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L’anormalité érigée en principe de vie dans les sociétés africaines ISE EN ÉCRITURE DES ESPACES RANCOPHONE & ANGLOPHONE EN AFRIQUE : NUANCE DE FOND OU DE FORME ? M F Parmi les données qui servent souvent de prétextes à de nombreuses controverses en Afrique, les frontières occupent une place prépondérante. Issues, dans la majeure partie des cas, de l’héritage des différents pro- cessus coloniaux arabes et européens, ces frontières reposent sur une varié- té d’éléments qui s’articulent en gé- néral autour du spatial, du racial, du religieux ou du linguistique. Cela donne lieu, dans l’ordre, à des appel- lations comme Afrique de l’Est ou de l’Ouest, Afrique noire ou blanche, Afrique musulmane ou chrétienne, Afrique anglophone ou francopho- ne…. Bien que récentes, puisqu’elles datent en partie, comme nous venons de le souligner, des différentes phases coloniales subies par ce continent, ces typologies de catégorisation sont si pro- fondément ancrées dans la croyance populaire que l’on ne prend plus le soin d’en vérifier les contenus. ANS cette étude, nous nous propo- sons de nous pen- cher essentiellement sur l’analyse de la gestion de la vie au sein des frontières issues des sys- tèmes coloniaux 1 anglais et fran- çais tout en essayant de savoir si les contenus, que les catégorisations, Afrique francophone et Afrique an- glophone sont censées couvrir, per- mettent d’aboutir à une véritable nuance entre ces espaces. Pour l’ar- gumentation de cette réflexion, nous allons nous référer, en partie, à la mise en écriture de ces deux espaces. Sans occulter les faits réels qui en émanent, nous allons sur- tout nous inspirer des créations de l’imaginaire, en articulant notre analyse autour de la recherche d’éventuelles intertextualités qui apparaissent dans cette mise en écriture. À cet effet, notre choix s’est porté sur les œuvres de deux auteurs dont les écrits s’inscrivent dans cette perspective de témoi- gnage sur les activités inhérentes à ces espaces de l’Afrique postcolo- niale. Il s’agit de ceux du Congolais Sony Labou Tansi et du Ghanéen Ayi Kwei Armah. Compte tenu de l’abondance de É Ét t u ud de es s D R .A LFRED Y AO B AH est titulaire d’un doctorat en littératu- re comparée (Paris IV - Sorbonne), d’un DEA de littéraure du monde an- glophone (Univ. Reims) et d’une Maîtrise d’ African Studies (Univ. d’Abidjan) 1 - Chaque système colonial avait une caractéristique pré- cise. La politique coloniale anglaise était basée sur l’in- direct rule. Pour la gestion lo- cale de leurs colonies, les Anglais s’appuyaient sur les chefferies locales. Cela n’était pas le cas du système fran- çais, le direct rule, une véri- table politique d’assimilation dont toute la gestion était du ressort exclusif de la France qui nommait tous ses repré- sentants à partir de la mé- tropole. 24 24 L’Arbre à Palabres N° 18 Janvier 2006 D D D

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L’anormalité érigée en principe de vie dans les sociétés africaines

ISE EN ÉCRITURE DES ESPACESRANCOPHONE & ANGLOPHONE

EN AFRIQUE :NUANCE DE FOND OU DE FORME ?

MFParmi les données qui servent

souvent de prétextes à de nombreusescontroverses en Afrique, les frontièresoccupent une place prépondérante.Issues, dans la majeure partie descas, de l’héritage des différents pro-cessus coloniaux arabes et européens,ces frontières reposent sur une varié-té d’éléments qui s’articulent en gé-néral autour du spatial, du racial,du religieux ou du linguistique. Celadonne lieu, dans l’ordre, à des appel-lations comme Afrique de l’Est ou del’Ouest, Afrique noire ou blanche,Afrique musulmane ou chrétienne,Afrique anglophone ou francopho-ne…. Bien que récentes, puisqu’ellesdatent en partie, comme nous venonsde le souligner, des différentes phasescoloniales subies par ce continent, cestypologies de catégorisation sont si pro-fondément ancrées dans la croyancepopulaire que l’on ne prend plus lesoin d’en vérifier les contenus.

ANS cette étude,nous nous propo-sons de nous pen-cher essentiellement

sur l’analyse de la gestion de la vieau sein des frontières issues des sys-tèmes coloniaux 1 anglais et fran-çais tout en essayant de savoir si lescontenus, que les catégorisations,Afrique francophone et Afrique an-glophone sont censées couvrir, per-mettent d’aboutir à une véritablenuance entre ces espaces. Pour l’ar-gumentation de cette réflexion,nous allons nous référer, en partie,à la mise en écriture de ces deuxespaces. Sans occulter les faits réelsqui en émanent, nous allons sur-tout nous inspirer des créations del’imaginaire, en articulant notreanalyse autour de la recherched’éventuelles intertextualités quiapparaissent dans cette mise enécriture. À cet effet, notre choixs’est porté sur les œuvres de deuxauteurs dont les écrits s’inscriventdans cette perspective de témoi-gnage sur les activités inhérentes àces espaces de l’Afrique postcolo-niale. Il s’agit de ceux duCongolais Sony Labou Tansi et duGhanéen Ayi Kwei Armah.Compte tenu de l’abondance de

É Ét tu ud d

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DR. ALFRED YAO BAHest titulaire d’un doctorat en littératu-re comparée (Paris IV - Sorbonne),d’un DEAde littéraure du monde an-glophone (Univ. Reims) et d’uneMaîtrise d’African Studies (Univ.d’Abidjan)

1 - Chaque système colonialavait une caractéristique pré-cise. La politique colonialeanglaise était basée sur l’in-direct rule. Pour la gestion lo-cale de leurs colonies, lesAnglais s’appuyaient sur leschefferies locales. Cela n’étaitpas le cas du système fran-çais, le direct rule, une véri-table politique d’assimilationdont toute la gestion était duressort exclusif de la Francequi nommait tous ses repré-sentants à partir de la mé-tropole.

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leurs productions, nous retien-drons deux romans chez chaqueauteur. En ce qui concerne l’écri-vain ghanéen, notre choix s’estporté sur ses deux premièresœuvres, à savoir The BeautyfulOnes Are Not Yet Born 2 etFragments 3, dont voici les brefsaperçus. The Beautyful Ones Are NotYet Born dépeint la société ghanéen-ne postcoloniale à travers le parcoursde son personnage principal – theman – que nous appellerons l’hom-me au cours de notre étude. Cethomme vit dans un environne-ment infernal où l’on ne se préoc-cupe que de l’acquisition de ri-chesses matérielles en faisant fi dela morale. Sous le soleil de ceGhana des indépendances, où lacorruption est si fortement ancréedans les mœurs qu’elle est consi-dérée comme le national game, au-trement dit le sport national il ap-paraît difficile, voire impossiblepour l’homme de convaincre sonentourage de renoncer aux passe-droits. Cette pratique va susciterl’exacerbation de la population etva conduire à la chute de la classedirigeante qui en était le principalinstigateur. La fin tragique réservéeà cette première classe de diri-geants véreux ne fera pas reculercette tare. Face à cette situationpréoccupante, qui aggravait lafragmentation socio-politique dece pays, l’auteur va reprendre son

arme de pamphlétaire pour situerla responsabilité de diversescouches sociales dans une nouvel-le production. Intitulée à desseinFragments, cette œuvre élargit lessillons de la dénonciation, élabo-rés dans la première œuvre, enstigmatisant la fracture morale etévidemment sociale qui prévautdans le Ghana des indépendances.Au travers d’un récit qui s’articuleautour d’un rude conflit opposantle personnage principal – Baako –à la fois à sa famille et à une gran-de partie de la population gha-néenne, l’auteur met au jour lesnombreux errements de ses com-patriotes qui sabordent laconstruction de cette jeune nation.Baako est en effet un jeune intel-lectuel qui décide de rentrer dansson pays après cinq annéesd’études effectuées dans une gran-de université américaine. Mais,contrairement à la plupart de sescompatriotes, qui reviennent lesbras chargés de Cargos, c’est-à-di-re les produits manufacturés enOccident, dont raffolent ceux quin’ont pas effectué de voyage àl’étranger il refuse de perpétuercette tradition matérialiste en re-venant avec seulement une guita-re et une machine à écrire. Ce re-fus de conformisme va lui valoirles nombreuses railleries de la plu-part des membres sa famille etd’une grande partie de la société

2 - Ayi Kwei Armah, TheBeautyful Ones Are Not YetBorn, London Heinemann,1968. 3 - Ayi Kwei Armah,Fragments, London Heine-mann, 1970.

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ghanéenne. Fragilisé par cette pres-sion d’hostilité à son égard, Baakova chuter et se faire interner dansun hôpital psychiatrique. Au tra-vers de cette présentation som-maire de ses œuvres, se profile lavolonté indéniable d’Armah demontrer que les déboires post-co-loniaux de son Ghana natal restenten partie suscités par ses conci-toyens. C’est d’ailleurs à ce mêmeconstat que nous aboutissons enparcourant les grandes lignes desromans L’Anté-peuple 4 et L’Étathonteux 5 de l’écrivain congolaisSony.

Avec son État, indéniablementhonteux, qui a inspiré le titre du se-cond roman de Sony, le colonelMartillimi Lopez dirige d’unemain de maître son pays en pré-servant son pouvoir surtout grâceaux puissances étrangères qui luifournissent des armes.

Bâillonnement Pensée unique Amour...Ce règne par le bâillonnement

et la pensée unique est même per-ceptible en amour. Il ne fait, en ef-fet, pas bon de contredire le cœurplein de désir d’un membre de laclasse dirigeante. Dadou, le hérosanté-peuple de l’œuvre va d’ailleursfaire les frais de cet amalgame po-litico-sentimental au Zaïre où il

était initialement perçu comme uncitoyen modèle. Pour échapperaux représailles, découlant de sonrefus de soumission à ce monoli-thisme, il va fuir pour se réfugierdans un État voisin. Mais là éga-lement, confronté à la dictature, ilva se résoudre à combattre. Cesbrefs aperçus des romans de Sonymènent aux mêmes constats queceux auxquels nous avons abouti àla suite de la présentation de ceuxd’Armah. Les deux auteurs met-tent, en effet, en exergue lesmêmes maux, qui relèvent essen-tiellement du monolithisme et dela barbarie qui ont cours enAfrique post-coloniale francopho-ne ou anglophone et pèsent dansla plupart des cas, sur leurs com-patriotes. Et cette proximité entreles deux auteurs va bien au-delàdes grands axes de leur écriture, carelle transparaît aux rapproche-ments binaires entre leurs diffé-rents romans auxquels nous allonsprocéder. Ce procédé permet deconstater que, Fragments et L’Anté-peuple sont beaucoup plus prochesen ce qu’ils abordent, dans la mê-me perspective, le phénomène del’exclusion. À travers la persécu-tion dont sont victimes les per-sonnages Baako, pour le premierroman et Dadou pour le second,Sony et Armah stigmatisent lesavatars de cette dérive qui fragili-se le précaire équilibre social de

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4 - Sony Labou Tansi, L’Anté-peuple, Paris, Seuil, 1983. 5 - Sony Labou Tansi, L’ÉtatHonteux, Paris, Seuil, 1981.

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leurs pays. Leurs personnages fonten effet les frais du monolithismeambiant qui règne dans leurs pays,en se faisant violenter ou empri-sonner, parce qu’ils refusent d’ad-hérer à l’immoralité relevant dupenchant matérialiste de leursconcitoyens. Nous avons égale-ment de nombreuses similitudesentre L’État honteux et TheBeautyful Ones Are Not Yet Born.Ces deux œuvres posent le mêmeproblème des dérives dictatorialesqui font suite à l’irruption des mi-litaires sur la scène politique. Cetteaction conduit partout au mêmerésultat, à savoir le refus de céderle pouvoir aux civils ou de l’amé-liorer dès qu’ils y sont. Il en va ain-si de l’attitude des putschistes gha-néens et du colonel MartillimiLopez qui vont tourner le dos auxbonnes intentions qu’ils nourris-saient avant d’accéder au pouvoir.Après sa prise de pouvoir, ce colo-nel va, contrairement à ce qu’ils’était promis, perpétuer le règnede l’arbitraire en refusant de dé-missionner malgré les conseils avi-sés de ses proches collaborateurs.De leur côté, les militaires gha-néens ne feront pas mieux aprèsavoir renversé les Nkrumaïsts. Ilsvont poursuivre avec le culte de lapersonnalité et surtout la pratiquede la corruption qui leur a servi deprétexte pour la réalisation de leurcoup d’État. Pour mieux appré-

hender ces intertextualités, qui em-pêchent de mettre en relief uneréelle nuance entre l’Afrique fran-cophone et anglophone, nous al-lons maintenant nous plongerdans le détail de ces écrits.L’ambivalence se présente commela première caractéristique quitransparaît à la lecture approfondiedes œuvres de Sony et d’Armah.En effet, contrairement à leurs pré-décesseurs de la Négritude, quiavaient des écrits essentiellementélaborés sur la base de réflexionspartisanes voire racistes, les deuxauteurs optent pour une approchesans parti pris, dans la mise à nudes fossoyeurs des sociétés qu’ilsdécrivent. Cette démarche aboutità plusieurs constats dont celuimettant à nu les innombrables er-rements des Nègres francophoneset anglophones de toutes les caté-gories sociales. Dans le cadre de lacorruption, par exemple, qu’il stig-matise dans The beautyful Ones AreNot Yet Born, l’anglophone Armah,indexe aussi bien les dirigeants queles administrés, notamment autravers des agissements du peuscrupuleux ministre Koomson etd’Oyo, une ménagère. Avec lacomplicité de cette dernière, qui luisert de prête-nom, en échanged’une promesse de partage des re-tombées du navire qu’il veut ac-quérir, ce ministre va réaliser sesrêves en détournant les fonds pu-

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blics alloués à son ministère.Les écrits du francophone Sony

abondent dans ce même sens del’origine sociale hétérogène desfossoyeurs de la société africainecontemporaine. C’est notammentle cas lorsqu’il s’attaque au harcè-lement sexuel, en dénonçant à lafois des supérieurs hiérarchiquesou ceux qui sont généralement lesvictimes de ces agissements. À tra-vers la persécution que Dadou,son personnage principal, subit dela part d’une élève de l’établisse-ment qu’il dirige, l’auteur congo-lais montre que cet abus n’est pasl’apanage d’une gent déterminée.Diffamé par cette étudiante, quil’accusera dans un courrier post-hume d’être à la base de son sui-cide, ce citoyen exemplaire seracontraint à l’exil.

Dans cette démarche de mise ànu sans parti pris des fossoyeurs dela société africaine contemporaine,les deux auteurs s’en prennent éga-lement aux incessantes intrusions,à visée généralement économique,des anciens maîtres français et an-glais. Sony dénonce, à cet effet, lagourmandise de ces puissancesqui se manifeste lorsque leur assis-tance technique est sollicitée. Cevorace appétit s’illustre à travers laquote-part que celles-ci s’octroientdans les gains que rapportent lesfruits de leur coopération. Parexemple, pour l’extraction de

l’uranium du pays de Lopez, lesFrançais réclament les deux tiersdes produits de l’exploitation. Enabondant dans le même sens, etparfois de façon anecdotique,Armah s’en prend à la concurren-ce déloyale que les grandes multi-nationales de ces pays livrent auxembryons d’industries locales. Unprocessus qu’il met en évidence àtravers une bataille anecdotiqueque se livrent des camions sur uneroute du Ghana :

A Shell tanker had stopped withall its length and huge bulk in thedead middle of the road. Passing itimpossible except for one man on aHonda who threaded his way pastall the drivers trapped in their carsbehind the tanker, smiling wicked-ly and waving at all of them. 6

Allégorie de la présence encombrante des multinationales...Dans cette bataille, qui se pré-

sente comme l’allégorie de la pré-sence encombrante des multina-tionales étrangères sur le sol gha-néen, les mises en cause, que sontla compagnie pétrolière Shell et lasociété de fabrication de moyensde transport Honda, contraignentles autres marques anonymes àl’immobilisme. Il ne fait pas dedoute que cette situation d’immo-bilisme réfère à la pénible réalité

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6 - Ayi Kwei Armah,Fragments, op.cit, P.137. Notre traduction : Un ca-mion-citerne Shell s’était blot-ti de tout son long en plein mi-lieu de la chaussée. Il était im-possible de le dépasser, à l’ex-ception d’un homme sur uneHonda qui réussit à se frayerun chemin en dépassant tousles chauffeurs, piégés dans leursvoitures, en les narguant sansretenue.

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des fragiles firmes ghanéennes su-bissant le dictat des multinatio-nales. En plus de cette concurren-ce déloyale, que leur imposent lesétrangers, ces firmes restent égale-ment confrontées à des frondes ve-nant de leurs propres concitoyens.Essentiellement fascinés par lesproduits manufacturés à l’étranger,notamment en Occident, ces der-niers se refusent, la plupart dutemps, à consommer les denréesde fabrication locale. Cette attitu-de se manifeste surtout chez ceuxqui ont un grand pouvoir d’achatcomme Oyo – la femme du mi-nistre Koomson. Lors d’une visitechez l’homme, le modeste commisdu service des chemins de fer, cet-te représentante de la bourgeoisieghanéenne des indépendances, varefuser de boire de la bière brasséedans son pays en prétextant quecela lui donne la nausée. Ce mé-pris à l’égard des produits de fa-brication locale s’observe égale-ment dans le pays de Lopez. C’estce dictateur lui-même qui s’yillustre en soutenant qu’il préfèrele pot de moutarde fabriqué enHaute-Savoie aux produits de sonpeuple, de peur de se faire assassi-ner en mangeant n’importe quoi.Au travers de ces exemples, nousconstatons que la mise en écritureque Sony et Armah font de leurspays respectifs se rejoint en se sin-gularisant surtout par la mise en

relief du caractère hétérogène desfossoyeurs de ces pays. C’est cemême principe d’hétérogénéitéqui sous-tend la mise à nu desagissements de ces derniers. Quece soit aux niveaux du politique,du social ou du culturel, ces agis-sements relèvent d’un même prin-cipe qui est obscène. Chez Armah,ce principe s’articule en partie autravers d’une démarche que JeanDe Palacio 7 assimile à de la défé-cation scripturaire. Cette action re-pose sur la mise en évidence, sansaucune forme de pudeur ou de re-tenue, d’une variante de déchets.Cela est perceptible, dès le débutde The Beautyful Ones Are Not YetBorn, où nous sommes confrontésà celui venant de la bouche d’untransporteur. Il s’agit d’un generousgob of mucus 8 que ce dernier dé-verse, en toute insouciance, sur lespneus de la voiture dans laquelledes passagers impatients l’atten-daient. Parmi ceux-ci, se trouvaitl’homme, le principal personnagede l’œuvre, qui allait s’illustrer unpeu plus tard de façon égalementgrossière avec le même type de dé-chet. Alors qu’il dormait, dans lebus qui le ramenait chez lui, l’onpouvait apercevoir un liquide jau-nâtre coulant de sa bouche en-tr’ouverte. À son réveil, il l’essuiesans aucune gêne avec un bout desa chemise. Au Ghana, le crachats’exhibe à tout bout de champ, y

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7 - Jean De Palacio in La co-prolalie : mode et modèle dudiscours de fin de siècle. Actesdu Colloque de la SFLGC,Toulouse, Presse del’Université du Mirail. 8 - Ayi Kwei Armah,Fragments, op. cit., p.1.Notre traduction : Un bonpaquet de morve.

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compris à proximité des étals surlesquels est exposée de la nourri-ture prête à être consommée. Lespropriétaires de ces étals y vontégalement de leur communionobscène avec ce déchet. Et ce n’estpas une vendeuse, qui offre unescène des plus ahurissants en usantde sa bouche pour décongestion-ner les narines de son fils, qui ledémentira. Dans l’ensemble, lesGhanéens s’accommodent des im-puretés buccales. Il en va de mê-me pour les autres types de détri-tus qui jonchent les trottoirs outraînent à proximité des récipientsqui sont censés les accueillir. Cesrécipients servent d’ailleurs àd’autres spectacles peu recom-mandables comme celui à traverslequel s’illustre un chauffeur. Sansse préoccuper de la présence despassagers, qui attendaient dans lavoiture, il se mit à uriner sur l’undes pneus d’une des voitures enstationnement. Il agit ainsi sansdoute à cause du manque d’attraitdes endroits réservés à ces types debesoins. Il en va ainsi du décor destoilettes du service des chemins defer ghanéen dont les murs sont ba-digeonnés d’excréments quand leplancher reste couvert de ver-mines. Les détritus qu’on laissetraîner dans les rues, les mursqu’on badigeonne d’excréments, lecrachat dont on s’accommode, onpeut en conclure que le Ghana, à

l’image de cette rampe du servicedes chemins de fer, baigne dansl’insalubrité totale que produisentses fils :

The sight was like a very longpiece of disease skin. The banisterhad originally been a wooden one,and to this time, it was possible tosee in the deepest of the cracks bet-ween the swellings of other matter adubious piece of deeply aged brownwood… They were no longer sharp,the cracks but rounded out andsmoothed, consumed by some softgentle process of decay. 9

À cette rampe, qui croupit sousle poids de la salissure engendréepar les insouciantes mains gha-néennes, le narrateur ne prévoitqu’un avenir pessimiste ; c’est-à-di-re l’irréversibilité de sa destructiontotale, qu’il traduit par l’expressionthe wood would always win. Cettelogique de triomphe des retom-bées de la défécation, et par-delàde l’obscène, sur l’ensemble desGhanéens, prévaut égalementailleurs, notamment au Congoque décrit Sony. Bien qu’évoquéparfois de façon anecdotique, chezSony, le processus de la défécationapparaît également comme l’undes principes fondateurs de l’obs-cène qu’il articule en partie autourde la violence. Ainsi, dans le paysdu dictateur Martillimi Lopez,qu’il décrit, ce principe est présen-té comme le fondement même de

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9 - Ibid. p.12. Notre traduc-tion : L’apparence était celled’un long morceau de peaumalade. A l’origine, la rampeétait en bois et à présent, onn’apercevait dans la profondeurdes fissures entre les dépôtsd’une multitude de débris,qu’une espèce de vieux boismarron…. Ils n’étaient pluspointus mais, tous arrondis, ra-mollis et consumés par un longprocessus de dégradation.

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l’action gouvernementale. Il est eneffet entretenu au plus haut som-met de l’État par ce dictateur quijustifiera d’ailleurs sa prise de pou-voir par son refus de laisser quel-qu’un d’autre uriner sur les affairesde la patrie. Il va ainsi user de ceprincipe comme une arme de do-mination ou d’assujettissement enurinant aussi bien sur les affairesde sa patrie qu’entre les jambes desfemmes qu’il désire. Si la déféca-tion apparaît comme le principefondateur de la politique de ce dic-tateur, elle ne demeure pas moinsune arme de riposte contre cettepolitique. C’est dans cette logiqueque s’inscrivent les actes du jeuneopposant – Laure La Panthère –qui le nargue en déposant des ter-mitières de déchets dans son lit.Longtemps frustrées par ce mêmedictateur, des femmes vont égale-ment user de ce principe pour sevenger de lui en urinant sur lespots de fleurs de son palais. Par-delà ces actions, qui relèvent, untemps soit peu, de l’anecdotique,chez Sony l’obscène reste, avanttout, marquée par la violence et laterreur qui sont perpétrées aussibien par les dirigeants que par lesadministrés. Il en va ainsi des actesde barbarie que le dictateur Lopezperpétue sur ceux qui osentcontester son pouvoir, en leur sec-tionnant, entre autres, le sexe. Lesfemmes n’échappent pas à ces vio-

lences sexuelles qui se traduisenttrès souvent par des viols qu’ellessubissent de la part de ceux quisont censés les protéger. C’est no-tamment le cas dans le Zaïre deDadou où ces violences sont per-pétrées dans les commissariats.Son amie Yealdara fera les frais decette inconséquence d’un groupede policiers qui va abuser d’ellelors d’une nuit de garde-à-vue.L’irréprochable citoyen Dadou nese dérogera pas à cette logique del’obscénité, en choisissant d’assas-siner le peu scrupuleux chargé demission Mouyabas Marti en plei-ne messe dans une église.

Principe de la dictature, Contestation de l’arbitraire Présage d’un triompheirréversible de l’obscène...Tantôt principe de la dictature,

tantôt moyen de contestation del’arbitraire au Congo, tout commeau Ghana, tout présage d’untriomphe irréversible de l’obscènesur tous ceux qui en usent par dé-pit ou en toute insouciance. Enmettant ainsi en évidence le lienquasi fusionnel qui existe entre leshabitants de toutes les catégoriessociales et l’obscène, qui s’illustresoit par la défécation ou la violen-ce, Sony et Armah n’aspirent qu’àla dénonciation d’un mal profond.C’est-à-dire l’anormalité qui est

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érigée en principe de vie dans lessociétés postcoloniales ghanéenneet congolaise. En effet, par-delàl’acte physique, qui consiste, entreautres, à uriner ou à se moucherdans des lieux inappropriés, l’obs-cène apparaît comme la synec-doque d’un processus de pourris-sement généralisé qui maintientces sociétés dans l’inconfort etl’horreur.

En poursuivant notre analysed’éléments susceptibles de soutenirla nuance entre Africains anglo-phones et francophones, qui se ré-vèle une fois de plus difficile à cer-ner au travers des agissements quenous venons de voir, nous allonsmaintenant procéder à l’étude desdonnées physiques des espacesque Sony et Armah décrivent.Pour ce faire, nous allons nous in-téresser au décor des centres né-vralgiques de ces sociétés que sontles grandes agglomérations ur-baines. La principale image quiémane de la ville de l’homme, quedécrit l’auteur ghanéen, est celled’un contraste saisissant. Celui-cis’articule à travers les différentstypes d’habitations qu’on y trouve.Dans les Upper Residential Areasd’Accra, par exemple, les loge-ments arborent un luxe excessif.Avec son excès de luminosité, lesqualités de ses matériaux deconstruction et son décor intérieurfait de meubles de collection im-

portés d’Occident, la résidence duministre Koomson en est la par-faite illustration. Lorsqu’on sort dece lupanar, dont le décor ne trahitpas l’aisance matérielle de sonpropriétaire, pour se rendre chezl’homme, le modeste fonctionnai-re du service des chemins de fer, ily a un contraste saisissant, voirechoquant. Le logement de notrehéros, qui habite dans une rési-dence commune, offre un éclaira-ge passable. Tous les occupantspartagent la seule lumière installéedans le couloir. D’ailleurs cette ha-bitation ne nécessite pas un grandéclairage compte tenu de son exi-guïté qui favorise un repérage fa-cile. C’est ce même décor decontraste qu’offre la visite de la vil-le de Mouyabas Marti, que décritle Congolais Sony. Tout commedans la ville de l’homme, les pe-tites gens, comme les pêcheurs, vi-vent dans des logements de fortu-ne où l’on dort généralement àmême le sol. Mais lorsqu’on quit-te ces lieux expressifs de la misèrepour se rendre chez Mouyabas, lechargé de mission à la présidence,le décor est tout autre. Tout estspacieux et contrairement au villa-ge des pêcheurs qui n’est accessibleque par de pénibles et longuesmarches sur une piste sableuse,Mouyabas rentre chez lui sur uneroute bitumée à bord de sa grossecylindrée. Dans l’ensemble, les es-

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paces urbains congolais et gha-néens, se singularisent par ce queRoland Pourtier qualifie de ma-riage entre l’ordre et le désordre.L’ordre, celui de l’urbanisme d’État,du pouvoir d’en haut, planificateuret législateur se trouve confronté auxdiverses expressions d’un spontanéis-me populaire porté par la vaguepuissante de la croissance démogra-phique.10 Loin d’être anodin, ce dé-cor revêt ainsi une significationprofonde, qui est en l’occurrencel’expression d’un manque criardde cohésion sociale. Cela découleessentiellement de la primauté ac-cordée à la valeur matérielle quiconditionne l’occupation de cesespaces. Au vu de la gestion chao-tique de l’héritage moral et spatiallégué par les Français et lesAnglais, nous doutons que celle dulangage, que nous allons mainte-nant voir, n’y échappe. À la lectu-re des œuvres de Sony et d’Armah,il transparaît un processus d’inter-action entre le style langagier et lesactes de ceux qu’ils décrivent. Celava sans dire que la démarche sty-listique des deux auteurs restemarquée par les mêmes travers re-levant, entre autres, de l’impureté,des déchets ou du manque d’har-monie, qui caractérisent les actesdes Congolais et des Ghanéens. Ilse profile, en effet, un amalgamed’impuretés stylistiques qui s’arti-cule au niveau des émissions lexi-

cales et syntaxiques de ces derniers.Loin d’être la pâle copie d’uneproduction qui dissimule l’originede leurs auteurs, l’écriture de Sonyapparaît comme un témoignagesur l’identité congolaise métissée etsurtout trouble de ses person-nages. Au niveau lexical, ce pro-cessus s’articule à travers une va-riété d’interférences qui jalonnentles interventions de ces person-nages. Ainsi, dans une conversa-tion initialement engagée en fran-çais, dans laquelle Yealdara mani-festait son agacement face àl’amour que Dadou portait à sacousine, elle finit par intervenir enlingala 11 en lui demandant A monànganga mpo na yo ? À savoir : T’a-t-elle ensorcelé ? Au milieu de sesenvolées lyriques, qu’il entame gé-néralement en français, le dicta-teur Lopez y va parfois de sesbribes d’anglais. Il agit ainsi, entreautres, pour extérioriser sa légère-té notamment à l’endroit de fillesqu’il vient d’apercevoir en lançantun cette fille est terrific. Pour illus-trer ses états d’âme, comme l’éner-vement, il ne manque pas d’userde grossièretés comme le juronportugais fil da puta ! pour injurierses compatriotes. À ces interfé-rences, que Dominique Main-gueneau 12 qualifie de diatopiques,s’ajoutent d’autres processus com-me les dérivations ou suffixations.Il en va ainsi de l’expression mo-

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10 - Roland Pourtier,Afriques Noires, Paris,Hachette, 2001, p.178. 11 - Le lingala est une langueparlée des deux côtés du fleu-ve Congo. 12 - Dominique Maingue-neau, Initiation aux méthodesde l’analyse du discours, pro-blèmes et perspectives, Paris,Classique Hachette, 1983,p. 122. Il qualifie de diato-pique la cœxistence de lexiesn’ayant pas la même aired’utilisation.

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cherie, une dérivation issue del’adjectif moche que Dadou utilisepour stigmatiser les agissementsdéplorables de ses concitoyens.Pour évoquer l’attitude impudiquede ce dernier, qui se mit à vomirsur des invités lors d’une réceptionchez une personnalité, une filleusera de la conversion du nommerde pour qualifier son attitude.Elle dira, à cet effet, de lui qu’il amerdé sur tout le monde aprèsqu’il se soit merdé d’une quantitéélevée d’alcool. À l’instar de celexique ponctué par de nom-breuses interférences, la syntaxe deces mêmes personnages est en but-te à de nombreuses incongruitésstylistiques. Il en va ainsi des po-lyphrases – des émissions verbalessans pauses adéquates – qu’émettrès souvent le dictateur Lopezdans L’Anté-peuple. Comme en té-moigne cette intervention, dans la-quelle ce dictateur vante ses mé-rites, les poses, que requiert lagrammaire française, ne sont pasrespectées :

Non, non et non : je ne suis pasl’ex votre bâtard Sarnia Lampourtaqui buvait le muelocco à longueurde hernie, qui fumait le chanvrepour avoir le courage de parler à sonpeuple ; je ne suis pas Houstanansaqui construisait des stades comme sile peuple pouvait manger les ballonsde sa maman, je ne suis pasDartanio Maniania qui vous a lais-

sé sans tête ni hernie et que vousavez foutu héros du peuple, il aquand même fabriqué nonante-neuf milliards de dettes extérieures,mais vous l’avez foutu héros de lanation pour avoir jeté son eau demerde dans les entrailles de vosfemmes quelle honte, je ne suis pasCaranto Muhete qui a mis tout sonclan dans l’armée pour conserver lepouvoir de tuer, moi je suis Lopezde mon peuple et il n’y a pas soixan-te manières d’être président, uneseule au nom de Dieu…13

Au travers de cette interven-tion, faite en français, dont le sty-le s’inspire des modes d’élocutiondes griots africains, l’auteur met enrelief l’écartèlement voire l’impu-reté stylistique qui caractérise dé-sormais le langage des Congolais.Tout comme Sony, le GhanéenArmah met à nu cette réalité quiest également la caractéristique dulangage de ses compatriotes.

Reposant essentiellement surl’amalgame, ce langage, dirons-nous impur, des Ghanéens, s’arti-cule autour d’un mélange dans le-quel sont superposées les règlesstylistiques de l’akan 14, et de l’an-glais. Comme en témoigne l’in-tervention d’un commis du servi-ce des chemins de fer du Ghana,ce mode d’élocution, ainsi struc-turé, fait entorse aux règles syn-taxiques et lexicales de la langueanglaise dans laquelle les

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13 - Sony Labou Tansi, L’Étathonteux, op. cit., pp.87-88.14 - L’Akan est une langueparlée par un groupe du mê-me nom qu’on retrouve enCote d’Ivoire, au Ghana et auTogo.

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Ghanéens des indépendances s’ex-priment dans les services publics.Ainsi, suite à une question relati-ve à sa nuit de garde que l’homme,son supérieur hiérarchique, luiposa, il répondit Ah countrey, …Itire qui se traduit littéralement parAh pays, … je fatiguer. En plus dela dérivation que subit la lexiecountry, par l’ajout d’un « e », cet-te intervention comporte égale-ment une anomalie syntaxique. Ils’agit de l’expression I tire, autre-ment dit, Je fatiguer, à laquelle ilmanque un auxiliaire, et un « d »,à « tire ». Dans le prolongement decette discussion, ce commis vas’illustrer à travers d’autres formesd’impuretés comme la translitté-ration. Ainsi, pour dire que cen’est pas le travail qui est la causede sa fatigue, il dira not work.Cette expression pas travail, à la-quelle il manque l’article « le »,renvoie aux pratiques langagièresde la plupart des bilingues d’origi-ne akan. Dans l’ensemble, ces in-terventions se présentent commela synecdoque de la situation pré-occupante d’écartèlement linguis-tique à laquelle sont confrontés cecommis et ses compatriotes. Etcette situation témoigne, une foisde plus, de la difficulté de ces der-niers à gérer convenablement leshéritages coloniaux légués par lesAnglais et les Français.

Même si la différence entre les

supports linguistiques de base,que sont l’anglais et le français,offre une éventualité de nuanceentre Africains anglophones etfrancophones, il subsiste une gran-de proximité dans leur pratique deces langues. En effet, que ce soit auCongo ou au Ghana, la stylistiqueest en proie à de nombreuses im-puretés. Cela résulte, soit d’unmanque de maîtrise des règles deces langues soit d’une volonté dese les réapproprier qu’EmmanuelObiechina assimile à de la domes-tication. 15 Au vu des nombreusesintertextualités, à la fois théma-tiques et stylistiques, qui transpa-raissent de l’ensemble de la miseen écriture inhérente à la gestionde ces deux pays, il nous apparaîtdifficile de discerner les franco-phones des anglophones. Pournous assurer de la justesse de nosconstats, nous ne saurions clorecette étude sans nous en référeraux faits historiques qui se sontavérés dans les deux pays.

Nous allons, pour ce faire,abandonner un tant soit peu, lesfaits relevant de ce que GeorgesLukàcs 16 qualifie de potentialitéabstraite à partir desquels nousavons jusqu’à présent bâti notre ré-flexion. Nous allons ainsi scruterl’histoire réelle de ces pays en com-mençant par celle des débuts de lapolitique post-coloniale du pre-mier État indépendant d’Afrique

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15 - Emmanuel Obiechina,Culture, Tradition and Societyin the West African Novel,London, CUP, 1975. 16 - Georges Lukàcs,Problèmes du réalisme, Paris,L’arche, 1975, p. 138.

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subsaharienne. Il s’agit de l’histoi-re du Ghana qui a accédé à la sou-veraineté nationale trois ans avantle Congo, c’est-à-dire le 6 mars1957.

Élaborés par le présidentKwame Nkrumah, les fondementsde cette politique de l’orée des in-dépendances ghanéennes, qui re-posaient sur la volonté de ce der-nier de rendre son pays un modè-le dont devaient s’inspirer lesautres États africains qui menaientencore la lutte libératrice, vont êtrerapidement dévoyés.

Acteurs et trahison de l’idéal politiqueLes acteurs de la trahison de cet

idéal politique sont ses principauxcollaborateurs. Il s’agit notam-ment de ses ministres et les repré-sentants des instances dirigeantesde son parti, le CPP 17, qui vontprogressivement se détourner descanevas de la politique d’inspira-tion socialiste que prônaitNkrumah, au profit d’actionségoïstes et arrivistes. Ainsi, grâce àde nombreux passe-droits et mal-versations, ces dignitaires vé-reuxvont amasser d’énormes fortunes.En moins de deux ans,Gbedemah, le ministre des finan-ces, va acquérir d’innombrablesbiens dont des stations d’essence,la plus grande ferme d’élevage de

volailles du pays et d’importantesparts dans les sociétés commer-ciales dont le Kingsway Stores.Quant au ministre Krobo Edusei,qui était en charge du départe-ment des transports, il devint siriche en si peu de temps qu’il nemanquait pas d’étaler les preuvesde cette richesse frauduleusementacquise en achetant un lit en ormassif d’une valeur de trois millelivres sterling. Par le ridicule decette acquisition et des actes de dé-viation évoqués plus haut, l’histoi-re réelle du Ghana croise celle duGhana de l’imaginaire d’Armah.En effet, que ce soit dans le réel oudans l’imaginaire d’Armah, les di-rigeants ghanéens se singularisentpar des comportements qui cho-quent par la trivialité ou par lemanque d’égard envers leurs ad-ministrés. Ainsi, au lieu de renfor-cer les liens entre eux et ces der-niers, ce manque de scrupule desministres de Nkrumah, qui rappel-le les agissements du véreuxKoomson de Fragments, va susci-ter la réprobation des masses la-borieuses. Elles crieront leur ras-le-bol, entre autres, à travers le fa-meux slogan One man, One car enmettant ainsi en évidence la mau-vaise entame des indépendancesghanéennes. Cette dichotomieentre les dirigeants et leur peuple,qui est d’ailleurs perceptible dansde nombreux États africains,

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17 - Le C. P. P. est l’abrévia-tion de Convention People’sParty, le parti politique quifut crée en 1949 par KwameNkrumah.

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n’échappera d’ailleurs pas à JeanZiegler, un des observateurs aver-ti, de la vie politique africaine. Ilva ainsi le souligner dans sonœuvre Sociologie de la nouvelleAfrique, en soutenant que :

La réalité essentielle de ces Étatssemble donc résider dans les tensionsentre un peuple insatisfait et desgouvernants essentiellement conser-vateurs, soucieux avant tout de pré-server leurs privilèges acquis. 18

Face à cette situation de pour-rissement, qui découle essentiel-lement de la trahison de ses idéauxpolitiques de base, que perpé-traient ses proches collaborateurs,le président Nkrumah n’aurapourtant que des réactions ti-mides. Celles-ci se traduisent gé-néralement par le recyclage des au-teurs de ces actes délictueux quin’encouraient comme sanctionque le risque de se voir affecter àd’autres fonctions. Ainsi, aprèsson éviction du gouvernement,suite à ses nombreuses frasques fi-nancières, dont l’acquisition d’unlit en or massif, le ministre Eduseirestera à son poste de cadre in-fluent du comité central du CPP

pour ensuite revenir comme mi-nistre de l’industrie. L’aggravationde cette impasse idéologique, quirésulte de la trahison de l’éthiquesocialiste, que prônait le présidentNkrumah, au profit d’un égoïsmeexacerbé des dirigeants, va faire

surgir de nouveaux acteurs sur lascène politique. Il s’agit des mili-taires qui y entrent par effraction,notamment par un coup d’État unmatin de février 1966, en ren-voyant le docteur KwameNkrumah et ses sbires à une étu-de plus approfondie du socialisme.Cette triste sortie du présidentNkrumah, qui se voulait le modè-le, sans même prendre le soin dese méfier de l’exemple des mili-taires congolais, qui aient renver-sé trois ans plus tôt le présidentFulbert Youlou, croise une fois deplus l’imagination de la premièreœuvre d’Amah. Il s’agit en effet dumême sort, à savoir l’exil auqueln’a pu échapper le véreuxKoomson. Bien qu’ayant acquisl’indépendance plus tard que leGhana, les militaires congolais necultiveront pas la patience queleurs aînés ghanéens ont observéeà l’égard de leur classe politique.En effet, après des émeutes consé-cutives à des conflits à relent eth-nique, ils vont chasser du pouvoirla classe politique, que dirigeait de-puis trois ans seulement le prési-dent Fulbert Youlou, le 15 août1963. Mais partout où ils vont fai-re irruption sur la scène politique,les militaires manqueront toujoursde répondre aux attentes des po-pulations. Cette situation vaconduire inexorablement à denombreuses autres actions de pré-

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18 - Jean Ziegler, Sociologiede la Nouvelle Afrique, Paris,Gallimard, 1964, p11.

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tendu salut public qui vont consa-crer une nouvelle ère politique deprime à la gâchette. Les militairescongolais sont les premiers à s’yillustrer en rééditant un coup d’É-tat qui renverse le régime duPrésident Massamba-Débat en1968. Ceux du Ghana rattrape-ront leur retard en reprenant lepouvoir en 1972. Mais lesCongolais reviendront de plus bel-le en 1977 avec un officier répon-dant au nom de Denis SassouNguesso. Un an après, en 1978, cesera au tour du capitaine JerryRawlings de remettre les pendulesdu retard ghanéen à l’heure enrenversant l’autoritaire généralIgnatus Kutu Acheampong.

Le règne de Jerry Rawlings se-ra marqué, par l’accalmie et sur-tout par l’instauration du multi-partisme. Le président se retireradu pouvoir après avoir organisédes élections auxquelles la consti-tution ne l’autorisait plus à parti-ciper. Le vainqueur, un civil ré-pondant au nom de John Kufuor,va ainsi lui succéder en 2001.Quant au Congo, que nouscroyions sorti de l’ornière de l’ac-cession au pouvoir par les armes,après l’instauration du multipar-tisme en 1990, nous nous sommestrès vite ravisés. En effet, aprèsavoir été battu aux élections, dé-mocratiquement organisées parlui en 1992, Denis Sassou

Nguesso reviendra au pouvoir, parles armes en 1997, grâce à ses mi-liciens armés par une multinatio-nale du pétrole. À l’instar desexemples précédents, cette derniè-re réalité croise l’imagination deSony, notamment au travers del’histoire du colonel MartillimiLopez qui est revenu au pouvoirpar les armes après avoir décidé dele rendre aux civils.

Dans cette tradition africainepostcoloniale d’acquisition ou dereconquête du pouvoir par lesarmes, que nous pourrions assimi-ler à une bataille au couteau, les ci-vils – symbolisant le coq 19 – quis’y aventurent font l’objet de vio-lentes persécutions. Ainsi, pouravoir dénoncé le régime totalitairedu président congolais Massemba-Débat, le prêtre journaliste LouisBadila 20 sera torturé à l’électricité etpendu par les pieds et le sexe. Lesplus chanceux de ces opposantstrouvent le salut par l’exil. C’estnotamment le cas de BernardKolélas 21 qui a dû, comme Dadoude l’Anté-peuple, se réfugier à denombreuses reprises en Occidentet en Afrique de l’Ouest pouravoir osé porter la contradictionaux différents pouvoirs politiquesdu Congo. Parallè-lement aux dé-rives des politiques, d’autres dé-viations s’observent égalementchez les autres acteurs sociaux.Qualifiés d’informel des petits par

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19 - Pour cette image, nousnous sommes inspirés d’unelitanie populaire qui stipuleque lorsque les couteaux se bat-tent, les coqs se mettent à l’abri20 - Louis Badila était prêtreet journaliste. Il dirigeaitl’hebdomadaire La SemaineAfricaine.21 - Bernard Kolélas est unleader politique congolais.Fondateur du partiM.C.D.D.I., il a connu laprison et l’exil qu’il vit ac-tuellement depuis le retourau pouvoir de la junte dirigéepar Denis Sassou Nguesso.

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R. Pourtier, ces agissements s’arti-culent, toujours selon lui, autourde la petite corruption du fonction-naire, auquel il faut graisser la pat-te pour l’avancement d’un dossier, del’enseignant qu’un cadeau rendraindulgent, du policier auquel les pré-textes ne manquent jamais pour ex-torquer l’argent d’automobilistes ra-rement en règle.22 À Accra, la capi-tale du Ghana, cet informel, ditdes petits, s’apparente plutôt à duformel tacite reconnu et pratiquépar tous, surtout pendant le règnedes prédécesseurs du présidentRawlings. Bien que considérable-ment réduites sous le règne de cedernier, qui usait d’une très rare sé-vérité 23 pour punir ceux qui s’yadonnaient, ces pratiques n’ontpas totalement disparu de l’envi-ronnement ghanéen. Il relève, eneffet, du miracle de traverser lesfrontières de ce pays sans être sou-mis au racket des douaniers. ÀBrazzaville, où la corruption s’im-pose également comme l’un desinformels les plus couramment ad-mis, tous les détenteurs d’une par-celle de responsabilité administra-tive s’y adonnent en s’arrogeantdes droits parallèles. C’est notam-ment le cas des enseignants quiimposent, à travers le droit dit decuissage, l’acquisition de moyennessexuellement transmissibles à desélèves parfois très brillants quin’ont pas besoin de cette pratique

pour réussir. Nous aurions pucontinuer cette liste inépuisable deces dérives qui se résument, dansle vrai Ghana tout comme dans leréel Congo, par la toute puissancedu mensonge, la prolifération descrimes contre l’humanité et l’omni-présence du bâclage. 24 À l’instar decelles que nous avons analysées, àtravers l’imaginaire de Sony etd’Armah, ces dérives restent sur-tout marquées par le sceau de ceque nous avons résumé par l’obs-cène, un processus qui est loind’être l’apanage de ces deux pays.Nous aurions, en effet, mis n’im-porte quel pays de l’Afrique sub-saharienne à la place du Congo etdu Ghana que nous aurions pu as-sister à la manifestation des mêmesdérives, notamment à travers leurmise en écriture et les réalités aux-quelles ils sont confrontés. En cequi concerne l’imaginaire, nousavons les exemples des œuvres Lesoleil des indépendances de l’Ivoi-rien Ahmadou Kourouma ou Ledevoir de violence du MalienYambo Ouologuem. Produitsdans la même année que la pre-mière œuvre d’Armah, ces écritsévoquent en partie les travers post-coloniaux des Ivoiriens et desMaliens. Tout comme chez Sonyet Armah, ces agissements se sin-gularisent par l’obscène. Quantaux faits réels, comme l’accessionau pouvoir par les armes, dont le

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22 - Roland Pourtier, op.Cit., p.206. 23 - Les auteurs d’une quel-conque forme de compro-mission qui se faisaientprendre étaient systématique-ment pendus. 24 - Sony Labou Tansi citépar Patrice N. Tshikuma-mbila in Les droits de l’hom-me dans l’œuvre de SonyLabou Tansi, Sony LabouTansi ou la quête permanentedu sens, p. 346.

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président Houphouët-Boigny 25

stigmatisait, non sans appréhen-sions, la récurrence dans les paysvoisins de la Côte d’Ivoire, ilsn’épargnent aucun pays y comprisle dernier cité. En effet, quelquesannées après sa mort, cette appré-hension a fini par se justifier, car cepays, qui était présenté comme unhavre de paix, s’est résolument ins-crit dans la pratique de la barbariepolitique. Depuis 1999, la Côted’Ivoire a rattrapé, et même sur-passé ses voisins dans cette optionpolitique, notamment avec uneguerre civile qui la déchire depuisseptembre 2002.

Panafricanismeet game ghanéenDe national, le game ghanéen,

c’est-à-dire la corruption, s’estpanafricanisé en faisant de nom-breux émules au Cameroun et auNigeria qui se disputaient naguè-re la première place mondiale 26 decette pratique. Dans l’ensemble,l’adéquation entre l’imaginaire etles réalités, inhérentes aux paysfrancophones et anglophones, finitpar lever toute équivoque sur leurprétendue différence, en mettantainsi en évidence l’absence de vé-ritable nuance entre ces pays.

Séparés par près de deux millekilomètres, le Congo et le Ghanasemblent, à vue d’œil, ne rien par-

tager en commun. En effet, par-delà cette frontière géographique,ces deux pays ne partagent ni lesmêmes coutumes ni encore moinsle même passé colonial. Parexemple, quand les Congolais su-bissaient le système colonial fran-çais du direct rule, qui reposait surl’assimilation de ces derniers en su-jets français, les Ghanéensployaient sous la tutelle du indirectrule anglais, qui était censé laisserbeaucoup plus de responsabilitésaux autochtones par le truchementde leurs chefferies locales. Mais àl’analyse, ces distances aussi bienphysiques qu’historiques s’effritentprogressivement pour ne laisser laplace qu’à une fine ombre. Celle-ci ne réside, en fait, que dans laforme, à savoir les supports lin-guistiques anglais et français queles Congolais et les Ghanéens uti-lisent aujourd’hui comme languesofficielles. Par-delà le formel, ladifférence entre les habitants deces deux pays s’affadit au profit denombreuses similitudes qui repo-sent, entre autres, sur les particu-larités stylistiques que nous re-trouvons aussi bien dans la pra-tique de l’anglais ghanéen quedans celle du français congolais.Ainsi, contrairement à la réflexionde Jean François Bayart 28, qui jus-tifie cette relative communauté dedestin, entre Africains, par le fait dela proximité géographique entre

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25 - Au cours d’un discoursqu’il prononça pendant lesjournées du dialogue en1985, Houphouët Boignystigmatisait les barbariesconsécutives aux coups d’Étatqui se propageaient dans lespays voisins de la Côted’Ivoire en les assimilant àdes bains de sang qui avaitcoulé au Nord à l’Est et àl’Ouest .26 - Selon les rapports offi-ciels de l’organisation non-g o u v e r n e m e n t a l eTransparency International, LeNigeria qui occupait la pre-mière place du palmarèsmondial de la corruption en1999 a été surpassé par leCameroun qui lui a succédéà l’an 2000. 28 - Jean François Bayart,L’État en Afrique, Paris,Fayard, 1989, p.57.

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pays, nous estimons, avec lesexemples du Congo et du Ghana,que cette ressemblance transcendela simple raison formelle. Celanous amène, en y associant lesautres similitudes qui prévalent àla gestion socio-politique chao-tique de ces pays, qui ploient sousle poids de l’obscénité, à conclure,que l’Afrique n’est de francopho-ne ou d’anglophone que de forme.

En mettant ainsi en relief cet-te absence de véritable nuance,qui permet plutôt de conforter laposition de ceux qui soutiennent,de façon somme toute péjorative,que Noir c’est Noir ; notre souciest de susciter un éveil deconscience. Toutefois, notre ac-tion n’épouse pas l’ensemble de lalogique de cette pensée, car loinde condamner le Nègre au noir-cissement irréversible, en luiôtant toute possibilité d’espéran-ce, notre motif est de créer l’ému-lation pour relever le défit de lanuance positive entre franco-phones, anglophones et autres lu-sophones africains. Dans ce pro-cessus, nous ne concevons nil’utilité de se référer à un passépré colonial, qui a vu l’assujettis-sement de l’ensemble des fils dece continent par les hommes ve-nus d’ailleurs, ni à celle de scru-ter un présent qui abonde enpreuves de l’ascendance du règnede la mocherie. Notre invitation

s’adresse, par conséquent, à la réa-lisation de ce défi de l’exceptionpositive dans l’avenir le plusproche car, nous estimonsqu’ayant abondamment servil’obscénité, l’Afrique n’a désor-mais que le meilleur à offrir. q

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Bayart Jean François,L’État en Afrique, ParisFayard, 1989.Dumont René, L’A-frique noire est mal par-tie, Paris Seuil, 1966. Ikoku Samuel, LeGhana de Nkrumah,Paris Maspero, 1971 Kadima-Nzuvji Mukalaet al, Sony Labou Tansiou la quête permanentedu sens, Paris, Éd.L’Harmattan, 1977. Fanon Frantz, Masquesblancs, peau noire, SeuilParis 1952Mbanga Anatole, Lesprocédés de création dansl’œuvre de Sony LabouTansi, Systèmes d’interac-

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RRÉFÉRENCESÉFÉRENCES BBIBLIOGRAPHIQUESIBLIOGRAPHIQUES

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