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UNIVERSITE Lille 2 – Droit et santé Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales Ecole doctorale n°74 Syndicats et partis politiques Mémoire dirigé par M. le Professeur Pierre-Yves VERKINDT Rédigé par Hélène CAUCHY DEA de Droit Social Année universitaire 2001-2002

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UNIVERSITE Lille 2 – Droit et santé

Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales

Ecole doctorale n°74

Syndicats et partis politiques

Mémoire dirigé par M. le Professeur Pierre-Yves VERKINDT

Rédigé par Hélène CAUCHY

DEA de Droit Social

Année universitaire 2001-2002

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SOMMAIRE

Introduction 4TITRE PREMIERL’AUTONOMIE DE PRINCIPE ENTRE SYNDICAT ET PARTI POLITIQUE ......... 17

CHAPITRE 1.................................................................................................................. 20L’antinomie entre le syndicat - groupe de pression et le parti politique................... 20

Section 1 : Le syndicat – groupe de pression _____________________________ 21§ 1 Le syndicat entendu comme groupe de pression................................................ 21§ 2 La spécialité de l’objet du syndicat .................................................................... 26

Section 2 : Le syndicat comme groupe de pression distinct du parti politique __ 30§ 1 L’intérêt porté par le groupe............................................................................... 30§ 2 L’objectif du groupe........................................................................................... 33

CHAPITRE 2 Le syndicat apolitique.......................................................................... 38

Section 1 : L’apolitisme du syndicat consacré par la charte d’Amiens ________ 38§ 1 Les origines de la charte d’Amiens .................................................................... 39§ 2 Le texte de la Charte d’Amiens.......................................................................... 42

Section 2 L’ambiguïté d’un texte encore invoqué _________________________ 46§ 1 Le double sens de la Charte................................................................................ 47§ 2 La continuité de l’apolitisme consacré par la Charte ......................................... 51

TITRE SECONDLE SYNDICAT-GROUPE DE PRESSION POLITISE ET POLITIQUE....................... 55

CHAPITRE 1 L’autonomie de principe malmenée .................................................... 57

Section 1 : Les influences réciproques entre politique et syndicalisme ________ 57§ 1 La politisation des syndicats .............................................................................. 57§ 2 l’influence des partis politiques sur le syndicalisme.......................................... 61

Section 2 : Les syndicats condamnés à la politique ________________________ 65§ 1 L’extension de l’objet du syndicat ..................................................................... 65§2 L’intérêt des travailleurs et l’intérêt général ....................................................... 69

CHAPITRE 2 La nature hybride du syndicat............................................................. 74

Section 1 : La perte des repères ________________________________________ 74§ 1 Le syndicat-groupe de pression proche des partis politiques............................ 74§ 2 Le concept de groupe de pression ...................................................................... 78

Section 2 : Le syndicat-groupe de pression politique_______________________ 83§ 1 La nature particulière du syndicat ...................................................................... 83§2 Les conséquences relatives à la nature particulière du syndicat ......................... 88

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TABLE DES ABREVIATIONS

I/ Abréviations du texte principal

- CFDT Confédération française démocratique du travail.

- CFTC Confédération française des travailleurs chrétiens

- CGT Confédération générale du travail

- FO Force ouvrière

- PCF Parti communiste français

- PS Parti socialiste

II/ Abréviations des indications bibliographiques

- Art. Article

- Coll. Collection

- C. trav. Code du travail

- D. Dalloz-Sirey (Recueil)

- Dr. soc. Droit social

- Dr. ouvrier Droit ouvrier

- éd. Edition

- et al. Et alii, et autres auteurs

- Ibid. Ibidem, même localisation dans le même ouvrage

- Id. Idem, dans le même ouvrage

- J.-Cl. Juris-Classeur

- JCP Juris-Classeur Périodique

- Loc. cit. Loco citato, passage précité d’un ouvrage

- n° Numéro

- op. cit. Opere citato, ouvrage cité précédemment

- p. Page

- pp. Pages

- PUF Presses Universitaires de France

- Rép. Trav. Dalloz (Encyclopédie)

- RF sc. pol. Revue française de science politique

- t. Tome

- vol. Volume

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« Il n’y a rien que la volonté humaine désespère d’atteindre par l’action libre de la

puissance collective des individus »1.

De tous temps, les hommes se sont rassemblés pour porter leurs idées, espoirs, et

revendications : l’homme, individu isolé, est impuissant.

« Toute société est lutte avec la nature puisque c’est l’incapacité de l’homme isolé à se

défendre contre elle qui a provoqué la formation des groupements sociaux2 ».

En effet, « Du moment qu’au sein d’une société politique, il y a un certain nombre

d’individus qui ont en commun des idées, des sentiments, des occupations que le reste de la

population ne partage pas avec eux, il est inévitable que, sous le flux de ces similitudes, ils

soient comme poussés, comme attirés les uns envers les autres, qu’ils se recherchent, qu’ils

entrent en relation, qu’ils s’associent et qu’ainsi se forme peu à peu un groupe restreint, ayant

sa physionomie spéciale, au sein de la société générale 3». Le lien entre individus, fondé sur

un sentiment de cohésion sociale, de solidarité, est inévitable.

Certains, comme M. Offerlé, estiment dès lors que « le processus de formation des

groupes et des intérêts apparaît naturel et automatique4 ». En effet, pour lui, les groupes

apparaissent tellement naturellement qu’ils peuvent se construire sur une multitude de

volontés, d’intentions. En effet, « les intérêts et les groupes peuvent se construire sur des sites

sociaux très variés même si les identités professionnelles stables ordonnées autour d’un

métier, d’un statut ou d’un diplôme […] ont historiquement acquis un droit d’aînesse et de

prééminence sociale5 ». Dès lors, si le noyau dur d’un groupe peut être de différente nature, il

ne sera jamais autre qu’un intérêt commun au groupe.

1 DE TOCQUEVILLE (A), De la Démocratie en Amérique, I, chap. XII.

² BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, Les forces politiques, vol. 1, Paris :

LGDJ, 1982, p 13.3 DURKHEIM (E.), Leçons de sociologie : physique des mœurs et du droit, 1ère édition, Paris : PUF, 1950, 259

p.4 OFFERLE (M.), Sociologie des groupes d’intérêt, Coll. Clefs politique, Paris : Montchrestien, 1994, p. 43.5 Id., p. 46.

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Ainsi donc, un groupe serait « un ensemble de personnes unies par un réseau de relations

réciproques6 ». Cette définition du groupe émanant d’une école de pensée américaine, ayant

David Truman pour représentant, précise qu’on ne peut opposer la personne au groupe.

« On ne trouve d’individus qu’à l’intérieur des groupes : un isolement complet dans

l’espace et le temps représente une situation purement hypothétique. La personne et le groupe

sont seulement deux façons différentes d’observer le même phénomène7. »

Pour M. Meynaud8, il est communément admis, dans le langage courant, qu’un groupe

constitue le rassemblement d’individus autour d’une ou plusieurs caractéristiques communes.

Cependant, ces groupes ne sont, selon lui, que de simples « groupages9 ». En effet, si une telle

situation peut mener à l’action collective, elle n’y conduit pas nécessairement10.

Selon lui, le groupe n’apparaît comme tel que lorsque, et d’une part, il suscite l’existence

préalable d’un « réseau de relations se développant selon un modèle reconnu, ou encore la

survenance d’une stabilisation des rapports entre les membres11 ». D’autre part, il doit

ressortir du groupe « un sentiment d’existence donnant aux adhérents l’impression de former

une collectivité vis-à-vis de ceux qui restent à l’extérieur 12».

La notion de groupe est dès lors importante en ce que ce dernier est le préalable de

l’action collective.

Il convient toutefois à ce sujet de rappeler que certains, tel M. Offerlé13, nuancent ce

rapport naturel entre groupe et action collective en ce que, souvent, l’existence d’un intérêt

commun au sein d’un groupe n’engendrera qu’une inaction collective. En effet, si les

individus-acteurs agissent en agents rationnels, dont le but est de maximiser leur utilité, ils

auront tendance à laisser à autrui la charge du coût de l’action collective. Nous retrouvons là

6 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, Cahiers de la fondation nationale des sciences politiques,

n°95, Paris : Armand Colin, 1958, p. 17.7 Ibid.8 MEYNAUD (J.), Nouvelles études sur les groupes de pression en France, Coll. Cahiers de la fondation

nationale des sciences politiques, n°118, Paris : Armand Colin, 1962, 436 p.9 Id., p. 4.10 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., p. 20.11 MEYNAUD (J.), Nouvelles études sur les groupes de pression en France, op. cit., p. 3.12 Id., p. 4.13 OFFERLE (M.), op. cit., pp. 47-54.

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le phénomène du "free rider" où chacun attend que l’autre agisse. Seule la mise en œuvre

d’incitations amènera ces individus à l’action collective. Ainsi, et pour illustration, les

dockers français voient l’adhésion en leur syndicat obligatoire, et préalable à leur embauche.

Cette théorie de l’individu rationnel, développée par M. Olson, soulève cependant une

interrogation. En effet, encore faut-il qu’il existe, par axiome, des individus rationnels qui

agissent sur la base d’un calcul coût/avantage. De plus, certaines actions peuvent être, dans le

cadre d’une analyse économique, des coûts, et être perçues par les individus, comme des

avantages ou des actions allant de soi …

Toutefois, le groupe entendu par M. Meynaud se doit de mener à l’action collective.

Dès lors, constituera un groupe le rassemblement organisé d’individus poursuivant le

même dessein, et ayant le sentiment d’appartenir à une collectivité.

L’exclusion de la "catégorie groupe", des rassemblements de foule, du public entendu

comme ensemble d’individus réagissant au même stimuli sans être physiquement proches

(tels les téléspectateurs), ou du public entendu comme rassemblement de personnes

s’intéressant aux mêmes problèmes à un moment donné ; nous apparaît évidente. De même,

un individu seul ne pourra constituer un groupe…

En outre, M. Meynaud14 précise que la volonté de défense, de lutter pour écarter des périls

ou obtenir des avantages, est également un élément nécessaire pour passer du "groupage", au

groupe.

Dès lors, si, comme nous le rappelle M. Burdeau, « Toute société est lutte avec la nature

puisque c’est l’incapacité de l’homme isolé à se défendre contre elle qui a provoqué la

formation des groupements sociaux15 », de tels groupements sociaux ne seront des groupes

que s’ils sont organisés en leur for, et qu’un sentiment de collectivité basé sur une

communauté de desseins, les mène à lutter pour écarter des périls ou obtenir des avantages en

ressort.

Mais contre qui peut s’affronter le groupe lorsqu’il lutte pour se défendre ?

14 MEYNAUD (J.), Nouvelles études sur les groupes de pression en France, op. cit., p. 17.15 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, Les forces politiques, op.cit., p. 13.

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M. Burdeau16 relève que les démocraties occidentales sont marquées par le poids des

"Pouvoirs de fait". Certes, s’il y a toujours eu un affrontement entre le Pouvoir établi et des

forces venant de tous horizons, selon lui, l’époque contemporaine est marquée par la

multiplicité, la violence et la puissance de ces pouvoirs qui, pour certains se posent en

ennemis de l’Etat, et pour d’autres tentent de l’investir pour qu’il devienne l’instrument de

leurs revendications.

M. Burdeau décrit ce phénomène comme « l’avènement d’une féodalité nouvelle17 ».

Entendue péjorativement, cette féodalité ne peut disparaître en ce qu’elle réapparaît à chaque

défaillance du pouvoir étatique. L’homme cherchant toujours une protection auprès du

pouvoir, lorsque ce dernier n’y parvient pas, d’autres pouvoirs apparaîtront et prendront la

relève du Pouvoir, en accomplissant la mission protectrice qu’il n’a su assumer.

Dès lors comme le note M. Burdeau « Ce n’est pas la violence des forts qui suscite ces

pouvoirs concurrents au pouvoir légal : c’est l’initiative des faibles en quête de sécurité

d’abord, d’espérance ensuite. En face des faibles qui réclament, les nantis s’organisent alors

pour défendre leurs privilèges et, finalement, la société toute entière n’est plus qu’une

juxtaposition de forteresses ou de camps retranchés d’où partent les assauts contre la citadelle

étatique18 ».

Selon M. Burdeau, ce n’est pas la multitude des pouvoirs qui fonde la féodalité nouvelle,

mais l’attrait qu’exercent sur eux les prérogatives de l’Etat. S’ils n’étaient désireux que

d’autonomie à l’origine, aujourd’hui, ces pouvoirs veulent user des prérogatives du Pouvoir

étatique et dès lors être légitimés. Ainsi, ils n’ont pas pour objectif de faire la loi, mais de

dicter à la loi son contenu.

Comme le résume M. Burdeau, « A l’esprit d’indépendance s’est substitué l’esprit de

clientèle ; mais d’une clientèle pleine d’assurance dès lors qu’elle se sent la force d’exiger19 ».

Cette conséquence est logique en ce que « l’Etat se présente comme l’universel

dispensateur de la sécurité et du bien-être […] et puisqu’il s’engage à pourvoir à tout, chacun

16BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, 2e éd.,

Paris : LGDJ, 1974, 673 p.17 Id., p. 247.18 Id., p. 248.19 Ibid.

8

des Pouvoirs de fait, représentant une catégorie de bénéficiaires, s’estime en droit de contrôler

le principe, l’ordre et le volume des mesures de répartition20 ».

Ainsi, le Pouvoir étatique n’est pas supérieur à ces forces, à ces Pouvoirs de fait. En effet,

alimenté par elles, il n’est que le « reflet de leur tension, un enregistrement toujours provisoire

de leur équilibre 21».

Après cette constatation, M. Burdeau s’est essayé à classifier ces Pouvoirs de fait. Mais

faut-il partir de leurs objectifs, de leur puissance, ou de leurs moyens ?

M. Burdeau propose, dès lors, une distinction entre deux catégories22.

D’une part, les Pouvoirs de fait qui refusent l’ordre présent et qui ont pour vocation

générale de le transformer et qui, pour ce faire, jouissent d’une organisation et d’une

puissance suffisante.

D’autre part, Burdeau distingue les Pouvoirs de fait qui utilisent le Pouvoir étatique. Ces

Pouvoirs veulent tous user du système politique pour que leurs désirs, revendications et autres

aspirations deviennent une idée de droit, c'est-à-dire le droit positif. Toutefois, ces Pouvoirs

de fait sont divers si on étudie les fins qui les animent. Ainsi, on peut y observer les partis

désireux d’établir un programme pour la collectivité nationale dans son ensemble ; puis les

groupements professionnels, ou groupes de pression n’ayant pour objectif que la

revendication au nom d’un nombre important d’individus ; et enfin des groupes exprimant des

intérêts purement égoïstes.

Ainsi, de cette classification, ressortent trois Pouvoirs de fait : les partis, les groupes de

pression, et, les groupements professionnels.

Au titre des partis politiques, il convient d’entendre : « groupes plus ou moins organisés

de citoyens, supposés partager la même doctrine et luttant ensemble pour la conquête du

pouvoir23 », ou encore « organisation durable dont l’apparition est généralement liée à

l’existence d’un parlement et d’élections […], mais qui peut aussi se développer dans un

régime dans lequel les élections n’offrent pas de choix entre plusieurs tendances (parti

20 Ibid.21 Id., p. 250.22 Id., pp. 250-252.23GRAWITZ (M.), Lexique des sciences sociales, 7e éd., Paris : Dalloz, 2000, p. 308.

9

unique). Le parti regroupe des adhérents, militants ou sympathisants en vue de conquérir le

pouvoir ou de participer à son exercice24 ».

Aujourd’hui, « toutes les tendances qui s’affrontent dans la vie politique, tous les pouvoirs

rivaux dont la concurrence fait le fond de l’activité publique, toutes les diversités de

tempérament, d’aspiration et de goût qui séparent les hommes, leurs ambitions aussi et leurs

intérêts, aboutissent […] aux partis politiques25 ». Le parti politique est aujourd’hui

l’intermédiaire par lequel l’individu a l’impression de participer à la vie politique. Il est un

agent de cohésion sociale et un moteur de la vie publique.

Les partis politiques apparaissent spontanément dans la vie sociale la plus simple. En

effet, dès lors que des individus constatent leur attachement à une vision de la vie, vision

contraire à celle du reste du groupe, un parti est né.

Le parti revêt donc deux caractères : d’une part, il est un catalyseur en ce qu’il unit des

individus rassemblés par des conceptions analogues acceptant de voir dans le parti

une « réalité objective indépendante des comportements personnels26 », et, d’autre part, le

parti se fonde sur le lien unissant ces individus pour délimiter ses objectifs.

Dès lors, « constitue un parti tout groupement d’individus, qui, professant les mêmes vues

politiques, s’efforce de les faire prévaloir, à la fois en y ralliant le plus grand nombre possible

de citoyens et en cherchant à conquérir le Pouvoir27 ».

Toutefois, le parti politique n’est pas le seul Pouvoir de fait utilisant le Pouvoir étatique

pour parvenir à faire de ses espoirs et revendications une idée de droit.

En effet, d’autres Pouvoirs de fait multiplient les interventions sur les Pouvoirs publics

pour obtenir des avantages matériels ou pour voir soutenues leurs positions idéologiques.

Ainsi apparaissent les groupes de pression. On tend ici à viser « toute organisation constituée

qui cherche à influencer le pouvoir politique dans un sens favorable aux préoccupations

sociales qu’elle prend en charge28 ».

24DEBBASCH (C.), DAUDET (Y.), BOURDON (J.) et al., Lexique de politique : Etats, vie politique, relations

internationales, 6e éd., Paris : Dalloz, 1992, pp. 323 et 324.25 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 258.26 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 261.27 Id., p. 262.28 BRAUD (P.), op. cit., p. 279.

10

Pour M. Meynaud, évoquer les groupes d’intérêts, c’est faire référence à un « ensemble

d’individus qui, sur le fondement d’une communauté d’attitudes, expriment des

revendications, émettent des prétentions, ou prennent des positions qui affectent, de manière

directe ou indirecte, d’autres acteurs de la vie sociale29 ».

Ces groupes vont utiliser l’action collective pour obtenir, par tous les moyens, la

satisfaction de leurs aspirations.

Toutefois, et comme le souligne M. Offerlé30, bien que l’apparition des partis politiques a

pu être étudiée en fonction de l’analyse de la solidification des clivages sociaux, de

l’importance en nombre des postes électifs, et, de l’installation du suffrage universel ;

l’apparition des groupes et leurs spécificités n’ont engendré que peu d’interrogations.

En effet, l’expression de groupe de pression ("pressure groupe") est née aux Etats-Unis au

début du 20ème siècle, emportant avec elle une acception défavorable. Toutefois, l’emploi du

terme groupe de pression s’est vite répandu, bien que certains auteurs emploient le terme

groupe d’intérêt. Un ralliement s’est opéré autour de l’expression courante "groupe de

pression". En outre, la notion de groupe de pression n’est plus employée avec un a priori

péjoratif. En effet, « Le critère retenu est l’utilisation habituelle ou occasionnelle, directe ou

indirecte, de l’action sur le système politique comme moyen de promotion des objectifs et de

défense des positions du groupe31 ».

Le phénomène n’est en rien nouveau en ce qu’il y a toujours eu des coalitions, dans la

société, pour bénéficier d’avantages octroyés par les gouvernements. Effectivement, comme

le relève M. Burdeau, « Il entre donc dans la nature des choses que les hommes tentent de

faire pression sur l’autorité compétente, soit pour qu’elle édicte une règle ou prenne une

décision qui leur soit favorable, soit pour qu’elle leur évite d’être assujettis à une règle qui les

gène, ou touchés par une décision qui leur coûte32».

Le groupe d’intérêt est donc la résultante de l’existence simultanée de trois

caractéristiques : un groupe organisé (ce qui exclut les simples mouvements de population en

ce qu’une manifestation n’est pas durable, et qu’une émeute n’est pas organisée), ayant pour

objectif la défense d’intérêts (entendus comme les « problèmes, griefs, frustrations, qu’un

29 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., p. 21.30 OFFERLE (M.), op. cit., p. 39.31 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., p. 43.32 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 210.

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groupe entend ériger en cause à défendre33 »), et pour ce faire, ce groupe organisé exerce des

pressions qui pèsent sur l’autorité publique compétente pour prendre les décisions afin de

l’influencer.

Dès lors, le phénomène est difficile à appréhender, tant ces groupes sont nombreux et

divers. En outre, l’étude de ce second Pouvoir de fait soulève une interrogation. En effet, M.

Burdeau, dans sa classification des Pouvoirs de fait34, fait référence à des groupes n’ayant

pour objectif que la revendication au nom d’un nombre important d’individus pour

caractériser les groupes de pression, et l’interrogation apparaît à ce niveau en ce que M.

Burdeau place les groupements professionnels au même rang.

Mais, que faut-il entendre par groupement professionnel ? Quel groupement professionnel

a pour objectif la revendication au nom d’un nombre important d’individus, ou plutôt de

travailleurs, s’agissant d’un groupement professionnel ? Faut-il entendre par là que les

syndicats sont des Pouvoirs de fait analogues aux groupes de pression ?

Les syndicats sont des groupements constitués par des personnes exerçant une même

profession, ou des professions connexes ou similaires, ayant pour objectif l’étude et la défense

des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels des

personnes visées par leurs statuts35. Ainsi, quelle est leur place au sein des autres Pouvoirs de

fait présents dans la société française ?

En insérant les groupements professionnels, entendus comme syndicats, dans la même

catégorie de Pouvoir de fait que les groupes de pression, M. Burdeau semble répondre à notre

interrogation : le syndicat est un Pouvoir de fait analogue à un groupe de pression. M.

Burdeau n’est pas isolé dans cette pensée.

En effet, Mme Grawitz36 définit les groupes de pression comme des « organismes

professionnels, corporatifs ou syndicaux, qui agissent soit directement sur les Pouvoirs

publics, soit indirectement sur l’opinion, pour obtenir des décisions favorables aux intérêts de

leurs membres ». De même, M. Offerlé relève que dans la majorité des cas, en France, ces 33 HASTINGS (M.), Aborder la science politique, Coll. Mémo, Droit science politique, Paris : Editions du seuil,

1996, p. 43.34BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., pp.

250-252.35 Art. L. 411-1 et L 411-2 C. trav.36 GRAWITZ (M.), Lexique des sciences sociales, op. cit., pp. 200 et 201.

12

groupes d’intérêt sont des syndicats ou des associations37. En effet, selon lui « le passage au

suffrage universel, et à la pratique de la démocratie représentative aboutirait à un

développement d’échanges politiques et à un ensemble de spécialisations fonctionnelles

parallèle à la croissance et à la spécialisation des échanges économiques.

D’où l’apparition de groupes spécialisés dans le courtage d’intérêts essentiellement

professionnels38».

Dès lors, à la question de savoir quelle peut être la place des syndicats dans la société

française, il nous apparaît que les syndicats sont des groupes de pression. Ainsi, si les

syndicats sont des groupes de pression, comme l’affirment de nombreux auteurs, ils sont

amenés à occuper une place sur le terrain politique, entendu comme société politique, comme

tout Pouvoir de fait.

Toutefois, les partis politiques, occupants habituels, et hier exclusifs, de ce terrain

politique, connaissent des difficultés à faire une place aux nouveaux venus39, et connaissent,

dès lors, avec eux, des rapports ambigus.

En effet, le problème des rapports entre les syndicats et les partis politiques se pose depuis

la création des syndicats : indépendance ou dépendance40 ?

Bien que de nombreux pays soient cités en exemple de syndicalisme apolitique,

l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la Belgique, voient leurs principaux syndicats liés à un

parti politique. Toutefois, en France, les syndicats mettent l’accent sur leur indépendance vis-

à-vis des partis politiques, bien que leur soit reprochée, aujourd’hui, une politisation

croissante. M. Burdeau définit la politisation comme le fait de faire de son action sur le

Pouvoir son principal instrument41. Mais agir, influencer le Pouvoir, n’est-ce pas là le but des

groupes de pression, le syndicat étant entendu comme tel ?

Dans ce reproche formulé à l’encontre des syndicats, il faut entendre par politisation

l’action par laquelle les syndicats donnent à une situation une portée politique, alors qu’elle

37 OFFERLE (M.), op. cit., p. 27.38 Id., p. 42.39 JEANSON (A.), Les syndicats, nouveaux acteurs politiques, Projet 1971, p. 694.40 BIRIEN (J.-L.), Le fait syndical en France, Paris : Publi union, 1978, p. 169.41 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 265.

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en était dépourvue, et, y est également sous-entendu un rapprochement entre ces syndicats et

les partis politiques.

Le syndicat que nous avons défini comme groupe de pression par hypothèse, tendrait-il,

alors, à se rapprocher des partis politiques ? Ce Pouvoir de fait classé par M. Burdeau comme

analogue à un groupe de pression tend-il à rejoindre un autre Pouvoir de fait : les partis

politiques ?

Nous mènerons donc notre étude en ce sens, ayant à l’esprit que notre analyse portera

principalement sur les syndicats ouvriers français, ou syndicats de salariés français et les

partis politiques français.

Ainsi, nous constaterons que, par principe, le syndicat est autonome des partis politiques

(T1).

En effet, il existe une réelle antinomie entre le syndicat et les partis politiques (CH1).

Cette antinomie étant la résultante d’une constatation simple : le syndicat est un groupe de

pression (S1), et comme tout groupe de pression, il diffère des partis politiques (S2).

En effet, le syndicat est un groupe de pression (S1) en ce qu’il ne peut être entendu

autrement (§1) de par sa nature même (A). Ainsi, et pour illustration, le syndicat a pu être

qualifié de groupe de pression à vocation redistributive (B).

Mais, si syndicat et groupe de pression se conjuguent, le syndicat se pose encore comme

groupe de pression de par la spécialité de son objet (§2). En effet, l’objet du syndicat (A), tant

dans son ancienne rédaction que dans celle issue de la loi du 28 octobre 1982, fait du syndicat

un groupe de pression spécialisé dans l’étude et la défense des droits et des intérêts matériels

et moraux, collectifs et individuels, des personnes visées par ses statuts, distinct des partis

politiques en ce qu’il ne peut défendre un programme politique, ni ne peut se constituer

comme l’annexe d’un parti (B).

En outre, l’hypothèse selon laquelle le syndicat est un groupe de pression se trouve

encore confortée en ce que le syndicat, se présentant comme un groupe de pression, se

distingue nettement des partis politiques (S2).

En effet, et d’une part, le syndicat-groupe de pression se différencie des partis politiques

quant à l’intérêt qu’ils visent tous deux défendre (§1) : le syndicat défendant un intérêt

14

collectif ou individuel, et le parti politique défendant l’intérêt général (A). Cette différence

étant source de fonctions distinctes (B), le parti se trouve essentiellement titulaire d’une

fonction d’agrégation des intérêts à l’instar du syndicat-groupe de pression.

D’autre part, le syndicat-groupe de pression, se distingue nettement des partis politiques

quant à l’objectif propre au groupe (§2). Il est évident que le parti politique, en ne visant que

l’exercice du Pouvoir (A), s’oppose aux buts des syndicats-groupes de pression. Mais encore,

ils se différencient en ce que pour parvenir à un tel but, le parti politique se pose comme une

"machine électorale42" (B).

De plus, le syndicat-groupe de pression, pour confirmer son indépendance face aux partis

politiques, va se proclamer apolitique (CH2).

Cet apolitisme sera consacré par la Charte d’Amiens de 1906 (S1). Si cette Charte est

apparue dans un contexte (§1) favorable à l’autonomie du Pouvoir étatique (A), marquant un

profond désir d’indépendance (B), son texte (§2) a pour ambition de consacrer l’apolitisme

des syndicats (A), et se donne, pour ce faire, une vocation future (B).

Mais, si l’autonomie des syndicats face aux partis politiques semble clairement affirmée,

elle ne s’en trouve pas moins ambiguë (S2).

En effet, la Charte révèle un double sens (§1). Si elle affirme l’indépendance des

syndicats, elle le fait dans le but de mettre en œuvre l’expropriation capitaliste, qui nécessite

l’indépendance des syndicats pour lutter contre le patronat (A). En outre, cette affirmation de

l’apolitisme des syndicats relève plus d’une méfiance à l’égard des partis, le syndicat devant

être l’acteur unique de la révolution, que d’une réelle volonté d’indépendance, ce qui met en

exergue le caractère particulier de l’apolitisme entendu par la Charte d’Amiens (B).

Toutefois, bien que ce texte recèle un sens caché, il est, encore aujourd’hui considéré

comme la base de l’apolitisme syndical français (§2). En effet, cet apolitisme est toujours

présent dans les statuts des principaux syndicats de salariés français visés par notre étude (A).

De plus, cette volonté d’apolitisme est encore rencontrée dans les discours syndicaux, bien

que cette autonomie apparaisse comme relative (B).

Cependant, si notre hypothèse, tendant à qualifier le syndicat de groupe de pression afin

de le situer par rapport au parti politique, semble jusqu’ici confirmée, un revirement va

42 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., 371 p.

15

s’opérer en ce que le syndicat ouvrier français va apparaître comme un groupe de pression

politisé et politique (T2).

En effet, l’autonomie de principe entre syndicat-groupe de pression et parti politique se

trouve malmenée (CH1) en ce que, d’une part, nous pouvons relever des influences

réciproques entre ces deux Pouvoirs de fait (S1). Il est indéniable que les syndicats se trouvent

aujourd’hui politisés (§1) : cette politisation, tant reprochée aux syndicats, est toutefois

légitime car, par définition, un fait social devient politique (A). Elle était même prévisible, à

la lecture de la Charte d’Amiens, et n’est que la conséquence logique des buts cachés des

syndicats (B).

Outre cette politisation, les syndicats connaissent d’importantes difficultés pour maintenir

leur apolitisme, ils nous apparaissent comme "condamnés" à la politique (S2). D’une part,

l’objet du syndicat ayant été étendu (§1), bien que le principe de spécialité ait été conservé, le

syndicat se voit la possibilité d’utiliser des moyens politiques (A). Mais, plus encore, le

syndicat se voit confier un objet qui devient essentiellement politique tant est délicate la

séparation entre le politique et le professionnel, ce qui assigne nécessairement au syndicat des

buts politiques (B).

En outre, le syndicat est encore vu comme "condamné" à la politique, en ce qu’il va

défendre l’intérêt général (§2). En effet, le syndicat apparaît concurrencer le parti politique

dans la défense de l’intérêt général en ce que but politique et intérêt général vont de paire, et

que le syndicat se pose comme défenseur d’un intérêt moral (A). Ce constat s’alourdi encore

lorsque le syndicat apparaît "obligé" à la défense d’un tel intérêt au travers de son action

sociale, ou de son exercice de la démocratie sociale (B).

Ceci nous amène à constater que le syndicat est devenu un groupe de pression d’une

nature hybride (CH2).

En effet, nous allons nous trouver confrontés à une perte totale des repères que nous nous

étions fixés (S1). D’une part, syndicat-groupe de pression et parti politique tendent à se

rapprocher (§1) en ce que le groupe de pression est proche du parti (A), et qu’ils ont tous deux

pour objectif de défendre la volonté du peuple en leur qualité d’intermédiaires, allant même

jusqu’à défendre la même "clientèle" (B).

Parallèlement, et d’autre part, définir le syndicat comme groupe de pression devient

impossible (§2). En effet, pour certains, le concept de groupe de pression est un faux concept

(A), et une distinction doit être opérée entre groupe de pression et groupe d’intérêt (B).

16

Ainsi, la nature particulière du syndicat pourra être relevée en ce que le syndicat va être

qualifié de groupe de pression politique (S2).

En effet, le syndicat est détenteur d’une nature particulière (§1), en ce qu’il peut être

entendu à la fois comme groupe d’intérêt, et groupe d’intérêt politique, au même titre que les

partis politiques (A). Dès lors le recours à une nouvelle notion s’avère nécessaire pour

déterminer la nature du syndicat, laquelle notion fera du syndicat un groupe de pression

politique (B).

Mais si le syndicat est donc un Pouvoir de fait détenant une nature particulière, cette

dernière emporte nécessairement des "effets secondaires" (§2). Ainsi, seront relevées des

conséquences, d’une part, dans les rapports entre syndicats et partis politiques, en ce que si la

relève des partis par ces groupes de pression politiques ne parait pas envisageable dans la

société politique, elle est effective dans l’entreprise (A). D’autre part, le statut particulier des

syndicats emporte des conséquences importantes quant à sa perception par les adhérents des

syndicats. En effet, ceux-ci rejettent en masse le comportement partisan des syndicats, mais

reconnaissent un nécessaire rapprochement du syndical et du politique. Cette ambiguïté

mettant le syndicat dans une position bien inconfortable (B).

Le syndicat et le parti politique, tous deux parallèles au commencement de notre étude,

paraissent donc bien connaître du phénomène selon lequel les parallèles se rejoignent à

l’infini…

17

TITRE PREMIER

L’AUTONOMIE DE PRINCIPE

ENTRE SYNDICAT ET PARTI

POLITIQUE

18

Par principe, le syndicat est autonome des partis politiques :

Une réelle antinomie oppose syndicats et partis politiques (CH1).

En effet, le syndicat est un groupe de pression (S1) en ce qu’il ne peut être entendu

autrement (§1). De par sa nature même, le syndicat est un groupe de pression, voir un groupe

de pression à vocation redistributive.

En outre, le syndicat se pose comme tel de par la spécialité de son objet (§2). En effet,

l’objet du syndicat fait de ce dernier un groupe de pression spécialisé dans l’étude et la

défense des droits et des intérêts matériels et moraux, collectifs et individuels, des personnes

visées par ses statuts.

De plus, le syndicat est un groupe de pression car il se distingue nettement des partis

politiques, comme tout groupe de pression (S2).

D’une part, le syndicat-groupe de pression se différencie des partis politiques quant à

l’intérêt qu’il entend défendre (§1), l’intérêt collectif ou individuel n’étant pas l’intérêt

général. En outre, cette différence est source de fonctions distinctes, le parti se trouvant

essentiellement titulaire d’une fonction d’agrégation des intérêts à l’instar du syndicat-groupe

de pression.

D’autre part, le syndicat-groupe de pression, se distingue nettement des partis politiques

quant à ses objectifs (§2). Le parti politique, en ne visant que l’exercice du Pouvoir, s’oppose

au syndicat-groupe de pression qui n’a pour but que d’influencer les pouvoirs publics. Mais

encore, ils se différencient en ce que pour parvenir à un son but, le parti politique se pose

comme une véritable "machine électorale", ce que ne connaît pas le syndicat-groupe de

pression.

Dès lors, le syndicat-groupe de pression, pour confirmer son indépendance face aux partis

politiques, va se proclamer apolitique (CH2).

Cet apolitisme sera consacré par la Charte d’Amiens en 1906 (S1). Apparu dans un

contexte (§1) favorable à l’autonomie du Pouvoir étatique, et marquant un profond désir

d’indépendance, le texte même de la Charte (§2) a pour ambition de consacrer l’apolitisme

des syndicats, et se donne, pour ce faire, une vocation à anticiper des temps futurs.

Mais, si l’autonomie des syndicats face aux partis politiques semble clairement affirmée,

elle ne s’en trouve pas moins ambiguë (S2).

19

En effet, se dégage de la lecture de la Charte un double sens (§1). Si elle affirme

l’indépendance des syndicats, elle le fait exclusivement dans le but de mettre en œuvre

l’expropriation capitaliste, qui nécessite l’indépendance des syndicats, seuls compétents, pour

lutter contre le patronat. En outre, cette affirmation de l’apolitisme des syndicats relève plus

d’une méfiance à l’égard des partis que d’une réelle volonté d’indépendance, ce qui met en

exergue le caractère particulier de l’apolitisme entendu par la Charte d’Amiens.

Toutefois, malgré son ambiguïté, l’apolitisme de cette Charte est, encore aujourd’hui la

base de l’apolitisme syndical français (§2). En effet, les statuts des principaux syndicats de

salariés français y font toujours référence, ainsi que les discours syndicaux, bien que cette

autonomie apparaisse comme relative.

20

CHAPITRE 1

L’ANTINOMIE ENTRE LE SYNDICAT - GROUPE DE

PRESSION ET LE PARTI POLITIQUE

Nous allons ici être amenés à confirmer notre hypothèse, en ce que le syndicat est un

groupe de pression (S1). En effet, il ne peut être considéré autrement (§1), de par l’étude de

sa nature même (A), ce qui a poussé certains à le qualifier de groupe de pression à vocation

redistributive (B). En outre, le syndicat s’impose comme tel de par la spécialité de son objet

(§2) qui, lors de son étude (A), fait ressortir le syndicat comme un groupe de pression

spécialisé dans l’étude et la défense des droits et des intérêts matériels et moraux, collectifs et

individuels, des personnes visées par ses statuts (B).

De plus, notre hypothèse se trouvera encore confirmée en ce que le syndicat, groupe de

pression, se distingue des partis politiques, comme tout groupe de pression (S2).

D’une part, le syndicat-groupe de pression et le parti politique se différencient quant à

l’intérêt qu’ils entendent défendre (§1) : intérêt collectif, individuel, ou, intérêt général (A).

En outre, cette différence se rencontre encore au sein de leur gestion de ces intérêts, le parti

étant titulaire d’une fonction d’agrégation des intérêts, fonction inconnue des syndicats-

groupes de pression (B).

D’autre part, le syndicat-groupe de pression se distingue du parti politique en ce que ses

objectifs sont différents (§2) : le parti politique ne vise qu’à exercer le Pouvoir, tandis que le

syndicat-groupe de pression n’a pour but que d’influencer les pouvoirs publics, dans l’intérêt

de ses membres (A). A ces fins, ils se différencient encore, car le parti politique se pose

comme une véritable "machine électorale" à l’instar du syndicat-groupe de pression (B).

A ce stade de notre développement, notre hypothèse se trouvera validée.

21

SECTION 1 : LE SYNDICAT – GROUPE DE PRESSION

Nous allons ici constater que le syndicat est nécessairement un groupe de pression (§1), et

s’impose comme tel de par la spécialité de son objet (§2).

§ 1 Le syndicat entendu comme groupe de pression

Le syndicat est un groupe de pression de par sa nature (A), et de par sa vocation visant à

procurer des avantages à ses adhérents (B).

A – La nature du syndicat

Le fait de poser le syndicat comme Pouvoir de fait, au même rang que les groupes de

pression, entraîne l’impérative nécessité de préciser la définition de ces termes (1), afin de

constater leur communauté de but (2), nous faisant conclure à une identité des syndicats et des

groupes de pression, idée renforcée par la présence des syndicats de salariés dans la typologie

des groupes de pression (3).

1 – Les termes syndicat et groupe de pression

Le syndicat est un « groupement constitué par des personnes exerçant une même

profession, ou des professions connexes ou similaires, pour l’étude et la défense des droits

ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels des personnes visées

par les statuts43 ». Le syndicat est donc un « groupement constitué dans le but de défendre les

intérêts d’une catégorie caractérisée par une activité professionnelle 44».

Le groupe de pression, quant à lui, est défini par M. Meynaud comme « tout groupe

d’intérêt qui utilise l’intervention auprès du gouvernement à quelque titre que ce soit

43 GUILLIEN (R.), VINCENT (J.), et al., Lexique termes juridiques, 12e édition, Paris : Dalloz, 1999, p. 529.44 GRAWITZ (M.), Lexique des sciences sociales, op. cit., p. 392.

22

(exclusif, principal, occasionnel) pour faire triompher ses revendications ou affirmer ses

prétentions, au besoin contre une attaque venue du secteur étatique lui-même45 ».

Ainsi, le syndicat et le groupe de pression apparaissent déjà très proches.

2 – La défense des intérêts des membres du groupe

En effet, le syndicat et le groupe de pression ont en commun la défense des intérêts des

membres du groupe. Le groupe étant ici entendu comme nous l’avons précédemment étudié.

En outre, les syndicats et les groupes de pression emploient les mêmes moyens pour

parvenir à défendre l’intérêt des membres de leur groupe. En effet, les groupes de pression,

ayant pour ce faire l’objectif premier d’influencer les Pouvoirs publics, vont mettre en œuvre

des pressions. Ainsi, les groupes de pression useront de la contrainte (grèves, manifestations

visant à obliger le Pouvoir politique à céder) ou de la persuasion46. Nous reconnaissons ici des

moyens largement utilisés par les syndicats pour défendre les intérêts des travailleurs …, et

voir leurs revendications apparaître dans l’idée de droit c'est-à-dire le Code du travail47.

Ainsi, syndicats et groupes de pression semblent être de parfaits synonymes. Dès lors,

nombreux sont les auteurs qui, pour définir les groupes de pression, font référence aux

syndicats. M. Burdeau prend l’exemple du syndicat pour déterminer la force d’un groupe de

pression48, M. Schwartzenberg fait place aux syndicats ouvriers parmi les groupes de

pression49, d’autres entament une définition des groupes de pression en précisant qu’il s’agit

souvent d’organismes professionnels, corporatifs ou syndicaux50. D’autres encore, tel que

M.Offerlé qui écrit : «le cœur de la définition [des groupes dont le but est d’exercer une

pression] donne bien socialement la préséance et constitue bien en noyau de référence les

groupes à finalités de défense professionnelle51 », tout en illustrant son propos par une

référence aux syndicats de salariés …

45 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 210.46 HASTINGS (M.), op. cit., pp. 45-47.47 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., p.

322.48 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 212.49 SCHWARTZENBERG (R.-G.), Sociologie politique, 4e éd., Coll. Domat science politique, Paris :

Montchrestien, 1988, p. 517.50 GRAWITZ (M.), Lexique des sciences sociales, op. cit., pp. 200 et 201.51 OFFERLE (M.), op. cit., p. 26.

23

En outre, si ces auteurs définissent le groupe de pression par référence aux syndicats, ils

insèrent le syndicat dans leurs essais de typologie des groupes de pression.

3 – Le syndicat dans la typologie des groupes de pression

Il convient avant tout de rappeler que l’établissement d’une liste exhaustive des

organisations qui influent ou tentent d’influer sur les décisions politiques est un exercice mal

aisé. En effet, ces groupes se multiplient, s’unissent, se transforment et se dissolvent sans

cesse52. Toutefois, certains auteurs se sont essayés à une classification.

Ainsi, M. Schwartzenberg distingue les groupes de pression quant à leur but, leur genre, et

enfin quant à leur structure53. Quant à leur but, M. Schwartzenberg distingue les groupes

d’intérêt des groupes d’idée, bien que la défense d’idée et la défense d’intérêt aillent souvent

de paire dans les groupes de pression. Et, selon lui, sont une sous division de cette catégorie

des groupes défendant plutôt des intérêts : les organisations générales de salariés qui

préoccupent notre étude. M. Schwartzenberg y fait apparaître principalement la CGT, FO

puis la CFDT.

D’autres tel M. Hastings distinguent les groupes à vocation spécialisée « porte-parole

d’une cause spécifique autour de laquelle vont se rassembler librement les sympathisants [qui]

se reconnaissent par la volonté de défendre un intérêt commun et circonscrit, souvent

extérieur à leur propre condition 54», et les groupes à vocation globale qui « prennent en

charge les intérêts d’une catégorie particulière de la population55 » avec d’une part les groupes

socio-culturels où les individus se rassemblent autours d’une même idéologie (telles les

associations religieuses), et, d’autre part les groupes socio-économiques (tels les syndicats de

salariés).

Si M. Offerlé met en garde contre le « fétichisme classificatoire56 » en ce qu’il ne faut

pas oublier qu’un même groupe peut structurellement fonctionner de manière dissemblable,

52 ERLICH (S.), Le pouvoir et les groupes de pression. Etude de la structure politique du capitalisme, traduit du

polonais Wlada i interesy, studium struktury polityeznej kaptalizmu, Paris : La Haye Mouton, 1971, p. 26.53 SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit., pp. 520-547.54 HASTINGS (M.), op. cit., p. 44.55 Ibid.56 OFFERLE (M.), op. cit., pp. 36 et 37.

24

et, qu’il n’existe pas une seule et unique ligne typologique. Ce que nous nous devons de

constater face à ces différentes typologies, c’est la présence, quel que soit l’auteur de la

typologie, quelle que soit la ligne typologique qu’il a adopté, des syndicats ouvriers.

Notre hypothèse se trouve donc là justifiée, d’autant que quel que soit l’auteur d’une

typologie des groupes de pression, ils y font toujours apparaître les syndicats de salariés. Dès

lors le syndicat est un groupe de pression, mais, comme tout groupe de pression, il a une

vocation qui lui est propre : une vocation redistributive.

B – Le syndicat comme groupe de pression à vocation redistributive

M. Garello, Lemennicier et Lepage se sont interrogés sur la raison d’être des syndicats57,

et ne serait autre qu’un « groupe de pression organisé ayant pour objet l’augmentation des

rémunérations monétaires et non monétaires versées à ses membres58 » (1). Si le fondement

de cette affirmation nous apparaît quelque peu surprenant, il est indéniable que le syndicat, en

sa qualité de groupe de pression, a une vocation redistributive (2).

1 – Un groupe de pression orienté vers l’augmentation des rémunérations

M. Garello, Lemennicier et Lepage affirment que le syndicat est un groupe de pression à

vocation redistributive en ce qu’il ne vise que l’augmentation des rémunérations59.

Selon ces auteurs, le syndicat agit dans l’intérêt de ses membres, et dès lors

constitue « une association qui se donne pour fin de maximiser le flux des revenus que les

membres d’un groupe économique, social ou professionnel tirent de leur activité60 ».

Cependant, d’une part, cette vision des syndicats ne fait pas référence qu’aux seuls

syndicats ouvriers, qui nous intéressent, mais fait référence aux syndicats de métier, syndicats

professionnels, syndicats patronaux, chambre de commerce … D’autre part, cette vision des

syndicats minimise leur rôle en ce que les syndicats n’ont pas pour seul objectif de

57 GARELLO (J.), LEMENNICIER (B.), LEPAGE (H.), Cinq questions sur les syndicats, Coll. Libre échange,

Paris : PUF, 1990, 214 p.58 Id., p. 27.59 Ibid.60 Id., p. 31.

25

« maximiser le flux des revenus de ses membres61 ». Les syndicats nourrissent d’autres buts,

d’autres préoccupations, activités subsidiaires « dans lesquelles les syndicats ne s’aventurent

qu’en raison du caractère collectif de leur vocation première62 », selon ces auteurs.

Les bases de leur raisonnement paraissant quelque peu "originales" et propres à ces

auteurs, nous ne retiendrons que l’idée maîtresse de leurs développements : le syndicat est un

groupe de pression à vocation redistributive.

2 – Un groupe de pression tendant à la procuration d’avantages pour sesmembres

En effet, voyons la conjugaison de l’article L 411-1 C. trav. qui dispose « Les syndicats

professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des

intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par leurs

statuts » et de l’article L 411-18 du même code disposant « S’ils y sont autorisés par leurs

statuts, et à condition de ne pas distribuer de bénéfices, même sous forme de ristournes à leurs

membres, les syndicats peuvent : Acheter pour les louer, prêter ou répartir entre leurs

membres tous les objets nécessaires à l’exercice de leur profession […], Prêter leur entremise

gratuite pour la vente des produits provenant exclusivement du travail personnel ou des

exploitations des syndiqués […]».

La conjugaison de ces articles fonde l’interdiction faite aux syndicats d’exercer le

commerce et actes de commerce. Toutefois, un tempérament existe aux conditions énoncées

par l’article L 411-18 du code du travail que nous venons d’évoquer.

Cet exemple nous permet de démontrer l’aspect redistributif du syndicat : il intervient

dans le but d’aider ses adhérents. Il en va de même lorsqu’un syndicat conclut une convention

collective : en qualité de groupe de pression il vise à défendre les intérêts de sa catégorie

professionnelle, et par là s’implique pour eux. Les avantages obtenus ne seront des avantages

que pour les membres de cette catégorie. Le syndicat en tant que personne morale n’en

retirera rien.

Notre hypothèse se trouve donc confirmée en ce que le syndicat est donc bel et bien,

comme nous venons de le démontrer, un groupe de pression.

61 Ibid.62 Id., p. 32.

26

Dès lors, si le syndicat est un groupe de pression, par définition et selon la classification

faite des Pouvoirs de fait par M. Burdeau63 que nous avons vue, il s’oppose nécessairement

aux partis politiques, autres Pouvoirs de fait, dans un premier temps par son objet.

§ 2 La spécial ité de l’objet du syndicat

Toutes les personnes morales « se distinguent donc par leur objet, le but qu’elles

s’assignent, les intérêts qu’elles défendent ; elles se trouvent de ce fait soumises au principe

de spécialité qui conditionne leur validité et elles sont limitées dans leur action par la

spécialité qui est leur raison d’être […]. Une personne morale ne peut échapper à sa finalité

qui conditionne son existence, la catégorie à laquelle elle appartient, et son statut 64». Dès

lors, nous noterons l’objet apolitique du syndicat (A), faisant de lui un groupe de pression

spécialisé (B).

A – L’objet apolitique du syndicat

La qualité de groupe de pression du syndicat s’affirme encore plus nettement suite à

l’analyse de son objet. En effet, celui-ci ayant évolué, qu’il s’agisse de l’objet du syndicat

défini comme tel avant la loi du 28 octobre 1982 (1), ou de son actuelle définition consécutive

à cette loi (2), la vision du syndicat comme groupe de pression se conforte en ce que

l’antagonisme entre groupes de pression et partis politiques tend à apparaître entre syndicats

et partis politiques.

1 – L’objet du syndicat avant la loi du 28 octobre 1982

Aux termes de la loi du 21 mars 1884, les syndicats professionnels

avaient « exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques, industriels,

commerciaux et agricoles ». Les syndicats étaient donc limités à la défense et à la promotion

d’intérêts exclusivement professionnels et matériels dans le cadre d’activités limitées.

63 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., pp.

250-252.64 MERLIN (J.), Liberté syndicale et spécialité syndicale, Dr. soc. 1998, pp. 571 et 572.

27

Le législateur de l’époque voulait éviter toute intrusion de la politique dans les syndicats

ouvriers, et restreindre l’action de ces derniers dans un domaine strictement professionnel. Le

caractère obligatoire de cet intérêt professionnel préalable à l’action des syndicats permet

d’éviter que les syndicats ne poursuivent des buts politiques, entre autres. A cet effet,

l’adverbe « exclusivement », qui avait disparu lors d’un premier vote, a été rétabli en ce qu’il

rendait suffisamment claire l’interdiction qui était faite aux syndicats de se constituer dans un

but ouvertement politique.

Le syndicat se conforte donc dans sa qualité de groupe de pression, en ce qu’il s’oppose

fermement à tout but politique. Toutefois, cet objet a été modifié en 1982.

2 – L’actuel objet du syndicat

Dans sa nouvelle rédaction, l’article L 411-1 C. trav. dispose « Les syndicats

professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des

intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par leurs

statuts ». Avant tout, il convient de rappeler que ce qui nous intéresse en l’espèce, est de

déterminer en quoi le syndicat s’oppose au politique, afin de confirmer sa nature de groupe de

pression.

Ainsi, certains s’interrogent sur l’existence, au-delà de sa réécriture, du principe dit de

spécialité65. En effet, le syndicat s’affirme t-il encore comme un groupe de pression ne

défendant que les intérêts d’une catégorie, en l’espèce les intérêts professionnels visés par la

précédente rédaction de l’article L 411-1 C. trav. ?

Aux termes de la circulaire ministérielle du 30 novembre 1984, « cette nouvelle définition

ne remet pas cependant en cause la spécificité de l’action syndicale qui doit se différencier de

toute action associative ou politique ; la formule retenue ne laisse en effet aucun doute quant à

la nature exclusivement syndicale des actions que peuvent mener les organisations de ce

type66 ».

Pour M. Verdier, la nouvelle formulation de la spécialité syndicale ne génère en rien la

disparition de cette dernière67.

65 JEAMMAUD (A.), op. cit., p. 19.66 RENNES (P.), Circulaire D.R.T. n°13 du 30 novembre 1984, Dr. ouvrier 1985, p. 127.67 VERDIER (J.-M.), Syndicats et droit syndical, t. 5, Liberté, structures, action, vol. 1, 2e éd., Paris : Dalloz,

1987, 684 p.

28

Groupes de pression et partis politiques étant deux Pouvoirs de fait relevant de catégories

différentes, la spécialité de l’objet du syndicat l’amenant à exclure tout but politique pour ne

viser que la défense des travailleurs, ne fait que conforter notre hypothèse qui était de

qualifier les syndicats de groupes de pression.

Ainsi, les syndicats apparaissent comme des groupes de pression spécialisés dans l’étude

et la défense des droits et des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels des

personnes visées par leurs statuts.

B – Le syndicat comme groupe de pression spécialisé

« L’article L 411-1 du code du travail n’a pas dilué l’objet syndical dans une

formule qui permettrait au groupement d’agir en tout domaine pour défendre n’importe quel

intérêt68 ». Le syndicat s’affirme encore plus à ce stade, comme un groupe de pression opaque

et étanche, dans son objet, à toute influence des partis politiques. En effet, il ne peut ni

soutenir un programme politique (1), ni voir l’installation d’un parti politique en son arrière

plan (2). Le syndicat est un groupe de pression spécialisé dans l’étude et la défense des

intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels des travailleurs.

1 – L’impossible défense d’un programme politique

Le syndicat, de par son objet, et comme nous venons de le voir, ne peut être constitué afin

de poursuivre un but politique. Dès lors, un syndicat ne peut être constitué pour défendre un

programme politique, tout comme le syndicat ne pourra puiser sur les fonds syndicaux pour

financer la campagne d’un candidat69, ni constituer une « plate-forme politique 70». Ses statuts

ne peuvent prévoir l’exclusion d’un adhérent en raison de son idéologie : le syndicat se doit

d’unir les travailleurs indépendamment de leurs opinions, de leurs croyances. On retrouve au

sein de cette idée, une raison pour laquelle le syndicat, dans la typologie de Schwartzenberg71,

68 J.-Cl. Travail, Syndicats professionnels, Liberté syndicale, Fasc. 12-10, n° 41.69 VERDIER (J.-M.), COEURET (A.), SOURIAC (M.-A.), Droit du travail, Coll. Mémento Dalloz, série droit

privé, 11e éd., Paris : Dalloz, 1999, p. 63. Et, PUIGELIER (C.), Droit du travail. Les relations collectives, Coll.

Cursus, Paris : Armand Colin, 1999, p. 25.70 LYON-CAEN (G.), PELISSIER (J.), SUPIOT (A.), Droit du travail, 17e éd., Paris : Dalloz, 1994, p. 578.71 SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit., pp. 520-545.

29

apparaissait au titre de groupes défendant plutôt des intérêts et non pas des idées, comme nous

l’avons vu précédemment.

Le syndicat est donc bel et bien un groupe de pression défendant plutôt des intérêts que

des idées, il est un groupe de pression spécialisé dans l’étude et la défense des intérêts

matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels des travailleurs. Cette affirmation s’avère

encore exacte en ce qu’un syndicat ne peut être l’instrument d’un parti.

2 – L’impossible syndicat annexe d’un parti

« Un groupement qui est l’instrument d’un parti politique qui est à l’origine de sa

création et dont il sert exclusivement les intérêts et les objectifs en prônant des distinctions

fondées sur la race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, ne pourra se

prévaloir de la qualité de syndicat professionnel72 ». En l’espèce, la constitution de syndicats

Front National police, administration pénitentiaire… a été l’occasion pour la Cour de

cassation de rappeler « qu’un syndicat ne peut être fondé sur "une cause ou en vue d’un objet

illicite" et qu’il ne peut poursuivre des objectifs essentiellement politiques73 ».

L’objet illicite est, en l’espèce, la poursuite d’un objectif purement politique. Le syndicat

ouvrier français, comme groupe de pression, doit obligatoirement avoir pour objectif la

défense et la protection d’intérêts professionnels. Il ne peut poursuivre des buts exclusivement

politiques en utilisant les droits et prérogatives attachés à sa qualité de syndicat professionnel.

Dès lors, à ce stade de notre étude, nous ne pouvons que confirmer notre hypothèse selon

laquelle le syndicat est un groupe de pression. En effet, partageant de nombreuses

caractéristiques communes, et principalement la défense des intérêts de leurs membres, c'est-

à-dire la défense d’intérêts professionnels, syndicat et groupe de pression semblent réellement

aller de paire. Ainsi, si notre hypothèse se trouve vérifiée en ce qu’un syndicat est un groupe

de pression, que penser du rapport syndicat-parti politique sachant que nous entendons le

syndicat comme un groupe de pression ?

72 Cass. ch. Mixte, 10 avril 1998, 3e arrêt, Bull. ch. Mixte n°2, Dr. soc., 1998, p.565.73 VERDIER (J.-M.), COEURET (A.), SOURIAC (M.-A.), op. cit., p. 64.

30

SECTION 2 : LE SYNDICAT COMME GROUPE DE

PRESSION DISTINCT DU PARTI POLITIQUE

Si syndicat-groupe de pression et parti politique apparaissent distincts en ce qu’ils ont des

interlocuteurs et des niveaux d’action différents, des prérogatives différentes,… les

principales différences entre syndicat-groupe de pression et parti politique reposent sur la

défense d’intérêts différents (§1), mais aussi sur les objectifs propres au groupe (§2).

§ 1 L’intérêt porté par le groupe

En effet, syndicat-groupe de pression et parti politique diffèrent quant à l’intérêt qu’ils

portent, en ce qu’intérêt général et intérêt collectif sont différents (A). De plus, la gestion de

ces intérêts leur procure des fonctions différentes (B).

A – L’intérêt général et l’intérêt collectif

Le groupe de pression est, par définition, un groupe axé sur la défense des intérêts de

ses membres, comme nous l’avons précédemment vu. Cependant, il convient de noter que les

intérêts pris en charge par les syndicats-groupes de pression sont des intérêts collectifs (1),

contrairement aux partis politiques, préoccupés par l’intérêt général (2).

1 – Le syndicat-groupe de pression porteur d’un intérêt collectif ou individuel,matériel ou moral

L’intérêt est l’avantage que l’on peut tirer d’une situation de fait ou d’un acte juridique.

Comme nous l’avons vu, l’objet du syndicat est aujourd’hui l’étude et la défense des intérêts

matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par ses statuts. Ainsi,

le syndicat porte les intérêts individuels ou collectifs des travailleurs, qu’il s’agisse d’intérêts

matériels ou moraux.

31

Dans la notion de groupe d’intérêt, le concept d’intérêt est entendu au sens large de nos

jours, et peut être matériel ou moral. La défense d’intérêts moraux n’est en rien un obstacle à

l’existence d’un groupe de pression.

Le groupe d’intérêt « se présente comme un ensemble d’individus qui, sur l’impulsion

d’un "intérêt commun", exprime des revendications, émet des prétentions ou prend des

positions affectant de manière directe ou indirecte, d’autres acteurs de la vie sociale74 ».

Dès lors, « la raison d’être du syndicalisme, ce sont les intérêts des travailleurs qu’il a la

mission de représenter et de défendre partout où ils sont en cause75 ». Les intérêts des

travailleurs sont donc nécessairement tant les intérêts individuels que les intérêts collectifs de

ces travailleurs. Ainsi, M. Krasucki a écrit « A la CGT, nous définissons le syndicat comme

une organisation de classe et de masse capable de rassembler pour leurs intérêts communs le

plus grand nombre de travailleurs, quel que soit le parti qui a leur préférence 76». Là encore,

notre hypothèse est confirmée. D’autant que le syndicat s’affirmant comme un groupe de

pression, s’éloigne d’un autre pouvoir de fait : le parti politique portant quant à lui un intérêt

général.

2 – Le parti politique porteur d’un intérêt général

En effet, comme l’écrit justement M. Burdeau « Le citoyen vote, puis il se tait. Par son

vote même il s’est prononcé en fonction d’un bien général d’où, le plus souvent, son intérêt

personnel est exclu77 ».

La volonté de l’homme s’exerce à deux niveaux : sur le plan de la vie quotidienne où

s’expriment les intérêts particuliers, revendications particulières, et , sur le plan officiel

délimité par les institutions constitutionnelles, tels les partis politiques visant à défendre un

intérêt général. En effet, « le bulletin de vote s’adapte mal aux exigences qui leur sont propres

et les programmes partisans ne correspondent pas à la variété des aspirations particulières aux

situations où ils sont placés78 », les groupes de pression sont donc présents à cette fin.

74 MEYNAUD (J.), Nouvelles études sur les groupes de pression en France, op. cit., p 12.75 JEANSON (A.), op. cit., p. 707.76 KRASUCKI (H.), Syndicats et socialisme, Paris : Editions sociales, 1972, 126 p.77 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., p.

291.78 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, Les forces politiques, op.cit., p 226.

32

Certes, les membres du parti partagent des croyances communes et ont des logiques

d’intérêts particuliers, mais la raison d’être des partis est d’unir, en les coordonnant, les

réactions individuelles face à des problèmes d’ordre politique en vue d’une action commune.

Le parti politique repose donc sur une solidarité générale : l’intérêt général. D’autant que

le parti politique vise à exercer le pouvoir, de ce fait il ne peut que se reposer sur l’intérêt

général…

Parti politique et syndicat, entendu comme groupe de pression, défendent donc des

intérêts différents.

Au-delà des simples intérêts défendus, la distinction se renforce en ce que partant des

intérêts respectivement prônés par ces pouvoirs de fait, leurs rôles quant à l’expression de ces

intérêts nous apparaissent réellement distincts.

B – La fonction agrégative des partis politiques

Nous ne pouvons déroger à l’étude des rôles de ces Pouvoirs de fait quant à l’expression

de ces intérêts. Il convient donc d’étudier la fonction d’information des partis politiques (1)

laquelle précède l’articulation, et surtout l’agrégation des intérêts (2).

1 – La fonction d’information des partis

La mission du parti politique n’est pas uniquement de proposer à l’électeur un "choix de

couleur". En effet, le parti doit le préparer à l’acte électoral. « C’est aux partis qu’il incombe

de donner une signification politique aux aspirations ou aux revendications des individus 79».

Le parti doit donc amener les individus à intégrer dans leurs visions particulières ou

collectives un dessein général. Ainsi, les partis sont de véritables structures de communication

visant au recrutement et à la socialisation politique.

Mais enfin, et surtout, le parti contribue à l’articulation des intérêts et à leur agrégation.

79BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 276.

33

2 – L’articulation et l’agrégation des intérêts

Le parti, comme le souligne M. Schwartzenberg, « contribue à deux processus de

conversion fondamentaux80 », à savoir l’articulation des intérêts d’une part, et l’agrégation

des intérêts d’autre part.

En effet, plongé dans la société, le parti recueille des demandes, des revendications qu’il

se doit de transformer en décision et en action. Ainsi, dans un premier temps, en complétant

ou en suppléant les groupes d’intérêt, le parti articule, formule, les exigences essentiellement

fournies par les groupes d’intérêt. Ensuite, les partis vont homogénéiser ces exigences et vont

les modeler en quelques options. Dès lors, sur cette base, des choix définitifs seront faits par

les gouvernants.

Cette théorie de la fonction agrégative, soutenue par M. Almond, montre bien l’aspect de

« plaque tournante entre la société et le pouvoir81 » que revêt le parti politique.

Les partis ne se trouvent pas paralysés par un flux important de demandes catégorielles,

principalement exprimées par les groupes de pression.

Si dans notre système politique français, l’articulation des intérêts est assurée par les

groupes de pression, leur agrégation revient aux partis politiques.

Syndicats et partis politiques défendent donc des intérêts foncièrement différents,

attribuant aux partis politiques une fonction agrégative. Toutefois, si une première différence

a donc pu ainsi être établie à partir de la nature des intérêts défendus tant par le syndicat que

par le parti, un second fondement de distinction peut se trouver en l’objectif du groupe.

§ 2 L’objectif du groupe

A l’encontre du syndicat-groupe de pression, les partis politiques visent à conquérir le

pouvoir, à l’exercer, ce qui constitue une véritable différence de but entre ces deux pouvoirs

de fait (A), et, pour exercer le pouvoir, le parti se pose en véritable "machine à rassembler les

votes" selon l’expression de M. Meynaud82 , tandis que le syndicat-groupe de pression ne vise

80 SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit., p. 405.81 Ibid.82 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., 371 p.

34

qu’à élaborer et faire triompher une doctrine sans présenter de candidats aux élections dans le

but de se voir attribuer la direction du gouvernement (B).

A – L’exercice du pouvoir

Syndicat-groupe de pression et parti politique s’opposent encore en ce que, par définition

(1), ces deux Pouvoirs de fait connaissent des buts antinomiques (2).

1 – L’antinomie des définitions

Selon La Palombara et Weiner83, pour qu’un groupe soit un parti politique, il faut que ce

groupe constitue une organisation durable, localement bien établie parallèlement à des

rapports réguliers et constants avec l’échelon national. En outre, ce groupe doit faire montre

d’une volonté des dirigeants de celui-ci de conquérir et dès lors exercer le pouvoir en

recherchant un soutien populaire par le biais des élections.

Ainsi, les partis se différencient des groupes de pression en ce qu’ils ont pour objectif

direct de s’emparer du pouvoir ou de participer à son exercice. Les groupes de pression, quant

à eux, et comme nous l’avons vu, n’ont pour objectif que d’influencer les détenteurs du

pouvoir. Les groupes de pression ne cherchent qu’à exercer une pression sur ces détenteurs du

pouvoir, tout en leur demeurant extérieurs84 .

Ceci justifie la prise de position des partis concernant l’intérêt par eux défendu : en

aspirant conquérir et exercer le pouvoir, le parti ne peut que défendre l’intérêt général, comme

nous l’avons vu.

2 – La poursuite de buts réellement antinomiques

Si les syndicats s’opposent, en faisant pression sur lui, à un pouvoir, dès lors qu’il s’agit

d’en définir le contenu, apparaît là la tâche exclusive des partis85 . En effet, les groupes de

83 SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit., pp. 395 et 396.84 Ibid.85 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., p.

329.

35

pression ne gouvernent pas, mais s’intéressent au gouvernement86. Seuls les partis « disposent

de l’accès direct aux leviers de commande87 ».

Une telle situation conduit nécessairement les syndicats-groupe de pression à peser sur les

partis pour voir leurs revendications entendues. En effet, les groupes de pression sont définis

comme exerçant une pression sur le Pouvoir étatique, mais qu’est-ce que le Pouvoir étatique,

sinon un parti politique ayant conquis et exerçant le pouvoir ?

Ainsi, les syndicats-groupe de pression ne pourront que tendre à influencer le pouvoir sans

avoir l’intention de l’exercer. En effet, « Dans la démocratie industrielle, le syndicalisme

ouvrier est une opposition qui est destinée à ne jamais accéder au pouvoir.88»

Comme le souligne M. Meynaud, « Le groupe intervient mais sans assumer lui-même la

responsabilité des décisions prises, mieux encore, sans avoir la volonté d’assurer, au lieu et

place des pouvoirs compétents, la conduite des affaires gouvernementales. De l’extérieur, il

pèse sur les pouvoirs, mais ne vise pas à les remplacer89 ». Ainsi, parti politique et syndicat-

groupe de pression s’opposent90. Cependant, pour exercer ce pouvoir, le parti emploie des

moyens qui là encore, sont inconnus des groupes de pression et donc des syndicats.

B – La machine électorale du parti politique

Syndicat-groupe de pression et parti politique s’opposent encore quant à leur essence (1), et

quant aux moyens qu’ils mettent en œuvre pour parvenir à leurs buts (2).

1 – Les essences distinctes des partis politiques et des syndicats-groupe depression

Syndicat-groupe de pression et partis politiques diffèrent également quant à leurs essences

respectives. Tandis que la doctrine politique une fois définie sur un point précis et au sein

86 ERLICH (S.), op. cit., p. 40.87 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., p. 37.88 REYNAUD (J.-D.), Les syndicats en France, Coll. U, série société politique, t. 1, Paris : Armand Colin, 1975,

p. 277.89 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., pp. 21 et 22.90 Id., p. 37.

36

d’un parti défini s’entendra dans les mêmes termes de Lille à Marseille et de Brest à

Strasbourg ; la doctrine syndicale pourra légèrement varier selon le niveau interprofessionnel,

la branche professionnelle, l’entreprise, l’établissement, ou encore le niveau national,

régional, départemental ou local91. Cette différence d’essence peut trouver sa source dans

l’objet plus limité du syndicat-groupe de pression par rapport à celui des partis politiques.

Dès lors, si le syndicat-groupe de pression et le parti politique émanent du principe

démocratique, le syndicat y ajoute une forte autonomie tandis que le parti politique le combat.

En effet, le parti politique ne tend pas, comme nous l’avons vu, à être autonome par rapport

au principe démocratique en ce qu’il a pour objet d’exercer le pouvoir. Toutefois, pour

parvenir à exercer ce pouvoir, encore faut-il le conquérir.

2 – L’élection comme moyen de conquête du pouvoir

Ainsi, si le parti a pour but de s’emparer du pouvoir politique, « cela présuppose une

participation à la campagne électorale et une action en vue de diriger l’opinion publique, de

gagner les suffrages de couches sociales aussi larges que possible92 ». Le syndicat-groupe de

pression n’ayant pas pour objectif l’exercice du pouvoir comme nous l’avons vu, il n’entre

pas, dès lors, dans le cadre des campagnes électorales. Le fait de présenter, ou non, des

candidats aux élections générales marque une autre différence entre parti politique et groupe

de pression93.

Ainsi, M. Braud qualifie les partis politiques de « machines électorales 94» en ce que les

partis doivent, premièrement, sélectionner les candidats aux élections locales et nationales,

puis les partis doivent mobiliser des soutiens, qu’ils soient financiers ou militants, pour

affronter la « bataille électorale95 ». Enfin, le parti devra choisir les dirigeants nationaux ;

attribution et fonction inconnues des groupes de pression. Parallèlement à leur volonté de

conquête du pouvoir, l’institution du suffrage universel agit comme processus de désignation

des gouvernants96.

91 MENU (J.), L’institutionnalisation des syndicats : absence de problématique, Dr. soc. 1984, p. 255.92 ERLICH (S.), op. cit., p. 30.93 BRAUD (P.), op. cit., p. 279.94 Id., p. 377.95 Id., p. 379.96 Id., p. 359.

37

3 – L’élection comme principal moyen de conquête du pouvoir

Toutefois, et comme certains le notent, nous ne pouvons ramener les partis politiques à de

simples organisations électorales ayant pour objectif de faire parvenir leurs candidats à la tête

de postes publics. Mais il convient de noter que la préparation des élections, la constitution de

programmes électoraux, afin de conduire à l’investiture des candidats, est la principale

caractéristique de l’activité politique97. D’autre part, nous nous devons, dans le cadre de notre

étude, d’appuyer sur ces traits caractéristiques qui délimitent le syndicat-groupe de pression et

le parti politique. En effet, nous ne pouvons nier que la participation aux élections n’est qu’un

moyen, pour les partis politiques d’atteindre leur but : la conquête puis l’exercice du

pouvoir98.

En outre, dire des partis politiques qu’ils constituent des « machines électorales99 » n’est

en rien réducteur. En effet, l’article 4 de notre Constitution dispose dans son alinéa premier

« Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage ». La

participation au suffrage des partis est, tout de même, le noyau de l’activité des partis, lequel

noyau permet de distinguer les partis des syndicats-groupes de pression. Ainsi, les syndicats-

groupe de pression et les partis politiques apparaissent très différents quant à leurs objectifs

réciproques, quant aux intérêts qu’ils portent, mais également quant aux moyens qu’ils

mettent en œuvre pour parvenir à atteindre leur but. Ainsi, c’est sans surprise que nous

voyons les syndicats affirmer leur indépendance face aux partis politiques.

97 ERLICH (S.), op. cit., p. 42.98 SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit., pp. 399-407.99 BRAUD (P.), op. cit., p. 377.

38

CHAPITRE 2 LE SYNDICAT APOLITIQUE

Dès lors, le syndicat-groupe de pression, pour confirmer son indépendance face aux partis

politiques, va se proclamer apolitique.

Cet apolitisme sera consacré par la Charte d’Amiens de 1906 (S1). Apparu dans un

contexte (§1) favorable à l’autonomie du Pouvoir étatique (A), et marquant un profond désir

d’indépendance (B), ce texte (§2) a pour ambition de consacrer l’apolitisme des syndicats (A),

et se donne, pour ce faire, vocation à anticiper des temps futurs (B).

Mais, si l’autonomie des syndicats face aux partis politiques semble clairement affirmée,

elle ne s’en trouve pas moins ambiguë (S2). En effet, se dégage de la lecture de la Charte un

double sens (§1) : elle affirme l’indépendance des syndicats dans le but de mettre en œuvre

l’expropriation capitaliste (A). En outre, cette affirmation de l’apolitisme des syndicats relève

plus d’une méfiance à l’égard des partis que d’une réelle volonté d’indépendance, ce qui met

en exergue le caractère particulier de l’apolitisme entendu par la Charte d’Amiens (B).

Toutefois, malgré son ambiguïté, l’apolitisme de cette Charte est, encore aujourd’hui, la

base de l’apolitisme syndical français (§2). En effet, les statuts des principaux syndicats de

salariés français y font toujours référence (A), ainsi que les discours syndicaux, bien que cette

autonomie apparaisse comme relative (B).

SECTION 1 : L’APOLITISME DU SYNDICAT CONSACRE

PAR LA CHARTE D’AMIENS

Apparue dans un contexte (§1) favorable à l’autonomie du Pouvoir étatique et désireux

d’indépendance, elle n’est pas le texte fondateur de cet apolitisme. En outre, son texte (§2),

ayant pour ambition de consacrer l’apolitisme des syndicats (A), se donne, pour ce faire,

vocation à anticiper des temps futurs (B).

39

§ 1 Les origines de la charte d’Amiens

Il est impératif en l’espèce de retracer le contexte dans lequel est apparue la Charte (A), ce

qui nous permettra de relever le réel désir d’apolitisme qui préexistait à son adoption (B).

A – Le contexte historique et idéologique

Une bonne interprétation d’un texte ne peut exister sans une étude de son contexte. Nous

nous devons donc de démarrer notre analyse sur le rapport existant entre démocratie politique

et syndicat. En effet, la prohibition dans un premier temps, des groupements ouvriers (1), puis

le poids de ces derniers dans la démocratie politique (2), nous procure une peinture des

rapports entre syndicat et démocratie politique avant l’adoption de la Charte d’Amiens.

1 - L’inexistence des groupements ouvriers

Pour parvenir à une bonne interprétation du texte de la Charte, nous nous devons de

débuter notre étude avec l’avènement de la démocratie politique.

Les révolutionnaires de 1789, nourris de la philosophie des lumières, voyaient dans les

corps intermédiaires la compromission de la liberté de chacun. Les groupements, quelle que

soit leur nature, étaient nuisibles. L’Etat lui-même ne pouvait intervenir pour la créer. Ainsi

apparurent le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 abolissant les corporations, et la loi Le

Chapelier des 14 et 17 juin 1791 prohibant l’association professionnelle, devenant un délit

passible d’emprisonnement dès l’adoption du code pénal de 1810100. Seul l’intérêt général

était reconnu. Toute coalition, tout groupement se trouve interdit.

La seconde moitié du 18ème siècle, avec la révolution industrielle, a offert à une population

ouvrière déracinée des conditions de vie misérables. Dès lors, des mouvements de révolte

vont s’organiser, malgré la législation en vigueur. Ainsi, en 1831, Paris, puis Lyon, vont

connaître un bouillonnement social menant à une grève générale à Lyon.

100 Art. 415 et 416 C. pén. 1810

40

2 – Le poids du mouvement ouvrier

Sous la monarchie de juillet, les ouvriers parvinrent à avoir des représentants qui

formulèrent des revendications entendues par la seconde république, mais non traduites par la

loi. Las d’attendre, le mouvement ouvrier va prendre conscience des intérêts communs de la

classe ouvrière et va se regrouper en associations clandestines.

En 1864, apparue une volonté de l’Etat de se rapprocher des ouvriers en abolissant le délit

pénal de coalition. Toutefois, et ce depuis l’exposition universelle menée à Londres en 1862,

les ouvriers ont pris conscience de l’importance du syndicalisme et multiplient les grèves.

Dans l’espoir de faire cesser ces mouvements sociaux, Napoléon III va tolérer l’existence

d’associations professionnelles d’ouvriers. En outre, 1864 vit la publication du manifeste des

soixante, qui plaidait la présentation de candidats ouvriers aux élections, seuls capables de

représenter le mouvement ouvrier et de répondre à ses aspirations sociales.

Quelques années plus tard, apparaît la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884

reconnaissant l’existence des syndicats. Mais il reste du passé une méfiance de l’Etat à l’égard

des corps intermédiaires, lesquels se méfient à leur tour de l’Etat. Dans l’objet conféré aux

syndicats, l’Etat s’interdit donc toute immixtion dans les relations professionnelles, et interdit

au syndicat de se préoccuper de politique.

Aucun lien n’existe donc entre le syndicat et le politique, et n’est souhaité par ces

derniers.

B – Le désir d’apolitisme consécutif au contexte historique

En 1884, si l’Etat, entendu comme le politique, et le syndicat ne peuvent tisser aucun lien,

certains vont espérer un rapprochement. De ce marasme idéologique, va émerger la CGT (1),

laquelle tend à donner priorité au courant révolutionnaire qui transparaîtra encore au congrès

de Montpellier, "préambule" de la charte d’Amiens (2).

1 – La création de la CGT

Préalablement à la création de la CGT, un courant majoritaire s’est prononcé en faveur

d’un syndicalisme mutualiste ayant pour objectif d’améliorer la condition ouvrière sise dans

41

un système économique qu’il ne vise pas combattre. Jules Guesde s’oppose à ce courant en ce

qu’il estime que la société doit s’approprier l’intégralité des moyens de production. Cette

seconde vision étant devenue majoritaire, le courant mutualiste disparut.

Ainsi, ce nouveau courant majoritaire va prôner la tutelle du syndicat au parti politique, et

va donner naissance à un nouveau parti politique : le parti socialiste.

Toutefois, parallèlement à cette idée de soumission du syndicat au parti, les guesdistes

vont se prononcer contre la grève. La classe ouvrière se refusant d’abandonner un tel moyen

de pression, et, les militants syndicaux affirmant leur désir d’indépendance, va apparaître le

syndicalisme révolutionnaire s’appuyant sur une opposition entre le syndicalisme et le régime

démocratique, à savoir entre le syndicat et le parti politique.

Ainsi, au congrès de Limoges tenu le 23 septembre 1895, fusionnèrent la Fédération des

Syndicats créée en 1886 sous les guesdistes, et la Fédération des bourses du travail. La

Confédération générale du travail, produit de cette fusion, était marquée du sceau des idées

révolutionnaires : syndicat et parti politique ne doivent avoir aucun lien. Nous retrouverons

l’emprunte de ce courant révolutionnaire dans les statuts de la CGT que nous étudierons

ultérieurement, en ce que seul nous intéresse à ce stade le contexte dans lequel a été adoptée

la charte d’Amiens.

Postérieurement à la création de la CGT, deux grands courants vont s’affronter : les

anarcho-révolutionnaires et les réformistes. Seuls les anarcho-révolutionnaires vont peser

pour l’adoption de la Charte d’Amiens en ce qu’ils prônent l’apolitisme syndical et l’action

directe par opposition aux partis politiques et à l’Etat.

Une scission s’est donc opérée entre syndicat et parti politique. Ces deux pouvoirs de fait

se doivent d’être autonomes, ce que va confirmer le Congrès de Montpellier de 1902.

2 – Le Congrès de Montpellier

Le Congrès de Montpellier, en 1902, s’était donné pour but de consolider l’œuvre

d’unification réalisée lors du Congrès de Limoges par la création de la CGT.

A cette fin, le Congrès de Montpellier réaffirme la doctrine révolutionnaire aux termes de

laquelle le syndicalisme « doit conserver son indépendance à l’égard des partis politiques,

même animés de préoccupations analogues101 ».

101 TEYSSIE (B.), Droit du travail. Relations collectives, t. 2, 2e éd., Paris : Litec, 1993, p. 12.

42

En effet, et dans les organes du syndicalisme confédéré, le souci de l’autonomie du

mouvement syndical par rapport aux partis politiques se manifeste vivement102.

Aux termes du Congrès de Montpellier, « La Confédération Générale du travail a pour

but : le groupement des salariés pour la défense de leurs intérêts moraux et matériels,

économiques et professionnels. Elle groupe en dehors de toute école politique, tous les

travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat ».

Ainsi, le Congrès de Montpellier, en réformant les statuts de la CGT créée sept ans

auparavant, réaffirme la doctrine anarcho-révolutionnaire. Le syndicat s’oppose au parti

politique, il lui est indépendant et autonome.

A l’aube de la Charte d’Amiens, les bases de l’apolitisme syndical semblent déjà jetées.

Dès lors, pourquoi la Charte d’Amiens est-elle présentée comme le texte de référence

consacrant l’apolitisme des syndicats ? Une lecture approfondie de ce texte semble s’imposer.

§ 2 Le texte de la Charte d’Amiens

Une lecture de la Charte s’impose en ce qu’elle entend consacrer l’apolitisme syndical (A), et

entend étendre son ambition sur le long terme (B).

A – L’apolitisme des syndicats proclamé par la Charte

La Charte d’Amiens, pour beaucoup, « contient la théorie, spécifiquement française, de

l’indépendance du syndicalisme à la fois devant le patronat, devant les partis politiques et

devant l’Etat103 ». Dans le cadre de notre étude, nous nous attarderons donc sur la volonté de

la Charte d’opposer syndicat et parti politique (1). Toutefois, si nous ne pouvons nier cet

aspect, nous ne pouvons que constater que la Charte n’est en rien le fondement d’un tel

postulat (2) en ce qu’il préexistait à l’adoption de la Charte.

102 LYON-CAEN (G.), PELISSIER (J.), SUPIOT (A.), op. cit., pp. 558 et 559.103 LEFRANC (G.), Le syndicalisme en France, Coll. Que sais-je, n°585, Paris : PUF, 1953, p. 36.

43

1 – L’indépendance du syndicat par rapport au parti politique

Avant tout développement, il convient impérativement de rappeler que la Charte

d’Amiens ne peut être qualifiée de texte fondateur de l’apolitisme syndical, que sous une

acception particulière du terme apolitisme. En effet, est entendu comme apolitique le

syndicalisme, dans la Charte, qui marque son indépendance totale vis-à-vis des partis

politiques. Il ne faut pas comprendre le syndicat apolitique comme extérieur aux problèmes

politiques104.

Ainsi, la Charte d’Amiens proclame l’indépendance des syndicats par rapport aux partis

politiques. En effet, celle-ci « reconnaît au syndicaliste le droit de participer à des luttes

politiques et philosophiques et se borne à lui demander "de ne pas introduire dans le syndicat

les opinions qu’il professe au dehors105"106 ».

En outre, la Charte confirme l’article 2 constitutif de la CGT aux termes duquel « La CGT

groupe, en dehors de toute école politique, […] 107». De plus, est invoqué un devoir pesant sur

les travailleurs « quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou

philosophiques », à savoir « le devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le

syndicat 108».

De plus, le texte de la Charte précise que « les organisations confédérées, n’ayant pas, en

tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à

coté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale109 ».

La Charte d’Amiens consacre donc bien l’indépendance des syndicats face aux partis

politiques. Toutefois, qualifier ce texte de « texte sacré110 » ou de texte contenant la théorie de

l’indépendance du syndicalisme devant le parti politique111 est exagéré. En effet, la Charte

d’Amiens n’apporte rien en cette volonté d’indépendance précédemment rencontrée.

104 JEANSON (A.), op. cit., p. 694.105 Cf. annexe 1, p.100 et 101.106 CROISAT (M.), LABBE (D.), La fin des syndicats ?, Coll. Logiques sociales, Paris : L’Harmattan, 1992, p.

139.107Cf. annexe 1, pp.100 et 101.108 Ibid.109 Ibid.110 JEANSON (A.), op. cit., p. 695.111LEFRANC (G.), op. cit., p. 36.

44

2 – L’apolitisme des syndicats préexistant à la Charte

Comme nous l’avons vu, la CGT, lors de son apparition en 1895, énonçait dans l’article 2

de ses statuts : « les éléments constituant la Confédération générale du travail devront se tenir

en dehors de toute école politique112 ». En outre, si, lors du Congrès de Montpellier de 1902,

les statuts sont réformés, il réaffirme cette doctrine : « La Confédération Générale du Travail

a pour but : le groupement des salariés pour la défense de leurs intérêts moraux et matériels,

économiques et professionnels. Elle groupe, en dehors de toute école politique, tous les

travailleurs…113 ». En outre, la Charte débute en confirmant l’article 2 constitutif de la CGT.

Au titre du rapport entre syndicat et parti politique, les choses étaient donc claires lorsque

le Congrès se réunit à Amiens le 8 octobre 1906. La position du syndicalisme français vis-à-

vis de la politique et des partis politiques n’a été ni inventée, ni adoptée à Amiens.

Dès lors, beaucoup s’étonnent de la destinée de ce texte. « Pourtant, c’est ce texte qui va

accéder à la célébrité, et devenir un mythe, une référence quasi-religieuse, un peu comme la

déclaration de 1789 en ce qui concerne les droits de l’homme et les libertés

fondamentales114 ». En effet, la destinée de ce texte ne peut qu’étonner en ce qu’il n’était

qu’un simple "ordre du jour" griffonné sur un bout de table du buffet de la gare d’Amiens par

une poignée de militants. Cependant, bien qu’il n’apporte aucune nouveauté, bien qu’il ne

fasse preuve d’aucune qualité littéraire particulière, ce texte va dès 1910 prendre la

dénomination prestigieuse de Charte et deviendra objet de référence.

Pour certains, « cette façon de conférer ainsi, par une mutation du vocabulaire [appellation

de charte], une valeur de mythe à un texte dont la teneur était le produit d’une simple

conjoncture est peut être l’aveu inconscient de la ruine des espoirs de 1906, le reflet en tout

cas de l’inquiétude et du pessimisme115 ».

La Charte est donc née de la conjoncture. D’une part, elle émerge parmi de multiples

courants politiques qui se combattent pour contrôler le mouvement. D’autre part, elle apparaît

suite au rejet massif de la motion de Renard visant à établir des relations entre le syndicat et le

parti socialiste. Dès lors, le Congrès d’Amiens n’a fait que « réaffirmer ce qui,

112 Cf. annexe 1, pp. 100 et 101.113 Ibid.114 SOULIER (G.), Sur le langage de la Charte d’Amiens, in DECOOPMAN (N.), et al., L’actualité de la charte

d’Amiens, Coll. Publications du centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie,

Paris : PUF, 1987, p. 10.115 Ibid.

45

idéologiquement, ne le divisait pas : une foi, une croyance dans l’histoire, confondue avec un

avenir radieux du syndicalisme 116».

B – La vocation future du texte

Une chose est à remarquer dans le texte même de la charte : sa vocation future. En effet, le

temps grammatical des verbes se synchronise avec l’époque de la lecture. « L’univers

discursif est synchronisé avec l’univers historique117 ». Ainsi, dans ce texte où le temps du

passé est absent de la forme des verbes, le futur ne se rencontre qu’une seule fois (1) et la

totalité du discours se conjugue avec un présent à valeur de futur (2).

1 – Le futur pour les temps futurs

Curieusement, la Charte n’emploie qu’une seule fois le futur grammatical. En effet, le

Congrès « considère que le syndicat aujourd’hui groupement de résistance, sera118 dans

l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale119 ». Il

s’agit en réalité d’un futur absolu, en ce que la Charte tend à peindre la société future, plus

particulièrement la place du syndicat dans la société future : gestionnaire d’une société

transformée, une société au-delà de la lutte des classes.

Le futur a été ici employé, en ce seul endroit, pour évoquer le système social vers lequel

espèrent tendre les rédacteurs de Charte. Le reste de la Charte est donc rédigé avec un présent

grammatical, lequel a valeur de futur.

2 – Le présent à valeur de futur

Si les verbes sont, mis à part le cas précédent, conjugués au présent, il s’agit en réalité

d’un présent à valeur de futur. En effet, « La CGT groupe […] tous les travailleurs conscients

des luttes à mener pour la disparition du salariat et du patronat120 », « Le syndicalisme

116 Ibid.117 Id., p. 11.118 Souligné par nos soins.119 Cf. annexe 1, pp. 100 et 101.120 Ibid.

46

poursuit la coordination des efforts ouvriers121 », « il prépare l’émancipation intégrale122 »,

« il préconise comme moyen d’action la grève générale123 »124…

Le texte de la Charte, par l’emploi de ce présent à valeur de futur, indique les actions qu’il

faut immédiatement mener. L’avenir le plus proche est visé dans le même temps que ces

actions vont s’inscrire dans la durée.

En outre, d’autres éléments participent à ce mouvement du texte. Des termes tels

qu’"émancipation", "réorganisation sociale", font référence au futur. De même, des

expressions telles que "l’œuvre revendicatrice quotidienne", "l’accroissement du mieux-être",

"la double besogne" insistent sur le caractère continu du mouvement. A la lecture du texte, on

en déduit que « l’aboutissement de ces luttes, par-delà les conquêtes immédiates, est une

nouvelle organisation sociale125 ».

Si la Charte d’Amiens n’apporte effectivement rien de nouveau quant au rapport entre

syndicat et parti politique, il ne s’agit pas d’un simple discours sur le syndicalisme, en ce que

le texte même de la Charte se veut un discours producteur d’avenir, d’histoire. Cependant,

l’étude de la Charte en tant qu’acte rappelant, d’une part, l’indépendance des syndicats face

aux partis politiques, et, d’autre part, instaurant les bases d’un mouvement continu ; laisse

apparaître une ambiguïté. En effet, nous ne pouvons nier le double sens de cette Charte, bien

qu’elle soit encore invoquée de nos jours.

SECTION 2 L’AMBIGUÏTE D’UN TEXTE ENCORE

INVOQUE

Si l’autonomie des syndicats face aux partis politiques semble clairement affirmée, elle ne

s’en trouve pas moins ambiguë.

En effet, se dégage de la lecture de la Charte un double sens (§1) : elle affirme

l’indépendance des syndicats dans l’unique but de mettre en œuvre l’expropriation capitaliste.

121 Ibid.122 Ibid.123 Ibid.124 Les verbes ont été soulignés par nos soins.125SOULIER (G.), Sur le langage de la Charte d’Amiens, in DECOOPMAN (N.), et al., op. cit., p. 13.

47

En outre, cette affirmation de l’apolitisme des syndicats relève plus d’une méfiance à l’égard

des partis que d’une réelle volonté d’indépendance…

Toutefois, l’apolitisme de cette Charte est, encore aujourd’hui la base de l’apolitisme

syndical français (§2). En effet, les statuts des principaux syndicats de salariés français y font

toujours référence, ainsi que les discours syndicaux, bien que cette autonomie apparaisse

comme relative.

§ 1 Le double sens de la Charte

La Charte laisse paraître un double sens à sa lecture : l’indépendance des syndicats a pour

but l’expropriation capitaliste (A), et tient surtout d’une méfiance à l’égard des partis (B).

A – L’indépendance du syndicat en vue de l’expropriation capitaliste

La Charte d’Amiens, comme nous venons de le voir, réaffirme l’indépendance des

syndicats par rapport aux partis politiques. Cependant, la Charte précise que l’action

économique de l’organisation doit s’exercer contre le patronat (1) ; et il semblerait que ce soit

pour parvenir à cette fin que la Charte a réaffirmé l’indépendance des syndicats (2).

1 – L’expropriation capitaliste proclamée par la charte

Comme nous venons de le voir, la Charte d’Amiens appelle à l’action. En effet, elle

précise que l’action doit s’exercer contre le patronat. En effet, aux termes du texte, et pour

exemple, le syndicalisme « prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par

l’expropriation capitaliste126 », « la CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les

travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat127 ».

« Le locuteur collectif (le congrès, la CGT), ancre très expressément les taches présentes

et à venir du syndicalisme dans un credo : l’histoire est l’histoire de la lutte des classes128 ».

126 Cf. annexe 1, pp. 100 et 101.127Ibid.128SOULIER (G.), Sur le langage de la Charte d’Amiens, in DECOOPMAN (N.), et al., op. cit., p. 11.

48

En effet, la lutte de classe est un fait réel depuis le 19ème siècle. A ce titre, la Charte d’Amiens

fusionne l’acte et la parole. La classe ouvrière prend la parole et parle en son nom, elle se veut

le sujet moteur de l’histoire129. En effet, le texte de la Charte s’appuie également sur des

termes purement performatifs, c'est-à-dire des paroles se transformant immédiatement en

actes. Ainsi, par exemple, le Congrès déclare que la lutte des classes est la "réalité historique".

Pour renforcer le caractère de la classe ouvrière en qualité de sujet moteur de l’histoire, le

texte de la Charte use de nombreuses oppositions binaires : salariat-patronat, classe ouvrière-

classe capitaliste… Ces oppositions renforcent la position de la Charte. La lutte des classes

existe et la Charte assigne au mouvement ouvrier ses tâches présentes et futures pour

l’éradiquer, en particulier en proclamant l’indépendance des syndicats pour lutter contre le

patronat.

2 – La nécessaire indépendance pour lutter contre le patronat

La Charte exhorte donc le mouvement ouvrier, organisé dans le syndicat, à la lutte. En

effet, les termes de la Charte vont en ce sens : "coordination des efforts ouvriers",

"accroissement du mieux-être", "amélioration immédiate", "révolte contre l’oppression et

l’exploitation", "grève générale"… Seule une négation apparaît dans ce texte : « ne pas

introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe en dehors130 ».

Aux termes de la Charte d’Amiens, « Le Congrès décide qu’afin que le syndicalisme

atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le

patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se

préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à coté peuvent poursuivre, en toute

liberté, la transformation sociale131 ». Il est donc prescrit aux syndicats de rester sur le terrain

économique de la lutte contre le patronat, sans porter attention aux partis et aux sectes.

Ainsi, seul le syndicat, poursuivant l’accroissement du mieux-être des travailleurs, et, base

de la réorganisation sociale à venir, doit se lancer dans la lutte contre le patronat, bien que la

Charte reconnaisse aux partis politiques un objectif de transformation sociale.

La Charte proclame donc bien, en théorie, l’indépendance des partis politiques par rapport

aux syndicats ; mais cette indépendance leur est nécessaire pour lutter contre le patronat en ce 129 Id., p. 14.130 Cf. annexe 1, pp. 100 et 101.131 Ibid.

49

qu’ils en sont les seuls compétents. En outre, si le texte de la Charte proclame l’antagonisme

des syndicats par rapport aux partis politiques, nous ne pouvons nier que l’autonomie du

syndicat est justifiée par la lutte des classes, mais également parce que le syndicat est méfiant.

B – L’indépendance du syndicat par méfiance envers les partis

politiques

Comme nous l’avons vu, réduire la Charte d’Amiens à la proclamation d’indépendance du

syndicalisme par rapport aux partis politiques est inexact. En effet, la Charte jette les bases du

pan syndicalisme en ce que, entièrement autonome, le syndicat se suffit à lui-même (1). De ce

fait, la Charte n’apparaît pas comme un pacte de neutralité, ce qui est confirmé par l’objet

politique conféré aux syndicats par la Charte (2).

1 – Le syndicat acteur unique de la révolution

Certains énoncent que « La Charte jette surtout les bases de ce qu’on a appelé, un peu

pompeusement, le pansyndicalisme132 ». En effet, au début du 20ème siècle, « Le syndicalisme,

écrit Pouget, ne vise pas à une simple modification du personnel gouvernemental, mais bien à

la réduction de l’Etat à zéro, en transportant dans les organismes syndicaux les quelques

fonctions utiles qui font illusion sur sa valeur, et en supprimant les autres, purement et

simplement 133».

L’apolitisme en 1906 n’est donc pas prudence, encore moins un retranchement sur des

préoccupations exclusivement professionnelles. « La CGT ignore les partis parce qu’elle

entend que la révolution les supprime, avec tout l’appareil de l’Etat et le jeu

parlementaire134 ». La Charte d’Amiens est donc plus une proclamation de méfiance à l’égard

de toute organisation politique, de toute l’organisation politique, plutôt qu’un pacte de

neutralité.

132 NOBLECOURT (M.), Les syndicats en question, Coll. Portes ouvertes, Paris : Editions ouvrières, 1990, p.

110.133 REYNAUD (J.-D.), Les syndicats en France, op. cit., p. 63.134 Ibid.

50

Ainsi, le syndicat, totalement autonome, se suffit à lui-même. Il suffit à la révolution en ce

qu’il est représentatif de l’ouvrier. L’utilisation de la grève générale comme moyen de lutte

contre le patronat en est l’exemple. En effet, selon Pouget, la classe ouvrière « porte en elle

tous les éléments réels de la vie sociale135 ». En effet, l’apolitisme proclamé par la Charte

d’Amiens est un « apolitisme de combat, méfiant envers les organisations politiques, et

préconisant l’action directe136 », laquelle fait référence directement à l’action des ouvriers

eux-mêmes dans le cadre de sa lutte.

« L’apolitisme de la Charte est cohérent avec le pansyndicalisme qu’elle professe. La

perspective est totale et donc l’activité proprement politique est d’ordre secondaire 137». Ainsi,

l’apolitisme de 1906 est fondé par le rejet de la politique comme activité séparée. Seul le

syndicat est compétent dans le cadre de la lutte contre le patronat.

L’apolitisme de la Charte d’Amiens revêt donc une acception particulière.

2 – L’acception particulière de l’apolitisme

L’apolitisme de la Charte d’Amiens consacre donc l’autonomie des syndicats face aux

partis politiques et non un apolitisme, entendu comme aujourd’hui, consacrant l’autonomie du

syndicat face au politique.

L’apolitisme de la Charte d’Amiens fait référence à la distinction rencontrée dans l’étude

du Politique, entre le et la politique. Le politique regroupe « les problèmes qui conditionnent

la vie des nations et de tous les hommes, en particulier des salariés en l’espèce, auxquels la

représentation populaire a pour mission de trouver une solution138 ». Quant à elle, la politique

constitue le « détail de l’activité parlementaire et gouvernementale, l’ensemble des

polémiques entre les partis politiques 139». Selon M. Weber, « Le politique renvoie à l’idée

d’un ordre indispensable qui permet aux hommes de vivre ensemble. Il définit cet espace

social dans lequel les individus choisissent de soumettre leurs conflits d’intérêts à la

régulation d’un pouvoir qui détient le monopole de la coercition légitime. La politique relève,

quant à elle, de la contingence. Elle définit une activité spécialisée dans un espace quotidien

d’affrontement entre candidats au pouvoir140 ».

135 Id., p. 64.136 SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit, 529 p.137 SOULIER (G.), Sur le langage de la Charte d’Amiens, in DECOOPMAN (N.), et al., op. cit., p. 16.138 CROISAT (M.), LABBE (D.), La fin des syndicats ?, op. cit., p. 133.139 Ibid.140 HASTINGS (M.), op. cit., p. 4.

51

Certes, la Charte d’Amiens interdit au syndiqué d’introduire dans le syndicat les opinions

politiques qu’il professe au dehors. Cependant, cette Charte donne ouvertement à l’action

syndicale un objet politique : préparer l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par

l’expropriation capitaliste141. Ayant une telle mission, le syndicat a une option de nature

politique142.

Dès lors, parler de l’apolitisme de la Charte d’Amiens revient à réduire l’apolitisme à

l’autonomie des syndicats face aux partis politiques et en aucun cas face au politique entendu

comme le politique.

Ainsi, la Charte d’Amiens fait référence à l’autonomie des syndicats par rapport aux

partis politiques. Ce texte se devait donc d’être intégré à notre étude. Mais, qu’en est-il

aujourd’hui ? Si certains estiment que le texte a vieilli143, d’autres le prennent toujours comme

référence.

§ 2 La continuité de l’apolit isme consacré par la

Charte

L’apolitisme consacré par la Charte, comme indépendance des syndicats face aux partis,

se rencontre encore tant dans leurs statuts (A), que dans leurs discours (B).

A – L’apolitisme dans les statuts

Aujourd’hui, par l’intermédiaire de leurs statuts, les syndicats s’attachent à leur autonomie

par rapport aux partis politiques (1), s’opposant donc fermement à la conception léniniste des

syndicats (2).

1 – Les statuts des principaux syndicats ouvriers français

« Dans les pays capitalistes, les groupes de pression soulignent souvent leur caractère

apolitique et vont même jusqu’à s’en prévaloir dans leurs programmes. Cet apolitisme des

141 COHEN (M.), Le droit syndical et l’expression d’opinions politiques, D. 1973, chron., p. 83.142 MERLIN (J.), op. cit., p. 565.143 SOULIER (G.), Sur le langage de la Charte d’Amiens, in DECOOPMAN (N.), et al., op. cit., p. 16.

52

groupes de pression se ramène en général à une absence de lien formel avec un quelconque

parti politique144 ». En effet, et comme le souligne M. Erlich, le syndicat-groupe de pression

se prévaut de son autonomie par rapport aux partis politiques dans ses statuts.

Aujourd’hui encore, les statuts de la CGT, rectifiés en 1969, proclament dans leur

préambule « le mouvement syndical, à tous les échelons, s’administre et décide de son action

dans l’indépendance absolue à l’égard du patronat, des gouvernements, des partis politiques,

des sectes philosophiques ou autres groupements extérieurs145 ». Aux termes de l’alinéa

premier du préambule des statuts de la CGT, existe une indépendance absolue entre syndicat

et parti politique. En outre, la CGT, toujours dans le préambule de ses statuts, fait référence à

sa « neutralité à l’égard des partis politiques146 ».

Quant à elle, la CFDT voit l’article 8 de ses statuts, adoptés en 1964, disposer : « La

Confédération estime nécessaire de distinguer ses responsabilités de celles des groupements

politiques, et entend garder à son action une entière indépendance à l’égard de l’Etat, des

partis, des églises, comme de tout groupement extérieur147 ».

En outre, le préambule des statuts de FO énonce « les syndicats Force Ouvrière […]

affirment leur indépendance absolue à l’égard du patronat, des gouvernements, des partis,

groupements ou rassemblements politiques, des sectes philosophiques et, de façon générale,

leur irréductible opposition à toute influence extérieure au mouvement syndical148 », ou

encore, « Considérant que le syndicalisme ouvrier ne doit pas lier son destin à celui de l’Etat,

ni s’associer à des groupements politiques quelconques, dont l’objectif est la conquête de cet

Etat et l’affermissement de ses privilèges, l’organisation syndicale réalisera son programme et

ses perspectives en toute indépendance149 ».

Les syndicats dans leurs statuts, insistent sur leur indépendance par rapport aux partis

politiques, et ce, par refus d’une conception léniniste des syndicats.

144 ERLICH (S.), op. cit., p. 43.145 REYNAUD (J.-D.), Les syndicats en France, t. 2, op. cit., p. 48.146 Id., pp. 48 et 49.147 SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit., p. 531.148REYNAUD (J.-D.), Les syndicats en France, t. 2, op. cit. , pp. 69-71.149 Ibid.

53

2 – La conception léniniste des syndicats

En effet, en 1922, donc peu après l’adoption de la Charte d’Amiens, Lénine écrivait « Les

syndicats doivent être le collaborateur le plus diligent, le plus nécessaire du pouvoir d’Etat,

dirigés dans toute son activité politique et économique par l’avant-garde consciente de la

classe ouvrière : le Parti Communiste. Ecole du communisme en général, les syndicats

doivent être en particulier une école de gestion de l’industrie socialiste pour toute la masse

des ouvriers, et ensuite pour tous les travailleurs150 ». Le message était clair : le syndicat doit

être sous la tutelle du Parti Communiste. A cette fin, Lénine fixait le caractère et les modalités

de la participation des syndicats aux organismes économiques et administratifs de l’Etat.

« De même que la meilleure fabrique dotée d’un excellent moteur et de machines de

premier ordre se trouvera immobilisée si le mécanisme de transmission du moteur aux

machines est abîmée, de même la catastrophe de notre construction socialiste est inévitable, si

le mécanisme de transmission du Parti Communiste aux masses - les syndicats - est mal ajusté

ou fonctionne mal151 ».

Cette théorie du syndicat, courroie de transmission des partis politiques, est aujourd’hui

fuie par les syndicats ouvriers français sur lesquels porte notre étude. Ces derniers ne cessent

de proclamer leur indépendance aux partis politiques, se refusant de faire du mouvement

syndical un instrument du pouvoir, quel que soit ce pouvoir.

B – L’apolitisme dans les paroles syndicales

Ainsi, les syndicats ouvriers français actuels s’auto-proclament tous indépendants, certes

dans leurs statuts comme nous venons de le voir, mais également dans leurs discours (1).

Toutefois, cette autonomie tendrait à devenir engagée (2).

1 – L’autonomie des syndicats par rapport aux partis politiques

Les syndicats dans leurs discours actuels se veulent encore autonomes par rapport aux

partis politiques, dans l’idée développée par la Charte d’Amiens. En effet, par exemple, la

CFDT n’estime pas agir comme un parti politique, en ce qu’elle précise : « Quand la CFDT

150 BIRIEN (J.-L.), op. cit., p. 202.151 Id., p. 204.

54

signe un accord avec les employeurs dans une entreprise, une branche ou au niveau

interprofessionnel, elle remplit la fonction naturelle et essentielle d’un syndicat […] Et quand

nous signons, c’est que les résultats atteints apportent un bénéfice pour les salariés 152». Ainsi,

la CFDT entend se distinguer des partis politiques en ce qu’en sa qualité de groupe de

pression représentant des intérêts communs (ceux des salariés), elle s’y oppose.

Toutefois, l’idée fondamentale de l’autonomie absolue développée par la Charte d’Amiens

semble disparaître au profit d’une autonomie, bien que toujours existante, mais tout au moins

engagée.

2 – L’autonomie engagée des syndicats

« Il ne viendrait à aucun esprit sérieux l’idée qu’on puisse envisager de revenir là-dessus.

La question de l’indépendance totale des syndicats pour le présent et pour l’avenir n’est plus

un objet de discussion, c’est une chose réglée dans le mouvement ouvrier français153 ».

Si nous ne pouvons nier que les syndicats se proclament toujours indépendants des partis

politiques, ils semblent viser une sorte d’"autonomie engagée". En effet, et par exemple, la

CFDT a développé la conception d’une « autonomie qui comporte le refus de toute

subordination […] avouée ou camouflée, à une force politique, parti, Etat », mais une

« autonomie engagée, l’autonomie d’une organisation syndicale qui se donne une vision

politique à la mesure de la société qu’elle préconise154 ». La CFDT ajoute « l’action des

forces syndicales et celle des forces politiques doivent pouvoir se déployer sans aucune

subordination des unes aux autres, mais parvenir à une certaine convergence à une certaine

complémentarité155 ».

« Contre vents et marrées […] cette notion de l’indépendance du syndicalisme par rapport

aux partis, mais une indépendance qui n’exclut pas une pesée sur la vie politique, est restée

une des règles d’or du syndicalisme français156 ». Qu’en est-il aujourd’hui ? Le syndicat, en sa

qualité de groupe de pression, ne serait-il plus indépendant des partis politiques ? Si le

syndicat est un groupe de pression, nous ne pouvons nier que cette volonté d’indépendance

persiste, mais qu’un rapprochement s’est bel et bien opéré entre le syndicat ouvrier français

tel que nous l’étudions, et le parti politique français.

152 http://www.cfdt.fr/actu/presse/media/actumedia057.htm153 KRASUCKI (H.), op. cit., p. 61.154JEANSON (A.), op. cit., p. 696.155 Ibid.156 Id., p. 695.

55

TITRE SECOND

LE SYNDICAT-GROUPE DE

PRESSION POLITISE ET

POLITIQUE

56

Si notre hypothèse, tendant à qualifier le syndicat de groupe de pression, a été jusqu’ici

confirmée, le syndicat ouvrier français va apparaître progressivement comme un groupe de

pression politisé et surtout politique.

En effet, l’autonomie de principe entre syndicat-groupe de pression et parti politique se

trouve malmenée (CH1) en ce que ces deux Pouvoirs de fait connaissent des influences

réciproques (S1). Il est indéniable que les syndicats sont aujourd’hui politisés (§1) : cette

politisation, tant reprochée aux syndicats, est toutefois légitime, et était même prévisible. De

plus, les partis ont une grande influence sur les syndicats, que celle-ci soit extérieure ou

intérieure au syndicat (§2). En outre, les syndicats connaissent d’importantes difficultés pour

maintenir leur apolitisme, ils nous apparaissent comme "condamnés" à la politique (S2) suite

à l’extension de leur objet (§1), et en ce qu’ils peuvent être amenés à défendre l’intérêt

général (§2).

Le syndicat est ainsi devenu un groupe de pression d’une nature hybride (CH2) : la stricte

séparation entre syndicat-groupe de pression et parti politique s’amenuise. Ainsi, nous allons

rapidement perdre les repères que nous nous étions donnés (S1) en ce qu’un rapprochement

entre syndicat-groupe de pression et parti politique tend à apparaître (§1) et, que la notion

même de groupe de pression va se dérober (§2).

La nature du syndicat va évoluer en ce qu’il va se présenter comme groupe de pression

politique (S2). En effet, comme nous le verrons, la nature particulière du syndicat fait de lui à

la fois un groupe d’intérêt, et, un groupe d’intérêt politique, au même titre que les partis

politiques. Dès lors le recours à une nouvelle notion s’avère nécessaire pour déterminer la

nature du syndicat, laquelle notion fera du syndicat un groupe de pression politique (§1).

Mais si le syndicat est aujourd’hui devenu un groupe de pression politique, cette nature

particulière donne obligatoirement lieu à la constatation d’"effets secondaires". Ainsi, seront

relevées des conséquences, d’une part, dans les rapports entre syndicats et partis politiques en

ce que la relève des partis par ces groupes de pression politiques peut être envisagée. D’autre

part, le statut particulier des syndicats emporte également des conséquences importantes quant

à sa perception par les adhérents des syndicats dont l’ambiguïté met le syndicat dans une

position bien inconfortable (§2).

57

CHAPITRE 1 L’AUTONOMIE DE PRINCIPE

MALMENEE

Nous allons ici constater que l’autonomie de principe entre syndicat-groupe de pression

et parti politique se trouve malmenée en ce qu’existent des influences réciproques entre ces

deux Pouvoirs de fait (S1). Les syndicats se trouvent aujourd’hui politisés (§1) : cette

politisation étant toutefois légitime (A) et prévisible (B). De plus, les partis ont une grande

influence sur les syndicats (§2), que celle-ci soit extérieure (A) ou intérieure au syndicat (B).

Outre cette politisation des syndicats, les syndicats connaissent d’importantes difficultés

pour maintenir leur apolitisme, ils apparaissent "condamnés" à la politique (S2) en raison de

l’extension de leur objet (§1), bien que le principe de spécialité ait été conservé (A). Mais,

plus encore, le syndicat se voit confier un objet qui devient essentiellement politique (B).

En outre, le syndicat est encore vu comme "condamné" à la politique, en ce qu’il peut être

amené à défendre l’intérêt général (§2). En effet, le syndicat apparaît concurrencer le parti

politique dans la défense de l’intérêt général (A). Ce constat s’alourdit encore lorsque le

syndicat apparaît "obligé" à la défense d’un tel intérêt (B).

SECTION 1 : LES INFLUENCES RECIPROQUES ENTRE

POLITIQUE ET SYNDICALISME

Il est indéniable que les syndicats se trouvent aujourd’hui fortement politisés (§1) et

subissent l’influence des partis politiques (§2).

§ 1 La polit isation des syndicats

La politisation des syndicats, reprochée aujourd’hui, est tout à fait légitime (A) et était

incontournable (B).

58

A – La légitimité de la politisation des syndicats

Avant d’approfondir quelque réflexion, il est impératif de déterminer ce qu’est la

politisation (1). Souvent utilisé, ce terme ne connaît pas d’interprétation précise. Il est donc

nécessaire de déterminer le mécanisme par lequel un phénomène social devient politique. La

politisation se légitimera ainsi en ce que tout fait social devient politique (2).

1 – La définition de la notion

Dans les années soixante, la politisation était définie par la sociologie américaine comme

une des facettes de la socialisation des enfants. On sous-entendait, par l’emploi du terme

politisation, la sensibilisation au domaine politique. Plus tard, ce même terme fut employé

pour qualifier la socialisation du politique, à savoir la transmission de la connaissance

afférente à la vie politique permettant l’émission, d’une part, d’avis rationnels, et d’autre part,

de théories explicatives d’ensemble. Si cette socialisation du politique ne se produisait pas, les

« orphelins de la culture politique157 » y remédiaient grâce aux syndicats et aux partis

politiques. De nos jours, l’emploi du terme politisation ne réfère plus à la socialisation du

politique. Aujourd’hui, la politisation peut être définie comme "l’action de politiser". M.

Burdeau, quant à lui, propose une définition du terme : se politiser est faire de son action sur

le pouvoir son principal instrument158. Cette définition ne parait pas convenir en ce l’action

principalement axée sur le Pouvoir est l’objectif premier d’un groupe de pression.

Nous retrouvons à ce stade la distinction, déjà étudiée, entre le politique et la politique.

Faut-il entendre par la politisation le fait de tendre vers une activité visant à « établir un ordre

indispensable qui permet aux hommes de vivre ensemble159 ». Ou, faut-il entendre par

politisation le fait de tendre vers une activité « spécialisée dans un espace quotidien

d’affrontements entre candidats au pouvoir 160» ?

Il s’agit donc, pour définir la politisation, de déterminer comment un phénomène social

parvient à avoir un caractère politique.

157 CROISAT (M.), LABBE (D.), op. cit., p. 131.158 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 265.159 HASTINGS (M.), op. cit., p. 4.160 Ibid.

59

2 – Le fait syndical devient obligatoirement politique

Il convient avant tout de préciser qu’il n’y a pas de phénomène politique par nature.

« Tout n’est donc pas politique, mais tout peut un jour le devenir161 ».

Dès lors, le fait social ne deviendra politique que sous des conditions culturelles et

institutionnelles. M. Burdeau définit le caractère politique d’un fait social comme le caractère

« qui s’attache à tout fait, acte ou situation en tant qu’ils traduisent l’existence dans un groupe

humain, de relations d’autorité et d’obéissance établies en vue d’une fin commune162 ». En

accord avec ce que nous venons de développer, M. Burdeau insiste toutefois sur l’importance

de la finalité du phénomène social en cause. En effet, seule l’existence d’une finalité sociale,

présente un caractère politique. Enfin, M. Burdeau précise que ce fait social ne deviendra

politique que par rapport à la nature du problème que le politique sera amené à traiter, car les

problèmes que révèle la politisation des demandes sont consécutifs à l’impuissance du

système social à les traiter.

Dès lors, parler de la politisation des syndicats est légitime en ce que le syndicat, dans le

cadre d’un rapport de force, porte des revendications, des problèmes à finalité sociale, et sans

réponses, à l’arbitrage du politique. Ainsi, cette politisation ne peut être reprochée aux

syndicats en ce qu’elle est le produit de leur activité légitime. Cette politisation est donc

légitime, à tel point qu’elle était prévisible.

B – La prévisibilité de la politisation des syndicats

Il était impossible de ne pas prévoir la politisation des syndicats. En effet, la Charte

d’Amiens elle-même en contenait les prémisses (1). Cette politisation était encore prévisible

suite à l’étude approfondie des buts réels des syndicats, lesquels buts visaient à substituer à

l’ordre établi, un ordre désiré (2).

1 – La face cachée de la Charte d’Amiens

Comme nous l’avons déjà développé, la Charte d’Amiens a un double sens. En effet, la

Charte prévoyait clairement que la sphère syndicale allait nécessairement devenir

161 Id., p. 5.162 BURDEAU (G.), Traité de science politique. Présentation de l’univers politique, t. 1, Société, politique et

droit, vol. 1, 3e éd., Paris : LGDJ, 1980, p. 140.

60

« coextensive d’une sphère politique rénovée163 ». En effet, l’indépendance du syndicat vis à

vis des partis n’était que le moyen de parvenir à l’accomplissement d’un projet politique : la

lutte contre le patronat, la lutte pour l’expropriation capitaliste.

Le syndicat se voyait dès lors assigner un objet politique. Comment dans de telles

conditions ne pas se douter de la future politisation des syndicats, encore fut-elle

officieusement souhaitée par les rédacteurs de la Charte. De plus, non contents de ces

positions, les révolutionnaires allaient jusqu’à envisager l’abolition de l’Etat. En effet, le

syndicat en sa qualité de « groupement de production et de répartition, base de la

réorganisation sociale [devient] l’organe de direction politique de la société libérée de

l’exploitation164 ».

2 – Le syndicat et son option politique

Ainsi, l’option politique des syndicats était basée sur la volonté profonde de transformer la

société. En effet, le fait pour les syndicats de prendre en charge la responsabilité de la lutte

contre le patronat conduit nécessairement à remplacer l’action syndicale dans un contexte de

transformation de la société. Le syndicat, au service des travailleurs, est un instrument de

transformation de la société. Plus, M. Krasucki écrivait « Les luttes revendicatives, par elles-

mêmes, ne peuvent conduire à la suppression de l’exploitation capitaliste. Le fond des choses

implique des changements profonds qui comportent des aspects politiques évidents165 ».

L’immixtion des syndicats dans « l’univers politique » était également prévisible en ce

que le syndicat s’insère sur le terrain où sont prises les décisions. « Force politique, le

syndicat demeure un groupe de pression qui agit sur les gouvernants ; politisé, il vise à

substituer à la leur sa propre conception de l’ordre désirable166 ».

Le syndicat, sous le couvert d’un objet politique fourni par la Charte d’Amiens,

formule donc une option politique. La politisation des syndicats était donc prévisible.

Toutefois, cette perspective révolutionnaire, à mesure que ce courant idéologique a décliné

suite à l’adoption de la Charte d’Amiens, a vu un résultat inverse en ce que l’influence des

163 POIRMEUR (Y.), Activité politique et organisations syndicales, in DECOOPMAN (N.), et al., op. cit., p. 38.164 Ibid.165 NOBLECOURT (M.), op. cit., p. 105.166 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., p.

318.

61

partis politiques sur les syndicats est allée en s’accroissant, que l’influence soit extérieure au

syndicat, ou qu’elle lui soit interne.

§ 2 l’ influence des partis polit iques sur le

syndicalisme

Outre la politisation des syndicats, ces derniers subissent l’influence des partis, tant

extérieure au syndicat (A), qu’intérieure à ce dernier (B).

A – L’influence des partis sur l’histoire du syndicalisme français

Les partis politiques jouissent d’une grande influence sur le syndicalisme français pris

dans son ensemble. En effet, l’attitude du groupe de pression, donc du syndicat, sur les partis

politiques est déterminée par l’influence que ces derniers ont sur le syndicat (1). En outre,

nous ne pourrons nier, après avoir retracé brièvement l’histoire du syndicalisme français, que

les partis politiques ont été influents, voir déterminants, dans les créations, scissions et

fragmentations des syndicats français (2).

1 – L’attitude des groupes de pression face aux partis politiques

M. Meynaud, expose cinq types de rapports existant entre groupe de pression et parti

politique. En effet, et d’une part, il peut exister une neutralité du groupe face aux partis

politiques en ce que les dirigeants du groupe traitent avec les politiques quelle que soit leur

orientation idéologique et n’exercent aucune intervention dans les choix électoraux de leurs

membres. D’autre part, existent des groupes qui octroient leur soutien aux hommes politiques

qui leur sont favorables, quel que soit leur parti. De même peuvent exister des liens

privilégiés entre un groupe et un parti, en ce que le parti soutiendra les revendications du

groupe en associant ces revendications à l’élaboration de son programme. Parallèlement, le

groupe apporte son soutien au parti. Une situation peut se révéler : la formation par les

groupes de partis afin que ces derniers assurent la défense de leurs idées et de leurs aspirations

après de l’opinion publique et des parlementaires. Enfin, et dernier cas de figure, des groupes

peuvent être soumis aux partis qui seront amenés à utiliser ces groupes pour s’immiscer dans

des milieux particuliers.

62

Nous allons retrouver, dans l’analyse historique du mouvement syndical français, cette

typologie effectuée par M. Meynaud.

2 – Le syndicalisme français marqué par les idéologies politiques

Dans une démocratie libérale comme la France, le mouvement syndical s’est scindé en

« plusieurs tendances organisées en autant de confédérations rivales qu’opposent des conflits

de doctrine exacerbés par le débat politique167 ».

Les idéologies politiques, les programmes des partis se réfractent nécessairement dans

l’organisation syndicale, même si les mouvements syndicaux sont affranchis de la tutelle des

partis politiques. Il y a donc quelque contradiction entre l’aspiration à l’unité, et l’absence

d’indifférence politique168. Certes, les syndicats se refusent à faire du mouvement syndical

l’instrument du pouvoir, quel qu’il soit, certes les syndicats français aspirent à un

syndicalisme de masse sans étiquette politique et visent à regrouper les salariés

indifféremment de leur préférence politique ; mais l’histoire du syndicalisme français n’en est

en aucun cas l’illustration169.

Nous avions arrêté notre étude, relative au mouvement syndical français, en 1906 lors de

l’adoption de la Charte d’Amiens. Ainsi, l’unité du mouvement syndical fut brève. En effet,

en 1919, naît la confédération Française des travailleurs chrétiens nourrie du rassemblement

autour de la doctrine sociale de l’Eglise catholique.

De la scission du parti socialiste intervenue au Congrès de Tours, des différences

d’opinion face à l’Internationale syndicale créée à Moscou suite à la révolution d’octobre,

apparue une nouvelle organisation syndicale en 1921 : la Confédération Générale du travail

Unitaire, fondée par la minorité communiste de la CGT. Toutefois, cette CGTU, avec pour

toile de fond un climat propice au rapprochement, climat émanant du Front Populaire, se fond

dans la CGT en 1936.

Après l’effacement imposé au mouvement syndical pendant le régime de vichy, la

reconstitution de la CGT suite à la libération renverse le rapport de force en ce que les

167 TEYSSIE (B.), op. cit., p. 12.168 LYON-CAEN (G.), PELISSIER (J.), SUPIOT (A.), op. cit., p. 562.169 ANDOLFATTO (D.), LABBE (D.), Sociologie des syndicats, Coll. Repères, n°304, Paris : Editions La

découverte, 2000, p. 22-45. Et, LYON-CAEN (G.), Syndicats et partis politiques, Dr. soc. 1970, p. 69.

63

socialistes y été devenus minoritaires. La "cohabitation" avec cette nouvelle majorité

communiste sera brève en ce que la majorité de la CGT s’opposant à l’aide économique

américaine consécutive au plan Marshall, et à la guerre froide, la minorité socialiste va créer

la CGT-Force Ouvrière en 1947.

Quelques années plus tard, la CFTC se scinde en deux : la CFTC maintenue, et la CFDT

qui se détache de l’enseignement social de l’Eglise catholique.

Ainsi, pour résumer cet historique déjà très succinct, nous pouvons noter que l’histoire des

idéologies politiques a profondément marqué le syndicalisme ouvrier français. Certes, les

syndicats ouvriers se veulent indépendants des partis, mais il est indéniable qu’ils en subissent

l’influence laquelle se retrouve encore au sein même du syndicat.

B – L’influence des partis sur le syndicat

L’influence des partis politiques peut s’avérer être également interne aux syndicats. En

effet, les syndicats sont amenés à reproduire les modes organisationnels politiques (2), de

même, cette influence peut se rencontrer dans le syndicat qui tente encore à reproduire, dans

le cadre des élections sociales, le schéma des élections politiques (1).

1 – Les élections professionnelles et les élections politiques

Très souvent, la compétition électorale est entendue comme compétition partisane.

Toutefois, les partis politiques ne sont pas les seuls à recourir aux élections. S’ils visent à

conquérir le pouvoir afin de l’exercer, ce que nous avons précédemment étudié, et présentent

à cette fin des candidats aux élections ; les syndicats y ont également recours et se voient

reproché de sombrer dans l’électoralisme170. « On vote pour des étiquettes et non pour des

hommes171 ».

Ce reproche fait aux syndicats n’est pas récent, en effet, dans un rapport des années 1950

-1951, la Cour des comptes remarquait que « les considérations d’ordre politique ou syndical

sont les plus souvent déterminantes, candidats ou électeurs semblant oublier, dans leur grande

majorité, le but précis du scrutin auquel ils participent172 ». Certains l’écrivent sans

170 CROISAT (M.), LABBE (D.), op. cit., pp. 145-147.171 Ibid.172 MOURIAUX (R.), Syndicalisme et politique, Coll. Portes ouvertes, Paris : Editions ouvrières, 1985, p. 160.

64

détour : « les élections sociales semblent donc être en réalité des élections politiques173 ».

Toutefois, si les élections sociales se rapprochent des élections politiques, nous ne pouvons

nier qu’elles ne partagent pas les mêmes enjeux, ni des mécanismes électoraux semblables.

M. Rosanvallon remarque, quant à lui, qu’en période de division marquée entre les

centrales syndicales , leur objectif n’est plus de représenter les salariés, mais plutôt de gagner

des mandats de délégué du personnel ou de membre du comité d’entreprise. Ainsi, la forme

syndicale perd de sa spécificité par rapport à la forme partisane suite au développement de

l’électoralisme. En effet, « les militants syndicaux sont au milieu de la classe ouvrière comme

les députés dans la circonscription174 ».

Apparaissent des "notables syndicaux" qui ne visent qu’à faire une carrière "politique"

dans le mouvement syndicaliste.

2 – Le mandat syndical et le mandat politique

La bureaucratisation des syndicats étant une chose aujourd’hui largement admise,

constater que l’organisation interne des confédérations est similaire à celles des partis

politiques n’apporte aucun poids à notre développement. Il nous est beaucoup plus utile

d’étudier le rapport existant entre les mandats syndicaux et les mandats politiques, en ce que

certains dirigeants syndicaux ont pu siéger au bureau politique de certaines formations

FO semble très attachée à l’incompatibilité des mandats politiques et syndicaux, bien

qu’elle ait entretenu des rapports privilégiés avec la SFIO, sous la quatrième république,

caractérisés par une aide mutuelle et une communauté d’adhérents. Aujourd’hui, FO marque

son autonomie par rapport au parti en ne se préoccupant que des intérêts directs des salariés.

La CFDT, quant à elle, se prononce dès 1970 pour un socialisme autogestionnaire et

appuie le candidat commun de la gauche aux présidentielles de 1974. La CFDT va opter pour

la création d’une force socialiste, qui pourrait être son répondant politique. Dès lors, plusieurs

dirigeants de la CFDT vont appartenir au PS. Toutefois, depuis 1981, l’attitude de la CFDT à

l’égard du PS est celle d’un « soutien critique 175», qui est allé soutenir le plan Juppé …

Concernant la CGT, depuis 1946, elle a officiellement abandonné le principe de

l’incompatibilité des mandats politiques et syndicaux. Le secrétaire général de la CGT (M.

173 Ibid.174 CROISAT (M.), LABBE (D.), op. cit., p. 146.175Id., p. 533.

65

Krasucki) était membre du bureau politique du PCF tout comme l’était son prédécesseur M.

Séguy. De plus, les prises de position du PCF et de la CGT ont toujours rimées.

Dès lors, mandat politique et mandat syndical peuvent aller de pair. Certes, cette

affirmation n’est pas généralisable à tous les syndicats, mais comment ne pas réagir lorsque la

CGT, première à avoir proclamé l’apolitisme syndical par la Charte d’Amiens, en vient à

confondre le mandat syndical de ses dirigeants à un mandat politique ?

L’influence des partis politiques sur le syndicat, qu’il s’agisse du syndicat entendu comme

groupe particulier ou du syndicat entendu comme mouvement syndical dans son ensemble est

indéniable. Mais, la combinaison de la politisation des syndicats et de l’influence des partis

sur ces derniers nous amène à tirer une conclusion inévitable : les syndicats sont réellement

condamnés à la politique.

SECTION 2 : LES SYNDICATS CONDAMNES A LA

POLITIQUE

Les syndicats sont aujourd’hui "condamnés" à la politique, en ce que leur objet est large

(§1), et que le syndicat tend à défendre un intérêt général (§2).

§ 1 L’extension de l’objet du syndicat

L’extension de l’objet du syndicat doit être appréciée au regard de sa spécialité (A), et au

regard de l’objet politique du syndicat (B).

A – La spécialité de l’objet du syndicat

Comme toute personne morale, le syndicat est doté d’un objet défini par l’article L 411-1

C. trav. qui dispose : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la

défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des

66

personnes visées par leurs statuts ». A l’étude cet objet (1), nous conclurons que pour parvenir

à son but, le syndicat peut mettre en œuvre des moyens politiques (2).

1 – L’objet du syndicat

La circulaire ministérielle du 30 novembre 1984 disposait : « Cette nouvelle définition ne

remet pas cependant en cause la spécificité de l’action syndicale qui doit se différencier de

toute action associative ou politique ; la formule retenue ne laisse en effet aucun doute quant à

la nature exclusivement syndicale des actions que peuvent mener les organisations de ce

type176 ». Dès lors, le syndicat ne peut aujourd’hui mener une action politique. Ainsi, le

syndicat ne peut donc être constitué pour défendre un programme politique. Un groupement

qui est l’instrument d’un parti politique à l’origine de sa création et dont il sert les intérêts et

les objectifs ne peut se prévaloir de la qualité de syndicat professionnel177. La poursuite de

tout but politique parait donc exclue.

Toutefois, par rapport à l’étude de l’ancien objet du syndicat (l’étude et la défense des

intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles) nous ne pouvons que noter une

extension importante de l’objet. En effet, nous pouvons aujourd’hui inclure dans les intérêts

moraux les choix politiques et idéologiques… Certains sont allés jusqu’à avancer l’hypothèse

de la disparition du principe de spécialité178. Pour ces auteurs, seuls les statuts définiront le

champ d’activité du syndicat, bien qu’ils concèdent qu’un syndicat ne peut en aucun cas

défendre « une plate-forme politique179 ».

Syndicats et partis politiques se sont rapprochés par l’extension de l’objet syndical en ce

que tout aspect politique de l’activité des syndicats n’est plus prohibé. En effet, dans un

premier temps, le syndicat pourra même user de moyens politiques pour parvenir à son but,

lequel n’est pas politique.

176 RENNES (P.), op. cit., p. 127.177 Cass. ch. mixte, 10 avril 1998, Dr. soc. 1998, p 565, obs. Merlin.178 LYON-CAEN (G.), PELISSIER (J.), SUPIOT (A.), op. cit.I, n°534.179 MERLIN (J.), op. cit., p. 573.

67

2 – Les moyens politiques du syndicat

Dès lors qu’est opérée une distinction entre moyens et fins, l’interprétation de l’article

L 411-1 C. trav. émet une hypothèse en deux temps. En effet, nombreux sont les auteurs à

déduire de cet article que le syndicat est autorisé à user de moyens politiques, mais, afin de

souscrire à un but professionnel. Ainsi, le syndicat ayant le droit d’utiliser des moyens

politiques à des fins professionnelles, il peut user de pétitions, de manifestations, de prises de

position, de pressions sur les élus ou les pouvoirs publics…

Ainsi, le syndicat peur user de moyens politiques pour parvenir à des fins

professionnelles, mais en aucun cas à des fins politiques180.

Un but professionnel suffirait donc pour rendre licite l’action d’un syndicat par le biais de

moyens politiques. Toutefois, il parait impossible, de nos jours, de conclure à une telle

analyse. L’objet du syndicat étant nécessairement coloré d’une teinte politique.

B – L’objet politique du syndicat

Il est impossible de prétendre à l’objet apolitique du syndicat. En effet, la séparation du

politique et du professionnel apparaît de plus en plus difficile à cerner (1) et de cette difficulté

naît un but politique que s’assignent les syndicats (2).

1 – La difficile séparation du politique et du professionnel

L’apolitisme syndical n’est plus aujourd’hui possible. En effet, « qu’il s’agisse de

construire des écoles ou des hôpitaux, d’aider les pays en voie de développement, de mettre

sur pied une reforme nucléaire, ces dépenses sont des emplois du revenu national. Elles ne

peuvent être sans incidence sur la consommation des ménages, les salaires, les transferts

sociaux, etc. C'est-à-dire sur la situation des syndiqués 181». Ainsi, nombreux sont les auteurs

à estimer que la distinction du professionnel et du politique est artificielle à l’époque de l’Etat

providence182. La politique générale ayant des conséquences sur les salaires et sur le travail,

les syndicats sont obligés de s’occuper de politique. Le lien, en France, entre lutte 180 JEAMMAUD (A.), op. cit., p. 19.181SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit., p. 531.182 CROISAT (M.), LABBE (D.), op. cit., p. 130. Et, LYON-CAEN (G.), PELISSIER (J.), SUPIOT (A.), op.

cit., p. 559.

68

revendicative et économique d’une part, et les problèmes politiques d’autre part, est trop

étroit. Le mouvement syndical se doit d’intervenir dans la politique.

En outre, le syndicalisme ne peut ignorer l’Etat et admettre son action sans intervention de

sa part. L’intervention de l’Etat dans le secteur privé est importante. Dès lors, c’est le pouvoir

public lui-même qui modèle l’exercice du droit syndical183.

De plus affirmer que le syndicalisme ne doit pas faire de politique relève le caractère

politique du syndicat : la volonté de ne pas faire de politique est par elle-même un choix

politique. Comme nous l’avons précédemment étudié, « toute action est porteuse d’une vision

du monde, qu’elle s’applique à le maintenir en l’état ou à le transformer184 ».

M. Meynaud, dans le cadre de son étude sur les groupes de pression, relève que « sans un

tel élargissement de l’objet, de nombreux aspects de l’activité syndicale cesseraient ou

perdraient leur raison d’être185 ». Le syndicat se doit de prendre position sur toutes les

questions qui agitent les citoyens, il est chargé de responsabilités nationales (ce que nous

étudierons plus profondément par la suite).

Ainsi, si le syndicat jouit d’un objet lui interdisant toute activité politique, nous avons vu

qu’il pouvait user de moyens politiques à des fins professionnelles. Mais, le professionnel ne

pouvant pas être distingué du politique, le syndicat a nécessairement un but politique.

2 – Les buts politiques du syndicat

« Les conditions objectives pour que puisse survivre une séparation de la lutte politique et

économique, une division du travail solidement ancrée entre parti et syndicat, tout cela

appartient au passé186 ». Comme nous l’avons développé, la Charte d’Amiens, elle-même,

assignait aux syndicats la transformation de la société et de l’Etat, il s’agissait dès lors de buts

politiques.

En outre, si la poursuite d’une activité exclusivement politique est interdite au syndicat, ce

dernier peut contourner cette interdiction en ce que tout but professionnel peut cacher un but

politique, en ce que toute option politique a des incidences sur les intérêts professionnels des

membres du syndicat.

183 MOURIAUX (R.), Les syndicats dans la société française, Paris : Presses de la fondation nationale des

sciences politiques, 1983, p. 179184 Id., p. 180.185 MEYNAUD (J.), Nouvelles études sur les groupes de pression en France, op. cit., p. 120.186 ERBES-SEGUIN (S.), Syndicats et relations de travail dans la vie économique française, op. cit., p. 123.

69

Dès lors, si certains différencient moyens et fins politiques, d’autres tel que M. Verdier

relativisent cette distinction187. En effet, selon lui, dès que l’action syndicale a un but

professionnel, qu’il soit proche ou lointain, elle peut avoir une finalité politique.

Le principe de spécialité a donc une compréhension très large, bien qu’un syndicat

poursuivant des objectifs essentiellement politiques ne peut se voir reconnaître la qualité de

syndicat professionnel188. Il suffit donc au syndicat de prouver, lorsqu’il a un but politique,

qu’il a une quelque incidence sur des intérêts professionnels.

Il est donc aujourd’hui évident qu’avec l’extension de l’objet du syndicat opérée en

1982, ce dernier jouit de prérogatives accrues. En effet, il peut désormais poursuivre un but

politique dès lors qu’il parvient à justifier l’assouvissement d’un quelconque intérêt

professionnel. La frontière entre le politique et le professionnel étant « fausse, artificielle,

métaphysique 189», cette preuve n’est pas difficile à apporter… En outre, les syndicats

s’avèrent également être condamnés à la politique en ce qu’ils tendent à défendre l’intérêt

général. En effet, action politique et action syndicale tendent à se rapprocher quant à leur

contenu revendiqué.

§2 L’intérêt des travail leurs et l ’ intérêt général

Si le syndicat se voit "condamné" à la politique, c’est aussi parce qu’il concurrence les

partis pour défendre cet interet (A), ou s’y trouve "obligé" (B).

A – La concurrence des syndicats dans la défense de l’intérêt général

L’intérêt général est défendu par le Pouvoir politique, l’Etat, c'est-à-dire le parti politique

qui exerce le pouvoir. Toutefois, les syndicats eux-mêmes apparaissent à leur tour des

défenseurs de l’intérêt général en ce que leur but politique ne peut viser que l’intérêt général

187 VERDIER (J.-M.), Syndicats et droit syndical, t. 5, Liberté, structures, action, op. cit., 684 p.188 Cass. ch. mixte, 10 avril 1998, Dr. soc., 1998, p 576.189 LYON-CAEN (G.), Syndicats et partis politiques, op. cit., p. 78.

70

(1), et la défense des intérêts moraux, à laquelle ils prétendent, paraît conduire à la défense de

l’intérêt général (2).

1– Le but politique et l’intérêt général

« Selon qu’ils ont ou non un « projet de société », les syndicats se montrent plus ou moins

touche à tout190 ». La CFDT, et la CGT se prononcent sur tout ce qui a trait à l’évolution de la

société, de la politique internationale à la légalisation de l’avortement. Il s’agit là de la

conception humaniste selon laquelle l’homme est un tout, il est à la fois salarié,

consommateur, citoyen, père de famille et amateur de football. FO, quant à elle, se préserve

de toute immixtion dans les problèmes de société. Pour elle, la finalité syndicale est

d’améliorer la condition des travailleurs par le biais de revendications et non par des projets

de transformation de la société.

La CFDT fait, d’ailleurs, partie des syndicats qui acceptent de prendre en compte les

contraintes économiques et donc celles de l’intérêt général afin d’apprécier ses revendications

en fonction de leur potentielle faisabilité. Selon elle, « le syndicalisme, à la condition qu’il le

prouve dans ses choix, peut être soucieux de l’intérêt général 191». La CGT et FO, au

contraire, refusent de se préoccuper de l’intérêt général192.

Dès lors, chaque organisation syndicale pèse à sa manière sur l’intérêt général. Mais, et la

constante est générale, action syndicale et action politique se réunissent souvent en ce qu’elles

défendent le même intérêt. « Il est tout à fait insuffisant de dire que les syndicats sont les

défenseurs des intérêts des travailleurs […] leur fonction réelle est beaucoup plus que

simplement défensive193 ».

De même, les syndicats peuvent connaître les mêmes intérêts que certains partis

politiques. Ainsi, la CGT se défend de l’incessant reproche qui lui est fait, de nouer des liens

trop forts avec le parti communiste, en rappelant que son but ultime est de renverser le

système capitaliste et que le PCF est le seul parti qui lui apparaît capable de promouvoir la

révolution.

Cette rencontre d’intérêts communs entre partis et syndicats se manifeste par des appels au

vote. Depuis mai 1968, qu’il s’agisse de la CGT ou de la CFDT, des appels sont émis pour les

190 NOBLECOURT (M.), op. cit., p. 106.191 http:// www.cfdt.fr/actu/societe/societe_12.htm192ADAM (G.), Vers un nouveau syndicalisme, Dr. soc. 1998, p. 107.193 ERBES-SEGUIN (S.), Syndicats et relations de travail dans la vie économique française, op. cit., p. 120.

71

élections. Même FO a pris des positions politiques, comme en 1981 pour désapprouver

l’entrée de ministres communistes dans le gouvernement de Pierre Mauroy …

Les syndicats, à ce stade, soit se prévalent défenseurs d’un intérêt général, soit s’y refusent

mais défendent des intérêts moraux qui mènent nécessairement à la défense de l’intérêt

général.

2 – Le syndicat défenseur d’un intérêt moral

Certains, tel M. Burdeau, estiment que seul l’Etat doit être défenseur de l’intérêt général

en ce que sa position d’arbitre lui octroie la qualité de « définiteur de l’intérêt général 194».

Cependant, si nous ne nions pas cette évidence, nous ne pouvons y adhérer entièrement, en ce

que les syndicats vont se poser comme collaborateurs de l’Etat pour la défense de l’intérêt

général.

D’une part, il convient de souligner que la pression indirecte exercée par les groupes de

pression peut viser l’opinion publique. Pour ce faire, les exigences catégorielles devront être

traduites en « formulations attractives pour de plus larges couches sociales, c’est à dire, au

fond, rationaliser en termes d’intérêt général la défense des intérêts particuliers 195». Ainsi, et

comme nous y faisions référence précédemment, le syndicat pour défendre, par exemple, des

revendications émanant de travailleurs évoluant dans le milieu médical, soulignera le lien

entre leurs revendications et la défense de la santé des patients.

D’autre part, il convient de rappeler que l’article L 411-1 C. trav. vise la défense des

intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels. Ainsi, le syndicat peut se porter

partie civile alors même qu’un préjudice direct ou indirect risque de se produire. Le seul fait

que l’éventualité de sa survenance concerne l’intérêt matériel ou moral de la profession

représentée, et non la profession ou le syndicat eux mêmes, est une condition suffisante pour

la recevabilité de l’action en justice des syndicats. Toutefois, seul le ministère public a

l’opportunité de telles poursuites, sauf lorsque la victime se porte partie civile. Dès lors, en se

constituant partie civile, le syndicat se pose comme défenseur de l’intérêt général en ce qu’il

force le ministère public à poursuivre, alors même qu’aucun préjudice n’est survenu et que les

syndicats ne sont pas les victimes potentielles de l’infraction.

Il convient toutefois de préciser qu’il y a vraiment défense de l’intérêt général par le

syndicat lorsque celui-ci prévient une infraction dont la victime est le syndicat par

194 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 230.195 BRAUD (P.), op. cit.,

72

représentation. Il y a donc concurrence entre le syndicat et le ministère public au titre de la

défense de l’intérêt général.

Le syndicat se trouve donc face à des responsabilités normalement dévolues aux partis

politiques. En effet, le syndicat se voit la possibilité de détenir des buts politiques, lesquels

buts débouchent sur la défense de l’intérêt général par le syndicat. Mais, le syndicat, s’il peut

donc par choix défendre l’intérêt général, peut se trouver "contraint" de le défendre.

B – Le syndicat obligé à la défense de l’intérêt général

Le syndicat se trouve en position de défenseur de l’intérêt général lorsqu’il mène son

action sociale (1), ou lorsqu’il est acteur dans la démocratie sociale (2).

1 – L’action sociale du syndicat

La règle selon laquelle le syndicat doit se confiner à la défense d’intérêts professionnels

est malmenée comme nous venons de le voir. Mais, elle l’est encore lorsque le syndicat se

livre à des activités sociales. En effet, les syndicats sont autorisés à créer des habitations à

loyer modéré, à acquérir des terrains afin de constituer des jardins ouvriers ; à créer des

œuvres professionnelles, … Les syndicats peuvent également constituer entre leurs membres

des caisses de secours ou de retraite.

L’action sociale des syndicats est encouragée par la loi en matière d’emploi, de

prévoyance, de formation professionnelles, de retraite, de logement …

Rien dans cette activité ne caractérise un intérêt collectif, où se situe l’intérêt des

travailleurs dans la création d’habitations à loyer modéré par le syndicat ? Il s’agit là d’un

intérêt plus large que l’intérêt collectif, serait-ce l’intérêt général ? Les articles L 411-13 C.

trav., et suivants, fourniraient-ils aux syndicats, dans certains cas, la défense de l’intérêt

général ? Il convient de poursuivre en étudiant l’intérêt défendu par les syndicats dans la mise

en œuvre de la démocratie sociale.

2 – L’institution du syndicat

En France, et d’une part, le syndicat a un rôle de consultant de l’Etat concernant

l’élaboration et l’application de la politique économique et sociale, au sein du Conseil

73

Economique et Social, entres autres. Mais, le syndicat est également une autorité

réglementaire en ce qu’il est titulaire d’un pouvoir normatif particulier, en ce qu’une

convention collective pourra déroger à la loi dès lors qu’elle octroie aux salariés des

avantages supérieurs à ceux légalement prévus, et pourra avoir un effet erga omnes.

Enfin, il convient de noter que le syndicat est également gestionnaire de services publics

depuis 1945. Le syndicat participe directement à la gestion économique du pays et non plus

uniquement par le biais de contacts avec le pouvoir politique. Les syndicats interviennent

dans la gestion du chômage et de la sécurité sociale. Mais et depuis la réalisation de la

couverture maladie universelle gérée par la sécurité sociale, les syndicats se trouvent gérant la

protection sociale de tous les citoyens et non pas des seuls travailleurs.

Aujourd’hui, « nul ne peut contester que le fait, pour une centrale syndicale, de signer, ou

de ne pas signer, une convention nationale avec le patronat du type des récents accords sur le

chômage, les retraites complémentaires, la formation professionnelle, a une portée politique

bien plus grave que nombre de lois ou de décisions réglementaires, et pas seulement pour les

travailleurs, mais pour le pays tout entier196 ».

Le syndicat se pose comme un groupe-maître197 en ce qu’il défend des intérêts, mais pour

s’assurer de l’aboutissement de ses revendications, il s’introduit dans les centres décisionnels

et y occupe une place solide. Mais, pour ce faire, c’est une doctrine générale qui est mise en

œuvre…

Dès lors que penser de la participation au pouvoir des syndicats ? En effet, les partis

politiques ayant pour but d’exercer le pouvoir ou d’y participer, faut-il en déduire que le

syndicat se rapproche du parti ? Mieux, faut-il en déduire que par ses fonctions, le syndicat se

retrouve défenseur de l’intérêt général. Le syndicat peut-il encore exercer une influence de

l’extérieur dès lors qu’il participe lui-même à la prise de décisions politiques ?

196 JEANSON (A.), op. cit., p. 698.197 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 226.

74

CHAPITRE 2 LA NATURE HYBRIDE DU SYNDICAT

Le syndicat est ainsi devenu un groupe de pression d’une nature particulière en ce que la

stricte séparation entre syndicat-groupe de pression et parti politique s’amenuise, comme nous

venons de le voir. De plus, nous allons perdre tous les repères que nous nous étions donnés

pour qualifier le syndicat de groupe de pression (S1), en ce qu’une analogie entre syndicat-

groupe de pression et parti politique tend à apparaître (§1) et, que la notion même de groupe

de pression va se dérober (§2).

Ainsi, la nature du syndicat va évoluer en ce qu’il va se présenter comme groupe de

pression politique (S2). En effet, comme nous le verrons, la nature particulière du syndicat

nécessitera de recourir à une nouvelle notion pour déterminer sa nature, dans ses rapports avec

les partis politiques (§1).

Mais si le syndicat est aujourd’hui devenu un groupe de pression politique, ceci entraîne

nécessairement des conséquences, tant dans les rapports entre syndicats et partis politiques en

ce que la relève des partis par ces groupes de pression politiques peut être envisagée, que

quant à la perception qu’en ont les adhérents des syndicats dont l’ambiguïté met le syndicat

dans une position bien inconfortable (§2).

SECTION 1 : LA PERTE DES REPERES

Après avoir intégré notre raisonnement, le moment est venu de rendre ce dernier caduque.

En effet, le syndicat-groupe de pression s’avère être proche des partis (§1), à tel point que

cette qualification sera abandonnée au profit de celle de groupe de pression politique (§2).

§ 1 Le syndicat-groupe de pression proche des

partis polit iques

Une analogie tend a apparaître entre syndicat-groupe de pression et parti, en effet, ces

derniers se rapprochent dans la pratique (A), mais aussi quant à leur volonté de défendre le

peuple (B).

75

A – Le rapprochement des syndicats-groupes de pression et des partis

politiques

Il convient à ce niveau de s’attarder sur le rapprochement effectif des partis politiques et

des syndicats. Ce constat est troublant en ce que les groupes de pression peuvent être proches

des partis (1), et inversement (2).

1 – Le groupe de pression proche du parti

« Du moment qu’au sein d’une société politique, il y a un certain nombre d’individus qui

ont en commun des idées, des intérêts, des sentiments, des occupations que le reste de la

population ne partage pas avec eux, il est inévitable que, sous le flux de ces similitudes, ils

soient comme poussés, comme attirés les uns envers les autres, qu’ils se recherchent, qu’ils

entrent en relation, qu’ils s’associent et qu’ainsi se forme peu à peu un groupe restreint, ayant

sa physionomie spéciale, au sein de la société générale198 ».Tout groupement est donc fondé

sur une idéologie, sur un ensemble d’idées, qu’il s’agisse d’un groupe de pression, d’un

syndicat, ou d’un parti politique. Par la suite, l’intérêt défendu par le groupe sera qualifié de

particulier, de collectif, ou commun, ou encore de général. Mais, et comme nous l’avons vu,

le parti politique défend l’intérêt général, le syndicat défend théoriquement un intérêt collectif

ou individuel mais tend à défendre l’intérêt général, et le groupe de pression ne vise lui aussi

qu’à défendre un intérêt collectif par principe. En effet, la certitude relative à l’intérêt collectif

défendu par le groupe de pression tend elle aussi à décliner.

En effet, des groupes de pression, pour atteindre leurs buts, vont être amenés à prendre la

forme d’un parti politique, dès lors qu’ils évoluent dans un système multipartite199. En France,

le mouvement poujadiste, originairement groupe de pression défendant la petite bourgeoisie,

se transforma en parti politique en 1956. Il est évident que tout groupe de pression ne peut se

nover en parti politique, toutefois cela étant possible, la stricte séparation des groupes de

pression et des partis politiques paraît donc artificielle. Le syndicat-groupe de pression ne

peut dès lors être catégoriquement être opposé au parti politique en ce que le groupe de

pression ne s’y oppose pas complètement…

198 DURKHEIM (E.), op. cit., 259 p.199 ERLICH (S.), op. cit., p. 51.

76

Bien plus encore, il convient de remarquer que c’est la mise en œuvre de ces idéologies

qui caractérise le rapprochement entre le syndicat entendu comme groupe de pression et les

partis politiques.

2 – La frontière confuse entre syndicat-groupe de pression et parti politique

Il est inévitable que dans la diversité des syndicats-groupes de pression et des partis

politiques, chacun trouve un groupe lui correspondant. D’autant qu’au titre des organisations

syndicales chacun est libre de délimiter son champ d’action.

En outre, comme le note M. Offerlé, l’action partisane n’a pas que des fins politiques, bien

qu’il s’agisse de son objectif premier ; et, tous les partis n’accèdent pas au Pouvoir

politique200. Là encore la stricte délimitation entre syndicat-groupe de pression et parti

politique s’amenuise en ce qu’elle était basée sur la poursuite d’intérêts différents, et, la

volonté partisane d’exercer le pouvoir. De plus, certains groupes peuvent sans passer par la

voie électorale, offrir à leurs adhérents des prestations semblables à celles fournies par les

partis politiques. Par sa participation au processus conventionnel et paritaire, la CGT, par

exemple, élabore des règles de droit et l’organisation du marché du travail…

Dès lors, la délimitation élaborée visant à distinguer partis politiques et syndicats-groupe

de pression tend à s’effacer en ce que tous les points caractéristiques de leur séparation

s’amenuisent pour laisser place à un important trait commun.

B – La défense de la volonté du peuple

Le syndicat-groupe de pression et le parti politique se rapprochent encore en ce qu’ils

visent à défendre la volonté du peuple. En effet, il est indéniable que les groupes de pression

et les partis politiques sont les intermédiaires entre le peuple et l’Etat (1). Dès lors, en ce

qu’ils représentent le peuple, groupes de pression et partis politiques se rapprochent encore

quant à la population qu’ils entendent représenter. En effet, ils visent tous deux la

même "clientèle" (2).

200 OFFERLE (M.), op. cit., p. 24.

77

1 – Les intermédiaires entre le peuple et l’Etat

« Les partis ont une ambition de mobilisation. Ils cherchent à s’imposer comme

représentatifs d’une population, ou porteur d’un projet de société, d’une « grande cause »201 ».

De ce fait, les partis entrent en compétition, en France, avec d’autres formes d’organisations,

qu’il s’agisse de groupes de pression, de syndicats, … Ainsi, nombreux sont ceux qui

voyaient dans les groupes de pression un « mal social, un phénomène incompatible avec la

démocratie202». Toutefois, il fut majoritairement admis que les groupes de pression étaient un

élément vital de la démocratie occidentale, en ce que le groupe de pression et le parti politique

constituent des corps intermédiaires entre l’individu et le pouvoir politique, « une sorte de

tampon intervenant pour amortir le poids de l’appareil des contraintes gouvernementales

contre lequel une société atomisée, c’est à dire composée d’individus qui ne feraient pas partie

de groupes organisés, serait sans défense203 ».

L’existence de ces corps intermédiaires est nécessaire pour que la volonté du peuple

prévale quel que soit son contenu. Le peuple doit pouvoir faire entendre sa volonté, peu

importe le moyen par lequel il la fait retentir. Dès lors, « Le groupe de pression est un mode

naturel d’expression 204» de la volonté du peuple au même titre que le parti politique C’est

d’ailleurs pour cette raison que les partis représentant des minorités nationales et qui n’ont

aucun espoir de participer au gouvernement, ne voient qu’une seule voie s’offrir à eux pour

exercer leur influence : se constituer en groupe de pression ! Dans un régime pluri-partisan,

les partis de faible importance sont assimilés à des groupes de pression205.

Ainsi, groupes de pression et partis politiques tendent à se disputer la même clientèle.

2 – Le regroupement autour d’une même clientèle

Les groupes de pression sont nécessaires au bon fonctionnement de la structure politique

contemporaine en ce qu’ils sont le chaînon initial de l’élaboration d’une décision politique.

Nous retrouvons à ce stade la conception de M. Erlich avec sa "métaphore de l’échelle"206.

201 BRAUD (P.), op. cit., p. 359.202 ERLICH (S.), op. cit., p. 269.203 Id., p. 39.204 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 225.205 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., p. 38.206 ERLICH (S.), op. cit., p. 274.

78

Ainsi, au pied de l’échelle, les groupes intègrent les intérêts particuliers. Un peu plus haut,

ils constituent des intérêts de groupe, ou intérêt commun. Enfin, aux barreaux supérieurs, ils

sont à leur tour intégrés par les éléments de la structure politique, à savoir les partis politiques.

Il s’agit là de la fonction agrégative des partis, que nous avons développée.

Ainsi, la volonté du peuple passe par les groupes de pression et dans les partis politiques.

Une société composée d’individus influant sur le pouvoir par le biais des partis politiques

n’est que pure fiction. Dès lors, la présence des groupes de pression est indispensable. S’il n’y

avait pas de groupes de pression pour représenter les intérêts de groupe, les partis politiques

ne pourraient jouer leur rôle d’intégration de ces intérêts, ces derniers n’existant pas. De plus,

si les partis défendaient uniquement ces intérêts de groupe, ils ne pourraient pourvoir à leur

fonction principale : l’élaboration de décisions. Si les groupes de pression et les partis ont des

fonctions différentes, ils se retrouvent autour d’une même clientèle207.

Dès lors, il est aisé de conclure sur le rapport entre syndicat-groupe de pression et parti

politique. En effet, et parallèlement à ce que nous avions antérieurement étudié, nous venons

de constater un rapprochement des fondements relatifs aux syndicats-groupes de pression et

aux partis politiques. Nous avions certes vu que groupe de pression et parti politique étaient

antinomiques, que le syndicat en sa qualité de groupe de pression tendait à se politiser, à

concurrencer les partis politiques ; mais nous sommes ici en train de démontrer que syndicat-

groupe de pression et parti politique ne sont pas uniquement proches dans la réalité de la vie

politique française, ils sont également conceptuellement proches. Dès lors, si groupe de

pression et parti politique sont proches, que le syndicat se rapproche tant des groupes de

pression que des partis politiques aujourd’hui, que penser de sa nature ? Devons-nous

continuer à confirmer notre hypothèse conférant au syndicat le caractère de groupe de

pression.

§ 2 Le concept de groupe de pression

Pour étudier les rapports entre syndicat et parti politique, notre hypothèse était donc de

qualifier le syndicat de groupe de pression. Toutefois, ces trois pouvoirs de fait, normalement

distincts, tendent à se rapprocher. Mais plus encore, le concept même de groupe de pression

apparaît être un faux concept (A), et doit être distingué des groupes d’intérêts (B).

207 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., p. 181.

79

A – Le faux concept du groupe de pression

La perte de nos points de repère continue encore en ce que certains prétendent que le

concept même du groupe de pression est un faux concept. Cette idée nous trouble en ce que

notre hypothèse de départ était de qualifier le syndicat de groupe de pression. En effet, cette

notion peut recouvrir différentes acceptions traduisant dès lors de nombreux groupes (1).

Certains ont donc tenté de clarifier le concept en ayant recours à d’autres notions (2).

1 – La notion " fourre-tout"

M. Burdeau s’est interrogé sur la notion de groupe de pression en ce qu’il se demande si

elle « ne serait pas en définitive un faux concept clair, une sorte de fourre-tout où se retrouve

la collectivité toute entière considérée dans son effort pour peser sur les agences du

pouvoir 208». A ce titre, il a essayé d’établir une classification autour de six critères.

Le premier critère vise la nature de l’intérêt en cause. S’il s’agit d’un intérêt matériel, la

couleur politique importe peu pour l’assouvir. S’il est un intérêt non matériel, la prise de

position politique du groupe est obligatoire. Parfois, des groupes défendent les deux intérêts,

les syndicats entre autres.

Le second critère repose sur la nature de l’activité exercée par les dirigeants du groupe. Ce

qui distingue les groupes privés des groupes publics bien que l’existence de ces derniers soit

contestée.

Un troisième critère s’attarde sur la nature de l’activité des groupes. Ainsi, coexistent des

groupes de pression exclusifs dont le but est l’intervention politique, et des groupes de

pression intermittents ne possédant pas un objet fondamentalement politique, qui

n’interviennent que lorsque l’intérêt particulier qu’ils défendent est en cause.

Le quatrième critère vise la structure des groupes. S’y différencient les groupes de masse

rassemblant un nombre important d’individus, les organismes de cadre dont l’infériorité

numérique est compensée par l’importance des intérêts matériels en cause ou l’influence des

adhérents, et les groupes n’existant qu’en fonction de leur leader.

Un cinquième critère repose sur les moyens d’action employés, qui peuvent être dirigés

directement sur des organes du pouvoir, ou sur l’opinion qui fera elle-même pression sur les

gouvernants.

208 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La dynamique politique, t. 3, op. cit., p. 214.

80

Le sixième critère s’attarde sur l’attitude des gouvernants face au groupe. Des partenaires

sociaux peuvent participer au jeu politique, comme à l’exercice du Pouvoir.

De cette typologie apparaît une grande variété de groupes susceptibles d’être des groupes

de pression. Toutefois, cette hypothèse n’approfondie pas plus le concept qu’elle ne le

complexifie.

2 – Les tentatives de clarification

Dès lors M. Burdeau simplifie le concept en distinguant les groupes-client des groupes-

maître209. Il existe ainsi des groupes qui attendent tout des détenteurs du Pouvoir, des

groupements d’intérêt plus ou moins organisés désireux de bénéficier d’avantages délivrés par

les gouvernants, appelés « groupes-client ». Parallèlement à ces groupes, existent d’autres

groupes qui tendent à s’introduire dans le pouvoir et s’ils y parviennent, « ils ne sont plus les

obligés du pouvoir, ils sont le Pouvoir, ils sont le Pouvoir lui-même210 » en ce qu’ils

participent à la décision qui ne sera que simplement officialisée par la suite. Ces groupements

qui commandent, qui exercent le pouvoir sont appelés « groupes-maître ».

D’autres, pour simplifier le concept de groupe de pression proposent de faire appel à la

notion de groupe d’influence en ce que l’emploi de cette notion coïnciderait mieux avec ces

organisations qui exercent une simple influence sur les décisions politiques211.

Le concept même de groupe de pression parait donc empli de contresens, d’une

complexité particulière tant il serait trop large dans son acception. Mais la difficulté ne

s’arrête pas là en ce que certains distinguent également groupe d’intérêt et groupe de pression.

B – Le groupe de pression et le groupe d’intérêt

L’analyse de M. Burdeau s’avère encore intéressante pour notre étude en ce qu’il énonce

que les syndicats ne sont qu’une catégorie des groupes de pression, les syndicats sont donc

toujours des groupes de pression212 mais appartenant à un concept de groupe de pression

209 Id., pp. 220 et 221.210 Id., p. 220.211 ERLICH (S.), op. cit., p. 25.212 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., p.

292.

81

particulièrement complexe. Toutefois, si à ce niveau nous rencontrons des difficultés par

rapport aux repères qui nous étaient fixés, apparaissent d’autres difficultés émanant de la

notion de groupe de pression. En effet, certains tendent à distinguer les groupes d’intérêt des

groupes de pression (1) tandis que d’autres maintiennent la synonymie des notions, bien

qu’elle ne soit pas clairement affirmée (2).

1 – La distinction entre les notions

Lors de l’étude des groupes que nous visons, deux expressions reviennent régulièrement :

groupe d’intérêt et groupe de pression.

M. Meynaud fait partie de ceux qui distinguent les deux notions213. En effet, selon lui, est

un groupe de pression un groupe d’intérêt politique, c’est à dire un groupe d’intérêt qui pèse

sur les pouvoirs sans viser à les remplacer. Suivant l’importance de l’intervention sur les

pouvoirs publics, deux types de groupes apparaissent. Ainsi, existent des groupes d’intérêt

pour lesquels l’action sur les pouvoirs publics n’est qu’une action parmi d’autres, et les

groupes d’intérêt politiques que nous venons de définir.

Dès lors, ces groupes d’intérêt ne deviennent groupes de pression que pour obtenir la

satisfaction de certaines revendications. Parallèlement à ces groupes, existent des groupes

d’intérêt pour lesquels l’intervention sur les pouvoirs publics constitue l’essentiel de leur

action.

M. Meynaud en conclut alors que « le groupe de pression est toujours un groupe d’intérêt

[et que] le groupe d’intérêt n’est pas nécessairement un groupe de pression dans la mesure où

les positions qu’il exprime sont susceptibles de recevoir satisfaction autrement que par la voie

gouvernementale 214».

D’autres, tel M. Offerlé, estiment que les groupes d’intérêt se voient, en France, accoler

une « étiquette infamante de groupe de pression215 ». En effet, selon lui, le groupe de pression

en France ne véhicule pas l’acception américaine d’ « entreprise commerciale enregistrée de

représentation d’intérêt216 », mais fait référence à un « réseau d’influences borgnes et

illégitimes contournant l’intérêt général par des pressions occultes voir par la corruption pure

213 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., p. 22.214 Ibid.215 OFFERLE (M.), op. cit., p. 29.216 Ibid.

82

et simple217 ». Il est donc évident que la notion de groupe de pression, selon M. Offerlé, ne

doit pas recouvrir tous les groupes. Ceci conforte l’hypothèse selon laquelle groupe d’intérêt

et groupe de pression doivent être distingués.

Pour M. Truman, « un groupe d’intérêt ne devient un groupe d’intérêt politique, ou un

groupe de pression, que s’il tente d’influencer les décisions des pouvoirs publics. Sinon, il

demeure un simple groupe d’intérêt218 ». Ainsi, il fait suivre l’expression "groupe d’intérêt"

de l’adjectif politique pour appuyer sur le fait que les groupes d’intérêt exercent un pesée sur

les décisions politiques.

Cette distinction entre groupe d’intérêt et groupe de pression semble aujourd’hui ne plus

être opérée mais paraît persister malgré ses détracteurs.

2 – L’hypothétique synonymie des notions

Aujourd’hui, les notions de groupes de pression et de groupe d’intérêt sont employées

indifféremment. Ainsi, pour M. Schwartzenberg, l’étude des groupes de pression équivaut à

celle des groupes d’intérêt « dans leur dynamique externe, et spécialement dans leur activité

politique 219». Le groupe d’intérêt qui exerce une pression est un groupe de pression, comme

M. Meynaud nous le démontre « la catégorie groupe de pression englobe un secteur d’activité

des groupes d’intérêt : plus exactement, elle consiste à analyser ceux-ci sous un aspect

déterminé220 ».

Toutefois, et selon M. Schwartzenberg, la distinction entre groupe de pression et groupe

d’intérêt est inutile en ce qu’ « il n’existe pas un seul groupe d’intérêt qui ne recourra un jour

à la pression221 ». Toute organisation, tout groupe peut être forcé ou amené à exercer une

pression. La seule variante se situe au niveau de l’importance et de la fréquence du recours à

la pression. Ainsi, selon les opposants à la distinction, « tout groupe d’intérêt est virtuellement

un groupe de pression 222» les notions étant de ce fait synonymes.

217 Ibid.218 SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit., p. 520.219Ibid.220 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., p. 10.221SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit., p. 520.222 Ibid.

83

Mais, et comme l’a écrit M. Schwartzenberg, « tout groupe d’intérêt est virtuellement223

un groupe de pression224 » le recours à l’adverbe virtuellement démontre que il ne l’est donc

pas par définition. En outre, groupe d’intérêt et groupe de pression se différencient quant à

l’importance et la fréquence du recours à la pression. M. Schwartzenberg insiste sur ces points

mais n’en tire pas la conclusion d’une distinction entre ces notions, laquelle distinction est la

clé principale pour la conclusion de notre étude.

SECTION 2 : LE SYNDICAT-GROUPE DE PRESSION

POLITIQUE

Ainsi, nous allons déterminer la validité de notre hypothèse par référence à cette

distinction entre groupe de pression et groupe d’intérêt. Dès lors, la nature particulière du

syndicat s’en trouvera clarifiée (§1), et nous pourrons observer les conséquences qui en

découlent (§2).

§ 1 La nature particulière du syndicat

Le syndicat jouit d’une nature particulière en ce qu’il apparaît être un groupe de pression

(A), ce que nous avons pu constater, mais est en réalité un groupe de pression politique (B).

A – Le syndicat comme groupe de pression

Toujours sur la base de la distinction élaborée entre groupe d’intérêt et groupe d’intérêt

politique, c’est à dire groupe de pression, nous allons pouvoir commencer à nous prononcer

sur notre hypothèse. En effet, il nous apparaît, d’une part, que le syndicat est tant un groupe

d’intérêt qu’un groupe d’intérêt politique (1), et d’autre part, que le parti politique est lui aussi

un groupe d’intérêt politique (2), ce qui justifierait le rapprochement jusqu’alors observé entre

syndicat et parti politique.

223 Souligné par nos soins.224 SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit., p. 520.

84

1 – Le syndicat comme groupe d’intérêt et groupe de pression

Reprenons la distinction de M. Truman aux termes de laquelle « un groupe d’intérêt ne

devient un groupe d’intérêt politique ou un groupe de pression, que s’il tente d’influencer les

décisions des pouvoir publics. Sinon il demeure un simple groupe d’intérêt225 ». Ainsi, le

syndicat qui discipline la profession, en élaborant des conventions collectives, réglemente

l’activité de ses membres. Il fait dès lors partie des groupes d’intérêt en ce qu’il ne tente pas,

pour l’élaboration de la réglementation de la profession, d’influer sur les décisions des

pouvoirs publics. De même, lorsque, et par exemple, le syndicat est présent dans l’entreprise

au travers de la section syndicale, il n’influence en rien les décisions des pouvoirs publics. Le

syndicat est dès lors un simple groupe d’intérêt, car il « accomplit de nombreuses tâches et

poursuit de multiples luttes qui ne mettent pas forcément en cause la puissance publique226 ».

Toutefois, si le syndicat est un simple groupe d’intérêt, il devient un groupe d’intérêt

politique en ce qu’il pèse sur les pouvoirs sans viser à les remplacer.

En effet, le syndicat n’est-il pas moins préoccupé de gérer la société existante, que

d’utiliser le pouvoir qu’il convoite pour établir une société nouvelle227 ?. Mais et comme le

souligne M. Meynaud, « le syndicalisme des travailleurs en France constitue l’un des secteurs

où se trouve le mieux vérifiée l’influence de la politique et des facteurs idéologiques sur la

formation et le fonctionnement des groupes professionnels. Son objectif consiste à faire usage

de la force de "marchandage" des salariés auprès des entreprises et d’effectuer des pressions

sur le gouvernement pour obtenir l’amélioration des conditions de travail. Cependant son but

ultime est d’agir sur l’ordre social par transformation ou modification du régime économique.

Un tel dualisme rend difficile l’appréciation des syndicats de travailleurs comme groupe de

pression 228».

Ainsi, le syndicat est tant un groupe d’intérêt qu’un groupe de pression mais ne constitue

pas un véritable groupe de pression en ce que le syndicalisme français se donne une double

vocation à savoir améliorer le sort des travailleurs, et, construire une autre société. En outre, la

qualité de groupe de pression, c’est à dire de groupe d’intérêt politique, du syndicat se trouve

également attribuée au parti politique.

225Ibid.226 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., p. 22.227 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., p.

324.228 MEYNAUD (J.), Les groupes de pression en France, op. cit., p. 67.

85

2 – Le syndicat et le parti politique comme groupes d’intérêt politiques

Dans le cadre de la distinction entre groupe d’intérêt et groupe d’intérêt politique, et

comme nous l’avons développé, la qualité des groupes d’intérêt politiques est vaste. Le

principal avantage de l’étendue de cette catégorie est de permettre l’identification de tous les

organismes qui influent sur la conduite des affaires publiques, quelque soit le mécanisme

d’influence mis en œuvre. Ainsi, nous avons vu que le syndicat est un groupe d’intérêt

politique en ce qu’il influe sur les décisions prises par les pouvoirs publics. En effet, les

syndicats sont devenus les interlocuteurs du Pouvoir public.

Mais, M. Meynaud fait apparaître les partis politiques dans cette catégorie. En effet, selon

lui, la catégorie des groupes d’intérêt politiques « rassemble les partis et autres organismes de

conquête du pouvoir 229». Il convient, certes, de préciser qu’apparaît ici une opposition à la

classification habituelle reposant sur la distinction des groupements politiques, partis, et des

groupements non politiques, syndicats. « Les premiers seraient ceux qui voient dans la

politique une fin en soi, les seconds ceux qui l’utilisent comme un instrument ou un

levier 230».

Il convient toutefois de préciser que si partis politiques et syndicats sont tous deux des

groupes d’intérêt politiques pour M. Meynaud, la formation politique n’est pas un groupe

d’intérêt politique propre, uniquement d’un point de vue technique : le groupe d’intérêt

politique ne présente pas de candidats aux élections et n’entend pas se voir attribuer la

direction du gouvernement. Mais, mise à part cette différence technique, syndicats et partis

politiques sont des groupes d’intérêt politique selon lui.

Nous voici perdus. En effet, notre hypothèse était jusqu’ici plutôt confirmée malgré

quelques réserves, et à ce niveau de l’analyse, tout se mêle. Le syndicat est un groupe

d’intérêt et un groupe de pression, tout comme les partis politiques : le syndicat ne se

distingue t-il plus des partis politiques de par sa nature de groupe de pression ? Il convient dès

lors, pour qualifier le syndicat, de faire appel à une nouvelle notion qui permettra de

confirmer notre hypothèse, tout en tenant compte des rapports étroits, précédemment étudiés,

entre syndicats et partis politiques.

229 MEYNAUD (J.), Nouvelles études sur les groupes de pression en France, op. cit., p. 23.230 Ibid.

86

B -Le syndicat-groupe de pression politique

Il est impératif, pour clarifier la situation, de faire appel à une nouvelle notion. En effet, la

confusion relative à la qualité du syndicat, tantôt groupe d’intérêt, tantôt groupe d’intérêt

politique tout comme les partis politiques, nous empêche de confirmer ou d’infirmer notre

hypothèse. Ainsi, c’est par le recours à la distinction aujourd’hui abandonnée entre groupe

d’intérêt et groupe d’intérêt politique, que nous allons recourir à une nouvelle notion (1) qui

nous permettra de qualifier le syndicat de groupe de pression politique (2).

1 – La nécessité d’une nouvelle notion

Comme nous l’avons constaté au long de notre étude, les partis, les syndicats et les

groupes de pression sont trois pouvoirs de fait qui ne sont pas séparés les uns des autres en

raison de leur nombreuses interférences.

Les partis donnent leur substance aux votes parlementaires, les syndicats informent et

orientent les décisions ministérielles tout en y participant, et, les groupes de pression

introduisent dans les mécanismes gouvernementaux la vision des intérêts concrets. Toutefois,

la double vocation des syndicats assombrit ce tableau « ou bien le syndicalisme est un

mouvement exclusivement revendicatif et, dans ce cas l’origine, les fins et les détentions du

pouvoir ne l’intéressent pas, ou bien le syndicalisme est une force sociale où se combinent la

recherche des profits immédiats et les visées à long terme relativement à la société future dont

il s’agit de promouvoir l’avènement et, dans ce cas, il doit s’accepter comme véritable

pouvoir231 ». Le syndicat est il donc un simple groupe d’intérêt, ou un groupe d’intérêt

politique tout comme les partis politiques ? Il est des deux comme nous l’avons vu, mais cette

situation ne clarifie en rien la qualité du syndicat, par hypothèse groupe de pression en

opposition au parti politique.

En outre, aujourd’hui, le syndicat ouvrier français apparaît comme support d’une idée de

droit, et devient nécessairement un rival du pouvoir étatique, consécutivement à sa

politisation. En tant que force politique, il tend à demeurer un groupe de pression qui agit sur

les gouvernants ; politisé, le syndicat vise à substituer à la vision des gouvernants sa propre

conception de l’ordre désirable.

231 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., p.

331.

87

Aujourd’hui, il est donc nécessaire de faire appel à une nouvelle notion pour caractériser

le syndicat en ce qu’il est devenu plus qu’un simple groupe d’intérêt ou groupe d’intérêt

politique.

2 – La notion de groupe de pression politique

Toujours sur la base de la distinction entre groupe d’intérêt et groupe d’intérêt politique,

ou groupe de pression, nous allons ici recourir à la notion de groupe de pression politique. En

effet, le groupe d’intérêt et le groupe d’intérêt politique sont distingués à l’aide de l’adjectif

"politique" soulignant le fait que les seconds exercent une pesée sur les décisions politiques

contrairement aux premiers232.

De ce fait, et parallèlement à ce que nous avons vu au cours de notre développement, nous

retiendrons que si le syndicat peut être simplement consulté par les pouvoirs publics, il peut

également collaborer à la prise de décisions de par son rôle d’autorité réglementaire, et son

rôle de gestionnaire de nombreux services publics pour lequel il participe à la prise de

décision.

Le syndicat n’est donc plus un simple groupe d’intérêt politique c'est-à-dire un groupe

d’intérêt qui exerce une influence sur les décisions des gouvernants. Le syndicat est

aujourd’hui amené à participer à cette prise de décision, il est loin de l’influence extérieure

exercée par les groupes d’intérêt politiques.

Dès lors, le syndicat apparaît comme un groupe d’intérêt politique plus puissant que les

autres groupes d’intérêt politiques : le syndicat est un "super groupe de pression". Cette

qualification étant peu utilisable, il apparaît donc légitime de qualifier le syndicat de groupe

d’intérêt politique "politique", en ce qu’il n’exerce pas qu’une simple influence. Le syndicat

doit donc être considéré comme un "groupe de pression politique".

L’adjonction de l’adjectif politique à la notion de groupe de pression parait inutile en ce

que le groupe de pression est un groupe d’intérêt politique. Toutefois, elle permet d’insister

sur la nature particulière des syndicats. En outre, nous retiendrons que si groupe de pression et

groupe d’intérêt politique sont synonymes, la notion groupe de pression politique sera plus

aisée d’emploi que celle de groupe d’intérêt politique "politique".

Mais, si le syndicat est un groupe de pression politique, catégorie particulière, quelles sont

les conséquences d’une telle nature ?

232 ERLICH (S.), op. cit., p. 21.

88

§2 Les conséquences relatives à la nature

particulière du syndicat

Le syndicat est enfin défini : il est un groupe de pression politique. Toutefois, cette nature

emporte nécessairement des conséquences tant entre le syndicat et les partis (A), qu’entre le

syndicat et ses adhérents (B).

A – Les conséquences dans les rapports entre syndicat et parti

politique

« Les partis politiques n’ont pas, la plupart du temps, la chance d’être aussi bien

traités233 » que les syndicats lors de leur collaboration avec les gouvernants pour la prise de

décisions politiques. D’autre part, la double vocation des syndicats relative à l’amélioration

du sort des travailleurs et à la construction d’une nouvelle société, relativement à cette

seconde idée, suscite une interrogation quant à l’éventuelle relève des partis politiques par les

syndicats (1) dans la vie politique française, d’autant que dans le cadre de l’entreprise, le

syndicat a pris la relève des partis politiques (2).

1 – L’hypothétique relève des partis politiques par les syndicats dans la viepolitique

Les syndicats peuvent parfois se poser comme « substituts fonctionnels des partis

politiques234 ». En effet, la fonction agrégative des intérêts exercée par les partis politiques

d’ordinaire, et que nous avons étudiée, peut être exercée par les grandes centrales syndicales.

Ces dernières, exprimant les intérêts de profession, introduisent déjà un certain "tri" dans

l’expression de leurs revendications, en ce qu’elles synthétisent et hiérarchisent les

revendications de leurs adhérents. De ce fait, elles se substituent aux partis politiques

impuissants face à la multitude des groupes et de leurs revendications. C’est pour cette raison,

entre autre, que le gouvernement les reconnaît comme interlocuteurs privilégiés.

Certains s’interrogent sur la capacité des partis politiques et des syndicats à coordonner

leurs actions, dès lors que, et comme nous l’avons étudié, les partis et les syndicats tendent à

233 FOUQUET (O.), Le pouvoir syndical dans la démocratie, Pouvoirs, n°26, 1983, p. 7.234 SCHWARTZENBERG (R.-G.), op. cit., p. 547.

89

être présents sur le même terrain235. En effet, « la convergence dans les perspectives devrait-

elle se prolonger et se concrétiser dans une stratégie commune236 » ? Il convient toutefois

d’émettre des réserves quant à une telle proposition car il est indéniable que fonction

syndicale et fonction politique sont différentes. Le syndicalisme a pour raison d’être la

représentation et la défense des intérêts des travailleurs partout où ils sont en cause, quel que

soit le régime politique, quelles que soient les circonstances. Le syndicat doit pouvoir

disposer, à tout moment, et en toute indépendance de ses moyens d’action, ce qui l’a poussé à

refuser la proposition d’"alliance" qui lui a été proposée par le parti socialiste en 1983237.

En outre, le syndicat a, par tradition, un rôle d’opposition politique238 qui se doit d’être

extrapolitique, le syndicat ne peut se lier effectivement avec les partis politiques. Les

syndicats se doivent d’être indépendants des partis bien « qu’indépendance ne signifie pas

isolement, indifférence et irresponsabilité239 ».

Ainsi, syndicat et parti politique ne peuvent s’unir pour une action commune, toutefois, le

syndicat parait pouvoir remplacer les partis politiques, en effet, pour certains, si les partis

politiques voient leur audience diminuer, cela est dû en grande partie par la relève exercée par

les groupes de pression. En effet, le syndicat en particulier, et comme nous l’avons vu, tend de

plus en plus à proposer à ses adhérents un programme d’engagement global pour lequel les

partis éprouvent des difficultés à promouvoir. On assisterait non pas à « une dépolitisation,

mais à une repolitisation du pays, les groupes étant en train de prendre la relève des

partis240 ». Un nouveau type de démocratie représentative existe au travers des groupes de

pression qui seuls paraissent insérés dans la vie sociale.

En outre « l’attirance qu’exerce sur l’individu l’existence d’un groupement spécialisé dans

la défense de ses intérêts est de nature à diminuer à ses yeux l’attrait des partis 241».

L’individu se sent mieux représenté par un groupement de défense que par un parti, d’autant

que le syndicat met en avant son apolitisme, qui bien que remis en cause, suffit à établir cette

préférence pour nombre d’individus.

235 Id., p. 531.236 JEANSON (A.), op. cit., p. 707.237 NOBLECOURT (M.), op. cit., p. 115.238ADAM (G.), Les syndicats : un pouvoir excessif ?, Dr. soc. 1984, p. 2.239 KRASUCKI (H.), op. cit., p. 62.240 MEYNAUD (J.), Nouvelles études sur les groupes de pression en France, op. cit., p. 356.241 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., p.

278.

90

Toutefois, il est impératif d’émettre des réserves quant à cette relève des partis par les

syndicats. En effet, le taux de syndicalisation en France est médiocre, la conversion des

syndicats à l’intérêt général apparaît quelque peu, mais n’est qu’une particularité : certes,

partis politiques et syndicats se rapprochent en pratique, mais insuffisamment pour que les

partis confèrent aux syndicats une qualité de "porte parole de l’intérêt public". Quand bien

même le syndicat s’affirmerait comme tel, se formeraient aussitôt de nouveaux groupes qui

reprendraient la fonction de revendication négligée par les précédents.

Nous ne pouvons donc affirmer que le syndicat prend la relève des partis politiques, ni

que syndicat et parti politique devraient collaborer en vue d’une stratégie commune.

Toutefois, si cette relève est impossible dans la vie politique, bien que le syndicat y occupe

une place importante, les syndicats relèvent les partis politiques dans la vie de l’entreprise.

2 – La relève des partis politiques dans l’entreprise par les syndicats

En principe, dans les entreprises, les travailleurs s’expriment par leurs organisations

syndicales et non par l’intermédiaire des partis politiques. A cet effet, la loi du 27 décembre

1968 a donné à la section syndicale d’entreprise « une place officielle dans l’entreprise en la

chargeant exclusivement de la "représentation des intérêts professionnels de ses membres" (L

412-5 C. trav.) 242».

Mais, se pose un problème quant au contenu de l’information syndicale exercée par la

section syndicale. En effet, depuis la loi du 28 octobre 1982 et la nouvelle rédaction de

l’article L 411-1 C. trav. ; la rédaction de l’article L 412-8 C. trav. qui fixe au libre choix des

organisations syndicales le contenu des affiches, publications et tracts ; l’expression

d’opinions politiques dans les publications syndicales relèvent de l’appréciation du syndicat

quant à leur opportunité dans l’information due aux travailleurs.

Certes, le contenu politique de l’information doit être justifié par la nécessité d’informer

les travailleurs, mais, et comme nous l’avons développé, la séparation entre professionnel et

politique est mince. En effet, « la distinction du professionnel et du politique, si elle empêche

les partis politiques de s’organiser ou de s’exprimer dans l’entreprise, ne s’oppose donc pas à

ce que les syndicats s’y adressent aux travailleurs, selon les modalités prévues par la loi, pour

leur faire part de leur analyse des événements ou des décisions politiques par rapport à la

défense des intérêts professionnel243 ».

242SAVATIER (J.), Les activités politiques dans l’entreprise, Dr. soc. 1997, p. 233.243 Id., p. 234.

91

On assiste donc bel et bien, à ce niveau, à la substitution des syndicats aux partis. En effet,

selon M. Lyon-Caen, « Si l’on veut éviter que les syndicats se substituent aux partis, il ne faut

pas exclure les partis 244» des entreprises.

Telles sont donc les conséquences de la qualité de groupe de pression politique du

syndicat : si la relève des partis par les syndicats dans la vie politique n’est pas encore mise en

œuvre, elle l’est dans l’entreprise. Mais si de telles conséquences apparaissent dans les

rapports entre syndicat et parti, d’autres conséquences se manifestent par rapport à l’adhérent.

B – Les conséquences par rapport à l’adhérent

La qualification du syndicat comme groupe de pression politique, tel que nous l’avons

défini, emporte également des conséquences sur ses adhérents. En effet, ceux-ci rejettent

fermement tout comportement partisan émanant des syndicats (1), mais acceptent une certaine

politisation, ce qui montre l’ambiguïté des adhérents face à la qualité de groupe de pression

politique des syndicats, ces derniers se trouvant dès lors, dans une situation inconfortable (2).

1 – Le rejet de la politique partisane

Le syndicalisme est avant tout ressenti par les adhérents comme une force d’opposition

politique, de défense des travailleurs en vue de l’amélioration de leurs conditions. Le

syndicalisme doit donc être hostile à la politique entendu comme activité gouvernementale. A

ce niveau, la désaffection des individus à l’égard des « agences politiques officielles ou

officieuses245 » n’est pas à démontrer.

Il est difficile de déterminer si les partis sont méprisés en ce que leur raison d’être est de

faire de la politique, ou si la politique n’est pas aimée parce qu’elle est dominée par les partis.

Les travailleurs voient leur avenir défendu par le syndicat, et dès lors, selon eux, les partis

ne leur sont pas utiles alors qu’ils sont, théoriquement, légitimes et indispensables pour le

syndicat.

244 LYON-CAEN (G.), Entreprise et politique, JCP éd. G., 1977, II, 2863.245 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., p.

293.

92

Les adhérents s’opposent donc aux partis politiques. Toutefois, et comme nous l’avons

développé dans notre étude, les syndicats sont aujourd’hui amenés à faire de la politique, et,

pour beaucoup, faire de la politique signifie appartenir à un parti politique246.

En effet, « la réussite la plus grande du syndicalisme français, la création et la gestion

avec le patronat de grands régimes paritaires, s’est retournée aussi contre lui 247». Les

syndicats, fortement institutionnalisés depuis les lois Auroux, se trouvent gênés en ce que

d’une part, les institutions, aujourd’hui, n’attirent plus les passions et que d’autre part, ils ont

aujourd’hui plus intérêt à être reconnus par le système que par les travailleurs.

Bien souvent, les élections professionnelles sont vues du même œil que les élections

partisanes. « On vote pour des étiquettes et non plus pour des hommes248 ». « On est soit un

parti, soit un syndicat249 ». Tant l’articulation parti-syndicat, que les comportements partisans

sont rejetés.

Mais si les travailleurs rejettent fermement l’exercice de la politique par le syndicat, ils

semblent comprendre que sa politisation est nécessaire et légitime.

2 – Le syndicat face à l’ambiguïté de ses adhérents

Ainsi, les adhérents rejettent largement les discours politiques émanant des syndicats,

c'est-à-dire les prises de positions générales des syndicats, laissant de ce fait en suspend la

satisfaction des revendications relatives aux travailleurs250 . Toutefois, ces adhérents acceptent

une certaine politisation, c'est-à-dire l’immixtion des syndicats dans le politique. En effet, ils

reconnaissent que l’engagement politique des syndicats est nécessaire en ce que la distinction

entre le professionnel et le politique est caduque.

Toutefois, ces mêmes adhérents rencontrant des difficultés à fixer la frontière entre le et la

politique251, refusent le traitement politique de leurs problèmes. Ils « ont le sentiment qu’on

justifie par la politique » l’impuissance des syndicats à s’occuper des problèmes concrets de

246 JEANSON (A.), op. cit., p. 698.247 SOUBIE (R.), Cause du déclin syndical, Dr. soc. 1992, p.15.248 CROISAT (M.), LABBE (D.), op. cit., p. 145.249 Id., p. 148.250 LABBE (D.), Syndicats et syndiqués en France depuis 1945, Coll. Logiques politiques, Paris : L’Harmattan,

1997, p. 82-86.251 CROISAT (M.), LABBE (D.), op. cit., p. 135.

93

l’entreprise ou de la profession et qu’on se « défausse par le haut252 ». Faire de la politique

revient à appartenir à un parti politique selon eux253.

Cependant, et plus que tout, il convient de rappeler que les syndicats sont « des

instruments aux mains des hommes et que c’est à eux, en définitive, de décider de la nature

des instruments dont ils ont besoin254 ». Dès lors, l’opinion peut se détourner durablement des

syndicats, ce qui se passe aujourd’hui. Aux dires de M. Chereque, « il ne faut pas mélanger

les responsabilités syndicales et politiques. C’est ce qui a plombé le syndicalisme français

[…] : on a perdu 50% des adhérents255 ».

Dès lors, pris entre la base et le pouvoir, les syndicats éprouvent quelques difficultés à

promouvoir le coté nécessairement politique de leur action. « Il n’est pas toujours facile de

faire comprendre aux travailleurs que les orientations que collectivement ils approuvent au

sein de leur organisation syndical impliquent une certaine attitude politique qui doit

logiquement être pratiquée par l’organisation, et qui aussi devrait se prolonger, pour chacun

d’eux, par une certaine attitude politique personnelle256 ».

Certes, une relation avec les partis politiques ne peut qu’affaiblir le syndicat, mais, dans

les faits, celle-ci existe, et est vitale pour l’efficacité de l’action syndicale. Toutefois, « le

principe de l’indépendance oblige à des manœuvres d’une extrême complexité 257».

Le syndicat ouvrier français, groupe de pression politique, se trouve donc aujourd’hui

dans une situation particulière en ce qu’il n’est ni un groupe de pression, ni un parti politique.

Ceci explique la particularité de sa place , en tant que Pouvoir de fait, dans la société

politique…

252 Id., p. 138.253 JEANSON (A.), op. cit., p. 698.254 Id., p. 708.255 http://www.cfdt.fr/actu/breve/brev380.htm256 JEANSON (A.), op. cit., p. 703.257 BURDEAU (G.), Traité de science politique. La démocratie et les contraintes du nouvel age, t. 8, op. cit., p.

329.

94

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- LYON-CAEN (G.), La légitimité de l’action syndicale, Dr. ouvrier 1998, p. 47.

- LYON-CAEN (G.), Entreprise et politique, JCP éd. G., 1977, II, 2863.

- LYON-CAEN (G.), Corporation, corporatisme, néo-corporatisme, Dr. soc. 1986, p.

742.

- MENU (J.), L’institutionnalisation des syndicats : absence de problématique, Dr. soc.

1984, p. 255.

- MERLIN (J.), Liberté syndicale et spécialité syndicale, Dr. soc. 1998, p. 565.

- OPPENHEIM (J.-P.), La question du cumul des mandats politiques et syndicaux à la

CFDT, RF sc. pol., n°2, avril 1975, p. 317.

- PIZZORNO (A.), Les syndicats et l’action politique, Sociologie du travail 1971, n°

spécial, p. 115.

- RENNES (P.), Circulaire D.R.T. n°13 du 30 novembre 1984, Dr. ouvrier 1985, p. 127.

- RIVERO (J.), Syndicalisme et pouvoir démocratique, Dr. soc. 1965, p. 166.

99

- SAVATIER (J.), Les activités politiques dans l’entreprise, Dr. soc. 1997, p. 231.

- SIGODA (P.), Les cercles extérieurs du RPR, Pouvoirs, n°28, 1984, p. 143.

- SOUBIE (R.), Cause du déclin syndical, Dr. soc. 1992, p.11.

- WILSON (F.-L.), Les groupes d’intérêt sous la cinquième République, test de trois

modèles théoriques de l’interaction entre groupes et gouvernement, RF sc. pol., n°2,

avril 1983, p. 220.

100

ANNEXE 1

La charte d’Amiens258

Le congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2, constitutif de la CGT.

« La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients

de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat. »

Le congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classes

qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes

d’exploitation et d’oppression tant matérielle que morale, mises en œuvre par la classe

capitaliste contre la classe ouvrière.

Le congrès précise sur les points suivants cette affirmation théorique :

Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des

efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation

d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des

salaires, etc.

Mais cette besogne n’est qu’un coté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare

l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il

préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat,

aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de

répartition, base de réorganisation sociale.

Le congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir découle de la

situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles

que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir

d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.

258 REYNAUD (J.-D.), Les syndicats en France, t. 2, Textes et documents, Paris : Editions du seuil, 1975, pp. 26

et 27.

101

Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le congrès affirme l’entière

liberté, pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à de telles formes

de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander,

en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors.

En ce qui concerne les organisations, le congrès décide qu’afin que le syndicalisme

atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le

patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se

préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté

la transformation sociale.

102

TABLE DES MATIERES

Sommaire ................................................................................................................................... 2

Table des abréviations 3

Introduction 4

TITRE PREMIERL’AUTONOMIE DE PRINCIPE ENTRE SYNDICAT ET PARTI POLITIQUE ......... 17

CHAPITRE 1L’antinomie entre le syndicat - groupe de pression et le parti politique................... 20

Section 1 : Le syndicat – groupe de pression _____________________________ 21

§ 1 Le syndicat entendu comme groupe de pression _____________________ 21

A – La nature du syndicat __________________________________________ 211 – Les termes syndicat et groupe de pression ________________________ 212 – La défense des intérêts des membres du groupe ____________________ 223 – Le syndicat dans la typologie des groupes de pression_______________ 23

B – Le syndicat comme groupe de pression à vocation redistributive ________ 241 – Un groupe de pression orienté vers l’augmentation des rémunérations __ 242 – Un groupe de pression tendant à la procuration d’avantages pour sesmembres _____________________________________________________ 25

§ 2 La spécialité de l’objet du syndicat ________________________________ 26

A – L’objet apolitique du syndicat ___________________________________ 261 – L’objet du syndicat avant la loi du 28 octobre 1982 _________________ 262 – L’actuel objet du syndicat _____________________________________ 27

B – Le syndicat comme groupe de pression spécialisé ____________________ 281 – L’impossible défense d’un programme politique ___________________ 282 – L’impossible syndicat annexe d’un parti _________________________ 29

103

Section 2 : Le syndicat comme groupe de pression distinct du parti politique __ 30

§ 1 L’intérêt porté par le groupe _____________________________________ 30

A – L’intérêt général et l’intérêt collectif ______________________________ 301 – Le syndicat-groupe de pression porteur d’un intérêt collectif ou individuel,matériel ou moral ______________________________________________ 302 – Le parti politique porteur d’un intérêt général _____________________ 31

B – La fonction agrégative des partis politiques_________________________ 321 – La fonction d’information des partis_____________________________ 322 – L’articulation et l’agrégation des intérêts _________________________ 33

§ 2 L’objectif du groupe ____________________________________________ 33

A – L’exercice du pouvoir _________________________________________ 341 – L’antinomie des définitions____________________________________ 342 – La poursuite de buts réellement antinomiques _____________________ 34

B – La machine électorale du parti politique ___________________________ 351 – Les essences distinctes des partis politiques et des syndicats-groupe depression ______________________________________________________ 352 – L élection comme moyen de conquête du pouvoir __________________ 363 – L’élection comme principal moyen de conquête du pouvoir __________ 37

CHAPITRE 2 Le syndicat apolitique.......................................................................... 38

Section 1 : L’apolitisme du syndicat consacré par la charte d’Amiens ________ 38

§ 1 Les origines de la charte d’Amiens ________________________________ 39

A – Le contexte historique et idéologique _____________________________ 391 - L’inexistence des groupements ouvriers __________________________ 392 – Le poids du mouvement ouvrier ________________________________ 40

B – Le désir d’apolitisme consécutif au contexte historique _______________ 401 – La création de la CGT ________________________________________ 402 – Le Congrès de Montpellier ____________________________________ 41

104

§ 2 Le texte de la Charte d’Amiens ___________________________________ 42

A – L’apolitisme des syndicats proclamé par la Charte ___________________ 421 – L’indépendance du syndicat par rapport au parti politique____________ 432 – L’apolitisme des syndicats préexistant à la Charte __________________ 44

B – La vocation future du texte______________________________________ 451 – Le futur pour les temps futurs __________________________________ 452 – Le présent à valeur de futur____________________________________ 45

Section 2 L’ambiguïté d’un texte encore invoqué _________________________ 46

§ 1 Le double sens de la Charte ______________________________________ 47

A – L’indépendance du syndicat en vue de l’expropriation capitaliste _______ 471 – L’expropriation capitaliste proclamée par la charte _________________ 472 – La nécessaire indépendance pour lutter contre le patronat ____________ 48

B – L’indépendance du syndicat par méfiance envers les partis politiques ____ 491 – Le syndicat acteur unique de la révolution ________________________ 492 – L’acception particulière de l’apolitisme __________________________ 50

§ 2 La continuité de l’apolitisme consacré par la Charte _________________ 51

A – L’apolitisme dans les statuts_____________________________________ 511 – Les statuts des principaux syndicats ouvriers français _______________ 512 – La conception léniniste des syndicats ____________________________ 53

B – L’apolitisme dans les paroles syndicales ___________________________ 531 – L’autonomie des syndicats par rapport aux partis politiques __________ 532 – L’autonomie engagée des syndicats _____________________________ 54

TITRE SECONDLE SYNDICAT-GROUPE DE PRESSION POLITISE ET POLITIQUE....................... 55

CHAPITRE 1 L’autonomie de principe malmenée .................................................... 57

Section 1 : Les influences réciproques entre politique et syndicalisme ________ 57

105

§ 1 La politisation des syndicats______________________________________ 57

A – La légitimité de la politisation des syndicats ________________________ 581 – La définition de la notion _____________________________________ 582 – Le fait syndical devient obligatoirement politique __________________ 59

B – La prévisibilité de la politisation des syndicats ______________________ 591 – La face cachée de la Charte d’Amiens ___________________________ 592 – Le syndicat et son option politique ______________________________ 60

§ 2 l’influence des partis politiques sur le syndicalisme __________________ 61

A – L’influence des partis sur l’histoire du syndicalisme français ___________ 611 – L’attitude des groupes de pression face aux partis politiques__________ 612 – Le syndicalisme français marqué par les idéologies politiques ________ 62

B – L’influence des partis sur le syndicat ______________________________ 631 – Les élections professionnelles et les élections politiques _____________ 632 – Le mandat syndical et le mandat politique ________________________ 64

Section 2 : Les syndicats condamnés à la politique ________________________ 65

§ 1 L’extension de l’objet du syndicat _________________________________ 65

A – La spécialité de l’objet du syndicat _______________________________ 651 – L’objet du syndicat __________________________________________ 662 – Les moyens politiques du syndicat ______________________________ 67

B – L’objet politique du syndicat ____________________________________ 671 – La difficile séparation du politique et du professionnel.______________ 672 – Les buts politiques du syndicat _________________________________ 68

§2 L’intérêt des travailleurs et l’intérêt général_________________________ 69

A – La concurrence des syndicats dans la défense de l’intérêt général _______ 691– Le but politique et l’intérêt général ______________________________ 702 – Le syndicat défenseur d’un intérêt moral _________________________ 71

B – Le syndicat obligé à la défense de l’intérêt général ___________________ 721 – L’action sociale du syndicat ___________________________________ 722 – L’institution du syndicat ______________________________________ 72

106

Chapitre 2 La nature hybride du syndicat................................................................... 74

Section 1 : La perte des repères ________________________________________ 74

§ 1 Le syndicat-groupe de pression proche des partis politiques___________ 74

A – Le rapprochement du syndicat-groupe de pression et du parti politique ___ 751 – Le groupe de pression proche du parti ___________________________ 752 – La frontière confuse entre syndicat-groupe de pression et parti politique 76

B – La défense de la volonté du peuple _______________________________ 761 – Les intermédiaires entre le peuple et l’Etat________________________ 772 – Le regroupement autour d’une même clientèle_____________________ 77

§ 2 Le concept de groupe de pression _________________________________ 78

A – Le faux concept du groupe de pression ____________________________ 791 – La notion " fourre-tout"_______________________________________ 792 – Les tentatives de clarification __________________________________ 80

B – Le groupe de pression et le groupe d’intérêt ________________________ 801 – La distinction entre les notions _________________________________ 812 – L’hypothétique synonymie des notions___________________________ 82

Section 2 : Le syndicat-groupe de pression politique_______________________ 83

§ 1 La nature particulière du syndicat ________________________________ 83

A – Le syndicat comme groupe de pression ____________________________ 831 – Le syndicat comme groupe d’intérêt et groupe de pression ___________ 842 – Le syndicat et le parti politique comme groupes d’intérêt politiques ____ 85

B -Le syndicat-groupe de pression politique____________________________ 861 – La nécessité d’une nouvelle notion ______________________________ 862 – La notion de groupe de pression politique ________________________ 87

§2 Les conséquences relatives à la nature particulière du syndicat _________ 88

A – Les conséquences dans les rapports entre syndicat et parti politique______ 881 – L’hypothétique relève des partis politiques par les syndicats dans la viepolitique______________________________________________________ 882 – La relève des partis politiques dans l’entreprise par les syndicats ______ 90

B – Les conséquences par rapport à l’adhérent__________________________ 911 – Le rejet de la politique partisane ________________________________ 912 – Le syndicat face à l’ambiguïté de ses adhérents ____________________ 92

107

Bibliographie 94

Annexe :Charte d’Amiens 100

Table des matières 102