S Q U A T T

PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS DU CENTRE NATIONAL DES LETTRES

rien ou des bribes que Fifille arrange au petit bon- heur dans sa tête tandis que des hommes divers lui confient tel un trésor leurs illusions / Fifille pendant leurs discours restait calme même glacée mais capa- ble de séduction / ce n'est que plus tard qu'elle aban- donna la débauche qui va de soi pour celle qu'on ne peut pas dire

UN HOMME

les derniers instants du Bouclé : après des journées et des nuits sans penser à rien sans crier (presque sans bouger) le souvenir d'une remarque de sa mère le visage du dernier enfant qu'il a vu l'amène à se muti- ner sans motif et bientôt à faire la belle en prenant un garde en otage c'est alors que la fin arrive très vite quelque chose de vif d'enlevé tireurs sur le toit som- mations course dans la nuit et puis (une détonation) un coup de pistol dans le chef: le voilà couché dans le gris sur le pavé gris dans le temps qui passe à l'envers pau- vre enfant quarante ans vingt ans quatorze ans et déjà la mort qui pointait bonne fille sous les embûches d'abord illusions et terreurs puis indifférence puis rien quel progrès le cours d'une vie on apprend à ne plus trembler que de froid on marchande la sérénité pendant des lustres on se prépare à la payer de sa per- sonne et on l'acquiert au bout du compte pour le prix d'un lopin de boue du volume exact de son corps du volume exact de son corps

UNE FEMME

au m o m e n t de rendre son âme on assure que le crimi- nel eut un sourire (je le crois): il se souleva sur un

genou et clama au-dessus des mugissements

LE BOUCLÉ

moi aussi je l 'aurais aimée vous savez / moi aussi je l 'aurais aimée / moi aussi je l 'aurais / moi aussi je l 'au / moi aussi je / moi aussi / moi moi moi moi moi moi moi

( musique)

FIFILLE

dernière photographie de nous autres avant oubli: c'était à la fin de l 'hiver vers la fin du siècle un après- midi presque un soir alors que la neige tombai t depuis le matin dans la cour une neige grise mouillée qui ne tenait pas sur le sol et n'effaçait rien n'effaçait rien / tout le j ou r je l'avais fait pour de l 'argent - et voilà qu 'en me rhabillant j 'aperçois un journa l plié qu 'un client avait fait t omber de sa poche / le Bouclé se trouvait en première page et sous la photo on disait pourquoi on l 'avait abattu et commen t et qui il était pauvre petit corps vieux bambin grand frère m o n roi! maintenant le j ou r descendait derrière la vitre salie la neige tombai t lentement je n 'entendais plus les pigeons ni aucun des bruits du dehors je pris tout l 'argent que j 'avais je laissai le squatt en l 'état et

descendis sur le boul. Poiss. vers Bonne-Nouvelle (bonne nouvelle!) je pensais que le Bouclé s'était évadé pour moi seule et que désormais c'était moi qui allais être libre pour lui / déjà je croyais entendre sa voix de loin en loin comme dans un ciel gris de neige le cri d'un oiseau qui passait et qu'on n'a pas vu