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Séquence 1 mineure, la poésie E CRITURE POÉTIQUE ET QUÊTE DU SENS Remettre le monde en question, la quête poétique du Moyen Age au XXème siècle. - Quelle est la particularité du texte littéraire ? - Comment le texte poétique est-il construit ? - Comment le langage poétique peut-il remettre en cause le monde ? LECTURES ANALYTIQUES LA1 Hugo, les Châtiments, 1853 LA2 Desnos, l’Honneur des Poètes, 1943 LECTURES CURSIVES LC1 Villon, la Ballade des Pendus, 1489 LC2 Agrippa d’Aubigné, les Tragiques, 1616 LC3 David Diop, Coups de Pilon, 1956 HISTOIRE DES ARTS HdA1 Jérôme Bosch, le Jugement dernier, 1504 ----------------------- LECTURES ANALYTIQUES LA1 Hugo, les Châtiments, 1853 1

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Séquence 1 mineure, la poésie

ECRITUR E PO ÉTIQ UE ET QUÊTE DU SENS

Remettre le monde en question, la quête poétique du Moyen Age au XXème siècle.

- Quelle est la particularité du texte littéraire ?- Comment le texte poétique est-il construit ?- Comment le langage poétique peut-il remettre en cause le monde ?

LECTURES ANALYTIQUESLA1 Hugo, les Châtiments, 1853LA2 Desnos, l’Honneur des Poètes, 1943

LECTURES CURSIVESLC1 Villon, la Ballade des Pendus, 1489LC2 Agrippa d’Aubigné, les Tragiques, 1616LC3 David Diop, Coups de Pilon, 1956

HISTOIRE DES ARTSHdA1 Jérôme Bosch, le Jugement dernier, 1504

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LECTURES ANALYTIQUES

LA1 Hugo, les Châtiments, 1853

Bannis ! bannis ! bannis ! c'est là la destinée. Ce qu'apporté le flux sera dans la journée Repris par le reflux. Les jours mauvais fuiront sans qu'on sache leur nombre, 

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Et les peuples joyeux et se penchant sur l'ombre Diront : Cela n'est plus !Les temps heureux luiront, non pour la seule France, Mais pour tous. On verra dans cette délivrance, Funeste au seul passé, Toute l'humanité chanter, de fleurs couverte, Comme un maître qui rentre en sa maison déserte Dont on l'avait chassé.Les tyrans s'éteindront comme des météores. Et, comme s'il naissait de la nuit deux aurores Dans le même ciel bleu, Nous vous verrous sortir de ce gouffre où nous sommes, Mêlant vos deux rayons, fraternité des hommes, Paternité de Dieu !Oui, je vous le déclare, oui, je vous le répète, Car le clairon redit ce que dit la trompette, Tout sera paix et jour ! Liberté ! plus de serf et plus de prolétaire ! Ô sourire d'en haut ! ô du ciel pour la terre Majestueux amour !L'arbre saint du Progrès, autrefois chimérique, Croîtra, couvrant l'Europe et couvrant l'Amérique, Sur le passé détruit, Et, laissant l'éther pur luire à travers ses branches, Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches, Plein d'étoiles, la nuit.Et nous qui serons morts, morts dans l'exil peut-être, Martyrs saignants, pendant que les hommes, sans maître, Vivront, plus fiers, plus beaux, Sous ce grand arbre, amour des cieux qu'il avoisine, Nous nous réveillerons pour baiser sa racine Au fond de nos tombeaux ! 

LA2 Desnos, l’Honneur des Poètes, 1943

Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu'il bat pour le combat et la bataille ! Ce cœur qui ne battait qu'au rythme des marées, à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la nuit, 

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Voilà qu'il se gonfle et qu'il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine.Et qu'il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflentEt qu'il n'est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagneComme le son d'une cloche appelant à l'émeute et au combat.Écoutez, je l'entends qui me revient renvoyé par les échos.Mais non, c'est le bruit d'autres cœurs, de millions d'autres cœurs  battant comme le mien à travers la France.Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces cœurs,Leur bruit est celui de la mer à l'assaut des falaisesEt tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d'ordre : Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !Pourtant ce cœur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colèresEt des millions de Français se préparent dans l'ombre  à la besogne que l'aube proche leur imposera. Car ces cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit.

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LECTURES CURSIVES

LC1 Villon, la Ballade des Pendus, 1489

Frères humains, qui après nous vivez,N'ayez les cœurs contre nous endurcis,Car, si pitié de nous pauvres avez,Dieu en aura plus tôt de vous mercis.Vous nous voyez ci attachés, cinq, six:Quant à la chair, que trop avons nourrie,Elle est piéça dévorée et pourrie,Et nous, les os, devenons cendre et poudre.De notre mal personne ne s'en rie;Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

Si frères vous clamons, pas n'en devezAvoir dédain, quoique fûmes occis

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Par justice. Toutefois, vous savezQue tous hommes n'ont pas bon sens rassis.Excusez-nous, puisque sommes transis,Envers le fils de la Vierge Marie,Que sa grâce ne soit pour nous tarie,Nous préservant de l'infernale foudre.Nous sommes morts, âme ne nous harie,Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

La pluie nous a débués et lavés,Et le soleil desséchés et noircis.Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,Et arraché la barbe et les sourcils.Jamais nul temps nous ne sommes assisPuis çà, puis là, comme le vent varie,A son plaisir sans cesser nous charrie,Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.Ne soyez donc de notre confrérie;Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie:A lui n'ayons que faire ne que soudre.Hommes, ici n'a point de moquerie;Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

LC2 Agrippa d’Aubigné, les Tragiques, 1616

Or voici les lions de torches acculés,Les ours à nez percés, les loups emmuselés :Tout s'élève contre eux : les beautés de Nature,Que leur rage troubla de venin et d'ordure,Se confrontent en mire et se lèvent contre eux.« Pourquoi, dira le Feu, avez-vous de mes feux,Qui n'étaient ordonnés qu'à l'usage de vie,Fait des bourreaux, valets de votre tyrannie ? »L'air encore une fois contre eux se troublera,Justice au juge saint, trouble, demandera,

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Disant : « Pourquoi, tyrans et furieuses bestes,M'empoisonnâtes-vous de charognes, de pestes,Des corps de vos meurtris ? » - « Pourquoi, diront les eaux,Changeâtes-vous en sang l'argent de nos ruisseaux ? »Les monts, qui ont ridé le front à vos supplices :« Pourquoi nous avez-vous rendu vos précipices ?- Pourquoi nous avez-vous, diront les arbres, faitsD'arbres délicieux, exécrables gibets ? ».

LC3 David Diop, Coups de Pilon, 1956

Le RenégatMon frère aux dents qui brillent sous le compliment hypocrite Mon frère aux lunettes d’orSur tes yeux rendus bleus par la parole du MaîtreMon pauvre frère au smoking à revers de soiePiaillant et susurrant et plastronnant dans les salons de la condescendanceTu nous fais pitiéLe soleil de ton pays n’est plus qu’une ombreSur ton front serein de civiliséEt la case de ta grand-mèreFait rougir un visage blanchi par les années d’humiliation et de Mea CulpaMais lorsque repu de mots sonores et videsComme la caisse qui surmonte tes épaulesTu fouleras la terre amère et rouge d’AfriqueCes mots angoissés rythmeront alors ta marche inquiète :Je me sens seul si seul ici !

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HISTOIRE DES ARTS

HdA1 Jérôme Bosch, le Jugement dernier, 1504

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Séquence 2 majeure, l’Etranger, Camus, 1942

LE PER SO NNAG E DE RO MAN , DU XVIIÈME SIÈ CLE À NOS JO URS

Le personnage de roman : entre fiction et vérité- Qu’est-ce qu’un personnage de roman ?- Quel est le sens de l’évolution du personnage ?- Quelle est la vérité du discours romanesque ?

LECTURES ANALYTIQUESLA3 « Le meurtre » (I,6)LA4 « En prison » (II, 3)LA5 Desinit (III, 5) LA6 Le Mythe de Sisyphe : histoire de Sisyphe

LECTURES CURSIVESLC3 Camus, La PesteLC4 Caligula (Scène 2)LC5 Caligula (Scène dernière)LC6 Poésies diverses : Méditerranée

HISTOIRE DES ARTSHDA2 Dali, Persistance de la Mémoire, 1931

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LECTURES ANALYTIQUES

LA3 « Le meurtre » (I,6)

Son bleu de chauffe fumait dans la chaleur. J'ai été un peu surpris. Pour moi, c'était une histoire finie et j'étais venu là sans y penser.

Dès qu'il m'a vu, il s'est soulevé un peu et a mis la main dans sa poche. Moi, naturellement, j'ai serré le revolver de Raymond dans mon veston. Alors de nouveau, il s'est laissé aller en arrière, mais sans retirer la main de sa poche. J'étais assez loin de lui, à une dizaine de mètres. Je

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devinais son regard par instants, entre ses paupières mi-closes. Mais le plus souvent, son image dansait devant mes yeux, dans l'air enflammé. Le bruit des vagues était encore plus paresseux, plus étalé qu'à midi. C'était le même soleil, la même lumière sur le même sable qui se prolongeait ici. Il y avait déjà deux heures que la journée n'avançait plus, deux heures qu'elle avait jeté l'ancre dans un océan de métal bouillant. À l'horizon, un petit vapeur est passé et j'en ai deviné la tache noire au bord de mon regard, parce que je n'avais pas cessé de regarder l'Arabe.

J'ai pensé que je n'avais qu'un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J'ai fait quelques pas vers la source. L'Arabe n'a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l'air de rire. J'ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j'ai senti des gouttes de sueur s'amasser dans mes sourcils. C'était le même soleil que le jour où j'avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j'ai fait un mouvement en avant. Je savais que c'était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d'un pas. Mais j'ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l'Arabe a tiré son couteau qu'il m'a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l'acier et c'était comme une longue lame étincelante qui m'atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d'un coup sur les paupières et les a recouvertes d'un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, la glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C'est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j'ai touché le ventre poli de la crosse et c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux. Alors, j'ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et c'était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.

LA4 « En prison » (II, 3)

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Il y avait aussi le sommeil. Au début, je dormais mal la nuit et pas du tout le jour. Peu à peu, mes nuits ont été meilleures et j'ai pu dormir aussi le jour. Je peux dire que, dans les derniers mois, je dormais de seize à dix-huit heures par jour. Il me restait alors six heures à tuer avec les repas, les besoins naturels, mes souvenirs et l'histoire du Tchécoslovaque.

Entre ma paillasse et la planche du lit, j'avais trouvé, en effet, un vieux morceau de journal presque collé à l'étoffe, jauni et transparent. Il relatait un fait divers dont le début manquait, mais qui avait dû se passer en Tchécoslovaquie. Un homme était parti d'un village tchèque pour faire fortune. [114] Au bout de vingt-cinq ans, riche, il était revenu avec une femme et un enfant. Sa mère tenait un hôtel avec sa sœur dans son village natal. Pour les surprendre, il avait laissé sa femme et son enfant dans un autre établissement, était allé chez sa mère qui ne l'avait pas reconnu quand il était entré. Par plaisanterie, il avait eu l'idée de prendre une chambre. Il avait montré son argent. Dans la nuit, sa mère et sa sœur l'avaient assassiné à coups de marteau pour le voler et avaient jeté son corps dans la rivière. Le matin, la femme était venue, avait révélé sans le savoir l'identité du voyageur. La mère s'était pendue. La sœur s'était jetée dans un puits. J'ai dû lire cette histoire des milliers de fois. D'un côté, elle était invraisemblable. D'un autre, elle était naturelle. De toute façon, je trouvais que le voyageur l'avait un peu mérité et qu'il ne faut jamais jouer.

Ainsi, avec les heures de sommeil, les souvenirs, la lecture de mon fait divers et l'alternance de la lumière et de l'ombre, le temps a passé. J'avais bien lu qu'on finissait par perdre la notion du temps en prison. Mais cela n'avait pas beaucoup de sens pour moi. Je n'avais pas compris à quel [115] point les jours pouvaient être à la fois longs et courts. Longs à vivre sans doute, mais tellement distendus qu'ils finissaient par déborder les uns sur les autres. Ils y perdaient leur nom. Les mots hier ou demain étaient les seuls qui gardaient un sens pour moi.

Lorsqu'un jour, le gardien m'a dit que j'étais la depuis cinq mois, je l'ai cru, mais je ne l'ai pas compris. Pour moi, c'était sans cesse le même jour qui déferlait dans ma cellule et la même tâche que je poursuivais. Ce jour-là, après le départ du gardien, je me suis regardé dans ma gamelle de fer. Il m'a semblé que mon image restait sérieuse alors même que j'essayais de lui sourire. Je l'ai agitée devant moi. J'ai souri et elle a gardé le même air sévère et triste.

LA5 Desinit (III, 5)

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Comprenait-il, comprenait-il donc ? Tout le monde était privilégié. Il n'y avait que des privilégiés. Les autres aussi, on les condamnerait un jour. Lui aussi, on le condamnerait. Qu'importait si, accusé de meurtre, il était exécuté pour n'avoir pas pleuré à l'enterrement de sa mère ? Le chien de Salamano valait autant que sa femme. La petite femme automatique était aussi coupable que la Parisienne que Masson avait épousée ou que Marie qui avait envie que je l'épouse. Qu'importait que Raymond fût mon copain autant que Céleste qui valait mieux que lui ? Qu'importait que Marie donnât aujourd'hui sa bouche à un nouveau Meursault ? Comprenait-il donc, ce condamné, et que du fond de mon avenir... J'étouffais en criant tout ceci. Mais, déjà, on m'arrachait l'aumônier des mains et les gardiens me menaçaient. Lui, cependant, les a calmés et m'a regardé un moment en silence. Il avait les yeux pleins de larmes. Il s'est détourné et il a disparu.

Lui parti, j'ai retrouvé le calme. J'étais épuisé et je me suis jeté sur ma couchette. Je crois que j'ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusqu'à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée. À ce moment, et à la limite de la nuit, des sirènes ont hurlé. Elles annonçaient des départs pour un monde qui maintenant m'était à jamais indifférent. Pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai pensé à maman. Il m'a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d'une vie elle avait pris un « fiancé », pourquoi elle avait joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où des vies s'éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique. Si près de la mort, maman devait s'y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine.

LA6 Le Mythe de Sisyphe : histoire de Sisyphe

Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu'au sommet d'une montagne d'où la pierre retombait par son propre

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poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu'il n'est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir.Si l'on en croit Homère, Sisyphe était le plus sage et le plus prudent des mortels. Selon une autre tradition cependant, il inclinait au métier de brigand. Je n'y vois pas de contradiction. Les opinions diffèrent sur les motifs qui lui valurent d'être le travailleur inutile des enfers. On lui reproche d'abord quelque légèreté avec les dieux. Il livra leurs secrets. Egine, fille d'Asope, fut enlevée par Jupiter. Le père s'étonna de cette disparition et s'en plaignit à Sisyphe. Lui, qui avait connaissance de l'enlèvement, offrit à Asope de l'en instruire, à la condition qu'il donnerait de l'eau à la citadelle de Corinthe. Aux foudres célestes, il préféra la bénédiction de l'eau. Il en fut puni dans les enfers. Homère nous raconte aussi que Sisyphe avait enchainé la Mort. Pluton ne put supporter le spectacle de son empire désert et silencieux. Il dépêcha le dieu de la guerre qui délivra la Mort des mains de son vainqueur.On dit encore que Sisyphe étant près de mourir voulut imprudemment éprouver l'amour de sa femme. Il lui ordonna de jeter son corps sans sépulture au milieu de la place publique. Sisyphe se retrouva dans les enfers. Et là, irrité d'une obéissance si contraire à l'amour humain, il obtint de Pluton la permission de retourner sur la terre pour châtier sa femme. Mais quand il eut de nouveau revu le visage de ce monde, goûté l'eau et le soleil, les pierres chaudes et la mer, il ne voulut plus retourner dans l'ombre infernale. Les rappels, les colères et les avertissements n'y firent rien. Bien des années encore, il vécut devant la courbe du golfe, la mer éclatante et les sourires de la terre. Il fallut un arrêt des dieux. Mercure vint saisir l'audacieux au collet et l'ôtant à ses joies, le ramena de force aux enfers où son rocher était tout prêt.On a compris déjà que Sisyphe est le héros absurde.

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LECTURES CURSIVES

LC3 Camus, La PesteDesinit

Des hurlements de joie lui répondirent au loin. Le docteur s'arrêta au milieu de la chambre.- Cela vous ennuierait-il que j'aille sur la terrasse ?

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- Mais non. Vous voulez les voir de là-haut, hein ? À votre aise. Mais ils sont bien toujours les mêmes.Rieux se dirigea vers l'escalier.- Dites, docteur, c'est vrai qu'ils vont construire un monument aux morts de la peste ?- Le journal le dit. Une stèle ou une plaque.- J'en étais sûr. Et il y aura des discours.Le vieux riait d'un rire étranglé.- Je les entends d'ici : « Nos morts... », et ils iront casser la croûte.Rieux montait déjà l'escalier. Le grand ciel froid scintillait au-dessus des maisons et, près des collines, les étoiles durcissaient comme des silex. Cette nuit n'était pas si différente de celle où Tarrou et lui étaient venus sur cette terrasse pour oublier la peste. Mais, aujourd'hui, la mer était plus bruyante qu'alors, au pied des falaises. L'air était immobile et léger, délesté des souffles salés qu'apportait le vent tiède de l'automne. La rumeur de la ville, cependant, battait toujours le pied des terrasses avec un bruit de vagues. Mais cette nuit était celle de la délivrance, et non de la révolte. Au loin, un noir rougeoiement indiquait l'emplacement des boulevards et des places illuminées. Dans la nuit maintenant libérée, le désir devenait sans entraves et c’était son grondement qui parvenait jusqu'à Rieux.Du port obscur montèrent les premières fusées des réjouissances officielles. La ville les salua par une longue et sourde exclamation. Cottard, Tarrou, ceux et celle que Rieux avait aimés et perdus, tous, morts ou coupables, étaient oubliés. Le vieux avait raison, les hommes étaient toujours les mêmes. Mais c'était leur force et leur innocence et c'est ici que, par-dessus toute douleur, Rieux sentait qu'il les rejoignait. Au milieu des cris qui redoublaient de force et de durée, qui se répercutaient longuement jusqu'au pied de la terrasse, à mesure que les gerbes multicolores s'élevaient plus nombreuses dans le ciel, le docteur Rieux décida alors de rédiger le récit qui s'achève ici, pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l'injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu'on apprend au milieu des fléaux, qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser.Mais il savait cependant que cette chronique ne pouvait pas être celle de la victoire définitive. Elle ne pouvait être que le témoignage de ce qu'il avait fallu accomplir et que, sans doute, devraient accomplir encore, contre la terreur et son arme inlassable, malgré leurs déchirements personnels, tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant d'admettre les fléaux, s'efforcent cependant d’être des médecins.

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Écoutant, en effet, les cris d'allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.

LC4 Caligula (Scène 2)« Gouverner, c’est voler »

SCÈNE VIIICaligula s'assied près de Caesonia.CALIGULA Écoute bien. Premier temps : tous les patriciens, toutes les personnes de l'Empire qui disposent de quelque fortune - petite ou grande, c'est exactement la même chose - doivent obligatoirement déshériter leurs enfants et tester sur l'heure en faveur de l'État.L'INTENDANT Mais, César...CALIGULA Je ne t'ai pas encore donné la parole. À raison de nos besoins, nous ferons mourir ces personnages dans l'ordre d'une liste établie arbitrairement. A l'occasion, nous pourrons modifier cet ordre, toujours arbitrairement. Et nous hériterons.CAESONIA, se dégageant. Qu'est-ce qui te prend ?CALIGULA, imperturbable. L'ordre des exécutions n'a, en effet, aucune importance. Ou plutôt ces exécutions ont une importance égale, ce qui entraîne qu'elles n'en ont point. D'ailleurs, ils sont aussi coupables [120] les uns que les autres. Notez d'ailleurs qu'il n'est pas plus immoral de voler directement les citoyens que de glisser des taxes indirectes dans le prix de denrées dont ils ne peuvent se passer. Gouverner, c'est voler, tout le monde sait ça. Mais il y a la manière. Pour moi, je volerai franchement. Ça vous changera des gagne-petit. (Rudement, à l'intendant.) Tu exécuteras ces ordres sans délai. Les testaments seront signés dans la soirée par tous les habitants de Rome, dans un mois au plus tard par tous les provinciaux. Envoie des courriers.L'INTENDANT César, tu ne te rends pas compte...CALIGULA Écoute-moi bien, imbécile. Si le Trésor a de l'importance, alors la vie humaine n'en a pas. Cela est clair. Tous ceux qui pensent comme toi

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doivent admettre ce raisonnement et compter leur vie pour rien puisqu'ils tiennent l'argent pour tout. Au demeurant, moi, j'ai décidé d'être logique et puisque j'ai le pouvoir, vous allez voir ce que la logique va vous coûter. J'exterminerai les contradicteurs et les contradictions. S'il le faut, je commencerai par toi.L'INTENDANT César, ma bonne volonté n'est pas en question, je te le jure.CALIGULA Ni la mienne, tu peux m'en croire. La preuve, c'est que je consens à épouser ton point de vue et à tenir le Trésor publie pour un objet de méditations. [121] En somme, remercie-moi, puisque je rentre dans ton jeu et que je joue avec tes cartes. (Un temps et avec calme.) D'ailleurs, mon plan, par sa simplicité, est génial, ce qui clôt le débat. Tu as trois secondes pour disparaître. Je compte : un...L'intendant disparaît.

LC5 Caligula (Scène dernière)« Je suis toujours vivant ! »

SCÈNE XIVIl tourne sur lui-même, hagard, va vers le miroir.CALIGULA Caligula ! Toi aussi, toi aussi, tu es coupable. Alors, n'est-ce pas, un peu plus, un peu moins ! Mais qui oserait me condamner dans ce monde sans juge, où personne n'est innocent ! (Avec tout l'accent de la détresse, se pressant contre le miroir.) Tu le vois bien, Hélicon n'est pas venu. Je n'aurai pas la lune. Mais qu'il est amer d'avoir raison et de devoir aller jusqu'à la consommation. Car j'ai peur de la consommation. Des bruits d'armes ! C'est l'innocence qui prépare son triomphe. Que ne suis-je à leur place ! J'ai peur. Quel dégoût, après avoir méprisé les autres, de se sentir la même lâcheté dans l'âme. Mais cela ne fait rien. La peur non plus ne dure pas. Je vais retrouver ce grand vide où le cœur s'apaise.Il recule un peu, revient vers le miroir. Il semble plus calme. Il recommence à parler, mais d'une voix plus basse et plus concentrée.Tout a l'air si compliqué. Tout est si simple pourtant. Si j'avais eu la lune, si l'amour suffisait, tout serait changé. Mais où étancher cette soif ? Quel cœur, quel dieu auraient pour moi la profondeur d'un lac ? (S'agenouillant et pleurant.) Rien dans ce monde, ni dans l'autre, qui soit à ma mesure. Je sais pourtant, et tu le sais aussi (il tend les mains vers le miroir en pleurant), qu'il suffirait que l'impossible soit. L'impossible ! Je l'ai cherché aux limites du monde, aux confins de moi-même. J'ai tendu mes mains

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(criant), je tends mes mains et c'est toi que je rencontre, toujours toi en face de moi, et je suis pour toi plein de haine. Je n'ai pas pris la voie qu'il fallait, je n'aboutis à rien. Ma liberté n'est pas la bonne. Hélicon ! Hélicon ! Rien ! rien encore. Oh, cette nuit est lourde 1 Hélicon ne viendra pas : nous serons coupables à jamais ! Cette nuit est lourde comme la douleur humaine.Des bruits d'armes et des chuchotements s'entendent en coulisse.HÉLICON, surgissant au fond. Garde-toi, Caïus ! Garde-toi ! Une main invisible poignarde Hélicon. Caligula se relève, prend un siège bas dans la main et approche du miroir en soufflant. Il s'observe, simule un bond en avant et, devant le mouvement symétrique de son double dans la glace, lance son siège à toute volée en hurlant :CALIGULA À l'histoire, Caligula, à l'histoire.Le miroir se brise et, dans le même moment, par toutes les issues, entrent les conjurés en armes. Caligula leur fait face, avec un rire fou. Le vieux patricien le frappe dans le dos, Cherea en pleine figure. Le rire de Caligula se transforme en hoquets. Tous frappent. Dans un dernier hoquet, Caligula, riant et râlant, hurle :Je suis encore vivant

LC6 Poésies diverses : Méditerranéeéloge de la beauté

I Au vide regard des vitres, le matin ritDe toutes ses dents qu’il a bleues ou brillantes,Jaunes, vertes ou rouges, aux balcons se bercent les rideaux.Des jeunes filles aux bras nus étendent du linge,Un home ; sur une fenêtre, la lunette à la main.

Matin clair aux émaux de le mer,Perle latine aux liliales lueurs :Méditerranée.

II Midi sur la mer immobile et chaleureuse :M’accepte sans cris : un silence et un sourire.Esprit latin, Antiquité, un voile de pudeur sur le cri torture !Vie latine qui connaît ses limites,Rassurant passé, oh ! Méditerranée !Encore sur tes bords des voix triomphent qui se sont tues,Mais qui affirment parce qu’elles t’ont nié !

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Enorme et si légère, Tu assures et satisfais et murmures l’éternité de tes minutes, Oh ! Méditerranée ! Et le miracle de ton histoire,Tu l’enfermes tout entierDans l’explosion de ton sourire. Inaliénable vierge, à chaque heure son être se conçoit dans des êtres déjà faits.Sa vie renaît sur nos douleurs. Elle s’envole ! Et de quelles cendres – en lumineux phénix !Méditerranée ! ton monde est à notre mesure,L’homme à l’arbre s’unit et en eux l’Univers se joue de la comédieEn travesti du Nombre d’Or.De l’immense simplicité sans heurts jaillit la plénitude,Oh ! nature qui ne fais pas de bonds !De l’olivier au Mantouan, de la brebis à son berger, rien que l’innommable communion de l’immobilité.Virgile enlace l’arbre, Mélibée mène paître.Méditerranée !

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HISTOIRE DES ARTS

HDA2 Dali, Persistance de la Mémoire, 1931

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Séquence 3 majeure, Lorenzaccio, Musset, 1832

LE TEXTE THÉÂTRA L ET SA REP RÉSENTATIO N , DU XVIIÈME SIÈ CLE À NOS JO URS

Lorenzaccio : un héros romantique- Qu’est-ce que le drame romantique ?- En quoi la construction du héros est-elle caractéristique des

tensions de l’époque ?

LECTURES ANALYTIQUESLA7 Lorenzaccio, II2LA8 Lorenzaccio, II3LA9 Lorenzaccio, III3LA10 Lorenzaccio, V6

LECTURES CURSIVESLC7-9 Musset, Confessions d’un Enfant du Siècle, 1836LC10-12 Hugo, Préface de Cromwell, 1827

HISTOIRE DES ARTSHdA3, Philippe de Champaigne, le Cardinal de Richelieu, env. 1650HdA4 Delacroix, la Mort de Sardanapale, 1827

LANGUES ET CULTURE DE L’ANTIQUITÉ

LCA1 Aristophane, Les Guêpes, vers 420 av. JCLCA2 Sophocle, Œdipe-Roi, vers 420 av. JCLCA3 Aristote, Poétique XIII, vers 355 av. JCLCA4 Le théâtre d'Epidaure, Grèce, fin du IVème siècle av. JC

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LECTURES ANALYTIQUES

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LA7 Musset, Lorenzaccio, 1832, II2

Le portail d'une église.Entrent Lorenzo et Valori.

VALORI. Comment se fait-il que le duc n'y vienne pas ? Ah ! monsieur, quelle satisfaction pour un chrétien que ces pompes magnifiques de l'Eglise romaine ! quel homme peut y être insensible? L'artiste ne trouve-t-il pas là le paradis de son cœur ? le guerrier, le prêtre et le marchand n'y rencontrent-ils pas tout ce qu'ils aiment ? Cette admirable harmonie des orgues, ces tentures éclatantes de velours et de tapisserie, ces tableaux des premiers maîtres, les parfums tièdes et suaves que balancent les encensoirs, et les chants délicieux de ces voix argentines, tout cela peut choquer, par son ensemble mondain, le moine sévère et ennemi du plaisir. Mais rien n'est plus beau, selon moi, qu'une religion qui se fait aimer par de pareils moyens. Pourquoi les prêtres voudraient-ils servir un Dieu jaloux ? La religion n'est pas un oiseau de proie ; c'est une colombe compatissante qui plane doucement sur tous les rêves et sur tous les amours.LORENZO. Sans doute ce que vous dites là est parfaitement vrai, et parfaitement faux, comme tout au monde.TEBALDEO FRECCIA, s'approchant de Valori. Ah ! monseigneur, qu'il est doux de voir un homme tel que votre Eminence parler ainsi de la tolérance et de l'enthousiasme sacré ! Pardonnez à un citoyen obscur, qui brûle de ce feu divin, de vous remercier de ce peu de paroles que je viens d'entendre. Trouver sur les lèvres d'un honnête homme ce qu'on a soi-même dans le cœur, c'est le plus grand des bonheurs qu'on puisse désirer.VALORI. N'êtes-vous pas le petit Freccia ?TEBALDEO. Mes ouvrages ont peu de mérite ; je sais mieux aimer les arts que je ne sais les exercer. Mais ma jeunesse tout entière s'est passée dans les églises. Il me semble que je ne puis admirer ailleurs Raphaël et notre divin Buonarotti. Je demeure alors durant des journées devant leurs ouvrages, dans une extase sans égale. Le chant de l'orgue me révèle leur pensée, et me fait pénétrer dans leur âme ; je regarde les personnages de leurs tableaux si saintement agenouillés, et j'écoute, comme si les cantiques du chœur sortaient de leurs bouches entrouvertes ; des bouffées d'encens aromatiques passent entre eux et moi dans une vapeur légère ; je crois y voir la gloire de l'artiste ; c'est aussi une triste et douce fumée, et qui ne serait qu'un parfum stérile, si elle ne montait à Dieu.

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VALORI. Vous êtes un vrai cœur d'artiste ; Venez à mon palais, et ayez quelque chose sous votre manteau quand vous y viendrez, je veux que vous travailliez pour moi.TEBALDEO. C'est trop d'honneur que me fait Votre Eminence. Je suis un desservant bien humble de la sainte religion de la peinture.LORENZO. Pourquoi remettre vos Ordres de Service ? Vous avez, il me semble, un cadre dans les mains.TEBALDEO. Il est vrai ; mais je n'ose le montrer à de si grands connaisseurs. C'est une esquisse bien pauvre d'un rêve magnifique.LORENZO. Vous faites le portrait de vos rêves ? Je ferai poser pour vous quelques-uns des miens.

LA8 Musset, Lorenzaccio, II3

Chez la marquise Cibo.LE CARDINAL, seul — Oui, je suivrai tes ordres, Farnèse ! Que ton commissaire apostolique s'enferme avec sa probité dans le cercle étroit de son office, je remuerai d'une main ferme la terre glissante sur laquelle il n'ose marcher. Tu attends cela de moi, je l'ai compris, et j'agirai sans parler, comme tu as commandé. Tu as deviné qui j'étais lorsque tu m'as placé auprès d'Alexandre sans me revêtir d'aucun titre qui me donnât quelque pouvoir sur lui. C'est d'un autre qu'il se défiera, en m'obéissant à son insu. Qu'il épuise sa force contre des ombres d'hommes gonflés d'une ombre de puissance, je serai l'anneau invisible qui l'attachera pieds et poings liés à la chaîne de fer dont Rome et César tiennent les deux bouts. Si mes yeux ne me trompent pas, c'est dans cette maison qu'est le marteau dont je me servirai. Alexandre aime ma belle-sœur ; que cet amour l'ait flattée, cela est croyable ; ce qui peut résulter est douteux ; mais ce qu'elle en veut faire, c'est là ce qui est certain pour moi. Qui sait jusqu'où pourrait aller l'influence d'une femme exaltée, même sur cet homme grossier, sur cette armure vivante ? Un si doux péché pour une si belle cause, cela est tentant, n'est-il pas vrai, Ricciarda ? Presser ce cœur de lion sur ton faible cœur tout percé de flèches saignantes, comme celui de saint Sébastien ; parler, les yeux en pleurs, des malheurs de la patrie, pendant que le tyran adoré passera ses rudes mains dans ta chevelure dénouée ; faire jaillir d'un rocher l'étincelle sacrée, cela valait bien le petit sacrifice de l'honneur conjugal, et de quelques autres bagatelles. Florence y gagnerait tant, et ces bons maris n'y perdent rien ! Mais il ne fallait pas me prendre pour confesseur.La voici qui s'avance, son livre de prières à la main. Aujourd'hui donc tout va s'éclaircir ; laisse seulement tomber ton secret dans l'oreille du prêtre :

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le courtisan pourra bien en profiter, mais, en conscience, il n'en dira rien. (Entre la marquise.)

LA9 Musset, Lorenzaccio, III3

PHILIPPE — Je conçois que le rôle que tu joues t’ait donné de pareilles idées. Si je te comprends bien, tu as pris, dans un but sublime, une route hideuse, et tu crois que tout ressemble à ce que tu as vu.LORENZO — Je me suis réveillé de mes rêves, rien de plus. je te dis le danger d’en faire. je connais la vie, et c’est une vilaine cuisine, sois-en persuadé. Ne mets pas la main là-dedans, si tu respectes quelque chose.PHILIPPE — Arrête ; ne brise pas comme un roseau mon bâton de vieillesse. je crois à tout ce que tu appelles des rêves ; je crois à la vertu, à la pudeur et à la liberté.LORENZO — Et me voilà dans la rue, moi, Lorenzaccio ? et les enfants ne me jettent pas de la boue ? Les lits des filles sont encore chauds de ma sueur, et les pères ne prennent pas, quand je passe, leurs couteaux et leurs balais pour m’assommer ! Au fond de ces dix mille maisons que voilà, la septième génération parlera encore de la nuit où j’y suis entré, et pas une ne vomit à ma vue un valet de charrue qui me fende en deux comme une bûche pourrie ? L’air que vous respirez, Philippe, je le respire ; mon manteau de soie bariolé traîne paresseusement sur le sable fin des promenades ; pas une goutte de poison ne tombe dans mon chocolat ; que dis-je ? ô Philippe ! les mères pauvres soulèvent honteusement le voile de leurs filles quand je m’arrête au seuil de leurs portes ; elles me laissent voir leur beauté avec un sourire plus vil que le baiser de judas, tandis que moi, pinçant le menton de la petite, je serre les poings de rage en remuant dans ma poche quatre ou cinq méchantes pièces d’or.PHILIPPE — Que le tentateur ne méprise pas le faible ; pourquoi tenter, lorsque l’on doute ?LORENZO — Suis-je un Satan ? lumière du Ciel ! je m’en souviens encore ; j’aurais pleuré avec la première fille que j’ai séduite, si elle ne s’était mise à rire. Quand j’ai commencé à jouer mon rôle de Brutus moderne, je marchais dans mes habits neufs de la grande confrérie du vice comme un enfant de dix ans dans l’armure d’un géant de la fable. je croyais que la corruption était un stigmate, et que les monstres seuls le portaient au front. j’avais commencé à dire tout haut que mes vingt années de vertu étaient un masque étouffant ; ô Philippe ! j’entrai alors dans la vie, et je vis qu’à mon approche tout le monde en faisait autant que moi ; tous les

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masques tombaient devant mon regard ; l’humanité souleva sa robe et me montra, comme à un adepte digne d’elle, sa monstrueuse nudité. j’ai vu les hommes tels qu’ils sont, et je me suis dit : Pour qui est-ce donc que je travaille ?

LA10 Musset, Lorenzaccio, V6

Venise. — Le cabinet de strozzi. Entrent Philippe et Lorenzo, tenant une lettre.LORENZO — Voilà une lettre qui m’apprend que ma mère est morte. Venez donc faire un tour de promenade, Philippe.PHILIPPE — Je vous en supplie, mon ami, ne tentez pas la destinée. Vous allez et venez continuellement, comme si cette proclamation de mort n’existait pas contre vous.LORENZO — Au moment où j’allais tuer Clément VII, ma tête a été mise à prix à Rome ; il est naturel qu’elle le soit dans toute l’Italie, aujourd’hui que j’ai tué Alexandre ; si je sortais d’Italie, je serais bientôt sonné à son de trompe dans toute l’Europe, et à ma mort, le bon Dieu ne manquera pas de faire placarder ma condamnation éternelle dans tous les carrefours de l’immensité.PHILIPPE — Votre gaieté est triste comme la nuit ; vous n’êtes pas changé, Lorenzo.LORENZO — Non, en vérité ; je porte les mêmes habits, je marche toujours sur mes jambes, et je bâille avec ma bouche ; il n’y a de changé en moi qu’une misère : c’est que je suis plus creux et plus vide qu’une statue de fer blanc.PHILIPPE — Partons ensemble ; redevenez un homme ; vous avez beaucoup fait, mais vous êtes jeune.LORENZO — Je suis plus vieux que le bisaïeul de Saturne ; je vous en prie, venez faire un tour de promenade.PHILIPPE — Votre esprit se torture dans l’Inaction ; C’est là votre malheur. Vous avez des travers, mon ami.LORENZO — J’en conviens ; que les républicains n’aient rien fait à Florence, c’est là un grand travers de ma part. Qu’une centaine de jeunes étudiants, braves et déterminés, se soient fait massacrer en vain ; que Côme, un planteur de choux, ait été élu à l’unanimité ; oh ! je l’avoue, je l’avoue, ce sont là des travers impardonnables, et qui me font le plus grand tort.PHILIPPE — Ne raisonnons pas sur un événement qui n’est pas achevé. L’important est de sortir d’Italie ; vous n’avez pas encore fini sur la terre.

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LORENZO — J’étais une machine à meurtre, mais à un meurtre seulement. PHILIPPE — N’avez-vous pas été heureux autrement que par ce meurtre ? Quand vous ne devriez faire désormais qu’un honnête homme, qu’un artiste, pourquoi voudriez-vous mourir ?LORENZO — Je ne puis que vous répéter mes propres paroles. Philippe, j’ai été honnête. Peut-être le redeviendrais-je sans l’ennui qui me prend. J’aime encore le vin et les femmes ; c’est assez, il est vrai, pour faire de moi un débauché, mais ce n’est pas assez pour me donner envie de l’être. sortons, je vous en prie.PHILIPPE — Tu te feras tuer dans toutes ces promenades.LORENZO — Cela m’amusera de les voir. La récompense est si grosse qu’elle les rend presque courageux. Hier, un grand gaillard à jambes nues m’a suivi un gros quart d’heure au bord de l’eau, sans pouvoir se déterminer à m’assommer. Le pauvre homme portait une espèce de couteau long comme une broche ; il le regardait d’un air si penaud qu’il me faisait pitié ; c’était peut-être un père de famille qui mourait de faim.PHILIPPE — ô Lorenzo ! Lorenzo ! ton cœur est très malade ; c’était sans doute un honnête homme ; pourquoi attribuer à la lâcheté du peuple le respect pour les malheureux ? LORENZO — Attribuez cela à ce qui vous voudrez. je vais faire un tour au Rialto. (il sort.)PHILIPPE seul — Il faut que je le fasse suivre par quelqu’un de mes gens. Holà ! Jean ! Pippo ! holà ! (Entre un domestique) Prenez une épée, vous, et un autre de vos camarades, et tenez-vous à une distance convenable du seigneur Lorenzo, de manière à pouvoir le secourir si on l’attaque.JEAN — Oui, monseigneur. (Entre Pippo.)PIPPO — Monseigneur, Lorenzo est mort. Un homme était caché derrière la porte, qui l’a frappé par-derrière comme il sortait.PHILIPPE — Courons vite ; il n’est peut-être que blessé.PIPPO — Ne voyez-vous pas tout ce monde ? Le peuple s’est jeté sur lui. Dieu de miséricorde ! on le pousse dans la lagune.PHILIPPE — Quelle horreur ! quelle horreur ! Eh ! quoi ! pas même un tombeau ? (il sort.) 

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LECTURES CURSIVES

LC7-9 Musset, Confessions d’un Enfant du Siècle, 1836

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LC7 Les « Enfants du Siècle »

Alors ces hommes de l’Empire, qui avaient tant couru et tant égorgé, embrassèrent leurs femmes amaigries et parlèrent de leurs premières amours ; ils se regardèrent dans les fontaines de leurs prairies natales, et ils s’y virent si vieux, si mutilés, qu’ils se souvinrent de leurs fils, afin qu’on leur fermât les yeux. Ils demandèrent où ils étaient ; les enfants sortirent des collèges, et ne voyant plus ni sabres, ni cuirasses, ni fantassins, ni cavaliers, ils demandèrent à leur tour où étaient leurs pères. Mais on leur répondit que la guerre était finie, que César1 était mort, et que les portraits de Wellington et de Blücher2 étaient suspendus dans les antichambres des consulats et des ambassades, avec ces deux mots au bas : Salvatoribus mundi3.Alors il s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang brûlant qui avait inondé la terre ; ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides ; on les avait trempés dans le mépris de la vie comme de jeunes épées. Ils n’étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes on allait à une capitale d’Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain. (…)Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris.

1 César représente ici Napoléon. 2 Wellington et Bluecher : généraux anglais et prussien ayant défait Napoléon à Trafalgar et Waterloo. 3 Citation latine : “Aux sauveurs du monde”

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Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution.Il leur restait donc le présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule, qui n’est ni la nuit ni le jour ; ils le trouvèrent assis sur un sac de chaux plein d’ossements, serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant d’un froid terrible. L’angoisse de la mort leur entra dans l’âme à la vue de ce spectre moitié momie et moitié fœtus.

LC8 Tristesse de la débauche

L’apprentissage de la débauche ressemble à un vertige ; on y ressent d’abord je ne sais quelle terreur mêlée de volupté, comme sur une tour élevée. Tandis que le libertinage honteux et secret avilit l’homme le plus noble, dans le désordre franc et hardi, dans ce qu’on peut nommer la débauche en plein air, il y a quelque grandeur, même pour le plus dépravé. Celui qui, à la nuit tombée, s’en va, le manteau sur le nez, salir incognito sa vie et secouer clandestinement l’hypocrisie de la journée, ressemble à un Italien qui frappe son ennemi par-derrière, n’osant le provoquer en duel. Il y a de l’assassinat dans le coin des bornes et dans l’attente de la nuit, au lieu que dans le coureur des orgies bruyantes, on croirait presque à un guerrier ; c’est quelque chose qui sent le combat, une apparence de lutte superbe. « Tout le monde le fait, et s’en cache ; fais-le, et ne t’en cache pas. » Ainsi parle l’orgueil, et une fois cette cuirasse endossée, voilà le soleil qui y reluit.On raconte que Damoclès voyait une épée sur sa tête ; c’est ainsi que les libertins semblent avoir au-dessus d’eux je ne sais quoi qui leur crie sans cesse : « Va, va toujours ; je tiens à un fil. » Ces voitures de masques qu’on voit au temps du carnaval sont la fidèle image de leur vie. Un carrosse délabré ouvert à tout vent, des torches flamboyantes éclairant des têtes plâtrées ; ceux-ci rient, ceux-là chantent, au milieu s’agitent comme des femmes ; ce sont en effet des restes de femmes, avec des semblants presque humains. On les caresse, on les insulte ; on ne sait ni leur nom, ni qui elles sont. (…) Je commençai à comprendre le siècle, et à savoir en quel temps nous vivons.

LC9 L’amour

Vivre, oui, sentir fortement, profondément qu’on existe, qu’on est homme, créé par Dieu, voilà le premier, le plus grand bienfait de l’amour. Il n’en

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faut pas douter, l’amour est un mystère inexplicable. De quelques chaînes, de quelques misères, et je dirai même de quelques dégoûts que le monde l’ait entouré, tout enseveli qu’il y est sous une montagne de préjugés qui le dénaturent et le dépravent, à travers toutes les ordures dans lesquelles on le traîne, l’amour, le vivace et fatal amour n’en est pas moins une loi céleste aussi puissante et aussi incompréhensible que celle qui suspend le soleil dans les cieux. Qu’est-ce que c’est, je vous le demande, qu’un lien plus dur, plus solide que le fer, et qu’on ne peut ni voir ni toucher ? Qu’est-ce que c’est que de rencontrer une femme, de la regarder, de lui dire un mot, et de ne plus jamais l’oublier ? Pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ? Invoquez la raison, l’habitude, les sens, la tête, le cœur, et expliquez, si vous pouvez. Vous ne trouverez que deux corps, un là, et l’autre ici, et entre eux, quoi ? l’air, l’espace, l’immensité. Ô insensés qui vous croyez des hommes et qui osez raisonner de l’amour, l’avez-vous vu, pour en parler ? Non, vous l’avez senti. Vous avez échangé un regard avec un être inconnu qui passait, et tout à coup il s’est envolé de vous je ne sais quoi qui n’a pas de nom. Vous avez pris racine en terre, comme le grain caché dans l’herbe qui sent que la vie le soulève, et qu’il va devenir une moisson.Nous étions seuls, la croisée ouverte ; il y avait au fond du jardin une petite fontaine dont le bruit arrivait jusqu’à nous. Ô Dieu ! je voudrais compter goutte par goutte toute l’eau qui en est tombée, tandis que nous étions assis, qu’elle parlait et que je lui répondais. C’est là que je m’enivrai d’elle jusqu’à en perdre la raison.

LC10-12 Hugo, Préface de Cromwell, 1827

LC10 Le sublime et le grotesque

Nous dirons seulement ici que, comme objectif auprès du sublime, comme moyen de contraste, le grotesque est, selon nous, la plus riche source que la nature puisse ouvrir à l’art. (…) Cette beauté universelle que l’antiquité répandait solennellement sur tout n’était pas sans monotonie ; la même impression, toujours répétée, peut fatiguer à la longue. Le sublime sur le sublime produit malaisément un contraste, et l’on a besoin de se reposer de tout, même du beau. Il semble, au contraire, que le grotesque soit un temps d’arrêt, un terme de comparaison, un point de départ d’où l’on s’élève vers le beau avec une perception plus fraîche et plus excitée. La salamandre fait

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ressortir l’ondine ; le gnome embellit le sylphe4. Et il serait exact aussi de dire que le contact du difforme a donné au sublime moderne quelque chose de plus pur, de plus grand, de plus sublime enfin que le beau antique.

LC11 Les règles

On voit combien l’arbitraire distinction des genres croule vite devant la raison et le goût. On ne ruinerait pas moins aisément la prétendue règle des deux unités. Nous disons deux et non trois unités, l’unité d’action ou d’ensemble, la seule vraie et fondée, étant depuis longtemps hors de cause. (…)Ce qu’il y a d’étrange, c’est que les routiniers prétendent appuyer leur règle des deux unités sur la vraisemblance, tandis que c’est précisément le réel qui la tue. Quoi de plus invraisemblable et de plus absurde en effet que ce vestibule, ce péristyle, cette antichambre5, lieu banal où nos tragédies ont la complaisance de venir se dérouler, où arrivent, on ne sait comment, les conspirateurs pour déclamer contre le tyran, le tyran pour déclamer contre les conspirateurs, chacun à leur tour, comme s’ils s’étaient dit bucoliquement6 :Alternis cantemus ; amant alterna Camenae7. Où a-t-on vu vestibule ou péristyle de cette sorte ? Quoi de plus contraire, nous ne dirons pas à la vérité, les scolastiques8 en font bon marché, mais à la vraisemblance ? Il résulte de là que tout ce qui est trop caractéristique, trop intime, trop local, pour se passer dans l’antichambre ou dans le carrefour, c’est-à-dire tout le drame, se passe dans la coulisse. Nous ne voyons en quelque sorte sur le théâtre que les coudes de l’action ; ses mains sont ailleurs. Au lieu de scènes, nous avons des récits ; au lieu de tableaux, des descriptions. De graves personnages placés, comme le chœur antique, entre le drame et nous, viennent nous raconter ce qui se fait dans le temple, dans le palais, dans la place publique, de façon que souventes fois nous sommes tentés de leur crier :

4 Salamandre : animal monstrueux ; ondine : jeune fille de rêve ; gnome : nain grotesque ; sylphe : jeune personne gracieuse. 5 Vestibule, antichambre : sale d’attente ; péristyle : couloir bordé de colonnes.6 Bucoliquement : « à la façon des personnages de bergers amoureux de Virgile dans les Bucoliques ». Emploi ironique. 7 Citation de Virgile : “nous chantons l’un après l’autre ; les Muses aiment les chants qui s’alternent” 8 Scolastiques : philosophes du moyen âge enseignant uniquement la philosophie d’Aristote ; partisans d’une obéissance stricte aux règles prétendument tirées d’Aristote. Connotation de dogmatisme et de sottise.

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" Vraiment ! mais conduisez-nous donc là-bas ! On s’y doit bien amuser, cela doit être beau à voir ! " A quoi ils répondraient sans doute : " Il serait possible que cela vous amusât ou vous intéressât, mais ce n’est point là la question ; nous sommes les gardiens de la dignité de la Melpomène française. " Voilà !L’unité de temps n’est pas plus solide que l’unité de lieu. L’action, encadrée de force dans les vingt-quatre heures, est aussi ridicule qu’encadrée dans le vestibule. Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier. Verser la même dose de temps à tous les événements ! appliquer la même mesure sur tout ! On rirait d’un cordonnier qui voudrait mettre le même soulier à tous les pieds. Croiser l’unité de temps à l’unité de lieu comme les barreaux d’une cage, et y faire pédantesquement9 entrer, de par Aristote, tous ces faits, tous ces peuples, toutes ces figures que la providence déroule à si grandes masses dans la réalité ! c’est mutiler hommes et choses, c’est faire grimacer l’histoire.

LC12 L’art et la nature : l’imitation

La nature donc ! La nature et la vérité. Et ici, afin de montrer que, loin de démolir l’art, les idées nouvelles ne veulent que le reconstruire plus solide et mieux fondé, essayons d’indiquer quelle est la limite infranchissable qui, à notre avis, sépare la réalité selon l’art de la réalité selon la nature. Il y a étourderie à les confondre, comme le font quelques partisans peu avancés du romantisme. La vérité de l’art ne saurait jamais être, ainsi que l’ont dit plusieurs, la réalité absolue. L’art ne peut donner la chose même. Supposons en effet un de ces promoteurs irréfléchis de la nature absolue, de la nature vue hors de l’art, à la représentation d’une pièce romantique, du Cid10, par exemple. – Qu’est cela ? dira-t-il au premier mot. Le Cid parle en vers ! Il n’est pas naturel de parler en vers. – Comment voulez-vous donc qu’il parle ? – En prose. – Soit. – Un instant après : – Quoi, reprendra-t-il s’il est conséquent, le Cid parle français ! – Eh bien ? – La nature veut qu’il parle sa langue, il ne peut parler qu’espagnol. – Nous n’y comprendrons rien ; mais soit encore – Vous croyez que c’est tout ? Non pas ; avant la dixième phrase castillane, il doit se lever et demander si ce Cid qui parle est le véritable Cid, en chair et en os ? De quel droit cet acteur, qui s’appelle Pierre ou Jacques, prend-il le nom de Cid ? Cela est faux. – Il n’y a aucune raison pour qu’il n’exige pas ensuite qu’on substitue le soleil à cette rampe,

9 Pédantesquement : de façon pédante (néologisme ironique) ; aimant à utiliser des termes compliqués et techniques pour dire des choses simples. 10 Le Cid : héros éponyme de la pièce célébrissime de Corneille (1636).

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des arbres réels, des maisons réelles à ces menteuses coulisses. Car, une fois dans cette voie, la logique nous tient au collet, on ne peut plus s’arrêter.On doit donc reconnaître, sous peine de l’absurde, que le domaine de l’art et celui de la nature sont parfaitement distincts. La nature et l’art sont deux choses, sans quoi l’une ou l’autre n’existerait pas.

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HISTOIRE DES ARTS

HdA3, Philippe de Champaigne, le Cardinal de Richelieu, env. 1650

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HdA4 Delacroix, la Mort de Sardanapale, 1827

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LANGUES ET CULTURE DE L’ANTIQUITÉ

LCA1 Aristophane, Les Guêpes, vers 420 av. JC

SOSIE. - Eh bien! que fais-tu là, pauvre Xanthias ?XANTHIAS. - Je cherche à faire trêve à ma garde nocturne.SOSIE. - Tes côtes méritent sans doute quelque grand châtiment. Mais sais-tu quelle bête sauvage nous gardons ?XANTHIAS. - Je le sais ; mais je voudrais dormir un peu.SOSIE. - Eh bien ! cours-en le risque ; car je sens moi-même un doux sommeil fermer mes paupières.XANTHIAS. - Es-tu en délire, ou saisi de la fureur des corybantes ?SOSIE. - Non ; je suis pris d'un assoupissement qui me vient de Sabazios.XANTHIAS. -- Tu adores donc Sabazios, comme moi ; car tout à l'heure aussi le lourd sommeil est venu fondre comme un Mède sur mes paupières, et vraiment je viens de faire un rêve merveilleux.SOSIE. - Moi aussi, j'en ai fait un, tel que je n'en eus jamais. Mais conte d'abord le tien.XANTHIAS. - J'ai vu un aigle très grand s'abattre sur la place publique, saisir avec ses serres un bouclier d'airain, et l'emporter jusqu'au ciel ; puis, Cléonyme jeter ce bouclier à terreSOSIE. - Cléonyme ne diffère donc en rien d'un griphe ? Mais comment, demandera quelqu'un des convives, le même monstre perd-il son bouclier sur la terre, dans le ciel et sur la mer ?XANTHIAS. - Hélas ! à quel malheur dois-je m'attendre après un tel rêve ?SOSIE. - Ne t'inquiète pas ; tu n'as rien à craindre, je te jure.XANTHIAS. - C'est pourtant une terrible chose qu'un homme qui jette ses armes. Mais dis-moi le tien.SOSIE. - Le mien est un grand rêve ; il a rapport au vaisseau de l'État tout entier.XANTHIAS. - Montre-moi vite le fond de cale de l'affaire.SOSIE. - Il m'a semblé, dans mon premier sommeil, que je voyais une troupe de moutons assemblés dans le Pnyx, portant des manteaux et des bâtons ; et au milieu de ces moutons j'entendais une baleine vorace haranguer d'une voix semblable à celle d'un porc que l'on grille.XANTHIAS.- Fi ! fi !SOSIE. - Qu'y a-t-il ?XANTHIAS.- C'est assez, n'en dis pas davantage ; ce songe sent trop la mauvaise odeur du cuir.

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SOSIE. - Cette baleine maudite tenait une balance, et pesait de la graisse de bœuf.XANTHIAS. - Malheur ! il veut diviser notre peuple !SOSIE. - Près d'elle était assis par terre Théoros, ayant une tête de corbeau ; et Alcibiade me dit en grasseyant : "Regalde Théolos, il a la tête d'un colbeau ."XANTHIAS. - Jamais Alcibiade ne grasseya plus à propos.SOSIE. - N'est-ce pas là un présage horrible ?

LCA2 Sophocle, Œdipe-Roi, vers 420 av. JC

ŒDIPE. - O fils de Ménécée, puisque tu restes seul pour leur servir de père - nous, leur père et leur mère, sommes morts tous les deux -, ne laisse pas des filles de ton sang errer sans époux, mendiant leur pain. Ne fais point leur malheur égal à mon malheur. Prends pitié d'elles, en les voyant si jeunes, abandonnées de tous, si tu n'interviens pas. Donne-m'en ta parole, prince généreux, en me touchant la main... (Créon lui donne la main.) Ah ! Que de conseils, mes enfants, si vous étiez d'âge à comprendre, j'aurais encore à vous donner! Pour l'instant, croyez-moi, demande? Seulement aux dieux, où que le sort vous permette de vivre, d'y trouver une vie meilleure que celle du père dont vous êtes nées.CRÉON. - Tu as assez pleuré, rentre dans la maison.OEDIPE. - Je ne puis qu'obéir, même s'il m'en coûte.CRÉON. - Ce qu'on fait quand il faut est toujours bien fait.OEDIPE. - Sais-tu mes conditions pour m'éloigner d'ici ?CRÉON. - Dis-les-moi, et je les saurai.OEDIPE. - Veille à me faire mener hors du paysCRÉON. - La réponse appartient au dieu.OEDIPE. - Mais je fais horreur aux dieux désormais.CRÉON. - Eh bien ! Alors tu l'obtiendras sans doute.OEDIPE. - Dis-tu vrai ?CRÉON. - Je n'ai pas l'habitude de parler contre ma pensée.OEDIPE. - Emmène-moi donc tout de suite.CRÉON. - Viens alors et laisse tes filles.OEDIPE. - Non, pas elles ! Non, ne me les enlève pas !CRÉON. - Ne prétends donc pas triompher toujours: tes triomphes n'ont pas accompagné ta vie.On ramène les fillettes dans le gynécée, tandis qu'on fait rentrer Œdipe par la grande porte du palais.LE CORYPHÉE. - Regardez, habitants de Thèbes, ma patrie. Le voilà, cet

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Œdipe, cet expert en énigmes fameuses, qui était devenu le premier des humains. Personne dans sa ville ne pouvait contempler son destin sans envie. Aujourd'hui, dans quel flot d'effrayante misère est-il précipité! C’est donc ce dernier jour qu'il faut, pour un mortel, toujours considérer. Gardons-nous d'appeler jamais un homme heureux, avant qu'il ait franchi le terme de sa vie sans avoir subi un chagrin.

LCA3 Aristote, Poétique XIII, vers 355 av. JC

Quel doit être le but de ceux qui constituent des fables ; sur quoi doit porter leur attention ; à quelles conditions la tragédie remplit-elle sa fonction, voilà ce que nous avons à dire après les explications données jusqu'ici.Comme la composition d'une tragédie, pour que celle-ci soit des plus belles, ne doit pas être simple, mais complexe et susceptible d'imiter les choses qui excitent la terreur et la pitié (c'est là le caractère propre de ce genre d'imitation), il est évident, d'abord, qu'il ne faut pas que les gens de bien passent du bonheur au malheur (ce qui n'excite ni la pitié, ni la crainte, mais nous fait horreur) ; il ne faut pas, non plus, que les méchants passent du malheur au bonheur, ce qui est tort à fait éloigné de l'effet tragique, car il n'y a rien là de ce qu'elle exige : ni sentiments d'humanité, ni motif de pitié ou de terreur. Il ne faut pas, par contre, que l'homme très pervers tombe du bonheur dans le malheur, car une telle situation donnerait cours aux sentiments d'humanité, mais non pas à la pitié, ni à la terreur. En effet, l'une surgit en présence d'un malheureux qui l'est injustement, l'autre, en présence d'un malheureux d'une condition semblable à la nôtre. Ce cas n'a donc rien qui fasse naître la pitié, ni la terreur.Reste la situation intermédiaire ; c'est celle d'un homme qui n'a rien de supérieur par son mérite ou ses sentiments de justice, et qui ne doit pas à sa perversité et à ses mauvais penchants le malheur qui le frappe, mais plutôt à une certaine erreur qu'il commet pendant qu'il est en pleine gloire et en pleine prospérité ; tels, par exemple, Œdipe, Thyeste et d'autres personnages célèbres, issus de familles du même rang.Il faut donc que la fable, pour être bien composée, soit simple et non pas double, ainsi que le prétendent quelques-uns ; et qu'elle passe non pas du malheur au bonheur, mais, au contraire, du bonheur au malheur ; et cela non pas à cause de la perversité, mais par suite de la grave erreur d'un personnage tel que nous l'avons décrit, ou d'un meilleur plutôt que d'un pire.

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Séquence 4 majeure, l’argumentation

LA QUESTIO N DE L ’HOM ME DANS LES GE NRES DE L ’ARG UMENTA TION

La représentation du pouvoir et de l’obéissance dans les textes littéraires.

- Quelle est l’image du pouvoir dans les textes littéraires ?- Comment les auteurs en analysent-t-ils le fonctionnement ?- Comment se posent les questions de l’obéissance ou de l’égalité ?

LECTURES ANALYTIQUESLA11 Etienne de la Boétie, la Servitude volontaire, entre 1550 et 1560.LA12 Corneille, Cinna II1, 1642LA13 Charles Baudelaire, le Spleen de Paris, 1859LA14 Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, 1951

LECTURE CURSIVELC13 La Fontaine, les Animaux malades la Peste,

HISTOIRE DES ARTSHdA5 Lorenzetti, les Effets du mauvais gouvernement dans une Ville, 1340HdA6 D’Holbein le Jeune, les Ambassadeurs, 1533HdA7 Horace Vernet, Barricade rue Soufflot, 1848HdA8 Velasquez, Le Pape Innocent X, 1650 / Francis Bacon, Study after Velazquez's Portrait of Pop Innocent X, 1953

LECTURES ANALYTIQUES

LA11 Etienne de la Boétie, la Servitude volontaire, entre 1550 et 1560.

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Au cœur d’un siècle violent, au cours duquel se succèdent guerres religieuses et désordres politiques, la Boétie rédige un pamphlet contre le pouvoir ; il y démontre que l’autorité des tyrans vient moins de leur puissance, que de l’accord du peuple, qui accepte d’être tyrannisé. Dans les lignes qui suivent, la Boétie démonte le fonctionnement du pouvoir tyrannique.

J’en arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le ressort et le secret de la domination , le soutien et le fondement de toute tyrannie. Celui qui penserait que les hallebardes, les gardes et le guet garantissent les tyrans, se tromperait fort. Ils s’en servent, je crois, par forme et pour épouvantail, plus qu’ils ne s’y fient. Les archers barrent l’entrée des palais aux malhabiles qui n’ont aucun moyen de nuire, non aux audacieux bien armés. On voit aisément que, parmi les empereurs romains, moins nombreux sont ceux qui échappèrent au danger grâce au secours de leurs archers qu’il n’y en eut de tués par ces archers mêmes. Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de fantassins, ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte vérité) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui soumettent tout le pays. Il en a toujours été ainsi : cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef qu’il en devient méchant envers la société, non seulement de sa propre méchanceté mais encore des leurs. Ces six en ont sous eux six cents, qu’ils corrompent autant qu’ils ont corrompu le tyran. Ces six cents en tiennent sous leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité. Ils leur font donner le gouvernement des provinces ou le maniement des deniers afin de les tenir par leur avidité ou par leur cruauté, afin qu’ils les exercent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal qu’ils ne puissent se maintenir que sous leur ombre, qu’ils ne puissent s’exempter des lois et des peines que grâce à leur protection. Grande est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille, mais cent mille et des millions tiennent au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à lui, comme Homère le fait dire à Jupiter qui se targue, en tirant une telle chaîne, d’amener à lui tous les dieux. De là venait l’accroissement du pouvoir du Sénat sous Jules César, l’établissement de nouvelles fonctions, l’institution de nouveaux offices, non certes pour réorganiser la justice, mais pour donner de nouveaux soutiens à la tyrannie. En somme, par les gains et les faveurs

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qu’on reçoit des tyrans, on en arrive à ce point qu’ils se trouvent presque aussi nombreux, ceux auxquels la tyrannie profite, que ceux auxquels la liberté plairait.

LA12 Corneille, Cinna II1, 1642

Auguste, empereur romain et fondateur de l’empire (30 av JC- 14 ap JC), s’interroge sur son propre pouvoir et ses limites auprès de deux aristocrates, Cinna et Maxime, qui sont justement en train de conspirer contre lui.

Auguste(…)Cet empire absolu sur la terre et sur l'onde,Ce pouvoir souverain que j'ai sur tout le monde,Cette grandeur sans borne et cet illustre rang,Qui m'a jadis coûté tant de peine et de sang,Enfin tout ce qu'adore en ma haute fortuneD'un courtisan flatteur la présence importune,N'est que de ces beautés dont l'éclat éblouit,Et qu'on cesse d'aimer sitôt qu'on en jouit.L'ambition déplaît quand elle est assouvie,D'une contraire ardeur son ardeur est suivie ;Et comme notre esprit, jusqu'au dernier soupir,Toujours vers quelque objet pousse quelque désir,Il se ramène en soi, n'ayant plus où se prendre,Et, monté sur le faîte, il aspire à descendre.J'ai souhaité l'empire, et j'y suis parvenu ;Mais, en le souhaitant, je ne l'ai pas connu :Dans sa possession, j'ai trouvé pour tous charmesD'effroyables soucis, d'éternelles alarmes,Mille ennemis secrets, la mort à tous propos,Point de plaisir sans trouble, et jamais de repos.Sylla m'a précédé dans ce pouvoir suprême ;Le grand César mon père en a joui de même :D'un oeil si différent tous deux l'ont regardé,Que l'un s'en est démis, et l'autre l'a gardé :Mais l'un, cruel, barbare, est mort aimé, tranquille,Comme un bon citoyen dans le sein de sa ville ;

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L'autre, tout débonnaire, au milieu du sénat,A vu trancher ses jours par un assassinat.Ces exemples récents suffiraient pour m'instruire,Si par l'exemple seul on se devait conduire :L'un m'invite à le suivre, et l'autre me fait peur ;Mais l'exemple souvent n'est qu'un miroir trompeur ;Et l'ordre du destin qui gêne nos penséesN'est pas toujours écrit dans les choses passées :Quelquefois l'un se brise où l'autre s'est sauvé,Et par où l'un périt, un autre est conservé.Voilà, mes chers amis, ce qui me met en peine.Vous, qui me tenez lieu d'Agrippe et de Mécène,Pour résoudre ce point avec eux débattu,Prenez sur mon esprit le pouvoir qu'ils ont eu :Ne considérez point cette grandeur suprême,Odieuse aux Romains, et pesante à moi-même ;Traitez-moi comme ami, non comme souverain ;Rome, Auguste, l'Etat, tout est en votre main :Vous mettrez et l'Europe, et l'Asie, et l'Afrique,Sous les lois d'un monarque, ou d'une république ;Votre avis est ma règle, et par ce seul moyenJe veux être empereur, ou simple citoyen.

LA13 Charles Baudelaire, le Spleen de Paris, 1859

ASSOMMONS LES PAUVRES !

(…)Or, sa voix me chuchotait ceci : « Celui-là seul est l’égal d’un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir. »Immédiatement, je sautai sur mon mendiant. D’un seul coup de poing, je lui bouchai un œil, qui devint, en une seconde, gros comme une balle. Je cassai un de mes ongles à lui briser deux dents, et comme je ne me sentais pas assez fort, étant né délicat et m’étant peu exercé à la boxe, pour assommer rapidement ce vieillard, je le saisis d’une main par le collet de son habit, de l’autre, je l’empoignai à la gorge, et je me mis à lui secouer vigoureusement la tête contre un mur. Je dois avouer que j’avais préalablement inspecté les environs d’un coup d’œil, et que j’avais vérifié que dans cette banlieue

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déserte je me trouvais, pour un assez long temps, hors de la portée de tout agent de police.Ayant ensuite, par un coup de pied lancé dans le dos, assez énergique pour briser les omoplates, terrassé ce sexagénaire affaibli, je me saisis d’une grosse branche d’arbre qui traînait à terre, et je le battis avec l’énergie obstinée des cuisiniers qui veulent attendrir un beefteack.Tout à coup, — ô miracle ! ô jouissance du philosophe qui vérifie l’excellence de sa théorie ! — je vis cette antique carcasse se retourner, se redresser avec une énergie que je n’aurais jamais soupçonnée dans une machine si singulièrement détraquée, et, avec un regard de haine qui me parut de bon augure, le malandrin décrépit se jeta sur moi, me pocha les deux yeux, me cassa quatre dents, et avec la même branche d’arbre me battit dru comme plâtre. — Par mon énergique médication, je lui avais donc rendu l’orgueil et la vie.Alors, je lui fis force signes pour lui faire comprendre que je considérais la discussion comme finie, et me relevant avec la satisfaction d’un sophiste du Portique, je lui dis : « Monsieur, vous êtes mon égal ! veuillez me faire l’honneur de partager avec moi ma bourse ; et souvenez-vous, si vous êtes réellement philanthrope, qu’il faut appliquer à tous vos confrères, quand ils vous demanderont l’aumône, la théorie que j’ai eu la douleur d’essayer sur votre dos. »Il m’a bien juré qu’il avait compris ma théorie, et qu’il obéirait à mes conseils.

LA14 Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, 1951

Hadrien (mort en 138) est empereur depuis quelques mois, en 117. Absent de Rome, il est mis au courant d’une conjuration d’un de ses ennemis. L’ancien précepteur et ami de l’empereur, Attianus, a pris les choses en main : il a fait tuer le sénateur conjuré, et trois autres sénateurs ennemis déclarés d’Hadrien.

Je reçus ces nouvelles sur le pont du navire qui me ramenait en Italie. Elles m’atterrèrent. On est toujours bien aise d’être soulagé de ses adversaires, mais mon tuteur avait montré pour les conséquences lointaines de son acte une indifférence de vieillard : il oubliait que j’aurais à vivre avec les suites de ces meurtres pendant plus de vingt ans. [Je pensais aux proscriptions d’Octave, aux crimes de Néron.] Ma vie publique m’échappait déjà : la

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première ligne de l’inscription portait, profondément entaillée, quelques mots que je n’effacerais plus. Le Sénat, ce grand corps si faible, mais qui devenait puissant dès qu’il était persécuté, n’oublierait jamais que quatre hommes sortis de ses rangs avaient été exécutés sommairement par mon ordre ; trois intrigants et une brute féroce feraient ainsi figure de martyrs. J’avisai brutalement Attianus d’avoir à me rejoindre à Brundisium pour me répondre de ses actes. Il m’attendait à deux pas du port, dans une des chambres de l’auberge tournée vers l’Orient où jadis mourut Virgile. Il vint en boitillant me recevoir sur le seuil ; il souffrait d’une crise de goutte. Sitôt seul avec lui, j’éclatai en reproches : un règne que je voulais modéré, exemplaire, commençait par quatre exécutions, dont l’une seulement était indispensable, et qu’on avait dangereusement négligé d’entourer des formes légales. Cet abus de force me serait d’autant plus reproché que je m’appliquerais par la suite à être clément, scrupuleux, ou juste ; on s’en servirait pour montrer que mes prétendues vertus n’étaient qu’une série de masques, pour me fabriquer une banale histoire de tyran qui me suivrait peut-être jusqu’à la fin de l’Histoire. J’avouai ma peur : je ne me sentais pas plus exempt de cruauté que d’aucune tare humaine : j’accueillais le lieu commun qui veut que le crime appelle le crime, l’image de l’animal qui a une fois goûté au sang. (…)Le vieil homme demanda la permission de s’asseoir, plaça sur un tabouret sa jambe enveloppée de bandelettes. Tout en parlant, je remontais une couverture sur ce pied malade. Il me laissait aller, avec le sourire d’un grammairien qui écoute son élève se tirer assez bien d’une récitation difficile.

LECTURE CURSIVE

LC13 La Fontaine, Les Animaux malades de la peste, Fables VII, I, 1678.

Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en ſa fureurInventa pour punir les crimes de la terre,La Peſte (puis qu’il faut l’appeller par ſon nom)Capable d’enrichir en un jour l’Acheron, Faiſoit aux animaux la guerre.Ils ne mouroient pas tous, mais tous eſtoient frappez.

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On n’en voyoit point d’occupezA chercher le ſoûtien d’une mourante vie ; Nul mets n’excitoit leur envie. Ni Loups ni Renards n’épioient La douce & l’innocente proye. Les Tourterelles ſe fuyoient : Plus d’amour, partant plus de joye.Le Lion tint conſeil, & dit ; Mes chers amis, Je crois que le Ciel a permis Pour nos pechez cette infortune ; Que le plus coupable de nousSe ſacrifie aux traits du celeſte courroux,Peut-eſtre il obtiendra la gueriſon commune.L’hiſtoire nous apprend qu’en de tels accidens On fait de pareils dévoûmens :Ne nous flatons donc point, voyons ſans indulgence L’état de notre conſcience.Pour moy, ſatisfaiſant mes appetits gloutons J’ay devoré force moutons ; Que m’avoient-ils fait ? Nulle offenſe :Meſme il m’eſt arrivé quelquefois de manger Le Berger.Je me dévoûray donc, s’il le faut ; mais je penſeQu’il eſt bon que chacun ſ’accuſe ainſi que moy :Car on doit ſouhaiter ſelon toute juſtice Que le plus coupable periſſe.Sire, dit le Renard, vous eſtes trop bon Roy ;Vos ſcrupules font voir trop de delicateſſe ;Et bien, manger moutons, canaille, ſotte eſpece,Eſt-ce un peché ? Non non : vous leur fiſtes Seigneur En les croquant beaucoup d’honneur. Et quant au Berger l’on peut dire Qu’il eſtoit digne de tous maux,Eſtant de ces gens-là qui ſur les animaux Se font un chimerique empire.Ainſi dit le Renard, & flateurs d’applaudir. On n’oſa trop approfondir.Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puiſſances, Les moins pardonnables offenſes.Tous les gens querelleurs, juſqu’aux ſimples maſtins,

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Au dire de chacun eſtoient de petits ſaints.L’Aſne vint à ſon tour & dit : J’ay ſouvenance Qu’en un pré de Moines paſſant,La faim, l’occaſion, l’herbe tendre, & je penſe Quelque diable auſſi me pouſſant,Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.Je n’en avois nul droit, puis qu’il faut parler net.A ces mots on cria haro ſur le baudet.Un Loup quelque peu clerc prouva par ſa harangueQu’il faloit dévoüer ce maudit animal,Ce pelé, ce galeux, d’où venoit tout leur mal.Sa peccadille fut jugée un cas pendable.Manger l’herbe d’autruy ! quel crime abominable ! Rien que la mort n’eſtoit capableD’expier ſon forfait : on le luy fit bien voir.Selon que vous ſerez puiſſant ou miſerable,Les jugemens de Cour vous rendront blanc ou noir

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HISTOIRE DES ARTS

HdA5 Lorenzetti, les Effets du mauvais gouvernement dans une Ville, 1340

Dans la partie supérieure, de gauche à droite : AVARICE, ORGUEIL/LE TYRAN, VANITE. En bas : TRAHISON, VOL, MECHANCETE, ENVIE

HdA6 D’Holbein le Jeune, les Ambassadeurs, 1533

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HdA7 Horace Vernet, Barricade rue Soufflot, 1848

HdA8 Velasquez, Le Pape Innocent X, 1650Francis Bacon, Study after Velazquez's Portrait of Pop Innocent X,

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1953

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Séquence 5 mineure : le valet de comédie

LE TEXTE THÉÂTRA L ET SA REP RÉSENTATIO N

La relation maître-valet dans la comédie du XVIIIème.- Qui sont les valets de comédie ?- En quoi sont-ils des personnages comiques ?- Dans quelle mesure sont-ils vecteurs de désordre ?

LECTURES ANALYTIQUESLA15 Marivaux, Le jeu de l’amour et du hasard, III 6, 1730LA16 Beaumarchais, le Barbier de Séville, IV6, 1772

LECTURE CURSIVELC14, Lesage, Turcaret, III 13, 1709

HISTOIRE DES ARTSHdA9 Watteau, la Proposition embarrassante, 1716HdA10 Fragonard, le Verrou, 1777

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LECTURES ANALYTIQUES

LA15 Marivaux, Le Jeu de l’Amour et du Hasard, III 6, 1730

Lisette. Enfin, monsieur, faut-il vous dire que c’est moi que votre tendresse honore ?Arlequin. Aïe ! aïe ! je ne sais plus où me mettre.Lisette. Encore une fois, monsieur, je me connais.Arlequin. Eh ! je me connais bien aussi, et je n’ai pas là une fameuse connaissance ; ni vous non plus, quand vous l’aurez faite ; mais, c’est là le diable que de me connaître ; vous ne vous attendez pas au fond du sac.

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Lisette, à part. Tant d’abaissement n’est pas naturel ! (Haut.) D’où vient me dites-vous cela ?Arlequin. Eh ! voilà où gît le lièvre.Lisette. Mais encore ? vous m’inquiétez. Est-ce que vous n’êtes pas ?…Arlequin. Aïe ! aïe ! vous m’ôtez ma couverture.Lisette. Sachons de quoi il s’agit.Arlequin, à part. Préparons un peu cette affaire-là… (Haut.) Madame, votre amour est-il d’une constitution bien robuste ? Soutiendra-t-il bien la fatigue que je vais lui donner ? Un mauvais gîte lui fait-il peur ? Je vais le loger petitement.Lisette. Ah ! tirez-moi d’inquiétude. En un mot, qui êtes-vous ?Arlequin. Je suis… N’avez-vous jamais vu de fausse monnaie ? savez-vous ce que c’est qu’un louis d’or faux ? Eh bien, je ressemble assez à cela.Lisette. Achevez donc. Quel est votre nom ?Arlequin. Mon nom ? (À part.) Lui dirai-je que je m’appelle Arlequin ? Non ; cela rime trop avec coquin.Lisette. Eh bien !Arlequin. Ah dame ! il y a un peu à tirer ici ! Haïssez-vous la qualité de soldat ?Lisette. Qu’appelez-vous un soldat ?Arlequin. Oui, par exemple, un soldat d’antichambre.Lisette. Un soldat d’antichambre ! Ce n’est donc point Dorante à qui je parle enfin ?Arlequin. C’est lui qui est mon capitaine.Lisette. Faquin !Arlequin, à part. Je n’ai pu éviter la rime.Lisette. Mais voyez ce magot ; tenez !Arlequin, à part. La jolie culbute que je fais là !Lisette. Il y a une heure que je lui demande grâce, et que je m’épuise en humilités pour cet animal-là.Arlequin. Hélas ! madame, si vous préfériez l’amour à la gloire, je vous ferais bien autant de profit qu’un monsieur.Lisette, riant. Ah ! ah ! ah ! je ne saurais pourtant m’empêcher d’en rire, avec sa gloire ! et il n’y a plus que ce parti-là à prendre… Va, va, ma gloire te pardonne ; elle est de bonne composition.Arlequin. Tout de bon, charitable dame ! Ah ! que mon amour vous promet de reconnaissance !Lisette. Touche là, Arlequin ; je suis prise pour dupe. Le soldat d’antichambre de monsieur vaut bien la coiffeuse de madame.Arlequin. La coiffeuse de madame !

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Lisette. C’est mon capitaine, ou l’équivalent.Arlequin. Masque !Lisette. Prends ta revanche.Arlequin. Mais voyez cette margotte, avec qui, depuis une heure, j’entre en confusion de ma misère!Lisette. Venons au fait. M’aimes-tu ?Arlequin. Pardi ! oui. En changeant de nom tu n’as pas changé de visage, et tu sais bien que nous nous sommes promis fidélité en dépit de toutes les fautes d’orthographe.Lisette. Va, le mal n’est pas grand, consolons-nous ; ne faisons semblant de rien, et n’apprêtons point à rire. Il y a apparence que ton maître est encore dans l’erreur à l’égard de ma maîtresse ; ne l’avertis de rien ; laissons les choses comme elles sont. Je crois que le voici qui entre. Monsieur, je suis votre servante.Arlequin. Et moi votre valet, madame. (Riant.) Ah ! ah ! ah !

LA16 Beaumarchais, le Barbier de Séville, IV6, 1772

LE COMTE, ROSINE, FIGARO.(Figaro allume toutes les bougies qui sont sur la table.)

Le Comte. La voici. — Ma belle Rosine !…Rosine, d’un ton très compassé. Je commençais, monsieur, à craindre que vous ne vinssiez pas.Le Comte. Charmante inquiétude !… Mademoiselle, il ne me convient point d’abuser des circonstances pour vous proposer de partager le sort d’un infortuné ! mais, quelque asile que vous choisissiez, je jure sur mon honneur…Rosine. Monsieur, si le don de ma main n’avait pas dû suivre à l’instant celui de mon cœur, vous ne seriez pas ici. Que la nécessité justifie à vos yeux ce que cette entrevue a d’irrégulier !Le Comte. Vous, Rosine ! la compagne d’un malheureux ! sans fortune, sans naissance !…Rosine. La naissance, la fortune ! Laissons là les jeux du hasard ; et si vous m’assurez que vos intentions sont pures…Le Comte, à ses pieds. Ah ! Rosine ! je vous adore !…Rosine, indignée. Arrêtez, malheureux !… vous osez profaner… Tu m’adores !… va, tu n’es plus dangereux pour moi : j’attendais ce mot pour te détester. Mais, avant de t’abandonner au remords qui t’attend (en

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pleurant), apprends que je t’aimais, apprends que je faisais mon bonheur de partager ton mauvais sort. Misérable Lindor ! j’allais tout quitter pour te suivre. Mais le lâche abus que tu as fait de mes bontés, et l’indignité de cet affreux comte Almaviva, à qui tu me vendais, ont fait rentrer dans mes mains ce témoignage de ma faiblesse. Connais-tu cette lettre ?Le Comte, vivement. Que votre tuteur vous a remise ?Rosine, fièrement. Oui, je lui en ai l’obligation.Le Comte. Dieux, que je suis heureux ! Il la tient de moi. Dans mon embarras, hier, je m’en suis servi pour arracher sa confiance ; et je n’ai pu trouver l’instant de vous en informer. Ah, Rosine ! il est donc vrai que vous m’aimez véritablement !Figaro. Monseigneur, vous cherchiez une femme qui vous aimât pour vous-même…Rosine. Monseigneur !… Que dit-il ?Le Comte, jetant son large manteau, paraît en habit magnifique. Ô la plus aimée des femmes ! il n’est plus temps de vous abuser : l’heureux homme que vous voyez à vos pieds n’est point Lindor ; je suis le comte Almaviva, qui meurt d’amour, et vous cherche en vain depuis six mois.Rosine tombe dans les bras du comte. Ah !…Le Comte, effrayé. Figaro ?Figaro. Point d’inquiétude, monseigneur ; la douce émotion de la joie n’a jamais de suites fâcheuses : la voilà, la voilà qui reprend ses sens. Morbleu ! qu’elle est belle !Rosine. Ah, Lindor !… ah ! monsieur ! que je suis coupable ! j’allais me donner cette nuit même à mon tuteur.Le Comte. Vous, Rosine !Rosine. Ne voyez que ma punition ! J’aurais passé ma vie à vous détester. Ah, Lindor, le plus affreux supplice n’est-il pas de haïr, quand on sent qu’on est faite pour aimer ?Figaro, regarde à la fenêtre. Monseigneur, le retour est fermé ; l’échelle est enlevée.Le Comte. Enlevée !Rosine, troublée. Oui, c’est moi… c’est le docteur. Voilà le fruit de ma crédulité. Il m’a trompée. J’ai tout avoué, tout trahi : il sait que vous êtes ici, et va venir avec main-forte.Figaro regarde encore. Monseigneur, on ouvre la porte de la rue.Rosine, courant dans les bras du comte avec frayeur. Ah, Lindor !…Le Comte, avec fermeté. Rosine, vous m’aimez ! Je ne crains personne ; et vous serez ma femme. J’aurai donc le plaisir de punir à mon gré l’odieux vieillard !…

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Rosine. Non, non, grâce pour lui, cher Lindor ! Mon cœur est si plein, que la vengeance ne peut y trouver place.

LECTURE CURSIVE

LC14, Lesage, Turcaret, III 13, 1709

Frontin, Lisette Frontin. Cela ne commence pas mal. Lisette. Non, pour madame la baronne ; mais pour nous ? Frontin, lui remettant la bourse. Voilà déjà soixante pistoles que nous pouvons garder : je les gagnerai bien sur réquipage ; serre-les : ce sont les premiers fondements de notre communauté. Lisette. Oui ; mais il faut prpmptement bâtir sur ces fondements-là, car je fais des réflexions morales, je t'en avertis. Frontin. Peut-on les savoir? Lisette. Je m'ennuie d'être soubrette. Frontin. Comment, diable ? tu deviens ambitieuse ? Lisette. Oui, mon enfant. Il faut que l'air qu'on respire dans une maison fréquentée par un financier soit contraire à la modestie; car, depuis le peu de temps que j'y suis, il me vient des idées de grandeur que je n'ai jamais eues. Hâte-toi d'amasser du bien ; autrement, quelque engagement que nous ayons ensemble, le premier riche faquin qui se présentera pour m'épouser. . . Frontin. Mais donne-moi donc le tem'ps de m'enrichir. Lisette. Je te donne trois ans : c'est assez pour un homme d'esprit. Frontin. Je ne te demande pas davantage. C'est assez, ma princesse ; je vais ne rien épargner pour vous mériter; et si je manque d'y réussir, ce ne sera pas faute d'attention.

SCÈNE XIV Lisette, seule Je ne saurais m'empêcher d'aimer ce Frontin; c'est mon chevalier, à moi ; et, au train que je lui vois prendre, j'ai un secret pressentiment qu'avec ce garçon-là je deviendrai quelque jour femme de qualité.

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HISTOIRE DES ARTS

HdA8 Watteau, la proposition embarrassante, 1716

HdA9 Fragonard, le Verrou, 1777

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Séquence 6 majeure : Baudelaire, les Fleurs du Mal, 1857

POÉ SIE ET QUÊTE DU SENS

- Comment Baudelaire décrit-il son désespoir ?- En quoi la forme poétique permet-elle l’expression frappante

du spleen ?- En quoi la poésie est-elle une forme de résistance ?

LECTURES ANALYTIQUESLA17 Le Vin de l'assassinLA18 La fontaine de sangLA19 L'HéautontimorouménosLA20 Le mort joyeux

LECTURES CURSIVESLC15 La vie antérieureLC16 La BeautéLC17 Correspondances

HISTOIRE DES ARTSHdA10 Goya, Saturne dévorant ses enfants, 1823HdA11 Courbet, Enterrement à Ornans, 1850HdA12 Spillaert, Autoportrait au miroir, 1908

LANGUES ET CULTURE DE L’ANTIQUITÉ

LCA5 Platon, République VII, l’Allégorie de la Caverne

LECTURES ANALYTIQUES

LA17 Le Vin de l'assassin

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Ma femme est morte, je suis libre!Je puis donc boire tout mon soûl.Lorsque je rentrais sans un sou,Ses cris me déchiraient la fibre.

Autant qu'un roi je suis heureux;L'air est pur, le ciel admirable...Nous avions un été semblableLorsque j'en devins amoureux!

L'horrible soif qui me déchireAurait besoin pour s'assouvirD'autant de vin qu'en peut tenirSon tombeau; — ce n'est pas peu dire:

Je l'ai jetée au fond d'un puits,Et j'ai même poussé sur elleTous les pavés de la margelle.— Je l'oublierai si je le puis!

Au nom des serments de tendresse,Dont rien ne peut nous délier,Et pour nous réconcilierComme au beau temps de notre ivresse,

J'implorai d'elle un rendez-vous,Le soir, sur une route obscure.Elle y vint — folle créature!Nous sommes tous plus ou moins fous!

Elle était encore jolie,Quoique bien fatiguée! et moi,

Je l'aimais trop! voilà pourquoiJe lui dis: Sors de cette vie!

Nul ne peut me comprendre. Un seulParmi ces ivrognes stupidesSongea-t-il dans ses nuits morbidesÀ faire du vin un linceul?

Cette crapule invulnérableComme les machines de ferJamais, ni l'été ni l'hiver,N'a connu l'amour véritable,

Avec ses noirs enchantements,Son cortège infernal d'alarmes,Ses fioles de poison, ses larmes,Ses bruits de chaîne et d'ossements!

— Me voilà libre et solitaire!Je serai ce soir ivre mort;Alors, sans peur et sans remords,Je me coucherai sur la terre,

Et je dormirai comme un chien!Le chariot aux lourdes rouesChargé de pierres et de boues,Le wagon enragé peut bien

Ecraser ma tête coupableOu me couper par le milieu,Je m'en moque comme de Dieu,Du Diable ou de la Sainte Table!

LA18 La fontaine de sang

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Il me semble parfois que mon sang coule à flots,Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots.Je l'entends bien qui coule avec un long murmure,Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

A travers la cité, comme dans un champ clos,Il s'en va, transformant les pavés en îlots,Désaltérant la soif de chaque créature,Et partout colorant en rouge la nature.

J'ai demandé souvent à des vins captieuxD'endormir pour un jour la terreur qui me mine ;Le vin rend l'œil plus clair et l'oreille plus fine !

J'ai cherché dans l'amour un sommeil oublieux ;Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguillesFait pour donner à boire à ces cruelles filles !

LA19 L'Héautontimorouménos

À J.G.F.

Je te frapperai sans colèreEt sans haine, comme un boucher,Comme Moïse le rocherEt je ferai de ta paupière,

Pour abreuver mon SaharahJaillir les eaux de la souffrance.Mon désir gonflé d'espéranceSur tes pleurs salés nagera

Comme un vaisseau qui prend le large,Et dans mon cœur qu'ils soûlerontTes chers sanglots retentirontComme un tambour qui bat la charge!

Ne suis-je pas un faux accordDans la divine symphonie,Grâce à la vorace IronieQui me secoue et qui me mord

Elle est dans ma voix, la criarde!C'est tout mon sang ce poison noir!Je suis le sinistre miroirOù la mégère se regarde.

Je suis la plaie et le couteau!Je suis le soufflet et la joue!Je suis les membres et la roue,Et la victime et le bourreau!

Je suis de mon cœur le vampire,— Un de ces grands abandonnésAu rire éternel condamnésEt qui ne peuvent plus sourire!

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LA20 Le mort joyeux

Dans une terre grasse et pleine d'escargotsJe veux creuser moi-même une fosse profonde,Où je puisse à loisir étaler mes vieux osEt dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde,

Je hais les testaments et je hais les tombeaux ;Plutôt que d'implorer une larme du monde,Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeauxA saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.

Ô vers ! noirs compagnons sans oreille et sans yeux,Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ;Philosophes viveurs, fils de la pourriture,

A travers ma ruine allez donc sans remords,Et dites-moi s'il est encor quelque torturePour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts !

LECTURES CURSIVES

LC15 La vie antérieure

J'ai longtemps habité sous de vastes portiquesQue les soleils marins teignaient de mille feuxEt que leurs grands piliers, droits et majestueux,Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieux,Mêlaient d'une façon solennelle et mystiqueLes tout-puissants accords de leur riche musiqueAux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeursEt des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,

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Et dont l'unique soin était d'approfondirLe secret douloureux qui me faisait languir.

LC16 La Beauté

Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,Est fait pour inspirer au poète un amourEternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris;J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes;Je hais le mouvement qui déplace les lignes,Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,Consumeront leurs jours en d'austères études;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!

LC17 Correspondances

La Nature est un temple où de vivants piliersLaissent parfois sortir de confuses paroles;L'homme y passe à travers des forêts de symbolesQui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondentDans une ténébreuse et profonde unité,Vaste comme la nuit et comme la clarté,Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,— Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,Qui chantent les transports de l'esprit et des sens

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HISTOIRE DES ARTS

HdA10 Goya, Saturne dévorant ses enfants, 1823

HdA11 Courbet, Enterrement à Ornans, 1850

HdA12 Spillaert, Autoportrait au miroir, 1908

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LANGUES ET CULTURE DE L’ANTIQUITÉ

LCA5 Platon, République VII, l’Allégorie de la Caverne (IVème Siècle avant JC)

– Maintenant, repris-je, représente-toi, de la façon que voici, l’état de notre nature, relativement à l’instruction et à l’ignorance. Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu’ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête; la lumière leur vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles.– Je vois cela, dit-il.– Figure-toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, et des statuettes d’hommes et d’animaux, en pierre, en bois, et en toute espèce de matière ; naturellement, parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent.– Voilà, s’écria-t-il, un étrange tableau et d’étranges prisonniers.– Ils nous ressemblent, répondis-je; et d’abord, penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d’eux-mêmes et de leurs

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voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face?– Et comment? observa-t-il, s’ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie?– Et pour les objets qui défilent, n’en est-il pas de même?– Sans contredit.– Si donc ils pouvaient s’entretenir ensemble ne penses-tu pas qu’ils prendraient pour des objets réels les ombres qu’ils verraient ?– Il y a nécessité.– Et si la paroi du fond de la prison avait un écho, chaque fois que l’un des porteurs parlerait, croiraient-ils entendre autre chose que l’ombre qui passerait devant eux?– Non, par Zeus, dit-il.– Assurément, repris-je, de tels hommes n’attribueront de réalité qu’aux ombres des objets fabriqués.

 

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ContentsSéquence 1 mineure, la poésie................................................................................................1

LECTURES ANALYTIQUES....................................................................................................1

LECTURES CURSIVES............................................................................................................3

HISTOIRE DES ARTS...............................................................................................................6

Séquence 2 majeure, l’Etranger, Camus, 1942..................................................................7

LECTURES ANALYTIQUES....................................................................................................7

LECTURES CURSIVES...........................................................................................................10

HISTOIRE DES ARTS.............................................................................................................15

Séquence 3 majeure, Lorenzaccio, Musset, 1832............................................................16

LECTURES ANALYTIQUES..................................................................................................16

LECTURES CURSIVES...........................................................................................................20

HISTOIRE DES ARTS.............................................................................................................25

LANGUES ET CULTURE DE L’ANTIQUITÉ...................................................................27

Séquence 4 majeure, l’argumentation................................................................................31

LECTURES ANALYTIQUES..................................................................................................31

LECTURE CURSIVE................................................................................................................35

HISTOIRE DES ARTS.............................................................................................................38

Séquence 5 mineure : le valet de comédie.........................................................................40

LECTURES ANALYTIQUES..................................................................................................40

LECTURE CURSIVE................................................................................................................43

HISTOIRE DES ARTS.............................................................................................................45

Séquence 6 majeure : Baudelaire, les Fleurs du Mal, 1857.........................................46

LECTURES ANALYTIQUES..................................................................................................46

LECTURES CURSIVES...........................................................................................................49

HISTOIRE DES ARTS.............................................................................................................51

LANGUES ET CULTURE DE L’ANTIQUITÉ...................................................................52

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