoussasachaiseetseleva.-Ilfautquej'ailletravailler,dit-elle.ElledéposaunbaiserdanslescheveuxdeNickets'adressaàCarolineetmoi.-Passezunebonnejournéeàl'école!Caroline,penseauchâlepourlecoursdetravauxmanuels!Acesoir!-PauvreMum,chuchotaCarolinequandmamèreeutquittélapièce.Hiersoir,elleapleuré.Jecroisqu'ellen'estpasdutoutcontentequecesoittoiquiaiescegène.-Oui,dis-je.Jem'ensuisdéjàaperçueaussi.-Entoutcas,ellen'estpas laseule, remarquaNicken lançantunregardéloquentsurCharlotteettanteGlenda,toujoursaussisouriante.Jamaisencorejen'avaisautantattirél'attentionenentrantdansunesalledeclasse.Ettoutça,parcequelamoitiédemescamaradesavaientvulaveilleunelimousinenoirepassermeprendreàlasortiedescours.-Lesparissontencoreouverts,ditGordonGelderman.Super-cotepourlenuméroun:lepédéauxairscoold'hierestunproducteurdetéléetilaprisCharlotteetGwendolyndanssoncastingpourunshow,maisc'estGwendolynquiagagné.Possibiliténumérodeux:cetypeestvotrepédédecousinetilaunservicedelimousines.Possibiliténumérotrois...-Ah,ferme-la,Gordon!s'énervaCharlotte.Puisellerejetasescheveuxenarrièreets'assitàsaplace.-Jetrouvequetupourraispeut-êtrenousexpliquerpourquoiont'avued'aborddragouillercetype,maisque,pourfinir,c'estGwendolynquiestmontéeavecluidanslalimousine,ditCynthiaDaled'untonmielleux.Leslieavoulunousfairecroirequec'étaitleprofesseurparticulierdeGwendolyn!-Maisbiensûr!UnprofesseurparticulierarriveenlimousineettientnotreReinedesglacesparlamain, ironisa Gordon avec un regard mauvais vers Leslie. Il est clair qu'on cherche ici à noyerlamentablementlepoisson.Lesliehaussalesépaulesetmelançaunsourirecontrit.-C'esttoutcequej'aitrouvéàdiresurlecoup,s'excusa-t-elleenselaissanttombersursachaise.Jeme retournai pour chercher des yeuxXemerius.La dernière fois que je l'avais aperçu, il étaitaccroupisurletoitdel'école,d'oùilm'avaitfaitjoyeusementsigne.Jeluiavaisbienordonnédemelâcherlesbasketspendantlescours,maisjenemefaisaisguèred'illusions...-Lecavaliervertsembleêtreunevéritableimpasse,ditLeslieàvoixbasse.Elleavaitdormiencoremoinsquemoi,carelleavaitdenouveausurfédesheuressurInternet.- Il y a bien une célèbre petite figurine de jade de la dynastie desMing qui s'appelle comme ça,poursuivit-elle, mais elle se trouve dans un musée de Pékin. Et puis il y a aussi une statue enAllemagne, sur une place demarché, àCloppenburg, et deux livres portant ce titre : un romande

1926etunlivrepourenfants,quin'estparuqu'aprèslamortdetongrand-père.C'esttoutcequej'aitrouvépourl'instant.-Jepensaisqu'ilpouvaitpeut-êtres'agird'unepeinture,avançai-je.Danslesfilms,lessecretsétaienttoujourscachésderrièredestableauxoudedans.-Erreur!ditLeslie.S'ils'agissaitd'uncavalierbleu, lachoseserait toutàfaitdifférente...J'aifaitrechercheraussiplusieurs fois le cavaliervertparungénérateurd'anagrammes.Mais,bon, aucasoùvelertaclavierdevraitsignifierquelquechose,jenevoispasquoi.Jet'enaiimpriméquelques-uns,peut-êtrequeçavafairetiltcheztoi?Ellemetenditunefeuille.levertcaraveli,lus-je.evlertclavarié.-Hmm,hmm...laisse-moiréfléchir.Lesliegloussa.-Monpréféré,c'estvaletcrevélira.Oh,voilàMrÉcureuilquisepointe!EllevoulaitparlerdeMrWhitman,quientraitdanslaclassedumêmepasdynamiquequed'habitude.Nous l'avions surnomméainsi à cause de ses grands yeuxbruns.Nous ignorions alors qui il étaitvraiment.-Jem'attendstoujoursàrecevoirunblâmeduconseildedisciplineàcaused'hier,chuchotai-je.- Impossible, dit Leslie en secouant la tête.Car le directeur,MrGilles, apprendrait que son profd'anglais est unmembre importantd'une inquiétante communauté secrète.C'est justement çaque jeraconteraissijamaisilnousbalançait.Oh,mince!Levoilàquiapproche!Avecsonairsupérieur!MrWhitman sedirigeait vraimentversnous. Il posadevantLeslie legros classeurqu'il lui avaitconfisquélaveilledanslestoilettesdesfilles.-J'ai pensé que tu aimerais bien récupérer cette... collection de feuilles extrêmement intéressante,ironisa-t-il.-Oui,merci!réponditLeslieenpiquantunfard.La«collectiondefeuilles»,c'étaitenfaitsongrandclasseurderecherchessurlephénomènedesvoyages dans le temps, qui contenait tout ce que nous avions déjà trouvé toutes les deux (enfin,surtout Leslie) sur les Veilleurs et le comte de Saint-Germain. À la page 34, juste derrière lesindicationsrecueilliessurlatélékinésie,setrouvaitaussiunenoteportantsurMrWhitman.Ecureuil:égalementmembrede laLoge.Anneau.Signification ? Il ne nous restait plus qu'àespérerqueMrWhitmann'aitpasspécialementperçulerapportaveclui.-Leslie,çanemefaitpasplaisirdeledire,maisjepensequetuferaismieuxd'investirtonénergiedansquelquesmatièresscolaires.MrWhitmanavaitaffichéunsourire,maissavoixtrahissaitautrechosequedelapuremoquerie.Ilbaissalavoixpourajouter:-Toutcequipeutnousparaîtreintéressantn'estpastoujoursbonpournous.S'agissait-ild'unemenace?Lesliepritleclasseursansunmotetlefourradanssoncartable.Lesautressetordaientlecouversnous.IlssedemandaientvisiblementdequoiMrWhitmanparlait.Charlotte était suffisamment près pour le comprendre et elle avait affiché son mauvais sourireperfide.Puisellehochalatêted'unairsatisfaitenentendantMrWhitmanmedire:

-Ettoi,Gwendolyn,tudevraiscommenceràcomprendrequeladiscrétionestl'unedesvertusquinesontpasseulementsouhaitablesdetapart,maisquel'onexigedetoi.Toncomportementindignefaitvraimentpeineàvoir.Quelleinjustice!Jedécidaidesuivrel'exempledeLeslie,etjerestaiunlongmomentàtoiserMrWhitmanduregard.Maissonsourires'élargitetilmesurpritenmetapotantlajoue.-Allez,relèvelatête!Jesuissûrquetupeuxencoreapprendrebeaucoupdechoses,m'encouragea-t-ilencontinuantd'avancer.Et toi,Gordon?Dis-moi, tunousasdenouveauponduunjolicopier-collerpourtadissertation?- Vous nous dites toujours que nous pouvons utiliser toutes les sources possibles, se défenditGordonensepayantleluxedefairevarierlahauteurdesavoixdeplusdedeuxoctaves.-Qu'est-cequ'ilvousvoulait,Whitman?demandaCynthiaDaleensepenchantenarrièreversnous.Qu'est-cequec'estquececlasseur?Etpourquoiilt'acaressée,Gwendolyn?-Pasderaisond'êtrejalouse,Cyn,ditLeslie.Ilnenousaimepasplusquetoi.- Mais je ne suis pas jalouse. Enfin, quoi ? Pourquoi tout le monde pense toujours que je suisamoureusedecethomme?-Peut-êtreparcequetuprésideslefan-clubdeWilliamWhitman?avançai-je.-OuparcequetuasécritunevingtainedefoisCynthiaWhitmansurunpapier,enprétextantvouloirsavoirquelleimpressionçafait?ditLeslie.-Ouparcequetu...-C'estbon,grinçaCynthia.Ças'estproduitunefois.Ilyabienlongtemps.-C'étaitavant-hier,rectifiaLeslie.-Maintenant,jesuisplusmûreetplusadulte.Cynthiasoupiraenjetantunregardcirculairedanslasalle.-C'estaussilafauteàtouscesgamins.Sinousavionsdesgarçonsuntantsoitpeucorrectsdanslaclasse, on n'aurait pas besoin d'aller lorgner du côté d'un prof.À propos, qui c'est ce type qui estpasséteprendrehierenlimousine,Gwenny?Ilyaanguillesousrocheentrevous?Charlottepoussaunsoupiramusé,cequiluiattiradenouveaul'attentiondeCynthia.-Allez,Charlotte,nenousfaispaslanguir.Est-cequel'unedevousdeuxaunehistoireaveclui?Entre-temps,MrWhitmans'étaitpostéderrièresonpupitreetilnousdemandadenouspenchersurShakespeareetsessonnets.Je lui en fus exceptionnellement reconnaissante, mieux valait Shakespeare que Gideon ! Lesbavardages cessèrent et firent place à des soupirs et des bruissements de papier. Mais j'entendisencoreCharlotteprotester:-Entoutcas,certainementpasGwenny.Lesliemeregardaaveccompassion.-Ellenesedoutederien,chuchota-t-elle.Àvraidire,ellefaitpitié.-Oui,répondis-jeàvoixbasse.Mais en réalité, je n'avais pitié que demoi. L'après-midi en compagnie de Charlotte s'annonçaitcommeunevraiepartiedeplaisir.

Cettefois,lalimousinenenousattendaitpasdevantlaporte,maisunpeuplusloindanslarue.MrMarley,lerouquin,faisaitlescentpasdevantetfutplusnerveuxencoreennousvoyantarriver.-Ah,c'estvous!constataCharlotte,manifestementdépitée,etMrMarleyrougit.Par la porte ouverte de la limousine, elle jeta un regard à l'intérieur. Hormis le chauffeur et...Xemerius,iln'yavaitpersonne.Charlottesemontradéçue,cequimeréconforta.-Je t'aimanqué,sansdoute?ditXemeriusensevautrantavecsatisfactionsur lessiègesquandlavoituredémarraenronflant.MrMarleyétaitmontéàl'avantet,àcôtédemoi,Charlotteregardaitfixementparlafenêtre.-C'estbien,ditlegargouillotsansattendremaréponse.Maistucomprendrascertainementquej'aid'autresobligationsquedeveillersurtoi.Jelevailesyeuxenl'airetXemeriusricana.Ilm'avait vraimentmanqué.Le cours s'était étiré commedu chewing-gum et quandMrsCounteravaitpéroréinterminablementsurlesressourcesnaturellesdelaBaltique,j'avaiséprouvélanostalgiedeXemeriusetdesesremarques.Deplus,j'auraisaiméluiprésenterLeslie.Monamieétaiteneffettoutàfaitraviedemesdescriptions,mêmesimestentativesdedessinsavaientétépeuflatteusespourcepauvrepetitdémongargouillot.(C'estquoi,cespincesàlinge?s'était-elleétonnéeenmontrantlescornesquej'avaisesquissées.)-Enfin,unamiinvisiblequipourraêtreutile!s'était-elleenthousiasmée.Réfléchisdoncunpeu!Çachange de James qui ne fait que rester bêtement dans son renfoncement et qui n'arrête pas de selamentersurtesmauvaisesmanières.Cepetitmarmousetpourraespionnerpourtoietallervoircequisepassederrièrelesportesfermées.Jen'avaispasencorepenséàça.Mais,defait,cematin,Xemeriuss'étaitvraimentmontréutile,aveccettehistoirederéti...révi...enfin...aveccevieuxmotpourdésignerunsacàmain.- Xemerius pourrait être un atout dans tamanche, avait dit Leslie. Pas seulement un nul commeJames,toujoursprêtàsevexer.Elle avait malheureusement raison. James était... oui, qu'est-ce qu'il était en fait ? S'il avait étécapabled'agiterdeschaînesoudefairetremblerleslustres,onauraitpulequalifierofficiellementde« fantôme du lycée ». James August Peregrin Pimplebottom était un joli garçon d'une vingtained'années, portant perruque blanche poudrée et redingote à fleurs et il était mort depuis deux centvingt-neufans.L'écoleavaitautrefoisétésamaisonpaternelleet,commelaplupartdesesprits,ilnevoulait pas accepter d'êtremort. Pour lui, les siècles de sa vie de fantôme étaient comme un rêveétrange dont il espérait toujours se réveiller. Leslie supposait qu'il avait tout simplement loupé lapartiedécisivedutunnel,auboutduquellalumièreblanchevousattire.-Jamesn'estpasnonplustotalementinutile,avais-jerétorqué.

Finalement, jevenaisdedécider laveilleque James - en tantqu'enfantduXVIIIe siècle -pouvaitm'être d'une grande aide, par exemple en qualité demaître d'escrime. Pendant quelques heures, jem'étaisréjouieàlapenséegrandiosed'apprendre,grâceàlui,àmanierl'épéeaussibienqueGideon.Malheureusement,celas'étaitavéréuneerreurmonumentale.Lors de notre première (et sans doute aussi dernière) heure de cours, à la pause demidi, Leslies'étaittorduederiredanslasalledeclassevide.Naturellement,ellen'avaitpaspuvoirJamesetsesmouvements, que je jugeais vraiment ultra professionnels, ni entendre ses ordres « Parez, miss

Gwendolyn!Parez!Terce!Prime!Quinte!»Ellen'avaitvuquemoi,entraindegesticuleretdezébrerdésespérémentl'airaveclabaguettedeMrsCounter...contreuneépéeinvisiblequiselaissaittranchersansproblème.Inutilement.Etridiculement.QuandLeslieeutassezri,elledéclaraqueJamesdevaitm'apprendreautrechoseet,pourunefois,Jamesl'avaitapprouvée.Lescombatsàl'épée,etdetoutefaçontouslestypesdecombats,étaientuneaffaired'hommes,dit-il,c'étaitbeaucouptropdangereuxpourlesfilles,àquil'onpouvaittoutaupluslaisserdesaiguillesàbroderdanslesmains.-Lemondetourneraitsansdouteunpeuplusrondsi leshommess'entenaientaussiàcetterègle,avaitconstatéLeslie.Maistantqu'ilsnelefontpas,lesfemmesdevraientêtrepréparées.Et James avait failli tourner de l'œil en voyant Leslie sortir de son cartable un couteau de vingtcentimètres.-Tutedéfendrasmieuxavecça,aucasoùunsaletypedupasséchercheraitàtefairelapeau,avait-elleajouté.-Ondiraitun...-...couteaudecuisinejaponais.Ilcoupeleslégumesetlepoissoncrucommedubeurre.Unfrissonm'avaitparcouruledos.-C'estseulementaucasoù,avaitajoutéLeslie.Justepourtesentirunpeuplusensécurité.C'estlameilleurearmequej'aipudénichersanspermisdeportd'arme.Lecouteause trouvaitmaintenantdansmoncartable,dansunétuià lunettesde lamèredeLeslie,reconverti en fourreau, avec un rouleau de Scotch qui, à en croire Leslie, me rendrait de bonsservices.Lechauffeurpritunlargevirage,etXemerius,quines'étaitpasméfié,glissasur lesiègeencuirlisseetallaheurterCharlotte.Ilserétablitauplusvite.-Raidecommeunpilierd'église,commenta-t-ilensecouantsesailes.Ilregardamacousinedecôtéetajouta:-Onvadevoirselacoltinertoutelajournée?-Oui...malheureusement,dis-je.-Oui,malheureusementquoi?demandaCharlotte.-Jen'aimalheureusementpasencoreeuletempsdedéjeuner,répondis-je.-Tantpispour toi, répliqua-t-elle.Maisàvraidire,çane te ferapasdemaldeperdreunpeudegraisse.Finalement,ilfautbienquetuarrivesàrentrerdanslesrobesqueMmeRossiniafaitespourmoi.Elleserraleslèvresetjesentisunesortedepitiém'envahir.Charlottes'étaitprobablementréjouiedepouvoirporterlescostumesdeMmeRossinietpuisj'étaisarrivéeetjeluiavaistoutgâché.Sanslevouloir,maistoutdemême.-J'aidansmonarmoire,àlamaison,larobequej'aidûmettrepourallervoir lecomtedeSaint-Germain,dis-je.Situveux,jeteladonne.TupourraislapasserpourlaprochainefêtecostuméechezCynthia...Jepariequ'ilstomberaienttousàlarenverseentevoyant!-Cetterobenet'appartientpas,réponditsèchementCharlotte.C'estlapropriétédesVeilleurs,tune

peuxpasendisposer.Ellen'arienàfairedanstonarmoire.Elleregardadenouveauparlafenêtre.-Ellen'arrêtepasderâler,celle-là,ditXemerius.Charlottenefaisaitvraimentrienpourqu'onl'aime.Ellen'avaitjamaispulefaire.Maiscommecetteambianceglacialem'oppressaittoutdemême,jerisquaiuneautretentative.-Charlotte...?-Nousallonsbientôtarriver,m'interrompit-elle.Jesuistellementimpatientedesavoirsinousallonsrencontrerquelqu'unduCercleintérieur.Saminegrincheuses'éclairad'unseulcoup.-Bon,jeveuxdire,àpartceuxquenousconnaissonsdéjà.C'estterriblementexcitant.Cesprochainsjours,lamaisondeTemplevafourmillerdelégendesvivantes.Deshommespolitiquescélèbres,desprixNobeletdesscientifiqueshautementdécorésvontséjournerdanscessallessacréesà l'insudumonde.KoppeJôtlandseralà,oh,etJonathanReeves-Haviland...J'aimeraistropluiserrerlamain!Pourunefois,Charlottemontraitunréelenthousiasme.Personnellement,jen'avaispaslamoindreidéedequielleparlait.JelançaiunregardinterrogateuràXemerius,maisilneputquehausserlesépaules.-Jamaisentenduparlerdecesclowns,sorry,dit-il.-Onnepeutpasnonplustoutsavoir,l’excusai-jeavecunsourire.Charlottesoupira.-Non,maisçanefaitpasdemaldeliredetempsàautreunquotidiensérieuxouunmagazinepours'informersurlapolitiquemondialeactuelle.Naturellement,ilfaudraitmettresoncerveauenaction...outoutsimplementenavoirun.Encoreunefois,ellenefacilitaitpasleschoses.Lalimousines'étaitarrêtéeetMrMarleyouvritlaportière.DucôtédeCharlotte,commejeleremarquai.-MrGiordanovousattenddansl'ancienréfectoire,annonçaMrMarley.Jedoisvousyconduire.-Jeconnaislechemin,ditCharlotte.Puisensetournantversmoi:-Viens!- Je me demande ce que tu as pour que tout le monde ait envie de te commander, remarquaXemerius.Veux-tuquejet'accompagne?-Oui, s'il teplaît, dis-je, tandisquenousnousenfoncionsdans les étroites ruellesduquartierduTemple.Jemesensmieuxquandtueslà.-Tum'achèterasunchien?-Non.-Maistum'aimesbien,pasvrai?Jecroisqu'ilvafalloirquejemefasserareassezsouvent!-Ouutile!dis-je.Je pensai à ce queLesliem'avait dit :Xemerius pourrait être un atout dans tamanche.Elle avaitraison.Quipouvaitsevanterd'avoirunpasse-muraillecommeami?-Netraînepascommeça,s'énervaCharlotte.

Ellemarchaitdevantnous,côteàcôteavecMrMarley,c'estseulementalorsqueleurressemblancemefrappa.-Oui,cheftaine,dis-je.

Chapitre5

En bref : le cours avecCharlotte etMrGiordano fut encore plus effroyable que je neme l'étaisimaginé.Onvoulaittoutm'apprendreenmêmetemps.Alorsquejemebattaisaveclespasdumenuet(affublée d'une jupe à crinoline rouge et de mon chemisier d'uniforme couleur purée), je devaisassimiler ladifférenceentre lesvuespolitiquesdeswhigs et cellesdes tories, la façonde tenir unéventailetlesdifférencesàmarquerentre«Excellence»,«Altessesérénissime»et«Eminence».Auboutd'uneheureetdix-septfaçonsd'ouvrirunéventail,j'enavaislamigraineetlatêteàl'envers.Matentativededétendrel'atmosphèreavecuneplaisanterie:«Onnepourraitpasfaireunepetitepause,jesuiscomplètementsérénissimée»,nefutpastrèsbienaccueillie.—Cen'estpasdrôle,nasillaGiordano.Petitesotte!L'ancienréfectoireétaitunegrandesalledurez-de-chaussée,avecdehautesfenêtresdonnantsurunecourintérieure.Ilétaitpratiquementvide,àl'exceptiond'unpianoàqueueetdequelqueschaiseslelongdumur.Ducoup,Xemeriuspartitsesuspendreàunlustrelatêteenbasetrepliasoigneusementsesailes.MrGiordanos'étaitprésentéendisant:-Giordano,Giordanotoutcourt,s'ilteplaît.Docteurenhistoire,célèbrecréateurdemode,maîtrereiki,designercréateurdebijoux,chorégraphe reconnu,adeptedu troisièmegrade, spécialistedesXVIIIeetXIXesiècles.-Houlà!s'écriaXemerius.Ondiraitqu'ilaunp'titgrain,celui-là!Jenepusmalheureusementqueluidonnerraisonensilence.MrGiordano,pardon,Giordanotoutcourt,mefaisaitinévitablementpenseràl'undecesvendeursdéjantéssurunechaînedetéléshopping,quiparlenttoujourscommeavecunepinceàlingesurlenezetunroquetsouslatableentraindeleurmordre lemollet. Jem'attendais à voir ses lèvres (botoxées ?) esquisser un sourire et dire : « Etmaintenant, chers téléspectateurs, nous en arrivons à notremodèleBrigitte, il s'agit d'une fontained'appartementdeclasseextra,unepetiteoasisdebonheuretcelapourseulementvingt-septlivres,uneoccasionexceptionnelle,àsaisir,j'enaimoi-mêmedeuxàlamaison...»Maisàlaplace,ils'adressaàCharlotte,sanssourire:-Ma chère Charlotte, boujou-boujou-boujou, dit-il en embrassant le vide de chaque côté de sesoreilles. On m'a raconté ce qui s'est passé et je trouve ça in-cro-ya-ble ! Toutes ces annéesd'entraînementettantdetalentgâché!C'estunemisère,unscandaleinouïetunetelleinjustice...Etlà,c'estdoncça,n'est-cepas?Tadoublure!Ilm'inspectadelatêteauxpiedsenpointantseslèvrespulpeuses.Jenepusfaireautrementqueluirenvoyerunregardfasciné.Ilavaitunesingulièrecoiffureencoupdeventqu'ilavaitdûsebétonnersurlatêteavecdesquantitésimpossiblesdegeletdespray.Definesmoustachesnoiresparcouraientle bas de son visage comme les rivières sur une carte géographique. Ses sourcils épilés étaientsoulignésparunesortedemarqueurnoiretj'eusbienl'impressionquesonnezétaitpoudré.-Etc'estdoncçaqu'ilmefaut,d'iciaprès-demainsoir,intégrerdansunraoutdel'année1782?dit-il.Endisant«ça»,ilvoulaitmanifestementparlerdemoi.«Raout»étaitplusénigmatique.

-Aïe,aïe!JecroisqueLèvres-Pulpeusest'avexée,meglissaXemerius.Situcherchesunjuronàluibalancer,jesuisàtadispositioncommesouffleur.«Lèvres-Pulpeuses»n'étaitdéjàpassimal.-Unraout,c'estunesoiréeàvousfaireronfler,poursuivitXemerius.Bon,pour tagouverne :onresté assis ensemble après le souper et on se jouemutuellementquelques airs sur lepianoforte enessayantdenepass'endormir.-Ah,merci!dis-je.- Je n'arrive toujours pas à croire qu'ils veuillent vraiment courir ce risque, péroraCharlotte enaccrochant sonmanteau sur une chaise. Cela contrevient à toutes les règles de la préservation dusecretde laisserainsiGwendolyncirculerparmi lemonde. Il suffitde la regarderpour remarquerquequelquechosecloche.-C'est tout à faitmonavis ! s'écriaLèvres-Pulpeuses.Mais le comteest connupour seshumeursexcentriques.Tiens,làdevanttoi,ilyalalégendedetadoublure.Ebouriffant...Lis-ladonc,jeteprie.Pardon?Maquoi?Jusqu'alors,j'avaisreléguéleslégendesdansledomainedescontes.Ouenbasdescartesgéographiques.Charlottefeuilletaundossierquisetrouvaitsurlepiano.-ElleestcenséereprésenterlapupilleduvicomtedeBatten?EtGideon,lefilsdumêmevicomte.N'est-ce pas un peu risqué ? Il pourrait y avoir quelqu'un qui connaisse le vicomte et sa famille.Pourquoines'est-onpasdécidépourunvicomtefrançaisenexil?Giordanosoupira.- C'était impossible à cause de ses lacunes en langues. Le comte désire probablement nousmettre à l'épreuve. Il va falloir lui prouver que nous réussirons à faire de cette fille une dameduXVIIIesiècle.Illefaut!dit-ilensetordantlesmains.-Jepenseques'ilsontréussiavecKeiraKnightley,vousyarriverezaussiavecmoi,dis-je,pleinedeconfiance.KeiraKnightleyétaitsansdouteàpeuprèslafillelaplusmodernedumondeetpourtanttoujoursmerveilleusedanslesfilmsàcostumes,mêmeaveclesperruqueslesplusdébiles.-KeiraKnightley?s'écriaGiordanoenlevantdessourcilsnoirsscandalisés.Çapeutpasserdansunfilm,maisellenepourraitpasresterdixminutesauXVIIIesièclesansêtreaussitôtdémasquée,avecsa façon de montrer toujours ses dents en souriant, de rejeter sa tête en arrière quand elle rit etd'ouvrirlaboucheengrand!Aucunefemmen'auraitfaitçaauXVIIIesiècle!-Vousnepouvezpasnonplusenêtreparfaitementsûr,avançai-je.-Pardon?-Jedisais,vousnepouvezpas...LesyeuxdeLèvres-Pulpeusesmefusillèrent.-Nousdevrionstoutdesuitefixerlapremièrerègle.Àsavoir:cequeditlemaîtrenesouffrepasdecontradiction.-Etquiestlemaître?...Oh,jecomprends!C'estvous,dis-jeenrougissantlégèrement,tandisqueXemeriussemitàcaqueter.D'accord!Doncnepasmontrerlesdentsenriant.C'estnoté.Jen'auraispasdemalàlefaire.Peuprobablequejepuissetrouveruneraisonderireaucoursdece/cette(?)raout(e)?

MaîtreLèvres-Pulpeuses,àpeuprèsamadoué,remitsessourcilsenplaceet,commeilnepouvaitentendreXemerius luihurlerdepuis leplafond«Guignol !», il entreprit le triste étatdes lieux. Ilvoulut testermes connaissances enmatière de politique, de littérature, d'us et coutumes de l'année1782, et ma réponse (« Je sais tout ce qu'il n'y avait pas alors : par exemple, des chasses d'eauautomatiquesdanslesWCetledroitdevotepourlesfemmes»)luifitgarderquelquessecondeslatêteprofondémentenfouiedanslesmains.-Jevaisfinirparpisserderireici,ditXemerius.Malheureusement,çadevenaitcontagieuxetj'eusdumalàréprimerlerirequejesentaismonterenmoi.Charlotteditdoucement:-Giordano,jepensaisqu'ilst'avaientexpliquéqu'ellen'estabsolumentpaspréparée.-Maisje...aumoins,lesfondamentaux...Levisagedumaîtreémergeadesesmains.Jen'osaipasleregarder,carsisonmake-upavaitdéteint,jenerépondraisplusdemonfourire.-Etqu'enest-ildetescompétencesmusicales?Piano?Chant?Harpe?Etpourlesdansesdesalon?Tudoisbienmaîtriserunsimplemenuetàdeux,maispourlesautresdanses?Harpe?Menuetàdeux?Biensûr!Cettefois,impossibledemeretenir,jememisàglousser.-C'estbiendevoirqu'ilyaaumoinsquelqu'unquis'amuseici,constataLèvres-Pulpeuses,sidéré.Cefutsansdouteàcetinstantqu'ildécidadem'asticoterpourmefairepasserl'enviederire.Ilnemitpaslongtempspourarriveràsesfins.Unquartd'heureplustard,ilavaitréussiàmefairepasser pour la dernière des imbéciles et la fille la plus nulle qui soit. Et cela malgré les effortsdéployésparXemeriuspourmeremonterlemoral.-Allez,Gwendolyn,montreàcesdeuxsadiquesquetuenassouslepied!J'auraisbienvoululefaire.Maishélas,jen'avaisriensouslepied.-Tourdemain,maingauche,petitesotte,maisvers ladroite, lepaysdeGallesacapituléet lordNorthadémissionnéenmars1782,cequiaconduitàceque...Versladroite...Non,ladroite!Dieuduciel!Charlotte,jet'enprie,montre-le-luiencoreunefois!Et Charlotte me le montra. Il fallait bien le reconnaître, elle dansait à merveille, pour elle celasemblaitunjeud'enfant.Et c'était vrai aussi, dans le fond. Un pas par-ci, un pas par-là, un petit tour, avec le sourire, enn'oubliantpasdecacherlesdents.Lamusiquesortaitdehaut-parleursdissimulésdansleslambrisdumuretjedoisavouerquecen'étaitpasvraimentlegenredemusiqueàvousdonnerdesfourmisdanslesjambes.J'auraispeut-êtrepumieuxmémoriserlessuitesdepas,siLèvres-Pulpeusesnem'avaitpasenprimesoûléedeparoles.-Doncàpartirde1779,laguerreaussiavecl'Espagne...Bon,lemoulinet,maintenant,s'ilteplaît,nousdevonsnousimaginerlequatrièmehomme,etrévérence,oui,avecunpeuplusdegrâce,jeteprie.Reprenonstoutdepuisledébut,nepasoublierdesourire,têtedroite,mentonrelevé,laGrande-Bretagnevientjustedeperdrel'AmériqueduNord,Dieuduciel,non,versladroite,lebrasàhauteurdepoitrineetl'étirer,c'estuncoupduretcen'estpasbienvudeparlerauxFrançais,çapassepourunmanquedepatriotisme...Nepasregardersespieds,detoutefaçon,onnepeutpaslesvoiravecces

vêtements.Charlottesecontentaitdequelquessoudainesquestionsbizarroïdes(«QuiétaitleroiduBurundien1782?»)etlavoirsecoueràchaquefoislatêtemedéstabilisaitencoreplus.Auboutd'uneheure,Xemerius finitpar trouverça rasoir. Il s'envoladu lustre,me fitunsigneettraversalemur.Jeluiauraisvolontiersdonnélamissiond'allerespionnerGideon,maiscenefutpasnécessaire,caraprèsunautrequartd'heuredemenuet-torture,celui-cientradansl'ancienréfectoireavec Mr George. Ils eurent juste le temps de me voir avec Charlotte et Lèvres-Pulpeuses et unquatrième danseur virtuel exécuter une figure que Lèvres-Pulpeuses appelait the chain et pourlaquellejedevaisdonnerlamainaudanseurinvisible.Malheureusement,jeluidonnaicellequ'ilnefallaitpas.-Maindroite,épauledroite,maingauche,épaulegauche,hurlaLèvres-Pulpeusesencolère.Est-cesidifficile?RegardedoncCharlotte,ellefaitçaàlaperfection!La parfaiteCharlotte continua à danser, longtemps après avoir noté que nous avions de la visite,tandisquejemefigeaisurplace,affreusementgênée,prêteàrentrersousterre.-Oh!ditfinalementCharlotteenfaisantsemblantderemarquerseulementMrGeorgeetGideon.Ellelessaluad'unegracieuserévérencequi,commejelesavaismaintenant,étaitunefigurequel'onfaisaitaudébutetàlafindumenuetetentre-tempsaussi.Celaauraitdûparaîtrecomplètementdébile,d'autantplusqu'elleportaitsonuniformescolaire,maisnon,c'était...charmant,enquelquesorte.Jeme sentis doublementmal. D'abord à cause demamonstrueuse crinoline à rayures rouges etblanchesquis'alliaitàmonchemisierd'uniforme(jeressemblaisàcesquillesenplastiquequel'onplacesurlachausséepoursécuriserunchantier),ensuiteparcequeLèvres-Pulpeusesn'arrêtaitpasdeseplaindredemoi.-Nesaitpasdistinguerlagauchedeladroite...lourdeurpersonnifiée...dureàladétente...entrepriseimpossible...vraimentcruche...onnepeutpasfaireuncygned'uncanard...Ellenepourraenaucuncaspasserinaperçueàcettesoirée...Regardez-moiça!CequefirentàlafoisMrGeorgeetGideon,etjedevinsrougecramoisi.Enmêmetemps,jesentisla moutarde me monter au nez. C'était assez ! Je me défis à toute vitesse de la jupe et de sonéchafaudagedecerceauxmétalliquesqueLèvres-Pulpeusesm'avaitamarrésurleshanchesetm'écriai:

- Je ne vois pas pourquoi je devrais parler politique auXVIIIe siècle. Je ne le fais pas non plusaujourd'hui... Je ne sais strictement rien à ce sujet ! Et alors ? Si onme pose une question sur lemarquisdeTruc-Chotfette,jerépondraisimplementquejememoquedelapolitiquecommedel'anquarante.Et si quelqu'unveut absolument danser unmenuet avecmoi, ce que je considère commeexclu, étant donnéque je ne connais personne auXVIIIe siècle, je dirai nonmerci, très aimable àvous,maisjemesuisfoulélacheville.Jepourraiaussisortirçasansmontrermesdents.—Vousvoyezcequejeveuxdire?constataLèvres-Pulpeusesensetordantdenouveaulesmains,cequisemblaitêtreunehabitudechezlui.Pasmêmeunsoupçondebonnevolonté...etavecçad'uneignorancecrasseetd'uneabsencedetalentdanstouslesdomaines.Etpuis,ellesetordderirecommeunefilledecinqansàlaseuleévocationdunomdelordSandwich.Ohoui,lordSandwich!Pascroyablequ'ilpuissevraiments'appelercommeça.Lepauvregars!-Maisellevacertainement...commençaMrGeorge.Lèvres-Pulpeusesluicoupalaparole:

-ContrairementàCharlotte,cettefillenepossèdeaucune...espièglerie!Ah,quoiquecefut,siCharlotteavaitça,jenevoulaissurtoutpasl'avoir!Charlotte avait éteint la musique et s'était installée au piano, d'où elle envoya des souriresconspirateursàGideon.Illuisouritenretour.Àmoi,enrevanche,iln'avaitdécochéqu'unseulregard,maislourddesens.Malheureusementpasausenspositif.Çal'ennuyaitcertainementdesetrouverdanslamêmepiècequ'unelosercommemoi,d'autantplusque-danssonjeanéliméetsontee-shirtnoirmoulant-ilsemblaithyperconscientdeson look sublime. Pour je ne sais quelle raison, cela me rendit encore plus furieuse. J'en auraispresquegrincédesdents.Aprèsm'avoirobservéeavecinquiétude,MrGeorgedéclara:-Vousyarriverez,Giordano.AvecCharlotte,vousavezuneassistantehorspair.D'autrepart,nousavonsencorequelquesjoursdevantnous.-Dessemainesn'ysuffiraientpas!Nousn'auronsjamaisassezdetempspourpréparerungrandbal,ditLèvres-Pulpeuses.Unraout,oui,peut-être,dansuncercleétroitetavecbeaucoupdechance,maisunbal,possiblementmêmeenprésenceducoupleducal...!.C'esttoutàfaitexclu.Jesupposeplutôtquelecomtesepermetuneplaisanterie.MrGeorgesefitglacial.-Sûrementpas,dit-il.Et ilnevousappartientpasdedouterdesdécisionsducomte.Gwendolynyarrivera,n'est-cepas,Gwendolyn?Jemetus.Aucoursdesdeuxdernièresheures,maconfianceenmoiavaitététrèsmalmenée.S'ilnes'agissaitquedenepasmefairedésagréablementremarquer...j'yarriveraisbien.Jen'auraisqu'àmemettredansuncoinet agiterdécemmentmonéventail.Ouplutôt,nepas l'agiter, sinonçapourraitsignifierjenesaisquoipourjenesaisqui.Jeresteraissimplementlàavecunsouriresansdents.Enespérant que personne ne vienneme déranger, m'interroger sur le marquis de Stafford oumêmem'inviteràdanser.Charlottecommençaàmartelerdoucementlepiano.Elleentonnaunecharmantepetitemélodiedanslestyledecellessurlesquellesnousvenionsdedanser.Gideonseplaçaprèsd'elle;ellelevalesyeuxvers lui et dit quelque chose que je ne compris pas, parce queLèvres-Pulpeuses soupira enmêmetemps:-Nousavonsessayéde lui inculquer lespasdebasedumenuetdefaçonconventionnelle,mais jecrainsqu'ilnefaillerecouriràd'autresméthodes!Jenepusfaireautrementqu'admirerCharlottepourlacapacitéqu'elleavaitdeparler,deregarderenmêmetempsGideondanslesyeux,demontrersescharmantespetitesfossettesetdejouerdupiano.Lèvres-Pulpeusesgémissaitencore:- ...peut-êtrequedesschémasoudessignesà lacraiedessinéspar terrepourraientêtreefficaces,pourcelanousdevrions...-Vouspourrezcontinuerlecoursdèsdemain,l'interrompitMrGeorge.Gwendolyndoitmaintenantélapser.Tuviens,Gwendolyn?Jehochailatête,soulagée,etattrapaimoncartableetmonmanteau.Enfinlibérée!Monsentimentdefrustrationfitaussitôtplaceàdel'impatience.Sitoutallaitbien,onm'enverraitélapseraujourd'huià

unedatepostérieureàcelledemarencontreavecGrand-Pèreetjetrouveraislacléetlemotdepassedanslacachesecrète.-Laisse-moiporterça.MrGeorgemepritlecartableavecunsourireencourageant.- Encore quatre heures, et tu pourras rentrer chez toi. Tu me semblés beaucoup moins fatiguéequ'hier.Nousallonstechercherunebonnepetiteannéetranquille...Quedirais-tude1953?Gideonditquedansl'anc...ehbien,danslapièceduchronographe,c'esttoutàfaitconfortable.Ildoitmêmeyavoiruncanapé.-1953,c'estparfait,dis-jeenessayantdenepasmontrertropd'enthousiasme.Cinq ans après ma dernière rencontre avec Lucas ! Je pouvais m'attendre à ce qu'il ait apprisquelquespetiteschosesentre-temps.-Ah!Charlotte:MrsJenkinst'aappeléunevoiture,tupeuxpartirtereposermaintenant.Charlottes'arrêtadejouer.-Oui,MrGeorge,dit-ellepoliment,puisellepenchalatêtesurlecôtéetsouritàGideon.Toiaussi,tuasfini,là?Hein?Allait-ellemaintenantluidemanders'ilvoulaitl'emmeneraucinéma?Jeretinsmonsouffle.MaisGideonsecoualatête.-Non,jevaisaccompagnerGwendolyn.Charlotteetmoi,nousparûmessansdouteaussiéberluéesl'unequel'autre.-Non,protestaMrGeorge.Tuenaslargementassezfait.-Ettuasl'airépuisé,ajoutaCharlotte.Cequin'ariend'étonnant.Tuferaismieuxd'enprofiterpourallerdormir.Là,exceptionnellement,j'étaisdesonavis.SiGideonvenait,jenepourraisniprendrelaclédanslacachetteniallervoirmongrand-père.-Maissansmoi,Gwendolynvaperdrestupidementquatreheuresdanslacave,objectaGideon.Sijevaisavecelle,jepourraiaumoinsluiapprendreencorequelquespetiteschoses.Puisilajoutaavecunlégersourire:-Parexemple,commentdistinguer lagauchede ladroite.Etcettehistoiredemenuetdevrait êtrefacileàrégler.Commentça?Non,pourl'amourduciel,plusdecoursdedanse!-C'estpeineperdue,affirmaLèvres-Pulpeuses.-Ilfautquejefassemesdevoirs,déclarai-jeleplussèchementpossible.Etpuisdemain,jedoisaussirendremadissertsurShakespeare.-Jepourrait'aideraussipourça,affirmaGideonenmeregardant.Jenepus réussiràqualifiersonregard.Pourquelqu'unquine leconnaissaitpas, ileûtpupasserpourinnocent,maismoijesavaisbienquenon.Charlottesouriaittoujours,maissanssescharmantesfossettes.MrGeorgehaussalesépaules.-Situveux.Commeça,Gwendolynneserapastouteseuleetellen'aurapaspeur.

-Maisj'aimebienêtreseule,plaidai-jedésespérément.Surtoutquandj'aipassétoutelajournéeavecdesgenscommeaujourd'hui.Desgenscomplètementdébiles.-Ahoui?semoquaCharlotte.Etpuis,tun'esjamaisvraimentseulenonplus,tuastoujoursavectoitesamisinvisibles,n'est-cepas?-Exact,dis-je.Gideon,tuneferaisquedéranger.Vaplutôt au cinémaavecCharlotte.Ou tu n'as qu'à fonder aussi un club de lecture, si tu veux ...pensai-je.Maislepensai-jevraiment?D'uncôté,jenedésiraisriendeplusqueparleràmongrand-pèreetluidemandercequ'ilavaitdécouvertsurlecavaliervert.Del'autre,devaguessouvenirsdecesOhhhhetMmmhetEncoredelaveilleremontaientàmoncerveau.Mince!Ilfallaitquejemeressaisisseenpensantàtoutcequej'avaistrouvédesiabominablechezGideon.Maisilnem'enlaissapasletemps.Ilnoustenaitdéjàlaporteouverte,àMrGeorgeetàmoi.-Viens,Gwendolyn!Enroutepour1953!J'étaisàpeuprèssûrequeCharlottem'auraittrouéledosduregardsielleavaitpulefaire.Endescendantversl'ancienlaboratoired'alchimie,MrGeorge-nonsanss'enexcuserparavance—mebandalesyeuxetmepritparlamainensoupirant.Gideonfutchargédeportermoncartable.—JesaisqueMrGiordanon'estpasdugenrefacile,meconfiaMrGeorgeaubasdel'escalier,maistupourraispeut-êtretoutdemêmetedonnerunpeudepeineaveclui.-Jetrouvequ'ilpourraitluiaussisedonnerunpeuplusdepeineavecmoi!rectifiai-je.Maîtredereiki,designerdebijouxcréatif,créateurdemode...qu'est-cequ'ilvientfairechezlesVeilleurs?Jecroyaisquec'étaienttousdesscientifiquesetdeshommespolitiquesdupluspurcarat!—Mr Giordano est une sorte de loup blanc parmi les Veilleurs, accordaMr George.Mais c'estquelqu'undebrillant.Àcôtédeses...ehbien...disons...professionsexotiques...quiduresteenontfaitunmultimillionnaire,c'estunhistorienreconnuet...- ... et depuis qu'il a publié il y a cinq ans un essai sur des sources jusque-là inconnues d'unesociété secrète en relation avec les francs-maçons et le légendaire comte de Saint-Germain, lesVeilleurs ont décidé d'urgence de le connaître d'un peu plus près, l'interrompit Gideon qui nousprécédait,savoixrésonnantentrelesmursdepierre.MrGeorges'éclaircitlavoix.-Hmm,oui,çaaussi.Attentionàlamarche!-Jecomprends,dis-je.GiordanoestdevenumembredesVeilleursafinqu'ilnevendepaslamèche.Qu'est-cequec'étaitquecessourcesinconnues?-Chaquemembreapporteàlasociétéquelquechosequilarendplusforte,ditMrGeorgeenéludantmaquestion.EtMrGiordanodisposedecompétencesparticulièrementvariées.- Sans aucun doute, dis-je.Quel homme est capable de se coller lui-même un petit strass sur unongle?J'entendisMrGeorge tousser, commes'il avait avaléde travers.Unmoment,nousmarchâmesensilence. De Gideon, on n'entendait même plus les pas. Je supposai qu'il était parti en avant (monbandeau sur les yeux nous condamnait vraiment à une allure d'escargot). Finalement, je prismon

courageàdeuxmainsetdemandaidoucement:-Pourquoiaujustedois-jealleràcettesoiréeetàcebal,MrGeorge?-Oh, personne ne t'en a encore informée ?Gideon était hier soir - ou plutôt cette nuit - chez lecomtepour luiparlerdevosdernières... aventures.Et il est revenuavecune lettredans laquelle lecomte souhaite expressément que vous l'accompagniez, Gideon et toi, à une soirée chez ladyBrompton,ainsiqu'àungrandbalquiauralieuquelquesjoursplustard.D'autrepart,unevisitedansla maison de Temple est aussi prévue dans l'après-midi. En fait, le comte veut faire plus ampleconnaissanceavectoi.Jepensaienfrissonnantàmapremièrerencontreaveclui.-Jecomprendsqu'ilaitenviedemieuxmeconnaître.Maispourquoiveut-ilmevoirchezdeparfaitsétrangers?Est-ceunesortedetest?-Celaprouveunefoisdeplusqu'iln'yaaucuneraisondeteteniràl'écartdetoutça.Àvraidire,cettelettrem'afaitgrandplaisir.EllemontrequelecomtetefaitbienplusconfiancequelaplupartdecesVeilleursquiteprennentpourunesortedefigurante.-Etpourunetraîtresse,dis-jeenpensantaudocteurWhite.-Oupourune traîtresse, reprit légèrementMrGeorge.Lesavisdivergentsurcepoint.Bon,nousvoiciarrivés,mafille.Tupeuxenlevertonbandeau.Gideon nous attendait. Je tentai une dernière fois de me débarrasser de lui en annonçant que jedevaisapprendreparcœurunsonnetdeShakespeare,cequejenepouvaisfairequ'àvoixhaute,maisilsecontentadehausserlesépaulesenprétextantqu'ilavaitsoniPodetqu'ilnem'entendraitpas.MrGeorgesortitlechronographeducoffre-fortetnousenjoignitdenerienlaissertraîner.-Paslemoindrepetitboutdepapier,tum'entends,Gwendolyn?Turapporterasicilecontenuentierdetoncartable.Etlecartableavec,évidemment.Compris?Jehochailatête,prislecartabledanslamaindeGideonetleserraicontremoi.PuisjetendismondoigtàMrGeorge.Cettefois,lepetitdoigt...l'indexavaitététropmaltraitéparlespiqûresd'aiguille.-Etsijamaisquelqu'unentredanslapiècependantquenousysommes?m'inquiétai-je.—Celan'arriverapas,assuraGideon.Là-bas,c'estlapleinenuit-Etalors?Quelqu'unpourraitavoirl'idéedefaireunerencontreinspirativedanslacave.-Conspirative,ditGideon.Tantqu'àfaire.-Pardon?-Pasdesouci,ditMrGeorgeenintroduisantmondoigtàl'intérieurduchronographeparleclapetouvert.Jememordisleslèvresquandl'aiguilles'enfonçadansmachairetquelasensationbienconnuedegrandhuitcommençaàm'envahir.Lapiècefutplongéedansunelumièrerougerubis,puisj'atterrisdanslenoirlepluscomplet.-Hello?demandai-jedoucement,maispersonnenerépondit.Unesecondeplustard,Gideonsurgitprèsdemoietallumaaussitôtunelampedepoche.- Tu vois, ce n'est pas si inconfortable ici, dit-il en se dirigeant vers la porte pour appuyer surl'interrupteur.

Unesimpleampoulependaittoujoursauplafond,maislerestedelapièces'étaitnettementaméliorédepuismadernièrevisite.MonpremierregardfutpourlemuroùLucasavaitvoulucréernotrecachesecrète.Des chaises étaient empilées devant,mais enmeilleur ordre. Il n'y avait plus tout ce bazarencombrant et la pièce était presquepropre et surtout beaucoupplusvide.Hormis les chaises, il yavaitencoreunetableetuncanapérecouvertd'unveloursvertélimé.-Oui, c'est vraiment plus sympathique que lors demon dernier passage. J'avais tout le temps lafroussedevoirsortirunratquisemettraitàmegrignoter.Gideonappuyasurlaclencheetlasecoua.Laporteétaitapparemmentferméeàclé.-Jen'aivuqu'uneseulefoislaporteouverte,dit-ilavecunsourireencoin.C'étaitparunetrèsbellesoirée.Uncouloirsecretpartd'icijusquesouslepalaisdejustice.Etils'enfonceplusloindansdescatacombesavecdesossementsetdescrânes...Etprèsd'ici,ilya-en1953-unecaveàvins.-Ilfaudraituneclé,dis-jeenlorgnantunenouvellefoisverslemur.Quelquepartderrièreunebriquedisjointe,ils'entrouvaitune.Jesoupirai.Queldommagequecelanemeserveàrienmaintenant!Maisj'appréciaitoutdemêmedesavoirquelquechosedontGideonn'avaitpourunefoisaucuneidée.-Tuasbuduvin?ajoutai-je.-Qu'est-cequetucrois?réponditGideon.Ilpritunechaiseprèsdumuretlaplaçadevantlatable.-Tiens,c'estpourtoi!dit-il.Amuse-toibienavectesdevoirs.-Euh...merci.Jem'assis,sortislesaffairesdemonsacetfissemblantdemeplongerdansmonlivre.Pendantcetemps,Gideons'allongeasurlecanapé,attrapasoniPodetsefourralesécouteursdanslesoreilles.Deuxminutesaprès,enlouchantverslui, jevisqu'ilavaitfermélesyeux.S'était-ilendormi?Riend'étonnantenfait,puisqu'ilavaitvoyagédanslanuit.Unlongmoment,jemeperdisdanslacontemplationdesonlongnezdroit,desapeauclaire,deseslèvrespleinesetdesescilsépaisetrecourbés.Ainsirelâché,ilparaissaitplusjeuneetjeparvinsd'uncoupàme l'imaginerenpetitgarçon.En toutcas,extrêmementmignon.Sapoitrinesesoulevaitets'abaissaitrégulièrementetjemedemandaisij'allaispeut-êtreoser...non,c'étaittropdangereux.IlnefallaitmêmeplusquejeregardecemursijevoulaispréservernotresecretàLucasetàmoi.Comme je ne trouvai rien d'autre à faire et que je pouvais tout demême difficilement regarderdormirGideonpendant quatre heures (bien que cela eût tout à fait son charme), je me consacraifinalementàmesdevoirs,d'abordauxressourcesnaturellesduCaucase,puisauxverbesirréguliersfrançais.Ilnememanquaitplusquelaconclusiondemadissertsurl'œuvreetlaviedeShakespeare,quejerésumaivaillammentenunephraseunique:ShakespearepasseralescinqdernièresannéesdesavieàStratford-upon-Avon,oùilmourraen1616.Voilà, terminé.Maintenant, ilnemerestaitplusqu'à apprendre un sonnet par cœur. Comme ils étaient tous demême longueur, j'en choisis un auhasard.-Mineeyeandheartareatamortalwar,howtodividetheconquestofthesight,murmurai-je.-Tudisçapourmoi,là?demandaGideon.Ils'assitetretiralesécouteursdesesoreilles.Jenepusmalheureusementpasm'empêcherderougir.

-C'estShakespeare,l'informai-je..Gideonsourit-Mineeyemyheartthatpicture'ssightwouldhardmyheartmineeyethefreedomofthatright...ouquelquechosecommeça.-Non,c'estexactementça,dis-jeenrefermantlelivre.-Maistuneleconnaispasencore,s'étonnaGideon.-Detoutefaçon,d'icidemain,jel'auraioublié.Ilvautmieuxquejel'apprennejusteavantd'arriveraulycée,j'auraialorsdebonneschancesdeleretenirjusqu'aucoursdeMrWhitman.-Tantmieux !Commeça, nous allons pouvoir nous exercer aumenuet, ditGideon en se levant.Nousavonssuffisammentdeplaceici.-Ohnon,s'ilteplaît,non!MaisGideons'inclinaitdéjàdevantmoi.-Voulez-vousm'accordercettedanse,missShepherd?-Je n'aimerais rien faire de mieux, monsieur, lui assurai-je en m'éventant avec le livre deShakespeare.Maisjemesuismalheureusementfoulélacheville.Peut-êtrepourriez-vousdemanderàmacousine,là-bas.Ladameenvert,dis-jeenmontrantlecanapé.Ellevousmontreraitvolontierssafaçondedanser.-Maisc'estavecvousquej'aimeraisdanser,jesaisdepuislongtempscommentdansevotrecousine.-JevoulaisparlerdemacousineCanapé,pasdemacousineCharlotte,dis-je.Jevousassure...euh...quevousaurezbeaucoupplusdeplaisiraveclecanapéqu'avecCharlotte.Lecanapé,cen'estpeut-êtrepasaussigracieux,maisc'estplusmoelleux,çaaplusdecharmeetsimplementunmeilleurcaractère.Gideonrit.-Commejevousl'aidéjàdit,monintérêtseporteexclusivementsurvous.Sivousvoulezbienmefairecethonneur...-Maisungentlemancommevousvatoutdemêmeprendreenconsidérationmachevillefoulée!-Non, je regrette, ditGideon en sortant son iPod de sa poche.Un peu de patience, je vous prie.L'orchestrevabientôtêtreprêt.Ilmeglissalesécouteursdanslesoreillesetmetirademachaise.-Oh,chouette,LinkinPark!m'écriai-je, tandisquemonpoulss'affolaitdufaitde laproximitédeGideon.-Quoi?Oh,pardon!Unmoment,çavavenir,dit-ilenfaisantglissersesdoigtssurl'écran.Voilà!Mozart...Exactementcequ'ilnousfautIlmetenditl'iPod.-Non,mets-ledanstajupe,ilfautgarderlesmainslibres.-Maistun'entendspaslamusique,remarquai-jetandisquelesviolonsbruissaientdansmesoreilles.-Jenesuispassourd,paslapeinedecriercommeça!OK,alors,imaginons-nousdansunmenuetàhuit.Àmagauche,ilyaencoreunmonsieur;àmadroite,ilyenadeux,bienalignés.Detoncôté,lamêmeformation,rienquedesdames.Révérence,jeteprie.J'esquissaiunsemblantderévérenceetposaiunemainhésitantedanslasienne.

-Maisj'arrêteraitoutdesuitesitumetraitesdepetitesotte!-Jeneferaisjamaisça,voyons,ditGideonenmeconduisantdroitdevant.Quandondanse,ils'agitsurtout d'avoir une conversation soignée. Puis-jeme permettre de vous demander d'où vous vientcetteaversiondeladanse?Laplupartdesjeunesdamesl'apprécient.-Psst,fautquejemeconcentre,là.Jusque-là,toutsepassaitbien.J'enétaislapremièreétonnée.Letourdemainfonctionnacommesurdesroulettes,unefoisverslagauche,unefoisversladroite.-Onpeutrecommencer,là?-Gardelementonlevé,oui,voilà.Etregarde-moi.Tunedoisjamaismequitterdesyeux,mêmesimonvoisinaunlooksuper.Jenepusm'empêcherde sourire.Qu'est-cequec'était queça ?Unepêcheauxcompliments ?Ehbien,jeneluiferaispasceplaisir.Mêmesijedevaism'avouerqu'ildansaitvraimentbien.Aveclui,ce n'était pas comme avec Lèvres-Pulpeuses... ça allait de soi, tout simplement. Je commençaisvraimentàtrouverdel'intérêtàcemenuet.Gideonleremarquaaussi.-Tiensdonc, tuvoisquetusais lefaire.Maindroite,épauledroite,maingauche,épaulegauche...trèsbien.Ilavaitraison.Jesavaislefaire!Enfait,c'étaitsimplecommetout.Triomphante,jefisuntouravecl'undesautresmessieursinvisiblesducercle,puisjereposaimamaindanscelledeGideon.-Ah,etdirequ'onmeprêtaitlagrâced'unmoulinàvent!-Unecomparaisontoutàfaitdéplacée,affirmaGideon.Quandtudanses,touslesautresmoulinsàventn'ontplusqu'àfairetapisserie.Jegloussai.Puisjetressautai.-Oups!...voilàrevenuLinkinPark.-Peuimporte!Tandis que Papercutmartelait mes oreilles, Gideon me fit exécuter la dernière figure sans setroublerets'inclinapourfinir.J'étaispresquetristequecefûtdéjàterminé.Jeluifisunepetiterévérenceetretirailesécouteurs.-Tiens!C'esttrèsgentilàtoidem'avoirapprisça.-C'estjusteparpurégoïsme,ditGideon.Sinon,c'estmoiquimeridiculiseraiavectoi,déjàoublié?-Non.Mabonnehumeurs'envolad'uncoup.Monregardseperditverslemuretleschaisesdevant.-Eh,nousn'en avonspas encore fini, ditGideon.C'était certesgentillet,maispas encoreparfait.Pourquoiceregardsisombre,toutàcoup?-Àtonavis,pourquoilecomtedeSaint-Germainveut-ilm'avoirabsolumentàunesoiréeetàunbal?IlpourraitaussibienmeconvoquericiàTemple,jenecourraispaslerisquedepasserpouruneimbéciledevantdesétrangers.Personnen'auraitàs'étonnerenmevoyantetn'enferaitéventuellementmentionpourlapostérité.Gideonmeregardaunmomentavantderépondre.- Le comte n'aime pasmontrer ses cartes,mais derrière chacune de ses idées se trouve un plangénial. Il ades soupçons sur l'identitédeces typesquinous sont tombésdessusàHydePark, et je

pensequ'ilaimeraitfairesortirduboisleoulescommanditairesennousprésentanttouslesdeuxàsuffisammentdegens.-Oh!fis-je.Tucroisquenousallonsdenouveauêtreattaquéspardeshommesavecdesépées...?-Non,pastantquenousseronsensociété,ditGideon.Ils'assitsurledossierducanapéetcroisalesbras.-Pourtant,reprit-il,jepensequec'esttropdangereux...entoutcaspourtoi.Jem'appuyaicontreleborddelatable.-TunesoupçonnaispasLucyetPaul,pourcetteattaqueàHydePark?-Oui et non, réponditGideon.Un homme comme le comte deSaint-Germain s'est fait plus d'unennemi au cours de sa vie. Les Annales mentionnent quelques tentatives d'attentats contre lui. JesoupçonneLucyetPauldes'êtrealliésavecunouplusieursdecesennemispouratteindreleurbut.-Lecomteestdumêmeavis?Gideonhaussalesépaules.-Jel'espère.Jeréfléchisunmoment.- Je pense que tu ferais bien de contrevenir encore une fois aux règles et d'emporter avec toi cepistoletàlaJamesBond,proposai-jealors.Faceàça,touscestypespeuventremballerleursépées.Oùest-cequetul'asmis,d'ailleurs?Jemesentiraisplusensécurité,moiaussi,situavaisçasurtoi.-Unearmequel'onnesaitpasmanierseretourneengénéralcontresoi,ditGideon.Je pensai àmon couteau à légumes japonais. Pas franchement agréable de se dire qu'on pourraitl'utilisercontremoi.-Charlotteest-ellebonneenescrime?Est-cequ'ellesaitaussimanierunpistolet?Denouveauunhaussementd'épaules.-Elleprenddescoursd'escrimedepuisl'âgededouzeans...évidemmentqu'elleestbonne!Évidemment.Charlotteétaitbonneentout.Saufengentillesse.-Elleauraitcertainementpluaucomte,dis-je.Jenesuisapparemmentpassongenre.Gideonrit.- Tu peux encore le faire changer d'avis. S'il veut te connaître un peumieux, c'est surtout pourvérifiersilesprophétiesteconcernantn'onttoutdemêmepasraison.-Àcausedelamagieducorbeau?dis-je,toujoursaussimalàl'aiseaveccesujet.Lesprophétiesrévèlent-ellesaussidequoiils'agit?Gideonhésita,puisilditdoucement:-...Lecorbeausursesailesrougerubisentendentrelesmondeschanterlesmorts,àpeineconnaît-illaforce,àpeineconnaît-illeprix,quelepouvoirselèveetleCercleseferme...Ilseraclalagorgeetconstata:-Maistuaslachairdepoule!-C'estplutôtinquiétant,non?Surtout,cettehistoiredemortschantant,dis-jeenmefrottantlesbras.Ilyaunesuite?-Non,c'estplusoumoinstout.Tuavouerasqueçanetecorrespondpasvraiment,n'est-cepas?

Oui,ilavaitsansdouteraison.-Ilyaquelquechosesurtoidanscetteprophétie?-Naturellement,réponditGideon.Surchaquevoyageurdansletemps.Jesuislelionàlacrinièreendiamant,àlavueduquellesoleil...Ils'arrêtalàunmoment,commegêné,puisilpoursuivitavecunsourirenarquois:-Blablabla.Oh,et tonarrière-arrière-arrière-grand-mère,cette intraitable ladyTilney,estquantàelleunrenard,unrenarddejade,cachésousuntilleul.-Etcetteprophétieveutdirequelquechose?-Toutà fait : elle fourmillede symboles.Toutestquestiond'interprétation,dit-il en regardant samontre.Nousavonsencoreletemps.Jeproposedecontinuernoscoursdedanse.-Ondanseraaussiàcettesoirée?- Jenepensepas,ditGideon.Onsecontenterademanger,boireetbavarderet...euh... fairede lamusique.Onvatrèscertainementtedemanderdejouerquelquechoseoudechanter.-Ehbien,dis-je,j'auraismieuxfaitdeprendredescoursdepianoplutôtquedesuivreLeslieàcecours de hip-hop.Mais question chant, jeme débrouille pas simal. L'année dernière, à la fête deCynthia, j'ai gagné haut la main le concours de karaoké. Avec mon interprétation tout à faitpersonnelledeSomewhereover therainbow.Etça,alorsque j'étaismalheureusementdesservieparmondéguisementdestationdebus.-Euh,oui...Sionteledemande,tun'aurasqu'àdirequetun'asplusdevoix,chaquefoisquetudoischanterenpublic.-Alors,ça,j'ailedroitdeledire,maispasquejemesuisfoulélacheville?-Tiens,prendslesécouteurs.Onvareprendrenosexercices.Ils'inclinadevantmoi.-Qu'est-cequejedoisfairesic'estunautrequetoiquivientm'inviter?dis-jeenm'enfonçantdansuneprofonderévérence.

-Tun'aurasqu'à faireexactementpareil, réponditGideonenmeprenant lamain.MaisauXVIIIesiècle,leschosessepassaientselondesrèglesbienétablies.Onn'invitaitpasunejeunefillesansluiavoird'abordétéprésentéofficiellement.-Àmoinsdelavoirfairequelquesgestesobscènesavecsonéventail.Chaquefoisquej'aiinclinélemiend'uncentimètre,GiordanoafaitunedépressionnerveuseetCharlotteasecouélatêtecommeuntristechienpendulaire.-Ellenecherchequ'àt'aider,ditGideon.- Oui, c'est ça. Et la Terre est plate, dis-je dans un souffle, alors que ce n'était certainement pasautoriséendansantlemenuet.-Onpourraitpenserquevousnevousappréciezpas, toutes lesdeux,ditGideon tandisquenousdansionschacunencercleavecnotrepartenairevirtuel.Ah?Onpourraitlepenser?-Jecroisqu'àparttanteGlenda,ladyAristaetnosprofesseurs,personnen'aimeCharlotte.-Jenecroispas,protestaGideon.

- Oh, j'oubliais naturellement Giordano et toi. Oups, voilà que j'ai levé les yeux en l'air, c'estcertainementinterditauXVIIIesiècle.-Serait-ilpossiblequetusoisunpeujalousedeCharlotte?J'éclataiderire.-Crois-moi,situlaconnaissaisaussibienquemoi,tuneposeraismêmepascegenredequestionstupide.-Enfait,jelaconnaistrèsbien,ditdoucementGideonenmereprenantlamain.Oui,maisseulementsoussonmeilleurjour,voulus-jedire.Maisjecomprissoudainlesensdecettephraseetjefusd'uncoupterriblementetfurieusementjalousedeCharlotte.-Commentvousconnaissez-vousdonctouslesdeux...enparticulier?dis-jealorsenluiretirantmamainpourlatendreàsonvoisinvirtuel.-Ehbien,jedirais,aussibienqu'onpeutseconnaîtrequandonpassebeaucoupdetempsensemble,dit-ilavecunsourireénigmatique.Etnousn'avionsguère le tempsni l'unni l'autrepourd'autres...euh...amitiés.- Je comprends. Il faut se contenter de ce que l'on a. Et... ajoutai-je à brûle-pourpoint, Charlotteembrassecomment?Gideonsaisitmamain,quisetrouvaitaumoinsàvingtcentimètrestrophaut.-Machère,jetrouvequevousfaitesd'énormesprogrèsenmatièredeconversation...Cependant,ungentlemanneparlepasdecegenredechoses.-Oui,jet'accorderaiscetteexcusesituétaisungentleman.-Sijedevaisvousfournirprétexteàconsidérermonattitudecommenongentlemanlike,alors...-Ah,ferme-la!Quoiqu'ilpuisseyavoirentretoietCharlotte,çanem'intéressepasdutout.Maisjetrouveplutôtgonfléquetutrouvesenmêmetempsamusantdeme...peloter.- Peloter ?Quel vilainmot ! Je vous serais infiniment reconnaissant dem'expliquer la raison devotremauvaisehumeur,toutenveillantàlapositiondevoscoudes.Pourcettefigure,ilsdoiventsetrouverenbas.- Ce n'est pas drôle, protestai-je. Je ne t'aurais jamais laissém'embrasser si j'avais su que toi etCharlotte...Ah,Mozartétait terminéetc'étaitdenouveau le tourdeLinkinPark.Bien,ças'accordaitmieuxàmonhumeur.-MoietCharlotte...quoi?-...étiezplusquedesamis.-Quiaditça?-Toi.-Maisnon.-Ah,ah!Doncvousnevousêtesencorejamais...disons...embrassés?Jerenonçaiàlarévérencepourlefusillerduregard.- Je n'ai pas dit ça non plus, dit-il en s'inclinant et en sortant l'iPod dema poche. Recommenceencoreunefois,ilfautt'exerceràcetrucaveclesbras.Sinon,c'étaitsuper.

- En revanche, ta conversation laisse fortement à désirer, dis-je. Alors, tu l'as fait ou non avecCharlotte?-Jepensequeçaneteregardepas.Jecontinuaiàluidécocherdeséclairs.-C'estvrai.-Alors,c'estbien,ditGideonenmerendantl'iPod.Danslesécouteurs,onentendaitHallelujaj, laversiondeBonJovi.-Cen'estpaslebonmorceau,dis-je.-Si,si,ditGideonavecunsourirenarquois.Jepensaisqu'iltefallaitquelquechosedetranquillisantmaintenant.-Tu...tues...untel...-Oui?-Saletype.Ils'approchaencored'unpas,desortequ'àvuedenezilnedevaitplusyavoirqu'uncentimètreentrenous.-Tu vois, c'est toute la différence entreCharlotte et toi : elle ne dirait jamais une telle chose.Marespirationsefitlourde.-Peut-êtreparcequetuneluiendonnespasl'occasion.-Non,cen'estpasça.Jecroisqu'elleatoutsimplementdemeilleuresmanières.-Oui,etdesnerfsplussolides,dis-je.Pourjenesaisquelleraison,jenepusm'empêcherdefixerleslèvresdeGideon.-Aucasoùtuvoudraisencoretenterlecoupquandnousnousretrouveronsjenesaisoùdansunconfessionnal et que nous nous ennuierons : je ne me laisserai pas rouler une deuxième fois !déclarai-je.-Tuveuxdire...quetunemelaisseraispast'embrasserunedeuxièmefois?-Exact,chuchotai-je,complètementtétanisée.- Dommage, dit Gideon, tout en approchant sa bouche si près que je sentis son souffle surmeslèvres.Il était clair pour moi que je ne donnais pas l'impression de prendre mes paroles au sérieux.Jen'ycroyaismêmepas.C'étaitdéjàunexploitdenepasmejeteràsoncou.Entoutcas,j'avaisratédepuislongtempslemomentdemeretourneroudelerepousser.Manifestement, Gideon voyait les choses de la même façon. Samain commença à caresser mescheveuxetpuisjesentisenfinledouxfrôlementdeseslèvres.«...andeverybreathwetookwashallelujah»,chantaitBonJoviàmonoreille.J'avais toujours aimé cette fichue chanson. Je pouvais l'entendre quinze fois de suite, mais elleresteraitsansdouteéternellementliéeausouvenirdeGideon.Alléluia!

ARBREGÉNÉALOGIQUEDELAFAMILLEMONTROSE

James(lord)MontroseMaryElisabethMontrose

Lucas(lord)Montrose

AristaMadeleineMontrose

HarryGlenda

JaneCharlesGrace

NicolasShepherd

LucyJanetDavidCharlotteGwendolynNickCaroline

HICRHODOSHICSALTA

HICRHODOSHICSALTA

(DevisedesMontrose.Librementtraduitepar«Montrecequetusaisfaire»)

Chapitre6

Cette fois, riennenousdérangea,pasplusun sautdans le tempsqu'une insolentegargouille.Surfondd'Hallelujah,lebaiserfutd'abordd'unedouceurprudente,puisGideonenfouitsesmainsdansmescheveuxetm'attirafortementàlui.Cenefutplusundouxbaiseretmaréactionm'étonna.MoncorpssefitsoudaintoutmouettoutlégeretmesbrasenlacèrentautomatiquementlecoudeGideon.Jenesaiscomment,maistoutennousembrassant,nousatterrîmessurlecanapéoùnouscontinuâmesànousbécoterjusqu'àcequeGideonseredressebrusquementetregardesamontre.-Comme jedisais, c'estvraimentdommagedeneplusavoir ledroitde t'embrasser,dit-il, plutôtessoufflé.Ilavaitd'énormespupillesetsesjouesavaientnettementrougi.Je me demandai à quoi je devais ressembler. Comme j'avais passagèrement muté en une sortedepuddinghumain,jen'étaispasenmesuredemelibérerdemapositionmi-allongée.Etjeconstataiaveceffroiquejen'avaisaucuneidéedutempsquis'étaitécoulédepuisHallelujaj.Dixminutes?Unedemi-heure?Toutétaitpossible.Gideonmeregardaetjecrusdevinerdelastupeurdanssesyeux.- Il faudrait rassembler nos affaires, finit-il par dire. Et tu devrais d'urgence faire quelque choseavectescheveux...Ondiraitquejenesaisquelidiotyafourragéàdeuxmainsavantdetejetersuruncanapé...Quelquesoitceluiquinousattend,ilnevapastarderàcomprendre...Oh,monDieu,nemeregardepascommeça.-Commequoi?-Commesitunepouvaisplusbouger.-Mais c'est exactement ça, dis-je sérieusement. Je suis un vrai pudding. Tum'as transformée enpudding.UnbrefsourireéclairalevisagedeGideon,puisilbonditsursespiedsetcommençaàenfournermesaffairesdansmonsac.-Allez,viens,monpetitpudding,lève-toi!Tuasunpeigneouunebrossesurtoi?- Quelque part là-dedans, marmonnai-je faiblement. Gideon leva l'étui à lunettes de la mère deLeslie.-Là-dedans?-Non!criai-je.Lafrayeurmituntermeàmonexistencedepudding.Jemelevaid'unbond,arrachaiàGideonl'étuiaveclecouteaujaponaisetlelançaidanslesac.SiGideons'enétonna,ilnelemontrapas.Ilreplaçalachaisecontrelemuret jetaunnouveaucoupd'œilàsamontretandisquejesortaismabrosseàcheveux.-Combiendetempsnousreste-t-il?-Deuxminutes,ditGideonenramassantl'iPodquisetrouvaitparterre.Tiensdonc,commentavait-ilatterrilà?Ouquand?Jemebrossairapidementlescheveux.Gideon

meregardad'unairgrave.-Gwendolyn?-Hmm?Jelaissairetomberlabrosseetrépondisàsonregardlepluscalmementpossible.Oh,monDieu!Ilétaitsibeauqu'unepartiedemoncorpsvoulutdenouveausetransformerenpudding.-As-tu...?J'attendis.-Quoi?-Non,rien.Monestomacsemitàfairelegrandhuitbienconnu.-Jecroisquec'estreparti,dis-je.-Serrebienlesacdanstamain,nelelaissesurtoutpastomber.Etviensunpeuparici,sinontuvasatterrirsurlatable.Enmedéplaçant,jevistoutsebrouillerdevantmesyeux.Quelquesfractionsdesecondeplustard,j'atterris en douceur surmes pieds, juste devant les yeux écarquillés deMrMarley. La frimousseinsolentedeXemeriuslorgnaitpar-dessussonépaule.- Ah, enfin .' s'exclama le gargouillot. Ça fait déjà une demi-heure que je dois me farcir lesmonologuesdecerouquin.-Vousallezbien,miss?bredouillaMrMarleyenreculantd'unpas.-Oui,ellevabien,réponditGideonquiavaitatterriderrièremoi.Ilmejetaunregardinquietpourvérifieretdétournaaussitôtlesyeuxencroisantmonsourire.MrMarleys'éclaircitlavoix.-Onm'achargédevousdirequevousêtesattendusdanslasalleduDragon,sir.Lemin...numéroseptestarrivéetildésires'entreteniravecvous.Avecvotrepermission,jevaisaccompagnerlamissàsavoiture.-Lamissn'apasdevoiture,remarquaXemerius.Ellen'amêmepaslepermis,espècedeminable.-Non,laisseztomber!Ellevientavecmoi,ditGideonencherchantlebandeaunoir.-Est-cevraimentnécessaire?luidemandai-je.-Oui.Gideonmenoualefoulardderrière la tête,nonsansycoincerenmêmetempsquelquescheveux,maisjemeretinsdegémiretmemordissimplementlalèvre.- Si tu ne connais pas l'endroit où se trouve le chronographe, tu ne pourras pas le révéler etpersonnenepourranousguetterparsurprisequandnousatterrirons-jenesaisquand-dansladitepièce.-MaiscettecaveappartientauxVeilleursetlesentréesetlessortiessontsurveilléesenpermanence,objectai-je.-Primo,ilyaencoreplusdecheminssouscesvoûtesqu'entrelesbâtimentsduquartierduTempleet, deuzio, il n'est pas exclu que, dans nos propres, rangs, quelqu'un ait intérêt à une rencontre

surprenante.-Ne fais confianceàpersonne.Mêmepasà tes propres sentiments,murmurai-je. Il n'y a que desgensdouteuxici.Gideonmeposaunemainautourdelatailleetmepoussaenavant.-Exactement.J'entendisMrMarleydire«aurevoir»,puis laportese refermaderrièrenous.Nousmarchâmescôteàcôteensilence.J'auraispourtantbienaiméparlerd'unefouledechoses,maisjenesavaispasparquoicommencer.-Monsentimentmeditquevousvousêtesdenouveaupelotés,remarquaXemerius.Monsentimentetmaperspicacité.-Maisnon!protestai-je.Xemeriusémitunrirecaquetant.

- Crois-moi, je suis sur cette Terre depuis leXIe siècle et je sais à quoi ressemble une fille quiémerged'untasdefoin.—D'untasdefoin!m'écriai-je,fâchée.-Tumeparles,là?demandaGideon.-Àquid'autre,sinon?dis-je.Quelleheureest-ilaufait?Aproposdefoin,j'aiunefaimdeloup.-Bientôt7heuresetdemie.Gideonme lâcha sans prévenir. Une série de couinements électroniques se firent entendre, et jeheurtaiunmuravecmonépaule.-Eh!mais...-Ah,voilàmafoiungalanthomme,ditXemeriusenrepartantd'unfourire.-Excuse.Cettesaletédeportablenereçoitpasici.Trente-quatreappelsenabsence.Ehbien,super!Çanepeutque...Oh,ciel,mamère!soupiraGideon.Ellem'alaisséonzemessages.Jetâtonnailelongdumur.-Tum'enlèvescetteconneriedebandeauoualorstumeconduis!-Bon,bon,dit-ilenmeredonnantlamain.-Jene saispasquoipenserd'un typequibande lesyeuxde sa copinepourpouvoir regarder sonportableentoutetranquillité,persiflaXemerius.Jen'ensavaisriennonplus.-Quelquechosedegrave?demandai-jeàGideon.Unnouveausoupir.-Jesuppose.Sinon,nousnenoustéléphononspassouvent.Toujourspasderéception.-Attentionàlamarche!avertitXemerius.-Quelqu'unestpeut-êtremalade,avançai-je.Ou tuasoubliéquelquechosed'important.Mumm'aaussilaisséjenesaiscombiendeSMSdernièrementpourmerappelerl'anniversairedemononcleHarry.Aïe!SiXemeriusn'avait paspousséun cri d'alarme, la poignéede la rampeme serait rentréedans leventre. Gideon ne le remarqua même pas. Je montai toute seule à tâtons, du mieux que je pus,l'escalierencolimaçon.

-Non,cen'estpasça.Jen'oublie jamaisunanniversaire, répondit-il,plutôtoppressé.CedoitêtrequelquechoseenrapportavecRaphaël.-Tonpetitfrère?-Iln'arrêtepasdefairedeschosesdangereuses.Ilconduitsanspermis,sejetteduhautdesfalaisesetescalade lesmontagnessansaucunesécurité.Aucune idéedecequ'ilveutprouveravecça.L'annéedernière,ilafaitunechuteenparapenteetilestrestétroissemainesàl'hôpitalavecuntraumatismecrânien.Onpourraitpenserqueçaluiauraitservideleçon,maisnon,poursonanniversaireils'estfaitoffrirunhors-bordparM.Bertelin.Etcetidiotsatisfaitnaturellementtoussesdésirs.Arrivéenhaut,Gideonaccéléralepasetjerecommençaiàtrébucher.-Ahenfin!s'écria-t-il.Ilécoutaitmanifestementsesmessagesenmarchant.Malheureusement,jenepusriencomprendre.- Oh, merde ! l'entendis-je seulement murmurer plusieurs fois. Il m'avait de nouveau lâchée etj'avançaisàl'aveuglette.- Si tu ne veux pas rentrer direct dans un mur, tu ferais bien de tourner à gauche, m'informaXemerius.Oh,tiens,ilvientdes'apercevoirquetunepossèdespasdesystèmeradarintégré.-OK...murmuraGideon.Sesmainseffleurèrentmonvisage,puisl'arrièredematête.-Désolé,Gwendolyn.Ilsemblaitsefairedusouci,maisjemedoutaisfortquecen'étaitpaspourmoi.-Tuvast'yretrouvertouteseuleàpartird'ici?Il dénoua le bandeau et je clignai des yeux à la lumière.Nous nous trouvions devant l'atelier deMmeRossini.Gideoncaressafurtivementmajoueavecundrôledesourire.-Tuconnaislechemin,n'est-cepas?Tavoitureattend.Nousnousreverronsdemain.Etavantquejepuisserépondre,ils'étaitdéjàdétourné.-Ethop,parti!ditXemerius.Cen'estpaslafaçonlaplusraffinée,enfait.-Ques'est-ilpassé?criai-jedansledosdeGideon.-Monfrèrea fichu lecampde lamaison, répondit-il sansse retourneroumêmeralentir.Et je tedonneenmillel'endroitoùilsetrouve.Maisilavaitdéjàdisparuavantquejepuissedeviner.-JenevaispasmisersurlesîlesFidji,murmurai-je.-Jepensequ'ileûtmieuxvalunepassevautreravec luidans le foin,ditXemerius.Maintenant, ilpenset'avoirfacilementetilnesedonneplusaucunepeine.-Ferme-la,Xemerius!Tum'énervesàlafin!Nousnoussommesjusteunpeuembrassés.-Cen'estpasuneraisonpourtetransformerentomate,montrésor!Jesentismesjouesbrûlantesetmefâchai.-Bon,allons-y!J'aifaim.Aujourd'hui,j'aiaumoinsunechanced'avoirencorequelquesrestesdudîner.Etpeut-êtrequ'aupassagenouspourronsaussijeterunœilsurcesmystérieuxtypesduCercleintérieur.

-Ahnon!ditXemerius.Jelesaiécoutéstoutl'après-midi.-Oh,bien!Raconte!-En-nu-yeux!Jepensaislesvoirboiredusangdansdescrânesetsepeindredessignesmystérieuxsurlesbras.Maisnon...ilsn'ontfaitqueparler,encostardetennœudpap.-Etdequoi,aujuste?-Voyons voir si je vais réussir àm'y retrouver, dit-il en se raclant la gorge. Pour l'essentiel, ils'agissaitdesavoirsil'onpouvaitbriserlesrèglesd'orpourdéjouerTourmalinenoireetSaphir.-«Super-idée»,disaientlesuns;«Non,enaucuncas»,disaientlesautres;puisdenouveaulesuns:«Sinononn'arriverajamaisàsauverlemonde,bandedelâches»;ceàquoilesautresrépondaient:«Non,maisc'estmauvaisetdeplusdangereuxsil'ons'entientaucontinuumetàlamorale».Alorslesuns :«Oui,maisons'en foutcomplètementsi lemondeestsauvégrâceàça» ;puisunverbiageonctueuxdesdeuxcôtés...Jecroisquej'aifiniparm'endormir.Maisfinalement,ilssontdenouveautoustombésd'accordsurlefaitqueleDiamanttendmalheureusementàn'enfairequ'àsatête,tandisqueleRubissembleêtred'uneidiotiecrasseetnepeutdoncentrerenactionpourlesmissionsdansletempsconcernantl'opérationOpaleetl'opérationJade,parcequetoutsimplementtropdébile.Tumesuis,là?-Euh...-Naturellement, je t'aidéfendue,mais ilsnem'ontpasécouté,ditXemerius. Ilétaitquestionde tetenirlepluspossibleéloignéedetouteslesinformations.Ilsontditquetureprésentaisdéjàunrisqueparleseulfaitdetanaïvetéetdetonignoranceduesàtonmanqued'éducationetquetuétaisd'autrepartl'indiscrétionpersonnifiée.Entoutcas,ilsveulentaussiteniràl'œiltonamieLeslie.-Oh,mince!- La bonne nouvelle, c'est qu'ils mettent totalement ton incompétence sur le dos de tamère. Lesfemmessontdetoutefaçonresponsablesdetout,ilsenonttousconvenu,cesfaiseursdemystères.Etpuisilaétéquestionensuitedetoutessortesdepreuves,defacturesdetailleur,delettres,debonsens,et après quelques tergiversations ils sont tous tombés d'accord sur l'idée queLucy et Paul avaientsauté en1912 et qu'ils yvivent encoremaintenant.Celadit, lemot«maintenant»ne convient pasvraiment,réfléchitXemeriusensegrattantlatête.Peuimporte,cesdeux-làsecachentlàentoutcas,ilsensonttousabsolumentcertains,etàlaprochaineoccasion,tonmerveilleuxcostauddoitallerlesvoirpour leurpomperdusanget récupérer lechronographeaupassage,etpuis toutest repartidezéro,blablabla,règlesd'or,verbiageonctueux...-C'estvraimentintéressant,dis-je.- Tu trouves ? Si oui, ça ne peut tenir qu'à ma façon hyper marrante de résumer tout ce bazarennuyeux.J'ouvris la porte du couloir suivant et jem'apprêtais à répondre àXemerius quand j'entendis unevoix:-Tun'asrienperdudetonarrogance!C'étaitMum!Eteffectivement,entournantlecoin,jelavis.EllesetrouvaitdevantFalkdeVilliers,lespoingsserrés.-Ettoi,tuestoujoursaussibutéeetindécrottable!ditFalk.Cequetut'espermis—onsedemanded'ailleurs bien pourquoi — en masquant volontairement la naissance de Gwendolyn a

considérablementnuiàlacause.-Lacause!Votrecauseatoujoursétéplusimportantequelespersonnesquiyprennentpart!s'écriamamère.Jerefermailaporteleplusdoucementpossibleetpoursuivislentementmonchemin.Xemeriusmesuivitens'accrochantaumur.-Wouah!disdonc,elleal'airfurax!C'était vrai. Les yeux de Mum scintillaient, ses joues étaient rouges et sa voix inhabituellementcriarde.-Nousétionstombésd'accordpourécarterGwendolyndetoutça.Pournepaslamettreendanger!Etmaintenantvousvoulezlaserviraucomtedirectementsurunplateau.Alorsqu'elleesttotalement...désarmée.-Etc'esttoilaseuleresponsable,rétorquafroidementFalkdeVilliers.Mumsemorditlalèvre.-Entantquegrand-maîtredelaloge,c'esttoiquienporteslaresponsabilité!-Situavaisjouécartessurtabledèsledébut,Gwendolynseraitprête.Pourtagouverne:avectonhistoire-tuparles!—prétextantquetuvoulaisprocureruneenfancefacileàtafille,tupouvaispeut-êtretromperMrGeorge,maispasmoi.Jesuistoujoursaussiimpatientdesavoircequecettesage-femmevanousraconter.-Vousnel'aveztoujourspasretrouvée?Lavoixdemamèreavaitbaisséd'unton.-C'estunequestiondejours,Grâce.Noshommessontpartout.Cettefois,ilremarquamaprésenceetsonvisageseradoucit.-Pourquoies-tuseule,Gwendolyn?-Chérie!s'écriaMumenseprécipitantversmoietenm'embrassant.J'aipensévenir techercher,pourquetunerentrespasaussitardqu'hiersoir.-... et tu profites de l'occasion pour m'assaillir de reproches, compléta Falk avec un petit rire.PourquoiMrMarleyn'est-ilpasavectoi,Gwendolyn?- Il m'a laissée faire le dernier bout de chemin toute seule, dis-je évasivement. Pourquoi vousdisputez-vous?

-TamamanconsidèretessortiesauXVIIIesièclecommetropdangereuses,ditFalk.Oui, comment lui en vouloir ? Et pourtant, elle ne connaissait qu'une infime partie de tous lesdangerspossibles.PersonneneluiavaitparlédeceshommesquinousavaientagressésàHydePark.Moi, en tout cas, j'aurais préféré me mordre la langue. Elle ignorait tout de lady Tilney et despistolets,etLeslieétaitlaseuleàsavoirquelecomtedeSaint-Germainm'avaitmenacéedelafaçonlaplushorrible.Ah,etmongrand-pèrelesavaitaussi,naturellement.JeregardaiFalkattentivement.-Pourcettehistoired'éventailàagiteretdedansedemenuet,jefiniraibienparyarriver,dis-jeàlalégère.Cen'estpasvraimentrisqué,Mum.Jecrainssimplementdefinirparbriser l'éventailsur latêtedeCharlotte...

-Là,tuentends,Grâce!ditFalkenmefaisantunclind'œil.- À qui veux-tu faire croire ça, Falk ? protesta ma mère en lui lançant un regard noir. Viens,Gwendolyn,dit-elleenmeprenantparlebras.Lesautresnousattendentpourledîner.-Àdemain,Gwendolyn,criaFalkderrièrenous.Et...euh...àundecesjours,Grâce.-Aurevoir,murmurai-je.Mummarmonnaquelquechosed'incompréhensible.-Bon,situmeledemandes...encoreunehistoiredetasdefoin,ditXemerius.Ilsnepeuventpasmetromperavecleurschamailleries.Jereconnaislesamitiésdetasdefoinaupremiercoupd'œil.Je soupirai.Mum soupira aussi etme serra plus fort contre elle pour les derniersmètres vers lasortie.Jemeraidisd'abordunpeu,puisposaimatêtesursonépaule.-TunedoispastedisputeravecFalkàcausedemoi.Tutefaistropdesouci,Mum.-Facileàdire...Cen'estpasunsentimentagréabledesavoirqu'ons'esttrompéesurtoutelaligne.Jevoisbienquetum'enveux.Etàjustetitre,jepense,dit-elleensoupirant.-Maisjet'aimequandmême,dis-je.Mumluttacontreleslarmes.-Etmoi,jet'aimeplusquetunetel'imagines,murmura-t-elle.Nous avions atteint la ruelle devant la maison et elle se retourna, comme si elle craignait quequelqu'unnousépiedanslenoir.- Je donnerais tout pour avoir une famille tout à fait normale, avec une vie tout à fait normale,ajouta-t-elle.-Qu'est-cequiestnormal?demandai-je.-Entoutcas,pasnous!-Toutestunequestiondepointdevue,ironisai-je.Bon,alors,comments'estpasséetajournée?-Oh, les choses habituelles, ditMum avec un faible sourire.D'abord une petite dispute avecmamère,puisuneplusgrandeavecmasœur,uneautreavecmonchefauboulotetpourfinirencoreunedernière avec... mon ex-petit ami, qui se trouve par hasard être le grand-maître d'une logeeffroyablementsecrète.-Jel'avaisbiendit!péroraXemerius.Tasdefoin!-Tuvois,rienquedunormal,Mum!Mumsourittoutdemême.-Ettajournéeàtoi,chérie?-Riendebienparticulier, nonplus.Unpeude stress au lycée avec l'Écureuil.Ensuite, unpeudecoursdedanseetdesavoir-vivrechezcetteobscuresociétésecrètequis'occupedevoyagesdansletemps,puisavantdepouvoirétranglermacharmantecousine,unepetiteescapadeen1953pourfairemesdevoirsentoutetranquillitéetretrouverdemaindustressavecleditÉcureuil.-Çam'al'airplutôtcool,ditMum.Sestalonsclaquaientsurl'asphalte.Elleseretournaencore.-Je ne crois pas qu'on nous suive, la rassurai-je. Ils ont tous suffisamment à faire... La maisonfourmilledegensincroyablementsecrets.-LeCercleintérieurserassemble...Çan'arrivepassouvent.Ladernièrefois,c'étaitquandLucyet

Paulontvolélechronographe.Ilssontéparpillésdanslemondeentier...-Mum?Tunecroispasqu'ilseraittempsdemedirecequetusais?Çanesertàriendemelaissertâtonnersansarrêtdanslenoir.-Ausensexactduterme,ditXemerius.Mums'arrêta.-Tumesurestimes !Lepeude scienceque j'aine te servirait à rien.Ça te troublerait sansdouteencoreplus.Voirepire,çatemettraitdansundangerencoreplusgrand.Jesecouailatête.Jenevoulaispasrenonceraussivite.-C'étaitquiouquoi,cecavaliervert?EtpourquoiLucyetPaulneveulent-ilspasqueleCercleseferme?Oualors,leveulent-ilstoutdemême,maisseulementpourutiliserlesecretàleursfins?Mumsefrottalestempes.-C'estlapremièrefoisquej'entendsparlerd'uncavaliervert.EtencequiconcerneLucyetPaul,jesuis sûre que leursmotivations n'étaient pas de nature égoïste. Tu as rencontré le comte de Saint-Germain.Ildisposedemoyens...Ellesetutdenouveau,puisreprit:-Ah,chérie,riendecequejepourraistedirenet'aiderait,crois-moi.-S'ilteplaît,Mum!Passeencorequeceshommesfassentautantdemystèresetnem'accordentpasleurconfiance,maistoi,tuesmamère!-Oui,dit-elle,leslarmesauxyeux.C'estvrai.Maisviens,letaxipatientedepuisunedemi-heure.Çavasansdoutemecoûterlamoitiéd'unmoisdesalaire.Jelasuivisdanslarueensoupirant.-Nouspouvonsprendrelemétro.- Non, il faut que tu manges au plus vite quelque chose de chaud. Et puis, ton frère et ta sœurt'attendentimpatiemment.Usnesupporteraientpasdedînerunefoisdeplussanstoi.Ce fut une soirée étonnamment paisible et agréable, carma grand-mère était à l'opéra avec tanteGlendaetCharlotte.-La Tosca, dit grand-tante Maddy, toute guillerette, en secouant ses bouclettes blondes. J'espèrequ'ellesreviendrontdebonnehumeur!Ellemefitunclind'œilmalicieux.-Heureusementqu'il restaitcesbilletsàViolet !ajouta-t-elle.Je jetaiunregard interrogateurà laronde. Il s'avéra que l'amie de grand-tante Maddy (une gentille vieille dame portant le nommerveilleux deMrsViolet Purplepum, qui nous tricotait toujours des cache-nez et des chaussettespourNoël)avaitvouluallerà l'opéraavecsonfilsetsafuturebelle-fille,maisquelafuturebelle-filleallaitapparemmentdevenirenfaitcelled'uneautrefemme.Comme chaque fois que lady Arista et tante Glenda s'absentaient, la bonne humeur régnait à lamaison.C'étaitunpeucommeàl'écoleprimaire,quandlemaîtrequittaitlasalledeclasse.Pendantlerepas, jedusmeleveretmontreràmesfrèreetsœur, tanteMaddy,MumetMrBernhardcommentCharlotte et Lèvres-Pulpeuses m'avaient appris à danser le menuet et à manier un éventail, etXemeriusmeservitdesouffleur.Finalement,aprèscoup,moiaussi jetrouvaisçaplutôtdrôleet jecomprenais que les autres s'en amusent. Au bout d'un moment, tout le monde dansa (sauf MrBernhard, qui se contenta de marquer la cadence du bout du pied) et parla en nasillant comme

Giordano,toutenn'arrêtantpasdecrier:-Petitesotte!RegardedoncCharlotte!-Àdroite!Non,àdroite,làoùlepouceestàgauche.Et:-Jevoistesdents!Cen'estpaspatriotique!Nickprésentavingt-troisfaçonsdifférentesdes'éventeravecuneservietteetdecommuniquerainsimuettementavecsonvis-à-vis.-Commeça,çasignifie:Oups,vousavezlabraguetteouverte,monsieur,etquandonbaisseunpeul'éventailtoutenregardantl'autre,çasignifie:Aaah,j'aimeraisvousépouser.Maissionlefaitdansl'autresens,çaveutdire:Aïe,àpartird'aujourd'hui,noussommesenguerrecontrel'Espagne...JedusavouerqueNickpossédaitunénormetalentdecomédien.Carolinefinitparleversesjambessihautendansant(lefrenchcancanplutôtquelemenuet)quel'unedeseschaussuresatterritdanslacrèmequenousavionsendessert.Cetincidentmitunbémolànotreexubérancejusqu'àcequeMrBernhardrepêchelachaussure,laposesursonassietteetdéclareavecunegravitésolennelle:- Il reste fort heureusement encore assez de crème. Miss Charlotte et les deux dames vontcertainementvouloirmangerunpetitquelquechoseenrevenantdel'opéra.Magrand-tanteluidédiaunsourireresplendissant.-Vousêtestoujourssiattentionné,moncher.-C'estma tâchede faire en sorteque tout aille bienpour tout lemonde, ditMrBernhard. Je l'aipromisàvotrefrèreavantsamort.Jelesregardaitouslesdeuxpensivement.-Jeme demande justement siGrand-Père vous a parlé d'un cavalier vert,MrBernhard.Ou à toi,tanteMaddy.TanteMaddysecoualatête.-Uncavaliervert?Qu'est-cequec'estqueça?-Aucuneidée,dis-je.Jesaisseulementquejedoisletrouver.-Quandjecherchequelquechose,jevaisleplussouventdanslabibliothèquedevotregrand-père,me confia Mr Bernhard, ses yeux de hibou luisant derrière ses lunettes. J'y ai toujours fait desdécouvertes.Sivousavezbesoind'aide,jem'yconnais,c'estmoiquidépoussièreleslivres.-C'estunebonneidée,moncher,approuvagrand-tanteMaddy.-Toujoursàvotreservice,madame.MrBernhardremitunpeudeboisdansl'âtreavantdenoussouhaiterbonnenuit.Xemeriuslesuivit.-Jeveuxabsolumentvoiroùilmetseslunettesavantdedormir,dit-il.Etjeteraconterai,aucasoùilquitteraitlamaisonendoucepourjouerdelabassedansungroupedeheavymétal.Enfait,monfrèreetmasœurdevaienttoujourssecouchertôtpendantlasemaine,maiscesoir-làmamèrefituneexception.Repusetgavésderire,nousnousinstallâmesconfortablementdevantlacheminée,CarolinesenichadanslesbrasdeMum,Nicksecollacontremoi,etgrand-tanteMaddypritplacedanslefauteuilàoreillesdeladyArista,souffladesonvisageuneboucleblondeetnouscontemplaavecsatisfaction.

-Tupeuxnous raconterquelquechosed'autrefois, tanteMaddy?demandaCaroline.Dequand tuétaispetitefilleetquetudevaisrendrevisiteàlacampagneàtonaffreusecousineHazel?-Ah, vous avezdéjà entendu ça si souvent, dit tanteMaddy enposant ses pantoufles roses sur lerepose-pieds.Maisellenesefitpasprierlongtemps.Toutesseshistoiressursaterriblecousinecommençaientparlesmots:«Hazelétaitsansdoutelafillelaplusprétentieusequel'onpuisses'imaginer»,àlasuitedequoi,nousrépondionsenchœur:«ToutcommeCharlotte!»,etgrand-tanteMaddysecouaitlatêteetdisait : « Non, Hazel était cent fois pire encore. Elle attrapait les chats par la queue et les faisaittournoyerau-dessusdesatêtecommeunefronde.»Tandisque,lementondanslescheveuxdeNick,j'écoutaisl'histoireoùtanteMaddy,âgéededixans,vengeait tous leschats torturésduGloucestershireenveillantàcequesacousineHazelprenneunbaindanslafosseàpurin,mespenséespartaientversGideon.Oùpouvait-ilêtre?Quefaisait-il?Quiétaitprèsdelui?Etpeut-êtrepensait-ilàmoi...aveccetteétrangesensationdechaleurauniveauduventre?Probablementpas.

Jeréprimaiunsoupirenpensantànosadieuxdevant l'atelierdeMmeRossini.Gideonnem'avaitmêmeplusregardée,alorsquenousvenionsdenousembrasserquelquesminutesauparavant.Denouveau.Pourtant,laveille,autéléphone,j'avaisencorejuréàLesliequeçanesereproduiraitplusjamais:«Pasavantdenousêtreclairementexpliquéssurcequisepasseentrenous!»Leslie avait éclaté de rire. « Allez, à d'autres ! C'est clair comme de l'eau de roche, tu es folleamoureusedecetype!»Mais comment pouvais-je être amoureuse d'un garçon que je ne connaissais que depuis quelquesjours?Etquisecomportaitlaplupartdutempscommeunmufleavecmoi?Oui,maisquandilnelefaisaitpas,ilétait...si...siincroyablement...-Merevoici!croassaXemeriusenatterrissantsurlatable,prèsdelabougie.CarolinetressaillitsurlesgenouxdeMumetjetaunregarddanssadirection.-Qu'est-cequ'ilya,Caroline?demandai-jedoucement.-Ah,rien.J'aicruvoiruneombre.-Vraiment?Stupéfaite,jeregardaiXemerius.Ilhaussalesépaulesetsourit.-C'estbientôtlapleinelune.Ilsepeutquedesgenssensiblespuissentalorsnousentrevoir,justeducoindel'œil.Maisquandilsyregardentdeplusprès,ilsnevoientplusrien...Ilsesuspenditdenouveauaulustreetpoursuivit:-Cettevieilledameauxbouclettesvoitetsentaussiplusqu'elleneveutl'avouer.Quandjeluiaiposépourvérifierunepattesurl'épaule,elleacherchéàl'attraper...Danstafamille,çanem'étonnepas.JecontemplaiCarolineavectendresse.Cetteenfantsensible...Pourvuqu'ellen'aitpashériténonplusdudondevisiondegrand-tanteMaddy!-Maintenant,çavaêtremonpassagepréféré,ditCaroline,lesyeuxluisants.Alors, grand-tanteMaddy raconta complaisamment comment cette sadique d'Hazel s'était trouvéejusqu'aucoudanslafosseàpurin,avecsabellerobedudimanche,etavaitcrié:«Jeterevaudraiça,

Madeleine,jeterevaudraiça!»-Etelletintparole,affirmagrand-tanteMaddy.Etplusd'unefois.-Maisnousécouteronslasuiteunautresoir,diténergiquementMum.Lesenfantsdoiventalleraulit.Ilsontécoledemain.Alors,toutlemondesoupiraetgrand-tanteMaddyencoreplus.Levendredi,c'étaitlejourdescrêpes.Personnenevoulaitlouperlacantine,carc'étaitàpeuprèslaseule chose qui y soit comestible. Comme je savais que Leslie mourait d'envie d'y goûter, je luiinterdisderesteravecmoidanslasalledeclasseoùj'avaisrendez-vousavecJames.-Vamanger,luidis-je.Jem'envoudraisàmortsitudevaisrenoncerauxcrêpespourmoi.-Mais tun'auraspersonneicipourfaire leguet.Etpuis, j'aimeraisbienensavoirplussurcequis'estpasséhierentretoi,Gideonetlecanapévert...-Malgrétoutemabonnevolonté,jenepourraispasmieuxleraconter,dis-je.-Alors,raconte-moiencore,c'estsiromantique!-Vamangertescrêpes!-Ilfautabsolumentquetuluidemandessonnumérodeportable, insistaLeslie.Jeveuxdire,c'estunerègled'or,onn'embrassepasungarçondontonneconnaîtmêmepaslenumérodetéléphone.-Descrêpesauxpommesdélicieusesetfondantes...dis-je.-Mais...-Xemeriusestavecmoi.Jeluimontrailereborddefenêtreoùlegargouillotsemorfondaitenmordillantleboutdesaqueue.Lesliecapitula.- Bon. Mais tâche d'apprendre quelque chose de sensé aujourd'hui ! Ces gesticulations avec labaguette deMrs Counter ne servent à rien ! Et si jamais quelqu'un te voyait faire, tu pourrais teretrouverchezlesfous,penses-y!-Maintenant,vas-yldis-jeenlapoussantverslaportejusteaumomentoùJamesentrait.Ilfutheureuxdeseretrouverseulavecmoi.-Taches-de-Rousseurmerendtoujoursnerveuxavecsesbavardagesinsolents.Ellefaitcommesijen'existaispas.-C'estparceque...ah,laissetomber!-Bon,enquoipuis-jevousaideraujourd'hui?

-Jepensaisquetupourraism'apprendrecommentondit«salut»àunesoiréeduXVIIIesiècle.-Salut?-Oui. Salut. Hi.Bonsoir. Tu sais bien, comment on se salue quand on se trouve l'un en face del'autre.Shake-hand,baisemain,courbette,recourbette,Excellence,Éminence,Altesse...toutçac'estsicompliquéetonpeutfairetellementdechosesdetravers.Jamespritunairsupérieur.-Passivousfaitescequejevaisvousdire.Pourcommencer,jevaisvousapprendrecommentune

dameplielegenoudevantunmonsieurquioccupelemêmerangqu'elle.- Super, dit Xemerius. Reste encore à savoir comment Gwendolyn saura reconnaître le rang dumonsieur.Jameslefixaduregard.-Qu'est-cequec'estqueça?Allez!àlaniche!Couché,minet!Disparais!Xemeriusémitunsoufflevexé.-Pardon?-Ah,James!dis-je.Regardebien!C'estXemerius,monami,euh...ledémon-gargouille.Xemerius,voiciJames,unamiaussi.Jamessortitunmouchoirdesamancheetunparfumdemuguetm'agressalenez.-Quoiqueçapuisseêtre,ilfautqueçadisparaisse.Çamerappellequejemetrouvedansunaffreuxrêvedefièvre,oùjedoisdonnerdescoursdesavoir-vivreàunefillemalélevée.Jesoupirai.-James.Ilnes'agitpasd'unrêve,quandvas-tuenfinlecomprendre?Ilyadeuxcentsans,tuaspeut-êtrepuavoirunrêvedefièvre,maisensuitetu...-bon,toietXemerius,vousêtestouslesdeux...vousêtes...-...morts,ditXemerius,àbienconsidérerleschoses.Ilpenchalatêtedecôtéetajouta:-C'estvrai,ça.Qu'est-cequetuasàtournerautourdupot?Jamesagitasonmouchoir.-Jeneveuxpasentendreça.Leschatsneparlentpas.-Est-cequej'ail'aird'unchat,espritdemesdeux?s'écriaXemerius.-Unpeu,toutdemême,ditJamessansleregarder.Àpartlesoreilles,peut-être.Etlescornes.Etlesailes.Etcettedrôledequeue.Ah,commejedétestecesdéliresdefièvre!Xemeriusseplanta,jambesécartées,devantJames.Saqueuefouettaitl'airrageusement.-Jenesuispasundélire.Jesuisundémon,dit-ilavantdecracherd'excitationungrospaquetd'eausurlesol.Undémonpuissant.Invoquésouslaformed'unegargouilledepierrepardesmagiciensetdesmaîtresd'œuvreauXIesiècledevotreèrepourveillersurleclocherd'uneéglisequin'existeplusaujourd'hui.Quandmoncorpsdegrèsaétédétruit,ilyaplusieurssiècles,nerestaplusdemoiquecequetuvoisici...pourainsidirel'ombredemonancienmoi,condamnépourtoujoursàhantercetteTerre jusqu'à ce qu'elle se disloque. Ce qui peut probablement durer encorequelquesmillionsd'années.-Lalala,jen'entendsrien,prétenditJames.-Tuesunmisérable,répliquaXemerius.Contrairementàtoi,jen'aipasd'autrepossibilité...Jesuislié à cette existencepar le charmed'unmagicien.Mais toi, tu pourrais renoncer à ta pitoyablevied'espritetallerlàoùvontleshommesquandilsmeurent.-Maismoi,jenesuispasmort,minetdemesdeux!s'écriaJames.Jesuisseulementmaladeetenproie à de terribles délires de fièvre. Et si nous ne trouvons pas tout de suite un autre sujet deconversation,jem'envais.- Bien, dis-je tout en essayant d'éponger la flaque queXemerius avait laissée. Reprenons ! Cetteflexiondugenoudevantunmonsieurdemêmerang...

Xemeriussecoualatêteetvoletaverslaporte.-Bon,jevaisallerfaireleguet.Quellehumiliationsiquelqu'untesurprenaitentraindefairedescourbettes!La pause de midi ne fut pas assez longue pour apprendre tous les trucs que James voulaitm'enseigner,maisàlafinjesavaisfaireunerévérenceetmelaisserbaiserlamaindetroismanièresdifférentes.(Unecoutumedontjemeréjouissaisqu'ellesoittombéeendésuétudedenosjours.)Auretourdemescamarades, Jamesprit congéavecunecourbette et je lui chuchotai encoreviteun«merci».-Etalors?demandaLeslie.- James considère Xemerius comme un drôle de chat né de ses délires de fièvre, l'informai-je.J'espèrequecequ'ilm'aapprisn'estpasaussidéforméparses fantaisies fébriles.Sinon, jesauraisquoifairemaintenantsijesuisprésentéeauducduDevonshire.-Oh,bien,ditLeslie.Etceserait?-Plierprofondémentlegenousansdiscontinuer,répondis-je.Pasaussilongtempsquedevantleroi,maispluslongtempsquedevantunmarquisouuncomte.C'esttoutsimple,enfait.Etpuis,selaissertoujoursgentimentbisouillerlamainaveclesourire.-Ehbien...jen'auraisjamaiscruqueJamessoitencorebonàquelquechose,constataLeslie.TuvastouslesépaterauXVIIIesiècle.-Espérons-le,dis-je.Pendant le reste du cours, plus rien ne troublama bonne humeur.Charlotte et ce stupideLèvres-Pulpeusess'étonneraientquejesachemaintenantfaireladifférenceentre«Altesse»et«Excellence»,alorsqu'ilsavaienttoutessayépourmel'expliquerdelafaçonlapluscompliquéepossible.-Ah,j'aidéveloppéunethéoriesurlamagieducorbeau,m'informaLeslieàlafindescours,tandisquenousnousdirigionsversnoscasiers.Elleestd'unetellesimplicitéquepersonnen'yapensé.Onserevoitdemaincheztoietj'apporteraitoutcequej'airassemblé.Simamèren'estpasencoreprised'unedesesfoliesménagèresetnenousdistribuepasàtousdesgantsencaoutchouc...-Gwenny?ditCynthiaDaleenmetapantdansledos.TutesouviensdeReginaCurtizquiétaitdanslaclassedemasœurl'annéedernière?Ellesetrouvemaintenantdansunecliniquepouranorexiques.Tuveuxatterrirlàaussi?-Non,fis-je,stupéfaite.-OK,alors,tiens,mangeça!Toutdesuite!Cynthiamelançauncaramel.Jel'attrapaietdéfislepapier.Maisquandjevouluslemettredansmabouche,Cynthiam'arrêtalebras.-Arrête!Tuveuxvraimentmangerça?Tunefaisdoncpasderégime?-Non,répondis-je.-Alors,Charlotte amenti.Elle a affirméque tu nevenais pas déjeuner parceque tu voulais êtreaussimincequ'elle...Passe-moicebonbon.Tun'espasdutoutanorexique,ditCynthiaens'enfournantlebonbondanslabouche.Tiens,voilàl'invitationàmonanniversaire!Ceseradenouveauunefêtecostumée.Etcetteannée,lethèmeest:Toutverditsivert.Tupeuxaussiamenertoncopain.-Euh...

-Tu sais, j'ai demandé lamêmechoseàCharlotte, jememoque totalementde savoir laquelledevousdeuxamèneracetype.Leprincipal,c'estqu'ilvienne.-Elleestfolle,mechuchotaLeslie.-J'aientendu,ditCynthia.TupeuxaussiamenerMax,Leslie.-Cyn,çafaitdéjàsixmoisquenousnesommesplusensemble.-Oh,c'estbête,déclaraCynthia.Iln'yapasassezdegarçons.Oubienvousm'enamenezquelques-uns,ou jevaisdevoirdébarquerquelques filles.Aishani,par exemple,maisde toute façonelleneviendrapas,parceque sesparentsne lui autorisentpasde fêtes avecdesgarçons...Oh,monDieu,qu'est-cequejevoislà?Quelqu'unpeut-ilmepincer?Là,c'étaitungrandgarçonblondauxcheveuxcourts.Ilsetrouvaitdevantlaportedenotredirecteur,avecMrWhitman.Etj'avaisbizarrementl'impressiondeleconnaître.-Aïe!s'écriaCynthia,carLesliel'avaitvraimentpincée.MrWhitmanetlegarçonseretournèrent.En rencontrant ses yeux verts sous d'épais cils sombres, je compris aussitôt qui il était. Ciel !Maintenant,Leslieferaitpeut-êtrebiendemepinceraussi.-Çatombebien,ditMrWhitman.Raphaël,voicitroisfillesdetaclasse:CynthiaDale,LeslieHayetGwendolynShepherd.DitesbonjouràRaphaëlBertelin,mesdemoiselles,ilseradansvotreclasseàpartirdelundi.-Salut,murmuraLeslieenmêmetempsquemoi.EtCynthiadit:-C'estvrai?Maintenant?Raphaël nous fit un sourire en coin, les mains négligemment enfouies dans les poches de sonpantalon. Il ressemblait vraiment beaucoup àGideon, en un peu plus jeune. Ses lèvres étaient pluspleinesetsapeauaussibronzéeques'ilvenaitdepasserquatresemainesauxCaraïbes.Probablementquelesgensheureuxressemblaienttousàça,danslesuddelaFrance.-Pourquoichanges-tudelycéeenpleinmilieud'année?demandaLeslie.Tuasquelquechoseàtereprocher?LesouriredeRaphaëls'élargit.-Çadépenddecequetuentendspar là, répondit-il.Enfait, jesuis iciparcequej'enavaismarre.Mais,pourjenesaisquellesraisons...-RaphaëlétaitenFranceauparavant,l'interrompitMrWhitman.Allez,viens,Raphaël,MrGilles,ledirecteur,t'attend.-Alors,àlundi!ditRaphaël,etj'euscommel'impressionqu'ilnes'adressaitqu'àLeslie.CynthiaattenditqueMrWhitmanetRaphaëlaientdisparudanslebureaududirecteur,puisellelevalesmainsauplafondets'écria:-Merci!!!Merci,monDieu,d'avoirécoutémesprières!Lesliemedonnauncoupdecoudedanslescôtes.-Tuenfaisunetête!Ondiraitqu'unbusvientdetepassersurlepied.-Attendsquejeteracontedequiils'agit,chuchotai-je.Onverratatêteaprès.

Chapitre7

AprèsnotrerencontreaveclepetitfrèredeGideonetlabrèveconversationquej'eusensuiteavecLeslie(ellemedemandadixfois:«Tuenessûre?»,ceàquoijerépondisdixfois:«Absolumentsûre!»,puisnousrépétâmesencoretouteslesdeuxunecentainedefois:«C'estfou!»et:«Jen'ycroispas!»et:«Tuasvusesyeux?»),jerejoignislalimousinequelquesminutesaprèsCharlotte.OnavaitdenouveauenvoyéMrMarleynousprendreàlasortiedescoursetilsemblaitplusnerveuxquejamais.Xemeriusétaitaccroupisurletoitdelavoitureetlebalayaitdesaqueue.Charlotte,déjàinstalléeàl'arrière,mejetaunregardagacé.-Maisoùétais-tupassée?Onne faitpasattendrequelqu'uncommeGiordano. Jecroisque tunemesurespaslegrandhonneurqu'ilt'accordeentedonnantdescours.D'unairgêné,MrMarleym'invitaàgrimperdanslavoiture,puisilfermamaportière.-Qu'est-cequ'ilya?J'avais l'impression désagréable d'avoirmanqué quelque chose d'important.Lamine deCharlottemeconfortadanscetteidée.Quandlavoituredémarra,Xemeriusselaissaglisserautraversdutoitets'affalasurlesiègeàcôtédemoi.Commeladernièrefois,MrMarleyavaitprisplaceàl'avant,àcôtéduchauffeur.-Tuferaisbiendetedonnerunpeuplusdepeineaujourd'hui,ditCharlotte.Pourmoi,toutcelaesteffroyablementpénible.Carenfin,tuesmacousine.J'éclataiderire.-Ah,arrête,Charlotte!Paslapeinedejouerleshypocritesavecmoi!Avouequetuboisdupetitlaitàmevoiraussibête!- Ce n'est pas vrai ! protesta-t-elle. Ce genre de pensée est encore une fois bien typique de tonégocentrisme puéril. Tout le monde cherche à t'aider pour que tu... ne gâches pas tout avec tonincompétence.Bienque... tu n'en auras peut-être plus l'occasion. Jem'imaginebienqu'ils vont toutlaissertombermaintenant...-Àcausedequoi?Charlottem'observaunmomentensilence,puisellelançaavecunenuancedesadisme:-Tul'apprendrassuffisammenttôt.Peut-être.-Ilestarrivéquelquechose?demandai-jeenpréférantcettefoism'adresseràXemerius.MrMarleyaracontéquelquechosependantquejen'étaispaslà?-Rienquedestrucscryptés,réponditlegargouillottandisqueCharlotteregardaitparlafenêtreenpinçantleslèvres.Cematin,ils'estapparemmentpasséuntruclorsd'unsautdansletempsde...euh...detapetitepierrescintillante.Ilsegrattalessourcilsduboutdesaqueue.-Allez,netelaissepastirerlesversdunezcommeça!m'énervai-je.Charlotte,quicroyaitévidemmentquejeluiparlais,répliqua:-Situn'étaispasarrivéeaussitard,tulesaurais.

-... deDiamant, repritXemerius.Quelqu'un l'a... eh bien, comment dire ?...Quelqu'un a dû lui encollerunebonnesurlatronche.-Quoi?m'écriai-jeensentantmonestomacsenouer.-Net'énervepas,ditXemerius.Ilvitencore.Entoutcas,c'estcequej'aicrucomprendredanstoutlegalimatiasdecerouquinexcité.Ah,monDieu!Tuespâlecommeunlinge!Oh,oh!...Tunevaspasvomir,là?Maîtrise-toi!-Jenepeuxpas,chuchotai-je.Jemesentaisvraimenttrèsmal.-Tunepeuxpasquoi?persiflaCharlotte.Lapremièrechosequ'unporteurdegèneapprend,c'estdemettreenveilleusesespropresbesoinsetd'offrirtoutcequ'ilpeutpourlacause.Maistoi,biensûr,tufaistoutlecontraire!Enpensée,jevisGideonbaignantdansunemaredesang.J'avaisdumalàrespirer.-D'autresdonneraienttoutpourrecevoirunseulcoursdeGiordano.Ettoi,tufaiscommesic'étaituneséancedetorture.-Ah,ferme-la,Charlotte!criai-je.Charlotteseretournaverslafenêtre.Jememisàtrembler.Xemeriustenditunepatteetlaposasurmongenoudansungested'apaisement.-Jeparsauxinformations.Jevaisessayerdetrouvertonpeloteuretjeteferaiunrapportensuite,d'accord?Maisnepleurepas !Sinon, jevaisencorem'énerveret cracherunpaquetd'eausurceschouettessiègesencuirettacousinevapenserquetut'esoubliée.D'unbond,ildisparutparletoitdelavoitureets'envola.Ilneressurgitàmoncôtéqu'auboutd'uneheureetdemiedetourments.Quatre-vingt-dix minutes pendant lesquelles je m'imaginai les pires scénarios et me sentis plusmorte que vivante. Les choses ne s'améliorèrent pas à notre arrivée à Temple, oùle maestro impitoyable m'attendait de pied ferme. Mais je n'étais en mesure ni d'écouter lesdéclarations de Giordano sur la politique coloniale, ni d'imiter les pas de danse de Charlotte. EtsiGideon s'était de nouveau fait attaquer par des hommes armés d'épées et qu'il n'avait pas pu sedéfendrecettefois?Quandjenelevoyaispasexsanguesurlesol,jemel'imaginaisdansunservicederéanimation,reliéàunmillierdetuyauxetplusblancquesondrap.Pourquoin'avais-jepersonneàquidemanderdesesnouvelles?Enfin,Xemeriustraversalemurdel'ancienréfectoire.-Alors?demandai-jesansmesoucierdeGiordanoetdeCharlotte.

Ilsétaiententraindem'apprendrelafaçond'applaudirlorsd'unraoutduXVIIIesiècle.Évidemment,j'avaistoutfaux.-Maisnon,petitesotte,ditGiordano,làc'estpromenons-nousdanslesbois.C'estainsiquelespetitsenfants tapent dans leurs mains dans le bac à sable quand ils sont contents... Mon Dieu, mais oùregarde-t-elleencore?Ellevamerendrefou!-Toutvabien,fillettedesfoins,m'annonçajoyeusementXemerius.CegarçonaprisuncoupsurlatêteetilestrestéKOpendantquelquespetitesheures,maisondiraitqu'ilauncrânedurcommedudiamant etmême pas de traumatisme crânien. Et cette blessure au front le rend... eh... oh, non, nerecommencepasàpâlir!Jeviensdetedirequetoutallaitbien!

Jerespiraiungrandcoup.Monsoulagementm'avaitpresquedonnélevertige.-Voilà,c'estbien,ditXemerius.Pasderaisond'hyperventiler.Loverboyaencoretoutessesjoliesdentsblanches.Etiln'arrêtepasdejurer,jesupposequec'estbonsigne.Dieumerci!Dieumerci!Dieumerci!En toutcas,celuiquiétaitprèsd'hyperventiler,c'étaitGiordano.Mais jem'enmoquais.Çanemefaisaitplus riende l'entendrecrier.Aucontraire, c'étaitplutôt amusantd'observer sapeauvirerdurosefoncéauvioletsoussesfiletsdemoustache.MrGeorgearrivajusteàtempspourl'empêcherdemegifler.-Aujourd'hui,çaaétéencorepirequepossible,ditGiordano.Ilselaissatombersurunechaiseetsetamponnalevisageavecunmouchoirdumêmevioletquesapeau.- Elle n'a pas arrêté de regarder droit devant elle avec des yeux vitreux, soupira-t-il... J'auraispresqueenviedecroirequ'elleestdroguée!-Giordano,jevousenprie...ditMrGeorge.Lajournéeaétédifficilepournoustous...-Comment...va-t-il?demandaCharlottedoucement,enmejetantunregardenbiais.-Conformémentauxcirconstances,réponditgravementMrGeorge.Denouveau,Charlottemescrutaduregard.Ressentait-elleunesortedesatisfactionàsavoirquelquechosedontellepensaitquecelam'intéresseraiténormément?-Ah,taratata,ditXemerius.Ilseportesuperbien,crois-moi,trésorIlvientdes'envoyeruneénormeescalope de veau avec des pommes de terre rôties et de la verdure. Ça te paraît correspondre àconformémentauxcirconstances?Giordanos'énervadenepasêtreécouté.-Jenevoudraispasquecelafinisseparretombersurmoi,dit-ild'unevoixdecastratenpoussantsapetite chaise de côté. J'ai travaillé avec des talents inconnus et les très grands de cemonde,maisjamaisencore,jamaisjen'aivuça,-MoncherGiordano,voussavezcombiennousvousapprécions ici.EtpersonneneseraitmieuxqualifiéquevouspourpréparerGwendolynà...MrGeorges'arrêtanetenvoyantGiordanoavancerunelèvreboudeuseetrejeterlatêteenarrièreavecsacoiffureenbéton.-Vousnedirezpasquejenevousavaispasprévenus,déclara-t-il.C'esttoutcequejedemande.-D'accord,soupiraMrGeorge.Je...Oui,bien.J'enferaipart.Tuviens,Gwendolyn?J'avaisdéjàdébouclémacrinolineetjelaposaicorrectementsurletabouretdupiano.-Aurevoir,dis-jeàGiordano.Ilfaisaittoujourslamoue.-Jecrainsquecelanesoitinévitable,répondit-il.Surlechemindel'ancienlaboratoired'alchimie,quejeconnaissaismaintenantparcœur,mêmeaveclesyeuxbandés,MrGeorgemeracontacequis'étaitpassé.IlétaitunpeuétonnéqueMrMarleynem'enaitpasencore informéeet jenemedonnaipas lapeinede luiexpliquercommentonenétaitarrivélà.

OnavaitenvoyéGideondanslepassé(MrGeorgenevoulutpasmerévélerenquelleannée)pourune petite mission (top secrète, elle aussi) et on l'avait retrouvé deux heures plus tard, sansconnaissance,dansuncouloirprèsdelapièceduchronographe.Avecuneplaieouverteaufront,quiprovenaitmanifestementd'unobjetcontondant.Gideonnesesouvenaitderien, l'agresseuravaitdûl'épieravantdelefrapper.-Maisqui?...-Nousl'ignorons,cequiestplutôtpréoccupantdanslasituationactuelle.Nousl'avonsexaminéavecsoin,ilneprésenteaucunetracedepiqûrequipourraitameneràconclurequ'onaitpuluiprendredusang...-Lesangdesablessureaufrontn'auraitpassuffi?demandai-jeavecunlégerfrisson.-Possible,accordaMrGeorge.Maissi...onavaitvoulujouerlasécurité,onauraitprislesangd'uneautre manière. Bon, il y a d'innombrables explications possibles. Personne ne savait que Gideonsurgiraitlà-bascesoir,ilestdoncimprobablequ'onl'yaitspécialementattendu.Ilestbeaucoupplusvraisemblablequ'ils'agissed'unerencontrefortuite.II...Certainesannées,çafourmillaitd'individussubversifs:contrebandiers,criminels,clandestinsausensvraiduterme.Personnellement,jecroisàunhasardfâcheux...Ils'éclaircitlavoixetpoursuivit:-Bon, toujoursest-ilqueGideonsembleavoirbiensurvécuàcetteaventure, ledocteurWhiten'aconstatéaucuneblessuresérieuse.Etvouspourrezdonc,commeprévu,partirdimancheaprès-midiàcettesoirée.Iléclataderire.-C'estdrôleàdire:unesoiréeundimancheaprès-midi!Oui,ah,ah,ah,trèsdrôle.-OùestGideon,maintenant?m'impatientai-je.Àl'hôpital?-Non, il se repose...Dumoins, je l'espère. Iln'estalléà l'hôpitalquepourunscanneretcomme,Dieumerci,çan'arienrévélé,ils'estlibérélui-même.Ilareçueneffethiersoirlavisitesurprenantedesonfrère...-Jesais,dis-je.MrWhitmanaannoncéaujourd'huil'arrivéedeRaphaëlàSaintLennox.J'entendisleprofondsoupirdeMrGeorge.-Cegarçonafichulecampdelamaisonaprèsavoirfaitjenesaisquellebêtiseavecsesamis.Uneidée folle de Falk de le garder enAngleterre. En ces temps de turbulence, nous avons tous— etGideonenparticulier—mieuxà fairequedenousoccuperd'adolescentsdifficiles...MaisFalkn'ajamaisrienpurefuseràSélina,etilsemblequecesoitpourRaphaëlladernièrechancedepouvoirterminersesétudesdansuneHighSchool,loindesesamisquiontunesimauvaiseinfluencesurlui.-Sélina...c'estlamèredeGideonetdeRaphaël?-Oui, confirmaMrGeorge.La femmedont ils ont hérité tous les deux leurs yeuxverts.Nousyvoilà.Tupeuxretirertonbandeau.Cettefois,nousétionsseulsdanslapièceduchronographe.

-CharlotteprétendquevousallezannulerlesvisitesprévuesauXVIIIesiècle,dis-je,pleined'espoir.Ou les repousser ? Pour donner le temps à Gideon de se remettre et me permettre de m'exercerencoreplus...

MrGeorgesecoualatête.- Non. Certainement pas. Nous allons prendre toutes les précautions imaginables, mais le comtetenaitàrespecterunemploidutempsresserré.Gideonettoi,vousirezàcettesoiréeaprès-demain,c'estsûretcertain.As-tudesdésirsparticuliersconcernant l'annéeoùnousallonst'envoyerélapseraujourd'hui?-Non,dis-jeenfeignantl'indifférence.Çan'aaucuneimportancequandonresteenfermédansunecave,n'est-cepas?MrGeorgesortitprudemmentlechronographedesonétoffedevelours.-Exact.Nousenvoyons leplussouventGideonen1953.C'étaituneannée tranquille,nousdevonssimplementveilleràcequ'ilnes'yrencontrepaslui-même,dit-ilavecunsourire.Jem'imaginequeçadoitêtreeffrayantd'êtreenferméquelquepartavecsoi-même.Ilpassalamainsursonventrerondetregardapensivementenl'air.-Quedirais-tudel'année1956?Uneannéetranquille,elleaussi.-Oui,çam'al'airparfait,dis-je.MrGeorgemetenditlalampedepocheetretiral'anneaudesondoigt.-Justeaucasoù...Maisn'aiepaspeur,tupeuxêtresûreetcertainequepersonneneviendra,lanuit,à2heuresetdemie.-Lanuit,à2heuresetdemie?répétai-je,horrifiée.Commentirais-jeretrouvermongrand-pèreenpleinenuit?Personnenemecroiraitsijeracontaisquejem'étaisperduedanslacave.Lamaisonseraitpeut-êtremêmevide!Alorstoutseraitvain!-Oh,MrGeorge,non,s'ilvousplaît!Nem'envoyezpaslanuitdansceshorriblescatacombes,touteseule...-Mais,Gwendolyn,peuimporte,dansunespaceferméàclé...-Mais...j'aipeur...lanuit!S'ilvousplaît,vousnedevezenaucuncasmelaisserseule...J'étaissidésespéréequemesyeuxs'emplirenttoutnaturellementdelarmes.-Bon,bon,ditMrGeorge.J'oubliaisquetu...Prenonsdoncunautremomentdelajournée.Disons,l'après-midi,vers3heures?-C'estmieux,dis-je.Merci,MrGeorge.-Iln'yapasdequoi,répondit-ilenlevantrapidementlesyeuxduchronographeetenmefaisantunsourire.Nousexigeonsbeaucoupdetoi...Jecroisqu'àtaplace,jemesentiraismalàl'aise,toutseuldansunecave.D'autantplusqu'ilt'arrivedevoirdeschosesquelesautresnevoientpas...-Oui,mercidemelerappeler.Xemeriusn'étaitpaslà.Ilseseraitterriblementénervéàproposdumot«choses».-Qu'est-cequec'étaitquecettehistoiredetombespleinesd'ossementsetdecrânesjusteaucoin?demandai-je.-Oh,ditMrGeorge.Jenevoulaispasencoret'angoisserenplus.-Pasdesouci, lerassurai-je.Jen'aipaspeurdesmorts.Contrairementauxvivants, ilsnepeuvent

pasnousfairedemal—d'aprèsmonexpérience.EnvoyantMrGeorgeleverunsourcil,jem'empressaid'ajouter:-Enfin, je les trouvetoutdemêmeunpeuinquiétantset jen'aipasdutoutenviedepasser lanuitprèsdescatacombes...Puisjeluitendislamain,tandisquedel'autrejeserraimoncartablecontremoi.-S'ilvousplaît,prenezl'annulairecettefois,iln'yestencorejamaispassé.Moncœurbattaitlachamadequandj'attrapailacléderrièrelesbriquesetdépliailebilletlaisséparLucas.Iln'yavaitlàquedesmotslatins,aucunecommunicationpersonnelle.Lemotdepassedujourmesemblasilongquejerenonçaiàl'apprendreparcœuretlenotaisimplementaucreuxdemamain.Lucasavaitaussiesquisséunplandescaves.D'aprèslui,jedevaisprendreàdroiteensortant,puistournertroisfoisàgauchepourarriveraugrandescalieroùsetrouveraientlespremiersgardes.Laporte s'ouvrit sans peine quand je tournai la clé dans la serrure. Sans réfléchir trop longtemps, jedécidaidenepaslarefermeràclé,justeaucasoùjeseraispresséepourleretour.Çasentaitlemoisisous ces voûtes séculaires, le plafond était bas et les couloirs étroits : un vrai labyrinthe, plein decoinsetde recoinsetdeportesdans lesmurs.Sansma lampedepocheet leplandeLucas, jemeseraisprobablementperdue,mêmesijeressentaislàuneétrangeimpressiondedéjà-vu.Tandisquejetournaiàgauchedanslederniercouloiravantl'escalier,j'entendisdesvoixetinspiraiungrandcoup.Maintenant,ils'agissaitdepersuaderlesgardesqu'ilyavaitunebonneraisondemelaisserpasser.Contrairement à ceux du XVIIIe siècle, ces deux-là ne me semblaient pas du tout dangereux. Ilsjouaientauxcartesaupieddel'escalier.Jem'avançairésolumentverseux.Surpris,lepremierlaissatombersescartes,l'autreselevaensursautetcherchafébrilementsonépéequ'ilavaitposéecontrelemur.-Bonjour,dis-jeenm'armantdecourage.Nevousdérangezsurtoutpaspourmoi.- Comm... comm... comment ? bégaya le premier, tandis que l'autre avait saisi son épée et meregardaitd'unairindécis.

-Uneépéen'est-ellepasunearmeunpeuexotiqueauxxesiècle?m'étonnai-je.Qu'est-cequevousallezfairesiquelqu'unpassepariciavecunegrenade?Ouunemitraillette?-Ilnevientpassouventquelqu'unpar ici,dit le typeà l'épéeavecunsouriregêné.C'estplusunearmetraditionnelle,qui...Ilsecoualatêtecommepourserappeleràl'ordre,puisilsedonnaunesecousseetseplantadroitdevantmoi.-Motdepasse?Jeregardailapaumedemamain.-Namquodiniuventusnondiscitur,inmaturaaetatenescitur.- Exact, dit celui qui se trouvait encore assis sur l'escalier. Mais d'où venez-vous si je puis mepermettre?- Du palais de justice, répondis-je. Un super-raccourci. Je pourrai vousmontrer ça à l'occasion.Maismaintenant,j'aiunrendez-voustrèsimportantavecLucasMontrose.-Montrose?Jenesaismêmepass'ilestdanslamaisonaujourd'hui,dit letypeàl'épée,et l'autre

ajouta:- Nous allons vous conduire là-haut, miss, mais auparavant il nous faudrait votre nom. Pour leprocès-verbal.Jedonnailepremiernomquimepassaparlatête.Peut-êtreunpeutroprapidement.-VioletPurpleplum?répétal'épéiste,incrédule,tandisquel'autreadmiraitmesjambes.Probablementquelalongueurdejupedenotreuniformescolairen'étaitpastoutàfaitconformeàlamodedel'année1956.N'importe,ilfaudraitqu'ils'yfasse.-Oui,dis-jeavecunepointed'agressivité.Pasderaisondesourirecommeça.Toutlemondenepeutpass'appelerSmithouMiller.Onpeutyallermaintenant?Les deux hommes discutaillèrent pour savoir lequel aurait le droit de m'escorter en haut, puisl'épéistecédaetrepritsesaisessurl'escalier.Enchemin,l'autrevoulutsavoirsij'étaisdéjàvenue.Jerépondisqueoui,quelquesfoisdéjà,ensoulignantlabeautédelasalleduDragon,n'est-cepas,etquelamoitiédemafamillefaisaitpartiedesVeilleursetducoupletypesemblaserappelerm'avoirvuelorsdeladernièregarden-party.-Vousétiezcettefillequiservaitlalimonade,n'est-cepas?AvecladyGainsley?-Euh...c'estça,dis-je.Etnousnousretrouvâmesaussitôtembarquésdansunemerveilleusecausettesurlagarden-party,lesrosesetdestasdegensquejeneconnaissaispas.(Cequinem'empêchapaspourtantdem'épanchersurledrôledechapeaudeMrsLamotte,etlefaitquejustementMrMasons'étaitacoquinéavecuneemployéedebureau,pouah!)En passant devant les premières fenêtres, je jetai un coup d'œil curieux au dehors... tout ici meparaissait familier.Maissavoirque lavilleà l'extérieurdesvénérablesmuraillesdecequartierduTempleoffriraitunevuebiendifférentedecelledemonépoquemeparaissaitquelquepeuétrange.J'auraisbienvoulumeprécipiterdehorssur-le-champpourvérifierçademespropresyeux.Aupremierétage,legardefrappaàlaported'unbureau.Enlisantlenomdemongrand-pèresuruneplaque,jemesentisfièrecommetout.J'avaisréussi!-UnemissPurpleplumpourMrMontrose,annonçalegardeparlaporteentrouverte.-Mercidem'avoiraccompagnée,dis-je, toutenmecollantàluipourentrerdanslebureau.Nousnousreverronsàlaprochainegarden-party.-Oui,avecgrandplaisir,répondit-il.Maisjeluiavaisdéjàrefermélaporteaunez.Triomphante,jemeretournai.-Etalors?Qu'est-cequetuendis?-Miss...euh...Purpleplum?L'hommeassisaubureausemblaitplutôtétonné.Iln'étaitmanifestementpasmongrand-père.Jeluirenvoyaiunregardeffrayé.Ilétaittrèsjeune,presqueencoreungamin,maissonvisagerondetlisseetsespetitsyeuxclairsetrieursmeparaissaientplusqueconnus.-MrGeorge?fis-je,incrédule.-Nousnousconnaissons?LejeuneMrGeorges'étaitlevé.

-Oui,naturellement.Nousnoussommesvusàladernièregarden-party,bégayai-jetandisquemespenséesdansaientlasarabande.J'étaiscelle...aveclalimonade...OùestGran...Lucas?Nevousa-t-ilpasditqu'ilavaitrendez-vousavecmoiaujourd'hui?-Jesuissonassistantetjenetravaillepasicidepuislongtemps,bredouillaMrGeorge,gêné.Maisnon,ilnem'ariendit.Toutefois, ildevraitêtrelàd'uninstantàl'autre.Voudriez-vousvousasseoirpourl'attendre,miss...euh?-Purpleplum!-Ahoui.Puis-jevousapporteruncafé?Ilfitletourdesonbureauetm'avançaunechaise,quimesemblatomberàpoint.J'avaislesjambesenflanelle.-Nonmerci,pasdecafé.Ilmeregardad'unairindécis.-Vousêtes...chezlesscouts?-Pardon?-Jeveuxdire...àcausedel'uniforme.-Non.Je ne pus faire autrement que le dévisager. C'était bien lui... sans méprise aucune ! Son moi decinquante-cinqansplusâgé lui ressemblaitdefaçoninouïe,saufqu'iln'avaitplusdecheveux,qu'ilportaitdeslunettesetqu'ilétaitàpeuprèsaussilargequegrand.Le jeuneMrGeorge, en revanche, avait plein de cheveux,maîtrisés par une raie correcte et unebonnecouchedepommade,etilétaitmincecommeunfil.Visiblement,ilsesentaitmalàl'aised'êtreainsiobservé,carilpiquaunfard,serassitàsonbureauetfeuilletaquelquespapiers.Jemedemandaicequ'ildiraitsijesortaissabagueàsceaudemapocheetlaluimontrais.Nous restâmesainsi,muets,unbonquartd'heure, jusqu'àceque laporte s'ouvre surmongrand-père.Àmavue,sesyeuxs'arrondirentcommedesbilles,puisilseressaisitetdit:-Tiensdonc,machèrepetitecousine!Je me levai d'un bond. Depuis notre dernière rencontre, Lucas Montrose avait nettement prisl'apparenced'unadulte.Ilportaituncostumeélégant,unnœudpapillonetunemoustachequineluiallaitpastrèsbien.Çamechatouillaquandilm'embrassasurlesdeuxjoues.-Quelplaisir,Hazel!Combiendetempsvas-turesterenville?Et teschersparentssont-ilsaussivenus?Fallait-ilvraimentquejesoiscettehorribleHazel!-Non,bégayai-je.Ilssontrestésàlamaison,avecleschats...- Au fait, voici Thomas George, mon nouvel assistant. Thomas, voici Hazel Montrose duGloucestershire.Jet'avaisbienditqu'ellepasseraitbientôtmevoir.-Jecroyaisqu'elles'appelaitPurpleplum!s'étonnaMrGeorge.-Oui, certifiai-je.C'estvrai aussi.C'estmondeuxièmenom.HazelVioletMontrosePurpleplum...Maisquipeutserappelertoutça?Lucasmeregardaenplissantlefront.

-JevaisfaireunepetitepromenadeavecHazel,annonça-t-ilensuiteàMrGeorge.D'accord?Sionmedemande,tun'aurasqu'àdirequejesuisenentretienavecunclient.-Oui,MrMontrose,ditMrGeorge,soucieuxd'afficherl'indifférence.-Aurevoir,dis-je.Lucaspritmonbrasetme fit sortirde lapièce.Une fois la lourdeporte referméederrièrenous,nousnoustrouvâmesdanslaruelleinondéedesoleiletjereprislaparole.-JeneveuxpasêtrecetteaffreuseHazel,protestai-jeenjetantunregardcurieuxautourdemoi.Le quartier duTemple ne semblait pas avoir beaucoup changé en cinquante-cinq ans, abstractionfaitedesvoitures.-Est-cequej'ail'airdequelqu'unquifaittournoyerleschatscommeunefrondeau-dessusdesatête?ajoutai-je.- Purpleplum ! dit Lucas sur le même ton de reproche. On pourrait difficilement se faire plusremarquer,n'est-cepas?Puisilmepritparlesépaulesetmecontempla.-Laisse-moiteregarder,mapetite-fille!Tuesexactementlamêmequ'ilyahuitans.-Oui,cen'étaitaussiqu'avant-hier...fis-jeremarquer.-Incroyable,ditLucas.Pendanttoutescesannées,j'aipenséquejen'avaispeut-êtrefaitquerêver...-Hier,j'aiatterrien1953,maisjen'étaispasseule.-Combiendetempsavons-nousaujourd'hui?-J'aiatterriicià3heures,heurelocale,etjeressauteraià6heuresetdemiepile.-Alors,nousavonsaumoinsunpeudetempspourparler.Viens!Ilyaunpetitcaféaucoin,nouspourronsyboireunthé.LucasmepritparlebrasetnouspartîmesendirectionduStrand.-Tunevaspaslecroire,maisjesuispèredepuistroismois,raconta-t-iltoutenmarchant.Jedoisdire que c'est un sentiment très agréable. Et je crois avoir fait le bon choix avecArista. ClaudineSeymoreenrevancheapasmalgrossietdepluselleaimebienleverlecoude,d'aprèscequ'onm'adit.Etcela,dèslematin.Noustraversâmesuneruellepuisuneporteenarchepourarriverdanslarue.Là,jerestaiclouéesurplace. La circulation faisait rage sur le Strand, comme toujours,mais il n'y avait que des vieillesvoitures.Lesbusrougesàétagesemblaientsortird'unmuséeetfaisaientunbruitterribleetlaplupartdesgensarpentantletrottoirportaientdeschapeaux...Leshommes,lesfemmesetmêmelesenfants!Uneaffichedefilmétaitcolléesurlemurd'enface,ellefaisaitdelapubpourHighSociety,avec ladivineGrâceKellyetl'affreuxFrankSinatra.Jeregardai,bouchebée,detouslescôtésenavançantàpeine.Tout cela ressemblait à une carte postalenostalgiquede style rétro...mais enbeaucouppluscoloré.Lucasmeconduisitversuncharmantcaféencoinderueetcommandaduthéetdesscones.-Ladernièrefois,tuavaisfaim,serappela-t-il.Iciaussi,ilsfontdebonssandwichs.-Nonmerci,dis-je.Grand-Père,pourMrGeorge,jenecomprendspas!En2011,ilfaitcommes'ilnem'avaitencorejamaisvue.

Lucashaussalesépaules.-Ah,netefaisdoncpasdesouciàcausedecegarçon.D'iciàcequevousvousrevoyiez,cinquante-cinqansseserontpassés.Ilt'auraprobablementoubliée.-Oui,peut-être,dis-jeenregardantavecétonnementlesnombreuxfumeurs.Justeàcôtédenous,devantunetablebassesurlaquellesetrouvaituncendrierenverredelatailled'une tête demort, un gros homme fumait un cigare. L'air était à couper au couteau.N'avaient-ilsencorejamaisentenduparlerdecancerdupoumonen1956?-Etmaintenant?Tuensaisunpeuplussurcecavaliervert?demandai-jesansplusattendreàLucas.-Non,maisj'aidécouvertquelquechosedebeaucoupplusimportant.JesaismaintenantpourquoiLucyetPaulvontvolerlechronographe,répondit-ilavantdejeterunrapidecoupd'œilautourdeluietderapprochersachaisedelamienne.Aprèstavisite,LucyetPaulsontencorevenusquelquesfoisélapserici,sansqueriendeparticuliersepasse.Nousavonsbuduthéensemble,jelesaiinterrogéssur les verbes français et nous nous sommes copieusement ennuyés pendant quatre heures. Ils nedevaientpasquitterlamaison,c'étaitunordre,etKennethdeVilliers,cettevieillepeste,aveilléàcequenouslerespections.Enfait, j'avaisréussiunefoisàlesfairesortirendoucepourqu'ilsaillentvoirunfilmetpuissentregarderunpeulesalentours,maisnousnoussommesfaitbêtementprendre.Ah, que dis-je : Kenneth nous a surpris ! Ça a fait un foin terrible. J'ai écopé d'une punitiondisciplinaireetpendantsixmoisungardeesttoujoursrestédevantlasalleduDragonquandLucyetPaul étaient avec nous. Les choses n'ont légèrement évolué que lorsque je suis passé adepte detroisièmegrade.Oh...mercibeaucoup!Ces derniers mots s'adressaient à la serveuse, qui ressemblait trait pour trait à Doris DaydansL'Hommequiensavaittrop.Sescheveuxteintsenblondétaientcoupéscourtetelleportaitunerobevaporeuse.Levisage rayonnant, elle posa notre commandedevant nous et je n'aurais pas étéétonnéequ'ellesemetteàchanterQuesera,sera.Lucasattenditqu'ellesesoitéloignéeavantdepoursuivre.-Naturellement,enlesinterrogeantprudemment,j'aiessayédetrouverquelleraisonilspourraientavoir de ficher le camp avec le chronographe. Néant. Leur seul problème était qu'ils étaientterriblement amoureux. Apparemment, leur liaison n'était pas bien vue à leur époque, alors ils latenaientsecrète.Seulesquelquespersonnesenétaientinformées,moiparexemple,ettamère,Grâce.-Alors ils ont peut-être fui dans le passé, rien que parce qu'ils ne pouvaient pas être ensemble !CommeRoméoetJuliette?Ah!C'étaitterriblementromantique.-Non,ditLucas.Non,cen'estpaspourça.Ilremuasonthétandisquejeregardaisavidementlacorbeillepleinedesconeschauds,cachéssousuneservietteetsidélicieusementodorants.-Laraison,c'étaitmoi,ditLucas.-Quoi?Toi?-Bon,pasdirectementmoi.Maisc'étaitmafaute.Voilà...Unjour, j'aieul'idéecomplètementfolled'envoyerLucyetPaulencoreunpeuplusloindanslepassé.-Aveclechronographe?Maiscomment...

-MonDieu,oui,c'étaitcomplètementfou,jel'aibiendit,confirmaLucasensepassantlamaindanslescheveux.Maisnousétionsenferméstouslesjourspendantquatreheuresdanscettemauditesalle,avec lechronographe.Etqu'yavait-ildeplus facilequed'avoirdes idées stupides? J'aiétudiédesvieuxplans, épluché lesÉcrits secrets et lesAnnales,puis j'ai fait venirdes costumesde théâtre etfinalement nous avons collecté le sang deLucy et Paul dans le chronographe et je les ai envoyésélapseràl'essaipourdeuxheuresen1590.Çaamarchécommesurdesroulettes.Deuxheuresaprès,ilsont ressautéversmoien1948sansquepersonneaitmêmeremarquéqu'ilss'étaientabsentés.Etunedemi-heureaprès,ilsontressautéàpartirdelàen1992.C'étaitparfait.Je m'enfournai un scone généreusement tartiné de clotted cream. J'arrivais mieux à penser enmâchant.Unefouledequestionssebousculaientauportillonetjeprislapremièrevenue.-Mais,en1590,iln'yavaitpasencoredeVeilleurs,n'est-cepas?- Exact, dit Lucas. Ce bâtiment n'existait même pas encore. Et ce fut notre chance. Ou notremalchance,c'estselon.Ilpritunegorgéedethé.Iln'avaitencorerienmangéetjecommençaisàmedemandercommentilallaitnourrirsesnombreuxkilos.- Grâce à de vieux plans, j'ai découvert que le bâtiment de la salle du Dragon fut construit àl'emplacementmêmed'unepetiteplace,avecunefontainequis'étaittrouvéelàdelafinduXVIeàlafinduXVIIesiècle.-Jenevoispastrèsbien...-Attends !Cettedécouverteaétécommeun laissez-passerpournous.Depuis la salleduDragon,LucyetPaulpouvaient sauterdans lepassésurcetteplaceet ilsn'avaientqu'às'y retrouver justeàtempspourressauterautomatiquementdanslasalleduDragon.Tumesuistoujours,là?-Etquandilsatterrissaientenpleinjoursurlaplace?Onnelesarrêtaitpastoutdesuitepourleurfaireunprocèsensorcellerieetlesbrûler?-C'étaitunepetiteplace tranquille, leplussouventpersonnene les remarquait.Sinon, lesgenssefrottaientlesyeuxenpensantavoireulaberlue.Naturellement,c'étaittoutdemêmeincroyablementrisqué,maisnous trouvions çagénial.Nous étionsheureux comme tout d'avoir eu cette idée et depouvoir tous les feinter, et Lucy et Paul s'en amusaient énormément. Moi aussi, même si j'étaistoujours sur des charbons ardents en attendant leur retour dans la salle duDragon. Je n'osais pasm'imaginercequisepasseraitsiquelqu'unentrait...-C'étaitsacrementcourageux,appréciai-je.-Oui,accordaLucasavecunetouchedeculpabilitédanslesyeux.C'estlegenredechosequel'onfaitquandonestjeune.Aujourd'hui,jeneleferaistrèscertainementplus.Maisjepensaisqu'encasdevéritabledanger,monancienmoisagedufuturinterviendrait,tucomprends?-Quelmoisagedufutur?demandai-jeavecunsourirenarquois.-Ehbien,moi-même,s'écriaLucasavantdebaisseraussitôtlavoix.Jedevraibiensavoiren1992cequej'avaisfaiten1948avecLucyetPaul;etsiçaavaitmaltourné,jelesauraiscertainementmisengardetouslesdeuxcontremonjeunemoiirréfléchi...pensai-je.-D'accord,dis-jed'unevoixtraînanteenreprenantunscone,histoired'alimentermoncerveau.Maistunel'aspasfait?

Lucassecoualatête.-Apparemmentpas,idiotquejesuis.Etnousavonsagiavecdeplusenplusd'inconscience.QuandLucyaétudiéHamletàl'école,jelesaienvoyéstouslesdeuxen1602.Entroisjoursdesuite,ilsontpuassisteràlapremièredonnéeauGlobeThéâtreparlesLordChamberlains'Men.-ÀSouthwark?Lucasacquiesça.-Oui,c'étaittoutuncirque.IlsdevaienttraverserLondonBridgepourpassersurl'autrerivedelaTamise,essayerdevoirlà-baslepluspossibledeHamletetêtrederetouravantderessauterdansletemps. Pendant deux jours, ça a bienmarché,mais le troisième, il y a eu un accident sur LondonBridgeetLucyetPaulontétélestémoinsd'unmeurtre.Ilsn'ontpasréussiàtempsleursautsurcetterive,maisilsontatterridansleSouthwarkde1948,àmoitiédanslaTamise,pendantquej'étaisfoud'inquiétude.Visiblement,iln'avaitpasencoredigérécesouveniretsesailesdenezenblêmirent.

-IlsontréussidejustesseàatteindreTemple,trempésetdansleurscostumesduXVIIIesiècle,avantderessauteren1992.Jen'aiappristoutçaquelorsqu'ilssontrevenusmevoirensuite...Latêtemetournaitd'avoirentendutoutescesdates.-Etcecrimedontilsontétélestémoins?Lucasrapprochasachaiseencoreunpeuplus.Derrièreseslunettes,sesyeuxétaientempreintsd'unesombregravité.- C'est justement là le point crucial ! Lucy et Paul ont vu le comte de Saint-Germain assassinerquelqu'un!-Lecomte?-Jusqu'alors,LucyetPaulne l'avaientrencontréquedeuxfois.Mais ilsétaient toutàfaitcertainsqu'ils'agissaitde lui.Après leursautd'initiation, ils luiavaientétéprésentés,chacunàson tour,en1784.Lecomteenavaitdécidéainsi,ilnevoulaitfairelaconnaissancedesvoyageursnésaprèsluiqu'àlafindesavie.Çam'étonneraitquecelaeûtétédifférentavectoi.Ils'éclaircitlavoixpuisrectifia:-Quecelaseradifférent.Enfinbon.Entoutcas,lesVeilleurssontpartispourcelaavecLucyetPauletlechronographeenAllemagneduNord,oùlecomtepassaitsesdernièresannées.Jefaisaispartieaussiduvoyage...J'enferaipartie.Commegrand-maîtredelaloge...incroyable,non?Jefronçailessourcils.-Pourrions-nouspeut-être...?- Ah, je m'embrouille de nouveau, n'est-ce pas ? Je n'arrive toujours pas à comprendre que leschosesquisesontpourtantpasséesdepuislongtempsvontencorearriver.Alors,oùenétions-nous?-Commentlecomtea-t-ilpucommettreunmeurtreen1602?...Ah,maisbiensûr!C'étaitaucoursd'undesesvoyagesdansletemps!-Exact.Etquandilétaitencorejeune.IlafalluunénormehasardpourqueLucyetPaulsesoienttrouvés,aumêmeinstant,pile-poilaumêmeendroit.Sionpeutparlerdehasarddanscecontexte.Lecomtedéclarelui-mêmedansl'undesesnombreuxécrits:Celuiquicroitauxcoïncidencesn'apascomprislepouvoirdudestin.

-Quia-t-ilassassiné?Etpourquoi?-Cela,machèrepetite-fille,nousnel'avonspascompristoutdesuite.Ilnousafalludessemainespour ledécouvrir.Savictimen'étaitautrequeLancelotdeVilliers, lepremiervoyageurduCercle.L'Ambre!-Ilatuésonpropreancêtre?Maispourquoiça?-LancelotdeVilliersétaitunbaronbelgequiavaitémigréenAngleterreavectoutesafamilleen1602.DanslesAnnalesetlesÉcritssecretsducomtedeSaint-Germain,qu'ilalaissésauxVeilleurs,onpeutlirequeLancelotestmorten1607,desortequenousn'avionspastoutdesuitepenséàlui.Maisenvérité-jetefaisgrâcemaintenantdesdétailsdenosrecherchespointues-,lebaronaeulagorgetranchéeen1602danssaproprecalèche...-Jenecomprendspas,murmurai-je.- Je n'ai pas encoremoi-même réussi à rassembler toutes les pièces du puzzle, dit Lucas tout ensortantunpaquetdecigarettesdesapocheetenallumantune.D'autantplusquejen'aiplusvuLucyetPaul depuis le 24 septembre 1949. Je suppose qu'ils ont sauté avec le chronographe à une époqueantérieure à la mienne, car sinon ils m'auraient depuis longtemps rendu visite. Oh... mince ! Neregardesurtoutpasparlà!-Quesepasse-t-il?Etdepuisquandfumes-tu?-VoilàKennethdeVilliersquisepointeavecsonaffreusesorcièredesœur.Lucastentadesecacherderrièrelacarteducafé.-Tun'asqu'àdirequenousnevoulonspasêtredérangés,chuchotai-je.-Jenepeuxpas...C'estmonchef,danslalogecommedanslavie.Cemauditbureauluiappartient...Avecunpeudechance,ilsnenousverrontpas.Maismanquedepot!Unquadragénairedetailleélancéeetunedamecoifféed'unchapeauturquoisesedirigeaientdroitversnousetprirentplacesurlesdeuxchaiseslibres,sansquepersonnelesenaitpriés.-Ehbien,Lucas,ondiraitquenousavonsdécidétouslesdeuxdenepastravailleraujourd'hui?ditaimablementKenneth deVilliers en lui tapant sur l'épaule.Mais comment ne pas fermer les yeuxmaintenantquetuassimagnifiquementréglélecasParker,hier?Encoreunefois,félicitations!J'aientendudirequetuavaisdelavisitedelacampagne?Sesyeuxd'ambremesoumirentàunexamenminutieux.Jem'efforçaideluirenvoyermonregardleplusingénu.C'étaitétrangedevoircombienlesdeVilliersseressemblaient,entouttemps,avecleurspommettes bien marquées et leur nez droit aristocratique. Celui-ci en était encore un exemplaireimpressionnant, même s'il n'avait pas aussi belle allure que, par exemple, Falk de Villiers àmonépoque.-HazelMontrose,macousine,meprésentaLucas.Hazel,voiciMretMrsdeVilliers.-Maisjesuissasœur,ditMrsdeVilliersengloussant.Oh,bien,vousavezdescigarettes...Ilfautquejevousenmendieunetoutdesuite.—Nousnousapprêtionsmalheureusementàpartir,ditLucasenluitendantgalammentunecigaretteetenluioffrantdufeu.J'aiencorequelquesdossiersàtraiter...-Maispasaujourd'hui,monami,pasaujourd'hui,protestasonchefavecunclind'œilamical.

-Jem'ennuietoujourssiterriblementquandjesuisseuleavecKenneth,déclaraMrsdeVilliersenrejetant la fumée par le nez. Avec lui, on ne peut parler que politique. Kenneth, s'il te plaît,commande-nousdoncencoreunthé.D'oùvenez-vousaufait,machère?-DuGloucestershire,dis-jeentoussantunpeu.Lucaspoussaunsoupirderésignation.-Mononcle,donclepèred'Hazel,ypossèdeungranddomaineavecbeaucoupd'animaux,expliqua-t-il.-Ah,j'aimelaviecampagnarde.Etlesbêtes!s'enthousiasmaMrsdeVilliers.-Etmoidonc,dis-je.Surtoutleschats!

24juillet1956Namquodiniuventusnondiscitur,inmaturaaetatenescitur7h:LenoviceCartrell,portéabsent lorsde l'examenArianenocturne,atteint l'escalieravecseptheuresderetard.Iltitubelégèrementetpuel'alcool,cequilaissesupposerqu'iln'a pas réussi l'examen, mais qu'il a découvert la cave à vin disparue. Je le laisseexceptionnellement passer avec le mot dépasse de la veille. Sinon rien de particulier àsignaler.Rapport:J.Smith,novice,postedumatin13h12:Nousavisonsunrat.Jeveuxl'embrocheravecmonépée,maisLeroyluidonnelesrestesde son sandwichet lebaptisedunomd'Audrey.15h15 :MissVioletPurpleplumatteintl'escalierparunchemininconnudenous,depuislepalaisdejustice.Ellecitesansune faute lemot de passe du jour, Leroy l'escorte sur sa demande vers les bureaux d'enhaut.15h24:Audreyestderetour.Sinon,riendeparticulieràsignaler.Rapport:P.Ward,novice,postedel'après-midi18hàminuit:Riendeparticulieràsignaler.Rapport:N.Cartrell,novice,postedusoirMinuità6h:Riendeparticulieràsignaler.Rapport:K.Elberetb/M.Ward,novices

ExtraitdesAnnalesdesVeilleurs:Procès-verbaldelaGardecerbère

Chapitre8

Legardedormaitaupieddel'escalier,latêtesurlarampe.- Pauvre Cartrell, chuchota Lucas tandis que nous nous faufilions devant cet homme en train deronfler. Je crainsqu'il ne réussissepas àpasser adepte s'il continueàboire commeça...Mais c'estd'autantmieuxpournous.Allez,presse-toi!J'étaisdéjààboutdesouffleaprèsavoirdûfaireaupasdecourselechemindepuislecafé.KennethdeVilliersetsasœurnousavaientretenusuneéternité,nousavionsdûdiscuterpendantdesheuresdela vie campagnarde en général et de celle du Gloucestershire en particulier (j'avais dû sortir desanecdotessurmacousineMadeleineetunmoutonprénomméClarisse),ducasParker(dont j'avaissimplementcomprisquemongrand-pèrel'avaitgagné),dumignonpetitdauphinCharlesetdetousles filmsdeGrâceKellyetdesonmariageavecunprincemonégasque.J'avais tousséde tempsentempsenessayantd'amenerlaconversationsurlesconséquencesdésastreusesdutabacsurlasanté,maislemessagen'étaitpasbienpassé.Quandnouspûmesenfinquitterlecafé,ilétaitsitardquejen'eusmêmepasletempsd'allerauxtoilettesalorsquej'avaisaumoinsunlitredethédanslavessie.-Plusquetroisminutes,haletaLucastandisquenouscourionsdanslescouloirsdelacave.Pourtant,j'auraisencoretellementdechosesàtedire.Sicettepestedechefn'étaitpasarrivée...-JenesavaispasquetuétaisemployéchezundeVilliers,dis-je.CartuestoutdemêmelefuturlordMontrose,membredelaChambrehaute.-Oui,réponditLucasd'unairgrincheux.Maisd'iciàcequejesuccèdeàmonpère,jedoistoutdemêmesubvenirauxbesoinsdemafamille.Cejobs'esttoutsimplementprésenté...Bon,écoute.ToutcequelecomtedeSaint-GermainalaisséauxVeilleurs,lesEcritssecrets,leslettres,lesChroniques,toutesceschosespassaientd'abordparsacensure.LesVeilleursnesaventquecequeSaint-Germainabienvoululeurpermettredesavoir,ettouteslesinformationsvisentàcequelesgénérationsaprèsluimettenttoutenœuvrepourfermerleCercle.MaisaucundesVeilleursneconnaîtlesecretintégral.-Maistoi,tuleconnais?m'écriai-je.-Pschttt!Non,jeneleconnaispasnonplus.Nousétionsarrivésetj'ouvrisengrandlaportedulaboratoired'alchimie.Mesaffairesétaientsurlatable,tellesquejelesyavaislaissées.-MaisLucyetPaulconnaissentlesecret,j'ensuispersuadé,repritLucas.Ladernièrefoisquenousnoussommesvus,ilsétaientsurlepointdetrouverlesdocuments.Iljetaunœilàsamontre.-Mince!dit-il.-Continue!insistai-jetoutenprenantmoncartableetlalampedepoche.Aladernièreseconde,jepensaiencoreàluirendrelaclé.Monventresemettaitdéjààfairelegrandhuitbienconnu.-Ets'ilteplaît,Grand-Père,rase-toilamoustache!- Le comte avait des ennemis, qui ne sont que fugitivement mentionnés dans les Chroniques,s'épancha Lucas. Une vieille organisation secrète, proche de l'Eglise, qui s'appelait l'Alliance

florentine, l'avaitnotammentdans le collimateur.Cetteorganisationa réussi en1745, l'annéede lacréation de la loge à Londres, à mettre la main sur des documents du legs du comte de Saint-Germain...Tutrouvesquelamoustachenemevapas?Jecommençaiàvoirtournerlapièce.-Jet'aimebien,Grand-Père,lançai-je.-...desdocumentsquiprouvent, entreautres,qu'ilne s'agitpas seulementdecollecter le sangdesdouzevoyageursdanslechronographe!Lesecretserévéleraseulementquand...entendis-jeencoredireLucasavantdemesentirarrachéedusol.Quelques fractionsdesecondeplus tard, jeclignaidesyeuxdansune lumièrevive.Etcontreunepoitrineàchemiseblanche.Uncentimètreplusàgaucheetj'auraispile-poilatterrisurlespiedsdeMrGeorge.Jepoussaiunlégercridefrayeuretreculaidequelquespas.-Laprochainefois,ilfaudrapenseràtedonnerdelacraiepourunmarquage,ditMrGeorgeenmereprenantlalampedepoche.Iln'étaitpasleseulàattendremonretour.FalkdeVilliersétaitlà,ledocteurWhiteétaitassisàtable;Robert,lepetitesprit,louchaitderrièresesjambeset,prèsdelaporte,Gideonétaitappuyécontrelemuravecunénormepansementblancaufront.Àsavue,jerespiraiungrandcoup.Ilaffichaitsonattitudehabituelle,lesbrascroiséssurlapoitrine,maisleteintdesonvisagen'étaitguèreplusfoncéquelepansementetsescernesfaisaientressortiranormalementlevertdesesyeux.Je ressentis le désir presque irrépressible de courir vers lui, de le prendre dans mes bras et desoufflersursablessure,commejel'avaistoujoursfaitavecNickquandilsefaisaitmal.-Toutvabien,Gwendolyn?demandaFalkdeVilliers.—Oui,affirmai-jesansquitterdesyeuxGideon.MonDieu, jesentisalorsàquelpoint ilm'avaitmanqué.Cebaisersur lecanapévertn'avait-ileulieuquelaveille?Bienque...onpuissedifficilementparlerd'unseulbaiser.Gideon répondit àmon regard d'unœil éteint, presque indifférent, comme s'ilme voyait pour lapremièrefois.Plusaucunetracedecequis'étaitpassélaveille.-JevaisramenerGwendolynlà-hautpour luipermettrederentrerchezelle,dit tranquillementMrGeorge.IlmeposaunemaindansledosetmepoussadoucementverslaporteenpassantdevantFalk.DroitversGideon.-Es-tu...?Tutesensmieux?demandai-je.Gideon se contenta deme regarder.Mais d'unemanière bizarre.Comme si je n'étais qu'un objet.Quelque chose d'insignifiant, de quotidien, comme... une chaise. Il souffrait peut-être d'untraumatismecrânienetnesavaitplusquij'étais?D'unseulcoup,j'eneusfroiddansledos.- Gideon seraitmieux dans son lit,mais il faut encore qu'il élapse quelques heures pour ne pasrisquer un voyage incontrôlé dans le temps, déclara sèchement le docteurWhite. C'est de la pureinconsciencedelelaisserdenouveauseul...-Deuxheuresdansunecavetranquilleen1953,Jake!l'interrompitFalk.Suruncanapé.Ilsurvivra.

-Oui,c'estsûr,ditGideon,leregardencoreplussombre.J'eussoudainenviedepleurer.MrGeorgeouvritlaporte.-Viens,Gwendolyn.-Unmoment,s'ilvousplaît,MrGeorge,ditGideonenmeretenantpar lebras. Ilyaencoreunechosequej'aimeraissavoir:enquelleannéevenez-vousd'envoyerGwendolyn?-Justelà?En1956,enjuillet,réponditMrGeorge.Pourquoi?-Ehbien...parcequ'ellesentletabac,ditGideontoutenmeserrantlebrasaupointdemefairemal.Jefaillisenlaissertombermoncartable.Instinctivement, je reniflai lamanchedemaveste.Exact...Monséjourdeplusieursheuresdanscebistrotenfuméavaitlaissédestracesindéniables.MonDieu,commentallais-jepouvoirexpliquerça?Touslesregardsétaientmaintenantbraquéssurmoietjecomprisqu'ilfallaitvitetrouverquelquechoseàdire.-OK,c'estvrai,dis-jeenregardantparterre.J'aiunpeufumé.Maisjustetroiscigarettes.Vraiment.MrGeorgesecoualatête.-Mais,Gwendolyn,jet'avaispourtantbienfaitcomprendre,aucunobjet...-Jeregrette,l'interrompis-je.Maisons'ennuietellementdanscettecavesombreetpuisunecigaretteaide à tromper la peur... ajoutai-je en prenant un visage contrit. J'ai soigneusement recueilli lesmégotsetj'aitoutrapporté.N'ayezcrainte:personnenetrouveraunpaquetdeLuckyStrike.Falkrit.-Notrepetiteprincessequevoilàn'estpasaussisagequ'onpourrait lepenser,constata ledocteurWhite.Jesoupiraidesoulagement.Apparemment,ilsmecroyaient.- Ne prends pas cet air choqué, Thomas. J'ai fuméma première cigarette à treize ans, ajouta ledocteurWhite.-Moiaussi,mapremièreetmadernière,intervintFalkdeVilliers,quis'étaitdenouveaupenchésurlechronographe.Fumern'estvraimentpasrecommandable,Gwendolyn.Jesuissûrquetamèreseraitassezchoquéesiellel'apprenait.MêmelepetitRoberthochafurieusementlatêteetmedécochaunregardréprobateur.-De plus, ce n'est pas recommandépour la beauté, ajouta le docteurWhite.La nicotine, ça vousdonneunemauvaisepeauetdesdentsaffreuses.Gideonsetaisait.Iln'avaittoujourspasrelâchésaprisesurmonbras.Jem'efforçaideleregarderleplus ingénument possible en essayant un sourire d'excuse. Il répondit àmon regard avecdes yeuxlégèrementrétrécisetsecouaimperceptiblementlatête.Puisilmelibéralentement.J'avaislagorgenouée.PourquoiGideonagissait-ilainsi?D'uninstantàl'autre,gentilet tendre,puisdenouveaufroidetinabordable?Personnenepouvaitsupporterça.Entoutcas,pasmoi.Cequis'étaitpasséici,enbas,ce truc entre nous, c'avait été vraiment sincère. Franchement. Etmaintenant, il ne trouvait rien demieuxàfairequedemeridiculiserdevanttoutlemonde?Maisqu'est-cequ'ilpouvaitbienavoirdanslecrâne?

-Allez,viensmaintenant,mepressaMrGeorge.-Nousnousreverronsaprès-demain,Gwendolyn,ditFalkdeVilliers.Pourtongrandjour.-N'oubliezpasdeluibanderlesyeux,rappelaledocteurWhite.J'entendisGideonglousser,commesiledocteurWhiteavaitfaitunemauvaiseplaisanterie.Puislalourdeporteserefermaderrièrenousetnousnousretrouvâmesdanslecouloir.-Ondiraitqu'iln'aimepaslesfumeurs,dis-jedoucementensentantleslarmesarriver.- Je vais te bander les yeux, répondit Mr George. Je le laissai docilement me nouer le foulardderrièrelatête.Puisilmepritmoncartableetmepoussadoucementenavant.—Gwendolyn...ilfautvraimentmontrerplusdeprudence.-Cenesontpasquelquescigarettesquivontmefairemourir,MrGeorge.-Cen'estpasàçaquejepensais.—Aquoialors?-Jevoulaisdire...encequiconcernetessentiments.-Commentça,messentiments?J'entendisMrGeorgesoupirer.-Ma chère enfant,mêmeun aveugle verrait que tu... tu devrais être plus prudente avec ce que tuéprouvespourGideon.-Je...Jem'arrêtailà.Apparemment,MrGeorgeétaitbeaucoupplusperspicacequejenel'auraiscru.-Lesrelationsentredeuxvoyageursdansletempsn'ontjamaisétéplacéessousunebonneétoile,dit-il.Tout comme les relationsentre les famillesdeVilliers etMontrose.Et endes tempscommeceux-ci, il faut toujours garder présent à l'esprit qu'on ne peut, dans le fond, faire confiance àpersonne.Peut-êtreme l'imaginai-je,mais j'eus l'impressionque lamaindeMrGeorge tremblaitdansmondos.-C'estmalheureusementunfaitinéluctablequel'onperdtoutbonsensdèsquel'amourentreenjeu.Etlebonsens,c'estcedonttupeuxavoirleplusbesoin.Attentionàlamarche!En silence, nous arrivâmes en haut de l'escalier, puisMrGeorge défit le bandeau etme regardagravement.-Tuyarriveras,Gwendolyn.Jecroisfortentoietentescompétences.Sonvisagerondétaitdenouveaupleindegouttesdesueur.Danssesyeuxclairs, jene lusquedel'inquiétude... tout comme chezmamère quand elleme regardait. Je fus submergée par une onded'affection.- Tenez, votre bague à sceau ! dis-je. Quel âge avez-vous au fait, Mr George ? Si je puis mepermettre?-Soixante-seizeans,répondit-il.Cen'estpasunsecret.Je ledévisageai.Mêmesi jen'yavais jamaisvraimentréfléchi, je luiauraisdonnésansproblèmedixansdemoins.-Alors,en1956vousaviez...

-Vingtetunans.C'estl'annéeoùj'aicommencécommeassistantd'avocatetoùjesuisentrédanslaLoge.-Est-cequevousconnaissezVioletPurpleplum,MrGeorge?C'estuneamiedemagrand-tante.MrGeorgelevaunsourcil.-Non,çanemeditriendutout,viens,jevaisteconduireàtavoiture.Jesuissûrquetamèret'attendimpatiemment.-Vousenêtessûr?...MrGeorge...?Maisilavaitdéjàtournélestalons.Ilnemerestaplusqu'àlesuivrecommesonombre.

-Onpassera teprendrechez toidemain,àmidi.MmeRossiniveut tevoirpour lesessayages.Etpuis,Giordanoessaieradet'apprendreencorequelquespetiteschoses.Etpourfinir,tudevrasencoreélapser.-Super-journéeenperspective!dis-je,abattue.-Maiscen'estpasdela...magie!murmurai-je,choquée.Lesliesoupira.-Peut-êtrepasausensderituelsmagiquesabracadabrants,maisc'estunecapacitémagique.C'estlamagieducorbeau.-C'estplusunesortedespleen,dis-je.Quelquechosequifaitqu'onsemoquedevous,qu'onnevouscroitpas,quoiquevousdisiez.-Gwenny, on ne peut pas parler de spleen quand quelqu'un a des perceptions surnaturelles.C'estplutôtundon.Tupeuxvoirdesespritsetleurparler.-Etdesdémonsaussi,complétaXemerius.-Danslamythologie, lecorbeaureprésentelarelationdeshommesaveclemondedesdieux.Lescorbeauxsontlesintermédiairesentrelesvivantsetlesmorts.Leslie tourna sonclasseur,pourque jepuisse lire cequ'elle avait trouvé sur Internet au sujetdescorbeaux.-Avouequeçacorrespondformidablementbienàtescapacités!conclut-elle.-Etàtescheveux,ditXemerius.Noirscommelesplumesducorbeau.Jememordislalèvre.-Mais dans les prophéties, ça semble toujours... ah, comment dire... important et puissant commetout...Commesilamagieducorbeauétaitunesorted'armesecrète.-C'estpeut-êtreaussilecas,ditLeslie.Situcessesdepenserqu'ilnes'agitqued'unesortedespleenétrangequitedonnelafacultédevoirdesesprits.-Etdesdémons,répétaXemerius.- J'aimerais tant avoir ces textes avec lesprophéties, repritLeslie.Çam'intéresserait tellementdevoircequ'ilsdisentexactement.-Charlottepeutcertainementlesdébiterparcœur,dis-je.Jepensequ'elleaappristoutçadanssescours demystères. D'ailleurs, ils n'arrêtent pas de parler en rimes. Les Veilleurs.MêmeMum. EtGideon.Je me détournai vite, pour que Leslie ne voie pas mes yeux se remplir de larmes, mais il était

déjàtroptard.- Ah, mon Dieu ! Tu ne vas pas remettre ça ! s'écria-t-elle en me tendant un mouchoir. Là, tuexagèresvraiment.-Non,pasdutout.Tuterappellesquandtuaspleurétroisjoursd'affiléeàcausedeMax?reniflai-je.-Évidemmentquejem'ensouviens!C'étaitilyaàpeinesixmois.-Maintenant,jecomprendscequetuasressentialors.Etaussipourquoituauraisvoulumourir.-J'étaissibête.TuesrestéetoutletempsprèsdemoiàmedirequeMaxnevalaitpaslapeinedeperdrene serait-cequ'uneseulepenséepour lui,parcequ'il s'était comportécomme ledernierdessalauds.Etquejedevaismelaverlesdents...-Oui,etpendantcetempsThewinnertakesitallpassaitenboucle.-JepeuxallertechercherleCD,proposaLeslie.Siçatepermetdetesentirmieux.-Non.Passe-moiplutôtlecouteauàlégumesjaponais,quejemefassehara-kiri.Jemelaissairetomberenarrièresurmonlitetfermailesyeux.-Pourquoifaut-ilquelesfillessoienttoujoursaussidramatiques?s'énervaXemerius.Cegarçonestdemauvaispoiletilaleregardgrincheuxparcequ'ilareçuuncoupsurlatête,etvoilàquelemondes'écroulepourtoi.-Parcequ'ilnem'aimepas!dis-je,désespérée.-Mais tunepeuxpas lesavoir!objectaLeslie.PourMax, j'enétaismalheureusementsûre,parcequ'àpeineunedemi-heureaprèsavoirrompuavecmoi,onl'avutripotercetteAnnaaucinéma.MaisonnepeutvraimentpasreprochercegenredechoseàGideon.Ilestseulementunpeu...lunatique.-Maispourquoi?Si tuavaisvu le regardqu'ilm'a jeté !Commedégoûté.Commesi j'étais...uncloporte.C'estabsolumentinsupportable!-Toutàl'heure,tuparlaisde«chaise»,remarquaLeslieensecouantlatête.Bon,fais-moileplaisirdeteressaisirmaintenant.MrGeorgearaison:dèsquel'amourentreenjeu,lebonsensdisparaît.Justeaumomentoùnoussommessurlepointderéaliserunepercéenovatrice!Le matin, en effet, alors que Leslie venait d'arriver et que nous nous étions installéesconfortablement sur mon lit, Mr Bernhard avait frappé à ma porte - ce qu'il ne faisait jamaisd'habitude-etilavaitdéposésurmonbureauunplateauavecduthé.-Unepetitecollationpourcesjeunesdames,avait-ilannoncé.J'enétaisrestéecommedeuxrondsdeflan,carjenemerappelaispasl'avoirdéjàvuànotreétage.- Eh bien, comme vous m'interrogiez dernièrement à ce sujet, j'ai pris la liberté de faire desrecherches,avait-ilpoursuivi, tandisquesesyeuxdehibounous regardaientgravementpar-dessusseslunettes.Etcommejelepensaisbien,j'aifinipartrouver.-Quoidonc?avais-jedemandé.MrBernhardavaitpoussédecôtélaserviettequisetrouvaitsurleplateauetunlivreétaitapparu.-LeCavaliervert,avait-ildit.Jecroismerappelerquec'estcequevouscherchiez.Leslies'étaitlevéed'unbondetavaitprislelivreenmain.-Maisj'aidéjàregardécevolumeàlabibliothèque,iln'ariendeparticulier...avait-ellemurmuré.

MrBernhardluiavaitfaitunsourireindulgent.-C'est sans doute dû au fait que le livre que vous avez vu n'appartenait pas à lordMontrose.Enrevanche,cetexemplairepourraitvousintéresser.Il s'était retiré avec une légère courbette et nous nous étions aussitôt ruées sur le livre.Un billetgriffonnédecentainesdechiffresd'unetoutepetiteécritureavaitvoléparterre.Leslieenavaitrougid'excitation.-Oh,monDieu,c'estuncode!s'était-elleécriée.C'estabsolumentmerveilleux!J'enaitoujoursrêvé!Maintenant,ilnenousresteplusqu'àledéchiffrer!Mais Leslie n'avait pasmis cinqminutes pour comprendre que les chiffres se rapportaient à deslettresdutexte.- Le premier nombre est toujours la page, le deuxième désigne la ligne, le troisième lemot, lequatrièmelalettre.Tuvois?14-22-6-3,c'estàlapage14,ligne22,lesixièmemotetlatroisièmelettredecemot.Ellesecoualatêteavantd'ajouter:-Tuparlesd'un trucà lanoix.On le trouvedans lamoitiédes livresd'enfants, si jemesouviensbien.Quoiqu'ilensoit,lapremièrelettreesticiun«e».Xemerius,impressionné,avaithochélatête.-Écoutetonamie!-N'oublie pas qu'il s'agit d'une question de vie ou demort, dit Leslie. Tu crois que j'ai envie deperdremameilleureamieparcequ'ellen'apasétécapabled'utilisersoncerveauaprèsuneséancedebécotage?-Entièrementd'accord!Ça,c'étaitXemerius.-Aulieudepleurnicher,tuferaismieuxdetrouvercequeLucyetPaulontdécouvert,insistaLeslie.Sionterenvoieaujourd'huiélapseren1956-tun'asqu'àledemanderàMrGeorge-, ilvafalloirexigerunediscussionentrequat'z'yeuxavectongrand-père!Quelleidéeinsenséed'allerdansuncafé!Etcettefois,tuvastoutnoter,toutcequ'iltedit,jusqu'aumoindredétail,compris?Ellesoupirapuisreprit:-Tuessûrequeças'appelait l'Allianceflorentine?Jen'ai rien trouvélà-dessus. Ilvaabsolumentfalloir jeter unœil à ces Écrits secretsque le comte de Saint-Germain a laissés auxVeilleurs. SiseulementXemeriusétaitcapablededéplacerlesobjets,ilpourraitchercherlesarchives,traverserlemuretsimplementtoutlire...-Oui,paslapeinedemerappelermoninutilité,sevexaXemerius.Ilnem'afalluqueseptsièclespourm'habituerànemêmepluspouvoirtournerunepaged'unlivre.OnfrappaàmaporteetCarolinepassasatêtedansl'ouverture.-Lelunchestprêt!Gwenny,onvapasservousprendredansuneheure,toietCharlotte.Jesoupirai.-Charlotteaussi?- Oui, tanteGlenda l'a dit en ajoutant que cette pauvre Charlotte était vraiment utilisée à contre-emploicommeprofesseurdetalentssansespoir...ouquelquechosecommeça.

-Jen'aipasfaim,dis-je.-Nousarrivonstoutdesuite,rectifiaLeslieenm'envoyantuncoupdecoudedanslescôtes.Gwenny,allez,viens!Tut'apitoierasplustardsurtoi-même.Maintenant,ilfautquetuavalesquelquechose!Jem'assisetreniflaidansmonmouchoir.-Jen'aipaslecouraged'entendrelesremarquesperfidesdetanteGlenda.-Ouais,maisilvafalloiravoirlesnerfsplussolidessituveuxsurvivreàcequit'attendencore,ditLeslieenm'aidantàmelever.Charlotteettatantesontunbonentraînementpourlepire.Situsurvisàcelunch,tupasseraslasoiréecommeunefleur.-Sinon,tupeuxtoujourstefairehara-kiri...m'encourageaXemerius.

MmeRossinimesaluaenm'écrasantsursapoitrinegénéreuse.-Monpetitcoudecygne!Tevoicienfin.Tum'asmanqué!-Vousm'avezmanquéaussi,dis-jesincèrement.

LaseuleprésencedeMmeRossini,avecsachaleurdébordanteetsonmerveilleuxaccent français(ah, si seulementGideonpouvait entendre sa façondedirecoudecygne !) avait quelque chosedevivantetderassurantàlafois.Elleétaitunbaumepourmonegomalmené.-Tuvasêtreraviedevoircequejet'aipréparé.Giordanoétaitauborddeslarmesquandjeluiaimontrétesrobes,tantellessontbelles.-Jeveuxbienlecroire,dis-je.Giordanoavaitcertainementpleurédenepouvoir lesporter lui-même.Toujoursest-ilqu'ils'étaitmontrécejour-lààpeuprèsaimable,neserait-cequeparcequejem'enétaisbientiréecettefoisaveclespasdedanseetque,grâceauxtalentsdesouffleurdeXemerius,j'avaisréussiàpréciserquellordavaitétépartisandestoriesetquelautrel'avaitétédeswhigs.(Xemeriusavaitsimplementlouchépar-dessus l'épaule deCharlotte sur son papier.) Toujours grâce à l'aide deXemerius, j'avais pu aussidébitersansunefautemalégende:PénélopeMaryGray,néeen1765...ainsiquetouslesprénomsdemesparentsdécédés.Iln'yavaitquel'éventailquinemeréussissaitvraimentpas,maisCharlotteavaitémislapropositionconstructivedetoutsimplementm'endispenser.Àlafinducours,Giordanom'avaittenduunelistedetouslesmotsquejenedevaisabsolumentpasutiliser.«Àsavoirparcœurd'icidemainetàassimiler!avait-ilnasillé.AuXVIIIesiècle,iln'yanibus,niprésentateurdejournaltélévisé,niaspirateur;rienn'estsuper,classe,oucool;onignoraittoutdelafissiondel'atome,descrèmesdesoinaucollagèneoudestrousdanslacouched'ozone.»Ah, vraiment ? Tout en cherchant à m'imaginer pourquoi diable je devrais, dans une soiréedu XVIIIe siècle, être tentée de former une phrase contenant les mots « présentateur de journaltélévisé»,«troudanslacouched'ozone»et«crèmedesoinaucollagène»,j'avaisrépondupoliment« OK », mais Giordano s'était alors écrié : « Noooon ! Justement pas OK !!! On ne ditpasOKauXVIIIesiècle,petitesotte!»

MmeRossinilaçalecorsetdansmondos.Jefusdenouveausurpriseparsonconfort.Dansuntelattirail,onsetenaitautomatiquementdroite.Ellebouclaàmatailleunénormejuponrenforcépardes

cerceauxmétalliques(jesupposequeleXVIIIesiècledevaitêtreunepériodemerveilleusementcoolpourtouteslesfemmesavecungrospopotinetdelargeshanches),puisellemepassauneroberougefoncépar-dessuslatête.Ellefermaunelonguelignedecrochetsetdeboutonsdansmondostandisquejepassaidesdoigtsadmiratifssurlalourdesoiebrodée.Aaah,quellebeauté,encoreunefois!

MmeRossinitournalentementautourdemoietaffichaunlargesouriresatisfait.-Merveilleux.Magnifique.-Est-celarobepourlebal?demandai-je.-Non,c'estcellepourlasoirée.Elle fixa encore deminuscules roses en soie tout autour du profond décolleté. La bouche pleined'épingles,elleréussitdifficilementàmedireentresesdents:-Tupeuxportertescheveuxnonpoudrés,leurteintenoirerendfantastiquementbienaveccerouge.C'esttoutàfaitcequejepensais.Puisavecunclind'œilcomplice:-Tuvasfairesensation,monpetitcoudecygne,n'est-cepas...bienquecenesoitsûrementpaslebut.Maisquepuis-jeyfaire?Elle se tordit lesmains ; toutefois, contrairement àGiordano, ce geste, de la part de cette petitefemmeaucoudetortue,étaitdesplusravissants.-Tuesunevraiepetitebeautéetilneserviraitàriendet'affublerdevêtementsd'unbrunfoncé.Bon,voilà,monpetitcoudecygne,c'estterminé.Maintenant,onvapasseràlarobedebal.Celle-ci,d'unbleupâleavecbroderiesetruchesdecouleurcrème,m'allaitaussiparfaitementquelaroberouge.Elleavaitmêmeundécolletéencoreplusspectaculaireetlajupesedéployaitlargementautourdemoi.MmeRossinisoupesalescheveuxsurmanuqued'unairsoucieux.-Jenesaispasencoretrèsbiencommentnousallonsfaireça.Tuneseraspasvraimentàl'aiseavecune perruque, d'autant plus qu'il faudra y faire disparaître cettemasse-là.Mais tes cheveux sont sifoncés que nous n'obtiendrons vraisemblablement qu'un affreux ton gris en les poudrant. Quellecatastrophe!N'importe!Ainsi,tuseraisabsolumentàlamode,maisDieuduciel,c'étaitvraimentunemodehorrible!Pourlapremièrefoisdelajournée,jemesentisobligéedesourireenentendantsondélicieuxpetitaccent.Affreux!Horrible !Commec'étaitvrai !Etces termesnes'appliquaientpasseulementà lamode,maisaussiàGideon,àquoij'avaisaussienvied'ajouterdétestable.

Mme Rossini ne semblait pas s'apercevoir du bienfait qu'elle représentait pour mon âme. Ellecontinuaitàs'énerversurl'époquedecetemps-là.-Cesjeunesfillesquisepoudraientlescheveuxjusqu'àlesfaireressembleràceuxdeleurgrand-mère,effroyable!Enfiledoncceschaussures!Pensequetulesauraspourdanseretqu'ilestencoretempsdeleschanger!Leschaussures,rougesetbrodéespouralleraveclaroberouge,etcelles,bleuciel,avecuneboucledoréepourlarobedebal,étaientd'unconfortétonnantbienqu'onleseûtditessortiesd'unmusée.-Cesontlesplusbelleschaussuresquej'aiejamaiseues,m'enthousiasmai-je.

-Jepensebien,ditMmeRossini,levisageradieux.Bon,monpetitange,voilà,c'estfini.N'oubliepasdetecouchertôtcesoir,unerudejournéet'attenddemain.

Tandisquejeremettaismonjeanetmonpullbleumarinepréféré,MmeRossinidrapalesrobessurlesmannequinssanstête.Puisellejetaunœilàl'horlogeetfronçalessourcils.-Cegarçonn'estvraimentpasfiable!Ildevraitêtreicidepuisunbonquartd'heure.Monpoulsseremitàgrimperenflèche.-Gideon?

MmeRossiniacquiesçad'unsignedetête.-Ilneprendpasdutoutçaausérieux,ilsemoquequ'unpantalontombebienounon.Maisilatort!C'estextrêmementimportant!-Affreux.Horrible.Détestable,m'essayai-jeàmonnouveaumantra.Onfrappaàlaporte.Untoutpetitbruit,maistoutesmesbonnesintentionsfurentbalayéesd'uncoup.Soudain,j'étaisimpatientederevoirGideon,mêmesicetterencontremefaisaitterriblementpeur.Jenesurvivraispasàsonregardnoir.-Ah,ditM"*Rossini.Levoici.Entrez!Toutmoncorpsseraidit,toutefoiscenefutpasGideonquientra,maisMrMarleyavecsescheveuxroux.Nerveuxetmalàl'aisecommetoujours,ilbégaya:-JedoisaccompagnerleRu...euh...lamiss,pourélapser.-D'accord,dis-je.Nousvenonsjustedeterminer.DerrièreMrMarley,Xemeriusmefitunsourirenarquois.Jel'avaisrenvoyéavantl'essayage.-Jeviensdetraverserauvolunministredel'Intérieurpurjus,lança-t-iljoyeusement.C'étaitcool!

-Etoùestcegarçon?s'énervaMmeRossini.Jel'attendspourl'essayage!MrMarleyseraclalagorge.-Jeviens justedevoir leDia...euh...MrdeVilliersparleravec l'autreRu...avecmissCharlotte. Ilétaitencompagniedesonfrère.

-Etalors? Jem'encontrefiche, s'emportaMmeRossini.Pasmoi,pensai-je. Jemevis en penséeécrireunSMSàLeslie.Unseulmot:hara-kiri.-S'iln'arrivepastoutdesuite,jemeplaindraideluiauprèsdugrand-maître,glapitM™Rossini.Oùestpassémontéléphone?-Jesuisdésolé,murmuraMrMarleyquitrituraitd'unairgênéunfoulardnoir.Puis-je...?-Naturellement,soupirai-jeavantdelelaissermebanderlesyeux.-Cebéni-oui-ouiditmalheureusement lavérité,m'informaXemerius.Tapetitepierre scintillanteflirtelà-hautcommeundingueavectacousine.Etsonmignonpetitfrèreaussi.Jemedemandebience que les garçons peuvent trouver aux rousses ? Je crois qu'ils vont aller au ciné ensemblemaintenant.Maisjepréfèrenepasteledire,sinontuvasteremettreàpleurer.Jesecouailatête.

Xemeriuslevalesyeuxauplafond.-Jepourraislesteniràl'œil.Tuveux?Jefisfarouchementsignequeoui.Sur le longchemindescendantvers lacave,MrMarleygardaobstinément le silenceet jedonnailibre cours àmes sombrespensées.Une fois arrivésdans la salleduchronographe, ilm'enleva lebandeauetjeluidemandai:-Etcettefois?Vousm'envoyezoù?- Je... nous attendons Numéro 9, euh... Mr Whitman, répondit-il en évitant mon regard. Je n'aiévidemment pas l'autorisation de faire fonctionner le chronographe. Je vous en prie, asseyez-vousdonc!Maisàpeinem'étais-jelaissétombersurunechaisequelaportes'ouvritsurMrWhitman,suiviparGideon.Moncœurs'arrêtadebattreuneseconde.-Bonjour,Gwendolyn,ditMrWhitmanavecsonsourired'écureuillepluscharmant.Contentdetevoir.Iltiradecôtélatapisseriequicachaitlecoffre.-Nousallonsdonct'envoyerélapser,m'informa-t-ilensuite.J'entendisàpeinecequ'ilmedit.Gideonétaitencoretoutpâle,maisilsemblaitenmeilleureformequelaveilleausoir.Songrospansementblancavaitdisparu,lablessureàlaracinedesescheveuxdevait faire dix bons centimètres et on y avait posé de nombreux strips. J'attendis qu'il prenne laparole,maisilsecontentademeregarder.Xemeriustraversajoyeusementlemur,justeàcôtédeGideonet,d'effroi,j'enoubliaiderespirer.-Oups,maislev'làdéjà,celui-là!dit-il.Jevoulaist'avertir,vraiment,monpetittrésor.Maisjenesavais plus où donner de la tête. Apparemment, Charlotte assure cet après-midi le baby-sitting dumignonfrangindeGideon.Ilssontpartismangeruneglaceensemble.Etaprès,ilsirontvoirunfilm.Pourmoi,lescinéssontlestasdefoindel'époquemoderne,jedirais.- Tout va bien, Gwendolyn ? demanda Gideon en levant un sourcil. Tu m'as l'air nerveuse...Voudrais-tuunecigarettepourtecalmer?Qu'est-cequec'estdéjà,tamarquepréférée?LuckyStrike?Jenepusquelefixersansunmot.-Lâche-luilesbaskets,protestaXemerius.Tunevoispasqu'elleaunchagrind'amour,grandnigaud?Etàcausedetoi!Qu'est-cequetufichesici,d'ailleurs?MrWhitmanavaitsortilechronographeetl'avaitposésurlatable.-Bon,voyonsvoirmaintenantpouroùonvalerégler...

-MmeRossinivousattendpourl'essayage,sir,annonçaMrMarleyàGideon.-Mince!pestaGideon,légèrementdéboussolé.Ilregardasamontre.-Jel'avaiscomplètementoublié.Elleesttrèsencolère?-Ellem'aeul'airplutôtirritée,confirmaMrMarley.À cet instant, la porte se rouvrit etMr George fit son entrée. Il était très essoufflé et son frontdégarnibrillaitdeminusculesperlesdesueur,commeàchaquefoisqu'ilfaisaitdesefforts.

-Quesepasse-t-ilici?demanda-t-il.MrWhitmanfronçalessourcils.-Thomas?Gideonm'aditquetuétaisenentretienavecFalketleministredel'Intérieur.

-C'estexact.Jusqu'àcequejereçoiveunappeldeMmeRossiniquim'ainforméquel'onétaitvenuchercherGwendolynpourlafaireélapser,réponditMrGeorge.Jenel'avaisencorejamaisvuaussifuribard.-MaisGideonaprétenduquetunousavaischargésde...s'écriaMrWhitman,franchementtroublé.-Maisnon!Gideon...qu'est-cequeçaveutdire?Les petits yeux deMrGeorge avaient perdu toute trace de bienveillance.Gideon avait croisé lesbras.-Jepensaisvousfaireplaisirenvousévitantcettetâche,dit-ilsimplement.MrGeorges'épongealefrontavecsonmouchoir.-Mercidetasollicitude,répliqua-t-ild'unevoixteintéedesarcasme.Maiscen'étaitpasnécessaire.Etmaintenant,faisvite,MmeRossinit'attend.-J'aimeraisbienaccompagnerGwendolyn,avançaGideon.Vulesincidentsd'hier, ilvautpeut-êtremieuxnepaslalaisserseule.-Sottises ! rétorquaMrGeorge.Dumomentqu'ellene sautepas trop loindans le temps, il n'y aaucuneraisondepenserqu'ellecourrelemoindredanger.-Exact,approuvaMrWhitman.-Parexempleen1956?insistaGideonenregardantMrGeorgedroitdanslesyeux.J'aifeuilletéunpeulesAnnalescematin,etjedoisdirequel'année1956m'avraimentparuuneannéefranchementtranquille.Laphrasequirevientleplussouventest:Riendeparticulieràsignaler.Cegenredephraseestunvraibaumepournosoreilles,non?Mon cœur se mit à battre la chamade. L'attitude de Gideon ne pouvait s'expliquer que s'il avaitdécouvertcequej'avaisvraimentfaitlaveille.Maiscommentdiablepouvait-illesavoir?Carenfin,j'avais seulement gardé sur moi l'odeur de cigarette, ce qui portait peut-être à soupçon, mais quipouvaitdifficilementluirévélercequis'étaitpassé.MrGeorgeréponditàsonregardsansciller.Entoutcas,avecunairlégèrementintrigué.

-Rienàfaire,Gideon.MmeRossinit'attend.Marley,vouspouvezdisposervousaussi.-Oui,sir,MrGeorge,sir,murmuraMrMarleyenesquissantunsalut.Unefoislaportereferméederrièrelui,MrGeorgedécochaunregardcinglantàGideonquin'avaitpasbougéd'unpouce.MrWhitmanleregardaaussiavecundouxétonnement.-Qu'est-cequetuattends?demandafroidementMrGeorge.- Pourquoi avez-vous fait atterrir Gwendolyn en plein après-midi, n'est-ce pas contraire auxinstructions?demandaGideon.-Oh,oh,s'amusaXemerius.-Gideon,cen'estpasàtoide...protestaMrWhitman.-Peuimportelemomentoùelleestarrivée,l'interrompitMrGeorge.Elleadébarquédansunecave

ferméeàclé.-J'aieupeur,m'empressai-jededire,peut-êtred'unevoixunpeu tropperçante.Jenevoulaispasresterseuledanscettecave,justeàcôtédescatacombes...Gideonmejetaunbrefregardetlevadenouveauunsourcil.-Oh,c'estvraiqu'unrient'effraie,pauvrepetitechose, je l'avaisoublié,dit-ilenriantdoucement.1956,c'étaitl'annéedevotreentréedanslaloge,MrGeorge,n'est-cepas?Queldrôledehasard!MrGeorgeplissalefront.-Jenecomprendspasoùtuveuxenvenir,Gideon,ditMrWhitman.MaisjepensequetudevraisallervoirMmeRossinimaintenant.MrGeorgeetmoinousoccuperonsdeGwendolyn.Gideonmeregardadenouveau.-Voicimaproposition:jevaisréglercettehistoired'essayageetaprèsvousn'aurezqu'àm'envoyerrejoindreGwendolyn,oùqu'ellesoit.Commeça,ellen'aurapluspeurdanslenoir.-Saufdetoi,objectaXemerius.- Tu as largement dépassé ton contingent pour aujourd'hui, remarqua mon professeur d'anglais.MaissiGwendolynapeur...Ilmejetaunregardcompatissant.Jenepusluienvouloir.Jepensaisbienquejedevaisavoirl'airplusoumoinspaniquée.Moncœurbattaittoujoursàtoutrompreetj'étaisincapabledesortirunmot.-Aprèstout,onpeutfairecommeça,conclutMrWhitmanenhaussantlesépaules.Jen'yvoispasd'objection,ettoi,Thomas?MrGeorge secoua lentement la tête tout enme donnant l'impression de ne pas être parfaitementconvaincu.UnsouriredecontentementéclairalevisagedeGideonetilabandonnaenfinsonattitudefigée.-Alors,àplustard,triompha-t-ilavecunesortedemenacedanssavoix.Dèsqu'ilfutparti,MrWhitmansoupira.-Ilestunpeubizarredepuiscecoupqu'ilareçusurlatête,tunetrouvespas,Thomas?-Eneffet,réponditMrGeorge.-Ilfaudraitpeut-êtreluiexpliquercommentons'adresseàdespersonnesplushautplacées,suggéraMrWhitman.Poursonâge,jeletrouvebien...Bon...C'estvraiaussiqu'ilestsouspression,ilfautentenircompte.Ilmelançaunregardencourageant.-Alors,Gwendolyn,tuesprête?Jemelevai.-Oui,mentis-je.

LecorbeausursesailesrougerubisEntendentrelesmondeschanterlesmorts,Àpeineconnaît-illaforce,àpeineconnaît-illeprix,Quelepouvoirs'élèveetleCercleseferme.Lelion...sifiercevisagedediamant,DelalumièretroublelecharmeviolentDanslesoleilmourantilestletournant,Lamortducorbeaurévèlelafin.ExtraitdesÉcritssecretsducomtedeSaint-Germain

Chapitre9

Je n'avais pas demandé en quelle année ilsm'avaient envoyée, cela n'avait de toute façon aucuneimportance.Enfait,rienn'avaitchangédepuismadernièrevisite.Lecanapéverttrônaitaucentredelapièceetjeluidécochaiunregardfurieux,commes'ilétaitresponsabledetout.Commeladernièrefois,deschaisesétaientempiléesdevantlemuroùsetrouvaitlacachettedeLucasetjefusenproieàun grand dilemme.Devais-je la vider? Si jamaisGideon soupçonnait quelque chose - ce qui étaitcertainementlecas-,lapremièreidéequiluiviendraitàl'espritseraitd'inspecterlapièce,non?Jepouvaisencorevitecacherlecontenuquelquepartdehors,danslescouloirs,etreveniravantl'arrivéedeGideon...Jememis fébrilement à pousser les chaises sur le côté, puis jeme ravisai. Premièrement, je nepouvaispascacher lacléavec lereste,car il fallaitbienque jerefermelaporte,etdeuxièmement:mêmesiGideondécouvrait lacachette,commentprouverait-ilqu'ellem'étaitdestinée?Je joueraislesidiotes,voilàtout.Jereplaçaidoncsoigneusementleschaises,enveillantàeffacerlestracescompromettantesdanslapoussière.Puisjevérifiaisilaporteétaitvraimentferméeàcléetjem'assissurlecanapévert.Jemesentaisunpeucommequatreansauparavant,quandLeslieetmoiattendionsdanslebureaududirecteur,MrGilles,qui allaitnous sermonneràcausedecettehistoiredegrenouille.Àvraidire,nousn'avionsrienfaitdemal.Cynthiaavaitécraséonnepeutpluspersonnellementunegrenouillesous les roues de son vélo et, comme elle n'avait pas montré ensuite de sentiment de culpabilitéconvenable(«Onnevapass'enfairepourcettegrenouilleidiote!»),Leslieetmoiavionsdécidédevengerlebatracien.Nousvoulionsl'enterrerdansleparc,maisavantnousavonspenséqueCynthiaserait peut-être secouée et désormais quelque peu sensibilisée au sort des grenouilles si elle larevoyaitencoreunefois...danssasoupe.Quiseseraitdoutéqu'elleallaitpousserdescrishystériquesen la voyant ?... Toujours est-il que le directeur nous avait traitées comme deux criminelles et iln'avaitmalheureusementjamaisoublié.Depuis,chaquefoisqu'ilnousrencontraitdanslescouloirs,ilnousrépétaittoujours:«Ah,voilàcesméchantesgrenouillettes!»etnousnoussentionsalorstrèsmalàl'aise.Jefermailesyeuxunmoment.Gideonn'avaitaucuneraisondemetraiteraussimal.Jen'avaisrienfaitdegrave.Onn'arrêtaitpasdemedirequ'onnepouvaitpasmefaireconfiance,onmebandaitlesyeux,onnerépondaitpasàmesquestions,alorsc'étaitbiennaturelquej'essaiededécouvrirparmoi-mêmelesecretcachéderrièretoutça,non?Maisoùétait-ilpassé?La lampeauplafondgrésilla, la lumièrevacillaun instant. Il faisaitplutôtfroid. Peut-être m'avaient-ils envoyée dans l'un de ces hivers glacés de l'après-guerre dont tanteMaddynousrebattaitlesoreilles.Vraimentsuper!Lesconduitesd'eauétaient,paraît-il,gelées,etlesrues pleines d'animaux morts, raidis par le froid. Histoire de tester, je vérifiai si ma respirationenvoyaitdepetitesvolutesblanchesdansl'air.Cequin'étaitpaslecas.Lalumièrerecommençaàvacilleret,là,jeprispeur.Etsij'allaissoudainmeretrouverdanslenoir?Cettefois,personnen'avaitpenséàmedonnerunelampedepoche.Non,franchement,onnem'avaitpas traitée avec sollicitude. Dans l'obscurité, les rats se risqueraient peut-être à sortir de leurscachettes.Ilsavaientpeut-êtrefaim...Etlàoùilyavaitdesrats,lescloportesn'étaientpasloin.L'esprit

dutempliermanchotdontavaitparléXemeriusviendraitpeut-êtreaussifaireunpetitcrochetparici.Grrrrk.C'étaitlalampe.Jecommençaiàmepersuader lentementquelaprésencedeGideonseraitentoutcaspréférableàcelledesratsetdesesprits.Maisiln'arrivaitpas.Enrevanche,lalumièrevacillaitcommesielleallaitbientôtrendrel'âme.Quand j'étais petite et que j'avais peur, j'avais toujours chanté et c'est aussi ce que je fismachinalement.D'abord toutdoucement,puisdeplusenplus fort.Finalement,personnenepouvaitm'entendreici.Chanterm'aidaàdominerlapeur.Etàluttercontrelefroid.Auboutdequelquesminutes,lalumièredelalampeoubliamêmedevaciller.Toutefois,elleremitçachaquefoisquej'entonnaileschansonsdeMaria Mena et elle ne semblait guère apprécier non plus Emiliana Torrini. En revanche, ellegratifia les airs dugroupeAbbad'un rayonnement tranquille et régulier.Malheureusement, je n'enconnaissaispasbeaucoup,et.surtoutpaslestextes.Maislalampeacceptaaussi«lalala,onechanceinalifetime,lalala».Jechantaidesheuresdurant.Entoutcas,j'eneusl'impression.JereprisThewinnertakesitall(pourLeslie,lemustdéfinitifdelachansondechagrind'amour)àpartirdeIwonder.Toutendansantdanslapiècepourluttercontrelefroid.MaisaprèsletroisièmeMammamia,jefuspersuadéequeGideonneviendraitplus.Mince!J'auraisdoncpumeglisserenhautsansdanger.J'essayaiavecHeadoverheelset,àYou'rewastingmytinte,jelevistoutàcoupàcôtéducanapé.Jerefermailaboucheetluidécochaiunregardréprobateur.-Pourquoiarrives-tusitard?-Jem'imaginebienqueletempst'aparulong.Sonregardétaittoujoursaussifroidetétrange.Ilallaverslaporteetfitjouerlaclenche.-Entoutcas,tuastoutdemêmeétéassezintelligentepournepasquitterlapièce.Tunepouvaispasnonplussavoirquandjeterejoindrais.-Ha,ha,m'exclamai-je.C'estuneblague?Gideons'adossacontrelaporte.-Gwendolyn,fais-moigrâcedetesairsinnocents!Jepusàpeinesupporterlafroideurdesonregard.Levertdesesyeux,quej'aimaistant,avaitprislateintedecesdessertsengeléeécœurantsqu'onnousservaitàlacantine.-Pourquoies-tusi...odieuxavecmoi?Lalampedonnadenouveauxsignesd'inquiétude.Elleregrettaitsansdoutemeschansonsd'Abba.-Tun'auraispasunelampesurtoi,parhasard?demandai-je.-L'odeurdecigarettet'atrahie,melançaGideonenjouantaveclalampedepochedanssamain.J'aifaitquelquesrecherchesetj'aitoutreconstituépetitàpetit.Jeravalaimasalive.—Jenevoispasenquoic'estgraved'avoirfumé.-Tun'aspasfumé.Ettunesaispasmentiraussibienquetulepenses.Oùestlaclé?

-Quelleclé?-CellequeMrGeorget'adonnéepourquetupuissesvenirlesvoiren1956,luiettongrand-père,dit-ilenfaisantunpasversmoi.Situesintelligente,tul'ascachéeiciquelquepart.Sinon,tulaportesencoresurtoi.Ils'avançaprèsducanapé,enlevalescoussinsetlesjetal'unaprèsl'autreparterre.-Entoutcas,ellen'estpasici,constata-t-il.Jelefixaid'unregardhorrifié.- Mr George ne m'a donné aucune clé. Vraiment ! Et cette histoire d'odeur de cigarette, c'esttotalement...-Ilnes'agissaitpasquedecigarettes.Tusentaisaussilecigare,dit-ilcalmement.Sonregardbalayalapièceets'arrêtasurleschaisesempiléesdevantlemur.Du coup, jeme sentis de nouveau frissonner et, en accord avecmoi, la lampe semit à tremblerencoreplus.-Je...commençai-jeenhésitant.-Oui, fitGideon d'une voix résolument amicale. Tu as fumé un cigare aussi ? En plus des troisLuckyStrike?C'estçaquetuvoulaisdire?Jemetus.Gideonsepenchaetéclairaledessousducanapéavecsalampedepoche.—MrGeorge t'a-t-il écrit lemot de passe sur un bout de papier ou l'as-tu appris par cœur ? Etcommentas-tupupasserdevantlecerbèreàtonretoursansqu’ilensoitfaitmentiondansleprocès-verbal?-Jenecomprendsrienàcequeturacontes!dis-je,d'unevoixtropfluettepourmontrermacolère.-VioletPurpleplum...queldrôledenom,tunetrouvespas?Tul'asdéjàentendu?Gideons'était redresséetme regardait.Non,cedessertengeléen'étaitpas labonnecomparaisonpoursesyeux.Ilsluisaientplutôtd'unverttoxique.Jesecouailentementlatête.-C'estdrôle,dit-il.Pourtant,c'estuneamiedevotrefamille.Quandj'aiparhasardévoquécenomdevantCharlotte,ellem'aditquecettebonneMrsPurpleplumvous tricotait toujoursdescache-nezquigrattent.Oh!CettemauditeCharlotte!Ellenepouvaitpaslafermer?-Cen'estpasvrai,protestai-je.CeuxquigrattentsontpourCharlotte.Lesnôtressonttoujourssuperdoux.Gideons'appuyacontrelecanapéetsecroisalesbras.Lalampedepocheéclairaleplafond,oùlalumièrevacillaittoujoursaussifébrilement.-Pourladernièrefois,oùestlaclé,Gwendolyn?-Je te jurequeMrGeorgenem'apasdonnédeclé,dis-je,désespérémentsoucieusede limiter lacatastrophe.Iln'arienàvoiravecça.-Ahnon?Jet'aidéjàditquetunesaispasmentir,dit-ilenéclairantleschaisesavecsalampedepoche.Àtaplace,j'auraisglissécettecléquelquepartsousuncoussin.

D'accord.Iln'avaitqu'àinspecterlescoussins.Commeçaaumoins,ilauraitquelquechoseàfairejusqu'ànotreretourdansleprésent.Quin'allaitplustardermaintenant.-Celadit...repritGideonenagitantsalampedetellemanièrequ'elleéclairemonvisage.Celadit,ceseraitunvraitravaildeSisyphe.Jefisunpasdecôtéetm'écriai,fâchée:-Arrêteça!-Etpuisonnedevraitpastoujoursraisonnerenfonctiondesoi,poursuivitGideon.Danslalumièretremblotantedel'ampouleauplafond,sesyeuxs'assombrirentetilmefitsoudainpeur.-Peut-êtreas-tusimplementcachélaclédanstapoche.Donne-la-moi!reprit-ilentendantlamain.-Mais,bonsangdebonsang,puisquejetedisquejen'aipasdeclé!Gideons'approchalentementversmoi.-Sij'étaistoi,jeladonneraisspontanément.Maiscommejel'aidéjàdit,onnedevraitpastoujoursconclureàpartirdesoi.Àcetinstant,l'ampoulerenditdéfinitivementl'âme.Gideon se trouvait justedevantmoi, sa lampedepocheéclairait uncoindumur.Hormis ce spotlumineux,ilfaisaitnuitnoire.-Alors?s'impatientaGideon.-Resteoùtues!dis-je.Jereculaidequelquespasjusqu'aumur.L'avant-veilleencore,j'avaisdésirél'avoirtoutprèsdemoi.Mais maintenant, j'avais l'impression de me trouver face à un étranger. D'un coup, je me misfurieusementencolère.-Maisenfin,criai-je,qu'est-cequiteprend?Jenet'airienfait!Jenecomprendspasquetupuissesm'embrasserpuismehaïrdujouraulendemain.Pourquoi?Jenepusretenirmeslarmes.Heureusementqu'onnelesvoyaitpasdanslanuit.-C'est peut-être que je n'aimepasqu'onmemente, réponditGideon en continuant d'avancer versmoimalgrémamiseengarde,alorsquej'avaisdéjàledosaumur...Surtoutdelapartdefillesqui,d'unjouràl'autre,sejettentàmoncoupourmelaisserbattrecommeplâtreensuite,ajouta-t-il.-Qu'est-cequetumechanteslà?-Jet'aivue,Gwendolyn.-Hein?Oùça?-Lorsdemonsautdansletempsd'hiermatin.J'avaisunepetitemissionàaccomplir,maisj'avaisàpeinefaitquelquespasquetuassoudainsurgidevantmoi...telunmirage.Tum'asregardéetsouricommesituétaisheureusedemevoir.Puistuastournélestalonsettuasdisparuaucoindelarue.-Etçaseseraitpasséquand?J'étais siperturbéequeçamecoupa l'enviedepleurerpendantquelques secondes.Gideon ignoramonintervention.-Quelquessecondesaprès,alorsque j'allaismoiaussi tourneraumêmecoinde rue, j'ai reçuun

coupsurlatêtequim'amalheureusementempêchédem'expliqueravectoi.-C'estmoiqui…Cetteblessure,c'estmoi?Meslarmesrecoulèrentdeplusbelle.-Non,concédaGideon.Jenecroispas.Tun'avaisriendanslamainquandje t'aivue.Deplus, jedoutequetuaiespufrapperaussifort.Non...tum'assimplementattiréverscecoinderue,parcequequelqu'unm'yattendait.Exclu.Totalementexclu.-Jeneferaisjamaiscegenredechose,réussis-jeàsortiràpeuprèsclairement.Jamaisdelavie!- Çam'a choqué aussi quelque peu, ditGideon. Etmoi qui croyais que nous étions... amis.Maisquandtuesrentréehiersoiraveccetteodeurdecigarettesurtoi,aprèsavoirélapsé,j'aipenséqu'ilétaitbienpossiblequetum'aiesmentidepuisledébut.Etmaintenant,donne-moicetteclé!Jem'essuyaileslarmesduvisage.Manquedechance,sanspouvoirencoretarircellesquiarrivaient.Jeréprimaidifficilementunsanglotetm'envoulusencoreplus.-Sic'estvraimentlecas,pourquoias-tuditàtoutlemondequetun'avaispasvutonagresseur?-Parcequec'estlavérité.Jen'aipasvuquic'était.-Maistun'aspasparlédemoinonplus.Pourquoi?-ParcequeMrGeorge...Maistupleures?La lampe de poche éclaira mon visage et m'aveugla, de sorte que je dus fermer les yeux. Zut,pourquoim'étais-jejustementmisdumascaraaujourd'hui?-Gwendolyn...Gideonéteignitlalampe.Qu'est-cequim'attendaitmaintenant?Unefouillecorporelledanslenoir?-Vast’en,sanglotai-je.Jen'aipasdeclésurmoi,jelejure.Etjenesaispasquituasvu,maisçanepeutpasêtremoi.Jamais,tum'entends,jamaisjenepermettraisquequelqu'unteblesse!Jen'yvoyaisrien,maisjesentaistoujoursGideon,justedevantmoi.Dansl'obscurité,lachaleurdeson corps irradiait comme un radiateur à infrarouge. Je sursautai en sentant samain effleurermajoue.Ils'empressadelaretirer.-Jesuisdésolé,chuchota-t-il.Gwen,je...Ilme parut tout à coup désemparé,mais j'étais bien trop perturbée pour en éprouver lamoindresatisfaction.Jenesaispascombiendetempsnousrestâmesplantéslà.Meslarmesm'empêchaientdevoircequ'ilfaisait.Ilfinitparrallumerlalampe,s'éclaircitlavoixetéclairaensuitesamontre.-Encoretroisminutesavantnotresaut,dit-ild'untonneutre.Tudevraissortirdececoin,sinontuvasatterrirsurlecoffre.Ilrepartitverslecanapéetramassalescoussinsqu'ilavaitjetésparterre.-Tu sais,parmi tous lesVeilleurs,MrGeorgeest celuidont j'ai toujourspenséqu'il était leplusloyal.Entoutcas,quelqu'unenquionpeutavoirconfiance.-MrGeorgen'avraimentrienàvoiravecça,dis-je,ensortanttimidementdemoncoin.Leschosessesontpasséesd'unetoutautremanière.

Jem'essuyaileslarmesdureversdelamain.Ilvalaitmieuxluiraconterlavéritésijenevoulaispasqu'ilsoupçonnecepauvreMrGeorgededéloyauté.-Lapremièrefoisqu'onm’aenvoyéeélapserseule,j'airencontrémongrand-pèreparhasardici.OK,cen'étaitpeut-êtrepastoutelavérité.-Ilvenaitchercherduvin...Bon,peuimporte.Cefutunerencontresingulière,surtoutquandnousavonscomprisquinousétions.Ilacachélacléetlemotdepassepourmaprochainevisiteafinquenouspuissionsdenouveaunousparler.Voilàpourquoijesuisvenuehier,en1956,entantqueVioletPurpleplum.Pour rencontrermongrand-père ! Il estmort il y a quelques années et ilmemanquebeaucoup.Tun'auraispasfaitpareilàmaplace?Luiparlerencoreunefois,c'étaitsi...Jemetusdenouveau.Gideonneréponditpas.Jegardailesyeuxfixéssurluienattendant.-EtMrGeorge?Ilétaitdéjàl'assistantdetongrand-père,finit-ilparremarquer.-Enfait, je l'aibienvu,mais trèsrapidement.Mongrand-père luiaracontéquej'étaissacousineHazel.Ilacertainementoubliéçadepuislongtemps...Pourlui,c'étaitunerencontresansimportance,quiaeulieuvoilàcinquante-cinqbonnesannées.Jeposaimamainsurmonventre.-Jecroisque...dis-je.-Oui,confirmaGideon.Iltenditd'abordlamain,maisseravisaensuite.-C'estpourtrèsbientôt,dit-ilmollement.Rapproche-toidemoi.Lapiècesemitàtourner,puis,légèrementchancelante,jeclignaidesyeuxenpleinelumièreetMrWhitmans'écria:—Ah,vousvoilà!Gideonposalalampedepochesurlatableetmejetaunrapidecoupd'œil.Jecrus,peut-êtreàtort,ydiscerner comme de la compassion. Je m'essuyai encore une fois le visage en douce, mais MrWhitmanvittoutdemêmequej'avaispleuré.Àpartlui,iln'yavaitpersonned'autre.Xemeriusavaitcertainementfinipars'ennuyer.— Que se passe-t-il, Gwendolyn ? demanda Mr Whitman de son ton le plus empathique deprofesseurprincipalmédiateur.Ilt'estarrivéquelquechose?Sijenel'avaispasmieuxconnu,j'auraissansdouteététentéedefondredenouveauenlarmespourm'épancherauprèsdelui.(Cemé-é-é-échantGideonm'aem-bê-ê-ê-tée!)Maisjeleconnaissaistropbienpourça.Ilavaitprisexactementlemêmeton,lasemainedernière,pournousdemanderquiavaitcaricaturéMrsCounterau tableau.«Je trouvevraimentcetartiste talentueux»,avait-ilditavecunsourire amusé.Cynthia (évidemment !) s'était empressée de dénoncer Peggy, etMrWhitman avaitcessédesourireetportéuneremarquedanslecahierdeclasseàcôtédunomdePeggy.Pourletalent,c'étaitlavérité.Tupossèdescelui,remarquable,detemettreendifficulté,avait-ilajouté.-Humm?faisait-ilmaintenantavecunsourireengageantetcompatissant.Maisjen'allaispastomberdanslepanneau.-Unrat,murmurai-je.Vousaviezditqu'iln'yenavaitpasetvousnem'aviezpasdonnédelampede

poche.J'étaistouteseuledanslenoiraveccettesaletéderat.Je faillisajouter aussi« Je ledirai àMum»,mais jememordis la langueà temps.MrWhitmanparutunpeutouché.-Jesuisdésolé,dit-il.Nousypenseronslaprochainefois.Puisilrepritsontonprofessoral.-Onva te ramenerchez toi. Je te recommandede tecoucher tôt, la journéededemains'annoncedifficilepourtoi.-Jevaislaraccompagneràsavoiture,proposaGideonenprenantsurlatablelefoulardnoirquiservaitàmebanderlesyeux.OùestMrGeorge?demanda-t-ilencore.-Enentretien,réponditMrWhitmanenplissantlefront.Gideon,jetrouvequetudevraisrevoir tafaçondeparler.Nouslaissonspasserbeaucoupdechosesdetapart,parcequenoussavonsquetun'aspas lavie facile encemoment,mais tudevrais témoignerplusde respect auxmembresduCercleintérieur.LevisagedeGideondemeuraimpassible.Maisilditpoliment:-Vousavezraison,MrWhitman.Jesuisdésolé.Puisenmetendantlamain:-Tuviens,Gwendolyn?Jefaillissaisirsamain,parpurréflexe.Etlefaitdenepaspouvoirlefairesansperdrelafacemedonnaunpointaucœur.J'étaisdenouveauprèsdeslarmes.-Euh...aurevoir,dis-jeàMrWhitmanenregardantobstinémentlesol.Gideonouvritlaporte.- À demain, réponditMrWhitman. Et pensez-y tous les deux : un bon sommeil est lameilleurepréparation.Laporteserefermaderrièrenous.-Alorscommeça, tuétais touteseuledans lenoiravecunesaletéderatdans lacave,ditGideonavecunsourireamusé.C'étaitàpeinecroyable.Pendantdeuxjours,ilnem'avaitdécochéquedesregardsfroids,etmêmequelquesautres,aucoursdesdernièresheures,quim'auraientpresquerigidifiéecommecespauvresbêtespendant leshiversde laguerre.Etvoilàquemaintenant...C'était peut-êtreun sadique et il neparvenaitàsourirequ'aprèsm'avoircomplètementachevée?-Tunemebandespaslesyeux,là?Jen'étaispasd'humeuràécoutersesplaisanteriesstupidesetjevoulaisqu'illecomprenne.Gideonhaussalesépaules.-Jesupposequetuconnaislechemin.Onpeutdoncs'endispenser.Viens!Denouveauunsourireamical.Pourlapremièrefois,jevislescouloirsdelacavedenotreépoque.Ilsétaientfraîchementcrépisdeblanc, et des lumières insérées dans les murs, certaines équipées de détecteurs de mouvements,éclairaientparfaitementlechemin.- Pas particulièrement impressionnant, n'est-ce pas ? dit Gideon. Tous les couloirs quimènent àl'extérieur sont sécurisés par des portes spéciales et des systèmes d'alarme. Car aujourd'hui, noussommes autant en sécurité ici qu'un coffre à la banque.Mais tout cela date seulement des années

soixante-dix,auparavantonpouvaitparcourirlamoitiédeLondressousterreàpartird'ici.-Çanem'intéressepas,grognai-je.-Dequoiaimerais-tuparler?-Derien.Commentpouvait-ilfairecommesiderienn'était?Sonsourireidiotetcettefaçondevouloirfairelacausettem'énervaientauplushautpoint.J'allongeailepaset,toutenpressantfortleslèvres,jenepusempêcherlesmotsdesortir.—Cen'estpaspossible,Gideon!Jen'arrivepasàcomprendrequetum'embrassespourmetraiteraussitôtaprèscommesitumedétestaisprofondément.Gideonsetutunlongmoment.-Jepréféreraispassermontempsàt'embrasser,déclara-t-ilenfin.Maisonnepeutpasdirequetumerendesleschosesfaciles.-Jenet'airienfait,protestai-je.Ilrestasurplace.- Ah, arrête, Gwendolyn ! Tu ne penses tout de même pas sérieusement que je vais gober cettehistoireavectongrand-père?Commes'ilpouvaitsurgirparleplusgranddeshasardsdanslapièceoùtuviensélapser.CommesiLucyetPaulpouvaienteuxaussidébarquerchezladyTilney!OucestypesàHydePark.-Oui,c'estsûr,jelesaicommandéspersonnellement,parcequej'avaistoujoursrêvéd'embrocherquelqu'un avec une épée. Sans oublier que j'avais aussi grande envie de voir un homme avec unemoitiédevisagearrachée!m'emportai-je.-Danslefutur,cequeetpourquoitufe...-Ah,ferme-la!m'énervai-je.J'enaimarredetoutça!Depuislundidernier,jeviscommedansuncauchemarsansfin.Quandjepenseêtreréveillée,jem'aperçoisquejerêveencore.J'aidanslatêtedesmillionsdequestions,auxquellespersonnenemedonnéderéponseettoutlemondes'attendàcequejefassedemonmieuxpourquelquechoseàquoijenecomprendsriendutout!Jem'étaisdenouveauremiseenmouvement,jecouraispresque,maisGideonrestaitsanspeineàmahauteur.Personnenenousattendaitenbasdel'escalierpournousdemanderlemotdepasse.Pourquoid'ailleurs, alors que toutes les entrées étaient autant sécurisées qu'à Fort Knox ? Je grimpai lesmarchesquatreàquatre.- Personne nem'a demandé si tout çame plaisait. Je doisme farcir les cours de danse d'un typecomplètement cinglé qui n'arrête pas de me crier dessus ; ma chère cousine est chargée de memontrertoutcequ'ellesaitetquejen'arriveraijamaisàapprendre,ettoi...toi...Gideonsecoualatête.-Eh, tunepourraispastemettreàmaplacepourunefois?s'énerva-t-ilàsontour.J'enaiautantcontretoi!Commenttecomporterais-tu,toi,situsavaispertinemmentquejevaisveillertôtoutardàtefairecolleruncoupdemassuesurlecrâne?J'aipeineàcroirequetumepenseraisencoreaimableetinnocent,non?-Cequidetoutefaçonn'estpaslecas!m'écriai-je.Tusaisquoi?Maintenant,jemeverraisbienteflanquermoi-mêmececoupsurlatête.- Tu vois ! constata Gideon avec un nouveau sourire. Nous arrivions devant l'atelier de

Mme Rossini. La lumière passait sous la porte. Elle mettait sans doute la dernière main à noscostumes.Gideons'éclaircitlavoix.-Commejetel'aidéjàdit,jesuisdésolé.Est-cequ'onnepourraitpasreprendreuneconversationnormale?Normale!laisse-moirire!-Et...cesoir?qu'est-cequetufais?demanda-t-ilensuitedesontonleplusamicalementanodin.- Je vais m'exercer consciencieusement au menuet et former encore, avant de m'endormir, desphrases sans les mots « aspirateur », « cardiofréquencemètre », « jogging » et « transplantationcardiaque»,répondis-jed'untoncaustique.Ettoi?Gideonregardasamontre.-JevaisretrouverCharlotteetmonfrèreet...bon,après,onverra.C'estsamediaujourd'hui.Oui,biensûr.Ilspouvaientbienfairetoutcequ'ilsvoulaient,moij'enavaisassez.-Merci de m'avoir raccompagnée, dis-je de ma voix la plus glaciale possible. À partir d'ici, jesauraitrouverlavoituretouteseule.-C'estsurmonchemindetoutefaçon,déclaraGideon.Etnecourspascommeça!Jedoiséviterlesefforts.SurprescriptiondudocteurWhite.Ducoup,j'avaisbeauêtrefurieuseaprèslui,jemesentisunpeumauvaiseconscience.Jeluijetaiunregardenbiais.-Maissijamaistureçoisquelquechosesurlatêteaupremiercoinderue,nevapasdirequec'estmoiquit'auraisattiréparlà.Gideonsourit.-Tuneferaispasencoreça.Jamaisjeneferaisça,pensai-jeaussitôt.Quoiqu'ilfasse!Jamaisjenelaisseraisquelqu'unluifairedumal.Mêmesijenesavaispasquiilavaitbienpuvoir...cenepouvaitpasêtremoi,jamaisdelavie.L'archeduportaildevantnous futéclairéepar le flashd'unappareilphoto. Il faisaitpourtantdéjàsombre,mais il y avait encore beaucoup de touristes dans le quartier du Temple. Sur le parking,derrière,setrouvaitlalimousinenoirequejeconnaissaisdéjà.Lechauffeurdescenditetm'ouvritlaportière.Gideonattenditquejesoisinstallée,puisilsepenchaversmoi.-Gwendolyn?-Oui?Dansl'obscurité,jedistinguaismalsonvisage.-J'aimeraisquetumefassesunpeuplusconfiance.Illeditd'unefaçonsigraveetsifranchequelesmotsmemanquèrent.Mais quand il eut refermé ma porte et que la voiture démarra, je regrettai de ne pas lui avoirrépondu:«Moiaussi.»

LesyeuxdeMmeRossinibrillaientd'enthousiasme.Ellemepritparlamainetmeconduisitverslegrandmiroirmural pourme faire admirer le résultat de ses efforts.Aupremier regard, je neme

reconnuspas.C'étaitsurtoutdûàmescheveuxhabituellementlisses,qu'elleavaitfrisésenunefouledeboucles et relevés enuneénormecoiffure, semblable à cellequemacousine Janet avait portéepoursonmariage.Desmèchesisoléesenformedetire-bouchontombaientsurmesépaulesnues.Lateinterougefoncédelarobemefaisaitparaîtreencorepluspâlequejenel'étais,maisloind'avoirl'airmalade, j'étaisplutôt rayonnante.De fait,MmeRossinim'avait décemmentpoudré lenez et lefront,etpasséunpeuderougesurlesjoues.Mêmesij'avaisfinalementveilléunpeutardhiersoir,sestalentsdemaquilleuseavaientréussiàcachermescernes.

-CommeBlanche-Neige, ditMmeRossini tout émue, en s'épongeant les yeux avec une chute detissu.Rougecommesang,blanchecommeneige,noirecommeébène.Ilsvontm'envouloirparcequetuvas te faire remarquer comme le loupblancavecça.Montre-moi tesongles !Oui, parfait, bienpropres et courts. Et maintenant secoue voir la tête ! Oh, tu peux secouer un peu plus fort, cettecoiffuredoittenirtoutelasoirée.-J'ail'impressiondeporterunchapeau,remarquai-je.

-Tuvast'yhabituer,réponditMmeRossini,toutenfixantmacoiffureavecencoreunpeuplusdespray.Enplusdecinqbonskilosd'épinglesquitenaienttoutl'échafaudagebouclésurmatête,ilyenavaitencored'autrespourladécoration,sertiesdesmêmesrosesquecellesdudécolleté.Charmant!-Bon,voilà,c'estfini,monpetitcoudecygne.Tuveuxquejeprenneencoredesphotos?-Ohoui,s'ilvousplaîtIm'exclamai-jeencherchantmonportabledansmonsac.Lesliemetueraitsijenefixaispascetinstant.

-J'aimeraisbienenfairedevousdeux,ditMmeRossiniaprèsm'avoirmitrailléeàpeuprèsdixfoisdetouslescôtés.Detoietdecegarçonmalélevé.Afinquel'onpuissevoirlaperfectionetladécenceabsolueaveclesquellesvosvêtementss'accordent.MaisGiordanos'occupedeGideonetjemesuisrefuséeàmequerellerencoreunefoissurlanécessitédebasàmotifs.Trop,c'esttrop.-Cesbaspourmoinesontpassimal,avançai-je.-C'estparcequ'ilsressemblentàceuxdel'époque,maisqu'ilssontbienplusconfortablesgrâceàl'élasthanne, réponditMmeRossini. Autrefois, ce genre de jarretelle vous serrait probablement lamoitiédelacuisse,maiscelle-cinesertquededécoration.Ilvasansdirequej'espèrequ'onn'irapasregardersoustajupe...maissic'estlecas,personnen'iraseplaindreaprès,n'est-cepas?Ellefrappadanssesmains.- Bien, je vais appeler pour leur dire que nous en avons fini. Je profitai du moment où elletéléphonaitpourmeplacerdenouveaudevantlemiroir.J'étaisénervée.Depuiscematin,j'avaisbannirésolumentGideondematête,etj'yétaisàpeuprèsparvenue,àconditiondepenserconstammentaucomte de Saint-Germain. Chez moi, la peur de le rencontrer une nouvelle fois se mêlait à uneinexplicablejoieàl'idéedecettesoirée.MumavaitpermisàLesliededormircheznousetnousavionspasséunbonmomentavecXemeriusàanalyserendétaillesévénements.Toutcelam'avaitfaitdubien.Peut-êtrenem'avaient-ilsditcelaquepourm'encourager,maisLeslie toutcommeXemeriusm'avaientaffirméque jen'avaisaucuneraison de me jeter du pont pour cause d'amour trahi. Ils prétendaient tous les deux que - vu lescirconstances - le comportementdeGideon s'expliquait parfaitement, etLesliepensaitmêmeque -

dans lecadrede l'égalitédesdroitsentre leshommeset lesfemmes-ondevaitaussiaccorderauxgarçonsquelquesphasesdemauvaisehumeuretqu'ellesentaittrèsbienque,danssonforintérieur,ilétaitvraimentuntypeadorable.-Tuneleconnaismêmepasavais-jeprotestéensecouantviolemmentla tête.Tudisseulementçaparcequetusaisquejeveuxl'entendre.-Ouietparcequejeveuxaussiqu'ilensoitainsi,avaitrépliquéLeslie.Sijamaisildevaitserévélerunparfaitsalaud,j'irailevoirpersonnellementpourluiencollerune!Promis!Xemeriusétaitrentrétrèstard,car-surmademande-ilavaitprisenfilatureCharlotte,RaphaëletGideon.Contrairementaugargouillot,Leslieetmoinenouslassionspasd'entendreparlerdeRaphaël.-Sivousvoulezlesavoir,cepetitestunpeutropmignon,avaitgrognéXemerius.Etillesaitfortbien.-Alors, il est super bien tombé avecCharlotte, se réjouit Leslie.Notre «Reine des glaces » estexpertedansl'artdevousretirertoutejoiedevivre.Nousnousétionsassisessurmalargebanquettedefenêtre,tandisqueXemeriusavaitprisplaceàlatable,puisconvenablementarrangésaqueueautourdeluietcommencésonrapport.Charlotte et Raphaël avaient d'abord mangé une glace, puis ils étaient allés au cinéma avant deretrouverGideondans,unepizzeria.Leslieetmoiavionsvoulutoutsavoirendétail,depuisletitredufilm jusqu'au toutderniermotprononcé, enpassantpar lagarnituredespizzas.D'aprèsXemerius,CharlotteetRaphaëlavaientobstinémentmenéundialoguedesourds.TandisqueRaphaëlauraitaimés'entretenirsurlesdifférencesentrelesAnglaisesetlesFrançaisesetsurleurcomportementsexuel,CharlotteavaitsansarrêtremissurletapislesprixNobeldelittératuredecesdixdernièresannées.ToutcelaavaitvisiblementbarbédeplusenplusRaphaëlet l'avaitsurtoutmanifestementconduitàlorgner de nouveau vers les autres filles. Et puis, au cinéma (au grand étonnement deXemerius),Raphaëln'avaitmêmepasessayédepeloterCharlotte.Auboutd'unedizainedeminutes, ilavaitaucontrairesombrédansunsommeilprofond.Leslieaffirmaqueçafaisaitunbailqu'ellen'avaitpasentenduquelquechosed'aussisympathiqueetj'étaistoutàfaitdesonavis.Ensuite,nousavonstenuàsavoirsiGideon,CharlotteetRaphaëlavaientaussiparlédemoi,etXemeriusnousavaitredonné(unpeuàcontrecœur)ledialoguerévoltantsuivant(dontjefispourainsidireunetraductionsimultanéeàLeslie):Charlotte:GiordanosefaitunsoucimonstrepourdemainàproposdeGwendolyn.Ilcraintqu'ellenefassedetraverstoutcequ'ellepeutfairedetravers.Gideon:Tupeuxmepasserl'huiled'olive,s'ilteplaît?Charlotte : PourGwendolyn, la politique et l'histoire, c'est mystère et boule de gomme, et elle n'arrivepasnonplusàretenirlesnoms.Çarentreparuneoreilleetçaressortparl'autre.Ellen'ypeutrien : soncerveaun'apas la capacitéd'accueil suffisante. Il est encombrédenomsdemembresdeboysbandsetdegénériquesabominablementlongsdefilmsd'amourkitsch.Raphaël:Gwendolynesttacousinevoyageusedansletemps,non?Jel'aivuehieràl'école.C'estbiencelleauxlongscheveuxnoirsetauxyeuxbleus,n'est-cepas?Charlotte:Oui,aveccettetachedenaissanceàlatempe,quiressembleaunebanane.Gideon:Aunpetitcroissantdelune...

Raphaël:Etsonamie?Comments'appelle-t-elledéjà?Lablondeauxtachesderousseur?Lilly?Charlotte:LeslieHay.UnpeuplusdecapacitécérébralequeGwendolyn.Enrevanche,elleillustreparfaitement le fait que les maîtres ressemblent à leurs chiens. Le sien est un bâtard de goldenretriever.Ils'appelleBertie.Raphaël:Ah,commec'estmignon!Charlotte:Tuaimesleschiens!Raphaël:Surtoutlesbâtardsdegoldenretrieversavecdestachesderousseur.Charlotte:Jecomprends!Ehbien,tupeuxtoujourstentertachance.Çanedevraitpasêtredifficile.LeslieauséencoreplusdegarçonsqueGwendolyn.Gideon:Vraiment?Combien...euh...d'amisadoncdéjàeusGwendolyn?Charlotte : Ah, mon Dieu. Pouh !!Je me sens gênée, là. Je ne veux pas dire du mal d'elle, c'estseulementqu'elleprendtoutcequivient,surtoutquandelleabu.Dansnotreclasse,ellelesapresquetouseusetdanslesclassesau-dessusdelanôtre...Bon,j'aifiniparnepluscompter.Etjepréfèrenepasrépéterlesurnomqu'ilsluiontdonné.Raphaël:Paillasson?Gideon:Tupeuxmepasserlesel,s'ilteplaît.QuandXemerius en fut arrivé à ce point de l'histoire, j'avais ressenti l'envie subite de bondir, dedescendrechezCharlotteetdel'étrangler,maisLesliem'avaitretenueenmedisantquelavengeanceestunplatquisemangefroid.ElleavaitajoutéquesiGideonetRaphaëlétaientaumoinsunquartaussiintelligentsqu'ilsétaientbeaux,ilsnecroiraientdetoutefaçonpasunmotdecequeracontaitCharlotte.-Je trouvequeLeslieressemblevraimentàungoldenretriever,avait remarquéXemerius,puisenvoyantmonregard réprobateur, il s'étaitempresséd'ajouter : J'aime leschiens, tu lesaisbien !CesontdesanimauxsiintelligentsOui,Leslieétaitvraiment intelligente.Elleavait réussiàpercer lesecretdulivreducavaliervert.Toutefois,lerésultat,péniblementdéchiffré,étaitplutôtdécevantIInes'agissaitqued'unautrecodechiffréavecdeuxlettresenplusetdedrôlesdetraits.Cinquanteetunzérotroiszéroquatreunpointsepthuitvirgulezérozérozérohuit'quatreneufpointneufunE.Minuitn'étaitpasloinquandnoustraversâmeslamaisonsurlapointedespiedsverslabibliothèque.Xemeriusnousavaitdevancéesenvolant.Nous passâmes une bonne heure à inspecter toutes les étagères à la recherche denouveaux indices. Cinquante et unième rangée, trentième livre, quatrième page, septième ligne,huitièmemot...maisonavaitbeauprendreçapartouslesbouts,riennefaisaitsens.Pourfinir,noussortîmesdeslivresauhasardetnouslessecouâmesdansl'espoirdetrouverd'autresbillets.Envain.MaisLeslierestaittoutdemêmeconfiante.Elleavaitnotélecodesurunboutdepapierqu'ellesortaitsansarrêtdesapochepourleregarder.-Çasignifiequelquechose,marmonnait-elleconstamment.Etjetrouverai.Ensuitenousavionsfiniparalleraulit.Monréveilm'avaittiréebrutalementd'unsommeilsansrêveet,àpartirdelà,jen'avaispluspenséqu'àcettesoirée.

-VoiciMrGeorgequivienttechercher,ditMmeRossini,m'arrachantàmespensées.Ellemetenditunpetitsac,monréticule,etjemedemandaisijen'allaispastoutdemêmeyglisserlecouteaudecuisineàladernièreseconde.J'avaispréférénepassuivreleconseildeLeslie,quim'avaitsuggérédelecollersurmacuisseavecduScotch.Vumachance,jen'auraisréussiqu'àmeblesseretpuisjenemevoyaispasretirerleScotchsousmajupeencasd'urgence.Al’arrivéedeMrGeorge,MmeRossinim'enveloppa les épaules dans un large châle richement brodé etm'embrassa sur lesdeuxjoues.-Bonnechance,monpetitcoudecygne,dit-elle.Ramenez-la-moientière,MrGeorge.MrGeorgeréponditparunsourirelégèrementcrispé.Ilnemeparutpasaussirondeletetcoolqued'habitude.-Celanedépendmalheureusementpasdemoi,madame.Viens,mafille,ilyalàquelquespersonnesquiaimeraientfairetaconnaissance.Nous étions déjà en tout début d'après-midi. L'habillage et la coiffure avaient pris plus de deuxheures.MrGeorgeétaitinhabituellementpeudisertetjem'efforçaisdenepasmarchersurmarobe.Jenepusm'empêcherdepenserànotredernièrevisiteauxviii6siècleet jeréalisaicombienilmeseraitdifficiled'échapperàdeshommesarmésd'épéesaveccettetenueencombrante.-MrGeorge, vous pourriezm'expliquer cette histoire d'Alliance florentine ? demandai-je sous lecoupd'uneinspirationsubite.MrGeorges'arrêta.-L'Allianceflorentine?Maisquidonct'enaparlé?-Àvraidire,personne, soupirai-je.Maisde tempsen temps, j'entendsquelquespetites choses. Jevousdemandeça,parceque...j'aipeur.C'étaientlestypesdel'AlliancequinousontattaquésàHydePark,n'est-cepas?MrGeorgemeregardad'unairgrave.-Peut-êtrebien.Etmêmeprobablement.Mais tunedoispasavoirpeur. Jenecroispasquevouspuissiezêtreattaquésaujourd'hui.Avec lecomteetRakoczy,nousavonspris toutes lesmesuresdesécuritéimaginables.J'ouvrislabouchepourdirequelquechose,maisMrGeorgemedevança:-Bon, alors, sinon je sens que tu vas continuer à t'inquiéter : nous devons réellement considérerqu'en 1782 il existe un traître parmi lesVeilleurs. Peut-être cemême homme qui, dans les annéesprécédentes,adéjàlivrédesinformationsayantconduitauxtentativesd'attentatàlavieducomtedeSaint-Germain,àParis,Douvres,AmsterdametenAllemagne.Ilpassalamainsursacalvitieavantd'ajouter:-Maislenomdecethommen'apparaîtpasdanslesAnnales.Bienquelecomteaitréussiàbriserl'Alliance florentine, on n'a jamais découvert le traître dans les rangs des Veilleurs. Vos visitesen1782doiventnousfaireavancer.-GideonpensequeLucyetPaulauraientquelquechoseàvoiravecça.-Ilyaeffectivementquelquesindicespouvantameneràlesupposer,ditMrGeorgeenmontrantlaporte de la salle duDragon.Mais nous n'avons plus le temps d'entrer dans les détails. Quoi qu'il

arrive,remets t'enàGideon.Si jamaisvousvoustrouviezséparés,cache-toidansunlieusûroùtupourrasattendretonretourdansleprésent.J'acquiesçai.Pourjenesaisquelleraison,j'avaislabouchesèche.MrGeorgeouvritlaporteetmelaissapasser.Avecmalargerobe,jeparvinstoutjusteàmeglisserdevant lui.Lapièceétaitpleinedegensquime fixèrent et jemesentis rougirdegêne.LedocteurWhite,FalkdeVilliers,MrWhitman,MrMarley,Gideonetl'inénarrableGiordanosetrouvaientsousl'énormedragon, aveccinqautresmessieurs encostume sombreet l'air grave. J'aurais aiméavoirXemeriusauprèsdemoipourmedirelequeld'entreeuxétaitleministredel'Intérieuretlequelavaitreçu le prixNobel,mais il avait été chargé d'une autremission. (Pas parmoi,mais parLeslie. Jedévelopperaiçaplustard.)-Messieurs ? Puis-je vous présenter Gwendolyn Shepherd ? lança Falk de Villiers d'une voixsolennelle.ElleestnotreRubis.LadernièrevoyageusedansletempsduCercledesDouze.- Aujourd'hui en visite sous le nom de Pénélope Gray, pupille du quatrième vicomte de Batten,complétaMrGeorge.EtGiordanomurmura:-Quivaprobablemententrerdansl'Histoireàpartirdecesoircommeladamesanséventail.JejetaiunbrefregardàGideon,dontlaredingotebordeauxs'accordaitvraimentmerveilleusementàma robe.Àmongrand soulagement, il neportait pasdeperruque, sinon,dansmonénervement,j'auraisprobablement éclatéd'un rirehystérique.Mais jenevis riende ridicule en lui. Il était toutsimplementparfait.Sescheveuxbrunsétaientattachésparunliendanslanuque,unemèchetombaitcommeparhasardsursonfrontetcachaitadroitementsablessure.Commesisouvent,jeneparvinspasvraimentàinterpréterl'expressiondesonvisage.Jedusserrerlamaindecesinconnusl'unaprèsl'autre,chacunmedonnasonnom(viteentendu,viteoublié... Charlotte avait bien raison en ce qui concernait ma capacité cérébrale) et je murmurai àchaquefoisquelquechosedugenre«Enchantée»,ou«Bonsoir,sir».Toutcomptefait,ils'agissaitdepersonnagesde l'époquetoutcequ'ilyadeplussérieux.Unseuld'entreeuxsouriait, lesautresdonnaientl'impressiondedevoirsubirimmédiatementuneamputationdelajambe.Celuiquisouriaitétaitcertainementleministredel'Intérieur:leshommespolitiquessontnettementplusgénéreuxensourires,c'estplusoumoinsunedéformationprofessionnelle.Giordanom'examinades pieds à la tête et j'attendis son commentaire,mais il ne fit que soupirerostensiblement.FalkdeVilliersavaitl'airplutôtgrave,maisaumoinsilmedit:- Cette robe te va vraiment à ravir, Gwendolyn. La véritable Pénélope Gray serait certainementheureused'avoireuaussibelleallure.MmeRossiniafaitlàuntravailmagnifique.-Toutà fait ! J'aivuunportraitde lavéritablePénélopeGray.Riend'étonnantqu'elle soit restéevieillefilleetqu'elleaitpassésaviedanslecoinleplusreculéduDerbyshire,lâchaMrMarley.Maisildevintaussitôtrougecramoisietgardapéniblementlesyeuxfixésparterre.MrWhitmancitaShakespeare...Dumoins, je lesupposai fortement,étantdonnéqueMrWhitmanétaitunfandeShakespeare.-Oh!alorsquelenchantementrésideenmonamourpourqu'ilaitchangéuncielenenfer...Ohlà,cen'estpasuneraisonpourrougir,Gwendolyn!

StupideEcureuil!Sij'avaisrougi,jel'avaisdéjàfaitavant,cen'étaitcertainementpasàcausedelui.D'autant plus que je n'avais rien compris à cette citation... Ce pouvait être tout aussi bien uncomplimentqu'uneoffense.Defaçoninattendue,Gideonvintàmarescousse.-Leprétentieuxsurestimesapropreimportance,dit-ilamicalementàMrWhitman.Aristote.Cettefois,MrWhitmanpinçaleslèvres.-MrWhitmanvoulaitsimplementexprimerquetuesbelleàravir,s'empressademedireGideon.Jepiquaidenouveauunfard.Gideonfitsemblantdenepasleremarquer.Maisquelquessecondesplustard,jelevissourired'unair satisfait. Quant à Mr Whitman, il paraissait avoir du mal à ne pas citer encore une foisShakespeare.LedocteurWhite,derrière les jambesduquelRoberts'étaitcachéenmeregardantavecdegrandsyeux,jetaunœilàsamontre.-Ilfaudraitsongeràpartir.Leprêtreaunbaptêmeà16heures.-Leprêtre?-Aujourd'hui, vous ne sauterez pas dans le passé depuis la cave,mais à partir d'une église, dansNorthAudley Street,m'expliquaMrGeorge. Comme ça, vous ne perdrez pas trop de temps pourarriverchezlordBrompton.- Nous minimisons aussi le risque d'une attaque à l'aller comme au retour, commenta l'un desinconnus,s'attirantalorsleregardcourroucédeFalkdeVilliers.-Lechronographeestdéjàprêt,ditcedernier.Ilmontrauncoffreàpoignéesd'argentquisetrouvaitsurlatable,avantd'ajouter:-Deuxlimousinesattendentdehors.Messieurs...-Bonnechance!ditceluiquejepensaisêtreleministredel'Intérieur.Giordanopoussadenouveauunprofondsoupir.LedocteurWhite,unemallettemédicale (pourquoidonc?)à lamain,garda laporteouverte.MrMarley et Mr Whitman saisirent chacun une poignée du coffre et le portèrent dehors aussisolennellementques'ils'étaitagidel'Arched'alliance.Gideonmerejoignitenquelquespasetmedonnalebras.-Alors,petitePénélope,nousallonsteprésenteràlafinesociétélondonienne,dit-il.Prête?Non.Jen'étaispasprêtedutout.Et«Pénélope»étaitvraimentunprénomaffreux.Maisjen'avaispaslechoix.-Prête,situesprêt,dis-jedemonairlepluscool.

...jejurefranchiseetcourtoisie,honnêtetéetcompassion,luttecontrel'injustice,soutienaux démunis, fidélité à la loi, garde des secrets, respect des règles d'or, maintenant etjusqu'àmamort.(Extraitdelaprestationdesermentdesadeptes)ExtraitdesChroniquesdesVeilleurs,

Volume1,«LesGardiensdusecret»

Chapitre10

Cequejeredoutaisleplus,c'étaitdemeretrouverfaceaucomtedeSaint-Germain.Lorsdenotrepremièrerencontre, j'avaisentendusavoixdansmatêteetsamainm'avaitétranglée,alorsqu'ilsetrouvaitpourtantàplusdequatremètresdemoi.Jenesaispasexactementquelrôletujoues,jeunefille,ousituasd'ailleursquelqueimportance.Maisjenetoléreraipasquel’oncontrevienneàmesrègles.Entre-temps,j'avaisdûprobablementenfreindrequelques-unesdesesrègles...Àmadécharge,jenesavais pas non plus de quoi il retournait. Ce qui m'autorisait une certaine arrogance : commepersonne ne s'était donné la peine de m'expliquer ces règles ou même de me les justifier, riend'étonnantnonplusàcequejelestransgresse.Mais tout le reste me faisait peur aussi. J'étais intimement persuadée que Giordano et Charlotteavaientraisondepenserquej'allaismeplantereffroyablementdanslerôledePénélopeGray,etquetoutlemonderemarqueraitquequelquechoseclochaitenmoi.Pendantuninstant,j'enoubliaimêmelenomdel'endroitduDerbyshired'oùj'étaiscenséevenir.QuelquechoseavecB...ouP...ouD...ou...-As-tuapprisparcœurlalistedesinvités?MrWhitman, à mon côté, ne contribuait pas non plus à calmer mon agitation. Pourquoi diabledevais-jeapprendreparcœurlalistedesinvités?MrWhitmanémitunprofondsoupirenmevoyantsecouerlatête.-Jene lasaispasnonplusparcœur,affirmaGideon,assisenfacedemoidans la limousine.Çagâcheleplaisir,desavoiràl'avancequionvarencontrer.J'auraisbienaimé savoir s'il était aussi énervéquemoi.Si sesmains transpiraient et si soncœurbattait aussi vite que le mien. Ou bien était-il déjà parti si souvent au XVIIIe siècle que cela nereprésentaitplusriendeparticulierpourlui?-Tuvasfairesaignertalèvresitucontinuesàlamordrecommeça,dit-il.-Jesuisunpeu...nerveuse.-Çasevoit.Tuveuxquejetetiennelamain?Jesecouailatêteavecvéhémence.Non,çaneferaitqu'empirerleschoses,idiot!Sanscompterqu'encequiconcernetoncomportementenversmoi,jesuisdetoutefaçontoujoursdanslemêmebrouillard!Sansparlerdenosrelationsengénéral!Deplus,MrWhitmannousregardedéjàcommeunécureuilsuperaverti.Je faillis pousser un gémissement. Est-ce que je me sentirais mieux si je lui lançais au visagequelques-unes de mes pensées en points d'exclamation ? J'y réfléchis un instant avant de laissertomber.Enfin,nousfûmesarrivés.QuandGideonm'aidaàsortirdelavoituredevantl'église(danscegenrede robe, on avait en tout cas besoin d'unemain aidante, si ce n'est de deux), jem'aperçus qu'il neportaitpasd'épée.Quelleinconscience!DespassantsnousdévisagèrentaveccuriositéetMrWhitmannousouvritleportaildel'église.-Pressez-vousunpeu,s'ilvousplaît!dit-il.Nenousfaisonspasremarquer.

Bien sûr !Qui irait donc remarquer deux limousines noires stationnées en plein après-midi dansNorthAudleyStreetetdeshommesencostumesortir l'Arched'allianceducoffreet laporterdansl'église?Bienque...vudeloin,cequ'ilsportaientpouvaitaussipasserpouruncercueil...J'eneuslachairdepoule.-J'espèreaumoinsquetuaspenséaupistolet,chuchotai-jeàGideon.-Tutefaisvraimentuneétrangeidéedecettesoirée,merépondit-ilenmeposantlechâlesurlesépaules.A-t-ondéjàcontrôlélecontenudetonsacàmain?Ilvaudraitmieuxquetonportablenesemettepasàsonneraubeaumilieudelasoirée.Àcetteidée,jenepusm'empêcherdesourire,masonneriedeportableétantalorsuncoassementdegrenouille.-Àparttoi,personnenepourraitm'appelerici,dis-je.-Etjen'aimêmepastonnuméro.Puis-jetoutdemêmejeteruncoupd'œildanstonsac?-Ças'appelleunréticule,luifis-jeremarquerenluitendantmonsacavecunhaussementd'épaules.-Selsàrespirer,mouchoir,parfum,poudre...excellent,commentaGideon.Rienàredire.Viens!Ilmerenditleréticule,mepritparlamainetmefitpasserleportail,queMrWhitmanverrouillaaussitôtderrièrenous.Àl'intérieur,Gideonoubliademelâcherlamain.C'étaitaussibien,carsinonj'auraispaniquéetmeseraisenfuie.Devant l'autel, Falk de Villiers et Mr Marley - sous les regards sceptiques du prêtre (en habitsacerdotal) - étaient en train de sortir le chronographe de l'Arch... euh... de son coffre.Le docteurWhitearpental'espaceàgrandspasetconclut:—Onzepasàgaucheàpartirduquatrièmepilieretvousserezsûrsdevotrecoup.— Je ne suis pas certain de pouvoir garantir que l'église sera vraiment vide à 18 h 30, ditnerveusement le prêtre. L'organiste aime à rester plus longtemps et il y a toujours quelquesparoissiens qui me retiennent à la porte et m'entraînent dans des discussions, auxquelles je peuxdifficilement...—Pasdesouci,réponditFalkdeVilliers.Lechronographesetrouvaitmaintenantsurl'autel.Souslesoleildel'après-midi,quiseréfléchissaitdanslesvitrauxcolorés,sespierresprécieusesparaissaienténormes.—Nousseronslàetnousvousaideronsàvousdébarrasserdevosouaillesaprèslamesse,ajoutaFalkdeVilliers.Puiss'adressantànous:—Etes-vousprêts?Gideonlâchaenfinmamain.—Jevaissauterenpremier,annonça-t-il.Leprêtrerestabouchebéeenlevoyantdisparaîtredansuntourbillondelumièrevive.—Gwendolyn,commençaFalk,unsourireauxlèvres,enprenantmamainetenglissantmondoigtdanslechronographe.Nousnousreverronsexactementdansquatreheures.—Espérons-le,murmurai-je.L'aiguilles'enfonçaitdéjàdansmachair,l'espaces'emplitd'unelumièrerougeetjefermailesyeux.Enlesrouvrant,jetitubailégèrementetquelqu'unmeretintparl'épaule.

—Toutvabien,chuchotalavoixdeGideonàmonoreille.Onn'yvoyaitguère.Seuleunebougieéclairaitl'autel,lerestedel'égliseétaitplongédansunnoirfantomatique.-Bienvenue,ditunevoixrocailleusefaitedumêmenoiretjesursautaialorsquej'auraispourtantdûm'yattendre.Lasilhouetted'unhommesedétachadel'ombred'unpilieret,àlalueurdelabougie,jereconnuslevisageblêmedeRakoczy,l'amiducomte.Commelorsdenotrepremièrerencontre,ilmerappelaunvampire : ses yeuxnoirs étaient sans éclat et, dans la faible lumière, ilsme firent encore une foisl'effetdetrousnoirsinquiétants.-MonsieurRakoczy,ditGideonen françaisens'inclinantpoliment. Jemeréjouisdevous revoir.Vousconnaissezdéjàmacompagne.-Mais certainement.MademoiselleGray, pour ce soir.Ravidevous revoir, réponditRakoczy enébauchantunecourbette.-Euh,très...marmonnai-jeenfrançais.Toutleplaisirestpourmoi,continuai-jeensuiteenanglais.Onnepouvaitjamaissavoircequ'onétaitcapabledelâchersanss'enapercevoir,dansunelangueétrangère,etàplusforteraisonquandonétaitbrouilléavecelle.-JevaisvousaccompagnerchezlordBromptonavecmeshommes,annonçaRakoczy.Defaçonterrifiante,onnepouvaitpasvoirceshommes,maisjelesentendisrespireretbougerdansl'obscurité quand nous traversâmes la nef derrière Rakoczy. Dehors aussi, je ne pus découvrirpersonne, même si je scrutai les alentours plusieurs fois. Il faisait froid et il pleuvinait et si leslampadairesexistaientdéjààl'époque,ilsétaienttoushorsservicedanscetterue.IlfaisaitsisombrequejenedistinguaismêmepaslevisagedeGideonprèsdemoi,etlesombressemblaients'animerpartout,respireretcliqueterlégèrement.JemecramponnaiàlamaindeGideon.Maisgare,s'ilallaitmelalâcher!-Ce sont là tousmes gens, chuchotaRakoczy.De valeureuxKuruz, âpres au combat.Nous vousraccompagneronsaussiensécurité.Vraimentrassurant!Nousn'étionspas loinde lademeurede lordBromptonetplusnousnousenapprochions,plus ilfaisait sombre. Mais finalement, la maison de maître dans Wigmore Street était bien éclairée etparaissaitvraimentaccueillante.LeshommesdeRakoczyrestèrentdansl'ombre;ilfutleseulànousaccompagneràl'intérieur,oùlordBromptonenpersonnenousattendaitdanslegrandhalld'entrée,d'oùun escalier pompeuxmenait aupremier étage. Il était toujours aussi gros et, à la lumièredeschandelles,sonvisageluisaitdegraisse.À part le lord et quatre laquais, le hall était vide.Les domestiques, en rang d'oignons près d'uneporte, attendaient les directives. L'assistance annoncée était encore invisible, mais un brouhaha devoixetquelquesaccentsd'unemélodiepianotéeatteignaientfaiblementmonoreille.TandisqueRakoczyseretiraitsurunecourbette,jecomprispourquoilordBromptonnousrecevaiticipersonnellement,avantquequiconquepuissenousvoir.Ilnousassuraqu'ilseréjouissaitdenotrevenueetcombiennotrepremièrerencontrel'avaitenchanté,maisque,euh...hmm...ilétaitplussagedenepasévoquercetterencontredevantsafemme.- Justepour éviterdesmalentendus, ajouta-t-il, tout encillant sansarrêt commes'il avaitquelque

chosedansl'œiletenmebaisantaumoinstroisfoislamain.Lecomtem'aassuréquevousétiezissusde l'une desmeilleures familles d'Angleterre. J'espère que vous voudrez bienme pardonnermoninsolence lors de notre amusant entretien sur le XXIe siècle et ma supposition absurde sur votremétierdecomédien.Ilnousgratinadenouveauxclinsd'œilappuyés.-C'estcertainementaussinotre faute,affirmaGideon.Lecomtea tout tentépourvousmettresurcette fausse piste. Entre nous soit dit : c'est un vieux monsieur étrange, n'est-ce pas ? Ma sœuradoptiveetmoisommesdéjàhabituésàsesplaisanteriesmais,quandonneleconnaîtpasaussibien,soncontactestunpeutroublant.Ilmeretiramonchâleetletenditàunlaquais.-Bon,poursuivit-il,laissonscela.Nousavonsentendudirequevotresalondisposaitd'unexcellentclavecinetd'unemerveilleuseacoustique.Entoutcas,nousavonsététrèsheureuxdel'invitationdeladyBrompton.LordBromptonseperditquelquessecondesdanslacontemplationdemondécolleté,puisildit:-Etelleseraégalementraviedefairevotreconnaissance.Venez,lesautresinvitéssontdéjàlà.Ilm'offritsonbras.-MissGray?-Milord.Gideonmefitunsourireencourageantetnoussuivitdanslesalon,quel'onatteignaitdirectementdepuislehalld'entréeparuneportearquéeàdoublebattant.Sous l'appellationde«salon», jem'étais imaginéunesalledeséjour,mais lapiècedans laquellenousentrâmesauraitpresquepusoutenirlacomparaisonavecnotresalledebal.Unfeubrûlaitdansune grande cheminée et un clavecin se trouvait devant les fenêtres tendues de lourds rideaux. Jepromenaimon regard sur de charmantes petites tables aux pieds saillants, des canapés auxmotifscolorés et des chaises aux accoudoirs dorés. Le tout était éclairé par des centainesdechandelles,suspenduesouposées,quidonnaient à lapièceun scintillement simerveilleusementmagiqueque j'endemeuraid'abordmuettede ravissement.Elles éclairaientmalheureusement aussibeaucoupdevisagesinconnuset,dansmonétonnement(enmerappelantlesinjonctionsdeGiordano,je m'efforçai de presser les lèvres afin de ne pas garder la bouche ouverte par inadvertance), jeretrouvaiaussimapeur.C'étaitdonccela,unepetitesoiréeintime?Àquoiallaitressemblerlebal?Jen'euspasletempsdemefaired'idéeplusprécise,carGideonm'entraînaitdéjàimpitoyablementdans la foule.Des tas de paires d'yeux curieux se braquèrent sur nous et, un instant plus tard, unepetitefemmereplète,quiserévélaêtreladyBrompton,sedirigeaversnous.Elleportaitunerobebrunclair,avecdesparementsdesoie,etsescheveuxétaientdissimuléssousune volumineuse perruque qui, au vu des nombreuses bougies qui se trouvaient ici, avait l'airdangereusement inflammable. Notre hôtesse avait un gentil sourire et elle nous saluachaleureusement. Je fis une révérence machinale, tandis que Gideon en profita pour se laisserentraînerplusloinparlordBrompton.Sansmelaisserletempsdedécidersijedevaisluienvouloirou non deme laisser plantée là, lady Bromptonm'avait déjà engagée dans une conversation. Parbonheur, je me rappelai juste à temps le nom de l'endroit où je - alias Pénélope Gray - vivais.Encouragéepar sonhochementde têteenthousiaste, j'assuraià ladyBromptonquec'était certesunendroit paisible et tranquille, mais qu'il y manquait de ces divertissements en société qui me

subjuguaienttant,ici,àLondres.- Vous allez certainement changer d'avis quand Genoveva Fairfax va nous ressortir tout sonrépertoire,ditunedamedansune robecouleurprimevèreen s'avançantversnous.Vousverrez, jevouspariequevousallezregretterlesdistractionsdelacampagne.-Pssst!fitladyBrompton,nonsansunpetitrire.Voyons,c'estinsolent,Georgiana!En la voyantme regarder d'un air conspirateur, lamaîtresse demaisonme parut soudain plutôtjeune.Commentavait-elleputombersurcevieuxpleindegraisse?-Insolentpeut-être,maisvrai!La dame en jaune (une couleur si désavantageuse,même à la lueur des bougies !)m'informa enbaissantlavoixquesonépouxs'étaitendormilorsdelasoiréeprécédenteetqu'ils'étaitmisàronfler.- Ça n'arrivera pas ce soir, m'assura lady Brompton. Nous comptons tout de même aujourd'huiparmi nos invités le merveilleux et mystérieux comte de Saint-Germain, qui nous fera ensuite leplaisirdenousjouerquelquechosesursonviolon.EtLaviniaestimpatientedechanterenduoavecnotreMrMerchant.-Encorefaudra-t-illuiverserunebonnedosedevin,àcelui-là,ditladameenjauneenmesouriantdetoutessesdents.Je lui rendis automatiquement son sourire.Ah, je le savais bien !Giordano n'était qu'unminablefrimeur!D'unecertainemanière,ellesétaientdetoutefaçonbeaucouppluscoolquejenel'avaisimaginé.-C'estunepurequestiond'équilibre,soupiraladyBromptonenfaisanttremblerunpeusaperruque.Trop peu de vin et il ne chantera pas ; trop de vin et il va nous pousser ses chansons de marinindécentes.Connaissez-vouslecomtedeSaint-Germain,machère?Jereprisaussitôtmonsérieuxenjetantinconsciemmentunregardautourdemoi.-Jeluiaiétéprésentéeilyaquelquesjours,répondis-jeenempêchantmesdentsdeclaquer.Monfrèreadoptif...leconnaît.MesyeuxtombèrentsurGideon,quisetrouvaitprèsdelacheminée,entraindediscuteravecunecharmantejeunefemmedansunerobeverted'unebeautérenversante.Ilsmedonnèrentl'impressionde se connaître depuis longtemps. Elle aussi riait de toutes ses dents. Elle les avait belles, pas dechicotspourriscommeGiordanoavaitvoulumelefairecroire.-Le comten'est-il pas incroyable ? Je pourrais l'écouter parler pendant des heures,me confia ladameen jauneaprèsm'avoir expliquéqu'elleétait la cousinede ladyBrompton. J'aimesurtout seshistoiresdeFrance!-Ah oui ! Ces histoires piquantes, dit ladyBrompton. Elles ne conviennent évidemment pas auxoreilleschastesd'unedébutante.Je cherchai le comte des yeux et le trouvai assis dans un coin, en pleine conversation avec deuxhommes.Vudeloin,ilparaissaitélégantetsansâgeet,commes'ils'étaitsentiobservé,ilbraquasesyeuxsombressurmoi.Le comte était habillé comme tous les hommes dans cette salle : il portait une perruque et uneredingote, avec un knickerbocker plutôt débile et de singulières chaussures à boucle. Maiscontrairement aux autres, il neme fit pas l'effet de sortir directement d'un film en costumes, et je

réalisaienfinvraimentoùj'étaistombée.Seslèvresesquissèrentunsourireetj'inclinaipolimentlatêtetoutensentantlachairdepoulemegagner.Jeréprimaiàgrand-peineleréflexedeportermamainàmagorge.Ilvalaitmieuxnepasluidonnerdesidées.- Du reste, votre frère adoptif est un bien bel homme, ma chère, déclara lady Brompton.Contrairementauxrumeursquinousontétérapportées.JedétournaimonregardducomtedeSaint-GermainetledirigeaidenouveauversGideon.C'estvrai.Ilavraimenttrès...belleallure.Ladameenvertsemblaitdumêmeavis.Elleétaitentrainderemettreenplacesonfoulardavecunsourirecoquet.Giordanom'auraitprobablementtuéesijem'étaiscomportéeainsi.-Quelleestdonccettedamequiletrip...euh...quiparleaveclui?demandai-je.-LaviniaRutland.LaplusbelleveuvedeLondres.-Maisnelaprenezpasenpitié,jevousprie,intervintPrimevère.EllesefaitconsolerparleducdeLancashiredepuisunbonmomentdéjà,augranddéplaisirdeladuchesse,etellemontreenoutreunepréférencemarquéepourleshommespolitiquesenpleineascension.Votrefrères'intéresse-t-ilàlapolitique?- Je croisquec'est sans importancepour l'instant, dit ladyBrompton.ÀvoirLavinia, oncroiraitqu'ellevientderecevoiruncadeauàdéballer.ElleexaminadenouveauGideondelatêteauxpiedsavantd'ajouter:-Bon,lesrumeursparlaientd'uneconstitutionfragileetd'unestaturepâteuse.C'estfortréjouissantdeconstaterquecen'estpaslecas.Oh,onnevousaencoreriendonnéàboire!constata-1-ellealorsaveceffroi.La cousine de lady Brompton jeta unœil autour d'elle et donna une légère bourrade à un jeunehommequisetrouvaitàproximité.-MrMerchant?Rendez-vousdoncunpeuutileetalleznouschercherquelquesverresdecepunchspécialdeladyBrompton.Etramenezdoncaussiunverrepourvous.Nousaimerionsvousentendrechantercesoir.-Voici d'ailleurs la charmante miss Pénélope Gray, la pupille du vicomte de Batten, dit ladyBrompton.Jevousprésenteraisbienpluslonguementl'unàl'autre,maiselleestsansfortuneetvousêtesuncoureurdedot...Inutiledoncdemettreenœuvreicimestalentsd'entremetteuse.MrMerchant,quim'arrivaitàl'épaule,commeenfaitbeaucoupd'autrespersonnesdanslasalle,nesemontrapasparticulièrementvexé.Ils'inclinagalammentetmeditenplongeantlesyeuxdansmondécolleté:-Celanesignifiepaspourautantquejesoisinsensibleauxcharmesd'uneaussimerveilleusejeunedame.-J'ensuisheureusepourvous,répliquai-jed'unevoixmalassurée.LadyBromptonetsacousineéclatèrentderire.-Oh,non,lordBromptonetmissFairfaxs'approchentduclavecin!ditMrMerchantenroulantlesyeux.Jepressenslepire.

-Vite!Nosboissons!ordonnaladyBrompton.Personnenepeutsupporterçaàjeun.Lepunch,quejebusd'abordenhésitant,duboutdeslèvres,avaitungoûtmerveilleux.Trèsfruité,avecunpeudecannelleetjenesaisquoiencore.Jem'entrouvaiagréablementréchauffée.Pendantunmoment,jemesentistoutàfaitlibéréeetcommençaiàappréciercettesallesplendidementéclairéeetlavuedetouscesgensbienhabillés.MaisMrMerchantintervintparderrièredansmondécolletéetjefaillisenrenversermonpunch.-L'unedecescharmantespetitesrosesavaitglissé,affirma-t-ilavecunsourireplutôtgrivois.Jelefixaid'unairindécis.Giordanonem'avaitpaspréparéeàcegenredesituationetjenesavaisdoncpascequel'étiquetteprévoyaitenprésenced'unmaniaquesexuelautempsdurococo.JecherchaiGideondesyeux,maisilétaitsiabsorbédanssaconversationaveclajeuneveuvequ'ilne le remarquamême pas. Si nous avions été àmon siècle, j'aurais dit àMrMerchant qu'il feraitmieuxdegardersurluisesgrossespattessaless'ilnevoulaitpasseprendreautrechosequ'unepetiterose sur le pif. Mais dans les circonstances présentes, cette réaction me parut légèrement... peucourtoise.Jeluisourisdoncendisant:-Oh,mercibeaucoup,c'esttrèsaimableàvous.Jenem'enétaismêmepasaperçue.MrMerchants'inclina.-Toujoursàvotreservice,madam.Ilétaitd'uneaudaceincroyable.Celadit,àuneépoqueoùlesfemmesn'avaientpasledroitdevote,ilnefallaitpass'étonnerqu'onleurmanquâtderespect.LesbavardagesetlesrirescessèrentpeuàpeuquandmissFairfax,unefemmeenrobevertroseauetaunezétroit,s'approchaduclavecin,s'yinstalla,arrangeatranquillementsesjupesetsemitàtapersur les touches. Elle ne jouait pas si mal. La seule chose un peu dérangeante, c'était sa façon dechanter.Avecunevoixincroyablement...hautperchée.Encoreunpeuetonauraitpulaprendrepourunsiffletàultrasons.-Rafraîchissant,n'est-cepas?MrMerchantveillaitàcequ'onmeremplissedenouveaumonverre.Amagrandestupéfaction(etenquelquesorteaussiàmongrandsoulagement),jelevistripotersansvergognelapoitrinedeladyBrompton,sousprétextequ'elleyavaituncheveu.LadyBromptonnesemblapass'enémouvoirplusqueça,elleletraitasimplementdepolisson,enluidonnantdescoupsd'éventailsurlesdoigts(ahah!voilàdoncàquoiservaientvraimentleséventails!),etpuisellem'emmenaavecsacousineversuncanapéàfleursbleues,prèsdelafenêtre.Jedusm'asseoirentreelles.- Ici, vous serez à l'abri des doigts collants, dit lady Brompton en tapotant maternellement mongenou.Seulesvosoreillesserontencoreendanger.-Buvez!meconseilladoucementlacousine.Vousallezenavoirbesoin!MissFairfaxvientjustedecommencer.Lecanapéétaitplutôtduretledossiersiprofondquejepouvaisdifficilementm'yadosseràmoinsde vouloir y disparaître avec toutes mes jupes. De toute évidence, les canapés du XVIIIe sièclen'étaientpasfaitspouryglandouiller.—Jenesaispas... jenesuispashabituéeà l'alcool,hésitai-je.Maseuleexpérienceencedomaineremontaitàdeuxans.C'étaitlorsd'unepyjama-partychezCynthia.Unefêtetoutcequ'ilyadeplus

innocente. Sans garçons, mais avec beaucoup de chips et de DVD deHigh SchoolMusical.Et unsaladierpleindeglaceà lavanille,de jusd'orangeetdevodka...L'ennuyeuxavec lavodka, c'étaitqu'onnelasentaitpasàcausedetoutecetteglaceàlavanilleetcetruc-làavaitvisiblementuneffetdifférentsurchacune.TandisqueCynthia,auboutdetroisverres,avaitouvertlafenêtreengrandets'étaitmiseàcrierdanstoutChelsea:«ZacEfron,jet'aime!»,Leslies'étaitpenchéesurlacuvettedesWCpourvomir;Peggyavaitfaitunedéclarationd'amouràSarah(«tuessibêêêlle,embrasse-moi-oi-ne»)etSarahavaitpleurécommeunveausanssavoirpourquoi.Chezmoi,c'avaitétélepirede tout. Jem'étais mise à sauter comme une folle sur le lit de Cynthia tout en beuglantBreakingfreeenboucle.Quand lepèredeCynthiaétait entrédans lachambre, je luiavais tendu labrosseàcheveuxdesa filleenguisedemicroencriant :«Allez,chanteaussi,crânechauve!Bouge-toi lepopotin!»Mêmesijenepouvaisabsolumentplusmel'expliquerlelendemain.Aprèscettehistoireplutôtpénible,Leslieetmoiavionsdécidéd'éviterl'alcool(etlepèredeCynthiaaussipendantquelquesmois)commelapesteetnousnousenétionsdepuistenuesàcetterésolution.Même si c'était parfois étrange de se retrouver seule à jeun parmi de gros nez rouges. Commemaintenant,parexemple.Del'autrecôtédelasalle,jesentisdenouveauleregardducomtedeSaint-Germainposésurmoi,etmanuquecommençaàmepicoterdésagréablement.-Onracontequ'ilestexpertenl'artdeliredanslespensées,chuchotaladyBromptonprèsdemoi.Ducoup,jedécidaideleverprovisoirementl'interdictiond'alcool.Rienquepourcesoir.Etrienquepourquelquesgorgées.PouroubliermapeurducomtedeSaint-Germain.Etmapeurdetoutlereste.LepunchspécialdeladyBromptonagitavecunerapiditéétonnante,etpasseulementsurmoi.Audeuxièmeverre,ilssemirenttousàtrouverlechantnettementmoinseffrayant,autroisième,toutlemondecommençaàbougerlespiedsencadenceetjepensaialorsquejen'avaisencorejamaisconnuuneteufaussisympa.Lesgensétaientvraimentcool.Etàtoutprendre,pluscoolqu'auXXIesiècle.L'éclairage était vraiment grandiose aussi. Pourquoi n'avais-je pas remarqué auparavant que cescentaines de bougies donnaient à chacun un teint comme feuille d'or ? Même au comte, qui mesouriaitdetempsentempsdepuisl'autreboutdelasalle.Lequatrièmeverrecoupadéfinitivementlesiffletàmavoixdemiseengarde(«SoisvigilanteNetefieàpersonneî»).SeulelavuedeGideonentraindeboiredesyeuxlafemmeenrobevertetroublaitencoremonbien-être.-Voilà,nosoreillessontsuffisammententraînées,finitpardireladyBrompton.Elleselevaenapplaudissantetsedirigeaversleclavecin.-Machère,chèremissFairfax,c'étaitencoreunefoistoutàfaitexquis,déclara-t-elleenembrassantmissFairfaxsurlesdeuxjouesetenlacollantsurlapremièrechaiseàproximité.Maismaintenant,jedemandequ'onapplaudissechaleureusementMrMerchantetladyLavinia,non,non,neprotestezpas,vousdeux,noussavonsquevousvousêtesexercésensecret.Àcôtédemoi,lacousinedeladyBromptonsemitàpousserdescrisd'orfraie,commeunegroupiedeboysband,quandlemaniaquesexuels'assitauclavecinetyclaquaunmagistralarpège.Labellelady Lavinia offrit un sourire radieux à Gideon et fit bruisser ses jupes vertes en s'avançant. Jem'aperçusalorsqu'ellen'étaitpasaussijeunequejelepensais.Maisellechantaitmerveilleusement.CommeAnnaNetrebko, que nous avions entendue deux ans auparavant au RoyalOpéraHouse, àCoventGarden.Bon,peut-êtrepastoutàfaitaussiformidablementbienquelaNetrebko,maisentout

cas c'était un pur délice de l'écouter. À condition d'aimer les arias italiennes ampoulées. Ce quinormalementn'étaitpasmoncas,àvraidire,maisl'étaitdevenugrâceaupunch.Etlesariasitaliennesse prêtaient visiblement bien à chauffer l'ambiance au XVIIIe siècle. Les invités commençaientvraimentàselâcher.Seullesiffletàultr...euh...missFairfaxgardaitsonairpincé.-Puis-jet'enleveruninstant?Derrièremoi,Gideons'étaitapprochéducanapéetilmesouriaitd'enhaut.Biensûr,maintenantqueladameverteétaitoccupéeailleurs,ils'étaitsouvenudemoi.-Lecomteseraitheureuxquetuveuillesbienluiprêterunpeucompagnie,m'annonça-t-il.Ahoui, j'avais oublié ! J'inspirai à fond, prismonverre etm'en jetai courageusement le contenudanslegosier.Aumomentdemelever,latêtemetournalégèrement.Gideonmeretiraleverrevidedelamainetleposasurl'unedecespetitestablesauxpiedsmignons.-Ilyavaitdel'alcoollà-dedans?chuchota-t-il.-Non,rienquedupunch,susurrai-jeenretour.Oups,lesoliciétaitlégèrementirrégulier.- Je ne bois jamais d'alcool, tu sais ? ajoutai-je.C'est l'un demes sacro-saints principes.Onpeutaussis'amusersansalcool.Gideonlevaunsourciletm'offritsonbras.-Jesuisheureuxquetut'amusesautant.-Oui,pareillementpourtoi,luiassurai-je.

Pouah!CesplanchersduXVIIIesiècleétaientvraimentplutôtbranlants.Jenel'avaispasremarquéauparavant.-Celadit,repris-je,elleestpeut-êtreunpeuvieillepourtoi,maisçanedoitpastedéranger.Ninonplusqu'elle fricote avec le ducDe-je-ne-sais-où.Non, vraiment, uneparty super.Lesgens ici sontbienplussympasquejenel'avaispensé.Sifriandsdecontactetsiprèsducorps.JejetaiunœilverslemaniaquesexuelaupianoetledécolletédelaNebretkoavantdepoursuivre:-Et... ilsaimentvisiblementchanter.Trèssympa.Çamedonneenviedesauteretde fairecommeeux.-Garde-t'enbien!chuchotaGideonenmeconduisantverslecanapéoùlecomtesetrouvaitassis.Ennousvoyantarriver,cedernierse leva,avec lasouplessenaturelled'unhommebeaucoupplusjeune,etseslèvresébauchèrentunsourirepleind'attente.Bon,pensai-jeenlevantlementon.Faisonscellequinesaitpasque-d'aprèsGoogle-tun'espasunvrai comte.Faisons comme si tu avais vraiment un comté et que tu n'étais pas un escroc d'origineincertaine. Faisons comme s tu ne m'avais pas étranglée la dernière fois. Et faisons comme si jen'avaisrienbudutout.Je lâchai Gideon, déployai mes jupes et fis une profonde révérence, dont je ne me relevai quelorsquelecomtemetenditsamainpleinedebaguesetdejoyaux.-Machèreenfant,dit-ilavecunelueuramuséedanssesyeuxbrunchocolat,toutenmecaressantlamain.J'admiretonélégance.AprèsquatreverresdupunchspécialdeladyBrompton,d'autresnesontmêmepluscapablesdebalbutierleurnom.Oh,ilavaitcompté.Jebaissailesyeuxd'unaircoupable.Enfait,j'avaissifflécinqverres.Maisils

avaientvraimentvalulapeine!Moi,entoutcas,jeneregrettaispasdutoutdem'êtredébarrasséedece sentiment oppressant d'angoisse diffuse. Ni de mes complexes d'infériorité. Non, j'aimais bienmonmoiivre.Mêmes'ilvacillaitunpeusursesjambes.-Mercipourlecompliment,murmurai-jeenfrançais.-Ravissant!ditlecomte.-Jesuisdésolé,j'auraisdûfaireplusattention,intervintGideon.Lecomteritdoucement.-Monchergarçon,tuétaisoccupéailleurs.Etcesoir,ils'agitd'aborddenousamuser,n'est-cepas?D'autantplusquelordAlastair,auqueljevoulaisprésentercettecharmantejeunedame,n'esttoujourspasarrivé.Maisjemesuislaissédirequ'ilétaitenroute.-Seul?demandaGideon.Lecomtesourit.-C'estsansimportance.L'Anna Nebretko des pauvres et le maniaque sexuel terminèrent leur aria sur un dernier accordendiabléetlecomtelâchamamainpourapplaudir.-N'est-ellepasmerveilleuse?Untalentimmense,etsibelleavecça!-Oui,acquiesçai-jedoucementenapplaudissantmoiaussi,attentiveànepasmimerClic-clacdanslesmains(«Clicclacdanslesmains,çalesréchauffe,çalesréchauffe,clicclacdanslesmains,çalesréchauffeviteetbien»).Cen'estpasdonnéàtoutlemondedepouvoirainsifairecliqueterleslustres.Monéquilibreprécairefutquelquepeuperturbéparmesapplaudissementsetjetitubailégèrement.Gideonmerattrapa.-Jen'ycroispas,s'énerva-t-il,leslèvrescolléesàmonoreille.Çanefaitmêmepasdeuxheuresquenoussommesiciettuesdéjàgravesoûlecommepasdeux!Maisqu'est-cequetuasdanslatête?- Tu as dit grave, je le raconterai à Giordano, ricanai-je en sachant bien que, dans le tumulte,personned'autrenel'entendrait.Detoutefaçon,çanesertplusàrienderâler.C'esttroptard.Jesuisdéjàtombéedanslechaudronmagique.Unhoquetm'interrompit.-Oups ! 'xcuse !dis-jeen jetantun regardalentour.Mais lesautres sontencoreplusbourrésquemoi, alors, je t'en prie, pas d'indignation mal placée Je maîtrise tout. Tu peux me lâcher sansproblème,jemetiensicicommeunrocenpleinressac.-Gareàtoi!chuchotaGideon,avantdemelâcherpourdebon.Parmesuredesécurité,jemeplantailàenécartantlégèrementpluslesjambes.Sousmalargejupe,onnepouvaitpaslevoir.Lecomtenousavaitobservésd'unœilamusé,levisageempreintd'unefiertégrand-paternelle.Jeluijetaiunregardendouceetrécoltaienretourunsourirequimefitchaudaucœur.Commentavais-jepuleredouter?J'eusdumalàmeremémorercequeLucasm'avaitraconté:cethommeavaittranchélagorgedesonpropreancêtre...LadyBrompton s'était denouveauprestement avancéeversMrMerchant et ladyLaviniapour lesremercierdeleurprestation.Ensuite,sanslaisseràmissFairfaxletempsdeserelever,elledemandadesapplaudissementschaleureuxpourl'invitéd'honneurdelasoirée:lecélèbreetmystérieuxcomtedeSaint-Germain,venudetrèsloin.

-Ilm'apromisdenousjoueraujourd'huiquelquechosesursonviolon,dit-elle.Surcesmots,lordBromptonaccourutavecunétuiàviolon,duplusvitequesagrossebedaineleluipermettait.Émoustilléepar lepunch, l'assistancedébordad'enthousiasme.Vraiment, c'était une teufd'enfer!Lecomtesourit,sortitleviolondel'étuietcommençaàl'accorder.- Il ne me viendrait jamais à l'esprit de vous décevoir, lady Brompton, dit-il d'une voix douce.Toutefois,mesvieuxdoigtsn'ontplusleursouplessed'autrefois,quandjejouaisdesduosàlacourfrançaiseaveccebienmalfaméGiacomoCasanova...etlagouttemetortureunpeuencemoment.Desmurmuresetdessoupirstraversèrentlasalle.-... voilà pourquoi je voudrais ce soir céder le violon àmon jeune ami ici présent, poursuivit lecomte.Gideonparutquelquepeueffrayéetsecoualatête.Maisquandlecomtelevalessourcilsetluidit:«S'ilteplaît!»,ilpritl'instrumentetl'archetavecunecourbetteets'avançaversleclavecin.Lecomtemepritparlamain.-Nousdeux,nousallonsnousasseoirsurlecanapépourmieuxapprécierleconcert,n'est-cepas?Oh,pasderaisondetremblercommeça.Prendsdoncplace,monpetit.Tunelesaispas,maisdepuishieraprès-midi,noussommeslesmeilleursamisdumonde,toietmoi.Carnousavonseuunéchangevraimentcordialetnousavonspuécartertoutesnosdivergences.Euh???-Hieraprès-midi?m'étonnai-je.-Demonpointdevue,réponditlecomteenriant.Pourtoi,cetterencontreestencoreàvenir.J'aimebienleschosescompliquées,tul'asremarqué?Jelefixaid'unairperplexe.Aumêmeinstant,Gideoncommençaàjoueretj'enoubliaitotalementcequejevoulaisdemander.Oh,monDieu!C'étaitpeut-êtredûaupunch,mais...wouahhh!!!Ceviolonétaitvraimentsexy.Rienquecettefaçonqu'avaitGideondeleprendreenmainetdelecalersoussonmenton!Ilnem'enfallaitpaspluspourêtretotalementretournée!Seslongscilsjetèrentdesombressursesjouesetsescheveuxluitombèrentsurlevisage,quandilposal'archetsurlescordesetsemità les caresser. Les sons qu'il en tira étaient si tendres et si fondants qu'ils faillirentme couper lesouffle.Etquejemesentisl'enviedepleurer.Jusqu'alors,lesviolonsnes'étaienttrouvésquetoutenbas de la liste de mes instruments préférés ; en fait, je ne les appréciais qu'au cinéma, enaccompagnementdemomentsparticuliers.Maisici,c'était toutsimplementd'unebeautéincroyable,aussi bien la mélodie douce-amère... que le garçon qui la sortait de l'instrument. La salle entièreretenaitsonsouffleetGideonjouait,complètementperdudanssamusique,commesipluspersonnenel'entourait.Jem'aperçusseulementquejepleuraisquandlecomteposalesdoigtssurmajouepouryécraserdoucementunelarme.Cequimefitsursauterdefrayeur.Ilmedédiaunsourirechaleureuxdesesyeuxbrunfoncé.-N'aiepashonte,dit-ildoucementJeseraisfortdéçuqu'ilensoitautrement.Ilme surprit tellement que je lui rendis son sourire (Vraiment !Comment pouvais-je faire ça ?!C'étaitletypequim'avaitétranglée!).

-Qu'est-cequ'iljouecommemorceau,là?demandai-je.Lecomtehaussalesépaules.-Jenesaispas.Jesupposequec'estencoreàcomposer.Desapplaudissementsd'enfercrépitèrentdanslasalle,quandGideoneneutterminé.Ils'inclinaensouriantetrefusaunrappel,maisilneputéchapper à une étreinte de la belle ladyLavinia. Elle se pendit à sonbras et il se sentit obligé del'emmeneravecluiversnotrecanapé.-N'était-ilpasmerveilleux?s'écrialadyLavinia.Maisdèsquej'aivusesmains,j'aitoutdesuitesuqu'ellesétaientcapablesdechosesextraordinaires.-Ça,c'estsûr!murmurai-je.J'avaisenviedemelever,neserait-cequepourempêcherladyLaviniademeregarderdehaut,maisjen'yparvinspas.L'alcoolavaitmismesabdominauxhorscombat.-Unmerveilleuxinstrument,ditGideonaucomteenluitendantleviolon.- Un stradivarius. Fabriqué pourmoi par lemaître en personne, répondit rêveusement le comte.J'aimerais te l'offrir, mon garçon. Ce soir est sans doute le meilleur moment pour cette remisesolennelle.Gideonrougitlégèrement.Dejoie,supposai-je.—Je...jenepeuxpas...Ilfixalecomtedroitdanslesyeuxpuisilbaissaleregardetajouta:-C'estuntropgrandhonneurpourmoi,comte.-L'honneurestentièrementpourmoi,réponditgravementlecomte.-MonDieu!murmurai-je.Cesdeux-làsemblentvraiments'apprécier.-Possédez-vouslamêmefibremusicalequevotrefrèreadoptif,missGray?demandaladyLavinia.Non,probablementpas.Maispasmoinsmusicalequetoi,pensai-je.-Jen'aimequechanter,répondis-je.Gideonmelançaunregardd'avertissement.-Chanter!s'écrialadyLavinia.CommemoietnotrechèremissFairfax!-Non,dis-jeavecdétermination.JesuisloindechanteraussihautquemissFairfaxetjenedisposepasnonplusdesacapacitépulmonaire.Celadit,j'aimebienchanter.-Jepensequenousavonseunotrecontentdemusiquepourcesoir,intervintGideon.LadyLaviniapritunairvexé.-Celadit,nous serionsnaturellement ravisquevousvouliezbienencorenous faire l'honneurdechanter,ladyLavinia,s'empressad'ajouterGideonenmefusillantduregard.Maisj'étaistellementrondequejem'enfichaicomplètement.-Tuas...merveilleusementjoué,avouai-je.J'enaipleuré!Vraiment.Ilsourit,commesij'avaisdituneplaisanterie,etfourralestradivariusdanssaboîte.Lord Brompton nous apporta deux verres de punch en soufflant comme un bœuf et il assura àGideonqu'il avait été absolument ravi de sa virtuosité et que ce pauvreAlastair allait, ô combien,regretterd'avoirmanquécetindubitablesommetdelasoirée.—Vous pensez qu'Alastair va encore arriver ce soir ? demanda le comte d'une voix légèrementirritée.

-J'ensuispersuadé,certifialordBromptonenmetendantl'undesverres.Jeprisgoulûmentunegorgée.Mince,cetruc-làétaitvraimentdutonnerre.Rienqu'àlerenifler,onsesentaitdéjàpartie.Prêteàattraperunebrosseàcheveux,àsautersurunlitetàchanterBreakingfree,avecousansZacEfron-Milord,ilfautquevouspersuadiezàtoutprixmissGraydenousproduirequelquechose,ditladyLavinia.Elleaimetantchanter.Uneétrangenuancedanssavoixmefitdresserl'oreille.Jenesaispourquoi,çamerappelaitunpeuCharlotte.Certes,elleavaitunetoutautreallure,maisquelquepartenfouiesouscetterobevertclair,ilyavaituneCharlotte,j'enétaispersuadée.Lasortedepersonnequimettaittoutenœuvrepourvousfaire comprendre, en vous mettant le nez dans votre médiocrité, combien elle était elle-mêmeextraordinaireetunique.Pouah!-Bon,dis-jeententantencoredemesouleverducanapé.Avecsuccès,cettefoisjeréussismêmeàmetenirdebout.-Bon,alorsjevaischanter.-Pardon? réagitGideonen secouant la tête. Iln'estpasquestionqu'ellechante ! Jecrainsque lepunch...-MissGray,vousnous feriezà tousunegrande joiesivousvouliezchanterpournous, intervintlord Brompton, en clignant si violemment des yeux que ses quinze doubles mentons se mirent àtrembler considérablement.Et tantmieux sinousdevonsça aupunch !Avancez-vousavecmoi. Jevaisvousannoncer.Gideonmeretintparlebras.- Ce n'est pas une bonne idée, dit-il. LordBrompton, je vous en prie,ma sœur adoptive ne s'estencorejamaisproduiteenpublic.-Ilyatoujoursunepremièrefoispourtout,réponditlordBromptonenm'entraînantplusloin.Etpuis,noussommesentrenousici.Nesoyezdoncpasrabat-joie!-C'estvraiça,dis-jeenmedébarrassantdelamaindeGideon.Nesoisdoncpasrabat-joie!Aufait,tun'auraispasunebrosseàcheveuxsurtoi?Jechantebienmieuxquandj'enaiuneenmain.Gideonmejetaunregardàlalimitedudésespoir.- Pas question, dit-il en nous suivant vers le clavecin. Derrière nous, j'entendis le léger rire ducomte.-Gwen...grinçaGideonentresesdents.Jet'enprie,arrêtecesconneries!-Pénélope,lecorrigeai-jeavantdeviderd'uncoupmonverredepunchetdeleluitendre.Qu'est-ceque tu enpenses ?Tu crois queOver the rainbowva leur plaire ?Ou alorsHallelujah ! dis-je engloussant.Gideonsoupira.-Non,tunepeuxpasfaireça.Allez,reviensavecmoi,maintenant!-Non,c'esttropmoderne,n'est-cepas?Voyonsvoir...Jerepassaienpenséetoutemaplaylist,tandisque lordBromptonm'annonçaiten termesronflants.MrMerchant, lemaniaquesexuel,se joignitànous.-Cettedamea-t-ellebesoind'unaccompagnementcompétentauclavecin?demanda-t-il.

-Non,cettedameabesoin...detoutautrechose,ditGideonenselaissanttombersurletabouret.S'ilteplaît,Gwen...- Pen, tant qu'à faire ! rectifiai-je. Je sais ce que je vais chanter.Don't cry for me, Argentina. Jeconnaisletexteenentieretlescomédiesmusicalessontenquelquesorteintemporelles,tunetrouvespas?Maispeut-êtrequ'ilsneconnaissentpasl'Argentine...-Tunevastoutdemêmepasteridiculiserdevanttouscesgens,non?C'étaitunelégèretentativepourmefairepeur,maisellerestasanseffet.-Écoute, luiglissai-jeenconfidence.Jemefiche totalementdecesgens.Primo,çafaitdéjàdeuxsiècles qu'ils sont morts, et deuzio, ils sont tous bien chauffés et complètement pétés... sauf toi,naturellement.Envoulantporterlamainàsonfront,Gideonfitrésonnerleclavecinavecsoncoude.- Vous connaissez... euh... connaissez-vous peut-être Memory ? De Cats ? demandai-je à MrMerchant.-Oh...non,jeregrette,merépondit-il.- N'importe, je le chanterai donc a capella, annonçai-je avec confiance en me tournant versl'assistance. La chanson s'appelleMemory et il y est question de... d'un chat en proie à un chagrind'amour.Maisdanslefond,çanousconvientbienaussi,ànousleshumains.Ausenslepluslarge.Gideonavaitredressélatêteetmeregardaitd'unairincrédule.-S'ilteplaît...dit-ilencore.-Onneleraconteraàpersonne,répondis-je.OK?Çaresteranotresecret.- Voilà, annonça lord Brompton. La superbe, extraordinaire et merveilleuse miss Gray vamaintenantchanterpournous!Pourlapremièrefoisenpublic!J'aurais dû stresser à mort quand toutes les conversations se turent et que tous les regards sebraquèrentsurmoi,maisiln'enfutrien.Ah,quecepunchétaitdivin!Ilfallaitabsolumentqu'onm'endonnelarecette.Qu'est-cequejevoulaischanterdéjà?Gideonplaquaquelquesaccordset je reconnus lespremièresmesures.Memory.Ahoui, exact. JegratifiaiGideond'unsourirereconnaissant.Commec'étaitgentilàluidem'accompagne!Jeprisunegrande inspiration. L'attaque était particulièrement importante dans cette chanson. Si on la foirait,autantvalaits'arrêtertoutdesuite.Ilfallaitfairesonner«Midnight»avecuneclartécristalline,maistrèsdiscrètement.JefusheureusederéussiràleplacercommeBarbraStreisand.«Notasoundfromthepavement,basthemoonlosthermemoryfSheissmilingatone.»Tiensdonc,Gideonsavaitmanifestementjoueraussidupiano.Etpasmaldutout,avecça.Oh,monDieu ! Si je ne n'avais pas déjà été aussi terriblement amoureuse de lui, je le serais tombée là, àl'instant.Iln'avaitmêmepasbesoindevoirlestouches,ilneregardaitquemoi.Etilavaitl'airunpeuétonné,commequelqu'unquivientdefaireunedécouvertestupéfiante.«AllaloneinthemoonlightIcansmileattheolddays»,chantai-jepourluiseul.Lasalleavaituneexcellenteacoustiqueetj'avaispresquel'impressiondechanteravecunmicro.Maisc'étaitpeut-êtreaussi que les autres m'écoutaient dans un silence religieux. « Let the memory live again. » Je

m'amusaisencoreplusqu'avecSingstar.C'étaitvraimentfabuleux.Etmêmesitoutcelan'étaitqu'unbeaurêveetqu'àtoutmomentlepèredeCynthiapouvaitentrerdanslachambrepouruneengueulademaison,cetinstantenvalaittoutsimplementlapeine.Encoreunefois,personnenemecroirait.

Chapitre11

Leplusbête,c'estquelachansonétaittropcourte.Jefustentéederajouterunestrophedemoncru,mais ça risquait de gâcher la bonne impression d'ensemble, du coup je laissai tomber. Un peu àregret,jechantaidoncmonpassagepréféré:«Ifyoutouchme,you'llunderstandwhathappinessis.Look,anewdayhasbegun»...etjemedisunefoisdeplusquecettechansonn'avaitpaspuêtreécriteuniquementpourleschats.C'étaitpeut-êtredûaupunch-trèscertainementmême-,maislesinvitésdecettesoiréesemblaientappréciernotreprestationtoutautantquelesariasd'opéraprécédentes.Entoutcas,ilsapplaudirentchaleureusementet,tandisqueladyBromptons'avançait,jemepenchaisurGideonetleremerciaidetoutcœur.-Merci!C'étaitvraimentsympadetapart!Ettujouessimerveilleusement!Ilsepritdenouveaulatêtedanslamain,commes'ilcherchaitàcomprendrecequ'ilavaitfait.Lady Brompton me serra dans ses bras etMrMerchant m'embrassa sur les deux joues avec unenthousiasmedébordant,m'appela«monpetitgosierd'or»etmepriadechanterencore.Jemesentaissibienquejen'auraispasdemandémieux,maisGideonsortitdesastupeur,selevaetmepritparlepoignet.-Jesuissûrqu'AndrewLloydWebberseraitravidesavoirquel'onappréciesamusiqueici,maismasœurdoitsereposermaintenant.Lasemainedernière,elleavaitencoreunemauvaiseangineetlemédecinluiarecommandéd'épargnersavoix...souspeinedelaperdrepeut-êtrepourtoujours.-MonDieu!s'écrialadyBrompton.Pourquoinel'avez-vouspasditplustôt?Lapauvrefille!Jememisàfredonnerjoyeusement«Ifeelpretty»deWestSideStory.- Je... Votre punch est vraiment remarquable, dit Gideon. Je pense qu'il conduit à oublier touteprudence.-Ohoui,c'estsûr,ditladyBrompton,levisagerayonnant.Puis,d'unevoixtamisée,elleajouta:-Vousvenezdedécouvrir le secretdemaqualitéd'hôtesse.Le tout-Londresnousenvienos fêtesanimées,onfaitn'importequoipourêtreinvitécheznous.Maisj'aimisdesannéesàperfectionnerlarecetteetjenepenselarévélerquesurmonlitdemort.- Comme c'est dommage ! dis-je. Mais c'est vrai : votre soirée est bien plus belle que je mel'étaisimaginée.Onm'avaitassuréqueceseraitennuyeuxetguindéetque...- ...sagouvernanteestunpeuvieuxjeu, intervintGideon.Et ilfautdirequelaviesocialedansleDerbyshireestplutôtarriérée.LadyBromptongloussa.-Ohoui!J'ensuispersuadée.Oh,voicienfinlordAlastair!Àlaporte,lordBromptonsaluaitunnouvel arrivant. C'était un homme d'âge moyen (difficile à dire à cause de sa perruque blanchecommeneige), qui portait une redingote couverte à tel point de broderies en fils d'argent et petitsbrillantsqu'ilparaissaitscintillerdeloin.Ceteffetdebrillanceétaitencoresoulignéparl'hommequil'accompagnait.Enveloppédansunecapenoire,cethommeauteintolivâtreavaitdescheveuxnoirscommejaisetsesyeux,semblablesàceuxdeRakoczy,ressemblaientàdeuxénormestrousnoirs.Aubeaumilieudecetteassistancecoloréeetrutilantedebijoux,ilmefitl'effetd'uncorpsétranger.

- Je pensais qu'Alastair ne nous ferait plus l'honneur de sa présence aujourd'hui, poursuivit ladyBrompton.Cequi,entrenous,n'auraitpasétéplustragiquequecela.Saprésencen'estpasvraimentpropiceaubadinageetàl'enjouement.Jevaistâcherdeluifaireprendreunpetitverredepunchetjel'enverraiensuitejouerauxcartesàcôté...-Etnousallonsessayerdelemettredemeilleurehumeuravecquelqueschansons,ditMrMerchantens'installantauclavecin.Meferiez-vousl'honneur,ladyLavinia?Cosifantutte.Gideonposamamainsursonbrasetmeconduisitàl'écart.-Bonsang,maiscombiendeverresas-tubus?-Quelques-uns,avouai-je.Mais ildoityavoirencoreautrechosequede l'alcool là-dedans.Peut-êtredel'absinthe?CommedansMoulinrouge,cefilmsitriste,avecNicoleKidman.Jepoussaiunsoupiravantd'ajouter:-Thegreatestthingyou'lleverlearnisjusttoloveandhelovedinreturn.Jepariequetusaisaussilejouer.-Bien,mettonsleschosesauclair:jedétestelescomédiesmusicales,m'informaGideon.Tupensespouvoirencoretetenirquelquesminutes?LordAlastairvientenfind'arriver,etquandnousl'auronssalué,nouspourronspartir.-Déjà?Oh,c'estdommage,protestai-je.Gideonmeregardad'unaireffaré.-Maparole,tuasperdutoutsensdutemps.Sijepouvais,jetepasseraislatêtesousl'eaufroide.LecomtedeSaint-Germains'avançaversnous.-C'étaitvraimentune...prestationtrèsparticulière,déclara-t-ilenlevantunsourcilversGideon.-Désolé,soupiraGideonenjetantunœilverslesdeuxnouveauxarrivants.Tiens,lordAlastairmesembleunpeuplusgrasqu'autrefois.Lecomterit.- Ne te fais pas de faux espoirs. Mon ennemi tient toujours une forme éclatante. Cet après-midi,Rakoczy l'a vu ferrailler chezGalliano...Aucunde tous ces jeunesdandysn'a eu lamoindrechancecontrelui.Suivez-moi,jesuisimpatientdevoirsonvisage.-Ilestsisympaaujourd'hui,glissai-jeàGideondansledosducomte.Tusais,ladernièrefoisilm'afichuunesacréefrousse,maislà,ilmedonnepresquel'impressiond'êtremongrand-pèreouquelquechosecommeça.Jel'aimebien,finalement.C'étaitsigentilàluidet'offrirceStradivarius.Cetruc-là,çaferaitcertainementmonterlesenchèressureBay.Oups,mais...çatanguetoujoursautantici.Gideonposasonbrasautourdemataille.-Jetejurequejetetueraiquandnousenauronsfiniavectoutçaici,murmura-t-il.-Dis-moi,là,quandjeparle,jebafouilleoupas?-Pasencore,ditGideon.Maisjesuissûrqueçanevapastarder.-Nevousavais-jepasditqu'ilpouvaitarriveràtoutmoment?s'écrialordBromptonenposantunemainsurl'épauledutyperutilantd'oretl'autresurcelleducomte.Jeviensd'entendrequevousvousétiez déjà rencontrés. Lord Alastair, vous ne nous aviez jamais confié que vous connaissiezpersonnellementlecélèbrecomtedeSaint-Germain.-Cen'estpaschosedontj'aicoutumedemevanter,déclaralordAlastairavecarrogance.

Et l'homme en noir au teint d'olive qui se trouvait légèrement en retrait compléta d'une voixrocailleuse:-C'estbienvrai!Sesyeuxnoirsdardéssurlecomte,commepourluitranspercerlevisage,nelaissaientplaneraucundoutesurlaprofondeaversionqu'iléprouvaitpourlui.L'idéemetraversauninstantqu'ilavaitcachéuneépéesoussacape,dansl'intentiondelasortiraumeilleurmoment.Sinonpourquoiportait-iluntelvêtement?D'abord,ilfaisaitassezchaudetpuis,danscetenvironnementfestif,celaavaitquelquechosed'étrangeetd'inconvenant.LordBrompton affichait un visage radieux, comme s'il ne percevait pas cette hostilité. Le comtes'avança.-LordAlastair,quellejoie!Mêmesinotreamitiéremonteàquelquesannées,jenevousaijamaisoublié,déclara-t-il.CommejemetrouvaisderrièreSaint-Germain,jenepouvaispasvoirsonvisage,maisàl'entendre,j'eusl'impressionqu'ilsouriait.Ilparlaitd'unevoixamicaleetsereine.-Jemerappelleencorebiennosconversationssurl'esclavageetlamoraleetcombienj'étaisétonnéquevousfussiezcapabledelesdissocieraussiparfaitement...exactementcommevotrepère.-Lecomten'oubliejamaisrien,s'enflammalordBrompton.Soncerveauestphénoménal!Pendantcesderniersjourspassésensacompagnie,j'aiplusapprisqueduranttoutemavie.Saviez-vous,parexemple,quelecomteestenmesuredefabriquerdespierresprécieuses?-Oui,jelesavais.LeregarddelordAlastairsefitencoreplusfroidetsoncompagnonsuffoqua,commesouslecoupd'unaccèsdefoliemeurtrière.Fascinée,jegardailesyeuxfixéssursacape.-Sijemesouviensbien,lasciencen'estpasnécessairementlepasse-tempsfavoridelordAlastair,remarqualecomte.Oh,pardonnezmonimpolitesse!Ilfitunpasdecôté,nousexposantainsi,Gideonetmoi,auxregards.-Jevoulaispourtantvousprésentercesdeuxcharmantsjeunesgens,poursuivit-il.Àvraidire,c'étaitl'uniqueraisondemaprésenceici.Amonâge,onévitelessoiréesetonsecouchetôt.À lavuedeGideon, le lordouvrit degrandsyeux incrédules.LordBromptonpoussa sabedaineimposanteentreGideonetmoi.-LordAlastair, puis-jevousprésenter le filsdu vicomte deBatten ?Et la pupille du vicomte, laravissantemissGray!Marévérencefutunpeumoinsrespectueusequeneleprescrivaitl'étiquette:d'abord,jecraignaisdeperdrel'équilibre,etpuislelordsemontraitsihautainquej'oubliaitotalementquejenereprésentaisque lapupillenécessiteuseduvicomtedeBatten.Eh, j'étaismoi-mêmelapetite-filled'un lordavecunelongueséried'ancêtresglorieux!Etd'autrepart,lesoriginesn'avaientplusd'importanceànotreépoque...tousleshommesétaientégaux,n'est-cepas?Àuntoutautremoment,lesyeuxdelordAlastairm'auraientglacélessangs,maislepunchétaitunantigeldepremière,sibienquejerépondisàsonregardaveclaplusgrandemajesté.Detoutefaçon,jenel'intéressaispas,c'étaitGideonqu'ilfixaitintensémenttandisquelordBromptonnousinondaitjoyeusementdeparoles.

PersonnenesedonnalapeinedeprésenterlecompagnontoutennoirdelordAlastairetpersonnenesemblaremarquerleregardqu'ilm'envoyapar-dessussonépauleengrognant:-Démonauxyeuxdesaphir!Tuirasbientôtenenfer!Hein?Là,c'étaittoutdemêmeunpeufort!JecherchaidesyeuxGideon,quiaffichaitunsourirelégèrement crispé. Mais il n'intervint que lorsque lord Brompton voulut s'éloigner pour allercherchersafemme...etquelquesverresdepunch.-Jevousenprie,lordBrompton,nevousdonnezpascettepeine.Nousdevonsdetoutefaçonbientôtprendrecongé.Masœurestencoreaffaiblieparsalonguemaladieetellen'estpashabituéeàveilleraussitard!Ilposadenouveausonbrasautourdematailleetcherchadel'autreàmeprendrelebras.-Vousvoyez,elleestencoreunpeuvacillantesursesjambes.Il avait bien raison ! Le sol tanguait vraiment désagréablement sousmes pieds. Jem'appuyai surGideonavecgratitude.-Oh, je reviens tout de suite ! s'écria le lord.Ma femmepourra certainement vous persuader derester.LecomtedeSaint-Germainleregardapartirensouriant.-C'estunhommeenor!Soucieuxd'harmoniecommeilest,ilnesupporteraitpasdenousvoirnousquereller.LordAlastairdévisageaGideonavecunehostilitémanifeste.-Autrefois,celui-cisepromenaitencoreenqualitédemarquisdeWelldone,sijemesouviensbien.Etdoncaujourd'hui...lefilsd'unvicomte!Commevous,votreprotégéseplaîtàjouerlesimposteurs.Commec'estregrettable!-C'estcequel'onappelleunpseudonymediplomatique,répliqualecomte,encoretoutsourire.Maisvous ne comprenez rien à cela.Quoi qu'il en soit, jeme suis laissé dire que vous avez beaucoupappréciélepetitduellorsdevotrerencontre,ilyaonzeans.-J'apprécietoutduel,ditlordAlastair.Ilfitsemblantdenepasentendresoncompagnonmurmurer:«Massacrez les ennemis deDieu avec les épées des anges et des archanges ! » et poursuivit sanssourciller:- Et depuis, j'ai appris quelques nouvelles bottes. En revanche, votre protégé semblen'avoirvieilliquedequelquesjoursdurantcesonzeannées...etcommej'aipum'enpersuadermoi-même,iln'apaseuletempsd'améliorersatechnique.-Vouspersuadervous-même?réponditGideonavecunrireméprisant.Pourcela,ilvouseûtfallupasser là-bas en personne.Mais vous n'avez envoyé que vos hommes et pour euxma technique aparfaitementsuffi.Cequimontreunefoisdeplusqu'ilvautmieuxprendresoi-mêmeleschosesenmain.- Auriez-vous... ? commença lord Alastair en plissant les yeux. Ah... vous voulez parler decet incident de lundi dernier dans Hyde Park. Exact... j'aurais sans doute dû m'en occuperpersonnellement.Detoutefaçon,cen'étaitqu'uneidéespontanée.Maissansl'aidedelamagienoireetd'une...jeunefille,vousauriezeudumalàsurvivre.- Je suis heureux que vous vous en ouvriez aussi franchement, dit le comte. Car depuis que

voshommess'ensontprisàlaviedemesjeunesamisiciprésents,jesuisunpeuirrité...jepensaisêtrelaseulecibledevosagressions.Vouscomprendrezcertainementquejenetoléreraipascegenredechoseunefoisdeplus.-Faitesdonccequevouscroyezbondefaireetjeferaicequejedoisfaire,réponditlordAlastair.Soncompagnonlançaalorsd'unevoixrauqueun«Mort!Mortauxdémons!»sisingulierquejemedemandais'iln'auraitpascachéuneépée lasersoussacape. Ilétaitnettementdérangé. Iln'étaitpluspermisd'ignorersoncomportementbizarre.- Nous n'avons pas été présentés et j'avoue que j'ai aussi quelques problèmes avec les bonnesmanièresactuelles,dis-jeenleregardantdroitdanslesyeux.Maisjetrouvetoutàfaitdéplacéesceshistoiresdemortetdedémons.-Nemeparlepas,démon!râlaDarkVador.Jesuisinvisiblepourtesyeuxdesaphir!Ettesoreillesnepeuventpasm'entendre!-Oui,ceseraitbien,dis-je.D'unseulcoup,j'eusenviederetournerchezmoi.Oudumoinssurlecanapé,dossierinconfortableounon.Autourdemoi,lapiècetanguaitcommeunbateauenpleinemer.Gideon, le comte et lord Alastair semblaient provisoirement déboussolés. Ils en oublièrenttotalementdeselanceràlatêtedeschosescryptéesetmefixèrentd'unairétrange.- Les épées de mes descendants transperceront votre chair, rugit Dark Vador sans s'adresser àpersonne de précis, l'Alliance florentine vengera ce qui a été fait à ma race et exterminera de lasurfacedelaTerrecequin'estpasvouluparDieu.-Tuparlesàqui,là?chuchotaGideon.-Aveccelui-là,dis-jeenm'agrippantunpeuplusàluietendésignantDarkVador.Quelqu'undevraitluidirequesacapeestàch...n'estpasprécisémentduderniercri.Etquejenesuispasundémonetquejeneveuxpasnonplusmefairetranspercerparlesépéesdesesdescendants.Aïe!Gideonmepressaitunpeutropfortlebras.-Quesignifiecettecomédie,comte?demandalordAlastairenrectifiantlapositiond'unclinquantsursonécharpe.Lecomteneluiprêtapasattention.Sousseslourdespaupières,sonregardreposaitsurmoi.-Intéressant,nota-t-ilàvoixbasse.Apparemment,elleparvientàlireaufonddevotreâmenoireettroublée,cherAlastair.-Elleatellementbuquejecrainsqu'ellenedivague,intervintGideonavantdemeglisseràl'oreille:Ferme-la!Lafrayeurmecoupalesouffle,parcequejecomprissoudainquelesautresnepouvaientnivoirnientendreDarkVador pour la bonne raison qu'il était unmaudit esprit ! Si je n'avais pas été aussisoûle, j'en serais arrivée à cette conclusionplusvite.Commentpouvait-on être aussi bête ?Ni seshabitsnisacoiffurenecadraientdanscesiècle,etj'auraisdûréalisertoutdesuitequij'avaisdevantmoi.LordAlastairrejetalatêteenarrièreetdit:- Nous savons tous les deux quelle âme ici est celle du diable, comte. Avec l'aide de Dieu,j'empêcheraiencoreces...créaturesdenaître!- Transpercées par les épées de la sainte Alliance florentine, compléta Dark Vador d'une voix

onctueuse.Lecomterit.-Vousn'avez toujourspas compris les loisdu temps,Alastair.Le seul fait que ceux-là se tiennentdevantvousprouvevotreéchec.Peut-êtrenedevriez-vouspastropcomptersurl'aidedeDieuencetteaffaire.Nipluslongtempssurmapatience,d'ailleurs.Savoixet son regardavaientprisune tellenuanceglacialeque jevis le lord sursauter.Uncourtinstant,ilperdittoutearroganceetlapeurselutsursonvisage.-Enchangeantlesrèglesdujeu,vousavezperduvotrevie,déclaralecomtedecettemêmevoixquim'avaittanteffrayéelorsdenotredernièrerencontre.Ducoup,jefusconvaincuequ'ilétaittoutàfaitcapabledetrancherlagorgeàquelqu'un.-Votremenacenem'impressionnepas,chuchotalordAlastair,levisagedéconfit.Pâlecommeunmort,ilportalamainàsapommed'Adam.-Mais...vousn'allezpasdéjàpartir,meschers?LadyBromptons'avançaitrapidementversnous,lesjupesfroufroutantes,levisagejoyeux.CeluiducomtedeSaint-Germainsedétenditetn'affichaplusquedel'amabilité.- Ah,mais voici notre ravissante hôtesse. Je dois dire que vous faites vraiment honneur à votreréputation,milady.Celafaitlongtempsquejenem'étaispasautantamusé.LordAlastairsefrottalecou.Sesjouesreprirentlentementdescouleurs.- Satanas ! Satanas ! cria Dark Vador, remonté. Nous te fracasserons, nous t'arracherons de nosmainstalanguementeuse...-Mesjeunesamisregrettenttoutautantquemoidedevoirdéjàprendrecongé,poursuivitlecomteensouriant.Maisvousaurezbientôtunenouvelleoccasiondelesrencontrer,aubaldelordetladyPimplebottom.-Unesoiréenevautqueparsesinvités,remarqualadyBrompton.C'estpourquoijemeréjouiraisdepouvoirdenouveauvousaccueillirchezmoi,ainsiquevoscharmantsjeunesamis.Cefutpournoustousungrandplaisir.-Toutleplaisirestpournous,réponditGideonenmelâchantprudemment,commes'iln'étaitpascertainquejepuissetenirseuledebout.Mêmesilasalletanguaitencorecommeunbateau,etsilespenséesdansmatêteétaientenproieàunviolentmaldemer(pourfilerlamétaphore),jeréussisencoreunefoisàmeressaisirlorsdesadieuxetàfairesurtouthonneurauxleçonsdeJames.Maisjen'accordaiaucunregardniàlordAlastairniàl'autre, toujoursoccupéàproférerdesmenacesconfuses. Je fisunepetite révérenceà lordet ladyBrompton,enlesremerciantpourcettebellesoiréeetlaissaisanscillerlordBromptonmeposerunbaisermouillésurlamain.Lecomteeutdroitàuneprofonderévérence,maissansquej'oseleregarderdenouveauenface.-Nousnousreverronshieraprès-midi,medit-il.Je hochai simplement la tête et attendis, les yeux baissés, queGideon revienne àmon côté etmeprenneparlebras.Reconnaissante,jelelaissaim'aideràquitterlesalon.-Bonsang,Gwendolyn...ilnes'agissaitpasd'uneboumcheztescopines!Commentas-tupu?...

Gideonmecollabrutalementmonchâlesur lesépaules.Jesentaisqu'ilavaitenviedemesecouercommeunprunier.-Jesuisdésolée,répétai-jeencore.-LordAlastairn'estaccompagnéqued'unpageetdesoncocher,murmuraRakoczyensurgissantderrièreGideoncommeundiabledesaboîte.Lecheminetl'églisesontsécurisés.Touteslesentréesdel'églisesontsurveillées.-Alors,viens!ditGideonenattrapantmamain.-Jepourraisaussiporterlajeunedame,proposaRakoczy.Ellenemeparaîtpastrèssolidesursesjambes.-Uneidéecharmante,mais...non,ditGideon.Ellevabienréussiràfairecesquelquesmètres,n'est-cepas?Jehochairésolumentlatête.Lapluieavaitredoublé.AprèslesalondesBromptonetsonbrillantéclairage,l'obscuritéducheminjusqu'àl'églisefutencoreplusinquiétantequ'àl'aller.Lesombressemblaientdenouveaus'animeretjesupposaidanschaquecoinunesilhouetteprêteàseruersurnous.«...extermineradelasurfacedelaTerrecequin'estpasvouluparDieu»,croyais-jeentendremurmurer.Gideonn'avaitpas l'air trèsà l'aisenonplus. Ilmarchait siviteque jepeinaisà le suivreet ilnedisaitpasunmot.Malheureusement,l'humiditén'éclaircissaitpasplusmesidéesqu'ellen'empêchaitlesoldetanguer.Desortequejemesentissoulagéequandnousarrivâmesàl'égliseetqueGideonmecollasurunbanc,devantl'autel.Tandisqu'iléchangeaitquelquesmotsavecRakoczy,jefermailesyeuxenmaudissantmadéraison.Certes,cepunchavaiteuaussideseffetssecondairespositifs,mais,à tout prendre, j'auraismieux fait dem'en tenir à notre pacte anti-alcool, àLeslie et àmoi.Aprèscoup,c'estfacileàdire.Comme à notre arrivée, un seul cierge brûlait sur l'autel et la nef était plongée dans l'obscurité.QuandRakoczyseretira(«Touteslesportesetlesfenêtressontsurveilléesparmeshommesjusqu'àvotresautderetour»),jefusprisedepeur.JelevailesyeuxversGideonquis'étaitapprochédemonbanc.-Jenemesenspasplusrassuréeiciquedehors.Pourquoinereste-t-ilpasprèsdenous?-Pardiscrétion,répondit-ilencroisantlesbras.Ilnevoudraitpasm'entendrecrieraprèstoi.Celadit,net'inquiètepas,noussommesseuls.LeshommesdeRakoczyontinspectédanstouslescoins.-Etonvasauterdanscombiendetemps?-Danspaslongtemps.Gwendolyn,№terendscomptequetuasfaitpratiquementlecontrairedecequetudevaisfaire,n'est-cepas?Commetoujours,d'ailleurs.- Ilne fallaitpasnonplusme laisserseule !Jepariequecen'estpasexactementceque tudevaisfaire!-Alorslà,c'estlameilleure!Tuboiscommeuntrou,tuchantesdesairsdecomédiemusicaleet,pourfinir, tunetrouvesriendemieuxquedetecomportercommeunefolledevantlordAlastair!Qu'est-cequec'étaitquecebaratinsurlesépéesetlesdémons?-Cen'est pasmoi qui ai commencé.C'est ce sinistre esp... Jememordis les lèvres.Mieuxvalaitgarderçapourmoi. Ilme trouvaitdéjàassezbizarrecommeça.Gideon interprétade traversmon

silencesoudain.- Oh non ! S'il te plaît, ne vomis pas ! Sinon, va faire ça plus loin ! s'écria-t-il avec un légerdégoût.MonDieu,Gwendolyn,jecomprendsqu'onpuisseavoirenviedesesoûlerdansunesoirée,maispasdanscelle-là!-Jenemesenspasmal. (En toutcas,pasencore.)Et jenebois jamaisdans lesboums...mêmesiCharlottet'aracontélecontraire.-Ellenem'arienracontédutout,corrigeaGideon.Jenepusm'empêcherderire.-Non,c'estsûr.Ellen'apasnonplusprétenduqueLeslieetmoisortionsavectouslesgarçonslaclasseetmêmeavecpratiquementtousceuxdesclassesau-dessus,n'est-cepas?-Pourquoim'aurait-elleditça?Réfléchissons voir... peut-être parce ({A n'est qu'une perfide sorcière rouquine ? J'essayaidemegratter la tête,mais je ne pus passermes doigts dans cette fichuemontagnede boucles.Ducoup,jetiraiuneépingleàcheveuxetm'enserviscommegrattoir.-Jesuisdésolée...vraiment!Onpeutdiretoutcequ'onveutsurCharlotte,maisellen'auraitmêmepasreniflécepunch,c'estsûretcertain.-C'estvrai,approuvaGideonavecunsourire.Entoutcas,cesgensn'auraientpasnonplusentenduAndrewLloydWebberdeuxsièclesavantl'heure,etc'eûtétévraimentdommage.-Exact...Mêmesidemain,jevaiscertainementvouloirrentrersousterre,dis-jeenm'enfouissantlatêtedanslesmains.Enfait,dèsmaintenant,enyréfléchissantbien.-Bonnenouvelle, constataGideon.Çaveut direque l'alcool perddéjàde son effet.Mais j'auraisencoreunequestion:qu'est-cequetuvoulaisfaireavecunebrosseàcheveux?-M'enservircommemicro,murmurai-jeentremesdoigts.Oh,monDieu!Jem'effraiemoi-même.- Mais tu as une jolie voix, reprit Gideon. J'ai trouvé ça très chouette et pourtant je déteste lescomédiesmusicales.-Commentsefait-ilquetum'aiessibienaccompagnéeauclavecinsitulesdétestesautant?Tuétaisincroyable!Aufait,ya-t-ilquelquechosequetunesachespasfaire?Ciel!Jeparlaiscommeunevraiegroupie!-Non!Libreàtoidemeprendrepourundieu!dit-ilensouriant.C'estfranchementdélicieuxdetapart.Viens,çanevapastardermaintenant.Ilfautrejoindrenotrebase.Jemelevaienessayantdemeteniraussidroitequepossible.-Parlà!medirigeaGideon.Allez,neprendspascetaircontrit!Toutbienconsidéré,cettesoiréeaétéuneréussite.Peut-êtreunpeudifférentedecequiavaitétéprévu,maistoutaquandmêmemarchéselonnosplans.Eh,restedebout!Ilmepritparlatailleetm'attiracontrelui.-Tupeuxt'appuyersurmoisituveux.Puisaprèsunmomentdesilence,ilajouta:-Jeregrettedem'êtremontrésidésagréable.-C'estdéjàoublié!dis-je.Cequin'étaitpastoutàfaitvrai.Maisc'étaitlapremièrefoisqueGideons'excusait.Peut-êtreétait-cedûàl'alcoolouàsoneffetquis'amenuisait,maiscelam'émutprofondément.

Nousrestâmesunmomentsansparler,encontemplantlalumièretremblanteducierge.Lesombresentre les piliers semblaient bouger elles aussi, en dessinant des motifs sombres sur le sol et auplafond.-CetAlastair...pourquoidéteste-t-ilautantlecomte?C'estpersonnel?Gideoncommençaàtortillerl'unedesbouclesquimetombaientsurlesépaules.- Si on veut. Ce qui s'appelle pompeusement « l'Alliance florentine » est en réalité une sorted'entreprise familiale séculaire.Lors de ses voyages auXVIe siècle, le comte a eu par erreur unealtercationaveclafamilleduContediMadrone,àFlorence.Disonsquecesderniersn'ontpasdutoutcompris ses facultés. Les voyages dans le temps n'étaient pas compatibles avec les conceptionsreligieuses duConte. Il y a sans doute eu aussi un malentendu avec sa fille. En tout cas, il étaitpersuadéd'avoirundémondevantluiets'estsentiappeléparDieupourexterminercetteengeancedudiable.Savoixsetrouvabrusquementtoutprèsdemonoreilleet,avantdepoursuivre,ilfrôlamoncoudeseslèvres.-ÀlamortduContediMadrone,sonfilsarepriscethéritage,etaprèsluisonfils,etainsidesuite.LordAlastairestledernierd'unesériedefanatiquesetprétentieuxchasseursdedémons,situveux.—Jecomprends,dis-je.C'étaitloind'êtrevrai,maisçacollaitàpeuprèsaveccequej'avaisvuetentenduprécédemment.-Dis-moi,tum'embrasses,là?demandai-je.- Non, du moins, pas vraiment, murmura Gideon, les lèvres juste au-dessus de ma peau. Je nevoudraisenaucuncasprofiterdecequetuessoûleetquetumeprendspourundieu.Maisjedoisavouerqueçam'estunpeudifficile...Jefermailesyeuxetpenchailatêtesursonépaule.Ilm'attiraencoreplusfortcontrelui.-Commejetel'aidéjàdit,tun'espasdugenreàfaciliterleschoses.Tum'amènestoujoursàfairedesbêtisesdansleséglises...- Il y a quelque chose que tu ne sais pas, dis-je, en gardant les yeux fermés. Parfois, je vois... jepeux... bon, des gens qui sont morts depuis longtemps... il m'arrive par moments de les voir etd'entendre ce qu'ils disent. Comme tout à l'heure. Je crois que l'homme que j'ai vu près de lordAlastairpourraitavoirétéceConteitalien.Gideon se tut. Il devait probablement se demander commentme recommander un bon psychiatreavecleplusdetactpossible.Je poussai un soupir. J'aurais dû garder ça pourmoi. Pour couronner le tout, il allait encoremeprendrepourunefolle.-Voilà,çayest,Gwendolyn,dit-ilenmerepoussantlégèrementetenmetournantdemanièreàcequejelevoie.Il faisait trop sombre pour pouvoir interpréter l'expression de son visage, mais je vis qu'il nesouriaitpas.-Ceseraitbienque tupuisses te tenirdebout touteseulependant lesquelquessecondesoùjevaisdisparaître,ajouta-t-il.Prête?Jesecouailatête.

-Pasvraiment.-Maintenant,jetelâche,annonça-t-il.Aumêmeinstant,ilavaitdisparu.Jerestaiseuledansl'égliseavectoutescesombressinistres.Maisquelques secondes plus tard, je perçus la sensation de malaise dans mon ventre et les ombres semirentàtourner.-Lavoici!claironnalavoixdeMrGeorge.Lalumièremefitclignerdesyeux.L'égliseétaittoutéclairéeetilfautdireque,comparésàlalueurdoréedeschandellesdanslesalondeladyBrompton, lesspotshalogènesagressaientméchammentlesyeux.-Toutvabien,ditGideonenmescrutantduregard.Vouspouvezrefermervotremallette,docteurWhite.LedocteurWhitegrommelaquelquechosed'incompréhensible.L'autelétaiteneffetencombrédetoutessortesd'instruments,quel'onseseraitattenduàtrouverdansunesalled'opération.- Dieu du ciel, docteurWhite, sont-ce là des clamps vasculaires ? s'écria Gideon en riant. C'estintéressantdesavoirl'idéequevousvousfaitesd'unesoiréeauXVIIIesiècle.-Jevoulaispareràtouteéventualité,réponditledocteurWhitetoutenrangeantsesinstruments.-Noussommesimpatientsd'entendrevotrerapport,commençaFalkdeVilliers.-D'abord,j'aimeraismedébarrasserdecesfringues,ditGideonendénouantsacravate.-Toutabien...marché?s'inquiétaMrGeorgeenlorgnantnerveusementversmoi.-Oui,réponditGideon.Commesurdesroulettes.LordAlastairestarrivéplustardqueprévu,maisencorejusteàtempspournousvoir.Ilmarquaunepause,mefitunsourireetpoursuivit:-EtGwendolyn s'estdébrouilléecommeunchef.LavéritablepupilleduvicomtedeBattenne seseraitpasmieuxcomportée.Jenepusm'empêcherderougir.-JemeferaiunplaisirderelatercelaàGiordano,ditMrGeorgeavecunenuancedefiertédanslavoix,enmedonnantlebras.Nonpasquejemefusseattenduàautrechose...-Non,biensûrquenon,murmurai-je.Carolinemeréveillaenmechuchotant:-Gwenny,arrêtedechanter!C'estpénibleàlafin!C'estl'heured'alleràl'école!Jemeredressaid'unsursautetlaregardaifixement.-J'aichanté?-Hein?-Tum'asditd'arrêterdechanter.

-Jet'aiditdeteréveiller.-Donc,jen'aipaschanté?-Tudormais,m'informaCarolineensecouantlatête.Dépêche-toi,tuvasencoreêtreenretard.EtMumm'achargéedeterappelerdenepasutilisersongeldouche!Sousladouche,jetentaiderefoulerlepluspossiblelessouvenirsdelaveille.Maissansvraimentdesuccès. De sorte que, le front appuyé contre la porte de la cabine, je perdis quelques minutes àmurmurer:«Toutçan'étaitqu'unrêve.»Mamigrainen'arrangeaitpasnonplusleschoses!Quand j'arrivai enfin dans la salle à manger, le petit déjeuner était par bonheur pratiquementterminé.Suspenduaulustre,Xemeriussebalançait,latêteenbas.-Alors,onafinidecuver,grained'alcoolo?LadyAristam'examinadelatêteauxpieds.-Est-ceintentionnellementquetunet'esmaquilléqu'unseulœil?-Euh...non.Jem'apprêtaisdéjààtournerlestalons,maisMumm'enempêcha:-Prendsd'abordtonpetitdéjeuner.Tescilspeuventattendre.-Lepetitdéjeuneresttoujourslerepasleplusimportantdelajournée,complétatanteGlenda.-Mais non ! protesta tanteMaddy, assise en robe de chambre dans le fauteuilRégence devant lacheminée,lesgenouxrepliéscommeunepetitefille.Onpeutlaissertomberlepetitdéjeuner.Commeça,onéconomiseunebonnequantitédecaloriesquel'onpeutinvestirlesoirdansunpetitverredevin.Oudansdeuxoutrois.-Ondiraitquecepenchantpourlesboissonsalcooliséesestdanslafamille,constataXemerius.-Oui,onlevoitbienàsesrondeurs,chuchotatanteGlenda.-Jesuispeut-êtreunpetitpeuenveloppée,maisjenesuispassourde,Glenda,réagittanteMaddy.- Tu auraismieux fait de rester au lit, remarqua ladyArista. Le petit déjeuner est nettement plusagréablequandtufaislagrassematinée.-Jen'aimalheureusementpaseulechoix!déclaratanteMaddy.-Elleadenouveaueuunevisioncettenuit,m'expliquaCaroline.-Oui,c'estvrai,dittanteMaddy.C'étaiteffrayant.Sitriste.Çam'acomplètementretournée.Ilyavaitlàcemerveilleuxcœurderubistaillé,quiscintillaitausoleil...Ilsetrouvaittoutenhautd'unesaillierocheuse.Jen'étaispassûredevouloirenentendreplus.Mummefitunsourire.-Allez,mangequelquechose,machérie!Aumoins,unpeudefruits.Sinon,tun'asqu'àteboucherlesoreilles.-Etalors,celionestarrivé,soupiratanteMaddy.Avecunpoilsplendidementdoré...-Ouuuhhh!fitXemerius.Etjepariequ'ilavaitdesyeuxvertsscintillants.-Tut'esmisducrayonfeutresurlevisage,dis-jeàNick.-Pssttt!répondit-il.Çadevientpalpitant,là.- Et quand le lion a vu le cœur, il lui a donné un coup de patte et le cœur a chuté dans l'abîme,

beaucoup, beaucoup plus bas, dit tante Maddy en se tenant dramatiquement la poitrine. À sonatterrissage, ilavoléenéclatsetquandj'ai regardédeplusprès, jen'aiplusvuquedesgouttesdesang...Magorgesenoua.Jemesentismal,toutàcoup.-Oups!fitXemerius.-Etalors?demandaCharlotte.-C'esttout,dittanteMaddy.C'étaitdéjàassezterriblecommeça.-Oh,fitNick,déçu.Çacommençaitsibien.TanteMaddylefusilladuregard.—Jen'écrispasdescénario,mongarçon!-Dieumerci!murmuratanteGlenda.Puisellesetournaversmoi,ouvritlaboucheetlarefermaaussitôt.Charlotteintervintàsaplace.-Gideonm'aracontéquetuavaisparfaitementsurmontécettesoirée.Jedoisdirequejem'entrouvetrèssoulagée.Jepensequenousensommestoustrèssoulagés.Jel'ignoraietjetaiunregardréprobateuraulustre.- En fait, je voulais te dire hier soir que cette bêcheuse dînait encore chez Gideon, s'excusaXemerius.Mais...commentdire?Tuétaisunpeu...indisposée.Jepoussaiungrandsoupir.-Moi,jen'ypeuxriensitapetitepierrescintillantel'inviteàresterdîner.Xemeriussedécrochadulustreettraversalatableenvoletantpourallers'installersurlaplacevidedetanteMaddy,oùilpritbiensoind'enroulersaqueuedelézardautourdesespieds.-Jepensequej'auraisfaitlamêmechoseàsaplace,poursuivit-il.D'abordparcequ'elleavaitjouélanounou pour son frère pendant toute la journée, et puis aussi parce qu'elle avait rangé sonappartementetrepasséseschemises.-Quoi?!-Jetel'aidéjàdit,jen'ypeuxrien.Entoutcas,illuienétaitsireconnaissantqu'ilavoulutoutdesuiteluimontrerqu'ilétaitcapabled'improviserunplatdespaghettispourtrois...Mazette,cegarçonétaitvraimentdebonnehumeur!Onauraitpulecroireshooté.Etmaintenant,negardepaslaboucheouvertecommeça,ilssonttousentraindeteregarder.Eneffet,c'étaitbienlecas.-Bon,jevaisallermemaquillerl'autreœil,dis-je.-Ettuferaispeut-êtrebiendetepasserunpeuderouge,ajoutaCharlotte.C'estjusteunconseil.-Jeladéteste,dis-je.Jelahais.Jel'abhorre!-MonDieu!Toutçaparcequ'elleluiarepasséseschemisesmerdiques?ditLeslieensecouantlatête.Maisc'estvraiment...débile!-Tuterendscompte?Ilafaitlacuisinepourelle,gémis-je.Elleapassétoutelajournéechezlui!-Oui,maisc'estbientoiqu'ilatripotéeetbécotéedansl'église,non?mefitremarquerLeslieavecunsoupir.-Ilnel'apasfait.

-Oui,maisilauraitaimélefaire.-IlaaussiembrasséCharlotte!-Maisjusteenau-revoir,surlajoue!mehurlaXemeriusàl'oreille.Jecroisquejevaiséclatersijedoislerépéterencoreunefois.Allez,jemetire.Sinon,ceshistoiresdefillesvontmetuer.Ils'envolaenquelquescoupsd'ailessurletoitdel'écoleets'yinstallaàsonaise.-Jeneveuxplusentendreparlerdeça,ditLeslie.Ilseraitbienplusimportantdeterappelercequetuasentenduhier.Etendisantça,jepenseàtoutcequiestessentiel,tulesaisbien,toutcequiestunequestiondevieoudemort!-Jet'airacontétoutcequejesais,luiassurai-jeenmefrottantlefront.Troiscachetsd'aspirineavaienteuraisondemamigraine,mais jesentaisencoreunpetitquelquechosederrièrelestempes.-Hmm,marmonnaLeslieensepenchant sur sesnotes.Pourquoin'as-tupasdemandéàGideonàquelleoccasionilavaitdéjàrencontrécelordAlastair,ilyaonzeans,etdequelduelilétaitquestion?-Crois-moi,ilyaencorepleindechosesquejeneluiaipasdemandées.Lesliesoupiradenouveau.-Je vais te faire une liste, dit-elle. Tu pourras toujours glisser une question quand tu jugeras lemomentstratégiquementopportunetqueteshormonestelepermettront.Bon,là,ilfautmonter,sinonnousallonsêtreenretard.Jenevoudraissurtoutpasmanquerl'arrivéedeRaphaëlBertelindansnotreclasse.Lepauvregarçon...l'uniformedoitsansdouteluisemblerunevraietenuedeprisonnier.NousfîmesencoreunpetitdétourparlerenfoncementdeJames.Danslacohuematinale,personnenemeverraitluiparler,d'autantplusqueLeslieseplaçademanièreàlaisserpenserquejediscutaisavecelle.Jamesportasonmouchoirparfuméaunezenregardantpartoutautourdelui.-Àcequejevois,vousn'avezpasamenévotrechatmalélevé,cettefois.-Imagine-toi, James, j'étais à une soirée chez ladyBrompton. Et j'ai fait la révérence exactementcommetumel'asappris.- Lady Brompton, tiens, tiens, dit James. Elle n'a pas vraiment la réputation d'être quelqu'un defréquentable.Ilparaîtquel'ambianceestplutôtturbulentedanssessoirées.-Exact.Jecroyaisquec'étaittoutcequ'ilyadeplusnormal.-Dieumerci,non!s'écriaJames,laboucheencul-de-poule.-Bon,quoiqu'ilensoit,jecroisavoirétéinvitéesamediprochain,ouunautrejour,àunbalcheztesparents:lordetladyPimplebottom.-Jen'ycroispas!ditJames.Mamèreattachebeaucoupd'importanceauxrelationsirréprochables.-Ehbien,mercibeaucoup,dis-jeenmedétournantpourpartir.Tun'esvraimentqu'unsnob!-Maisjenevoulaispasvousoffenser,s'écriaJamesdansmondos.Etqu'est-cequ'un«snob»?Raphaëlétaitdéjàappuyécontrelaportequandnousentrâmesdansnotresalledeclasse.Ilavaitl'airsimalheureuxquenousnousarrêtâmesnet.

-Salut, je m'appelle Leslie Hay et voici mon amie Gwendolyn Shepherd, dit Leslie. Nous noussommesrencontrésvendredi,devantlebureaududirlo.Unfaiblesourireéclairasonvisage.-Jesuisheureuxquevousmereconnaissiez,vousaumoins.Jeviensd'avoirderéelsproblèmesavecmonmiroir.-Oui,accordaLeslie.Turessemblesàunstewardsurunbateaudecroisière.Maisons'yhabitue.LesouriredeRaphaëls'élargit.-Tudevras seulementveiller ànepas tremper ta cravatedans lepotage,dis-je.Çam'arrive sansarrêt.Leslieconfirmad'unhochementdetête.-Dureste,labouffeestinfecte,laplupartdutemps.Sinon,c'estpassimalqueça.Jesuissûrequetuvasbientôttesentiricicommecheztoi.-Tun'esencorejamaisalléesurlaCôted'Azur,n'est-cepas?demandaRaphaël,légèrementamer.-Non,ditLeslie.-Çasevoit.Jenemesentiraijamaiscommechezmoidansunpaysoùilpleuttoutelajournée.-NouslesAnglais,nousn'aimonspasqu'onparle toujoursainsidutempsqu'il fait ici,ditLeslie.Ah,voiciMrsCounter!Heureusementpourtoi,elleestunpeufrancophile.Ellevat'appréciersituglissesdetempsentempsquelquesmotsfrançaisdanstesphrases.-Tuesmignonne,ditRaphaël.-Jesais,réponditLeslieenm'entraînantplusloin.Maismoi,jenesuispasfrancophile.-Tul'intéresses,constatai-jeenjetantleslivressurmatable.-Peut-êtrebien,réponditLeslie,maisiln'estmalheureusementpasmongenre.-C'estsûr,dis-jeenriant.-Allez,Gwendolyn,c'estdéjàbiensuffisantquel'unedenousdeuxaitperdularaison.Jeconnaiscegenredetypes.Cesontdesmecsàproblèmes.Etpuis,ilnes'intéresseàmoiqueparcequeCharlotteluiaditquej'étaisunefillefacile.-EtparcequeturessemblesàtonchienBertie,ajoutai-je.-Oui,voilà,c'estpourça,ditLeslieenriant.D'autrepart,ilm'oublieradèsqueCynthiavaseruersurlui.Regarde,elleestalléeexprèschezlecoiffeuretelles'estfaitfairedenouvellesmèches.MaisLesliesetrompait.Raphaëln'avaitvisiblementaucuneenviedediscuteravecCynthia.Pendantlarécréation,alorsquenousétionsassisessouslemarronnieretqueLeslieétudiaitleboutdepapiersurlequelelleavaitnotélecodeducavaliervert,Raphaëlarrivad'unpasnonchalant,s'assitàcôtédenoussansriendemanderets'écria:-Oh,cool!Dugéocaching!-Hein?s'écriaLeslie,légèrementintriguée.Raphaëlluimontraleboutdepapier.-Vousneconnaissezpaslegéocaching?C'estunesortedechasseautrésormoderneavecGPS.Ceschiffres-làressemblenttoutàfaitàdescoordonnéesgéographiques.-Non,cenesontque...vraiment?

-Laisse-moivoir!Raphaëlluipritlepapierdelamain.- Oui. On peut supposer que le zéro devant les lettres est un zéro mis en exposant et signifieainsidegré.Etquelestraitsreprésententlesminutesetlessecondes.Des cris nous parvinrent aux oreilles. Cynthia était en train de convaincre Charlotte de quelquechoseengesticulantdanstouslessens,tandisqueCharlottenousdécochaitdesregardsfurieux.- Oh, mon Dieu ! s'écria Leslie, tout excitée. Alors ça signifierait 51 degrés, 30 minutes, 41.78secondesnordet0degré,08minutes,49.91secondesest?Raphaëlfitouidelatête.-Çadésignedoncunlieu?demandai-je.-Oui,oui,ditRaphaël.Unendroitassezpetitd'environquatremètrescarrés.Et...qu'est-cequ'ilyalà?Unecache?-Sinouslesavions...réponditLeslie.Nousn'avonsaucuneidéed'oùçasetrouve.Raphaëlhaussalesépaules.-C'estfacileàtrouver.-Etcomment?Est-cequ'il fautunGPS?Etcommentça fonctionnece truc-là?Jen'enaipas lamoindreidée,s'énervaLeslie.-Maismoi,oui.Jepourraist'aider,proposaRaphaël.Je jetaidenouveauunregardvers l'escalier.SarahavaitrejointCynthiaetCharlotte,etellesnousfixaienttouteslestroisd'unœilnoir.Leslien'enremarquarien.-OK,maisdèscetaprès-midialors,répondit-elle.Nousn'avonspasdetempsàperdre.-Moinonplus,ditRaphaël.Rendez-vousalorsauparc,à4heures.D'icilà,j'auraibienréussiàmedébarrasserdeCharlotte.-Tutetrompessitucroisyarriverfacilement,dis-jeenluijetantunregardcompatissant.Raphaëlmefitunsourirenarquois.-Jecroisquetumesous-estimes,petitevoyageusedansletemps.

Chapitre12

-J'auraispuremettrelarobedelasemainedernière,remarquai-jequandMmeRossinimepassaunvéritable rêvedecouleur rosepâle, entièrementbrodéde fleurscrèmeetbordeaux.Vous savez, lableueàfleurs!Elleestencoredansmonarmoire.Vousauriezdûm'enparler.-Chut,monpetitcoudecygne!ditM™*Rossini,occupéeàmeboutonnerdansledos.Pourquoicrois-tuqu'onmepaie?Pourquetumettesdeuxfoislamêmerobe?Cequim'ennuie,c'estquetuaiesdéfait ta coiffure !Au tempsdu rococo,une telleœuvred'artdevait tenirplusieurs jours.Lesdamesdormaientexprèsenpositionassise.-Oui,maisjepouvaisdifficilementmepointercommeçaaulycée,dis-je.Jen'auraisprobablementmêmepas réussi à passer la porte du bus avec cet échafaudage sur la tête... Est-ce queGideon esthabilléparGiordano?

MmeRossinifitclaquersalangue.-Pfff!Cegarçonprétendnepasavoirbesoind'aide!Cequisignifiequ'ilvadenouveauporterdescouleurs sinistres et nouer abominablement sa cravate.Mais j'ai renoncé. Bon, qu'est-ce que nousallonsfairedetescheveux,aujourd'hui?Jevaisvitechercherleferàfriseretpuisnousn'auronsqu'àtresserunrubandanstesboucles.Voilà.

Tandis queMmeRossini arrangeaitmes cheveux, je reçus unSMSdeLeslie : J'attends encore 2minutes;silepetitFrenchn'estpasarrivéd'icilà,ilpourradireadieuàsamignonne.Je répondis :Eh !Ça fait seulementunquart d'heurede retard surnotre rendez-vous !Laisse-luiencoreaumoins10minutes.

Jen'euspasleloisirdelirelaréponse,carMmeRossinimepritleportablepourfairedesphotossouvenirsdésormaisobligatoires.Lerosem'allaitmieuxque jene lepensais (dans lavraievie,cen'étaitpasdutoutmacouleur...),maisàvoirmacoiffure,oneûtditquej'avaispassélanuitaveclesdoigtsdansuneprise.Là-dedans,lerubanvertressemblaitàunetentativedésespéréededompterlescheveuxexploses.QuandGideonpassamechercher,ilgloussacarrémentenmevoyant.

-Arrête!Onpourraittoutautantriredetoi!lerabrouaMmeRossini.Ah!Maisquellealluretuasencorelà!Mon Dieu, oui ! Quelle allure il avait ! Ça devrait être interdit d'avoir si belle allure... dans unknickerbockerdébileetuneredingotebrodéevertbouteillequifaisaitressortirsesyeux.-Tun'asaucuneidéedelamode,mongarçon!Sinon,tuteseraisépinglélabrocheenémeraudeassortieàcettetenue.Etcetteépéeneconvientpas...Tuescenséêtreungentleman,pasunsoldat!-Vousavezcertainement raisonsurcepoint,ditGideon, toujoursgloussant.Maisaumoins,mescheveuxneressemblentpasàcestamponsenmaillesdeferquimeserventàrécurerlescasseroles.Jeprismonairleplusdédaigneuxpossible.-Quiteserventàrécurerlescasseroles?TuneconfondraispasavecCharlotte,là?-Quoi?

-C'estbienellequifaitleménagepourtoi,cesdernierstemps,non?Gideonparutunpeugêné.-C'est...cen'estpas...toutàfaitvrai,marmonna-t-il.-Ah,àtaplacejemesentiraisaussigênéauxentournures,répliquai-je.Donnez-moilechapeau,s'ilvousplaît,madameRossini.Lechapeau,unénormeédificeàplumesrosepâle,étaitentoutcasmoinspirequemacoiffure.C'estdumoinscequejepensais.Unregarddanslemiroirmedémontraquec'étaituneerreurregrettable.Gideonseremitàglousser.-Onpeutyaller?bougonnai-je.-Faisbienattentionàmonpetitcoudecygne,tum'entends?-Commetoujours,madameRossini,réponditGideon.-Tuparles!dis-je,unefoisdanslecouloir.Jedésignailefoulardnoirdanssamain.-Pasdebandeausurlesyeux?-Non...onvas'épargnerça.Pourlesraisonsquel'onsait,réponditGideon.Etàcauseduchapeau.—Tucroistoujoursquejepourraist'attirerdansuncoinettecolleruneplanchesurlenez?dis-jeenremettantmonchapeauenplace.Dureste,j'yaiencoreréfléchi.Etj'ensuisarrivéeàlaconclusionqu'ilyauneexplicationtoutesimpleàtoutça.-Quiserait?demandaGideonenlevantlessourcils.-Quetutel'esimaginéaprèscoup.Quandtut'esretrouvéparterresansconnaissance,tuasrêvédemoietensuitetum'astoutcollésurledos!-Oui,j'aidéjàenvisagécettepossibilité,concéda-t-ilàmagrandesurprise.Puisilmepritparlamainetm'entraînaplusloin.-Mais...non!reprit-il.Jesaiscequej'aivu.-Etpourquoin'as-turacontéàpersonnequej'étais-soi-disant-cellequit'aattirédansunpiège?- Jenevoulaispasqu'ilspensentencoreplusdemalde toiquecen'estdéjà lecas,dit-il avecunsourireencoin.Et...tuasmalaucrâne,là?-Jen'aitoutdemêmepasbuàcepoint-là...protestai-je.Gideonrit.-Non,c'estsûr.Danslefond,tuétaissobrecommetout.Jemelibéraidesamain.-Onpourraitpeut-êtreparlerd'autrechose?-Ah,allez ! Jepeuxbien t'asticoterunpeu.Tuétais sicharmantehier soir.MrGeorge tecroyaitvraimentmortedefatiguequandtut'esendormiedanslalimousine.-Toutauplusdeuxminutes,dis-je,embarrassée.J'avaisprobablementdûbaveroufairequelquechosedanslegenre.-J'espèrequetuesalléetecouchertoutdesuite.-Hmm,fis-je.JemerappelaisencoretrèsvaguementqueMumm'avaitretirélesquatrecentmilleépinglesdemescheveuxetquejedormaisavantquematêteaitatteintl'oreiller.Maisjenevouluspasleluidirealors

quelui,ils'étaitencoreamuséavecCharlotte,Raphaëletlesspaghettis.Gideons'arrêtasibrusquementquejemeheurtaiàluietenoubliaiaussitôtderespirer.Ilsetournaversmoi.-Ecoute...commença-t-il.Jen'aipasvoulut'enparlerhier,parcequejetepensaistropsoûle,maismaintenantquetuascuvéetquetuesredevenueaussigrincheusequ'avant...Sesdoigtsmecaressèrentprudemmentlefrontetjefustoutprèsd'hyperventiler.Ils'arrêtadeparleret...m'embrassa. J'avais déjà fermé les yeux avant que ses lèvres ne frôlentma bouche. Ce baiserm'enivrabienplusquelepunchdelaveille,ilmeramollitlesgenouxetfits'envolerunmillierdepapillonsdansmonventre.QuandGideonme lâchadenouveau, il semblait avoiroublié cequ'il voulaitmedire. Il s'appuyad'unbrassurlemur,prèsdematête,etmeregardad'unairgrave.-Çanepeutpascontinuercommeça,dit-il.Jetentaidecontrôlermarespiration.-Gwen...Derrière nous, des pas retentirent dans le couloir. Gideon s'empressa de retirer son bras et seretourna.Unesecondeplustard,MrGeorgesetenaitdevantnous.-Ah,vousvoilà!Çafaitdéjàunbonmomentquenousvousattendons.PourquoiGwendolynn'a-t-ellepaslesyeuxbandés?-J'aicomplètementoublié.Faites-ledonc,s'ilvousplaît, l'invitaGideonen lui tendant le foulard.Je...euh...jepassedevant.MrGeorgeleregardapartiravecunsoupir.Puisillevalesyeuxversmoietsoupiraencore.- Jecroyais t'avoiravertie,Gwendolyn,déclara-t-ilenmebandant lesyeux. Il faudrait temontrerprudentedanslagestiondetessentiments!-Oui, dis-je enportant lesmains surmes joues brûlantes.Alors, vous ne devriez pasme laisseraussilongtempsaveclui...C'étaitencoreunexemple typiquede la logiquedesVeilleurs.S'ilsavaientvouluempêcherque jetombeamoureusedeGideon,ilsauraientdûletransformerenimbécilesansattrait.Avecunefrangeàlacon,desonglescrasseuxetuncheveusurlalangue.Etlaissertomberaussicettehistoiredeviolon.MrGeorgemeconduisitdansl'obscurité.- Mes seize ans sont peut-être un peu loin maintenant, dit-il. Je sais seulement combien on estimpressionnableàcetâge.-MrGeorge...avez-vousracontéàquelqu'unquejepeuxvoirdesesprits?-Non,répondit-il.Jeveuxdire... j'aibienessayé,maispersonnen'avoulum'entendre.Tusais, lesVeilleurs sont des scientifiques et des mystiques, mais ils ne sont pas très intéressés par laparapsychologie.Attentionàlamarche!-Leslie...c'estmonamie,maisvouslesavezsansdoutedepuislongtemps...Leslie,donc,pensequecette...capacitéseraitlamagieducorbeau.MrGeorgegardalesilenceunmoment.-Oui,c'estaussimonavis,dit-ilensuite.-Etenquoilamagieducorbeaupeut-ellem'aiderexactement?

-Machère enfant, j'aimeraispouvoir te répondre. J'espéraisque tupuissesplus t'appuyer sur tonbonsens,mais...-...maisjel'aidéfinitivementperdu,c'estça?dis-jeenriant.Vousavezprobablementraison.Gideon nous attendait près du chronographe avec Falk de Villiers, qui me complimenta plutôtdistraitementpourmarobetandisqu'ilactionnaitlesengrenagesduchronographe.-Bon,Gwendolyn,aujourd'huituvasavoiruneconversationaveclecomtedeSaint-Germain.C'estl'après-midi,laveilledelasoirée.-Jesais,répliquai-jeenlorgnantversGideon.-Cen'estpasunemissionparticulièrementdifficile,m'expliquaFalk.Gideonteferamonterdanssesappartementsetreviendratechercher.Cequivoulaitsansdoutedirequejeresteraisseuleaveclecomte.Jemesentisaussitôtterriblementoppressée.-N'aie paspeur.Vousvous êtes si bien entendushier soir.Tune t'en souviensplus ?me rassuraGideon,toutsourire,enposantsondoigtdanslechronographe.Prête?-Prête, si tuesprêt,dis-jeàvoixbasse, tandisque lapièces'emplitd'une lumièreblancheetqueGideondisparutàmesyeux.Jem'avançaid'unpasettendislamainàFalk.-Lemotdepassedujour,c'est:«Quidnescitdissimularenescitregnare»,m'informaFalktoutenappuyantmondoigtsurl'aiguille.Le rubis s'éclaira et tout se transforma en un vertigineux tourbillon rouge. À mon atterrissage,j'avaisdéjàoubliélemotdepasse.-Toutvabien,m'assuralavoixdeGideonjusteàcôtédemoi.-Pourquoifait-ilsisombreici?Lecomtenousattend,pourtant.Ilauraitpuavoirlagentillessedenousallumerunebougie.-Oui,maisilnesaitpasexactementoùnousallonsatterrir,m'expliquaGideon.-Pourquoiça?Jenepouvaispaslevoir,maisilmesemblaqu'ilhaussaitlesépaules.-Ilnel'aencorejamaisdemandéetj'ailavagueimpressionqu'iln'aimeraitpasnousvoirprendreson laboratoire d'alchimie pour une piste de décollage et d'atterrissage. Fais attention, c'est pleind'objetsfragilesici...Nous tâtonnâmes jusqu'à la porte. Dans le couloir, Gideon alluma une torche et la sortit de sonsupport.Ellejetad'inquiétantesombrestremblantessurlemuretjemerapprochaiinconsciemmentdeGideon.-Commentc'étaitdéjà,cemauditmotdepasse?Justeaucasoùtuteprendraisquelquechosesurlecrâne...-Quidnescitdissimularenescitregnare.-Etaprèsledîner,tudoistereposeroutuaurasencoredestasdechosesàfaire?Ilritetremitlatorchedanssonsupport.

-Qu'est-cequetufais,là?—Jevoulaisjustevite...Bon,àproposdetoutàl'heure...MrGeorgenousainterrompusaumomentoùjem'apprêtaisàtedirequelquechosedetrèsimportant.-C'estàcausedecequejet'airacontéhierdansl'église?Bon,jecomprendsbienquetupuissesmeprendrepourunefolle,maisunpsychiatrenepourrarienyfaire.Gideonplissalefront.-Tunevoudraispasfermerlaboucheuneminute,non?Là, ilfautquejeprennemoncourageàdeuxmains pour te faire une déclaration d'amour. Et je n'ai absolument aucune expérience en cedomaine.-Pardon?-Jesuisamoureux,Gwendolyn,dit-ilgravement.Jesentismonestomacsenouer,commesousl'effetdelapeur.Maisenréalité,ilseserraitdejoie.-Vraiment?-Oui,vraiment!Àlalueurdelatorche,jevisGideonsourire.—Jesais,reprit-il,çafaitàpeineunesemainequenousnousconnaissonsetaudébut,jetetrouvaistrès... puérile et probablement que jeme suis comporté envers toi comme un sagouin.Mais tu esterriblement compliquée, on ne sait jamais ce que tu vas faire dans la seconde qui suit, et pourcertaineschosestupeuxêtreparfoispresqueeffroyablement...euh...naïve.Parfoisj'auraisvraimentenviedetesecouer.-OK,onvoitbienquetumanquesd'expérienceenmatièrededéclarationd'amour,constatai-je.-Maisensuite, tudeviens si fineet si futéeet si indescriptiblementdélicieuse,poursuivitGideon,commes'iln'avaitpasentendu.Etleplusgrave,c'estqu'ilsuffitquetusoisdanslamêmepiècequemoipourquej'aieenviedetetoucheretdet'embrasser...-Oui,c'estvraimentgrave,chuchotai-je.MoncœurfitunbondquandGideonretirademescheveuxl'épingleàchapeau,expédiaauloincemonstre emplumé, m'attira à lui et m'embrassa. Approximativement trois minutes après, je meretrouvaiadosséecontrelemur,àboutdesouffleetlesjambesencoton.-Gwendolyn,eh,respiredoncungrandcoup!ditGideon,amusé.Jeluidonnaiunetapesurlapoitrine.-Arrête!Incroyable,cequetupeuxêtreprétentieux!-Désolé.C'estjusteun...sentimenttellementenivrantdesavoirquetuoubliesderespireràcausedemoi,dit-ilenreprenantlatorcheenmain.Allez,viensmaintenant!Lecomtenousattend.Aumomentdem'engagerdanslecouloirsuivant,jemerappelailechapeau,maisjen'avaisaucuneenviederetournerlechercher.-C'estdrôle,remarquaGideon,jesuisentraindepenserquejevaisdenouveauprendreplaisiràcesennuyeuxsoirsd'élapsageen1953.RienquetoietmoietcousineCanapé...Nospasrésonnèrentdanslelongcouloiretjedescendispeuàpeudemonpetitnuagerosepourmerappeleroùnousétions.Etaussiàquelleépoque.

-Sijeprenaislatorche,tupourraisdéjàdégainertonépée,proposai-je.Parmesuredeprécaution.On ne sait jamais.En quelle année as-tu reçu ce coup sur la tête ? (C'était l'une des questions queLeslie m'avait notées sur un bout de papier et que je devais poser chaque fois que mon tauxd'hormonesm'yautorisait.)-Maisj'ypensetoutàcoup:jet'aifaitunedéclarationd'amour,maispastoi,remarquaGideon.-Jenel'aipasfait?-Entoutcas,pasavecdesmots.Etjenesuispassûrqueçacomptesinon.Pschtt!J'avais poussé un petit cri en voyant juste devant nous un gros rat brun traverser le couloir, touttranquillement, comme si nous ne lui faisions nullement peur. A la lueur de la torche, ses yeuxluisaientderouge.-Aufait,onestvaccinéscontrelapeste,là?demandai-jeàGideonenmecramponnantencoreplusfortàsamain.La pièce du premier étage où le comte de Saint-Germain avait installé son bureau était petite etcarrément modeste pour le grand-maître de la Loge des Veilleurs, même s'il ne séjournait querarement àLondres.Unebibliothèquepleinede livres reliés en cuiroccupait toutunmur jusqu'auplafond, avec devant un bureau et deux fauteuils recouverts dumême tissu que celui des rideaux.C'étaientlesseulsmeubles.Lesoleildeseptembrebrillaitau-dehorsetiln'yavaitpasdefeudanslacheminée, il faisaitdéjàsuffisammentchaud.La fenêtredonnait sur lamêmepetitecourà fontainequecelledenotreépoque.Labanquettedefenêtreetlebureaucroulaientsouslespapiers,lesplumesàécrireetlesbougiesàsceau.Leslivres,quis'empilaientdefaçonplutôtpérilleuse,nemanqueraientpas,englissant,derenverserlesencriersquisetrouvaientlà,confiants,parmitoutcefouillis.C'étaitun endroit confortable, il n'y avait personne et pourtant, dèsmon entrée, je sentis les poils demanuquesehérisser.Unsecrétairebougoncoifféd'uneperruqueblancheàlaMozartm'avaitconduiteicietavaitaussitôtrefermélaportederrièremoienmedisant:«Lecomtenevacertainementpastarder.»Jenem'étaisséparée de Gideon qu'à contrecœur, mais après m'avoir confiée à ce garde grincheux, il m'avaitquittéede lameilleurehumeuretavaitdisparupar laportesuivante,commeunparfaithabituédeslieux.J'allai à la fenêtre et contemplai le calme de la cour. Tout avait l'air paisible,mais je conservaisl'impressiondésagréabledenepasêtreseule.Peut-êtrequelqu'unm'observait-ilparlemur,derrièreleslivres?Oulemiroirau-dessusdelacheminéepouvaitêtreuneglacesanstain,commedanslessallesd'interrogatoiredelapolice.Je demeurai là un moment, mal à l'aise, quand je réalisai que cet observateur inquiétant nemanqueraitpasderemarquerquejemesentaisobservée,si jecontinuaisàresterfigéecommeunestatuedepierre.Je pris donc un livre au sommet d'une pile, sur la banquette de fenêtre, et l'ouvris.Marcellus, demedicamentis.Tiens, tiens.Marcellus - qui c'était donc, celui-là ? - avait apparemment découvertquelquesméthodesmédicalesinhabituelles,résuméesdanscetopuscule.Jetombaisurunjolipassageconcernantlesmaladiesdufoie.Ilsuffisaitd'attraperunlézardvert,deluiretirerlefoie,delenouerà un bout de tissu rouge ou à un chiffon naturellement noir (naturellement noir ? hmm ?) etd'accrochercechiffonouceboutdetissuaucôtédroitdumalade.Sionlibéraitensuitelelézardenluidisant:«Eccedimittotevitam...»etd'autreschosesencore,dumêmelatin,leproblèmeétaitalors

réglé.Restaitàsavoircommentlelézardpouvaits'enfuiraprèsqu'onluieutretirélefoie.Jerefermailelivre.Àl'évidence,ceMarcellusdéraillaitcomplètement.L'ouvragequisetrouvaittoutenhautdelapilevoisineavaitunereliuredecuirbrunfoncéet ilétaitsigrosetsi lourdquejelelaissaisurplacepourlefeuilleter.Desdémonsdetoutessortesetcommentlemagicienet l'hommeducommunpeuventyremédiersetrouvaitécritlàenlettresd'or.Mêmesijen'étaisniunmagicienni«unhommeducommun»,jel'ouvrisparcuriositéquelquepartaumilieu.Jemetrouvaialorsfaceauregardd'unaffreux chien dessiné et je lus qu'il s'agissait de Jestan, un démon de l'Hindou-Kouch porteur demaladies, de guerre et de mort. Je le trouvai d'emblée antipathique et continuai à feuilleter. Uneétrange face grimaçante avec des excroissances cornues sur le crâne (semblables à celles desKlingons dans les films de Star Trek) me fixa dès la première page tournée et quand, encoredégoûtée, je le regardaidenouveau, leKlingonbaissa lespaupièresets'élevadupapiercommelafumée sortant d'une cheminée pour s'épaissir ensuite en une forme vêtue de rouge, qui se plantadevantmoietdardasurmoisesyeuxardents.-QuioseappelerlegrandetpuissantBerith?s'écria-t-il. Évidemment, jeme sentis plutôtmal à l'aise,mais l'expériencem'avait appris que si les espritspeuventbienparaîtredangereuxetproférerdeméchantesmenaces,ilssontgénéralementincapablesderemuerneserait-cequ'unsouffled'air.Etducoup,j'espéraigrandementqueceBerithnefûtriend'autre qu'un esprit, une image figée entre les pages d'un livre, du vrai démon qui avait depuislongtempspassél'armeàgauche.-Personnenet'aappelé,mecontentai-jedoncdedirepolimentmaisavecleplusgrandcalme.- Berith, démon des mensonges, grand-duc de l'Enfer ! se présenta-t-il d'une voix résonnante.Autrementnommé«Bolfri».- Oui, c'est écrit ici, dis-je en jetant de nouveau un œil sur le livre. De plus, je lis aussi que tuamélioreslavoixdeschanteurs.Un don plaisant. Toutefois, après son invocation (qui paraissait extrêmement compliquée, étantdonné qu'elle était rédigée en langue babylonienne), il fallait lui offrir diverses victimes... depréférencedesmonstresencoreenvie.Cequinereprésentaitrienparrapportàcequ'ilfallaitfairepourqu'iltransformelesmétauxenor.Carilenétaitcapableaussi.LesSichémites-c'étaitquidonc,cesgens-là?-avaientadoréBerithpourcela.MaisJacobetsesfilss'étaientpointésetavaientpasséaufildel'épéetousleshommesdeSichem«dansdessouffrancesabominables».Bien.-Berithcommandeàvingt-sixlégions!tonnaBerith.Commeilnem'avaitencorerienfaitdemal,jem'enhardisunpeuplus.-Jetrouveétrangeslesgensquiparlentd'euxàla troisièmepersonne,remarquai-jeentournant lapage.Commejel'avaisespéré,Berithdisparutdenouveaudanslelivre,commedelafuméesedissipantauvent.Jerespiraidesoulagement.- Lecture intéressante, murmura quelqu'un derrière moi. Je fis volte-face. Le comte de Saint-Germain s'était discrètement introduit dans la pièce. Il s'appuyait sur une canne au pommeaurichement sculpté ; sa silhouette était impressionnante comme toujours, et ses yeux sombres bienéveillés.-Oui,trèsintéressante,marmonnai-jeenmarquantunelégèrehésitation.Mais ensuite, je me repris, fermai le livre et fis une profonde révérence. Quand j'émergeai denouveaudemesjupes,lecomtesouriait.

- Je me réjouis de te voir, dit-il en me prenant la main et en la portant à ses lèvres dans uneffleurement presque imperceptible. Ilm'apparaît nécessaire de faire plus ample connaissance, carnotrepremièrerencontrefutquelquepeu...malheureuse,n'est-cepas?Je ne répondis rien. Lors de cette première rencontre, j'avais passé l'essentiel de mon temps àchanterl'hymnenationalenpensée,lecomtes'étaitpermisquelquesremarquesdésobligeantessurlemanque d'intelligence des femmes en général et chez moi en particulier, et pour finir il m'avaitétrangléeetmenacéede façoncarrémentanticonventionnelle. Ilavait raison :cette rencontres'étaitdérouléedefaçonplutôtmalheureuse.-Commetamainestfroide,remarqua-t-il.Viensdonct'asseoir.Jesuisunvieilhommeetjenepeuxpasresterdeboutsilongtemps.Il rit, lâchamamainet s'installaà sonbureau.Avec tousces livresenarrière-plan, il ressemblaitvraimentàsonportrait :unvieilhommesansâgeaux traitsnobles,auxyeuxvifsetà laperruqueblanche,nimbéd'uneaura irrésistibledemystère etdedanger.Bongré,malgré, jeprisplace surl'autrefauteuil.-T'intéresses-tuàlamagie?demanda-t-ilenmemontrantlapiledelivres.Jesecouailatête.-Pasjusqu'àlundidernier,àvraidire.-C'estunpeufou,n'est-cepas?Pendanttoutescesannées,tamèret'alaisséecroirequetuétaisunefilletoutàfaitnormale.Etd'unseulcoup,tevoilàobligéedeconstaterquetuesunélémentessentieldel'undesplusgrandssecretsdel'humanité.Est-cequetuarrivesàcomprendrepourquoielleafaitça?-Parcequ'ellem'aime.J'avaisvoululedirecommeunequestion,maiscefutunefrancheaffirmation.Lecomterit.-Oui,voilàbienlafaçondepenserdesfemmes!Amour!Votresexeuseetabusevraimentdecemot.L'amourpourseuleréponse...Jesuistoujoursémud'entendreça.Oujem'enamuse,c'estselon.Cequelesfemmesn'arriverontjamaisàcomprendre,c'estqueleshommessefontunetoutautreidéedel'amour.Jemetus.Lecomtepenchalatêtelégèrementdecôté.-Sans saconception ferventede l'amour, la femmeauraitbeaucoupplusdemalà se soumettreàl'homme,àtouspointsdevue.Jem'efforçaideprendreunvisagedesplusneutres.-Ànotreépoque,leschosesont...(Dieumerci!)changé.Cheznous,leshommesetlesfemmessontégauxendroits.Personnenedoitsesoumettreàl'autre.Lecomteritdenouveau,cettefoisunpeupluslonguement,commesijevenaisdefaireunebonneplaisanterie.-Oui,finit-ilpardire,jemelesuislaissédire.Maiscrois-moi:quelsquesoientlesdroitsquel'onpuisseaccorderàlafemme...çanechangerarienàlanaturedeshommes.Oui,que répondreàcela?Riendu tout,pour lemieux.Comme lecomtevenaitde l'affirmer,onpouvaitdifficilementchangerquelquechoseàlanaturedeshommes,cequidevaitaussisansdoute

s'appliqueràlui.Lecomtemeregardaencorequelquesinstantsd'unairamusé,puisildéclarabrusquement:-Entoutcas,sil'onencroitlesprophéties,tudevraist'yconnaître...enmagie.Douéedelamagieducorbeau...quedouzeontformé.-Oui,j'aidéjàentenduçaplusieursfois,répliquai-je.Maispersonnen'apum'expliquercequ'estlamagieducorbeau.—Lecorbeausursesailesrougerubisentendentrelesmondeschanterlesmorts,àpeineconnaît-illaforce,àpeineconnaît-illeprix,quelepouvoirs'élèveetleCercleseferme...Jehaussailesépaules.Commentcomprendreuntelcharabia?-Cen'estqu'uneprophétied'originedouteuse,concédalecomte.Ellepeutsetromper.Ils'adossaàsonfauteuil,mecontempladenouveauunlongmomentensilence,puisilmedemanda:-Parle-moidoncunpeudetesparentsetdecheztoi.-Demesparents?fis-je,légèrementsurprise.Enfait,jen'aipasgrand-choseàendire.Monpèreestmortquandj'avaisseptans,ilavaituneleucémie.Avantdetombermalade,ilenseignaitàl'universitédeDurham.C'estlàquenousavonsvécu,jusqu'àsondécès.Après,mamèreestpartieàLondresavecmonpetit frère,mapetitesœuretmoi,pourhabiterdans lamaisondemesgrands-parents.Nousyvivons toujours avec ma grand-mère, ma tante, ma cousine et ma grand-tante Maddy. Mum estemployéed'administrationdansunhôpital.-Etelleadescheveuxroux,commetoutes les fillesMontrose,non?Toutcommetonfrèreet tasœur,n'est-cepas?-Oui,àpartmoi,ilssonttousroux,répondis-jeenmedemandantcequ'ilpouvaittrouverlàdesiintéressant.Monpèreavaitdescheveuxbruns.-Dans leCercledesDouze, toutes les femmesont les cheveux roux, tu le savais ? Iln'yapas silongtemps encore, cette teinte de cheveux suffisait dans nombre de pays pour se retrouver brûléecommesorcière.De tout tempsetdans toutes lescultures, leshommesont étéà la fois fascinéseteffrayésparlamagie.C'estd'ailleurspourquoijem'ysuistellementintéressé.Onneredoutepluscequel'onconnaît.Ilsepenchaenavantetcroisalesdoigts.- Personnellement, je me suis passionnément intéressé à la façon dont les cultures extrême-orientales abordent ce sujet. Au cours de mes voyages en Inde et en Chine, j'ai eu la chance derencontrer beaucoup de professeurs, prêts à partager leur savoir. On m'a initié aux secrets de lachronique de l'Akasha et j'ai appris beaucoup de choses propres à faire voler en éclats lareprésentationmentaledelaplupartdesculturesoccidentales.Etquipousseraientencoredenosjoursces messieurs de l'Inquisition à des actions irréfléchies. L'Église craint pardessus tout quiconquedécouvre queDieu ne décide pas de notre destin depuis son ciel lointain,mais qu'il se trouve enchacundenous.Ilmedévisageauninstant,puisrepritdansunsourire:- C'est toujours revivifiant de discuter de sujets blasphématoires avec vous, les enfantsduXXIesiècle.Vousnecillezmêmepasenentendantparlerd'hérésie.

Non.Maisonleferaitpeut-êtresionsavaitdéjàexactementcequ'est«l'hérésie».- Les maîtres asiatiques nous précèdent de beaucoup sur le sentier du développement spirituel,poursuivitlecomte.C'estlà-basquej'aiacquisaussiquelquespetites...capacités...commecelledontj'aipu te faire ladémonstration lorsdenotrepremière rencontre.Mongourouétaitunmoined'unordre secret, dans les profondeurs de l'Himalaya. Là-bas, lui et ses frères d'ordre se comprennentsansutiliser leurscordesvocales,et ilspeuventvaincreleursennemissansbougerundoigt,par laforcedeleurespritetdeleursconceptionsmentales»-Oui,c'estcertainementutile,avançai-jeprudemment.Jenevoulaissurtoutpasluidonnerl'idéedevouloirencoremeledémontrer.- Ilmesemblequevousavez testécettecompétencesur lordAlastair,hier soir,aucoursdecettesoirée.-Oh,cettesoirée,dit-ilavecunnouveausourire.Pourmoi,ellen'auralieuquedemainsoir.Jemeréjouis vraiment de pouvoir y rencontrer aussi lordAlastair. Et saura-t-il aumoins appréciermapetitedémonstration?-Entoutcas,çal'impressionne;maisiln'estpasvraimentintimidé.Ilditqu'ilvafaireensortequenousnenaissionsjamais.Etilparleaussidejenesaisquelsmonstresdel'Enfer.-Oui, il aun regrettablepenchantpour les formulations inconvenantes, constata le comte.Rienàvoir avec son ancêtre, le Conte di Madrone. J'aurais dû le tuer autrefois, quand j'en eus encorel'occasion.Maisj'étais jeuneetd'unenaïvetéregrettable...Bon, jenecommettraipascettefauteunedeuxièmefois.Mêmesijenepeuxluiréglersoncomptemoi-même,lesjoursdulordsontcomptés,quelsquesoientsavirtuositédebretteuret lenombredeshommesqu'ilarassemblésautourde luipour le protéger. Si j'étais encore jeune, je le défierais moi-même. Mais désormais, c'est mondescendantquis'enchargera.Lestalentsd'escrimeurdeGideonsontremarquables.Enentendant lenomdeGideon, jemesentissoudain-commesisouvent-envahied'uneondedechaleur.Jenepusm'empêcherdepenseràcequ'ilvenaitdemedireet,ducoup,j'eneusencorepluschaud.Jemetournaiinconsciemmentverslaporte.-Aufait,ilestpartioù,là?-Ilvafaireunepetitesortie,réponditlégèrementlecomte.Ilajusteletempsderendrevisiteàl'unedemesjeunesamies.Ellen'habitepastrèsloind'ici,etaveclacalècheilserachezelleenquelquesminutes.Pardon?-Çaluiarrivesouvent?Le comte afficha cette fois un sourire chaudement amical, mais où je perçus tout demêmecommequelquechoseauxaguets,quelquechosed'indéfinissable.-Ilnelaconnaîtpasdepuislongtemps.Jelesaiprésentésl'unàl'autre, ilyapeu.C'estunejeuneveuve pleine d'attraits et je suis d'avis que ça ne peut pas nuire à un jeune homme de se trouver...disons,unpeu...encompagnied'unefemmeexpérimentée.Jefusincapablederétorquerquoiquecesoit,maisapparemmentonnemedemandaitriennonplus.- LaviniaRutland fait partie de ces femmes divines qui ont plaisir à transmettre leur expérience,ajoutalecomte.

Oui, en effet. C'était bien ce que je pensais d'elle. Je fixaimesmains que, dansma rage, j'avaisinconsciemment serrées en poings. Lavinia Rutland, la dame en robe verte. Ça expliquait cettefamiliaritédelaveilleausoir...-J'ail’impressionquecelaneteplaîtguère,constatalecomted'unevoixmolle.Ilavaitraison.Çanemeplaisaitpasdutout.Jeréussisàgrand-peineàleregarderdenouveaudanslesyeux.Ilarboraittoujourscechaudsourireamical.-Monpetit,ilestimportantd'apprendreauplustôtqu'aucunefemmenepeutrevendiquerledroitdeposséderunhommeuniquementpourelle.Lesfemmesquis'yrisquentfinissentseulesetnonaimées.Unefemmeintelligentedoitsavoirauplustôts'accommoderdelanaturedel'homme.Nonmais,qu'est-cequec'étaitquecesidioties?!-Oh,naturellement,tuesencoretrèsjeune,n'est-cepas?insista-t-il.Plusjeune,mesemble-t-il,quelaplupartdesfillesdetonâge.Tuvienssansdoutedetomberamoureusepourlapremièrefois.-Non,murmurai-je.Mais si !Bien sûr que si !En tout cas, je sentais bienque c'était la toutepremière fois.C'était sienivrant!Siexistentiel!Sisingulier!Sidouloureux!Sidélicieux!Lecomteritdoucement.-Pasderaisond'avoirhonte.Jeseraisdéçuqu'ilenfutautrement.C'étaitdéjàcequ'ilavaitditlaveilleausoir,quandj'avaisfonduenlarmesenentendantGideonauviolon.- Dans le fond, c'est tout simple : une femme aimante n'hésiterait pas àmourir pour son amant,péroralecomte.Serais-tuprêteàdonnertaviepourGideon?Voyonsvoir...-Jen'yaipasréfléchi,répondis-je,troublée.Lecomtesoupira.- Malheureusement, et grâce à la protection douteuse de ta mère, vous n'avez pas encore passébeaucoupdetempsensemble,toietGideon,maisjedoisdirequejesuisimpressionnédevoirqu'ils'estsibiendébrouillé.Tesyeuxbrillentd'amour.D'amour...etdejalousie!Commentça,«débrouillé»?—Rienn'estplusfacileàprévoirquelaréactiond'unefemmeamoureuse,poursuivitlecomte.Riendeplusaiséquedecontrôlerunefemmedontlecomportementestdéterminéparsessentimentspourunhomme.C'estdéjàcequej'aiexpliquéàGideon.Naturellement,jeregretteunpeuqu'ilaitdépensétantd'énergieauprèsdetacousine...Comments'appelle-t-elledéjà?Charlotte?Cettefois,jenepusquelefixer.Pourjenesaisquelleraison,jerepensaiàlavisiondetanteMaddyet au cœur de rubis qui se trouvait sur une saillie rocheuse au-dessus du vide. J'aurais aimé meboucherlesoreillespourneplusentendresavoixdouce.—Sur cepoint, il est en tout casplus adroit quemoi à son âge, apprécia le comte.Et il faut luiaccorderquelanaturel'apourvudenombreuxavantages.Quelcorpsd'Adonis!Quelbeauvisage,quellegrâce,queltalent!Detoutefaçon,iln'aprobablementpasbesoind'enfairebeaucouppourqueles filles lui tombent dans les bras.Le lion rugit en Fa dièse majeur, la crinière en pur diamant,multiplicatio,lesoleilsubjugué...La véritéme porta un coup au cœur. Tout ce queGideon avait fait, ses caresses, ses gestes, ses

baisers,sesparoles, toutcelan'avaitserviqu'àmemanipuler.Pourquejetombeamoureusedelui,commeCharlotteavantmoi.Pourpouvoirmieuxnouscontrôler.Etlecomteavaitraison:Gideonn'avaitpaseugrand-choseàfaire.Monstupidepetitcœurdefilles'étaitenvolétoutseulversluietétaittombéàsespieds.Devantmonœilintérieur,jevislelionsedirigerversleborddel'abîmeetbalayerlecœurderubisd'unsimplecoupdepatte. Il tombaau ralenti, s'écrasa toutau fonddugouffreet sebrisaenmillegouttelettesdesang.-L'as-tu déjà entendu jouer duviolon ? insista le comte. Sinon, je vaism'en occuper...Rien n'estmieuxappropriéquelamusiquepourconquérirlecœurd'unefemme.Illevaunregardrêveurauplafond,puisrepritdoucement:-C'étaitaussiuntrucdeCasanova.Lamusiqueetlapoésie...J'allaismourir,jelesentaisbien.Làoùs'était trouvémoncœur,unfroidglacialavaitprissaplace. Ilgagnamonventre,mes jambes,mespieds,mesbrasetmesmainsetpourfinirmatête.Commedansungénériquedefilm,lesévénementsdesderniersjoursdéfilèrentdevantmoi,soulignésparlamélodiedeThewinnertakesitall:depuislepremierbaiserdansleconfessionnaljusqu'àladéclarationd'amourdanslacave.Toutcelan'étaitqu'une énorme manipulation parfaitement orchestrée... à part quelques entractes durant lesquels ilavaitétéprobablementlui-même.Etcemauditviolonm'avaitachevée.Plustard,jetentaibiendemerappelercedontnousavionsparléensuite,lecomteetmoi,maissanssuccès, cardepuisque ce froidm'avait gagnée, toutm'était devenuégal.Parbonheur, il prit à soncomptelaplusgrandepartdelaconversation.Desonagréablevoixmolle,ilmeparladesonenfanceenToscane,delataredesanaissanceillégitime,desdifficultésàretrouversonpèrebiologiqueetdecequil'avaitamenédanssajeunesseàs'intéresserauxsecretsduchronographeetdesprophéties.Jem'efforçaidel'écouter,neserait-cequeparcequejesavaisqueLesliemedemanderaitdeluirépéterson discoursmot pourmot,mais rien à faire, je n'arrêtais pas de penser àma stupidité. Et je nedésiraisqu'unechose:meretrouverseulepourpouvoirenfinpleurer.-Marquis?Lesecrétairegrincheuxavaitfrappéetouvertlaporte.-Ladélégationdel'archevêqueestlà.-Oh,c'estbien,ditlecomte.Ilselevaetajoutaenm'adressantunclind'œil:-Lapolitique!Encestemps,elleestencoreettoujoursdéterminéeparl'Eglise.Jemeredressaiaussietfisunerévérence.-J'aiétéravideparleravectoi.Et jemeréjouisdéjàdenotreprochainerencontre.Jemarmonnaiunesorted'approbation.-S'ilteplaît,transmetstoutemaconsidérationàGideonainsiquemonregretdenepasl'avoirreçuaujourd'hui,meprialecomteavantdeprendresacanneetdesedirigerverslaporte.Etsijepeuxtedonner un conseil : une femme intelligente sait cacher sa jalousie. Nous, les hommes, nous noussentonstoujourssisûrsde...Je l'entendis rireunedernière fois,puis je restai seule.Maispas très longtemps, car le secrétairerevêcheréapparutquelquesminutesaprèsetmedemanda:

-Sivousvoulezbienmesuivre...Jem'étaisdenouveaulaisséeretomberdanslefauteuil,lesyeuxfermés,enattendantmeslarmes,envain.C'était peut-être aussi bien commeça.Sans unmot, je redescendis donc l'escalier derrière lesecrétaireet,arrivéssurlepalier,nousrestâmeslàunbonmomentàattendre(jepensaistoujoursquej'allaism'effondreretmourir),puisl'hommejetaunregardsoucieuxàl'horlogeetdit:-Ilvaêtreenretard.Àcetinstant,laportes'ouvritsurGideon.Moncœuroubliaunmomentqu'ilsetrouvaitdéjàéclatéaufondd'unravinetsemitàbattreàcoupsrapidesdansmapoitrine.Unefolleinquiétudechassalefroid de mon corps. J'aurais peut-être pu attribuer à lady Lavinia l'état des habits de Gideon, sescheveuxhirsuteset trempésdesueur,ses jouesrougiesetsesyeuxvertsbrillantpresquedefièvre,maisilyavaituneprofondedéchiruredanssamanche,etlesparementsdedentellesursapoitrineetsespoignetsétaienttrempésdesang.- Vous êtes blessé, sir, s'effraya le secrétaire grincheux, m'ôtant ainsi les mots de la bouche.(D'accord,sansle«sir»etsansle«vous».)-Non,réponditGideonavecunetelleassurancequejel'enauraisgiflé.Cen'estpasmonsang.Entoutcas,passeulementlemien.Viens,Gwen,nousdevonsfairevite.J'aiétéunpeuretenu.Ilsaisitmamainetm'entraînatandisquelesecrétairenoussuivaitjusqu'aubasdesmarches,toutenbalbutiantplusieursfois:-Mais,sir!Ques'est-ilpassé?Nedevrions-nouspasprévenirlecomte...?Gideon rétorquaquenousn'enavionspas le tempsetqu'il rendrait visite leplusvitepossible aucomte,afindeluifaireunrapport.—À partir d'ici, nous allons continuer seuls, déclara-t-il, quand nous fûmes arrivés au pied del'escalieroùsetrouvaientpostéslesdeuxgardes,sabreauclair.Veuilleztransmettreaucomtetoutemaconsidération!Quidnescitdissimularenescitregnare.Les deux gardes cédèrent le passage et le secrétaire nous fit une courbette en signe d'au-revoir.Gideondécrochaunetorchedesonsupportetm'entraînaplusloin.-Viens,ilnenousrestepasplusdedeuxminutes!dit-il,toujoursaussifolâtre.Tusaiscequeveutdirelemotdepassemaintenant?-Non,avouai-jeenm'étonnantquemoncœurrafistoléàlavitessegrandVrefusedereplongerdansl'abîme.Ilfaisaitcommesitoutallaitbienetl'espoirqu'ilpuissefinalementavoirraisonfaillitmetuer.-Enrevanche,l'informai-je,j'aidécouvertautrechose.Aquiestcesangsurtesaffaires?-Qui ne sait dissimuler ne sait régner, traduisitGideon en éclairant le dernier coude du couloir.LouisXI.-Toutàfaitdecirconstance,dis-je.-Avraidire,jen'aipaslamoindreidéedunomdecetypequiasouillémesfringuesavecsonsang.Gideonouvritlaportedulaboratoireetreposalatorchedansunsupportaumur.Lalumièretremblotanteéclairaunegrandetablepleined'appareilsétranges,debouteilles,defiolesetderécipientsremplisdeliquidesetdepoudresdetouteslescouleurs.Lesmursétaientplongésdansl'ombre,maisjepusvoirqu'ilsétaientpeintsetcouvertsdegraffitissurpresquetouteleursurface,et

juste au-dessusde la torche, une tête demort grossièrement dessinée, avecdespentagrammes à laplacedesorbites,grimaçaitaffreusement.-Viensparici,ditGideonenmetirantversl'autrecôtédelatable.Puisillâchaenfinmamain.Maisjustepourposersesmainssurmeshanchesetm'attireràlui.-C'étaitcomment,cetteconversationaveclecomte?-Très...instructif,répondis-je.Lecœurfantômedansmapoitrinevoletacommeunoiseletetjetentaideravalerlaboulequej'avaisdanslagorge.-Lecomtem'aexpliquéquetu...quetoietlui,vouspensezqu'unefemmeamoureuseestplusfacileàcontrôler. Ce doit être énervant d'avoir fourni tout ce travail préliminaire avec Charlotte et demaintenantdevoirremettreçaavecmoi,non?-Maisqu'est-cequetumeraconteslà?- Tu as vraiment fait un travail de pro, poursuivis-je. C'est d'ailleurs aussi l'avis du comte.Évidemment,jen'étaispasuncasparticulièrementdifficile...MonDieu,j'aitellementhontedet'avoirtantfacilitéleschoses!Jefusincapabledeleregarderpluslongtemps.-Gwendolyn...commença-t-ilens'interrompantaussitôt.Gwendolyn,ilfautyallermaintenant.Peut-êtredevrions-nousreprendrecetteconversationplustard.Entoutetranquillité.Jen'aipaslamoindreidéedelàoùtuveuxenvenir...-Jeveuxseulementsavoirsic'estvrai,dis-je.Naturellement que c'était vrai. Mais on sait bien que l'espoir meurt en dernier. Mon estomaccommençaitàm'annoncerleprochainsautdansletemps.-Je voudrais juste savoir si tu as vraiment voulume rendre amoureuse de toi, comme tu l'avaisfaitprécédemmentavecCharlotte,complétai-je.Gideonmelibéra.-Lemoment est vraimentmal choisi, déclara-t-il.Gwendolyn !Nous enparlerons après. Je te lepromets.-Non!Maintenant!m'écriai-jeenlaissantlibrecoursàmeslarmes.Tun'asqu'àmerépondreparouiounon!Est-cequetoutcelaétaitcalculé?Gideonsefrottalefront.-Gwen...-Ouiounon?sanglotai-je.-Oui,avouaGideon.Maisjet'enprie...arrêtedepleurer.Et pour la deuxième fois de la journée, mon cœur - cette fois, la deuxième version, ce cœurfantôme,nédemon fol espoir -basculapar-dessus la falaise, s'écrasaau fonddu ravinetvolaenmilliersd'éclatsminuscules.-D'accord,chuchotai-je,c'esttoutcequejevoulaissavoir.Mercidetafranchise.-Gwen,j'aimeraisvraimentt'expliquer...

Gideons'évanouitdansl'airsousmesyeux.Tandisquelefroidgagnaitdenouveaumoncorps,jefixaipendantquelquessecondeslalumièretremblantedelatorche,etlatêtedemortquilasurmontaitenessayantderefoulermeslarmes,puistoutsebrouillaàmavue.Jemisquelquessecondesàm'habitueràlalumièredelapièceduchronographe,puisj'entendislavoixénervéedudocteurWhiteetunbruitd'étoffedéchirée.-Cen'estrien,prétenditGideon.Justeunetoutepetiteentaille,çaaàpeinesaigné.Jen'aimêmepasbesoindepansement.DocteurWhite...vouspouvezrangervosclamps!Cen'estpasgravedutout!-Hello,misstasdefoin!mesaluaXemerius.Tunedevinerasjamaiscequenousavonsdécouvert!Ohnon!Nemedispasquetuasencorepleuré!MrGeorgemesaisitàdeuxmainsetmefitfaireuntourcompletsurmoi-même.-Ellen'estpasblessée,constata-t-ilavecsoulagement.Oui.Àconditiondefaireabstractiondemoncœur.-Fichonslecampd'ici!ditXemerius.LefrèredecetriplenulettonamieLeslieontunerévélationimportante à te faire ! Imagine un peu, ils ont découvert le lieu indiqué par les coordonnées ducavaliervert.Tun'encroiraspastesoreilles!- Gwendolyn ? demanda Gideon, en me fixant comme s'il craignait que j'aille me jeter sous lepremierbusvenu.-Toutvabien,affirmai-jesansleregarder.MrGeorge,pourriez-vousmeraccompagnerenhaut,s'ilvousplaît?Ilfautquejerentred'urgence.-Maisbiensûr,réponditMrGeorge.Gideonfitunmouvement,maisledocteurWhiteleretint.-Toi,tunebougespasd'ici!IlavaitdéchirélamanchedevestedeGideonetcelledelachemiseendessous.Sonbrasétaitpleindecroûtesdesangetilavaitunelégèreentailleauniveaudel'épaule.LepetitespritRobertfixaittoutcesangaveceffroi.-Quit'afaitça?Ilvafalloirdésinfecteretrecoudre,constatasombrementledocteurWhite.-Pasquestion!protestaGideon,quiavaitpâlietperdusa jovialité.Onverraçaplus tard.Jedoisd'abordparleràGwendolyn.-Cen'estvraimentpaslapeine,dis-je.Jesaisdéjàtoutcequejedoissavoir.Etmaintenant,ilfautquejerentreàlamaison.-Affirmatif!ponctuaXemerius.-Àchaquejoursuffitsapeine,déclaraMrGeorgeàGideonentendantlamainverslefoulardnoir.EtGwendolynm'al'airfatiguée.Ilfautqu'elleselèvetôtdemainpourl'école.-Exact!Etcettenuit,ellevaencorepartiràlachasseautrésor,s'excitaXemerius.Ouàje-ne-sais-quoiquisetrouveraàcescoordonnées...MrGeorgemenoua le bandeau.La dernière chose que je vis, ce furent les yeux deGideon, quiluisaientd'unvertartificieldanssonvisageblême.-Bonnenuitàtous,eus-jeencoreletempsdedireavantqueMrGeorgemefassequitterlapièce.Detoutefaçon,àpartlepetitRobert,personnenem'avaitrépondu.

-Bon,jenevaispastefairelanguirpluslongtemps,commençaXemerius.LeslieetRaphaëlsesontbien amusés cet après-midi... contrairement à toi, on dirait. Enfin, quoi qu'il en soit, ils ont réussiensembleàdéterminertrèsexactementlescoordonnées.Etmaintenant,devineunpeulelieuqu'ellesindiquent!-Quelquepartici,àLondres?avançai-je.-Bingo!s'écriaXemerius.-Pardon?demandaMrGeorge.-Rien,dis-je.Excusez-nous,MrGeorge.MrGeorgesoupira.-J'espèrequetonentretienaveclecomtedeSaint-Germains'estbienpassé?medemanda-t-il.-Ohoui,répliquai-jeamèrement.Ilaétéinstructif,àtouspointsdevue.-Hello!C'estencoremoi,criaXemeriusensecramponnantàmoncoucommeunpetitsinge.Etj'aidesnouvellesvraiment,vraimentimportantes.Voilà:lacachettequenouscherchonssetrouveici,àLondres. Etmieux encore, àBourdon Place. Et plus précisément : au numéro 81 !Alors, ça te lacoupe,hein?Chez moi ? Les coordonnées désignaient un endroit dans ma propre maison ? Mais, bon sang,qu'est-cequemongrand-pèreavaitbienpucacherlà?Peut-êtreunautrelivre?Unouvrageavecdescroquisquipourraientenfinnousaideràyvoirplusclair?-Jusqu'alors, la filleauchienet leFrançaisontvraiment faitdubon travail,m'informaXemerius.J'avouequejenecomprenaisquecouicàcetrucdecoordonnées.Maismaintenant,àmoidejouer!Carseull’unique,lemerveilleuxetsurtoutl'intelligentXemeriuspeutpassersatêteàtraverslesmursetvoircequisecachederrièreouàl'intérieur.C'estpourquoinousallonsnousmettreàlachasseautrésortouslesdeux,cettenuit!-Voudrais-tum'enparler?demandaMrGeorge.Jesecouailatête.-Non,çapeutattendredemain,répondis-je,m'adressantaussibienàMrGeorgequ'àXemerius.Cettenuit,jemecontenteraisderesteréveilléedansmonlitetdepleurermoncœurbrisé.Jevoulaism'apitoyer sur moi-même et me baigner dans des métaphores emphatiques. En écoutant peut-êtreaussiBonJovietHallelujah.Achacunsaplaylistdanscescas-là...

Londres

29septembre1782

Il atterrit dos aumur, porta lamain à son épée et scruta les alentours.La cour de l'auberge étaitdéserte,ainsique lordAlastair l'avaitpromis.Des filsà lingeétaient tendusen traverset lesdrapsblancsquiypendaientbougeaientlégèrementauvent.Paullevalesyeuxverslesfenêtresoùseréfléchissaitlesoleildel'après-midi.Unchatinstallésurun rebord l'observait d'un airmoqueur, en balançant nonchalamment une patte dans le vide. Il luirappelaLucy.Illâchasonépéeetsecoualesparementsdedentelleàsespoignets.Pourlui,cesfringuesrococoseressemblaienttoutes:knickerbockersdébiles,vestesbizarroïdesavecdelongspansencombrants,letoutcouvertdebroderiesetdedentelles...Horrible!Ilavaitvouluremettrelecostumeetlaperruquequ'ils'étaitfaitfairepoursesvisitesde1745,maisLucyetladyTilneyavaientinsistépourluitaillerune nouvelle tenue. Elles prétendaient qu'il serait l'objet de tous les regards s'il circulait en 1782habillécommeen1745.Ilavaitalorsobjectéqu'ilnerencontreraitquelordAlastair,dansunendroitretiré,pouréchangerlespapiers,maisellesn'avaientpasvoulul'écouter.Ilportalamainsoussavestepourvérifierquel'enveloppes'ytrouvaittoujours.-Parfait...Vousêtesàl'heure.Lavoixfroidelefitsursauter.LordAlastairsortitdel'ombredelaportecochère,élégammentvêtucommetoujours,mêmesitoutcelaétaitextrêmementcoloréetsurchargéd'unequantitédebreloques,cousuesoupendantes,quiscintillaientausoleil.Oneûtdituncorpsétrangerparmitouscessimplesdraps. La poignée de son épée, elle-même apparemment en or pur et ornée de pierres précieuses,donnaitàcettearmeunaspectinoffensifetpresqueridicule.Paul jeta un bref coup d'œil au-delà de l'arche où, de l'autre côté de la rue, une pelouse vertes'étendait jusqu'à la Tamise. Au renâclement de chevaux qui se fit entendre, il comprit que lordAlastairétaitarrivéencalèche.-Vous êtes seul ? demanda lord Alastair d'une voix terriblement arrogante, mais toujours aussinasillarde. Comme c'est dommage ! J'aurais bien aimé revoir votre jolie compagne rousse. Elleavait...euh...unefaçonsiparticulièred'exprimersonopinion.-Elleétaitsimplementdéçuequevousn'ayezpasutilisélesatoutsquenosdernièresinformationsvousavaientprocurés.Etelleseméfiedecequevousallezfairedecelles-ci.-Vosinformationsn'étaientpascomplètes!-Ellesl'étaientsuffisamment!Lesplansdel'Allianceflorentinen'ontpasétémûrementréfléchis!En quarante années, cinq attentats contre le comte ont tous échoué et vous êtes personnellementresponsablededeuxdeceséchecs!Ladernièrefois,ilyaonzeans,vousparaissiezsisûrdevous!-Nevousinquiétezpas!Laprochainetentativeseralabonne!assuralordAlastair.Jusqu'àprésent,mesancêtresetmoiavonstoujourscommisl'erreurdecombattrececomtecommeunêtrehumain.Nous avons tenté de le démasquer, de le diffamer, de saper sa réputation. Nous avons essayé deremettresurlebonchemindesâmeségaréescommelavôtre,sanscomprendrequevousétiezdéjà

tousperdusdepuislongtempsparlesangdémoniaque.Paulfronçadessourcils intrigués. Iln'avait jamaisriencomprisauxdiscoursonctueuxdu lordetdesautresmembresdel'Allianceflorentine.-Nous avons essayé d'en venir à bout commed'un hommeordinaire, avec du poison, des lamesd'épéeetdesballesdepistolet.Ridicule!poursuivitlordAlastairavecunrireéraillé.Rienàfaire!Ilavaittoujoursunelongueurd'avance.Ilsavaittoujoursoùnousallionsl'attendre.Commeinvincible!Il a des amis et des protecteurs influents partout, qui s'entendent comme lui en magie noire. Lesmembres de sa loge figurent parmi les hommes les plus puissants de notre temps. J'ai mis desdécenniesàcomprendrequ'onnepeutpasveniràboutd'undémonavecdesméthodeshumaines.Maismaintenant,jelesais.-Heureuxde l'entendre,ditPaulen lorgnantsur lecôté.Deuxautreshommesétaientapparusà laporte,vêtusdenoir,l'épéedégainéeaucôté.Bonsang!Lucyavaitraison.Alastairnepensaitpasunesecondeàtenirparole.-Avez-vousleslettres?demanda-t-ilencore.-Naturellement,acquiesçalordAlastair,entirantdesavesteunegrosseliassedepapiersnouéeparuncordon rouge.Entre-temps, etgrâceàvouset àvosexcellentes informations, j'ai réussi à faireentrer un bon ami chez les Veilleurs. Il me fournit maintenant tous les jours des nouvellesimportantes. Saviez-vous que le comte séjourne en cemoment de nouveau en ville ? Ah, vous lesaviez,évidemment!Ilsoupesalepaquet,puislelançaàPaul.Paull'attrapahabilementauvol.-Merci.Vousenavezcertainementfaitfairedescopies.-Cen'étaitpasnécessaire,ditlelordavecarrogance.Etvous?M'avez-vousapportécequejevousaidemandé?Paulfourralaliassedelettresdanssavesteetbranditl'enveloppebrune.

-Cinqpagesde listesgénéalogiquesdesdeVilliers,commencéesauXVIe siècleparLancelotdeVilliers,lepremiervoyageurdansletemps,jusqu'àGideondeVilliers,néauxx6siècle.-Etlalignéecognatique?demandalordAlastair,avecunelégèrenervosité,cettefois.-Vouslatrouverezlàaussi.DepuisElaineBurghleyjusqu'àGwendolynShepherd.Cederniernomluidonnaunpincementaucœur. Il jetaunbref regardvers lesdeuxhommes. Ilss'étaientarrêtéssousl'archedelaporte,lamainàl'épée,commeenattente.Engrinçantdesdents,ilduts'avouerqu'ilpressentaitdéjàcequiallaitarriver.-Trèsbien.Donnez-moiça!Paulhésita.-Vousn'avezpasrespecténotreaccord,dit-ilpourgagnerdutemps.Puisenmontrantlesdeuxhommes:-Vousdeviezvenirseul.LordAlastairsuivitsonregardenlevantdesyeuxinnocents.-Ungentlemandemonrangn'estjamaisseul.Mesdomestiquesm'accompagnentpartout,dit-ilens'avançantd'unpas.Etmaintenant,donnez-moicespapiers!Jem'occuperaidureste.-Etsijechangeaisd'avis?

-Personnellement,ilm'estcomplètementégald'obtenircespapiersdevosdoigtsvivantsoumorts,ditlelordenportantlamainàsonépée.Autrementdit:quejevoustueavantouaprèslaremisen'aaucuneimportance.Paulcherchalepommeaudesonépée.-Vousavezprêtéserment.-Pouah!s'écrialordAlastairendégainantsonarme.Onnevientpasàboutdudiableens'entenantàlamorale.Donnez-moicespapiers!Paulreculadedeuxpasettiraluiaussisonépée.-Nedisiez-vouspasà l'instantqu'onnepouvaitveniràboutdenousavecdesarmesordinaires?demanda-t-ilenlevantunsourcilmoqueur.- C'est ce que nous allons voir, dit le lord. En garde, démon ! Paul aurait volontiers continué àparler,maislordAlastairsemblaitn'avoirattenduquecetteoccasiondesebattre.Ils'étaitrapprochéd'un pas, à l'évidence farouchement décidé à tuer son adversaire. Malheureusement, ses brillantstalentsd'escrimeurneprésageaientriendebonpourPaul.Celui-cilecompritbienquand,enmoinsdedeuxminutes,ilseretrouvadosaumur.Ilavaitparélesassautsdesonmieux,plongésouslesdrapsettentéd'acculerlelord.Envain.Le chat sauta du rebord de la fenêtre avec un feulement et fila par la porte cochère. Pas unmouvementderrièrelesfenêtres.Bonsang!Pourquoin'avait-ilpasécoutéLucy?Elleavaitinsistépourqu'ilréduiseencorelafenêtredetempsduchronographe.Ilauraitpuainsitenirassezlongtempsavantdesedissoudredansl'airdevantlesyeuxdulord.La lame d'Alastair scintilla au soleil. Le coup qu'il porta ensuite fut si violent que Paul faillit enlâchersonépée.- Attendez ! cria-t-il en haletant plus qu'il ne l'aurait dû. Vous avez gagné ! Je vous donne lespapiers!LordAlastairabaissasonépée.-Trèsraisonnable.Lesouffleapparemmentcourt,Pauls'appuyacontrelemuret lançal'enveloppebruneaulord.Aumêmeinstant,ilseruaenavant.MaislordAlastairs'attendaitàlafeinte:illaissatomberl'enveloppeetparafacilementl'attaque.-Jedéjouetouteslesrusesdudémon!s'écria-t-ilenriant.Etmaintenant,jeveuxvoirlacouleurdevotresang!IlsefendithabilementetPaulsentitsalamedéchirerlamanchedesavesteetincisersonbras.Dusang chaud coula. La douleur n'était pas bien forte et il supposa qu'il ne s'agissait que d'uneégratignure.Maislesouriremauvaisdesonadversaireetsavivaciténelerendaientpasoptimiste.-Qu'attendez-vous?crialordAlastairàseshommesdemain.Nousnedevonsplusluilaisseraucunrépit!Ouvoulez-vousqu'ilsedissolvesousnosyeux,commevosderniersadversaires?Leshommesennoirréagirentsur-le-champ.Enlesvoyantsedirigerdroitsurlui,Paulcompritqu'ilavaitperdu.Aumoins,Lucysetrouvaitensécurité,pensa-t-ilsoudain.Siellel'avaitaccompagné,elleseraitsurlepointdemouriraveclui.-Prononcezvosderniersmots,ditlordAlastair.

Paulsedemandaalorss'iln'allaitpasbaissersonépée,tomberàgenouxetsemettreàprier.Lelordattendraitpeut-êtreencoreunpeuavantdeletuer.Maisilpourraitaussibienêtremortavantquesesgenouxnetouchentlesol.Àcet instant, ilperçutunmouvementderrière lesdraps, et l'undeshommesd'Alastair s'effondrasans bruit, avant même d'avoir pu se retourner complètement. Après une fraction de seconde destupeur,lesecondlaquaisserua,l'épéeauclair,surlenouveladversaire,unjeunehommeenvestevertequisurgitdederrièreledrapetparalecouppresquenonchalamment.-GideondeVilliers ! lâchaPaul tout en repoussant les coupsde lordAlastair dansun regaindecourage.Jen'auraisjamaispenséautantmeréjouirdetevoir,petit.-En fait, je ne suis là quepar curiosité, ditGideon. J'ai vu la calèche frappéedes armesde lordAlastairdanslarueetj'aivouluvérifiercequ'ilfaisaitdanscettearrière-courisolée...-Milord,c'estcedémonquiatuéJenkinsdansHydePark!haletal'hommedelordAlastair.-Faiscepourquoituespayé!luicrialordAlastairensejetantsurPaulavecdesforcesredoublées.Paulsesentittouchédenouveau,aumêmebras,unpeuplushaut.Cettefois,ladouleurluitraversalecorps.-Milord...Lelaquaissemblaitendifficulté.-Occupe-toidecelui-ci,s'énervalordAlastair.Jemechargedel'autre!Soulagé,Paulpritunegrandeinspiration.Iljetaencoreuncoupd'œilàsonbras...ilsaignait,maisilpouvaitencoretenirl'épée.-Maisnousnousconnaissons!LordAlastairsetrouvaitmaintenantfaceàGideon,lalamedesonépéeluisaitdusangdePaul.-Exact,réponditGideon.Pauladmira,unpeuàcontrecœur,lecalmedontilfaisaitpreuve.Cepetitn'avait-ildoncpaspeur?-Ilyaonzeans,peuaprèsl'échecdevotretentativedemeurtrecontrelecomtedeSaint-Germain,nousavonséchangéquelquestoucheschezGalliano,luirappelaGideon.-Marquis deWelldone... dit le lord d'un tonméprisant. Jeme souviens.Vousm'aviez apporté unmessagedudiableenpersonne.- Je vous avais transmis un avertissement, que vous n'avez malheureusement pas pris enconsidération,rétorquaGideon,sesyeuxvertsbrillantdangereusement.- Engeance du diable ! Je l'ai su dès que je vous ai vu. Vos parades étaient certes tout àfaitcorrectes,maisvousvousrappelezsansdoutequej'aigagnénotrepetitassautd'entraînement?-Jem'ensouviensfortbien,réponditGideonensecouantlesparementsdedentelleàsespoignets.Comme si cela s'était passé la semaine dernière. Ce qui est d'ailleurs le cas pour moi, à toutprendre.Engarde!Lemétalcliquetacontrelemétal,maisPaulneputdevinerquil'avaitemporté,carlelaquaiss'étaitressaisietseruaitmaintenantsurlui,l'épéeauclair.L'homme ne ferraillait pas avec la même élégance que son maître mais il faisait preuve devéhémence,et,malgrélepetittempsdereposqu'ilavaitpuprendre,Paulsentitvitesonbrasblessé

s'affaiblir.Quandallait-ilenfinsauterdansletemps?Ilnetiendraitplustrèslongtemps!Ilserralesdentsetsefenditànouveau.Pendantplusieursminutes,onn'entenditplusquedescliquetisetdeshalètements,etpuisPaulvitducoindel'œillaprécieuseépéedelordAlastairvolerenl'airetatterrirsourdementsurlepavé.Dieumerci!Ledomestiquereculadequelquespas.-Milord?-C'étaituncoupsournois,démon!s'écriafurieusementlelord.Contretouteslesrègles!Latoucheétaitpourmoi!-Vousêtesmauvaisperdant,àcequ'ilmesemble,rétorquaGideon.Dusangcoulaitd'uneblessureàsonbras.LesyeuxdelordAlastairbrillaientderage.-Tuez-moisivousl'osez!-Pas aujourd'hui, ditGideon en rengainant son épée.Paul vit lemouvement de tête du lord et lelaquais Mander ses muscles. En un éclair, il s'interposa et para le coup. Dans la même seconde,Gideonavaittirésonépéepourlaplanterdanslapoitrinedel'homme.LesangjaillitàflotsetPauldétournalesyeux.Pendantcetemps,lordAlastairenavaitprofitépourramasserdelapointedesonépéel'enveloppebrunetombéesurlepavé.Ilseretournasansunmotets'enfuitaussitôt.-Lâche!rugitPaul.PuissetournantversGideon:-Tuesblessé,petit?-Justeuneégratignure,ditGideon.Maistoi,tum'asl'airmalenpoint.Tonbras,toutcesang...Ilserraleslèvresetretirasonépée.-QuelssontdonccespapiersquetuasdonnésàlordAlastair?demanda-t-ilensuite.-Desarbresgénéalogiques,ditPauld'unairmalheureux.Leslignéesdesdouzevoyageursdansletemps.Gideonhochalatête.-Jesavaisquevousétiezlestraîtres,touslesdeux.Maisjenevouscroyaispasaussistupides!Ilvatuertouslesdescendantsducomte!Etmaintenant,ilconnaîtaussilesnomsdelalignéecognatique.Sitoutmarcheselonsesplans,nousnenaîtronsjamais.-Tuauraisdûletuerquandtuenaseul'occasion,constataamèrementPaul.Ilnousaroulés.Ecoute,jen'aiplusbeaucoupdetemps,jevaisressauteràtoutmoment.Maisilfautquetum'écoutes.- Je m'en garderai bien ! répondit furieusement Gideon. Si j'avais su que j'allais te rencontreraujourd'hui,j'auraisemportéuneéprouvette...-C'étaituneerreurdenouslieràl'Alliance,s'empressadedirePaul.Dèsledébut,Lucyétaitcontre.Maisjepensaisquesinouslesaidionsàmettrelecomtehorsd'étatdenuire...Ilseportalamainàl'estomac.Sesdoigtsrencontrèrentalorslepetitpaquetdelettresenrubannées

qu'ilavaitfourrédanssaveste.-Bonsang!Tiens!Prendsça,petit!Gideonsaisitlepaquetenhésitant.-Arrêtedem'appeler«petit».Jetedépassed'unedemi-tête.-Ils'agitdelapartiedesprophétiesquelecomteatoujoursdissimuléeauxVeilleurs.Ilestimportantquetuleslises,avantdeteprécipitercheztonchercomtepournousdébiner.Merde,Lucyvametuersielleapprendça.-Quimegarantitqu'ilnes'agitpasdefaux?- Lis-les seulement, et tu sauras pourquoi nous avons volé le chronographe. Et pourquoi nousvoulonsempêcherlecomtedefermerleCercledusang.Gideon, faisattentionàGwendolyn,dit-ilvite.Etprotège-laducomte!-JeprotégeraiGwendolyncontren'importequi,répliquaGideon,lesyeuxscintillantdefierté.Maisjenevoispasenquoiçateregarde.-Ehbien,çameregardebeaucoup,mongarçon!Pauldutsemaîtriserpournepasenvenirauxmains.Dieu,sicegaminsavaitaumoins... Gideoncroisalesbras.-Dernièrement,àcausedevotretrahison,leshommesd'AlastairontfaillinoustuerdansHydePark,Gwendolynetmoi!Tunevasdoncpasmefairecroirequetutesouciesdesonbien-être.-Tun'asaucuneidéede...Pauls'interrompit.Iln'avaitplusletemps.- Bon. Écoute, fit-il en essayant de mettre le plus d'émotion possible dans sa voix. Répondssimplementàcettequestion:aimes-tuGwendolyn?Gideonledévisageaunmoment.Puisquelquechosevacilladanssonregard,Paul levit trèsbien.Était-ce un manque d'assurance ? Bon, ce garçon savait bien manier l'épée. Mais sur le plansentimental,ilsemblaitavoirencorepeud'expérience.-Gideon!Quelleesttaréponse!insista-t-ild'unevoixperçante.Levisagedujeunehommeperditunpeudesadureté.-Oui,dit-ilsimplement.Paulsentitsafureurs'envoler.Lucylesavaitbien.Commentavait-ilpudouterd'elle!-Alors,liscespapiers!s'empressa-t-ildedire.EttucomprendraslerôlejouéparGwendolynetledangerquilaguette.Gideonlefixadesyeux.-Queveux-tudire?Paulsepenchaenavant.-Gwendolynvamourirsi tunefais rien.Tues leseulàpouvoir l'empêcher.Et leseulàquiellefasseconfiance,àcequ'ilmesemble.IlresserrasapriseautourdubrasdeGideonensentantlasensationdevertigel'envahirpeuàpeu.Combienn'aurait-ilpasdonnépouruneoudeuxminutesdesursis!-Promets-le-moi,Gideon!dit-il,désespéré.Maislaréponseneluiparvintpas.Toutsebrouillaautourdelui,quelquechosel'arrachadusoletle

projetadansletempsetl'espace.

{1}Onpeutaffirmeravec laprobabilité lapluscertainequ'il s'agit icideGiovanniAlessandro,contediMadrone(1502-1572).VoiraussiLesFamillesnoblesduxvèsiècle,deLamory,Bologne,1997,p.112etsqq.

{2}Ici:progénitured'ascendancedémoniaque.{3}Lenuagedefuméeetl'odeurdesoufreontétécertainementinventésparlecomtepouruneraisondecrédibilité.

{4}PourR.M.,ildevraits'agirdeRodolfo,undescendantdesMédiasquiafaitparlerdeluiparsonsuicidespectaculaireen1559,voirLaLégendedesMédiasoubliés,dePavani,Florence,1988,p.212etsqq.