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Intervention dans les organisations et les institutions UMH Psychologie Sciences de l’Éducation Année 2011/2012 Cours de Jacques Pain Professeur Émérite Paris/Ouest-Nanterre La défense

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Supports de cours: "Intervention dans les organisations et les institutions" Université Mons Hainault Cours Jacques Pain

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Intervention dans les organisations

et les institutions

UMH Psychologie

Sciences de l’Éducation

Année 2011/2012

Cours de Jacques Pain Professeur Émérite

Paris/Ouest-Nanterre La défense

La pédagogie institutionnelle d’intervention :

une recherche-action institutionnalisée

Jacques Pain Professeur de Sciences de l’Éducation

Secteur Crise. École. Terrains sensibles Paris X-Université

Juillet 2000

“ Quant au scientisme, j’appelle ainsi la foi dans la science en soi, c'est-à-dire la conviction que nous ne pouvons plus considérer la science comme l’une des formes possibles de connaissance, mais qu’au fond il faut identifier science et connaissance. ”

Habermas J., Profils philosophiques et politiques, Paris, Gallimard, 1974, 44)

Il s’agit ici pour nous de situer et d’expliciter une pratique d’intervention que nous avons élaborée sur bientôt trente ans. C’est dans le croisement des méthodes actives, et spécifiquement de la pédagogie institutionnelle ; des sciences humaines, représentées par les sciences de l’éducation ; de la psychosociologie, en poussant plus loin l’intention primitive de la recherche-action ; que nous avons modélisé la “ pédagogie institutionnelle d’intervention ”. Du foyer d’urgence à l’hôpital, de l’internat à l’école, nous comptons des dizaines d’“ interventions ” dans les institutions sociales et éducatives. Nous nous centrerons ici sur l’école.

Trois lignes de réflexion soutiennent la démarche. Tout d’abord, la pratique est le point de capiton sur lequel s’arrête incessamment la théorisation ; la pratique est pour nous le trésor de la recherche. Ensuite, recherche, formation, intervention, sont des interfaces de l’action ; sinon des postures rapportées, en tout cas des mécanismes articulés et complémentaires de la machine vivante qu’est “ l’institution ”. Enfin la modélisation tient du complexe, de l’hyperstructure, et sa connaissance ne cesse de s’enrichir jour après jour. À ce stade, éduquer et enseigner sont par exemple en bonne partie les figures d’une même question de dispositif(s).

Intervenir ?

La dimension militante

Il faut avant tout souligner la dimension militante qui nous conduit à privilégier ce type d’intervention. C’est par la pédagogie institutionnelle et les sciences de l’éducation, que nous avons pu construire une telle modélisation. Disons, a priori, que nous entendons l’institution comme un tuteur, une greffe, un lieu symbolique, tout à la fois. La pédagogie institutionnelle n’est jamais que la science de l’arrangement, de l’organisation, de la gestion, de l’analyse, des institutions. C’est entre 1966 et 1976 que j’ai pu me confronter à l’enseignement des Groupes d’Éducation Thérapeutique (GET), alors essentiellement animés par Fernand Oury et Aïda Vasquez. Simultanément, je m’inscrivais et m’enracinais en Sciences de l’Éducation et c’est

bien d’un dispositif global qu’il s’agit, ce dont je me rendis compte au fil du temps dans toutes les tentatives de mise en rapport et de connexion que j’ai pu mener. Les sciences de l’éducation sont et restent multiréférentielles. C’est ce qui fait leur fragilité mais c’est aussi ce qui fait leur force et c’est pour ça qu’elles angoissent et interpellent autant l’école d’aujourd'hui et en particulier ses enseignants, du moins ses mentors, enfermés dans la linéarité monostructurelle des disciplines qui constituèrent la force de l’école jusqu’au début du siècle. Les GET, pour leur part, proposaient tout à la fois une formation pour enseigner mais en ne perdant jamais de vue la dimension éducative ; et une intervention à partir de la formation construite en commun, dans la mesure où il fallait et il s'agissait de tester ses acquis, son savoir, ses savoirs, dans la pratique tout autant de l’école, que des groupes en formation, et des personnes intéressées par ces formations qui déjà visaient autre chose que la discipline, en particulier visaient ce que les IUFM permettront de faire apparaître par la suite : la dimension institutionnelle profonde de tout enseignement.

Ils proposaient aussi une recherche sur la formation, qui était une formation à la recherche, puisque dans les nombreux groupes de base on pouvait développer des analyses plus ou moins à distance des pratiques, menant déjà jusqu’à des monographies de classe, des monographies d’élèves en difficulté, des monographies de groupes au travail, ou encore jusqu’à des maîtrises universitaires ou des DEA, par la suite, voire des thèses.

Cette dynamique générale était bien présente dans ces petits groupes qui se réunissaient régulièrement, et de façon collégiale en grands groupes, en stages, on pourrait dire en colloques internes, et s’écrivaient, échangeaient des pratiques et des écrits, allant jusqu’à l’édition. À partir de 1966 ces groupes vont publier, en particulier chez Maspero puis chez Matrice, notre édition de référence. À présent nous avons une bonne quinzaine de livres qui sont des produits de ces formations, de ces interventions et de ces recherches liées à la simple question : Enseigner autrement, oui mais comment ? pour paraphraser notre ami Philippe Meirieu.

Dans la formation proposée par ces groupes, on pouvait repérer plusieurs dimensions qui en fait s’imbriquaient les unes dans les autres, au sein même de la pratique.

Multiplier les techniques et les compétences.

Les techniques et les compétences sont des supports pour la pratique. Il s’agit donc de les multiplier. Mais de les multiplier jusqu’au domaine de l’expertise. Là, effectivement, on pourrait voir l’excellence praticienne y réussir.

Enseigner, éduquer, encadrer, travailler en institution. Où travaille-t-on sinon en institution ? C’est fonctionner dans des groupes, dans des ensembles complexes, mus par des problèmes internes, externes, par le partage des objectifs, des buts ; qui vivent des crises à la mesure de cette machine vivante qu’est l’institution.

Il s’agissait, après s’être formé à des techniques, des compétences pour le travail quotidien ; après s’être formé à la dynamique des groupes, à la connaissance des groupes et des relations de groupe ; de rentrer un peu plus avant dans la relation humaine, en situation, dans la relation professionnelle, la relation pédagogique par exemple, et d’en peser voire d’en démonter tous les aspects conscients et inconscients. L’hypothèse étant ici que la relation pédagogique, la relation institutionnelle, est un construct, un montage résultant de la connaissance des dispositifs institutionnels. Mais cette relation échappe toujours à l’analyse qui, du coup, est interminablement nécessaire et ne tient dans l’institution que par un recadrage, une suite, une écoute et une attention particulières et permanentes.

On pourrait dire qu’il s’agit de retourner les sciences humaines sur elles-mêmes. Et invoquer la revendication de Félix Guattari d’introduire dans le champ de l’institution une dimension analytique et militante. C’est au cœur de ce paradoxe qu’il faut penser l’intervention. L’analyse comme la recherche perdent tout sens en dehors d’une

problématique du feed back et du retour. Il s’agit là d’une fonction essentielle de l’intervention mais tout autant de la pratique : la reversion.

À la recherche des rapports sociaux

C’est bien sûr l’intention des intervenants, quels qu’ils soient, depuis que l’intervention existe : débusquer les rapports sociaux, débusquer la réalité sociale. Certains pourraient dire : chasser le réel. Nous reprendrons ici Nabil Rifaï : les organisations sont des systèmes complexes, finalisés, où se produisent des biens et des services mais où également s’affrontent des acteurs et se médiatisent des logiques et des intérêts variés, différents et contradictoires. Elles sont gouvernées par le rationnel et le passionnel, et traversées par l’économique, le politique, le social, le culturel, le psychologique, le pulsionnel, l’imaginaire. Évidemment, ça fait beaucoup. Et pourtant c’est ça la réalité, l’ordre du jour de l’intervention, l’ordre du jour de la recherche-action.

De l’explicite à l’implicite, on voit très vite s’ouvrir la réalité sur d’insondables approfondissements, que de multiples interventions et de multiples intervenants pourraient mener de pair jusqu’à l’infini s’ils n’avaient, heureusement parfois, l’idée de les conjoindre et de les mettre en commun pour en tirer les leçons et en constituer un savoir pratique à l’usage, tant du praticien que du chercheur, qui d’ailleurs selon nous pourraient, à la limite, être les uns à la place des autres au bout du parcours.

Traiter l’implicite, est-ce possible ? C’est bien là-dessus qu’ouvre toute tentative d’avancer vers le réel. En ce sens la recherche-action est une posture naturelle. Il n’y a rien à opposer entre recherche et action dans la mesure où à chaque instant de la pratique, à chaque moment de la vie du praticien, l’angoisse de la difficulté, l’angoisse de l’incompréhension, l’angoisse de l’échec, ouvrent les ruptures radicales qui, d’une façon ou d’une autre, conduisent à des interrogations proches de la recherche. Pour peu que les interventions s’y prêtent, pour peu que la mutualisation du questionnement bascule sur une deuxième mutualisation des réponses.

De la commande à la demande on sait que l’intervention reste ambiguë, c’est ce qui fait bien sûr sa force. La commande qui est faite aux intervenants recèle un écheveau de demandes dont on peut tirer les fils longtemps, et bien sûr une pelote de laine de plusieurs couleurs perd tout son charme lorsqu’elle est dépliée de manière linéaire.

Comment tenir compte de l’inconscient ? C’est la vraie question que recèle l’intervention institutionnelle et par conséquent qui fera le lien entre l’intervenant et les demandeurs. Ici, nous sommes dans une recherche du sens complexe. En effet, prenons tout simplement l’enseignement. La plupart des enseignants pensent pouvoir continuer à enseigner comme on instruit. On n’enseigne pas “ en direct ”. On enseigne en biais. Il faut du détour pour enseigner, plus encore devant le refus, l’angoisse ou l’échec, le blocage. Biaiser ; détourner l’attention pour l’avoir. Sans doute une des clés de l’enseignement d’aujourd'hui. Il y a de cela dans l’intervention. L’intervention condense tout ce qui fait une autre dimension du travail en institution : l’obliquité. L’intervention tient toujours de la diagonale sans fin. La rencontre entre le sujet et le savoir ne peut pas se construire par personne interposée.

De l’intrusion au tiers

On voit bien que l’intervention, comme nous la présentons ici, est à entendre du point de vue du sujet et d’une morale qui laisse à chacun son éthique. Cette position morale, fondatrice à notre sens de l’épistémologie de la recherche-action, de sa configuration logique, est bien entendu totalement incontournable. En effet, la mondialisation, les violences sociétales radicalisent l’approche des institutions sociales et éducatives. Ces institutions sont en fait des micro-enveloppes psychiques, tout autant que des lieux de société. C’est dans les

niches, les couloirs, les carrefours, les échoppes, les bureaux, de l’institution, que chacun d’entre nous pérégrine de jour en jour. Il s’agit donc de se défier du risque que l’intervention s’apparente à l’intrusion, et fonctionne par exemple à la télécommande, très à distance. L’intervention dont nous traitons ici est une intervention de proximité dans la distance, ou à distance de proximité. Rien d’impossible à cela, sinon de la penser à plusieurs et de la réfléchir non dans la dynamique de l’intrusion mais dans la dynamique du tiers. C’est là une prise de position politique qui nous a toujours guidé. Jusqu’aux recherches les plus sophistiquées il faut “ faire avec ”. Le savoir est un capital social, un capital collectif. Cette dimension politique, nous pourrions dire qu’elle tient de la co-action, pour reprendre Moreno. Jean Oury le dit tout autrement mais simplement : Le problème c’est d’être sur la scène. Être sur la scène évite l’intrusion, sinon la négocie. Tout dépendra des rituels qui l’accompagnent, de son entrée en scène, et du lien qui s’installera autour de ce tiers. En ce sens, l’intervention bien comprise est de l’ordre de l’acting in collectif.

La nécessité du tiers institutionnel

Le tiers institutionnel, d’une manière quasi archaïque, a toujours un effet critique et structurant, c’est en somme de “ l’autre ajouté ”. De l’autre ajouté, mais dans cette dimension que sollicite le lien social : de l’échange, de l’usage, de la réciprocité. Ce tiers, toujours masqué, ce tiers à l’œuvre dans toute relation humaine, ici repris dans une problématique d’intervention, est une nécessité épistémologique, matricielle. Elle appartient à la vie en groupe, à la vie en société, à commencer par la famille. À chaque fois qu’elle vient à manquer, on en voit les résultats. De l’acting in à l’acting on, on peut d’un coup tomber dans l’acting out, puis, jusqu’au cœur de l’intervention, engranger du passage à l’acte.

En théorie et en pratique, l’autre ajouté, ce tiers institutionnel, c’est – banalisons – la médiation, la médiation internalisée. Ce qui en fait est l’opérateur par excellence de la socialisation et de la sociétalité, de la civilité comme de l’éthique.

Vers la recherche-action “ institutionnalisée ”

Un hyper-concept politique

L’intervention et la recherche-action sont des figures contemporaines. On voit bien qu’elles retrouvent leur actualité avec la grande déstructuration en cours, portée par nos sociétés industrielles et post-industrielles, et que la vitesse et l’urgence des problèmes reconfigurent ce tiers absent, ce tiers manquant, qui dans l’accompagnement de la relation humaine est en fait essentiel. Tant dans la petite enfance qu’à l’adolescence, qu’à l’âge adulte ; dans l’institutionnalisation des entreprises que l’humanité structure jour après jour sur sa route.

La recherche-action est une idéologie, une théorie et un mythe. C’est une idéologie de la rencontre de l’entreprise et des relations humaines. En ce sens,

on sait bien qu’elle nous vient des États-Unis et qu’elle est marquée du sceau de cette volonté de gommer les effets de violence du capital et les attaques contre l’humanité que ce même capital, ou tout simplement cette même industrie, mettent en scène jour après jour.

C’est aussi une théorie qui repose sur le paradigme de la motivation au changement par la recherche sociale. Par la recherche des mécanismes sociaux, on l’a vu, ou la recherche des rapports sociaux qui autoriseraient une motivation des acteurs qui, non seulement les ferait travailler avec efficacité, mais leur permettrait d’envisager le changement. C’est une théorie dans la mesure où la motivation au changement reste le point nodal du rapport au savoir, du rapport à la société, où se décide et de grandir et d’apprendre, et on pourrait, comme Fernand Oury le disait dès le premier livre de la Pédagogie institutionnelle, la définir comme une

théorie du désir. Le désir entendu ici au sens lacanien, c'est-à-dire quelque chose où s’articule et se désarticule le besoin et la demande et où il est bien question du sujet et par conséquent jamais d’une objectalisation du changement. Nous retrouvons le détour et l’obliquité.

C’est enfin un mythe, le mythe de la société totale. La société totale, dans le sens où Sartre aurait pu l’entendre, dans le sens où Jean Oury entend le collectif. C'est-à-dire dans le sens où des groupes humains, progressant dans la connaissance du lien social et de l’entreprise humaine, parviendraient à se doter d’une mécanique, d’une structure et de dispositifs qui leur permettent à la fois une certaine efficacité sociale et une certaine analyse, auto-analyse, de leur démarche.

Rappelons-nous que l’action-recherche de Lewin, sur laquelle nous allons revenir, s’est inscrite dans la construction du mythe américain, à côté ou en face de l’Europe menacée par le nazisme, et on voit, par Moreno en particulier, mais par d’autres encore, que le socialisme occidental n’est pas étranger à cette première pensée d’une recherche intégrée à l’action, d’une action intégrant la recherche. En fait, la recherche-action est, à l’origine, euro-américaine. C’est aussi probablement pourquoi elle revient à l’ordre du jour puisque, portée par la mondialisation, elle réapparaît intacte avec tout ce qu’elle retient de prometteur et de problématique.

Peut-on pratiquer les concepts ? C’est une clé de la pratique.

Les empreintes originaires

La recherche-action, John Dewey, en 1929, en amorce l’idée. C’est en croisant la question de la science, de la démocratie, au cœur de l’éducation, qu’il en vient à énoncer ce qui par la suite nous occupera beaucoup : cet hyper-concept de recherche-action. Nous l’enracinons résolument dans la psychologie sociale, dans la psychosociologie, dans la socio-psychologie, d’intervention ou non, dans l’ethno-interactionnisme, y compris clinique. Nous avons là un pack de recherche active auquel nous pourrions ajouter quelques notions issues de la logique du vague et de la complexité.

La recherche-action, pour nous, condense trois déterminations originaires, paradigmatiques : L’action-recherche de Kurt Lewin, avec sa liaison à la praxis, son intention d’expériences sociales, micro-sociétales, participatives, de rationalisation et de potentialisation du social ; l’approche collaborative, l’analyse sociale d’Eliot Jaques, avec la liaison objectivité, spontanéité, disponibilité, neutralité, et l’implication totale de “ l’organisation ” ; l’approche co-active, sociométrique de Jacob Moreno, avec la liaison pensée-action, extériorité-intériorité, la participation active au changement. Nous trouvons-là le portrait idéal-typique d’un chercheur actif, social, participant, transcendant la division sociale du travail, entre la théorie et la politique de l’action sociale.

Ces trois grandes déterminations fondent une recherche-action toujours soucieuse du sujet, toujours soucieuse du social.

Une recherche collective structurale

La recherche-action a été traitée par de nombreux auteurs. On parle pour la caractériser de recherche concrète par opposition à recherche abstraite ; de recherche opérationnelle ; de recherche spontanée ; conjointe ; engagée ; de recherche existentielle ; en acte ; de recherche-intervention ; de recherche-formation ; de recherche-action institutionnelle. Perrenoud ira jusqu’à postuler qu’il s’agit d’une forme de la recherche fondamentale, et pourquoi pas particulièrement dans les institutions éducatives et sociales ajouterai-je.

Ce sont les considérants moraux au sens entendu qui l’emportent. Le politique est le pouvoir sur l’acte, contre les classes et la plus-value institutionnelles. Rendons ici hommage aux socio-psychanalystes. La recherche-action est une alternative politique mais aussi une

alternative épistémologique et méthodologique à la recherche séparée, à la recherche fondamentaliste, à la recherche sélective ou purement instrumentale. On ne peut pas moins faire que toujours mieux l’approcher au jour le jour. En effet, et si la recherche-action était tout à la fois ?

Changer les pratiques ?

De l’intervention psychosociologique “ résolutive ” (ou technique)

technique (voire technocratique) extérieure (dispositif spécialisé) circonscrite (sous contrôle managerial)

“ … globalement extérieure, ponctuelle, restreinte à une analyse circonscrite et arrêtée par la commande ”

Modèle psychosociologique d’intervention disciplinaire, d’application, d’évaluation, d’audit, d’expertise…

à la recherche-action “ participative ” participante (associative) extérieure (dispositif à incidences internes) semi-structurelle (sous contrôle managerial élargi)

“ … semi-extérieure, limitée dans le temps, ouverte à une analyse interne partielle de la commande, elle associe praticiens et chercheurs dans un mouvement réflexif ”

Modèle psychosociologique d’intervention transdisciplinaire, de recherche-formation et recherche-action, actives, co-actives, participantes…

à la recherche-action “ délibérative ” (ou institutionnalisée)

institutionnalisée (voire “ militante ”) interne-externe (dispositif évolutif et formatif de compétences) structurelle (sous contrôle collectif délibératif, y compris des résultats)

“ … à la limite d’une intervention interne, ou articulée sur une intervention interne, de longue durée, liée à l’institution de commande, elle vise le collectif contractuel de recherche et d’action, institutionnalisé en commun, par praticiens et chercheurs ”

Modèle psychosociologique d’intervention “ institutionnaliste ” où l’intervention met en délibération la recherche et l’action…

Définir

Nous prendrons trois définitions parmi d’autres, qui nous parlent ici davantage. “ Une action délibérée, visant un changement dans le monde réel, engagée sur une

échelle restreinte, englobée par un projet plus général, et se soumettant à certaines disciplines pour obtenir des effets de connaissance ou/et de sens ” (Dubost, 1987).

“ Action délibérée de transformation des situations éducatives, en collaboration avec les acteurs, en vue de produire des connaissances ” (Hugon, Seibel, 1988).

Pour ma part, j’ai été amené à identifier progressivement, dans certains cas de figures de

ma pratique d’intervenant : psychosociologie d’intervention, intervention institutionnelle, et recherche-action. J’ai, avec le temps, parlé de pédagogie institutionnelle d’intervention (Pain, 1993). On pourrait parler de recherche-action institutionnelle (Ardoino, in Barbier, 1977). Il s’agit bien de la recherche-action prolongée jusqu’à la recherche et jusqu’aux chercheurs. Leur mise en cause y compris, est bien à l’ordre du jour.

Nous en venons au terme de recherche-action institutionnalisée, au sens où l’entend la pédagogie institutionnelle d’intervention depuis une quinzaine d’années : action délibérative de changement des pratiques, où la recherche, l’intervention et la formation s’articulent dans un collectif contractuel, institutionnalisé en commun par praticiens et chercheurs. Il s’agit de se recentrer sur l’acte et sur l’homme, “ l’institution ”.

Une institution sociale et éducative “ mal barrée ” : l’école

La recherche-action est-elle possible à l’école ? En effet, dans le champ des institutions sociales et éducatives, l’école se présente comme beaucoup d’autres en organisation dispersée, comme l’ont montré les recherches récentes : le rapport à l’extérieur et aux partenaires est expectatif ; la direction et le projet d’école n’ont pas toujours la dimension de l’institution ; les enseignants sont loin du travail en équipe et plus encore du travail en institution et en collectif ; les pédagogies appartiennent à l’enseignant, rarement au fait de la question ; les élèves “ institutionnellement ” ont peu d’influence sur l’école, sauf dans les cas “ surspécifiques ” (sensibles).

On voit donc bien que les interventions pourront se multiplier, les recherches-actions participantes rester pertinentes (mais circonscrites), il restera pour autant difficile de toucher à “ l’ensemble institutionnel ” et à la cohérence politique qui fait sur le terrain la différence.

Et pourtant ! Nous nous y sommes risqués. Prenons à présent quatre figures d’intervention soutenues par nos modélisations, qui ouvrent sur la recherche-action, y compris institutionnalisée.

Une intervention institutionnelle brève : collectiviser l’analyse (Les Mureaux)

C’est en fin d’année 92-93 qu’une période de violences diverses a focalisé l’attention de l’inspection sur une école, et a suscité une commande d’intervention “ extérieure ” (à l’époque, nous supervisions le groupe de prévention de la ZEP, où tous les partenaires se retrouvaient). Durant cette période, le directeur était en congé de maladie, et une institutrice assurait l’intérim. Ce mois d’intérim sembla cristalliser plusieurs problèmes institutionnels, qui au dire du directeur ont “ déstabilisé ” l’école : une question de stages, de remplacements ; et d’isolement des enseignants dans leur

fonction classe ; un clivage fort entre des groupes d’anciens, et les nouveaux, renforcé par un flottement

puis une difficulté à travailler en équipe ; sans doute une certaine hésitation dans la conduite de l’école, due à une position

périphérique de la direction ; la proximité (et les interpellations) de l’inspection.

Les enseignants et le directeur invoquent une école violente. Dans ce contexte, il est aisé de comprendre que les événements précipitèrent les replis,

l’hostilité latente, les tensions, et que les uns et les autres furent tentés de victimiser qui l’inspection, la direction, les maîtres “ incompétents ”, les parents, les élèves violents. Cette école était alors qualifiée de “ petite poudrière ”. La “ fatigue ” dominait.

Plus de trente situations violentes sont comptées pendant la période sensible : incidents, accidents, vols, agressions, “ émeute ” dans la cour.

L’intervention elle-même, pourtant négociée, se déroulera dans un climat de tension, de

suspicion, pour partie. Des enseignants craquent, d’autres se murent dans le silence. Certaines des situations évoquées sont dramatiques, et tiennent à l’isolement des nouveaux ; à leur manque de maîtrise pour certains, à leur abandon par les anciens pour d’autres. À l’extrême limite de la rupture nerveuse.

En trois fois trois heures, en posant dès la première minute le principe d’une analyse institutionnelle participative et active, délibérative, nous avons pu aider le groupe à : formuler ses problèmes et les analyser, ou commencer à les analyser. Particulièrement ses

problèmes relationnels et organisationnels mieux cibler la notion de violence, de difficulté, d’élèves en difficulté, difficiles,

violents… avancer des pistes d’étayage en termes de quartiers (reprise des réunions de parents), de

vie scolaire (comportements et conduites, codes scolaires), de pédagogie (esquisse d’activités responsabilisantes).

Nous avons alterné : grand groupe (début et fin) ; petits groupes d’inter-entretiens guidés sur les situations et les cas sensibles ; entretiens personnels semi-directifs avec les leaders d’opinion contrastée du groupe ; questionnaires individuels répondus, puis discutés en groupe ; et nous avons proposé et discuté les résultats.

Une école violente ?

Elle ne l’était en définitive pas plus que d’autres, mais sur trois critères génériques : structures de vie scolaire, climat institutionnel, relations, venant marquer l’état des lieux (difficulté scolaire), elle l’était à part entière.

C’est l’école et le groupe enseignant-direction qui posait à ce moment-là question. Nous avons repris et testé l’affirmation de départ : L’école est-elle violente, c'est-à-dire

en proie à des élèves violents ? Nous avons entendu que 60 élèves sur 200 (plus de 1 sur 3) avaient un “ problème

grave ” de comportement. Nous avons mis cette statistique spontanée à l’épreuve des faits : en reprenant une enquête de rentrée 93 sur l’école, pour toutes les classes ; puis par une enquête par questionnaire, élaboré en commun, sur 8 classes (154 élèves) en janvier 94, et mise en discussion et en tableau, en séminaire, en février 94.

Résultats : Une violence “ de charge ” Enquête de rentrée les élèves difficiles ? 1 sur 6

(1) Élèves le plus souvent cités : de 16 à 33, en termes de comportements. Notons que 21 des 33 sont issus de seulement 9 familles. Les 2/3 des enfants vécus comme problème sont de seulement 9 familles, et ont un frère ou/et une sœur dans l’école.

Enquête de janvier les élèves difficiles ? 1 sur 5

(2) élèves en difficulté scolaire

11 % 18 %

29 %

élèves en grande difficulté scolaire

élèves au comportement difficile

13 % 19 %

élèves au comportement très difficile

6 %

24 à 28 % élèves violents 4 à 6 % élèves ingérables 1 à 3 % (3)

Après discussion les élèves violents ? moins de 1/20

élèves ingérables, aucune maîtrise élèves violents “ vrais ” élèves “ à cheval ”, violents/agressifs

3 ou 4 1 3

Mais notons que plus d’un élève sur quatre a des problèmes scolaires, des problèmes de comportement.

L’hypothèse “ produite ” par l’intervention, c’est que plus d’un élève sur deux est vécu comme un problème, par des enseignants sans groupe, sans institution, individualisés voire émiettés. Si l’analyse vient à manquer, c’est le vécu qui l’emporte. Nous l’avons vérifié dans de multiples interventions.

Les incidences d’une telle démarche, où les résultats, appuyés par des micro-dispositifs internes de recherche qualitative, sont discutés et avalisés, sinon contestés et rectifiés en commun, sont profondes.

Deux interventions institutionnelles “ longues ” en collège : de l’accompagnement institutionnel au collectif de recherche(s)-action.

La prise de fonction en terrains sensible (Mantes-la-Jolie). L’intervention institutionnelle.

Un projet de quatrième collège est fait à Mantes, au Val-Fourré, après les événements durs du début des années quatre-vingt-dix. Dès 1992, un (futur) chef d’établissement est dépêché sur les lieux. Il pourra penser et négocier la construction du collège, son architecture, la préparation des futurs élèves à “ leur collège ”, la sensibilisation du quartier, des parents. Il est en licence de sciences de l’éducation. Il suit mes cours. Je m’embarque à sa demande avec lui dans l’opération.

Nous encadrerons ensemble l’équipe, durant quatre ans. Je suis “ référent ”. Je rencontre régulièrement le chef d’établissement. J’anime et je dirige les réunions de collectif – de prérentrée, de suivi, de bilan ; 18 en quatre ans, de trois heures en moyenne. Ces réunions discutent et enracinent la vie institutionnelle, les groupes de travail (disciplinaires, pédagogiques…), mais aussi “ traitent ” les problèmes et les difficultés. Par la suite, cet établissement sera pris dans le réseau de recherche du secteur “ crise ” de Paris-X. Nous y testerons chaque année des questionnaires “ d’ambiance ”, et surtout un questionnaire de Claude Lagrange sur la “ Perception de l’ambiance et du climat dans le travail éducatif ” de 57 questions (1995). Nous y aurons des entretiens de recherche, faits par des extérieurs.

Le collège a ouvert ses portes en 1994. C’est le 4e collège du Val-Fourré. Il a été classé collège “ sensible ” en 1995, après une grève déterminée des enseignants. Le chef d’établissement a pu composer son équipe administrative. Il a aussi pu choisir de donner

priorité à de jeunes enseignants sortant d’I.U.F.M., débutants ou maîtres auxiliaires. La première année, sur 36 professeurs, 33 sortaient d’I.U.F.M., avec parfois une expérience scolaire d’enseignement, mais limitée, et 3 étaient des maîtres auxiliaires confirmés. La deuxième année, sur 10 nouveaux enseignants, 5 sortaient d'I.U.F.M. L’établissement comptait en moyenne 42 professeurs et 550 élèves. Sauf contrainte personnelle, les enseignants sont restés. Ils furent moins de 10 % à demander leur mutation.

Le chef d’établissement a laissé mûrir le groupe, et le projet d’établissement, dont le premier exemplaire fut achevé après deux ans de fonctionnement, “ résumant ” la démarche en cours. La moyenne d’âge est entre 25 et 30 ans pour les enseignants. Le collège ne rencontre pas de problèmes de grande violence. C’est plutôt dans l’agressivité verbale, dans la tension relationnelle, dans le climat, que se situait la violence quotidienne.

Enseigner, oui mais comment ?

Ce collège a produit deux sortes de savoirs : des savoirs sur l’enseignement “ sensible ”, et les pédagogies sollicitées (à ce point nous établirons un lien avec le collège de Trappes évoqué plus loin) ; des savoirs sur les situations “ sensibles ”, particulièrement en classe, et sur les seuils de rupture de la relation pédagogique. Nous y puiserons la conviction qu’un collège, même débutant, tendant vers le collectif, organisé pour l’enjeu “ banlieue ”, peut réussir. Au prix de fines régulations, de multiples groupes de travail, dans une convivialité qui peut se marier à la rigueur. Le moteur en est bien cette synergie d’intervention qui lie la recherche et la formation, au plus près des pratiques du terrain.

On y vit tout simplement émerger une “ vraie ” formation pédagogique continue des maîtres. Tirons-en quelques lignes.

Structurer. Le cadre est fondamental, chacun s’accorde à le souligner. Aujourd'hui plus qu’hier il y a lieu de repérer, baliser, expliciter, les règles et les lois de la vie en classe, de rappeler le règlement intérieur, de s’attarder sur la charte de vie de l’établissement, qui, si elle existe, doit pouvoir se résumer en variations sur un mot : respect. On peut établir sa propre charte de classe, ses règles internes. Et définir la nature “ institutionnelle ” des relations qui vont lier ce groupe-classe un an. Évoquer les contrôles scolaires. Et les sanctions. Les questions de discipline sont aussi des questions scolaires. C’est en perdant du temps sur le cadre que l’on gagne en clarté dans le quotidien. Le cadre a des effets psychologiques à long terme.

Traiter tous les problèmes. Il ne s’agit pas, enseignant dans la classe, de tout relever et de tout traiter soi-même. Mais tout problème, de décrochage scolaire par exemple, ou encore d’indiscipline, ou d’irrespect, d’incivilité, doit trouver son écho, être parlé, très vite. Et trouver un lieu, dans la classe, dans le bureau du CPE, du principal adjoint… où être “ sanctionné ”. Le plus subtil tient à la manière, à la façon de faire. Comment positiver, jusque dans la sanction ? En annonçant, et en tenant, la route à suivre. Faire signe, répondre dans la journée, voire dans la demi-journée, avant midi, ou avant cinq heures. C’est ce que nous avons conclu dans quelques collèges et lycées professionnels exposés. Ne rien laisser passer des violences légères “ d’attitude ”, comme des violences lourdes.

Être présent. Cette présence, dans la distance du statut et du rôle, est sans doute ce qui réduit d’entrée la fracture culturelle entre maître et élèves, ce qui décode le mieux la situation d’enseigner, comme métier de savoir “ en relation ”. Il faut être là, s’investir, voire surprendre, et faire cours tient parfois de “ l’entraînement sportif ”. En fait, les élèves, lorsqu’ils lèvent leur barrière de protection, et sortent du silence, légèrement défiants, tombent aisément dans la surenchère à l’adulte. Et se muent en vampires dont on ne peut se défaire qu’en leur assignant des tâches et des astreintes individualisées.

Multiplier les médiations. La relation directe, dans la classe, magistrale, frontale, est une nécessité du métier. Mais il n'y a pas que ça, dans la classe. Ou alors c'est risquer en

permanence un retour d’élastique, entre la menace et la séduction, ces deux figures de style qui soutiennent la compétence. Il faut instituer des recours scolaires (bilans personnalisés, tutorats, aide aux devoirs), dans la classe, voire interclasses, interniveaux. Et des recours, des médiations disciplinaires. On évite la plus grande partie des violences en disposant de sorties psychologiques contenantes : le coin de méditation ; une table pour “ se mettre au vert ” ; le quart d’heure de silence (pour l’élève perturbé et perturbant) ; la permanence bien conçue ; la semaine d’accueil, dans une autre classe ; le permis de conduite (à points) ; le “ contrat politesse ” ; le contrat classe, qui se propose au groupe et qui doit réellement se négocier ; ou alors en cas de nécessité individuelle plus radicale, le contrat de scolarité, qui se propose lui à l’échelle de l’établissement et de la vie scolaire, impliquant les parents. De brèves réunions, pour faire rappel des règles et des lois, pour faire le point, assurent le suivi. C’est une partie du travail de professeur principal ; mais c’est bien en classe qu’on s’entraîne vraiment à la médiation.

Dialoguer. Prévenir la violence, c’est aussi, on le voit, user de la parole, mettre en mots les conflits. Il y a un soin certain à apporter à l’écoute des élèves. Et spécifiquement des délégués des élèves ; prêter attention à leur choix, à leur élection, à leur responsabilisation. Mais sans un dialogue avec toute la classe, cela peut n’avoir aucun effet sur la vie scolaire du groupe. Il faut alors être attentif, “ relativiser ”, “ avoir de la diplomatie ”, “ coopérer ” ; réfléchir aux meilleures stratégies. Et c’est là que des rencontres régulières, ou des échanges, entre collègues, sont précieux. L’élève de cette fin de siècle, qu’on le déplore ou que l’on s’en félicite, est “ sensible ” – au juste et à l’injuste, à la parole, aux attitudes. Il demande à être connu, voire reconnu.

Le climat ainsi constamment surveillé (certains enseignants parlent de “ la météo ”), cet élève “ s’apprivoise ”, se lie, s’interpelle. Le maître et les élèves ont alors vraiment envie de venir travailler, ils l’expriment. Et certains élèves vont naïvement s’étonner, toute honte rentrée, que l’on s’occupe d’eux pour de vrai.

Enseigner autrement. Les enseignants le disent textuellement ainsi : enseigner, oui mais autrement. Il faut penser au langage-élève, à leur culture (où le mot pléonasme par exemple est entendu comme une injure) ; sans cesse inciter au travail, répéter, contrôler ; faire plus d’exercices, plus de vocabulaire ; faire court ; tendre à individualiser, idéalement à différencier ; utiliser TV, vidéo ; varier le rythme et les activités : introduire l’informatique. Et, pour autant, il faut rester exigeant, ne pas surnoter par exemple, faire connaître les résultats moyens des établissements comparables, du district, les palmarès. On peut parfaitement établir des concertations trimestrielles autour des bulletins, avec les parents, jusqu'à 3 sur 5 viendront, si l'on insiste, et si on les accueille vraiment, eux aussi. Mais encore tenir chaque année une vraie distribution des prix, comme dans les meilleurs collèges, comme dans le temps, où on pourra ajouter le prix du meilleur camarade, ou le prix de l’élève le plus souriant, le plus sportif.

Parler vrai. C’est un point d’éthique d’une rare efficacité. Lorsque les choses sont à peu près nettes, que la météo est stable, la vérité est bonne à dire, sans ostentation, en accompagnant avec force et pédagogie l’effort réclamé. Parler vrai, à l’élève, aux parents, en évaluant le travail, et non la personne. Car si un(e) élève a cinq de moyenne “ générale ”, il ou elle ne vaut pas pour autant 5, il ou elle n’est pas nul(le). La stricte délimitation de la valeur “ docimologique ” des notes est en elle-même une médiation, une démarche non violente.

À bien entendre ce que nous livrent en conclusion ces enseignants regroupés par le destin scolaire dans un établissement qui “ fait front ” et se mue en chercheur collectif, ce sont deux derniers principes : Ne pas rester seul, travailler en équipe ; et puis prendre du recul, se remettre en question. L’intervention est un logiciel en fabrication.

Les défis d’un collège sensible (Trappes)

L’intervention institutionnelle J’ai accompagné ce collège pendant six ans. C’est un collège qui a plutôt réussi,

pendant six ans. Est-ce que cela peut durer davantage ? En règle générale, c’est de l’ordre de cinq à sept ans. Il y a des périodes de vie comme celles-là dans les institutions. C’est une des lois de ce que j’appelle “ l’institutionnel ”.

Ce collège est en pleine zone sensible, à Trappes, dans le quartier “ Les Merisiers ”. Il s’agissait de faire d’un collège sensible un collège ordinaire, voire un collège “ d’excellence ”. Ce fut du moins l’intention de la principale, et de l’intervenant, dès le départ. La nécessité majeure qui présida à la rencontre de ce chef d’établissement hors du commun, d’une cinquantaine d’enseignants volontaires (soit les quatre cinquièmes de l’effectif), et de moi-même, fut la violence du terrain, au seuil où l’inquiétude s’installe mais reste circonscrite, loin du désarroi. Or j’avais une théorie “ pratique ” de la violence à soumettre à l’analyse, et je proposais en outre, en lien étroit avec nos réseaux de ressources propres, non seulement de la contrôler, mais de la prévenir, à condition de s’y investir en commun, d’une manière réglée, réflexive, et prospective. Une conférence, vite suivie d’une journée de travail, permirent de discuter l’orientation, les propositions. Et d’arrêter (bien sûr sans l’intervenant) une position très fortement participative.

L’hypothèse d’accompagnement est l’ouverture d’une recherche-action, d’un collectif. L’idée directrice c’est qu’il faut à cette échelle reconstruire le lien social, et “ socialiser ” le savoir. Enseigner c’est socialiser.

Très vite l’intervention institutionnelle est revendiquée. L’“ intervenant institutionnel ” est situé, à côté d’une machine interne à quatre étages : le chef d’établissement et son staff ; le groupe de pilotage (plus tard Bayrou et Allègre reprendront ces termes) ; le groupe enseignant - vie scolaire ; les personnels. Machine institutionnelle à enseigner et socialiser en terrain sensible, pour élèves sensibles.

Sur 6 ans, nous aurons alors un suivi constant, marqué par des séminaires (de direction, de petits groupes “ méthodologiques ”, de réflexion collégiale, de recherches sur thème), des enquêtes, des bilans, des interventions du groupe de pilotage dans des recherches universitaires, ou des cours, et enfin par un livre signé par l’intervenant et deux enseignants particulièrement impliqués. Du terrain à l’établissement sensible

C’est un établissement parmi d’autres, de 800 élèves à 1200 élèves selon les années. À Trappes, comme dans toutes les zones sensibles, on trouve 38 % de moins de 20 ans, 22 % de population étrangère ou d’origine étrangère, 80 à 90 ethnies. La ZEP elle-même regroupe 30 établissements, dont 41 % des élèves sont eux aussi de nationalité étrangère. Il y a 75 % d’élèves étrangers ou des DOM-TOM dans le collège lui-même, 45 % d’élèves boursiers, et 70 % de retards de 1 à 3 ans.

Ce cumul de données sociologiques est caractéristique de l’établissement “ sensible ”. Ces situations sociales, culturelles, de quartiers, sont effectivement des situations violentes a priori, pré- et semi-construites.

J’ai défini l’établissement sensible en 1992 : “ L’établissement sensible est un établissement marqué par une violence interne, elle-même liée à une violence de “ surspécificité sociale ” (chômage, échec, stigmatisation), conjoncturelle ou structurelle, locale ”.

On sait maintenant depuis dix ou quinze ans qu’il y a des “ effets établissement ”, y compris des effets “ classe ”, qu’on commence à cerner.

D’un établissement à l’autre, les différences et les contrastes marquent, et font sens. Dans un même établissement, des classes produisent un climat différent. Nous sommes un certain nombre, depuis longtemps déjà, à travailler avec ces constantes. Dans une recherche

Allemagne, Angleterre, France, j’ai pu montrer sur 12 établissements scolaires du deuxième degré, dans les trois pays, qu’on se rapprochait en France à la fois de certains établissements anglo-saxons, par la culture de foyers-ghettos scolaires, tout en les dénigrant, et qu’en même temps on négligeait contrairement à eux quasi totalement la prévention à long terme.

Pour ce qui est de la prévention, on est dans l’émiettement, jamais dans le suivi, dans la continuité, et on est loin derrière certaines régions ou certains pays européens, l’Écosse, la Scandinavie, la Norvège ou la Suède.

Depuis 1985, j’ai pu montrer que l’établissement fonctionne ou dysfonctionne à partir de son réseau social, partenarial, de quartier ; de sa direction, en terme de projet ; de la synergie de l’équipe enseignante ; de ses pédagogies, et de son travail contre l’échec.

Trois points de recherche mis à jour “ en interne ”

L’effet ghetto La carte scolaire est tournée tous les jours. La France constitue de véritables écoles

immigrées, de la maternelle au collège, dans des quartiers littéralement socialisés à distance, sans infrastructure civile, sans les moyens nécessaires. Les chiffres, sur dix ans, sont nets. Le désert social gagne.

“ L’effet des Danaïdes ” Nous avons pu montrer, en travaillant avec l’inspection locale, que certaines écoles

primaires de pointe font des efforts désespérés pour maintenir des apprentissages. Mais en les maintenant, elles se heurtent à une série de problèmes spécifiques : les parents, dès qu’ils ont les moyens de réagir, déménagent, retirent leurs élèves en fin de CM2, par conséquent, les meilleurs élèves n’entrent pas en 6ème. Et les populations bougent très vite. Sur trois ans, 30 à 40 % de la population change ; les niveaux de culture s’effondrent.

On a l’impression dans les rapports nationaux que les ZEP ne tiennent pas la route. Ce ne sont pas les ZEP qui ne tiennent pas la route, ce sont les facteurs qui se combinent dans le maintien moyen du niveau des apprentissages en ZEP qui éclatent (socialement parlant) devant ce problème. On a là de nouveaux prolégomènes : enseigner sans fin ? Mais peut-être est-ce bien la leçon à tirer, pour encore une génération scolaire, voire deux ? Le radeau des méduses

Nos institutions sont des méduses, l’école en particulier, rigidifiée, déprimée, devant cette montée des jeunes vampires, cette menace jeune dont on nous parle tant. Il est vrai qu’on les accueille avec circonspection, qu’on entend à nouveau des discours coloniaux sur des familles entières, sur des quartiers, sur les “ cités ”. Les enseignants français fuient dans une position quasi libérale les préoccupations qu’ils rencontrent sur le terrain, qu’ils quittent alors dès qu’ils le peuvent. Sauf une partie d’entre eux, 10 à 15 % qui redemande à être sur le terrain. Par exemple, ce collège a toujours été très demandé, y compris paradoxalement ici aussi par des jeunes débutants. Le lien enseignant primerait-il ?

Ce troisième effet, cet effet radeau, cet effet méduse, c’est la crispation mélancolique et agressive de l’institution, le refus de l’accueil.

Trois résultantes (parmi d’autres) du collectif de travail

La technicité Comment penser la sanction, problème central du dernier plan “ antiviolence ” (1999) ?

Un long travail de petit groupe déboucha sur une échelle sans automatisme, garantie par un microgroupe de deux enseignants référents, et discutée dans les classes. Ce SESAC (Système Éducatif de SAnctions) – SEREC (Système Éducatif des RECompenses), mini-mémento de

pédagogie institutionnelle de la sanction, a aujourd'hui été adopté par d’autres établissements.

L’enquête d’intervention La “ démarche image ”. Une enquête énorme (plus de deux cents entretiens), qui a duré

un an, dans tout le quartier, associant les professeurs, avec une équipe de sociologues, financée par le conseil général, allant voir les parents, la population “ Qu’avez-vous comme image du collège ? ” ; renvoyant les résultats de l’enquête ; mobilisant deux groupes, un dans le collège, un dans le quartier, qui ont travaillé ensuite pendant un an et demi à l’analyse, et donc en interface au rétablissement d’une image positive du collège. La formation

Le tiers formateur. Un principe. Une institution qui n’a pas plus ou moins symboliquement le tiers de son personnel en formation ne vit pas, ne respire pas. Un tiers en formation, ici ou là, dans des séminaires. Un séminaire de rentrée, tous les ans, pour ce collège, un week-end (vendredi, samedi) ; avec 80 % de présents ; les intervenants sont extérieurs ! Un certain nombre de ces personnels ont été associés à des recherches universitaires, d’autres ont été sollicités par des groupes ou des instances régionales ou nationales. Il y a eu des dizaines de personnes en formation dans ce collège, pendant plusieurs années.

L’idée est simplissime : Trois personnes se forment au tutorat, avec un ou des spécialistes, en tutorant ; l’année suivante ils tutorent au deuxième degré six autres tutorants ; qui en tutoreront eux-mêmes douze. En même temps, d’autres se forment en parallèle à la remédiation (par exemple par les “ ateliers logiques ” ; à l’audiovisuel à visée pédagogique ; à l’analyse transactionnelle ; à la pédagogie du contrat…). Le tout est de fonctionner en boucle interne-externe vivante et collective.

Ce collège innovera sur le fond, sur la forme. Entre Trappes, la MAFPEN, l’INRP, Paris-X, une toile de “ soutenance ” se construisit, fragile et précaire. Dix ans après, l’expérience s’est disséminée. Il reste des enseignants-formateurs, quelques chercheurs, et quelques trésors de savoirs.

Une intervention institutionnelle longue : de la formation des maîtres à la recherche-action institutionnalisée

En 1979, je soutenais une thèse de 3e cycle sur la formation d’enseignants proposée par les “ Groupes d’Éducation Thérapeutique ” (GET), référée aux Techniques Freinet et à la Pédagogie Institutionnelle (TF-PI), selon les agencements évoqués au début de ce texte.

Cette thèse tentait alors de montrer que cette “ formation totale ” se traduisait par un dispositif complexe, une “ machine ” ou un “ système ”. Ainsi, à partir de la pratique, de la classe en l’occurrence, se construisait un jeu multiple d’interactions entre le “ groupe de base ” ; les stages intergroupes ; les interventions, dans d’autres groupes, dans des institutions, sur des terrains divers ; les monographies de (en) classe, la parole en situation ; la publication interne, puis extérieure, en collectif.

Pratique, groupes, stages, interventions, monographies, écritures et publications, telle était la machine-système.

Ce groupe se constitua d’un commun accord à partir de ce modèle, et il fonctionna ainsi de 1985 à 1992, publiant aux éditions Matrice en 1994 cette formation partagée. Les Marleines

Situons quelques caractéristiques du groupe, dit des Marleines, du nom de la rue où se tinrent les premières réunions.

La demande Elle provient d’un petit groupe d’enseignants d’un gros IMP du Val d’Oise (avril 1984).

L’année suivante (juin 1985), ce petit groupe s’élargit, par cooptation, sur ma proposition. Désormais il comptera 7 personnes, et sera “ fermé ” en nombre, d’un commun accord.

Les 6 enseignants sont intéressés par la PI, et sont institutrices (4), instituteur (1), professeur de collège (1), certains viennent de terminer l’école normale, d’autres ont vingt ans d’enseignement, ou ont eu une autre vie professionnelle ; de surcroît, 5 des 6 ont suivi, suivent ou vont suivre, un cursus de Sciences de l’Éducation.

Ce profil est évidemment un choix de ma part, qui d’entrée vise à ouvrir la référence “ PI ” sur les savoirs des Sciences de l’Éducation, dont je suis moi-même enseignant. Cependant, jamais obligation universitaire ne sera faite à quiconque.

Le groupe s’est réuni une dizaine de fois par an pendant sept ans, sous la forme de séquences-masses de 5 heures. Des sous-groupes fonctionnent en parallèle. Des séminaires, des stages, le prolongent.

Ma demande propre, c’est de tester la formation des groupes de pédagogie institutionnelle, jusqu’à la recherche-action, jusqu’à la rencontre des pratiques et de la recherche. Les consignes

Il s’agit d’une transaction sans argent, où les savoirs forment la base même des échanges. Le formateur est référent de formation. Il dispose d’un droit de veto sur le travail du groupe, à partir de la référence. Il est particulièrement habilité à interpeller le groupe. À l’origine, il est également “ méthodologue ”, mais cette fonction sera vite relayée par d’autres.

Le veto en fait n’a jamais servi, sauf à découper le pouvoir du formateur, à le limiter, car du coup sa définition reviendra sans cesse au fil du temps. En fait il est constamment rappelé que chacun(e) reste libre de ses engagements, de ses positions, voire de rompre avec le groupe, dans le cadre de structures réglées : les horaires, l’ordre du jour, l’animation, sont très stricts.

Il s’agit de parler et faire de la pédagogie institutionnelle, autour du courant auquel se rapporte le formateur, repéré par une bibliographie, de produire des écrits et publier, d’analyser, des pratiques “ tendant vers la PI ”, de lire des ouvrages théoriques, de “ rabattre ” des formations dites en adjacence, d’intervenir systématiquement dans d’autres groupes, demandeurs.

Le fonctionnement interne du groupe reste au groupe. Par la suite il s’organisera en association 1901 autogérée.

Dès le départ, ce groupe investira la pluralité de ces dimensions, avec intensité et régularité. Rapidement il sera centré par la formation. Défini comme précaire, limité, il vise à constituer un langage commun, et se donne des interdits, installant l’engagement et le respect mutuels. La démarche est ainsi condensée : échanger et s’outiller ; analyser et écrire ses pratiques ; construire, intervenir, publier.

En somme une recherche en tuiles, en emboîtement, scandée épisodiquement par une clôture réflexive, “ retournement ” de la recherche sur elle-même.

Il est avancé dès le départ qu’il faudrait 3 à 5 ans pour en voir les premiers effets. Le système de formation

Tout en privilégiant les pratiques, il fonctionne à l’implication “ hétérogène ”, c'est-à-dire qu’il vise les personnes, par la mise en circuit des questionnements de formation.

Le fait que le formateur ne soit pas spécifiquement compétent pour les classes primaires, et de collèges, est à noter. Il ôte au formateur le dernier mot sur les pratiques, et ce manque fondateur le contraint et contraint le groupe à redéfinir tout au long ses pouvoirs, ses

compétences. Cependant, il n’est pas trop éloigné de ces pratiques, puisqu’il a enseigné 3 ans en LEP (CPPN et classes de CAP, BEP).

Il y a dans le groupe une certaine liberté de pratiques. Ainsi, dans l’arsenal des TF-PI, certains ne feront pas de journal, ou pas de correspondance, ou pas de texte libre, suivant les années ; n’appelleront pas toujours leur réunion de groupe-classe “ conseils ”, pourront essayer qui les ceintures de comportement, qui les métiers, qui la monnaie, selon leur désir, un désir questionné en groupe. L’idée reste malgré tout de couvrir avec le temps la “ matrice PI ”. À son rythme.

De même, l’autoapplication ne se décrète pas, et se développe à l’opportunité. Il y a des conseils, d’entrée, de sortie, pour les séquences-masses ; des conseils

d’orientation ; des “ grands conseils ” annuels ; qui évoluent en même temps que la capacité du groupe à se prendre en charge dans son système.

Des métiers apparaissent, gardien du temps, archiviste, trésorier, éditeur (projet d’un “ livre de vie ” pédagogique), juriste (l’institutionnalisation), ethnolinguiste (repérage du langage et des maîtres-mots du groupe), puis historienne (du groupe), et critique littéraire (des textes et productions), animateur de séquence…

Tout un travail de nuance se fait sur les procédures et les instances. Un “ bavardage ”, par exemple, sera institué, pour libérer les temps d’information et d’organisation, et permettre l’échange des nouvelles, des productions de classes… L’animation fera l’objet d’un entraînement en responsabilité tournante…

La fiction associative fera que le groupe traduira son système en termes de statuts, et de règlement intérieur, jusqu’à ce qu’il décide la réelle déclaration en préfecture (1989). Le décalque d’un système (pédagogique) de formation sur une structure juridique collective est une entreprise délicate, un véritable exercice de style, rien moins qu’une transposition.

Des sous-groupes décristallisent le groupe, et découpent des savoirs plus ou moins adjacents, ou suscitant interférence : fichiers pour la classe ; fiches techniques pour le groupe (par exemple : le transfert) ; groupe sur le groupe ; le journal institutionnel ; les statuts…

Une approche du sociogramme sera tentée en termes de position personnelle dans le groupe, pour les bilans ; le transfert, démarrera sous l’allure de textes libres généralisés ; le journal institutionnel, comme une correspondance entre deux des participantes ; la Loi, naturellement, suscitera une série d’allers et retours entre un sous-groupe, le groupe, les classes, l’université, des colloques…

La formation va se préciser par l’affinement des rabattements (“ retours structurés, didactiques, et rapportés à la référence, de lectures et de formations complémentaires ”), et de la théorisation, terme préférable à théorie (“ engageant un travail de sous-groupe autour de notions clés, avec enquête préparatoire ”).

La lecture, le transfert, la loi, l’évaluation, feront l’objet de théorisations… Des stages, des séminaires, des livres feront l’objet de rabattements.

La spiralisation du groupe dans le système se réalise par la participation à des stages de Genèse de la coopérative (F. Oury, ICEM), du CEPI (Collectif des Équipes de Pédagogie Institutionnelle), de l’ARESPI (Association pour un Réseau des Pratiques de l’Institutionnel), des séminaires (Libres propos, de F. Oury), par le recours à des “ experts ” (rencontre avec C. Pochet ; stage chez F. Thébaudin…) ; par des conférences, universités d’été… Jeu d’adjacences multiples… Mais aussi par des contacts plus périphériques avec les mouvements pédagogiques, les écoles normales, l’université, dont certains apports pertinents pour le groupe sont repris.

Des soutenances de travaux se font, au titre d’interventions, à plusieurs ou individuellement, en Sciences de l’Éducation, en IUFM, dans d’autres groupes, en stages… D’ailleurs, un volume important de travaux caractérise le groupe : notes de lecture, fiches pour le maître, études, mémoires, journaux institutionnels ; avec les journaux de classes, les

albums, les plans de travail, les fiches d’évaluation pour les élèves… Le groupe écrit, et produit. Auto et interformation en réseaux. Le livre se fabrique.

Enfin, le groupe s’est doté, à partir de l’expérience en classe d’une participante, d’un temps de parole à la demande-individuelle, le “ ça va, ça va pas ” (“ de l’ordre du bien ou mal vécu, au sens large, classes, formations, groupe… le référent reste maître du fonctionnement de ce lieu ”).

Et, chaque fin d’année scolaire, un temps est réservé à la prise de parole et à l’interpellation réciproque, durant le bilan, où chacun se doit, formateur compris, d’évaluer où il en est du groupe de formation, de sa classe et des pratiques. Ce retournement scelle la formation, et l’analyse institutionnelle interne.

Repères et hypothèses pour une formation

Je reprendrai le principe cybernétique des niveaux d’organisation et j’irai au plus court en considérant qu’ils sont de trois ordres.

Il y a tout d’abord le Groupe, dont on sait qu’il est un objet de formation riche et délicat. Puis, le Collectif, qui combine le groupe avec une dimension de Parole et une

dimension de Conseils internes, et oriente le groupe vers l’agencement subjectif conscientisé, autant que faire se peut.

Enfin le Système-machine, qui totalise et détotalise les extensions, les champs contextuels méthodologiquement ou conceptuellement liés aux pratiques du groupe.

Les trois niveaux s’intègrent virtuellement en boucle dynamique de plus grande complexité fonctionnelle. Un système ouvert aux réseaux

Le système dont je parle est un système ouvert, marqué par l’imprévisibilité, donc libérant l’angoisse. C’est en particulier un système qui autorise les ruptures, les bruits, les perturbations. Or, la tendance d’un groupe, particulièrement pédagogique, parce que fortement pris par l’idéologie et l’inconscient, c’est de se figer dans la maintenance, dans le fétichisme de la référence, de la discipline, ou du savoir, à l’écart des perturbations de la pensée, en somme, de se prendre pour le système et de s’y enfermer. Nous l’avons compris sur le terrain de nos propres pratiques.

Il s’agit donc d’assurer un cadrage, certainement, mais dont le caractère relatif et arbitraire est pointé. La faillibilité tient aux rencontres, aux interpellations, de groupes à mouvements, aux confrontations. Mais ça ne permet pas toujours un travail sur le fond. Il faut rechercher l’interférence dialectique avec le milieu intellectuel de la formation : fouiller un livre, apparemment étranger aux propos dominants ; inventorier et rapprocher des expériences qu’il faut souvent débusquer au fil des livres, revues, journaux, “ on-dit ”, avec ténacité ; se frotter aux savoirs universitaires, et choisir de pousser telle ou telle compétence, en chemin.

C’est une démarche de contextualisation plus ou moins inductive, qui va par exemple amener à remonter “ la monnaie ”, point critique parmi d’autres de la classe institutionnalisée, par l’économie politique et la psychanalyse, ou “ les ceintures ”, par les arts martiaux et la psychologie sociale.

Le dernier mot revient à la complexité : les systèmes ne prennent tout leur sens qu’ouverts sur et par des réseaux multiples, de données, de groupes, de personnes. La circulation de l’information connecte, déstructure, réorganise, rééquilibre, et restructure.

Ceci ne peut se faire sans le respect des subjectivités et sans une certaine conscience commune des problématiques essentielles du groupe, qui n’est qu’une figure, une structure plus ou moins aléatoire, du système. Nous retrouvons la nécessité d’une parole, espace-temps d’implication et d’identification subjective, éthique, et du conseil, espace-temps de régulation politique, d’un groupe tendant au collectif.

Mais le système se refermerait cependant sur les structures du groupe si périodiquement une analyse suspensive, rétroactive, débordant les personnes, l’interrelation, le pathos substantiel du groupe, ne venait le démonter, le déconstruire, l’évaluer, dans ses composantes. Ce bilan analytique du système est le retournement. Pratique et théorisation

Qui n’a lu et relu que la théorie et la pratique sont dialectiquement imbriquées, que c’est par un va et vient incessant que des connaissances sont produites ? Le problème n’est pas dans la démarche, il est dans le fait que ce sont rarement les mêmes, praticiens, qui théorisent. Dans un certain nombre de cas, la tendance est de plus à dénier élitairement aux praticiens qu’ils le puissent. Le savoir est une affaire de spécialistes ! C’est l’une des perversions les plus subtiles du jeu universitaire. Symétriquement, les praticiens se referment sur leurs groupes, leurs références. Dans les deux cas, l’idéologie commande.

Le va et vient pratique - théorisation - pratique, lorsqu’il n’est pas conduit par les mêmes, dans un dispositif approprié, construit par les praticiens et les chercheurs, n’est plus qu’une balançoire, ou une répétition.

Les praticiens et les chercheurs vont traditionnellement concevoir la théorisation comme une progression hiérarchisée vers l’abstraction, de plus en plus déconnectée des pratiques. C’est une représentation par cercles concentriques qui colle à la stratification sociale des savoirs. Chacun y trouve sinon son compte, son rang culturel et son capital social.

Dans notre optique de formation, ce seront les mêmes qui auront à produire leur théorisation, en pensant leur système, en y implantant ces relais intellectuels, ces pôles de médiation, ces index de distanciation qui peuvent ressourcer et questionner le groupe et les personnes. C’est toujours la pensée de réseaux, qui assure des recoupements incessants de champs, au fil des intérêts de formation des participants, leur mise en rapport à la référence, leur spécification, structurant ainsi des noyaux culturels praxiques disséminés dans le système.

La théorisation ainsi conçue est centrale, elle produit au cœur même du groupe un effet multiplicateur d’agencements “ chercheurs-formateurs ”. Nous n’avons rien inventé, il s’agit là d’une recherche-action “ institutionnalisée ”.

Praticiens-chercheurs ?

Mais comme ça ne se fait pas tout seul, puisqu’il va falloir s’interenseigner, dans une exigence auto et hétérodidacte, il faudra bien retraiter l’information, la structurer, la rendre accessible et pertinente, utilisable précisément par ce groupe et son système.

Ainsi un colloque de juristes sur la loi peut-il être rabattu par une ou plusieurs personnes, à un moment déterminé, sur le travail du groupe à propos de la loi en classe, dans le groupe lui-même.

Par là, nous engageons une conceptualisation plus ou moins infinie qui resterait lettre morte si elle ne faisait pas l’objet d’une autoapplication dans le groupe, d’une traduction ajustée aux champs de référence.

Théorisation, rabattement, autoapplication, ouvrent l’une des dimensions majeures de la formation, que nous résumons dans le terme de transposition.

Le mouvement du groupe impose cette logique de recherche-action plus ou moins périphérique et systématique. Peut-être est-ce là, la voie du praticien-chercheur : c’est le dispositif lui-même, sa démultiplication, qui ouvrent la perspective de la recherche et situe le “ chercheur ”.

La formation est la construction personnelle qui en résulte. Elle se vérifie par l’intégration et l’appropriation des concepts-clés. À un certain point subjectif, elle se retourne sur la recherche.

Des six enseignants, cinq sont licenciés en sciences de l’éducation ; quatre obtinrent la maîtrise ; deux le DEA ; une termine sa thèse, l’autre la commence. J’ai suivi leur pérégrination. Quinze ans après, ils sont pour une partie d’entre eux reconnus comme formateurs ; pour une autre (ce sont parfois les mêmes), comme des chercheurs “ doctorants ”. Ils interviennent, à la demande. Pour moi ce sont et ce furent des “ praticiens-doctorants ”.

Pour conclure, j’aimerais souligner quelques lignes de force de cette pédagogie institutionnelle d’intervention.

Elle vise, dans tous les cas de figure, résolument le collectif, et par conséquent elle a partie liée avec l’organisation, l’“ institution ”. Elle fonctionne sur le terrain comme un tiers “ chercheur ”, mais aussi “ formateur ”, dans le lien et la distance proximale avec les participants, mais donc aussi la direction, tout comme les personnels d’une institution. Elle se revendique comme une instance analytique et opérationnalisante, en termes de conseil ou de co-conseil “ institutionnels ”, sans pour autant être investie de la décision, qui revient au collectif – structuré à cet effet en mécanismes et réunions adéquats et coordonnés. Elle s’efface progressivement, dans le meilleur des cas, devant le chercheur collectif institutionnalisé, ou plutôt elle lui délègue avec le temps l’essentiel de ses compétences, voire de sa fonction. L’intervenant institutionnel n’est jamais un homme seul, mais un groupe, lui-même analysant et analysé, ou il y a toujours “ au moins un ” intervenant non attaché au terrain opéré, ainsi que des instances de reversion critique, parfois en système arcbouté sur mobilisant plusieurs interventions. L’analyse des pratiques, les formations, les recherches, latérales ou centrales, prennent leur plein sens rapportées à l’organisation institutionnelle, et au développement (professionnel) des personnes.

L’occasion et la commande en sont donc rares. Mais pour autant la crise les suscite chaque jour davantage. Même l’école peut réussir au cœur de la difficulté. Encore faut-il s’y mettre collectivement.

Bibliographie

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Revue internationale de psychosociologie, Paris, Eska. L’année de la recherche en sciences de l’éducation, Vigneux, AFIRSE, Matrice.

Le paradigme de L’analyse institutionnelle (AI)

(Extraits)

Paradigme :

1- Ensemble des formes fléchies d’un mot pris comme modèle (déclinaison ou conjugaison) ; ce mot lui-même.

2- En épistémologie, ensemble de schémas directeurs et de conceptions partagées par les membres d’une communauté scientifique, et constituant une matrice dans laquelle s’inscrivent les connaissances.

3- En doctrine économique, choix de problèmes à étudier et des techniques propres à leur étude.

Plus simplement : ensemble des méthodes, des techniques et des concepts que se donne un courant pour travailler. L’AI réexamine des formes sociales et la distribution des pouvoirs. C’est une réflexion critique sur les pouvoirs dans un groupe. L’AI interpelle mutuellement les acteurs d’un groupe pour permettre une redistribution de ses pouvoirs. Il n’y a pas, dans un groupe, une analyse meilleure que l’autre. Le « chef » n’a pas une analyse prédominante. L’idée est de se servir de l’analyse de chacun pour croiser les regards et les idées. L’AI aide les gens à trouver des solutions collectives trans-hiérarchiques. - Pourquoi est-on dans une forme sociale ? D’où cela vient-il ? Est-elle nécessaire ? Peut-on la modifier ? L’AI s’intéresse au banal et au quotidien. Elle cherche à comprendre comment les institutions évoluent, changent. L’AI a travaillé sur le concept d’institution par rapport au concept d’organisation. Elle s’est développée comme critique de l’analyse organisationnelle. L’institution est le produit constant d’une force de maintenance des formes anciennes et d’une force instituante : Lutte instituante. Les trois moments de l’institution pour l’AI : - Institué

- Instituant - Institutionnalisation

L’AI s’est toujours démarquée des schémas traditionnels. Elle est assez insaisissable par tout un chacun parce qu’elle refuse l’institutionnalisation. Elle veut rester instituante. Pour ses acteurs, il semble qu’une fois clairement explicitée, l’AI se scléroserait. Nommer les choses leur enlèverait leur énergie institutante. Il y aurait danger à nommer le paradigme. Dans la discussion de l’histoire du marxisme et de ses formes sociales, R. Lourau, par exemple, se questionne. Les formes révolutionnaires ne sont-elles pas glacifiées dans des organisations, des partis ? Les institutionnalistes croient retrouver le danger dans l’ « isme » qui conduit inévitablement à l’immobilité, à l’enkystement, à la cristallisation. Bref, à l’institué. René Lourau va même suggérer que l’AI se serait construite contre ce danger d’institutionnalisation inéluctable des formes sociales les plus révolutionnaires. Plus qu’une théorie, l’AI serait donc plutôt une « métathéorie ». Mais cette métathéorie est de l’ordre de l’implicite (partagée par les membres du mouvement), plus que de l’explicite. D’où la difficulté pour les « non membres » de comprendre la force et l’énergie de ce mouvement qui ne peut pas s’expliquer lorsque l’on cherche ses fondements dans des livres. Ce qui est certain, c’est que l’AI a la vocation d’articuler le macro et le microsocial, l’analyse du présent et sa dialectisation avec le passé et l’advenir. Sans poser explicitement la question anthropologique, l’AI s’enracine dans l’idée que l’essence même de l’homme est d’être capable de se prendre en charge, d’être sujet de sa vie et de son histoire. En même temps, l’AI vise une réalisation de cette essence de l’homme en prônant une autogestion, non seulement au niveau du projet individuel ou inter-individuel (modèle psychosociologique), mais en plus, au niveau social qu’il soit micro ou macro (niveau politique). L’institutionnaliste pense donc la praxis (individuelle, mais aussi articulée à d’autres) comme possibilité d’être sujet du processus d’institutionnalisation de la société.1 La socianalyse est un outil de l’analyse institutionnelle. Elle est dérivée du modèle psychanalytique et de l’analyse institutionnelle. Elle permet la

1 Propos tirés de L’analyse institutionnelle, une forme de recherche-action éducative ? Enquête sur le paradigme par Gabriele Weigand, professeur de lycée en Bavière (histoire), a été maître de conférence à l’institut de pédagogie de l’Université de Würzburg (République fédérale d’Allemagne) durant six ans. Elle a soutenu sa thèse sur « la pédagogie Institutionnelle en France ».

reconstruction des enjeux d’une institution, d’une société, d’un groupe…, en s’appuyant sur la mise à plat des enjeux contradictoires existants. Elle regarde comment fonctionnent des forces sociologiques, s’arrête sur la personne car, l’individualité est intéressante pour comprendre le groupe. Intervenir dans une institution, c’est se prêter au jeu des transferts et contre-transferts. Au départ, il y a une institution avec des difficultés. Une commande est passée auprès d’intervenants extérieurs qui paraissent susceptibles de résoudre ces difficultés. Les intervenants arrivent et déclenchent un processus dynamique qui entend la commande mais, s’intéresse avant tout aux demandes. Les demandes, il faut les faire émerger chez tous les acteurs de l’institution, y compris la personne qui fait la cuisine ou le ménage. Les intervenants prennent, pour comprendre, appui sur les savoirs existants. Le socianalyste recherche le ou les problèmes sous-jacents à la commande, pour cela il écoute les demandes. La commande n’est qu’un point d’entrée dans un processus. Les demandes sont l’enjeu de la commande. En traitant, à travers les demandes, les faiblesses du commanditaire, on le rend en finalité plus fort. Passer du commanditaire à la demande c’est, passer d’une personne à une problématique sociologique. Pour moi, le courant de l’AI tel que je le pratique aujourd’hui, c’est d’abord la capitalisation de connaissances dans un groupe. On prend un peu ce que chacun apporte pour en faire quelque chose comme la revue des IrrAIductibles par exemple. Pour moi, c’est une bonne méthode. Je m’appuie de fait sur les théories de l’analyse institutionnelle que Remi Hess et Patrice Ville m’ont enseignées, pour aller explorer ma pratique d’enseignante et de directrice d’école. Les concepts qui m’intéressent le plus dans l’AI sont ceux

- d’implication : Manière dont le sujet se trouve lié au collectif, à son champ d’intervention, aux nœuds de l’institution. Il a été introduit dans l’AI vers 1970 et vient du concept de transfert/contre-transfert que l’on observe partout, y compris dans une classe. Lourau a proposé de laisser tomber le transfert au profit du concept d’implication. Dans le travail socianalytique, volonté de partir de l’implication des personnes, implication des étudiants dans un cours ou une réflexion par exemple. Henri Lefebvre de la même façon n’enseignait pas seulement ses idées sur les choses, mais encore sa manière d’accéder aux connaissances de ces choses. Il mettait en plus en scène la pensée dans son élaboration permanente dans son rapport avec le vécu et avec la réalité concrète.2

2 Voir note 1

Je rapproche ce concept de celui de « passeur en pédagogie » que m’a inspiré la pédagogie de Remi Hess et que je compte développer. Cette idée de « passeur en pédagogie » m’a été soufflé par Constantin Xypas3 lors d’une rencontre au restaurant faisant suite à une soutenance de thèse.

- de transversalité : Pour Guattary4, la transversalité c’est ce qui se passe dans une salle quand deux personnes discutent ensemble. L’idée est de quitter l’organisation pyramidale pour donner du pouvoir au groupe.

- de transduction : René Lourau a toujours voulu être un « transducteur » entre différents groupes ou sous-groupes. Définition du Larousse encyclopédique : 1- échange génétique d’une cellule à une autre, réalisée par l’intermédiaire d’un virus, d’un phage. –2- En physique, transformation d’une énergie en une énergie de nature différente.

- de moment : La notion de “ moment ” est un concept d’Henri Lefebvre. Il désigne un espace-temps que s’est construit le sujet. C’est une forme de la singularisation anthropologique du sujet. Il y a les moments hérités. Le moment du repas, le moment du travail, le moment des langues nous sont le plus souvent transmis à notre insu. On hérite de certains moments, en fonction de la domesticité, de l’espace familial où l’on est né. Le désir joue un rôle important dans l’entrée dans un moment choisi. Dès que le désir se structure, prend une forme concrète, le moment peut émerger. La clinique des moments permet de faire une sorte de socianalyse domestique, une évaluation de ce que l’on fait, en confrontation avec ce que l’on veut faire. C’est un moment socianalytique.5

- d’autogestion : on a organisé l’école à partir d’une fragmentation (à tel âge telle classe, à telle heure tel cours…), le savoir est aussi fragmenté en disciplines. Avec cette conception, on ne devient acteur de sa formation qu’à la fin de son cursus, quand on en comprend la finalité. L’autogestion est un des dispositif dans lequel chaque individu peut s’impliquer.

- d’interculturalité : L’AI se décline aussi, et de plus en plus, pour Remi Hess en « Analyse Interculturelle » (influence des cultures les unes sur les autres).

3 Constantin Xypas est professeur à l’Institut des sciences de la communication et de l’éducation d’Angers (ISCEA). Il est aussi professeur associé à l’université de Sherbrooke et Directeur de recherches à l’Université de Paris 8. 4 Pierre Félix Guattari, psychanalyste français (Villeneuve-les-Sablons,Oise, 1930 – Cour-Cheverny, Loir-et-Cher, 1992). D’abord influencé par la pensée lacanienne, il s’en démarque ensuite, reprochant à la psychanalyse la manière dont elle expulse tous les contenus sociopolitiques de l’inconscient : il refuse de dissocier action politique et entreprise analytique. 5 Ces propos sont ceux de Remi Hess dans Voyage à Rio Sur les traces de René Lourau, Remi Hess, Paris, Téraèdre 2003

Supports de cours

Les institutions : depuis Hegel et Napoléon.

◊ La base ferme de « l’état ». ◊ Instances fondatrices.

Le paradoxe de la « dialectique » de

l’institution : à la fois

de l’institué (ce qui est en place), sa « positivité ». de l’instituant (les forces vives agissantes), sa « négativité ».

une institutionnalisation (le processus).

L’universalité (l’institution « universitaire » ). La particularité (l’institution « universitaire française »). La singularité (l’université Paris 10 - Nanterre).

L’institution :

Une dialectique du vivant ? Instance, échangeur, organisateur,

Réseau symbolique « négatif ».

J. P. 2007

L’institution

Instituere (se tenir debout, immobile…)

1-Instituer une chose, l’établir, la fonder. 2-Instruire et former par l’éducation. 3-Tenir, comme un tuteur Ensemble des lois fondamentales, des structures politiques et sociales d’un état (cf. d’un « état » des lieux institutionnels). Cf dictionnaires.

(Dictionnaires)

Organisation – Mode et système de fonctionnement des

ensembles humains finalisés Système

Institution – Instance et structure de régulation des rapports sociaux

Structure

Interaction – Unité de relation sociale Action

Sociologie Analyse organisationnelle analyse des buts, des objectifs, des moyens, d’un ensemble humain socio-économique finalisé, en termes de systèmes, d’administration, de pouvoirs de groupes, manifestes

Psychosociologie Analyse institutionnelle Analyse des liens et des interactions latentes, entre les normes, les structures, les fonctions, les groupes et les personnes.

Ethnométhodologie Analyse interactionnelle Analyse des mécanismes symboliques de construction des relations sociales.

Ethno-interactionnisme

J. P. 2007

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L’Analyse Institutionnelle ?

Terme proposé par Félix Guattari A la clinique de La Borde (1953). Le terme d’analyseur vient, par François Torrubia, de Pavlov.

Une analyse ethnologique des relations sociales explicites et implicites des groupes organisés dans l’établissement ; non seulement de leur structure et de leur dynamique manifestes, mais de leurs structures « transversales » à l’institution…

(« Jamais cette analyse ne peut être menée à bien par un homme seul, quel que soit son statut dans l’entreprise… l’analyste ne peut être qu’un petit groupe d’action répétitive systématique… une ou deux fois par semaine au moins… un travail d’équipe. »)

François Tosquelles, Connexions 6, 1973.

« Toutes ces tentatives impliquent une remise en question méthodique de la recherche dans les sciences humaines : l’accès à l’individu n’est pas possible, ou bien il se révèle trompeur. »

Félix Guattari, Psychanalyse et transversalité, 4, 1972.

JP. 2007

Analyse et Intervention Institutionnelles

C’est l’analyseur qui met en boîte l’analyse

Quelques concepts Les « PI »

Psychothérapies.pédagogies institutionnelles L’Inter-Dire La pratique de l’institutionnel Des Lieux des Limites des Lois : un Langage « institutionnel »

le collectif- les conseils La socioanalyse

René Lourau Georges Lapassade Rémi Hess

L’analyse institutionnelle en situation

Institution Institué – instituant

Analyseur naturel Analyseur construit

Implication (cf Transfert) Effet(s) analyseurs

La sociopsychanalyse

Gérard Mendel Le Groupe Desgenettes

Une analyse institutionnelle de la

construction psychique

La schizoanalyse

Classes institutionnelles Pouvoir social

Plus value de pouvoir Régression du politique

au psychique

Félix Guattari Gilles Deleuze

Groupe sujet/ assujetti

Transversalité du transfert

Du politique au clinique, de l’organisation à l’institution,

un mouvement « anti-autoritaire » d’analyse en

collectifs.

JP.2007

L’analyse et l’intervention institutionnelles en situation :

Méthodologie générale

situer l’objet de l’institution

son histoire son fonctionnement, ses structures

situer l’organigramme interactionnel

hiérarchies, postes, pouvoirs, explicites les sociogrammes des pouvoirs les réseaux interactionnels

cartographie des relations « institutionnelles » en réseaux

formels/informels

analyser

le discours de l’institution

analyse de contenu : des textes, règlements, circulaires ; des affichages, des lieux d’exercice

Idéologie institutionnelle ?

repérer les analyseurs (les dispositifs susceptibles de révéler la structure de l’institution)

naturels (de l’événement, à la crise) construits (l’entretien, la concertation, la réunion de quartier…).

analyser

Les implications dans l’institution Les lignes transférentielles de soutenance de l’institution : croyances, références, appartenances, revendications, identifications…

rabattr

e l’ensemble sur la place de l’usager, dans le cas échéant. A qui sert l’institution ?

En dernière instance, que fait-on de la Parole et du Sujet ? JP. 2007

ANALYSE ET INTERVENTION INSTITUTIONNELLES

Les principes de l’intervenant « institutionnel »

Nous entendons par intervenant institutionnel une gamme de professionnels centrés sur l’analyse des organisations et des institutions, dans nos références. Au « degré zéro », de leur lieu professionnel. Il s’agît d’une « analyse interne », et d’intervenant interne. Au degré « plus un, deux, trois,.. », d’autres lieux professionnalisés et/ou institutionnalisés, seuls ou en groupe, sur commande. Il s’agît d’une analyse importée, et d’intervenant externe, d’intervention : soit résolutive et technicienne (fournir une « formation » sans analyse), soit organisationnelle et participante (gérée sur la procédure et les processus avec les intéressés), soit institutionnelle et délibérative (progressivement autogérée et formatrice- intervenante à l’interne). Intervenir commence avec la prise de contact. L’institution n’est pas le plus visible- institué, mais aussi l’invisible- instituant, dans le mouvement et la contradiction. Tous les événements, positifs et négatifs de l’institutionnel sont des analyseurs, des photographies de l’institution ; et avec l’analyse : des spectrographies. Les institutions sont construites sur des organigrammes de pouvoir politiques et/ou administratifs, mais les personnels fonctionnent comme des « classes institutionnelles » en moyenne générale. Les institutions sont des enjeux de pouvoir social et de « plus values de pouvoir » pour beaucoup ; mais pas pour tous. Ce sont des lieux de reproduction des rapports sociaux, si aucune correction sociale n’est faite. Les institutions sont des collectifs lorsqu’elles fonctionnent comme des groupes-sujets, c’est à dire se donnent les moyens et la conscience de s’organiser, de se critiquer, de s’analyser, dans le respect des personnes, en réussissant à évoluer en commun sans léser personne. « …doubler le militantisme formateur d’un contrôle scientifique, en soignant l’instrumentalisation… » (J.Pain) JP. 2007

Analyse et Intervention Institutionnelles

Du micro au macro- système

En groupe-sujet, « collectif ».

De la commande « officielle » de l’intervention à la saisie des demandes plus ou moins latentes et implicites. Mise en place d’une gestion collective et délibérative de l’intervention, débordant la « participation ». Analyse des analyseurs « naturels » -les faits et événements saillants, les dispositifs, réunions, formels et informels existants. Implantation des analyseurs « construits » -entretiens en panels,réunions de concertation, « conseil » d’interventio…. Mise en place d’instances critiques d’expression « libre », et d’interpellation, ponctuelles,ou systématiques, physiques ou/et électroniques( Net-forum critique). Analyse en continu des implications des intervenants, au besoin en suscitant un tiers-analyste, de la même référence « théorique ». Micro/macro : de façon adéquate aux investissements sollicités, Le « rapport » d’intervention développe : l’analyse de l’institution, de l’organisation, intervenue ; et l’analyse de l’intervention.

JP.2007

ANALYSE ET INTERVENTION INSTITUTIONNELLES

Les principes de l’intervenant « institutionnel »

Nous entendons par intervenant institutionnel une gamme de professionnels centrés sur l’analyse des organisations et des institutions, dans nos références. Au « degré zéro », de leur lieu professionnel. Il s’agît d’une « analyse interne », et d’intervenant interne. Au degré « plus un, deux, trois,.. », d’autres lieux professionnalisés et/ou institutionnalisés, seuls ou en groupe, sur commande. Il s’agît d’une analyse importée, et d’intervenant externe, d’intervention : soit résolutive et technicienne (fournir une « formation » sans analyse), soit organisationnelle et participante (gérée sur la procédure et les processus avec les intéressés), soit institutionnelle et délibérative (progressivement autogérée et formatrice- intervenante à l’interne). Intervenir commence avec la prise de contact. L’institution n’est pas le plus visible- institué, mais aussi l’invisible- instituant, dans le mouvement et la contradiction. Tous les événements, positifs et négatifs de l’institutionnel sont des analyseurs, des photographies de l’institution ; et avec l’analyse : des spectrographies. Les institutions sont construites sur des organigrammes de pouvoir politiques et/ou administratifs, mais les personnels fonctionnent comme des « classes institutionnelles » en moyenne générale. Les institutions sont des enjeux de pouvoir social et de « plus values de pouvoir » pour beaucoup ; mais pas pour tous. Ce sont des lieux de reproduction des rapports sociaux, si aucune correction sociale n’est faite. Les institutions sont des collectifs lorsqu’elles fonctionnent comme des groupes-sujets, c’est à dire se donnent les moyens et la conscience de s’organiser, de se critiquer, de s’analyser, dans le respect des personnes, en réussissant à évoluer en commun sans léser personne. « …doubler le militantisme formateur d’un contrôle scientifique, en soignant l’instrumentalisation… » (J.Pain) JP.2007