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Suzannah et la vraie vie, Betty Neels.

La mort de sa tante a brutalement lancé Suzannah dans la vie active, et elle découvre que tout n'est pas toujours rose pour une jeune fille seule. Heureusement, une présence mystérieuse semble discrètement veiller sur elle, une présence masculine qui se refuse à sa reconnaissance et s'efface toujours…

Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre : The chain of destiny.

© 1989, Betty Neels. © 1990, France

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1.

Sous le soleil de cette fin d'été, les briques rosées du vieux manoir prenaient un bel éclat lumineux. Plus qu'une dizaine de minutes et la lourde porte s'ouvrirait aux visiteurs. En attendant, ils flânaient aux alentours, contemplant l'architecture du bâtiment dont les proportions harmonieuses dégageaient une impression de sérénité.Pendant ce temps, à l'intérieur, régnait une activité fébrile. La famille, selon son habitude, s'était retirée afin de permettre la visite dans son aile privée. La responsabilité des visites incombait au régisseur lui-même, M. Toms, un petit homme sec et nerveux qui connaissait bien la maison. A cet instant, dans le hall d'entrée, il garnissait de monnaie une boîte métallique à l'intention de la femme du pasteur, chargée de la vente des billets. Affairées chacune de leur côté dans la pièce, les guides procédaient aux ultimes préparatifs. Elles étaient au nombre de trois : Mlle Smythe, la maîtresse d'école, une femme dont la voix sonore captait l'attention de tous ; Mme Coffin, qui au village s'occupait de la poste; et enfin, Suzannah Lightfoot dont la tante habitait le pavillon d'entrée de la propriété. La faveur de guider les visites lui avait été accordée en remerciement de ses bons et loyaux services envers l'aïeule de la famille, une personne connue pour son caractère acariâtre.Au fil des années, le manoir s'était vidé. Aujourd'hui, il n'y vivait plus qu'un vieil oncle irascible et sa nièce, une jeune femme dont les parents vivaient aux Etats-Unis où le père occupait des fonctions diplomatiques. Peut-être un jour les jeunes générations de la famille reviendraient-elles habiter ici. En attendant, on s'efforçait d'entretenir la propriété, grâce notamment aux recettes de ces visites organisées pendant les week-ends d'été.Le front de M. Toms s'assombrit. On allait manquer de billets ! Et la porte qui allait ouvrir dans moins de cinq minutes... Se tournant vers Suzannah, il la chargea d'aller en chercher dans son bureau.La jeune femme connaissait bien la maison. Voilà deux ans maintenant qu'elle y travaillait comme guide. Un petit emploi, pas très lucratif certes, mais qui lui convenait tout à fait dans la mesure où elle lui permettait de veiller sur sa vieille tante.D'un pas vif, elle grimpa les larges marches usées de l'escalier de

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chêne, s'engagea dans la longue galerie des portraits menant à l'aile habitée par la famille où se trouvait également le cabinet de travail de M. Toms. Le rouleau de billets était là, bien en vue sur le bureau, et Suzannah s'en saisit sans perdre de temps.Elle était charmante, malgré le chemisier écossais et la jupe noire sans fantaisie qui ne mettaient pas — et c'était fort dommage — son physique en valeur. Bien que petite, Suzannah possédait une silhouette agréable et les plus beaux cheveux qui soient : une magnifique crinière rousse, aux superbes reflets cuivrés, qu'elle avait coiffée aujourd'hui en queue de cheval. Son visage, sans être d'une grande beauté, était plaisant à regarder avec ses grands yeux gris, lumineux, et le joli sourire qui l'éclairait si souvent.A peine avait-elle fait trois pas dans la galerie qu'elle s'arrêta net. Quelques mètres plus loin, un homme étudiait l'un des tableaux accrochés au mur. Avec désinvolture, il approchait lentement. Elégant, grand, la carrure athlétique, il ne devait guère avoir plus de trente-cinq ans malgré ses tempes un peu grisonnantes.Encore un visiteur qui en avait pris à son aise... L'air décidé, Suzannah alla à sa rencontre.— Je vous signale, monsieur, que cette partie du manoir n'est pas accessible au public. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous conduire jusqu'à l'entrée et vous pourrez vous joindre à une visite guidée.Il s'était immobilisé devant elle, et la détaillait sans aménité. Difficile de garder sa dignité face à quelqu'un qui vous fixe d'un air aussi glacial...— Et si j'ai envie de me promener seul?— Il est stipulé expressément à l'entrée que tout visiteur doit être accompagné d'un guide.— En seriez-vous un, par hasard?— Parfaitement. Si vous voulez bien me suivre... Sans attendre son assentiment, la jeune femme ouvrit le chemin vers l'escalier, s'assurant cependant que l'homme lui avait bien emboîté le pas. Elle prit congé de lui en arrivant dans le hall.— Voilà, vous pouvez participer à une visite, mais il vous faudra d'abord acheter un billet.Déjà, elle s'apprêtait à tourner les talons lorsqu'il la retint par le bras.— Dites-moi, vous êtes la maîtresse d'école, ou bien la fille du pasteur?

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— Je ne vois pas en quoi cela vous regarde, répliqua Suzannah en se dégageant.Le hall accueillait les premiers arrivants. Après avoir remis le rouleau de billets à la femme du pasteur, Suzannah alla prendre sa place derrière la lourde table en bois sculpté, au milieu de la pièce. Chaque guide escortait un nombre de touristes qui variait de six à douze selon l'affluence. Aujourd'hui, en cette fin de période estivale, ils étaient déjà moins nombreux que d'habitude. Un mois encore, et le manoir fermerait ses portes aux visiteurs pour les rouvrir seulement à Pâques. Ce qui obligerait Suzannah à trouver un autre emploi jusque-là. Bien des soucis en perspective...La visite, enfin, commença. Chacun des trois guides empruntait un itinéraire différent. Pour sa part, Suzannah se dirigea vers la grande salle à manger lambrissée, suivie de près par son groupe : un couple de personnes âgées, un homme de forte corpulence portant casquette, une dame à lunettes, deux adolescents, et enfin une jeune femme à la mine fatiguée portant un bébé dans les bras. Suzannah leur adressa un sourire de sympathie avant de venir se poster près de la table, au centre de la pièce. Elle passa lentement la main sur le plateau de bois poli par les ans, tout en annonçant de sa voix claire :— Nous sommes ici dans la salle à manger du château. Voici un meuble de l'époque élisabéthaine, reconnaissable à ses six pieds en colonnes et surtout à sa ceinture cannelée... Quant à ce buffet en chêne, sur votre gauche, il date de la même époque, c'est-à-dire du XVIème siècle.Quelques beaux objets d'ornement en argent y étaient disposés : une verseuse finement ciselée, un plateau également très travaillé, et plusieurs ravissantes bonbonnières. Les visiteurs se pressèrent autour de Suzannah pendant qu'elle les leur présentait. Encouragée par cette première manifestation d'intérêt, elle les invita à admirer le plafond.— Ce style de plafond à caissons est typique de l'époque de Jacques 1er. Vous remarquerez au centre un bateau peint. Observez-le bien, c'est le même que vous retrouverez sculpté au-dessus de la porte que nous allons franchir.Suzannah s'effaça pour laisser passer ses visiteurs un par un, afin de s'assurer qu'aucun ne manque à l'appel. En fait, il y en avait même un de plus : l'homme rencontré tout à l'heure dans la galerie s'était joint à son groupe. Etrange qu'elle ne l'ait pas remarqué immédiatement, avec sa haute stature! Quand il passa à sa hauteur,

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Suzannah lui décocha un regard sombre. La visite se poursuivait par le salon, meublé dans le style « William and Mary ». Ici, les curiosités abondaient : une table basse dont les pieds galbés se terminaient curieusement en sabots de biche, des fauteuils assortis, très ouvragés, mélangeant cannage et bois de noyer tourné et sculpté, un superbe cabinet en bois doré orné d'incrustations précieuses... C'était la pièce favorite de Suzannah et elle s'y serait volontiers attardée. Mais son groupe, peu féru sans doute d'antiquités, faisait preuve d'un intérêt très limité. Aussi, après une présentation rapide des portraits suspendus aux murs, l'entraina-t-elle à sa suite jusqu'à la salle de bal à laquelle on accédait après avoir traversé un magnifique hall. L'homme de la galerie suivait toujours, à une certaine distance des autres. Quel individu déplaisant...C'est dans la salle de bal que se croisaient les trois visites. Et naturellement, il se trouvait presque toujours un distrait ou un retardataire pour se tromper de groupe pour la suite. Prudente, Suzannah rassembla donc le sien avant de s'engager dans la bibliothèque. Dans cette pièce, allant d'une personne à l'autre, elle répondait aux questions qu'on lui posait, ou bien attirait l'attention sur un manuscrit rare, ou sur l'immense peinture occupant l'un des murs. Elle représentait en effet l'ancêtre du propriétaire actuel des lieux, un homme au port de tête altier qui, depuis le cheval qu'il montait dignement, laissait son regard se perdre dans le lointain.Discrètement, Suzannah jeta un coup d'œil à sa montre. Il lui fallait ne pas s'attarder, sous peine d'être en retard sur l'horaire. Son regard rencontra celui de l'homme de la galerie. Adossé à un mur, les mains dans les poches, il l'observait, un petit sourire au coin des lèvres. Sourire dans lequel Suzannah crut déceler de la dérision... mais qui la fit néanmoins rougir. Pourquoi? Elle n'aurait su le dire mais se le reprocha amèrement.Il ne restait plus à visiter que l'escalier intérieur, la chambre d'apparat et le boudoir. Le petit groupe emboîta donc le pas à Suzannah qui grimpait les marches en noyer, sans vraiment prêter attention à sa description minutieuse de la balustrade en fer forgé.Par contre, la chambre ainsi que le boudoir suscitèrent en eux un regain d'intérêt. Mais qui serait demeuré indifférent au charme somptueux du grand lit à baldaquin avec ses tentures de brocart, ou au raffinement exquis des miroirs richement encadrés d'argent?Enfin, Suzannah emmena ses visiteurs vers l'escalier principal afin

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de rejoindre leur point de départ. Comme à dessein, l'homme de la galerie s'appliquait à rester en retrait, ce qui ne manquait pas d'irriter la jeune femme. Aussi fut-ce avec soulagement qu'elle le vit disparaître lorsqu'ils atteignirent le hall. « Bon débarras! » pensa-t-elle.Un nouveau groupe de touristes s'était déjà formé. Après celui-ci, Suzannah en guida encore trois à travers le vieux manoir avant que les portes n'en soient fermées pour le reste de la journée.Alors, elle sortit dans l'air tiède de cette fin d'après-midi pour rentrer chez elle. Elle n'avait que quelques minutes de marche à peine pour rejoindre le cottage, dont un superbe portail en fer forgé, soutenu par deux piliers en pierre surmontés de griffons indiquaient l'entrée.Bien que d'une architecture plus modeste, le pavillon rappelait beaucoup le manoir dans son aspect extérieur. On y retrouvait en particulier les mêmes fenêtres treillagées, et la toiture sur pignons. La ressemblance, cependant, s'arrêtait là, car à l'intérieur, les pièces étaient plutôt sombres et exiguës. Mais qu'importait? Suzannah aimait cette maison, en dépit de ses défauts. Voilà plusieurs années qu'elle y vivait auprès de sa tante, depuis que ses parents avaient trouvé la mort dans un accident de voiture. Tante Mabel, qui venait à l'époque de prendre sa retraite, lui avait offert sur-le-champ l'hospitalité. Pour venir vivre sous son toit, Suzannah avait dû abandonner ses études... et tout espoir de les poursuivre un jour. Elle avait bien conçu quelques vagues projets d'avenir, mais ils furent vite anéantis quelques mois plus tard par une terrible nouvelle : sa tante était malade. Elle souffrait d'une tumeur cérébrale hélas inopérable, avait annoncé le médecin de l'hôpital, qui se voyait donc contraint de la renvoyer chez elle. Il recommanda fermement à Suzannah de ne pas révéler à sa parente le mal qui la frappait, de crainte d'abréger encore ses jours.Pour vivre, les deux femmes disposaient de la petite retraite de Mabel et des maigres ressources de Suzannah. Autant dire qu'elles ne baignaient pas dans l'opulence, mais elles n'étaient pas malheureuses, loin de là. D'ailleurs, ce qui importait réellement aux yeux de Suzannah, était la santé de tante Mabel. Dieu merci, sa maladie évoluait lentement et ne se manifestait que par des maux de tête occasionnels. La jeune femme, malgré sa jeunesse — elle venait de fêter ses vingt-deux ans — avait accepté les contraintes de sa nouvelle vie ; et s'il lui arrivait parfois de regretter de n'avoir pu

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mener à bien ses projets d'avenir, elle ne le montrait jamais. Comment trouver un emploi qui lui permette de ne pas laisser sa tante trop longtemps seule dans la journée? Telle était la question qui préoccupait Suzannah lorsqu'elle poussa la porte d'entrée ce soir-là.Dès l'entrée, on accédait dans le salon, une pièce meublée avec simplicité, mais néanmoins coquette et confortable. A son extrémité, une porte donnait dans une petite cuisine, et une autre s'ouvrait sur une étroite cage d'escalier menant aux deux chambres de l'étage supérieur. Au-delà de la cuisine s'étendait le jardin où les deux femmes cultivaient légumes et fleurs.Tante Mabel était assise dans son fauteuil, son chat, Horace, sur les genoux. A la vue de sa nièce, elle eut ce joli sourire qui avait le don de la rajeunir.— Ah, te voilà, ma chérie. L'après-midi n'a pas été trop difficile?— Mais non, comme d'habitude, répondit gaiement Suzannah.Puis, avisant la table vide :— Tu n'as pas bu ton thé? Tante Mabel prit un air penaud.— Eh bien, figure-toi que j'ai voulu m'en préparer une tasse tout à l'heure, mais je n'ai pas pu rester debout. C'est idiot mais... la tête me tournait.La nouvelle inquiéta Suzannah qui s'empressa de demander :— As-tu mal quelque part?— Non, ma chérie. Mais je me sens fatiguée, sans énergie. Ça ira mieux quand j'aurai bu mon thé.En effet, elle s'assoupit peu après, et Suzannah en profita pour vaquer aux occupations du ménage. Le dîner était prêt et le couvert dressé lorsque la malade se réveilla, mais c'est à peine si elle goûta au potage. Sans attendre la suite, elle manifesta le désir d'aller se coucher.— As-tu toujours des vertiges ? questionna Suzannah tout en l'aidant à regagner son lit. En tout cas, si demain tu ne te sens pas mieux, je ferai venir le Dr Warren.La lassitude continue de sa tante, ajoutée à la pâleur de son teint préoccupaient toujours Suzannah quand, plus tard dans la soirée, elle rejoignit sa chambre. Jamais Mabel n'avait eu de vertiges de façon aussi durable. Ce soir-là, non seulement Suzannah fut longue à s'endormir, mais son sommeil fut peuplé de rêves étranges dans lesquels apparaissaient sa tante et l'homme de la galerie...

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Levée de bonne heure, Suzannah ouvrit la fenêtre de sa chambre. Il faisait frais, et la limpidité du ciel laissait présager une belle journée. Comment allait-elle trouver tante Mabel ce matin ? Etreinte par une sourde angoisse, Suzannah se rendit dans la pièce voisine. Sa tante était réveillée, elle aussi. Hélas, le repos de la nuit ne lui avait pas redonné ses couleurs. Néanmoins, Suzannah demanda d'un ton léger, sans rien laisser paraître de son appréhension :— As-tu bien dormi? Je vais te préparer une tasse de thé.— Non, ma chérie, je te remercie mais ça ne me dit rien. Même allongée, j'ai la tête qui tourne. Et cette migraine qui m'a prise...Suzannah s'efforça de ne pas trahir son anxiété. Souriante, elle installa confortablement sa tante puis s'assit à son chevet en lui prodiguant des paroles rassurantes. Etrangement, la malade sembla s'endormir de façon brutale. Alors, sans perdre un instant, Suzannah dévala l'escalier pour téléphoner au Dr Warren. Il n'était que 7 heures, mais tant pis.Moins de dix minutes plus tard, le médecin se présentait à la porte. Tante Mabel dormait toujours d'un profond sommeil.— Elle est dans le coma, annonça le médecin après un rapide examen.La nouvelle consterna Suzannah.— Votre tante est bien malade. Pensez-vous pouvoir vous occuper d'elle ?— Bien sûr. Dites-moi simplement ce que je dois faire.— Oh, pas grand-chose.Le médecin lui donna toutes les précisions avant d'ajouter :— Je demanderai à l'infirmière visiteuse de passer tout à l'heure, elle vous aidera.Puis, après une hésitation :— J'ai justement un vieil ami spécialisé dans la chirurgie cérébrale à la maison en ce moment. C'est aussi un intime des Davinish du manoir. Je vais lui demander à lui aussi de venir voir votre tante. On ne sait jamais, il pourra peut-être faire quelque chose.— Oh, merci ! Si seulement on pouvait la sortir de cet état... Pauvre tante Mabel! Elle était en si bonne santé durant ces derniers mois que j'avais de la peine à la croire malade. C'est la première fois qu'elle est si... si fatiguée.Le Dr Warren posa une main sur son épaule en signe de réconfort.— Courage, ma petite... Je repasserai d'ici une heure environ.

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Suzannah eut à peine le temps de faire sa toilette et de boire un bol de thé que déjà il était de retour, accompagné par son ami chirurgien, ami qui n'était autre que... l'homme de la galerie! Quelle coïncidence... D'un air pénétré, il la salua sans que rien dans son attitude laisse supposer qu'ils s'étaient rencontrés auparavant.Quoi qu'il en soit, Suzannah avait d'autres préoccupations en tête pour s'attacher à ce détail. Pendant qu'il examinait sa tante avec soin, elle attendit au pied du lit, puis ils redescendirent au rez-de-chaussée. Les deux médecins se concertèrent tandis que Suzannah préparait du café dans la cuisine. Quelques minutes plus tard, le Dr Warren appelait la jeune femme.— D'après le Pr Bowers, le plus sage est de laisser votre tante ici, chez elle. Il ne servirait à rien de la transférer à l'hôpital. Vous n'ignorez pas qu'elle est gravement malade, et la médecine ne peut hélas rien contre le mal qui la frappe. Dans son malheur, elle a la chance d'être tombée dans le coma.— Vous voulez dire... que tante Mabel va mourir? murmura Suzannah d'une voix étranglée.— Oui. Croyez-moi, s'il existait la moindre chance de la sauver, le professeur aurait tenté tout ce qui est en son pouvoir.— Combien de temps... lui reste-t-il à vivre?— Très peu, je le crains. Quelques heures, peut-être une journée.Le professeur, qui durant cet échange était demeuré à la fenêtre, se tourna vers Suzannah.— Je suis navré, mademoiselle Lightfoot. J'aurais tant souhaité pouvoir vous aider, mais le Dr Warren a raison, il n'y a malheureusement rien à faire.Il y avait tant de compassion, de gentillesse dans sa voix que Suzannah en eut les larmes aux yeux. Etait-ce bien là le même homme que le personnage arrogant rencontré la veille au manoir? Elle avait peine à le croire.— Merci, je comprends, c'est très aimable à vous de vous être dérangé.Tous trois, ils burent une tasse de café puis, après une dernière visite à la malade, les deux médecins s'en furent dans la vieille voiture du Dr Warren.Suzannah ne demeura pas longtemps seule. Comme promis, Mme Bennett, l'infirmière, se présenta bientôt au cottage. On la connaissait bien dans la région, cela faisait de longues années qu'elle y exerçait. Le seul fait de la voir sortir de sa petite Austin,

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alerte et décidée, avait quelque chose de rassurant. Elle aussi connaissait Mlle Lightfoot ainsi que sa nièce.— Ma pauvre Suzannah, nous n'ignorions pas que ça arriverait tôt ou tard. Oh, je sais, pour vous, c'est une épreuve pénible. Mais si ça peut vous consoler, dites-vous qu'elle aura une mort douce.

Suzannah, vaincue par le chagrin, s'épancha sur l'épaule de sa compagne. Cela faisait du bien de pleurer, la douleur semblait moins accablante.Tante Mabel s'éteignit pendant son sommeil, en fin d'après-midi. Le Dr Warren, en mémoire de leur amitié, se voulut secourable envers sa nièce.— Mme Bennett restera avec vous ce soir, Suzannah, et je m'occuperai de toutes les formalités.Lorsqu'il discuta de cette histoire avec son épouse, plus tard dans la soirée, celle-ci se demanda ce qu'il allait advenir de la malheureuse Suzannah.— Oh, c'est une fille sensée. Je suis sûr qu'elle trouvera du travail. Déjà, elle est logée, ce qui représente un avantage. Je ne serais pas étonné qu'ils essayent de faire quelque chose pour elle, au manoir.Presque tout le village assista à l'enterrement. Mabel Lightfoot n'y avait que des amis et leurs témoignages de sympathie furent un véritable réconfort pour Suzannah. Plusieurs personnes lui proposèrent même l'hospitalité, mais elle refusa. A quoi bon retarder le moment où elle se retrouverait seule, avec le chat Horace pour tout compagnon? La vie l'avait déjà rudement éprouvée en la privant de ses parents. Par expérience, Suzannah savait que le chagrin s'effaçait d'autant plus vite qu'on assumait la vie avec ses difficultés et ses réalités. De retour dans la maison vide, elle prit un repas léger, sans oublier le chat, et alla se coucher. Mais elle ne put empêcher quelques larmes de rouler sur l'oreiller avant qu'elle ne s'endorme.Les premières journées de solitude se révélèrent pénibles. Il avait fallu que sa tante disparaisse pour que Suzannah prenne conscience de la vraie place qu'elle occupait dans sa vie. Le temps lui pesait tellement qu'elle s'obligeait à l'occuper d'une façon ou d'une autre, par de longues heures de jardinage, ou des rangements frénétiques dans la maison. Mais le soir venu, quand elle s'asseyait dans un fauteuil au salon, s'ajoutait à son chagrin une question lancinante : comment trouver du travail, et où? Ses maigres économies ne

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l'autorisaient pas à rester oisive longtemps, il lui fallait un emploi, et vite. Au village circulait une rumeur selon laquelle Mlle Smythe, l'institutrice, chercherait une assistante. Pourquoi ne pas lui proposer ses services? Après tout, Suzannah possédait un bon niveau d'éducation. Oui, dès le lendemain, elle irait la voir! Rassérénée, la jeune femme monta se coucher. Il s'était alors écoulé une dizaine de jours depuis le décès de tante Mabel.Suzannah se leva de bonne heure. Plus matinal que d'habitude, lui aussi, le facteur était déjà passé. Parmi les lettres glissées dans la boîte, l'une émanait du manoir, une simple note qui la priait de bien vouloir s'y rendre dans la matinée. Que pouvait-on lui vouloir?Peut-être allait-on lui proposer un emploi? Malgré elle, un espoir irrépressible naquit en Suzannah. Sans perdre une seconde, elle déjeuna, se prépara et se dirigea vers le manoir. Ce fut Grimm, le maître d'hôtel, qui répondit à son coup de sonnette à la porte de service. Après l'avoir saluée, il la conduisit directement aux appartements privés, où elle attendit seule quelques instants dans une antichambre avant d'être de nouveau escortée par Grimm jusqu'au cabinet de travail de sir William.Contre toute attente, ce ne fut pas lui que Suzannah trouva assis derrière le somptueux bureau en ronce de noyer, mais sa nièce, une jeune femme de vingt-cinq ans. Pour l'avoir déjà rencontrée en plusieurs occasions, Suzannah n'éprouvait pas de réelle sympathie à son égard, opinion que son attitude présente ne fit que renforcer. En effet, ignorant superbement la présence de sa visiteuse, Laura Davinish — car tel était son nom — continua d'écrire comme si de rien n'était. Une éternité sembla s'écouler avant qu'elle ne se décide enfin à lever les yeux. Son regard, d'un bleu étonnant, contrastait de façon saisissante avec ses cheveux de jais. D'ailleurs, il aurait fallu une bonne dose de mauvaise foi pour ne pas admettre que Laura, grande, élancée, toujours très chic, possédait autant de charme que de classe. Elle salua Suzannah d'un un air détaché.— Ah, bonjour. Mon oncle étant souffrant, c'est moi qui le remplace. Je ne vous retiendrai pas longtemps. Vous ne devez pas ignorer, j'imagine, que Mlle Smythe va se faire aider prochainement d'une assistante. Elle va prendre ses fonctions d'ici une quinzaine de jours. Comme elle sera logée dans le pavillon, il faudrait que vous l'ayez libéré d'ici là.La nouvelle causa un choc terrible à la jeune fille. Et dire qu'elle espérait un emploi !

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— Justement, j'envisageais de postuler pour cette place.— C'est trop tard, le poste est pourvu. Autant vous le dire tout de suite, Suzannah, ne comptez pas sur nous pour vous fournir un emploi. J'estime que Sir William s'est montré déjà bien trop accommodant. A mon avis, nous avons largement payé notre dette envers votre tante. De plus, j'ai décidé de réduire le personnel du manoir. Mais je suis certaine que vous vous débrouillerez très bien, ajouta-t-elle avec un sourire sans chaleur. Voilà, la question me paraît réglée. Au revoir, Suzannah.Sans un mot, la jeune femme quitta la pièce. C'était un rêve! Un mauvais rêve! Et pourtant, non... Il fallait bien se rendre à l'évidence : non seulement on ne lui avait pas proposé d'emploi, mais on lui retirait son logement. Ebranlée, Suzannah se dirigea vers la sortie, tel un automate. Ses préoccupations étaient telles qu'elle ne remarqua même pas la présence du Pr Bowers dans la galerie. Elle l'aurait croisé sans le voir s'il ne l'avait retenue par le bras.— Tiens donc, mademoiselle Lightfoot, décidément, nous nous rencontrons souvent. A croire que le hasard nous pousse l'un vers l'autre...Mais Suzannah n'était pas d'humeur à badiner. Lorsqu'elle leva vers lui ses grands yeux gris, la détresse qu'il y lut l'alarma.— Qu'y a-t-il? Vous n'êtes pas malade, au moins? Suzannah se dégagea d'un geste brusque et s'en alla sans daigner lui répondre. Arrivée au cottage, elle fulminait. Qu'on la laisse donc en paix! Elle avait besoin de réfléchir, d'être seule pour faire le point.Quant au professeur, le premier instant de surprise passé, il se dirigea vers le cabinet de travail. Quelque chose de grave avait bouleversé Suzannah Lightfoot, et il était bien déterminé à savoir de quoi il s'agissait. Sans doute Laura pourrait-elle le renseigner.En le voyant entrer, la jeune femme le gratifia de son sourire le plus charmeur.— Je viens de croiser la jeune personne qui travaille ici comme guide. Elle avait une mine épouvantable.— Ah, tu veux parler de la nièce de cette femme qui logeait au pavillon. Je lui ai demandé de libérer les lieux, j'ai besoin de la maison pour la nouvelle assistante de Mlle Smythe.— Tiens donc... A-t-elle un endroit où aller?— Comment le saurais-je? Elle est jeune, certainement débrouillarde : elle trouvera bien quelque chose. De toute façon, il n'y a plus de travail pour elle ici, je réduit le personnel chargé des

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visites au strict minimum. Mlle Smythe va dorénavant se charger seule des visites.— Ton oncle est-il au courant de tout cela?— Ecoute, Guy, à son âge, je ne vais pas l'importuner avec ce genre d'histoire. Dès que j'aurai un moment, j'écrirai à père pour l'informer de ces changements.— Crois-tu qu'il t'approuvera? Laura sourit.— Même s'il n'est pas d'accord, quelle importance? Il est à l'autre bout du monde. Et si nous parlions d'autre chose, Guy ? Que dirais-tu par exemple de m'emmener à Hungerford? Nous pourrions y déjeuner ensemble.— Désolé, mon travail m'attend. J'étais simplement venu voir ton oncle avant de partir.— Quel dommage! J'espérais que tu resterais quelques jours parmi nous..:Elle s'interrompit pour déposer sur sa joue un baiser qui sembla le laisser indifférent. Puis elle ajouta :— Nous nous reverrons bientôt, j'espère?— Sans aucun doute. Au revoir, Laura.De retour chez les Warren, le professeur fit ses adieux à la famille, déposa sa valise dans le coffre de la Bentley et se mit en route. Mais il n'alla pas très loin, puisqu'il s'arrêta devant le portail d'entrée du manoir, descendit de voiture et frappa à la porte du pavillon.Pas de réponse...Assise à la table de la cuisine devant une feuille de papier, Suzannah avait dressé la liste de tout ce qu'elle aurait à faire en vue du déménagement. A présent, elle réfléchissait au problème le plus crucial de tous : vers quel genre d'emploi s'orienter? Le choix, hélas, était limité. Gouvernante? On ne devait plus guère en demander de nos jours. Sans doute lui faudrait-il se contenter d'un travail d'employée de maison chez un particulier ou dans un hôtel, ou de serveuse dans un restaurant. Rien de bien réjouissant...La jeune femme en était là de ses pensées lorsqu'elle aperçut le Pr Bowers sur le seuil.— Qu'est-ce que vous faites ici? Et que me voulez-vous, d'abord?Sous le coup de la surprise, et sans doute de la fatigue, le chagrin contre lequel elle avait lutté ces derniers jours la submergea. Sans qu'elle puisse les retenir, des larmes roulèrent sur sa joue.— Allons, calmez-vous, je vous en prie. Tenez, prenez mon

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mouchoir pour sécher vos larmes.Il lui tendit un mouchoir de batiste avec un sourire encourageant. Honteuse de s'être laissée aller, Suzannah obéit. Que lui voulait-il ? Allait-il enfin lui expliquer ce qui pouvait bien justifier sa visite?— J'ai parlé avec Laura qui m'a expliqué sa décision de se séparer de vous... Ainsi, vous devez quitter cette maison ?— Oui... J'ai quinze jours pour libérer les lieux. Vous comprendrez que je ne peux vous retenir. J'ai tant de choses à organiser!Elle se leva, signifiant ainsi qu'elle désirait le voir partir. Sa sécheresse fit froncer les sourcils au Pr Bowers.— Mlle Davinish m'a appris que vous n'aviez plus d'emploi. J'aurais peut-être pu vous aider mais visiblement, vous n'y tenez pas. Tant pis. Au revoir, mademoiselle.Sur ces mots, il se leva et partit, suivi par le regard hostile de Suzannah.

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2.

Quelle sotte elle était d'avoir laissé passer sa chance! Elle avait beau ne pas apprécier le Pr Bowers, cet homme s'était proposé de l'aider. Et Dieu sait si Suzannah avait besoin d'aide ! Dommage qu'il ne soit pas resté un peu plus longtemps, le temps que cesse cette stupide crise de larmes et que lui revienne un peu de bon sens. D'autant que le professeur ne méritait pas son antipathie. Après tout, il s'était montré très gentil lors de sa visite à tante Mabel.De son côté, le Pr Bowers faisait route sur Londres où l'attendait son travail. Son après-midi commença par une délicate opération à l'hôpital, après quoi il reçut une douzaine de patients en consultation à son cabinet. Bref, un emploi du temps chargé, comme à son habitude, qui ne le libéra que vers 20 heures.De retour chez lui dans son élégante résidence du quartier de Belgravia, il dîna puis se retira dans son bureau pour prendre connaissance de son courrier. Mais la tâche n'avançait guère, car entre les lignes et lui s'interposait régulièrement l'image d'une jeune femme dont les cheveux roux encadraient le visage en colère : Suzannah...De guerre lasse, il jeta les lettres dans une corbeille, et allait s'emparer du téléphone quand celui-ci sonna.C'était Laura Davinish, une Laura très spirituelle qui réussit à le détendre en le faisant rire, et parvint même à lui arracher la promesse de passer le week-end suivant au manoir.A l'image de la veille, sa journée du lendemain fut longue et chargée. Le Pr Bowers ne quittait jamais l'hôpital sans être passé voir chacun de ses malades. Il venait de sortir de la chambre du dernier d'entre eux et donnait ses instructions à Ned Blake, l'interne qui l'accompagnait, quand il s'arrêta net.— Mais bien sûr! Comment n'y avais-je pas songé plus tôt?— Un changement dans le traitement? questionna Ned.— Non, non, rien à voir avec notre patient. Surtout, ne modifiez rien. J'essaierai d'arriver tôt demain matin. N'hésitez pas à me téléphoner au moindre problème.Là-dessus, le professeur rentra chez lui, et alla aussitôt s'enfermer

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dans son bureau, où il décrocha le téléphone.Une voix âgée, pourtant pétillante d'énergie, lui répondit.— Ah, mon cher Guy, quel bonheur de t'entendre. Aurons-nous bientôt le plaisir de te voir?Le professeur, de sa voix profonde, parla pendant quelques minutes, puis son interlocuteur répliqua :— D'accord, mais que veux-tu au juste que nous fassions?— Eh bien voilà..., expliqua-t-il.Le rangement de ses affaires demanda plusieurs jours à Suzannah. Les rares objets de valeur laissés par sa tante Mabel furent soigneusement emballés dans des cartons qu'elle apporta à la poste, Mme Coffin lui ayant en effet proposé de les mettre en sûreté dans son grenier. Quant au mobilier, la nouvelle institutrice, venue visiter le pavillon, avait été ravie de le lui acheter. Il était certes un peu démodé, mais toujours en excellent état. Le reste, qui consistait en quelques objets d'une valeur purement sentimentale et de divers vêtements, la jeune femme l'avait promis à différentes connaissances du village.Cette tâche, aussi longue et fastidieuse fût-elle, ne l'empêchait pas de chercher un emploi. Suzannah répondait à toutes les annonces susceptibles de lui fournir à la fois un toit et un travail. Hélas, les quelques réponses qu'elle reçut stipulaient invariablement que les animaux domestiques n'étaient pas acceptés. Lui faudrait-il abandonner Horace? Suzannah ne parvenait pas à s'y résoudre. N'était-il pas le seul lien qui la rapprochait de tante Mabel? Elle décida donc de faire paraître une annonce dans laquelle elle proposait ses services sous réserve d'être logée et d'avoir la possibilité de garder son chat. Une fois le texte rédigé, Suzannah se rendit à la poste.Quand Mme Coffin apprit quel était le contenu de son annonce, son visage s'éclaira.— Inutile de la poster, Suzannah ! Il y a quelque chose d'intéressant pour toi dans le journal. Viens voir...Elle la fit passer derrière le guichet et ouvrit le journal à la page des offres d'emploi.— Regarde. Exactement ce qu'il te faut. Le cœur battant, Suzannah lut l'annonce.« Recherche personne sérieuse, d'un bon niveau d'éducation, pour trier et classer anciens documents de famille. Emploi de deux à trois mois. Logement sur place possible. Animaux domestiques tolérés.

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Références indispensables. Adresser lettre manuscrite à... »Suivait le numéro d'une boîte postale.C'était trop beau pour être vrai...Sur l'insistance de Mme Coffin, Suzannah, installée dans une pièce à l'arrière du bureau, répondit séance tenante à cette offre inespérée.Les jours passèrent. La jeune femme avait beau ne pas s'illusionner sur l'hypothèse d'une réponse, un sentiment de déception la gagnait chaque matin, en ouvrant sa boîte aux lettres. Au matin du quatrième jour, elle se leva tôt, décidée à faire paraître sa propre annonce. Mais alors qu'elle s'apprêtait à partir, le facteur lui fit signe de la main. Plusieurs enveloppes! L'une, portant un tampon de Marlborough, l'intéressa plus que les autres. C'était celle qu'elle attendait!Malgré son impatience, Suzannah l'ouvrit sans hâte. En quelques lignes tracées d'une écriture légèrement tremblante, la lettre accusait réception de son courrier et la priait de bien vouloir se rendre le surlendemain à une adresse précise, en vue d'un entretien. Ses frais de transport, lui précisait-on, lui seraient remboursés. Le message était signé du nom d'Editha Manbrook.Enfin un espoir! Suzannah n'en croyait pas ses yeux. Mais pas de réjouissance prématurée, la partie n'était pas encore gagnée!Son petit déjeuner avalé, la jeune femme se rendit au village poster sa réponse et partager la bonne nouvelle avec Mme Coffin.Une question préoccupait Suzannah : comment s'habillerait-elle pour son rendez-vous? L'inspection de sa maigre garde-robe l'amena à une conclusion rapide : ce serait son tailleur en tweed gris. Certes, il commençait à dater un peu mais c'était la seule tenue appropriée à la circonstance. A son avis, il lui donnait l'air sérieux, un détail qui devait compter dans le choix d'un employé. Et Suzannah était décidée à mettre toutes les chances de son côté. D'ailleurs, pour s'assurer de sa bonne présentation, elle essaya le tailleur avec ses chaussures noires, ses gants et son sac en cuir, et examina soigneusement son reflet dans le miroir, sous l'œil indifférent d'Horace.Le jour J, Suzannah déjeuna plus tôt que de coutume.Le rendez-vous, fixé à 14 heures dans la petite commune de Ramsbourne St Michael, l'obligeait à prendre un premier autocar jusqu'à Marlborough, puis une correspondance pour Avebury.Dans le village, on lui indiqua où se trouvait Ramsbourne House, l'adresse du rendez-vous. Une dizaine de minutes de marche sur un

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chemin de campagne conduisirent Suzannah devant l'imposant portail de la propriété. Après l'avoir franchi, elle emprunta une allée en demi-cercle et découvrit bientôt une jolie demeure de style Régency, dont la façade blanche était percée de fenêtres à guillotine.Une domestique d'âge mûr répondit à son coup de sonnette. Quand Suzannah lui eut exposé l'objet de sa visite, elle lui sourit et la fit entrer.— Suivez-moi, je vous prie. Vous allez patienter quelques instants ici.Sur ces mots, elle lui ouvrit une porte et s'effaça pour la laisser passer.A la grande surprise de Suzannah, quatre jeunes femmes étaient déjà installées dans la pièce. A leur mise soignée, elle comprit immédiatement qu'il s'agissait d'autres candidates. Elle n'avait pas imaginé une seconde qu'elle ne serait pas seule à vouloir ce poste! Des concurrentes... Voilà qui réduisait singulièrement ses chances.Après avoir murmuré un bonjour un peu tardif, Suzannah alla prendre place sur une chaise puis attendit. Comme elle regrettait de n'avoir pas fait paraître son annonce trois jours plus tôt... Peut-être lui aurait-on déjà adressé des propositions. Que de temps perdu!Résignée, Suzannah vit disparaître une à une les candidates dans la pièce attenante, où elles étaient reçues. Quand la dernière jeune femme reparut, elle lui adressa un petit signe de tête.— C'est à vous, on vous attend.Suzannah, après un petit coup frappé à la porte, entra. A son regard s'offrait un salon spacieux, abondamment meublé, dont il se dégageait une atmosphère très chaleureuse. Deux vieilles dames étaient assises de part et d'autre d'un bon feu de bois. Sans un mot, elles regardèrent Suzannah s'avancer dans leur direction sur le parquet ciré. Quand elle fut assez près, la jeune femme leur souhaita le bonjour, puis, poliment, attendit.L'une des vieilles dames prit sa lettre sur une table et la parcourut.— Suzannah Lightfoot, n'est-ce pas? Un bien joli nom. Voyons, mademoiselle Lightfoot, que savez-vous sur le classement des documents?— Je dois avouer que je n'en ai jamais fait jusqu'à maintenant. Mais à mon avis, cela doit demander surtout du bon sens et de la patience. J'aime les livres en général et les vieux documents, et j'aurais beaucoup de plaisir à faire ce travail.L'autre vieille dame prit la parole.

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— Je relève dans l'une de vos lettres de référence qu'on vous a offert une place à l'université de Bristol pour y enseigner la littérature anglaise. Et cependant, vous ne l'avez pas mentionné dans votre réponse à l'annonce.Comme Suzannah ne commentait pas sa remarque, elle ajouta :— La modestie est une qualité louable de nos jours. A notre avis, mademoiselle Lightfoot, vous convenez tout à fait pour le poste que nous proposons. Il se peut en revanche que vous trouviez le salaire un peu maigre, mais nous vous rappelons que vous serez logée.Elle annonça une somme qui, bien que modeste, dépassait largement les espérances de Suzannah.— Ce salaire me satisfait.— Eh bien, dans ce cas, tout est pour le mieux. Vous pourriez commencer... disons, d'ici quatre jours ?Puisque vous serez chargée, et que je crois me souvenir que vous possédez un chat, nous vous ferons chercher en voiture, ce sera plus pratique. Nous avons votre adresse, n'est-ce pas? Elle regarda sa compagne.— Tu es d'accord, Amelia?Et comme cette dernière acquiesçait, elle ajouta :— Nous allons vous faire visiter votre logement avant que vous ne partiez.La domestique se présenta au premier coup de sonnette. Elle entraîna la jeune femme le long d'un couloir au bout duquel une porte donnait à l'extérieur, sur une petite cour où s'alignaient les dépendances. Il y avait des garages, ainsi que plusieurs bâtiments dont l'un avait dû être jadis une écurie. La domestique l'accompagna jusque de l'autre côté de la cour et ouvrit une porte. C'était là qu'habiterait Suzannah! Le logement se composait d'un petit hall d'entrée, d'une pièce principale, assez spacieuse, pourvue d'une cheminée victorienne ainsi que d'un coin-cuisine, et enfin d'une salle de bains. Moquette, coquettement meublé, l'ensemble offrait une impression tout à fait plaisante. Et en plus, l'une des fenêtres jouissait d'une vue délicieuse sur la campagne.— C'est très agréable! s'exclama Suzannah avec un sourire de contentement. Comment vous appelez-vous? demanda-t-elle à sa compagne.— Mary Parsons, mademoiselle. Rassurez-vous, vous ne serez pas seule ici. La plupart du personnel est logé dans des chambres de ce côté de la maison.

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— Oh, je suis sûre que je vais beaucoup me plaire ici. Je viendrai m'installer d'ici quatre jours, je pense. Mlle Manbrook...— Lady Manbrook, mademoiselle.— Oh, j'ignorais. Lady Manbrook ne m'a pas précisé quand on viendrait me chercher.— M. Snow vous le fera savoir. C'est le maître d'hôtel, il est en congé aujourd'hui.— Très bien. Et qui est l'autre dame? s'enquit Suzannah, sur le point de partir.— C'est Mme van Beuck, la sœur de Lady Manbrook. Elles sont veuves l'une et l'autre.— Je vous remercie pour tout, Mary. Je vais m'en aller, à présent.Les deux femmes se dirent au revoir, et c'est le cœur léger que Suzannah rejoignit l'arrêt de l'autocar sur la grand-route. Enfin, la chance lui souriait...Au village, la bonne nouvelle fit la joie de tous, et certains même lui offrirent un cadeau de départ. Pour Mme Coffin, ce fut un panier en osier à l'intention d'Horace, pour le Dr Warren et son épouse, un bel édredon piqué. Quant à Mlle Smythe, elle arriva un jour avec un superbe géranium rouge. A tous, Suzannah fit ses adieux puis elle rassembla les dernières affaires qui lui restaient au cottage, et, obéissant aux instructions de la lettre de M. Snow, se tint prête à 10 heures le jour convenu.Quel dommage que personne ne fût là pour la voir partir, pensa-t-elle à la vue de la superbe Daimler ancien modèle qui s'arrêta devant le pavillon. Il en descendit un chauffeur d'une cinquantaine d'années, portant avec distinction une livrée anthracite.Au salut de Suzannah, il répondit de façon amicale et ajouta :— Je m'appelle M. Croft, mademoiselle. Je vais ranger vos bagages dans le coffre.Puis, apercevant le museau d'Horace par la fenêtre de son panier :— Ah, je vois que vous avez un chat. On le mettra sur la banquette arrière. J'espère qu'il ne sera pas malade pendant le trajet.Son épouse était affectée au service de Lady Manbrook, apprit-il à Suzannah chemin faisant. Comme la plupart du personnel, ils étaient employés de longue date à Ramsbourne House. Pour leur part, cela faisait plus de vingt-cinq ans qu'ils y travaillaient.Suzannah éprouvait une certaine anxiété à l'idée de rencontrer M. Snow, ce en quoi elle s'aperçut rapidement qu'elle avait tort. Certes, c'était un homme plein de dignité, et qui distribuait ses sourires

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avec parcimonie, néanmoins, elle ne ressentit aucune froideur de sa part. Ce fut lui qui lui remit la clé de son nouveau logement, dans lequel Horace et ses bagages furent déposés. Après quoi, on demanda à Suzannah de se présenter dans un délai d'une demi-heure dans le hall d'entrée afin d'être conduite chez Lady Manbrook.Ponctuelle au rendez-vous, la jeune femme fut introduite dans le salon où s'était déroulé le premier entretien avec les deux vieilles dames.— Bonjour, mademoiselle Lightfoot, lui dit Lady Manbrook. Venez donc vous asseoir. M. Snow, apportez-nous du café, s'il vous plaît. Nous déjeunerons une demi-heure plus tard que d'habitude afin que mademoiselle Lightfoot ait le temps de s'installer.A pas feutrés, le maître d'hôtel se retira.— Quand nous aurons bu notre café, M. Snow vous montrera l'endroit où vous travaillerez, poursuivit Lady Manbrook. Les documents à classer sont réunis dans l'un des greniers, dans des coffres. Vous verrez, ils sont très divers... et très nombreux, ajouta-t-elle avec un sourire. Tout ce que nous vous demandons, c'est de les trier grossièrement, puis, de les classer par catégorie — factures, agendas, lettres, ainsi de suite — chronologiquement, et enfin de les répertorier.— Y a-t-il des documents confidentiels?— Je ne pense pas, répondit Mme van Beuck, mais si c'était le cas, je vous demanderais de nous en informer. Ah, voilà notre café...— Nous déjeunerons à 13 h 30, intervint de nouveau Lady Manbrook. Naturellement, vous vous joindrez à nous.Suzannah la remercia chaudement, puis, une fois son café avalé, elle prit congé. M. Snow l'attendait dans le hall, comme convenu. Ensemble, ils montèrent jusqu'au deuxième étage, et, après avoir longé un couloir, gravirent encore un niveau, cette fois par un escalier en colimaçon très étroit. Puis M. Snow poussa une porte et, cérémonieusement, invita la jeune femme à pénétrer dans le grenier, ou plutôt, les greniers. Car il y en avait plusieurs, courant le long de la maison, reliés les uns aux autres par des voûtes. C'est dans le deuxième que se trouvaient les coffres, des malles volumineuses en cuir brun, comme on les aimait au siècle dernier. Avec l'aide de M. Snow, Suzannah en ouvrit un et, agenouillée à même le sol, en inspecta le contenu : paquets de lettres, agendas, carnets, imprimés. Tout y était entassé dans un beau désordre.

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— Lady Manbrook m'a dit que vous me montreriez où je peux m'installer, monsieur Snow. Mais je pense faire le tri des documents ici même. C'est bien éclairé, et la place ne manque pas. Quand la masse des documents aura été dégrossie par le tri, je les porterai là où je travaillerai à les répertorier.— Comme il vous plaira, mademoiselle. Je vais faire apporter une table, une chaise et tout ce dont vous pourriez avoir besoin. Apparemment, il semble qu'il y ait beaucoup de travail.— C'est aussi mon avis, approuva gaiement Suzannah, mais j'ai la conviction que je ne vais pas m'ennuyer.Ils redescendirent l'escalier en colimaçon, et M. Snow lui présenta la pièce dont elle disposerait : claire, bien aérée, équipée d'un vaste bureau et d'un fauteuil, elle possédait en outre une cheminée où, lui précisa-t-il, du feu serait allumé quand Suzannah y travaillerait.En comparaison, sa chambre quand elle y retourna lui parut bien petite, mais résolument douillette et agréable - Horace avait élu domicile sur la chaise la plus confortable, où il somnolait, paupières mi-closes. Une fois ses effets rangés, la jeune femme lui donna à manger, le sortit pendant quelques instants, puis après s'être rafraîchi le visage, regagna la maison pour le déjeuner.Le repas fut servi dans une grande salle à manger richement meublée, comme l'était le salon. Et si au début, le faste de la table intimida un peu Suzannah, elle ne tarda pas à s'y sentir à l'aise, car les deux vieilles dames se montraient tout à fait charmantes à son égard. Le café terminé, elle ne s'attarda cependant pas. Un coup d'œil dans la chambre pour s'assurer qu'Horace était bien acclimaté à son nouvel environnement, et la jeune femme rejoignit le grenier.La tâche à accomplir paraissait colossale, mais certes pas dénuée d'intérêt. Suzannah se mit à l'œuvre...M. Snow la trouva absorbée dans son travail lorsqu'il parut, plus tard dans l'après-midi, un plateau de thé à la main.— Oh, monsieur Snow, il ne fallait pas vous donner la peine de monter. J'aurais pu descendre. A vrai dire, je n'ai pas vu le temps passer, confessa Suzannah avec un sourire.M. Snow considéra les piles de documents alignées derrière elle.— J'imagine... Ce n'est pas grand-chose que de vous apporter une tasse de thé. Au fait, je vous précise que ces dames dînent à 20 heures.— Mais je ne prendrai pas ce repas avec elles ?— Si, mademoiselle, naturellement. En revanche, elles conçoivent

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tout à fait que vous ne souhaitiez pas interrompre votre travail pour les rejoindre à l'heure du thé. Quant au petit déjeuner, elles ont l'habitude de le prendre au lit. Le vôtre vous sera servi à 8 heures dans la salle de l'office.— Bien, monsieur Snow, je vous remercie.Sur un discret signe de tête, le maître d'hôtel se retira, la laissant déguster son thé et les délicieux petits sablés qui l'accompagnaient.19 heures. Le coffre était vide. Son contenu, réparti en piles bien nettes, occupait près de la moitié de la surface du grenier. Demain, Suzannah classerait chaque pile par ordre chronologique, en commençant par ce qui lui semblait le plus facile : les coupures de journaux. Elle accomplirait le même travail avec les deux autres coffres, puis réunirait les documents de même nature. Des semaines de labeur en perspective, car ensuite, il lui faudrait tout répertorier.De retour dans sa chambre, la jeune femme n'eut qu'à jeter une allumette dans la cheminée pour allumer un bon feu, car une bonne âme y avait disposé bûches et brindilles. Aussi, une douce température régnait dans la pièce lorsqu'elle sortit de son bain, un peu plus tard. Un détail tracassait Suzannah : elle ne possédait aucune tenue convenable pour dîner, hormis une robe bleu marine en jersey de laine, qui commençait à être un peu fanée. Si Suzannah ne voulait pas trop déparer dans l'opulente salle à manger de Lady Manbrook, il lui faudrait songer à la remplacer avec ses premiers appointements.Dieu merci, la modestie de sa robe ne sembla pas choquer les deux vieilles dames. Et quoique plus long que le déjeuner, le dîner en leur compagnie se révéla tout aussi plaisant.Dans sa chambre, le feu brûlait toujours lorsqu'elle y remonta, et Horace, allongé de tout son long devant l'âtre, offrait l'image même d'un chat comblé. Suzannah aussi était satisfaite. Dans le placard de la cuisine, elle choisit parmi l'assortiment de thé qui s'y trouvait un mélange à la rose qu'elle but près d'Horace, devant la cheminée. Et c'est à la lueur réconfortante des braises qu'elle s'endormit peu après, enfouie sous son joli édredon piqué.Suzannah s'acclimata rapidement à la vie calme et confortable de Ramsbourne House. Personne ne lui ayant fixé d'horaire, elle décida elle-même de son rythme de travail : de 9 heures du matin jusqu'au déjeuner, et l'après-midi avec un thé pour toute interruption, jusqu'au gong de 19 heures. Bref, des journées bien remplies qui lui laissaient peu de moments de liberté. Mais sa nouvelle vie lui

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plaisait, cela ne la gênait pas outre mesure. Néanmoins, à l'occasion, il lui faudrait demander une demi-journée par semaine afin de pouvoir effectuer de menus achats à Marlborough.Quant à son travail, il avançait sensiblement. Les monceaux de lettres, de coupures de journaux, de vieilles photographies commençaient à s'agencer.Certains étaient vraiment très anciens, mais toute la délicatesse de la tâche reposait dans leur diversité. Lettres manuscrites, factures, reçus, notes de couturières, cartons d'invitation... Leur nature variait presque à l'infini. Il fallait une bonne dose de patience et de méthode pour ne pas tout mélanger. Mais Suzannah n'en était pas dépourvue. Depuis une semaine qu'elle avait commencé, les trois coffres étaient triés par piles. Ce soir, elle annoncerait la nouvelle à Lady Manbrook... et profiterait de l'occasion pour aborder la question de ses horaires.Hélas, Mme van Beuck ne lui en laissa pas le temps.— Nous comptons sur vous pour nous accompagner à l'église dimanche, n'est-ce pas? lui dit-elle. Nous avons un excellent curé, vous verrez. Trouvez-vous devant la maison à 10 h 30 précises, vous viendrez avec nous en voiture.Sur ces mots, elle se tourna vers sa sœur qui lui adressa un hochement de tête discret en souriant. Alors, Mme van Beuck enchaîna :— Nous voulions vous demander... Verriez-vous un inconvénient à ce que nous vous appelions par votre prénom ?— Pas du tout, au contraire ! Personne ne m'a jamais appelée Mlle Lightfoot. Enfin... presque.Bizarrement, elle se rappela la façon dont le Pr Bowers prononçait son nom de famille, avec cette pointe de raillerie dans la voix.Il était difficile après cela de soulever le problème de son jour de liberté. Tant pis, ce serait pour une autre fois... D'autant que cela faisait une semaine à peine que Suzannah travaillait. Et puis, elle se plaisait beaucoup dans son petit studio, et tout le monde lui témoignait tant de gentillesse... M. Snow, par exemple, aussi austère qu'il parût, gâtait honteusement Horace. Régulièrement, il lui apportait des morceaux de choix prélevés à la cuisine.Restait cependant un problème, et pas des moindres... Quand Suzannah serait-elle payée? Ses réserves étaient on ne peut plus limitées. Peut-être Lady Manbrook comptait-elle lui verser son salaire à la fin seulement de sa mission ? Enfin, inutile de

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se tracasser à l'avance, elle aviserait suivant les circonstances.Le dimanche matin arriva. Plutôt que d'emprunter la voiture pour se rendre à l'église, Suzannah aurait de beaucoup préféré y aller à pied. Mais il n'était pas question de faire faux bond à ses deux hôtesses. Elle prit donc place à leur côté sur la banquette en cuir de la Daimler qui les mena jusque devant le parvis de l'église. A en juger par les regards qu'on leur jeta lorsqu'elles y entrèrent, les deux vieilles dames devaient jouir d'une certaine notoriété au village. D'ailleurs, quand le service fut achevé, elles présentèrent Suzannah au curé, ainsi qu'à différentes personnes de leur connaissance.A la table du déjeuner, Lady Manbrook engagea la conversation sur le travail de Suzannah.— Ce que vous nous en avez révélé a aiguisé notre appétit, Suzannah. Nous aimerions bien en savoir davantage. Voyons, si vous preniez le thé avec nous cet après-midi, vous pourriez apporter ces vieux carnets de bal dont vous nous avez parlé. Qu'en dites-vous? Ce serait amusant de les lire ensemble.— C'est que... je n'ai pas encore fini de les classer.— Rapide et efficace comme vous l'êtes, je suis sûre qu'ils pourraient l'être avant l'heure du thé, non?Comment le nier devant le sourire de Lady Manbrook? Suzannah n'osa pas...Aussi, sitôt qu'Horace eut pris son repas, Suzannah monta au grenier. Les rayons du soleil filtraient par la lucarne. Il aurait fait si bon se promener dans la campagne par ce bel après-midi... Ce soir, sans faute, elle parlerait à Lady Manbrook de son horaire!Absorbée dans son travail de classement, la jeune femme n'entendit pas la porte s'ouvrir. Mais un bruit léger la fit se retourner. Là, devant elle, se tenait le Pr Bowers !— Tiens donc, quelle agréable surprise...Sa voix avait un accent enjôleur qu'elle n'aimait pas beaucoup.— Une surprise, oui, mais en ce qui me concerne, elle n'a rien d'agréable.Loin de le fâcher, la remarque au contraire le fit sourire.— Voilà ce qui s'appelle du franc-parler.Dans la tête de Suzannah, les questions se bousculaient : par quel étrange hasard était-il ici? Que venait-il faire à Ramsbourne House? Soudain, une crainte la saisit.— Lady Manbrook n'est pas malade, au moins? Ni Mme van Beuck? Tout à l'heure, au déjeuner, elles m'ont paru en très bonne santé.

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— Rassurez-vous, elles le sont. Mais dites-moi, comment se fait-il que je vous rencontre ici? Comment avez-vous trouvé cet emploi?— Par une annonce, répondit Suzannah de mauvaise grâce. Si vous voulez tout savoir, cela fait une semaine que je suis ici, et je m'y trouve fort bien... Et vous, qu'est-ce qui vous y amène?— J'ai été invité à venir prendre le thé. L'expression de Suzannah se chargea d'étonnement.— Ah bon? C'est extraordinaire que nous nous rencontrions de nouveau...— C'est bien mon avis. Après une pause, il ajouta :— Il n'est pas loin de 16 heures. Laissez donc vos vieux papiers et venez nous rejoindre dans le salon. Mais avant, je vous conseille d'enlever la toile d'araignée que vous avez dans les cheveux.Vexée, Suzannah porta machinalement la main à ses cheveux, avant de répliquer d'un ton sec :— Soyez sans crainte, je serai présentable.

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3.

Lorsqu'elle poussa la porte du salon, un spectacle charmant s'offrit au regard de Suzannah. La pièce était nimbée dans une douce lumière. Dans l'âtre crépitait un joyeux feu de bois qui dessinait un ballet d'ombres sur les murs et faisait étinceler l'argenterie disposée sur la table. Les deux vieilles dames y étaient assises de part et d'autre, à leur place habituelle. Quant au professeur, il était installé dans un fauteuil, visiblement très à son aise.Etait-il le médecin de famille, ou un ami intime? s'interrogea Suzannah. En tout cas, un familier de la maison.Courtoisement, il se leva et approcha un siège à son intention tandis que Lady Manbrook déclarait :— Je ne vous présenterai pas notre neveu, Suzannah, puisqu'il nous a dit qu'il vous connaissait déjà. Ah, vous avez apporté les carnets de bal. Nous les regarderons après le thé, vous voulez bien?Suzannah murmura un acquiescement. Le neveu... A présent qu'elle les voyait réunis là tous les trois, la ressemblance devenait frappante : ce nez aquilin qui leur donnait une allure aristocratique, ces yeux d'un même bleu, soulignés par une épaisse frange de cils. Elle prit place dans le siège qui lui était avancé et, tout en dégustant son thé, se livra à de silencieuses conjectures.Le professeur habitait probablement Londres, un médecin de sa compétence ne pouvait exercer que dans la capitale. Mais il devait être lié avec Laura Davinish. Sans doute même très lié. Il avait dû passer le week-end en sa compagnie et en avait profité pour faire une visite à ses tantes.Suzannah fut interrompue dans ses méditations par le professeur lui-même :— Votre travail vous plaît-il?— Beaucoup, je vous remercie.— Dans combien de temps pensez-vous avoir terminé de trier ces vieux papiers?— Oh, c'est difficile à dire. J'ai tout classé par ordre chronologique mais le plus délicat reste à faire... Les lettres en particulier, et les coupures de journaux sont d'origines très diverses. Elles demandent un classement supplémentaire.

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— Rien ne presse, intervint Mme van Beuck. Il semblerait qu'en une semaine, vous ayez déjà beaucoup progressé.— Surtout en travaillant le dimanche, murmura le professeur. Vous n'avez aucun jour de congé hebdomadaire ?— Ce travail me plaît beaucoup, vous savez, je...— Je n'en doute pas, mais un peu de temps libre n'a jamais fait de mal à personne. Je serais bien étonné que mes tantes trouvent à redire au fait que votre classement vous demande quelques jours de plus. N'est-ce pas? conclut-il en se tournant vers les deux vieilles dames.Lady Manbrook eut l'air vivement embarrassé.— Ma chère Suzannah, quelles étourdies nous faisons! Naturellement, vous devez disposer de quelques heures. Voyons, Guy, que proposes-tu?Sans consulter Suzannah — sans même un regard pour elle! —, il répondit :— Oh, disons un jour par semaine. Et le reste du temps, les horaires classiques de bureau. 9 heures, midi; 14 heures, 18 heures.Quel toupet! Monsieur régissait tout sans même prendre son avis à elle, intéressée au premier chef! Suzannah lui décocha un regard furibond qui ne parut pas le troubler. Tout de même, il lui demanda par pure formalité :— Ce rythme vous convient?Ah, il eût été tentant de répondre par la négative, et sans doute Suzannah l'aurait-elle fait si elle n'avait craint de froisser Lady Manbrook.— Tout à fait, professeur, je vous remercie. C'est très gentil à vous de vous inquiéter de ce détail, dit-elle d'un ton suave.— Je ne pense pas être spécialement gentil, mais j'essaie d'être juste.Juste, peut-être, mais impoli, à coup sûr! Pour clore la discussion, Suzannah prit les carnets de bal et invita ses deux hôtesses à les examiner.Le temps dès lors passa très vite. Pour les deux sœurs, chaque carnet était l'occasion de s'attendrir sur une parente défunte... ou au contraire, de se rappeler les travers d'une autre.— Ah, Emily Wolferton, la grand-mère de Laura... Le cœur sur la main, mais gare à celui ou celle qui contrariait ses désirs...Après une pause, Lady Manbrook s'adressa au professeur, témoin impassible de ces réminiscences.— J'espère, Guy, que Laura n'a pas hérité de son mauvais caractère?

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— Pas du tout... Tant qu'on ne contrarie pas ses désirs, répondit-il avec désinvolture.— Et naturellement, personne ne s'y risque, observa Mme van Beuck. Ce n'est pas William Davinish qui lui résisterait. A son âge, le malheureux n'aspire qu'à la paix et la tranquillité.Propos que le professeur s'abstint de commenter. Quand il parla, ce fut pour remarquer :— Suzannah aimerait peut-être disposer d'une heure ou deux avant le dîner. Quant à moi, il faut que je m'en aille, conclut-il après un coup d'œil à sa montre.— Déjà? se plaignit Lady Manbrook.— Oui, je dîne avec Laura ce soir.Sur ces entrefaites, Suzannah se leva et après s'être poliment excusée, prit congé. Le professeur la précéda à la porte du salon qu'il lui ouvrit. Pressé de la voir partir, songea la jeune femme. Cependant, il lui dit :— Dommage que nous n'ayons pas eu le temps de bavarder.— Je vois mal de quoi nous aurions pu bavarder. Il la considéra avec un sourire narquois avant de murmurer :— Avec vos cheveux, vous ressemblez plus à un lion qu'à un serpent, Suzannah, et pourtant, vous en avez la langue venimeuse... Bonsoir.Très digne, elle passa devant lui et se dirigea vers sa chambre, incapable de se rappeler dans son indignation si elle avait ou non répondu à son bonsoir.Le professeur la regarda s'éloigner. Quand elle eut disparu au bout du couloir, il haussa les épaules, agacé par l'intérêt qu'il lui portait, un peu malgré lui. Mettre sur pied cet emploi avec l'aide de ses tantes ne lui avait guère posé de difficultés. Mais pourquoi tant de sollicitude pour une personne qu'il connaissait à peine? Parce qu'il avait eu pitié de Suzannah, que Laura avait injustement traitée.Pendant ce temps, Suzannah, loin de se douter des pensées du professeur, venait d'arriver dans sa chambre. La colère grondait toujours en elle, au point qu'elle ne put s'empêcher de faire partager ses sentiments à Horace tout en préparant sa pâtée.— Ah, quel homme mal élevé, si tu savais... Il doit me mépriser pour agir ainsi à mon égard. C'est une vraie malchance que nous nous soyons rencontrés de nouveau.Pendant que sa maîtresse parlait, Horace se frottait contre ses jambes, davantage préoccupé par son repas que par les critiques.Un peu plus tard, ils effectuaient leur promenade habituelle dans le

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parc, et d'allée en allée, ils atteignirent le portail d'entrée de la propriété. Tout était calme à cette heure. Horace explorait l'herbe fraîche, s'arrêtant de temps à autre pour en savourer quelques brins. Ils venaient de quitter l'allée principale pour regagner la cour lorsque la Bentley en déboucha à bonne allure, juste sous le nez d'Horace. Sans un brusque coup de frein du professeur, qui sait ce qui serait advenu du petit animal...Dans un réflexe protecteur, Suzannah saisit l'animal apeuré dans ses bras.— On n'a pas idée de se promener sans lumière à la tombée de la nuit! Pour un peu, j'écrasais votre chat!— Vous êtes dans un parc, pas sur une autoroute ! Comment pouvais-je me douter que vous alliez surgir à quatre-vingts à l'heure?Il éclata de rire.— Si je roulais à quarante, c'est bien le maximum. J'espère en tout cas que cela vous servira de leçon.Les mots lui manquèrent pour répliquer tant elle était furieuse. D'ailleurs, il était déjà parti... Suzannah n'avait qu'un souhait : ne plus jamais revoir cet odieux individu !La deuxième semaine s'écoula, tranquille mais pas désagréable. Les deux vieilles dames semblaient avoir pris à cœur les suggestions de leur neveu. Elles ne manquaient pas en effet d'interroger Suzannah pour savoir si elle n'avait pas travaillé plus que prévu; et le samedi venu, elles lui offrirent de prendre un jour de congé.Suzannah s'en réjouit. Avec en poche son salaire de deux semaines, l'envie de dépenser un peu d'argent était grande. Pas question évidemment de faire des folies, l'avenir était trop incertain, elle ne pouvait se permettre de l'oublier. Mais il lui restait encore près d'un mois de travail. En limitant ses dépenses, elle parviendrait à se constituer un petit pécule. Elle revêtit donc son tailleur en tweed, et après fait ses adieux à Horace, alla prendre l'autocar pour Marlborough.Dès l'examen des premières vitrines, une conclusion s'imposa : l'acquisition d'une robe mettrait ses économies trop à mal. Suzannah choisit donc une solution moins coûteuse : elle acheta un coupon de lainage vert pour se confectionner une jupe et quelques pelotes de belle laine écrue pour un chandail. Après tout, puisqu'elle disposait tous les jours d'un peu de temps libre, autant le mettre à profit utilement. Après un déjeuner frugal dans un petit restaurant

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du centre-ville, elle effectua encore quelques menus achats et rentra. Le soir même, la jupe était taillée et bâtie. Il lui faudrait l'assembler à la main, mais tant pis. Suzannah eut la satisfaction de l'essayer devant le miroir de sa chambre avant de se préparer pour le dîner.Il n'y eut aucun signe du professeur durant la semaine qui suivit, ce qui n'était pas pour fâcher Suzannah. Les carnets de bal classés et répertoriés, elle travaillait maintenant sur les coupures de journaux; et à ses heures libres, elle cousait, tricotait, ou bien s'octroyait une petite promenade dans le parc. Un emploi du temps sans surprise mais dont la monotonie même lui donnait un sentiment de sécurité. Le samedi, la jeune femme retourna à Marlborough mais c'est à peine si elle dépensa de l'argent. L'angoisse de l'avenir se faisait de plus en plus oppressante. Plus que trois semaines, et son emploi serait terminé.Les lettres, lorsque Suzannah y travailla, se révélèrent fascinantes. Leur contenu était le plus souvent anodin. Mais dans le lot, il se trouvait un paquet d'enveloppes, liées par un ruban, qu'elle ouvrit avec une certaine hésitation pour le refermer aussitôt. La lettre commençait en effet par les mots « Mon amour », et il eût été indiscret de poursuivre. Le soir, avant le dîner, Suzannah descendit donc le paquet ainsi qu'un autre, assez semblable, à Lady Manbrook. Celle-ci les examina quelques instants d'un œil attendri.— Ces lettres sont de grand-tante Alice et de grand-oncle Humbert avant qu'ils ne se fiancent. Vous avez bien fait de me les donner, Suzannah. S'il y en a d'autres, je vous demanderai de les regrouper et de les glisser dans une enveloppe en écrivant dessus « personnel ». A mon avis, cette correspondance ne devrait pas être lue par d'autres yeux que ceux de son destinataire initial. Y en a-t-il encore beaucoup?— Je ne pense pas, Lady Manbrook, mais j'en ai remarqué quelques-unes écrites dans une langue étrangère. Une langue bizarre qui se rapproche un peu de l'allemand...— C'est du néerlandais, intervint Mme van Beuck. Ces lettres sont-elles écrites ou bien tapées à la machine?— Tapées à la machine pour la plupart.— Il doit s'agir de mon contrat de mariage avec ce cher Everard. Mon Dieu, que tout ça est loin...Comme cela arrivait fréquemment, cette évocation du passé fut l'occasion pour les deux sœurs de partager de lointains souvenirs

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avec nostalgie.On venait de servir le café, après le dîner, lorsque Lady Manbrook remarqua :— Vous nous manquerez, Suzannah. Vous avez travaillé dur, et pourtant, ces vieux papiers ne devaient pas être toujours bien amusants. Que comptez-vous faire ensuite?— Je l'ignore encore.— Je suis certaine que vous trouverez un emploi agréable, déclara Mme van Beuck avec assurance. Ce doit être un peu ennuyeux ici pour vous.— Oh, pas du tout, je m'y sens très bien, et j'adore la campagne.Une étrange anxiété oppressait Suzannah lorsqu'elle regagna sa chambre un peu plus tard. Sans qu'elles l'eussent formulé ouvertement, les deux vieilles dames semblaient impatientes de la voir achever son travail, du moins était-ce son sentiment. Assise devant le feu de bois, Horace sur les genoux, elle réfléchit longuement et prit une décision : dès son prochain jour de congé, elle se rendrait au bureau de placement de Marlborough.Les jours passèrent, une nouvelle semaine se terminait. Installée dans la pièce qui lui était réservée, Suzannah répertoriait minutieusement les derniers carnets de bal lorsqu'elle eut une visite impromptue, celle du Pr Bowers !— Encore dans ces carnets? Suzannah le salua d'un ton mordant.— Bonjour, professeur Bowers.— Bonjour, Suzannah. Ma présence n'a pas l'air de vous réjouir, c'est le moins que l'on puisse dire. Et ce classement, presque terminé, il semblerait?Lui aussi semblait pressé de la voir partir...— Oui, je n'en ai plus que pour quelques jours.— Et après, que comptez-vous faire?Sa curiosité l'étonna. Après tout, que lui importaient ses projets? Ce ne fut pas sans un certain embarras qu'elle répondit :— Oh, je... j'ai postulé à plusieurs emplois. J'attends une réponse.— Vous avez un peu d'argent?— Vraiment, professeur, quelle indiscrétion!.. Rien ne vous autorise à me poser pareille question.— Allons, Suzannah, ne prenez pas la mouche pour si peu.— Et d'abord, j'ai du travail!Sur ces mots, la jeune femme replongea le nez dans ses papiers, ignorant son visiteur qui n'en attendit pas davantage pour s'en aller.

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Sans doute quitta-t-il la maison peu après, car il n'était pas au salon avec ses tantes lorsque Suzannah s'y rendit, le soir venu. Etrangement, elle en ressentit un pincement au cœur qui ressemblait fort... à de la déception.Une autre semaine passa sans qu'elle le vît. Mais fallait-il vraiment s'en étonner? Le professeur était un homme très occupé et son métier devait le retenir à Londres. Quant à Suzannah, elle vivait ses derniers jours à Ramsbourne House. Elle avait effectivement presque achevé de répertorier les documents. L'ennui, c'est que toutes ses demandes d'emploi étaient restées sans réponse.En apprenant qu'elle aurait achevé son travail deux ou trois jours plus tard, Lady Manbrook parut surprise.— Déjà ? Que vous avez été rapide, Suzannah. Félicitations! Naturellement, vous pourrez prendre tout votre temps pour préparer votre départ, et c'est M. Croft qui vous ramènera... Où, au fait? Ne disiez-vous pas que quelqu'un occupe actuellement votre précédent logement?— Oui, mais une amie, Mme Coffin, m'a proposé de m'héberger jusqu'à ce que je trouve un emploi.— Ah, parfait. Je suis certaine que la chance vous sourira.Suzannah aurait aimé en être aussi sûre. Hélas, son dernier jour de travail arriva sans qu'aucune proposition ne lui soit parvenue. Heureusement qu'elle avait un endroit où aller, grâce à la secourable Mme Coffin... Dans sa lettre, elle avait assuré Suzannah qu'une chambre serait à sa disposition chez elle aussi longtemps que nécessaire. Néanmoins, ce ne fut pas sans un serrement de cœur que Suzannah quitta dans la vieille Daimler cette demeure qui avait été pour elle un havre de sécurité.L'accueil de Mme Coffin se révéla des plus chaleureux. Devant une tasse de thé, elle écouta avec bienveillance la jeune fille lui exprimer ses inquiétudes pour l'avenir.— Ne te fais donc pas de souci, ma chérie, tu finiras bien par trouver du travail. Raconte-moi plutôt comment s'est passé ton séjour là-bas. As-tu fait des rencontres agréables?Connaissant Mme Coffin, Suzannah se doutait bien que lesdites « rencontres agréables » se référaient à des jeunes hommes de son âge.— Non, mais tu ne devineras jamais qui j'ai vu chez ces deux vieilles dames! Ce professeur qui s'était rendu au chevet de tante Mabel. Figure-toi qu'il est le neveu de Lady Manbrook.

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— Ah, voilà qui est sympathique.— Pas vraiment. J'ai même l'impression qu'il ne me porte pas dans son cœur. Et quel curieux ! Si tu savais toutes les questions qu'il m'a posées.— Ah bon? A ce sujet, j'ai appris par la femme de ménage du manoir que Mlle Laura est d'une humeur exécrable en ce moment. Tout le monde se figurait que le professeur allait l'épouser. Mais ça fait des semaines qu'il n'est pas venu la voir. Personnellement, je le connais peu, c'est un fait, mais il a l'air très courtois et je sais que le Dr Warren le tient en haute estime. Entre nous, il n'a pas dû supporter le mauvais caractère de Mlle Laura.Probablement parce qu'il avait un caractère aussi difficile, se dit Suzannah en elle-même.La jeune femme trouva plaisir à se retrouver au village après cette absence de plusieurs semaines. Chaque jour, elle consacrait de longues heures à répondre à des annonces relevées dans le journal. Deux lettres lui parvinrent. Malheureusement, l'une comme l'autre stipulaient leur refus d'accepter des animaux domestiques. Or, laisser Horace à Mme Coffin était impossible. Elle l'aimait bien, certes, mais elle-même possédait une vieille chienne et un chat très jaloux. Une cohabitation prolongée aurait inévitablement posé des problèmes.Afin de n'être pas une charge pour Mme Coffin, Suzannah la soulageait de la cuisine ainsi que de diverses tâches ménagères. Après le déjeuner, quand sa logeuse allait se reposer un peu, Suzannah tenait sa boutique. L'après-midi du cinquième jour, quelle ne fut pas sa surprise de voir y entrer le Pr Bowers ! Que lui voulait-il encore ?L'air détaché, elle prit les devants :— Bonjour. Vous désirez acheter quelque chose?— Acheter? Euh... non. C'est vous qui tenez le magasin pour Mme Coffin?— Temporairement, oui, pendant qu'elle fait la sieste.— Si je comprends bien, vous n'avez pas de travail? Une hésitation retint Suzannah. Finalement, elle répondit :— Non, pas encore.— Dans ce cas, je vais vous soumettre une proposition. Je vous demande simplement d'oublier votre antipathie pour moi et de l'écouter jusqu'au bout.L'autorité du ton comme celle des propos la laissèrent sans réplique.

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Poussant légèrement un présentoir, le professeur s'accouda au comptoir. Il était si grand, si imposant, qu'il semblait emplir la boutique de sa seule présence.— Voilà, commença-t-il, j'ai une patiente à qui j'ai enlevé une tumeur cérébrale, il y a quelques semaines. Aujourd'hui, elle est rétablie et prête à retourner chez elle, en Hollande. Seulement il lui faudrait une compagne, une personne sensée qui reste à son côté pendant quelque temps. Elle ne veut pas d'une infirmière, et c'est normal, son état ne nécessitant plus de soins. En somme, elle a surtout besoin de quelqu'un de sérieux sur qui elle puisse compter, mais qui en même temps sache se tenir en retrait quand elle n'est pas utile. A mon avis, vous seriez la personne idéale pour cet emploi.— Voilà en tout cas qui est dit en termes nets. Ainsi, aux yeux du professeur, Suzannah était tout juste bonne à rester en retrait, à attendre que l'on ait besoin de ses services. Si c'est là l'opinion qu'il avait d'elle...Devant son silence, il s'enquit d'un ton tranchant :— Alors, Suzannah, qu'en pensez-vous?— D'abord, deux précisions. Combien de temps cela durerait-il, et quel serait mon salaire?Il fixa sur elle un regard aigu.— Quelques semaines au maximum. Quant au salaire...Il annonça un montant plutôt important.— N'est-ce pas un peu cher payé pour rester en retrait, même si la personne doit être sérieuse et... quoi encore? Ah, oui, sensée.Le sarcasme de sa réplique n'échappa pas au professeur.— Voilà maintenant que vous vous sentez offensée parce qu'on vous qualifie de sérieuse. Décidément, Suzannah...— De toute façon, je ne peux pas accepter, le coupa-t-elle.— Ah bon. Pourquoi?— A cause d'Horace, mon chat. Je n'ai personne à qui le confier.Le Pr Bowers eut alors la surprise de s'entendre suggérer :— Il pourrait venir en pension chez moi. Je suis sûr que ma femme de ménage prendrait grand soin de lui.— Ah, oui? Mais s'il s'échappe...— II y a une grande véranda derrière la maison. Votre chat pourra s'y promener sans vraiment sortir. Ainsi, il ne risquera pas de se perdre, je vous le garantis.Suzannah, à son propre étonnement, le crut. Le professeur avait

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beau se montrer désagréable, du moins à son égard, elle devinait en lui un homme de parole.— Très bien. Dans ce cas, j'accepte cet emploi avec joie. Si je parviens à économiser suffisamment, je prendrai des cours pour devenir infirmière ou gouvernante.— Ça me paraît une bonne idée.Ce commentaire poli ne fut suivi d'aucun autre. A l'évidence, ses projets d'avenir ne l'intéressaient pas, d'ailleurs, il se dirigeait déjà vers la porte.— Quand devrai-je commencer? questionna Suzannah.— Vous en serez avertie par courrier.Un simple salut de la tête, et il s'en alla, la laissant là, perplexe, à se demander si elle n'avait pas rêvé.Lorsqu'elle apprit la nouvelle, Mme Coffin, elle, cria victoire, persuadée que la fortune de Suzannah était faite. Durant le reste de l'après-midi, elle ne cessa de spéculer sur la nature exacte du travail qui attendait son amie.— Peut-être s'agit-il d'une personne riche, ou même d'une dame titrée, qui sait... Espérons qu'elle parlera correctement l'anglais et que vous arriverez à vous comprendre. Au fait, il te faudra quelques nouveaux vêtements, non? Une robe, au moins.Probablement... Aussi effacé que soit son rôle, Suzannah se devrait d'être décemment vêtue.— Oui, j'en achèterai une. Je crains de n'avoir pas le temps de la faire moi-même.Suzannah avait raison. Le lendemain même, une lettre lui apportait une multitude de renseignements concernant son futur emploi. Julie van Dijl, tel était le nom de la patiente dont elle aurait à s'occuper; c'était une jeune femme de vingt-deux ans, célibataire, vivant avec ses parents à La Haye. Suivaient des détails sur l'état de santé de la malade. Il y était dit — à demi-mot — qu'elle pouvait être sujette à des mouvements d'humeur ou de courtes crises de dépression. N'était-ce pas plus ou moins le cas de tout un chacun? se dit Suzannah pour se rassurer.Son salaire y était précisé, noir sur blanc, ainsi que ses conditions de travail : deux heures de liberté quotidiennes et un jour de congé hebdomadaire. Théoriquement... car aussitôt après on lui conseillait de se préparer à l'idée qu'elle serait aux ordres de son employeur vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Voilà qui expliquait sans doute sa rémunération généreuse...

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Une petite escapade à Marlborough lui permit d'enrichir sa garde-robe de deux chemisiers, d'un pull léger et d'une robe toute simple en jersey de soie grise. Satisfaite, Suzannah retourna chez Mme Coffin et passa les deux jours suivants à tricoter sans répit pour terminer le chandail commencé à Ramsbourne House.Enfin, une nouvelle missive arriva, lui signifiant son départ quarante-huit heures plus tard. Suzannah devait être conduite en voiture à Londres où Horace serait déposé comme convenu chez le professeur, après quoi on la mettrait en rapport avec Mlle van Dijl. Ecrite dans un style impersonnel, la lettre était signée du professeur, une signature ponctuée d'un paraphe compliqué.La voiture qui se présenta était pilotée par un homme impeccablement mis, mais dont la mine débonnaire tranchait avec la raideur habituelle des chauffeurs. Encouragée par son allure sympathique, Suzannah espérait bien tirer de lui quelques renseignements sur le professeur.Eh bien, non... M. Cobb se révéla agréable, tout disposé même à bavarder, mais pas un mot ne lui échappa concernant le Pr Bowers. L'excitation et l'appréhension se partageaient le cœur de Suzannah à mesure qu'ils approchaient de Londres. Enfin, ils arrivèrent à destination, une rue tranquille dans un quartier chic du West End, bordée de maisons cossues dont les marteaux de porte en cuivre étincelaient de mille feux. M. Cobb s'arrêta devant l'une d'entre elles, et à peine avait-il sorti le panier d'Horace qu'une femme d'un certain âge, tout de noir vêtue, parut sur le perron. Elle adressa à Suzannah un sourire jovial.— Bonjour, mademoiselle. Je suis Mme Cobb, la femme de charge du professeur. Entrez donc boire une tasse de café pendant que nous installerons votre chat. C'est un plaisir pour moi de le garder. Il me consolera un peu de la perte de Flossie; c'était ma vieille chatte, elle est morte récemment.Tout en parlant, Mme Cobb avait précédé Suzannah à l'intérieur.— Si vous voulez bien me suivre...Traversant la petite entrée au parquet ciré, elles descendirent quelques marches et après avoir franchi une porte, se retrouvèrent dans la cuisine. Une pièce de dimensions spacieuses, prolongée à son extrémité par un jardin assez grand lui aussi.— Voilà, c'est ici, avec moi, que vivra votre chat. Naturellement, il pourra aller et venir à sa guise dans la maison. Et pour sortir, regardez...

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Mme Cobb ouvrit le chemin vers un petit couloir aboutissant à une véranda.— S'il préfère la verdure ou le soleil, il pourra venir ici. Je m'occuperai bien de lui, soyez sans crainte.Suzannah n'en doutait pas. Il lui suffit de voir Horace, libéré de son panier, évoluer avec nonchalance dans la véranda pour que s'envolent ses dernières réticences. Il s'allongea de tout son long dans l'un des fauteuils pendant que sa maîtresse buvait un café ; et c'est à peine s'il souleva une paupière lorsqu'elle lui fit des adieux émus un peu plus tard.Suzannah pouvait partir la conscience tranquille : Horace était dans de bonnes mains. Pourtant, une sourde anxiété étreignait la jeune femme tandis qu'elle quittait la maison du professeur. Pour elle, les choses sérieuses commençaient...

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4.

M. Cobb était chargé de conduire Suzannah au lieu du rendez-vous avec son futur employeur. La sentant nerveuse, il s'efforça de détendre l'atmosphère.— Croyez-moi, Horace sera traité comme un roi. Mon épouse adore les animaux. Tenez, je parierais qu'elle vous enverra un petit mot pour vous donner de ses nouvelles.— Vraiment? fit Suzannah avec un sourire. Ça me ferait plaisir.Déjà M. Cobb ralentissait pour engager le véhicule dans une voie privée du quartier de Belgravia.— Nous voici arrivés. Et juste à l'heure, on dirait. Devant eux en effet, le professeur venait de sortir de sa Bentley en claquant la portière. M. Cobb vint se garer quelques mètres derrière. Après avoir aidé sa passagère à descendre, il la laissa en compagnie du professeur.Ce dernier adressa à Suzannah un « bonjour » bref mais néanmoins amical.— Je vais vous présenter à Mlle van Dijl. Il est convenu que vous partiez ensemble d'ici une demi-heure. M. Cobb vous a-t-il remis une enveloppe?— Oui, je ne l'ai pas encore ouverte.— Faites-le quand vous aurez un moment.Sans lui préciser quel en était le contenu, il l'entraîna vers l'imposante porte d'entrée où se tenait un employé au visage impassible. De là, ils furent conduits à l'étage supérieur, jusque dans une pièce donnant sur la rue, meublée et décorée avec grand raffinement. Suzannah observa les personnes qui s'y trouvaient : un couple d'une cinquantaine d'années, un jeune homme et une très jolie jeune femme. Les yeux noirs, les cheveux noirs, elle était vêtue au dernier cri de la mode et semblait particulièrement nerveuse.Quand le professeur parut, elle vola à sa rencontre.— Guy!.. Es-tu certain que j'irai bien? Tu viendras me voir, j'espère. Et si je me sens souffrante, qu'est-ce que je ferai?A ce flot de questions, il répondit avec douceur :— Pourquoi te sentirais-tu souffrante, Julie? Tu as toujours eu une

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santé de fer. Et puis maintenant tu es remise. De plus, je t'ai amené Suzannah, elle veillera sur toi.Julie van Dijl jeta un coup d'œil vers Suzannah qui s'empressa de la saluer. A peine reçut-elle un hochement de tête indifférent en réponse à son « bonjour ». Manifestement, la jeune Julie préférait poursuivre sa conversation avec le professeur.— Promets-moi de venir me voir bientôt.— Dès que mon emploi du temps me le permettra. Mais tu sais, je suis débordé en ce moment.Sur ces mots, il alla serrer la main du couple qu'il présenta à Suzannah.— M. et Mme South sont l'oncle et la tante de Julie. Elle a séjourné quelque temps chez eux avant de pouvoir rentrer chez elle.A son tour, Suzannah échangea avec eux une poignée de main.Sur ces entrefaites, le professeur prit congé, et peu de temps après, ce fut au tour de Suzannah et de son nouvel employeur de s'en aller. Une Rolls Royce les attendait en bas. Pendant les adieux touchants de Julie à sa famille, Suzannah se tint tranquillement assise sur la banquette en cuir noir de la Rolls. Personne n'avait songé à lui dire au revoir à elle. Que l'oncle et la tante l'aient oubliée, passe encore, mais le professeur... A peine lui avait-il adressé un petit salut de la tête en partant. Un salut rapide et distrait, comme si, au dernier moment, il s'était rappelé sa présence.Les deux jeunes femmes devaient gagner la Hollande par hovercraft. La première étape de leur voyage serait Douvres, après une heure et demie environ de route. Julie van Dijl, perdue dans ses pensées, ne fit aucune tentative de conversation, aussi Suzannah décacheta-t-elle bientôt l'enveloppe du professeur. Elle contenait en résumé tous les renseignements susceptibles de lui être utiles durant son séjour aux Pays-Bas. Renseignements aussi nombreux que variés, comme par exemple les conditions de paiement de son salaire, le numéro de téléphone du médecin de famille, et même la tenue vestimentaire souhaitable pour le soir.Après un voyage sans histoire jusqu'à Douvres, ils embarquèrent sur l'hovercraft et, parvenus sur le sol hollandais, retrouvèrent de nouveau le confort de la Rolls. Et là, surprise... Julie van Dijl desserra les dents!— C'est la voiture de mon père, apprit-elle à Suzannah. II a envoyé Jan, le chauffeur, me chercher. Je n'ai pas l'habitude de voyager sans personnel.

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Puis, après une pause :— Vous ne devez pas ignorer que j'ai été gravement malade ?— Oui, le Pr Bowers m'a tout expliqué.— Tant mieux, c'est tellement lassant de répéter constamment les mêmes choses. Il m'a bien précisé que vous n'étiez pas infirmière, j'y tenais beaucoup. Bien entendu, vous serez à mes côtés pour vous rendre utile. J'espère en tout cas que vous saurez vous montrer discrète. Vous savez, si le professeur n'avait pas tant insisté pour que je m'entoure d'une dame de compagnie, je ne vous aurais pas prise à mon service.Eh bien, voilà qui commençait mal... Cette jeune personne ne faisait rien pour se montrer agréable, c'était le moins que l'on puisse dire. Heureusement qu'en contrepartie, le salaire était confortable. Mais Suzannah tiendrait bon, ne fût-ce que pour démontrer au professeur qu'elle était capable de supporter sa patiente, dont il devait connaître le caractère d'enfant gâté.Devant son silence, Julie van Dijl tourna la tète dans sa direction.— Ce que j'apprécie en vous, c'est que vous savez vous taire, lui dit-elle sans la moindre intention ironique.Elle, en revanche, semblait maintenant très encline à bavarder car elle ajouta :— Le Pr Bowers est mon chirurgien, naturellement, mais c'est aussi un vieil ami de la famille. Nous sommes très... très liés. D'ailleurs, il se peut que je l'épouse. Enfin, je ne sais pas, je n'ai pas encore décidé. Pendant quelque temps, on a cru qu'il se marierait avec une fille qui vit dans le Wiltshire, la nièce d'un de ses amis anglais. Mais il semblerait qu'il ne la voie plus. Alors, tout compte fait, je me résoudrai peut-être à l'épouser.La « fille du Wiltshire » devait être Laura Davinish. Ainsi, elle avait cessé d'intéresser le professeur... Sans doute avait-il jeté son dévolu sur une autre. Quand on possédait à la fois le charme, la renommée, et probablement la richesse, les prétendantes devaient se bousculer. Mais quant à épouser une Julie van Dijl, on ne pouvait le lui souhaiter! pensa Suzannah. Après coup, prise de remords, elle tempéra cette réflexion hâtive. Cette femme relevait d'une grave maladie, il avait dû lui en coûter pour récupérer ses forces et sa santé. Aussi, sur une impulsion, elle lui dit :— Je suis sûre que vous serez très heureux ensemble.Cet élan de compassion ne fut pas du tout du goût de Julie qui répliqua sèchement :

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— Je ne vous ai pas demandé votre avis. A l'avenir, vous garderez vos opinions pour vous, je vous prie.L'avenir... Il serait aussi bref que possible!Vexée, Suzannah tourna son regard vers le paysage : des plaines à perte de vue, et de loin en loin, un canal ou une simple rivière au cours bordé de moulins. On les apercevait à des kilomètres de distance, avec leurs ailes immenses se détachant dans l'azur du ciel. Mais ce n'était là qu'une facette de la Hollande, et la jeune femme espérait bien en découvrir d'autres avant son retour en Angleterre. Quelques jours devraient suffire à visiter un pays aussi petit.Suzannah se berçait encore par ces agréables rêveries lorsqu'ils atteignirent La Haye, une belle ville dont le centre, qu'ils traversèrent, présentait une grande richesse architecturale. Ils se dirigeaient vers des quartiers plus récents de la périphérie. La Rolls emprunta une large avenue ombragée d'ormes, bordée de chaque côté par d'imposantes demeures. Ils étaient arrivés. En effet, après avoir franchi un haut portail en fer, l'automobile s'engagea dans une cour et stoppa au pied d'un escalier monumental.Pendant que le chauffeur s'empressait auprès de Julie van Dijl, Suzannah descendit. La maison était pour le moins décevante. Datant du début du siècle environ, elle était en briques rouges, noircies par le temps. Un nombre impressionnant de balcons agrémentait ses façades, et à chaque angle du toit se dressaient des tourelles d'un goût plutôt douteux.Emboîtant le pas à Julie van Dijl, Suzannah gravit la volée de marches menant à une vaste porte en acajou. Qu'allait-elle trouver derrière?Le battant s'ouvrit... D'une voix éteinte, un domestique les salua. Le hall d'entrée se révéla aussi sombre et sinistre que l'extérieur de la maison. Aux murs alternaient des têtes d'animaux naturalisés et des armes blanches, principalement lances et épées. La pièce vers laquelle se dirigea ensuite Julie était tout aussi oppressante, avec sa tapisserie vert olive et l'abondance de tableaux qui en couvraient les murs.D'ailleurs, la personne qui s'avançait vers elles semblait écrasée par le poids de cet environnement. Sans doute cette impression était-elle renforcée par sa petite taille et son expression douce, presque timide. La mère de Julie van Dijl ? Sûrement pas ! Et pourtant il s'agissait bien d'elle. Avec quelle émotion elle étreignit sa fille puis l'invita à s'asseoir, de crainte qu'elle ne se fatigue! Son attention se

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tourna ensuite vers Suzannah.— Vous êtes la demoiselle qui va s'occuper de Julie, n'est-ce pas? s'enquit-elle dans un anglais parfait. Quel soulagement pour moi ! Le Pr Bowers m'a expliqué que ma fille devait se ménager. Mais je me sentais bien incapable de lui imposer un emploi du temps. Pour être franche, il s'est bien rendu compte de mon inquiétude. C'est pourquoi il m'a conseillé de prendre l'assistance de quelqu'un, et j'en suis bien contente.Une domestique était entrée, un plateau à la main. Mary van Dijl s'employa à servir le café tout en posant à sa fille des questions anxieuses auxquelles celle-ci répondait par monosyllabes. Bientôt, sur un mot d'excuse, elles poursuivirent en néerlandais. Sans comprendre cette langue, Suzannah devinait bien d'après le ton et les hochements de tête soumis de la mère, qu'ici, Julie imposait sa loi.— Ma fille est impatiente d'aller voir ses amis et de reprendre sa vie comme avant, expliqua-t-elle à Suzannah d'un ton inquiet. Le professeur a-t-il donné des instructions à ce sujet?Suzannah se rappela le passage de la lettre où était abordée la question :— Eh bien, Julie doit mener une vie calme pendant au moins quinze jours. Elle peut voir quelques amis, mais ne peut pas aller à des soirées. Il faut qu'elle se couche tôt le soir, et fasse une petite sieste l'après-midi. Par ailleurs, il lui est interdit d'aller où que ce soit sans être accompagnée, du moins tant que le professeur ne l'a pas revue.— Tu as entendu, lieveling? C'est très dur pour toi, je sais, mais sois patiente. Tu as été bien malade, une ou deux semaines de repos supplémentaires achèveront de te rétablir.Julie salua ce point de vue d'une réplique acerbe en néerlandais avant de se tourner vers Suzannah.— Et si je refuse de me soumettre à ce stupide traitement?— J'ai ordre du Pr Bowers de l'avertir sur-le-champ si ses instructions ne sont pas suivies.— Vraiment ? Ce cher Guy... Il a tant de prévenance pour moi que je m'efforcerai de ne pas le fâcher. Mais une chose est sûre, vous ne resterez pas ici un jour de plus que nécessaire. Et maintenant, vous pouvez aller vous installer dans votre chambre...— Très bien, mais tout d'abord je voudrais m'assurer que vous allez également dans la vôtre vous reposer. Souhaitez-vous que je défasse vos valises?

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— Certainement pas. J'ai une femme de chambre pour ça. Et je ne suis pas fatiguée.Très calme, Suzannah répondit :— Peut-être, mais vous venez de déclarer à l'instant que vous ne fâcheriez pas le professeur.Avec un soupir résigné, Julie se leva, au grand soulagement de sa mère. Suzannah la suivit aussitôt. Dans le hall attendait une jeune domestique qui accueillit Julie avec enthousiasme, puis les escorta jusqu'à l'étage.Epaisse moquette rose, rideaux de satin, lit à baldaquin... La chambre de Julie, immense, était digne d'une star des années trente. Suzannah se tenait sur le seuil, hésitante.— Votre chambre se trouve juste à côté de la mienne. Vous pouvez y accéder par là.Du menton, Julie désignait une porte qui faisait communiquer les deux pièces.La chambre de Suzannah n'offrait pas, et de loin, le même luxe. Bien que joliment meublée, elle manquait de chaleur et de personnalité, un peu comme les chambres d'hôtel. Mais de la fenêtre, on jouissait d'une vue très agréable sur le jardin. De plus, elle possédait une salle de bains particulière. Sa petite visite terminée, Suzannah ôta sa veste et alla retrouver Julie.Son étonnement fut grand de l'entendre lui demander :— Votre chambre vous convient-elle? C'est là que dormait l'infirmière quand j'étais malade.Etonnement qui s'accrut encore lorsqu'elle ajouta, d'un ton presque amical :—J'aimerais que la porte de communication reste ouverte la nuit... Au cas où j'aurais besoin de quelque chose.— Naturellement. Puis-je vous être utile à quoi que ce soit à présent?A l'autre bout de la pièce, penchée sur une valise, la femme de chambre dépliait les vêtements avec soin,— Je me sens un peu fatiguée. Je vais me reposer un moment.Aussitôt, Suzannah s'empressa de rabattre le couvre-lit et de retaper l'oreiller.— Vous désirez de la lecture? proposa-t-elle à Julie quand elle fut installée.— Non, inutile. Allez donc ranger vos affaires. Je suppose que vous voulez du thé.

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Sans attendre sa réponse, elle donna un ordre à la femme de chambre qui sortit, l'air contrarié d'avoir été dérangée.— Nous dînons à 7 heures, reprit Julie. Beaucoup plus tôt qu'en Angleterre. Anna m'aidera à me changer. J'espère que vous avez quelque chose de convenable à vous mettre?Comment osait-elle... Suzannah ne réussit à maîtriser son indignation qu'en se rappelant que Julie avait été bien malade.— Oui, j'ai une robe, répondit-elle calmement. A vrai dire, je n'imaginais pas que je prendrais mes repas avec vous.— L'idée vient du Pr Bowers, précisa Julie sans la moindre gêne.De retour dans sa chambre, Suzannah déballa ses affaires, but le thé qu'on lui avait apporté puis s'offrit la détente d'un bain bien chaud. En songeant aux longues semaines qui l'attendaient, elle pensa que les jours à venir risquaient fort de s'avérer difficiles...Le soir, à la table du dîner, Suzannah fit la connaissance du père de Julie. C'était un homme vigoureusement bâti, plutôt avare de ses paroles, mais qui se montra néanmoins cordial envers elle. Il laissa à sa femme et sa fille le soin d'entretenir la conversation. Durant tout le repas, on n'entendit presque que Julie. Comme il fallait s'y attendre, elle ne parlait que d'elle-même et de son séjour à Londres.Les premiers jours se passèrent relativement bien. Si plusieurs amis rendirent visite à Julie, elle, en revanche, ne manifesta pas le désir d'aller en un quelconque endroit. Lire des magazines dans sa chambre ou bavarder avec ses visiteurs, voilà à quoi elle occupait exclusivement ses journées. Suzannah réussit tout de même à la persuader de faire une petite promenade quotidienne.Julie se montrait assez docile à l'heure du coucher le soir, mais totalement réfractaire en revanche à la sieste... Suzannah devait déployer des insistances, des menaces terribles pour parvenir à ses fins. Et il n'était pas rare que cela se termine par des pleurs. Pourtant, à peine allongée sur son lit avec un roman ou une revue, Julie était gagnée par un sommeil de plomb. C'était le moment où Suzannah pouvait jouir de quelque liberté.Elle en profita pour explorer les environs, aidée du plan que lui avait prêté le maître d'hôtel. Après quelques jours, le quartier lui était devenu tout à fait familier. En marchant bien, il suffisait d'une dizaine de minutes pour atteindre Scheveningseweg, la route reliant La Haye à Scheveningen, le petit port voisin, frère jumeau de la capitale. Cette ravissante promenade bordée d'arbres était sillonnée sans relâche par un ballet d'autocars et de tramways. Quand elle

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aurait son jour de congé, Suzannah pourrait rejoindre le centre-ville sans la moindre difficulté. Elle attendait d'ailleurs ce moment avec une certaine impatience, car l'achat d'une seconde robe s'était vite révélé indispensable, surtout depuis que Julie avait eu l'audace de lui déclarer :— Quand nous avons des hôtes à table, faites donc un effort de toilette, Suzannah.En fait, Suzannah se rendit dans le centre de La Haye plus tôt que prévu. Un jour, en effet, Julie décréta :— Je n'ai plus rien à me mettre, et j'ai l'intention d'aller faire des achats demain. Bien entendu, vous m'accompagnerez, nous déjeunerons en ville.Suzannah ne souleva pas d'objections car rien, dans les instructions du Pr Bowers, n'interdisait à Julie de faire des courses. Elle était en droit de mener une vie normale sous réserve de se coucher à des heures raisonnables et de ne pas avoir d'activités fatigantes — ce qui, dans la pratique, n'était pas toujours aisé. Persuadée que le professeur allait exiger à sa première visite un compte rendu détaillé des activités de sa patiente, Suzannah se faisait un devoir de les noter brièvement jour après jour dans un carnet.Julie revint plutôt satisfaite de sa tournée des boutiques chics de La Haye... et Suzannah, franchement envieuse. Une signature au bas d'un chèque, et Julie devenait propriétaire d'un pull en cachemire ou d'une robe du soir en taffetas, choisis sans même en demander le prix. Partout, elle était accueillie comme une cliente privilégiée, on lui présentait les articles les plus précieux, les plus raffinés, on leur offrait du café ; et pendant qu'elle essayait les luxueux vêtements, Suzannah, assise à l'écart, s'imaginait lesquels elle achèterait à sa place...Au déjeuner, dans un restaurant français, Le Baron, Julie se montra loquace.— Vous vous souvenez de ce petit ensemble en tricot gris que j'ai essayé dans la dernière boutique? Je le trouve adorable, mais malheureusement le gris me donne une mine épouvantable.Elle s'interrompit pour observer Suzannah.— Avec vos cheveux roux, il serait parfait. Mais naturellement, vous ne porteriez jamais une tenue de ce style. Vous devez vous habiller dans les Prisunic.— Seulement quand mes moyens me le permettent. Bien que dépourvue d'animosité, sa réplique réduisit sa compagne au silence

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pendant quelques instants.— Que comptez-vous faire quand vous quitterez la Hollande?— Je ne sais pas encore. Je devrais pouvoir trouver sans trop de mal un emploi d'aide ménagère ou quelque chose de similaire.— Guy... enfin, le Pr Bowers, a dit à ma mère que vous auriez dû suivre des études universitaires. Vous devez être calée, alors.— Oh, non. Mes ambitions se limitaient à une licence ès lettres. Ça m'aurait permis d'obtenir un poste de professeur...Julie éclatant de rire, Suzannah s'interrompit.— Vous n'avez pas du tout l'allure d'un professeur! C'est vrai, vous souhaitiez en être un?— Pas particulièrement. Pour moi, c'était un moyen comme un autre de gagner ma vie.Une expression étonnée se dessina sur le joli visage de Julie.— Mais si vous n'avez pas envie de travailler, pourquoi ne vous mariez-vous pas?Malgré l'exaspération qui montait en elle, Suzannah répondit tranquillement :— Personne ne me l'a proposé... Voulez-vous voir si vous pouvez trouver un autre ensemble en remplacement du gris?D'après Julie, il restait encore une boutique susceptible d'avoir ce qu'elle cherchait. Ce fut heureusement le cas. Elles n'eurent plus ensuite qu'à rejoindre la voiture dans laquelle les attendait le chauffeur et rentrer, enfin, à la maison.Julie, contente de ses achats, se laissa aisément persuader d'aller se coucher tôt et de prendre son dîner au lit. Sa mère et Suzannah se retrouvèrent donc en tête à tête à la table du dîner. D'abord empruntée, la conversation se détendit lorsque Mary commença à parler de sa fille.— Julie est horriblement gâtée, j'en suis consciente. Mais que voulez-vous, son père est si souvent absent qu'il n'ose rien lui refuser. Quant à moi, je n'ai aucune autorité sur elle. Et elle a deux frères, qui la gâtent presque autant que leur père.Un soupir ponctua ses aveux, puis elle enchaîna :— Je sais ce qu'il faudrait à ma fille : un mari... A une époque, elle fréquentait un garçon, mais il est maintenant attaché d'ambassade, et on l'a nommé à Shanghaï, ou à Pékin, je ne sais plus. Très loin d'ici, en tout cas.Suzannah se voulut rassurante.— Il reviendra. En général, ces missions ne durent que quelques

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années, non? Et puis, il doit avoir des congés de temps en temps.— Julie m'a fait promettre de ne rien lui révéler de... de son infirmité.— Votre fille ne souffre d'aucune infirmité, protesta Suzannah avec véhémence. Le Pr Bowers lui a enlevé une tumeur et maintenant, elle est guérie.— Oui, c'est du moins ce qui nous a été dit... Vous savez, Julie est très éprise de Guy.— Cela se comprend aisément. Il lui a sauvé la vie. En plus, c'est un homme qui ne manque pas de charme. Mais si elle en aime un autre, cette passade ne devrait pas durer.— Ah, Suzannah, vous êtes quelqu'un de posé et raisonnable. J'espère au moins que vous n'êtes pas malheureuse chez nous?— Mais non, pas du tout.Ce qui n'était pas tout à fait la vérité. Non que Suzannah fût vraiment malheureuse, mais de fréquentes tracasseries lui empoisonnaient la vie. Dans l'intimité, Julie la traitait presque comme une camarade. Mais lorsque ses amis venaient, ou qu'elle-même allait les voir, elle faisait alors preuve de l'indifférence la plus totale, ou pire encore, de mépris.Ses parents, Dieu merci, se montraient tout à fait courtois à son égard, et le personnel de la maison également. Si bien que la jeune femme commença à se demander si Julie n'avait pas une raison cachée de manifester un aussi mauvais caractère. Quoi qu'il en soit, Suzannah n'y pouvait rien changer. Cet emploi, elle l'avait accepté, et le professeur l'avait bien avertie de l'humeur capricieuse de sa patiente.La seule consolation à ses misères fut l'enveloppe qu'elle trouva dans sa chambre le vendredi : ses gages de la semaine! De plus, le lendemain, elle goûterait son premier jour de congé. Enfin plusieurs heures de liberté d'affilée, sans avoir à se demander si Julie aurait besoin d'elle. Son argent en poche, Suzannah prit un tramway pour le centre-ville. Il lui fallait absolument s'acheter une robe. Elle avait porté la grise en jersey tous les soirs de la semaine, et Julie ne s'était pas privée de la regarder d'un œil moqueur.Les boutiques étant hors de prix, Suzannah s'orienta plutôt vers les grands magasins de la ville. Là, elle trouva l'oiseau rare : une robe jolie, sans trop de prétention, car Suzannah gardait présents à l'esprit les mots de Julie, le jour de leur rencontre : « J'espère que vous saurez vous montrer discrète. » Le modèle de son choix était

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taillé dans un crêpe bleu pâle, les manches longues, l'encolure sage, bref, tout ce qu'il existait de plus classique.— Quelle ravissante robe vous portez, Suzannah, j'aime beaucoup sa couleur, remarqua Mary, le soir même au dîner.Ce à quoi Julie ajouta en écho :— Il vous reste encore de l'argent, Suzannah? Vous pourriez vous acheter quelque chose de joli.Comment parvenait-elle à endurer une telle insolence? Etait-ce la maladie qui avait rendu Julie si méchante? Le Pr Bowers avait eu raison de la prévenir de ses accès de mauvaise humeur!Ce soir-là, Julie reçut des amis avec qui elle s'attarda à bavarder dans sa chambre, si bien que son coucher en fut retardé. Il devait être environ une heure du matin lorsqu'un bruit réveilla Suzannah, une sorte de gémissement plaintif...Julie était-elle souffrante? Suzannah se leva. A la lumière de la veilleuse, elle l'aperçut qui dormait d'un sommeil agité. Brusquement, elle se redressa, en sanglots.— Suzannah, ne me laissez pas!.. Je viens de faire un rêve affreux. Et d'ailleurs, c'est vrai, je vais peut-être mourir... Guy m'a assuré que j'étais guérie, mais peut-être le disait-il juste pour ne pas me peiner.— Voyons, Julie, le professeur ne vous dirait pas quelque chose qui soit faux. Vous n'êtes plus malade. Cette soirée trop animée vous aura fatiguée, voilà. C'est bien agréable de revoir ses amis, mais vous avez tellement...— Mes amis? Ça me serait égal de ne plus les revoir. Il n'y a qu'une personne sur terre que j'aimerais avoir auprès de moi. Et justement, il se trouve à des milliers de kilomètres.— Il reviendra bien un jour, non?Suzannah qui avait passé un bras réconfortant autour des épaules de Julie se leva pour aller lui chercher un verre d'eau. Julie le vida d'un trait.— Ne révélez rien de tout ça à ma mère, Suzannah.— D'accord, mais ne me demandez pas de dissimuler la vérité au Pr Bowers s'il prend de vos nouvelles.— Guy... Il est bien gentil, mais il parle si peu. On ne sait jamais ce qu'il pense. Et puis, il est vieux, vous ne trouvez pas? ajouta-t-elle après une pause. Tout compte fait, je ne crois pas avoir envie de l'épouser. Ce n'est pas lui que j'aime. Qu'il se marie avec une autre, il n'a que l'embarras du choix.— Voulez-vous une boisson chaude? proposa Suzannah après un

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silence.— Non, mais j'aimerais que vous restiez ici jusqu'à ce que je m'endorme, d'accord?Un long moment s'écoula avant que Julie ne s'assoupisse et qu'enfin, Suzannah puisse regagner son lit pour quelques heures d'un sommeil troublé.Julie dormait toujours quand, au matin, la jeune femme descendit déjeuner. Il n'y avait personne dans la cuisine. Mary prenait son café au lit, et son mari était parti peu de temps auparavant. Seule devant sa tasse de thé, Suzannah avait le regard perdu dans le vague lorsque Anna parut sur le seuil et annonça :— M. le Pr Bowers.Suzannah vit alors sa haute silhouette se découper dans l'encadrement de la porte puis il entra dans la pièce de sa démarche nonchalante. Parvenu à sa hauteur, il l'examina quelques instants avant de parler.— Bonjour, Suzannah. Vous êtes bien pâle. Que vous arrive-t-il?Le lui expliquer en détail aurait demandé trop de temps, aussi se contenta-t-elle de répondre :— Sait-on que vous êtes ici? Dois-je avertir Mary...— Inutile, Anna s'en chargera.Après avoir adressé quelques mots à la domestique, il prit place à la table.— Me permettez-vous de partager votre petit déjeuner ? J'étais en route pour Amsterdam où je dois assister à un séminaire. Je me suis arrêté en passant.Comme elle ne répondait pas, il ajouta :— Alors, Suzannah, expliquez-moi un peu la raison de cette mauvaise mine...

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5.

— Mauvaise mine, moi? Mais non, je vais bien. J'ai simplement manqué de sommeil la nuit dernière, voilà tout.— Rien qu'à voir vos cernes, on s'en serait douté... Le professeur s'interrompit car le maître d'hôtel venait d'entrer, et déposait devant lui son petit déjeuner : du café fumant, des œufs à la coque, des toasts, et tout un assortiment de petits pains dorés.Pendant qu'il se servait, très à l'aise, Suzannah s'enquit :— Il vous arrive souvent de prendre votre petit déjeuner ici?— Avant que je n'opère Julie, je venais souvent l'examiner vers cette heure-ci. Ça ne bousculait pas trop mon emploi du temps.Il but une gorgée de café avant d'enchaîner :— Et maintenant, venons-en à la question qui nous préoccupe. Comment va Julie? Pas d'un point de vue médical, bien entendu, mais en général. Vous a-t-elle bien acceptée?— Dans l'ensemble, elle ne s'est pas montrée trop difficile. Mais il est évident qu'elle n'apprécie pas ma présence auprès d'elle. J'avoue que ce doit être lassant d'avoir constamment quelqu'un derrière soi. Quand nous ne sommes que toutes les deux, nous nous entendons bien...Le souvenir de certaines petites méchancetés de Julie fit s'interrompre un instant Suzannah. Mais bien vite, elle poursuivit :— Je n'y suis pas arrivée sans mal, mais elle a bien respecté les heures de repos que vous aviez recommandées. Sauf hier soir...Là, Suzannah lui raconta l'incident de la nuit écoulée : le cauchemar de Julie, ses angoisses, ses doutes.— Je l'ai assurée qu'elle était guérie, que vous lui aviez dit la vérité.— Elle vous a crue?— Je le pense, oui.— Vous a-t-elle parlé d'un jeune homme qui vit à l'étranger?— Oui. Julie dit qu'elle l'aime mais que ce n'est pas réciproque. A d'autres moments, elle prétend qu'elle va se marier...La sentant soudain hésitante, le professeur encouragea Suzannah :— Continuez, Suzannah! Il est important que je connaisse son état d'esprit.

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— Qu'elle va se marier avec vous, voilà. Mais sa décision n'est pas bien arrêtée parce qu'elle vous trouve trop...— Trop vieux. Je sais, elle n'a pas tort. Il faut que vous sachiez ceci, Suzannah. Les patientes qui ont subi une grave opération s'imaginent assez fréquemment être amoureuses de leur chirurgien. Cet état cesse dès l'instant où elles se rendent compte qu'elles sont tout à fait guéries et capables de mener une vie normale.Suzannah le considéra d'un air songeur.— N'est-ce pas un peu... gênant, parfois?— Disons que ça fait partie des risques du métier, et ça n'arrive quand même pas tous les jours.Sur ces mots, le professeur prit un petit pain au sésame qu'il se mit en devoir de beurrer.— Et vous, Suzannah, comment allez-vous?— Moi? Oh, très bien.— Votre contrat est bien respecté? Congés, salaire...— Oui, tout à fait.— J'imagine que Julie n'a pas dû vous épargner ses petites colères. Elle est d'une impertinence parfois...Suzannah s'abstenant de commenter, il enchaîna :— Pensez-vous pouvoir rester quelques semaines de plus? Vous avez dû faire quelques connaissances depuis votre arrivée, non?— Des connaissances? Mon Dieu, non. Aucun des amis de Julie ne m'adresse la parole.Le professeur accueillit cette remarque par un hochement de tête pensif. Après avoir achevé son café, il proposa :— Et si nous allions voir Julie?— Elle est encore couchée.— Oui, je sais. Mais c'est aussi bien qu'elle ne soit pas avertie de ma présence.Julie dormait toujours, et le sommeil prêtait à ses traits une expression vulnérable qui la rendait plus belle encore. Pendant quelques instants, le professeur demeura immobile à l'observer, puis il souleva son bras, posé sur la courtepointe. Ce mouvement l'éveilla. Tour à tour, l'étonnement et la joie passèrent sur son visage.— Guy! Quelle surprise!Un sourire jouait sur les lèvres du professeur tandis qu'il la contemplait, debout à son chevet.— Je me rends à un séminaire à Amsterdam et j'en ai profité pour

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passer prendre de tes nouvelles. Puis-je l'examiner? Ce ne sera pas long.— Tu ne penses donc qu'à ton travail ? Je vais bien, fit Julie avec une moue.— D'après Suzannah, tu as suivi mes recommandations, je te félicite.Il se pencha pour étudier ses réflexes oculaires, puis fit bouger doucement sa tête à droite et à gauche.— Je ne te fais pas mal? As-tu bon appétit? Et la nuit, tu dors bien?— Suzannah a dû tout te dire. Je ne peux pas faire un geste sans elle... Je me sens en forme. Cette nuit, j'ai fait un mauvais rêve, mais ça n'a pas duré.Le professeur s'assit au bord du lit.— Tu n'as aucune inquiétude à avoir, Julie, tu es complètement guérie. Mais il faut un certain temps pour se remettre d'une opération, tu le sais. Reste aussi prudente que tu l'as été jusqu'à maintenant, et d'ici une quinzaine de jours, je te rendrai ta liberté totale.— Et Suzannah? Pourra-t-elle repartir?— D'ici deux ou trois semaines, oui.Une nouvelle qui mit du baume au cœur de Suzannah...Là-dessus, le Pr Bowers prit congé de Julie. Lorsque Suzannah rencontra Mary, plus tard dans la matinée, ce fut pour apprendre qu'il avait quitté les lieux. Il aurait au moins pu lui dire au revoir, pensa-t-elle avec tristesse.Quelques jours plus tard, la maison reçut la visite des deux frères de Julie. L'aîné, d'un genre plutôt flegmatique, était marié mais néanmoins venu seul, sa femme attendant un bébé. On sentait qu'il éprouvait une grande affection pour sa sœur, tout en désapprouvant ses excès. En revanche, Herbert, le benjamin, rappelait étonnamment Julie. Physiquement déjà, il possédait le même charme, et surtout cette volonté d'attirer l'attention sur soi. Les deux frères, qui travaillaient tous les deux dans l'entreprise du père, revenaient d'un voyage aux Etats-Unis. Si cela n'inspirait guère de commentaires à Conrad, Herbert, lui, s'étendit abondamment sur le sujet.A leur arrivée, personne ne songea à leur présenter Suzannah. C'est seulement après un quart d'heure que Julie lança avec désinvolture :— Oh, j'oubliais... Voici Suzannah. Guy a tenu à ce que l'on

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embauche quelqu'un pour veiller sur moi tant que je n'étais pas complètement rétablie.Conrad se contenta d'un salut poli tandis qu'Herbert s'exclamait dans un anglais irréprochable :— Enchanté, Suzannah ! Eh bien, je n'aimerais pas être à votre place...Son ironie la fit sourire.— Comment trouvez-vous la Hollande? ajouta-t-il.— Je ne la connais pas assez pour m'en faire une opinion.— Ah, il va falloir remédier à ça.Indifférent au regard réprobateur de sa sœur, Herbert vint s'asseoir près de Suzannah et se mit à lui parler des attraits de la capitale.Les deux frères étaient pour quelques jours à La Haye. En apprenant qu'elle était libre le lendemain, Herbert s'offrit de lui faire visiter la ville. Flattée, et touchée par sa gentillesse, Suzannah accepta de bon cœur. Etre guidée par un Hollandais, c'était une occasion à ne pas manquer!La journée se révéla réussie en tous points. Du moins pour Suzannah qui, toute à son plaisir et à sa joie, ne remarqua pas les sourires ironiques que faisait naître son enthousiasme naïf chez son compagnon...Sans doute sa gaieté se serait-elle estompée le soir venu si elle avait su ce qui s'était passé en son absence. Dans l'après-midi, en effet, le professeur avait téléphoné et demandé à lui parler. Comme elle n'était pas là, on lui avait passé Julie. Et celle-ci, peut-être parce qu'elle s'ennuyait ou qu'elle était de mauvaise humeur, avait amplifié l'importance de la sortie de Suzannah avec son frère. Le professeur n'était pas dupe, Julie avait souvent tendance à tout exagérer, et il le savait. Et pourtant... la nouvelle le plongea dans un mécontentement dont il s'étonna lui-même. Pourquoi Suzannah avait-elle passé la journée avec Herbert, un garçon peu sérieux, qui ne songeait qu'à s'amuser et ne manifestait guère de considération pour autrui? Probablement lui avait-il fait un petit numéro de charme, et elle avait succombé ! Que la chose pût à ce point l'agacer vexait le professeur. Et il fulminait lorsqu'il raccrocha.Deux jours plus tard, il s'envolait pour Le Caire, appelé d'urgence auprès d'un patient, personnage influent du monde politique du Moyen-Orient. Une opération s'imposait. Le professeur l'effectua sur place et demeura au Caire jusqu'à ce que son malade fût hors de danger. Si pendant tout ce temps il lui arriva de songer à Suzannah,

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ce ne fut que de façon fugitive. Quand il regagna Londres, son travail l'accapara tellement qu'il s'écoula près de trois semaines avant qu'il retourne en Hollande.Ces trois semaines ne furent pas de tout repos pour Suzannah. Plus la forme de Julie s'améliorait, et plus il était difficile de lui faire accepter les contraintes d'une vie calme et tranquille. Et bien souvent, Suzannah se heurtait à l'impatience ou même à la hargne de Julie. L'après-midi, par exemple, refusant la sieste, elle n'acceptait de se reposer que si la jeune femme lui faisait la lecture. Peu lui importait de la priver ainsi de ses deux heures de liberté quotidienne. Si malgré tout Suzannah insistait pour les prendre, que ne trouvait-elle pas à son retour! Dans le meilleur des cas, Julie était dans une rage folle qui ne s'apaisait qu'en fin de journée ; ou bien, elle avait téléphoné à une amie pour lui demander de venir la chercher, et ne reparaissait à la maison que dans la soirée. Autant dire que de tels agissements mettaient les nerfs de Suzannah à dure épreuve. Sans parler de ceux de Mary...La jeune femme désormais n'avait plus qu'une hâte : repartir au plus vite en Angleterre. Comment y gagnerait-elle sa vie? Elle n'en savait rien, mais avec les références que lui fourniraient Mary van Dijl et le professeur, Suzannah espérait bien pouvoir trouver un nouvel emploi.Elle était à la veille d'un nouveau jour de congé lorsque Herbert arriva à la maison et, à sa surprise, l'invita à aller voir le lendemain Panorama Mesdag, une célèbre peinture réalisée sur une toile circulaire.— Nous pourrions nous retrouver à 14 heures devant le Ridderzaal, cela vous permettrait de faire quelques courses dans la matinée, si vous voulez.Mais Suzannah ne tenait pas trop à dépenser ses maigres économies. L'avenir était on ne peut plus incertain. Aussi afin de n'être pas tentée par les vitrines alléchantes des magasins, elle décida le jour venu d'aller visiter le plus célèbre des musées de La Haye, le Mauritshuis. Elle y passa près de deux heures, à admirer les toiles des plus grands peintres hollandais, dont certaines très connues de Vermeer et de Rembrandt. Après quoi, un repas frugal dans un restaurant l'occupa jusqu'à l'heure de son rendez-vous. Mais devant le Ridderzaal, il n'y avait pas trace d'Herbert. D'ailleurs, il faisait froid, et les passants étaient rares. Durant une dizaine de minutes, Suzannah fit les cent pas devant le monument.

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Elle allait renoncer lorsque Herbert parut. Il n'était pas seul... Une jeune beauté blonde, enveloppée dans un manteau de fourrure, était suspendue à son bras.Avec sa désinvolture coutumière, Herbert procéda aux présentations.— Suzannah, je vous présente Monique, une vieille amie à moi. Ça ne vous ennuie pas si elle nous accompagne pour l'après-midi?Que pouvait-elle répondre puisque déjà, il l'avait prise par le bras et repartait d'un pas rapide? Tout en marchant, Herbert bavardait de choses et d'autres. Mais de temps en temps, il se penchait vers sa blonde compagne pour échanger avec elle quelques mots en néerlandais. Si bien que Suzannah ne tarda pas à se sentir de trop. Cette impression ne fit que s'intensifier à mesure qu'ils approchaient du musée.Mais là, le charme des toiles lui fit oublier pour un temps son malaise. Elles étaient exposées dans une succession de petites pièces qu'ils visitèrent l'une après l'autre avant d'emprunter l'escalier menant à la partie la plus originale du musée : une étrange rotonde destinée à mettre en valeur un immense tableau panoramique figurant une vue de Scheveningen au siècle précédent. Un habile trompe-l'œil avait été réalisé, de sorte que la peinture se trouvait reliée à un premier plan de vrai sable jonché d'épaves. L'effet était saisissant, et Suzannah avait l'impression qu'il lui suffirait de franchir la barrière de protection pour se joindre aux pêcheurs réparant leurs filets sur la plage.Absorbée dans sa contemplation, elle mit un certain temps à s'apercevoir que Herbert et Monique lui avaient faussé compagnie. Où pouvaient-ils bien être ? Peut-être étaient-ils redescendus dans les autres salles, où ils la rejoindraient plus tard ? Qu'importait ? Suzannah n'allait pas interrompre sa visite à cause d'eux.Il s'écoula donc une quinzaine de minutes avant qu'elle se dirige vers la sortie du musée. A l'extérieur, Suzannah scruta les alentours. Personne en vue. Tant pis, elle irait boire un thé quelque part puis prendrait un tramway pour rentrer. Mais à peine avait-elle avancé de quelques pas qu'elle aperçut le couple, approchant dans sa direction.— Ah, Suzannah... Monique s'est souvenue qu'elle avait un achat à faire à la pharmacie. Vous aviez l'air tellement absorbé à contempler le tableau que nous avons renoncé à vous déranger. Vous n'êtes pas fâchée ?

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Herbert ponctua ces déclarations, d'un rire artificiel pour demander aussitôt après :— Et si nous allions boire un thé? Je connais un endroit formidable pas loin.Suzannah ne crut pas un traître mot de ses paroles. Du reste, il suffisait de voir leur air coupable à tous les deux pour comprendre qu'ils se moquaient d'elle. Suzannah accepta néanmoins l'invitation d'Herbert. Après tout, leurs petites affaires ne la regardaient pas. Une question cependant l'intriguait : pourquoi lui avait-il proposé cette sortie?Ce mystère préoccupait toujours la jeune femme lorsqu'ils entrèrent dans le café. En fait de « formidable », l'endroit était on ne peut plus ordinaire. Même le thé se révéla insipide et à peine tiède. Suzannah le but avec au cœur une triste sensation de solitude. Après une excuse hâtive en effet, ses deux compagnons avaient entamé une conversation à voix basse. Cela commençait à dépasser les limites, Suzannah ne se prêterait pas plus longtemps à cette petite comédie !Profitant d'une pause, elle annonça :— Merci pour ce thé, Herbert, mais je... Comme Suzannah s'était levée, il la retint vivement par le bras.— Suzannah, vous m'êtes très sympathique, et j'aimerais que vous me rendiez un service... Je... Monique et moi, nous ne pouvons nous voir qu'en cachette. Elle est mariée et moi-même, je suis fiancé, mais nous ne sommes heureux ni l'un, ni l'autre. Alors voilà, je voudrais que vous ne disiez rien de cette rencontre à mes parents, que vous leur laissiez croire que nous avons passé l'après-midi et la soirée ensemble.Voilà pourquoi Suzannah se sentait indésirable... Après avoir médité un moment ces propos, elle répliqua :— D'accord, je me tairai. Mais pour cette fois seulement. A l'avenir, ne comptez pas sur moi.Là-dessus, elle prit congé des deux amoureux avec un bref signe de tête.La nuit était tombée sur la ville. Il lui était impossible de rentrer tout de suite après la promesse faite à Herbert, mais comment meubler le temps? Déjà, les magasins fermaient. Restait le cinéma... Suzannah passa donc les deux heures suivantes dans une salle obscure à regarder un film américain sous-titré en néerlandais. Après quoi, elle rejoignit l'arrêt de tramway le plus proche.C'est à ce moment-là que le professeur, qui se rendait chez les van

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Dijl, aperçut sa silhouette menue qui marchait d'un pas pressé. Pris dans le flot intense de la circulation, il lui fut impossible de s'arrêter. « Son jour de congé », pensa-t-il.Il était installé au salon en compagnie de Julie et de sa mère lorsque Suzannah parut. A peine se levait-il pour la saluer qu'Herbert entra à son tour. Comme le professeur ne le tenait pas en haute estime, il l'accueillit d'un simple hochement de tête. Herbert, en revanche, se montra très exubérant.— Ah, tu viens examiner Julie sans doute? Moi, je la trouve très en forme.Il prit place près de Suzannah avant d'ajouter :— Je viens de garer la voiture. Suzannah et moi avons passé une journée très agréable. Déjeuner au restaurant, visite du Mesdag, ensuite le thé chez Saur. Le grand tour, quoi ! Et enfin, nous avons fait un peu de lèche-vitrines avant de rentrer. Sans raison particulière, il se mit à rire.— N'est-ce pas, Suzannah, c'était une journée agréable ?Incapable d'affronter son regard — et encore moins celui du professeur qu'elle sentait rivé sur elle —, la jeune femme murmura :— Oh, oui, tout à fait.Dieu merci, Julie abrégea ce moment d'embarras.— Guy, si tu veux m'examiner, autant le faire tout de suite, non? Suzannah, venez avec nous.Elle n'était que trop heureuse de les suivre ! Avec un peu de chance, Herbert serait parti lorsque viendrait le moment de redescendre au salon.Le professeur n'était pas pressé. Il examina longuement Julie puis s'assit pour discuter avec elle. Mal à l'aise, Suzannah s'agitait dans le fond de la chambre. Dès que l'occasion s'en présenterait, elle filerait. Mais le hasard voulut que le téléphone sonne au chevet de Julie.— Allons attendre dans le couloir, suggéra le professeur.Sans lui demander son avis, il entraîna Suzannah sur le palier où il alla s'accouder à la balustrade surplombant le hall d'entrée.— Alors, cette sortie avec Herbert, elle était vraiment agréable? demanda-t-il à Suzannah.— Oui, répondit-elle, étonnée, et surtout ennuyée qu'il s'appesantisse sur le sujet.— Ça ne ressemble guère à Herbert de faire du lèche-vitrines... Enfin, je me réjouis qu'il vous ait emmenée chez Saur. C'est un endroit si fascinant. Etes-vous montés à l'étage?

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— Oui, oui, et leur thé était délicieux.— Pour ma part, je n'apprécie pas tellement leur porcelaine rose et or.Au ton doucereux qu'il avait employé, Suzannah, plus embarrassée que jamais, lui décocha un regard furtif. A sa propre surprise, elle s'entendit répondre avec aplomb :— Ah, je l'ai trouvée plutôt jolie.— Suzannah, il n'y a pas de salle en étage chez Saur, et encore moins de porcelaine rose et or. De plus, Herbert n'était pas avec vous quand je vous ai aperçue dans l'avenue Lange Voorhout. Avec qui avez-vous passé la journée? Et inutile d'échafauder de nouveaux mensonges, je veux la vérité.L'audace de ses propos la laissa sans voix. En somme, il la soupçonnait d'avoir rencontré quelqu'un en cachette à La Haye ! Un homme, bien entendu. Décidément, le Pr Bowers n'était pas seulement l'être arrogant et insensible qu'elle avait cru, mais bien pire !— Ça ne vous regarde pas, riposta-t-elle, la voix un peu tremblante malgré elle.— Comment, ça ne me regarde pas? C'est bien moi qui vous ai fait venir ici, Suzannah, je...En voyant que deux larmes roulaient sur sa joue, le professeur s'interrompit, puis, soudain :— Je me suis trompé, n'est-ce pas? En réalité, Herbert a encore fait des siennes et il s'est servi de vous. Soyez sans crainte, ma chère, je garderai le silence, mais je ne permettrai pas davantage de pareils abus.Le professeur souleva son menton du doigt pour sonder ses yeux gris.— Vous ne m'aimez pas, n'est-ce pas? Je vous demande simplement de me croire quand je vous dis que je vous veux du bien.Comme un sanglot étouffé accueillait ces propos, il tendit à Suzannah un mouchoir blanc.— Quand est prévu votre prochain jour de congé?— Le jeudi de la semaine prochaine.— Dans neuf jours. Voyons... Je dois revoir Julie le mercredi pour l'examiner une dernière fois. Je viendrai en voiture et nous irons visiter un peu le pays. Qu'en pensez-vous?Ce n'était pas possible, elle avait mal entendu!— Je... ce n'est pas nécessaire, professeur. Je ne voudrais pas vous

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faire perdre votre temps, vous...— Mais non, il y a longtemps que j'ai envie de me rendre dans la forêt de Haute Veluwe, elle est superbe, vous verrez. Et en y mettant du nôtre, nous arriverons peut-être à passer une heure ou deux sans nous disputer, qui sait?Le professeur assortit cette dernière remarque d'un sourire ironique, qui laissa Suzannah interdite, tant il métamorphosait ses traits d'habitude si austères. Il lui semblait si avenant tout à coup, si sympathique. Tout compte fait, peut-être parviendrait-elle à bien l'aimer...— Si vous êtes certain que ça ne vous dérangera pas, j'accepte avec plaisir!A ces mots, le professeur se rappela un déjeuner professionnel prévu pour le jeudi... et qu'il lui faudrait annuler. Qu'est-ce qui lui était donc passé par la tête pour consacrer une journée complète à cette fille somme toute quelconque? Ses larmes l'auraient-elles donc tant ému?II en était encore à se poser la question lorsque Julie parut sur le palier. Ensemble, ils regagnèrent donc le salon. Cette fois, le professeur ne s'attarda pas; un quart d'heure plus tard, il quittait la maison.La perspective d'être de nouveau confrontée à Herbert pour le dîner préoccupait Suzannah. A tort, car elle eut la nette impression qu'il évitait de lui parler, et pas une fois il n'évoqua leurs pérégrinations de la journée. Tant mieux... De même, le lendemain, il passa de longues heures dans le bureau de son père à discuter affaires, si bien que Suzannah ne le vit pour ainsi dire pas.Durant les jours qui suivirent, une excitation croissante gagna Suzannah. Son départ approchait! Certes, cet emploi avait été pour elle une providence, et il lui avait permis de se constituer un petit pécule. Mais avec quelle joie elle retrouverait l'Angleterre et Horace ! Une ombre cependant ternissait ce tableau. Car Suzannah ne pouvait songer à son retour sans se poser une question angoissante : où irait-elle? La jeune femme n'avait pas le choix. Encore une fois, il lui faudrait demander l'hospitalité à Mme Coffin, le temps de trouver du travail.Les jours passèrent. Fidèle à sa promesse, le professeur arriva le mercredi, comme la fois précédente, pendant le déjeuner de Suzannah. Mais il se montra moins loquace, et lorsqu'il prit des nouvelles de Julie, Suzannah sentit dans le ton de ses questions un

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certain agacement.Quand ils montèrent dans sa chambre, ils trouvèrent Julie au lit, occupée à lire son courrier. Elle reçut le professeur avec effusion.— Tu m'as l'air très en forme, remarqua-t-il. Julie brandit une lettre.— Guy, Steve revient! Steve... tu te souviens de lui?— Et comment. Tu refusais catégoriquement qu'on l'avertisse de ta maladie.— C'est vrai. Dans sa lettre, il me dit que s'il avait su, il ne serait jamais parti. Je me demande qui a pu le prévenir.— Moi, je le lui ai écrit, annonça avec calme le professeur. Peut-être l'as-tu oublié, Julie, mais tu n'avais pas exigé le secret de ma part. Chaque semaine, depuis ton opération, je lui adresse un compte rendu de ta santé. Je l'avais prié de ne pas revenir avant que tu ne sois complètement guérie. Pour quand t'annonce-t-il son retour?— Pour dans deux jours! Oh, Guy, si tu savais comme je suis heureuse ! Je craignais tant de ne plus le revoir. Tout le reste m'indifférait. Figure-toi que j'avais même envisagé de t'épouser.Le professeur accueillit cet aveu sans se troubler.— C'est devenu inutile à présent. De toute façon, sans vouloir t'offenser, je ne crois pas que j'aurais voulu me marier avec toi. Même si par ailleurs, je te trouve très belle ! Allons, trêve de plaisanterie. Laisse-moi t'examiner, que je voie si tu mérites ou non ta liberté.Durant cet échange, Suzannah était demeurée discrètement en arrière. La joie de Julie lui faisait grand plaisir, mais en même temps, elle ne pouvait se défendre d'une vague mélancolie : ce n'est pas à elle qu'arriverait un bonheur pareil. Qu'un homme surgisse ainsi dans sa vie, l'épouse, et la soulage à jamais de tous ses soucis... L'idée était si plaisante que Suzannah n'entendit même pas le professeur l'appeler par son prénom. Il dut s'y reprendre à trois fois pour la tirer de ses rêveries.— Suzannah, voulez-vous aller me chercher les comprimés de Julie, je vous prie. Je dois modifier son traitement.Rougissante, elle s'engouffra dans la salle de bains pour y prendre les médicaments. A son retour dans la chambre, Julie demandait au professeur :— Quand Suzannah pourra-t-elle partir? Sa présence ici n'est plus nécessaire.— En effet. Voyons... Steve arrive après-demain? Suzannah pourrait s'en aller le même jour.

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Ravie, Julie se jeta à son cou.— Guy, tu es adorable ! Je suis sûre que tu ferais un mari merveilleux. L'ennui, c'est qu'il ne doit exister aucune femme assez bien pour toi.Puis, s'adressant à Suzannah :— Vous n'avez pas dû vous amuser follement ici. J'imagine que vous devez vous réjouir de rentrer chez vous.Suzannah acquiesça d'un sourire. Chez elle? Elle n'avait pas de « chez elle ». Mais ce n'était pas le genre de confidence susceptible d'intéresser Julie.Pendant qu'elle se faisait cette réflexion, le professeur prit congé de Julie.— Porte-toi bien, lui souhaita-t-il avec une petite tape amicale sur l'épaule. Tu sais où me joindre en cas de besoin. Je descends voir ta mère. Suzannah, venez avec moi, je vous prie.Dans le hall, il lui glissa :— Je serai ici à 9 heures demain matin. Ça nous laissera une longue journée devant nous.— A 9 heures? C'est que... si je pars après-demain, il me faut le temps de préparer mes valises et... et d'organiser mon voyage de retour.Le professeur eut un froncement imperceptible de sourcils.— Vos valises? En une demi-heure, elles seront faites, Suzannah. Vous n'avez pas une garde-robe tellement importante, que je sache. Quant à votre voyage, tout est réglé. Vous rentrerez avec moi en voiture, je vous ai réservé une place sur le ferry de 10 heures pour Harwich.— Mais... comment saviez-vous que je partirais?— Steve m'a prévenu de la date de son arrivée. Je me doutais bien que vous ne vous attarderiez pas à La Haye plus que nécessaire. Vous aviez d'autres projets, peut-être?— Oh, non. Je comptais retourner chez Mme Coffin, et si possible récupérer Horace à mon passage à Londres.— Nous reparlerons de tous ces détails demain. Au revoir, Suzannah, à bientôt.Sur ces mots, le professeur traversa le hall à longues enjambées, en direction du salon. Quant à Suzannah, elle demeura immobile un moment, comme étourdie par ce qui venait de se passer. A vrai dire, elle était partagée entre la joie et la contrariété. Car si l'imminence de son départ la remplissait d'allégresse, en revanche la remarque

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désobligeante du professeur au sujet de sa garde-robe l'avait meurtrie dans son amour-propre. Après tout, qu'est-ce que cela pouvait lui faire qu'elle eût peu de toilettes? Quel manque de délicatesse !

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6.

Non, décidément, ce manteau marron n'allait pas du tout. Peut-être avait-il belle allure il y a deux ou trois ans, mais il commençait à être vraiment usé. Comment Suzannah ne s'en était-elle pas aperçue plus tôt? Et la robe qu'elle portait dessous, marron également, ne valait guère mieux. Elle avait l'air d'une petite souris rousse! Dépitée, la jeune femme cessa de s'observer dans le miroir de la coiffeuse pour fouiller dans la commode. Elle en sortit un foulard dans des tons de vert qu'elle noua autour de son cou. Lui au moins était d'une couleur gaie.Quelle sotte aussi d'avoir accepté cette sortie avec le professeur! Il est vrai qu'il ne lui avait guère donné le choix. Sans doute avait-il agi sur une impulsion et qui sait, peut-être en ce moment même, regrettait-il lui aussi cette invitation?Ce en quoi Suzannah n'était pas loin de la vérité. Non que le professeur regrettât vraiment son initiative, mais il se demandait ce qui avait bien pu la motiver. Après tout, que savait-il de Suzannah? Pour ainsi dire rien, ils n'avaient jamais eu de véritable conversation. Mais justement, il éprouvait un besoin inexplicable de mieux la connaître. Elle possédait une telle fraîcheur d'âme, elle était si émouvante de candeur et de simplicité...Quand il sonna à la porte des van Dijl, Suzannah, qui avait guetté son arrivée, descendit. Ses traits reflétaient la tranquillité même, et pourtant... Quelques instants plus tôt, Julie, à qui elle était allée rendre visite, n'avait rien trouvé de mieux à lui dire que :— Avec vos cheveux, c'est du vert ou du bleu que vous devriez porter, Suzannah! Ou même du noir, mais ce marron...Aussi, sous son calme de façade, Suzannah cachait-elle ses sentiments, un mélange d'humiliation et d'appréhension. Pourvu qu'elle ne fasse pas trop mauvaise impression sur le professeur... Ah, comme elle aurait voulu se terrer dans sa chambre ! Là, au moins, personne ne la jugerait.Quelle ne fut pas sa surprise — et sa joie — de l'entendre déclarer, en réponse à son bonjour :— Quel temps gris dehors! Heureusement que vos cheveux nous

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apportent un peu de soleil, Suzannah.Un sourire si chaleureux accompagnait le compliment que sans s'en rendre compte, Suzannah lui sourit elle aussi de bon cœur. Alors, robe et manteau perdirent toute importance à ses yeux.Dans la voiture, le professeur déplia une carte routière.— Voilà l'itinéraire que je vous propose.Du doigt, il lui montra le circuit qu'il avait mis au point. Cela paraissait considérable.— Tout ça en un seul jour?— La Hollande est un minuscule pays, vous savez. Et puis, nous avons huit à neuf heures devant nous.De nouveau, il lui sourit, et Suzannah eut le sentiment que, tout compte fait, elle allait passer une agréable journée.Utrecht, Appeldoorn, Zwolle... Toutes ces villes au nom magique devinrent une réalité aux yeux de Suzannah. Manifestement, le professeur connaissait bien la Hollande. Mais fallait-il s'en étonner? Ainsi qu'il le lui apprit, il y venait en vacances dans son enfance et avait même poursuivi une partie de ses études à l'université de La Haye. Voilà pourquoi le pays lui était si familier... et si cher. Il en parlait en effet avec amour. Et même si le temps leur manquait pour s'arrêter dans chaque ville, Suzannah avait l'impression de les connaître par les seules anecdotes qu'il lui racontait sur chacune, à mesure qu'ils les traversaient.Le temps passa bien vite pour Suzannah, signe qu'elle se sentait à l'aise. Quant à son compagnon, s'il s'ennuyait, il le dissimulait à merveille.Après Zwolle, ils mirent le cap sur Sneek où le professeur tint à s'arrêter pour lui faire les honneurs du port. Encore quelques kilomètres sur de petites routes de campagne se faufilant entre des lacs et ils arrivèrent à Beesterzwaag. Il était 13 heures, et il fut décidé d'un commun accord d'aller déjeuner. Le restaurant qu'ils choisirent leur servit un repas raffiné, à base essentiellement de poissons et de fruits de mer.— Nous sommes environ à la moitié de notre parcours, annonça le professeur au moment du café. Tout à l'heure, nous traverserons une digue maritime d'une vingtaine de kilomètres. Vous verrez, c'est très impressionnant, on se croirait perdu au milieu de la mer. Et de l'autre côté, la côte est très pittoresque. Espérons qu'il ne fera pas trop sombre lorsque nous atteindrons Hilversum. En cette saison, malheureusement, la nuit tombe vite.

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A faible allure, ils empruntèrent donc cette route qui semblait posée sur l'eau. Que c'était beau! Ils s'arrêtèrent un instant pour admirer l'immensité bleue. Le soleil annonçant son déclin rougeoyait déjà l'horizon, et ils reprirent la voiture pour rejoindre la ville de l'autre côté. Après avoir flâné à pied sur le port, ils s'engagèrent au crépuscule sur une route étroite qui suivait le tracé capricieux de la rivière Vecht, un cours d'eau paisible, bordé de part et d'autre par un rideau de hêtres derrière lesquels se devinaient de splendides maisons. Leurs fenêtres dépourvues de volets dessinaient dans le soir des carrés de lumière qui leur donnaient un air accueillant. Qu'il devait faire bon vivre ici, songea Suzannah avec envie.— Je connais un petit café sympathique, pas loin, à Loenen. Nous pourrions nous y arrêter boire un thé, suggéra le professeur.Quand ils en sortirent, une demi-heure plus tard, la pluie s'était mise à tomber, une petite pluie fine qu'accompagnait un vent froid. Et il faisait nuit noire. Ce serait bientôt l'heure de rentrer... déjà. Oui, cette visite de la Hollande avait enthousiasmé Suzannah, et aussi surprenant que cela parût, le professeur s'était révélé un compagnon des plus agréables. Peut-être ne lui avait-il offert cette sortie que pour lui faire oublier les désagréments de son séjour chez les van Dijl? Mais quand bien même cela aurait été le cas, son geste n'en demeurait pas moins un témoignage de bienveillance.Ils filaient à présent sur l'autoroute en direction de La Haye qui n'était plus qu'à quelques kilomètres. Suzannah prévoyait déjà de passer la soirée à faire ses valises. Enfin... une partie de la soirée. Comme le professeur se taisait, elle se mit à songer à ce qu'elle ferait à son arrivée en Angleterre. Réflexions angoissantes qui furent brusquement interrompues par la voix du professeur :— J'ai pensé que nous pourrions dîner à Leidschendam. Il est bien trop tôt pour rentrer.— Oh, volontiers, mais... mais ma robe n'est peut-être pas assez habillée.— Quelle importance, Suzannah? Nous avons passé une agréable journée et nous n'allons pas nous priver d'un bon repas au restaurant parce que vous ne portez pas de robe de soirée.Tout semblait si facile, si simple dans la bouche du professeur...Et ce fut sans aucun complexe que Suzannah prit place en face de lui à la table où les conduisit le serveur.On leur apporta l'apéritif, un jenever pour le professeur, et pour Suzannah un vermouth plus léger. Pendant qu'elle étudiait le menu,

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il l'observait à la dérobée. C'est vrai, cette robe marron manquait pour le moins de fantaisie, cependant il fallait bien admettre que son visage n'était pas sans grâce, surtout en ce moment. Dans ses cheveux, çà et là, brillaient quelques gouttes de pluie, prisonnières de ses boucles cuivrées; l'excitation teintait ses joues d'un rose délicat et donnait à ses yeux un éclat inhabituel. Suzannah était si différente des femmes sophistiquées qu'il avait l'habitude de fréquenter... Et pourtant, il avait plaisir à être avec elle.Justement, elle levait vers lui ses yeux gris, et il lui sourit.— Alors, qu'est-ce qui vous tente?— Tout, confessa Suzannah en lui rendant son sourire.— Dans ce cas, je vous recommande particulièrement le saumon à la bisque de homard. Qu'en pensez-vous? En entrée, nous pourrions prendre une mousseline de poulet au caviar. Et puisque nous fêtons la guérison complète de Julie, il me semble que le champagne s'impose, non?Du Champagne... Suzannah se souvint de la dernière fois qu'elle en avait bu : à un anniversaire de sa mère, il y avait bien longtemps.Celui qu'on leur apporta lui parut excellent. Peut-être parce qu'il provoqua en elle une légère euphorie qui la rendait optimiste... Et elle ne s'émut pas lorsque le professeur en cours de repas aborda des sujets sensibles.— Que comptez-vous faire à votre retour en Angleterre? Vous avez des projets?Ce n'était pas la première fois qu'il lui posait la question. Elle lui rappela son intention de retourner chez Mme Coffin avec Horace. Ce à quoi il répliqua :— En y réfléchissant, il me semble qu'il serait plus simple pour vous de laisser votre chat quelques jours de plus à Mme Cobb, le temps que vous trouviez du travail.— Oui, c'est une idée, répondit prudemment Suzannah.— Vers quel genre d'emploi vous orienterez-vous?— J'ai pensé à un travail de réceptionniste. Mais à vrai dire, j'accepterai n'importe quelle place où je serai logée et où on me permettra de garder Horace.— Avez-vous des amis à Londres qui puissent vous héberger quand nous y arriverons?Par deux fois déjà, il était venu en aide à Suzannah. Peut-être aurait-elle besoin de lui une troisième fois. Mais elle répondit avec assurance, bien qu'il s'agît d'un mensonge :

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— Oui, oui, j'y ai une amie. Si Mme Cobb peut garder Horace un jour de plus, ce sera très bien, ça me laissera le temps de m'installer.Le professeur fronça les sourcils.— Ne disiez-vous pas que vous iriez chez Mme Coffin en attendant d'avoir un emploi?— Si, mais puisque je serai à Londres, autant y rester un jour ou deux. Avec un peu de chance, je trouverai tout de suite du travail.Si Suzannah affichait tant de conviction, c'est parce qu'elle souhaitait ne pas encore abuser de la gentillesse du professeur. Il devait bien exister dans la capitale des meublés où elle pourrait loger avec Horace. Bien sûr, le lendemain quand ils y arriveraient, il serait tard; il lui faudrait trouver un toit, ne fût-ce que pour la nuit. Quant à l'avenir plus lointain, Suzannah se refusait à l'envisager. Elle s'imaginait mal, arpentant les rues de Londres avec Horace dans son panier, à la recherche d'un emploi et d'un toit où s'abriter... Heureusement qu'en cas d'échec, il lui restait toujours la possibilité d'aller habiter chez Mme Coffin. A cette pensée réconfortante, un petit soupir de soulagement lui échappa. Attentif à ses moindres expressions, le professeur le remarqua et se demanda ce qui avait bien pu le motiver. Car il n'était pas dupe, et savait pertinemment que Suzannah lui racontait ce qu'elle croyait qu'il désirait entendre.Aussi, en homme patient et avisé, il se mit à parler de tout autre chose. Après coup seulement, il se demanda pourquoi l'avenir de cette jeune femme le préoccupait tant. Rien ne justifiait ses craintes : Suzannah n'était pas sans ressources et elle l'avait assuré pouvoir trouver un emploi sans difficultés notables. Alors?..Il s'abstint donc d'évoquer de nouveau la question et le repas s'acheva dans une ambiance tout à fait détendue.Avec sa ponctualité habituelle, le professeur se présenta à l'heure convenue le lendemain matin pour venir chercher Suzannah. Les adieux avec les van Dijl furent brefs. M. van Dijl était déjà parti à son bureau, mais Mary remercia Suzannah avec effusion et, tout en l'embrassant, glissa un petit paquet dans sa poche.— Vous avez été si bonne pour nous.Quant à Julie, fidèle à elle-même, elle se contenta de lui serrer ta main en disant :— Eh bien, amusez-vous bien là où vous irez. Je ne m'attarde pas, il faut que je me prépare pour l'arrivée de Steve.— Je vous souhaite beaucoup de bonheur à tous les deux, lui

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répondit Suzannah.Sans plus attendre, ils montèrent en voiture et partirent.Le professeur ayant tout organisé jusqu'aux moindres détails, le voyage fut sans encombre. Ils approchaient de Londres, en début de soirée, lorsque Suzannah lui dit :— Si ça ne vous dérange pas, j'aimerais que vous me déposiez à la gare de Charing Cross, je...— Certainement pas. Il n'est pas question que vous vagabondiez seule dans les rues de Londres à cette heure-ci. Pour cette nuit, vous logerez chez moi, c'est préférable. Demain matin, vous aurez tout le temps de vous installer chez votre amie.— Il n'est pas nécessaire que vous...— Inutile de discuter.Rien à l'évidence ne le ferait changer d'avis, aussi Suzannah murmura-t-elle :— Bien, professeur.Elle avait dit cela d'un ton si soumis qu'il en sourit.Peu après, ils franchissaient le seuil de sa maison du quartier de Belgravia. Il y faisait délicieusement bon, et un feu accueillant pétillait dans la cheminée. En un tournemain, Mme Cobb leur prépara un succulent repas qu'ils savourèrent dans le confort élégant de la salle à manger. Après quoi, Suzannah fut conduite à la cuisine pour y retrouver Horace. Un Horace heureux, au poil lisse et brillant, et qui parut content de la voir. Le professeur, lui, s'était retiré dans son bureau. Quelques instants, Suzannah bavarda avec M. et Mme Cobb et, à son tour, prit congé pour rejoindre sa chambre.Elle monta donc l'escalier, ne sachant trop si elle devait ou non passer chez le professeur pour lui souhaiter bonne nuit. Justement, la porte de son bureau s'ouvrit alors qu'elle hésitait sur le palier et la tête du professeur parut dans l'embrasure.— Vous allez vous coucher, Suzannah ? Dormez bien. Demain, vous ne me verrez pas, je quitterai la maison assez tôt. Venez chercher Horace quand il vous plaira. J'ai demandé à M. Cobb de vous conduire chez votre amie, tous les deux.— Oh, il ne fallait pas, protesta-t-elle d'une petite voix.Et à nouveau, il riposta d'un ton qui ne souffrait pas de réplique :— Inutile de discuter.Aussi se borna-t-elle à le remercier pour le voyage et à le saluer.— C'était très aimable à vous. Au revoir, professeur Bowers.

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— Je trouve que nous nous disons bien souvent au revoir, non?Puis, avec une pointe d'impatience :— S'il vous faut de l'aide, n'hésitez pas à me contacter. Avez-vous assez d'argent pour tenir jusqu'à ce que vous ayez un emploi?— Oui, je vous remercie.Le professeur, qui l'observait d'un regard aigu, allait répliquer lorsqu'un cocker sortant du bureau, se faufila entre ses jambes et, curieux, vint pointer sa truffe vers la jeune femme.— Suzannah, je vous présente Dick, mon plus fidèle compagnon.Elle se pencha pour caresser le jeune chien.— Bonjour, Dick... et au revoir. Puis, tendant la main au professeur :— Au revoir, professeur.C'est alors qu'il se produisit quelque chose d'inouï. Le professeur lui serra la main, puis, brusquement, l'attirant à lui, s'empara de ses lèvres. Suzannah avait déjà été embrassée, et pourtant jamais aucun baiser n'avait suscité en elle l'émotion qu'elle ressentit sous les lèvres brûlantes du professeur. C'était un baiser à la fois doux et passionné, un baiser comme elle aurait aimé en recevoir tous les jours de sa vie... Mais il lui faudrait se contenter de celui-là seul. Sa voix, tout son être tremblaient lorsqu'elle lui souhaita ensuite bonne nuit et gagna sa chambre d'une démarche incertaine. Ce soir-là, malgré la fatigue de la journée, elle s'agita longtemps dans son lit avant de succomber au sommeil.Au matin, lorsqu'elle descendit, M. Cobb l'accueillit d'un joyeux bonjour.— D'après le professeur, vous devez vous rendre chez une amie, n'est-ce pas? Il m'a demandé de vous conduire là où vous le souhaiterez quand vous reviendrez chercher Horace et vos affaires.N'osant protester, Suzannah le remercia. Après un petit déjeuner aussi copieux que délicieux, elle quitta la maison.Le destin allait-il lui tendre une main secourable? Elle en avait tant besoin ! Et c'est ce qui arriva.Dans le premier des journaux qu'elle acheta, une annonce à la rubrique des offres d'emploi lui sauta aux yeux. « Demande d'urgence jeune femme, bonne éducation, pour aider dans école maternelle, proche Tottenham Court Road ». Suivait l'adresse exacte.Moins d'un quart d'heure plus tard, Suzannah s'y présentait. Située dans un quartier modeste mais calme, l'école s'abritait dans un vieil immeuble en briques rouges, aux formes lourdes et massives.

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Lorsqu'elle sonna, Suzannah entendit au travers de la porte des voix d'enfants. Le battant s'ouvrit sur une femme d'une cinquantaine d'années, dont l'allure maternelle avait un côté réconfortant.— Bonjour, madame. Je viens pour l'annonce.— Ah, entrez.Elle s'effaça pour laisser passer Suzannah, puis lui tendit la main.— Je me présente, je suis Rosy Willis, directrice de l'école.— Suzannah Lightfoot.Les deux femmes échangèrent une poignée de main, après quoi Mme Willis invita Suzannah à la suivre dans son bureau. Quand elles furent assises face à face de part et d'autre de la petite table, la directrice expliqua :— Voilà, j'ai besoin d'une assistante de toute urgence car deux des miennes m'ont quittée la semaine dernière; l'une pour cause de maladie, et l'autre parce qu'elle se mariait. Pour vous faire une idée de notre établissement, sachez que nous accueillons quotidiennement une trentaine d'enfants; assez jeunes, la moyenne d'âge est de trois ans. Pour la plupart, leurs mères travaillent soit à l'hôpital à côté, soit au musée du jouet. Ils arrivent à l'école à huit heures et en partent au plus tard à dix-huit heures. Je préfère vous avertir, c'est un travail difficile, et assez mal rétribué; l'école ne reçoit pas de subventions de l'État.Elle mentionna une somme, plutôt faible en effet. Plus que jamais, Suzannah devrait mesurer ses dépenses...— Par contre, vous disposeriez d'un logement de fonction gratuit, c'est un petit studio à l'entresol de l'immeuble. J'habite moi-même au dernier étage. Que vous dire de plus? Vous auriez tous vos dimanches libres, ainsi que la plupart des samedis après-midi.Après une courte pause, elle ajouta :— Avez-vous des références?Suzannah les lui remit : une lettre de Lady Manbrook et une autre de M. van Dijl. Mme Willis les lut avec attention.— Avez-vous déjà travaillé dans l'enseignement?— Non, mais j'ai mon baccalauréat.— D'habitude, je vérifie toujours les références, mais cette fois, le temps me presse trop. Voyons, si le poste vous intéresse, mademoiselle Lightfoot, je vous propose de vous engager un mois à l'essai.— Volontiers, je crois que ce travail me plaira. Au fait, j'ai un chat. Pourra-t-il vivre avec moi dans le studio ?

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— Pourquoi pas? Dans la mesure où il n'incommode personne. Mais venez, je vais vous faire visiter votre futur logement.Il se composait d'une pièce plutôt sombre et froide, mais cependant très propre, avec dans un coin, un petit réchaud à gaz, et, attenant, un cabinet de toilette. Le mobilier était ordinaire et réduit au strict nécessaire, mais du moins les rideaux de la fenêtre avec leurs motifs fleuris apportaient-ils à l'ensemble une note de gaieté.— Si vous n'y voyez- pas d'inconvénient, madame Willis, je pourrais m'installer dès aujourd'hui. Et commencer à travailler demain.— Parfait, je n'en espérais pas tant, avoua la directrice avec un sourire. Je souhaite que le travail vous plaise. Une dernière précision, nous n'avons pas les mêmes vacances que celles des établissements scolaires. L'école ferme seulement le jour de Noël et le lendemain. Aviez-vous des projets pour les fêtes?— Non, aucun, madame Willis.— Très bien. En ce qui me concerne, j'ai prévu de partir chez ma sœur pour les deux jours de fermeture. Ça ne vous dérangera pas d'être seule ici?— Non, je ne pense pas.La directrice remit à Suzannah la clé du logement.— Elle vous appartient. Venez vous installer quand vous serez prête. Vous m'excuserez, mais je vous ferai visiter l'école à votre retour, je n'en ai pas le temps maintenant.Suzannah empocha la clé... non sans satisfaction. Ses vœux étaient exaucés : elle avait un toit et un gagne-pain. Ce n'était pas l'idéal, mais il lui faudrait s'en contenter pour l'instant.De retour à la maison du professeur, ce ne fut pas sans mal qu'elle persuada M. Cobb de la laisser partir avec le taxi par lequel elle était venue. Ce changement de programme le tracassait.— Je me demande ce qu'en pensera le professeur. Il était convenu que je vous dépose à bon port chez votre amie...— Je sais bien mais il n'avait pas prévu, et moi non plus d'ailleurs, qu'elle appellerait un taxi pour que j'aille chercher Horace et mes affaires. Il est dehors qui m'attend. Ecoutez, monsieur Cobb, dites lui que j'ai trouvé un travail avec un logement de fonction. Merci à vous et à Mme Cobb. Et remerciez bien le professeur pour moi, je lui écrirai.Ainsi, bien qu'encore réticent, M. Cobb l'avait laissée partir. Bientôt, Suzannah se retrouva donc dans son petit logement en sous-sol en compagnie d'Horace, heureux d'être avec elle, mais un peu

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désorienté par ce nouvel environnement.Avant toute chose, il fallait allumer le poêle à gaz car la température était plutôt fraîche. Après quoi, Suzannah consacra un quart d'heure à effectuer quelques emplettes de première nécessité dans une épicerie, au bout de la rue. Il faisait bon dans la chambre à son retour, et avec la lumière allumée et les rideaux tirés, l'atmosphère était beaucoup plus hospitalière.Mais pas question de s'y attarder. La jeune femme s'accorda juste le temps de boire une tasse de thé avant d'aller rejoindre Mme Willis. Pour entrer dans l'école, il lui fallait emprunter un escalier extérieur et passer par la porte d'entrée. Elle la trouva ouverte, car c'était l'heure de la sortie, et mères et enfants allaient et venaient dans le hall. Le dernier écolier parti, Mme Willis emmena Suzannah visiter les lieux. Ainsi qu'elle le lui expliqua, les enfants étaient répartis dans quatre classes. Mais étant donné le départ des deux assistantes, elle et une autre maîtresse avaient dû se partager le travail.— Demain, nous nous répartirons les enfants. Chacune en aura une dizaine sous sa responsabilité. Voilà comment s'organise l'emploi du temps de la journée : le matin, les enfants sont occupés essentiellement à des jeux et à quelques activités éducatives. Ils mangent à midi et font ensuite une sieste d'une heure ou deux. Pendant leur repos, c'est vous et Mélanie, l'autre assistante, qui devrez les surveiller à tour de rôle. Jusqu'à leur sortie de l'école, c'est-à-dire dix-sept heures, les enfants s'amusent entre eux. Mais il n'est pas rare que l'un ou l'autre reste jusqu'à dix-huit heures si la mère est dans l'impossibilité de se libérer plus tôt.Tout en parlant, Mme Willis guidait Suzannah de pièce en pièce, ne négligeant aucun endroit, aucun détail. Le moment venu de prendre congé, elle lui réitéra sa mise en garde.— C'est un travail difficile, je vous ai prévenue. J'attends de vous la même franchise, mademoiselle Lightfoot. Si quelque chose ne va pas, il faudra me le dire.Suzannah était confiante : le travail ne lui faisait pas peur. Si elle n'en dit rien à Mme Willis, elle le confia à Horace une fois revenue dans sa chambre. C'était bien agréable d'avoir un compagnon à qui parler, même si son auditeur se montrait plus ou moins attentif... Pauvre Horace, elle lui en infligeait des déménagements. Cela dit, il ne semblait pas particulièrement malheureux. Installé dans la position du sphinx sur la vieille écharpe de laine qu'elle avait

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disposée devant le poêle, il somnolait. Question confort, l'un et l'autre avaient perdu au change, c'était indéniable. Mais Suzannah ne désespérait pas.— Un peu de patience, Horace, d'ici quelques mois notre situation s'améliorera.Agréable surprise, l'eau de la douche était chaude quand elle ouvrit le robinet. Et une douce température régnait dans la pièce quand, sa toilette terminée, Suzannah s'y installa pour dîner. Mais, fatiguée par cette longue journée, elle se coucha tôt. Curieusement, ses dernières pensées avant de s'endormir furent pour le professeur. Des pensées teintées de tristesse, sans que Suzannah pût s'expliquer pourquoi.Lui aussi, à cet instant, songeait à la jeune femme. Mais avec beaucoup plus d'inquiétude que de tristesse. Où se trouvait-elle? M. Cobb n'avait pu répondre à ses questions. Oh, il ne lui en voulait pas. Suzannah l'avait sans doute laissé intentionnellement dans l'ignorance de son adresse. S'il devait s'en prendre à quelqu'un, c'était à lui-même! Imprudent... Pourquoi ne l'avait-il pas gardée sous son toit, au moins le temps de s'assurer de la qualité de son nouvel emploi?La garder sous son toit ? Cette pensée fit se froncer les sourcils du professeur. Il était un homme très occupé, et cette Suzannah Lightfoot commençait à prendre une place trop importante dans sa vie. Pourquoi se faire tant de souci à son sujet ? Elle était capable de s'assumer, elle lui en avait maintes fois apporté la preuve. Oui, mais à l'évidence le professeur n'en était pas persuadé, car il téléphona à ses tantes, puis à Mme Coffin, leur demandant de le prévenir s'il leur parvenait des échos de la jeune femme.Levée de bonne heure, Suzannah attendait dans le hall lorsque arrivèrent les premiers enfants le lendemain. Commença alors une journée si chargée qu'elle n'eut pas une seconde à elle pour réfléchir. Les enfants, dans leur majorité, n'étaient pas désagréables, mais il fallait les amuser et donner des leçons simples aux plus grands. Heureusement, après le repas de midi — plutôt agité... — Suzannah goûta quelques moments de répit bien mérité. Pour ce premier jour, il avait été convenu que Melanie, sa collègue, veillerait au repos des enfants pendant que Suzannah aurait son heure de liberté. Outre son jeune âge, Melanie possédait un point commun avec Suzannah : elle était obligée de travailler pour gagner sa vie. Ce qui ne l'empêchait pas de beaucoup aimer son métier.

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Leurs occupations respectives interdisaient à Mme Willis et à Suzannah de bavarder longuement. Mais en croisant sa nouvelle recrue dans le hall, elle s'arrêta pour lui demander si son travail se passait bien et si elle ne manquait de rien dans son studio, ce à quoi Suzannah répondit gaiement que tout allait pour le mieux. En effet, si la première journée s'était révélée difficile pour Suzannah, la seconde le fut moins. Et cependant, le soir même dans son lit, elle était la proie d'une inexplicable mélancolie. Malgré la présence d'Horace, Suzannah se sentait bien seule.Noël arriva. La veille, une joyeuse petite fête associa les trois classes de l'école. Ensuite, chacun partit de son côté, d'abord les enfants, puis Melanie et Mme Willis. Le soir commençait à peine qu'un silence inhabituel régnait dans l'école. Un silence que Suzannah dans sa chambre trouvait étonnamment pesant malgré la musique diffusée par son poste radio.Sans joie, elle mangea un peu du poulet rôti acheté plus tôt dans l'après-midi, et grignota du bout des lèvres sa tranche de pudding au raisin. Puis, assise près du poêle, elle trompa sa solitude dans la lecture d'un roman emprunté à la bibliothèque du quartier.Triste Noël... Se complaire dans des états d'âme ne correspondait pas au tempérament de Suzannah. Cependant, lorsqu'elle se mit au lit le soir du 26 décembre, l'idée que l'école rouvrirait ses portes au matin fut pour elle une source de réconfort.Le jour de Noël, elle l'avait passé tout simplement dans sa chambre, avec Horace et son poste radio pour uniques compagnons. Et le lendemain, profitant du temps sec, elle s'était offert une longue promenade jusqu'à Green Park et St James Park. Promenade au cours de laquelle Suzannah avait mûrement réfléchi. Elle travaillerait pour Mme Willis durant six mois encore, après quoi elle s'adresserait à l'un des grands hôpitaux de Londres pour y suivre une formation d'infirmière. Ce n'est pas l'envie qui lui manquait de la commencer plus tôt. Mais il y avait Horace... Pour le garder avec elle, il lui faudrait louer une chambre en ville. Or, cela demandait de l'argent, trop d'argent pour les moyens restreints de Suzannah. Pendant quelque temps encore, elle devrait économiser. Chemin faisant, elle calculait, comparait, échafaudait des plans, mais ses conclusions manquaient de clarté car bizarrement, une image ne cessait de se profiler dans ses pensées : l'image du Pr Bowers...— Je me demande bien pourquoi, puisqu'on ne se reverra plus, fit-

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elle observer à Horace avec colère.L'avenir lui prouva bientôt le contraire.Cela faisait près d'un mois que Suzannah travaillait à l'école lorsque Mme Willis prit une décision : chaque fois que le temps le permettrait, les enfants seraient conduits dans le petit jardin public du quartier, tous les jours pendant une heure, en fin de matinée. Une initiative à laquelle Suzannah et Melanie applaudirent. Prendre l'air avant le déjeuner ne pouvait faire que du bien à petits et grands.C'est l'une de ces sorties qui fut à l'origine d'une nouvelle rencontre entre le professeur et Suzannah. Un jour, en effet, alors qu'il attendait à un feu rouge, un cortège d'enfants traversa la rue devant lui. C'étaient les petits pensionnaires de Mme Willis! Ils étaient escortés en tête par Melanie et en arrière par Suzannah, qui tenait dans ses bras l'un d'eux, fatigué par la marche.Quand le professeur l'aperçut, son sang ne fit qu'un tour. Pour une fois, son calme l'abandonna au point qu'il ne remarqua pas le feu passé au vert, détail que le conducteur qui le suivait se chargea de lui rappeler par des coups de klaxon impatients. Dans l'entrefaite, le petit cortège avait disparu dans une rue transversale. Qu'à cela ne tienne ! Le professeur démarra, et à peine eut-il repéré une place libre qu'il y gara la Bentley.Là, une brève enquête auprès des commerçants du quartier ne tarda pas à lui apprendre ce qu'il désirait savoir : il existait tout près dans Félix Road une école maternelle.Dès lors, trouver Félix Road fut un jeu d'enfant. Il se gara presque devant l'école, puis, après avoir passé un coup de téléphone à l'interne de l'hôpital, retourna s'asseoir au volant et attendit, l'esprit en proie à une grande agitation. Sa patience fut bientôt récompensée : la porte s'ouvrit et Suzannah descendit les marches du perron pour se rendre au sous-sol.Sans hésiter, le professeur se faufila à sa suite.

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7.

Suzannah se dirigea vers la cuisine, dans l'intention de préparer le repas d'Horace, lorsqu'on frappa à la porte. Elle alla ouvrir...Le Pr Bowers!Sous le choc, elle recula d'un pas, envahie soudain par un sentiment indéfinissable. D'une voix étranglée, elle murmura :— Bonjour...Très sûr de lui, le professeur était entré dans la pièce. Il restait là, immobile, à fixer Suzannah dans un silence inquiétant. Puis il détacha d'elle son regard et le promena tout autour de la chambre.— Je croyais que vous deviez m'écrire, Suzannah. Sa voix douce, son ton avenant ne trompèrent pas la jeune femme : il était furieux !— Eh bien, euh... oui, mais après coup, j'ai pensé que ça ne servirait à rien. Je veux dire... vous êtes si occupé, votre métier, vos relations... Comme nous ne devions plus nous revoir, il m'a semblé inutile de...La dureté du regard braqué sur elle lui ôta la force de poursuivre.— Je vois. Cela dit, était-il nécessaire de me mentir, Suzannah?— Oh, je suis désolée. Je... j'ai agi ainsi parce que je ne voulais pas vous déranger. Vous avez tant fait pour moi... Sans que je comprenne pourquoi, d'ailleurs.— Moi non plus, confessa-t-il de manière pour le moins déconcertante.— Si vous voulez vous asseoir... Je n'ai qu'une demi-heure de liberté. Nous la prenons à tour de rôle pendant la sieste des enfants.La chaise en bois émit un craquement lugubre lorsque le professeur s'y assit, tandis que Suzannah prenait place sur le bord du divan, à distance respectable.— C'est ici que vous vivez, Suzannah? Et les autres enseignants aussi?— Seulement Mme Willis, la directrice. Elle occupe un appartement au premier étage.— Et vous comptez exercer ce métier longtemps?— Oh, non. Juste pendant quelques mois. Ensuite, j'aimerais suivre des cours pour devenir infirmière.

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— Pourquoi ne pas commencer dès maintenant?— Parce qu'il me faudra louer une chambre, à cause d'Horace. J'ai réfléchi, l'enseignement ne m'intéresse pas. J'aime bien les enfants, mais à mon avis, je ne ferais pas une bonne institutrice.— Ainsi, vous êtes fixée sur votre avenir.— Oui. Au fait, comment m'avez-vous retrouvée?— Je vous ai aperçue dans la rue, tout à l'heure. J'attendais à un feu et vous avez traversé avec toute une ribambelle d'enfants. La curiosité m'a poussé jusqu'ici.Il s'interrompit quelques secondes pour la dévisager puis demanda :— Vous ne vous sentez pas trop seule, Suzannah ? Où étiez-vous à Noël?— J'ai passé Noël ici... Vous savez, j'ai bien trop à faire pour me sentir solitaire!Elle avait parlé sur un ton de fausse conviction, les yeux baissés.— Vous étiez seule pour Noël?— Non, j'étais avec Horace. Je suis très satisfaite de mon sort, vous savez, crut-elle bon d'ajouter.Et comme elle jetait un coup d'œil à sa montre, il demanda :— Je vous retarde?Gênée de s'être trahie, elle bredouilla :— Non, vous ne me dérangez pas mais... mais j'avais quelques petites choses à faire...Sans la laisser achever, il se leva. A le voir debout, si grand, si imposant, Suzannah se sentit brusquement intimidée.— Décidément, Suzannah, me voici encore une fois dans l'erreur. Je venais vous apporter mon aide, et vous n'en voulez pas.Sans attendre sa réponse, il se dirigea vers la porte, devant laquelle il s'arrêta pour lui demander :— L'amie qui devait vous héberger n'a jamais existé, n'est-ce pas?— Non.Un hochement de tête accueillit cet aveu, et, l'instant d'après, la porte se refermait sur le professeur.Son départ laissa Suzannah dans un étrange désarroi. Dans son cœur, c'était la confusion la plus totale : le soulagement rivalisait avec le remords, la satisfaction avec la honte. Pourquoi avait-elle mis le professeur à la porte? A présent qu'il était parti, elle aurait presque eu envie qu'il revienne, ne fût-ce que pour s'excuser. Qu'il devait la trouver ingrate! Elle ne l'avait même pas remercié de sa visite... Et d'abord, c'était faux de prétendre qu'il lui était

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antipathique : dans le fond, Suzannah l'aimait bien, même quand il prenait cet air dur et sévère, comme il venait de le faire. Ah, comme elle s'en voulait! Il n'y avait pas là de quoi éclater en sanglots; c'est pourtant ce que fit la jeune femme. Si bien qu'à son retour à l'école, comme Melanie s'étonnait de ses yeux rougis, elle fut forcée de répondre :— Je crois que je me suis enrhumée.Avec le temps, l'incident peu à peu s'estompa dans la grisaille du quotidien de Suzannah. Ses journées s'étiraient avec une telle lenteur... Non qu'elle s'ennuyât : s'occuper de jeunes enfants ne laissait guère de répit, et représentait une véritable épreuve physique et nerveuse. Mais la jeune femme n'avait pas de réelle joie à regagner sa chambre le soir. Autant se l'avouer, sa solitude lui pesait : c'était dur de n'avoir jamais personne à qui parler. Plusieurs fois, à son propre étonnement, Suzannah se surprit à souhaiter que le professeur fût là, près d'elle. Sa présence avait un côté rassurant, il savait si bien l'écouter... Et puis on pouvait compter sur lui, il le lui avait prouvé à maintes reprises. De plus, quand il voulait, il se révélait un merveilleux compagnon.— Mais dans l'ensemble, il ne me plaît pas, affirma-t-elle de façon plutôt paradoxale à Horace.Une quinzaine de jours plus tard, le destin fit se croiser de nouveau leurs chemins. On était alors vers la mi-février. Le froid, plus rigoureux que jamais, avait privé les enfants de leur sortie quotidienne. Assis par petits groupes dans les classes, ils s'occupaient à des activités de peinture ou de modelage sous la surveillance de Melanie et de Suzannah. Mme Willis surveillait la préparation du repas dans la cuisine.Suzannah malaxait une boule d'argile lorsqu'une odeur bizarre lui parvint. Cela sentait le brûlé... Mais il s'agissait d'une odeur trop acre pour venir de la cuisine.Suzannah n'eut pas l'ombre d'une hésitation : elle courut dans la classe voisine prévenir Melanie. L'odeur était déjà beaucoup plus perceptible.— Ça sent le brûlé. Je vais voir ce qui se passe. Surveille mon groupe!Sans attendre la réponse de sa collègue, Suzannah s'élança dans le hall. La cuisine se trouvait derrière la cage d'escalier. Un bruit de voix s'en échappait, tout y était donc normal. En revanche, un craquement soudain alerta la jeune femme. Cela venait de l'étage !

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Vite, elle gravit les marches quatre à quatre, et s'immobilisa, horrifiée, sur le palier du premier. Une fumée noire s'échappait de sous la porte de l'appartement de Mme Willis!Le battant était fermé à clé. Suzannah dévala les marches et courut à la cuisine. Personne ! La directrice et le cuisinier se trouvaient à l'office, juste à côté.— Madame Willis, il y a le feu dans votre appartement!Là encore, Suzannah n'attendit pas de réponse. Elle partit immédiatement rejoindre Melanie qui rassemblait les écoliers pour le déjeuner.— Il y a un incendie à l'étage! Habille les enfants et fais-les sortir. Vite!Mais Melanie n'avait pas la vivacité d'esprit de Suzannah.— Un incendie ? Je croyais qu'ils avaient laissé brûler quelque chose à la cuisine et que...— Je t'en prie, Melanie, il n'y a pas une seconde à perdre !Joignant le geste à la parole, Suzannah se précipita dans le vestiaire voisin. A toute allure, elle rassembla anoraks, écharpes, bonnets et se mit à en couvrir indifféremment les enfants. Grâce à Dieu, Melanie avait mesuré l'urgence de la situation. Elle aussi s'activait à habiller les enfants et à les diriger vers la sortie.Mme Willis et le cuisinier leur prêtèrent main-forte.— J'ai téléphoné aux pompiers! cria Mme Willis. Comptez les enfants.Un souffle d'air chaud venu de l'escalier la fit tousser. L'incendie gagnait en puissance!Les derniers enfants étaient en train de sortir lorsque, de façon inattendue, un garçonnet repartit en courant vers l'intérieur. La fumée formait à présent un voile épais et des flammes léchaient déjà le sommet des marches de l'escalier. N'écoutant que son instinct, Suzannah saisit une écharpe de laine qu'elle noua autour de son visage, et plongea à la suite de l'enfant dans le brouillard de fumée. Il était à présent au fond de la salle de jeu — heureusement moins enfumée que le, reste — en train de fouiller avec frénésie dans l'un des coffres à jouets. Suzannah le reconnut. C'était le petit Biliy Reeves, un gamin chétif qui ne se séparait jamais d'un vieil ours en peluche. Aucun doute, c'était lui qu'il cherchait si désespérément!Suzannah renversa le contenu du coffre. L'œil averti de Billy repéra le premier la précieuse peluche râpée. Il s'en empara et le pressa contre lui tandis que Suzannah le soulevait dans ses bras puis

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s'élançait vers la sortie. Entre-temps, le feu avait progressé presque jusqu'à mi-hauteur de l'escalier et l'air était quasiment irrespirable ! La peur au ventre, Suzannah fonça dans le nuage de fumée, une main plaquée sur la bouche et le nez de Billy. Soudain, le plafond au-dessus de leurs têtes, en bois, commença à céder. Une grosse planche en flammes s'effondra juste devant eux. Instinctivement, Suzannah l'écarta de son bras libre, sans prendre garde à la douleur, afin de pouvoir franchir les quelques mètres qui les séparaient de la sortie. Ouf, ils étaient sauvés... Si Mme Willis qui attendait sur le seuil ne l'avait pas soulagée du petit Billy, Suzannah se serait effondrée.Soudain, une pensée fusa dans son esprit : Horace! Retrouvant comme par miracle son énergie, elle courut jusqu'à sa chambre, enferma le chat dans son panier et ressortit immédiatement. Dehors, un attroupement commençait à se former, des curieux s'étant joints à la foule des enfants. Mais déjà les pompiers arrivaient dans un hurlement de sirènes, suivis de près par une voiture de police et une ambulance.Dieu merci, aucun des enfants n'était blessé, mais ils avaient tous très peur et froid et furent conduits, ainsi que Melanie, à l'hôpital tout proche. Mme Willis, inconsolable de voir son école partir en fumée, avait refusé de quitter les lieux, et Suzannah était restée auprès d'elle. Cette dernière tremblait pourtant de froid et commençait à ressentir une douleur lancinante à la main car, bien qu'elle ne s'en soit pas rendu compte sur le moment, le madrier en feu l'avait bel et bien brûlée.Alors qu'elle réconfortait Mme Willis, un policier la prit doucement par le bras.— Nous allons vous conduire à l'hôpital, mademoiselle. Vous ne pouvez laisser cette plaie sans soins. Et vous aussi, madame. Vous êtes la propriétaire? Ça ne sert plus à rien de rester ici. Si vous avez des parents ou des amis chez qui aller en attendant que tout rentre dans l'ordre, nous vous y déposerons.Résignée, la directrice monta dans la voiture à côté de Suzannah.— Justement, j'ai des amis au bout de la rue. Mais vous, Suzannah? Avez-vous un endroit où aller quand on vous aura soignée?Suzannah, prise dans les événements, n'avait pas même pensé à son logement... Mais, désireuse de ne pas tourmenter davantage Mme Willis, elle répondit :— Oui, oui, ne vous inquiétez pas pour moi.

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Au service des urgences en pleine effervescence, Suzannah fut installée sur une chaise, avec la promesse que l'on allait s'occuper d'elle rapidement. Pourtant, elle eut tout le temps de ressasser de sombres pensées pendant une attente qui s'éternisait.On avait dû l'oublier... Et qu'allait-elle devenir sans un sou, sans même des vêtements de rechange? Elle n'avait plus qu'Horace dans la vie, Horace, tranquillement installé dans son panier à côté d'elle... Envahie soudain par une intense lassitude, Suzannah ferma les paupières.C'est ainsi, à demi assoupie sur sa chaise, un bras posé sur le panier de son chat, que le professeur la trouva. On l'avait appelé pour prendre son avis sur un grave traumatisme crânien, et, en retournant à la salle de consultation, il l'avait aperçue. Dans quel état! Echevelée, la jupe déchirée, la manche de son pull partiellement brûlée, avec cette main ensanglantée qu'elle avait posée contre sa poitrine dans un réflexe de protection...Atterré, le professeur interrogea l'interne qui l'accompagnait.— Eh bien, elle devait se trouver dans l'incendie de l'école maternelle. On nous a amené les enfants tout à l'heure. Aucun n'était blessé, heureusement.Un juron échappa au professeur, ce qui lui valut un regard ébahi de son interne. Il n'était pas dans les habitudes du Pr Bowers de jurer, ni même d'élever la voix, surtout en présence d'un patient. A l'hôpital, il s'était bâti une réputation d'homme plutôt froid, sûr de lui et extrêmement compétent.— Je connais cette jeune femme. Qu'on l'emmène dans mon service, en infirmerie. Faites demander un brancardier immédiatement, s'il vous plaît.L'interne obtempéra.Suzannah sortit à demi de sa torpeur à l'approche de la civière. Voyant qu'on l'emmenait, elle serra de toutes ses faibles forces le panier d'Horace, de crainte qu'on le lui enlève. Si bien qu'il fut transporté en même temps qu'elle jusqu'au quatrième étage, au service du Pr Bowers.Là — était-ce une conséquence du choc qu'elle venait de vivre ? — une peur incontrôlée la saisit à l'idée que cet homme en blouse blanche voudrait certainement la séparer d'Horace. Deux grosses larmes roulèrent sur sa joue souillée par la suie.Le professeur congédia son interne, puis entreprit de nettoyer soigneusement le visage de Suzannah.

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— Oh, c'est vous, gémit-elle.Et cette fois, un sanglot lui souleva la poitrine.— Oui, c'est moi, Suzannah. On va soigner cette brûlure, puis je vous emmènerai passer la nuit auprès de Mme Cobb.— Mais non, ce n'est pas nécessaire, je ne suis pas malade.Peine perdue... Il ne daigna pas même lui répondre; et Suzannah ne protesta pas quand, une fois sa blessure pansée, il déclara de ce ton qui ne souffrait pas de réplique :— Ne bougez pas d'ici. Je reviens dans une dizaine de minutes.De toute façon, Suzannah n'en aurait pas eu la force. A présent que s'était apaisée la douleur de sa main, elle n'avait plus qu'une envie : dormir. Et c'est ce qu'elle fit, vaincue par la fatigue et les émotions de la journée. A peine retrouva-t-elle sa conscience lorsque le professeur revint, accompagné d'un infirmier et qu'on poussa de nouveau sa civière de couloirs en ascenseurs jusqu'à une porte donnant dans la cour de l'hôpital.La Bentley, garée devant l'entrée, l'attendait. Après avoir installé avec précaution la jeune femme sur le siège avant et Horace à sa place habituelle sur la banquette arrière, le professeur démarra.— Où m'emmenez-vous?— Chez moi. Mme Cobb va s'occuper de vous. Demain, vous déciderez ce que vous voudrez faire. Mais dans l'immédiat, c'est un bon lit qu'il vous faut. Vous tombez de sommeil.C'était bien la vérité... Comme elle avait cru déceler une pointe d'impatience dans sa voix, Suzannah se tint coite.Arrivé chez lui, le professeur confia Suzannah aux bons soins de Mme Cobb, après lui avoir expliqué la situation.— Un bon bain, un thé bien chaud et vous irez vous coucher, dit-elle à Suzannah d'un ton réconfortant.— Du thé? Mais quelle heure est-il donc?— Ma pauvre enfant, avec toutes ces émotions, vous avez perdu la notion du temps. Vous êtes épuisée.Sans Mme Cobb, en effet, la force aurait manqué à Suzannah pour se déshabiller. Sa fatigue était telle qu'une fois dans le bain, elle la laissa volontiers se charger de sa toilette et de son shampooing. D'ailleurs, comme le souligna Mme Cobb, il ne fallait pas risquer de mouiller le pansement.Quand Suzannah se retrouva dans le confort douillet du lit, elle but sa tasse de thé sous l'œil bienveillant de la femme de charge, et s'endormit à peine la dernière gorgée avalée.

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De retour chez lui quelques heures plus tard, le professeur fut conduit par Mme Cobb à la chambre de Suzannah. Ils observèrent quelques instants la jeune femme toujours profondément endormie.— Elle va bien, mais la malheureuse était à bout de forces, lui chuchota Mme Cobb.— On le serait à moins. J'ai entendu dire à l'hôpital qu'elle s'était jetée dans l'incendie pour aller récupérer un petit garçon égaré.La nouvelle émut vivement Mme Cobb. Tout en redescendant, le professeur lui donna ses instructions pour la soirée :— Ce soir, je dîne à l'extérieur, ne m'attendez pas. Que M. Cobb ferme la maison si je ne suis pas rentré vers onze heures. Je suis malheureusement tenu d'assister à ce dîner, mais je rentrerai dès qu'il me sera possible de m'esquiver discrètement.Effectivement, le professeur rentra à l'heure où Cobb s'apprêtait à effectuer sa ronde habituelle.— Je vais travailler dans mon bureau. Dites à Mme Cobb de jeter un œil sur Mlle Lightfoot avant d'aller se coucher, voulez-vous? Moi-même, j'y passerai tout à l'heure.Le courrier à lire, de la correspondance en retard... Une heure du matin approchait lorsque enfin le professeur éteignit la lumière dans son bureau. Il monta à l'étage, et poussa la porte de la chambre de Suzannah... Dans son lit, la jeune femme sursauta. Elle était en effet éveillée depuis quelques minutes.En ouvrant les yeux un instant auparavant, elle avait regardé la petite pendule lumineuse à son chevet : minuit et demi. Toute la maison devait dormir. Tiens, sa main lui faisait un peu mal. La douleur l'aurait-elle tirée de son sommeil? Peut-être, mais Suzannah soupçonnait une tout autre cause : elle avait une faim de loup... Attendre jusqu'au matin, le ventre vide, promettait d'être long, mais tant pis, le plus sage était de se rendormir. Elle ferma les paupières, sans que le sommeil la gagne. Lorsque le professeur entra dans sa chambre quelques instants plus tard, elle sursauta donc, surprise. Mais avec quel ravissement l'entendit-elle lui demander :— Vous avez faim?Elle hocha la tête. Il ne s'était pas même étonné de la trouver encore éveillée!— Vous n'êtes pas encore couché, professeur?— Non, je suis rentré assez tard, j'avais un dîner très ennuyeux ce soir; et à mon retour, j'ai fait un peu de courrier. Figurez-vous que

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moi aussi, j'ai une petite faim. Que diriez-vous d'une boisson chaude et de quelques sandwichs? Thé, café, chocolat?— Volontiers! Chocolat, s'il vous plaît. A la surprise de Suzannah, il déclara :— Les sandwichs, c'est ma spécialité. Donnez-moi une dizaine de minutes.Il revint plus tôt que cela, porteur de deux bols fumants et d'assez de sandwichs pour nourrir une famille nombreuse sur un plateau. Après avoir posé le tout sur la table de chevet, il approcha une chaise près du lit, s'assit face à Suzannah et la servit : pour commencer, un sandwich au poulet pour chacun.— Délicieux, commenta la jeune femme entre deux bouchées.— Après, vous goûterez celui au saumon, vous m'en direz des nouvelles... Suzannah, demain vous resterez ici : j'ai encore plein de sandwichs à vous faire goûter. De toute manière, reprit-il plus sérieusement, avec votre main dans cet état, il ne vous est pas possible de travailler. Voilà ce que je vous propose : vous irez chez mes tantes en convalescence, le temps d'être tout à fait rétablie.— Je ne peux pas accepter, je...— Elles se feront une joie de vous accueillir. Elles vous aiment bien, vous savez. Et puis, vous trouverez toujours un moyen de vous rendre utile.— C'est très aimable, mais je ne veux pas m'imposer, pas plus à elles qu'à vous. Je vous ai déjà tant importuné avec mes problèmes.Le professeur offrit un autre sandwich à Suzannah qui avait terminé le sien.— Votre main vous fait souffrir?— Moins que tout à l'heure, maintenant que ma faim s'est calmée. A vrai dire, j'ai surtout sommeil, confessa-t-elle en étouffant un bâillement.Le sourire du professeur alors qu'il replaçait les bols vides sur le plateau intrigua Suzannah.— Vous n'auriez pas mis un somnifère dans mon chocolat, par hasard?— Juste un calmant, qui doit vous étourdir un peu, c'est vrai. De toute façon, vous avez besoin d'une bonne nuit de repos. Dormez bien, Suzannah.Le sommeil avait déjà eu raison d'elle lorsque le professeur, après l'avoir contemplée un instant, éteignit la lampe de chevet et se retira sur la pointe des pieds.

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Une opération importante figurait au programme de sa matinée le lendemain, aussi se leva-t-il de bonne heure. Avant de partir, toutefois, il alla s'entretenir une dizaine de minutes avec Mme Cobb dans la cuisine.— Très bien, monsieur. Je vais aller chez Harrods acheter tout ce dont Mlle Lightfoot aura besoin. Elle doit faire du trente-six, à mon avis : elle est tellement menue.— Je vous fais confiance, madame Cobb. Une chose seulement : ne prenez rien de marron ou de gris.Un moment plus tard, M. Cobb, entrant dans la cusine, trouva sa femme en train de dresser la liste de ses achats.— Crois-en ma parole, John, lui fit-elle observer, il ne le sait pas encore, mais il est amoureux d'elle. En tout cas, cette petite demoiselle ferait une bonne épouse. Ah, que j'ai hâte de voir des enfants trotter dans la maison...— Tu vas un peu vite en besogne, tu ne crois pas?— Peut-être, on verra... Souviens-toi de ce que je t'ai dit.Sa liste terminée, Mme Cobb prépara un copieux petit déjeuner à l'intention de Suzannah à qui elle conseilla de rester au lit pendant un moment.— Je vais sortir vous acheter quelques vêtements, mademoiselle Lightfoot. A mon retour, je vous aiderai pour votre toilette. Le professeur a laissé des comprimés pour le cas où vous auriez mal. A tout à l'heure!Sur un sourire, elle prit congé, laissant Suzannah songeuse. Des vêtements? Comment pourrait-elle les rembourser? Elle n'avait plus un sou vaillant!Suzannah avait dû s'assoupir car, lorsque Mme Cobb revint chargée de paquets, elle avait l'impression qu'une dizaine de minutes seulement s'étaient écoulées depuis son départ. La joie et la fierté illuminaient le visage de Mme Cobb quand elle étala ses emplettes sur le lit.— J'espère qu'ils vous plairont.S'ils lui plaisaient!.. Il y avait là de la ravissante lingerie de soie et de dentelle, le genre d'articles qui avait toujours fait rêver Suzannah dans les vitrines des magasins ; une jupe très ample dans un tissu à impression de cachemire bleu-vert, un pull assorti, deux chemisiers en soie écrue, et un superbe manteau en lainage, d'une teinte un peu plus soutenue que celle de la jupe. Mme Cobb avait même prévu des escarpins, des mules et un peignoir en velours...

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A la stupeur de Suzannah devant tant de merveilles, succéda bientôt un sentiment d'embarras.— Il m'est impossible d'accepter tout ça, madame Cobb. Je n'ai pas un sou en poche. Et même si j'en avais, je ne pourrais m'offrir le luxe d'aussi beaux vêtements.— Qui a parlé d'argent? Le professeur tient à ce que vous soyez correctement habillée pour vous rendre chez ses tantes. Et croyez-moi, il n'aime pas être contredit.Suzannah en savait quelque chose...Résignée, elle ne protesta pas davantage et accepta l'aide de Mme Cobb pour faire sa toilette et enfiler les nouveaux habits. Par chance, tous allaient à la perfection, même les chaussures. Ce ne fut pas sans étonnement qu'elle découvrit son reflet dans le miroir de la coiffeuse lorsque Mme Cobb l'y installa afin de lui brosser les cheveux.— C'est fou ce que les vêtements peuvent changer l'apparence, remarqua-t-elle dans un soupir.— Il faut dire que la couleur de votre pull vous va à ravir. Si vous voulez bien descendre, mademoiselle, M. Cobb a dû préparer votre déjeuner.Suzannah l'accompagna dans la cuisine où elle déjeuna sous l'œil bienveillant de M. Cobb. L'après-midi, elle passa son temps à lire des magazines et à regarder la télévision dans le salon en compagnie d'Horace et de Dick qui, pour être chien et chat, s'entendaient néanmoins à merveille.Il était un peu plus de 18 h 30 lorsque le professeur rentra. Il pénétra dans la pièce à pas si feutrés que si Suzannah n'avait pas vu Dick s'élancer vers lui, elle n'aurait pas remarqué sa présence dans le salon.Il eut une façon de lui souhaiter le bonsoir froide et impersonnelle, qui la démoralisa sur-le-champ. Si bien qu'elle lui répondit timidement avant de se perdre en remerciements embarrassés, auxquels il mit sèchement terme :— N'en parlons plus, Suzannah. Je suis heureux de constater que vous vous portez mieux. Mes tantes seront ravies de vous avoir pendant quelques jours. M. Cobb vous conduira à Ramsbourne House dès demain.Ce discours glacial — auquel s'ajoutait le fait qu'il n'avait pas semblé remarquer sa nouvelle tenue — acheva de décourager Suzannah. Ses échanges avec lui furent empreints d'une politesse empruntée et elle

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chercha désespérément un prétexte pour quitter la pièce. Car il ne fallait pas se leurrer : le professeur avait beau lui avoir offert hospitalité et vêtements avec une grande générosité, il ne désirait pas sa compagnie. Pourtant, quand elle manifesta l'intention de regagner sa chambre en invoquant la fatigue, il s'assit en face d'elle pour proposer :— Et si nous dînions ensemble? En faisant un petit effort l'un et l'autre, nous avons quelques chances de ne pas nous disputer...— Je n'ai aucune envie de me disputer avec vous, professeur, vous vous êtes montré si bon pour moi. D'ailleurs, vous ne m'avez guère laissé le loisir de vous remercier.La remarque le fit sourire.— Vraiment? La nouvelle garde-robe va bien, au moins?— Tout à fait. Je compte bien que vous m'en remettiez la facture. Dès que j'aurai trouvé un emploi, je vous rembourserai.Il accepta d'un air insouciant, avant de se lever pour aller lui chercher un apéritif. A peine s'était-il assis que le téléphone sonnait. A l'issue d'une courte conversation, il apparut qu'il devait ressortir et ne rentrerait probablement pas à temps pour le dîner.— Je vais donc vous dire au revoir tout de suite, Suzannah. J'ai appelé le médecin de mes tantes, il surveillera votre main. Vous pourrez profiter de ce repos pour réfléchir à votre avenir.Suzannah fixa le professeur, songeuse. Son avenir... Comment pouvait-elle espérer trouver un emploi sans un sou en poche? Elle n'avait même pas de quoi acheter le timbre pour répondre à une annonce! Alors qu'elle réfléchissait à cela, l'envie lui vint de se jeter dans ses bras et de le lui avouer. Mais elle demeura sagement assise dans le canapé et d'une voix très calme, lui dit au revoir.Alors, contre toute attente, il s'approcha, saisit son visage entre ses mains, prit ses lèvres dans un baiser ardent et s'en fut.Stupéfaction, saisissement, confusion, tout un tumulte d'émotions envahit le cœur de Suzannah. C'était la deuxième fois que le professeur l'embrassait, et ce deuxième baiser l'avait autant troublée que le premier. Peut-être plus encore... Et le troisième? Non, jamais! Il n'y en aurait pas d'autre! Un peu de lucidité, voyons. Seul un malheureux hasard la jetait constamment sur le chemin du professeur, mais il ne l'aimait pas. Au contraire, il devait la trouver bien encombrante. C'était elle qui prenait ses désirs pour des réalités parce qu'en fait... oui, inutile de se le cacher : elle était amoureuse du Pr Bowers.

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— Je me demande bien pourquoi, confia-t-elle tout haut à Dick et à Horace. Il s'emporte comme une soupe au lait, il n'a aucune patience, et il est exaspérant au possible. En plus, il doit me détester.Suzannah en aurait pleuré de rage, mais M. Cobb reparut pour annoncer que le dîner était prêt. Elle mangea seule dans la vaste salle à manger, puis monta se coucher sans tarder.C'était sa dernière nuit chez le Pr Bowers. Comment ne pas éprouver de l'angoisse en pensant au lendemain, à ses incertitudes, à l'argent qu'elle allait devoir économiser, à l'emploi qu'il lui faudrait trouver... Car Suzannah n'avait nullement l'intention d'abuser de l'hospitalité de Lady Manbrook. Son séjour à Ramsbourne House ne durerait pas un jour de plus que nécessaire. Par respect pour ses hôtesses, bien sûr, mais aussi parce qu'elle souhaitait couper tout lien avec le professeur, et le plus tôt possible. Loin des yeux, loin du cœur... Suzannah pourtant ne put empêcher quelques larmes de rouler sur l'oreiller à la pensée de ne plus jamais le revoir. D'une certaine manière, cela l'affectait bien plus que la précarité de son avenir.

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8.

Dix heures approchaient lorsque M. Cobb, Suzannah — et Horace, bien entendu — prirent la route de Ramsbourne House le lendemain matin.Quand on eut parlé du temps et des talents culinaires de Mme Cobb, la conversation tarit, si bien que le silence se fit dans la voiture et Suzannah laissa vagabonder ses pensées.Ce matin, quand elle s'était levée, le professeur était déjà parti. Sans doute ne le reverrait-elle jamais. La veille, il lui avait dit au revoir sans exprimer le souhait de la rencontrer de nouveau. Et au fond, tant mieux, car même si l'idée qu'il disparaisse à jamais de sa vie lui semblait intolérable, Suzannah était bien décidée à mettre entre eux la distance la plus grande possible. Et puisque sa résolution était prise, autant la mettre en œuvre sans tarder. Suzannah avait réfléchi à un plan qui lui permette d'abréger son séjour chez Lady Manbrook. Mme Coffin allait lui servir d'alibi. Suzannah lui téléphonerait pour lui demander de lui envoyer une lettre la priant de venir l'aider. Un prétexte quelconque ferait l'affaire, par exemple un bras cassé ou une mauvaise grippe. Une fois chez Mme Coffin, Suzannah n'aurait plus qu'à chercher du travail, et de préférence très loin. Ainsi, plus de risque de rencontrer le Pr Bowers. Oui, c'est ainsi qu'elle agirait. Rassérénée par ces projets, Suzannah s'assoupit, et ils arrivèrent bientôt au manoir de Ramsbourne House.L'accueil de ses deux hôtesses fut des plus chaleureux. Elles félicitèrent Suzannah pour son courage pendant l'incendie et la mirent à l'aise en l'invitant à rester chez elles aussi longtemps qu'elle le désirerait.Cette fois-ci, la jeune femme se vit offrir une charmante chambre à l'étage, dont le balcon surplombait le jardin de rocaille. Son installation fut rapide : elle n'eut qu'à enlever son manteau et vérifier sa coiffure avant d'aller rejoindre les deux vieilles dames au salon.Ni ce jour-là, ni le lendemain, Suzannah n'eut la possibilité d'appeler Mme Coffin. Il eût été pourtant simple de se rendre au

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village et de téléphoner de la poste. Mais Suzannah n'avait pas d'argent. Et comment s'en procurer?Ce problème mis à part, la vie à Ramsbourne House s'écoulait en paix et tranquillité. Ce changement se révélait bienheureux pour Suzannah, dont les joues retrouvaient leurs couleurs, les cheveux, leur éclat. Sa main guérit rapidement. Mais cette situation ne pouvait durer. Un matin, Suzannah prit une décision : elle emprunterait un peu d'argent à Lady Manbrook, ne fût-ce que pour téléphoner à Mme Coffin.Le professeur avait eu une semaine très chargée. Peut-être cela expliquait-il son humeur irritable et ses longs silences méditatifs. Mme Cobb quant à elle n'y voyait qu'une confirmation de ses intuitions. « Je te l'avais bien dit », faisait-elle remarquer à son mari en jubilant.Ce à quoi il répondait qu'elle avait une imagination trop féconde. Le professeur avait-il seulement manifesté l'intention de revoir Mlle Lightfoot? Non.Cela dit, bien des fois le visage à la fois sage et candide de Suzannah s'était immiscé dans ses pensées depuis son départ, comme pour lui rappeler qu'elle avait laissé chez lui un petit peu d'elle-même. Il lui avait fallu prendre sur lui pour ne pas téléphoner à ses tantes afin de s'enquérir de sa santé. En fait, le professeur avait décidé d'attendre au moins une quinzaine de jours pour cela. Entre temps, il allait se débrouiller pour lui trouver un emploi. Rien ne l'y obligeait, mais il n'aimait pas l'idée qu'elle eût encore à lutter pour rebâtir sa vie.Assis à son bureau, un dossier ouvert inutilement devant lui, il se demandait pour la énième fois quelle serait la meilleure solution pour Suzannah. Soudain, on frappa à la porte et le battant s'ouvrit d'une brusque poussée. Laura Davinish! Le professeur la vit devancer M. Cobb pour s'élancer vers lui.— Mon cher Guy, comment vas-tu? Voilà une éternité que nous ne nous sommes pas vus! Je suis venue à Londres faire des achats, et j'ai pensé que nous pourrions dîner ensemble. Qu'en penses-tu? Oh, je sais, on m'a prévenue que tu étais très occupé, ajouta-t-elle avec un regard pour M. Cobb, demeuré sur le seuil. Mais pour moi, tu trouveras bien à te libérer un moment, non?Le professeur, qui s'était levé, approcha une chaise pour sa visiteuse.— Vous pouvez disposer, monsieur Cobb... Je ne m'attendais pas à

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ta visite, Laura. Hélas, ne compte pas sur moi pour t'emmener dîner, je suis débordé de travail.Laura fit la moue.— Oh, Guy... et moi qui l'espérais tant. Enfin, puisque c'est ainsi, je vais te donner en quelques mots les nouvelles de la maison. La santé d'oncle William se maintient. Il m'a chargée de te dire qu'il attend ta visite avec impatience. Il est vrai que tu les espaces de plus en plus... Au fait, j'ai apporté quelques innovations au manoir. Tom ne les approuve pas toujours, mais qu'importe? Ce qu'il est vieux jeu, tu ne peux pas savoir... Sitôt que je trouverai un prétexte, je le remplacerai par quelqu'un de plus jeune. Oh, à propos, l'autre jour, à la télévision, j'ai vu des images sur un incendie dans une école maternelle de Londres. Devine qui j'ai aperçu? Cette fille rousse qui travaillait pour nous au manoir, tu te souviens? Si tu avais vu son accoutrement... Elle était épouvantable.— Ça n'a rien d'étonnant. Elle était allée porter secours à un petit garçon. D'ailleurs, elle s'est brûlée à la main, et je l'ai soignée à l'hôpital.— Tiens donc... Très intéressant.— Intéressant, non. Plutôt pathétique. Elle loge en ce moment chez Lady Manbrook, le temps que sa main guérisse.Le professeur avait parlé d'un ton très naturel. Mais quelque chose dans sa voix dut alerter Laura Davinish.— Tu sembles beaucoup te préoccuper de son cas. Après tout, ce n'est qu'une fille du village.— Oui, mais c'est quelqu'un de très bien, crois-moi. Et à présent, si tu veux bien m'excuser, Laura, il faut absolument que je me remette au travail.Il eût été vain d'insister, la jeune femme eut assez de finesse pour le comprendre. Elle laissa donc le professeur la raccompagner jusque devant la maison où il héla un taxi pour la raccompagner.De retour dans son bureau, au lieu de se remettre au travail, il alla à la fenêtre et laissa son regard se perdre dans le vague. C'est dans cette attitude que le trouva M. Cobb, venu l'informer un quart d'heure plus tard que le dîner était servi. Quand, dans la salle à manger, il lui remplit son assiette de potage, le professeur lui dit :— Je serai absent dimanche, monsieur Cobb. Je passerai la journée chez Lady Manbrook.Cette nouvelle eut tôt fait de parvenir aux oreilles de Mme Cobb...Le dimanche venu, le professeur prit la route sous un ciel gris et bas.

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Chemin faisant, il lui revint en mémoire que ses tantes avaient coutume de s'octroyer une petite sieste après le déjeuner. Il s'arrangea donc pour arriver à Ramsbourne House à une heure où Suzannah serait vraisemblablement seule.En effet... La jeune femme était assise devant la cheminée du salon, Horace sur ses genoux. Depuis un moment, elle échafaudait des plans, imaginait des stratégies auxquelles il lui fallait renoncer aussitôt car toutes exigeaient un minimum d'argent. L'argent, l'argent... à la longue, cela devenait une idée fixe chez Suzannah. Voilà sans doute pourquoi, en voyant entrer le professeur, ses premiers mots furent :— Pourriez-vous me prêter une livre?S'il fut surpris, il n'en laissa rien paraître. Tout au plus, ses sourcils se froncèrent-ils de manière imperceptible.— Naturellement.Pendant qu'il cherchait son portefeuille, Suzannah ajouta :— Je suis désolée, vous devez me croire folle, mais vous n'imagineriez pas les problèmes qui se posent quand on n'a pas un shilling devant soi. Impossible de téléphoner, de prendre un autocar...— C'est ma faute. Ce détail m'a complètement échappé quand vous êtes venue ici, et je m'en excuse.— Oh, je ne vous reproche rien, professeur. Comment le pourrais-je? Vous avez tant fait pour moi. Ce doit être agaçant pour vous de me voir toujours surgir pour vous importuner.— Mais vous ne m'importunez pas, Suzannah. Je dois même avouer que vous m'avez manqué...Oh, le bonheur qu'apportaient ces paroles... La jeune femme eut bien du mal à ne pas trahir l'allégresse qui lui inondait le cœur. Tout en serrant dans sa main le billet qu'il lui avait donné, elle l'écouta poursuivre.— Vous vous plaisez ici ? Je constate que votre main est parfaitement guérie. Patientez encore quelque temps et je m'occuperai de vous inscrire dans un hôpital pour suivre une formation d'infirmière.— C'est très aimable à vous, mais j'ai réfléchi. Je m'orienterai plutôt vers un travail d'employée de maison à la campagne. L'Ecosse m'attire assez, ou la région du Yorkshire. En tout cas, j'aimerais partir loin d'ici.Son refus le déconcerta. Pire, la nouvelle suscita en lui une vague de

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déception dont l'intensité ne put que le troubler.— En somme, vous désirez refaire votre vie, Suzannah, repartir sur des bases nouvelles, murmura-t-il après une pause.— Oui, c'est exactement ça. J'en ai vraiment envie.Silencieux maintenant, le professeur observa Suzannah qui caressait son chat d'une main distraite. Bien des femmes de sa connaissance la surpassaient en beauté, mais aucune ne possédait ce charme, cette gentillesse naturelle derrière laquelle se cachait une farouche volonté d'indépendance, qui la rendait si attrayante... C'est à cet instant, en fixant son visage innocent, que le professeur prit conscience de l'importance qu'elle avait pour lui. Sa vie ne serait plus la même si Suzannah s'en allait. A l'évidence, ce qu'il avait cru être une simple préoccupation pour une jeune femme dans le besoin s'était transformé... en autre chose. En quelque chose qu'il n'osait pas définir avec précision. D'ailleurs, aurait-il jamais à le définir? Suzannah allait partir, partir loin, elle y était déterminée. Et elle n'avait pas manifesté l'intention de le revoir.Mais la patience était l'une des qualités maîtresses du professeur. Pour lui, rien n'était joué.— Je vous verrais très bien à York, dit-il avec une feinte désinvolture. C'est une ville tout à fait attachante. La connaissez-vous?Très à l'aise, il se mit à évoquer cette région du nord de l'Angleterre. Il parlait toujours avec la même légèreté lorsque ses deux vieilles tantes vinrent se joindre à eux pour le thé.Le professeur n'aborda de nouveau des sujets sérieux qu'un peu plus tard, lors d'une promenade à laquelle il avait invité Suzannah. Partis à pied de la maison, ils avaient traversé le parc jusqu'à la forêt voisine, un bois épais de hêtres majestueux. A un endroit, pour enjamber une flaque, le professeur avait pris le bras de Suzannah... et ne l'avait ensuite pas lâché. La jeune femme avait remonté le col de son manteau. Il faisait froid, mais elle s'en moquait. D'ailleurs, quand le professeur était à son côté, rien ne semblait importer, pas plus le manque d'argent que les aléas du lendemain. Pendant longtemps désinvolte, leur conversation changea de ton lorsque le professeur demanda à Suzannah :— Vous ne vous ennuyez pas, seule avec mes tantes?— M'ennuyer? Mon Dieu, non. C'est merveilleux de n'avoir à se soucier de rien, vous savez. Mais à présent que j'ai un peu d'argent — grâce à vous... — j'irai à Marlborough m'inscrire dans un bureau

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de placement.— Voyez-vous, Suzannah, je me demandais si vous ne pourriez pas faire l'effort de rester encore un peu à Ramsbourne House. Je crois avoir quelque chose pour vous.C'était exactement ce que redoutait Suzannah. Surtout s'il s'agissait d'un emploi près de chez lui.— C'est que... j'étais bien décidée à quitter cette région.— Pourquoi?— Oh, euh... pour changer, répondit-elle à court d'arguments.Très posé, le professeur répliqua :— Vous avez une raison, mais vous souhaitez ne pas me la dire, n'est-ce pas?— Mais non, pas du tout.Le professeur hocha la tête d'un air pensif avant de proposer :— Et si nous rentrions? La nuit commence à tomber. Le dîner terminé, il manifesta l'intention de prendre congé. Après avoir salué ses tantes, il invita Suzannah à l'accompagner jusqu'à sa voiture. Elle le suivit, le cœur serré à l'idée qu'elle vivait là ses derniers instants avec lui. Sur le perron, les mains posées sur ses épaules, il la regarda droit dans les yeux.— Suzannah, à ma prochaine visite, nous réglerons une fois pour toutes votre avenir. Plus de petits emplois sans lendemain, mais un travail sérieux, stable.Sur cette promesse, le professeur 'l'embrassa avec fougue puis s'en fut avant qu'elle ait pu émettre le moindre son.Ce baiser la bouleversa tellement que le sens de ses paroles ne lui apparut que plus tard dans sa chambre, dans la solitude de la nuit. Un travail sérieux, avait-il dit. Ah, il eût été tentant d'accepter, mais courir le risque de côtoyer de nouveau le professeur... Non. Aussi minime que puisse être ce risque, Suzannah le refusait. Une coupure nette s'imposait : il fallait partir, loin et le plus tôt possible.Le lendemain même, un nouveau caprice du destin devait conforter la jeune femme dans cette volonté. Pendant la sieste de ses deux hôtesses, elle s'était installée dans le salon pour rédiger une annonce qui paraîtrait dans un magazine spécialisé. Cela avait été rendu possible grâce à la générosité du professeur qui lui avait remis par le biais de M. Snow une enveloppe contenant cinquante livres. Une petite note l'accompagnait, la priant d'accepter cet argent destiné simplement à la « dépanner » et précisant qu'elle pourrait le « rembourser ultérieurement ».

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Ce n'est pas sans réticence que Suzannah avait gardé cet argent; mais comment le refuser? II représentait pour elle un instrument de liberté.Elle s'appliquait donc à recopier avec soin le texte de son annonce lorsque M. Snow entra de son pas feutré.— Mlle Davinish est ici, elle souhaiterait vous voir. Je lui ai dit que ces dames étaient en train de se reposer, mais c'est à vous qu'elle désire parler.— A moi?La nouvelle ne manqua pas d'étonner Suzannah... et de faire poindre en elle un espoir. Peut-être Mlle Davinish avait-elle de nouveau besoin de ses services comme guide? Peut-être le cottage était-il libre? Mais non, impossible : ce serait trop près de chez le professeur...— Merci, monsieur Snow. Voulez-vous la faire entrer, je vous prie. Lady Manbrook n'en sera pas fâchée au moins?— Pas du tout. Mlle Davinish est une habituée de la maison.En effet, il suffit à Suzannah de la voir pénétrer dans le salon, l'air dégagé et sûre d'elle-même, pour en être convaincue. Avant de prendre la parole, elle détailla un instant son interlocutrice qui se tenait, hésitante, près de la table.— Bonjour. Figurez-vous que je passais par là, et l'idée m'est venue de venir vous voir.Laura Davinish prit place avec naturel dans un fauteuil et entrouvrit son manteau de vison avant d'ajouter :— Sans doute vous demanderez-vous pourquoi.— Effectivement, oui.Sans cesser de l'observer, Laura sourit.— Guy... enfin, le Pr Bowers vous a-t-il rendu visite, hier?— Pas à moi en particulier. Il venait voir ses tantes.— Ce n'est pas ce qu'il m'a raconté. D'après lui, c'est pour vous qu'il a fait le voyage depuis Londres. Il se fait beaucoup de souci à votre sujet, vous savez. Il aimerait bien que vous ayez un emploi stable...A l'affût de la réaction de Suzannah, Laura sourit lorsque cette dernière répondit :— Oui, je sais. Il m'a d'ailleurs demandé de patienter encore un peu, car il pense avoir quelque chose en vue pour moi.— Vous a-t-il annoncé que nous allions nous marier? Nouvelle pause stratégique de Laura. Voyant blêmir Suzannah, elle enchaîna :

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— Je constate que non... Du reste, c'est compréhensible. Vos sentiments se laissent aisément deviner, et le professeur n'est pas homme à blesser autrui.Suzannah, dans sa détresse, ne partageait pas cet avis. .Le professeur avait beau avoir le cœur sur la main, il ne dissimulait jamais la vérité, aussi dure fût-elle à entendre. Mais elle n'en dit rien à Laura et l'écouta poursuivre. Au fond, ses propos semblaient tout à fait plausibles.— Nous avons eu une idée géniale, Suzannah. Nous aurons besoin de personnel, vous l'imaginez. J'ai pensé que vous seriez peut-être intéressée par un emploi d'aide de bureau. Vous savez, répondre au téléphone, taper le courrier, prendre les messages de Guy... enfin, ce genre de petites tâches. Naturellement, vous seriez nourrie et logée.C'était donc cela, l'emploi stable qu'il avait en tête... La pire des situations que pouvait espérer Suzannah : être au service du professeur, et sous son propre toit! Elle en aurait hurlé, de rage et de désespoir. Ce fut pourtant d'une voix très calme qu'elle déclara :— Je suis touchée que vous ayez pensé à moi, mademoiselle Davinish, mais voyez-vous, cela ne correspond pas vraiment à mes projets.— Ah bon? Et quels étaient vos projets?Si Laura se montrait si avenante, c'est parce que tout se passait comme elle l'avait prévu. Suzannah avait refusé son offre. Rien de surprenant à cela : elle n'était pas le genre de femme à avouer son amour à un homme. Et en apprenant son mariage imminent, il était prévisible qu'elle eût envie de fuir à l'autre bout du pays. Ainsi, Laura atteignait son but : éloigner cette rivale gênante !Aussi ne put-elle que se réjouir quand elle entendit Suzannah lui déclarer :— Je comptais quitter la région, et le plus tôt possible.— Ma foi, ce n'est peut-être pas une mauvaise idée. De toute façon, Suzannah, vous pourrez compter sur le soutien de Guy, vous le savez. Sur notre soutien, rectifia-t-elle dans un sourire triomphant.Là-dessus, elle se leva, imitée par Suzannah qui posa Horace sur le sol. Il se produisit alors quelque chose de stupéfiant. Le chat fut-il effrayé par un mouvement brusque de Laura qui se drapait dans son manteau de vison? Ou tout simplement, son instinct de félin perçut-il la malveillance à l'égard de sa maîtresse ? Toujours est-il que lui, le placide Horace, lança sur Laura une patte griffue, filant ses bas de soie et égratignant sa jambe...

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Celle-ci riposta d'un coup de pied furieux auquel échappa son destinataire, déjà replié sous une table.— Sale bête! Il a mis mes bas dans un état... Puis, s'adressant à Suzannah :— Cet animal devrait être abattu! Vous me le paierez, ma petite!Folle de rage, elle sortit en trombe de la pièce et quitta la maison en claquant la porte.M. Snow, qui l'avait croisée dans le hall, alla s'enquérir auprès de Suzannah de ce qui s'était passé.— Horace l'a griffée.— Horace a griffé Mlle Davinish? Lui qui est si docile... Peut-être n'était-ce qu'un effet de son imagination mais Suzannah crut voir briller une lueur de satisfaction dans les yeux de M. Snow... Et dans le fond, elle aussi se félicitait de la réaction de son chat.— A ta place, j'aurais fait pareil, lui confia-t-elle quand elle le prit dans ses bras, une fois M. Snow parti.Le menton calé sur l'épaule de sa maîtresse, les paupières closes, Horace se mit à ronronner de bonheur. A peine sa patte fut-elle agitée d'un frémissement lorsque des larmes vinrent y tomber.Il n'était pas trop tard pour descendre au village poster ses lettres. Suzannah laissa donc Horace endormi devant le feu et sortit.Il y avait foule dans le petit bazar de Ramsbourne St Michael où elle entra pour acheter le journal. En attendant son tour, Suzannah alla choisir sur le présentoir le quotidien local qu'elle reposa aussitôt. Son regard venait d'être attiré par un tableau d'affichage couvert de petites annonces. Oui sait, peut-être y trouverait-elle son bonheur?En tout cas, les offres étaient aussi nombreuses que variées : un étudiant proposait des cours de mathématiques, des chatons cherchaient des maîtres affectueux, une veuve d'une quarantaine d'années désirait rencontrer monsieur cultivé pour sorties... Soudain, le cœur de Suzannah battit plus vite. « Demande d'urgence jeune femme dynamique pour aider à un déménagement sur York. S'occuperait de deux enfants en bas âge et d'un bébé. Téléphoner à... »Suivait un numéro ainsi qu'une adresse à Avebury, un village voisin.Le temps de traverser la rue, et Suzannah avait rejoint une cabine téléphonique dans laquelle elle s'enferma. Zut, dans sa précipitation, elle avait oublié de faire de la monnaie. Il lui fallut donc retourner dans la boutique et attendre pendant dix précieuses minutes que vienne son tour. Enfin, Suzannah put joindre Mme

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Coffin au téléphone. Sa vieille amie écouta ses projets mais resta silencieuse quand elle eut terminé, si longtemps en vérité que Suzannah en trépignait d'impatience. Enfin, la bonne voix rassurante de Mme Coffin parvint à ses oreilles :— Eh bien, d'accord, ma chérie. Si tu obtiens ce poste, je veux bien me charger d'Horace. Mais je t'avertis, pas plus d'une ou deux semaines.Ouf... Suzannah la remercia puis appela immédiatement le numéro de l'annonce. Une voix de femme angoissée lui répondit. Et lorsqu'elle demanda si le poste était pourvu, cette même femme se lança dans un long discours décousu dont Suzannah retint que la nourrice des enfants était malade et que les déménageurs arrivaient le surlendemain. A la première pause, elle questionna :— Pourrions-nous nous rencontrer? Si vous n'avez personne d'autre, je ferai peut-être l'affaire.— Quand pouvez-vous venir? Embarrassée, Suzannah consulta sa montre.— J'ignore à quelle heure est le prochain autocar. Je me trouve en ce moment à Ramsbourne St Michael...— Ce n'est qu'à deux ou trois kilomètres. Je vais envoyer le jardinier vous chercher. Où vous trouvez-vous?Moins de cinq minutes plus tard, un homme âgé au volant d'une Land Rover s'arrêtait devant elle. Sans être antipathique, il n'était pas d'un tempérament bavard. A peine prononça-t-il quelques mots durant le court trajet qui les mena jusqu'à une maison à l'architecture compliquée, perdue dans la campagne.Une benne chargée de bric et de broc encombrait l'allée menant au perron. Malgré le froid piquant, la porte d'entrée était ouverte. On entendait quelqu'un à l'intérieur taper furieusement avec un marteau.Après avoir remercié son chauffeur, Suzannah alla frapper à la porte. Quelque part dans la maison, une voix lui cria d'entrer. Tant bien que mal, elle se fraya un passage entre valises, cartons et chaises renversées et parvint dans la cuisine. Que de monde ! Deux jeunes enfants, assis à table, étaient en train de goûter, une femme d'un certain âge lavait des légumes à l'évier, et celle qui avait dû répondre à Suzannah au téléphone donnait le biberon à un bébé.— Excusez le désordre, nous sommes en plein déménagement, déclara-t-elle de manière tout à fait superflue. Par malchance, la nourrice des enfants a attrapé la rougeole au moment où nous

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avions le plus besoin d'elle. Vous habitez dans les parages? Je ne me souviens pas vous avoir rencontrée. Au fait, je m'appelle Mme Mere-dith. Nous avons acheté une maison à York. Mon mari se trouve déjà sur place, il lui est impossible de venir m'aider. Je ne l'ai pas encore prévenu que la nourrice était malade.Pendant que Mme Meredith déversait ce flot de paroles, Suzannah attendait patiemment. Elle ramassa même une tartine beurrée jetée à terre par l'un des enfants. Enfin il lui fut possible de s'exprimer :— Je m'appelle Suzannah Lightfoot. J'ai longtemps habité près de Marlborough avec ma tante. Elle est décédée récemment et j'ai besoin de travailler.— Quand pourriez-vous commencer? Nous déménageons après-demain. Je vous avertis, ce n'est pas un travail de tout repos, mes enfants sont de vrais petits diables. Pour ma part, je ne vaux rien avec eux. Mais vous serez bien payée, ajouta-t-elle dans un sourire.A l'évidence, Mme Meredith n'était pas habituée aux besognes domestiques; cela dit, Suzannah la trouvait plutôt sympathique.— Si ça vous convient, je peux me présenter tôt le jour du déménagement.— Ah, ma chère, vous n'imaginez quel soulagement ce sera pour moi d'avoir quelqu'un pour s'occuper des enfants. Y a-t-il un numéro où l'on puisse vous joindre?Suzannah donna celui de Mme Coffin. Moins Lady Manbrook en saurait, mieux cela vaudrait...Bientôt, Suzannah fut reconduite au village par le vieux jardinier qui la déposa devant la cabine téléphonique. De là, elle prit la route de Ramsbourne House. Eh bien, voilà, elle avait un emploi loin d'ici comme elle le souhaitait. Quelle chance! Ce qui en revanche la réjouissait moins, c'était de devoir tromper la bonne vieille Lady Manbrook. Mais comment faire autrement? La nécessité de partir, et au plus vite, prévalait sur toute autre considération.A la table du dîner, un peu plus tard, Suzannah annonça la nouvelle à ses deux hôtesses : elle devait les quitter le lendemain afin d'aller soigner une vieille amie de son village. Une certaine hésitation se devinait dans sa voix. Si les deux sœurs la remarquèrent, elles l'imputèrent au souci que lui causait la situation de cette dame.Au matin, le panier d'Horace dans une main, un sac contenant ses quelques effets dans l'autre, Suzannah alla rejoindre l'arrêt du car, non sans avoir fait des adieux émus à Lady Manbrook et Mme van Beuck. Elle arriva chez Mme Coffin en fin de matinée, contente de

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retrouver sa fidèle amie ainsi que le village.— Horace ne t'importunera pas longtemps, c'est promis, lui dit-elle. Mme Meredith a parlé de deux semaines, maximum.— Ma chérie, s'il ne s'agissait que de moi, je le garderais bien plus longtemps. Un chat si docile, tu penses! Mais tu connais mon vieux matou...Mme Coffin s'interrompit pour aller servir un client, laissant Suzannah s'installer avec Horace dans le salon.A son retour, elle vit la jeune femme qui caressait tristement son chat.— Ne t'inquiète donc pas pour lui, il sera choyé, crois-moi. Et quand tu reviendras, tout s'arrangera pour vous deux, tu verras.— Surtout, ne dis à personne où je me trouve.— Oui veux-tu qui me le demande?— En effet, répondit Suzannah en fuyant son regard. La journée chez Mme Coffin passa bien vite, et le lendemain matin, Suzannah se présentait à son rendez-vous, fixé cette fois à Marlborough, plus proche que Ramsbourne St Michael. Le vieux jardinier, qui la prévint qu'une « pagaille monstre » régnait à la maison, se contenta de déclarer :— Sans la nourrice ou le patron, la pauvre Mme Meredith est perdue. Ses enfants la rendent folle.Pour un début, cela n'incitait guère à l'optimisme...En effet, c'était la confusion la plus totale dans la maison. Mme Meredith avait embauché deux femmes du village pour l'aider à emballer ses affaires. Quant à la cuisinière, tout en tassant poêles et casseroles dans des containers, elle affirmait qu'elle donnerait sa démission, sitôt arrivée à York. Seuls les déménageurs, indifférents à l'énervement général, s'activaient avec une insouciance enviable.Pour sa part, Mme Meredith se trouvait dans sa chambre, hésitant sur la tenue la plus appropriée pour la circonstance. Son visage se fendit d'un large sourire quand elle aperçut Suzannah.— Ah, vous voici! Je n'entends plus les enfants, ils ont dû sortir. Si vous pouviez leur mettre leurs anoraks... et puis, changer le bébé, s'il vous plaît. Mme Kingsey, la cuisinière, va faire un bon thé pour tout le monde avant que nous partions. D'après les déménageurs, on devrait arriver vers 16 heures.Devant la mine ahurie de Suzannah, elle précisa en riant :— Demain, naturellement. Mon mari a tout prévu. Il nous a réservé des chambres dans un hôtel de Crick. C'est à peu près à mi-chemin,

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si bien que nous devrions atteindre York en milieu d'après-midi.Sur ces mots, Mme Meredith décrocha dans la penderie un ensemble veste-pantalon gris qu'elle montra à Suzannah.— Ça devrait convenir pour voyager, qu'en pensez-vous?Quand le soir Suzannali s'écroula sur son lit à l'hôtel, elle laissa défiler dans sa tête le film de cette longue et fatigante journée. Tant bien que mal, la maison avait été vidée jusqu'à la dernière tringle à rideaux et ils étaient partis. D'abord les déménageurs, avec leurs deux camions, et Mme Meredith ensuite, après qu'elle eut effectué à la hâte une ultime inspection des lieux. Bonne conductrice, elle eut tôt fait de rattraper les camions, et à midi, tout le monde s'était arrêté pour déjeuner dans une auberge au bord de la route. Pour Suzannah, les occupations n'avaient pas manqué : veiller à ce que les enfants mangent bien, les conduire aux toilettes, nourrir le bébé, le changer... A peine avait-elle eu le temps de vider sa propre assiette. Le goûter des enfants dans l'après-midi avait fourni l'occasion d'une nouvelle halte, beaucoup plus brève, et enfin, vers 19 heures, ils étaient parvenus à l'hôtel.Au moins les chambres étaient-elles agréables, le lit confortable. Comme les enfants dans la chambre voisine et le bébé tout près d'elle dans son couffin, Suzannah s'assoupit très vite et dormit d'un sommeil de plomb jusqu'au matin.La suite du voyage fut à l'image de celui de la veille. Si ce n'est qu'il y eut qu'une pause, à l'heure du déjeuner, car ils atteignirent York à l'heure du goûter.En fait, ils n'eurent pas à traverser la ville, la maison se trouvant en pleine campagne. C'était une ancienne ferme, assez spacieuse, qui avait été transformée en habitation avec un goût très sûr. Comme ils s'en approchaient, M. Meredith parut sur le seuil et s'avança à leur rencontre. C'était un homme organisé et efficace, ainsi que le constata rapidement Suzannah. En effet, il avait déjà tout préparé pour le thé, et il veilla à ce que la-chambre des enfants soit installée en priorité. Si bien que Suzannah put leur donner un bain sans tarder, les faire dîner rapidement et les coucher. Après quoi, elle s'occupa du bébé et ne prit son propre dîner que plus tard, en compagnie de la cuisinière.Quand Suzannah souhaita bonne nuit à M. et Mme Meredith, celui-ci la remercia d'avoir aidé son épouse avec tant de dévouement. A l'évidence, il était très épris d'elle, songea Suzannah, une fois dans sa chambre. Comme il devait être agréable d'avoir un mari tendre,

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amoureux, plein de prévenances... Et naturellement, l'image du professeur traversa son esprit.Toute possibilité de rêverie ou même de réflexion fut interdite à Suzannah durant les jours qui suivirent. Elle qui comptait sur son séjour chez les Meredith pour réfléchir à l'avenir dut vite déchanter. Quoique affectueux, les enfants, ainsi que l'avait prévenue leur mère, se comportaient en vrais petits diables. Leur jeu favori consistait à échapper à la surveillance de Suzannah pour aller se cacher dans les greniers ou les armoires. Ils se chamaillaient comme chien et chat, et hurlaient si on ne cédait pas à tous leurs caprices. Dieu merci, à côté de cela, le bébé était un ange de douceur et de tranquillité. Mais les journées de Suzannah n'en étaient pas pour autant moins chargées. Et le soir, quand elle montait se coucher après avoir donné son dernier biberon au bébé, elle était trop fatiguée pour réfléchir à quoi que ce soit. De toute façon, à quoi bon? C'était toujours vers le professeur que s'envolaient ses pensées, ce qui ne l'avançait guère ! Hélas, si elle s'efforçait de songer à des choses sérieuses, inévitablement, le sommeil l'emportait...De retour d'un voyage au Moyen-Orient où on l'avait appelé d'urgence pour une opération, le professeur retrouvait sa maison. Il échangea quelques mots avec M. Cobb, puis se retira dans son bureau où l'attendait un abondant courrier. Il reconnut l'écriture légèrement tremblante de Lady Manbrook sur une enveloppe. Avant d'en prendre connaissance, le professeur consulta son carnet de rendez-vous. Son programme du lendemain s'annonçait chargé : plusieurs consultations à son cabinet privé dans la matinée, préalablement une tournée de malades à l'hôpital et d'autres consultations dans une clinique, l'après-midi.Il soupira tandis que se dessinait dans son imagination le visage adorable de Suzannah. Ses occupations l'avaient empêché de trop y penser durant son séjour au Moyen-Orient, mais elle revenait déjà le hanter. Suzannah lui avait ravi son esprit... et son cœur. Il était tellement impatient de la revoir! Pour un peu, il aurait sauté dans sa voiture et serait parti séance tenante chez ses tantes. Refrénant ses pulsions amoureuses, il décacheta l'enveloppe. En attendant de pouvoir la rejoindre, du moins savait-il où elle se trouvait.Personne, en le regardant déchiffrer la missive de Lady Manbrook, n'aurait pu se douter du choc qui ébranla le Pr Bowers. Ses traits conservèrent leur habituelle sérénité, à peine une ombre traversa-t-elle fugitivement son regard. Eh bien, non, Suzannah n'était pas là

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où il le supposait; une fois de plus, elle s'était évanouie dans la nature. Après avoir relu la lettre, le professeur resta un moment songeur, puis décrocha le téléphone. A cette heure, Mme Long, sa secrétaire, avait dû quitter le cabinet; il l'appela donc à son domicile afin de s'enquérir des rendez-vous pris durant son absence.— Seulement deux consultations dans la matinée, monsieur. Par contre, une opération l'après-midi.— Très bien. Je vous demanderai de reporter les rendez-vous du jour suivant, je vais devoir m'absenter. Il n'y avait aucun cas particulièrement urgent, n'est-ce pas?— Non, monsieur, en effet.Aussitôt après, le professeur appela son interne à l'hôpital.— Demain, je suis normalement de service, mais il va falloir que vous me remplaciez après-demain. Organisez-vous en conséquence, d'accord?Quelques instants plus tard, M. Cobb parut pour annoncer que le dîner était prêt.— Mlle Lightfoot a disparu, lui annonça le professeur. Je compte me rendre chez Lady Manbrook après-demain pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer. Je partirai à la première heure, il serait préférable de préparer mon sac de voyage la veille.M. Cobb avait l'air interloqué.— Très bien, monsieur. Disparu? Vous dites qu'elle a disparu? Seigneur, une jeune personne si équilibrée. Quand Mme Cobb apprendra la nouvelle...— Qu'elle ne s'inquiète pas trop, j'ai bien l'intention de la retrouver.A l'issue d'une journée aussi longue qu'éprouvante, le professeur regagna sa maison le lendemain soir, épuisé.— Votre sac est prêt, l'informa le fidèle M. Cobb. Ah, j'espère que vous aurez une bonne nouvelle à nous apprendre à votre retour.— Très certainement, affirma le professeur avec un sourire rassurant, tout en priant intérieurement que cela soit le cas.Tôt le lendemain, il quittait Londres au volant de sa Bentley et arrivait chez ses tantes moins d'une heure plus tard. Comme d'habitude, elles lui réservèrent un accueil très chaleureux. Mais lorsqu'il essaya de leur soutirer des détails sur le départ de Suzannah, leurs réponses demeurèrent bien vagues. Elle était partie s'occuper d'une vieille amie, semblait-il, et avait emporté Horace.— En tout cas, il devait y avoir urgence car cette chère enfant nous a quittées peu après s'être rendue au village. Tu te souviens? demanda

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Lady Manbrook à sa sœur. C'était environ une dizaine de minutes après le départ de Laura Davinish. Laura est venue rendre visite à Suzannah, précisa-t-elle à l'adresse du professeur. En ce qui nous concerne, nous ne l'avons pas vue, c'est M. Snow qui nous en a parlé... D'après lui, Laura serait partie d'ici furieuse.Comme indice, cela restait mince, mais c'était un début...Sur l'insistance de ses tantes, le professeur demeura à Ramsbourne House jusqu'au déjeuner qu'il partagea avec elles. Aussitôt après, il se rendit au village. Il avait eu tout loisir de réfléchir et dans son esprit, il ne faisait plus aucun doute que le départ précipité de Suzannah était directement lié à la visite de Laura.A Ramsbourne St Michael, le professeur se rendit chez plusieurs commerçants. Peut-être l'un d'eux avait-il vu passer Suzannah et pourrait lui fournir quelques renseignements? Sa persévérance fut couronnée de succès lorsqu'il arriva au bazar de Mme Maddox.— Une petite demoiselle avec de beaux cheveux roux ! Bien sûr, je m'en souviens parfaitement. Comme il y avait du monde dans le magasin, elle regardait les annonces qui sont affichées là-bas. A un moment, elle est sortie téléphoner à la cabine en face et un peu plus tard, le vieux jardinier des Meredith est venu la chercher avec sa Land Rover.— Portait-elle un chat dans un panier?— Ah, non, c'est un détail dont je me souviendrais.— Et ces Meredith, où habitent-ils?— Vous n'avez pas de chance. Ils viennent de déménager quelque part dans le nord. On dit qu'ils ont acheté une vieille ferme à la campagne. Mais où, je l'ignore.Le professeur remercia Mme Maddox. Son enquête avançait. Tout doucement, mais elle avançait. Etape suivante : Mme Coffin. Sans doute lui en apprendrait-elle davantage.Peu de temps après, le professeur poussait la porte du petit bureau de poste. En l'apercevant, Mme Coffin prit un air de surprise embarrassée dont il ne put que se réjouir.— Ah, professeur Bowers... Comment allez-vous? Vous... vous veniez voir probablement le Dr Warren... Il ne devrait pas tarder à rentrer de ses visites.— C'est vous que je viens voir, madame Coffin. Si vous avez cinq minutes à m'accorder...Cette fois, l'expression de Mme Coffin trahit un certain affolement.— C'est que... j'ai beaucoup de monde en général à cette heure-ci.

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Elle jeta un coup d'œil au bureau de poste, complètement désert. Le professeur était tout sourire, mais à l'évidence, il semblait bien décidé à lui tenir tête. Aussi, résignée, elle souleva l'abattant du guichet et l'invita à la suivre dans l'arrière-boutique.Un bon feu de bois brûlait dans la petite cheminée. Et devant, se réchauffant à sa chaleur, il y avait un vieux chien de berger, un gros chat noir... et Horace!Le professeur se pencha pour lui caresser l'échiné.— Salut, mon vieux.Comme Horace venait se frotter contre ses jambes avec contentement, il ajouta :— Mais oui, je vais t'emmener avec moi. Sais-tu que tu nous as manqué?Alors, Mme Coffin s'exclama, visiblement soulagée :— Ah, vous êtes venu chercher le chat de Suzannah. Elle se faisait du souci pour son Horace, vous savez. C'est toujours un problème pour elle quand il lui faut s'en séparer.— C'est très gentil de vous en être chargée, madame Coffin. Si vous voulez bien me donner l'adresse de Suzannah, je lui dirai que je l'ai repris avec moi.— Il ne me dérange pas, mais si vous y tenez... Attendez, je dois avoir l'adresse quelque part par là. Elle m'a envoyé une carte postale la semaine dernière, juste quelques mots pour me dire qu'elle allait bien.Tout en parlant, Mme Coffin s'était mise à fouiller dans un tiroir.— Voilà... Tidewell House, Tidemore, York. C'est à la campagne, paraît-il. Elle me demandait de lui donner des nouvelles de son chat, mais puisque vous devez lui écrire, vous pourriez peut-être vous en charger?Elle regarda le professeur qui lui parut brusquement rajeuni de plusieurs années. Mais peut-être était-ce parce qu'elle n'avait pas ses lunettes sur le nez?— Certainement, madame Coffin. Allez, Horace, je t'emmène à Londres avec moi.— Mon Dieu! s'exclama Mme Coffin, qui quittait si rarement le village que cela semblait le bout du monde. Vous lui souhaiterez bien le bonjour de ma part, n'est-ce pas?.. Cette chère petite Suzannah, elle ne se plaint jamais, mais elle m'a semblé bien triste quand elle est partie.— Dans ce cas, il faut que je la retrouve bien vite pour lui redonner

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sa gaieté, déclara résolument le professeur.Et là-dessus, il prit congé, le panier d'Horace au bout du bras.Parvenu à Londres, il le confia aux bons soins de M. Cobb qu'il s'empressa de rassurer sur le sort de Suzannah.— Elle se trouve du côté de York. J'irai la chercher dès que possible.— Vous ne savez pas pourquoi elle est partie?— Non... Mais je crois le deviner.Sitôt son dîner achevé, le professeur téléphona à son interne. A point nommé... Une petite fille gravement blessée à la tête dans un accident de la circulation venait d'être admise à l'hôpital. Seule, une intervention chirurgicale pouvait la sauver.— Très bien. J'arrive immédiatement.Il était alors près de 22 heures. Le professeur ne retourna chez lui que vers 2 heures du matin, épuisé mais satisfait du travail accompli sur la fillette. Et naturellement, il dormit comme une masse jusqu'au matin.Dès 9 heures cependant, il était de retour à l'hôpital. L'état de sa petite malade s'était bien amélioré et aucune urgence ne l'attendait.— J'ai quelques patients à voir aujourd'hui, mais demain, je compte me rendre à York, annonça-t-il à son interne. En cas d'urgence, vous pourrez toujours me joindre dans la voiture.Bannissant Suzannah de ses pensées, le professeur travailla sans relâche toute la journée : consultations, tournée des malades, courrier en retard. Mais rentré chez lui, le soir venu, c'est bien entendu à elle qu'il songea.— Ça ne peut pas continuer ainsi, n'est-ce pas? dit-il à Dick, son fidèle compagnon.Et Dick remua résolument la queue.— Tu m'accompagneras à York, lui promit son maître tout en le caressant. J'ai besoin d'un soutien moral, tu sais.Le professeur et son chien partirent donc ensemble, tôt le lendemain matin. Il faisait un temps froid et sinistre, mais au moins la route était-elle sèche et la Bentley progressait à bonne allure. Plus tard dans la matinée, ils eurent moins de chance : le ciel s'obscurcit au point que le professeur dut allumer les phares, et une pluie serrée s'abattit bientôt sur la chaussée. Mais les gouttes s'espacèrent de plus en plus et aux abords de York un timide rayon de soleil filtrait même entre deux nuages.— Voilà qui est un bon présage..., fit observer le professeur à son cocker, roulé en boule sur le siège voisin.

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Quand il eut quitté la nationale pour prendre la direction de Tidemore, le professeur s'arrêta dans une station-service afin de demander son chemin. Tidewell House ? Il n'en était plus qu'à trois ou quatre kilomètres. Sans trop de difficultés, il trouva la vieille ferme rénovée des Meredith. Après s'être garé dans la cour, le professeur alla actionner la clarine qui tenait lieu de sonnette. Ses traits affichaient le calme olympien qu'il arborait en toute circonstance.Une femme âgée, à l'expression plutôt austère, ouvrit la lourde porte en bois peint.— Mme Meredith est-elle ici? J'aimerais lui parler, s'il vous plaît.— Oui. Qui dois-je annoncer?— M. Bowers.Elle le fit entrer dans un salon où elle l'invita à s'asseoir avant de disparaître. Mais le professeur resta debout, arpentant la pièce les mains dans les poches, car à présent une impatience grandissante l'habitait. Ce ne fut pas sans soulagement qu'il vit paraître Mme Meredith.Il la salua et se présenta, puis entra dans le vif du sujet :— Je crois savoir que vous employez actuellement Mlle Lightfoot. Je désirerais beaucoup la rencontrer.Mme Meredith, aussi farfelue qu'elle fût, était une personne perspicace. Et elle sentait que cet homme, avec sa mine impassible, bouillait intérieurement...— C'est une chance que vous soyez venu aujourd'hui. Demain, vous auriez certainement manqué Suzannah. Elle devait nous quitter car ma nourrice habituelle revient. Elle est sortie avec les enfants, ils ne devraient pas tarder. Vous venez de loin, monsieur?— De Londres... Je comptais la ramener avec moi. Si c'était possible, naturellement?— Pourquoi pas?Devinant la nervosité du professeur, Mme Meredith lui sourit.— Tout compte fait, nous pourrions aller à leur rencontre, suggéra-t-elle. Suzannah a été merveilleuse. Je me demande comment je me serais débrouillée sans elle. Et les enfants l'adorent.Emboîtant le pas à son hôtesse, le professeur la suivit à travers la maison jusqu'à une porte donnant dans des prés, sur l'arrière de la ferme. Il s'arrêta sur le seuil, un long soupir de soulagement lui échappa, son regard s'éclaira de bonheur : sa Suzannah était là, jouant au ballon avec deux jeunes enfants. Ils criaient, couraient,

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s'interpellaient avec tant d'entrain que la jeune femme ne remarqua la présence du professeur et de Mme Meredith que lorsqu'ils furent à quelques mètres à peine d'elle.Le ballon tomba de ses mains et elle considéra le professeur, les yeux écarquillés.— Vous... mais... Comment êtes-vous arrivé ici?— En voiture, répondit-il, ironique. Bonjour, Suzannah...Plus ému qu'il ne l'avait jamais été, il s'approcha, lui prit les mains. Ni l'un ni l'autre ne remarqua que les enfants obéissaient pour une fois à Mme Meredith qui les entraînait vers la maison.A peine revenue de sa surprise, Suzannah murmura :— Comment m'avez-vous retrouvée?— Rien de plus facile, ma chérie. D'aussi beaux cheveux que les vôtres ne passent pas inaperçus... Qu'a bien pu vous raconter Laura pour vous faire fuir aussi loin?Embarrassée, Suzannah essaya doucement de se dégager, mais le professeur ne la laissa pas lui échapper. Ni se dérober à sa question, Suzannah le comprit à la détermination qu'elle lut dans son regard.— Eh bien, elle m'a dit que vous alliez vous marier. Et aussi, que vous vous sentiez tenu de m'aider parce que vous aviez pitié de moi, et que je vous causais beaucoup d'embarras... Au coin de ses paupières perlèrent des larmes qui bouleversèrent le professeur.— Oh, ma chérie, ma chérie... Et bien entendu, vous l'avez crue.— Je ne souhaitais pas la croire, mais comme vous n'aviez pas l'air de m'apprécier...— Mon ange, non seulement, je vous apprécie, mais je vous aime! Je vous aime, Suzannah, depuis le jour où nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Je n'en ai pas pris conscience immédiatement, je l'avoue. Mais dès l'instant où Laura m'a annoncé qu'elle vous avait renvoyée, j'ai voulu absolument vous revoir, faire quelque chose pour vous. La suite, vous la connaissez... Vous m'avez opposé un refus on ne peut plus catégorique. Et je suis tombé éperdument amoureux de vous.— Vous ne m'en avez jamais rien avoué, répliqua Suzannah sur un ton de reproche.Il sourit.— Ne soyez pas fâchée, ma chérie. Plusieurs fois, j'ai eu l'intention de le faire, mais je vous sentais... hostile à mon égard. Qu'importe? Tout ça est terminé, bien terminé! Suzannah, voulez-vous

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m'épouser? Et pas de dérobades ! J'exige une réponse maintenant.— Mon Dieu, je ne peux accep...Voyant son air réprobateur, elle s'interrompit, se mit à rire et à pleurer tout à la fois.— Oh, Guy!... Bien sûr, je veux vous épouser! Pardonnez-moi de m'être échappée mais... mais je vous aimais tant, et j'étais persuadée de vous déplaire.Dans un élan du cœur, le professeur l'enlaça et la serra fort contre lui.— De me déplaire?.. Eh bien, je vais m'employer à vous prouver le contraire.Sur cette grisante promesse, il prit ses lèvres dans un baiser qui contenait toute la douceur et la tendresse du monde.Englouti par un nuage, le soleil s'était de nouveau caché et quelques gouttes de pluie éparses tombaient sur les amoureux enlacés. Il en fallait bien davantage pour décourager Suzannah : elle était transportée au paradis. Quant au professeur, à qui d'habitude rien n'échappait, il ne s'en était même pas aperçu... Ses vœux les plus chers étaient comblés.