Spencer Dumarque, quatrième duc de Morland,...

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Spencer Dumarque, quatrième duc de Morland, séduisant et solitaire éleveur dechevaux,estmembreduStudClub,uneorganisationsisélectequ'ellenecomptequedixmembres -mais dont n'importe qui peut faire partie, avec de la chance.Et de lachance, Spencer en a à revendre, ainsi qu'une obsession pour un cheval de prix, unsombre secret et, désormais, une réputation sous le fringant surnom de "Duc deminuit".Touteslesnuitsilchoisitunedamepourdanserunevalsedeminuitàcouperlesouffle.Maisaucuned'ellesn'aretenusonintérêt,etpersonnenel'emportejamaissurle duc -jusqu'à ce que Lady Amelia d'Orsay tente sa chance. Dans un moment dedésespoir, elle revendique la danse auprès du duc et vole son cœur sans le savoir.Quand Amelia demande à Spencer d'effacer les dettes de son vaurien de frère, ellen'imagine pas que leurs joutes verbales mèneront à une passion haletante et uneproposition torride.Néanmoins,Spencer resteunhommemystérieux,peut-être liéaumeurtrescandaleuxdufondateurduStudClub.Ameliaperdra-t-ellesoncœurdanscetémérairepari,ouygagnera-t-ellel'amouréternel?

1.

Londres,juin1817

Unglaçageàlamûre.

Ameliad'Orsayréprimaunpetitcridejubilation-lasalleétaitcertescomble,maisellenetenait pas à attirer l'attention. Elle ne voulait pas avoir à se justifier auprès de toutes cesjeunesfemmes.D'autantquelacausedesonallégressen'étaitàimputerniàunjeudecartes

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chanceux ni même à une demande en mariage. En réalité, elle venait de fignolermentalementlemenud'undîner.

Elleimaginaitd'avancelescommentairesdesesamies.

— Lady Amelia, il n'y a que vous pour songer à des recettes de cuisine en unmomentpareil!

À vrai dire, cela faisait des semaines quelle se triturait les méninges pour trouvercommentagrémenterlefaisanbraisésanspasserparlatraditionnelleréductionàl'eau-de-viedepomme.Elleavaitenfinsaréponse !Unglaçageà lamûre.Relevédequelquesclousdegirofle,peut-être.

Voilà qui était réglé. Elle inscrirait plus tard la variante dans son cahier de recettes.Dissimulant son enthousiasme, elle se contenta d'afficher un demi-sourire. Leur été àBriarbanks'annonçaitofficiellementparfait!

MmeBunscombepassaenlafrôlantdansunfroufroudesoieécarlate.

—23h30,fredonnaleurhôtesse.Bientôtminuit.

Bientôtminuit.Àcettepensée,l'enthousiasmed’Ameliaretomba.

Unedébutanteauvisaged'angeluiagrippalepoignet.

—Ilvaapparaîtred'uninstantàl'autre.Commentfaites-vouspourrestersicalme?Sicesoir,ilmechoisit,jerisquedefaireunmalaise.

Amelialâchaunsoupir.Etc'étaitreparti.Commeàchaquebal,àpartirde23h30.

—Entoutcas,inutiledechercheràluifairelaconversation,intervintunejeunefemmevêtued'unerobedesatinvert.C'estàpeines'ilouvrelabouche.

— C'estàsedemanders'ilparlenotrelangue.Nedit-onpasqu'ilagrandienAbyssinieou...

— AuBas-Canada, rectifia unedeuxième fille enbaissant la voix.Bien sûr qu'il parlenotrelangue!Monfrèrejoueauxcartesaveclui.Ildégagenéanmoinsquelquechosed'assezprimitif,vousnetrouvezpas?C'estpeut-êtresadémarche.

—Oubiencesonttouscesragotsquivousmontentàlatête,suggéraAmelianonsansbonsens.

—C'estunmerveilleuxdanseur,renchéritunetroisièmefille.Lorsquenousavonsvalsé,j'aieul'impressiondeflotter.Etilestaussibeaudeprèsquedeloin.

Amelialuiadressaunsourirepatient.

Al'ouverturedelasaison,leducdeMorland,unourssolitaireplusrichequeCrésus,avaitfiniparsemontrerensociété.Apeinequelquessemainesplustard,ilavaittoutLondresàsespieds.Achaquebal,leducapparaissaitauxdouzecoupsdeminuit.Iljetaitalorssondévolusurunejeunefemme.Maisaprèsquelquesdanses,ilescortaitsapartenairejusqu'àlasalleà

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mangeret...disparaissait.

Moins de deux semaines après sa première apparition, les journaux l'avaient déjàsurnomméle«DucdeMinuit»,etonse l’arrachaitàtoutes lessoirées.Lesjeunesfillesàmarier n'acceptaient aucune danse avant le dîner de peur de rater une occasion de danseravec le duc. Pour couronner le tout, les hôtesses plaçaient unehorloge enun endroit bienvisibleetdonnaientpourconsigneàl'orchestred'entonnerlequadrilleàminuitpile.Inutiledepréciserquelefinalconsistaitenunevalselentedesplusromantiques.

Lespectacle tenait tout lebeaumondeenhaleine.Àchaquebal,à l'approchedeminuit,les spéculationsallaientbon train.C'était commecontemplerdes chevaliersduMoyenÂgetenterd'extraireExcaliburdurocher.Lesragotspullulaient.Unsoir,pensait-on,unetimideingénue parviendrait à mettre le grappin sur le célibataire récalcitrant, donnant ainsinaissanceàunelégende.

— Onracontequ'ilavécucommeunesauvageenpleinenature, fit lapremière jeunefille.

— Ilparaîtqu’ilétaitàpeineciviliséquandsononcle l'a recueilli,ajouta ladeuxième.Apparemment, le comportement de sauvageon de son neveu aurait achevé le vieux duc. Ilauraitsuccombéàunecrised'apoplexie.

Lajeunefemmeenvertmurmuraàsontour:

— Mon frère m'a rapporté qu'il y avait eu un « incident » à Eton. Une espèce dequerelle... je ne sais pas précisément. Quoi qu'il en soit, un élève aurait failli mourir, etMorlandauraitétéexpulsépourcetteraison.Pourque l'onrenvoie l'héritierd'unduc,c'estquel'affaireétaitgrave.

—Vousnecroirezjamaiscequej'aientendudire,intervintAmelia.Ilsembleraitque,lesnuitsdepleinelune,leducsechangeenhérisson.

Unefoislesriresdissipés,elleajouta:

—Franchement,jenecomprendspasl'intérêtqu'ilsuscite.

—Vousnediriezpascelasivousaviezdanséaveclui.

Ameliasecoualatête.Elleavaitassistéà lamêmescèneaucoursdessemainespassées,nonsansamusement.Cependant,jamaisellen'avaitsongé-nimêmedésiré-enfairepartie.Ce n'était pas de l’amertume, loin de là. Mais alors que la plupart des jeunes femmes yvoyaient une romance fascinante, Amelia considérait ce numéro comme un mélodramecomplaisant. Un duc riche, beau et célibataire cherchant à accaparer l'attention de la gentféminine.Cedevaitêtreunhommeincroyablementvain.

Quantàcellesqu'ilattrapaitdanssatoile-desjeunesfillesinsipides,depetitsmodèles,dejolisminois-,aucuneneressemblaitdeprèsoudeloinàAmelia.

Enfindecompte,peut-êtreéprouvait-elleunsoupçond'amertume.

Unefemmecélibatairen'était-ellepasendroitderevêtirlestatutdevieillefilleenpaix?

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Fallait-ilqu'àchaquebalonremuelecouteaudanslaplaie?Qu’elleassiste,exaspérée,àlamêmescène,dontelleétaitinéluctablementexclue?Àminuitleducapparaissait,etàminuitetuneminute,sonregardbalayaitlasallesanslavoirpourseposersurunejeunecoquette.

Il n'avait certes aucune raison de la remarquer. Sa dot frôlait à peine la mentionhonorable,etellen'avait jamaisétéd'unegrandebeauté,même lorsdesapremièresaison.Elleavait les yeuxunbrin tropclairs et le rouge luimontait trop facilementaux joues.Enoutre,àvingt-sixans,elles'étaitfaiteàl'idéequ’elleseraittoujourslégèrementtropronde.

Unevoixluiglissaaucreuxdel’oreille:

—Tuesravissante,Amelia.

Exhalantunsoupir,ellepivotaverssoninterlocuteur.

—Jack.Queveux-tu?

Ileutl'airoffusqué.

— Un homme ne peut-il pas faire un compliment à sa sœur préférée sans qu'on lesoupçonned'avoiruneidéederrièrelatête?

— Pas si l'homme en question n'est autre que toi. Du reste, inutile de chercher àm'amadoueravectescompliments.Jenesuispastasœurpréférée,jesuistonuniquesœur.Sic'estmaboursequit'intéresse,ilfaudrafairemieux.

Elle avait dit cela d'un ton léger et taquin, dans l'espoir, certes vain, qu'il réplique : «Détrompe-toi,Amelia,jenesuispasvenuquémanderdel’argent.Pascettefois.J'aicessédeboire,de joueretde fréquenterdesbonsà rien.J'aidécidéde retournerà l'universitépourentrer ensuite dans les ordres, comme je l'ai promis à notremère sur son lit demort. Enoutre,tuesvraimentravissantecesoir.»

Iljetauncoupd'œilautourdeluietbaissalavoix.

—Quelquesshillings,c'esttout.

Ellelaissaéchapperunsoupir.Iln'étaitpasencoreminuit,etdéjà,elledécelaitdanssonregardavinéuneflammequin'annonçaitriendebon.

Laissantlegroupedejeunesfemmesàleursbabillages,ellepritsonfrèreparlecoudeetl'entraîna sur la terrasse par la porte la plus proche. L'air nocturne les enveloppa, doux ethumide.

—Jen'airien,mentit-elle.

— Quelquesshillingspour le fiacre,Amelia, fit-ilensaisissant lepetit sacsuspenduàsonpoignet.Jevaisauthéâtreavecungrouped'amis.

«Authéâtre,monœil»,songea-t-elle.Dansunemaisondejeux,plusvraisemblablement.Elleserrasonréticulecontresapoitrine.

—Etcommentsuis-jecenséerentreràlamaison?

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—Ehbien,Morlandteraccompagnera,répliqua-t-ilavecunclind'œil.Justeaprèsvotrevalse.J'aimisédeuxlivressterlingsurtoi,cesoir.

Merveilleux !Deux livres supplémentairesqu'elle allait devoirdéduirede son argentdepochedéjàmaigre.

—Aunecoteformidable,j'imagine,grinça-t-elle.

—Nedispascela.

Toutàcoup,Jackparutétonnammentsincère.Illuicaressalebras.

— Il serait sacrément chanceux de t'avoir, Amelia. Il n'y a pas une seule femme quit’arriveàlachevilledanscettesalle.

Lesyeuxluipiquèrent.DepuislamortdeleurfrèreHugh,àWaterloo,Jackavaitchangé,etpasenbien.Ilarrivaittoutefoisqu'enderaresoccasions,lefrèresensibleetgentilqu'elleaimait refasse surface.Elle aurait tant aimé le ramener à elle etneplus le laisser repartir.Quelquessemaines,voirequelquesmois...aussilongtempsquenécessaire,pourlibérerJackdecettecarapacequineluiressemblaitpas.

—Allons,soisunegentillesœur,etprête-moiunecouronneoudeux.JemandateraiuncoursierchezLaurent.Ilt’enverrasonlandauflambantneuf.Tuserasreconduiteàlamaisonavectoutelaclasseetleraffinementdéployésparsonhéritièredeminesdecuivre.

— Elles'appelleWinifred.Elleestdésormais lacomtessedeBeauvale,et tuespriédeparlerd'elleavecunpeuplusderespect.C'estsonargentquinousapermisd'acheterl'officedeMichaeletdepayerlesétudesdeWilliam.C'estd’ailleursgrâceàelleetàLaurentquejenedorspassouslesponts.

—Quantàmoi,jesuislefrèreingrat,celuiquiattireladisgrâcesurlessiens.Jeconnaislamusique.

Sonvisagesefenditd'unsourireforcéquicontrastaitavecsonregardintransigeant.

—Pourquelquessousseulement,tuserasdébarrasséedemoi.

— Tunecomprendsdoncpas?Jeneveuxpasmedébarrasserdetoi.Aucontraire.Jet'aime, imbécile, fit-elle en lissant l'incorrigiblemèche rebelle qui bouclait toujours sur latempegauchedesonfrère.Laisse-moit'aider,Jack,jet'enprie.

—D’accord.Etsitucommençaisparmedonnerunshillingoudeux.

Elledénoualesliensdesonréticuleavecmaladresse.

—Jetedonneraitoutcequej’aisurmoi,àuneseulecondition.

—Laquelle?

—TudoismepromettredenousaccompagneràBriarbankcetété.

Depuistoujours,lesd’Orsaypassaientl’étédansunvieuxcottagesurlarivedelaWye,enbasd’unecollineoùsedressaientlesruinesduchâteaudeBeauvale.Ameliaplanifiaitcette

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escapadeestivaledanslesmoindresdétailsdepuisdesmois,jusqu’àlanappeendamasetlesgeléesdecassis.Elleenétaitpersuadée,Briarbankétaitlasolutionàtousleursproblèmes.Illefallait.

LamortdeHughavaitanéantilafamille,ettoutparticulièrementJack.Dansleurfratrie,cesdeux-làétaientinséparables.SiHughn’avaitqu’unandeplus,ilétaitbeaucoupplusmûrqueJack,etsasagesseavaittoujourscontrebalancél’impulsivitédecelui-ci.AmeliacraignaitqueJack,imprudentetinconsolable,désormaisprivédel’influencemodératricedeHugh,necouredroitàsaperte.

Cequ’illuifallait,c’étaitdutempspourcicatrisersesplaies.Dutempsloindelacapitale,chez luiauprèsdesa famille - enfincequ’il en restait. Ici, àLondres,Jackétait sanscessesoumis à la tentation, forcé de suivre le style de vie dispendieux de ses camarades. ÀBriarbank, il redeviendrait le jeune homme agréable qu'elle avait connu. Le petitWilliamprofiteraitdesvacancesscolairespour lesyretrouver.Michaelseraitencoreenmer,certes,maisLaurentetWinifredlesrejoindraientpourunesemaineoudeux.

EtAmeliaserait l'hôtesseparfaite.Demêmequesamèreavantelle.Elleornerait toutesles pièces de bouquets demufliers, organiserait des jeux de salon et cuisinerait un faisanglacéàlamûre.

Par laseuleforcedesavolonté,elles'arrangeraitpourrendretout lemondeheureux.Sinécessaire,elleétaitprêteàrecouriràlacorruption.

— J'aiunecouronneetsixshillingssurmoi,fit-elleensortantl'argentdesonréticule.Plussixlivresd'économiesàlamaison.

Unepetitesommequiavaitexigéd'ellemaintesprivations,etqu'elleavaitréuniepennyparpenny.

— Je te donne tout, à condition que tu me promettes de passer le mois d’août àBriarbank.

Jackémitunclaquementdelangue.

—Ilnet’ariendit?

—Qui?Medirequoi?

— Laurent.Nousn’ironspasaucottage cet été.Ladécisionaétéprise cette semaine.Nousallonslelouer.

—Lelouer?

Ameliaeutsoudainl’impressionquesesjambessedérobaientsouselle.Elleseretintaubrasdesonfrère.

—Briarbank?Loué?Adesinconnus?

— Pas vraiment à des inconnus. Nous avons fait circuler la nouvelle dans les clubsprivés.Nousattendonslesoffres.C'estuncottagedevacancesdepremierchoix,tusais.

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—Jelesais,oui.C'estunlieutellementidylliquequecelafaitdessièclesquelafamilled'Orsayypassel'été.Dessiècles,Jack.Pourquoidéciderdelelouertoutàcoup?

—Noussommestousunpeutropgrandspourtremperdesbiscuitsdanslethéetjoueràchat perché, tu ne crois pas ? Bon sang, Briarbank est ennuyeux comme la mort ! À mi-cheminentreLondresetl'Irlande,quiplusest.

—Briarbankennuyeux?Tun'espassérieux?Tuypassaisautrefoisdesétésentiers,àpêcherdanslarivièreetà...

Ellesepétrifia.

—Oh,non!s'exclama-t-elleenenfonçantlesdoigtsdanslebrasdesonfrère.Combienas-tuperdu?Combiendois-tu?

Jackétalaenfinsonjeu.

—Quatrecentslivres.

—Quatrecentslivres!Àqui?

—Morland.

—LeDucdeMin...s'écria-t-elleavantderavalerlafindusobriquetridicule.Maisiln'estpasencorelà,reprit-elle.Commentpeux-tudéjàluidevoirquatrecentslivres?

—C'estunedettequidatedeplusieursjours.Raisonpourlaquellejenepeuxpasrester.Il risque d'arriver à toutmoment. Je préfère ne pas le croiser tant que je neme suis pasacquittédemadette.

Amelialedévisagea.

—Jet'enprie,nemeregardepasaveccesyeux-là.Jem'entiraisplutôtbienjusqu'àcequeFaradaymisesonjeton.CequiaattiréMorlandànotretableetfaitgrimperlesparisenflèche.Morlands'estmisentêtederaflerlesdix,vois-tu.

—Lesdixquoi?Lesdixjetons?

—Oui,quoid'autre?Lesjetonssontinestimables,répliquaJackavecungestethéâtral.Allons,nemedispasquetun'enaspasentenduparler!Tuvisdanstabulle,d'accord,maisàcepoint!Ils'agitquandmêmeducercledegentlemenleplusélitistedeLondres.

Ameliasecontentadeclignerdesyeux.Ilajoutaavecempressement:

—LordHarcliffe.LechevalOsiris.Unétalon,dixjetonsdecuivre.Tuasentenduparlerduclub?Jenepeuxpasimaginerlecontraire!

—Navrée,maisjenecomprendspasuntraîtremotdecequeturacontes.Enbref,tuaspariénotremaisonfamilialecontreunvulgairejetondecuivre.Ettuasperdu.

— J'avaisdéjàmisédescentainesde livres, jenepouvaisplusreculer.Etmescartes...Amelia,jetejurequej'avaisunecombinaisonimbattable.

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—Apparemmentpas.

Ilhaussalesépaulesd'unairfataliste.

— Cequiestfaitestfait.Sij’avaisd’autresmoyensderéunirlasomme,jen’hésiteraispas.Désolédetedécevoir,maisnousnepourronspasalleràBriarbankl’étéprochain.

—Oui,mais...

Mais il faudrait attendre toute une année avant d’y retourner.OrDieu seul savait dansquelpétrinJackallaitréussiràsefourrerd’icilà.

—Ildoitbienexisteruneautresolution.DemandeàLaurentdeteprêterl’argent.

—Tusaistrèsbienqu’ilalesmainsliées.

Il n’avait pas tort. Leur frère aîné avait fait un mariage prudent, pour ne pas dire unsacrifice.Àl'époque,leurfamilleavaitdésespérémentbesoind’argent.C’estlàqueWinifredétaitapparue,sesbagagesbourrésàcraquerd’argentappartenantàsonpère,unmagnatdel'exploitationminière.Malheureusement, ces valises étaient également sanglées, et seul lebeau-père de Laurent pouvait lâcher du lest. Or jamais le vieillard ne consentirait à céderquatrecentslivrespourrembourserdesdettesdejeu.

—Jedoisfileravantl’arrivéedeMorland,répétaJack.Jesuissûrquetumecomprends.

Il dénoua les liens du réticule qui pendait au poignet d'Amelia. Lorsqu’il récupéra lespièces,ellelelaissafaire.Eneffet,ellecomprenait.Endépitdeleursproblèmespécuniaires,lesd’Orsayavaienttoujourseuunsensaigudel’honneur.

—J’espèrequecelateserviradeleçon,secontenta-t-ellededéclarerd’unevoixcalme.

Il sautapar-dessus leparapetde la terrasse.Faisantcliqueter lespiècesdanssamain, ilcommençaàs’éloigneràreculons.

—Tumeconnais,Amelia,jen’aijamaisétécapabledereteniruneseuleleçon.Jecopiaissurl’ardoisedeHugh.

Elleregardasonfrèresefondredansl'obscurité,lesbrasserréscontresapoitrine.

Quelcrueltourdudestin!Briarbanklouépourl'été!Toutlebonheurengrangédanscespierressacrifiéàdesinconnus.Touscesmenusetcespromenadesplanifiésenvain.Sanscecottage, la familled'Orsayn'avaitplusde lieude retrouvailles.Etdansunsens, ellen'avaitplusdefoyer.

C'estavecpeinequ'Ameliaavait finiparserésigneràsoncélibat.Cependant, lasolitudeétait supportable dès lors quelle pouvait passer l'été dans son vieux cottage. Ces quelquesmoisloindetoutluipermettaientdetenirlerestedel'année.

Cruelleironie!Enfindecompte,ellen'étaitpassidifférentedeJack.Elleavaitmisétoussesrêvessuruntasdepierres.Etmaintenant,ilneluirestaitplusrien.

Elleréprimaunfrisson.Lesorts’acharnaitcontreelle,réduisantsesespoirsànéantunà

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un.

Al'intérieur,lesdouzecoupsdeminuitretentirent.

—SaGrâce,leducdeMorland.

L'annoncedumajordomecoïncidaavecledouzièmecoup.Depuislesommetdel'escalier,Spencer regarda la foule se fendre en deux à l'instar d'une poire tropmûre. Au centre setenaient les jeunes filles célibataires.Pétrifiées, elles semblaient se recroqueviller sous sonregard.

Spencer détestait la foule. Surtout lorsqu'elle était constituée de prétentieux sur leurtrenteetun.Aufildessoirées, lacrèmede lasociété londonienneseréunissaitàsespiedspourlecontempleravecdesyeuxfascinés.C'étaitcomplètementabsurde.

Leursregardscraintifstrahissaientunecertainesuspicion.

Soit.Unepartdemystèreétaitparfoisunatout-surtoutauxcartes.C'étaituntalentqu'ilavaitcultivépendantdesannées.

Quant au reste - les messes basses, l'attitude soupçonneuse des gentlemen, le gesteinstinctifdesfemmesprotégeantleurscolliersàsonpassage-,toutcelasentaitlaméfianceàpleinnez.Qu'importe!Lefaitd’inspirerlacraintepouvaitaussiserévéleravantageux.

Non,cen’étaitpas tantcelaqui le faisaitdoucementrireque lasupplicationsilencieusequis'élevaitàchacunedesesapparitions.

Tenez,prenezl’unedemesfilles.

Bonsang,lefallait-ilvraiment?

Spencer descendit l’escalier, se préparant à endurer une demi-heure désagréable. S’ils'écoutait, ilretourneraitsur-le-champs’enterrerà lacampagnepourneplusjamaisavoiràassister à un seul bal de sa vie. Cependant, tant qu’il résiderait à Londres - et c’étaittemporaire -, il lui était impossible de refuser systématiquement les invitations. Plus quequelquesannéesavantqueClaudia, sapupille, fasse sesdébutsdans lemonde.S’il voulaitqu’ellecontracteunbonmariage,ilsedevaitdeluiouvrirlavoie.Enoutre,danslescoulissesdecessoiréesmondaines,despartiesdecartesintéressantesavaientlieudetempsàautre.

S’ilacceptaitd’apparaîtreauxbals,c’étaitselonsesconditions.Unquadrille,etpasplus.Uneconversationaussilimitéequepossible.Etpuisquelahautesociétéluioffraitsesviergesensacrifice,ceseraitluiquichoisiraitsaproie.

Cesoir,ildésiraitunepartenairetaciturne.

D’ordinaire, il jetait son dévolu sur des filles jeunes et insipides, plus désireuses deparader que de capter son attention.Dumoins jusqu’au bal Pryce-Foster, où il avait eu lemalheurdecommencerlasoiréeavecMlleFrancineWaterford.Untrèsjoliminois,l’œilfutéetleslèvrespleines.Aforcederemuer,ceslèvresavaienttoutefoisfiniparperdretoutleurcharme. Elle avait babillé du début à la fin du quadrille. Pire encore, elle avait voulu qu’il

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participeàlaconversation.

D'ordinaire, les femmes faisaient à la fois les questions et les réponses. Mais MlleWaterfordnel’entendaitpasainsi.Loindesecontenterdesesbrefshochementsdetêteetdesesraclementsdegorge,ellel’avaitforcéàarticulerunebonnedemi-douzainedemots.

C’était sapunitionpour s’être laisséguiderpardes considérationsesthétiques.Finis lesjolisminois.Cesoir,ilchoisiraitunepartenairedocileetsilencieuse,unefillequisefondaitdansledécor.Ilsefichaitqu'ellesoit jolie,voirepassable,dèslorsqu'ellegardait labouchefermée.

Quand il s’approcha de l’essaim de jeunes femmes, ses yeux se posèrent sur une frêlecréature enmargedugroupequi,dans sa robede satinmelon,paraissait avoir la jaunisse.Lorsqu’il s'avançaverselle,ellesecachaderrièresavoisine.Parfait :ellen'osaitmêmepascroisersonregard.

Iltendait lamainpourl'inviter lorsquesongestefutarrêtéparunesuccessiondebruitsinattendus. Une porte claqua. Des talons martelèrent énergiquement le sol à un rythmestaccato.

Instinctivement, Spencer pivota. Une femme plutôt jeune, drapée de bleu, traversait lapièce en ondulant du bassin.Elle vint se camper devant lui. Sa tentative d'invitation ayantavorté, il avait encore lamain tendueendirectiondeMlleSatinMelon.Lanouvelle venues'ensaisitfermement.

—Merci,milord,fit-elleavecunerévérencesuccincte.Ceseraunhonneur.

Aprèsunlongsilence,lespremièresnotess'élevèrent.

Déçues, les jeunes filles s'éparpillèrent au milieu des murmures, à la recherche d'uncavalier. Pour la première fois de la saison, Spencer se retrouvait avec unepartenaire qu'iln'avaitpaschoisie.C'étaitplutôtdéplaisant.

Mais il étaitprisaupiège.L'impertinentese rangeadans la ligneopposéepour ladansefolklorique.Iln'avaitpaslamoindreidéedequiétaitsacavalière.

Tandisque lesautresdanseursprenaientplace, ilenprofitapour l'examiner. Iln’yavaitpasgrand-choseàadmirer.Lepeudegrâcequ’elle aurait eu s’était évanoui avec savilainecourse à travers la piste.Desmèches folles flottaient sur son front, et elle avait le soufflecourt. Cette agitation ne mettait pas en valeur son teint. En revanche, elle accentuait lerenflementde sonopulentepoitrine.Envérité, soncorpsentierétait amplementdoté.Desformesgénéreusesquitendaientlasoiebleuedesarobe.

—Pardonnez-moi,fit-ilquandilsformèrentuneronde.Avons-nousétéprésentés?

— Une fois, il yadesannées.Riendemémorable, apparemment.Je suis ladyAmeliad’Orsay.

La figure les obligea à se séparer quelques instants, ce qui permit à Spencer de faire lepoint. Lady Amelia d’Orsay. Son défunt père était le septième comte de Beauvale. Ce quifaisaitdeLaurent,sonfrèreaîné,lehuitièmecomtedeBeauvale.

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Jack, son benjamin, n’était qu’un vaurien, un panier percé qui lui devait quatre centslivres.

Elleavaitsansdouteludanssespensées,car lorsqu’ils joignirentensuite lesmains,ellemurmura:

—Pasmaintenant.Nousenparleronspendantlavalse.

Ilgrommelaensilence.Lequadrillerisquaitd’êtretrèslong.Siseulementilavaitétéplusrapide; ilauraitattrapélamainde la filleà la jaunisse.Aprésentque ladyAmeliaavaiteul’audacedel’accaparer,quisaitdequoiseraientcapableslesautresjeunesfillespourobtenirsesfaveurs?

Ladansefolkloriques'acheva.Lavalsedébuta.Ilfutobligéd'enlacercellequivenaitdeluicompliquerinfinimentlavie.

Elleavaitaumoinsleméritedenepastournerautourdupot.

—Milord,permettez-moid'êtredirecte.Monfrèrevousdoitunegrossesommed'argent.

—Ilmedoitquatrecentslivres.

—Etnes’agit-ilpasd'unegrossesommeàvosyeux?

—Ils’agitd'unedettequim’estdue.Lemontantprécisestsansimportance.

— Paspourmoi.Vousn’êtespas sans savoirque lenomded’Orsayest synonymedepauvreté nobiliaire. Pour notre famille, quatre cents livres représentent une sommeastronomique.C'estsimple,nousn’endisposonspas.

—Avez-vousl’intentiondem’offrirvosfaveursenguisedepaiement?

Elleparutchoquée.

—Sachezquejenesuispasintéressé,ajouta-t-ilaussitôtd’untonsec.

C’étaitun légermensonge.Après tout,Spencerétaitunhommecomme lesautres.Et lafemmequ’ilavaitenfacedeluiétaitplantureuse,etmouléedansunerobeaffriolante.Ellepossédaitcertainsatoutsauxquels iln’étaitpasentièrementinsensible.Sonregards’égaraitsans cesse vers son décolleté gansé de dentelle. Il avait deviné un grain de beauté sur lacourbeintérieuredesonseingauche.Uneminusculeimperfectionqu’ilsesurpritàguigneràplusieursreprises.

—C’estuneinsinuationrévoltante,s’indigna-t-elle.Celavousarrivesouventdesoutirerlesfaveursdesprochesdevosdébiteurs?

Il haussa les épaules. Ce n’était pas dans ses habitudes, mais qu'elle pense ce qu'ellevoulait.Ilsemoquaitdefairebonneimpression.

—Commesij'allaistroquermesfaveurspourquatrecentslivres,enchaîna-t-elle.

—Nedisiez-vouspasquec'étaitunegrossesomme?

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«Unesommebientropélevéepourlesservicesproposés»,fut-iltentéd'ajouter.

—Certaineschosesn'ontpasdeprix,rétorqua-t-elle.

Ilfaillitrépliquerqu'ellesetrompait,maisseravisa.Detouteévidence,cettefemmeétaitdépourvuedelogique.Cequesaremarquesuivantenemanquapasdeconfirmer.

—Jevousdemanded’annulerladettedeJack.

—C'estabsolumenthorsdequestion.

—Vousnepouvezpasrefuser!

—Jevienspourtantdelefaire.

— Quatre cents livres, c'est unemisère pour vous.Voyons, vous n'en aviez pas aprèsl'argentdeJack. Il s'est retrouvéprisdans l’engrenagedesparis lorsquevousavezenchéri.Vous vouliez le jeton deM. Faraday.Maintenant que vous l’avez, oubliez lamise demonfrère.

—Non.

Ellepoussaunsoupirimpatient.Lacontrariétés’échappaitpartoussespores,semêlantauparfumnatureldesapeau.Envérité,ellesentaitbon.Pasunedecesessencesécœurantes- sansdoute trop onéreuses pour sesmaigresmoyens -, non, juste une odeur ordinaire desavonetdepropreté,agrémentéed'unetouchedelavande,dontelledevaitglisserdesbrinsdanssesarmoires.

Ellevrillasonregardbleuausien.

—Pourquoi?

Spencerréprimaàsontourunsoupird'exaspération.Ilauraitpuluiexpliquerqu'annulerla dette ne rendrait service ni à son frère ni à sa famille, qui lui serait alors bien plusredevable.Carlareconnaissanceestunedetteimpossibleàrembourser.Etpuis,qu’est-cequidissuaderaitJackderecommencer?Spencersedoutaitquequatrecentslivresreprésentaientune somme non négligeable pour les d’Orsay. Mais ils s’en relèveraient. Et si cette dettepouvait mettre un peu de plomb dans la cervelle de Jack d’Orsay, ce serait un boninvestissement.

Toutcela, ilauraitpu le luiexpliquer.Mais ilétait leducdeMorland.Ilavaitrenoncéàtantdechosespourcetitrequ’ilfallaitbienqu'ilentirequelquesavantages.Commeceluidenedevoird'explicationsàpersonne.

—Parcequejerefuse,rétorqua-t-ilsimplement.

Ellecrispalesmâchoires.

—Jevois.Etiln’yarienquipuissevousfairechangerd’avis?

—Non.

Lady Amelia frissonna. Il la sentit frémir sous sa main. Craignant qu’elle ne fonde en

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larmes-ceseraitlecomble!-,ill’attiraàluietlafittourbillonner.

Malgrésesefforts,lestremblementsredoublèrent.Depetitsgémissementss’échappèrentdeseslèvres.Ils'écartalégèrementpourexaminerlevisagedesacavalière.

Elleétaitentrainderire.

Soncœurs'emballa.«Calme-toi,monvieux»,s'exhorta-t-il.

—C'estvraicequel'onraconte:vousêtesunmerveilleuxdanseur.

Elle l'examinaaveccuriosité.Sonregardpartitdeson front,courut jusqu'àsamâchoire,pourseposerensuitesursabouche.

—Etvousêtesindéniablementbeaudeprès.

—Sivousespérezm'amadoueravecvosflatteries,sachezquevousperdezvotretemps.

—Non,protesta-t-elleavecunsourire.

Unefossettesecreusadanssajouedroite,maispasdanslagauche.

— Jevoisquevousêtesrésolu.Unvrairoc.Ceseraitpeineperduedechercheràvousfairechangerd'avis.

—Danscecas,pourquoiriez-vous?

Etpourquoiposait-ilcettequestion?sedemanda-t-il,agacé.Pourquoinelaissait-ilpaslesilenceretomberentreeux?

— Parceque jen'ai pas l'habitudedebouder.Vousn'avezpas l'intentiond’annuler ladettedemon frère.Parconséquent, soit jepasse le resteduquadrilleàpleurnicher, soit jechoisisdem’amuser.

—Devousamuser?

—Visiblement,cettenotionvouschoque.Certainspréfèrentavoirl'airmoroseentoutecompagniepourfairevaloirleursupériorité,observa-t-elleenluiadressantunregardappuyé.Ehbien,moi,jepréfèrem'amuser.Devrais-jeplutôtmelamentersurmonsort,autrementditsurmoncélibatetlaruinedemafamille?

—Celafrisel'hypocrisie.

— L'hypocrisie ? répéta-t-elle en riant.N'êtes-vouspas leducdeMorland,qui joue lamême scène soir après soir depuis des semaines en partant du principe que les femmescherchentdésespérémentàcaptervotreattention?Qu'unedanseavecleDucdeMinuitestunfantasmeuniversel?Etvousosezmetraiterd'hypocriteparcequemontourestvenuetquej'enprofite?

Ellelevalementonetparcourutlasalledebalduregard.

— Jeneme faispasd'illusions.Jesuis la filled'unnoble ruiné, sur lemarchédepuisdeuxsaisons,etjen'aijamaisétéd'unegrandebeauté.Ilm'arriverarementd'êtreaucentre

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de l'attention,milord. À la fin de cette valse, j'ignore si je connaîtrai de nouveau lamêmesensation.Alorsjesuisrésolueàenprofitertantqueceladure,conclut-elled'unairdedéfi.Etvousnem'enempêcherezpas.

Àcestade,Spencersongeaquec'étaitsansdoutelavalselapluslonguedetoutel'histoiredes bals. Détournant le regard, il l'entraîna sur toute la longueur de la piste de danse,s’efforçantd'ignorerlesdizainesdepairesd’yeuxbraquéssureux.Ilyavaitfoule,cesoir.

Quand il se risqua enfin à la regarder de nouveau, il découvrit que son visage étaittoujourslevéverslesien.

—Allez-vouscesserdemedévisager?

LesouriredeladyAmelianevacillapas.

— Oh,non! fit-elled’unevoixprofondequ'ilaurait interprétéecommeuneouverturesensuelle chez n’importe quelle autre femme. Ce n'est pas souvent qu’une célibataire telleque moi a l’occasion de danser avec un spécimen de premier choix. Ces yeux noisetteperçants,etcettesombrechevelurebouclée...J’aimeraisbeaucouplatoucher.

—Vousvousdonnezenspectacle.

— Mais c’est vous qui avez commencé,murmura-t-elle avecmodestie. Je ne fais quem’incruster.

Cettevalsenefinirait-elledoncjamais?

—Vousvouliezchangerdesujet?reprit-elle.Nouspourrionspeut-êtreparlerdethéâtre.

—Jenevaispasauthéâtre.

—Delivres,danscecas.

—Uneautrefois,marmonna-t-il.

En dépit de ses nombreux, très nombreux défauts, lady Amelia n’était pas dépourvued’esprit. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’en d’autres circonstances, il aurait aimédiscuterlittératureensacompagnie.Maispasdanscettesallebondée.

Lecontrôledelasituationluiéchappaitpeuàpeu,etcelalemitd’humeurmaussade.

—Voilàunregardquineprésageriendebon,fit-elleremarquer.Etvotrevisagevireaucramoisi. Je vais finir par croire toutes ces rumeurs effroyables qui circulent à votre sujet.Vousmedonneriezpresquelachairdepoule.

—Arrêtez.

—Jevousassure,protesta-t-elle.Voyezvous-même.

Elleinclinasoncoupâleetlisse.Cetteportiondepeaudouceetveloutée,d’oùémanaitunparfumdélicatementféminin,étaitdépourvuedegrainsdebeauté.

Spencersentitsonpoulss’accélérer. Il luiauraitvolontiers tordu lecou.Carcettepetite

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impertinenteméritaitunepunition.Elleavaitl’intentiondeprofiterdelasoiréeàsesdépens.

C'étaitprécisémentcetteattitudequiavaitperdusonfrèreàlatabledejeux.Acculé,Jackn’avait pas voulu abandonner. Il était resté, avait misé des centaines de livres qu'il nepossédaitpas.C'étaittypiqued'unefamilletellequelesd'Orsay-unelignéedepersonnalitésorgueilleusesetcourageuses,maisperpétuellementdésargentées.

LadyAmeliavoulaitlepousseràbout.Etelleapprochaitdangereusementdubut.

Spencers’arrêtabrutalementdedanser.Étrangement,lasallecontinuadetournerautourdelui.Bonsang,celan’allaitpasluiarriver!Pasici,pasmaintenant!

Mais les signes ne trompaient pas. Les pulsations de son cœur lui martelaient lestympans.Uneboufféedechaleurl’inonda.L’airdevintaussiépaisetinfectquedelamélasse.

Sapristi!Ilfallaitqu’ilquittecetendroitsur-le-champ.

—Pourquoinoussommes-nousarrêtés?s’étonna-t-elle.Lavalsen’estpasfinie.

Savoixsemblaitvenirdetrèsloin,commesiunépaisrideaulesséparait.

— Encequimeconcerne, la soiréeest terminée,décrétaSpencerenbalayant la salled’unregardtrouble.

Une série de portes se présenta sur sa gauche telle une promesse. Il tenta de lâcher sacavalière,maiselles’agrippaàlui.

—BonDieu,laissez-moi...

— Vous laisser quoi ?murmura-t-elle en jetant des coups d’œil furtifs autour d’eux.Vouslaisserpartir?Enm’abandonnanticisurlapistededanse,complètementhumiliée?Detouslesgoujats,mufles,malappris...

Àcourtd’expressions,ellelefusilladuregard.

—Iln'enestpasquestion.

—Commevousvoudrez.

Ilrefermalesmainssursatailleetlasouleva,cinq,dix,quinzecentimètresau-dessusdusol.Jusqu'àcequeleursregardssoientaumêmeniveau.Sespiedsflottaientdanslevide.

L’espace d’une seconde, il savoura la vision de ces grands yeux pâles écarquillésd'indignation.

Puisill’emporta.

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2.

Amelian’eutpasletempsdereprendresonsouffle.Ilsseretrouvèrentà l'endroitmêmeoù elle s'était disputée avec Jack, à peine une demi-heure plus tôt. Ce soir, le jardin desBunscombeétaittrèsfréquenté.

Illareposasansdouceursurlesol,etlevalamainpourcoupercourtauxreproches.

— Vous l'avez cherché, dit-il en s’appuyant contre une colonne en marbre tout endesserrantsacravate.Bonsang,quellechaleurétouffante!

Amelia vacilla quelques instants. Elle éprouvait unmélange de rage et d'euphorie. Ellen'était pas vraiment ce qu'on pouvait appeler un petit gabarit, mais il était encore pluscharpenté qu’elle. Lorsqu'il l'avait soulevée, elle avait senti ses muscles saillants sous sapaume.

Enleprovoquantouvertement,elleavaiteuconsciencedejoueraveclefeu.Maiselleétaitd'humeuràprendredesrisques.Jackavaitfilé,leurétéàBriarbankétaitàl'eau,sansparlerdu fait que ses dernières chances de faire un mariage convenable s'étaient sans doutevolatiliséesàlasecondeoùelleavaitaccostéleduc.Alorspourquoinepass’amuserunpeu?Ellen’avaitplusrienàperdre,niargentniréputation.OrMorlandétaitunhommericheetpuissant,etmystérieusementattirant.

Pourunefoisdanssavie,elleavaitosébraverlesrèglesdelabienséanceetavaittrouvél'expériencegrisante.

Quoiqu’ilensoit,elles'étaitattendueàtoutsaufàcela.Il l'avait littéralementenlevée!Ah,cessatanéesdébutantespouvaientbienrireàprésent!

— Etdirequejeprenaisvotredéfensequandonvoustraitaitdebarbare,commenta-t-elled'unairsongeur.

— Ahbon?grogna-t-il.Quecelavousservede leçon.Necherchezplusàmemettreàl'épreuve,carjefinistoujoursparavoirlederniermot-auxcartes,enaffaires,etdanstoutlereste.

Elleéclataderire.

—Vraiment?

—Oui,confirma-t-ilenglissantlesdoigtsdanssescheveux.Etce,parcequejepossèdeunequalitéquisemblefairecruellementdéfautàvotrefamille.

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—Degrâce,dites-moilaquelle!

—Jesaisquandlemomentestvenudetirermarévérence.

Elle le fixa longuementduregard.Sonprofilaristocratiquesedétachaitdans l'obscurité,éclairéparlalumières'échappantdelasalledebal.Avecsescheveuxbouclésetlemarbreentoiledefond,oneûtditledétaild'unefrisegréco-romaine.Unebeautéfigéedansl'éternité.

Pâlecommelamort.

—Vousvoussentezbien?s'inquiétaAmelia.

—Quatrecentslivres.

—Pardon?

Ilfermalesyeux.

—Quatrecentslivrespourquevousdéguerpissiezsur-le-champ.Unchèquedebanquevousseraportédanslamatinée.

Elle en demeuramuette de stupéfaction.Quatre cents livres. Elle n'avait qu'à s'en allerpourtoucherl'argent.LadettedeJack,envolée.L'étéàBriarbankdenouveauauprogramme.

— Changez le cours du destin de votre famille, lady Amelia. Apprenez à tirer votrerévérence.

Grandsdieux!Ilneplaisantaitpas.Quelleironie,songea-t-elle.Ilauraitrefusédepayerquatrecentslivresenéchangedesesfaveurs,maisiln’hésitaitpasuninstantàengagerladitesommepourvuqu’elledisparaissedesavue.Lemufle!C’étaitpourlemoinshumiliant.

Elle nota qu’il avait à présent le teint grisâtre. Et que son souffle s’était fait laborieux.Quantàlamain,qu’ilavaitposéesurleparapet,tremblait-ellevraimentouétait-celeclairdelunequiluijouaitdestours?

L’abandonner alors qu’il risquait de faire un malaise irait à l’encontre de tous sesprincipes.Elleauraitl’impressiondevendresaconsciencepourquatrecentslivres.

Orcertaineschosesn’avaientpasdeprix.

Ellefitquelquespasverslui.

—Franchement,vousn’avezpasl’airbiendutout.Laissez-moiallervouschercherde...

—Non.Jemesensparfaitementbien.

S’éloignantdelacolonne, ilsemitàarpenter laterrassetouteninhalant l’airfraisdelanuit.

— Monuniqueproblème, sivousvoulezvraiment le savoir, c’estune indiscrètevêtued’unerobebleuequimecolleauxbasques.

—Inutiledevousmontrergrossier.Jeveuxjustevousaider.

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—Maisjen’aipasbesoindevotreaide,rétorqua-t-ilenessuyantsonfrontmoitedesamanche.Jenesuispasmalade.

—Danscecaspourquoiêtes-voussipâle?contra-t-elle.Pourquoiunhommepréfère-t-ilmourirplutôtqued’accepterl’aided’unefemme?Etdegrâce,unducnepeut-ilpass'offrirunmouchoir?

Elledénoualeréticuleattachéàsonpoignet.Maintenantvidédesespièces,ilétaitsilégerquelleenavaitpresqueoubliésonexistence.Elledesserra les lienspourenextraire leseulaccessoirequ’ilcontenait:uncarrédetissuconfectionnéavecsoin.

Pendantquelquesinstants,ellecontemplalabroderiequ’elleavaitfinieàpeinequelquesjours plus tôt. Ses initiales, cousues de fil pourpre, entourées de feuilles de vigne et dequelquesvolutesdefougèresd'unvertunpeuplusclair.Suruncaprice,elleavaitajoutéuneminusculeabeillenoireetorprèsdusommetdelalettreA.

C’était sansdoute sonouvrage leplus réussi.Et elle allait ledonner à cethommepourqu’ils'épongelefront?

—Morland,fitunevoixsèchedebarytondansl’obscurité.

Elles’élevaunefoisencore,basse,dure.

—Morland,c’estbientoi?

Leducseraidit.

—Quivalà?

Un bruissement dans les buissons annonça l’approche de l’inconnu. Spontanément,Ameliaseprécipitaversleducetluifourrasonmouchoirdanslamain.Ilregardatouràtourlecarrédetissu,puislajeunefemme.

Ellehaussalesépaules.Peut-êtreétait-ceidiot...Simplement,issuecommeluid’unetrèsvieille famille de la noblesse, elle refusait de le laisser affronter un nouveau défi le frontdégoulinantde sueur, commeenproieà lamalaria, alorsqu’elle avait en sapossessionunmouchoirpropre.

—Merci,murmura-t-il.

Ils’essuyalefrontàlahâteetglissal’étoffedanslapochedesaveste.Aumêmeinstant,non pas un mais deux hommes émergèrent d’une haie et franchirent le parapet. Le ducs’interposaentreeuxetAmelia,quitrouvalegestefortchevaleresque.Elleneregrettapasdeluiavoirdonnésonmouchoir.

Lesdeuxhommesprirentsoinderesterendehorsdurectangledelumièreprovenantdelasalle,desortequ'Amelianeputdiscernerleurstraits.Ellenedistinguaqueleurssilhouettes:l'uneélégante,l'autreimpressionnante.

—Morland,c'estmoi,Bellamy,ditl'élégant.InutiledeteprésenterAshworth,ajouta-t-ilenindiquantlegéantàsescôtés.

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Leducsecrispa.

—Eneffet.Noussommesdevieillesconnaissances.N’est-cepas,Rhys?

Lecolosseneréponditpas.

— Nous attendions patiemment que tu t’éclipses du bal, reprit Bellamy. Mais nousn'avonsplusletemps.Tudoisnousaccompagnersanstarder.

—Vousaccompagner?Pourquoi?

—Nousteledironsenvoiture.

—Dites-le-moimaintenant.Etjeverraisijevousaccompagne.

—C'estenrapportavecleclub,précisaBellamy.

Ils'avançadanslalumière.Ameliacompritpourquoilenomluiavaitsembléfamilier.Elleconnaissait ce visage.Et commentoublier cette tignasse savamment ébouriffée ?C'était cedémon, le meneur du cercle très exclusif de jeunes dandys que Jack désirait ardemmentrejoindre,etparlafauteduquelilavaitperduquatrecentslivres.Bellamyétait-ilégalementimpliquédanscetteabsurdehistoiredejetons?

—Leclub?répétaMorland.TuparlesduStudClub[1]?

Amelia ne put s'empêcher de s'esclaffer. Le club des étalons ! Ah, les hommes et leursassociationsridicules!

— Oui, nous convoquonsune réunion extraordinaire, expliquaBellamy.Et comme tureprésentesdésormaissoixante-dixpourcentdesmembres,taprésenceestrequise.

— Il s'agit d’Osiris ? s'enquit le duc, la mine soudain grave. Si jamais il est arrivémalheuràcecheval,je...

LegéantdénomméAshworthsortitenfindesonmutisme.

—Cen'estpaslecheval.C’estHarcliffe:ilestmort.

Leventred'Ameliasenoua.

—Diantre,Ashworth!s'écriaBellamy.Tunevoispasqu'ilyaunefemme.

— Harcliffe ? répéta-t-elle. Mort ? Vous voulez dire Leopold Chatwick, marquis deHarcliffe?

Autrementdit,legarçonquiavaitgrandiàunedemi-journéeàchevaldeBeauvaleCastleetquiavaitétéàl'écoleavecsesfrèresaînés?Cejeunehommeaffableauxbouclesblondeset aux traits fins, admiré de tous, qui avait eu la gentillesse de l'inviter lors de son toutpremier bal ? Et pas à un seul quadrille - comme l'aurait exigé l'amitié -, mais à deuxquadrillesentiers?

—C'estimpossible!Ilnes’agitquandmêmepasdeLéo?

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Bellamys'avançadequelquespas.

—Jesuisnavré.

Ameliaportalamainàsabouche.

—MonDieu,pauvreLily!

—Vousconnaissezsasœur?

Ellehochalatête.

—Unpeu.

Seule personne présente à connaître les deux parties, le duc parut brusquement serappelersesdevoirs.

—LadyAmeliad'Orsay,jevousprésenteM.JulianBellamy.EtvoiciRhysSt.Maur,lordAshworth,ajouta-t-ilenserembrunissant.

— En d'autres circonstances, j’aurais été enchantée de faire votre connaissance, fitAmelia en inclinant la tête. Puis-je vous demander comment Lily fait face à cette terriblenouvelle?

—Ellen’estpasencoreaucourant,réponditBellamy.C’estd’ailleurspourcelaquenoussommesvenustetrouver,Morland.Entantquemembresduclub,nousavonsundevoir.

—Queldevoir?Quiadécrétécela?

— C’estdanslerèglement.LecodedebonneconduiteduStudClub.Comme,detouteévidence, seul le cheval t’intéresse, et non pas l’esprit fraternel qui règne au sein de cetteassociation,tun’assansdoutepasprislapeinedetepenchersurleditrèglement.

—Àvraidire,jen’enavaisjamaisentenduparler,rétorquaMorland.Ettoi,Ashworth?

Quoiquelecolossefûtdemeurédansl’obscurité,Amelialevitsecouerlatête.

—Ilyapourtantunrèglement,repritBellamyàboutdepatience.Etvousyêtesl’unetl’autre soumis sous peine de ne plus faire partie du club. À présent, suivez-moi. Tous lesdeux.NousdevonsinformerLilydudécèsdesonfrère.

—Uneseconde,intervintAmelia.Jevousaccompagne.

—Non,protestèrentlestroishommesàl’unisson.

Ilssedévisagèrent,commesurprisd’êtred’accord.

—Si,insista-t-elle.Jeviens.Lilyaperdusesdeuxparents.Léoétaitlaseulefamillequiluirestaitsijenem’abuse.

—Eneffet,admitBellamy.Malheureusement.

— Ehbien, solidarité féminineoblige, jenevous laisseraipaspiétiner lecœurdeLilyavec votre délicatesse de pachydermes. Ce soir, elle va apprendre que son frère unique est

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mort.Ellevaavoirbesoind’uneépaulesurlaquellepleurer.Iln’estpasquestiondelalaisseraffronter cetteépreuve seule,pendantquevous trois, grosballots, vousvousdisputerezausujetdevotrestupideclubetdesonstupidecodesoussonnez.

Unlongsilences'ensuivit,durantlequelAmelianeputs’empêcherderegrettercertainesde ses paroles. Comme le mot « ballot », adressé à deux pairs du royaume. Ainsi que larépétition de l’adjectif « stupide » qui dénotait un manque d'imagination. Toutefois, ellen'avaitpasplusl’intentiondeprésentersesexcusesquederestersurlatouche.Ellesavaitceque c’étaitdeperdreun frère.Deporter seule lepoidsdu chagrin.Quen’aurait-elledonnépourquesamèresoitàsescôtéslejouroùonleuravaitapprislamortdeHugh.

Cefutleducquirompitfinalementlesilence.

—Nousprendronsmavoiture.Elleestprête,etj’aiunexcellentattelage.

—Mesbaissontchauffés,répliquaBellamy.

Morlandserralesmâchoires.

—Monattelageestsanspareil.

Unejoutesilencieuses’ensuivit.Sansmêmeavoirélevélavoix,leducavaitprisledessus.Iln'avaitplusl'airmaladedutout.

— Commevousvoudrez,cédaBellamy.Sicelanevousennuiepasquenouscoupionsparlejardin.Tantquenousn’auronspasparléàLily,jepréfèrepasserinaperçu.

Denouveau,lesregardssebraquèrentsurAmelia.

Ellehésita.Detouteévidence,lesinvitésserendraientcomptequ’elleavaitdisparuavecleducdeMorlanddanslanuit.Néanmoins,toutrentreraitdansl’ordrelelendemain,lorsquelanouvellede lamortdeLéoserait connue.Dureste, cen’étaitpascommes'ilsétaiententêteàtête.

—Trèsbien,acquiesça-t-elle.

BellamyetAshworth franchirent leparapet et touchèrent le sol avecunbruit sourd. Ilscontournèrentlahaieetdisparurent.Morlandlesimitasanssepresser.

Écoutantsesinstructions,Amelias'assitsurlabalustrade,puisbalançaensuitelesjambesdel'autrecôté,plutôtmaladroitement,dut-elleadmettre.Ellevoulutensuiteselaisserglisserdupromontoire,quin'étaitqu'àunmètredusol,maisleducl'arrêta.

—Permettez-moi,fit-ilenlaprenantparlataille.C'estboueuxparici.

Ellehochalatête.Illasoulevacommeuneplumepar-dessuslaplate-bandeetladéposasurlesentiergravillonné.Cettefoisavecdélicatesse.Sansdouteinterprétait-ellesesgestesàtort, mais elle ne put s'empêcher de penser qu’il cherchait à faire amende honorable. Às’excuserenquelquesortedesagrossièretésurlapistededanse.

—Merci,fit-elle,vacillantunpeuquandsespiedstouchèrentlesol.

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—C’estmoiquivousremercie.Pourtoutàl’heure,précisa-t-ilentâtantlapochedesaveste,oùsetrouvaitlemouchoir.

—Jevousenprie.Vousvoussentezmieux?

—Oui.

Ils suivirent le sentier emprunté quelques instants plus tôt par les deux hommes. Ilsmarchaient côte à côte, mais il ne lui offrit pas le bras. Lorsqu'ils eurent contourné lebâtiment et qu'ils approchèrent de l'allée où attendaient les attelages, elle s'effaça pour lelaisserpasserdevant.

Elleressentaitcommedespalpitationsaucreuxdesonestomac.Allonsbon,ellen'allaitpass’enticherduduc,toutdemême!Cemuflearrogantquiavaitrefuséd’effacerladettedeJack, l’avait insultéeouvertement, l’avait enlevéede forcede lapistededanseavantde luiproposerdel’argentpourdisparaître.

Simplement,ilyavaiteu...cetinstantincongru-unbruissementdanslesfourrés-durantlequelilsavaientnégligéleursdifférends.Elles'étaitprécipitéeprèsdelui.Etils'étaitplacédevantellepourlaprotéger.

Denouveau,ilportalamainàlapochedesaveste.Ilnecessaitdelefaire.Etchaquefois,Ameliasentaitsesjambesflageoler.

Ils atteignirent sa voiture. C'était un véhicule impressionnant. Ébène, lustré, orné desarmoiriesduduché,ettiréparquatrechevauxnoirsparfaitementassortis.

Leduc l'aidaàgrimperà l’intérieur, laguidantd’unemainetplaçant l’autreaucreuxdeses reins. Bellamy et Ashworth étaient déjà installés, dos à la route. Amelia et Morlandprirentdoncplacesurlabanquetteopposée.

Vulasituation,ellen’auraitpasdûéprouverunémoipareil.Pourtant,elles’étaitassiseaumilieu de la banquette, prenant la liberté de se rapprocher de lui à l’instant où l’attelages’étaitébranlé.Sonattitudeétaitvraimentdéplorable.

—CommentHarcliffeest-ilmort?voulutsavoirMorland.

Amelias’écartaaussitôt,remerciantensilenceleducdeluirappelerlagravitédumoment,ainsiquelecaractèreinappropriédesespensées.

— Détroussé par des malandrins, répondit Bellamy. Battu à mort dans une rue deWhitechapel.

—BonDieu!

Il faisait tropsombrepourqu’Ameliapuissediscerner levisagedesescompagnons.Elleenconclutqu’ilsnepouvaientpasnonplusvoir le sien,aussi laissait-elle libre coursà seslarmes.

Cen’étaitpasnormal.Waterlooappartenaitaupassé.Laguerreétaitfinie,lesjeunesgensn’étaient plus censésmourir.A peine quelques semaines plus tôt, elle avait aperçuLéo authéâtre. Il partageait une loge avec des amis chahuteurs, comme nombre de ses

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fréquentations.Seulement,onpardonnaittoutàLéo.Toutlemondel’adorait.

Ameliafrissonna.Battuàmortpardesmalandrins.Ç’auraitpuarriveràJack.

—J’auraisdûêtreàsaplace,repritBellamy.Bonsang,ç’auraitdûêtremoi.J’étaiscensél’accompagner,mais j’aiannulé.Quelgâchis,ajouta-t-ild'unevoixenrouée.Si j'avaisété là,j'auraispuempêcherledrame.

—Outefairetuertoiaussi.

— Ilauraitmieuxvaluquecesoitmoi.Ilavaituntitre,desresponsabilités,unesœur.Que va-t-il advenir deLily, à présent ?Tout cela estma faute.C'estmoi qui avais suggéréd’alleràcecombatdeboxe.Pourensuiteluifairefauxbond.Jel’ailaissétomberpourpasserlasoiréeaveccettegourgandinedeCarnelia.

Ilsepenchaenavantetenfouitlevisageentresesmains.

Amelia devina qu’il faisait allusion à la très scandaleuse et trèsmariée lady CarneliaHightower.Quoiquechoquée,ellesegardadetoutcommentaire.Ellenevoulaitsurtoutpasleurrappelersaprésence,depeurqu’ilsnemodèrentleurspropos.PourlebiendeLily,elletenaitàréunirlemaximumd’informations.Pourunefois,lefaitd’êtreinvisibleauxyeuxdeshommesjouaitensafaveur.

Leducs’éclaircitlavoix.

—C’estlehasard.Ç’auraitpuarriveràn’importequi.

— Pas à moi, intervint Ashworth, le colosse silencieux assis en face d’elle. Je suisinvulnérable.

—Commentcela?demandaspontanémentAmelia.

C’était une allégation tellement surprenante. Pourtant, à en juger par son ton grinçant,Ashworthnefanfaronnaitpas.

—Parcequej’aiessayéplusieursfois.Et,commevouspouvezleconstater,j’aiéchoué.

Ellenesutquerépondre.

—DemandezàvotreamiMorland,enchaîna-t-il.Ilvousdiraquejesuisunduràcuire.

Àcôtéd’elle, leducseraidit.Detouteévidence, lesdeuxhommespartageaientunpassétumultueux.

—Assez,déclaraBellamy,quilevalatêteetsefrottalesyeux.Cen’estpaslemomentdevousquereller.C’estdeLilyquenousdevonsparler.PuisqueLéon’apasdedescendance,letitredesHarcliffe,ledomaine,lesbiens-ycomprislamaisondeLondres-reviendrontàuncousinéloigné.Sasœurtoucherasûrementunepartd’héritage,maisvusonétat,ellenepeutpasvivreseuledanslacapitale.

Eneffet,approuvaAmeliaensonforintérieur.PauvreLily!Elleallaitdevoirtrouverunmoyendel’aider.

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—Quesuggérez-vous,monsieurBellamy?risqua-t-elle.

Cedernierregarda,touràtour,AshworthetMorland.

—Messieurs,l'undevousvadevoirl’épouser.

—L'épouser?répétaSpencer,interloqué.Tuplaisantes?

—Non.

Avecunprofondsoupir,Spencerportalamainàsonfront.Loindeluil'idéed'offenserledéfunt,oumêmesasœur,LilyChatwicketsonmystérieux«état»,seulementcettesituationallait exiger d’être longuement débattue, or il avait amplement dépassé son quota demotspourlasoirée.

Toutcequ'ilvoulaitàprésent,c'étaitrentrerchez lui,severserdeuxdoigtsdecognacets'allongeràplatventresurletapisdelabibliothèqueenattendantquelasatanéeclameurquirésonnait dans sa tête cesse. Lematin venu, il emmènerait Junon faire une promenade -peut-être qu'il prendrait la route de Douvres et rebrousserait chemin à mi-parcours. Peuhabituéeàlafouleetaubruit,Junonn'étaitpasàl'aiseenville.Unelonguechevauchéeenrase campagne les remettrait tous deux d'aplomb. Après cela, il se chargerait lui-même depanser la jument. Les garçons d'écurie londoniens la rendaient nerveuse ; jamais ilsn'arrivaientàmenerleurtâcheàbien.Puis,sondînerachevé,iliraittentersachanceàunetabledejeux.

Voilà précisément ce qu’il aurait aimé faire. Hélas, comme souvent, on entravait sesdésirs.

—D’aprèslerèglementduclub,repritBellamy,sil’undesmembresvientàdisparaîtredemanièreprématurée,laconfrérieesttenuesurl’honneurdes’occuperdespersonnesquilui étaient à charge. Son frère décédé, Lily aura besoin qu'on veille sur elle. Elle doit semarier.

— Danscecas,pourquoinepast’enchargertoi-même?demandaAshworth.Detouteévidence,tulaconnaisbien.Harcliffeettoiétiezamis,non?

—Nousétionstrèsproches,eneffet.Raisonpourlaquelle,précisément,jenepeuxpaslefaire.LadyLilyChatwickestlasœurd’unmarquis.Elledescend,entreautres,d’unelignéede sang royal. Je croisme souvenir qu’un jour Léom’a dit qu’elle était treizième en lignepourlaCouronne.Jesuis...jenesuispersonnecomparéàelle,fit-ilencrispantlesmainssurleborddelabanquette.

Sur ce point-là du moins, Spencer et Bellamy étaient d’accord. Spencer le considéraitcommeunparvenuvaniteux.D’aprèscequel’onracontaitauxtablesde jeux,Bellamyétaitsorti de nulle part trois ans auparavant. Mais en dépit de ses origines très vagues, lesaristocrates l’invitaient volontiers à leurs parties de cartes pour le seul plaisir de sacompagnie.CarBellamyétaitunimitateurhorspair.

Spencer avait déjà eu l’occasion d’assister à l’un de ses numéros, un jour où Bellamy

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régalait une douzaine de personnes d’une imitation grivoise de Byron et de lady CarolineLamb.S'ill’avaittrouvépathétique,lesjeunesdandys,eux,levénéraient.Àtelpointqu’ilsenvenaient à imiter l’imitateur : son style vestimentaire, sa démarche, ses traits d’esprit.Certainspoussaientlamascaradejusqu’àdemanderàleurvaletdeleurappliqueruneignoblemixturefaitedeblancsd’œufsetdesuiesurlecuirchevelupourreproduiresachevelureenbataille.

Spencer, pour sa part, se fichait de l’accoutrement et de la coiffure de ce pantin, etméprisaitsonhumour.Uneseulechosel'intéressait:lejetondecuivrequifaisaitdeBellamyunmembreduStudClub.

—DemandeàMorland,fitAshworth.Ilesthorsdequestionquejel’épouse.

—Pourtant,tuseraisdrôlementchanceuxd’avoiruneépousepareille,rétorquaBellamy.C’estunejeunefemmeadorableetintelligente.

— Je n’en doute pas. Mais la dernière chose que je ferais subir à une femme quej’admire,c’estlemariage.

Spencerneputs’empêcherd’ajoutersongraindesel:

— Tuespourvud’unsensmoralàprésent?Jemedemanded’oùcelavient.Peut-êtrel’as-turécupérésurunchampdebataille.

—Possible,réponditlegéantd’unevoixneutre.Entoutcas,jenet’yaipascroisé.

Spencer fulmina. C’était typique de cette brute d’assener des coups bas. Quand il étaitencorejeunehomme,Spencerrêvaitdesuivrelestracesdesonpèreetd’acheterunecharged’officier dans l’armée.Mais à lamort de ce dernier, en tant qu’héritier, il s’était soudainretrouvépourvud’untitre,etdesdevoirsetresponsabilitésquiallaientavec.Surlechampdebataille, ce ne serait plus seulement sa vie qui pèserait dans la balance, mais celles decentainesdepersonnes.Adieu,rêvesdegloire!

—Qu'est-cequit’empêchedel’épouser,Ashworth?s’étonnaBellamy.Tueslord,n'est-cepas?

— J’ai récemmenthéritéd’unebaronnie, en effet.Uneparcellede landes sans valeurdans le Devonshire avec une demeure en ruine, dévorée par les flammes il y a de celaquatorzeans.J’aidûvendremachargedemilitairepourrembourserlescréanciers.

—Excusez-moidevousinterrompre,intervintAmelia.

L’excuserdelesinterrompre?Maisaucontraire!

Spencerl’auraitvolontiersembrassée.Unchangementdesujetétaitplusquebienvenu.

— C’estvotrenomquim’a fait tiquer,enchaîna-t-elleens'adressantàAshworth.Puisvousavezmentionnévotrechargedemilitaire.Neseriez-vouspas,parhasard,lelieutenant-colonelSt.Maur?

— Lui-même. Et en effet, pour répondre à la question que vous devez vous poser, jeconnaissaisvotrefrère.

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— C’estcequejepensais.Ilvousévoquaitdansses lettres ; ilparlaitdevotrecourage.Étiez-vous...étiez-vousavecluiàWaterloo?demanda-t-elled'unevoixchevrotante.

—Pasverslafin.Ilservaitdansunautrebataillon.Cependant,jepeuxvousassurerquec'était un hommebien, un excellent officier, qui plus est. Admiré de tous ceux qui étaientsous sesordres, trèsbienvude ses supérieurs. Il faisaithonneurà sa familleainsiqu'à sapatrie.

—Merci.

CetteréponseparutsatisfaireladyAmelia,maisSpencer,poursapart,trouvasondiscoursd’une platitude innommable. Peut-être Ashworth l’avait-il répété à maintes occasions, euégardàsongrade.Cequiexpliqueraitsonairsoudainsolennel.Spencernesesouvenaitpasdel’avoirjamaisvusigrave.

Celadit, ilsn’avaientpasbeaucoupbavardédu tempsd’Eton.Difficiledeconverser toutenéchangeantdescoupsdepoing.

—Oùestlecorps?demandasoudainladyAmelia.LecorpsdeLéo,j’entends.

— Chezmoi,réponditBellamy.Mesdomestiques leveillentenattendantqu’onpuissel’emporterauxpompesfunèbres.

—Lilyvoudralevoir.

—Celam'étonnerait,milady.

—Si,jevousassure.Peuimportesesblessures.Je...

Savoixsebrisa.

—J'auraispresquetoutdonnépourvoirHughunedernièrefois,parcequecelam'auraitaidéàacceptersamort,jesuppose.

L’attelagefitunesoudaineembardéeàgaucheetelles’affaissacontreSpencer.Elleétaitdouce et chaude. Et l’odeur de lavande qui émanait d’elle lui parut plus entêtantequ’auparavant.Lorsqu’elleseredressa,unegouttetombasurlepoignetdeSpencer,entresongantetsamanche.

Ellepleurait.

Ensilence.Probablementtropfièrepourdemanderunmouchoiràlacantonade,ellequiavaitglissélesiendanssamain,surlaterrasse.Iltouchaspontanémentlapochedesaveste.Ellenepouvaits’enprendrequ’àelle-mêmesiellen’avaitplusdemouchoir,sedit-il.Aprèstout,ilneluiavaitriendemandé.

—L’affaireestréglée,déclaraBellamy.CeseraMorlandquil’épousera.

—Ah,non!s’écriacedernier.

—Tunepeuxpasdirenon.

—D’aprèstoi,qu'est-cequejeviensdefaire?

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Bellamysepenchaenavant.

—C'estécritdanslerèglementduclub.Manifestement,Ashworthestruiné,etjenesuispaséligible.Situnet'étaisévertuéàéliminerlesmembreslesunsaprèslesautresaucoursdes dernières semaines, nous aurions peut-être trouvé d'autres prétendants. Comme tureprésentes à présent septmembres sur dix, c'est sur toi que retombe la responsabilité decetteaffaire.

— Jenecomprendspas, fit ladyAmelia.Commentunhommepeut-ilreprésenterseptmembressurdixàluiseul?

— Grâceaux jetons,milady,expliquaBellamy.Voyez-vous,Léoavaitachetéunétalond'exception, il y a quelques années de cela. Osiris fut jadis le meilleur cheval de coursed'Angleterre.Ilestaujourd'huiàlaretraite,maisilatoujoursbeaucoupdevaleurentantquereproducteur. De nombreux gentlemen ont tenté d’acquérir les droits d’élevage. Enconséquence, Léo a conçu le Stud Club pour s'amuser. Si vous connaissiez bien Léo, voussavezàquelpointilaimaitplaisanter.

—Eneffet,concéda-t-elle.Quandmonfrèreetluiétaientencoreenfants,ilsontvolélebattantduclocherdel’églisepourpouvoirfairelagrassematinéeledimanche.

Bellamysourit.

—Léotoutcraché.Aveclequeldevosfrères?LordBeauvaleouJack?

Commeellehésitait,ils’empressad’ajouter:

—Seigneur,jesuisnavré.PasceluiquiestmortenBelgique?

—Non,cen'étaitpasHugh.Aucundeceuxquevousavezmentionnés,enfait.Ils'agitdemonfrèreMichael.Ilestaujourd'huiofficierdemarine.

—GrandsDieux!Vousêtescombien?

Spencerregrettaaussitôtsonintervention.Quellemouchel'avaitpiqué?Pluselletardaitàrépondre,plusilsesentaitgêné.«Tuasencoremanquéuneoccasiondetetaire,Morland»,semorigéna-t-il.Envérité,ilétaittoutàfaitcapabled'avoiruneconversationcivilisée.Dèslorsqu'ellen'avaitpaslieuavant,pendantouquelquesheuresaprèsunbal.

— Nousétionssixàuneépoque,finit-ellepardire.Nousnesommesplusquecinq.Jesuislaseulefille.

Elle marqua une pause, attendant peut-être de savoir quelle ignominie il avait encoreprévudeluijeteràlafigure.Commeriennevenait,elleajouta:

—Jevousenprie,monsieurBellamy,continuez.

— Où en étais-je ? Ah, oui ! Léo fit frapper dix jetons en cuivre qu'il distribua à sesproches.Lapossessiond'undecesjetonsdonnaitledroitd'envoyerdesjumentss’accoupleravecOsiris.Toutefois,lerèglementduclubspécifiaitqu’enaucuncascesjetonsnepouvaientêtretroqués,vendusoudonnés.Onnepouvaitlesremporterqu’àunjeudehasard.

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—Unjeudecartes?

— Cartes, dés, paris de toutes sortes. Cette poignée de jetons devint la devise la plusconvoitéede toute lacapitale.Tout lemondevoulaitsapartd’Osiris,évidemment.Surtout,les hommes voulaient à tout prix faire partie de ce club de gentlemen. La fraternité, lacamaraderie...AppartenirauStudClubnemanquepasdecachetauxyeuxdesgentlemendenotresphère.Ilexistepeudecerclesaussiexclusifs.Avoirensapossessionunjetonindiquequel’onalachancedesoncôté.

BellamyadressaunregardaiguàSpencer.

—PuisMorlandestarrivé,etilatoutgâché.Aujourd'hui,ilaréussiàcollecterseptdesdixjetons.Lestroisrestantssontàmoi,àAshworthiciprésent,etbiensûr,àLéo.

—Pourquoifait-ilcela?s’étonnaladyAmelia.

—SaGrâceveut-elleprendrelapeinederépondreàcettedame?demandaBellamy.

Spencerfixarésolumentlarueàtraverslavitre.

—C’estévident,non?Jeveuxlecheval.

— Mais d’après M. Bellamy, un seul jeton suffit pour obtenir le privilège de lareproduction, fit remarquer lady Amelia. Pourquoi les vouloir tous ? Pourquoi une telleavidité?

Sontonréprobateurn’échappapasàSpencer.Elleétaitpersuadéequec’étaitàcausedeson«avidité»quesonfrèreJackseretrouvaitendettéjusqu'aucou.

—Lesdroitsd’élevagenem’intéressentpas.Jen’aimepaspartager.

Bellamysecoualatête.

— Vousavezvotre réponse, ladyAmelia.L’espritde fraternitéet l’amitiénesignifientrien aux yeux deMorland. Il semoquede préserver une institution ancrée dans la sociétélondonienne.Seullechevall’intéresse.Écoute-moibien,Morland:peut-êtren’aimes-tupaspartager,maistuvasdevoirapprendre.Situveuxmonjeton,ilfaudrad'abordmetuer.C'estLéoquiafondéleclub,etjenetelaisseraipasmettresonhéritageencharpie.

—Enrevanche,tuveuxquej’épousesasœur?

— Non.Enfin,oui,grommelaBellamy,extrêmementcontrarié.Cen’estpasque l'idéemeréjouisse.Siseulement ilyavaitquelqu’und’autre-n’importequi.Maiscen’estpas lecas.

LadyAmeliaémitunsonétrangement inarticulé.Désarroi?Contrariété?Amusement?Entoutcas,elleavaitcessédepleurer.

CesonparutégalementintriguerBellamy,quilesdévisageatousdeuxeninclinantlatêtedecôté.

—Àmoinsquetunesoisdéjàpris,Morland.Avons-nousinterrompuquelquechosesur

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laterrassedesBunscombe?

—Oh,non!rétorqua-t-elleaussitôtenriant.Cen’estpasdutoutcequevouscroyez.

—Danscecas,Morland,l’honneurt’obligeàfaireunepropositionàLily.

— Pardonnez-moi, intervintAmelia.Qu’ya-t-ild’honorableàdéciderde l’avenird’unefemme sansmême lui demander son avis ? Si Lily avait voulu semarier, elle l’aurait faitdepuisdesannées.NousnesommesplusauMoyenÂge,messieurs.D’ordinaire,ondemandeleconsentementd’unedameavantdelafiancer.

— Certes,acquiesçaBellamy,maisendépitdelamodernitédenotreépoque,certainescirconstances-tellesqueledécèsd’unprocheetlamenaced’uneruineimminente-obligentparfoisleshommesàprendreletaureauparlescornes.

—Jenepeuxpasm’exprimeràlaplacedeLily,monsieurBellamy.Maisj’aimoi-mêmetraverséunetelleépreuve.Etjen’aijamaislaissépersonnedécideràmaplace.

Ainsi, songea Spencer, lady Amelia avait reçu des demandes en mariage. Qu’elle avaitrefusées. Il s’était demandé si c’était par choix oupar absencede choix qu’elle était restéecélibataire.

Pourquoi diable éprouvait-il le besoin de s’interroger sur une femme autoritaire,impertinente,etpasvraimentjolie?Pourtant,c’étaitlecas.Maisiln’avaitpasl’intentiondeselancerdansuninterrogatoiregaucheetpérilleux.Ilvoulaitjustedesréférences.Unarbregénéalogique de sa famille remontant aux invasions normandes. Le catalogue de tous leslivres qu'elle avait lus dans sa vie. Une carte topographique de son corps indiquant avecprécisionlalocalisationdechacundesesgrainsdebeauté.

—Nousysommes,déclaraAshworth.

La voiture s’immobilisa devant Harcliffe Manor. Tandis qu’ils attendaient que le valetouvrelaportière,BellamysepenchaversSpencer.

—Lilyestpeut-êtresourde,maisellen’estpasstupide.Ellelitsurleslèvresets'exprimedemanière aussi aristocratiqueque toi.Regarde-laquand tu t'adresses à elle ; c'est le seulimpératif.N'élèvepaslavoix,n'utilisepasunlangagesimpliste,commetuleferaisavecunegrand-tantesénile.Neparlepasd'elleensaprésencecommesiellen'étaitpasdanslapièce.Traite-lacommetonégale.

Spencersehérissa.

—Pourquoitoutescesconsignes?Àmoienparticulier?

—Parceque,avantleleverdujour,tut'entretiendrasenprivéavecelle.Tuluiferasuneproposition. Ce n'est pas négociable. Autrement, Dieu m'en soit témoin, tu en répondrasdevantmoisurleterrain.

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3.

—Unduel?s’écriaAmelia.Pourseretrouveravecunmortdeplussurlesbras?

Ignorantsonintervention,leducrétorquad’unevoixglaciale:

— Essaie un peu pour voir, Bellamy. Jeme ferai un plaisir d’arracher le jeton de tesmainsfroidesdemacchabée.

Ceshommesétaienttoutbonnementimpossibles!

Quandlaportières’ouvrit,Ameliase levaets’immisçaentreBellamyetMorland,quiseregardaientenchiensdefaïence.Elledescenditducarrosseetleshommeslasuivirent.

S'empressant de gravir le perron, elle se campa devant la porte d’entrée. Puisque ceshommes se comportaient comme des enfants qui se chamaillent pour des billes, unepersonnedotéed’unpeudebonsensdevaitintervenir.PourlebiendeLily.

—Uneminute,jevousprie,fit-elledecetonfermequesamèreemployaitautrefoisavecsesfrèresquandilssequerellaient.Avantquenousentrions,j’aiunmotàvousdire.

Les trois hommes braquèrent les yeux sur elle. Sa détermination commença à vaciller.Elle avait l’estomac noué rien qu’à l’idée de regarder en direction du duc. Et la lumièrediffusée par la lanterne de la voiture lui permit de voir distinctement lordAshworth etM.Bellamypourlapremièrefois.Cequinelamitpasvraimentàl'aise.

En plus d’être taillé comme une armoire à glace, Ashworth arborait une balafre

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impressionnantedelatempeàlapommette.Lecoupàl'originedelacicatriceavaitmanquél'œil de peu. Quoiqu'il ait l'allure d'un flibustier, elle se sentait moins en danger avec luiqu'avec ce libertin de Bellamy qui, en dépit de ses manières et de sa tenue raffinées, neparvenaitpasàluiinspirerconfiance.

Elleprituneprofondeinspiration,puissejetaàl'eau:

—Voilàcommentleschosesvontsedérouler:nousallonsdemanderauxdomestiquesde réveillerLily et de laprierde s’habiller.Ce faisant, croyez-moi, elle se serapréparée aupire.

CombiendefoisAmeliaétait-elledescendueentrombe,lapeurauventre,certainequ’unmalheuravaitencorefrappél’undessiens?Pourserendrecomptequecen’étaitqueJack,quirevenaitd’unenuitdedébaucheavecsesprétendusamis.

— Lorsqu'elledescendra, je luiparleraientêteàtête,poursuivit-elle.Vous,messieurs,vousattendrezdanslebureaudeHarcliffe.

—LadyAmelia...

EllefittaireBellamyd'ungeste.

—Cen'estpasunetâchequimefaitparticulièrementplaisir,monsieur.Toutefois,ilesthorsdequestionquejevouslaissevousencharger.Pardonnezmafranchise,maisaprèscequartd'heureenvotrecompagnie,jedoutequ'unseuld’entrevoussoitàmêmed’annoncerunenouvellesitragiquedemanièreconvenable.

—Milady,écoutez-moi...

—Non,c’estvousquiallezm’écouter!glapit-elleenplaquantlamainsursonestomac.Comprenezquejesuisaussipasséeparlà.Or,ensemble,vousconstituezuntrioredoutable...

DouxJésus,voilàqu’ellesemettaitàdiredesinepties!Leduclafixaitaveccemélangedepitiéetd'affolementd’unhommefaceàunefemmesurlepointdefaireunecrisedenerfs.

— Bref, laissez-moi lui annoncer la nouvelle avecménagement. En vous voyant, ellecomprendraitaussitôt.

Dansunfaiblegrincement,laportes’ouvritderrièreelle.

Ameliapivotapourseretrouvernezànez,nonpasavecunvalet,maisavecLilyChatwicken personne. Elle ne l’avait pas vue depuis au moins deux bonnes années. Depuisl’enterrement de Hugh, sans doute. Enfants, elles avaient été amies. Pas de très prochesamies, vu que Lily était de quelques années son aînée. Puis, suite à la fièvre qui avaitprovoquélasurditédelajeunefemme,elless’étaientpeuàpeuperduesdevue.Lilyn’étaitpastrèsmondaine.

— Amelia?s’étonna-t-elleenrepoussantunemèchequi lui tombait sur le front.Quefais-tuiciavecces...

Elleposalesyeuxsurletrio.

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Amelia crispa les poings. Lily n’avait pas pu l’entendre, se rassura-t-elle. Il était encorepossibledeluiannoncerlanouvelleendouceur.

—Dieuduciel!s’exclamaLilyenportantlamainàsagorge.Léoestmort.

—Jelesavais,fitLilyunpeuplustard,fixantd’unairabsentsesmainsjointessursesgenoux.

Elles étaient assises dans le salon.Une tasse de thé arrosé de cognac était posée sur latable.Ellen’yavaitpastouchéetlecontenuavaitamplementeuletempsderefroidir.

— Je l'aisubienavantvotrearrivée.Jesuisalléemecoucherdebonneheure,maisàpeine une heure plus tard, je me suis réveillée en sursaut et, depuis, impossible de merendormir.Jesentaisqu'illuiétaitarrivéunmalheur.

Ameliarapprochasachaisedecelledesonamie.

—Jesuisvraimentdésolée.

Desmotstellementvainsetinsignifiants.Maisquedired'autredanscegenredesituation?

—J'auraisétéincapabledelecroiresijenel’avaisressentidansmesentrailles.Quandl’un de nous deux était en danger, nous le savions. Sans doute parce que nous sommesjumeaux.Quand jesuis tombéemalade, ilest rentréd’Oxfordalorsquepersonnene l'avaitprévenu.Jenesaispascommentjevais...J'aidumalàimaginermaviesanslui,souffla-t-elleenenfouissantlevisageentresesmains.

Sesmincesépaulesfurentsecouéesdesanglots.Ameliacaressalalonguenattenoirequitombaitdanssondos.Difficiled'imaginerqueLéoetLilyétaientjumeaux.Ilsétaientcommele jour et la nuit. Alors que Léo était blond foncé, avec le teint doré, et une vitalitédébordante, Lily était brune, claire de peau, et d'un tempérament calme et rêveur. Ameliaavaitentendudirequelanaissancedesjumeauxavaitsauvélaréputationdeleurmère.Carfussent-ils nés à des dates différentes, personnen'aurait cru qu'ils étaient les enfants d'unmêmepère.

Ameliapressalégèrementl'épauledesonamie,quilevalesyeux.

— C'est difficile d'imaginer qu’il est parti, même pour moi, murmura-t-elle. Il étaittoujours si... vivant. Ilnousmanquerabeaucoup.Mais tunedoispas te fairede souci.LesprochesdeLéon’hésiterontpasàt’apporterleuraide,chacunàsamanière.

Ameliacoulaunregardverslaportequireliaitlesalonàlabibliothèque.

— Rien que dans la pièce voisine se trouvent trois des hommes les plus puissantsd'Angleterre.IlsseraientprêtsàtraverserlaMancheàlanagepourtoi.Tun'asqu'àclaquerdesdoigts.

—C’estsansdouteàM.Bellamyquejedoislaprésencedesdeuxautres.Parfois,jemedisquecethommem'étoufferaàforcedebonnesintentions.

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L'expressionsceptiquequ'affichaAmelia,quoiquefurtive,n'échappapasàLily.

—Oh,neteméprendspassursoncompte!Julianestuncomédientrèsdoué.Sonrôlefavori-etdanslequelilestleplusconvaincant-estceluidel'incorrigibledébauché.Maisils'estmontréunamiloyalpourLéo,et j'imaginequ'ilconsidèrecommesondevoirfraterneldemeprendreàprésentsoussonaile.

—Tuessûrequesonintérêtn'estquefraternel?

Ameliaseremémoral'attitudedeM.Bellamydanslavoiture,lamanièrepassionnéedontilavaitbannilemoindrecomportementpouvantêtreinterprétécommedésobligeantenversLily.

—Oh,oui!Surcepoint,jesuiscatégorique.

—Ilyaunechose...Durantletrajet,lestroishommessesontchamaillésàtonsujet...Ils’agissaitdedéciderlequeld’entreeuxauraitl'honneurdet'épouser.

—Dem'épouser?Quelledrôled'idée!

—Jeleuraiditquetuauraisbesoind'unpeudetemps.J'aitentédelesdissuaderdetesoumettreunepareilleidéeenunsoircommecelui-ci,maisj'ignores’ilsm’ontécoutée.

ElleignoraitsurtoutsilesmenacesdeBellamyavaientvainculesréticencesdeMorland.Pourvuquenon.Oh,ellen'étaitpasjalouse!Bienqu'attiréeparleduc,ellesavaitfairelapartdeschoses.Unesoiréeensacompagnieluiavaitpermisdeconstaterqu'ilsouffraitd'uncruelmanquedesensibilité.Sonamieméritaitmieux.

— Seigneur ! fit Lily d'une petite voix. Neme dis rien. C'est en rapport avec ce clubridiculefondéparLéo.

—Oui.

— Il lui a donné unnom grotesque. Le StudClub. Je lui avais dit qu'il aurait pumedemanderconseil.J'auraistrouvédesdizainesdenomspréférablesàcelui-là.

AmeliasepenchaversLilypourobtenirsonattention.

—Jepeuxleurdemanderdepartirsitulesouhaites.Jeleuraidéjàtenutêteunefoiscesoir,jen'aipaspeurderecommencer,déclara-t-elleavecassurance.

Au fond, elle avait de quoi être fière ! Entre l'instant où Jack lui avait subtilisé sesdernièrespiècesetceluioùelleavaitforcélamainduduc,elleavaitfranchiunesortedecap.Nonseulementelleavaitbravétroishommesintimidants,maiselleavaitaussidéfiéunduc,et flirté avec lui le temps d'une valse. En outre, elle avait quitté le bal en demystérieusescirconstances,suscitantcertainementunflotdecommérages.Lesgensdevaientsedemanderquandlafilled'Orsay,véritableparangondevertu,s'étaittransforméeeneffrontée.

Eh bien, aux douze coups de minuit, évidemment ! Heure précise à laquelle elle avaitquittéseshaillons.Elleauraitamplementletempsdesefairedusouci,demain.Pourl'heure,elleétaitfière.

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—Jevaislesrenvoyersur-le-champ,décréta-t-elleencommençantàselever.

— Non, l'arrêtaLily.Laisse-moi leurparler. Ils sont égalementpeinéspar ledécèsdeLéo,etilsnepensaientpasàmal.Leshommesontunefâcheusetendanceàvouloirréparerleschoses,mêmelorsqu'ellessontirréparables.

—JeleuraiditquetuvoudraisvoirLéo.

—Tuasbienfait.

Savoixs’étaitfaitelointaine.Ellevenaitdes'enfoncerdanscettetorpeurquisuitungrandchoc.Il luifaudraituncertaintempsavantdeprendrepleinementconsciencedelamortdesonfrère,songeaAmelia.Etàcemoment-là,lasouffranceseraitpresqueinsupportable.

Pourl’instant,mieuxvalaitlalaisserflotterdanscettesemi-léthargie.Amelian'allaitpaslaforceràaffronterlatristeréalité.

—Veux-tuquejemonteavectoipourt'aideràt’habiller?

—Non,jeteremercie.Mafemmedechambreestréveillée.

— Alors, je vais attendre que tu sois prête en compagnie de ces messieurs. Dois-jedemanderaucuisinierdepréparerunen-cas?Lesfauvesserontplusdocilesunefoisrepus.Et,sidumoinstut'ensenscapable,tudevraiségalementmangerquelquechose.

— Jetelaisset'organiseraveclesdomestiques.Jesuiscontentequetusoislà,Amelia,murmuraLilyenselevant.Tuestellementgentille.

Uneheureplustard,l'en-cas-unassortimentdeviandesfroidesetdefromages-disposésurladesserten'avaitpratiquementpasététouché.Installédansunfauteuilàuneextrémitéde la bibliothèque, le duc feuilletait un livre avec humeur. Amelia, qui regardait dans sadirectionplussouventqu’àsontour,nel’avaitpasvuleverlenez.

SeullordAshworthavaitmangé.Ilétaitàprésentsurledivan,lesyeuxfermés,sesbottesposéessuruneottomaneencuir.Sonattitude,quoiquerelâchée,n’avaitpaschoquéAmeliaoutre mesure, car elle ne lui paraissait pas irrespectueuse. Elle y voyait plutôt de laprévoyance.C’étaitsansdouteunréflexedemilitaire.Ashworthn’étaitpasdugenreàlaisserla mort interférer, voire perturber son instinct de survie. Jamais il ne manquerait uneoccasiondemanger,deboire,oudesereposer.

M.Bellamy,enrevanche,étaitcommeunoursencage.Ilavaitarpentélapièce,aurisqued'userleparquet.Quandlaclochedel'entréeavaitretenti,ils’étaitprécipitépourrépondre.Surprenant des bribes de conversation, Amelia avait compris que le visiteur était unenquêteurchargéderetrouverlatracedesagresseursdeLéo.

—Desnouvelles?s’enquitleduclorsqueBellamyrevint.

— Non.Rienquenousnesachionsdéjà.Léos'est faitcoincerdansuneallée,quelquepart dans le quartier de Whitechapel. Le mobile du crime serait le vol. Des gamins duvoisinage ont entendu une bagarre et des cris,mais ils n'ont pas osé approcher. C'est une

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prostituéequiatrouvélecorpsetfaitappelerunfiacre.Depuis,impossibledemettrelamainsurelle.

—Commentont-ilssuqu'ilfallaittransporterlecorpscheztoi?

— Quandellel’atrouvé,ilrespiraitencore-àpeine.Apparemment,il luiauraitdonnémon adresse. Heureusement d’ailleurs, sinon qui sait ce qui serait advenu de son corps ?Sansdoutevenduàdesétudiantsenmédecine.Dureste,jesuissurprisquelaprostituéen’yaitpaspensé.Elles’attendaitprobablementàtoucherunerécompensepouravoirsauvélavied’unaristocrate.

—Peut-êtreavait-ellesimplementuneconscienceetuncœur,avançaAmelia.

Bellamyémitunricanementsceptique.

— Peu importe la nature de ses intentions, reprit-il. Elles n’auront pas suffi à lemaintenirenvie.Ilestmortenchemin.

—Tuétaischeztoiquandilsl’ontdéposé?

—Non.Onm'aenvoyéchercher.Bonsang,siseulementjel’avaisaccompagné!ragea-t-ilenabattantlepoingsuruneétagère.

Ameliasursauta.LordAshworthouvritbrusquementlesyeux.

—Vousnecomprenezdoncpas?s’écriaBellamy.Toutcelaestmafaute.Jenepeuxpaslefairerevenir,maisjeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourqu'onarrêtesesmeurtriersetqueLilysoitbienétablie.

—Tun'accomplirasnil'uneoul'autredecesbonnesœuvrescesoir,observaleduc.

Bellamysetournaverslui.

— Tu vas lui demander samain,Morland. Dussé-je te flanquer un couteau dans lestesti...

Ameliaselevad'unbond.

— Je vous en prie, fit-elle en venant se camper devant Bellamy pour l'empêcher demettresamenaceàexécution.Sivousavezuntantsoitpeud'affectionpourLily...

—Elleestcommelasœurquejen'aijamaiseue,coupa-t-ild'unevoixtranchante.

—Alors,jevousensupplie,donnez-luiunpeudetemps.Sonfrèrevientdemourir.Qu’ilsoit parti en paix ou pas, demanière prévisible ou pas, le fait est qu’il ne fera plus jamaispartie de sa vie. C’est une tragédie. Si vous tenez à elle, offrez-lui du réconfort et de lacompassion,etnonpasdespromessesdevengeanceetunedemandeenmariage.

— Soit, céda Bellamy en soupirant. Je ne parlerai plus demeurtre et de rétribution.Quantà lui,ajouta-t-ilendésignant leduc, ila intérêtàremplirsondevoirenversLily.S’ilveutcontinueràprofiterd’Osiris,iln’apaslechoix.

Morlandposasonlivre.

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—Commentcela?Jesuisduc.J’aitoujourslechoix.Etjen’appréciepaslesmenaces.

—Jenetemenacepas,rectifiaBellamy.JemeborneàterappelerlerèglementduStudClub.Unmembrequinerépondpasaucodedebonneconduitesevoitretirersonprivilègesurlecheval.

Unepenséevintsoudainàl’espritd’Amelia.

—Léoétantmort,lechevalnerevient-ilpasàsonhéritier,commetoutlereste?

BellamyadressaunsourirefroidauducavantdesetournerversAmelia.

— Non,milady. Léo a conçu le club demanière très astucieuse. Il a demandé à sonnotaired’enétablir les règles.Osiris estadministrépar fidéicommis,or lesdroitsd’élevagedépendentdedeuxconditions:lapossessiond’unjetonetl’observationduditrèglement.Sileducmanqueàl’unedecesdeuxobligations,ildoitrenonceràsesdroitssurOsiris.

—C’estabsurde,répliquaMorland.

PourAmelia,c’étaitplutôtleclublui-mêmequiétaitabsurde.

— A propos de ce code, vous avez dit dans la voiture que les membres subsistantsdevaient s’assurer que les personnes à la charge du défunt ne se retrouvent pas dans lebesoin.Jenemesouvienspasdevousavoirentendudirequelemariageétaitl’uniquemoyend’yparvenir.

— Je voismal comment assurer l’avenirdeLily autrement, rétorquaBellamy.Elle vaperdre sa maison et tout ce qu’elle contient. Et même si elle touche des rentes, elles nesuffiront pas à lui permettre d’être autonome. En outre, il faut prendre en compte soninfirmité...Jenevoispasd’autressolutions,conclut-ilensecouantlatête.

—Pourtant,ilyena!s’exclamaAmelia.

Elle devait à tout prix éviter à Lily d’être la victime d’un plan mal conçu, fruit de lamauvaiseconsciencedeBellamyoudel’obsessionduducdeMorlandpourunétalon.

—Ilfaudrauncertaintempsavantqueletestamentn'entreenvigueur,reprit-elle.Lilynerisquedoncpasdeseretrouverà laruedu jourau lendemain.Quantàsasurdité, jenevois pas en quoi elle serait un frein à son autonomie si tel est son désir. Après tout, ellepourratoujoursengagerunedamedecompagnie.

—Louerlesservicesd'unecompagne,murmuraleducd'unairsongeurenfixantAmeliade son regardnoisette, voilà qui réglerait la question.Encore faut-il trouver une candidateconvenable.

Penchant imperceptiblement la tête, il continua de dévisager Amelia. Qui rougit et sehérissa.Commentosait-il suggérerqu'ellepourrait être ladamedecompagniedeLily?Cegenre d'emploi était réservé aux veuves démunies et aux vieilles filles désespérées. End'autrestermes,auxfemmessansespoird'avenir,sansfamilleetsansfortune.Cequin'étaitpassoncas!

Dumoins,pasencore.

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Il l'avait silencieusement remise à sa place. Pourquoi réagissait-elle avec une tellevirulenceàsesprovocations?Faceàlui,ellesesentaitvulnérable,imparfaite,etsurtout,detrop.

L'instinctdeconservationlapoussaitàdétournerleregard.Hélas,iln'yparvintpas!

Lilyapparutsoudainsurleseuilets'éclaircitlavoix.

—Merciàtousd'avoirpatienté.Àprésent,jesuisprête.

Elleavaitrevêtuunerobebleufoncéd'uneélégantesimplicité-àmoinsquecenesoitellequiluiconfèredeladistinction.Apresquetrenteans,elleavaitconservécettesilhouettedejeune fille qu'Amelia lui avait toujours enviée, demêmequelle lui enviait ses grands yeuxsombresdebiche.Endépitdesonchagrin,elleétaitd'unebeautéàcouperlesouffle.

Àsonentrée, lordAshworthet leducse levèrent.À lasurprisegénérale, leducs'avançaverselle.

—LadyLily,Permettez-moidevousprésentermesplussincèrescondoléances.

Ameliadoutaitquelesditescondoléancesremplissentundéàcoudre.

—Entantqu'amideHarcliffe,pair,etmembredumêmeclub,mondevoirdegentlemanmedictedevousoffrirtoutel’aidedontvousaurezbesoin.

—Merci,milord,murmuraLily.

Ellejetauncoupd'œildésespéréàAmeliaquandilapparutévidentqueleducn'avaitpasfini.

—Celadit,j'aiunepropositionàvousfaire,poursuivit-il.

Onauraitentenduunemouchevoler.

— J'aimerais vous racheter à un prix très avantageux la part de l'étalon Osiris quiappartenaitàvotrefrère.

Sesmotsrésonnèrentuninstantdanslesilence,avantqu'uncricollectiflebrise:

—Quoi?

—Jevoudraisrachetersonjeton,précisaleduc.

— Tunepeuxpas,déclaraAshworth.Unjetonnepeutêtreremportéqu'aucoursd'unjeudehasard.

— Samort n'était-elle pas due au hasard ? rétorquaMorland d'une voix posée.De lamalchanceàl'étatpur.

Ce fut la goutte d'eau. L'opinionqu'avaitAmelia duduc fut scellée à cet instant.C'étaitl'hommeleplusarrogant,lepluségocentrique,leplusinsensibleavecquiilluiaitjamaisétédonnédedanserunevalse.

—Tuescensélademanderenmariage,luirappelaBellamy.

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—Ledevoirmesommedeluiproposermonaide.Cequejeviensdefaire.Milady,reprit-ilàl'adressedeLily,monsecrétaireviendravousrendrevisitedemain.Ilseraàvotreentièredisposition,qu'ils'agissed'organiserlesfunéraillesoudeprendredesmesurespourtrouverunnouveaulogement.

—Espècedesalaud!sifflaBellamy.C'estuneaffaired’honneur,ettoi,tunepensesqu’àtonsatanécheval.

— Vousêtestouslestroisobnubilésparcesatanécheval!s’écriaAmelia,quirejoignitLilyetluientouralesépaulesdubras.C'estàLilydedéciderdesonavenir.Cessezdegonflerle torse et de nous offrir cette pâle imitation de galanterie. Avec vos grandes paroles surl'honneuretledevoir...Pourl’amourduciel,vousvouspartagezunanimal!Vousn’êtespasles chevaliers de la Table ronde. Vous admettez vous-même que Léo a fondé ce club pourplaisanter. N'avez-vous pas de vrais devoirs, des relations humaines qui réclament votreattention?Ouvotrevieentièretourne-t-elleautourd'uncheval?

Lestroishommesdemeurèrentsilencieux,etfixèrentleregardsurdiversdétailsdudécor-pompons, franges,plateaux laquésquin'avaient sansdoute jamais été à cepoint scrutés.Toutbienconsidéré,ceshommesn'avaientpeut-êtreriendansleurviequiméritâtqu'ilss'yconsacrent,àl'exceptiondecechevaletduclub.D'oùleursilencepathétique.

— Çavaaller,Amelia,fitLilyavantdeprendreuneprofondeinspiration.Messieurs,jesaisquevosintentionssontnobles,etj’apprécievotreprévenance.Léoseraitheureuxdevoirdetellespreuvesd’amitié.

EnprononçantlenomdeLéo,savoixavaitlégèrementvacillé.Leshommeschangèrentdepostureetleurexpressions'adoucit.

—Samortmelaisseinconsolable,maispasdémunie.J'aidel'argentetdesamis,dit-elleen pressant la main d’Amelia. Et même si je souhaitais memarier, je devrais auparavantporterledeuilpendantunan.

—Cetterèglenes’appliquepasdansunesituationsiextrême...intervintBellamy.

Lilysecoualatête.

—Masituationn’ariend’extrême,misàpartlechoc.Léoest...étaittellementjeune.

—Tropjeune.Tousleshommesbienmeurentjeunes,déclaraAshworthendonnantuncoup de pied dans l’ottomane. Alors que les bons à rien comme moi sont quasimentindestructibles.

— Personnene l’est,murmuraLily.C'est la leçonàtirerdecettetristeaffaire.Sivoussouhaitezvraimentrendrehommageàlamémoiredemonfrère,faitesensortequesamortvous serve d'exemple et vous empêche de vous croire immortels. Amelia a raison. Je suiscertainequevousaveztoustroisdesresponsabilitésplusimportantesquevotreadhésionauclubdeLéo.LordAshworth,n’avez-vouspasdelafamille,undomaine?

Cedernierjuradanssabarbe.

— Une parcelle de lande brûlée dans le Devonshire. Je n'y ai pasmis le pied depuis

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quatorzeans.

—Peut-êtreserait-iltempsd'yretourner,suggéraLily.

Bellamyparutsurlepointdeprotester,maiselleajouta:

— Et je suis sûreque leducdeMorlandadéjàsuffisammentderesponsabilités, sansdevoirenplusmeprendreencharge.

—J'aiunepupille,fitleduc.Macousine,bienquenousayonsétéélevéscommefrèreetsœur.

CetteconfessionpritAmeliadecourt.Elledevaitêtre la seule femmede toute labonne

sociétélondonienneàn'avoirpaspassélesderniersmoisàsoupirerenlisantleDebrett[2]

àlalettre«M».

Unlégerplissementaucoindesyeux.Unsoupçond’hésitationdanslesridesdesonfront.L'expressionduducs'étaitfaitepresque...«humaine»quandilmentionnasapupille.

Ameliaseforçaàdétournerleregard.Elleavaitpassébeaucouptropdetempsàl'observercesoir,etellenepouvaitsupporterdelevoiraffichersoudainunvisagehumain.Mieuxvalaits'enteniràlaversiondiaboliquedupersonnage.Ilétaitplusfaciledeledétesterainsi.

BellamyfranchitentroisenjambéesladistancequileséparaitdeLily.

—Commevouslesavez,jen’ainisœurnifrère,dit-ild'unevoixtendue.EtpasnonplusdedomainedansleDevonshire.

— Je sais, oui, répondit Lily en lui prenant lamain.Mais nous vous avons toujoursconsidérécommeunmembredenotrefamille,Léoetmoi.

Bellamyfermabrièvementlesyeux.

—Alorsvousn'avezpasledroitderefusermonaide.

—Jen'ysongeaispas.

Debout près de Lily, Amelia commençait à se sentir de trop. Elle détourna les yeux etdemeuraaussiimmobilequ'unestatue.Soussamain,ellesentitl'épauledeLilytrembler.

— Je vous promets de retrouver ceux qui ont tué Léo, déclara Bellamy d'une voixvibrante d'émotion. Je les traquerai, où qu'ils se cachent. Et je veillerai à ce qu'ils soientexécutés.

Lilysemitàpleurer.

— ChèreLily, reprit-il enportant samainà ses lèvres,dites-moiquoi fairepourvoussoulager.

—Emmenez-moiauprèslui.Quejepuisseluidireadieu.

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4.

Auleverdujour,Spencern'avaittoujourspasretrouvélecalmedesabibliothèque,mais,le cognac aidant, la tempête qui faisait rage sous son crâne avait diminué d'intensité.Unegrande partie de la nuit avait été silencieuse, ce qui lui avait fait du bien. Ashworth et luis’étaient tous deux retirés dans le jardin de Bellamy pour permettre à Lily de pleurer sonfrèreloindesregards,mais,parunaccordtacite,aucunn’avaitentamélaconversation.Quantauxtrajetsenvoiture,ilsavaientfourniaugroupel’occasiondeserecueillir.

Iljetauncoupd’œilparlavitredelaportière.Danslalumièreambréedel'aube,lesruesgrouillaient déjà de monde : marchands de fruits, poissonniers, employés et ouvriers serendantàleurtravail.L'agitationdupetitmatinralentitconsidérablementlaprogressionduvéhicule.

Celadit,iln'étaitpaspressé.IlavaitdéjàdéposéladyLily,BellamyetAshworthàHarcliffeManor, et il ne restait plus que lady Amelia dans la voiture. Pour une fois, il n'était pasimpatientdeseretrouverseul.

—Drôledenuit,fit-ildoucement,commes’ilseparlaitàlui-même.

—Eneffet,acquiesça-t-elle.

La fatigue combinée aux événements de la nuit l’avait laissé dans un étrange état. LesproposdeLilyl’avaienttouchéenpleincœur.LamortdeHarcliffeétaiteneffetunmementomori, comme le disait l'expressionmoyenâgeuse : « Souviens-toi que tu vas mourir. » Sijamais il lui arrivaitmalheur, il ne voulait pas que Claudia se retrouve dans une positionaussi précaire que Lily. Heureusement, il pouvait éviter pareil dénouement. Et il allaitprendresanstarderlesmesuresquis'imposaient.

Cematinmême,enfait.

— Ç’a étéungrandchoc, reprit-il.Lily semble cependantavoirpris lanouvelleplutôtbien.

—Cen’estqu’uneimpression.EllecommenceàpeineàserendrecomptequelamortdeLéoestbeletbienréelle.Quandlechocs’atténuera,lechagrinlafrapperadepleinfouet.Je

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lui rendraidenouveauvisite cet après-midi. Je lui offriraipeut-êtrede rester auprèsd’ellequelques jours,ajouta-t-elleen lui jetantunregardacéré.Le tempsqu’elleprenned’autresdispositions.

Ils’efforçadecomprendred’oùvenaitsacolère,sanssuccès.Cestentativespourlaperceràjourdevenaientunehabitude,nota-t-il,agacé.

—Milord,sijepuismepermettredevousdirelefonddemapensée...

—Jen’aipasencoreréussiàvousenempêcher.

—L’«offre»quevousavezfaiteàLily,cettenuit,étaitinadmissible.Jamaisjen’avaisrencontrédepersonneaussivaine,arrogante,présomptueuse,égocentriqueetinsensible.

Quoique surprispar ces accusations, Spencern’en futpasoutremesureblessé.Lancéessuruntonaussidésemparé,ellesétaientfacilesàesquiver.

—Manifestement,leschevauxpassentavantleshommes,poursuivit-elle.

—Vousvoustrompez.

—Jemetrompe?répéta-t-elleenimitantsonton.C’est-à-dire?

—Jetrouveengénérallacompagnied'unchevalplusagréablequecelled'unepersonne.La plupart des vrais cavaliers seraient demon avis. Toutefois, cela ne veut pas dire que jeplace systématiquement les chevaux au-dessus des hommes. D'ailleurs, Osiris n'est pasn'importequelcheval.C'estleseuletunique.Jesuisdéterminéàl'acquérirquelqu'ensoitleprix.

—Précisément,marmonna-t-elle.Quelqu’ensoitleprix,ycomprisceluidel'amitié,deladignitéetdel'honneur.

Spencer secoua la tête. Inutile de lui expliquer les raisons pour lesquelles il voulait cecheval.Ellenecomprendraitpas.

Le carrosse tressauta, et leurs coudes se heurtèrent. Spencer aurait sans doute dûs’installerenfaceaprèsledépartdesautrespassagers,maisiln’enavaitpaseuenvie.LadyAmelias'appuyaitlégèrementcontrelui,sansdoutefourbueettransie.Et,unefoisencore,ilsesurpritàéprouverduplaisiràsentirlepoidsdesoncorpscotrelesien.

Tandisqueceplaisirsedéployaitenlui,sonindomptablecuriositégranditaussi.Ilavaitune irrépressible envie de parler avec elle, de l’écouter. D'apprendre à la connaître, à lacomprendre.

—Quej'accordedel'importanceauxchevauxvousrebute,n'est-cepas?

—Eneffet.Sauflerespectquejedoisauxchevaux.

—Qu'est-cequiestimportantàvosyeux?

—Mafamille,répondit-ellesanshésiter.Etmamaison.

—ABryanstonSquare?fitSpencer,incapabledemasquersasurprise.

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D’après les instructions qu'elle avait données au cocher, il avait deviné qu'il s’agissaitd'unedecesmaisonsdevillerécentes.Nonpas legenrededemeurepleinedesouvenirsetd’histoireoùilimaginaitladyAmeliad’Orsay.

—Non.Cettemaison-làestàLaurent,façonnéeaugoûtdesonépouse.Jeparledenotredemeure ancestrale du Gloucestershire. Le château de Beauvale est en ruine, mais nousavonsuncottageoùnouspassonsl’été.Onl’adénomméBriarbankcarilestsituésurlarivedelaWye.

—Cedoitêtreunsiteagréable.

— Je ne crois pas avoir jamais vu de maisonmieux située. Mamère et moi avionscoutumedenousypromenerlematinpourcueillirdelalavandeet...

Ellefitlamoue.

—MesplusbeauxsouvenirssetrouventàBriarbank,conclut-elle.

—Etvousallezbientôtquitterlacapitalepourypasserl’été?

Elleseraidit.

— Pas cette année.Mes frèresontprévude louer le cottage. Il se trouve,milord,quemonfrèreJackacontractéunedette.

—Jevois,répondit-ilaprèsunsilence.C’estdonclàlavraieraisondevotrecolère.Monrefusd’effacerladettedevotrefrère,etnonpasl’offrequej’aifaiteàLily.

—Disonsque,depuishiersoir,macolèreaprisdifférentesdirections.LamanièredontvousaveztraitéLilyenestune.

Relevantlementon,elletournalatêteverslafenêtre.

Spencer ne pouvait se résoudre à lui reprocher son entêtement. S’il était un trait decaractère qu’il avait toujours admiré, c’était la loyauté. Mais, en l’occurrence, elle étaitinappropriée.Aprèstout,sonfrèreétaitsurlepointd’entraînersafamilledanssachute.

—J’aidumalàcomprendre...

—Milord,l’interrompit-elleavecimpatience,d’aprèsmescalculs,nousavonspasséprèsde sept heures en compagnie l’un de l’autre.Or, vousm’avez davantage parlé en quelquesminutes qu'au cours des six dernières heures et je ne sais combien deminutes. Êtes-voustoujoursaussibavardlematin?

—Bavard?

Onl'avaittraitédebiendeschosesaucoursdesavie,maisc’étaitlapremièrefoisqu'onl’accusaitd’êtrebavard.Incroyable.

—Non,répondit-il,songeur.Jenelesuispas.Êtes-voustoujoursaussidésagréable?

Ellepoussaunsoupir.

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— Non.Mais, comme vous l’avez fait remarquer, ç’a été une drôle de nuit. Et cela acommencéavantvotreapparitionaubaldesBunscombe.

Cetteremarqueluirappelalaterrasse,etlemouchoirqu’elleluiavaitglissédanslamain.Ilnevoulaitpasleperdre.C’était lefruitd’untravailtrèsminutieux.Mais,contrairementàcesfemmesquifabriquaientdessacsaucrochetoulaquaientdesplateauxàthépourexhiberleursprétendus«talents»,ilsemblaitqueladyAmeliaavaitbrodécecarrédelinpoursonpropreplaisir.

Celal’intriguait.

Commel’intriguaitlefaitque,endépitdesproposdursqu’elleavaiteusàsonendroit,soncorpsluitransmettaituntoutautremessage.Elleétaittoujoursappuyéecontrelui.

—Jenevousintimidepas,fit-ilremarquer.

— Franchement, non, répondit-elle après réflexion. Hier, vous m’auriez sans douteimpressionnée.Mais,commel’aditLilytrèsjustement,cettenuitm’arappeléquepersonnen’estimmortel.C’estuneprisedeconscienceterribleàmaintségards,maiscurieusement,jeme sens libérée. L’impertinence et l’audace ont soudain du charme. Il va falloir que jemesurveille ou je risque de me transformer en véritable harpie, ironisa-t-elle. Hier, à cetteheure-ci,jevousauraisvucommel’inaccessibleducdeMorland.Etvousnem’auriezmêmepasremarquée.

Il aurait sans doute dû la contredire. Mais il aurait menti, car elle avait raison. S'ilss'étaient croisés dans la rue la veille au matin, il ne lui aurait pas accordé un regard. Etç'auraitétédommage,carelleméritaitqu'onlaregarde.Ildécouvraitque la lueurde l'aubeadoucissait ses traits, jusque-làdesservispar la lumièredesbougies etdu feu.Au leverdujour,elleparaissaitpresquejolie.

Elleposaledoigtsurlavitre.

—Aujourd’hui, je nous vois tels quenous sommes : de simplesmortels imparfaits, quiretournerontàlapoussière.Justeunhommeetunefemme.

Spencer eut soudain l'impressionque l'habitacle se resserrait autourde lui.Celan'avaitriend'oppressant,bienaucontraire.Ilavaituneimpressiondeproximitéphysique,decellequivadepairavecleplaisircharneletl'intimitéaffective.Celafaisaituncertaintemps-troplongtemps,àvraidire-qu'iln'avaitpassavourélepremier.Quantaudernier,ilavaitpassélamajeurepartiedesavied'adulteàl'éviter.Sansdoutelanuitqu'ilvenaitdevivren'yétait-ellepasétrangère,maisvoilàsoudainqu'ilsesurprenaitàdésirerlesdeuxavecuneaviditérare.

À peine s'était-il fait cette réflexion qu'elle se rapprocha de lui. Était-elle en quête deréconfort?Oucherchait-elleàluienprodiguer?

Lentement,il levasamaingantéeetlaposasurlacuissedelajeunefemme,unpeuau-dessusdugenou.

LajambedeMlled'Orsayseraidit.Ilfeignitd'ignorersaréaction,secontentad'apprécierlecontactdesachairsouplesoussapaume.

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Bienque,pourdesraisonspratiques,ilprivilégiâtlesjoliespetiteschosessurlapistededanse, quand il s’agissait de sport en chambre, il préférait les femmes substantielles, danstouslessensduterme.Ilaimaitlesfemmesàlafoispourvuesdeformesetdematièregrise.OrladyAmeliaremplissaitcesdeuxcritères.

Si elle n’était pas d'une grande beauté, elle n'était pas dénuée d'attraits. Sa bouche, enparticulier,étaitfortattirante.Seslèvresétaientpleinesetsensuelles,commesoncorps,dureste. Et puis, il y avait ce grain de beauté solitaire à l'intérieur de son sein gauche quisoulignaitlacarnationlaiteusedesapoitrine.

Enoutre, aprèsunenuit à errerdans l'ombrede lamort, il semblait toutnaturel qu'unhommeaitdesbesoins.

Autrementdit,ilavaitenvied'elle.Ardemment.

Samain remonta le long de sa cuisse - un centimètre, peut-être deux. Sentit le rebordcaché de sa jarretière. La respiration de la jeune femme s’accéléra tandis que son poucecommençait à effectuerun lent va-et-vient. Sous l'étoffe, sa peau était idéalement souple -malléableetmodelableàvolonté.

Des visions érotiques l'assaillirent ; le désir lui martela les veines. Il avait envie del'asseoirsursesgenoux,qu'elleluienlacelatailledesesjambesplantureuses.Ilenfouiraitlevisagedans sapoitrinemagnifique et lui empoignerait fermement la croupe tandisque lesmouvementsdel'attelagelesemmèneraientauseptièmeciel...

Oui, elle pourrait le réconforter de bien des manières, si elle était du genre à rendreservice à un homme de cette façon. Qu'elle soit célibataire ne signifiait pas pour autantqu’elleneconnaissaitrienauxchosesdel’amour.

Iln’yavaitqu’unseulmoyendelesavoir.

Ecartantlesdoigts,illuipressalégèrementlacuisse.

Avecuncride surprise, elle s’arrachaà lui et s’éloignaprécipitamment.Blottieà l’autreboutdelabanquette,elleregardasanscillerparlavitre,l’ignorantouvertement.

Voilà,ilavaitsaréponse.

Spencer tourna à son tour le regard vers la vitre en priant pour qu’un embouteillageinextricablesurvienne.

CarilsapprochaientdeBryanstonSquareetiln'étaitguèreprésentable.

Lorsque la voiture s'arrêta finalement devant une demeure tape-à-l'œil, son désir étaitretombé.Dumoins,suffisammentpourqu'ilretrouveunesilhouetteconvenable.Ilsortitlepremier,puistenditlamainàladyAmeliapourl'aideràdescendre.

Elleladédaigna.Etseseraitéloignéesansunregards’ilneluiavaitattrapéelecoude.

Lentement,ellepivotaverslui.

—Jevousremerciedem’avoirdéposéechezmoi,milord.Jenevousretiendraipasplus

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longtemps.

Commeilnelalâchaitpas,elleajoutaentresesdents:

—Vousêteslibredepartir.

— C’est ridicule, répliqua-t-il en l'escortant jusqu’à laporte,qu’unvaleten livrée roseavaitdéjàouverte.J’entreavecvous,ajouta-t-il.Ilfautquejem’entretienneavecvotrefrère.

—Jackneserapaslà.IlaunappartementàPiccadilly.

—Jeneparlaispasdelui,maisdelordBeauvale.

Ilspénétrèrentensembledanslamaison.

—JenevoispascequevouspourriezavoiràdireàLaurent.

—Vraiment?

—IlnepaierapasladettedeJack,sic’estcequevousavezentête.

Ellen’avaitvisiblementpassaisileproblème,maisSpencerdécidad’êtreindulgent.Aprèstout,lanuitavaitétélongueetéprouvante.

— Je vous ai enlevée lors d’un bal et nous avons passé la nuit ensemble.Votre frèreapprécierasansdoutequejeluifournissequelquesexplications.

Sortantunecartedevisitedesapoche,illadéposasurleplateaudumajordome.

—Nousallonsattendrelecomtedanssonbureau.

Pièce où Spencer espérait échapper à ces infâmes moulures dorées en forme decoquillagesquiornaientleplafondtellesdesbernaclesincrustéessurunvieuxrafiot.

Après qu'on les eut introduits dans le bureau lambrissé de Beauvale, havre de sobriétécomparé au reste de la demeure, ils demeurèrent gauchement au centre de la pièce. Legentlemanqu’ilétaitdevaitattendrequeladyAmelias’assoiepours'asseoiràsontour-maisapparemment, l’idée ne l’avait pas effleurée. Sa coiffure était à moitié défaite, ce qui luidonnaituneallurebancale.Sarobedesoiebleuequi,laveilleausoir,soulignaitsesformes,montraitdessignesdefatigue.

Soussonregardouvertementscrutateur,ladyAmeliaouvritdegrandsyeux.

Enguised’excuses,Spencerhaussalesépaules.

— Cetterobeafaitsontemps,fit-il,etc’estuneuphémisme.Elleméritedeprendresaretraite,sijepuisdire.

S’empourprant du décolleté à la racine des cheveux, lady Amelia bredouilla quelquesinstantsavantdelâcher:

—Avez-vousfinidem'insulter?

—Jenevousinsultaispas.C'estcetterobequivousinsulte.

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— Vous... commença-t-elle, avant de reprendre avec un geste exaspéré : Vous necomprenezrienauxfemmes,milord.Maisvraimentrien.

—Celaarrivequedeshommeslescomprennent?

—Oui!

Spencerinclinalatêtedecôté.

—Citez-m'enun.

LecomtedeBeauvalechoisitcetinstantpourentrer.Ilavaitlescheveuxhumides,etsesmanchettesn'étaientpasboutonnées.Ils'étaitmanifestementhabilléàlahâte.

IlsaluaSpencer.Ameliatraversalapièceetsejetadanssesbras.

—Amelia,pourl’amourduciel,oùétais-tupassée?s’écriaBeauvaleens'écartantdesasœurpourl'examiner.Quet'est-ilarrivé?

—Léoestmort,répondit-elleenpressantlevisagecontreletorsedesonfrère.

—Harcliffe?demandalecomte,s’adressantàSpencer.

Cedernierhochalatête.

—Détroussépardesmalandrins,hiersoir,expliqua-t-il.Nousavonspassélanuitauprèsdesasœur.Elleétait-etdemeure-souslechoc.

—Évidemment.PauvreLily,murmuralecomteenfrottantlebrasdesasœur.EtpauvreLéo,jen’arrivepasàlecroire.

— Moinonplus, fit ladyAmelia. Ilétaitsi jeune,sipleindevieetpopulaire. Ilétait...ajouta-t-elleencroisantleregarddeSpencer.Ilétaitlaréponseàvotrequestion,milord.Unhomme compréhensif. Durant toutes les années où je l’ai connu, il n’a jamais eu unmotdésagréableàmonégard.

—Oui,ehbien,nousnepouvonspastousêtreLéo.

Cecommentaireameretdéplacé futaccueilliparunsilence froid.Etmérité.Spencerserenditcomptequ’ilavaitmanquédetactenlaissantlajalousieprendreledessus.

Êtrejalouxd’unmort.Quelleabsurdité!

Dèsl’instantoùladyd’Orsayavaitfendulapistepourluiagripperlamain,lanuitavaitétéunesuited’absurdités.Ilsavaientdansé,s’étaientdisputés,etill’avaitemmenéedeforcesurla terrasse tel un homme des cavernes. Puis, ensemble, ils avaient procédé à une veilléefunèbrepourlemoinsimpromptue.Etcematin,alorsqu’ilauraitdûsemontrertaciturneetdistant, il avait parlé à bâtons rompus. Pour couronner le tout, il s’en prenaitdédaigneusement à un mort sous prétexte qu'elle avait vanté ses mérites. Cette série deconstatsaboutissaitàuneconclusionimplacable:ils’étaitentichéd’Ameliad’Orsay.

C’étaitirrationnel,peut-être;inattendu,certainement.Maisc’étaitainsi.

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—Mercid’avoirraccompagnémasœur,milord,fitlecomtepar-dessusl’épauledecettedernière.

C’étaitniplusnimoinsunemanièredelecongédier,certesplussubtilequecelled’Ameliasurleperron.Spencerneselaissacependantpasdémonter.IlétaitleducdeMorland.Onnelemettait pas à laporte.Et lorsqu’il avait quelque chose en tête - ouquelqu’un -, il fallaitqu’ill’obtienne.

— Je veux que vous sachiez, Beauvale, que lorsque nous avons appris cette tristenouvelle,nousavonsquittélebalsubrepticement.Lesinvitésprésentsontdûs'imaginerunrendez-vousclandestin.

—Jevois,ditlecomteenserembrunissant.Maisilnes’estrienpassé?

SpencerregardaladyAmelia.

—Amelia?Ilnes’estrienpassé,n’est-cepas?répétaBeauvale.

—Non!Absolumentrien.

Maislarougeurquiavaitenvahisesjoueslaissaitplanerundoute.

— Je vois, fit Beauvale, qui fusilla Spencer du regard. Pensez-vous que les gens vontjaser?

— Certainement. Difficile de les en empêcher. En fait, les rumeurs vontvraisemblablementgonfleravecl’annoncedesfiançailles.Nousferionsmieuxdelesécourter.

Silence.

Lefrèreetlasœurledévisagèrent,bouchebée.Spencersebalançatranquillementsursespieds,etattendit.

LadyAmelias’écartadesonfrèreetselaissachoirdanslefauteuilleplusproche.Enfin,elles’asseyait.

— Pardonnez-moi,milord,mais la nuitm’a déjà semblé assez irréelle. Et je n’ai pasl’impression d’avoir toute ma tête ce matin. J’ai cru vous entendre mentionner desfiançailles.

—Eneffet.Lesnôtres.

Nouveausilence.

Spencerseraclalagorge.

—Permettez-moi d’exprimer clairementmes intentions. Beauvale, je propose d’épouservotresœur.

Lecomtehaussaunsourcil.

—Vousvoulezdirequevousmedemandezl’honneurdelaprendrepourépouse?

—N’est-cepascequejeviensdedire?

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—Non,rétorqualadyAmeliaavecunpetitrireétrange.

Puis,aprèsavoirdévisagéSpencer,elleajouta:

—Laurent,peux-tunouslaisser?

—Oui,acquiesça-t-il,nonsansréticence.Situasbesoindemoi,jeseraidanslesalon.

—Merci,répondit-elleposément.Ceserabref.

5.

Ameliafixaleduc.Ilétaitdeconstitutionrobuste,affichaituneexpressioncalme,unportducal, voire franchement royal. À vrai dire, il semblait aller tout à fait bien. Pourtant, laquestionjaillitdeseslèvres.

—Avez-vousperdulatête?

— Non, répondit-il promptement. Et je suis en excellente santé. Si vous souhaitezobtenirdavantagederenseignementsavantlemariage,jepeuxvousfournirlescoordonnéesdemonmédecin.

Seigneur,parlait-ilsérieusement?

— Ceneserapasnécessaire.Permettez-moidereformulermaquestion.Qu’est-cequivousprenddesuggérerquenousnousmariions?

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— N'est-ce pas évident ? rétorqua-t-il en se perchant nonchalamment sur le bord dubureaudeLaurent.Votreréputationestenpéril.

—Uniquementparcequevousfaitestoutpour!Ilnes'estrienpassé.Pourquoilaisserentendrelecontraireàmonfrère?

— C’est vousqui le lui avez laissé entendre en rougissant. Jeme suis contentéd'agirhonorablementennevouscontredisantpas.

— Voilàqui estnouveau !Pensiez-vousagirhonorablementenme tripotant la cuissedanslavoiture?

—C’était...untest.

—Untest,répéta-t-elle,incrédule.Etquevousa-t-ilappris?

—Deuxchoses.Primo,ilm'aconfirmél'étatdevotrevertu.

—Ilvousasuffideme...caresserlajambepourvousassurerdemavirginité?

Inutiledemâchersesmots,àprésent.

—Oui.

Ellesecouvritlesyeuxdelamain.

— Pardonnez-moi,milord,maislesfemmessont-ellespourvouscommedesfruits?Ilsuffiraitdelestâterpourdeviners'ilssontmûrs?

—Non,protesta-t-ilavecunrirebas.

Ellen'auraitpasimaginéquecethommeavaitdel'humour.

— Cen'estpascequej'aitouchéquim'aconvaincu,poursuivit-il,maislaréactionquemongesteasuscitée.

Ameliarougitenserappelantsoncrietl'empressementaveclequelelles'étaitréfugiéeàl'autreboutdelabanquette.Etmêmeàcettedistance,ellenes'étaitpassentierassurée.Lachaleurdesamains'étaitattardéesursacuisse,avantdegagner tout soncorps tandisquesoncœurs'étaitemballé.Ellen'étaitpascertainedes'enêtreremise.

Elleprituneprofondeinspiration.

—Oserais-jevousdemanderquelleautrechosece«test»vousaappris?

Illuiadressaunregardaussihardiquebrûlant.

—Queceneseraitpasunecorvéedepartagervotrelit.

Que diable répondait-on à ce genre de déclaration ? Son corps la trahit. Ses jouess'enflammèrent,sonestomacsenoua,etsonsangfrémitjoyeusementdanssesveines.

Amelia s’efforça de chasser les visions charnelles que cette admission avait fait naîtredans son esprit et de maîtriser son émoi. Le duc ne l’avait pas trouvée désirable. Il avait

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simplementdéclaréqu'elle feraitunepartenaireacceptable.Demanière très insultante,quiplusest.Ildiraitsansdoutelamêmechosed'unefemmedechambre.

—Jen’arrivepasàlecroire,finit-ellepardire.

—Vouspensezquejenesuispassincère?

— Jepensequevousêtes inconstant.Vousm’offrez lemariage,alorsqu'ilyaàpeineseptheuresvousétiezprêtàvousbattreenduelcontreM.BellamypournepasépouserLily.Or,c'estd'abordenversellequevousdevriezagirenhommed'honneur.

«Sansoublierqu'elleestplusbelle.Plusgracieuse.Etplusriche»,faillit-elleajouter.

—JenesouhaitaispasépouserLily.

Lespoilssedressèrentsurlanuqued'Amelia.Elletentadeserappeleràl'ordre.Cen'étaitpasuncomplimentqueleducluifaisait.

— LadyAmelia,enchaîna-t-il,vousvousêtes toujoursmontréed'unehonnêteté totaleavecmoi.Puis-jel'êtreàmontour?

Elleagitalamainenguised'invitation.

— Lilym’aouvertlesyeux.LamortdeLéom'apparaîtcommeunrappeldemapropremortalité,etcommeuneincitationàagir.J'aiunejeunepupille.Elleneferasesdébutsdanslemondequedansdeuxans,etilfaudraattendreencoreavantqu’ellesoitprêteàsemarier.Si jamais il m’arrivait malheur entre-temps, mon titre et mes biens reviendraient à desparentséloignés,etsonsortseraitalorsentrelesmainsd’inconnus.Jenepeuxpascourircerisque.Aussiai-jedécidédememarieretdeconcevoirunhéritier.

—Vousveneztoutjustedeprendrecettedécision?

—Oui.

—Pourquoimoi?PourquoipasLilyouuneautredesnombreusesjeunesfemmesquevousavezauditionnéesaucoursdesdouzainesdebalspassés?

Ilparutsurpris.

—Auditionnées?Lesgenscroientquejesuisenquêted’uneépouse?Quejelestesteendansantavecelles?

—Évidemment.

Il s’esclaffa. Pour la deuxième fois de lamatinée. Cette fois son rire avait une tonalitéveloutéequiluifitl’effetd’unecaresse.

— Ce n’était pas le but, croyez-moi. Pour répondre franchement à votre question, jedésireunhéritierleplusvitepossible.Jen’ainulleenviedecourtiserunegamineécerveléequi a la moitié de mon âge. Encore moins la patience de demander la main d’une jeunefemmequiporteraledeuilpendantunan.Ladotm’importepeu.Ilmefautjusteunefemmesensée,denoble lignée,de constitution robusteetde tempérament stable,quimedonnera

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quelquesenfants.

Ellelefixad’unairhorrifié.

—End’autrestermes,unepoulinière!

— Enfaisantcettecomparaison,vousnousrabaisseztous lesdeux,rétorqua-t-ild’unevoixneutre.J’aidetrèsbonnesjumentsdansmesécuries,maisjenepermettraisàaucunedeportermesenfants,dedirigermamaison,nimêmed’introduiremacousinedans labonnesociété.Alors,non,jenerecherchepasunepoulinièremaisunefemme.Uneduchesse,pourêtreexact.

Ameliapritsubitementconsciencedel’ampleurdesonoffre.Heureusementqu’elleétaitassise.Cethommeferaitd’elle laduchessedeMorland.Sielleacceptaitsaproposition,elledeviendrait l’unedes femmes lesplus riches et lesplus titréesd’Angleterre.Elledonneraitdes fêtes somptueuses, évoluerait parmi l'élite de la société. Et enfin - son cœur chavira àcettepensée...

—J'auraismapropremaison,murmura-t-elle.

— Enréalité,vousenauriezsix.Mêmesijemerendstrèsrarementdansmademeureécossaise.

Ameliaagrippal'accoudoirdufauteuil.Dieuduciel!Sixdomaines.L'und'euxauraitsansdoutebesoind'unpasteur.EllepourraitpersuaderJackdereprendresesétudespourentrerdanslesordres.Elleveilleraitàcequ'ils’installedansunpresbytèreconfortable,loindesesvauriensd'amis...

Non,sereprit-elle.Elleavaitdesmilliersderaisonsderefuserlapropositionduduc.Dumoins,elledevaitenavoir.Seulement,ellesneluivenaientpasàl'esprit.

—Mais...bafouilla-t-elle,nousnousconnaissonsàpeine.

— Cesdernièresheures,jevousaiobservéelorsd'unesoiréemondaine,jevousaivueréagiraveccalmeàuneépreuvedifficile,etnousavonseuuneconversationquis'élevaitbienau-dessus des banalités d'usage. Je connais votre généalogie, je sais que vous venez d'unefamillepleinedegarçons,cequiestdebonaugurepourmoiquidésireunhéritier.Pourmapart,jesuissatisfait.Maissivouslesouhaitez,n'hésitezpasàmeposerdesquestions.

Ilarquaunsourciletattendit.

Elleavalasasalivetantbienquemal.

—Quelâgeavez-vous?

—Trenteetunans.

—Avez-vousd'autresparentsendehorsdevotrecousine?

—Non.

—Comments'appelle-t-elle?

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—LadyClaudia.Elleaquinzeans.

—Réside-t-elleencemomentenvilleavecvous?

— Non, elle est à York depuis quelquesmois. Elle y séjourne chez des parents de samère.

Amelia marqua une pause, ne sachant comment poursuivre. Quel type de questionsposait-onàungentlemandesonenvergure?Ceseraitabsurdedes'enquérirdesacouleurfavoriteoudel'adressedesongantier.Elletentauneautreapproche:

—Quelestledernierlivrequevousavezlu?

—Défensedesdroitsdelafemme,deMaryWollstonecraft.

—Vousplaisantez?

— Oui, dit-il en ébauchant un sourire narquois. En réalité, j’ai lu ce livre il y a desannées.

—Vraiment?Etqu'enpensez-vous?

—Jepense...

Ils’écartadubureauetluiadressaunregarddedéfi.

—Jepensequevousêtesàcourtd'idées,ladyAmelia.

Les battements de son cœur ralentirent un instant. Avant de repartir de plus belle.Pourquoi Dieu ne répartissait-il pas la beauté selon les mérites ? s'interrogea-t-elle. Unhommeépouvantable auraitdû être laid. Iln'auraitpasdûavoirdesboucles soyeuses,despommettessaillantesdignesd'undieugrec,unebouchesensuellequidevenaitabsolumentirrésistiblelorsqu’elleseretroussaitsurunsourire.

Auxgrandsmaux,lesgrandsremèdes!

—Sijevousépouse,effacerez-vousladettedeJack?

« Dites non, l’implora-t-elle en silence. Autrement, je ne réponds plus de rien. Si vousacceptez, je serai tentée de vous prendre dansmes bras, voire pire : de vous donnermonconsentement.»

—Non,répondit-il.

Unmélangedesoulagementetdedéceptionl’envahit.Maisaumoinssavait-elleàprésentcequ’illuirestaitàfaire.

—Danscecas,milord,j’aipeurdenepaspouvoir...

—Enrevanche,selondestermesstipulésdansuncontratdemariage,jevousattribueraiunesommesubstantielle-vingtmillelivres,jepense-,ainsiquequelquesbiensfonciers.Àquois'ajouteraunerentegénéreusepourvosdépensespersonnelles.Plusieurscentainesdelivres.

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—Paran?

—Nesoyezpasridicule!Partrimestre.

Amelia eut un moment d'absence. Ces dernières années, elle était devenue experte encalculs de petites sommes, qu'elle comptait au demi-penny près. Deux shillings, dix pencechezlemarchanddetissu,etainsidesuite.Maisdessommesaussiastronomiquesquecelle-là...sortaienttoutbonnementdesondomained’expertise.

— Vous dépenserez votre rente comme bon vous semblera. Néanmoins, je vousconseillerais de ne pas gâcher deux pence pour votre frère. De toute façon,même si vouspayezsadette,vousnepasserezpasl’étédansvotrecottage.Vousm’accompagnerezdansmapropriétéduCambridgeshire.

—BraxtonHall.

Ilhochalatête.

Elle en avait entendu parler. Si le duc ne recevait pas, son défunt oncle, lui, avait étémondain.Lesvieillesdamesde labonnesociétéparlaientavecnostalgiede lamajestueusepropriété de Braxton Hall. On racontait que c’était la demeure la plus vaste, la plussomptueused'EstAnglia.

— Vous ne manquerez de rien en termes de confort matériel. En retour, je vousdemanderaijusted’accepterderecevoirmesattentionsjusqu'àlanaissanced'unfils.Etilvasansdirequej'exigeraivotrefidélité.

Elleseremémorasesparolesdelanuitprécédenteàproposdusatanéétalon:«Lesdroitsd’élevagenem’intéressentpas.Jen’aimepaspartager.»Parlerd’unchevalendetelstermes,sur un tel ton, avec une telle autorité - c’était écœurant. Appliqué à une femme, c’étaitabsolumentdégradant,humiliantet...Dieuluivienneenaide,excitant.

—Jevois,répondit-elleensecomposantunvisagecalme.Pourrai-je,moiaussi,comptersurvotrefidélité?

— MauditesoitcettesatanéeWollstonecraft !Soit.Jusqu’à lanaissanced’unfils.Àcestade,nouspourronsrevoirlestermesdenotreaccord.Sivouslesouhaitez,nousneseronsmêmeplustenusdevivresouslemêmetoit.

Depireenpire.Ilvoulaitsimplementlouersesservices.

Commeelledemeuraitmuette,ilajouta:

—Vousnevousattendieztoutdemêmepasquejevousfasseunedéclarationd'amour?Ellesonneraitfaux,etceseraitinsultervotreintelligenceetlamienne.

Ameliaseleva.

—Jepenseavoirétésuffisammentinsultéepouraujourd’hui,dit-elled'untonposé.

— Jesuismoi-mêmeàboutdepatience,rétorqua-t-ilen larejoignant.Jesuissûrquec'estl'offrelaplusgénéreusequevousrecevrezjamais-ettrèscertainementladernière.J'ai

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réponduàtoutesvosquestionsimpertinentes,etjevousaifaitdespromessesextrêmementgénéreuses.Àprésent,madame,puis-jeavoirvotreréponse?

Ça,oui!Elleallaitluirépondre!Maispasavantdel'avoirfaitunpeumariner.

— Unedernièrequestion,milord.Vousavezdéclaréquepartagermonlitneseraitpasunecorvée.Commentpuis-jeavoirlamêmecertitudedemoncôté?

Ilreculad'unpas,commes'ilavaitbesoindedistancepourlafoudroyerduregard.

Ellesourit,ravied'avoirréussiàlepousserdanssesretranchements.

—Nefaitespascettetête,milord.Jen'aipasl'intentiondevoustripoterlacuisse.

Ellecommitalorsl'erreurdeposerlesyeuxsursescuisses.Descuissestrèsmusclées,envérité.

—Vraiment?

Ellesecontraignitàleregarderànouveaudanslesyeux.

—Non,voyez-vous,danscedomaine-là,lesfemmesapprécientunpeuplusdefinesse.J'aibeauêtreencorevierge,jenesuispasignorante.

—Laissez-moideviner:d’autreslecturessubversives?

Elleignoracettepauvreprovocation.

—Avantdevousdonnermaréponse,j’aimeraisàmontourfaireuntest.

Unéclairdepaniquetraversasonregard.Oubienétait-cedudésir?

—Quelgenredetestavez-vousentête?

—Unbaiser.

—C’esttout?

Ils'avançaetinclinalatêtecommes’ils'apprêtaitàdéposerunchastebaisersursajoue.

Ellelevalamainpourl’arrêter

—Surlabouche,s’ilvousplaît.Etenvousappliquant.

—Enm’appliquant,répéta-t-il,incrédule.

Illadévisagea.S’imaginanttellequ’illavoyait,Ameliaeutenviededisparaîtresousterre.Des joues rebondies, rougies par l’émotion. Des yeux bouffis, et sans doute cernés. Descheveux blonds à demi décoiffés. Quelle mouche l’avait piquée de le provoquer ainsi ?Pourquoinepasavoirsimplementrefusésonoffrepourenfinirpourdebon?

Parcequ’ellevoulaitqu’ill’embrasse.Ellevoulaitsesentirdésirée.Enfait,elleauraitaimérevenirenarrière,danslavoiture,etagirdifféremment.Queseserait-ilpassésiellen’avaitpasfuisescaresses?Sielleavaitlaissésamainremonterlelongdesacuisse...

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Cette vision lui arracha un frisson. Son regard se posa sur ses lèvres. Elle retint sonsouffleetcarralesépaules,prêteàrecevoirsonbaiser.

Aulieudequoiilfitdeuxpasenarrière.

Grands dieux ! Il l’avait rejetée. Dans une voiture sombre, il pouvait à la rigueur latripoter,maisenlavoyantàlalumièredujour,ilavaitdécidéqu’ellen’envalaitfinalementpaslapeine.

Ilseraclalagorge.

—Sijedoism’appliquer...

Ilôtasongantdroitenprenanttoutsontemps.

Il avait de bellesmains, constataAmelia. Il se débarrassade son second gant, le regardrivéausien,etelleneputréprimerunsoupir.

Iljetalesgantssurlebureau,puiss'approchad'elle.Illevalesmainsnonpourluitoucherlevisage,commeelles’yattendait,maispourôteruneàunelesépinglesquiretenaientcequirestait de son chignon. Il se tenait si près qu’elle avait l’impression qu’il l’étreignait.Danscette posture, elle avait une vue imprenable sur son cou solide et la ligne ferme de samâchoire. Il émanait de lui une odeur de cognac, de cuir et d’amidon sous laquelle elledistinguaitleparfummusquédesapeau.Elleinhalaprofondément.

Ilretira ladernièreépingle,etsachevelureretombaencascadesursesépaules.Ilglissaalors les doigts dans ses cheveux pour arranger les boucles à sa guise, ce qu’elle trouvadélicieux.

—Voilà,dit-ilenencadrantsonvisagedesesmains.Maintenant,nouspouvonsfaire leschosesdanslesrèglesdel’art.

Nous.Ilnesecontenteraitdoncpasdel’embrasser.Ilvoulaitqu’elleparticipe...

Ses lèvres caressèrent les siennes, lentement, sensuellement,Et, dans une explosiondetouslessens,Ameliad’Orsayfutpropulsédansununiverstotalementinconnu.

À l’époque où M. Poste lui avait fait la cour, elle avait enduré un certain nombre debaisers. Dix ans s’étaient écoulés depuis, mais ces horribles baisers, moites et avides, lahantaientencore.Ilsl'avaientlaisséeimpuissanteethonteuse.

Mais là, c’était complètement différent. Le duc avait passé les dernières heures à larudoyer, enchaînant les remarques désobligeantes ; cet homme ignorait ce qu’était uneconversationpolie.Maiscebaiser...cebaiserétaituneconversationensoi.

Ilpressasabouchesurlasienneàplusieursreprises,avantdes'écarterpourluipermettredeprendreàsontourl'initiative.Cequ'ellefitavecunplaisirdébridé.

—Oui,murmura-t-ilquandelleposamaladroitementlesmainssursesépaules.Oui,c'estbien.

Encouragée, elle laissa ses mains remonter jusqu'à son cou. Comme il enfouissait les

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doigtsdanssachevelure,ellel'imita,raviedepouvoirenfintouchersesbouclesbrunes.Etluiarrachaunpetitgrognementdeplaisir.

Ilmarquaunepausepourreprendresonsouffle.

«Nevousarrêtezpas»,lesupplia-t-elleensilence.

Ellecaressasanuque,etilcapturaseslèvresavecuneardeurrenouvelée.Ameliasesentitfondre. Sa bouche était insistante, exigeante, il n'attendait cependant pas d'elle qu'elle sesoumettemaisqu’ellerenchérisse.

Elle n’avait jamais envisagé qu’un baiser puisse être non pas une conquête mais unéchange. Un échange de caresses des lèvres et de la langue. Avant qu’il effleure lacommissure de ses lèvres, elle n’aurait pas imaginé que cette zone fût d’une sensibilité siexquise.

C’étaitdélicieux,maisôcombiendangereux.

Il ne se contentait pas de lui apprendre à embrasser, il la poussait à révéler d’elle plusqu’elle ne le devrait. Comment pourrait-il ne pas percevoir son désir alors qu’elle endébordait?Elleaspiradoucementsalèvreinférieure,imitantlamanièredontilavaitflattélasienne.Commentluidirenondecettemêmebouche?

Finalement, elle cessa de se poser des questions pour s’abandonner aux sensations quil’assaillaient. Son corps fredonnait, frémissait, s'embrasait. Elle en voulait davantage. Ellevoulait sentir sesmains ailleursque sur son cou.Endessous.N'importeoùendessousducou.

Les doigts entrelacés sur sa nuque, elle se pressa contre lui. Sa poitrine se heurta à lafermetédesontorse.Illarécompensaenglissantlesmainsaucreuxdesesreins,puisplusbas,sursonpostérieurqu'ilempoignasansvergogne.L’attirantplusprèsencore,ilplaquaseshanchescontrelessiennes.Unplaisirinouïexplosaenelle.

—Amelia,gémit-il.

Ellevoulut lui répondre,mais fut incapabledeserappelersonprénom.Etellesevoyaitmall'appeler«Morland»enunmomentpareil.Encoremoins«milord».

Le problème fut vite résolu, car il introduisit de nouveau la langue dans sa bouche, luiinterdisantd’articulerlemoindremot.

Auboutd'unmoment -desminutes,desheures,uneéternité... -, il s'écartadoucement.Sanslamoindrehonte,elleattrapasonvisagepourl'embrasserunedernièrefoisaucoindeslèvres.

Iléclataderire-unrirerauque,unpeuessoufflé.

—Ceneserapasunecorvée,jepense,commenta-t-il.

—Non.

Ill'étudiaavecattention,unsourcilarqué.

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—Cen'étaitpasvotreréponse,n'est-cepas?

—Non,répondit-elleenhâte.C'est-à-dire...jenesaispas.Maréponseàquoi?

Elle lui lâcha le cou et croisa les bras sur sa poitrine. Elle ne s'était pas doutée que cebaiser, qu'elle avait elle-même réclamé en pensant qu'il serait agréable, bouleverserait sonunivers.Commentétait-ellecenséeluidiredereprendresonoffreinsultanteetdedisparaîtredesavuealorsquesoncorpsentierleluiinterdisait?

—Peut-êtredevrait-onrecommencerdepuisledébut,suggéra-t-ilenposantlamainsursesdoigtscrispés.LadyAmelia,meferez-vousl'honneur,etcætera.

— Et cætera? répéta-t-elle, incrédule.C’estainsiquevouscomptezmedemandermamain?

—Enréalité,jenefaisqueréitérermademande.Avez-vousprisunedécision?Jecroisquevousêtesdenouveauàcourtd'arguments.

—Nousnenousentendonspasdutout,rétorqua-t-elle,audésespoir.

—Cen’estpasl'impressionquej'aieueàl'instant.

Certes,ilss'étaienttrès,trèsbienentendus.

Nesachantpasmentir,Ameliachoisitlafranchise.

—Vousmeplaisez,c'estindéniable.D'unpointdevuepurementphysique,vousêtesunhomme très attirant.Mais je ne vous apprécie pas vraiment. Vous avez un comportementabsolumentinqualifiableenpublic,etvousn'êtesguèremieuxenprivé.Leseulmomentoùjevoustrouveàpeuprèssupportable,c'estlorsquevousm'embrassez.

Illuiadressaunregardréprobateur.

—Mêmeainsi,nouspartirionssurdemeilleuresbasesquelaplupartdescouples.

—Possible,maisc'estencorebeaucouptropéloignédumariagedontjerêve.

—Hum,fitleducens'écartant,ilsembleraitquevousayezunedécisionàprendre:lemariagedevosrêves,oumoi.

—Aucunefemmenedevraitavoiràfaireuntelchoix.

C'étaitmalheureusementcourant,songea-t-elle.

Àchaqueseconde,quelquepartdanslemonde,unefemmerenonçaitàsesrêvespourseheurteràladureréalité.Desannéesplustôt,elleavaitréussiàrepousserl'inéluctable.Maisaujourd’hui,sontourétaitvenudetroquersesrêvescontre...quoi?Lasécurité,lapossibilitéd’aider ses frères et, marginale mais indéniablement tentante, l’occasion de connaître lapassionphysique.Quantàl’amour...Ehbien,elleauraitdesenfantsqu’ellechériraitcommesamèrelesavaitaimés,sesfrèresetelle.

Ellesavaitcequiluirestaitàfaire.

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Pourtant,ellenepouvaitserésoudreàprononcerlesmots.

—Danscecas,nefaitespasdechoix,reprit-il.Venezici.

Cen’étaitpasunedemandemaisunordre.Elles’exécutadebonnegrâce,sonassurancel’attirantàluicommeunaimant.Elles'arrêtaàquelquescentimètresàpeineetlevalesyeuxverssonbeauvisage.

—Embrassez-moi.

Encoreunordre.Auquelelleobéitsanssefairepriercarc'étaitexactementcequ'elleavaitenviedefaire.Ilinclinalatêteetellelegratifiad'unlangoureuxbaisersurlabouche.Leurslèvresseséparèrent.

—Àprésent,ditesoui.

Elleseraitduchesse.Maîtressedesixdemeures.Ellesemarieraitàl'égliseSaint-George,sur Hanover Square, en présence du Tout-Londres, vêtue d'une robe de brocart ivoiredivinementbrodée,d'uncoûtabsolument indécent,qu'elleavait aperçue la semainepasséedansunevitrinedeBondStreet.Pour lerepasdenoces,elle feraitservirunepiècemontéeblanchedécoréed'unglaçageenformedefleurs-desorchidéesplutôtquedesroses.Toutlemondechoisissaitdesroses.Sonbouquetdemariéeseraitcomposéd'orchidées-desvraies.

Certainsdesesrêvespouvaientencoreseréaliser.

—Ditesoui,Amelia.

Elleditoui.

C'étaitvenuplusfacilementqu’ellenes'yattendait,aussilerépéta-t-elledeuxfois.

—Vousavezprislabonnedécision.

Illagratifiad’unsourirebrefmaisravageurauquelelleraccrochaimpulsivementtoussesrêvesettoutessesespérances.Pourlemeilleuroupourlepire.

—Jevaism'entreteniravecvotrefrère.

Ilrécupérasesgantssurlebureau.

—N'oubliezpasdedonnermonnomàvotresecrétaire,dit-elle,cédantàl'excitationquidoits'emparerdetoutenouvelle fiancée.Quenouspuissionscommencer lespréparatifsdumariage.

— Ce ne sera pas nécessaire, rétorqua-t-il.Nous nousmarierons ici, dans cette piècemême.Demain.

6.

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Àpeinetrenteheuresplustard,AmeliaétaitassisedanslesalonrosedeBeauvaleHouse,le rose étant la couleurdeprédilectiondeWinifred.Avecun soupirnerveux, elle pressa lamaindeLilyChatwicktoutendemandantpourlacinquièmefois:

—Tuessûrequecelanetedérangepas?

—Sûreetcertaine,réponditLily.

Ameliasemordillalalèvre.

—Jen’auraispasdûtefairevenir.C’estinconvenant.

Unmariage,avantmêmequelordHarcliffesoitenterré?C’étaitdetrèsmauvaisgoût...etcelamanquaitterriblementd’orchidéesetdepiècemontée.Maisàl’évidence,depuisqu’elleavaitmurmuréle«oui»fatidique,leducdeMorlandconsidéraitqu’ellen’avaitplusvoixauchapitre.Lespréparatifsdumariages’étaientdéroulésenuntourdemain,sansqu’elleaiteusonmotàdire.L’après-mididelaveille,unehordedemessagersavaientdéfilésurleperronde Beauvale House, déposant des documents légaux, la dispense de bans accordée parl’archevêque ainsi que desmalles aux armoiries du duché deMorland dans lesquelles elledevaitempaqueterseseffets.Auparavant,unecouturièreétaitvenue,accompagnéededeuxpetitesmains.

Apparemment,leducneplaisantaitpasendisantquesarobedesoiebleueétaitbonneàjeter.

Pendant près d'une heure, le trio s'était agité autour d’elle, notant ses mensurations,claquant de la langue solennellement, comme si elles étaient les trois Parques de lamythologiegrecquemandatéessurterrepourtailleretcoudreladestinéed'Amelia.

Tôt dans la matinée, un valet chargé comme un mulet avait emprunté le long couloirmenantà lachambred’Amelia.Lepaquet leplus imposantcontenaitdesnuagesde juponsblancsetunechemisearachnéenne; lepluspetitrenfermaitunepairedebouclesd'oreillesbaroques serties de perles. Et l'une des boîtes de taille intermédiaire recelait une robe desatin gris tourterelle magnifiquement coupée et d'un goût parfait. La couleur était certesdiscrète,maisnéanmoinsfortjolie.Ameliaeffleural'étoffeduboutdesdoigts.

—C'estunebellerobe,commentaLily.

Ameliacrispalepoing,honteused'avoirrévélésavanité.Elleauraitdûrefuserdelaporterpour revêtir à la place sa tenue de bombasin noir. Seulement, elle avait un faible pour lestissusdequalité.

—Tulamérites,ajoutaLily,commesielleavaitludanssespensées.Ettunedoispastesentircoupable le jourdetonmariage.Honnêtement, jesuisheureused'êtreprésente.Quesuis-je censée faire d'autre ?Me lamenter surmon triste sort, seule chezmoi ? J'en ai euamplement l'occasionhier.Et j'aurai tout le tempsdem'yremettredemain.Aujourd’hui, jesuisheureusedepouvoirmechangerlesidées.Et,pourêtretoutàfaitfranche,jesuisunpeusoulagée.

— Soulagéedenepasavoirà l'épouser? fitAmeliaen riant.Je te comprends. Il vaut

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mieuxquecesoitmoi.

—Cen'estpascequejevoulaisdire.Jesuissûrequeleducferaunbonmari.

—Vraiment?J'aimeraispouvoirendireautant.

Lilycroisasonregard.

—Amelia,tunemecroirasjamaisquandjetediraicequ'ilaexpédiéchezmoi,hier.

—Pasdescouturières,j'espère.

—Non.Unchèquedebanque.

—Nemedispasquec'estencoreausujetdecefichucheval?

—C'estmoinsterriblequetunelepenses.J'aiétéstupéfaiteendécouvrantle...

Bang!

La porte du salon s'ouvrit avec une telle violence que les gonds tremblèrent dans leshuisseries.Alarmée,Ameliabonditsursespieds.Lilyl'imitaavecbeaucoupplusdegrâce.

Le duc deMorland se tenait dans l'embrasure de la porte. Grand. Beau. Ténébreux. Etvisiblementfurieux.

Cematin,même ses boucles de jais, impitoyablement plaquées sur ses tempes à grandrenfort de pommade, n'osaient se rebeller. Il arborait une expression aussi sombre que satenue.Lacolère,associéeàsonairarrogant, luiconféraitunetelleséductionqu'Ameliaeutdumalàleregarderdanslesyeux.

Derrièrel'imposantesilhouetteduducapparutLaurent,lamineembarrassée.

—Jesuisnavré.J'aitentédeleretenir.

—Dieuduciel!Quesepasse-t-il?demandaAmeliaencroisantlesbras.

Maisellelesdécroisaaussitôtpourserrersesmainstremblantesdanssondos.Cen'étaitqu'unhomme,serépéta-t-ellepourserassurer.Avecdesdéfautscommetoutlemonde.Ellen'allaitpasselaisserintimider.Nimaintenantnijamais.

—LadyAmelia,attaqua-t-ild'untonaccusateur.Vousêtes...

Illaparcourutdelatêteauxpieds,etelleneputréprimerunfrisson.

—Vousêtesenretard.

—Enretard?répéta-t-elle,incrédule.

Ilpénétradanslapièceàgrandesenjambéestoutensortantunemontredelapochedesaredingote.

—Lemariagedevaitcommencerà10h30,reprit-ilOr,ilestexactement10heures...

Haussantunsourcil,ilmarquaunepausedramatique.

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—...39.Vousavezneufminutesderetard.

S'efforçantdeconserversoncalme,Amelialerejoignitaucentredelapièce.

— Milord, commença-t-elle, vousm’avez accordé des fiançailles de vingt-sept heuresexactement.Vingt-septheurespourmeprépareràlaviededuchesse.Etvousmereprochezlabagatelledeneufminutesderetard?

—Oui,répondit-ilenlafusillantduregard.

Laurents’approchad’elle,posalamainsursonépauleetl’attiraàl’écart.

—Amelia,chuchota-t-il,iln’estpastroptard.Personnenet’obligeàl’épouser.

Ladoucesollicitudedesonfrèrefaillitfairevolerenéclatssesrésolutions.Depuisprèsdevingt-six heures, ce dernier avait tout tenté pour la convaincre de renoncer à cette folleentreprise.Sielleserétractait,mêmeauderniermoment,ellesavaitqu’ellepourraitcomptersur son soutien. Comme dix ans auparavant, quand elle rompit ses fiançailles avec cethorribleM.Poste.«Peuimportel’argent,avait-ildéclaré,tonbonheurvautplusquedel’or.»

Trop heureuse de se dérober à cette union qui lui répugnait, elle avait ressenti unimmensesoulagement.Âgéealorsdeseizeans,elleétaitloindesedouterquel’endettementdesonpèreprendraitdesproportionsaussidésastreuses.

— C’est l’occasion ou jamais d’aider notre famille, Laurent, répondit-elle dans unmurmure.Unefoisduchesse,jeseraiàmêmedefairepournosfrèrescequemêmetoitunepeuxpasfaire.CetteunionamélioreraleschancesdeMichaeldesemarieravantageusement.Peut-êtreréussirai-jeàmettredel'argentdecôtépourJack,afindeluipermettredevivreloindeLondresetdesesmauvaisesfréquentations.

—JecrainsqueJacknesoitunecausedésespérée.

—Jet'interdisdedirecela.Simamanétaitenvie,prononcerais-tudetellesparolesensaprésence?

— Et toi, épouserais-tu cet homme, simaman était là ?Cen'est pas ce qu'elle auraitsouhaitépourtoi.Ellevoulaitquesesenfantssemarientparamour.

—Pourtanttun'enasfaitqu’àtatête,observa-t-elled'untonposé.

Après lamort de leur père, l'endettement de la famille n'avait cessé de croître. LaurentavaitalorsfaitlesacrificeauquelAmeliaavaitregimbé:unmariagederaisonpourlesmettreàl'abri.Ellesereprochaitsouventdenepasluiavoirlaisséd'autrechoix.

— Cette fois, je ne peux plus reculer, Laurent. Ce n'est pas uniquement pour notrefamillequejefaiscela.J'aienvied'avoirmamaison,mesenfants.Ilsepeutquecesoitmadernièrechance.Jen'aiplusseizeans.

Elleavaitvieillietmûri.Etelleétaitplusseulequejamais.Etpuis,sidésagréablesoit-il,le ducdeMorland soutenait la comparaison avecM.Poste. Il n'était pasde trente ans sonaîné. Il n'avait pas les dents déchaussées. Il n'empestait ni le suif ni la transpiration. Et ilembrassaitbien.Danslesrèglesdel'art.

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Etpuis,ilétaitduc.Unducàlatêtedesixdomaines,quiluiaccorderaitunerentedevingtmille livres, et quelques biens en sus. Alors si cet homme trouvait normal de lui offrir lasécuritéetdesenfants,ellepouvaitenéchangefaireensorted'êtreponctuelle,supposait-elle.

—Tuesabsolumentsûredetoi?demandaLaurentenjetantunregardméfiantauduc.Jen'auraiaucunscrupuleàlemettreàlaporte,lecaséchéant.

—Non.Jeteremercie,maismadécisionestprise.

Amelia était convaincue que le bonheur était en grande partie une question de choixpersonnel.

—Etj'aibienl’intentiond’êtreheureuse.

Spencer était grandement contrarié. Douzeminutes de retard à présent. À l'heure qu'ilétait,ilsauraientdéjàdûêtremariés;etpeut-êtremêmesurlepointdemonterenvoiture.Au lieu de quoi il se tenait bêtement aumilieu de cette pièce, à regarder sa future épousetenirconciliabuleavecsonfrère.

Dieu qu'il détestait les mariages ! Il ne se rappelait pas avoir jamais assisté à unecérémonie,maisilsejuraquecelle-ciseraitladernière.

Etdirequ'àpeineuneheureplus tôt il se félicitaitd'avoireuune idéeaussibrillante. Ilavaitbesoind'uneépouse,et ilavait trouvé lemoyend'enobtenirunesansavoirà lever lepetitdoigt.Lorsqu'unhommeayantsonstatutetsafortunedemandaitlamaind'unefemmequin'avaitnil'unnil'autre...Tousdeuxsavaientqu’ellenepouvaitrefuser.

Pourtant elle le faisait attendre sans vergogne. Spencer n’aimait pas qu'on le fasseattendre.L'attentelemettaitmalàl'aise,etildétestaitsesentirmalàl'aise.

Raisonpour laquelle il avait insistépourque la cérémonie sedéroule chez elle enpetitcomité.Enl'absencedeconvives,demusiqueetd'orchestre,ilpensaitparveniràsemaîtriser.Saufqu'ilavaitsuffid'unretarddedouzeminutespourlemettredanstoussesétats.Illuienvoulaitd'autantplusqu'ilavaitparfaitementconsciencedecequesonagitationsignifiait.Ilyavaitquelquechoseentreeux.Celavenaitd'elle,oudelui,oudesdeux.Ill'ignorait.Toutcequ'ilvoulait,c'étaitépousercettefemme,laramenerchezlui,laporterdanssonlitetenavoirlecœurnet.

—Milord?

Illevabrusquementlatête.LadyAmeliasetenaitdevantlui.Laconfectiondesarobeluiavaitcertescoûtélesyeuxdelatête,maislasommeengagéen'étaitrienauvudurésultat.

Debout, les mains serrées derrière le dos, elle se tenait de manière à exploiter sesavantages. Sa taille était fine et marquée, ses hanches rondes à souhait, et sa poitrineaffolante. La soie gainait ses courbes voluptueuses, soulignant ses formes avec brio. Lesreflets irisés du satin évoquaient la rosée sur la bruyère, et contrastaient joliment avec latexture crémeuse de sa peau.Amelia apparaissait douce et lisse, et tandis que ses penséess’accrochaientautissu,sonregardglissasurelle.Ils’efforçadeladécrire.Certes,ellen’était

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pasélégante,nirenversanteoubelle.

Rafraîchissante.Voilà,sonapparenceétaitrafraîchissante.Telledel’eaufraîcheetlimpideunjourdecanicule.Etileneûtvolontiersbuunverre.

Elleluiadressaunhochementdetêtedéférent.

—Veuillezexcusermonretard,milord.Jesuisprête.Votretémoinest-ilarrivé?

Ilsecontentadelafixerduregardsansmotdire.

—Vous...vousavezbienuntémoin?Quelqu’unquisigneraleregistre?

Ilsecoualatête.L’idéeneluiavaitmêmepastraversél’esprit.

—Beauvalenefait-ilpasl’affaire?

—Laurent?dit-elleenfronçantlessourcils.Probablement,maisjepréfèrenepasleluidemander.Cemariagenel’enchanteguère.Etmalheureusement,c’estleseuldemesfrèresprésents.

Balayantlapièceduregard,ellerepéralemajordome.

—NouspourrionsdemanderàWycke,àlarigueur.Maisjesupposequevousnevoudrezpasd’undomestique.

Spencerseseraitvolontiersruédehorspourattraperlepremiervenuquipassaitdanslarue,pourvuqu’ilssoientmariésdanslequartd’heurequisuivait.

—Ilferal’affaire,déclara-t-ilens’avançantverslemajordomed’unpassec.Faitesentrerlepasteur.Autantprocéderàlacérémoniedanscettepièce.

Quandl’ecclésiastiqueentra,Spencerluifitsigned’approcher.

—Milord?fitlepasteureninclinantsoncrânechauve.

— Votre paroisse recevra un don très généreux si vous faites vite. Dix minutesmaximum.

Lefrontplissé,l’hommeouvritsonlivredeliturgie.

— Il s’agit d’un rituel établi, milord. On entre dans le mariage avec solennité etconsidération.Jenesuispascertaindepouvoirprécipiter...

—Dixminutes.Milleguinées.

Lelivredeliturgieserefermadansunclaquement.

—Celadit,quesignifientquelquesminutesdeplusoudemoinsauxyeuxdel’Éternel?

D’ungestedelamain,ilfitsigneàAmeliad’approcher.

—Allons,monenfant,dépêchez-vous.Vousêtessurlepointdevousmarier.

Spencer écouta à peine le flot de paroles qui résuma son mariage. En théorie, il était

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d’accordavec lepasteur.Lemariageétaituneentreprise sacréeet solennelle, et sahâtenesignifiaitpasqu’ilnelaconsidéraitpasavecsérieux.Cen’étaitpasunactequ’ilprenaitàlalégère, autrement il se seraitmarié voilà des années. Entre deux « oui » et l’échange desvœux, il parvint à demander en silence quelques héritiers de sexe masculin et autresbénédictionsqueDieujugeraitbondeleuraccorder.C’étaitpeu,maisceladevraitsuffire.

Ausignaldupasteur,ilséchangèrentdesimplesanneauxenor.

—Jevousdéclaremarietfemme.

Voilà.L’affaireétaitfaite.

Il se tournavers sonépouse, la regardadans lesyeuxpour lapremière fois.Et se traitaaussitôt d’imbécile. S’il avait eu la bonne idée de river son regard au sien dès le début, lacérémonie aurait été beaucoup plus agréable. Elle avait vraiment de beaux yeux - grands,expressifs,pétillantsd'intelligence.

Ilavaittrèsenviedel'embrasser.

Commesielleavaitludanssespensées-Seigneur,s’était-ilexpriméàvoixhaute?-,ellesecouaimperceptiblementlatêtetoutenmurmurant:«Pastoutdesuite.»

Le pasteur posa le lourd registre de la paroisse sur une console, et l’ouvrit à la pagedésirée.Unefoislesnomsetladateinscrits,Spencerpritlaplumeetsigna.Ilportaitunnomà rallonge, la tâche lui prit donc un certain temps. Quand il eut fini, il tendit la plume àAmeliaaprèsl’avoirtrempéedansl’encrier.

Ellecontemplaleregistresansmotdire.

Lemoments’éternisant,Spencercommençaàs’inquiéter.Qu’attendait-ellepoursignercefichupapier?

Mais avantqu’elle ait posé lapointede laplume sur leparchemin,un vacarme retentitdanslecouloir.JulianBellamyfitirruptiondanslesalon,Ashworthsursestalons.TousdeuxfoncèrentdroitsurSpencer.

—Quediablecelasignifie-t-il?lâchaBellamy.

—Jesuisentraindememarier.

—Jenesuispasaveugle,espècedecrapule!

Unsouriredédaigneuxauxlèvres,BellamyfourraunpapiersouslenezdeSpencer.

—Jeteparledecela,poursuivit-il.Qu’est-cequecelasignifie?

C’étaitlechèquedebanquequ’ilavaitenvoyélaveille,commepromis.

—Niplusnimoinscequej’avaisoffertàladyLily.Jeluiproposeunecompensationenéchangedujetondesonfrère.

—D’unmontantdevingtmillelivres?

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Àcôtédelui,Ameliaétouffauncri.

—Aucunchevaldecourseaumondenevautautant,intervintAshworth.Encoremoinsunchevalàlaretraite.

— Jenemesuispasbasésurlavaleurmarchandeducheval.J’aiproposéunesommequi correspondà ceque le jeton vautpourmoi, rétorquaSpencer avantde se tourner versBellamy.Detoutefaçon,ladécisiondel’accepteroudelarefuserrevientàladyLily.Pasàtoi.

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Cettedernières’avançaverseux.

— Quoique je vous en sois très reconnaissante, milord, vous savez que je ne puisacceptervotreoffre.

— Si elle vous semble insuffisante, nous pouvons envisager une somme plusgénéreuse...

—Cen’estpaslaquestion,l’interrompit-elle.Votreoffreestplusquegénéreuse.C’estdelacharité,etentoutebonneconscience,jenepeuxl’accepter.

—Ellenepeutl’accepter,intervintBellamy,carlejetondeLéoadisparu.

—Disparu?répétaAmelia.Commentcela?

— C’est justement ce que nous aimerions savoir, répondit Bellamy en adressant unregardassassinàSpencer.Tuasquelquechoseànousdire,Morland?

— Comment saurais-je où est passé ce jeton ? Ne se trouvait-il pas parmi les effetspersonnelsdeHarcliffe?

Ashworthsecoualatête.

— Non.Nousavons toutpasséaupeigne fin.Deux fois.Et ilne l’avaitpas sur lui aumomentdesamort.Cesontprobablementsesagresseursquileluiontvolé.

—Oupeut-êtrel’avait-ildéjàperduaujeu,hasardaSpencer.

—Impossible.Léon’auraitjamaismisésonjeton.Laseulemanièredefairemainbassedessus,c’étaitdeleluiprendredeforce,ettulesavais,vitupéraBellamy.

— Quediablesous-entends-tu?ripostaSpencerquisentitunemasseglacialese logerdans ses entrailles. Tu n'es pas en train dem'accuser d'avoir joué un rôle dans lamort deHarcliffe,j'espère?

Bellamysecontentadehausserlessourcils.

—Cen'estpascequetuesentraindesuggérer,n'est-cepas?insistaSpencerd'unevoixposée.Parcequesijamaistuosaismecalomniersanslamoindrepreuve,jeseraiscontraintdetedemanderréparation.

— Pour pouvoir récupérer aussi mon jeton ? L'arracher de mes mains froides demacchabée?

Amelias'interposaentrelesdeuxhommes.

— Vous êtes résolu à vous entretuer ? Monsieur Bellamy, sauf votre respect, vosaccusationssontabsurdes.Si leducdeMorlandavaitdéjàledit jeton,pourquoioffrirait-ilàLilydeleluirachetervingtmillelivres?

Heureusementqu'il y avait aumoinsunepersonne raisonnabledans cettepièce.Etparchance,ils’agissaitdecellequ'ilépousait.

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— Pour soulager sa conscience, rétorqua Bellamy. Je me suis souvenu d’un détail,Morland,enchaîna-t-il.Tuétaisdans lasallede jeux, l'autrenuit, lorsqueLéoetmoiavonsdécidédenousrendreaucombatdeboxe.

Sansdoute,maisSpencern'avaitpasprêtélamoindreattentionàHarcliffeetàBellamy,obsédéqu'ilétaitparlejetondeFaradayqu'ilvoulaitremporteràtoutprix.

—Etalors?Unedouzained'autresgentlemenétaientégalementprésents.

—Dontaucunn'avaitdemotifdetuerLéo.TuasdéjàgaspilléunefortunepourOsiris.Qu’est-ce qui t’empêchait d’en venir auxmains ? Tu savais exactement où trouver Léo cesoir-là.Ettusavaisquejeseraisaveclui.Qu’espérais-tu?Faired’unepierredeuxcoups?

—Tuasperdul’esprit.

—Tumedégoûtes,rétorquaBellamy.Quandjepensequej’aifaillit’autoriseràépouserLily.Jecomprendsmieuxpourquoiturechignais.Imagine,l’avoirenfacedetoichaquejourjusqu’àlafindetavie,sachantquetuétaisresponsabledelamortdesonfrère.Laculpabilitét’auraitrongé.

— Celasuffit,intervintLily.Julian,vousnesavezpascequevousdites.C’estabsurde.Nousn’avonsaucune raisondecroireque ladisparitiondu jetonaun lienavec lamortdeLéo.Cen’estpasparcequeleducarefuséde...

Bellamyignorasonintervention.

— L’idée te répugnait, n’est-ce pas ? Tu t’es empressé d’offrir de l’argent à Lily. Etd’épouser ensuite la première venue pour qu’on te fiche la paix, ajouta-t-il en indiquantAmeliadumenton.

Spencernes’enétaitpasprisàunhommedepuisquatorzeans.Maisiln’avaitpasperdula main. Son poing s’écrasa sur la mâchoire de Bellamy avec un craquement satisfaisant.Celui-cis'affalasurleparquet.LechèquedebanquevoletadanslesairstandisqueBellamyluttaitpourseredresser.

Spencers’apprêtaitàluiassenerunautrecoupmais,avantqu’ilpuissefrapper,Beauvalebonditetluiattrapalebras.

— Vousvoyez?s’exclamaBellamyd’untonaccusateurtoutense frottant la joue.Cethommeestdangereux.Ilveutmetueraussi.

—Maintenant,oui,grondaSpencerenrepoussantBeauvale.

— On imagine sans peine qui sera le prochain sur sa liste, insista Bellamy. Tout lemondesaitcequetuasfaitàAshworthàEton.

— Vraiment ? fit Spencer en se tournant vers ce dernier. Et qu’ai-je fait à Ashworth,exactement?

Bonsang!Ilavaitétérenvoyéd’Etonàcausedecettebagarre.Etavaitacceptétacitementdeporterlechapeau.Cevaurienn'avaitpasintérêtàletrahirdevantsafutureépouse.

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Ashworthhaussalesépaules.

—Visiblement,jesuistoujoursenvie.

—Julian,jevousenprie,fitLilyens'approchantdeBellamy.

Duboutdudoigt,elleluieffleuralacommissuredeslèvres,làoùlesangcoulait.

—Jesaisquevousêtestristeetencolère.Quevousvouleztrouveruncoupable,vengerlamortdeLéo.Maisvousfaitesfausseroute.

—Vraiment?

Unsilencepesanttombadanslapièce.Spencersentitlesregardsconvergerverslui.Touslescrutaient:Bellamy,Lily,Ashworth,Beauvale,lepasteur...Amelia.

Cefutellequibrisalesilence.

— Vous vous trompez,monsieur Bellamy. J’étais présente quand vous avez appris lamortdeLéoauduc.Ilétaitsouslechoc,jevousassure.

Bellamyessuyaseslèvresensanglantéesdudosdelamain.

—Pardonnez-moi,maisvotreparolenevautpasgrand-choseàmesyeux.

Le salaud. Spencer l’aurait volontiers enroulé dans l’affreux tapis rose et aurait jeté cesdeuxabjectionsdanslecaniveau.Maisilneprendraitpascettepeine.Ilexistaitdesmoyensplusefficacesdeblesserunhomme.JulianBellamyvenaitdenullepart.Auxyeuxdubeaumonde,iln’étaitpersonne.QuiétaitmieuxplacéquelequatrièmeducdeMorlandpourleluirappeler?

— Tu t'abstiendrasde t'adresseraussi familièrementàma femme,dit-ilde son ton leplus aristocratique. Tu t’abstiendras de lui parler tout simplement, à moins que tu net’adressesàelleaveclerespectetladéférencedusàsonrang.N’oubliepasd’oùtuviens.

Un éclair de haine jalouse traversa le regard de Bellamy. Spencer avait touché la cordesensible.Detouteévidence,l’hommeéprouvaitunmélanged’envieetdeméprisàl'égarddel'élite.Quelqu'unauraitdûl'avertirquec'étaitlàunefaiblessefacilementexploitableparsesadversaires.

— Quant à la parole de lady Amelia, ajouta Spencer àmi-voix afin que seul Bellamypuisseentendre,jet'assurequ’ellevautplusàmesyeuxquetamisérablevie.Dénigre-ladenouveau,etjeteprometsquetufinirasauboutd’unelame.

—Tuparlescommeunassassin,grondaBellamy.

Affichantuneminenonchalante,Spencersebaissapourramasserlechèquedebanque.

— Si le jeton de Harcliffe a disparu, il est aussi dans mon intérêt de retrouver sesassassins. Rendez-vous dans une heure devant les écuries où Osiris est en pension. Nousévoqueronsl’affaireplusendétail.Maispourlemoment...

Il empocha le chèque avant de prononcer le mot qui lui brûlait les lèvres depuis que

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Bellamyétaitentrédanslapièce.

—Dehors.

—Attendez!s'écriaAmelia.Nepartezpas.Nousavonsencorebesoind'untémoin.

Spencerécarquillalesyeux.

—Êtes-vousentraindesuggérerquece...cemuflesoittémoinànotremariage?

— Après tout ce que vous venez de voir et d'entendre, vous désirez toujours épousercettecanaille?s'étonnaBellamy.

—Ai-jelechoix?fitAmeliaenlevantlesyeuxversSpencerpourl'étudiercalmement.

—Rienn'estencoreofficiel,s'entendit-ildire.Vousn'avezpassigné.SivousaccordezducréditauxaccusationsdeM.Bellamy,jesuisprêtàvouslibérerdevotreparole.

Aprèsunehésitation,elletenditlamainetlaposasurlasienne.Cecontact,silégersoit-il,effaçalatensionauniveaudesonpoignet.Sonpoingsedesserra.

Sansunmot,ellesepenchasurleregistreetyinscrivitsonnomd’uneécritureappliquée.Après avoir soufflé sur sa signature, et reposé la plume dans l’encrier, elle se redressa etdéclarasimplement:

—Voilà.

IlenfallaitbeaucouppourrabattrelecaquetdeSpencer.Sonépousevenaitdelefaire.

Lily s’approcha à son tour. Elle signa dans l’une des deux cases réservées aux témoins,avantdetendrelaplumeàBellamy.

—Vousdevriezsigner,Julian.VoussavezdansquelespritLéoavaitfondéceclub-unclubquipermettedeforgerdesamitiésauméprisdesoriginesetdesmilieuxsociaux.Voilàpourquoi il avait décrété que l’adhésion dépendrait de la chance. Il souhaitait former desalliancesimprobables.

Lamaintoujourstendue,elleinsista:

—Jevousenprie,signez.PourLéo.Etsivousnelefaitespaspourlui...

Poussantunjuron,Bellamyfourrageadanssescheveux.

—Nemedemandezpascela,Lily.

—...faites-lepourmoi,acheva-t-elle.

Avec un grommellement, il s’empara de la plume et se pencha sur le registre.Mais audernierinstant,ilsedéroba.

—Jenepeuxpas.Mêmesijecroyais...Non,jenepeuxpas.

— Bon sang !Donne-moi cette plume, tempêtaAshworth qui bouscula Spencer pours’approcherduregistre.Lavoilà,votreallianceimprobable,milady.

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Improbable,c’étaitlemoinsquel’onpuissedire.

—Ainsi,tunepensespasquejesuisunmeurtrier?fitSpencer.

Étrangequ’Ashworth se soitmanifesté en sa faveur.Une seule foisdans sa vieSpenceravaitfaillituerunhomme,etcethomme,c’étaitlui.

—Non,répliqualecolosseenluiadressantunregardénigmatique.Tun'aspaslestripespourça.

Ashworth ne cherchait visiblement pas à le dépeindre sous un jour flatteur. Cela dit,Spencers'enmoquait.

—Rendez-vousauxécuries,dit-ilauxdeuxhommes.Dansuneheure.

7.

—C’estunefarce,maugréaSpencerenapprochantdesécuriesnoyéesdanslebrouillarddefindematinée.

Osiris, leplusgrandchevaldecoursedesagénération-vainqueurdeschampionnatsdeNewmarket, Doncaster et Epsom Downs - était en pension parmi les chevaux d’attelageordinaires?

La grange était aussi sombre et humide qu'une grotte. Un nuage de poussièretourbillonnait dans le seul rayon de lumière qui perçait l’obscurité. Les box des chevauxétaientexigus,commetoujoursàLondres.Unabreuvoirremplid’eaucroupiedégageantuneodeur fétide lui fitplisser lenez.Dans leCambridgeshire, sesgarçonsd’écuriechangeaientl’eaudesbêtesdeuxfoisparjour.

Àsonsignal,lepalefrenierouvritleboxdel’étalon,puislefitsortirdanslapetitecour.Lechevals’ébroua,sesnaseauxsedilatèrent,etilbalançalatêtedegaucheàdroite.Legarçontira brusquement sur le licol. Spencer crispa les mâchoires de colère. S'il avait été à sonservice,cegesteluiauraitcoûtésonposte.

—Commentsedétend-il?

—Onlesortdeuxfoisparjour.Parfoisonlefaitmarcherdanslacouraulicol.Ilaimepasqu'onleselle,celui-là.Ilaimepastroplabrossenonplus.

—Sijecomprendsbien,c’estluiquivousdonnedesordresetnonl'inverse?

Avecunclaquementdelanguedésapprobateur,Spencertournaautourducheval.Sarobebaifoncéavaitgrandbesoind'uncoupd'étrille.Sacrinièred'ébèneétaitseméedepoilsgris,signede l'âge avancéde l'étalon.Une zonedégarnie sur le flancdroit indiquait qu'il s'étaitfrotté contre le mur du box. Bien que son pansage soit déplorable, Osiris demeurait unecréature impressionnante. Sa croupe haute et tendue ainsi que sa longue encolure arquéetémoignaientdesonascendancearabe.

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Spencer contourna de nouveau le cheval pour aller se poster devant lui, légèrement decôté,àquelquedistancepourluipermettredebienlevoiretdelerenifler.L’expressionqu’illutdanslesgrandsyeuxfrangésdelongscilsluiplut.Demêmequelecoupdetêtehautainquidéséquilibralepalefrenier.Ilyavaitlàdel’énergieetunearrogancefarouche.Ceregarddisait:«Jevauxmieuxquecela.»

—C’estcertain,approuvaSpencer.

Cettebêten’enfaisaitqu’àsatête;elleauraiteubesoinderetravailleravecundresseurexpert.Maisaumoins,sonespritdemeuraitintact.

Ilôtasesgantset lescoinçasoussonaisselle.Puis ils’approchad’Osirisenmurmurantdes paroles rassurantes. Il lui présenta sa main, paume vers le bas, pour qu'il la sente etl'inspecte,aprèsquoiillaposasursongarrot.

—Beaucoupmieuxquecela,marmonna-t-ilencaressantlechevald'ungestevigoureux.

Le cheval tourna la tête pour lui renifler la main, exhibant l'étroite flamme blanchesemblableàunéclairquicouraitlelongdesonchanfrein.

Spencerfuttentédeleselleretdes'enfuiravec.Maisonl'accusaitdéjàdemeurtre.Inutiled'ajouter un autre crime, passible de pendaison, à la liste de ceux dont le soupçonnaitBellamy.

—Justeciel!

Spencerportabrusquementleregardversl'entrée.

Ashworth,quipénétraitdansl'écuried’unpasvif,émitunsifflementd’admiration.

—Quellebêtemagnifique!

Il remonta légèrement dans l'estime de Spencer. En dépit de leur passé chaotique, cederniersongeaqu'ilyauraitbeaucoupàdired'unhommecapabledereconnaîtreunchevalexceptionnel lorsqu'il en voyait un. Ou, d'ailleurs, capable de reconnaître une fausseaccusationlorsqu'ilenentendaitune.

— N’est-ce pas ? fit Spencer d’une voix emplie de fierté. Son grand-père n’était autre

qu’Éclipse[3]

. Quant à sa mère, elle est issue d’une lignée de champions, qui remonte à

GodolphinArabian[4]

.Aucunchevalanglaisnepossèdedemeilleurpedigreequelesien.

Ils’emparadulicolducheval,congédiantlepalefrenierd’unregard.

Ashworthinclinalatêtepourexaminerl’animal.

— Je possédais autrefois un hongre issu de Darley[5]

. Un alezan rouxmoucheté deblanc. Aussi rapide que le diable, avec un tempérament à l’avenant. Je lui ai fait sillonnertoutelalandeduDevonshire.C’étaitunemontureparfaitepourunjeunehommeencolère.

Spencernel’auraitpascriésurlestoits,maisluiaussiavaitpasséplusdetempsenselle

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quesurlesbancsdel'école.

—Queluiest-ilarrivé?

—Ilestmort.

—Surunchampdebataille?

—Non.

Ashworth se dirigea d’un pas nonchalant vers le fond de la cour. Visiblement, il nesouhaitait pas aborder le sujet. Étrange, cet hommeparlait sans problème de ses hommesmortsaucombat,maissefermaitcommeunehuîtredèsqu’ils'agissaitdesonalezan.Maispeut-êtren’était-cepassiétrange,aprèstout.

—Alors,pourquoisommes-nousici?repritAshworth.

—Jemeposaisjustementlamêmequestion,lançaJulianBellamyquientradanslacourensepavanant.

Ilportaituncostumebleucobaltaussifroisséques'ilavaitdormiavec.Sansparlerdesescheveux,constammentenbataille.Qu'unhommesedonneautantdemalpoursoigneruneallureaussinégligéedemeuraitunmystèrepourSpencer.Celadit,ilnecomprenaitpasnonplusquel'onlaisseunchevald’exceptiondansunendroitpareil.

—Noussommesicipourparlerdel’enquête,réponditSpencer.Maisd’abord,jetiensàsoulignerquecelieuestunehonte.

—Quelestleproblème?

Ilénuméralesdifférentspointssursesdoigts.

—Eaucroupie.Foinpourri.Palefreniersignorants.Absenced’aération.Boxexigus.Etjenevousparlemêmepasdumanqued’exercice...

—Assez,coupaBellamyenlevantlamain.Àmesyeux,cetendroitn’estpasdifférentdesécuriesoùsontgardéslesattelagesdesgentlemendeMayfair.

—Ilnes’agitnid’unchevald’attelagenid’unhongrequel’onsortdetempsàautrepourcaracolersurRottenRow.Osirisestunancienchevaldecourse, issud’unedesplusnobleslignées, rétorqua Spencer en lui lançant un regard aigu. Je nem’attends certes pas qu’unhommecommetoicomprenne.

Le visage de Bellamy vira à l’écarlate. Décidément, provoquer cet homme était un jeud’enfant.

—Jevois,répliquaBellamyavecfeu.Seulunaristocratedenoblelignéeestcapabledecomprendreunchevalderace,c’estcela?

Spencer haussa les épaules. Sa propre ascendance n’entrait pas en ligne de compte ; ilsavaitcedontcechevalavaitbesoin,point.

— Unchevaldesa trempenécessitedessoinsparticuliers.Depuissanaissance,on l’a

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entraîné non seulement à courir mais à gagner. À partir du moment où il est devenuchampion,onl’achoyé,toutenadoptantàsonégarduneattitudepermissive.Sil’onajouteàcelaqu’il estentier, etqu’il adoncgrandbesoindes’accoupler, celanousdonneunchevaltrès arrogant qui s’ennuie àmourir. En l’absence d’entraînement et d’accouplement, toutecetteénergies’envenime.Ildevientcoléreux,difficile,repliésurlui-même,etdestructeur.

Ashworthhaussaunsourcilàl’adressedeBellamy.

—Cetteconversationneprendrait-ellepasuntourtrèspersonnel?

Spencerfulmina.

—Jenefaisaispasallusionàmoncas,crétin.

Ashworthécarquillalesyeux,feignantl’innocence.

— Bien sûr quenon,milord. Si tel était le cas, néanmoins, cela expliquerait bien deschoses,ajouta-t-ilsournoisement.

— En effet, renchéritBellamy.À commencer par cela, fit-il en indiquant samâchoiremeurtrie.

— Je faisaisplutôt allusionauxnocesprécipitéesdeSaSeigneurie, clarifiaAshworth.Logiquement,ildevraitêtredebienmeilleurehumeurdemainmatin.

—Assez!s’écriaSpencer,lesmâchoirescrispées.Rieztantquevousvoulez.JenesuispassûrquevousenaurezencoreenviequandOsirismourraprématurément.

Àprésent,lesdeuxhommesétaienttoutouïe.

Bellamyémitunsifflementbas.

—Tuesdugenreviolent,non?

—Pourl'amourduciel,cen'étaitpasunemenace,rétorquaSpencer,àboutdepatience.Misàpartlesquestionsd’exerciceetd'accouplement,cechevaladelavaleur.Illuifautunepension digne de ce nom. Personnellement, je ne confierais pas un cheval de trait à cesécuries,alorsunchevaldecourse...

— On lui a attribué le box le plus sûr, rétorqua Bellamy. Les garçons d’écurie lesurveillentàtourderôle,etlaporteestverrouilléeenpermanence.

— Justement, les verrous sont un des problèmes. Regardez l’état de cette écurie, fitSpencerenindiquantleschevronscouvertsdetoilesd’araignée.Delapoussièrepartout.Ungreniertruffédepaille.Encasd’incendie,lesbêtesserontprisesaupiège.Uneétincelle,etlastructureentièrese transformeenbrasier.Toutesvoschaînesetvosverrousscelleraient ledestindeceschevaux.

— Sur cepoint, il n’apas tort, concédaAshworth. Si vous êtes tous lesdeuxd’accordpourletransférer,jenem’yopposeraipas.

—Serais-tuprêtàvendretapart?demandaSpencer.Jesauraimemontrergénéreux.

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Ashworthneréponditpas.Ilsemblaitconsidérersérieusementlaproposition.Parfait.S’ilavaitétécontraintdevendresachargedemilitairepourrembourserdescréanciers,c'estqu'ilétaitàcourtdefonds.

—Ilnepeutpasvendresapart,protestaBellamy.Lesjetonsnesontpassolvables.

—Nouspoumonsnousarranger,répliquaSpencer.Tentéparunjeudecartes,Ashworth?

CedernierouvraitlabouchepourrépondrelorsqueBellamys'enmêla.

—Non!Jenelepermettraipas.Léoafondéceclub.Ilenaédictélesrèglesetlecodedeconduite.Aprésentqu’ilestmort,lemoinsquevouspuissiezfairepourhonorersamémoireseraitderespecterl’espritdefraternitéquereprésentececlub.

— L’esprit de fraternité ? répéta Spencer. Comme, par exemple, en interrompant lemariage d’un homme pour l’accuser demeurtre sans l’ombre d’une preuve ? Écoutez-moibien, tous les deux. Je suis d’accord pour renoncer aux jetons restants, à une condition :OsirisseratransférédansmonharasduCambridgeshire.

Bellamysecouavivementlatête.

— Laisse-moi finir, insista Spencer. Les règles demeurent lesmêmes. N’importe quelmembreduclubpourraenvoyerunejumentpourl’accouplement...

—DansleCambridgeshire?ricanaBellamy.

—Monharasestl’undesplusprestigieuxdupays,écuriesroyalesincluses.Degrandesstalles, des prés clôturés. Un palefrenier en chef et des valets d’écurie émérites. Unvétérinaire à demeure. À Braxton Hall, cet étalon sera dans son élément. Il sera nourricorrectement.Recevral’entraînementnécessaire.Sereproduiradansdebonnesconditions.

Ilcaressalacrinièredejaisd’Osirisavantdeconclure:

—Laplacedecechevalestchezmoi.

— Autrementdit,cecheval t’appartient,rectifiaBellamyquicrachadans lapaillesansvraiment se donner la peine de détourner le visage. Tu crois que cet animal te revient dedroit,commetout lereste.Qu’est-cequitefaitpenserquetuasdavantagevoixauchapitreque nous ? Ton titre ? L’exploit d’être né d’une lady plutôt que de la femme de chambrefavoritedetonpère?

Spencer était hors de lui. En dépit des différends qu’il avait eus avec son père durantl’adolescence,cedernierétaitunhommehonorableetrespectable.

—Lefaitquetunesachesriendetonpèrenetedonnepasledroitdemédiredumien,siffla-t-il.

LesyeuxdeBellamylancèrentdeséclairs.

—Cequisépareunhommedetonrangd’unhommedumien,Morland,c’estlehasard.Bêteetméchant.Léoavaitconsciencedelaminceurdecettefrontière.Ilnes’estjamaiscru

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supérieur à personne. C'est pour cette raison qu’il a créé ce club, et fait en sorte que sesmembresledeviennentgrâceàlachance-cellequileurtombedessusaprèslanaissanceetnonpasavant.

IlregardaSpenceretAshworthtouràtour.

— Plutôtmourirquede laisser l'und’entrevousdétruirecela.SivousvoulezsortircechevaldeLondres,ilfaudrad’abordmepassersurlecorps.Jemebattraijusqu’àmonderniersouffle.

—Ettuperdras,répliquaSpencerenétrécissantlesyeux.Fourre-toiceladanslecrâne:ces jetons finirontparmerevenir.Cechevalaussi.Et si tupensesqueseul lehasardnousdifférencie, jemedemandepourquoi tudéploies tantd’énergie à courtiserdesgensque tuméprises.

SanslaisserletempsàBellamydeseressaisir,Spencerenchaîna:

—Quesavons-nousdelamortdeLéo?

—C’estàtoiquel’ondevraitposerlaquestion.

Spencersecontentadebalayerl’accusationimplicited’unhaussementd’épaules.

—A-t-onretrouvélaprostituée?Lecocherdufiacre?

Méfiant,Bellamysecoualatête.

—J’aipassélanuitàratissercequartierinfestédepouilleuxqu’estWhitechapel.Etdèsque nous en aurons fini ici, j’y retournerai. J’imagine que Sa Seigneurie ne tient pas àm’accompagner.

—Pasparticulièrement.

Spencer fit signe d’approcher au valet d’écurie, à qui il remit le licol. Fouillant dans lapocheintérieuredesaredingote,ilensortituneenveloppecachetéedusceaudesMorlandetlatenditàBellamy.

Cedernierlafixad’unregardpleinderessentiment.

—Qu'est-cequec'est?

— Laraisondetaprésence ici.Garde-laprécieusement.Dedanssetrouveunchèquedebanqued’unevaleurdevingtmillelivres.

Bellamyscrutal'enveloppe.Sonrictusdédaigneuxs'effaça.

— Sers-t'enpourembauchertouslesdétectivesdeLondres.Fouilletouteslestavernesmiteuses,touslestrouscrasseux.Interrogefillesdejoieetvoleursdetoutpoil.Tutomberaspeut-êtrenezànezavecdevieillesconnaissances,maistunetrouverasrienquimerelieàlamortdeHarcliffe.

—C'estcequenousverrons.

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Bellamysaisitlecoindel'enveloppeettiradessus.

Spencerlaretintparl'autreextrémité.

—Unefoisquelesmeurtriersaurontétédébusqués,lerestedecettesommereviendraàLily.Jerécupérerailejeton.

Illâchaenfinl'enveloppe.Bellamys'enemparaavecunhochementdetêtecontraint.

— Je n’ai pas tes moyens, intervint Ashworth, mais si jamais tu as besoin de brasmusclés,n’hésitepasàm’appeler.Enrevanche,situasprévudemenerleoulescoupablesdevantlejuge...jenepeuxpastepromettrequ’ilresteragrand-choseàprésenteràlacour.

—Jesuisprévenu,répliquaBellamyavecprudence.JecroyaisquetuconnaissaisàpeineLéo.Tuseraisprêtàtuerpourlui?

Ashworthhaussalesépaules.

—J’aituépourmoinsquecela.

Impatientdemettreuntermeàcetentretien,Spencerreprit:

— Puisquevous refusezque jedéplaceOsiris, je tiens absolumentà cequ’undemesvaletsd’écurieviennes’occuperdelui.JeparspourleCambridgeshiredemain.Quel’onmetienne au courant des progrès de l'enquête.Vu la sommeallouée, jem'attends aumoins àrecevoirunexprèsparjour.

—Dis-moi,tufuislavillebienprécipitamment,fitremarquerBellamy.

—Jenefuisriendutout.Desaffairesm'attendentdansmondomaine.

—Desaffairesenrapportavectalunedemiel,jeparie,observaAshworth.Unesériederendez-vousurgentsaveclelitducal?

Tandis que ses deux interlocuteurs échangeaient un regard, Spencer exhala un soupirimpatient. Peut-être avaient-ils raison. Il avait sans doute besoin d'une bonne partie dejambesenl'air.Raisondepluspourretournerauprèsd'Amelia,quiavaitàlafoislebonsensdenepasprêterattentionàcesaccusationsabsurdes,etuncorpssusceptibledelesluifaireoublier.

— Je trouve quandmême cela curieux, insista Bellamy. Cemariage hâtif, ton départprécipitédeLondres.

Perdantpatience,Spencerrétorqua:

—Sijerestaisenville,tum'accuseraisdechercheràmettredesbâtonsdanslesrouesdela police pour l'empêcher d'enquêter. Rien de ce que je dirai ne te persuadera de moninnocence.Envérité,tutesensmal.TuétaiscenséaccompagnerLéocettenuit-là,aulieudequoitul'aspasséeàfairelejolicœur.Tuesrongéparlaculpabilité.Ettantqu'onn'aurapasretrouvélesassassinsdeLéo,tut'emploierasàfairedemavieunenfer.

Ilenfilasesgantsavecdesgestesbrusques.

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— Cequetupensesdemoim'indiffère.Contente-toidetrouver lescriminels.Jetiensautant que toi à les voir entre les mains de la justice. Trouve-les, répéta-t-il en toisantBellamy.Récupère le jeton.Ensuiteseulement,nousnousréunironspourparlerde l'avenirduclub.

Unéclatderirebrisalatension.

—Désolé,fitAshworth.C'estamusant,vousnetrouvezpas?Noustrois,réunisdansunmêmeclub.

Julianserenfrogna.

—C'estsurtoutabsurde.

—Eneffet,acquiesçaSpencerenfaisantsigneaupalefrenierdeluiapportersamonture.VousdisiezqueLéoaimaitplaisanter.Cettefois,ilseseraamuséànosdépens,semble-t-il.

8.

Amelia commençait à se demander si son mari avait l'intention de venir un jourconsommerleurmariage.

Auboutd'unmoment, lassedecontempler lesmurscouleur lavandedesasuite,elle selaissachoirsurlelitavecunsoupircontrariéetscrutaledaispourpredubaldaquin,oùétaitbrodécequiressemblaitàdesoiseaux.Desoiseauxtristesetbizarres,auxailesétrangementdéployées.Peut-êtreétait-cecenséêtredesgrues?Selonelle,onauraitplutôtditdesperdrixprêtesàêtreplumées.Pourunejeunemariéesurlepointderemplirsondevoirconjugal,cen'étaitpasunspectacletrèsinspirant.Pourvuqueleducpréfèrefaireceladanslenoir!

Àsupposerqu'ilvienne.

IlsavaientquittéBeauvaleHousepeuaprèscetteparodiedecérémonie.Danslavoiture,ilsn'avaientpaséchangéunmot.UnefoisparvenuschezMorland,ill'avaitremiseauxbonssoinsdelagouvernanteetl'avaitquittésurunlaconique:

—Trippvavousconduireàvosappartements.Reposez-vous.

Ellenel'avaitpasrevudepuis.

Elles'étaitreposée.Elleavaitprisunthé.Elleavaitenvisagédetuerletempsendéfaisantsesmallesetensefamiliarisantavecleslieux,maissanouvellefemmedechambreluiavaitannoncéqueceneseraitpasutile.SaSeigneurieavaitdécrétéqu'ilspartiraientpourBraxtonHalldèslelendemain.

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Sitôt!

Sous le choc, Amelia s'était consolée avec un bain chaud. Elle s'était habillée avec soinpourledîner,qu'elleavaitprisseule.Lorsqu’elleavaitenfintrouvélecouragedes'enquérirduduc,onluiavaitannoncéqu'ilétaitpartifaireunepromenadeàcheval.

C'étaitbiensachance!Lejourmêmedesonmariage,sonépouxl'avaitdélaisséepouruncheval.

Quelquesheuresaprèssondînerensolitaire,allongéesur le litdanssacamisole laplusarachnéenne, Amelia commençait à se demander si elle n'avait pas commis une terribleerreur. Les accusations deM. Bellamy la hantaient. Sur le moment elle avait rejeté l'idéed'instinct. LeducdeMorland avait beau être antipathique, arrogant et froid, elle le croyaitincapabledetuer.

Celadit, ilétaitprêtàverservingtmille livrespourobtenirdixpourcentdespartsd'uncheval de course. Vingt mille livres, c'était aussi la rente qu'il lui avait allouée.Indépendammentdesrumeursquicirculaientàproposduduc,cessommesendisaientlongsurcequ'étaientsespriorités.

PuisilyavaiteulecoupdepoingadministréàBellamy.

Uneautre femmequ'elleauraitsansdouteété flattéequ'unhommeflanqueuncoupdepoing à un autre pour défendre son honneur.Mais Amelia avait quatre frères, qui avaienttous,àunmomentouàunautre,frappéquelqu’unsousprétextedeprendresadéfense.Ellen’était pas née de la dernière pluie. Les hommes se bagarraient pour le seul plaisir de sebagarrer,«l’honneurdesdames»n’étantleplussouventqu’unprétextefortcommode.

Sileducétaitprêtàjeterunhommeàterreparcequ’il l’avaitinsultée...dequoiserait-ilcapablesil’enjeuluitenaitvraimentàcœur?

Non, impossible. Elle était avec lui au bal des Bunscombe. Et bien qu’il fût arrivé à lasoiréeaprèsqueLéoeutététué,leducneluiavaitpasdonnél’impressiond’unhommequivenaitde commettreunmeurtre.Celadit, elle ignorait comment se comportaitunhommeaprès avoir commis un meurtre. S’empressait-il d’apparaître en public pour écarter lessoupçons?Était-ilsubitementblanccommeunlingeetennage?Aupointdeseréfugiersuruneterrasseàl’abridesregards?Offrait-ilunesommed’argentabsolumentfaramineuseàlafamille de la victime ? Épousait-il à la hâte le seul témoin de son attitude suspicieuse ?S’empressait-ildequitterlacapitale?

Elleplaquabrusquementlepoignetsursesyeux.Justeciel,qu'avait-ilfait?

Qu’avait-ellefait?

Elle se redressa soudain.Peut-êtren'était-ilpas trop tard.Lemariagen'avaitpasencoreété consommé. Si elle parvenait à s'enfuir et à se réfugier chez Laurent, elle pourraitdemander l'annulation. Elle se leva, drapa un châle sur ses épaules, et ouvrit la fenêtre.C’étaitledébutdel’été,maislanuitétaitplutôtfraîchepourlasaison.Enadmettantqu’elles’habilleseule,évitelesdomestiques,parvienneàsortirdiscrètement,ettrouveunfiacre...

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Non.Une fuite enpleinenuit était trop risquée.QuoiqueMorlandeût fait, elledoutaitqu’il représente une menace pour sa vie. En revanche, elle ne pouvait en dire autant desmécréantsquirôdaientdanslesruessombresdelacapitale.

EtsielleenvoyaittoutsimplementunmotàLaurent?Ilviendraitlachercher.Oui,c’étaitlasolution!Ellesoudoieraitunvaletpourqu’ildélivresonmessageàl’insududuc.Aupire,ellepourraittoujoursfeindreunmalaiseetexigerqu'onfassevenirunmédecin.Iln’étaitpassitard.Iln'étaitque...Ellejetauncoupd’œilàlapendulesurlemanteaudelacheminée.

Minuit.

Legrincementd’unloquetluiarrachaunsursaut.

Quandleducouvritlaportedecommunication,Ameliaplaqualamainsursabouchepourétoufferungloussementnerveux.Ilfallaitêtreunebécassepours’attendrequ’ilarriveavantlesdouzecoups!

Aprèstout,ils'agissaitduDucdeMinuit.

Force était d’admettre que ce soir, il était à la hauteur de sa réputation. Debout dansl’encadrement, vêtu d’une simple chemise et d’un pantalon ample, il la contemplait d’unregard intensequi lamettaitmal à l’aise.A l’évidence, il venaitdeprendreunbain car sescheveuxétaientencorehumides.Ameliaregardatouràtour lespartiesdesoncorpsqu’elleneconnaissaitpasencore-sesavant-brasmusclés,lehautdesontorsequelaissaitentrevoirsa chemise déboutonnée, ses pieds nus. Il était scandaleusement attirant - le diable enpersonne.

—Toutvabien?s’enquit-ilenfronçantlessourcils.

Enouvrantlaporte,ilnes’attendaitsansdoutepasàtrouversafemmedevantlafenêtreouverte,lamainsurlabouche.

Ameliasongeauninstantàfeindreunmalaise.Crisperlesmainssurleventre,s’effondrersur le sol, se tordrededouleur jusqu’à cequ’unmédecin vienneà son secours.Elle écartal’idéeavecunsoupirpenaud:ellen’avaitjamaissumentir.

— Oui,toutvabien,répondit-elle.Jen’aiétédérangéequeparmespensées.Etparlesoiseaux.

—Lesoiseaux?fit-il.

—Surlecieldelit.

Ilsedirigeaverslelit,s’ylaissatomberetroulasurledos.Lematelasprotestasoussonpoids.

—Jevois,murmura-t-ilencroisantlesmainsderrièrelanuque.Cesontdesvautours?

—Desgruesplutôt,fit-elleavantdedétournerlesyeux.

L’observer ainsi étendu sur le lit lui semblait indécent. Ou du moins lui inspirait despenséesindécentes.

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—Vautoursougrues,cesoiseauxsontunaffrontpourlabrodeuseaccompliequevousêtes,décréta-t-il.Jeferaichangercecieldelitdèsdemain.

Uninstantperplexe,Ameliaserappelasoudainlemouchoir.Ellesedemandabrièvementcequ’ilétaitdevenu.Avantdesedemandertoutaussibrièvementsielleavaitperdul’esprit.Qu’illegarde,cestupidemouchoir,quantàelle,ilfallaitqu’ellesorted’ici,qu’elleéchappeàcemariage.

—Pourcesoir,nousnouscontenteronsdesoufflerlesbougies.

—Non,fit-ellevivement.

—Non?Danscecasapprochons-nousdufeu.Ilfaitfrisquetdanscettechambre.

Le duc se leva pour aller fermer la fenêtre. Il récupéra ensuite les oreillers et lescouvertures,etlestransportaprèsdelacheminéeoùillesempila.S’emparantdutisonnier,ilajoutaducharbon,etremualesbraisesjusqu’àcequelefeurepartejoyeusement.

Était-ce là l’hommearrogantqu’elle avait épousé cematinmême? s'interrogeaAmelia.Les ducs ne fermaient pas les fenêtres eux-mêmes, ne transportaient pas des oreillers, etn'attisaient pas le feu. Il s’était pourtant chargéde ces tâches avec beaucoupde simplicité.Une fois encore, elle perçut en lui un éclair d’humanité. Il n’avait décidément rien d’unmeurtrier.

Àmesurequelesflammesgrandissaient,sessoupçonsrefluaient.Aupointquellefinitparsesentirstupide.Avait-ellevraimentenvisagé,quelquesminutesplustôt,dedescendreparlagouttièrepouréchapperàsondiaboliqueépoux?

Au fond de son cœur, elle n'arrivait pas à croire que cet homme puisse commettre unmeurtre.Malheureusement,elleavaitunefâcheusetendanceàaccordersaconfianceàtout-va, et souvent à tort. Si elle avait besoin qu’il la rassure sur son innocence, rien nel’empêchaitdeluiposerlaquestion.

— Et voilà, fit-il en se frottant lesmains avant de les essuyer sur son pantalon. Plusd’oiseaux.Commentvousdébarrasseràprésentdevospenséesdérangeantes?Ya-t-ilquoiquecesoitquejepuissefairepourvousyaider?

Ils’assitprèsdufeuetluifitsignedelerejoindre.

—Peut-être.

Elles’installasurunoreilleravecmilleprécautionsettiraunecouverturesursesgenoux.

—Oùétiez-vous?reprit-elle.Lemajordomem’aditquevousétiezpartiàcheval.

—Eneffet.J’aidûorganisernotredépart.NouspartonsdemainpourleCambridgeshire.

—C’estcequem’aapprismafemmedechambre.

Souslacouverture,Ameliacroisalesjambes.

—Pourquoisitôt?ajouta-t-elle,s’efforçantdemasquersondésarroi.

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S’était-ilseulementdemandésielleavaitenviedequitterLondresdèslelendemain?Ellen’auraitpasletempsdedireadieuàsesfrères.Etpuis,àquoibonêtreduchessesisesvieillesamiesnepouvaientluirendrevisiteetluiservirdes«milady»àtoutboutdechampavantdepoufferderire?

— Claudia,ma pupille, doit bientôt rentrer de York. J’ai hâte de la revoir, et je suisimpatientqu’ellefassevotreconnaissance.Enoutre,riennemeretientplusàLondres.

—Carvousêtesmariédésormais?

Ilsecoualatête.

— Jevousl’aidit, jen’étaispasàLondrespourchercheruneépouse.J'étais làpourlecheval.

Encorecesatanécanasson!

—Jecomptaisl’acquérirdemanièrehonnête,maisilsembleraitquenoussoyonsdansuneimpasse.D’unepart,l’undesjetonss’estvolatilisé,d’autrepart,niBellamyniAshworthne prendront le risque de jouer le leur. Je ne vois donc pas l’intérêt de rester à Londres.J’exècrelaville.

—Jevois,marmonna-t-elle,s'efforçantd'accepterl'idéequ’elleétaitunesortedelotdeconsolation dont l’avis importait peu. Si vous n’êtes pas venu à Londres pour trouver uneépouse,redites-moipourquoivousm’avezépousée?

Ilneréponditpasimmédiatement.

—Jepréfèrevousmontrer.

Le cœur d’Amelia vacilla. Avec les oreillers, la chaleur du feu, et cette triste affaire demeurtre, elleenavaitpresqueoublié les raisonsde laprésenceduducdanssachambrecesoir-là.

Paslui,detouteévidence.

Sonsangfrémitdanssesveinestandisqu’ill’enveloppaitd’unregardpossessif.Ellesentitsagorges’empourprer.Sousletissutranslucidedesacamisole,lapointedesesseinsdurcit.Ill’avaitremarqué,carellecrutlevoiresquisserunsourire.

Il repoussa lacouverture,attrapa l’ourletdesacamisole,etsemità taquiner l’étoffedupouce.Ameliasentitsoncorpss’animerbienqu’ilne l’eûtmêmepaseffleurée.Sonsouffles’accéléra demanière très audible. Il sourit ouvertement. Elle devina qu’il jouait avec elleautantqu’avec le tissudesacamisole. Il luimontrait toutsimplementquelpouvoir ilavaitsurelle.Àen jugerpar la flamme férocequi s’étaitalluméedanssonregard, il comptait laconquérirentièrementavantl’aube.

Sagorgesenoua.

—Avez-vousassassinéLéoChatwick?

Etvlan!

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Il eut unmouvement de recul comme si elle l’avait frappé en pleine poitrine, et lâchal’étoffe.

Ameliaenprofitapourreprendresonsouffle.Parfait!Àprésent,ilétaitsurladéfensive.

—Quevenez-vousdemedemander?articula-t-il.

—Avez-vousassassinéLéoChatwick?

Ilpâlitvisiblement.

—C'estmaintenantquevousmeposezlaquestion?Cematinvoussembliezpersuadéedemoninnocence.

—Certes,maisvousm'avezensuiteabandonnéetoutelajournéeavecmespenséespourseule compagnie. Et aprèsm’être remémoré la scène, jeme suis rendu compte... que vousn’aviezpasvraimentréponduàcettequestion.

— Je ne pensais pas qu’il y avait une question. Personne, parmi les gens qui meconnaissent,neprendraitausérieuxlesaccusationsdeBellamy.

—C’estjustementleproblème.Jenevousconnaispas.Pastrèsbien.

—Suffisammentpouraccepterdem’épouser.

Elleattrapalacouvertureets’emmitoufladedans.

—J’aiacceptédemefiancer.D’ordinaire,celadureplusd’unejournée.

Ilhaussaunsourcil.

Ellefitdemême.Peut-êtreétait-cedéplacédesapartdepoursuivrel’interrogatoire,maisilétaitbeletbienvraiqu’iln’avaitjamaisexpressémentniélesaccusationsdeM.Bellamy.Nicematinniàprésent.Ilsemblaitpenserquecen’étaitpaslapeine.OrAmeliadétestaitavoirl’impressionqu’ellen’envalaitpaslapeine.Unhommedevaitchercheràgagnerlaconfiancedesafemme.

—Oùétiez-vousavantlebaldesBunscombe?

—Icimême.

—Seul?

—Oui,fit-ilenfronçantlessourcils.Lepersonnelconfirmeramaversion,sibesoinest.

—Sicesontdeloyauxserviteursattachésàleurposte,jenedoutepasuninstantqu'ilsappuierontlaversiondeleurmaître.

Sesmâchoiressecrispèrentdecolère.

—Écoutez,pasplustardquecematin,j’aidonnévingtmillelivresàBellamyavecpourconsigne de mener une enquête sur la mort de Harcliffe. Pourquoi ferais-je cela si j'étaiscoupable?

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—Jenesaispas.Enrevanche,cequejesais,c’estquevousaimezdistribueràtout-valasomme de vingtmille livres. Il semblerait que ce soit le tarif en vigueur pour tout ce quis’achète-épouse,cheval...Pourquoipasuneexonération?

Ilvrillasonregarddanslesienpendantunlongmoment.Sesyeuxnoisettelançaientdeséclairs.Puisilseleva,sedirigeaverslaporte,qu’ilclaquaderrièreluiensortant.

Ellesursauta.C’étaitdoncfini.Allait-illajeteràlaruecommeunemalpropre?Ouaurait-ilaumoinsladélicatessed’envoyerchercherl’attelagedeLaurent?

La porte se rouvrit à la volée. Le duc entra, un coffret et un trousseau de clés dans lesmains.Ils'accroupitprèsd’elle,posalecoffretparterreetsélectionnauneclé.Ayantsoulevélecouvercle,ilorientalecoffretversellepourqu’ellepuisseenvoirlecontenu.

—Voilà,fit-il.Comptez-les.

Amelia contempla les petits disques de cuivre.Chaque jeton étaitmarquéd’une tête decheval sur une face et, logique oblige, d’une queue sur l’autre. C’était tellement puéril. Sitypique de Léo. Comment pouvait-on envisager que quelqu’un soit prêt à tuer pour devulgairesrondellesdemétal?

—Jen’aipasbesoindelescompter.Jesaisqu’ilyenasept.

—Alors,vousmecroyez?

— Jevouscrois trop intelligentpournepas ranger le jetondeLéoavec lesautres s’ilétaitenvotrepossession.

Ilécartalesbrasenprenantuneposturedemartyr.

—Libreàvousdefouillerlamaison.

— J'enauraispourunesemaineentière.Sansoubliervoscinqautresrésidences,etlescoffres-fortsquevousavezsansdoutedansdesbanques.

— Honnêtement, vous ne pouvez pas me soupçonner de meurtre. Et moi qui vousprenaispourunefemmedebonsens.

— Dans ce cas traitez-moi comme telle ! Vous ne m’avez pas donné l’occasiond’apprendreàvousconnaîtreetdemefairemapropreopinionsurvous.Pourlemoment,jenepeuxm’enremettrequ’àmesobservations.Or,cequejevois,c’estunhommetrèsricheettrès influent, peu respectueux des sentiments d’autrui, dont l’unique but dans la vie estd’acquérirunchevalsanssesoucierdebriserdesviesencoursderoute.D’unpointdevuepurement rationnel, j’ai davantage de raisons de vous soupçonner que de vous faireconfiance.

Marmonnantunjuron,ilseratissalescheveux.

—Amelia...

—Oui,Spencer?

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Ilcilla,visiblementsurprisdel’entendrel’appelerparsonprénom.

—VouspréférezquejevousappelleMorland?

— Je préférerais que vous m’appeliez milord, si vous avez l’intention de demanderl’annulationdenotremariage.C’estcequevousvoulez?

— Jeveuxdesréponses,c’esttout.J’aimeraisvousconnaîtreuntantsoitpeuavantdevousautoriser...certaineslibertés,dit-elleenrougissant.

—Jevousaiinvitéeàmeposerdesquestionsaumomentdemademande,rétorqua-t-il,leregarddur.

Amelia croisa les mains sur ses genoux. Certes, son interrogatoire avait été des plussuperficiel. Elle n’avait pas imaginé que son manque de curiosité puisse être considérécommeinsultant.Maispourêtrehonnête,ellelecroyaitdépourvud’émotions.

—Dites-moicequevousaimeriezsavoir.Précisément.

—Précisément,jeveuxsavoirquemonmarin’estpasunmeurtrier.Pourcela,j’aimeraiscomprendrepourquoicechevalcompteautantàvosyeux.Pourquoivousavezfaitunmalaisedurantlebal-inutiledelenier.Pourquoivousavezhâténotremariageetinsistépourqu’ilse déroule en privé. Pourquoi vous m’emmenez sans attendre à la campagne, loin de mafamilleetdemesamis.Votrejeunessefut-elleaussisauvagequ’onleraconte?Àcepropos,quelleestcettemystérieusehistoireaveclordAshworth?

Ilécarquillalesyeux.

—Celafaitbeaucoupdequestions.

—Eneffet.Maisellessontindispensables.

—Trèsbien,fit-ild’unevoixtendue.Voicicequej’aimeraissavoirdemoncôté:legraindebeautéquiornevotre seingaucheest-iluniqueou fait-ilpartied’uneconstellation?Lapointedevosseinsest-elledelanuancecoraildevoslèvresouplussombre?Vousêtes-vousdéjàtouchée?Savez-vousvousdonnerduplaisir?Et...

Ilsepenchaenavant,etlecœurd’Ameliaselogeadanssagorge.

—...j’aidésespérémentbesoind’entendrecespetitsbruitsquevousfaiteslorsquevousjouissez.

Seigneur ! L’idée qu’un homme - que cet homme-là -puisse nourrir des pensées aussilascivesàsonsujet...

Ilarquaunsourcil.

—Alors?

Ameliapriaensilencepourquesavoixnetremblepasautantquesescuisses.

—Vousd’abord.

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Iljuraetsedétourna,clairementexaspéré.

—Nousétionsd’accord.Jevousoffraislasécurité;vousmedonniezunhéritier.Votrecorpsfaisaitpartieintégrantedumarché.Pasuneenquêtesurmavie.Jen’aipasl'habitudededevoirmejustifier.Auprèsdequiquecesoit.

—Pasmêmevotrefemme?

— Encoremoins,répliqua-t-ilens'emparantdutisonnierpourremuerlesbraises.Bonsang, Amelia, lorsque je vous ai demandé votre main, je pensais que les choses seraientfacilesentrenous!

Cesparolesluifirentperdrepied.Oui,biensûr.Ill’avaitépouséeparcequ’elleétaitfacile.Accommodante.Désespérée.Parcequ'iln'avaitpaseuàprendrelapeinedelacourtiser.Quepartagersonlitneseraitpasunecorvée.End’autrestermes,ellen’étaitqu’unrécipientpoursasemence.Maiscroyait-ilvraimentqu’elleétaitprêteàluiabandonnersoncorpssanss’êtred’abordassuréqu’ilétaitdignedeconfiance?S’ilavaitledroitdel’interrogersursesactivitésintimes,elleavaitquantàelleledroitdechercheràs’assurerqu’iln’étaitpasunassassin.

— Vousmevoyezsansdoutecommeunevieille fillequiseberced’illusions,mais j’aidécidéquejeméritaisunminimumd’effortsdevotrepart.

—Parcequevouspensezqu’organisernotremariageetnotredépartenunejournéenem’ademandéaucuneffort?

—Étantdonnévosmoyensetvotreinfluence,jerépondraisoui.

Commeildemeuraitsilencieux,elleajouta:

—Ilmesemblequenoussommesdansuneimpasse.

—Uneimpasse,répéta-t-il.Sijecomprendsbien,vousrefusezdeconsommerlemariagetant que vous ne serez pas certaine demon innocence ? L’enquête de Bellamy devrait enapporter la preuve rapidement. Du moins, je l’espère, étant donné les fonds que je lui aifournis.

—Ehbien,est-cetellementinconcevablequejedemandeundélaidequelquesjours?

Elle ferma les yeux et exhala lentement. Il fallait une sacrée dose de courage pours'opposerainsiàlui.Maissiellenes'affirmaitpasdèsmaintenant,ellen'auraitplusjamaisvoixauchapitre.

— LamortdeLéo,nosfiançailles, lemariage...Toutestarrivésivite.Tropviteàmongoût. Je vois bien que vousm'en voulez de ne pas vous croire sur parole. Sachez quemoiaussi,jesuisdéçue.Unefemmedevraitêtreenmesuredefaireconfianceàsonmari.Sivousme donniez le temps d'apprendre à vous connaître mieux... Peut-être que ce soir, nouspourrionsnouscontenterdebavarder?risqua-t-elle.

—Debavarder,répéta-t-ilavecdédain.

Oneûtditqu'ellevenaitdeluiproposerdefairedupointdecroixoudepolirl'argenterieenduo.DouxJésus,qu'yavait-illàdesirévolutionnaire?

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C'était peut-être une question de sujet. Même Michael, le plus taciturne des d'Orsay,pouvaitdiscuterdesheureslorsqu'onlelançaitsurlethèmedelanavigationastronomique.

— Quediriez-vousdeparlerdechevauxpourcommencer?Pourquoitenez-voustantàOsiris?

—Jen'aipasenviedeparler,déclara-t-ilenverrouillantlecoffretetenleposantdecôté.Nidebavarder.Quecesoitdechevaux,demeurtre,oudequoiquecesoitd'autre.Jeveuxjustepossédermafemme,puisdormir.

Il se pencha en avant, tira sur la couverture qu'elle agrippait, et referma lamain sur sacuisse.Ameliasentitsapaumelabrûleràtraverslafineétoffedesachemise.

—Entantqu'époux,j'aicertainsdroits.

—Certes,admit-elle,lagorgenouée.Etcelaendiraitlongsurvoussivoustentiezdelesexercerdeforce.

—Toutcommejevousai«forcée»àm'embrasserdanslebureaudeBeauvale?

Sonemprisesedesserrasursacuisse,maisilnelâchapaspourautant.Aulieudecela,ilsemitàdessinerdescerclesdupouceàl'intérieurdesacuisse.

—Vousvoulezvraimentmeconnaître,Amelia?demanda-t-ild’unevoixrauque.

Ellehochalatête.

—Alors,jevaisvousdireunechose.

Samainquittasacuissepourseposeràlabasedesoncou,oùellesuivitlentementlecoldesachemise.

—J'aiattendutoutecettefichuejournéedevousembrasser.

Ces mots la laissèrent sans voix. Il s'empara subitement de sa bouche dans un baiserétourdissant.Qu'elleluirendit.C'étaitimprudent.Irréfléchi.Stupide.Passionné.

C’étaitcegenredebaiserquiavaitcausésaperte.S’ilsnes’étaientpasembrassés,jamaisellen’auraitacceptédel’épouser.Lorsqueleurslèvresfusionnaient,cen’étaitpluslemêmehomme.Ildevenaitattentionnéetrespectueux.Plutôtquedeladominer,ill’encourageaitàcoopéreravecdouceur.

Iln’étaitalorsquetropfaciled’imaginerqu’ilyavaitplusquedudésirderrièrecebaiser.

«Ne t’aventure pas sur ce terrain, s’exhorta-t-elle. Il a été on ne peut plus clair : cetteunionn’estriendeplusqu’unetransaction.»

Maiscommeilapprofondissaitsonbaiser,elleposaspontanémentlamainsursanuqueet plongea les doigts dans ses boucles humides. Son audace fut récompensée par ungémissement qui trouva un écho dans son corps entier. De ses seins douloureusementtendus,àsonentrecuissemoite,etjusquedanssoncœur.

Il l’avaitdéjàquasimentconquise.Elleseconnaissait troppoursevoiler la face.Déjà le

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désir tambourinait dans ses veines. Et il ne faudrait pas grand-chose pour que son cœursuive,tell’idiotduvillage.

L'énormitédelasituationlafrappasoudaindepleinfouet.Elleavaitépouséuninconnu.Luiavaitdonnépleinspouvoirssursoncorps,maisn’avaitpasprislaprécautiondepréserversonâme.Lesfiançailleséclairneluiavaienttoutsimplementpaslaisséletempsdetracerlafrontièreànepasdépasser.Celleau-delàdelaquellesetrouvaitlavéritableAmelia.

—Amelia,luisouffla-t-ilàl'oreille,jevousveux.

Ellesemitàtrembler,etunpetitgémissementluiéchappa,quilefittressaillir.Ils’écartalégèrement,fixalacourbedesonépaulequifrissonnaitsoussamain.

—Vousêtesvraimentterrifiée.

—Oui,répondit-elleentoutesincérité.Vousmefaitespeur.

—Bonsang,jen'aituépersonne!Vousn'avezaucuneraisond'avoirpeurdemoi.

—Oh,quesi!J'aiquantitéderaisons.

Dontaucunen'étaitliéeàlamortdeLéo.

Ses craintes prenaient naissance dans cette chambre, dans la chaleur de leurs corps etl’émotionvoiléequ’ellelisaitdanssonregard.Oserait-ellelesmettreenmots?

J’ai peur d’imaginer à tort que vous éprouvez des sentiments àmon égard.D’être tropexigeante,d’attendredevousplusquevousnepourrez jamaismedonner.Jeredoutequ’iln’yaitdavantageenvousquejenelesoupçonne,maisquevousnemelelaissiezjamaisvoir.J’ai peur de tout vous donner et de ne rien recevoir en échange, pas même de réponse àquelques-unesdemesquestions.Et j’aibesoind’unpeudetempspourapprendrecommentvousoffrirmoncorpssansrisquermoncœur.

—LejetondeLéo,murmura-t-elle.Quandonl'auraretrouvé,jesauraiquevousn'êtespascoupable.

Sonregardsedurcit;illaissaretombersamain.

— Trèsbien.Tantque lesassassinsdeLéocourront, jenevousapprocheraipas.Maisunefoisquel'onauraretrouvélejetonetprouvémoninnocence,vousnepourrezplusvousdérober. Et lorsque je vous ferai mienne, je vous posséderai entièrement. Vous ne merefuserezrien.

Ellelecontemplaavecunmélangededésiretdecrainte.

—Ditesoui,Amelia.

—Oui,parvint-elleàarticuler.

Ellevenaitdesignerunpacteaveclediable.

Tandisqu’ilselevait,elleserralesjambespours’efforcerdecalmerledouxsupplicequiluitorturaitl’entrecuisse.

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Arrivéàlaporte,ils’immobilisa.

—J’aipromisdenepasvousapprocher,maisriennevousempêchedeveniràmoi.

Surundernierregardbrûlantilsaisitlapoignée.

—Laporten’estpasferméeàclé.Sivousavezbesoindequoiquecesoit,n’hésitezpas.

9.

TandisqueSpencergrimpaitenselle, ilsentitJunonpiafferd'impatience.Lepalefrenieravaitbeaul’avoirsortieunepartiedelamatinée,ellenetenaitplusenplace-toutcommelui!Unelonguechevauchée,voilàcequ’illeurfallaitàtouslesdeux.C’étaitladernièreétapedelajournée.Ilsdistanceraientlesvoituresetprendraientdesdispositionspourlanuit.

Junonhennitnerveusement;illalançaaupetitgalop.Unebrisefraîche,bienvenueencechaudaprès-midi, lui agita les cheveux. Il aurait sansdoutedûprofiterdupaysage,mais ilavait latêtepleined’Amelia.Il larevoyait, laveilleausoir.Sacheveluredoréedénouée, lescourbesappétissantesdesoncorpsàpeinedissimuléesparsachemisearachnéenne.

Sesyeuxbleuclairemplisd’effroi.

Sacrebleu ! Sa réaction lui avait fait l’effetd’un coupdepoignard enplein cœur.Cequil’avait attiré chez elle au départ, c’était son audace et son bon sens. Depuis cettemauditevalsejusqu’aubaiserqu’elleavaitexigédeluiavantd’acceptersonoffre,ellen’avaitcessédel’agacer,del’intriguer,del’exciter.Toutcelaparcequ’ellerefusaitdeselaisserintimider.

Mais à présent, grâce auxmembres très estimés du Stud Club, elle le prenait pour unmeurtrier.Aulendemaindesonmariage,ilauraitdûêtreunépouxcomblé.Aulieudequoi,iltranspirait la frustration par tous les pores. Pourquoi cela ? Parce que Julian Bellamynourrissaitunehaineabsurdeenvers lesaristocrates,queRhysSt.Mauravait étéune têtebrûlée, et que Léo Chatwick avait eu la mauvaise idée de se promener sans escorte àWhitechapelàlatombéedelanuit.Résultat,Ameliaavaitpeurdelui.

Pour remédier au problème, elle n'avait rien trouvé demieux que de lui proposer uneséance de papotage. Autrement dit, elle voulait lui faire subir sa propre version del'inquisition,passerenrevuesespéchés,seséchecs, l’histoiredesafamille,etsesprincipesmoraux.

Juste ciel ! C'était la pire stratégie possible pour gagner sa confiance. Comment ladiscussionseserait-ellepassée?

D’accord,Amelia,jevaisrépondreàvosquestions.Oui,j’aivécuuneenfancetumultueuseauCanada. Jedisparaissais dans lanaturependantdes semainesavecdesgens que vous

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auriezconsidéréscommedessauvages,causantàmonpèreunchagrinsansfin.Oui,l’annéequiasuivimonarrivéeenAngleterre,j’aifaillibattreRhysSt.MauràmortàEton.Oui,j’airuiné les chances de votre frère d’acquérir les parts d’un cheval pour desmotifs que voustrouveriezimpardonnables.Voilà.Aprèscela,vousnevoyezdoncpasquejenesuispasunmauvaisbougre?

Ç'auraitétéunfrancsuccès!

Et si elle croyait qu'il lui avouerait un jour les raisons de sa fuite lors du bal... elle sefourrait ledoigtdans l’œil.Sonstatut luidonnaitaumoinsunavantage,celuidene jamaisavoiràsejustifier.

Celadit,rienne lesempêchaitd'apprendreàseconnaître.Envérité, ilbrûlaitd'enviedetoutsavoird'elle.Seulement,ilnevoyaitpasenquoilesmotsétaientnécessaires.Ilvoulaitapprendre à connaître sa femme de l'intérieur. Il commencerait par sa douce intimité, ettraceraitsoncheminjusqu’àsesdoigtsdélicatsdontlesextrémités,avait-ildécouvertlanuitpassée,étaientmarquéesdepetitscalsdebrodeuse.

Spencer n'imaginait pas de meilleur moyen de se découvrir mutuellement qu'encommençantparseconnaîtreausensbibliqueduterme.

Par chance, il étaitpassémaîtredans l’artdedompter les créatures récalcitrantes, etderéparer les dommages causés aux chevaux par d’autres hommes. Cela faisait presque deuxdécennies qu'il avait maté son premier mustang au Canada. Depuis, à son haras, il avaitapprivoisé un nombre incalculable de chevaux - dont Junon, la jument qu’il chevauchait àprésent.L’astuce consistait à savoirquandbattre en retraite. Il passait quelquesminutes àcaresserl’animalsursesgardes,àluimurmurerdesencouragements,àluitapoterlegarrotd’un geste rassurant. Rien de trop audacieux. Juste assez d’attention pour qu’il enredemande. À l’instant où le cheval commençait à se détendre et à apprécier ses caresses,Spencers’enallait.Lafoisd’après,lorsqu’ilentraitdansl’enclos,lechevals’approchaitdelui,impatientethardi.C’étaitunetechniqueinfaillible.

Évidemment, il ne l’avait jamais testée sur une femme. Il n’en avait jamais eu besoin.Certainséprouvaientduplaisiràconquériruneamanteréfractaire.Paslui.Sespartenairesdelitétaient...despartenaires,etnonpasdesconquêtes.Consentantes,complices,conscientes.S’il avait choisi Amelia, c’était certes parce qu'elle possédait la vertu et l'ascendanceappropriées,mais aussi parcequ'il voyait en elle une amante idéale.Quand il l'embrassait,ellerépliquaitd'instinct,etavecunepassionquilefaisaitchanceler.

Jusqu’à ce que ces satanées accusations installent le doutedans son esprit et qu'elle semetteàtrembler.Nonpasdeplaisir,maisdepeur.L'eût-ilsouhaité,ilauraitpulaconvaincredeconsommerleurmariage.

Maiscematin,ellel'auraitmépriséd'avoiragiainsi.Etiln’auraitpasététrèsfierdelui.

Ilallaitl'amadouer.Celademanderaitsansdoutequelquesjours-quelquesjoursdetrop-,maisilétaitdugenrediscipliné.Aujeu,commeavecleschevauxetdanslesaffaires,ilsavaitrongersonfreinsinécessairepoursusciter laréactiondésirée.Ildonnaitunesemaineàsafemmepourvenirdesonpleingrédanssonlit.

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Laclé,danscegenredesituation,c'étaitdesavoiràquelmomenttournerlestalons.

Amelia inspecta la modeste « suite » que Spencer leur avait obtenue, la meilleure del'auberge selon le tenancier. Elle était composée d'une petite chambre précédée d'uneantichambre exiguë.Cette dernière comprenait une table, deux chaises, et un lit d’appoint,sansdouteprévupourlepersonnel.SamalleetcellesdeSpencerayantétémontéesdanslachambre,elleendéduisitqu’ilavaitl’intentiondelarejoindre.

Ellepréféraitnepasimaginercequ’illuiréservait.

Une servante de l’auberge lui avait monté à dîner. Malheureusement, Amelia avaitl’estomac tout retourné par le trajet en voiture et la simple odeur du ragoût de bœuf luidonnaunhaut-le-cœur.Elleparvintàboireunpeudethéetàgrignoterunmorceaudepain.Ellesongeaensuiteàsedéshabillerpourseglisserentrelesdrapsavantl’arrivéeduduc.Sielledormaitdéjà, iln’oseraitquandmêmepas ladéranger?Pournerienlaisserauhasard,ellebarricaderaitlaportedecommunicationavecsamalle.

Mais avant qu’elle ait eu le temps demettre son plan à exécution, la porte s’ouvrit engrinçant et le duc apparut. Il dut presque se plier en deux pour ne pas se cogner le crânecontre le chambranle. La chambre, déjà petite, parut rétrécir tant il l’emplissait de saprésence.

Ilsecontentadelasaluerd’unsignedetête.Étantentraindeboiresonthé,elleréponditparunbruitdedéglutition.

Ilôtasaredingote,défitsesmanchettes,retroussasesmanches,etentrepritdeselaverlesmainsau-dessusdelacuvette.

—Vousavezmangé?s’enquit-il.

—Autantquefairesepouvait.Etvous?

—Enbas.

Aprèsavoirpliésaredingoteetl'avoirdéposéesurunemalle,ildénouasacravate.Puisils'assitdansunfauteuilets'attaquaàsesbottes.

—Nevoussentezpasobligédemetenircompagnie,dit-elled'unevoixtendue.

Leshommesnepréféraient-ilspasd'ordinairepasserlasoiréedanslataverneàboireetàfairelafête?

Illuiadressaunregardincrédule.

—Vouspensezquejevouslaisseraisseuledansuneauberge?Horsdequestion.Noussommescertesdansunétablissementdesplusrespectables,maistoutdemême...Quoiqu'ilen soit, je connais des manières plus agréables de passer la soirée que dans une salled'aubergebondée.

—Pourquoiavons-nousfaithaltedansuneauberge?Nousnesommesplustrèsloindu

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Cambridgeshire.Nousn'aurionspaspucontinuerjusqu'àvotredomaine?

—Ilvautmieuxfairedesétapespourépargnerleschevaux.

«Naturellement, songea-t-elle avec amertume. Il ne faudrait pas faire passer le confortdeshommesavantceluideschevaux!»

Ilsemitàdéboutonnersongilet.Jusqu'oùavait-ill'intentiond'aller?

Elleseleva.

—Jesuisfatiguée,annonça-t-elle.Jevaismeretirertôt.

Àsongranddésarroi,ilselevaàsontour.

—Excellenteidée.

Iln’allaitquandmêmepaslasuivre?N’avait-ilpaspromisdelalaissertranquille?

—Réflexionfaite,jenesuispassifatiguéequecela.Jecroisquejevaisfaireunpeudebroderie.

Elles’approchadesamalledontelledébouclalescourroies.Saboîteàcouturesetrouvaitsurledessus.Maisalorsqu’ellesepenchaitpours’ensaisir,ellesefiguraqu’ilguignaitsonpostérieur.Elleserelevasivitequ’elleenperditl’équilibre.

Il laretintparlecoude.Cequinel’aidapasàrecouvrersesesprits.Mauditesoitelle,deperdre ainsi sesmoyensdèsqu’elle se retrouvait àproximitéde lui.Dans cesmoments-là,elleavaitenviedesejeterdanssesbras,etpeuimportequ’ilsoitunassassinoulediableenpersonne.

Jusqu’àprésent,elleavaittoujourspusetournerverssesfrèreslorsqu’elleavaitbesoinderéconfort. Mais ils étaient loin désormais. Elle avait le mal du pays, était lasse et avaitcruellementbesoinqu’onl’étreigne.Serendantsoudaincomptequeleducétaitdésormaisleseulàpouvoir laprendredanssesbras, elle fut submergéepar la tristesse.Car si elleétaitcertaine qu’au plus petit signe d’encouragement, il la ferait sienne, elle savait aussi quejamaisellen’oseraitluidemanderdel'étreindre.

Detoutefaçon,ilignoraitsansdoutecommentréconforterunefemme.

Illuilâchalecoude,etelleselaissachoirdanssonfauteuil.

—Qu’avez-vouscoutumedefairelesoir,milord?s’enquit-elletoutensortanttissus,filsetpairedeciseauxdesaboîteàcouture.Vousvouspliezauxhorairesdelacampagne?

— Oùquejesois, jem’entiensàmespropreshoraires.Enrèglegénérale, jemeretireversminuit.

Cederniermotlafitfrissonner.

—Etjusque-là?

Leurs regards se croisèrent. Dans ceux du duc, sombres abîmes, brillait une étincelle

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moqueuse.

—Vousvoulezdire,àdéfautd’autresactivitésnocturnes?

Ilfitunepause,luilaissantamplementletempsd’imaginerlesditesactivités.

—Quandjenesuispasoccupéàélaborermesperfidestraîtrises?reprit-il.

Ilsepenchaenavant.

—Jelis,lâcha-t-ild’unevoixprofonde.

Ilouvritunepetitevalisequiserévélabourréedelivresdetoutestailles.

—Seigneur!s’exclama-t-elle.Vousdevezêtreungrandlecteur.

—ChaquefoisquejevaisàLondres,j’enprofitepourenrichirmabibliothèque.Jen’aipasétéàl’université,voyez-vous.Jemesuisinstruitenlisant.

—Vousnesouhaitiezpasalleràl’université?

—Pasparticulièrement.Etl’aurais-jesouhaité,l’idéeneréjouissaitpasmononcle.

— Àcausedecequis’estpasséàEton?VotreexpulsionsuiteàunebagarreaveclordAshworth?

C’était là une supposition,mais c’était la seule explication logique aux rumeurs qu’elleavaitentenduesetàl’étrangetensionqu’elleavaitperçueentrelesdeuxhommes.

Illacontemplalonguement.

—Parcequelasantédemononclecommençaitdéjààsedégraderetquej’étaissonseulhéritier,répliqua-t-ilcalmementensélectionnantunvolume.Ilétaitplusurgentd’apprendreàgérerdesdomainesqued’étudier le latinoulesmathématiques.J’aicontinuémesétudesenautodidacte.

—C’estlecasdenombred’entrenous,fit-elle.Nous,lesfemmes,précisa-t-ellecommeilla regardait sans comprendre. Nous n’allons pas à l’université, mais nous cherchons àenrichirnotreespritgrâceauxlivres.

Le front plissé, il s'assit dans un fauteuil avec son ouvrage. Amelia réprima un sourire,raviedesaréplique.

—Quelisez-vous?s'enquit-ellesursalancée.

Enréponse,ilbranditlelivredevantelle.

— Waverley[6]

?Je croyaisquevousvousconsidériez commeungrand lecteur.VousdevezêtreladernièrepersonneenAngleterreàlirecelivre.

— Certainementpas.Je l’aidéjà lu,plusieurs fois,dit-ilen feuilletant lespages.Jenesuispasassezconcentrépourm’attaqueràunmanueldephilosophieoud’allemand,cesoir.

Ameliademeurauninstantsilencieuse,lesyeuxrivéssursonouvrage,puis:

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—J’avouequejesuissurprised’apprendrequec’estl’undevoslivresfavoris.

—Pourquoi?C’estunromantrèspopulaire.

—Certes,répliqua-t-elleenluijetantunregardhésitant.Maisc’estunromansentimental.

— Non, rétorqua-t-il en éloignant le livre pour l’examiner, comme si elle venait de luiannoncer qu’il s’agissait d’un ananas. C’est un roman historique sur le soulèvement desÉcossais.Onydécritdesbatailles.

—Etuntriangleamoureux.

Ilpritlamouche.

—Puis-jeliremonromanenpaix?

Réprimantunrire,elleseremitàsabroderie.

Àl’exceptionducrépitementdufeuetdubruitdespagesquel’ontournait,lesilenceétaittotal.Lafatiguelagagnapeuàpeu.Lorsqu’elles’aperçutquesespointsétaientdemoinsenmoins réguliers, elle fit un nœud et coupa le fil avant de tourner le carré de tissu pourexaminerlerésultat.

— Commentfaites-vouscela?demandaSpencerenindiquantdudoigtlecoindroitdel’ouvrage.

Surprise de le découvrir si proche, Amelia sursauta. Quand diable avait-il quitté sonfauteuil?Etdepuisquandregardait-ilpar-dessussonépaule?

— Là, ajouta-t-il en montrant un petit ruisseau qui dégringolait d’un vallon. C'estincroyablementréaliste,ondiraitdel'eau.Quelestvotresecret?

— Oh, cela ! fit-elle,un soupçonde fiertédans la voix.Ce sontdes filsdedifférentesnuancesdebleuauxquelsj'aientremêlédufilargenté.

Ilneditrien.Iln'étaitvraisemblablementpasintéresséaupointderéclameruneleçondebroderie.Enmêmetemps,c'étaitluiquiavaitdemandé.

Lesilences'étira,larendantdeplusenplusnerveuse.

—Jepensaisenfaireuncoussin,reprit-elle.Ouunegalettedechaise.

Elleinclinal'ouvrage,l'étudiantsousdifférentsangles.

—Uncoussin?lâcha-t-il,commesilemotavaitungoûtamer.Quelleabominableidée!

Ameliacilla.Abominable?

—Pour...pourquoi?bafouilla-t-elle,stupéfaite.Jelegarderaidansmachambresivouslesouhaitez.Vousneserezpasobligédel'avoirsouslesyeux.

—Certainementpas.Sousmontoit,cela,déclara-t-ilenindiquantlabroderie,n'ornerajamaisunfauteuilniunechaise.

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—Mais...

—Donnez-le-moi.

Sansluilaisserletempsdeprotester,illuiarrachal'ouvragedesmains,rouvritsavalise,yjetalecarrédetissuetrefermalecouvercled'ungesteferme.Queltoupet!Plutôtquedesedisputeraveclui,Ameliapréféraremballersesaffairesdepeurque,decolère, ilnelesjettedanslacheminée.Ellepourraitrécupérersonouvrageplustard.Dumoinsl'espérait-elle.

— Assezdecoutureetdelecturepourcesoir.Nousallonsjouerauxcartes,déclara-t-ilensortantunjeuetens'asseyant.Piquet.

Ilcoupalejeuetcommençaàbattrelescartes.Ilétaitd'unerapiditéeffarante.C’étaitàlafoisfascinant,etlégèrementtroublant.

Remarquantqu'ellelefixaitduregard,ilhaussaunsourcilinterrogateur.

—Vousêtesdoué,souffla-t-elle.

—Jesuishabiledemesmains,admit-il.

Certes.MaisAmelialesavaitdéjà.Elleserappelaitavecuneacuitépresquedouloureusela façondont il avaitôté lesépinglesde sescheveux, chezLaurent, incliné sonvisagepourcapturerses lèvres,puis,quelques instantsplustard,empoignésesfessespourplaquersoncorpscontre...

Paf!Ilabattitlepaquetsurlatablepouralignerlescartes,l'arrachantàsarêverie.

—Uneseulepartie,dit-elle.

—Vousavezdéjàjouéaupiquet?s'enquit-ilendistribuantlescartes.

—Biensûr.Maisjenemeconsidèrepascommeuneexperte.

—Jel'espère.Sinonvousauriezpuapprendredestoursplusjudicieuxàvotrefrère.

LamentiondeJacketdesadetteirritaAmelia.

—Jecroyaisquec'étaitaupokerquevousjouiez?

—Lanuitoùilaperduquatrecentslivres,oui,fit-ilenrassemblantsescartes.

Ellel'imita,etordonnasesproprescartes.

—Cen'étaitdoncpaslaseulefois?Vousavezjouéensembleàplusieursreprises?

—Plusieursn'estpasletermeadéquat.Jediraisplutôtàquelquesraresoccasions.

Ilsélectionnaquatrecartesetlesécarta.

Elleéchangeatroisdessiennes.Ilannonçaaussitôtquaranteetunpoints,indiquantainsiqu'ilpossédaitl'unedesmeilleurescombinaisonspossiblesaupiquet.

—Zut!grommela-t-elle.

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—Vousêtescommevotrefrère,vousn'aimezpasperdre.

—Personnen'aimecela.

Enmatière de jeux et de sports, Amelia avait en effet l'esprit de compétition. Perdre lamettait demauvaise humeur. Àmesure que la partie avançait, son humeur s'aggrava. Caraprèss'êtreassuréuneavanceinsurmontabledansl'estimationdespoints,Spencercontinuasursalancéeenremportantpresquetouslesplis.Cen'étaitpastantdeperdreauxcartesquila contrariait. Non, c'était tout ce qu’elle avait perdu à cause de cet homme. Sans sonobsessionpourcemauditchevaletsamainchanceuseauxcartes,elleseraitentraindefairesesmallespourBriarbank.OùJackl’auraitsuivie.

Une fois sa défaite confirmée - une défaite cuisante -, Amelia rassembla les cartes ensilenceetsemitàlesbattre.

—Jecroyaisquevousnevouliezfairequ’uneseulepartie,observa-t-ilavecflegme.

Ellesecontentadeluiadresserunregardperçant.Commesielleallaittirersarévérenceaprèsladéculottéequ’ellevenaitdesubir!Non,safiertéleluiinterdisait.

— Vousauriezdûvousdéfausserdevotrevaletdecœur,fit-ilremarquertandisqu’elledistribuait.N'essayezpasderéunirlescartesdemêmevaleur,cherchezplutôtàremporterlesplis.

Ilavaitraison.

À contrecœur, elle suivit son conseil. Elle se retrouva encore avec deux valets enmain.Maiscette fois,ellesedébarrassadesdeuxcarteset récupéraunroiencontrepartie.Àsongranddépit,Spencergagnadenouveau,maissadéfaitefutcettefoismoinsmarquée.

— C’est mieux, fit-il en ramassant les cartes pour les distribuer à son tour. Mais laprochainefois,menezlejeuavecvotreas.

Etainsidesuitependantplusieursmanches.Peuàpeu,l’écartentreeuxseréduisait.Àlafindechaquepartie,illuidonnaitdesconseilsstratégiques,qu’elleincorporaitensuiteàsonjeudemauvaisegrâce.Alorsquec’étaitautourdeSpencerdedistribuer,Ameliareçutenfinun jeu trèschanceux,comprenantnotammentdeuxasetuneseptième.Ellese tutpournepas sedéconcentrer, sedéfaussade ses cartesàbonescient, choisitune séquencedesplusavantageuses et, la chance aidant - il manquait à Spencer un roi de couleur rouge -, elleremportalapartie.

—J’aigagné,fit-elleenregardantlescartesétaléessurlatabled’unairincrédule.

—Oui,cettefois-ci.

Ellesourit.

—Ouvrezgrandlesyeux:jevaisrecommencer.

Elles’apprêtaitàrassemblerlescartespourlesdistribueràsontourquandilemprisonnasesmainssouslasienne.

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—Celavousditdepimenterunpeulejeu?

LamaindeSpencerétaitlourde,etchaude.Lesbattementsdesoncœurs'accélérèrent.

—Vousparlezd'unemise?

Ilacquiesça.

—Quatrecentslivres,proposa-t-elleimpulsivement.

Si elle pouvait régler la dette de Jack, ce dernier n'aurait plus besoin d'éviter Spencer.Peut-êtrepourrait-ilmêmefaireunséjourprolongéàBraxtonHall,loindeLondresetdesesmauvaisesfréquentations.

—Trèsbien.Sivousgagnez,jevousdonneraiquatrecentslivres,déclara-t-ilenlibérantsamain.Sic'estmoiquigagne,vousviendrezvousasseoirsurmesgenoux,etvousbaisserezvotrecorsage.

—Je...jevousdemandepardon?

—Vousm’aveztrèsbiencompris.Sijeremportecettepartie,vousviendrezvousasseoirsurmesgenoux,etvousmemontrerezvotrepoitrine.

—Etensuite?

Ilhaussaunsourcil.Sesintentionsétaientonnepeutplusclaires.

—J’aviserai.

Latêteluitourna.Oserait-ellereleverledéfi?Elleavaitpeudechancesdegagner.Ilétaitbeaucoupplusfortqu’elle,c’étaitévident,malgrésesprogrèsaucoursdel’heurepasséeainsiquesavictoire improbable.Maiselledésirait tellementrembourser ladettedeJack,etcelasansl’aidedepersonne.

En outre, elle brûlait de battre Spencer à son propre jeu et d’effacer son expressionsupérieure.

D’un autre côté, devait-elle admettre, elle avait envie de perdre. De s'asseoir sur sesgenoux, de déboutonner son corsage et de sentir sesmains se refermer sur ses seins nus.Raisonpourlaquelleelleauraitdûseleveretquittercettetablesur-le-champ.

—Vousgarderezvosvêtements?demanda-t-elle.

Ellejouaitaveclefeu.

—Naturellement.

—Fixonsuneduréemaximum.

—Unquartd’heure,proposa-t-il.

—Cinqminutes.

—Dix.

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Ilsortitsamontredelapochedesongiletetlaposasurlatable.

Ameliaessuyasespaumesmoitessursarobe.

—Marchéconclu,fit-elle.

Les doigts tremblants, elle rassembla les cartes. Celles écartées par le duc lors de leurdernièrepartieattendaientsurlecôté.Ellelesrajoutasouslapile.Eninclinantlepaquetsurlatranchepourlemélanger,elleaperçutlacartedudessous.

L’asdepique.

Masquantsasurprise,ellecoupa lepaquetet lemélangead’unemainénergique.Leducs'était défaussé de l'as de pique. Cela n'avait pas de sens. Au piquet, personne ne sedébarrassaitd'unas.Iln'yavaitqu'uneseuleexplicationpossible.

Il avait sabordé son propre jeu pour lui permettre de gagner. Alors qu’elle croyaitprogresser,ilavaitcontrôlélapartiedeboutenbout,manipulantlesrésultatsàsaguise.Etmaintenant...

Ellelevalesyeux.Sonregardintenseétaitrivésurelle.

Ill’avaitpiégée.

Unesensationdecraintemêléedeplaisirgonfladanssapoitrine.Elledistribualescartes.Jouadumieuxqu’elleput.Etperdit.Lamentablement.

Envérité,ellen’avaitpaseul’ombred’unechance.

—Uncoupdechance,fit-il.

Enunéclair,ilavaitposélescartesetécartélatable.Puisilsetapotalesgenouxd’unairentendu.Ungesteembarrassant,quin’étaitpassansrappelerceluiquel’onfaitpourappelerunchien.

Ellen’avaitpasàluiobéir.Aprèstout,ilavaittruquélejeupourqu’elleacceptedereleverledéfi.

Maisellelevoulait...Ellelevoulait.

— Dixminutes,dit-il.Pasunedeplus. Je suisunhommedeparole,ne l’oubliezpas.Allons,venezlà.

D’unmouvementpresquegalant,illuitenditlamain.

Et Amelia l’accepta. Elle se leva, s’approcha de lui et pivota avant de se perchergauchementsursesgenoux.

—Pascommecela,fit-ilavecimpatience.

L'empoignantparleshanches,illasoulevaetl'installafaceàlui.

Horrifiée,elleserenditcomptequ'elleétaitmaintenantàcalifourchonsurlescuissesduduc,sesjupesretrousséesentreeux.

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— Voilàquiestbeaucoupmieux,fit-ilsansluilâcherleshanches.Vousvoussouvenezdelamise?ajouta-t-il.Baissezvotrecorsage.

—Touteseule?Mais,lesboutons...

—Vousvousdébrouillereztrèsbiensansaide,j'ensuissûr.

Mauditsoit-il!Ilavaitraison.Danslafamilled'Orsay,noblesseruinée,unefemmedevaitapprendreàsedévêtirseule.Ellelevalesbrasetlespliapouratteindrelesboutonsauniveaudelanuque.

Ilémitunfaiblegrognement.

Il lui suffit de baisser les yeux pour en comprendre la cause. Dans cette posture, nonseulementsoncorsageétaitplaquésursonbuste,maissapoitrineremontait,sibienquelesdeuxglobesdechairmenaçaientdedéborderdesondécolletéàtoutinstant.

LesyeuxdeSpencerétaientrivéssursesseins.Ameliasesentitd'unevulgaritéindicible.Elledéfitlepremierbouton,lesdoigtstremblants.Endéboutonnaunautre,puisunautre.Auquatrième,sapoitrinesesoulevaitets'affaissaitrapidementaugrédesonsouffleerratique.Le duc, lui, respirait bruyamment. Elle fit une pause, incapable d'atteindre le cinquièmebouton.

—Continuez,fitleducd'unevoixenrouéededésir.

Baissant lesbras,elle lestenditderrièreelle.Ilretintsonsouffle.Si lapremièrepostureavaitmis sa poitrine en avant, la seconde la révélait dans toute sa splendeur. Elle défit lecinquième bouton, puis le sixième. Le visage de Spencer planait à quelques centimètres àpeine au-dessus de son décolleté pigeonnant. Quoique le corsage bâillât, son corset luimaintenaitlapoitrinequiapparaissaitrondeetferme.

Sept.Puishuit.

Combienyavait-ildeboutons?Dix?Douze?Unevingtainenesuffiraitpas.Elleaimaitleregarddont il la couvait, et lepouvoirqu'elle exerçait sur lui àmesurequ'elledéfaisait sesboutons.Ellenesesentaitplusvulgaire.Maisplutôtérotique,sensuelle,dévergondée...Bref,elle avait l’impression d’être quelqu’un d’autre, car ce n’étaient pas des adjectifs qu’onappliquaitd’ordinaireàAmeliad’Orsay.

Celadit,ellen’étaitplusAmeliad’Orsay,maisAmeliaDumarque,duchessedeMorland.

Lorsque sesdoigts atteignirent lemilieududos, le corsage s’écartade sonbuste.Et lespupillesdeSpencersedilatèrent.

D’unroulementd’épaule,elle fitglisserunemanche le longdesonbras.Le tissuglissa,emportant la moitié du corsage à sa suite. Ayant libéré son bras, elle s’attaqua à l’autremanche,quin’opposaaucunerésistance.Bienqu’elleportâtencoresacamisoleetsoncorset,jamaisellenes’étaitsentieaussinue.C’étaitunesensationexquise.Nesachant tropqu’enfaire,ellelaissaretombersesbraslelongdesesflancs.

Lentement, Spencer parcourut du regard les courbes de son corps. Des perles de

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transpirationseformèrentdanslavalléeentresesseins.Lachaleurdujourneseseraitpasattardéedans lapiècequesonévaluationhardieauraitsuffià fairegrimper latempérature.Jamaisaucunhommen’avaitregardéAmeliadecettemanière.CertesM.Poste,ainsiquepasmal d’autres, l’avait déjà reluquée. Soulignée par un décolleté approprié, sa poitrine nemanquait jamais d’attirer l’attention des hommes. Malheureusement, aucun, parmi sesautresattributs,necapturaitleursregards.

Celui du duc était toutefois différent. Non pas lascif, mais appréciateur. Scrutateur. Cen’étaitpasseulementdel’admirationqu’elleydécelait,maisdelaruseetl’ébauched’unplan.Ses yeux parcouraient la fine camisole comme s’il traçait le schéma de chaque approchepossible.

L’empoignant par la taille, il l’attira à lui, retroussa davantage ses jupes et plaqua sonbassincontrelesien.Ellelaissaéchapperunpetitcri.

À l'évidence, l'entrejambedeshommesnefondaitpas,maissetendait.Etàmesurequ'ildurcissait,lecorpsd’Ameliaseliquéfiait.

—Votrecorset,dit-ild’unevoixétranglée.Délacez-le.

Haletante,ellesecoualatête.

—Seulementlecorsage.C’étaitlemarché.

Avecungrognement, il la lâcha.Elle ferma les yeux,brusquement effrayée.Nonpasdel’avoirmisencolère,maisd’avoirinterrompuleurétreinte.

Unecaresseaussilégèrequ’unmurmureluieffleuralamain.Bientôt,lamêmesensations’empara de son autre main, démultipliée. Amelia voulut gémir. Son toucher était d’unedouceurinsoutenable.

Ses doigts remontèrent délicatement le long de ses bras, s’attardèrent au creux de soncoude, puis poursuivirent leur lente ascension. Il effleura ses omoplates dénudées, sacolonnevertébrale,avantdesuivresaclaviculeduboutdesdoigts.Ilplongeaundoigtdanslecreuxentresesseins,leretiratoutaussivivement.

Si seulement elle avait accepté de délacer son corset, elle respirerait plus librement àprésent ! Elle brûlait de désir. Ses paupières tremblaient en dépit de ses efforts pour lesgarderfermées.

Ellelesentitchangerdeposition,serapprocher.Sonsoufflechaudluifrôlalagorge,etseslèvress’écrasèrentàl’endroitoùbattaitsonpouls.

S’ill’embrassaitdanslecou,ilnepouvaitcroisersonregard...Danscecas,ellenevoulaitrienmanquer.Ellerouvritlesyeux.

Tandis qu’il lui mordillait le dessous du menton, elle se concentra sur le papier peintcommepourseconvaincrequ’ellenerêvaitpas.

L’agrippantauxépaules,ildéposauncollierdebaisersautourdesoncou-desbaisersdeplusenplusavides.Parvenude l’autrecôté, ilenfonça lesdentsdanssachair.Doucement,

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certes,maisellepoussanéanmoinsuncridesurprise.

—Chut,murmura-t-ild'unevoixapaisanteenluiléchantlelobedel'oreille,Jerêvedefaireceladepuiscettesatanéevalse.

Sansluilaisserletempsderépliquer,ilajouta:

—Etcelaaussi.

Il posa lesmains sur ses seins qu'il semit à pétrir doucement. Puis, appuyant le frontcontre son épaule, il laissa échapper un soupir sensuel avant d'enfouir les doigts dans lacamisole,delesglissersoussesseinsetdesoulever.Sapoitrinejaillitdesoncarcan.

Ils'écartapourlesexaminer.Leurpointes'érigea,tellesdeuxpetitesbillesdures.Ameliavoulutrefermerlesyeux,maisc'étaitau-dessusdesesforces.

Spencercouvritdudoigtlegraindebeautéornantl'intérieurdesonseingauche.

—Unseul,remarqua-t-ild'unevoixdouce.

Sondoigts'égaraensuitedessous,traçantunlargecercleautourdel'aréole.

—Etsombre,murmura-t-il.

Leregardardentdontil lacouvaitétait lapreuveirréfutabledesondésir.L'autrepreuvepalpitaittoutcontresaféminité.Unéclairdeplaisirlatraversa.Puissonpouceeffleurasonmamelondurci,etellecrutqu’elleallaitexploser.

Pressantsesseinsl'uncontrel'autre,ils'inclinaetyenfouitlevisage,frottantlenezsurchaqueglobetouràtouretdonnantdespetitscoupsdelangue.Puisilreculalégèrementetpritlapointedesonseingauchedanssabouche.

Elleneputs'empêcherdegémir,mais,fortheureusement,ilenfitautant,sibienquecenefutpastropembarrassant.

Laissantéchapperuneplainteàpeineaudible,elleposalamainsursanuqueetjouaavecsesbouclestandisqu'illuiléchaitlesein,l'aspiraitgoulûment.Ilfitsubirlemêmetraitementàsonautresein,etlesmêmessensationsl'envahirent-d'abordaiguës,puissuavesetdouces.Sansmêmes'enrendrecompte,ellesemitàondulerdeshanches,sefrottantcontresonsexeenérection.

— Oui, souffla-t-il, délaissant sapoitrinepour tracerun sillagedebaisers jusqu'à soncou.

Laprenantpar leshanches, il accompagna sonmouvementencoreet encore, jusqu’à cequesonplaisiratteigneunniveaupresqueinsupportable.

— Oui, murmura-t-il contre sa gorge. C’est exactement ainsi que je vous voulais cematin-là,lorsdenotretête-à-têtedanslavoiture.

Vraiment?Alorsqu’ilssedisputaient,ilselareprésentaitdanscetteposture?Ill’attiradenouveautoutcontrelui.UnenouvelledéchargedeplaisirtraversaAmeliadepartenpart.

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Entrouvrant les lèvres, elle articula son prénom. Une supplication qu’il prit pour unencouragement.

—Amelia,fit-ilenresserrantsaprisesurseshanches,puisenfrottantlenezcontresonoreille.Ensemble,nousallonsfairedesétincelles.Jel’aitoujourssu.

À présent, il employait un langage dangereux.Elle tenta de l’ignorer,mais ses défensess'effondrèrentetellesepritàrêver,unbrefinstant,qu'ilyavaitderrièresesmotsplusquedudésir.Sesparolesrésonnèrentenelle,setransformèrentafindecoïncideravecsesrêvesdejeune fille romantique. « Ensemble, nous allons faire des étincelles. Je l'ai toujours su.Amelia, je vous ai aimée au premier regard. » Un besoin inutile et stupide d'affectionbouillonnaitdanssonsang,luiéchauffaitl'entrecuisse.Quantàsoncœur...

S'il prononçait unmot, son cœur n'y résisterait pas, aussi s'empara-t-elle de ses lèvrespour l'empêcher de parler. Grossière erreur de sa part. Les émotions se déchaînèrent. Ilexplorasaboucheavec fougue.Leur intimitédevint terriblementdouloureuse.Elledétachaseslèvresdessiennespourmettreuntermeàleurétreinte.

Maisdéjàsesmainss’emparaientdesesseins,saboucheaspiraitunmamelon.Lavoluptévint à bout de ses ultimes résistances. Elle était perdue. Son bassin oscillait à un rythmeréguliersansqu’elleaitsonmotàdire.

Une onde de chaleurmonta entre ses cuisses, se répandit dans sesmembres. Elle étaitinsatiable. Jamais elle n’aurait cru pouvoir éprouver du plaisir aussi facilement - presqueentièrement vêtue, alors que son corps n’était pas encore habitué à des caresses aussidirectes. Pourtant, elle était à deux doigts de basculer dans la volupté. L’apogée du plaisirétaitàportéedemain.Elles’enrapprochaitàtouteallure.Grimpaitplushaut,toujoursplushaut...

Etretombabrutalementsurterre.

Ill’avaitsoulevéparlataille,brisantabruptementlecontactentreleursbassins.

—Assez,dit-ild’unevoixenrouée.

Assez?Ameliainterrogeasoncorps.Non,certainementpas.Cen’étaitpasassez.

L’écartantencoredequelquescentimètres,ilseredressa.

— Dixminutes, reprit-il en consultant samontre, le visage empourpré. Le temps estécoulé.

Avait-ilperdulatête?Peut-êtredixminutess’étaient-ellesécoulées,maisAmelian’étaitpas satisfaite pour autant. Lui non plus, du reste, à en juger par la bosse qui tendait sonpantalon.

Ilselevaet,laportantàdemi,gagnalachambre.Ill’ydéposaetreculadequelquespas,desortequ’ilsseretrouvèrentdepartetd’autredelaportedecommunication.

—Allezvouscoucher,Amelia.

Chancelante, elle agrippa la colonne du lit. Elle tremblait et brûlait d’achever ce qu’ils

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avaient commencé. Il savait forcément ce qu’elle ressentait vu lamanière dont elle l’avaitchevauché. Il était venu à bout de toutes ses résistances à force de caresses et de baisers.L’espritembruméparledésir,elleluiauraitlivrésavertusurunplateaud'argent.

—Nousavionsditdixminutes,luirappela-t-ilensetournantpourrajusterdiscrètementsonpantalon.Etjevousavaisdonnémaparole.

Allait-illuifairecroire,àprésent,qu'ilétaitunhommed'honneur?Àl’instantoùilavaitsortilepaquetdecartes,ill’avaitattiréeentresesgriffes.Littéralement.Etvoilàqu'iltournaitlestalonsetl'abandonnait,dépitée,ettoutefrissonnanted'undésirinassouvi.

—Vousarriverezàdélacervotrecorsettouteseule?

Ellehochalatête,engourdie.

—Danscecas,bonnenuit.

Avantdefermerlaporte,illuilançaunregardénigmatique.

—Sivousavezbesoindequoiquecesoit,jesuisàcôté.

10.

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Une fois dans l’antichambre, Spencer dévissa le bouchon de sa flasque d'une maintremblante.Ilavalaunegorgéed’alcool.Puisuneautre.

Ilsedébarrassadesongiletd’ungestefébrile.Ouvrantunemalle,ilensortitunepairededrapspropresqu’ildépliaavechumeursurlelitd’appoint.Commes’ilallaitréussiràdormir!

Ilsedirigeaverslatablepourallumerunenouvellebougie,n’yparvintpas,etl’envoyaàl’autreboutdelapièce.Jurantdanslapénombre,iltrituralesboutonsdesonpantalon,sortitles pans de sa chemise, et cessa de repousser l’inévitable. Unemain posée sur la table, illibéradel’autresonérectiondouloureuse.

Dieuduciel !Sesseins.Seshanches.Sabouchesur lasienne.Sadouceuretsachaleur.Ses petits gémissements de plaisir. Son prénom s’échappant de ses lèvres. La saveur de sapeau. Ses seins encore, parce que l’on ne s’en lassait pas. Et leurs pointes érigées...Succulentes, tendues, jamais il n’en avait vu, ni touché, ni goûté de semblables. Et sonexpressionquandill’avaitdéposéedanslachambre.Stupéfaite,contrariée.Amoitiédévêtueetouvertementexcitée.Etdirequ'ellen’étaitqu’àquelquespasde lui,de l’autrecôtéde laporte, étendue sur le lit. Rien ne l’empêchait de la rejoindre, de s'allonger sur elle, des’insinuerenelle.Elles'accrocheraitàlui.Haletante,ellesetortilleraitet...

Derrièresespaupièresfermées,unelumièreéblouissantel’aveugla.Serrantlesdentspourréprimeruncri,ilatteignitlajouissancedansuneexplosiondevolupté.S’agrippantaureborddelatable,ilinspiraetexpirapéniblement.

Auboutd’uneminute,ilseredressa,retirasachemiseetlajetadecôté.Aprèsquoiilselaissachoirsurlelitd’appointpoursavourerl’engourdissementquisuccèdeàladélivrance.

Ladélivrance.Pasl’assouvissement.Carelleétaittoutprès,etilpouvaittrèsbienavoirdenouveauenvied’elledanstroisminutes.Peut-êtremêmedeux.

Lasoiréenes’étaitpasdutoutdérouléecommeprévu.Enfinsi,jusqu’àuncertainpoint.Lescartes,lamise,sapoitrinedanssesmains...toutcela,ill’avaitprémédité.Seulement,audépart,ils’agissaituniquementdelagratifierdequelquescaresseshabiles.Justeassezpourlui offrir un avant-goût du plaisir qu’ils pouvaient partager. Juste assez pour lui prouverqu’ellepouvaitluifaireconfiance,l’amadoueretlalaissersursafaim.

Bon.C’étaitnettementdifférentdudressageéquin.

Commentaurait-ilpudevinerqu’elleréagiraitàsescaressesavectantdepassion?Etquelui-mêmerépondraitdemanièreaussifougueuse?Plusjeune,Spencerseseraitenorgueillid’avoirréussiàdévêtiretàmenerauborddel’orgasmeunejeunefemmeinexpérimentéeenmoinsdedixminutes.Cependant, son triomphesonnaitcreuxcesoir, car ilétaitconscientquesavictoireavaitunprix.

Luiaussiétaitrestésursafaim.

Il ne voulait pas seulement plus de plaisir, plus de chaleur, plus de contact charnel -

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quoiqu’ildésirâttoutcelaardemment-,ilvoulaitsurtoutplusd'Amelia.Ilvoulaits'asseoiràtable avec elle et l'observer tandis qu’elle mordillait sa lèvre pulpeuse tout en brodant. Ilvoulaitqu’ellesemoquedeses lectures.Plusencore, ilvoulait lasurprendreen trainde ledévisagerlorsqu’ellecroyaitqu’ilnelavoyaitpas.

Etilvoulaitliredanssonregarddelatendresseetnondelacrainte.

Ilfixalaporte,commes'ilpouvait,parlaseuleforcedesavolonté,lafairepivotersursesgondsrouillés.

«Venezàmoi,Amelia,l'exhorta-t-ilensilence.Vousavezbravédescentainesderegardsàunbalpourvenirm'affronter.Ouvrezcetteportecesoir.»

Maislorsquel'aubeparut,ilseréveillaseuldanssonlit.

Dieu avait un sens de l'humour très cruel, songea Amelia, la nouvelle duchesse deMorland,tandisqu’ellearrivaitenvuedeBraxtonHall.

Parlavitredelavoiture,elleapercevaitdeshectaresdeterresfertilessemésdecottagesetde granges bien tenues, auxquels succédèrent des collines verdoyantes, puis, comme ilsapprochaientduchâteau,unimposantmurdehaiesparfaitementtailléesau-delàdesquellesdevaitsetrouverunparcsoigné.Decesterresprestigieuses,elleétaitdésormaislamaîtresse.

Orellefaisaitpeuràvoir.

Ellen’avaitjamaisvraimentsupportélesvoyagesenvoiture.Lemouvementluidonnaitlanausée,et lachaleurn'arrangeaitrien.Si lepremier jourdetrajets'étaitdérouléàpeuprèssans encombre, plus ils s’éloignaient de Londres, plus l’état des routes se dégradait. Lespluiestardivesdeprintempsn’avaientpasépargnécechemindeterrecribléd’ornières.Aussi,en plus des secousses habituelles, dut-elle supporter de violents soubresauts. Sesmusclesétaient raidesà forcedeprendre surelle, et elle souffraitd’unemigraine insidieusedepuisdes heures. Sa robe - une tenue de voyage chocolat qui avait déjà deux ans d'âge - étaitfroisséeetcouverted’unefinecouchedepoussière.

Elleétaitincontestablementladuchesselaplusdésolantedetoutel'histoireducale.

Lavoiturebifurquapouremprunteruncheminmoinscahoteux.Ameliaaperçutauloinlafaçadedebriquerougeetdepierrecalcaire.Ellesetapotalevisageetlissaquelquesmèchesfolles,histoiredeserendreplusprésentableavantd'affronterSpencer.

Juste ciel ! Comment allait-elle trouver la force de le regarder en face ? Ses jouess'enflammèrentàcettesimplepensée.Lanuitdernière,dans l'auberge...elleavaitvécuuneexpériencesensuelleinouïe,commejamaisellen'auraitimaginéenconnaître.Danssesbras,elle s'était sentie séduisante et audacieuse. Jusqu'à ce qu'il interrompe brutalement leurintimité, la laissant perdue et frustrée.Avait-il vraiment voulu respecter leurmarché ?Ouavait-ilcherchéàlapunird'avoirfixédeslimites?

La portière s'ouvrit. Une lumière aveuglante pénétra dans l'habitacle. Sa migraineredoubla. Elle ne pensait pas que le soleil taperait si fort en fin d'après-midi. Acceptant la

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mainduvalet,elledescenditdelavoiture.Etserenditcomptequecen'étaitpastantlesoleilquil'éblouissaitquesaréverbérationsurlemarbreblancduperrondeBraxtonHall.

Clignantdesyeux,ellelevalamainpourseprotégerdesonintimidantemajesté.Dansungestedéfensif,elletournalatêteàgauche.Pasdemarbredececôté-là.Justeuneimmensefaçadedebriquerougeetdepierrecalcaireéclatante,etunerangéeinterminabledefenêtres.Satêtepivotaversladroite.L'aileestoffraitsafaçadetoutaussiinterminable.

Toutcelaluiappartenait.Àellelacharged'enfaireunfoyer.Seretenantdesauterdejoie,ellesecontentad'unpetittoursurelle-même.ÀtempspourvoirSpencermettrepiedàterred’un mouvement élégant. Évidemment, il était magnifique. Une fine couche de poussièreternissait le brillant de ses bottes, mais cela ne faisait que souligner samasculinité. Toutcomme son teint cuivré, fruit des deux journées passées à chevaucher au soleil. Comme iltendait lesrênesàunpalefrenieravecqui il s’entretintunbref instant,ellenotaqu'ilavaitl’airplusdétendu.Ilsouriaitmême.

Puis,ilpivota,croisasonregard,etsonsourires'évanouit.

—Justeciel!

Sesbottesmartelèrent le sol tandisqu’il franchissait ladistancequi lesséparait.Ameliaétait déjà embarrassée,mais il parvint à lamettre encore plusmal à l’aise. Ce à quoi elleauraitdûs’attendre.

—Vousfaitespeuràvoir.

Elleauraitvouludisparaîtresousterre.

—Jesuisnavrée.Levoyage...

—Oui,detouteévidence.Entrons,vousallezvousreposer.

Posant la main au creux de ses reins, il la guida vers la porte d’entrée, qui était déjàouverte.Lesmusclesdesondosétaientnoués.Dupouce,ilpalpal’undespiresnœudsetlemassafermement.Ellefaillitgémirdegratitude.

—Pourquoin’avez-vousriendit?laréprimanda-t-il.Vousauriezpufaireunepartiedutrajetàcheval.

—Jenemontepas.

Ils’immobilisa,baissantlesyeuxsurelle.

—Vousnemontezpasdutout?demanda-t-il,perplexe.

—Non,répondit-elle,mortifiée.

—Vousplaisantez?Lesd’Orsayneroulentpassurl’or,certes,maisnepossèdent-ilspasdeschevaux?

—Biensûrquesi.Simplement,jen’aijamaisprislapeined’apprendre.

Ilsecontentadesecouerlatêted'unairdésapprobateuravantdepénétrerdanslehall,où

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lemajordomeetlagouvernantelesaccueillirent.

—Bienvenu,milord,fitlemajordomeens'inclinant.Milady,ajouta-t-ilens'inclinantànouveaudevantAmelia.

—J'enconclusquevousavezreçumonmessage,fitSpencer.

— Hier matin, milord, répondit la gouvernante avec une révérence. Toutes nosfélicitationspourvotremariage.Lesappartementsdemadameontétéaérésetsontprêtsàlarecevoir.

—Parfait.Madamenesesentpasbien.Veillezàcequ’elleserepose.

D'un ton cassant, il présenta à Amelia les deux employés comme étant Clarke etMmeBodkin.

—Quellesuperbeentrée!s’exclamaAmelia.

C'étaitlàuncomplimentdétournédestinéàsefaireunealliéedelagouvernante.

Uncrilesinterrompit.

—Spencer!

Amelialevalesyeuxversl’escalier,enhautduquelsetenaitunejeunefille.

—Spencer,tuesrentré!

Ce devait être Claudia. N’était-elle pas censée séjourner chez des parents à York ?Pourtant ce ne pouvait être qu’elle. L'air de famille, quoique discret, était indéniable. Lescousins avaient les mêmes boucles noires, ainsi que les mêmes pommettes saillantes.L'expressionencoreinnocentedel'adolescentecontrastaitavecsasilhouette.Elleétaitàl'âgecharnièreoùunejeunefillecommenceàsemétamorphoserenfemme.

—Quefais-tuici?s’écriaSpencer.TudevaisresteràYorkunesemainedeplus.

—Jelesaisuppliésdemerenvoyeràlamaisonplustôtqueprévu.Etcommelavieillechouettenevoulaitrienentendre, jemesuismalcomportéesibienqu’elleétaitraviedesedébarrasserdemoi.Nousavonsenvoyéune lettreàLondresmaisvousdeviezdéjàêtreenroute.

La jeune fille dégringola l'escalier de marbre dans un envol de mousseline rose pâle.Tandisquellesehâtaitversleduc,toutdanssonattitude-desespoingscrispésd’excitationàsesjouesempourprées-disaitsajoieetsonaffection.Ilétaitévidentqu’ellel’adorait.

—Incorrigiblegamine.

Cesparolesétaientpeut-êtrecenséesexprimersadésapprobation,maisAmelianefutpasdupe. Une étincelle affectueuse s’était allumée dans le regard de son mari. À sa manièreréservée,luiaussil’adoraitvisiblement.

Ameliaéprouvaunsentimentéquivoque.C’étaitàlafoisrassurantdedécouvrirqu’ilétaitcapabled’éprouveruneauthentiqueaffection,etdécourageantdeconstaterquelledifférence

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detraitementilréservaitàsapupilleparrapportàsafemme.

Une fois enbasde l’escalier,Claudia se rua vers son tuteur, puis s'arrêtanet et jetaunregardàAmelia.

—Est-cemanouvelledamedecompagnie?

Amelia,quiavaitdéjàl’estomacnoué,faillitfaireunmalaise.Voilàquin’auguraitriendebon.

—Non,fitSpencer.

— Évidemment, répliqua Claudia avec un sourire. J’ai su immédiatement qu’il nepouvait s’agir que de la femme de chambre de la nouvelle dame de compagnie. Mais jepréféraisd’abordêtresûre.Ç’auraitétégrossierdemapartdesupposerlecontraire,non?

AmeliapivotaversSpencerd’unmouvementsilentqu’elleentenditsespropresvertèbrescraquer.Puisellehaussalessourcils.Cefutlaseuleréactiondontellefutcapable.

Oublieuse,Claudiapoursuivit:

—Manouvelledamedecompagnievoyage-t-elleséparément?

Spencercrispalesmâchoires.

—Iln’yapasdenouvelledamedecompagnie.

Elleserembrunit.

—Mais...tum’avaispromisqu’àtonretourdeLondres,tumeramènerais...

—Claudia,l’interrompit-il,secetimpérieux.

Lajeunefilletressaillitetaffichauneminedechienbattu.Seigneur!Lasituationpartaitàvau-l’eau.

Spencer prit lamain d’Amelia qu’il coinça au creux de son coude. Elle regarda d’un airhébétésesdoigtsposéssursonbras.

— Lady Claudia, commença-t-il, instaurant un semblant d’étiquette, je te présenteAmeliad’OrsayDumarque,duchessedeMorland,monépouse.

—Ton...

Claudia fixaAmeliaenbattantdespaupières,avantdese tournerversSpencer, lesyeuxécarquillés:

—Ton...

—Monépouse.Laduchesse.Tanouvellecousine.Quetudoistraiteravecdéférenceetàquitudoisprésentertesexcuses.Toutdesuite,ajouta-t-ilavecunregardappuyé.

Claudiafitunerévérencetoutenbafouillantquelquesmotsd’excuses.PuiselleregardadenouveauSpencer,aveccettefoisl’expressionpleinederessentimentd’unchiotqu’onaurait

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battuàmaintesreprises.

— Je suis... je suis ravie de faire votre connaissance, Claudia, fit Amelia après s’êtreéclaircilavoix.Leducm’aparlédevousentermestrèsélogieux.

— C’est étrange, rétorqua la jeune fille. Il ne vous amentionnée dans aucune de seslettres.

—Claudia,fitSpencerd’untonmenaçant.

Amelialuipressalebrasavantdedégagersamain.

— J’espère vraiment que nous pourrons devenir amies, dit-elle, joviale, en posant lamainsurlepoignetdelajeunefille.

C'était sans doute un geste futile, mais ne disait-on pas que la fortune souriait auxaudacieux?

Un silence embarrassant s’ensuivit. Et alors qu’Amelia se disait que la situation nepouvaitêtrepire,elleledevint.

Claudiafonditenlarmes.

—Tut’esmarié?s’écria-t-elle,ignorantcomplètementAmelia.Sansmêmem’enavertir?Commentas-tupu...

—Chut,marmonna-t-ilenprenantsapupilleàpart.Nefaispasdescène.

Amelia faillit éclater de rire. Le conseil arrivait un peu tard. En vérité, elle ne pouvaitblâmer la jeune fille. Des fiançailles ordinaires leur auraient permis d’apprendre à seconnaîtreavantlemariage.Claudiaauraiteudessemaines,voiredesmois,pourseprépareràl’arrivéed’unenouvelleduchesseàBraxtonHall.Aulieudequoi,onluienimposaitunedujour au lendemain, sans avertissement.Non, elle ne pouvait reprocher à la jeune fille sonressentiment. C’était Spencer qu’elle tenait pour responsable. Un nouvel exemple del’arroganceduduc,promptàprendredesdécisionssanssesoucierdessentimentsd’autrui.

— Ehbien,vousavezsansdoutebeaucoupdechosesàvousraconter,déclara-t-elleentournantledosàSpencer.MadameBodkin,auriez-vouslagentillessedemeconduireàmesappartements?Nousenprofiteronspourréfléchiraumenududîner.

Levisagedelagouvernantes'éclaira.

—Biensûr,milady.Lecuisinierseraenchantéderecevoirvosconsignes.Avez-vousdesrecettespréférées?

Unsouriresincèreéclairalestraitsd'Amelia.

—J’enaiunlivreentier.

Lesquelquesheuresqui suivirentpassèrentenunclind’œil. Indisposéeoupas,Amelian’eutquasimentpasletempsdesouffler.Cétaitsapremièresoiréeentantquemaîtressede

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BraxtonHall.Sansdouteavait-elle faitmauvaise impressionà sonarrivée,mais lorsqu’elleredescendraitpourledîner,elleétaitrésolueàassumerpleinementsonrôlededuchesse.

Personne ne la confondrait plus avec la dame de compagnie, ou, pire, la femme dechambre.

Organiserledînernefutpastâcheaisée.Ameliaélaboraunmenusimplemaisraffinéquitenaitcomptede la listeapproximativedesréservesdedenrées fournieparMmeBodkinetdutempsdontilsdisposaient.Parchance, lagouvernantesemblaitraviedel’assister.Aprèsl’avoirenvoyéeencuisinemunied’unelistedeplats,dequelquesrecettes,etdenombreusesrecommandations pour le cuisinier, Amelia s’autorisa une petite sieste de dixminutes suruneméridiennerecouverted’unsomptueuxbrocart.Sesappartements-elleavaitcomptésixpièces jusque-là-étaientdécorésdansdestonsbleuroi,crèmeetor.Danssaposition,elleavait tout le loisird’examiner lesmouluresgrecquesornant leplafond.Eninclinant latête,elleapercevaitunetableravissantedontleplateaudemarbrereposaitsurdespiedsenboismagnifiquement sculptés. Un gros bouquet de fleurs fraîchement coupées dans un vasechinoisbleuetblancytrônait.

Desorchidées.Elleavaitenfinsesorchidées!

Tout ici n’était que beauté, élégance, harmonie. Le simple fait de le contemplerl’emplissait d’une joie tranquille.Des années durant, elle avait dû supporter en silence lesmouluresenformedecoquillages,leroseàoutranceetleschérubinsobèsesdeWinifred.Aprésent,ellesavouraitdenouveaulebongoûtdesesancêtres.

Pendantunedizainedeminutesdumoins.Aprèsquoi,elleseremitautravail.

Unefoisquesafemmedechambreeutpréparésonbain,ellel’envoyarepasserlarobegristourterellequ’elleportait pour sonmariage.C’était sans conteste laplusbellede sa garde-robe.Orl’occasionexigeaitunetenueirréprochable.

Amelia pouvait prendre son bain seule - elle l’avait fait pendant des années -, maisl’horlogetournaitetledînerapprochait.Ellenepouvaitsepermettred’êtreenretard.Surtoutcesoir,oùellecomptaitbienmontreràClaudiaetàSpencerqu’ellen’étaitpasdépourvuedetalents.

Elle se dépêcha d’ôter sa tenue de voyage, puis s'immobilisa. Pas question de jeter levêtement poussiéreux sur un lit impeccable. Une autre qu’elle l’aurait simplementabandonné sur le sol, mais Amelia était trop ordonnée pour cela. La chambre contenaitcertainementunependerie...

Parcourantlapièceduregard,ellerepéraunpanneaucoulissant.Ilsefondaitsibiendanslacloisonqu’ellenel’avaitpasremarquélapremièrefoisqu’elleavaitinspectéleslieux.

Elle s’en approcha d’un pas vif. Il lui opposa plus de résistance que prévumais, en s’yappuyantdetoutsonpoids,elleparvintàlefaireglisser.

Spencersetenaitdel’autrecôté.

Ilétaitentraind’enleversachemisemaissefigeaenlavoyant.

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—Oh!s’écria-t-elle.

Desurprise,elle lâchalarobe.Elleétaitàprésentenchemiseetcorsetdevant leduc,cequinefitqu’accroîtresonembarras.

—Jesuisdésolée,bredouilla-t-elle,lesyeuxrivéssursonabdomenmuscléetlesillondepoilssombresquipartaitdunombril.Jecroyaisquec’étaitunependerie.

Ilrabattitsachemise,perplexe.

—Non,cen’estpasunependerie,rétorqua-t-ilenjetantuncoupd’œilderrièrelui.

C’étaitmanifestementlachambreduduc,entoutpointsemblableàlasienne,àceciprèsquelesteintesétaientplusmasculines.Laportecoulissantereliaitleursappartements.

—Biensûr.C’estjustequejenem’attendaispas...C'esttrès...

—Pratique?

—J’allaisdireinhabituel.

Embarrassée,elledansad’unpiedsurl’autre.LeregarddeSpencersefixasursapoitrine.

Ameliasentitsesjouess’enflammer.Ellerecula,faillitseprendrelespiedsdanslarobeausol. Se fût-elle baissée pour la ramasser, elle lui aurait offert une vue plongeante sur sondécolleté.Aussisecontenta-t-elledelapousserdiscrètementdupied.

— Nousnousverronsaudîner, fit-elle encommençantà faire coulisser lepanneaudebois.

Spencers’approchaettenditlamainpourleretenir.

— À propos de Claudia. Elle est très... jeune, soupira-t-il. J’aurais aimé que votrerencontresepasseautrement.

Cherchait-ilàluiprésenterdesexcuses?Ilavaitencoredesprogrèsàfaire.

—Moiaussi.

Àprésent,ilexaminaitsonbassin.Seslèvresseretroussèrentenunsourireapprobateur.Maisoui,elleavaitleshancheslarges,soncorpsétaitfaitpourporterdesenfants,commeleluiavaientditmaintesmatronesautrefois.

Ameliaseraclalagorge,cequirevenaitàpeuprèsàluidire:«Coucou,jesuislà.»

LeregarddeSpencerremontajusqu’àsonvisage,quoiquesanssepresser.Ettandisqu’illacaressaitdesyeux,uneagréablechaleur frémitdanssesveines.C’étaitsansespoir !Nonseulementelleétaitdevenueunobjetdeconvoitise,maisenpluselleaimaitcela.Inutiledelenier.Cequinel’empêchaitpasdevouloiraussisonaffection.Mêmes'iln'enavaitjamaisétéquestion,etqu’elleeûtacceptédel’épouserenconnaissancedecause.

Spencer étant un homme, il faisait la distinction entre ses besoins charnels et sessentiments.PourAmelia,lesdeuxétaientétroitementimbriqués.Cequisignifiaitqu’ilavait

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l'avantagesurelle.

Sans parler du fait qu’il la dominait physiquement. Tandis qu’ils se tenaient là - ellepoussantsurlepanneau,luilebloquantd’unemain-,elleserenditcompteàquelpointilluiseraitfaciledelamaîtrisers’illedésirait.

Elleposalesyeuxsurlapoignée.

—Iln’yaqu’unseulverrou,dit-il,lisantdanssespensées.Ilestdemoncôté.

—Jevois.

—N’ayezcrainte,jenelefermeraijamais.

Unsourirearrogantauxlèvres,illâchalaporteetrecula.

Ameliarepoussalepanneauquisefermabruyamment.

Ellecrutalorsentendreunéclatderire.

11.

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Ledînerfutundésastre.

Contretouteattente,SpenceravaitespéréuneaméliorationrapidedanslecomportementdeClaudia,quecemariageavaitde touteévidenceprisedecourt. Ilavaitcruquequelquesheuresderéflexionaideraientlajeunefilleàenaccepterl'idée,etque,peut-être,elleverraitd'unœilplusfavorablel'entréed'Ameliadansleurfamille.

Ils'étaittrompé.

Spencer se tenait en bout de table, tandis qu'Amelia et Claudia étaient installées face àface.Leurs regardsnesecroisaient jamais.Laviolenceavec laquelleClaudiapoignardait lepoissondanssonassiettedonnaitàpenserqu'onleluiavaitserviencorefrétillant.

— Comments'estpassé tonséjouràYork?s'enquitSpencer.Puis-jem'attendreàdescomptesrenduspositifsdetesprécepteurs?

—Jenesaispas,répondit-elle.Monprofesseurd'allemandétaitplutôtdéçu.

—Etlescoursdemusique?

—Lemaîtredemusiqueétaitplutôtdécevant,répliqua-t-elleenreposantsafourchette.Enrevanche,lesboutiquesétaientcharmantes.

—Sijet’aienvoyéeàYork,c'estpourquetut’yinstruises,paspourquetudistribuestonargent de poche aux commerçants du coin. Pourquoi me donner la peine d'engager desprécepteurssitun’enapprendsrien?

—Peut-êtrequetunedevraispastedonnercettepeine,rétorqua-t-elleenluijetantunregardpleinderancœur.

— Vousn’avezpasfaim? intervintAmeliad’untonconcilianten indiquant lepoissonabandonné.Vousn’avezpastouchéàvotresoupenonplus.

Lajeunefillerefusaittoujoursdelaregarder.

— Je vous prie dem’excuser, dit-elle en repoussant sa chaise. Je n’ai pas beaucoupd’appétitcesoir.

Sur ce, elle sortit à grands pas. Spencer commença à se lever, puis hésita. Devait-il luicouriraprèsoucelaneferait-ilqu’envenimerlasituation?

—Laissez-la,fitAmelia,quiavaitludanssespensées.Elleabesoindetemps.

Ilserassit.

D’ungeste,Ameliaordonnaauxserviteursdedébarrasserlepoisson.

—Quecomptez-vousfaireàsonsujet?risqua-t-elle.

—Jenesaispas,avoua-t-ilhonnêtement.

Celafaisaitquelquetempsdéjàqu’ill’ignorait.

—Quelâgeavait-ellequandsesparentssontmorts?

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Ils’apprêtaitàrépondrequandundomestiquevintdéposerlerôtid’agneauaucentredelatable.Spencerattrapa la fourchetteet lecouteauàdécouperd’ungeste impatient.Lesducsn’avaient pas pour habitude de découper eux-mêmes leur viande, mais il parlait plusfacilementlorsqu’ilavaitlesmainsoccupées.

Étonnamment,d’ailleurs,ilavaitenvied’aborderlesujet.

—Ellen’étaitencorequ’unnourrissonlorsquesamèreestmorte.C’étaitpeudetempsavantquemononclemefassevenirduCanada.Commeiln’avaitnulleenviedeseremarieretd'engendrerunhéritier,monpèreetluisesontentenduspourquejevienneiciafindemeprépareràassumerlesdevoirsliésautitre.Claudiaavaitneufansàlamortduduc.Monpèreétant lui-même décédé entre-temps, le duché m'est donc revenu directement, en mêmetempsquelachargedetuteurdeClaudia.

Etilavaitpresqueaussitôtmanquéàsesengagementsenverselle.Dumoinsenavait-ileul’impression.Ilavaitpourtantessayé.Suiteàlamortdesonpère,il l'avaitgardéeauprèsdeluipendantunoudeuxans.L’avaitemmenéeenvoyage, luiavaitapprisàmonteràcheval,lui lisait lesoirShakespeare,HomèreetMilton-sans lui laisserdevinerquecesclassiquesétaientpourluiaussiunedécouverte.C’étaituneenfantintelligente,avided’affection.Illuiavait dispensé autant d’attention que possible eu égard aux lourdes responsabilités qui luiincombaient,maisilavaittoujourssuqu’elleenméritaitdavantage.Etplusellegrandissait,moinsilsavaitcommentlaprendre.Elleavaitbesoind’instruction,d’unmodèleàsuivre,deraffinement,etd’uncontactaveclasociété-autantdechosesqu’ilnepouvaitluiapporter.

— J’aibiensûremployédesgouvernantesaufildesans,continua-t-il.Etcesdernièresannées, je l’aienvoyéepasser l’hiverchezsagrand-tanteàYork,oùdesprofesseursétaientcensésl’instruire.

—Pasétonnantqu’ellem’enveuille,lapauvre,commentaAmelia.

—Pourquoivousenvoudrait-elle?

Amelia écarquilla les yeux. Franchement, Spencer ne comprenait pas. Il avait cru queClaudia serait heureuse d’avoir une présence féminine sous lemême toit, d’autant qu'ellen'avaitpasconnusapropremère.

—Spencer,vousêtesleseuladulteàavoirpartagésavie.Pourelle,vousêtesàlafoisuncousin,unfrère,untuteur,etDieuLui-même.Ellevousadore,celasauteauxyeux,etvousl’envoyezau loin.C’estpourvousvoirqu’elleaécourtésonséjour,etvoilàqu'elleapprendque vous vous êtesmarié sansmême l'en avertir. Pour la première fois de sa vie, elle vadevoirpartagervotreattention. Ilestclairqu'ellem'enveut.Ellemeconsidèrecommeunerivale.

Il avait le vague sentiment d'avoir mis Amelia dans une position embarrassante. Lemorceau de viande qu'il déposa dans son assiette lui parut être une bien maigrecompensation.

— L'idée ne vous a jamais effleuré queClaudia avait peut-être l'espoir d'être un jourvotreépouse?suggéra-t-elleens'emparantdesafourchette.

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Lecouteauàdécouperluiéchappadesmains.

—Sacrebleu,non!Noussommescousins.Jesuissontuteur.Pourl'amourduciel,ellen'aquequinzeans!C'estencorepresqueuneenfant.

Ilréprimaunfrisson.ÉpouserClaudia?Cetteidéeluidonnaitlanausée.

—Jesais...concédaAmeliaendécoupantsonmorceaud’agneau.Maisdesunionsdecegenre ne sont pas si rares. Du reste, elle n’est pas si jeune que cela. Lorsque je me suisfiancéepourlapremièrefois,j’étaisàpeineplusâgéequ’elle.

Ellepritunebouchée.

—Vousavezétéfiancée?Àqui?

Ildutpatienterletempsqu’ellefinissedemâchersonsatanéboutdeviande.

— Personnedevotreconnaissance,répondit-elleenfin.UnpropriétaireterrienfortunéduGloucestershire.

—Ques’est-ilpassé?

—Ilétaitsivieux...Disonsquejen’aipaspuallerjusqu'aubout.

Ellerepoussasaviandeduboutdesafourchette,l'airtendu.Spencerressentitunehainesi viscérale à l'encontre de ce propriétaire terrien du Gloucestershire qu'il craignit, s'il laquestionnait,de...briserunobjet.

Cequirisquaitdenepaslarassurerquantàsanaturenonviolente.

—Vousnemangezpas?demanda-t-ellesoudain.

Ilsecoualatête.

—Jen'aimepasl'agneau.

—C’estabsurde.Toutlemondeaimel’agneau.

—Non,pasmoi.

Ameliapoussaunsoupir.

—Claudiaabesoindevous.Nousdevrionsêtreauxpetitssoinspourelle.

—Auxpetitssoins?

Bien qu’il lui fût reconnaissant de changer de sujet, il appréhendait la suite de laconversation.

—Quevoulez-vousdire?reprit-il.

—Ilfaudraitpasserdutempsavecelle,pourcommencer.Luiparler.L’écouter.Touteslesjeunesfillesdesonâgeontbesoind’uneconfidente.Jevaisessayerdemerapprocherd’elle,maiscelarisquedeprendredutemps.Elleabesoind’évoluerdansuncerclemoinsrestreint.Sivousavezl’intentiondel’emmeneràLondrespourluifairefairesesdébutsdanslemonde,

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ilvafalloirlasortirdesonisolement.J’imaginequ’iln’estpasenvisageabledel’emmeneràBathouàBrighton?

—Nousvenonsàpeined’arriver.Monbureaucroulesouslespapiers.Enoutre,c’estlasaisondel’accouplement,etj’aidesjumentsà...

—Trèsbien,trèsbien,coupa-t-elle.Cen’étaitqu’unesimplesuggestion.Pasdevoyage.Alors, une fête, déclara-t-elle. Je peux organiser une charmante fête, et Claudia pourram’aider...

—Non.Pasdefête.

— Je ne vous parle pas d’une réception. Il n’y aura pas de danse. Nous nouscontenterons d’inviter quelques bonnes familles, avec des jeunes filles de son âge. Unconcert,peut-être.Ellejoued’uninstrument,n’est-cepas?Ceseraitpourellel’occasiondepratiquerdevant...

—Non,fit-ilenabattantsonpoingsurlatable.

Cette discussion devait cesser immédiatement. Braxton Hall - son foyer, son refuge -envahiparunenuéed'écerveléesaccompagnéesdeleursparentsobséquieux?Rienqued’ypenser, la tête lui tournait. Comme siDante avait ajouté undixième cercle concentrique àl’enfer.

— Ecoutez. Claudia estma pupille. Elle est sousma responsabilité, et je l’éduqueraicommebonmesemble.Ellen’estpasencoreprêteàévoluerdanslasociété.

—Maisjepensaisque...

—Cequevouspenseznem'intéressepas.Dumoinsencequiconcernecesujet.

—Trèsbien.

Ellebaissalesyeux,apparemmentmatée.

Fichtre!Spencerattrapasonverredevinetlevidad'untrait.

—J'aiunappétitd'oiseau,cesoir.Cedoitêtrelafatigueduvoyage.

Sanssedépartirdesonflegme,ellereposasescouvertsenargentsursonassiette,pliasaservietteetlamitdecôté.Quandelleseleva,ill’imita.

— Pouvez-vousmereconduireàmesappartements?Oufaut-ilque jedemandeàunedomestiquedem’indiquerlechemin?Jenesuispasencorefamiliariséeavecceméandredecouloirs.

Il lui offrit le bras et ils quittèrent la salle àmanger en silence. Ils traversèrent le halld’entrée, gravirent l’escalier et empruntèrent le couloir qui menait à leurs chambres. Ilsn’étaientplusqu’àquelquespasdelasiennelorsqueAmelias’immobilisa.

—Qu’ya-t-il?fit-ilens’arrêtantàsontour.

—Maintenantquenoussommesseuls...

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Elleparcourutrapidementlecouloirduregard,puisluilâchalebras,etarticula,lesyeuxétincelantsderage:

— Neme faitesplus jamais cela. J’ai attendu toutemavied’êtremaîtresse chezmoi.Commesicen’étaitpasdéjàassezhumiliantqu’onmeconfondeavecuneemployéeàmonarrivée,faut-ilenplusquevousmerabaissiezenprésencedesdomestiques?Sivousdevezme réprimander et me rabaisser, ayez au moins la courtoisie d'attendre que nous soyonsseuls.

Ilnesutpascommentréagir.Verbalementdumoins.Carsoncorpss’exprimaitavecuneéloquenceprimaire.Lesbattementsdesoncœurs'accélérèrent;lesangaffluadanssavirilité.Enfin,ilretrouvaitAmelia-lafemmepleined’audaceetd’espritquileprovoquaitdetouteslesmanièrespossibles.

—Etcequejepensesurlesujetnevousintéressepeut-êtrepas,poursuivit-elle,maisjevaisquandmêmevous ledire.Dèsque je vousai rencontré, j’ai suquevouspouviezvousmontrerarrogantetégocentrique,maisc’est lapremière foisque jevousdécouvrestupide.Cettepetitevousadore.Enymettantunpeuduvôtre,vouslarendrieztrèsheureuse.Aulieudecela,vousl’envoyezauloin.Lorsquevousjugerezquecetterelationméritequevousvousyconsacriez,ilserapeut-êtretroptard.

« Qui plus est, je pourrais vous aider. Je sais ce que Claudia ressent. Si vous vous endonniez la peine, qui sait, vous découvririez que j’ai d’autres qualités hormis celles degénitrice.

Elleposalamainsursatempe.

—Vousn’avezpasidéedecequejepourraisvousapporter.

—M’apporter?Ondiraitquevouspassezunentretiend’embauche.Jecroyaisquevousaviezétéoffenséequel’onvousprennepourunedamedecompagnie.

—Jel’aiété,sehérissa-t-elle.VousdisiezvousmarierpourprotégerClaudia.Voustenezbeaucoupàelle,c’estévident.Quandleluiavez-vousditpourladernièrefois?

Seigneur,ilauraitétébienenpeinedeledire!Jamais?

—Sic'estévident,pourquoileluidire?Jeveilleàcequ'ellenemanquederien,reçoiveuneéducation,etjeluifixedeslimitesdanssonpropreintérêt.

—Ah,oui!Vousêtestellementgénéreux.Vousluidonneztoutsaufdel’affection.

—Dites-moi,sil’affectionestlarecettemiracle,commentsefait-ilquevotrefrèresoitledernierdesvauriens?

Ellelefusilladuregard,fulminantederage.Quelquessecondess’écoulèrentavantqu’ellelâche:

—Allons-nousfaireunepartiedecartescesoiroupas?

S’ils’étaitattenduàcela!

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—Vousm’invitez?répliqua-t-il.

—Dansleboudoir,pasplusloin.

Ilpassadevantelleetouvritlaporteavantdes’effacer.

—Celavadesoi.

Ellepénétradanslapièceets'installasurledivan.Ayantdénichéunjeudecartesdansuntiroir,ilapprochaunetableetunfauteuilducanapé.

—Piquet?demanda-t-ilenfeignantl'indifférencetandisqu'ilbattaitlescartes.

—Commevousvoulez.

Laveille,sesprogrèsrapidesaupiquet l'avaientagréablementsurpris.Aufildesparties,elle avait su adapter son jeu en y intégrant peu à peu de nouvelles stratégies. La pratiqueaidant,ellepourraitserévélerunadversairedetaille.Maisjusque-là,ilavaitdûsabordersonjeuenécartantsesmeilleurescartespourquelapartieconserveunminimumd'intérêt.

Alorssiellecroyaitpouvoir lebattrecesoir,ellesefaisaitdes illusions.Celan'arriveraitques'ildécidaitdeperdre.

Peut-êtredevrait-illalaissergagner.Dumoinslapremièremanche.

Commeils’apprêtaitàdistribuer,ellel’arrêta.

—Uneseulepartie,cesoir.Voulez-vousdéciderdelamisedèsàprésent?

—Trèsbien,répondit-il,étonné.Quechoisissez-vous?Quatrecentslivres?

—Pluslapermissiond’organiserunconcertpourClaudia.

— Soit. Et si je gagne, vous viendrez vous asseoir sur mes genoux et vous medéshabillerezjusqu’àlataille.

Elledéglutitpéniblement.Sonregardparutsefixersurlesboutonsdesongilet.

—Et...etensuite?

—Vousaviserez.

—Dixminutes,commehier?

Ilacquiesçad’unsignedetête.

Tandis qu’il distribuait les cartes, la culpabilité le rongeait. Il avait prévu de la laisserremporterlapremièremanche.Lanuitpassée,lavictoirel’avaitragaillardie.Etcelaluiallaitàmerveille.

Maiscesoir, l’enjeuétait trop important.Recevoirunehordedegaminespersuadéesdesavoirchanteretjouerd’uninstrument?Diable!Iln’avaitpaslemoindredésirdedonnerunconcertsoussontoit.Enrevanche,ilavaittrèsenviedesentirlesmainsd’Ameliasursapeau.Àunpointtelquecelal’inquiétait.

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Amelia ramassa ses cartes. Et fronça les sourcils comme elle étudiait son jeu. Bienentendu, elle ne pensait pas au plaisir charnel. C’était le dernier de ses soucis. Elles’inquiétaitpour son frèreetClaudia -venirenaideà l’un,distraire l’autre, etpeut-être sedistraireelleaussiparlamêmeoccasion.Bonsang,ellevoulaitsimplementserendreutile,etilallaitentraversesprojets!

Sonproprejeu,découvrit-il,comprenaittroisasetunequatrièmeauroi.Savictoireétaitassurée.

Ilsedéfaussadesonasdecœuravantdechangerd’avis.Voilà ! Il joueraitpourgagner,certes,maiselleavaitdésormaisunechanceraisonnable.

Durantlapartie,ellefutdistraiteetnégligente.Ellecommitdeserreursstupides.Aurait-ilvouluperdrequ'ilauraiteudumal.Endéfinitive,ilgagnahautlamain.

Elle lui lança un regard accusateur qui semblait signifier : « J'espère que vous êtessatisfait.»

En réalité, il ne l’était pas.La victoire lui laissait un goût amerdans la bouche.Lanuitpassée, ilavaitmanipuléAmelia.Siellen'avaitpasaffichétantdefougueunefoisdanssesbras,iln'auraitsansdoutepaslaisséleschosesalleraussiloin.

— Amelia,commença-t-il toutensachantqu'il leregretteraitaussitôt, ilsefaittard,etnoussommestousdeuxexténués.Oublionslamise.

—Sûrementpas,protesta-t-elleenselevantpourcontournerlatable.Ilneserapasditqu'un d'Orsay n’honore pas ses dettes ! Vous allez devoir vous lever si je dois vousdébarrasserdevotreveste.

Ilobtempéra.C’étaitunhomme,pasunsaint.

Ellefitremontersesmainslelongdesontorse,écartantsavestedesongilet.Malgrélesépaisseursdetissus,cettecaressefaillitavoirraisondelui.Arrivéeauxépaules,ellerepoussal’étoffelelongdesesbras.L’ayantdébarrassédesaveste,ellelamitdecôténonsansl’avoirpliéeavecsoinÀcestade,ilpiaffaitdéjàd’impatience.

Elles'attaquaensuiteàsacravate,déboutonnasongilet,quirejoignitbientôtlaveste.

Spenceravait le soufflecourtet le sexedurci. Iln'yavait riende timidenideséducteurdanssafaçondeledéshabiller,maisc'étaitindéniablementféminin,etterriblementexcitant.Cen’étaientpaslesgestesd’uneamante,maisceuxd’uneépouse.Sonépouse.

En tirant brusquement sur sa chemise pour la sortir de son pantalon elle faillit perdrel’équilibre.Illarattrapaparlataille,puis,commemueparunevolontéquileurétaitpropre,sesmainsglissèrentsurseshanchesetserefermèrentsursacrouperebondie.

Avec un haussement de sourcil réprobateur, elle lui attrapa les mains et les écarta deforce.

—Cen’estpascomprisdanslegage.

Ellelerepoussalégèrementetajouta:

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—Asseyez-vous.

Ilnesefitpasprier.

Commelaveille,ellesemitàcalifourchonsursesgenouxaprèsavoirretroussésesjupes.Àladifférenceprèsque,cette fois, lenuagedetissus’amoncelantentreeuxétaitbeaucoupmoinsépais.Ilpercevaitdéjàlachaleurdesapeau.

Sa virilité se mit à palpiter dans son pantalon. Si innocente fût-elle, elle ne pouvaitmanquerdeleremarquer.Cependant,aulieud'avancerlebassin,ellereculasursesgenouxpourévitertoutcontact.Lesdoigtstremblants,ellesaisit lebasdesachemiseet lasoulevalentement.

—Levezlesbras,ordonna-t-elledansunsouffle.

Ilobéitensilence.Elleseredressa,fitpasserl'encoluredesachemisepar-dessussatêteet,cettefois,secontentadejeterlevêtementausol.

Soussonregard,Spenceravait l'impressiondeseconsumer.Ellerespiraitàpetitscoupsrapides,lagorgeetlapoitrineempourprées.Quellesqu'aientétésesréticencesàhonorersongage quelques minutes plus tôt, elle avait désormais le cœur à l’ouvrage, et son désir nefaisaitqu’alimenterceluideSpencer.

Pourtant,elleeutunehésitation.

—Faitestoutcequevousvoulez,laissa-t-iléchapper.

Elleposalesmainssurlessiennes,luicaressalesdoigts,etsourit-amuséesansdoutedele voir agripper les accoudoirs du fauteuil. Tantmieux. Qu’elle se rende compte de l’effetqu’elleluifaisait.«Oui,Amelia,jemeretiensdevoussauterdessus,songea-t-il.Etsijenevouspossèdepasbientôt,jerisquedeperdrelatêtepourdebon.»

Elle lui effleura les poignets, remonta le long de ses avant-bras, pressa doucement sesbiceps.Illescontractapourlaprovoquerunpeu.Ellelerécompensad’untressaillement.Engénéral, les femmesaimaient explorer sesbras et son torse.Le travail avec les chevaux luiavaitsculptéuncorpsd’athlète,cequiétaitplutôtrareparmileshommesdesonrang.

Sesmains s’arrêtèrent sur ses épaules. Un nouvel afflux de sang se précipita dans sonentrejambe.

Commeelle lui effleurait la nuque, unedéchargebrûlante suivit le trajet de sa colonnevertébrale.Ellesevengeaitdelanuitpasséeenluirendantcaressepourcaresse-exactementcomme il l’espérait.Demeurer ainsi immobile lui était une torture,mais son inaction étaitprécisément ce que la situation requérait. Il devait se montrer patient... même si c’étaitinsupportable.

Elleposalesyeuxsursontorse.

Ilseretintdes’emparerdesesdoigtspour lesguider,deglisser lamainderrièresa têtepourattirersaboucheentrouverteversdiverseszonesdesoncorps-seslèvres,soncou,sontorse,son...

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Ellesepenchaetluichuchotaaucreuxdel’oreille:

— La nuit dernière, vous disiez que vousmouriez d’envie de... deme lécher. Dememordre.

Ces mots si crus dans une bouche si innocente... La vision de ses petites dents luimordillant le lobe de son oreille, de sa langue glissant sur sa peau... Son bassin basculaspontanémentenavant,cherchantunefrictionquilesoulagerait.Savirilitéluifrôlaleventre-maiscen’étaitpasassez.Celégercontactnefitqu’accroîtresonappétit.

—Ilsetrouvequ’ilyaaussiunechosedontjemeursd’envie,poursuivit-elle.

SonsoufflechaudcaressalecoudeSpencer.

Parlescornesdudiable!Pourvuquecelaimpliquedeuxcorpsnusetunmatelas.Était-cetropdemander?Carsitelétaitsondésir,Spencerétaittoutdisposéàsemontrerconciliant.

Commeellehésitait,ilneputs'empêcherdemurmurer:

—Dequoiavez-vousenvie?

—Vousallezvousmoquer.

—Non,jevouslejure.

—Ai-jevotreparole?

—Oui.

Ildutfaireuneffortpournepasbouger.Sonimaginationgrouillaitd'imagesobscènes.Àquel acte charnel songeait-elle pour être aussi intimidée ?Quel qu'il soit, cela s'annonçaitprometteur.Trèsprometteur.

Lentement,Ameliaremontalesmains,jusqu'àlesnouerderrièresanuque.Ellepenchalatêteetsapoitrinemoelleusevints'écrasercontresontorse.Spencerfrémitd'excitation.Sonêtre entier se tint auxaguetsdans l’attentedudélicieuxbaiserquin’allaitpasmanquerdesuivre.

Hélas,ellenel’embrassapas!Elleposasajouesursonépaule,enfouitlevisageaucreuxdesoncou.Puiselleexhalaunprofondsoupiretcessadebouger.

Spencerétaitperplexe.Avait-ellechangéd’avis?

—Vousvoulezmeserrerdansvosbras?souffla-t-elleenfrottantlenezcontresoncou.S’il vous plaît ? Ma maison me manque, je suis éreintée, et j’ai passé une très mauvaisejournée.

L’innocente petite. Quel effroyable obsédé il était ! Amelia ne s’était pas ravisée à ladernière seconde. En réalité, elle n’avait jamais eu d’intentions impures. Elle cherchaitsimplementduréconfort.

—Cen’estpassicompliqué,poursuivit-elle.Ilsuffitdemettrevosbrasautourdemoi.Lesmarisfontcelatoutletemps.

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Commentaurait-ilpuleluirefuser?

Ill'enlaçaetl’attiracontrelui.Elleétaitdouceetchaude,etilcrutqu'elleallaitfondreaucontact de son torse. Ils étaient si proches, à présent, que la cuisse d'Amelia effleurait sonérection.Une sorte de lot de consolation. Elle ne tressaillit ni ne s'écarta. Ils demeurèrentainsiunmoment.Luisurlefauteuil,ellesursesgenoux,etentreeux,uneérectiondesplustenaces.Voilàcequis’appelaitundouxsupplice.Ill'avaitvoulu,ill'avaiteu.

Amesureque les secondes s'égrenaient, il perçut avec acuitédes sensationsnouvelles :sesseinsmoelleux;sescilsquis’agitaientdoucementcontresoncou;sonparfumdivinquimêlaitlalavandeàunetouchedevanille.

Illuicaressaledos,unefois.Elleseblottitdavantagecontrelui,ronronnantpresque.Unetendresseinconnueluigonflalecœur.Encouragé,ilréitérasongeste.Montaetredescendit,sesdoigtsglissantsurchacunedesesvertèbrescommes’ilcomptaitlesperlesd’uncollier.Lacadencelenteetrégulièredesacaresseopéracommeunesortedeberceuse.Leurssoufflessecalèrentsurlemêmerythmeetsemirentàfonctionnerenharmonie.

C’était incroyablement intime. Et plus excitant que tout ce qu’il avait connu jusqu’àprésent.

—Vosparents,murmura-t-elle.S’aimaient-ils?

—Je...jen’ensuispassûr.

Quellequestion!Iln’avaitpasbeaucoupdesouvenirsdesamère,maisilserappelaitqu’àsamort,sonpèreavaitpleuré.Enfait,ilsavaientpleuréensemble.Lejeunegarçonperduetlesoldatendurci.Aprèsquoi, ilsn’enavaientplus jamaisreparlé.Enapprenant ledécèsdesonpèredesannéesplustard,Spencern’avaitpasverséunelarme.L’idéedepleurerluiétaittellementinsupportablequ’ilavaitpréféréexprimersonchagrinavecsespoings.

—Lesmienss’aimaient,souffla-t-elle.J’aitoujoursconsidéréquej’avaiseudelachancedegrandiravecuntelmodèlesouslesyeux.Àprésent,jen'ensuisplusaussicertaine,ajouta-t-elleenfrissonnant.Celanem'apeut-êtrequemieuxpréparéeauxdéceptions.

Il resserra son étreinte. Il sentait fondre en lui les derniers îlots de résistance. Il auraitpréféréqu’on lui arrache le cœurplutôtquede l'avouer,mais en son for intérieur il savaitpourquoiill'avaitemmenéedeforcehorsdelasalledebal.Pourquoiilluiavaitdemandésamain quelques heures à peine après l'avoir rencontrée. Cette femmemanifestait une telleloyauté envers son vaurien de frère qui n'était qu'un parmi cinq autres. Peut-êtreparviendrait-elleàtrouverdanscetteréservededévouementsansbornesuneinfimepartieàluiconsacrer.Ilneleméritaitpas,maisillevoulaitquandmême.

—Amelia,regardez-moi.

Sansdécroiser lesmainsde sanuque, elle leva la tête, et se figea.À croire qu'elle avaitcesséderespirer.

Ill'embrassa.Sanslaprévenir,sansluiendemanderlapermission.Spontanément.Parcequec'étaitplusfortquelui.

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Ses lèvres étaient chaudes et douces. Encadrant son visage de ses mains, il lui inclinadoucement la tête afin d'approfondir leur baiser. Elle se tortilla sur ses genoux,mais il lamaintint,sefitplusavide.Sesdentsheurtèrentlessiennescommeilexploraitsabouchedela langue avec ardeur. Sapristi, il avait beau savoir qu'il allait l'effrayer et la faire fuir, iln'arrivaitplusàs’arrêter.

Ilrefermalamainsursonsein, lepressadurementparcequ’unepartiedeluidésirait lapunir.Quelquechoseen lui se fissurait et sedéplaçait telsdesamasdeneige sedétachantd’unglacier.Despochesvidesseremplissaient;denouveauxgouffresdedésirss’ouvraient.C’étaitdouloureux.Destransformationsavaienteulieudanslesprofondeursoubliéesdesonêtre,etc’était la fautedecette femme.Il luipétrit lapoitrinesansdouceurpourqu’elleaitmalàsontour.Card'unecertainefaçon,elleavaitréussiàs'insinuerenluiavantmêmequ'ilsesoitglisséenelle.

Ellepoussauncrietilretombabrutalementsurterre.Ilsepétrifia,brisaleurbaiser.

—Dixminutes,dit-elle,pantelante.Vousdevezmelaisserpartir.

—Jenepeuxpas.

Sedébattantdanssesbras,elleravalaunsanglot.

—Spencer,jevousenprie.

—Sijevouslâche,merejoindrez-vouscesoir?

—Non.

—Nemeditespasquejevousfaistoujourspeur.

—Plusquejamais.

Ilréprimaungrognementdecontrariété.Bonsang!Neluiavait-ilpasprouvéqu'ilsavaitsetenir?Misàpartlepetitécartquivenaitjusted'avoirlieu?Commentpouvait-elleresterdanssesbrassielleleprenaitpourunmeurtrier?

Jurantdanssabarbe,illaissaretombersesmains.

—Partez.

Fermantlespaupières,ils’efforçademaîtrisersarespiration.Ilagrippalesaccoudoirssiviolemmentquesesarticulationss’engourdirent.

—Partez.NomdeDieu,descendeztoutdesuitedemesgenouxoujenerépondsplusderien!

Elle obéit enhâte.Une fois qu'elle se fut levée, il poussaun soupirde soulagement. Sepenchantenavant,ilenfouitlevisagedanssesmains,lesoufflelaborieux.

—Bonnenuit,Spencer,dit-elled'unevoixcalme.

Ilentendituneportes'ouvrir,maisnelevapaslenez.Lapiècecomportaittroisportes.Ilpréféraitignorerlaquelleelleavaitempruntéedepeurdeseruerdessusdeuxsecondesaprès.

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Quand il eut enfin réussi àdompter sondésir, il releva la tête.Son regard tomba sur latableoùétaientencoreétalées leurs cartes.Lorsqu'il avait sabordéson jeuenécartant l'as,Amelia avait eu de vraies chances de gagner. Or, non seulement elle avaitmal calculé sespoints,mais elle s’étaitmontrée négligente. Sur une impulsion, il attrapa la pile de cartesdontelles’étaitdéfausséeetlaretourna.

Unvaletluifitunclind'œil,accompagnédedeuxrois.

Elle n'était pas stupide au point d'écarter de si bonnes cartes ! Il n'y avait qu'uneexplicationpossible.Ellen'avaitmêmepasessayédegagner.Toutcequ'elleavaitditausujetdu concert, deClaudia, n'était que beau discours... En réalité, tout ce quelle voulait, c'étaitqu'illaserredanssesbras.Et,bienentendu,illuiavaitfaitpeur.

Unnœudseformadanssagorge.Ilétaitàboutdenerfsetsesentaitminable.Maisilétaitcertaind'unechose:laprochainefoisqu'ilprendraitAmeliadanssesbras...

Ilnelalaisseraitpaspartir.

12.

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L’étédesesdouzeans,Ameliacommitl’erreurdehurlerenapercevantuncrapaud,alorsque ses frères se trouvaient à proximité. Ces derniers passèrent naturellement le moissuivantàdissimulerdescrapaudsdanssesaffaires.Danssonarmoire,danssonnécessaireàcouture,danssonpotdechambre,etmêmesoussonoreiller...Lesgrenouillesquienvahirentl'Égypte de Pharaon n’étaient rien en comparaison de toutes les bestioles qu’Amelia dutchasser de sa chambre, cet été-là. Elles lui faisaient horreur, pourtant, elle ne pouvait serésoudre à les jeter par la fenêtre. Elle les recueillait donc dans le creux de samain et lesdéposait dans le jardin au beau milieu de la nuit. C'était dans sa nature. Elle ne pouvaits’empêcherdeprendresoindetouteslescréatures,fussent-ellesinfâmesouindésirables.

Surtoutsiellesl’étaient,àvraidire.

C’était pervers et irrationnel, et probablement le signe qu’elle souffrait de quelqueproblèmemental-maisplusSpencersemontraitinsensible,pluselleéprouvaitdesympathiepour lui.Plus il cherchaità lamettremalà l’aise,pluselle luivoulaitdubien.Etplus il lamaintenait à distance - sur le plan affectif, du moins -, plus elle mourait d’envie de serapprocher.

Le lendemain matin, lorsqu'elle se réveilla seule dans son lit, Amelia dut se rendre àl’évidence:elleavaitrepoussél'instantfatidiquedansl'espoirdeprotégersoncœur.Maisellesavait désormais que c'était peine perdue. Leur étreinte l'avait profondément remuée. Etlorsque Spencer était passé de l'étreinte chaste aux baisers impérieux et aux caressesexpertes, ledésirqu'il avait faitnaître enelle avait gagné sonêtre entier.À lui refuser soncorps,c'étaitsoncœurqu'ellerisquait.

C’étaitdécidé:elleiraitletrouverlejourmême.

Seredressantbrusquement,elles’assitauborddulitetcherchasesmulesàtâtons.

Finies les aspirations romantiques !Et si jamais sa résolution chancelait,quepouvait-illuiarriverdepire,franchement?Ellegâcheraitquelquesmoisàdonnerdel’affectionsansenrecevoirenretour.Inutiledelarmoyer,ceneseraitpaslafindumonde.Unbébénetarderaitpas à remplir ce vide affectif.Et plus tôt elle partagerait la couchedeSpencer, plus tôt cetenfantarriverait.

Elletraversalapièceàpasfeutrés.Maintenantquesadécisionétaitprise,ellenevoulaitpas perdre une minute. Le soir venu, leurs tête-à-tête prenaient un tour trop intime. Enrevanche,danslalumièrevivedumatin,l’acteparaîtraittoutsaufromantique.

Rassemblantsesforces,ellefitcoulisserlepanneaureliantlesdeuxchambres.

Spencern’étaitpaslà.

Enrevanche,elletombanezànezavecdeuxfemmesdechambreoccupéesàfairelelit.Enl’apercevant,lesdomestiquessefigèrent,unoreilleràlamain,etladévisagèrent,bouchebée.

—Bonjour,milady,firent-ellesavecunebrèverévérenceavantdereprendreleuractivité.

Ameliaseredressaets’éclaircitlavoix.

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—Monépoux...

— Iln’estpaslà,milady,fit laplusjeune.M.Fletcheraditqueleducétaitpartiavantl’aubepourréglerdesaffaires.

L’aînéedesdomestiquesfoudroyalajeunefille,quicontinuasursalancée:

—Ilparaîtqueleducnerentreraquetrèstard.

—Jesuisaucourant,mentitAmelia,quinotamentalementdetoucherunmotàMmeBodkinàproposdescomméragesdupersonnel.Jem’apprêtaisàvousdirequemonépouxnesupportepasquesesdrapssoientamidonnés.Ilfaudraveilleràneplusenutiliser.Changezcesdraps.

Surce,ellefitunesortieaussigracieusequepossibleétantdonnélescirconstances.

Ayant porté sa belle robe gris tourterelle la veille au soir, il ne lui restait plus que sestenues fades et élimées. Même sa plus jolie robe - celle en mousseline à rayuresconfectionnée l’année passée - paraissait terne dans le décor de BraxtonHall. Pas du toutdigned’uneduchesse.

Pournerienarranger, lorsqu’ellepénétradans lasalleàmanger,elle tombasurClaudiavêtue d’une robe de mousseline assez similaire, sauf que la sienne s'enorgueillissait devolantsdedentelle.C'étaitvraimentunecharmantejeunefille,àlabeautétrèsprometteuse.Mais elle avait besoin que quelqu'un lui apprenne en douceur comment se comporter, etSpencern’étaitpastaillépourcerôle.

—Bonjour,lasaluaAmeliaavecunsourire.

Elleseservitdesharengsetdesœufsbrouillés,ets'installaàtable.

Claudiafixasonassietted'unairdégoûté.Ameliaétaitàpeineassisequelajeunefilleselevad'unbondetsedirigeaverslaporte.

—Claudia,attendez.

Celle-cis’arrêta,lamainsurl’encadrementdelaporte.

Ameliacarralesépaules.

—Cen'estpeut-êtrepasàmoidevousledire,maisquandvousmangez,quecesoitavecvotrefamilleoudesétrangers,ilesttrèsgrossierdequitterlatablesansvousêtreexcusée.

—Jesuisindisposée,rétorquaClaudiad’untonmorose.Et,eneffet,cen’estpasàvousdemeledire.

Ameliasoupira.Cettefilleétaitunevéritable...adolescentedequinzeans.Etellesemblaitavoirgrandbesoind’affection.

— Vousme semblez aller fort bien. Vous ne voulez pas vous asseoir ? Nous devonsparler.Defemmeàfemme.

Claudialâchal’encadrementetpivotalentement.

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—Àquelpropos?

—Jesaisquevousnem’appréciezpas.

Lajeunefillerougit.

—Je...Ehbien,jenevoispasdutout...

—Vousnem’appréciezpas.Etc’esttoutnaturel.Vousnemeconnaissezpas.Avosyeux,je suis l’intrusequi a envahi votredemeure sansprévenir et pris la placede votredéfuntemère.Placequevoussouhaitiezpeut-êtreoccuperunjour?

—Jenevoispascequevousvoulezdire,répliquaClaudia,lesyeuxrivéssurletapis.

—Jenepeuxpasvousreprocherd’êtreencolère,poursuivitAmeliad’unevoixcalme.Àvotreplace, je ressentirais lamêmechose.Pourêtre franche, jeneme targuepasdevaloirmieuxquevous.Sicelapeutvoussoulager,sachezquemoinonplus,jenevousappréciepasparticulièrement.

Claudialevalesyeux.

—Vousnem’appréciezpas?Quemereprochez-vous?

—Riendutout.Maisvousêtesjeuneetjolie,etlesrayuresvousvontmieuxqu’ellesnem’irontjamais,déclaraAmeliaavecunsourirevaillant.Quandjevousregarde,jemerevoisàquinzeans,lorsquelemondeapparaissaitromantiqueetregorgeantdepossibilités.

—Vousnesavezriendemoi.Neparlezpascommesivousmeconnaissiez.

—Soit.Pourlemoment,jereconnaisquenoussommesàpeineplusquedesétrangères.Avec le temps, j'aimeraisdevenirvotreamie.Mêmesi jesaisquec'estbeaucoupdemanderpour l'instant, étant donné les circonstances. C'est pourquoi je n'ai pas l'intention dem'immiscerdansvotrequotidien.Jevouslaisseraivivrevotrevie.

Elleattrapaleplateaudetartelettesàlaconfitureposésurledressoiretleluitendit.

— Vous ne pouvez toutefois pas continuer à sauter les repas. Vous devez manger,j'insiste.

—Vousinsistezpourquejemange?

La jeune fille lorgna les tartelettes. Au lieu d'en prendre une, ce fut le plateau qu'ellearrachadesmainsd'Amelia.

—D'accord,répondit-elleavantd'enfournerunetartelettedanssabouche.Jevaismanger.

Surcesmots,ellequittalasalleenemportantleplateau.

C'étaitundébut,décidaAmelia.Aumoinsneselais-serait-ellepasmourirdefaim.

Tandis qu'ellemangeait, elle s'interrogea sur l'endroit où Spencer avait pu se rendre. IlavaitpassétantdemoisàLondresqu'ilavaitdûaccumulerunequantitéd'affairespressantesdanssesdifférentsdomaines.Mais,oùqu'il fût,ellesedemandaits'il luienvoulaitpourla

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nuitpassée.Siellel'avaitdéçu.S'ilavaitenvied'elle.

Non. Spencer était un homme occupé. Il était peu vraisemblable qu'il lui accorde unepensée.

Amelia tâcha elle aussi d'occuper son temps. Elle s'entretint avec chaque domestiqueséparémentetsefamiliarisaavecBraxtonHall-dumoinsl'intérieur.

Les jardins devraient attendre. Tandis quelle faisait un tour complet du château avec lagouvernante, elle nota les changements et améliorations à apporter qui lui semblaientindispensables. Malgré quinze années sans femme à sa tête, la demeure était bien tenue,mais le style commençait à s'en ressentir. Elle se contenta de passer en revue les piècescommunes et celles où l'on recevait, de peur d'empiéter sur l'intimité de Spencer et deClaudia.

Cettetâchel'occupatoutelajournée,etunepartiedelasoirée,sibienqu’ellen'eutpasletempsd'organiser ledîner.SpencerétantabsentetClaudiacloîtréedanssachambre,c'étaitunmoindremal.Ellepartageaunrepas froidencompagniedeMmeBodkintandisqu'ellesdiscutaient des travaux nécessaires dans les cuisines. Après quoi, elles commencèrent àinventorierl'argenterie.Latabledelasalleàmangerdisparaissaitsouslescouvertsrutilantslorsqu'ellesentendirentuncavalierapprocheraugalop.Lapenduleindiquaitpresqueminuit.

Inquiète,Ameliaagrippainstinctivementleborddelatable.

—Cedoitêtreleduc,fitlagouvernanteenréprimantunbâillement.

Commelecœurd'Amelias’emballaitdanssapoitrine,elleserenditcomptequ’elleavaitattendusonretourtoutelajournée.Nes’était-ellepasaffairéepouréviterdepenseràlui?Etn’était-ellepasentraind’inventorierl’argenterieaumilieudelanuitdansl’espoirdelevoirapparaître?EtcettepauvreMmeBodkinqu'elleavaitcontrainteàveilleravecelle!

—Vouspouvezprendrecongé,luidit-elle.Noustermineronsdemainmatin.Pourcettenuit,nousnouscontenteronsdeverrouillerlaportedelasalle.Merciinfinimentpourvotreaide.

Ameliasortitdelapièceentoutehâte,lissantsescheveuxetsarobefroissée.Combiendetemps avait-elle avant que Spencer rentre ? Il allait sûrement se contenter de remettre samontureàunvaletd’écurie.Ellegagnalehalletattendit.

Plusieursminutess’écoulèrent.Sepouvait-ilqu’il soitpasséparuneautreporte?Peut-êtrecelledelacuisine...Sansdouteaurait-ilfaimaprèsavoirsillonnélacampagne.

Elleserenditàl’arrièredelamaisonenempruntantunétroitcouloirquireliaitlecorpsde logisà l’ailedeservice.Lepassageétait carrelédemarbreet flanquéde fenêtressibienqu’ilyfaisaittrèsfroidpendantlanuit.Ameliaaccéléralepas.ElleauraitpumonterattendreSpencerdans sesappartements, tout simplement,maisellevoulait le rencontreren terrainneutre.Ellecomptaitsemontreraussicalmeetimpassiblequepossible.

Première étape : effectuer une brève déclaration dénuée d’émotion. « Merci de votrepatience,milord.Jesuismaintenantprêteàconsommernotremariage.»

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Secondeétape:s’allongersurledosetpenseràBriarbank.

Par la fenêtre, l’éclat d’une torche attira son regard. Elle s’immobilisa, s’approcha ducarreau,etmit lesmainsautourdesesyeuxpourpercer l’obscurité.Auboutd’unealléedegravier jalonnée de flambeaux se dressait un bâtiment à la toiture pentue. La lumièreémanant de l’intérieur dessinait une gigantesque porte carrée par laquelle des hommesentraient.Laremiseetlesécuries,devina-t-elle.Spenceryavaitpeut-êtreemmenésonchevallui-même.

Ameliafitquelquespasdecôté.Etdécouvrituneporteàl’extrémitéducouloir.Elleavaitencore son trousseau de clés à la taille. Elle les testa tour à tour, et finit par dénicher labonne.Laportes’ouvritavecungrincement,etellesortitdanslanuit.

Plutôt que de suivre l’allée, elle traversa directement la pelouse. Les écuries l’attiraientcommeunaimant.ElleavaithâtedevoircetendroitauquelSpencerconsacraittantd’effortsetd’attention.C’étaitsansdoutelaplusgrandeécuriequ’elleaitjamaisvue.Etlaplusbelle.

Quelquespalefrenierss'affairaientdevant l’entréeprincipale toutendiscutant.L’évitant,elle se glissa dans l’ombre sur le côté du bâtiment. Une écurie avait toujours plusieursentrées.Elleenrepérabientôtune,àtaillehumaine.Elleenfranchitleseuil,etseretrouvadansunesellerieimpeccablementtenue,quoiqueàpeineéclairée.L’odeurducuirsemêlaitàcelledeschevauxdansl’airoùflottaientdesparticulesdepoussièredefoin.Ameliaenfouitlevisageentresesmainspourétoufferunéternuement.

Dans le silence qui s’ensuivit, elle se figea, s'attendant que quelqu’un l’ait entendue etvienne jeter un œil. Mais personne n’apparut. Elle perçut toutefois une voix qui semblaitdescendredeschevrons-unmurmuretoutproche,pareilàl’écoulementdel’eau.

Elle quitta la sellerie à pas de loup et gagna une large galerie bordée de box de part etd’autre. Un cheval allongé poussa un faible hennissement tandis qu’elle se dirigeait versl’endroit éclairé d’où provenait la voix hypnotique. Parvenue au dernier box, elle s’arrêta,veillantàresterdansl’ombre,ettenditprudemmentlecou.

C’était une zoneplus vaste consacrée aupansage. Spencer se tenait au centre, occupé àbrosserunepoulichecouleurdejais.

Dessellée et débridée, celle-ci était attachée à un anneau par un simple licol. Spencerportaitunechemisedontlecolétaitdéboutonné,desbottesetuneculottedechevalendaim.Les flancs sombresde lapouliche luisaientde transpiration tout comme lesboucles sur lanuque de Spencer. Les coutures intérieures de ses cuisses étaient également trempées desueur.Cettevisionprocurad’étrangesfrissonsàAmelia.

Le soufflede lapoulicheétait audible.Une serviette à lamain,Spencer lui épongeait legarrot et le dos d’un geste circulaire tout en lui parlant. En fredonnant, plus exactement.Ameliacomprenaitàpeinesesparoles,maisellesétaienttendres.Affectueuses.

— Doucement, dit-il en se postant face au cheval pour lui essuyer le chanfrein et lesoreilles.Encoreunpeudepatience,madouce.

Enguisederéponse,lapouliches’ébroua.Spenceréclatad'unrirebonenfant.Aprèsquoi

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il suspendit la serviette à un crochet et se baissa pour inspecter les sabots de la bête sanscesser de fredonner. Il faisait preuve de plus de patience avec ce cheval qu’avec n’importequel être humain, songea Amelia, s'adressant à lui en termes civilisés tandis qu'il luidemandaitdeleverlesabot:«Celui-ci,s'ilteplaît.»Ouencore«Merci,monpetit.»

Soncœurvacilla.Elledécouvraitcesoirune facettedesapersonnalitédontellen'auraitjamais soupçonné l'existence : il était tendre et attentionné. Ayant grandi au milieu degarçons,ellecomprenaitceparadoxechezleshommes,quitrouvaientplusfaciledemontrerleurs sentiments lorsqu'il s'agissait d'animaux. Laurent, par exemple, avait été aussi solidequ’un roc à l’enterrement de leurs parents,mais lorsque son chien s’était éteint à l’âge dequatorzeans,ilavaitpleurécommeunenfant.

Etvoir lapatienceavec laquelleSpencers'occupaitdesabête lorsqu'il secroyaità l'abrides regards confirmacequ'Amelia soupçonnaitdepuis le jourde leurmariage.Cethommen'étaitpasunassassin.

—C'estpresquefini,machère.

Ilbrossalapouliche,ôtalessaletésdesacrinièretoutenluimurmurantdesmotsdoux.Ameliaéprouvaunesensationdésagréable.Depuis ledébut,ellesavaitque leducaccordaitplus d'importance aux chevaux qu'aux êtres humains. Mais cette scène lui apportait unéclairage nouveau. Que cet homme soit capable de tendresse et de sollicitude, c'étaitindéniable.Seulement,ilnepouvaitpas-ounevoulaitpas-qu’elleledécouvre.

Juste ciel ! Les femmes étaient censées s’aigrir lorsque leurmari s'égaraient dans le litd’autres femmes.Mais elle allait passer le restant de ses jours à jalouserdes chevaux ! Legrotesquedelasituationluidonnalachairdepoule.

Il fallait qu'elle parte, et vite. Pas question qu’il la surprenne, car elle devrait nonseulement s'expliquer sur les raisons de sa présence ici, mais aussi sur ses larmes. Elles’éloigna lentementà reculons.Mais ellen’y voyait rien, et ses souliers étaient trempésderosée.Elleglissasurlesol.

Zut,zut,etzut!

Elleserattrapadejustesseàlaported’unbox,etsepétrifia,lecœurbattant,craignantqueSpencern’apparaisseàtoutinstant,cequiachèveraitdel’humilier.

Il n’en fut rien. Pour une fois, la chance lui souriait. Ses acrobaties étaient passéesinaperçues.

DeSpencer,dumoins.Caronnepouvaitendireautantduchevalderrièrelaporte.Amelial’entendits’ébrouer,puisselever.

Affolée,elleclaquadela langueetmurmuradesparolesapaisantes.Peut-êtreaurait-ellesimplementdûprendresesjambesàsoncou,maisl’instinctluisoufflaitdecalmerl’animalplutôtqued’exciterl’ensembledel’écurie.

Dans la pénombre, elle distinguait tout juste le cheval. Il balançait la tête de droite àgauche, les oreilles aplaties, les naseaux dilatés. Son souffle se fit plus bruyant. D’agité,

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l’animal devintmenaçant. Voilà pourquoi elle n’avait jamais appris àmonter. Les chevauxl’effrayaient, leur puissance l’intimidait. En outre, ils ne réagissaient jamais comme elle lesouhaitait.Lapreuve.

—Jet’enprie,lesuppliaAmeliaentresesdents.Tiens-toitranquille.

Bam!

Le cheval flanqua un violent coup de sabot dans la partie inférieure de la porte. Lavibrationserépercutadanslebrasd’Amelia,quilaissaéchapperuncridesurpriseetbonditen arrière. Ce faisant, elle buta contre un obstacle invisible. Elle fit volte-face. Desmainspuissantesl'empoignèrentparlesépaules.D’instinct,ellecommençaàsedébattre,jusqu'àcequ'elleserendecomptequelesmainsenquestionappartenaientàSpencer.

S'ensuivitunevaguedesoulagementquilalaissasansforces.

— Juste ciel ! s'exclama-t-elle en s’efforçant de rassembler suffisamment de couragepourcroiserleregarddesonmari.Jesuisdésolée.

—Encoreheureux.Quediablefaites-vousici?

Derrière elle, le cheval donna un nouveau coup de sabot dans la porte. Elle sursautaviolemment.

Spencerlalâchaenémettantunchapeletdejurons.Aprèsl’avoirrepousséesansdouceur,ils’approchaduboxettenditlamainverslecheval.Cedernierluireniflalesdoigts,puissemitàpiaffer.Sansselaisserdémonter,Spencermurmuraunelitaniedeparolesapaisantes.Finalement, la jument - les termes employés par Spencer ne laissaient aucun doute sur lesexedel’animal-secoualatêteetluiprésentalecôtégauchepourqu’illacaresse.

Pendantcetemps-là,Ameliasetenaitgauchementàl’écart,lesbrascroisés,sedemandantpourquoi elle était surprise que Spencer, confronté à une femme apeurée et à une jumenteffrayée,aitpréférécalmercettedernière.

Setournantverselle,illuidemandad’unevoixfroide,presquedédaigneuse:

—Quivousalaisséeentrer?

—Personne.

—Bonsang,répondez-moi...

Sontonhargneuxfitsursauterlajument.Ilfitunepauseletempsdelacalmer,avantdereprendred’untonplusmodéré,faisantvisiblementuneffortsurlui-même:

—Quelqu’ilsoit,ilvientdeperdresonemploi.

—Puisquejevousdisquepersonnenem'alaisséeentrer!Jesuispasséeparlasellerie.

Lacolèredansleregardqu’ilposaitsurellecomparéeàlatendressequ’ilmanifestaitàlajument...C’étaitplusqu’ellen’enpouvaitsupporter.C’étaitinsultant,etdécourageant.

—Maisenfin,Amelia,àquoidiableavez-vouspensé?

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— Je ne sais pas. Je vous ai entendu arriver à cheval. Je croyais que vous rentreriezdirectement,maisçan’apasété lecas.J’étais lassedevousattendre, lasse toutcourt,et jevoulaisvousparler,alorsj’aipensé...

Elleporta lamainà sabouche commeelle éclatait soudainde rire. S’il savait cequ’elleétaitvenueluidire!

Il se rembrunit et le rired’Amelia redoubla.La situation lui apparaissait toutà coupduplushautcomique.Sajalousieabsurde!Lamaniequ’avaitSpencerdetoujoursdirecequ’ilnefallaitpas!Leursatanémariage!

—Àquoidiable,jepensais?Àvous,espèced’affreux,dit-elleenpouffantderireavantdes’essuyerlesyeuxavecledosdelamain.Toutelajournée,j’aipenséàvous.

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Spencerladévisageait,lesmâchoirescrispées,toutencherchantuneréplique.Lajournéeavaitétélongue,éreintante,etpeufructueuse.S’illuirépondaitqueluiaussi,ilavaitpenséàelle,celanesemblerait-ilpasbanalethypocrite?Celarendrait-ilseulementjusticeàlavérité?Sansdoutepas.Danscecas,commentdisait-onàsafemmequ’ons’étaitdémenécommeunbeaudiable toute la journée pour elle ? Il aurait pu lui dire, supposait-il, qu’à force depenseràelleils’étaitcruvictimed'hallucinationsenlavoyantagrippéeauboxdeJunon.Quelorsqu’il l’avaitsaisieauxépaules,rassurésur le faitqu’ils’agissaitbiend’elle, ilavait failliperdretoutcontrôleaucontactdesoncorps?

Maisiln’eutpasletempsdedireunmotqu’elleavaittournélestalonsets’étaitenfuie.

Demieuxenmieux!

Le temps de s'essuyer les mains et de donner un ordre bref au valet d'écurie posté àl'entrée de l’écurie, il s’élança à sa suite. Elle était à mi-chemin de la maison quand il larattrapa.Latêtebaissée,lesbrascroisés,elletraversaitlapelouseàgrandesenjambées.

— Écoutez-moi, dit-il en adoptant son rythme.Vous êtes libre de visiter les écuries àvotre guise, mais ne venez pas seule en cachette. La jument que vous avez surprise peutdevenir très agressive quand on la provoque. Non seulement elle botte, mais elle mord.Certainsyontdéjàlaissédesdoigts.

— Ah. C’est donc cela la clé pour gagner votre affection ? Peut-être qu’en vousmalmenantjeseraimieuxtraitée.

Ilsemitàrireàsontour.

—N'est-cepasprécisémentcequevousfaitesdepuisledébut?

—Apparemment,laméthoden'apasportésesfruits.

—Quevoulez-vousdire?Jevousaiépousé,non?

Elleralentitpourrepartirdeplusbelle.Puiss’arrêta.

— Certes. Et lorsque vousm’avez demandémamain, vous disiez avoir besoin d’uneduchesseetnonpasd’unepoulinière.Quellesottej’aiétédesupposerqu’uneduchessevalaitplusqu’unejumentdansvotreéchelledesvaleurs.

Ilravalasaréponse;ellen’auraitfaitqu’ajouterdel’huilesurlefeu.

Contrariéeparsonsilence,elleseremitenmarche,ledistançant.Spencercommençaitàtrouverlaconversationfortplaisante.

Elle était jalouse. Or la jalousie était à l'opposé de la peur. Ce qui signifiait qu’elleattendaitplusdeluietnonpasmoins.Elleétaitvenueletrouver.Elleavaitpenséàluitoutelajournée.

— Pouruncouplemariédepuisàpeinequatre jours, fit-il remarqueren larattrapant,nousnousdisputonsbeaucoup,mesemble-t-il.

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—Vousattendezquejevousprésentedesexcuses?

—Non,carcelan'estpaspourmedéplaire.

Et en effet, il aimait le côté donnant-donnant de leur relation, leurs duels verbaux, lesréactionsqu’ellesuscitaitenlui.Elleleforçaitàdialoguercommepeudegensyparvenaient.Etpuis, la façondontses jouessecoloraient,oudontellebombait lapoitrinequandelle ledéfiaitluiplaisaitaussi.

—Mais,àlaréflexion,jepensequenosdisputesnousserventdesubstitut.

—Desubstitut?Etàquoi?

—Àcequel’onnefaitpas.

Ilhaussaunsourciletlaissasonregardcourirsursoncorps.

—Maparole,c'estuneidéefixe!Vousnepensezdoncqu'àmemettredansvotrelit?

—Dernièrement,oui.Plusoumoins.

Elle eut beau le foudroyer du regard, il sentit qu'il avait marqué un point. Il la laissaprendre de l’avance afin de profiter du spectacle de ses hanches qui se balançaientgracieusement tandis qu’elle s’éloignait. Après tout, la journée n’avait peut-être pas été siinfructueusequecela.

Illasuivitjusqu’àl’ailedeservice,oùellesedirigeaversunepetiteporteàl’arrière.Ellechoisituneclédanssontrousseauetl’introduisitdanslaserrure.Commentavait-elleréussiàsefamiliariseraussiviteavecleslieux?SpencervivaitàBraxtonHalldepuisquinzeansetiln’avaitjamaisutilisécetteporte!

—Oùallons-nous?s'enquit-ilcommeilsremontaientuncouloirétroit.

Elleluijetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.

—Danslacuisine,évidemment.

—Évidemment,répéta-t-ilensecouantlatête.

Unefoisdanslacuisine,ellealladroitàunplacarddontellesortitdeuxplatsrecouverts.Elle les posa sur la grande table au milieu de la pièce, puis récupéra une assiette, unefourchetteetuncouteausuruneétagère.

— Vous avez faim?demanda-t-il tandis quelle installait un couvert et remplissait ungrandverredevin.

—Moinon,maisvousoui,apparemment.

Elleretiraprestementlecouvercled’unplatdeviandefroide.Dujambon,durôtidebœuf,descuissesdepoulet,delalangue...

—Pasd’agneau,dit-elle.Etilyadupain.

Ilfixaduregardlanourriturequ’elledisposaitdevantlui.

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—Vousvouliezmedirequelquechose?

—Jevousdemandepardon?fit-elleenrepoussantunemèchedesonfront.

—Dansl’écurie.Vousavezditquevoussouhaitiezmeparler.

—Celapourraattendredemainmatin.Voilàdescornichons.

—Non,répliqua-t-il.Celan’attendrapas.C’étaitassezimportantpourquevousveilliezjusqu’àmonretour,etquevouspartiezàmarechercheenpleinenuit.Dequois’agit-il?

Ignorantsaquestion,elleposabruyammentunpetitpotsurlatable.

—Dubeurre.

—Nomd’unepipe,jemefichedevotrebeurre!

—Trèsbien.

Ellerepritlepot.

—Bonsang,Amelia,qu’ya-t-il?s’exclama-t-ilensepassantlamaindanslescheveux.

—Vousnemangezpas?

—Qu'est-cequecelapeutvousfaire?

—Pourquoinemetraitez-vouspascommevoustraitezvoschevaux?

Interloqué,Spencerladévisageasansrépondre.

L’airunpeuembarrassée,ellecroisalesbrasetregardaleplafond.

— Pourquoi je ne vous traite pas comme... répéta-t-il, les sourcils froncés. Peut-êtreparcequevousn’êtespasuncheval?

— Non,etapparemmentc'estbiendommage.Caràvosyeux, il sembleraitque jesoisunecréaturebieninférieure.Aumoins,leschevauxontdroitàunepromenadedetempsentemps.

Saisissantlepotdebeurre,elleleposadenouveausurlatableetattrapauncouteau.

—Personnenemangedanscettemaison,marmonna-t-elleencommençantàétalerdubeurre sur unmorceaude pain. Je n’ai peut-être pas de talents extraordinaires. Je ne suissansdoutepastrèsgracieusenitrèsbelle.Maiscela,jesaislefaire,déclara-t-elleenpointantlecouteaudanssadirection.Dresserdesmenus,gérerl'intendanced'unedemeure,recevoir.M'occuperdesgens.Etvousmeprivezdelajoiedefairetoutcela.

—Jenevousprivederiendutout.

Justeciel!S’ilyenavaitun,danscemariage,quisouffraitdeprivation,c’étaitluietnonl’inverse.

—Vousm’avezprivéedetout!J’aidûdéménager,loindemafamilleetdemesamis.Ondédaignelesrepasquej’organise,demêmequemesoffresd’amitié.Jenesuispasautoriséeà

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recevoirdesinvités.Etvousnemepermettezmêmepasdeconfectionnerunstupidecoussin!s’écria-t-elleenlaissantsoncouteauretomberbruyammentsurlatable.Qu’est-cequecelapeutbienvousfaire,detoutefaçon?

—Amelia...

—Ilyaautrechose.Leschevauxontdroitàdecharmantsqualificatifs.Alorsquemoi,jesuisjuste«Amelia».

Elleprononçasonnomenimitantsavoixgrave.

Spencertressaillit.Ainsi,ellel'avaitentendulorsqu'ils’occupaitdesoncheval?Combiendetempsétait-ellerestéedansl’ombre?L'idéequ’ellel’aitépiéaccrutsacolère.

—JusteAmelia,répéta-t-il.Trèsbien,jel’avoue,jesuiscoupableducrimemonstrueuxdevousappelerparvotreprénom.

Elleserralesdents.

—Vousvoudriezvraimentquejevousappelle«monpetit»,«machérie»,«madouce»,alorsquejenepeuxpasencorevousappelerofficiellementmafemme?

—Non.Vousavezraison.Iln’yariendepirequededébiterdestermesaffectueuxquandilsnesontpassincères.Oubliez,jevousenprie,mesdoléances,fit-elle,irritée,avantd’avalerunegorgéedevin,puisuneautre.J’enaiassezdemequerelleravecvous.

—Moiaussi.

Ilseleva,contournalatableetsecampadevantelle.Enluiprenantleverredesmains,illui effleura les doigts. Ce simple contact suffit à le galvaniser. Seigneur, elle le rendaitabsolumentfoudedésir.

Sans laquitterdes yeux, il vida le restede vind’une traite.Elle s’humecta les lèvres. Ilreposaleverred’ungestedésinvolte.Latensionentreeuxétaitpresquepalpable.

—Alors?dit-ilsombrement.

Le changement de ton n’échappa pas à Amelia, qui afficha une expression anxieuse.Battantdespaupières,elleregarda frénétiquementautourd’elle,attrapa lepotdebeurreetdéclara:

—Jeferaismieuxderangertoutcela.

Illuisaisitlepoignet.

—Laissez.

Elle réprimaunpetit cri qui ne fit qu’aviver sondésir. Il voulait la faire crier encore etencore.Etgémir,etgeindre,etmurmurersonprénom.

Lesyeuxpleinsd’appréhension,elletentadeselibérer.

—Danscecas,jevaisallermecoucher,fit-elle.

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Enunéclair,ill’avaitsoulevéedanssesbras.

—Passansmoi.

13.

—Vousn’avezpasledroit,protestaAmeliatandisqueSpencergravissaitlesmarches.

Parvenuenhautdel’escalier,ilsedirigeaverssachambre.

— Vous m’avez donné votre parole, reprit-elle, le souffle court. Si vous la rompezmaintenant,jenepourraiplusjamaisvousfaireconfiance.

— Bonsang,Amelia ! gronda-t-il enpoussant laportede sa suited’uncoupd’épaule.Cessezdeprétendrequevousn’enavezpasenvie.Vousêtestellementhumidesousvosjupesquejelesensd’ici.

Seigneur!Siellenes’étaitpasdéjàconsuméededésir,cettedéclarationyauraitsuffi.

—Jeneveuxpasquecelasepassedecettemanière,dit-elled’unevoixmalassurée.

Oui,elleavaiteul’intentiondepartagersonlit,maispasdanslefeudelapassion.

Commeilfranchissaitleseuildesesappartements,elleserecroquevillacontresontorsepour ne pas se cogner la tête contre le chambranle. Sa féminité palpitait frénétiquement,commeenéchoauxbattementsducœurdeSpencer.

Il traversa l’antichambre et le boudoir pour se rendre directement dans la chambre àcoucher.

S’arrêtantnetaupieddulit,illareposasurlesol.

Latêteluitournait;ellevacilla.

—Vous...vousferiezmieuxdepartir,bégaya-t-elle.

Ilpoussaunsoupirexaspéré.

—Amelia,tournez-vous.

Elles'exécuta.Etselereprochaaussitôt.Pourquoiluiobéissait-elleaussiaveuglément?Illuiordonnaitdes'asseoir,elles'asseyait.Illuidisaitdeselever,elleselevait.Illuidemandait

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d'ôtersoncorsage,etelles'endébarrassaitenmoinsdetempsqu'iln'enfautàuncuisinierpourdépeceruneanguille.Unechancequ'ilneluiaitpasencoredemandédes’allongersurlelit,desouleversesjupesetderestertranquille.

—Regardezàdroite.Quedistinguez-vousjusteàcôtédelacheminée?

—Unechaise?risqua-t-elle,perplexe.

—Non,entrelacheminéeetlachaise.

—Oh!

Un petit cadre argenté qu’elle ne se rappelait pas avoir vu était accroché au mur. Elles’emparad’unechandellesursacoiffeuseets’approchadumur.

Juste ciel ! C’était son ouvrage de broderie - la scène bucolique qu’elle avait achevée àl’auberge. Le cadre était assorti aux fils d’argent qu’elle avait tissé dans le ruisseau.L’ensembleétaittoutàfait...charmant.

—Vousl’avezfaitencadrer?murmura-t-ellesansquitterletableaudesyeux.Jecroyaisvousavoirentendudirequevousn’envouliezpassousvotretoit?

— J’ai dit que je ne permettrais pas que vous en fassiez un coussin, rectifia-t-il ens’approchantd’elle,lavoixsoudainplusgrave.

—Vousmel’aviezarrachédesmains!

—Naturellement.Vousmenaciezdeletransformerengalettedechaise.

Ilposalesmainssursesépaules.Leurpressionétaitcommeunreproche.

—Unegalettedechaise,nomd’unepipe!enchaîna-t-il.C’estdel’art.Souscetoit,onnes’assiedpassuruneœuvred’art.Onlasuspendàunmuretonl’admire.

Amelianesavaitquedire.Un«merci»luivintauxlèvres,maiselleignoraits’ilavaiteul’intentiondeluifaireuncompliment.Enfait,sesparoleslabouleversaientétrangement.

Illafitpivoterverslui.

— Vous cherchez toujours à vous définir par rapport aux autres. La sœur de Jack, lamarrainedeClaudia,lamaîtressedecettemaison.Vousmereprochezdenepasvoustraitercomme l’un demes chevaux, autrement dit comme l’un demes biens. De ne pas estimervotre valeur à l’aune des plats que vous élaborez, ou des concerts que vous pourriezorganiser.Depuisquejevousconnais,vousn’avezcessédemetenirtête,demeprovoquer,d’exigermonrespect.PuisnousarrivonsàBraxtonHall,etunefoisici...vousfaitescommesivousvouliezêtreuncoussinetvousm’envoulezparcequejerefusedem’asseoirsurvous.

Elletentadesedégager.

—Vousn’avezpasledroit...

—Aucontraire,j’aitouslesdroits.

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Ilserapprocha,luipritlachandelledesmains,etlaposasurlemanteaudecheminée.

—Jesuisvotreépoux,etentantquetel,jedisposedetoutunéventaildedroitsquej’aichoisidenepasexercer.Pourlemoment.

Ladernièrephraselafitfrissonner.

Illafixad’unregardardent.

—Cesjolisyeuxbleusrecèlentbiendessecrets.Toutefois,entrecesoreillesdélectableset ce cerveau remarquable le lien ne se fait visiblement pas si, lorsque je vous appelle «Amelia»,vouslefaitesprécéderd’un«juste»quin’existepas.Croyez-moi,sij’avaisvouluépousern’importequi,jel’auraisfaitvoilàdesannées.

Sesjambessedérobèrentsouselle.

Lecroire,disait-il?Croirequelleavaitdejolisyeux,desoreillesdélectablesetuncerveauremarquable?Elle?Croirequ’unducricheetséduisantquiavaitévité lemariagependantdesannéesaitpuchangerd’avisenl’espaced’unenuitpourlesbeauxyeuxd’unevieillefilleimpertinenteetdésargentée?

Cesproposfirentvacillertoutessesconvictions- l’imagequ’elleavaitd’elle-même,ainsiquecequ’ellesavaitdeSpencer.

— Quellearrogance ! fit-elle.Etquellehypocrisie.Vousavez le culotdevous tenir là,devantmoi...etdevouslivreràuneanalysedemapersonnalitécommesivouscompreniezlafaçon de fonctionner de mon esprit. Vous, un homme qui prodigue sans compter sonaffectionàseschevaux,maisignorecommentétreindresonépouse?

UnéclairdesurprisetraversaleregarddeSpencer.

—Dequeldroitmejugez-vous?enchaîna-t-elleenabattantlepoingsursontorse.C’estvrai, j’attache de la valeur à la famille, aux amis, et j’aime recevoir. Et alors ? Est-ce uneraisonpourme rabaisser ? Simplementparceque vous êtes vous-même incapablede vouspréoccuperdesautres?D’ailleurs,commentosez-vousmereprocherdechercheràmerendreutile,alorsquec’estvousquim’avez faitveniruniquementpourvousdonnerunhéritier?Vousm’avezépouséepourlemotifleplusterreàterrequisoit.

—Croyez-moi,quandnouspartageronsunlit,ceseratoutsaufterreàterre.Savez-vousoùj’aipassémajournée,Amelia?demanda-t-ilenluiprenantlementon.

Ellesecoualatête,àpeinecarillatenaitd’unemainferme.

—Dansdesmaisonscloses.

—Dansdes...

Savoixmourutsurseslèvres.Dieuduciel!

—Oui.Jemesuislevéàl'aubeetj'aigalopéjusqu'àLondres,épuisanttroischevauxenchemin. Puis j'ai passé l'après-midi à retourner les établissements les plus malfamés deWhitechapelàlarecherchedelaprostituéequiadécouvertlecorpsdeLéo.J'aiparléàtoutes

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sortesdecatins.Desbrunes,desblondes,desgrosses,desminces,deslaides,desjolies...etquelques rares authentiques beautés. En échange d'un shilling, n'importe laquelle d'entreelles se seraitmise à genoux ou aurait retroussé ses jupes pourmon bon plaisir.Mais cen'étaitpasd'ellesdontj'avaisenvie.Toutelajournée,jen'aipenséqu'àvous.

Ilvrillasonregardausien.

— Je pensais à vous sur le chemin du retour. Et au lieu de changer de monture àCambridge, comme j'aurais dû le faire, j'ai poussé ma jument. Alors oui, elle méritaitquelquescaressesetquelquesexcuses.Jen'aijamaismaltraitémesbêtes,maisaujourd'huiils'enest falludepeu.Etsi j'ai faitcela,cen'étaitpasparceque j'avaisenvied'unepartiedejambesenl'airterreàterre,Amelia.Oud'unmorceauderôti froidetd'unetartinebeurrée.Toutcela,jel'aifaitpourmettrelamainsurcefichujeton.Pourvousprouverquejenesuispas un meurtrier. Pour gagner votre confiance et vous convaincre que vous n'avez rien àcraindre.

Laissantéchapperunrireamer,illuilâchalementon.

—Lepire,c'estqu'encemomentmêmevousdevriezêtreeffrayée.Terrifiée.

Ils'avança, laforçantàreculer jusqu'àcequ'elleheurte lemur.Spencer ladéshabilladuregard.

— Vousdevriez tremblercommeune feuille, car je suis fatiguéetcontrarié,etàdeuxdoigtsdevousjetersurlelit,devousarrachervotrerobeetdevousposséder,avecousansvotreconsentement.

—Vousneferiezpascela.

Ilappuyalesmainsdepartetd'autredesonvisage,lapiégeantentresesbras.SachaleuretsonodeurenveloppèrentAmelia.

—Vousavezraison.Lelitestfacultatif.Jevousprendraisicimême.

Sonregardétaitsombre,sauvage,avide,etsi intensequ’elleavait l'impressionqu'ilétaitdéjàenelle.Fini l’hommequi l’avaitembrasséeavecdouceurdans lebureaudeLaurent.Àprésent,ilnecherchaitplusàlaséduire,maisàlaposséder.

Bienquefrissonnantdelatêteauxpieds,elles'efforçadesoutenirsonregard.Lachaleuraccumuléeentreleursdeuxcorpsauraitpufairefondredel'acier.

Finalement, sa patience fut récompensée. Exhalant un soupir, il se détendit. Il étaitvisiblementépuisé,physiquementetmentalement.

—Sapristi,Amelia...

Profitantdel'occasion,elleplongeasoussonbrasetseprécipitaàl’autreboutdelapièce.

Lâchantunjuron,ilselançaàsapoursuite.Aulieudecontournerlelitcommeelle,ilsejeta dessus pour lui barrer la route. Il tomba à genoux, se pencha en avant et tenta del’agripperaupassage.Ilparvintjusteàaccrochersajupequisedéchiraquandellesedégagea.

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Elle se rua vers laportede communication tout en jetantun coupd’œil par-dessus sonépaule.Ilétaitvautrésurlelit,unboutdemousselineàlamain,l’airfurieux.

—Sacrebleu,vousn’avezpasintérêtàvouséchapper!

Ellefitcoulisserlepanneauentoutehâte.Legrincementduboisfutimmédiatementsuiviparceluidumatelas.Spenceravaitbondidu lit.Avecunpetitcrialarmé,ellese faufilaparl’ouvertureetrepoussalepanneau.Spencerglissalamaindanslabrèchejusteavantqu’ilsereferme.Troptard.Leboisluiécrasalesdoigtscontrel’encadrement.

Rugissantdedouleur,ilextirpasamain.Lepanneauachevasacourse,etAmeliarabattitleloquet,sebarricadantdanslachambredeSpencer.

Pantelante,elles'adossaàlaporteetlaissaéchapperunsoupirdesoulagement.

Bang!

Ellesursauta.Ilavaitfrappécontrelaporte.Ilrecommença.

—Ouvrez-moi,ordonna-t-il.

—Non.

—Qu’est-cequim'empêchedefaireletouretd'entrerparl’autreporte?

—Jel'aiferméeàclé,mentit-elleenagitantsontrousseau.

Des jurons luiparvinrent, étoufféspar l'épaispanneaudebois.Puis le fracasd'unobjets'écrasantcontrelemur.

Elle serra les bras autour d'elle pour tenter demaîtriser ses tremblements. Le panneauremuadanssondos,commes'ils'étaitappuyédessus.

Puislesilenceretomba.

Dans la pièce, du moins. Car dans la tête d'Amelia retentissait une symphonie. Lespulsationsdesoncœurluimartelaientlestympans.Unviolonistefantômepinçaitlescordestenduesdesesnerfs,jouantdesmélodiessauvages.Etdanssapoitrine,unchœurentonnaitdeschantsglorieux.

Spencer lavoulait.Désespérément.Elle,Amelia.Pourelle, ils’étaitabaisséàratisser lesquartierslesplusmiteuxdelacapitale.Ilavaitmisendangerl’undesesprécieuxchevaux.

Unbonheurgrisantlasubmergea.Ellevoulaitlesavourerseulequelquesinstantsencoresinon...sinonellerisquaitdetombersiviolemmentamoureusequ’elle...

—Amelia?

Savoixétaittouteproche,etenrouéedefatigue.Elleappuyal’oreillecontrelaporte.

—J'espèrequevousn’étiezpastropattachéeàlabergèreenporcelaine.

Ellesourit.Desexcusestypiquesdupersonnage!

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—Jesuisfourbu,reprit-il.Jevaisallermecoucherdansvotrelit.

Laporteneremuapas.Iln’avaitpasbougé.

Approchant les lèvres de la cloison, Amelia demanda d'une voix si basse qu'il nel'entendraitqu'àconditiond'avoirl'oreillecolléeaupanneau:

—Commentvavotremain?

—Bien,jecrois.

—Jel'examineraidemainmatin.

—Àlaréflexion,elleestpeut-êtrecassée.

Souriant de nouveau, elle se redressa. Le panneau remua légèrement : lui aussi s'étaitredressé.Ellerelevaleloquetetfitcoulisserlaporte.Ill'attendaitdel'autrecôté.

—Faites-moivoir,dit-elleentendantlebras.

Il posa sa main blessée dans la sienne, paume en l'air. Tandis qu'elle l'examinait, elleperçutsonsoufflerauque.Ilavaitlapeausècheetchaude,unpeucalleuseparendroits,maisilpouvaitplierlesdoigts.Elleneremarquanigonflementnisang.

—Toutvabien,conclut-elle.

—Jesais.

Ilsdemeurèrentsilencieux,lesyeuxrivéssursamain,commesielleétaitentraindeluiprédirel’avenir.

—Jenesuispasunassassin,Amelia,reprit-ild’unevoixposée.Certes,jemesuisbattusousvos yeuxet comporté commeunebrutedepuis le soirdenotre rencontre.Mais,Dieum’enesttémoin,jen’avaispaseurecoursàlaviolencedepuisquatorzeans.J’ignorequelsortvousm’avez jeté, mais vousme faites perdre tout contrôle. Vousme faites rire. Vousmerendezbavard.Vosregardsetvosparolesmetroublent.Etjeseraisquasimentprêtàtout,encemomentmême,pourvousposséder.Maisjevousenprie,nemefuyezpascommesij’étaisledernierdesvauriens,etnevousavisezplusdeverrouillervotreporte.Jen'aipastuéLéo,jevouslejure.

Ellelevalatêteetleursregardss'aimantèrent.Enfin,ildévoilaitsonjeu,necherchaitplusà dissimuler sa vulnérabilité. Il avait besoin que quelqu’un lui accorde sa confiance.Commentaurait-ellepulaluirefuser?

—Jesais,Spencer.Jen’aijamaisdoutédevotreinnocence.

Elledéposaunbaiseraucreuxdesapaumeavantdelapressercontresajoue.

Ilpritunelongueinspirationtremblante.

—Danscecas,pourquoi...

—J’avaispeurquevousnemefassiezdumald’uneautremanière.Pourêtrefranche,je

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lecrainstoujours.

Illuicaressalajouedupouce.

—Jamaisjenevousferaidemal.

— Jenepensepasque vouspuissiezme faireune tellepromesse,murmura-t-elle enpressant ses doigts meurtris. Mais de savoir que je peux moi aussi vous blesser rend lasituationunpeupluséquitable.

Ilposalesyeuxsurseslèvres.

—Vousmetorturez,dit-ilsanslamoindretraced’ironie.

D’unpas,ilfranchitlaportepourlaprendredanssesbras.Ilss’effondrèrentensemblesurle litet ils'emparadeses lèvres. Ilexplorasaboucheavecardeur.Ellesecramponnaà lui,s'abandonnantàlapassionsauvagedeleurbaiser.

Relevantlatête,ilplongeasonregarddanslesien.

—Nousallonslefaire.

—Oui,souffla-t-elle.

—Cesoir,pasdecraintes.Demain,pasderegrets.

—Aucun.

Ilseredressaetl'aidaàsereleverafinqu'ilsseretrouventtousdeuxàgenouxaumilieudulit.Aprèss'êtreattaquéàlarangéedeboutonsdanssondos,ilrabattitlehautdesarobe,etellel'aidaenglissantlesbrashorsdesesmanches.Puisilattrapaleslacetsdesoncorset,tiradessusd'ungesteimpatientetlejetadecôtépourrecueilliravidementsapoitrineentresespaumes,àtraversletissudesachemise.

Lesoufflecourt,iladmirasesseins,lessoupesa,lespétritdoucement,faisantsaillirleurspointesquisedressèrentdouloureusement.

Iltirasursonencolure,maisl'échancruren'étaitpassuffisammentlargepourqu'ilpuisseaccéder à sesmamelons. Baissant alors la tête, il en aspira un à travers l'étoffe. Sentir salanguesursonseinétaittellementdélectablequ'elleneputretenirungémissement.

Spontanément,elleattrapalebasdesachemise,latirahorsdesonpantalon,puis,glissantlesmainsdessous,lesfitcourirsursonabdomenmusclé.Illaissaéchapperungrondementdeplaisir.Enhardie,elles'aventuraplusbas,plaçalamainencoupesurlerenflementdesonpantalon.

—Vousallezdevoirmeguider,chuchota-t-elleenpalpantavecdouceurlescontoursdesavirilité.

Ilabandonnasapoitrineletempsd'ôtersaproprechemise.

—Iln'yapasderègles.Sicequejefaisvousprocureduplaisir,ilyadegrandeschancespourquelemêmegestemeplaiseaussi.

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Alors, tandis qu'il déboutonnait son pantalon, elle se pencha vers lui et aspira sonmamelonentreseslèvres.

Iltressaillitsiviolemmentqu'elles'écarta.

—Cen’estpasbon?

—Si,assura-t-ilenglissantlamainsursoncou.C’estmêmetrèsbon.

Ragaillardie,elleréitéral'expérience.Cettefois,ellecommençaparlécherlepetitboutonjusqu'àcequ'ildurcissesoussalangue,puissemitàlemordiller.

—NomdeDieu!siffla-t-il.

Unflotdechaleurenvahitl'entrecuissed’Amelia.Ellenes'étaitjamaissentiesisensuelle,investied'un telpouvoir.Elle avaitpousséunhommeaublasphème, et tenait àprésent lapreuve de son désir au creux de samain. Tout en administrant lemême traitement à sonautremamelon,ellelecaressatimidementdehautenbas.

—Assez,fit-ilenplaquantlamainsurlasienne.

—Vousn'aimezpas?s'inquiéta-t-elleenrelevantlatête.

— Au contraire, rétorqua-t-il en repoussant sa main, le visage crispé. J'attends celadepuis trop longtemps, je ne veux pas prendre le risque de finir avant même d'avoircommencé.Allongez-vous.

Docile, elle se débarrassa de ses pantoufles, et rabattit le couvre-lit avant de s'étendre.L'air concentré, il lui ôta sa robe, ses bas, son jupon et ses dessous, ne lui laissant que sachemise.Letissumoitecollaitàsapoitrinequisesoulevaitfrénétiquement.Assisauborddulit, Spencer sedébarrassade sesbottes. Il se levabrièvement, le tempsde faire glisser sonpantalonetsessous-vêtements.

Nucommeunver,ilsemitàcalifourchonsursescuissessanschercheràdissimulersonsexeérigé.L'espacedequelquessecondes,desvestigesdepudeurlapoussèrentàdétournerlesyeux,puis,cédantàlatentation,ellelecontemplaouvertement.

—Nesoyezpastimide,fit-ild'untonlégèrementamusé.

Ellesentitsesjouess'enflammer.Illuipritlamainetajoutadansunmurmure:

—Touchez-moi.

Illuienroulalesdoigtsautourdesonsexe,etguidadoucementsamaindehautenbasetdebasenhaut.Lapeauàcetendroitétaitaussidoucequ'unpétalede rose,découvrit-elle.Cette douceur, cette vigueur ne tarderait pas à se mouvoir en elle. À cette pensée, sonentrecuissesemitàpalpiterdélicieusement.

Unegouttetranslucideperlaàl'extrémitéengorgée,qu’ellecueillitduboutdel’index.LamaindeSpencersecrispasurlasienne,l'immobilisant.

—Çasuffit.

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Illuiécartalesdoigtsetsepenchapourattraperlaborduredesachemise,qu'ilretroussalentement, dévoilant ses cuisses, son ventre, et le renflement de ses seins. La chemises'amoncela sous ses bras. Devait-elle se redresser pour lui permettre de la lui ôtercomplètement?

Il était apparemment trop impatient pour s'en préoccuper. Sesmains parcoururent soncorpsavecavidité, seins,hanches, cuisses. Il insinua lesdoigts entre ses jambes, écarta lesreplis de son intimité pour l'explorer doucement, le souffle saccadé. De plus en plusembarrassée,elleauraitpréféréqu'il l'embrassetandisqu’il lacaressaitainsi.Maislorsqu’iltrouvalapetitecrêtesensiblesourcedetouslesplaisirs,celan’eutplusaucuneimportance.Commeellecambrait ledos, il sepencha,happa lapointedesonseindanssaboucheet lasuça résolument tout en glissantundoigt en elle. Sesmuscles intimes se contractèrent enréactionàcetteinvasion.

Un lent mouvement de va-et-vient provoqua en elle des sensations d’une voluptéinsoutenable,laconduisantinexorablementversl’orgasme.Elleoscillaitauborddugouffre,maisquelquechoselaretenait,l’empêchaitdes’abandonnercomplètement.

Ildutlesentir,carilmurmura:

—Jeveuxvousvoirjouir.J’enairêvé,savez-vous?Denuitcommedejour.J’aiimaginévotrevisage,votrecorpsenfeu,vosseinsdressés...

Unenouvellevaguedevoluptédéferlaenelle.Ellesecouvritlesyeuxdupoignet.

Il le repoussa de sa main libre tandis que l'autre continuait de la fouaillerimpitoyablement.

— Non, ne vous cachez pas. Je suis égoïste, je veux vous voir. En fait, je devraismepencherentrevoscuissesetvousfaireatteindrelajouissanceavecmalangue.Maisjeneleferaipas,carjeveuxvousvoirjouir.

Quoiqu’elleeûtdumalàsereprésenter lascènequ'il luidécrivait, soncorpsréagitavecenthousiasme,seliquéfiantlittéralementaurythmedesondoigt.

Oh,Seigneur!Elleétaitaubord...aubord...Ellesemitàgémiretàlaisseréchapperdessonsinarticulés...

—Dites-moi,lapressa-t-il.Dites-moicequevousvoulez.

Lesmots,lesphrasesluiéchappaient.

—Doucement...parvint-elleàmurmurer.

Ilrelâchalapressiondesonpouce,secontentantdetitillerlepetitbourgeoncharnu.

—Commecela?

—Oui,souffla-t-elle.

Ellesecabra,puissemorditlalèvretoutenagrippantlesdrapsdetoutessesforces.

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Oui,oui,oui...Oui.

S'abandonnantenfinauplaisir,ellejouitavecunetelleviolencequesonbassinsedécolladulit.Spencerglissaundeuxièmedoigtenelletandisquelesvaguessesuccédaientsansfin.Amelia était encore secouée de spasmes lorsqu'il retira lamain et se positionna entre sescuisses.

— Il fautque je vouspossède,marmonna-t-il en lui écartant les jambes.Maintenant,ajouta-t-ilenplongeantaucœurdesonintimitéencoretoutepalpitante.

Elle laissa échapperun cri étouffé commeunevivedouleur semêlait auplaisir atténuéqu'elleéprouvaitencore.

Iljura,maiscontinuades'enfoncerenelle.

—Jenepeuxpasm'arrêter...C’esttropbon.

Amelia sentit sa chair s'étirer douloureusement. Et lorsqu’elle crut qu’il lui seraitimpossibledel’accepterdavantageenelle,illuiempoignalesfessesàdeuxmainsetorientasonbassindemanièreàplongerencoreplusprofondément.

Quand il futentièrement fichéenelle, ildemeuraquelques instants immobile, levisagepresséaucreuxdesoncou.

—Vousn’imaginezpascequej’aienduréàcausedevous,haleta-t-ilendonnantuncoupdereins.Maissachezquelejeuenvalaitlargementlachandelle.

Ill’embrassa,puiscommençaàalleretvenirenelle.Doucement.Lecorpsd’Amelias’étaitadaptéausien,et il semouvaitaisément.Auboutd’unepoignéede secondes, l’actedevintmoins douloureux, etmême plutôt agréable. Elle se détendit, ouvrit largement les cuissespourleprendreplusprofondémentenelle.Ellesavouralepoidsdesoncorpssurlesien,lafermetédesesépaulesetdesesbras,ladouceurdesondos.Tandisqu’ilaccéléraitlacadence,ellelaissasesmainsglisserjusqu’àsonpostérieurqu’elleempoignasanshésiter.

Ilémitungrognementetellesentitunchangementseproduireenlui.Finieslespetitesmarquesd’attention.Lebesoinphysiquepritledessus.S’agenouillant,illasaisitauxhanchesetlasouleva.Ellevitlestendonsdesoncousaillir.Ils’engouffraenelledeplusenplusvite,avecavidité,àlarecherchedesonpropreplaisir.

Àprésent,ellecomprenaitpourquoi ilavait insistépour lavoir jouir.Mêmes'ilavait lesyeuxfermés,sonexpression luidisaitsans lamoindreambiguïtéqu'encet instant, ilauraitpréférémourirplutôtquedeseretirer.Sesentiràcepointdésirée,plusindispensableencorequel'airqu'ilrespiraitfutpourAmelialemomentleplusextraordinairedecetteunion.

Il poussa soudain un cri rauque, entre grondement et gémissement, puis s’effondra surelle,tremblantdelatêteauxpieds.Avectendresse,ellel'enveloppadesesbras,repoussaunemèchehumidedesonfront.Latêtereposantsursapoitrine,ilmurmurasonprénomdansunsoupir.

Elle avait peut-être parlé un peu vite. Et si c’était maintenant l'instant le plusextraordinaire de l’acte ? Cette fusion, ce sentiment d’être aussi proches que deux êtres

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pourrontjamaisl’être?

Troprapidementàsongoût,ilseretira.

—Vousaveztrèsmal?s’inquiéta-t-il.

—C’estsupportable.

— Tant mieux, fit-il en roulant sur le dos. Je ne me suis pas comporté exactementcommeungentleman.

—J’airemarqué,fit-elleenrabattantsachemise.C’estsansimportance

Il l’attira contre lui. Elle posa la tête sur son torse, et écouta, fascinée, les battementssourdsdesoncœur.

—Avecletemps,ceserameilleur,vousverrez,marmonna-t-ild’unevoixensommeillée.Çan’estdouloureuxquelapremièrefois.

Lebrasautourd’elleserelâchaetilsombradanslesommeil.

Elle frissonnamalgré lachaleurqu’ildégageait.Serendait-ilcomptedecequ’ellevenaitde lui abandonner ? Non seulement son corps, mais sa confiance, et son avenir. Elle netarderaitpasàtomberamoureusedelui,sicen’étaitdéjàfait.Àpartirdemaintenant,ilavaitlepouvoirde larendre infinimentheureuse,commeceluide l’anéantir totalement.Cesoir,certes,illuiavaitdévoiléunefacettevulnérableetsensibledesonêtre,maisilétaitrongéparledésiretlafrustration.Commentsecomporterait-ildemain?Elleespéraitdetoutesonâmequesondésirsurvivraitàsonassouvissement.

14.

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Amelia se réveilla avec les premiers rayons du soleil. Elle avait terriblement envie... detrouverlepotdechambre.

Unefoisleproblèmerésolu,ellesedirigeaverslatabledetoiletteàpasfeutrés,selavalevisage, se rinça la bouche et se coiffa. Savoir Spencer allongé dans le lit juste à côtél’émoustilla.Mêmes'ilétaitendormi.Toutensebrossant,elleimaginaqu'ils'étaitréveilléetla contemplait, et que la vue de sa poitrine se balançant librement sous sa chemiseprovoquaitenluiunedélectableérection.

Aprèsavoirachevésatoilette,ellerisquaunregardducôtédulit.Àcetinstant,ilroulasurledos,etelleputconstaterquecequ’elles'étaitamuséeàimaginers'étaitenpartieréalisé.Sousledrapquiluicouvraitleventre,sonsexeétaitdressécommeunmât.Cettevisionluirappelaaussitôtlesscènesdepassiondelanuit,etuneondedechaleursedéployaenelle.

Maisellenevoulaitpasleréveiller.Pasencore.Pasalorsqu’elleavaitl’occasiond’explorersesappartements.

Ce qu’elle fit. Oh, elle ne fouina pas ! Ç’aurait été trop avilissant pour eux deux. Ellen’ouvrit pas un seul tiroir ni une seule armoire. En revanche, rien de ce qui s’offrait auxregardsneluiéchappa.

En examinant les tableaux accrochés aumur, elle comprit pourquoi il avait apprécié sabroderie. Il avait un penchant pour les paysages, en particulier les scènes sauvages etaccidentées.

A côté de la chambre se trouvait un petit cabinet de travail doté d'un bureau qu'iln'utilisaitvisiblementjamais.Ildevaitluipréférerlabibliothèque.Ilsemblaittoutefoisqu'uncoindelapiècesoitinterditauxdomestiques.Là,àcôtéd'unconfortablefauteuilplacéprèsdelacheminéesetrouvaitunguéridoncouvertdejournauxsportifs,deregistres,decartesetdelivres.

Justeciel,cethommepossédaitunequantitéincroyabledelivres!

Chacunedes sixpiècesconstituant sesappartements recelaitdesouvrages.Ycompris ledressing, oùdes étagères encastrées, vraisemblablementprévuespour ranger les chapeaux,avaientétéconvertiesenbibliothèque.Pourautantquellepuisseen juger, les livresétaientdisposésaupetitbonheurlachance.

Sicertainstitres luiétaientfamiliers, laplupart luiétaient inconnus.Néanmoins,ellesesentaitdanssonélément.Elleneseseraitjamaisdécritecommeuneéruditeouunbas-bleu;justeunegrandelectrice.Uneamoureusedeslivres.Et,visiblement,Spencerpartageaitsonpenchant. Elle trouva de la fiction, de la philosophie, des ouvrages d'agriculture, un traitéscientifiqueégarélà,etdelapoésie.Lesplisetlescraqueluresaudosdeslivresindiquaientqu'ilavaitlulamajoritéd'entreeux,etlagrandevariétédedisciplineslaissaitsupposerqueleurpropriétairepossédaitunespritouvertetcurieux.

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Elle regagna la chambre sur la pointe des pieds et se percha au bord du lit en prenantgardedenepasréveillerSpencer.

La pâle lumière du petit matin lui était favorable. Il était certes beau en toutescirconstances,maisl'aubeilluminaitsestraitsendouceursansjeterd'ombressévèressursesyeuxetsespommettessaillantes. Ilparaissaitsi jeune.Sidésirable.Commentavait-ellepucroirequ’untête-à-têtesembleraitmoinsintimeàlalumièredujour?

Leregardd’Ameliaquittasonvisage,s'attardasursonbrasquireposaitentraversdesonventre,bicepssaillant,musclessinueuxdel'avant-bras.Avecunedouceurinfinie,ellesuivitde l’index le chemin d'une veine proéminente sur son poignet. Il remua,marmonnant desparolesincompréhensibles,puisredevintimmobile.

Ils’enétaitfalludepeu,pourtant,elleneputs’empêcherdejouerencoreaveclefeu.Soncorps était si fascinant, si viril. Redoublant d’audace, elle dessina du bout du doigt lescontoursdesonsexeàtraverslesdraps.

—Que...

Samains’abattitsursonpoignet.Ilseredressad’unbondetlaplaquasurlematelas.Illadévisageaencillant,àlafoisperplexeetinquiet.

—C’estmoi,dit-elle,haletante,secouéeparlabrutalitédesachute.Amelia.

«Pourvuqu’ilveuilleencoredemoi»,implora-t-elleensilence.

—Amelia.

Sonexpressions'adoucit.

Ilmurmurasonprénomavecunrespectmêlédedésir,etellesedemandapourquoielleavaitvouluqu'ill'appelleautrement.Aucuntermeaffectueuxn'auraitpuêtreprononcéavecdavantagedetendresse.

Ils se dévisagèrent quelques instants, le souffle court. Sous sa chemise, ses seinsdurcirent, et un frisson de plaisir anticipé la parcourut. Lui lâchant le poignet, Spencer sehissa sur elle, et lui écarta les jambesdu genou. Il prit son visage entre sesmains tout enpressantsonbassincontre lesien.Alorsmêmequ’unedéchargedeplaisir la traversait,elletressaillit.

—Bonsang,marmonna-t-ilenseretirant.Vousavezmal.C’esttroptôt.

Elle était en train de se demander comment le persuader du contraire lorsqu'ungrondementsourdattirasonattention.Ellecruttoutd'abordqu'ils’agissaitdesonestomacoudusien,quicriaitfamine.Maislesons’amplifia,etilfutbientôtévidentqu'ilprovenaitdel'extérieur.

— Unvéhiculedans l’allée, expliqua-t-il en remarquant sonairdistrait.Probablementunecommandequej'attendais.

—Enrapportavecdeschevaux,jesuppose?

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Enguisederéponse,illuitiragentimentl'oreilleetseredressaenpositionassise.

— Vousdevezvraimentdescendre?risqua-t-elleenglissant l'index le longdesondosnu.

—Non,pasvraiment.Maisilmesemblequeceseraitplussage.

Sans lui laisser le tempsdeprotester, il se leva, traversa la chambre etdisparutdans lapiècecontiguë.Elleendemeurasansvoix.

—Amelia?appela-t-il.

—Oui?

—Sortez.Regagnezvotrechambreetfermezlaporte.

Confuse,elles'assitdanslelit.

Spencers’encadrabrièvementsurleseuil.

—Sortez,oujerisquedevoussauterdessus.Or,jepréféreraisquenousaccomplissionsl’acteavecunpeuplusdedélicatesselaprochainefois.

Il disparut denouveau, la laissant le sourire sur les lèvres. L’idée qu’il lui saute dessusn’étaitpaspourluidéplaire,maiss’illuipromettaitdeladélicatesse,ellepourraitselaisserconvaincredeprendreunlongbainchaud.

Ellese leva,s’approchaduseuilde lapièceoùilsetrouvait.Appuyant l’épaulecontre lechambranlesanspourautantrisquerunregardàl’intérieur,elleluiglissaaveccoquetterie:

—Jem’eniraiàunecondition.

— Ahoui,etlaquelle?répliqua-t-ild’unevoixétoufféesemblantindiquerqu’ilenfilaitunechemise.

—Jevoudraisapprendreàmonter.

Ilyeutunlongsilence.Àvraidire,elleétaitaussisurprisequeluidesarequête.Ellequidétestait les chevaux.Qui les craignait,pour être exact.Mais elle voulait le comprendre, etpourcela,ellen’avaitd’autrechoixqued’apprendreàcomprendreleschevauxégalement.

Soudain,latêteetlesépaulesdeSpencerapparurent.Ilavaiteneffetrevêtuunechemisepropre,mais il avait les cheveuxplusenbatailleque jamais, et elle sentait encore sur lui...leurodeur. Ilétaitassezprochepourqu’elle l’embrasse,maiselle se retint.Sonexpressionétaitpartropamusante.

— Ai-je bien entendu ? Vous voudriez apprendre àmonter ? reprit-il en arquant unsourcil.

Ilparcourutsoncorpsd’unlentregard,etAmeliarougitenserendantcomptedecequesaformulationavaitd’ambigu.

—Àcheval!précisa-t-elle,alorsmêmequesesseinspointaientsoussachemise.

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Ilagrippalechambranleavecunetelleforcequesesphalangesblanchirent.

—Femme,voschancesquejevousprenneavecdélicatessediminuentàchaqueseconde.Sortez.Maintenant.

Elle s’enallaavec le sourire.Et en sedéhanchantparcequ’elle savaitqu’il la suivaitduregard.

Une fois dans ses appartements, elle sonna sa femmede chambre et ordonnaqu’on luiprépare un bain. Puis elle se laissa choir sur son lit, l’esprit en ébullition, le corps vibrantd’énergie.

Lorsque la porte se rouvrit unedemi-heureplus tard, elle s'attendait qu’on lui annonceque son bain était prêt. Au lieu de quoi, un convoi de domestiques, les bras chargés depaquetsetdeboîtesàchapeaux,pénétradanslapièce.

—Qu’est-cequec’estquetoutcela?

—Votrenouvellegarde-robe,milady,réponditsafemmedechambre.ToutjustearrivéedeLondres.

Lafameusecommande,devina-t-elle.

En examinant les paquets, Amelia reconnut le ruban d’emballage. Ils provenaient de lacouturièrelondoniennequiavaitconçusarobedemariée.Spenceravaitdûcommanderunegarde-robeentière.Etàenjugerparlamontagnedepaquets,ildevaityavoiraumoinsunedouzaine de robes. Si celles-ci étaient aussi jolies que l’exquise robe tourterelle de sonmariage,elleseraitlafemmelamieuxhabilléeduCambridgeshire.

Latêteluitournaquandelledéfit lepremierruban.Elleallaitouvrirchaquepaquetl’unaprèsl’autre,etelleavaitl’intentiondeprendresontemps.Elleavaitdevantellel’équivalentd’uneviedecadeauxd’anniversaire.

Unefemmedechambrel’interrompitpourluitendreunpetitpapierplié.

Amelial’ouvritetlutcequisuit:

Parmicespaquetssetrouveunetenuedéquitation.

Retrouvez-moiauxécuriesà10heures.

S.

Amelia fixa la note un longmoment, demême qu'elle avait fixé le registre de paroisseaprèsl'échangedesserments.L'écrituredesonmaril'intriguait.Quoiqueparfaitementlisible,elleétaittrèsdifférentedecellequelesprécepteursenseignentauxenfantsdebonnefamille.Chaquecoupdeplumerévélaitunebonnedosed'assurance.

Une lettre raturée retint sonattention.Un« s», apparemment.Etquoiqu'il existâtune

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quantité incalculabledemotsetexpressionscommençantpar la lettre«s»,Amelianeputs'empêcherd'imaginerl'impensable.

Spenceravaitfailliécrire«s'ilvousplaît».

—Oh,elleestprête,milord!Unpeuagitée,certes,maisc’estencoreunepouliche.

La jumentpoussa soudainunhennissement et fit un écart.Le valetd'écurie la corrigead'unmottoutentirantsurlalonge.

—C'estunenerveuse,ajouta-t-il.

Spencer secoua la tête. Ses propres bêtes étaient parfaitement dressées, aussi celal'agaçait-illorsqu’onenvoyaitdeschevauxquinel’étaientpasdanssonharas.S'ilexistaitunanimalnaturellementenclinàplaire,c’étaitlecheval.Qu’unpropriétaireéchoueàobtenirlaconfianceetlacoopérationdesabêteluisemblaitaussiincompréhensibleques’iln’arrivaitpasàlanourrirouàladésaltérer.

Ilcaressalegarrotdelapoulichetoutenmurmurant:

—Vousl'avezmiseenprésencedel'allumeur?

—Oui,réponditlevalet.Elleétaitplutôtréceptive,maiselles'estcabréequandilavoululacouvrir.Ilfaudral’entraver,autrementellebottera.

Spencerhochalatête.Certainsétalonsdits«allumeurs»servaientàvérifiersilajumentétait en chaleur et disposée à l’accouplement demanière à ne pas fatiguer inutilement unétalon-donneur de grande valeur. L’allumeur la poursuivait dans le paddock, comme levoulaitleritueldelaparadenuptiale,puischevauchaitlajumentpourtestersaréceptivité-lesdresseurs intervenaientalorspour l'écarteravant l’accouplementproprementdit.C'étaitcourantdanslesharas,aussiSpencern'avait-iljamaisprisletempsd'yréfléchir.Toutefois,cematin,ilétaitd'humeurméditative.

D'une part, il se demandait si cette pratique n'était pas néfaste à la santé physique oumentaledesesétalons.Ilsesentaitlui-mêmebeaucoupmieuxdepuisqu'ilnejouaitpluslerôle d'allumeur. D'autre part, les reproches d’Amelia étaient fondés. Il accordait plusd’importanceauconfortdesespoulinièresqu’àceluidesapropreépouse.Enrepensantàlabrutalité avec laquelle il l'avait prise, la nuit passée, alors qu'il s'agissait de leurs premiersébats,iléprouvaunpincementdeculpabilité.

Commelevaletrentraitlajumentdanssonbox,Spencers'appuyacontrelemur,etfeignitd'ôterlapailledesesbottesenlestapanttouràtourcontrecedernier.Pournepasavoirl'aird'attendre.Unducn'avaitpasàsubircela.C'étaitluiquifaisaitpatientersonentourage.

—Spencer?

Sabotteretombalourdementsurlesol.Illevalesyeux.Dansl'encadrementdelagrandeportesetenaitAmelia.Dumoinsuneversionnouvelleetlumineusedesonépouse.

—Vous...

Ilravalasoncompliment,serappelantàtempsqu'iln'étaitpaslegenred'hommeàsortir

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des « Dieu, vous êtes ravissante » au beau milieu d'une écurie. Ou ailleurs, du reste. Ils'éclaircitlavoix.

—Vousêtesvenue.

— Vous avez l'air surpris, s'étonna-t-elle. Merci, ajouta-t-elle en désignant sa tenued'équitation,unsouriretimideauxlèvres.

Spencer chassa ses remerciements d'un geste. En réalité, c'est lui qui aurait dû laremercier.Lajupedeveloursbleunuittombaitsuperbement.Quantàlavesteconfectionnéedansuntissuchamarré,ellecaptaitsibienlalumièrequ'Ameliairradiaitlittéralement,telunsaphirsertidesbouclesd'ordesachevelure,et...

Bonsang!Qu'est-cequiluiprenait?

Etplusillafixaitsansmotdire,pluslesourired'Amelias'élargissait.

—Jesuisprêtepourmapremièreleçon,déclara-t-elle.

Elles’avançaversluietils'aperçutdesaméprise.Cen'étaitpastantl'habitquilarendaitséduisantequesamanièredeleporteroùlaconfianceenelleledisputaitàlasensualité.

Ilseraclalagorge.

—Nousn’allonspasprécipiterleschoses.Jen’aipasl’intentiondevousmettreenselledèsaujourd'hui,pasaprès...

Nouveauraclementdegorge.Levisageluibrûlait.Sapristi!Sepouvait-ilqu'ilrougisse?

—Vouspensezquec'estunemauvaiseidée?demanda-t-elle,subitementembarrassée.Ilvaudraitpeut-êtremieuxattendreunpeu.

—Non,aucontraire.Touteladydevraitsavoircommentsecomporteravecuncheval.Neserait-cequepourdesquestionsdesécurité.

Enoutre,ilétaitcontentdepasserdutempsensacompagnieendehorsdelachambre.Enluifaisantdécouvrircetaspectdesavie,peut-êtrecomprendrait-ellecequeceharassignifiaitàsesyeux,maisaussiqu'iln'étaitpastoutàsesyeux.Bienquelajalousiedontelleavaitfaitmontrelanuitpasséel'aitflatté,iln’avaitnulleenvied’endurersarancœurjusqu’àlafindesesjours.

Elleexaminaleplafondvoûté.

—Cetendroitesttoutàfaitdifférentàlalumièredujour.Vousmefaitesvisiter?

—Volontiers.

Il lui offrit le bras et elle l’accepta. Tandis qu’ils parcouraient les écuries et sesdépendances,Spencer lui raconta l’histoiredubâtiment - érigépar songrand-père, agrandiparsononcle,puisparlui-etluidécrivitlesactivitésduharas.Quoiquerares,sesquestionscommesesremarquesreflétaientunintérêtsincèredoubléd’unevéritablecuriosité.

Lorsqu’elle demanda à voir les poulains, il accepta volontiers. Et songea qu’il aurait dû

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commencer par là tandis qu’elle s’extasiait devant les petites créatures aux jambes frêles...Quand elle s'accroupit pour caresser une pouliche blanche à travers la clôture, Spencerenvisageadesefaireescorterparlabêtedansl'enceintedeBraxtonHallafinquesafemmeluiréservetoujoursunaccueilchaleureux.

—Quelâgea-t-elle?s’enquitAmeliacommelapoulichefilaitàl’autreboutdupaddock.

—Elleaurabientôttroismois.Etellesedonnedéjàenspectacle.

— Elle estmagnifique.Puis-je l’avoir ?dit-elle en se tournant vers lui, le sourire auxlèvres.Pourmesleçonsd’équitation.

—Pasquestion.

Elleparutcontrariée.

— À douzemois, elle vaudra desmilliers de guinées. En outre, il faudra attendre unmomentavantdelaselleretceseratoutdemêmeunemonturetroprisquéepourvous.Elleest issued’un lignagedechevauxdecourseélevéspour foncer.LedernierpoulaindecetteascendancearemportéNewmarket.Non,cequ’ilvousfaut,c’estunhongred’âgemûr.

—Vousenavezunquiestjoli,aumoins?

Ils’esclaffa.

—Faitesvotrechoixetjedemanderaiauvaletd’écuriedeluitresserdesrubansdanslacrinière.

—Desmilliersdeguinées,dit-elle,songeuse.Pouruneseulepouliche.Diantre,ceharasdoitrapporterunevéritablefortunechaqueannée.

—Nousnesommespasàplaindre.Pourvousdonnerunexemple,celafaitsixansquejen’aipasdemandédeloyeràmesfermiers.

Spencer ne put masquer sa fierté. À l’époque, son oncle n’était pas d’accord pourdévelopperleharas,ettransformerdebonnesterresagricoles,quirapportaientdesloyers,enpâturages.Spencerétait convaincuque leharas seraitplusque rentable, et ilne s’étaitpastrompé.

— Je faiségalement travaillerbeaucoupd'habitantsde larégion,etplusieurs fermierstirentlatotalitédeleursrevenusdel’avoineetdufoinqu'ilsnousfournissent.Maisriendetout cela ne serait rentable si nous n'élevions pas les meilleurs chevaux de coursed'Angleterre. Bien qu'ils ne l'admettent pas ouvertement aux réunions du Jockey Club, lesfanatiquesdecoursehippiqueseserventtouschezmoi.

—Maisvousn'êtespasmembreduJockeyClub?Vousnefaitespascourirvoschevaux?

—Non.

—Pourquoi?Vousêtesàdeuxpasdel'hippodromedeNewmarket.

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Ilhaussalesépaules.

—Celanem'ajamaistenté.Jen'aimepasassisterauxcourses.

Commeelleouvraitlabouchepourlequestionner,ilajouta:

—Jenefaispascelapourlagloire.

—Etpaspourl'argentnonplus,jesuppose.Alorspourquoi?

—Parcequejesuisdoué.Etquej'aimecela.

Ilsobservèrentlespoulainsquelquesinstants,etiléprouvaunindéniablebien-être.D'unecertainemanière,ilavaitsentiqu'ellecomprendraitsapassion.Laprofondesatisfactionquel'onressentàaccomplirquelquechoseavectalent,sanschercherlareconnaissancepublique.Il comprit soudainpourquoi elle tenait tant àdresser lesmenus, à recevoir, à s’occuperdesonentourage.Elleétaitnaturellementdouéepourcela,etentiraitunevéritablejoie.

— EtOsiris ? fit-elle.Vous seriezprêtà toutpour l’acquérir.J’imaginequec’estpourgarantir la supériorité de vos élevages. S'il est trop disponible, votre haras ne sera plusexceptionneletlescommandesrisquentdedécliner.

Elle avait l’esprit vif. Elle avait compris les principes de base du commerce équind’instinct. Spencer achetait fréquemment d’anciens chevaux de course qu’il n’avait pasl’intention d’utiliser pour la reproduction uniquement pour empêcher leur descendance defaireconcurrenceàsespropreschevaux.Illeurassuraituneretraitepaisible,sibienquelesdeuxpartisytrouvaientleurcompte.

—Eneffet,admit-il.Limiterlareproductiond’Osirisseral’undesbénéfices.

—Maiscen’estpaspourcetteraisonquevouslevoulez.Cebénéficenejustifiepasdedépenserdesdizainesdemilliersdelivres.

Il se rendit compte que la conversation avait pris un tour trop personnel, et qu’ellerisquaitdeseheurteràdevieuxsecrets.Ilseraidit.

—Quelrapportavecvosleçonsd’équitation?

—Aucun.Maisjenesuispasvraimentlàpourleschevaux,Spencer.Jeveuxapprendreàvousconnaître.Àvouscomprendre.

Elleposalamainprèsdelasiennesurlabarrière.Sonauriculairefrôlaitàpeinelesien.Mais le léger contact commença à faire fondre son armure. Et sa conscience acheva de lefaire.

Longtemps avant la mort de son oncle, il s’était promis d’assumer son titre et lesresponsabilités qui allaient avec,mais selon ses propres règles. Peu lui importait l’opiniondesgens.Jamaisilnesejustifieraitauprèsdequiquecesoit.Maisàprésentqu’Ameliaavaitremplisapartducontratenacceptantdeluioffrirnonseulementsoncorps,maissaloyautéetsaconfiance,ilauraittrouvéinjustederefusercequ’elleluidemandait.

—Trèsbien,dit-il.Jevaisvousrépondre,maisàl’intérieur.

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Ils regagnèrent la grange et remontèrent la galerie. Lorsqu’ils approchèrent du box deJunon,illasentitsecrisper.

—Jeregrettedem'êtreénervé,hiersoir,reprit-ilens'arrêtantàquelquesmètresdubox.Maisj’aieupeurpourvotresécurité.Jevousl'aidit,Junonmordetbotte.Ellen'aimepaslesnouveaux visages.En fait, elle n’aimepas grandmonde, ajouta-t-il en soupirant.C’est unefichuebourrique!

—Danscecas,pourquoilagarder?

—Parcequepersonned’autren’envoudrait.C’estletoutpremierchevalquej’aiachetédanscepays.Monpèrem’alaisséunpetithéritage.Àmamajorité,j’airassemblémesfonds,jeme suis rendu à une vente aux enchères et je suis rentré chezmoi avec cette créature.J’étaisjeuneetstupide.Aulieudeprendreencomptelecaractèredelabête,jenemesuisfiéqu’à son pedigree. Elle avait quatre ans, elle était issue de nobles lignées et elle avaitremporté quelques courses. Je croyais avoir fait une affaire.Ceque j’ignorais, c’est quedefougueuseellepouvaitdevenirdangereuseenfonctionducavalierqui lamontait,etqu’elleavaitpasséunanenpensionàlacampagne,entrelesmainsd’unpalefrenierincompétentquil’avaitenferméedansunboxhumide,s’occupaitàpeined’elleetlarudoyait.

Ils'interrompitletempsdeprendreunelongueinspiration.Encoremaintenant,lacolères'emparaitdeluilorsqu'ilévoquaitcettepériode.

— Lorsque je l'ai achetée, reprit-il, elle n'avait plus aucune confiance en l'homme.Personnenepouvaitlaseller.Personnenepouvaits’approcherd’ellesansrisquerd’ylaisserun doigt. Il était évident qu’il serait impossible de l’accoupler.Mon oncle voulait l’abattre,maisjem’ysuisopposé.

—Vraiment?fitAmelia.

—Oh,c’estungestemoinsnoblequ’iln’yparaît!C’estparfiertéquej’airefusé.Jenevoulaisniperdremoninvestissementniadmettremonéchec.

Ils’approchaduboxpourprésentersamainàJunon.Elle luirenifla lesdoigtsavecunetendresserudeavantdetournerlatête.Elleaimaitqu’onlagrattesousl'oreillegauche,aussiaccéda-t-ilàsarequête.

— J'en ai assumé l'entière responsabilité et je l'ai envoyée au pré pendant toute uneannée. Je n'ai pas tenté de la dresser, je ne lui ai rien demandé. Je l'ai nourrie et panséeautant qu'elleme le permettait. Etmême après être parvenu à gagner sa confiance, ilm'afalluunanavantderéussiràlamonter.Peuàpeu,jel'aihabituéeaulicol,àlabride,etenfinàlaselle.Étrangement,c'estlàquesoncaractères'estadouci.Àcroirequ'ellenedemandaitquecela:porteruncavalieretgaloperàtraverschamps.Aussi,plusjelamontais,plussonhumeurs’améliorait.Àtelpointquec'estdevenuunrituel.Ellepermetauxpalefreniersdelanourriretdelanettoyer,maisàcejour,jesuisleseulàpouvoirlamonter.

Il regarda Amelia, qui le gratifia d’un petit sourire désarmant. Il s’aperçut qu’il avaitbeaucoupparlé,contrairementàsonhabitude,tandisqu'ellel'écoutaitpatiemment.

— Elle se fait vieille. Trop vieille pour qu'on la monte. Surtout un homme de ma

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corpulence. J'ai toujours été un peu lourd pour son gabarit. Mais dès que je diminue lafréquencedenospromenades,elleredevient irascible,refusedemanger, flanquedescoupsdesabotsdanslesparoisdesonbox.Celam’ennuiedecontinueràlamonter,maisjecrainsdavantagelesconséquencessij’arrêtaiscomplètement.

Ilfrottavivementl’encoluredelajument,puisreculaetcroisalesbras.

—C’estlàqu’intervientOsiris.

—Osiris?répétaAmelia,déconcertée.

—C’estcompliqué.

Denouveau,elleattenditensilence,patiemment.

Unefoislancé,ilserenditcomptequecen’étaitpassidifficile.

—J'aifouillédanslepassédeJunondansl’espoirdetrouverunemanièredel'apaiser,unepersonnequ’elleauraitappréciée.Unvaletd’écurie,peut-êtreunjockey.Çan’apasétéaisé,maisj’aifiniparretrouverleharasoùelleavaitgrandijusqu’àsespremièrescourses.Lepalefrenierenchefavaitprissaretraite,maisilvivaitdanslesenvirons.Ilsesouvenaitd’elle,biensûr.Selonlui,elleavaittoujoursétédifficile,maisaucoursdesadeuxièmeannéeelles’étaitliéeavecunpoulain.Leschevauxressemblentbeaucoupauxhommes,voussavez.Ilsnouent des liens d’amitié qui résistent à la séparation. Ainsi, nous avons eu un couple dehongresquines’étaientpasvuspendantdesannées,maisqui...

Ils'interrompitcommeelleouvraitdegrandsyeux.Bonsang, ilsavaitquecettehistoiresembleraitridicule.

—Cepoulainaveclequelelles'étaitliée...c'étaitOsiris?devina-t-elle.

—Oui.Siabsurdequecelaparaisse,jenevoispasd’autresolution,sedéfendit-il.Junonne s'est jamaismêlée aux autres chevaux. J’ai pensé qu’en revoyantOsiris, elle renoueraitavecluietquelefaitd’avoiruncompagnon...l’apaiseraitenfin.

Ilssedévisagèrentunlongmoment,puisAmeliamurmura:

—C’estpourcetteraisonquevousvoulezOsiris.Vousêtesprêtàdépenserdesdizainesdemilliersde livres, à changervotrevie, à risquer la fortunedesautres -dontmon frère -simplementpourquevotrejumentombrageuseretrouvesoncamaraded’enfance?

—Oui.

À en juger par son expression, elle s’était attendue qu’il proteste, mais il n’avait riend’autreàajouter.

—Oui,répéta-t-il.Oui,toutcelapourpouvoiroffrirunpeuderépitàmavieillejumentgrincheuse.Pensez-encequevousvoulez.

—Oh,maisjevaisvousdirecequej’enpense!

Elles'approchalentement.

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—Spencer...Philip...St.Alban...Dumarque,reprit-elleenplantantl’indexdanssontorse,vousêtesunincorrigibleromantique.

Ilauraitvoulusedéfendre,maisl'airluimanqua.

—Ohoui!continua-t-elle.Inutiledelenier.J'aivuvotrebibliothèqueetvospeinturesdepaysagestempétueux.D'abord,Waverley,àprésentcettehistoire...

— Nom d'une pipe, ce n'est pas du romantisme. C'est... c'est de la gratitude, toutsimplement.

—Delagratitude?

— Ce cheval etmoi nous sommesmutuellement secourus. J'avais dix-neuf ans,monpèreétaitmort.J'avaispassé toutema jeunesseenpleinenaturecanadienne,et soudain jemeretrouvaisenAngleterre,pourmeprépareràhériterd'unduché.J'envoulaisaumondeentier,jemesentaisdéracinéetjenetenaispasenplace,toutcommececheval,et...etnousnoussommesapprivoisésl'unl'autre,d'unecertainemanière.Jeluiensuisredevable.

—Vousvousenfoncez,fit-elleremarqueravecunsourire.Continuezainsi,etjevaisfinirparvousprendrepourungrandsentimental.

Ils'apprêtaitàrépliquerquandelleposalapaumesursontorseetlaglissasoussaveste.Elle se pencha en avant, pressa ses seins ronds contre sa poitrine. Peut-être devrait-il yréfléchiràdeuxfoisavantdetoutnierenbloc...

D'undoigtsous lementon, il lui fitdoucement lever levisagevers lui.Unequestion luivintsubitementàl'esprit:

—Vousconnaisseztousmesprénoms?

—Jelesailusdansleregistreparoissial.

Ilserappelacomment,durantquelquesinterminablessecondes,elles'étaitpenchéesurleregistre, plume à la main. Il avait cru qu'elle hésitait. En fait, elle mémorisait son nom.L'émotion lui gonfla la poitrine et, l’espace d’un instant, il se demanda s’il n’était pas ungrandsentimental,aprèstout.

Il glissa la main sur le cou d’Amelia, sentit son pouls s’emballer sous ses doigts.Esquissantun sourire, il s'inclinaet captura saboucheavec tendresse.Elle l’enlaça.C’étaittrès différent de tous les baisers qu’ils avaient échangés jusque-là. Depuis leur étreinteenflammée, dans le bureau de Laurent, ils ne s’étaient pas embrassés debout. Et il sedemandait pourquoi. Dans cette position, elle paraissait petite. Il devait se pencher pouratteindresabouche,et lasoutenirpourqu’ellenebasculepasenarrière.Quandil la tenaitainsi, elle lui semblait fragile. Il savaitqu’Ameliaétait tout sauf fragile,maispourquelquemâleraisonilaimaitàprétendrelecontraire.Labercer, laréchauffer, lagratifierdebaisersdélicats...commesisaboucheétaitunefleurdont lespétalesrisquaientdesedispersers’ilosaitrespirertropfort.

Ilsepritàimaginerqu’elleavaitconfianceenlui.Qu'elleavaitbesoindelui.Cettepenséeluiplaisait.D’autantque,dansunrecoindesonesprit, il commençaità craindrequecene

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soitlecontraire.

Elleseraiditsoudaindanssesbrasetrompitleurbaiser.

—Àlaréflexion,vousn’êtespeut-êtrequ’unidiot.Vousest-ilvenuàl’espritqu’aulieuderuinermonfrèrepouracquérircecheval-etdepasserpourunmeurtrierdanslafoulée-,vousaurieztoutbonnementpuavouerlavéritéàlordAshworthetàM.Bellamy?

—J’aiessayé.Jeleuraiditquej'étaisprêtàcesserdetenterdemeprocurerlesjetonsrestants à condition qu'ilsme permettent de prendreOsiris en pension àBraxtonHall. Ilsn'ontrienvouluentendre.

—Leuravez-vousexpliquévosvéritablesmotifs?

C'estcela,oui.PourentendreBellamyetAshworthletraiterd'incorrigibleromantique!

— C’estledernierdeleurssoucis.Pourquoimerendraient-ilsserviceàmoi?Etàunevieillejumentmaltraitée?

—Parcequecesontvosamis.

— Qu'est-ce qui vous a donné cette impression ? Le fait que Bellamy m'accuse demeurtre?Oulecoupdepoingquejeluiaiassenéenpleinefigure?QuantàAshworth,jeluiairéglésoncompteilyadesannées,inutilederevenirsurcesprouesses.

— Vousn’êtespeut-êtrepasencoreamis,maissivousvousdonniezlapeinedepasserdutempsaveceuxpourapprendreàlesapprécier,ilsvousaideraient.

—Vousavezperdulatête?Ilscroientquej’aituéLéo!

—PaslordAshworth.Etl'enquêtedeM.Bellamyvousdisculpera.

— Nous l'ignorons.Amelia, j’ai passé le quartier au peigne fin. Il se peut que l’onneretrouvejamaislesmeurtriersdeLéo.

— Dans ce cas, vous leur prouverez qu’ils se trompent et gagnerez leur confiance.Donnez-leurunechanced’apprendreàvousconnaître,commevousl’avezfaitavecmoi.

Elleesquissaunsourire.

—Siimpensablequecelavousparaisse,vousvoussimplifieriezbeaucouplavieenleurrévélantvotresecretleplusprofondémentenfoui.

—Etàquelsecretfaites-vousallusion?

Elleluieffleuralajoue.

— En dépit de tout ce que les gens racontent, vous êtes un homme bien, gentil,terriblementsympathique.Entoutcas,moi,jecommenceàvousapprécierbeaucoup.

Elle avait le cœur sur la main. Seule une âme généreuse pouvait concevoir pareilleréconciliation - trois hommes passant outre à leurs origines sociales, conflits d’argent,ressentimentsetméfiancepourdeveniramisetseraconterleurssecretsautourd’unverrede

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porto.

Mêmedeshommesquerienn'opposaitnelefaisaientpas.Raisonpourlaquelleilsétaientdeshommesetnondesfemmes.

Enplongeant les yeuxdans ce regardbleu, il aurait presque voulu rendre cela possible.Justepourelle.

Soudain,unebrillanteidéeluivintàl'esprit.

— Jepeuxvousdemanderuneénormefaveur?fit-il,incapablederéprimerunsouriredesatisfaction.

—Ditestoujours.

—J'aimeraisdonnerunefête.Enpetitcomité,s'empressa-t-ild'ajouterpourrefrénersonenthousiasme.J'inviteraiAshworthetBellamy,cequinouspermettraderéglercettehistoireunefoispourtoutes.

Non pas commeAmelia se le figurait,mais inutile de le lui préciser. Cette partie de lasoirée se déroulerait en privé, à l'abri des regards. Toutefois, pour mettre son plan àexécution,ilfallaitd'abordquelesdeuxhommessoientdétendusetconciliants.

—Voulez-vousvouschargerdel'organiser?

— J'en serai ravie, et vous le savez très bien.Mais vous ne voulez recevoir que deuxinvités,dansunesigrandedemeure?

— Non, ce ne sera pas à BraxtonHall. Il vautmieux que nous nous retrouvions enterrainneutre.

C'étaitlàtoutlegéniedesonplan.

— J'envisagede louerunepropriétépour l'été.Or j'aientendudirequ'uncottageétaitdisponibledansleGloucestershire.Leprixestexagéré.Quatrecentslivres,pouruncottage?Àcetarif,ilvautmieuxqu'iln'yaitpastropdecourantsd'air.

—Briarbankestlecottagelepluscharmantquevousayezjamaisvu,dit-elleavantdesejeterdanssesbras.Oh,Spencer,vousallezadorer!Larégionestmagnifique.Vouspourrezemmenerleshommespêcher.Puis-jeinviterLily?Elleal'intentionderetourneràHarcliffeManor,quisetrouvedanslesenvirons.Elleseraheureused'avoirdelacompagnie,j'ensuissûre.

—Jen’airiencontre.

Envérité,celatombaitàpic.S’ilyavaitunepersonnecapablederaisonnercetimbéciledeBellamy,c’étaitbienLilyChatwick.

—Claudianousaccompagnera?

—Naturellement.

ImpossibledelaisserClaudiatouteseule.

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— Parfait.Danscecas, ilyauraàmatablelemêmenombred’hommesetdefemmes.Sansoublierque cela lui fera leplus grandbien.À vous aussid’ailleurs.PersonnenepeutêtremalheureuxàBriarbank.C’esttoutsimplementinconcevable.Quandpartons-nous?

Sonimpatiencelefitrire.

— Pas avant quelques semaines. Je doism’organiser, et vous aussi, j’imagine. Entre-temps, fit-il en lui caressant le dos, nous avons du pain sur la planche avec vos leçonsd’équitation.LeGloucestershireestàtroisjoursderoute.Sivousn’enfaitespasunepartieàcheval,vousrisquezd’êtretrèsmalheureuse.

Ellehochalatêteensemordillantlalèvreinférieure.Ilmouraitd’enviedel’embrasser.

Maiscefutellequipritlesdevants.Lesbrasnouésautourdesoncou,elles’emparadesabouche,lataquinadelalangue.Unflotdedésirbrutlesubmergea.Ensemble,ilspénétrèrententitubantdansunboxvide.Iltendit lebraspouratténuerlechoclorsqueledosd’Ameliaentraencontactaveclaparoi.

Au diable, la délicatesse ! Elle lui griffa le cuir chevelu tandis que leurs lèvres secherchaientavecavidité.Illuipalpalesseins,leshanches,lesfesses.

—Amelia,ilvaudraitmieuxarrêtermaintenantsi...

—J’aienviedevous,souffla-t-elleenfrottantsonbassincontrelesien.

Seigneur,Spencercrutqu’ilnepourraitpasseretenirunesecondedeplus!Ilagrippasajupe,lafitremonterjusqu'auxgenoux,etglissalamaindessous.Elledisaitavoirenviedelui,maisilvoulaitenavoirlapreuve.

Elleexhalaunsoupirlorsqu'ileffleural'intérieurdesacuisse.

Si tenté fût-il de la provoquer, de prendre tout son temps, il en était incapable. Sesréservesdepatienceétaienttariesdepuisplusieursjours.Ilpritsonsexeencoupe.Ellelaissaéchapperungémissementdeplaisir.Bonsang,elleétaitplusqueprête !Son intimitéétaitmoiteetchaudeetpalpitaitsoussesdoigts.

Ilavaitbeauavoirenviedelaprendresansattendre,l’idéedelefaireici lerebutait.Uneétreinte rapide contre un mur, dans une écurie empestant le fumier, pour leur deuxièmerapportintime,alorsqu'ilavaiteul'intentiondes'yprendreconvenablement?Ilavaitpassélesderniersjoursl'espritembrumédedésir,maisàprésentquelebrouillardcommençaitàselever, il prenait conscience du fait qu'Amelia avait peut-être des besoins qui lui étaientpropres.

— Spencer?chuchota-t-elleenondulantdoucementcontresamain.Lanuitdernière,vousmemenaciezdemeprendrecontrelemur.Vouspourriezlefairemaintenant?

Sic'étaitcequ'ellevoulait,sansl'ombred’undoute!Etsiellel’aidaitàdéboutonnersonpantalon,ceseraitl’affairedequelquessecondes.

—Ohé?criaunevoixàl’autreboutdelagrange.Ilyaquelqu’un?Amelia,tueslà?

—Qui...

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Sonregards'illumina.Elles'empressaderabattresesjupesetdelissersoncorsage.

—Oui.Noussommeslà.

Quediable?Spencers’agitadanstouslessens,glissaunemainfébriledanssescheveuxtoutenajustantsonpantalondel’autre.Bienquecettevoixluifûtfamilière,iln’arrivaitpasàymettreunvisage.

— Neme dis pas que ce sont les appartements de la duchesse, reprit la voix qui serapprochait.Je n’airiencontre lesmariagesderaison,mais jem’attendaisqueMorlandtelogemieuxquecela.

Spencer ignorait toujours à qui appartenait cette voix,mais il aurait volontiers flanquéunecorrectionàsonpropriétaire.Amelia,desoncôté...

Amelia éclata de rire en rougissant, avant de s’élancer dans la galerie pour accueillir lenouvelarrivant.Spencer luiemboîta lepas.À l’instantoùilaperçut l’auteurdesremarquesirrévérencieuses,ilcompritquel’après-midiquiavaitdébutésouslesmeilleursauspicess’enallaitàvau-l’eau.

Ravalantunjuron,ilregardasafemmesejeterdanslesbrasdesonfrère.

—Jack,s’écria-t-elle,jesuistellementheureusequetusoisvenu!

15.

—Jedoisavouerquetavisiteestunesurprise,fitremarquerAmeliaunpeuplustardenindiquantauvaletdedéposerleserviceàthésurlatable.

—Heureuse,j’espère,répliquaJack,enrepoussantunemècheblondedesonfront.

S’ilavait lablondeurd'Amelia-demêmequetousleursfrères-, ilavaithéritédestraitsfinsdeleurmère.Onl’avaittoujoursconsidérécommeleplusbeaudelafratrie.Bienavantqu’ilnedeviennele«bonàrien».

—Biensûr,répliqua-t-elle.Claudia,auriez-vouslagentillessedeservirlethé?

L’arrivée d’unmystérieux invité avait poussé la pupille de Spencer à quitter sa tanière.C’est à contrecœur qu’elle s’exécuta, quoiqu’on ne lui laissât pas le choix. D’une part, elledevaits’habitueràservirlethé,d’autrepart,Ameliaavaitbesoinderéfléchir.

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QuediableJackfaisait-ilàBraxtonHall?

Certes, elle espérait qu’il lui rendrait visite. Cela faisait des mois qu’elle cherchait unmoyendel’éloignerdeLondres,raisonpourlaquelleelleluiavaitenvoyéunmotlejourdesonmariage,l’invitantàveniràBraxtonHallquandillesouhaitait.Maisellenepensaitpasqu’ilarriveraitdanslafoulée!

—Jeseraisvenuplustôtsij’avaissuqueleCambridgeshireoffraitdesijolispaysages.

Ce disant, il gratifia Claudia d’un sourire éblouissant. Amelia ressentit une soudaineinquiétude.LesouriredeJackn’avaitquetropd’effetsurlesjeunesfillesimpressionnables.

Pas sur Claudia, cependant. Elle écarquilla légèrement les yeux avant de détourner levisage.

Parfait.

Haussantlesépaules,Jackattrapaunsandwichdanslequelilmorditàpleinesdents.

— Rien de tel qu’un voyage de nuit en malle-poste pour vous ouvrir l’appétit. Lanourriturequ’onnoussertdanslesaubergesderelaisn’arrivepasàlachevilledetespetitsplats,Amelia.

—Allons,cen’estqu’unmorceaudejambonfroid.Enrevanche,j’aicommandétesmetsfavorispourledéjeuner.

— Jem’en doutais !Même recluse dans le fin fond du Cambridgeshire, tu restes lameilleuresœurquel’onpuisserêverd’avoir.

Profitant de ce que Claudia servait le thé, Amelia se pencha vers son frère pour luichuchotersuruntonconfidentiel:

— Le duc va nous rejoindre d’une minute à l’autre. Osé-je espérer que cette visitesignifiequetuastrouvédequoilerembourser?

—Tuveuxparlerdemadette?dit-ilenattaquantsondeuxièmesandwich.L’affaireestréglée.Lalocationducottage,tuterappelles?

Ameliacilla.

—Oui,biensûr.Ehbien,celaauraété...rapide.

Pourquoi Spencer ne le lui avait-il pas dit ? Il n’avait peut-être pas encore reçu lepaiement.TantpispourleursprojetsdefêteàBriarbank.Toutefois,mêmesiellen’aimaitpasl’idéequedesinconnusoccupentsoncottage,elleétaitsoulagéequeJacksesoitacquittédesadette.C'étaitsansdoutelaraisondesasoudainenonchalance.

—Combiendetempscomptes-turester?demanda-t-elle.

— Quelques semaines, si tu arrives àme supporter. Jeme disais que je pourraismerendreàCambridgeundecesjours,pourvoirsijenepeuxpasreprendremesétudes.

Le cœurd’Amelia se logeadans sa gorge ; elle eut dumal à avaler sa gorgéede thé.La

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matinéefrisaitdésormaislaperfection.D’abord,saconversationavecSpencer.Puisl’arrivéeimprévuedeJack,etsonmerveilleuxprojet.

S’il restait àBraxtonHallquelques semaines,Spencerauraitune influence trèspositivesur lui. Il pourraitmêmeenvisagerde vivre ici lorsqu’il reprendrait ses études.Après tout,Cambridgen’étaitqu’àunequinzainedekilomètres.Avec le temps,Spencer finiraitpar luitrouverunendroitoùvivre:unpresbytère,quelquescentainesdelivresparan.C’étaitcertesmodeste,mais ce serait une vie agréable - à lahauteurde cequepouvait raisonnablementespérer le quatrième fils d’une famille de nobles désargentés. Si l’été se passait ainsi,Briarbankluimanqueraitàpeine.

Débordanted’optimisme,Ameliademanda:

—Àquiavez-vouslouéBriarbankenfindecompte?

Aulieudeluirépondre,Jackseleva.Elleencompritvitelaraison.

Spencersetenaitsurleseuildusalon,fraîchementlavé,etimpeccablementvêtu.

Enunéclair, la tensionsexuellede leur tête-à-têtedans l’écurie ressurgit.À l’arrivéedeJack,Ameliaavaitdûétouffersondésir.L’apparitionsoudainedeSpencerétait le tisonnierravivantlaflamme.Unseulregardàsasilhouetteathlétique,etuneondebrûlantedéferlaenelle. Des perles de transpiration se formèrent dans l’échancrure de son corsage ainsi qu’àl’intérieurdesescuisses.Seschoixétaientsimples:soitelledétournaitleregard,soitelleseliquéfiaitsurplace.Ellechoisitlapremièresolutiondansl'espoird'épargnerlebrocartdesonfauteuil.

—Milord,fitJackenlegratifiantd’uneéléganterévérence.

Quandillevoulait,ilavaitdesmanièrestrèsraffinées.

—Monsieurd'Orsay.

—Allons,Morland,appelez-moiJack!s’écriacedernierenserasseyant.Noussommesfrèresmaintenant.

AmeliaserisquaàregarderSpencer.Àen jugerparsonexpression, iln'appréciaitpas lafamiliaritésubitedeJack.Ilavaitleregarddur.Etenvoûtant.

—Trèsbien,Jack,fit-ilentraversantlapièceàgrandspaspourvenirs’installerdansunfauteuildroit.Trêvedeplaisanteries.Quevoulez-vous?

—Commentcela?intervintAmelia.Ilestvenunousrendrevisite.

—Ah,vraiment?

— Oui, bien sûr, répondit son frère en ricanant nerveusement. Et voilà une drôle defaçondem'accueillir!

Spencerhaussalessourcils,visiblementsceptique.

—Jesuispeut-êtrevenuvoircommentvoustraitiezmasœur,repritJack,àprésentsur

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ladéfensive.Vousnous l'avezenlevéesibrutalement.Enoutre,desbruitscirculentàvotresujet,ajouta-t-ilensepenchant.

—Quelgenredebruits?demandaClaudia.

Toutlemondesefigea,prisdecourt.Selontouteapparence,celafaisaitplusieursminutesqu'elle arrangeait des lamellesde citrondans les soucoupes à l'aidedepinces à sucre sansprêterattentionàlaconversation.

—Lesbruitshabituels?fit-elleavecintérêt.Oudescomméragesrécents?

Ameliasemorditlalèvre,àlafoisconsternéeparlagrossièretédeClaudiaetimpatiented'entendrelaréponsedeJack.Manifestement,ClaudiaignoraittoutdelamortdeLéoetdescirconstancesmystérieuses qui l’entouraient.Mais elle sedemanda si JulianBellamyavaitrépanduses soupçonsà travers la capitale.Pourvuquenon !Spencer finiraitpar laver sonhonneur,mais un pareil scandale laissait des traces. La rumeur d’une implication dans unmeurtrerisquaitd’éclaboussersesproches.Claudiaplusquequiconque.

—Claudia,fitSpencersansmêmelaregarder.Laisse-nous.

—Mais...

—Jet’aiditdenouslaisser.Maintenant.

Ils’étaitexpriméd’untoncoupant,etsiAmeliacomprenaitqu’il lacongédie,elleneputs’empêcherdecompatirpourelle.Personneneméritaitd’êtretraitéainsi,surtoutdevantuninvité.

— Toutvabien,murmura-t-elleà la jeunefilleen luieffleurant lepoignet.Nousvousverronsaudéjeuner.

Lesyeuxbrillantsdelarmes,Claudiaselevaabruptement.

—Non,carjen’yseraipas.

Commeelleseruaithorsde lapièce,Spencer tressaillit imperceptiblement.Amelianotapourplustard:«Apprendreauducàparlerauxjeunesgens.»S’ilfaisaitdesmerveillesaveclespoulains,c’étaitunevraiecatastropheaveclesjeunesfilles.

—Aufait,àprésent.

Spencerposalescoudessursesgenouxetappuyalementonsursesmainscroisées.

—Ainsi,vousêtesvenuvoircommentjetraitaisAmelia?

Jacks'agitadanssonfauteuil.

—Oui.

—Vous,lefrèredévoué,quiabandonnesasœuràunbal,sanschaperon,sansmoyendetransport,sansunsou.Quijouel'argentqu’iln’apassanssesoucierdesesprojetsàelle.Quin’a pas daigné assister à son mariage.Vous osez remettre en questionma manière de latraiter.C’estbiencela?

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Jackclignadesyeux.

SpencersetournabrusquementversAmelia.

—Trouvez-vousquejevoustraiteconvenablement?

D’abordsurprise,ellefinitparrépondre:

—Oui,toutàfait.

—Voilà,vousavezvotreréponse,Jack.VouspasserezlanuitàBraxtonHall,etdemain,vousretournerezd'oùvousvenez.

— Demain ? répéta Amelia. Il a voyagé toute la nuit parmalle-poste. J’espérais qu'ilpourraitresteraumoinsquelquessemaines. Ila l’intentiondeserendreàCambridgepourvoirs'il...

—Demain.

C'était un verdict, pas une suggestion. Fin de la discussion. Mais leurs regards secroisèrent,etledialoguesepoursuivitensilence.

« Pourquoi ? demanda-t-elle. Pourquoi ce comportement froid et arrogant après lamerveilleusematinéequenousvenonsdepartager?Sivoustenezvraimentàmoi,pourquoiêtes-vousincapabledetémoignerunminimumd'égardsenversmafamille?»

LesyeuxdeSpencercontenaientdesréponsesqu'ellefutincapablededéchiffrer.

Quelque chose claqua soudain sur la table avec un bruitmétallique,mettant fin à leuréchangemuet.Ameliabaissa lesyeuxetdécouvrit,stupéfaite,unpetitdisquedecuivresurlequelétaitgravéeunetêtedecheval.

LejetondeLéo.

—Justeciel!s'écria-t-elleentendantlamain.

Jackplaqualamainsurlejeton.

—J'aicequevouscherchez,Morland.Etjesaislavaleurqu'ilaàvosyeux.

—J’endoutefort,répliquaSpencer.

Les deux hommes se regardèrent en chiens de faïence. Adieu l'été idyllique dont rêvaitAmelia!

— Comment t’es-tu procuré ce jeton ? demanda-t-elle.Des hommes sont en train deretournerlacapitalepourleretrouver.

— Ehbien, ceshommesne sontpasvenus frapperàmaporte, rétorquaJackavecunétrangepetitsourire.

UnepeurfulgurantetransperçaAmelia.Dieuduciel!IlnepouvaitpasêtreimpliquédanslemeurtredeLéo!Passonproprefrère.C’étaittoutbonnementimpossible!

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Elle se repassa mentalement la succession des événements, et eut un soupir desoulagement.Jackavaitpassélasoiréeaubalensacompagnie.Certes,ilétaitpartidebonneheure,auxenvironsde23h30.MaislordAshworthetM.Bellamys’étaientprésentésàpeineuneheureplustard,etLéoétaitmortdepuisunmomentdéjà.IlétaitimpossiblequeJackfûtimpliquédanslemeurtre.Dieumerci!Maislaquestiondemeurait...

—Commentt’es-tuprocurécejeton?

—Parleplusgranddeshasards,réponditsonfrèreens'adressantàSpencer.J’étaisencompagnied’une...

Iljetauncoupd'œilàAmelia.

— ... d'une connaissance, il y aquelques jours àpeine.Nous avons échangéquelquespièceset,danssabourse,j'airepérécejeton.J'aiaussitôtproposédeleluiacheterenéchanged'uneguinée.

L'estomacd’Ameliaseretourna.Cette«connaissance»étaitsansdoutelaprostituéequiavaitdécouvertlecorpsdeLéo.EllesavaitqueJacktombaitdeplusenplusbas...maisceladépassaitdeloinsespiresappréhensions.

Commeàsonhabitude,Spencern’yallapasparquatrechemins.

—Etoùsetrouvelaputainàprésent?Vouspourriezlaretrouver?

—Euh...écoutez,monvieux,fitJackenselevant,nouspourrionspeut-êtreendiscuterseulàseul.

—Pourquoi?Amelian’estpasunesimpled’esprit.Ellesaitpertinemmentquevousavezdépensésonargentdansleslieuxlesplusmalfamés,fitSpencerenselevantàsontour.Ilestun peu tard pour songer à épargner ses sentiments, Jack. Si vous souhaitez vous racheter,commencezparrépondre:oùavez-voustrouvécettefemme?Oùvousa-t-elleemmené?Aquoiressemble-t-elle?Quevousa-t-elleditausujetdel’attaque?DeLéo?

—Pourquoidevrais-jevousdonnercesrenseignements?Pourquevouslaretrouviezenpremieretlafassieztaire?

Ilyeutunsilencepesant.

Jacks’approchadeSpencer.

—JulianBellamypensequevousaveztuéLéo.

—JemefichedecequeBellamypense.

— Peut-être, mais il y en a que cela intéresse. Lorsqu’il parle, le beau monde tendl’oreille.Et iln’estpasaiséd’étoufferdes rumeursde cette envergure. Il sepeutquevotrejoliepetitepupilleenpâtisse.Toutcommemasœur.

—Sivousvoussouciezàcepointd’Amelia,vousavezdanslamainlapreuvecapabledem’innocenter. Julian Bellamy croit que j’ai tué Léo pour récupérer le jeton. De touteévidence,cen’estpasmoiquil’aienmapossession.

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— Non,eneffet, rétorquaJacken lançanten l’air lepetitdisquedecuivreavantde lerattraper.C’estmoi.

Le cœur d’Amelia flancha. Naturellement ! Il avait besoin d’argent. Bien qu’il aitremboursé Spencer, il avait dû se retrouver entre-temps dans une situation encore plusinextricable,etilespéraits’ensortirgrâceaujeton.

— Jack,fit-elleens’approchantdelui,dis-nousjustedansquellefâcheusesituationtut’es encore fourré. Inutile de chercher à extorquer l’aide du duc. Comme tu l'as dit, nousformonsunefamilleàprésent.Noustrouveronssûrementunmoyendetesecourir.

—Iln'obtiendrapasunsoudemoi,lâchaSpencer.

—Vousvousméprenez,Morland,repritJack.Jenesuispasunmaîtrechanteur.Mêmemoi, jenem'abaisseraispasàcela.Enoutre,d'après lerèglementduclub, ilest interditdevendreoud'acheterlesjetons.Toutlemondelesait.

—Vousvoulezlemiser,fitSpencer.

Jackhochalatête.

— BonDieu, vous êtes vraiment un imbécile. Un imbécile bouffi d'orgueil et entêté,répliquaSpencer.Maispuisquevousinsistez...ajouta-t-ilenhaussantlesépaules.Suivez-moidanslabibliothèque.

Il quitta le salon au pas de charge, Jack dans son sillage. Amelia demeura unmoment,interdite.Puis,empoignantsesjupes,elles'élançaderrièreeux.

— Jack,fit-elleenattrapantsonfrèreparlamanche.Quesepasse-t-il?Tut'esencoreendetté?

Ilneréponditpas,maissonsilenceétaituneréponseensoi.

—Nefaispascela,lesupplia-t-elle.J'aidesfondsdisponiblesàprésent.Noustrouveronsunautremoyen.Leducnevafairequ'unebouchéedetoi.

—Tun'ensaisrien,rétorqua-t-ilenselibérantsansmêmedaigners'arrêter.C'estunjeudehasard.C'estd'ailleurstoutl'intérêtdelachose.

Non, songea-t-elle. Le hasard n'entrait pas en ligne de compte. Pas lorsque l'on avaitSpencerpouradversaire.

Renonçantàfaireentendreraisonàsonfrère,Ameliarattrapasonmarietledépassa.S'ilmanquait de compassion du moins était-il raisonnable. Elle s'arrêta devant la porte de labibliothèquepourluienbarrerl'entrée.

—Jevousenprie,murmura-t-elle.Nefaitespascela.

—Restezendehorsdecela,Amelia.

—NoussavonsqueJackn'aaucunechancedegagnercontrevous.Orilestévidentqu'ils'estfourrédansdesalesdraps.S'ilpartd'icivaincu,ilrisquedetomberencoreplusbas.

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—Cen'estpasmonproblème.

—Non,c'estlemien.Etsivous...

Lesmotsmoururentsurseslèvres.Lafindelaphraseétaitévidente:«Sivousavezuntantsoitpeud'affectionpourmoi,vousferezcequejevousdemande.»

—Pourl’amourduciel,Amelia!s'exclamaJack.C'estuneaffaired'hommes.Pourunefois,netemêlepasdemavie!

Avantmêmequ'elleaitouvertlabouche,Jackseretrouvaétalédetoutsonlongsurlesol,gémissantdedouleur,tandisqueSpencersecouaitlepoing.

—Vous...vousl'avezfrappé!s'écria-t-elle.

—Pasassezfortàmongoût.Bonsang,d'Orsay!Jevousaiàpeinetouché.Relevez-vous.Vousn'êtespasunefemmelette.

Jackseredressaenvacillantetsefrottalabouche.

—Maintenantprésentezvosexcuses.

—Désolé,marmonna-t-il,leslèvresdéjàenflées.

—Pasàmoi,espècedecrétin.ÀAmelia.

Découvrant une goutte de sang sur son doigt, Jack poussa un juron inarticulé, puisbafouilladesexcusesàl'adressedesasœur.

Spencerouvritlaportedelabibliothèqueengrand.

—Terminons-en,dit-ilsèchement.

Cefutl'affairedevingtminutes.

Ameliapatientaitàl'extérieurdelabibliothèque,arpentantnerveusementlecouloir.Sonappréhensionaugmentaitàchaqueminutequipassait.SpencerauraitpubattreJackenunemanches'ill'avaitvoulu.Peut-êtrejouait-ilavecluicommeilavaitjouéavecelle.

L’attirantplusavantdanslejeu,lepoussantàprendredesrisques,stimulantsaconfianceenlui.Naturellement,Jackseraitincapabledesefixerdeslimites.

Laportefinitparserouvrir.Jacksortit.Ameliaseruaverslui,cherchantàdéchiffrersonexpression.

—Çavaaller?s'enquit-elle.

Inutiledeluidemanders’ilavaitperdu.

Il regardait devant lui d’un air absent tout en se massant le cou. Un hématomeimpressionnants’épanouissaitsursamâchoire.

—Jenesaispas.J’ignorecequejevaisdevenirmaintenant.Jem’étaisdit...

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Ilexpiralentement,setournaverselleetluiadressaunsouriredéconfit.

— Je te souhaite d’avoir plus de chance quemoi, Amelia. Je crains que tu n’en aiesbesoin,avecunépouxpareil.

Ildéposaunbaisersursajoueavantdes’éloigneràgrandspas.

—Attends!cria-t-elle.Tuneparspasdéjà?

Ilneralentitpas.

—Jack!

Ils'arrêtasansseretourner.

—Tuasassezd’argentpourlamalle-poste?

—Toutjuste.

—Quandtereverrai-je?

— Bientôt,répliqua-t-ilen lui jetantunregardénigmatiquepar-dessussonépaule.Oujamais.

Ilfourralamaindanssapocheetseremitenmarche.Auboutducouloir,ilbifurquaendirectionduhall,etdisparut.

Ameliapivotaetseprécipitadanslabibliothèque.

—Commentavez-vouspu?Avez-vouspenséunseulinstantàmoi?

D’ungestedélibérémentcalme,Spencerrefermaletiroirdesonbureauetseleva.Ilavaitôtésavestepourjoueretletissudesachemisesursesépaulessetenditquandilseredressa.

—Commentyrésister?répliqua-t-ilbaissantlesyeuxsurlejetondecuivreposésursonbuvard.Iln'étaitpasquestiondelelaisserrepartiraveccela,ajouta-t-ilenleramassant.Dieusaitoùcejetonauraitfini?Imaginezqu'ilsesoitensuiteretrouvéentredemauvaisesmains.

—Certes,maispourquoileluiavoirprisdecettemanière?D'uncôté,Jackestauxabois;del'autre,vousvoulezcejetonàn'importequelprix.Pourquoinepastrouveruncompromis?

—Vousavezentenduvotrefrère.Ilnevoulaitpaslevendre.Ilvoulaitjouer.Qu’étais-jecenséfaire?Refusersonoffre?

—Oui!Ilmanquepeut-êtredejugeote,maispasvous.

—Commentvoulez-vousqu’ilmûrissesivouscontinuezàpenseràsaplace,rétorqua-t-il.Cettefois,ilaurapeut-êtreretenulaleçon.

—Vousrêvez.Toutcequ’ilauraretenu,c’estqu’ilnefautplusvenirmerendrevisite!

—Jementiraissijevousdisaisquecelam'afflige,admit-ilencontournantsonbureau.

—Vousnon,maismoioui.

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Ellen'osaitimaginercequ'iladviendraitdeJackunefoisqu'ilseraitderetouràLondres.

—Bonsang,Jackn’estqu'unvaurien!Ilvousprendvotreargentetnevouscausequedes tourments en remerciement. Pourtant, vous trouvez encore le moyen de prendre sadéfense,delecajoleretdelerécompenser.

—C'estfaux,protesta-t-elled'unevoixtremblante.Jel'aimemalgrésesdéfauts.Etjeneperds pas espoir qu'un jour, il s'amendera. Personne ne vous demandait de lui donner del'argent.Jackm'aavouéqu'ilaimeraitreprendresesétudesàCambridge.Pourentrerdanslesordres.

Certes,ilneluiavaitpasditexpressémentqu’ils’imaginaitpasteur,maiscelaallaitdesoi.

— Vous pourriez lui offrir un presbytère, enchaîna-t-elle.Ou lui donner par un autremoyenlapossibilitéderemboursersesdettes.

— Mes fermierssontsousmaresponsabilité.Voustenezvraimentàceque jeplace lebien-êtredeleursâmesentrelesmainsdeJack?C’estinconcevable,fit-ilensecouantlatête.Enoutre,iln’estpasvenuiciparcequ’ilavaitl’intentiondereprendresesétudesoud’entrerdanslesordres,Amelia.Ilestvenuquémanderdel’argent.Ilaretournésavesteàl’instantoùjeluiaitenutête.

—Ilachangédediscoursparcequevousl’avezmisàlaporte!Sansmêmemedemandermon avis, d’ailleurs. Je croyais qu’après la matinée que nous avions passée, vous aviezcomprisl’avantagequ’ilyavaitàparlerouvertementàvotrefemme.Vousauriezaumoinspuendiscuteravantdeledépouillerdesonjetonetdel’expulsersansunsouenpoche.

CommeSpencersecontentaitdepousserunsoupir,ellecontinua:

— Vousêtesresponsabledevosfermiers,dites-vous.Ehbien,moi, jesuisresponsabledemesfrères.

ElleavaitdixansàlanaissancedupetitWilliam.L’accouchementavaittellementaffaiblisamère qu'elle pouvait à peine s'occuper du nourrisson. À l’époque,Hugh et Jack avaientrespectivementseptetsixans.«Tuvasdevoirtetransformerenpetitemaman,Amelia, luiavait dit sa mère. Occupe-toi des garçons. » Et depuis, elle avait fait de son mieux pourrépondreàcesouhait.

—Spencer,jevousenprie.J’aidéjàperduHugh.JenesupporteraipasdeperdreaussiJack.

Il vint se camper devant elle, le visage assombri par l’émotion. Sa simple proximitéphysiqueréveillasessens.Ellerepensaàcequis’étaitpassédansl’écurie...

Malgrésacolère,elleétaitprêteàsejeterdanssesbras,àlesupplierdelaserrerfort,del'embrasser,deprendresoind’elle.

Del'aimeretdelacomprendre.

—Vousl'avezdéjàperdu,Amelia,dit-ild'untonposé.

Amelialedévisagea,bouchebée.Deslarmesbrûlantesluipiquèrentlesyeux.Enépousant

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Spencer, elle s'était imaginé secourir son frère, pas le condamner. Son mari était prêt àgaspillersafortunepourunfichuchevalcoléreux,maisilrayeraitJackdesavied'unsimplemot.

— Jevousinterdisdedirecela,articula-t-elle.Vousneleconnaissezpas.HughetJackavaientàpeineunand'écart.Ilsétaientcommelesdeuxdoigtsdelamain.UnepartiedeJackestmorteenmêmetempsqueHugh.C'estcommes'iltentaitdecomblercevideenbuvantetenjouant.Vousnesavezpascommentilétaitavant.

— Etvousrefusezd'ouvrirlesyeuxsurcequ'ilestdevenu.J'enaicroisébeaucoupdesjeunesgensquiaimentjouergrosetsontdépourvusdebonsens.Ilsepeutqu'ils’amendeunjour,maisceseraen luiqu'ildevrapuiser lavolontéet la forcequi l’yaideront.Riendecequevousdirezouferezn’ychangeraquoiquecesoit.Vousdevezcouper les liensquivousrelient,pourvotrebienàtouslesdeux.Cessezdelecouveretdel’entretenir.Sivousnevousensentezpaslaforce,jem’enchargeraiàvotreplace.

—Couperlesliensavecmaproprechair,monpropresang?

Ellen’encroyaitpassesoreilles.OùétaitpasséleSpenceravecquielleavaitconversédemanièresiplaisantedanslesécurieslematinmême?Ilsavaitl’importancequ’elleaccordaitàsafamille.Commentpouvait-ilseulementsuggérerpareilleabomination?

—Vousavezuncœurdepierre...

—Ah,lacoupa-t-ilavecunriresansjoie,àprésent,c’estmoileméchant.Jackdébarqueendetté jusqu’au cou, muni d’un jeton qu’il a récupéré auprès d’une prostituée. Il porteatteinte à mon honneur, menace la réputation de ma cousine, et vous insulte en vousregardantdroitdanslesyeux...

—Vousl’avezfrappé!

—...etc’estmoiquisuislesaletype,enchaîna-t-ilavantdelâcherunjuron.J’aipasséunesemaineàêtrevictimedesoupçonssans fondement.Jesuisàboutdepatience.Jemesuisdémenéjouretnuitpourprouverlafaussetédecesaccusations,etbienquemeseffortsn’aient pas payé, vous disiezme croire sur parole. Jack surgit soudain en possession de lapreuvedemoninnocence,jeredevienslegrandméchant!Siingratsoit-il,c’estenversluiquevavotreloyauté.Vousprenezsystématiquementsadéfense.

Ladouleurqu'ellelutdanssesyeuxluitorditlecœur.Maisquerépondreàcela?

—C'estmonfrère.

—Jesuisvotremari!

Ilavaitditcesmotsd’unevoixsifortequ'ellereculad'unpas.L'étincelleprédatricedanssonregard la fit reculerdedeuxpas supplémentaires.Soncœur luimartelait furieusementlescôtes.

—Jesuisvotremari.Nousavonséchangédesserments,aucasoùvousl'auriezoublié.

Ilbranditlejetontoutens'approchantd'elle.

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—Etlanuitdenotremariage,vousm'avezfaitunepromesse.Unefoiscejetonretrouvé,vousnemerefuserezrien.

— Quevoulez-vousdire?Vousmemenacezdemeséparerde forcedema famille, etvousvousattendezquejefassecommesiderienn'était?Quejem’allongesurlelitcommeunegentilleépousedocile?

—Non.

Dansunélan,ill'attrapaparlatailleetlaforçaàreculerjusqu'àcequesondosheurtelemur.

—Jen'aipasbesoind'unlitpourvousprendre.

Il lasoulevalégèrementetlogeasesjambesentrelessiennes,laissantreposersonpoidssur ses cuisses. Tandis qu'il retroussait sa jupe jusqu'à la taille, elle semit à haleter,maisn'opposa aucune résistance tant elle était interloquée. Il trouva son sexe, encoremoite deleur entrevue dans l'écurie et endolori par leurs ébats de la veille. Une onde de voluptésubmergea Amelia. Sans attendre, il insinua deux doigts en elle. Ses muscles intimes secontractèrentenréponse.

Ilsefigea,lesoufflecourt.

—Vousenaviezenvie.

—Oui,souffla-t-elle.

Ilretirasesdoigts,etcommençaàdéboutonnersonpantalonàtâtons, lesdentsserrées.Amelialaissasesbraspendrelelongdesesflancs.Ellenevoulaitnil'assisternilerepousser.En dépit de sa colère, elle désirait ardemment le plaisir qu'il pouvait lui procurer. C'étaitcommesisoncœurs'enétaitalléavecJack,maisquesoncorps,déraisonnable,fûtrestédanscettepièce,consuméparledésir.

Ayantenfinfinidelutteravecsesboutons,ilattrapalamaind’Ameliaetlarefermaautourdesonérection.Sapeauétaitbrûlante.

— Montrez-moi à quel point vous en avez envie, fit-il en la forçant à serrer lamainautourdesavirilité.

Lapressioncombinéedeleursdeuxmainsdevaitêtredouloureuse.

—Guidez-moienvous.

Illuilâchalamain,luiempoignalescuissesetlasoulevatoutenlesluiécartant.

Haletante,elleapprochasavirilitépalpitantedesaféminité.Maisaulieudeleconduirelàoùilvoulaitêtre,ellel'amenalàoùellevoulaitqu'ilsoit.Ellefrottalatêteengorgéecontrelapetitecrêteausommetdesafente.Unevaguedeplaisirbrutdéferlaenelle.

Avecungrondement,ilenfonçalesdoigtsdanssescuissesetluiinclinalebassintoutensecabrant.Savirilitéglissaentrelesreplismoitesdesonintimité.Ellelerepoussa.Illuiavaitdonnélecontrôleetellen’avaitpasl’intentiond’yrenoncer.Jamaisellen’auraitimaginéque

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l’onpuisseéprouverunsigrandplaisiràfairel’amouralorsmêmequel’onétaitencolère.

Ondulantdeshanches,elleserapprochapeuàpeuduprécipice.Tandisqueladélicieusetensionaugmentait,ellelaissaéchapperungémissement.

—Bonsang,guidez-moienvous,grommela-t-ilenplaquantsonbas-ventrecontreelle.

Etelle céda.Nonpasparcequ’il le luiavaitordonné,maisparcequec’était cedontelleavait envie à cet instant précis. Elle voulait le sentir en elle, qu’il l’emplisse et la pilonneférocement.

Elle secramponnaàsoncouet sa têtebasculaenarrière. Ilpressasonvisagecontresagorge. Finis les regards langoureux et lesmots tendres.Rienqu’un rythme frénétique, dessensationsgrandissantes,etunejouissancesiviolentequ’Ameliafaillitcrierdebonheur.

Ilcontinuades'enfoncerenelleencoreetencore jusqu’à l’explosion finale,qui le laissapantelant,lecorpssecouédeconvulsions.Etunmiracleseproduisit.Ameliaposalesmainssursesépaules.Etlerepoussa.L’extasephysiquequil’avaitbalayéecommeunfétudepaillen’avaitenrienentamésacolère.Ellen’avaitaucuneenviedel’étreindre,deleberceroudeluicaresser les cheveux.Aucun désir inavoué de l’entendre lui susurrer desmots doux et deslouanges.Elles’étaitserviedelui,etelleétaitrepue.

Ilsétaientfinalementsurunpiedd’égalité.Elleavaitapprisàluidonnersoncorpstoutenpréservantsoncœur.

Maissontriompheavaitungoûtamer.

Épuisé et encore tremblant, Spencer se retira.Quand il reposa sa femme sur le sol, sesgenouxsebloquèrent.

—Etvousquim'aviezpromisdeladélicatesse.

Il tressaillit. Iln'étaitpasparticulièrement fierdesaperformance.Elleavaitétébrutale,brève,furieuse...etfabuleuse,pournerienarranger.

—Jevousdoisdesexcuses?

—Nesoyezpasridicule,rétorqua-t-elle.Nousenavonsprofitétouslesdeux.

Elleaffichaitunregarddeglace.

Il se tourna de côté pour rajuster ses vêtements et échapper à ce regard. Il venait deconnaître l'expériencecharnelle laplus intensedesavie,avec laparticipationactivedesonamantepassionnéeetcréative,orilsesentaitplusbasqueterre.

—Quandaurai-jeaccèsàmonargent?demanda-t-elleensecouantsesjupes.

—Pardon?

Venait-elle vraimentde luidemanderde l'argent ?Telleune catin retroussant ses jupesdansuneruellesombrepouruncouprapidecontreunmur?Elleavaitbeauêtreencolère,ellen'avaitpasbesoindesemontrervulgaire.Ilyavaitunenuance.

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—Commevousvenezdemelerappeler,nousavionsconcluunarrangementlejourdenotremariage. Je vousdonnedes enfants, et en contrepartie, vousmeprocurez la sécuritéfinancière.Cesontlàvosparoles,Spencer.Pourêtreprécise,vousm'avezpromisvingtmillelivres.J'aimeraissavoirquandjepourraidisposerdecetargent.Sivousm'interdisezderevoirmon frère, je l'aiderai de mon côté. Je... je... bafouilla-t-elle, gagnée par l'émotion... jetrouverai une solution. Je pourrai peut-être l'envoyer à l'université, ou lui acheter unpresbytère,ouluitrouvertoutbonnementunendroitloindelacapitale...

Spencerporta lamainàsatempe.Quoiquesa loyautéenversJackfûtadmirable,àforcedelecouver,elleluifaisaitplusdemalquedebien.Ilétaitabsolumenthorsdequestionqu’illuiremettedesmilliersdelivresqu’elledilapideraitparpersonneinterposéedanslesbordelslesplusmiteuxdeLondres,voirepire.

— L'argentestplacéenfidéicommis.Jenepeuxpasvousledonnercommecela.C’estcompliqué.

—Vouspourriezsimplifierleschosessivouslevouliez,j'ensuissûre.Voususezplutôtlibrementdevotrechéquierquandcelavousarrange.Jeremplismapartdumarché,ajouta-t-elleenjetantuncoupd'œilaumurcontrelequelilsétaientappuyésuninstantplustôt.

—Sil'onsuitvotrelogique,jenevousdoisrientantquevousnem'avezpasdonnéunfils,rétorqua-t-ild'untonacerbe.

—Jeveuxlamoitiédelasommeenacompteouiln'yaurapasdefilsdutout.

— Que diable vous arrive-t-il ? Échanger vos faveurs contre de l'argent comme unevulgairefilledejoie?Cetteconversationn'estpasdignedevous,Amelia.Ellen'estpasdignedenous.

—Vousnemelaissezpaslechoix!s'écria-t-elletandisqu'unelarmeroulaitsursajoue.Êtes-vous donc incapable d'éprouver lamoindre empathie ? Léo s'est fait attaquer dans lequartier où traîne mon frère. Jack aurait pu se faire tuer à sa place. Je ne vais pas mecontenterd'attendregentimentqu'ils'amendeparcequecelapourraitseproduiretroptard.Alors,oui,jetroqueraivolontiersmoncorpspourlesauver.Jeseraisprêteàdonnermavie,s'illefallait.

Ellesedétournaàdemietenfouitlevisageentresesmains.

Avecunsoupir,Spencers'approchad'elleetluientouralesépaulesdubras.Elletressaillit,maisil lamaintintfermement.Iln'étaitpeut-êtrepasnaturellementdouépourconsolerlesgens,maisilapprenaitvite.

—Jackneméritepasunteldévouement.

—Quileméritevraiment?hoqueta-t-elleenpivotantpourpresserlevisagecontresontorse.Maisvousnepouvezpasmedemanderdecesserdel'aimer.Cen’estpasjuste.

Il l’enlaça et la serra contre lui tandis qu’elle s'abandonnait aux sanglots. Il s’efforçad’accepterladureréalité:ilnepouvaitpasdemanderàsafemmedecesserd’aimersoncrétinde frère,pasplusqu’ilnepouvait la forceràéprouver lemêmeamourpour lui. Il se laissa

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alleràimaginer,l’espaced’untraîtreinstant,cequ’iléprouveraitensachantqu’Ameliaseraitprête à tout pour lui. S’il était l’heureux bénéficiaire d’une telle affection, il ne passeraitcertespassontempsàpoursuivredesplaisirsfutilesdansdessallesdejeuxetdesmaisonscloses.

S’il voulait être de nouveau dans ses bonnes grâces, il lui suffisait de lâcher un peud’argentàJack.Maisc’étaitlàuncerclevicieux.Tôtoutard-plutôttôtquetardd’ailleurs-,Jackreferaitsurfaceaprèsavoirtoutdilapidé,enpromettantdes’amenderàconditionqu’ilsluiconcèdentencoreunepetitesomme.IlseraitalorsobligéderefuseretAmeliapleurerait...

Pour lemoment, tenterde la raisonnerétait inutile.Elle compatissait tropavecJack, etelleavaitlecœurtroptendrepoursortirdeceschéma.Poursonbien,iln’avaitd’autrechoixqued’assumerlerôleduméchantdépourvudesentiments.

—Spencer,jevousenprie,sivouspouviezsimplementdiscuteravec...

—Non,coupa-t-ilfermement.Iln’yarienàajouter,Amelia.Madécisionestprise.Jenepeux, en conscience,donnerde l’argent à votre frère.Etmaintenantqu’il l’a compris, vousverrez,ceseraluiquicouperalespontsavecvous.

Elle versa d’autres larmes. Il l’aurait volontiers gardée dans ses bras,mais elle s’écarta.Alorsilsetintbêtementdevantelle,l'airgauche,réduitàlapositiondespectateur.Cefutunquartd’heuredéplorable.

— Eh bien, fit-elle au bout d'unmoment en croisant les bras.Que va-t-il se passer àprésent?

—NousallonsàBriarbank.Dèsquepossible.

Aumoinsétait-ilenmesuredeluioffrircettemaigreconsolation.

— Le jeton de Léo étantmaintenant enma possession, cela ne va pas arrangermesrapportsavecBellamy.Ilestplusquejamaisprimordialquejelesréunisse,Ashworthetlui,pourmettreleschosesauclair.

Ellefixaletapis.Elleétaitdetouteévidenceécarteléeentreledésirderevoirsoncottageetceluideserebeller.

Spencerconnaissaitnéanmoinssafaiblesse,celledontJackavaitdûsisouventtirerparti.

—Amelia,jevaisavoirbesoindevotreaide.

Les épaules de la jeune femme s’affaissèrent aussitôt. Sapristi, c'était si facile qu'il sesentitpresquecoupable.Ameliavivaitpourserendreutileàsonentourage.Aupointqu'ellesacrifierait volontiers sonbonheurpour assurer celuides autres.C'étaitmesquind'en tireravantage,maisc'étaitsoitcela,soitlaperdrecomplètement...

Elles'essuyalesyeuxavecledosdelamain.

—Jacknevousapasdit?Briarbankadéjàétélouépourl'été.Vousallezdevoirrevoirvosprojets.

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—Non.

Ellefronçalessourcils.

—Commentcela?

—Je...

Ilsoupira.Merveilleux!Voilàqu'ilallaitdevoirluimentir.Ilabhorraitlemensonge,maiss'il lui disait la véritémaintenant, elle ne comprendrait pas.Elle avait déjà si peud'estimepourlui.

—Jeleurferaiunemeilleureoffre,finit-ilpardire.Voussouhaiteztoujoursapprendreàmonteràcheval?

Cequirevenaitàluidemandersiellevoulaittoujourspasserdutempsaveclui.

Ellesecoualatête.

—Puisquenousdevonspartirdèsquepossible,jevaisêtretrèsoccupée.Jeferaismieuxdecommenceràrédigerdeslettresdèsmaintenant,ajouta-t-elleentournantlesyeuxverslaporte.

Elledemeurapourtantimmobile,commesielleattendaitqu'ilparle.Ilavaitl’impressiondesubirunorald’examen,luiquiavaitpassésajeunesseàlesredouter.Ilnesavaitjamaiscequ’ilfallaitdire.

—Amelia,soupira-t-il,sivousnesouhaitezplusvivreavecmoiaprèsm’avoirdonnéunfils,j’honoreraimaparole.

Cette idée le rebutait,mais il lui restaitencorequasiment touteuneannéepour la fairechangerd’avis.

— Je vous donnerai alors accès à l’intégralité de vos fonds en fidéicommis et vousachèteraiunedemeureàvotrenom.

Sabouchesemitàtrembler.Ellesemorditlalèvreinférieure.

Quelimbécile!Ilauraitvraimentmieuxfaitdesetaire.

C’était une chaude journée d’été, mais il eut l’impression qu’un courant d’air glacialtraversaitlapièce.

— Oui,répondit-elleenévitantsonregard.C’était lemarché,n'est-cepas?Jen’auraisjamaisdûenattendreplus.

—Jevoulaissimplement...

Bonsang!Commentlasituationavait-ellepuvireraucauchemarensipeudetemps?Cematin encore, ils étaient à l’orée de quelque chose de merveilleux. Ils étaient proches.Complices.Intimes.Àprésent,unmurinfranchissablelesséparait.

—Amelia,toutcequejeveux,c’estquevoussoyezheureuse.

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—Oh,jeleserai!assura-t-elleenrelevantlementon.JeseraibientôtàBriarbankpourypréparerunepartiedecampagne.Biensûrquejeseraiheureuse,ajouta-t-elleenaffichantunsourirecontrainttandisquellesedirigeaitverslaporte.L'affaireétantréglée,sivousvoulezbienm'excuser,j'ailemenud'undîneràplanifier.

16.

Lessemainesdéfilèrentàtouteallure.AmeliapassaitlamajeurepartiedelajournéeavecMmeBodkin,avecquielleréglaitlesproblèmesd’intendance.L'après-midi,elleconsacraitunpeudetempsàsacorrespondance,puistrouvaitparfoisuneheureoudeuxpoursepromenerdansleparcetlesjardinsdeBraxtonHall.

La nuit venue, elle gagnait le lit de Spencer. Ils se parlaient peu, que ce soit dans lachambreouendehors.Leurunionressemblaitàs'yméprendreàunmariagedeconvenance.

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Finies les parties de cartes, les discussions littéraires. Finies les disputes et les momentsd'émotion.Ilsvivaientséparémentdurantlejour,partageaientlemêmelitdurantlanuit,etaffichaientunedistancepolie.Lesnon-ditsqui s’étaientaccumulésau fildes joursavaientfiniparformerunimposantmurdeprotectionautourducœurd’Amelia.

Carelleavaitbesoindepréserversoncœur,dumoinscequ’ilenrestait.Elleavaitcommisl’erreurde ledéposerauxpiedsdeSpenceraprèsunenuitdepassionsuivied’unematinéeidyllique,etill’avaitpiétiné.S'iltenaituntantsoitpeuàelle,commentpouvait-illaforceràcouper les ponts avec son frère ? C'était un véritable mystère pour elle, et Spencer nesemblaitpasenclinàs'expliquer.

Ilnerestaitdoncplusquelesilence.

Claudiaétaitplusdistantequejamais.Saprésenceauxrepasétaitimprévisible,demêmeque son humeur. Elle avait repoussé toutes les tentatives d'approche d'Amelia, aussi cettedernière avait-elle baissé les bras. Tôt ou tard, la jeune fille finirait par changer d’attitude,maisenattendant,Ameliaavaitdesproblèmesplusurgentsàrégler.Rédigerdesinvitations,parexemple,ouenvoyerdupersonnelàBriarbankavecunelistedetâchesàaccompliretunemontagnedelingepropre.

Elleétaittellementoccupéequelejourdudépartlapritparsurprise.Aulieud’emprunterle trajet le plus long, par Londres, Spencer avait choisi de piquer directement à l’ouest,jusqu’à Oxford, pour rejoindre ensuite Gloucester. Mais les routes étant plus étroites etmoinsbienentretenues,AmeliaetClaudiafurentballottéesd’unboutàl’autredutrajet,etlabassinepassasansrépitdel’uneàl’autre.

Au matin de la troisième journée, tandis qu’ils pénétraient dans l’Oxfordshire, Ameliaretrouvaunpeudevigueur.Elleavaitécritàunecousineéloignée,quise faisaitdésormaisappeler lady Grantham, pour arranger une halte à Grantham Lodge. Amelia n’était pasparticulièrementprochedeVenetia,qu’elleneportaitpasspécialementdanssoncœur.Maiscelle-ci avait un goût prononcé pour la noblesse, aussi Amelia espérait-elle recevoir bonaccueil.

Le soleil était encore haut dans le ciel quand Grantham Lodge fut en vue. C’était unmanoir d’apparence chaleureuse, et d’architecture assezmoderne. Sir Russell avait l’air des’en sortir plutôt bien, songea Amelia. Cela dit, les Grantham avaient toujours été trèsambitieux.

Lorsque Amelia et Claudia descendirent de voiture, sir Russell et lady Grantham setenaientprêtsàlesaccueillir.Vêtued’unerobedesoieabricot,Venetiaarboraitcesourireàpeine esquissé dont Amelia avait gardé le souvenir. Sa cousine avait une théorie sur lessourires trop largesquiprovoquaientdes ridesprématurées.Pour sapart,Ameliapréféraitmillefoisavoirl’airflétrietheureusequelisseetmomifiée.

—Amelia,machèreenfant,celafaittellementlongtemps!

D’après les calculs d’Amelia, cela faisait à peine deuxmois. Elle étreignit cependant sacousineetacceptaqu'ellel’embrassesurlajoue.

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— Oh,mais jedois t’appelermiladydorénavant,n’est-cepas? s'écriaVenetiaavecunpetitrire.

—Biensûrquenon,larassuraAmelia.Noussommesenfamille.

Mais elle ne put s’empêcher de se demander si lady Grantham ne s’était pas trompéevolontairement.Était-ellevouéeàn’êtrejamaisconsidéréecommeunevéritableduchesse?Àpasserencoreettoujourspourunecousinedésargentéeouunedamedecompagnie?

Elle leurprésentaClaudia,dont lapâleurservitdeprétexteàdemeurersursonquant-à-soi.Spencerlesrejoignitaprèsavoirconfiésamontureàunvaletd’écurie.

— Milord, lesalualadyGranthamenplongeantdansunegracieuserévérence,c’estunhonneurdevousaccueilliràGranthamLodge.

Personne ne prenait jamais Spencer pour moins qu’un duc. A raison. Il étaitimpressionnant,commetoujours.Grand,beau,noble,etencoreplusséduisantquandilavaitpassélajournéeàchevaucherausoleil.Ilsecomportadumieuxqu’ilput.Autrementdit, ilhochabrièvementlatêteets’abstintdetoutcommentairedésagréable.

—Jevousenprie,entrez,fitsirRussell,quieutdumalàrefrénersonenthousiasme.

Venetiaglissalebrassousceluid’Ameliatandisqu’ellesemboîtaientlepasauxhommes.

— C'est tellementbonde terevoir,machère.Lorsquenousavonsappris tonmariage,nousavonsététerriblementdéçusdenepaspouvoiryassister.J'imaginequetuasdûl’êtreégalement,toiquiavaisattenducejoursilongtemps.Maisvousêteslàaujourd’hui,ettoutlemondeestravidevousrecevoir.

—Toutlemonde?répétaAmeliacommeellesfranchissaientleseuil.

Enguisederéponse,ladyVenetiaindiqualehalld’unlargegeste.Ameliaouvritdegrandsyeux.

Ildevaityavoirlàaumoinslamoitiédel’Oxfordshire.

Unesalved’applaudissementsretentit.Justeciel !Ameliareconnutquelquespersonnes,maisils’agissaitsansdoutepourlaplupartdemembresdelanoblesselocale,attirésparlapromessederencontrerunducetuneduchesse.

Elle croisa le regarddeClaudia.Celle-cidéglutit à grand-peine ; elle avait l’air vraimentmalade.

Spencer,quantàlui,jetasurlegroupeunregarddédaigneux.

— N'est-ce pasmerveilleux ?murmura Venetia. Tu as peut-être été privée de bal defiançailles etd'un repasdenoces,mais ilne faut jamaisdésespérer.LadyGranthamest là.Unesoiréedefestivitésvousattend:dîner,musique,danse,toutestprévu.

—Comme...c'estgentil,balbutiaAmeliaenlaissantsacousinel'entraîneraucentredelapièce.

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Elle s'efforçadegarderClaudiaprèsd'elle.Faceà cettehorde, la jeune filleavaitbesoind'êtreprotégée.

—Nousallonsmaintenantprocéderauxprésentations,annonçaVenetia.

Du coin de l'œil, Amelia vit sir Russell administrer une tape amicale dans le dos deSpencer. Les présentations commencèrent. Et se poursuivirent. Et s'éternisèrent. Ameliaaffichaunsourireaffableetsaluachaleureusementchaquepersonnesansdistinction,toutengardantunœilsurSpencer,quin'appréciaitvisiblementpaslafamiliaritédesirRussell.Aumilieudubrouhaha,ellen’entendaitpascequ'ildisait,maisilfaisaitgrisemine.Ellepoussaun soupir. Si ce genre de rassemblement ne lui plaisait pas, ne pouvait-il au moins fairel’effortdenepaslemontrer?

Alors que lady Grantham l'entraînait vers un autre groupe, Amelia vit un vieillard degrandetailles'approcherdeSpencer.AprèsquesirRusselleutfait lesprésentations,levieilhommesecourbaendeux,commeonlefaisaitautrefoisàlacour.Ilnes’étaitpasredresséqueSpencertournaitlestalonsets’éloignait.

Ameliaétait follederage.Sonmarivenait-ild’abandonnercevieuxgentlemanenpleinerévérence?C’était le comblede lagrossièreté.Sansoublierqu’ils étaient les invitésde sescousins...Cetteindifférenceàl’égarddesafamilleétaitinsupportable.

Unmurmuredeconsternationparcourutl’assemblée.Amelianesavaitplusoùsemettre.

— Lady Grantham, vous voudrez bien m’excuser ? murmura-t-elle. Je viens de merappelerqu’il y aunpaquetparmimes affairesqui requiert un soin toutparticulier. Jeneserai pas longue. Entre-temps, pourriez-vous présenter votre fille à Claudia ? ajouta-t-elleavantqueladyGranthampuisseriposter.

Laissant Claudia entre les mains de sa cousine, Amelia se précipita vers la porte parlaquelleSpenceravaitdisparu.Ne levoyantnullepart, ellepritàgaucheet remonta l’alléemenantauxécuries.

Ellen’avaitpasfaitvingtpasqu’unsonétranglélafits’arrêter.Celavenaitdujardin.

—Spencer,est-cevous?

Sapristi!Ilsavaitqu’ilauraitdûs’éloignerdavantagedelamaison.

Iltiraviolemmentsursacravatepourdesserrercefichunœud,puisseraclalagorge.

— J’avaisbesoind’unpeud’air,dit-il ens’efforçantd’apparaîtrecalme.Onétouffaitàl’intérieur.

—Voustrouvez?Moipas,rétorqua-t-elled’unevoixcrispée.Hormisvotreattitude,toutétaitparfaitementsupportabledanscettepièce.

Ilexhalalentementdansl’espoird’apaiserlesbattementsfrénétiquesdesoncœur.

—Vousnem’aviezpasditqu’ilyauraitunefête,Amelia.

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—Jen’étaispasaucourant.

—Vraiment?répliqua-t-ilsuruntonaccusateur.

Ils’envoulutaussitôt.

— Vraiment,articula-t-elleencroisant lesbras.Etquandbienmême?Cen’estpas lacrèmede lahautesociété londoniennequiestréunie là, jevous l’accorde,maiscesontdesgenssincèresetbienintentionnés.Qu’ont-ilsfaitpourméritervotredédain?

—Rien.

Visiblement,ellenecomprenaitpas.Aurait-ilvoululuiexpliquer,qu’iln’étaitpasenétatde le faire.Latête lui tournait. Ildoutaitdetenirsurses jambess’ilse levait.Tantdegensdans un espace aussi confiné... Sans compter qu’il avait été pris au dépourvu. Quand ilassistaitàunbalàLondres,ilpassaitlesheuresquiprécédaientàs’ypréparermentalementet physiquement. Et il avait toujours une flasque de cognac sur lui. Bon sang, que nedonnerait-ilpaspourunegorgéedecognac!

—Retournezlà-bas,fit-il.Jevousrejoinsdansuneminute.

Unpeudesolitude,voilàcedontilavaitbesoinpourrecouvrersesesprits.Encorequ’uneminutenesuffiraitpas.Illuifaudraitplutôtdesheures...

Elles’assitàcôtédeluisurlebanc.

—Vousvoussentezvraimentmal,n'est-cepas?

—Non,répondit-il,troppromptementpourêtrecrédible.

NomdeDieu!

—Voustremblez.Etvousêtesblanccommeunlinge.

—Jevaisbien.

—Spencer...

Sa voix avait changé. Elle semblait à présentmoins fâchée qu'inquiète. Il aurait encorepréféréqu'ellesefâche.Ilaimaitbienquandellesefâchait.CetteAmelia-làluiavaitd’ailleursmanquéaucoursdesdernièressemaines.

— Vous paraissez aussimal en point que la nuit du bal chez les Bunscombe.Que sepasse-t-il?Qu'est-cequinevapas?

Merveilleux ! Pourquoi avait-il fallu qu'il épouse une femme à la fois intelligente etcurieuse ? Deux choix s'offraient à lui à présent : soit il lui avouait toutmaintenant à samanière,soitillalaissaitluitirerlesversdunez,lentementmaissûrement.

— Tout va bien, dit-il en enfouissant le visage entre sesmains. Cela... arrive parfoisquandilyatropdemondeautourdemoi.Jen'aimepaslafoule.

Elleposalamainsursonépaule.

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—Vousn'aimezpaslafoule.

— En fait, je ne la supporte pas. Je ne l'ai jamais supportée. Cela me rendmalade.Physiquement.

Voilà,ill'avaitdit!C'étaitlapremièrefoisdesaviequ'illedisaitàquelqu'unàvoixhaute- iln'étaitmêmepas sûrde se l'être jamaisvraimentavouéà lui-même.Curieusement, cetaveufutsuivid'unesensationdesoulagement.Sonpoulsralentit;ilrelevalatête.Iln'avaitjamais compris pourquoi il réagissait ainsi. Il était solide, intelligent et compétent à toutpoint de vue, et cette unique faiblesse l'avait rendu fou sa vie durant. Peut-être Ameliapourrait-ellel'aideràmettreledoigtsurcequin'allaitpas.

— Si jemeprépare, j'arriveà surmontermonmalaisependantuncertain temps.Unedemi-heureaumaximum.Maissijerestepluslongtemps,oùsil’onmeprendaudépourvu...je commence à avoir des bouffées de chaleur et des vertiges ; mon cœur s'emballe. L’airs’épaissit subitement et j’étouffe. C'est comme si mon corps m’exhortait à sortir sur-le-champ.

—Cequevousfaites.

—Oui.

—Mêmesicelavousobligeàentraînerunevieillefilleimpertinentedansvotrefuite.

Ilhaussaunsourciltoutenébauchantunsourire.

— Vous l’aviezcherché.Si je suisaverti, reprit-il après s’êtreéclairci lavoix, j’arriveàsurmonterl’épreuve.Maisjem’arrangetoujourspourpartiravantqueleschosessegâtent.

—C’estdoncpourcetteraisonquevousnerestiezqueletempsd’unquadrille?Toutecettemascaradeautourdu«DucdeMinuit»...

— Ce n’était pas volontaire dema part. Je ne cherchais qu’à limiter la durée demesapparitions.Orilestplusfaciledes’esquiveraprèsledîner.Malheureusement,cettehistoireaprisdel’ampleur...

Ellepartitd’unrirelégerensecouantlatête.

—Lescomméragesquecelaaurasuscités!Lessuppositions...Toutcelapourrien.

— Non,paspourrien.Jememoquedescommérages.Cequelesgenspensentdemoim’indiffère.C’estamusant-etparfoisutile-d’êtrecraint.

Du moins, ça l’avait été jusqu’à ce que des rumeurs de meurtre viennent s’ajouter auportraitqu’onbrossaitdelui,etqu’ilperdelaconfiancedesafemmeavantmêmed’avoireuvraimentl’occasiondelagagner.

— Spencer,puisquenousensommesàrévélernossecrets, jedoisvousavouerque jesuisàl’origined’unedespiresrumeursquisoientvousconcernant.J’aidéclaréàungroupede jeunes femmes impressionnables que vous vous transformiez en hérisson les nuits depleinelune.

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Commeilluttaitpourobserverunsilenceréprobateur,elleenchaîna:

—Sicelapeutvousconsoler,jeleregrette,aujourd’hui.

—Vraiment?

—Oh,oui!C'étaituneinsulteauxhérissons.

Iléclatad'unrirerauquequiluifitunbieninfini.

—Donc,vousavezceproblèmedepuistoujours,reprit-elle.

—Duplusloinqu'ils'ensouvienne.

—Celanevousarrivepasuniquementdanslessallesdebal?

Siseulementc'étaitsisimple!

—Non.Ilsuffitqu'ilyaitdumondedansunespaceréduit.Arènes,théâtres,concerts...mariages,ajouta-t-ilenluilançantunregardentendu.

L'expressiond’Amelias’adoucit.

—Ah.Etlessallesdeclasse?

Ilhaussa les épaules.Bonsang,quel gâchis, songea-t-il soudain. Il avait sacrifié tantdechosesaufildesans.

— Jesais.Laplupartdesgenss'accommodentdetoutcelasansproblème.Croyez-moi,ceconstatmerendd’autantplusfurieux.J’ignorecequiclochechezmoi.J’aipassémavieàmesentircomme...commeunpoissonquinesauraitpasnager.

Elleluicaressadoucementlescheveuxauniveaudelatempe.

—Oh,Spencer...

— Non,coupa-t-ilenécartantsamain.Pourl’amourdeDieu,Amelia,nevousapitoyezpassurmonsort.Jepeuxtoutsupportersaufcela.C’estennuyeux,jevousl’accorde,maisjene ressenspasdemanque.Au lieud’assister àdes fêtes frivoles, j’ai développédes talentstrèsutiles.Auxcartes.Enéquitation.

—Vousavezbeaucouplu.

—Aussi.Jen'aipasàmeplaindre,jesuisheureuxainsi.

—Vraiment?dit-elled’unairdubitatif.

—Oui,répondit-ilavecsincérité.

En cet instant, il était effectivement heureux. Depuis la visite de Jack, leurs rapportsavaientététendus,c'étaitlemoinsquel’onpuissedire.Ilenavaitpresqueoubliécombienilaimait parler avec elle tout simplement. Rire avec elle. Elle avait unemanière bien à elled’exorcisersesdémons.Nonpasen les ignorantouen les transformantenchérubins,maisenleurtirantgentimentlesoreilles.Ellelesregardaitdroitdanslesyeuxaveccemélangede

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bonsensetd’humourpince-sans-rirequin’appartenaientqu’àelle.

Desbruitsdepasrésonnèrentsurlegravier.

—Quelqu'unapproche,murmura-t-elle.Nousferionsmieuxde...

Ilcapturaseslèvres.Fermementd’abord-letempsqu’elleserendecomptedecequiluiarrivait-,puisavecunedouceurempreintedetendresse.Luimaintenantlementonentrelepouce et l’index, il l’incita à entrouvrir les lèvrespour lui permettred’introduire la langue.Cettefemmeauraitméritéunelégiondesoupirants.Commentsefaisait-ilqu'ellesoitrestéeseule toutes ces années, à faire tapisserie dans les bals ? Pourquoi ne l'avait-il jamaisremarquée?

Ilétaitvraimentidiot!Maisunidiotchanceux.

Troprapidement,elles’écartadelui.

—Jecroisqu’ilssontpartis.

Ellejetaunregardpar-dessussonépauleetsesjouess’empourprèrentdélicatement.

— Vous avez réagi promptement, observa-t-elle. Vous êtes vraiment doué pourdissimulervotreproblème.Onpardonnetoutaux jeunesmariés,même lescomportementslesplusgrossiers.

— Eh bien, voilà donc la solution. Nous n’avons qu’à faire de notre existence uneperpétuellelunedemiel.

Elleéclataderirecommesic’étaitridicule.Ilauraitaiméqueçanelesoitpas.

—Franchement,Spencer,jenepeuxpasm’empêcherdemedemander...Ilyasûrementunremède.Avez-voustentéde...

—Oui.

—Maisjen'aipasfinimaphrase...

—Peuimporte.J’aitoutessayé.Rienn’amarché.Jesuisainsi,Amelia.Jemesuisfaitàcetteidéeilyadesannées.

Ellebaissalesyeux,visiblementdéçue.

—Jevois.

Contrarié, Spencer se frotta le visage. La donne avait certes changé. Il était désormaismariéetilavaitunepupille.Pouvait-ilexigerd’Ameliaqu’elleviveenrecluse?Etcommentéviter lesmondanités avec les débuts prochains de Claudia en société ? Un goût amer luiemplitlabouche.

—N’ya-t-ilrienquejepuissefaire?risqua-t-elle.

—Non.Laissez-moitranquille,c’esttout.

—Jepourraisenvoyerchercher...

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— Laissez-moi tranquille, répéta-t-il avec force.Quandcelameprend, j’ai justebesoind’êtreseul,ajouta-t-ilplusdoucement.

—Trèsbien,fit-elleenselevant.Jevouslaisse.Resteziciautantquevouslesouhaitez,jemechargedetrouveruneexcusepournoshôtes.

Surce,elleregagnalemanoird’unpasrapide.Spencerpoussaunsoupir.Ilsesentaitpluscoupablequejamais.Cesdernièresminutes,ils’étaitsentiplusproched’Ameliaqu'aucoursdesdernièressemaines,mais sonsatanéproblème l'avait rattrapéune foisdeplus.Etquoiqu'ellediseoufasse,ilferaittoujoursobstacleentreeux.Pourêtreheureuse,elleavaitbesoindecompagnie,alorsqueluinesesentaitbienquedansunerelativesolitude.

Avait-ilvraimenttouttenté?Honnêtement...non.Danssajeunesse,ilavaitcertesessayéderemédierauproblèmepardifférentsmoyens-impliquantsurtoutalcooletvolonté.Maiscequil'avaitsurtoutaiguillonné,c’étaientsesdésirségoïstesetsesbesoinsphysiques.Alleràl’école.Couriraprèslesfilles.Lafrustrationfaceàsonhandicap.

Mais iln’avaitpasencoretentédevaincresonproblèmepourAmelia.Oril luidevaitaumoinsd’essayer.

—Vousenêtessûr?

Ameliascrutalevisagedesonmaripourydécelerdessignesderéticence.

—Pourlacinquièmefois,Amelia,oui,j’ensuissûr.

—Celanevousdérangevraimentpas?

—Non.

Elleenfilasesgants.

—Nousnesommespasobligésdedescendre,voussavez.

—Oui,jelesais.

— Je vous auraisbienproposédepatienter jusqu’à ceque lamusiqueait commencé,mais ils vont sûrement nous attendre pour ouvrir le bal. Nous ne resterons que le tempsd’unedanseoudeux.Dèsquevousvoulezpartir,faites-le-moisavoir.Inutilededirequoiquecesoit.Nousn’avonsqu’àconvenird’unsignal.Vouspouvez toucher lepremierboutondevotregilet,parexemple.

—Unsignal?VousnousprenezpourdesespionsauservicedelaCouronne?Etsijemecontentaisdevousprendreàbras-le-corpsetdevousemporter?Laméthodeaplutôtbienmarchéladernièrefois.

Elleluiadressaunregardréprobateur.Cequin’étaitpasfacile,cariln’yavaitabsolumentrien à reprocher à son apparence. En dépit de sa robe de soie et de ses perles, Amelia sesentait piteuse à côté de Spencer, absolument époustouflant en costume de soirée noir etchemiseblanche.

—Inutiledemelancerceregard.Vousavezaimé,neditespaslecontraire.Pourmapart,

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j’engardeunexcellentsouvenir,ajouta-t-il,lesyeuxassombris.

Ellerougit.Leurdépart trèsremarquédubaldesBunscombe luiavaiteneffet laisséunsouvenirinoubliable.

— Cesoir,vousvouscontenterezd’unsignal,décréta-t-elle.Lebras-le-corpsserapourplustard,enprivé.

Ilséchangèrentunsourire,etelleenfuttoutetroublée.

Unchangements’étaitproduitdepuisleurtête-à-têtedanslejardin.Ils'étaitouvertàelle,luiavaitrévélésavulnérabilité,cequines’étaitpasproduitdepuisleurconversationdanslesécuriesdeBraxtonHall.Cethomme,qui avait choisi, sa viedurant,d’être incompris, avaitacceptéde lui avouer son secret.Àprésent, chaque fois que leurs regards se croisaient, unmessage silencieux passait entre eux. Ils se comportaient comme un couple, et non pluscommedeuxindividusquisetrouvaientêtremariés.

Sa soudaine franchise avait redonné espoir à Amelia. Elle était d’autant plus optimistequ’ellesavaitquelsacrificeilfaisaitenacceptantdel’assisteràcettesoirée.Soncœurétaitendanger,maisellenepouvaitserésoudreàérigerdenouveauunemurailletoutautour.Elleespérait juste qu’il reviendrait sur sa décision. Qu’il comprendrait, une fois à Briarbank, àquelpointson foyeretsa famillecomptaientpourelle -cette famillequiavait faitd’elle lapersonne qu’elle était devenue.Qu’il se rendrait compte qu’être séparée de Jack la rendaitinfinimentmalheureuse.

Spencerlaparcourutdelatêteauxpieds,etserembrunitsoudain.

Gênée,elleportalamainàsagorge.

—Quelquechosenevapas?

—Non,rien.

Mais, tandis qu’il la fixait, son froncement de sourcils s’accentua. Il semblait perplexe,commes’ils’étaitattenduàuneimagedifférentedecellequ’ilavaitdevantlesyeux.

— Comment trouvez-vousmarobe?demanda-t-elleenpivotant,dans l’espoirqu’il lacomplimente au moins sur sa tenue, ce qui lui redonnerait un peu d’assurance avant dedescendresemêlerauxinvités.

—Trèsbien,fit-ild’unairsongeur.Celadit,lebleuvousvatoujoursàravir.

Apparemment,c’étaittoutceàquoielleauraitdroitenguisedecompliment.

Nerveuse,ellejetaunderniercoupd’œilàsonrefletdanslemiroir,puisrejoignitSpencerquil’attendaitprèsdelaporte.Elles’immobilisaletempsdelisserlesreversdesaveste.

Leurs regards s’accrochèrent. Elle garda les mains à plat sur son torse. Ç’aurait été lemomentrêvépourunbaiser...Àsupposerqu’ilaitvoulul’embrasser.Danslejardin,ill’avaitgratifiéed’unbaisersidoux.

Maisaprèsl’avoirlonguementdévisagée,ilouvritlaporte.

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—Nousyallons?

La soirée se révéla moins insupportable qu’un bal londonien. Non seulement le cadrebucolique fournissait undécor plus aérémais, par la force des choses, le nombred’invitésétaitpluslimité.

Malgrétout,enpénétrantdanslamodestesallederéceptiondesGrantham,Ameliasentitlebrasdesonépouxsecrispersoussamain.Ellebrûlaitdeluimurmurerquelquesparolesencourageantes,maiselle se l’interdit, sachantquecelane feraitque l’irriterdavantage.Ladernièrechosedontilavaitenvie,c’étaitqu’onledorlote.

Évidemment, dès leur apparition, ils furent assaillis de toutesparts.Par chance,Amelias'étaitfamiliariséeavecquelques-unsdesinvitésplustôtdansl'après-midi,sibienqu’ellesechargea de faire la conversation. Et tandis qu'ils passaient d'un groupe à l'autre, et queSpencer jouait les ours mal léchés, elle s'occupait volontiers du reste. Elle demandait desnouvelles des uns, échangeait quelques mots de condoléances avec d'autres, détournaithabilement lesremarques impertinentessursonmariageprécipité,etaccueillaitavecgrâceles vœux de bonheur sincères. En se plaçant sur le devant de la scène, elle épargnait lesregardscurieuxàSpencer.

Amesurequelasoiréeavançait,elleserenditcomptequ'elleaimait l'attentionqu'onluiportait.C'étaitleurpremièreapparitionenpublicdepuisleurmariage,etelles’aperçutquecen'étaitpasriend'êtreaubrasduducdeMorland.Endépitdesonexpressionmorose,Spencern’avaitpasencoretouchéleboutonsupérieurdesongilet,pasplusqu'ilnel'avaitjetésursonépaule pour s'enfuir. Contre toute attente, la soirée se déroulait plutôt bien. Amelias'épanouissaittandisqu'elleriait,conversaitetplaisantaitentouteliberté.

Àvraidire,ellenes'étaitjamaisautantamusée.

Levant lenez au termed'unediscussion, elledécouvrit queM.Twither, un vieil amideson père, avait acculé Spencer dans un coin et l'accablait de questions portant sur lesmaréchaux-ferrants,Amelia eut alors recours àunenouvelle tactiquedediversion : le flirtéhonté.Sefaufilantverslevieillard,ellelecouvritdecompliments,puisentraînaSpenceràsasuite,laissantlevieilhommetoutrougissantetflatté.

Avantqu'unautreinvitélesapproche,elleseplaignitàvoixhautedelachaleurétouffante,puisattrapadeuxverressurleplateaud'unserviteurquipassait,ettiraSpenceràl'écart.

—Ilyaunealcôvejustelà,murmura-t-elleenfaisantminedesirotersonverre.

Illuipritl'autreverredelamain.

—Aprèsvous.

À cet instant, lesmusiciens entamèrent unquadrille, et tandis que les gens s'alignaientsurlapistededanse,SpenceretAmeliaseglissèrentderrièreleparavent.

L’espaceétaitengrandepartieoccupéparunpalmierenpot.

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Spencervidasonverred’untrait,fitlagrimace.

—Alors?demanda-t-elleprudemment,scrutantsestraitspourydécelerlessignesd'unmalaise.

—Cetrucestinfect,déclara-t-ilenposantleverre.Etjeneparlepasdesmusiciens.

—Certes,maiscommentvoussentez-vous?JesuisnavréepourM.Twither.Iln'estpasméchant,maisune foisqu'il vousamis legrappindessus, ilnevous lâcheplus.Oh,et lesjumellesWexler!Quelleseffrontées!Ai-jerêvéouFloravousabeletbienpincélesfesses?

Ilneréponditpas,mais l'undesessi raressourirescanailles luiretroussa les lèvres.Laliqueuraidant,ellesentitunedoucechaleurserépandreenelle.

—Vousvousamusez,fit-ilremarquer.

—Eneffet.Jesaisquevousdétestezcegenred'événement,etquec'estsansdoutepourvouslasoiréelapluséprouvantequel'onpuisseimaginer...

—Oh,jen’iraispasjusque-là!

Quelqu’unheurtaleparavent,desortequ’ellesursauta.Spencerglissalebrasautourdesataillepourl’attirerenarrière.Ellepivotaetseretrouvafaceàlui,samainreposantàlabasedesacolonnevertébrale.Soudainaussitroubléequ’unejouvencelle,ellefixaleregardsursacravate.

—Alors,vousvousamusez?risqua-t-elle.

—Maintenant,oui.

—Vousm’avez...

«Tais-toi, espèced'idiote, s'ordonna-t-elle. Il est là pour toi. Jamais tun'aurais cruquecelasepasseraitaussibien.Alors,negâchepastout.»

—Oui?l'encouragea-t-ilenluicaressantmachinalementlecreuxdesreins.

Elleseforçaàleregarderdroitdanslesyeux.Laliqueuravaitdûluidonnerdel’audace.Oularendrestupide.Lesdeux,vraisemblablement.

—Vousm’avezregardésibizarrementtoutaulongdelasoirée.Enfait,jecrainsdevousavoirdéçu.

Son léger froncement de sourcils laissa la place à une expression d’une sévéritéimpénétrable.

Amelia se mit alors à débiter un flot de niaiseries, de propos irrationnels quoiquedouloureusementvrais.

— Vousêtessiséduisant.C’enestpresqueridicule.Jenesuispasassezbienpourêtrevotreduchesse.Etmêmesivousvousmoquezdel’opiniondesautres,moipas.Jen’ypeuxrien.Enfait,j’attachebeaucouptropd’importance,jelecrains,àcequevouspensez,alors...

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—Chut,l’interrompit-ilenposantl’indexsurseslèvres.

Maisiln’ajoutarien.Nesavait-ilpascequel’onrépondaitdanscegenredesituation?

«Mentez.Dites-moiquejesuisjolie, jefeindraidevouscroire,etnousoublieronscetteconversation»,l’implora-t-elleensilence.

Ilinclinalatêteendirectiondelasalleetseslèvresarticulèrent:«Écoutez.»

—C’estbienjouédelapartdeladyGrantham,disaitunematronederrièreleparavent.Apparemment,ils’agitdeleurpremièreapparitionpubliquedepuisleurmariage.

— Àprésent, répondit soncompagnond’un tonbourru,vousn’avezplusde raisondevousdemanderquelssontles«véritables»motifsdecemariage.

—Visiblement,c’estunmariaged’amour.Maisjen’enaijamaisdouté.

Soncompagnonlaissaéchapperunreniflementdubitatif.

— Je vous assure, protesta lamatrone. Amelia a toujours été une charmante enfant,maisvousadmettrezquelemariageluiréussit.Quantauduc,ils’estcomplètemententichéd’elle,celasauteauxyeux.Ilnelaquittepasd’unesemelle.

Ameliafaillitéclaterderire.Spencerplaqualamainsursabouche.

—Certes,elleadesatoutsindéniables,concédalecompagnondelamatrone.N’importequelhommevousledirait.D’autantqu’ellelesexhibe.

Ameliaécarquillalesyeux.Spencerjetauncoupd’œilàsesseins.

L’hommebaissalavoixpourajouter:

—Àlaplaceduduc,moinonplus,jenelalâcheraispasd’unesemelle.Sielleoseflirteravectantd’effronteriesoussesyeux, imaginezunpeudequoielleestcapablequandila ledostourné.

—Oh,neditespasn’importequoi!s’écriasoninterlocutrice.Amelian’estpascegenrede femme.Et s’ils sontcollés l’unà l’autre, jenevoispasoùest lemal.Ce sontde jeunesmariés,aprèstout.

Les épaules d’Amelia étaient secouées de tremblements tant elle avait envie de rire.Spencerlafustigeaduregard,etelles’efforçadesecalmer.Sanssuccès.Ellepouffadanssamain,pleurantderire, les joues inondéesde larmes.Finalement, l’orchestreattaquaunairplusallègre,etlecouples’éloigna.

Ellenepouvaitpluss’arrêterderire.Carsielles’arrêtait,ceseraitcommesielleprenaitausérieuxlesproposqu’ilsvenaientdesurprendre.Elleseraitensuitecontrainted’avoueràquelpointelleauraitaiméqu’ilslesoient.Etellefiniraitparfondreenlarmes.

Au bout d’unmoment, Spencer l’interrogea du regard pour savoir s’il pouvait retirer samain.

Ellehochalatête.

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—Justeciel!s'exclama-t-elleenessuyantseslarmes.Désolée,c’étaittrop...

Ellehoquetaderire.

—Imaginezs’ilssavaient...

—S’ilssavaientquoi?

Cettefois,ilneposapasledoigtsurseslèvresmaissursajoue.Ilorientasonvisageverslui.

—Lavérité?poursuivit-il.

Soudain,ellen’eutplusdutoutenviederire.C’étaitàpeinesiellerespirait.

— Amelia,murmura-t-il, je ne crois pas que vous reconnaîtriez la vérité si elle vouspinçaitlesfesses.

Il écrasaunbaiser sur son front.Ellen’aurait sudire cequ’il signifiaitnimême s'il luiplaisait.

—Voilàcequenousallonsfaire,enchaîna-t-il.Àlafindecettedanse,nousallonssortirdiscrètement de cette alcôve et nous séparer. Je vais inviter l'une des jumelles à la mainbaladeuseàdanser,aunomdesbonnesmanières.Avecdelachance,ceseraFlora.

Ameliaréprimaunrire.Illuieffleuralajoueduboutdesdoigts.

— Ensuite, continua-t-il, jem’éclipserai pour trouver un peu de calme et de cognac.Personne ne s’en apercevra. Je reviendrai vous chercher dans une heure. Entre-temps,profitezdechaqueminute,dansez,amusez-vous.

—Mais...

—Nediscutezpas.Contentez-vousdevousamuser.

Sansluilaisserletempsd’objecter,ilavaitdisparu.

Deuxsecondesàpeines’étaientécoulées,etilluimanquaitdéjà.

Sonverrede liqueurétaitàmoitiéplein.Après l’avoirvidéd’un trait,elle tamponnasesjoueshumides,puis se glissahorsde sa cachette.Elle sepréparaàpasser l’heure suivantesanssonaccessoireleplusclinquantaubras-àsavoir,leduc.Uneheureagréable,sansplus.Àdiscuteraveclesdamessurleborddelapistededanse.ÀêtresimplementAmelia.

Autrementditàfairetapisserie.

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17.

Safemmeétaitlareinedelasoirée.

De son recoin sombre surplombant la sallede réception,Spencer sirotait son cognac enobservantAmeliaquidansait lequadrille écossaisavec sonquatrièmecavalierde la soirée.Elle sautillait allègrement, un sourire radieux aux lèvres. Lorsqu’elle eut regagné sa placedanslaligne,elleéchangeaunebrèveremarqueavecsavoisine,etlesdanseursprésentsdanssoncercleimmédiatéclatèrentderire.Touteslesoreillesétaienttenduesverselle.Touslesyeuxétaientrivéssurelle-etsurlarobedesoiebleucobaltquimettaitenvaleursescourbesgénéreuses,etlebleuétincelantdesesyeux.

Certes,elleétaitdésormaisduchesse,et,d’unecertainemanière, lafascinationcollectivequ’elle exerçait ce soir sur l’assemblée n’était pas sans rapport avec sa nouvelle positionsociale.Maisletitreseuln’auraitpassuffiàlescaptiveràcepoint.C’étaittoutsimplementlecharme d’Amelia qui opérait. Elle était ouverte et sociable. Vive et enthousiaste. Etterriblement séduisante. C’en était fini de la célibataire quelconque et effacée. Ce soir, laquintessencedesonêtres’était libéréeetpétillaitcommeunchampagnegrandcru.Tout lemondesedisputaitsonattention,pourrireavecelleousimplementgoûteràsoncharme.

Spencer y était plus sensible que quiconque. Savourer un cognac en solitaire était sanscontestel’undesesgrandsplaisirs.Sansoublierqu’ilavaituneréputationdemisanthropeàpréserver. Seulement, il n'avait pas éprouvé le besoin physique de partir. Il n’avait pasressenti le moindre vertige ni la moindre migraine. En fait, c’est à peine s'il avait prêtéattentionàlafoule.

Commetoutlemonde,iln’avaiteud’yeuxquepoursonépouse.

—Quefais-tulà?demandaunevoixdanssondos.

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Ilpivota.

—Jeteretournelaquestion.

—J’observelafête.Commetoi.

Claudialerejoignitprèsdelabalustrade.Ensemble,ilsobservèrentlesdanseursévoluantsurlapiste.

—JesuislassedeBeaGrantham,lâchasapupille.Elleestvraimentsotte.

—Jecroyaisquevousaviezlemêmeâge.

— L’âge ne fait pas tout, rétorqua-t-elle en appuyant le coude sur la balustrade, lementondanslamain.Ameliaestjoliecesoir,ajouta-t-elled’unairplutôtsurpris.

—Eneffet.

Lesoirdeleurrencontre,luieût-ondemandédebrosserunportraitd’Ameliad’Orsayqu’ill’aurait décrite comme une jeune femme quelconque. Banale dans lemeilleur des cas. Lelendemain matin, il en était venu à la trouver passable, voire jolie selon la lumière. Enrevanche,sensuellementparlant,ill’avaittoujourstrouvéeattirante.

Mais quand elle était entrée dans leurs appartements, un peu plus tôt, vêtue de cetterobe...BonDieu ! Il avait eu l’impressionde recevoirundirectà l’estomac.Soncœuravaitbégayé un instant, puis une douleur s’était logée dans sa poitrine. Il s’était brusquementrendu compte que sa femme était l’une des plus belles qu’il ait jamais vue. Quand cerevirements’était-ilproduit?Ilavaitpassélasoiréeàsedemandersilechangementvenaitd’elleoudelui.

Àprésent,ilavaitsaréponse.Ilvenaitd'elle.Ellen'avaitpaschangéàproprementparler,elles'étaitrévélée.

—Elleadusuccèsauprèsdesgentlemen,commentaClaudiad'untontaquin.Jedevraispeut-êtreluidemanderdesconseils.

Ilressentitcommeunmalaise.Depuisqu’AmeliaavaitsuggéréqueClaudiapuisseenviersonmariage, ilétaitgênéenprésencedesapupille.Bienqu'ildoutâtdela justessedecettesupposition,ilpréféraitneriendemandertantilcraignaitlaréponse.Demanièregénérale,ilnesavaitpluscommentcommuniqueravecClaudia.Iln'avaitjamaisétéexpertenlamatière,certes,mais,cestempsderniers,elles'étaitmontréeparticulièrementirritableetdifficile.Ildétestaitlavoirgrandirets’éloignerdelui.

—Tudevraisêtreaulitdepuislongtemps,luidit-il.

Ellepoussaunsoupirexagéré.

—Tuasl’intentiondemetraitercommeunepetitefillejusqu’àlafindemesjours?

—Oui.C’estàcelaquesertuntuteur.Bonnenuit,conclut-ilfaceàlamineboudeusedesapupille.

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Une fois celle-ci partie, il pivota de nouveau vers la salle. Il n’eut aucunmal à repérerAmelia.Illuisuffitdechercherl’attroupementdemâlesaveclalanguependante.

Iln’étaitpassonseuladmirateur,etcetteidéeneleréjouissaitpas.Sihumiliantcelafût-ildel’admettre,ilaimaitàpenserqu’ilétaitcequ’elleauraitpuespérerdemieuxentermesdemari.Quemêmes’ilavaittendanceàtoutgâcher,ilnerisquaitpasdelaperdreauprofitd’unautre.

Il avala une autre gorgée de cognac. Ce soir, il se faisait du souci. Beaucoup de souci.Derrièreleparavent,elleluiavaitjetéunregarddubitatif.Neserendait-elledoncpascomptedecequ’ellesignifiaitpour lui?Bonsang!N'assistait-ilpasàunbalencemomentmêmepoursesbeauxyeux?Dansl'Oxfordshire.Cesdétailsauraientdûluimettrelapuceàl'oreille.

Apparemmentnon.Ilallaitdevoirluiexpliquerdeuxoutroischoses.Etpourunhommequis'étaitjurédenejamaisavoiràsejustifierauprèsdepersonne...

Ilétaitplutôtimpatientdelefaire.

Il regagna la salle de bal à l'instant où l'orchestre entonnait la premièremesure d'unevalse.Ameliaavaitdéjàuncavalier-ungentleman-farmerdontilavaitoubliélenom-,maisilfeignitdel'ignorer.

—Jecroisquecettedansem'estréservée,fit-ilentendantlamainàsafemme.

Celle-ci lui lança un regard réprobateur,mais le gentleman s'était déjà incliné. Spencerenlaçasafemmeetl'entraînasurlapistededanse.

—Ilestdéjàminuit?letaquina-t-elle.

—Quasiment,répondit-ilenlafaisanttournoyer.Vousm'avezposéunequestiontoutàl'heureetjevousdoisuneréponse.

—Oh,mais...cen'estpaslapeine!balbutia-t-elle.J'aiétésottede...

—Vousdisiezquejevousavaisregardéebizarrementtoutelasoirée.

—Ehbien...unpetitpeu.

— Vousaviezraison.Jevousairegardée,commetousleshommesiciprésents.Nemeditespasquevousn'avezrienremarqué.

—C'estl'attraitdelanouveauté,riendeplus.

—Lanouveauté?Vraiment?fit-ilenjetantuncoupd'œilàsondécolleté.

Elles'empourpra.

— J'imagine qu'une femme se sent plus sûre d'elle quand elle porte une robe biencoupée.

— Si vous voulezmon avis, cela n'a aucun rapport avec votre robe, ou l'attrait de lanouveauté.Ilssontattirésparvous,toutsimplement.Vouscherchiezàvousfaireremarquer,cesoir.Badinant,dansantetriantavectousleshommesquevouscroisiez.Etvousaimezêtre

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aucentredel'attention,neleniezpas.

—Trèsbien,jenelenieraipas.Vousêtesfâché?demanda-t-elle,l’airsoudaininquiet.

Excellentequestion.Ilsel'étaitjustementposée.Maisiln'avaitpasprévud'yrépondreici.

—Ilfautquenoussortions,dit-il.Immédiatement.

Elleécarquillalesyeux,alarmée.

—Oh,biensûr!acquiesça-t-elleaussitôt.Pouvez-vousattendrelafindelavalse?Nousnousferionsmoinsremarquer...

—Immédiatement,s'entêta-t-ilens’immobilisantabruptement

— Trèsbien.Partezdevant, je vous rejoins.Le tempsdenous excuser auprèsde ladyGrantham.

—Jevousemmèneavecmoi.

—Maisjedois...

Diantre, cesserait-elle un jour de contester ses décisions ? Avec un soupir impatient,Spencerplaquaunbrasdanssondos,etsebaissapourglisserl'autresoussesgenoux.Etlasoulevadanssesbras.Ellelaissaéchapperunpetitcrihaletantquiluiéchauffalessangs.

Autourd'eux,touslescouplescessèrentdedanser.

—Nouspartons.Ensemble.Maintenant,fit-ilenréprimantunsourire.

Cethommeétaitunrustre.

Amelialelisaitsurlevisagedesinvités.Car,évidemment,touslesregardsétaientbraquéssureux.Lesgensparaissaientàlafoischoquésetamusés.C'étaitprécisémentdansl'espoird'assister à ce genre de spectacle qu’ils étaient venus. Elle eut pitié de la pauvre ladyGrantham. Avec l’agitation causée par leur départ précipité, la soirée risquait de s’acheverplustôtqueprévu.

Lesinvitéss'empresseraientdefilerpourdiscuterdel'incidententreeux,avantd'enparlerautourd'eux.Enquelquesheures,laréputationdesauvagedeSpencerseraitfaite.Bravo!

Lorsqu’ils passèrent devant une lady Grantham bouche bée, Amelia tenta de prendrecongé.

—Mercimillefoispourcettecharmantesoirée.Nousnousverronsaupetit-déjeuner.

Spencerresserrasonétreinte.

— Ne faitespasdepromessesquevousnepourrezpas tenir,dit-il, suffisamment fortpourquetoutlemondel'entende.

Amelianeputs’empêcherderire.

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Elles’attendaitqu’illareposesurlesolaupieddel’escalier.Aprèstout,s'ilavaitdûsortirdetouteurgence,c'estqu'ilnesesentaitpasbien.

— Franchement,murmura-t-elle comme il commençait à gravir lesmarches, je peuxmarcher.

Ilaccéléral'allureenguisederéponse,etAmelian'insistapas.

Unefoisparvenusdevantleursappartements,illaremitsursespieds.Etlorsqu’ilsfurentdansleurchambre,iltraversalapièceàgrandesenjambéestoutentirantsursacravate.

Pour luidonner le tempsdese ressaisir,Amelia sedirigeavers la coiffeuseet retira sesgants.Elledégrafaensuitelefermoirdesonbraceletqu’elleposasurunplateau.

— Mercipour ce soir, dit-elled’un tonposé enobservant le refletdeSpencerdans lemiroir.

Ilsedébarrassadesaredingoteetlajetadecôté.

—Jesaisquelleépreuvecelaadûêtrepourvouscontinua-t-elle.

—Vraiment?

Il s'approcha et s’immobilisaderrière elle. Leurs yeux se croisèrentdans lemiroirde lacoiffeuse.Lesienétaitsombreetintense.

Embarrassée,Amelias'apprêtaàôtersesbouclesd’oreilles.

—Gardez-les.

Surprisepar le timbreautoritairede sa voix, elle se figea et scruta le refletde sonmaridanslaglace.Iln’avaitpasl’airmaladedutout.Aucontraire,ilirradiaitvigueuretvirilité.Àvraidire,c’étaitellequifrissonnaitettranspirait.

— Gardezvosperles,répéta-t-ilen laprenantpar leshanches.Jeveuxquevoussoyezexactementcommedanslasalledebal.

Ellelaissaretombersesmains,lesposaàplatsurlacoiffeuse.

— Voilà, fit-ild’unevoix rauque.Offrez-moiunevueplongeantesurcequevousavezmontréauxautreshommestoutelasoirée.

Il tiraseshanchesenarrièred’ungestebrusque.Danscetteposition,sonpoidsreposaitsursesbrasetsapoitrineétaitprojetéeenavant.

Illuicaressaleshanchesetlacrouped’ungestepossessif.

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— Avez-vous vraiment idée de l’épreuve que ç’a été pourmoi d’observer de loinmafemmeentraindedanseretdeflirteravectousleshommesprésents?

«Naturellement, eut-elle envie de lui rétorquer. Je sais ce que l’on éprouve à se sentirinvisibletandisquevousaccaparezl’attentiondetouteslesfemmes.»

Ellesedemandasoudainsiellenes’étaitpasamuséeenpartieparespritdevengeance.

—Dites-moicequevousavezressenti?demanda-t-ellepourleprovoquer.

Ilcapturasonregarddanslaglacetandisquesesmainssepermettaientdesprivautés.

— Si je vous disais que cela m’a rendu incroyablement fier, ce ne serait pas unmensonge.Maisceneseraitpasnonplusl’entièrevérité.

Sesjupesremontèrentjusqu’aucreuxdesesgenoux.

—Envérité...celam'aaussirendufurieux,ajouta-t-il.

Sesdoigtsremontèrentàl'intérieurdesacuissejusqu’àsonsexe,qu’ilcaressa.Elleétaitdéjàprêteàlerecevoir,etcettedécouverteleurarrachaungémissementétouffé.

—J’aieuenviedevousdonnerunepetiteleçon.

Il lui écarta brusquement les jambes et se campa entre elles.Un frisson d’excitation laparcourut. Le souffle de Spencer s'accéléra tandis qu’il lui retroussait ses jupes jusqu'à latailletoutendéboutonnantsonpantalon.

Quelquessecondesplustard,elle lesentità l'oréedesoncorps.Soncorpsquibrûlaitdel'accueillir.

Illapénétrasibrutalementquelacoiffeusevibra.Surpriseparlaviolencedel’assaut,ellese raidit,mais il ne lui accorda aucun répit. Il se retira lentement, presque complètement,avantdes’enfoncerdenouveaujusqu’àlagarde.

—Vousêtesàmoi,fit-ilenl’empoignantauxhanches.Àmoi.

Ill’emplissaittoute,àprésent,etplusrienn’existaitquesonsexedurenelle.

Luisoulevant lebassin, ilcommençaàalleretveniràunecadenceeffrénée.Lebraceletd’Amelia cliquetait sur son plateau! Dans le miroir, ses seins tressautaient en rythme,menaçantdejaillirdesarobeàtoutmoment.Commesescoupsdereinsgagnaientenforce,lapointedresséed’unseinapparutauborddesondécolleté.

Etenelle...Oh,Seigneur!Ilatteignaitdesendroitsdontelleignoraitjusqu’àl’existence.Un nœud de volupté durcit dans son ventre, intense et instable. L’explosion semblaitinéluctable.Ses forces l’abandonnèrent,etellesepenchaenavant,pliant lesavant-bras.Cechangementdeposition lui valut un grognement approbateurde Spencer, qui augmenta lacadencedesesva-et-vient.

—Spencer,haleta-t-elleavantd'appuyerlefrontsursonavant-bras.

—Non,fit-ilet,glissantlesdoigtsdanssachevelure,illaforçaàreleverlatête.

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La brutalité de son geste envoya une déferlante de frissons à la fois agréables etdouloureuxdanstoutsoncorps.

—Regardez-vous,ordonna-t-il.N'importequelhommepeutvousvoirtellequevousétiezdanslasalledebal.Spirituelle.Désirable.Charmante.Élégante,énuméra-t-il,accompagnantchaquequalificatifd’uncoupdereins.Maisc'estmaintenantquevousêtes laplusbelle.Etcettebeautém'estréservée,àmoietàmoiseul.Vousm'entendez?

Elle n'aurait pas cru cela possible, mais ses mouvements redoublèrent de vigueur. Unflacond'eaudeColognetombaetsebrisasurlesol.

—Àmoi,répéta-t-ilenplongeantenelle.

Ellecontemplasonreflet,hypnotisée.Elleavaitlesjouesenfeu,leslèvresgonflées.Elleplongea le regarddans le saphir de ses propres yeux tandis qu'elle s'élevait peu à peu versl'extase.Ilavaitraison:ilyavaitdelabeautédanscevisage.

—Oui.Oh,Spencer.Oui.

Elle ferma les yeux comme la jouissance explosait en elle, puissante, brutale, aussidévastatrice qu'une éruption volcanique tandis qu'il continuait d'aller et venir en elle sansrelâche.

Lorsque la vague voluptueuse reflua, elle sentit seproduireun changement en lui - sesmouvements avaient perdude leur fluidité, lui indiquant qu'il avait passé le point de non-retour.

Ellerouvritlesyeuxetl'observadanslemiroir: ilavaitlesmâchoirescrispées,lestraitsempreintsd'unetensionpresquedouloureuse.Ilfermalespaupièresetarqualecou.

Uncrirauqueluiéchappacommeildéversaitsasemenceenelleàgrandstraitsbrûlants,lesdoigtsenfoncésdanslachairdeseshanches.Elleauraitsansdoutedesbleusàcetendroitlelendemain.Elleleschérirait.

Ils demeurèrent dans cette position, unis, haletants et secoués de tremblements. Ilsétaientennage.

Lorsqu’ilseretira,ellefrissonna.Sesgenouxrefusaientdelaporter.

—Amelia,finit-ilpardired’unevoixenrouée,venezparici.

Il la conduisit jusqu’au lit. Elle s’y allongea, sans force, et le laissa la déshabiller. Ils’approchaensuitedelatabledetoilettepourhumidifierunlingeaveclequelilluitamponnalefrontetlecouavantdeleglisserplusbas,làoùsachairintimeétaitendolorie.

Celafait,ils’étenditprèsd’elle.

—Çava?murmura-t-il.

Ellehochalatête.

Il lui caressa les cheveux, déposa un baiser sur sa joue. Sur son cou, là où battait son

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pouls.Illacouvritdebaiserstendres:creuxducoude,ventre,genoux,hanches.Ellen’eutpasmêmeuntressaillement.Alors, il s’installaentresescuisses, lesécartant largement,puis ilrepoussadoucementlespétalesdesonsexeetl’embrassa...àcetendroit.

Ellesecabra.

—J’attendsceladepuisuneéternité,avoua-t-ilavantdedonneruncoupdelangue.Vousavezungoûtdivin.

Cesparoleseurentraisond’elle.Elleglissalesdoigtsdanssescheveuxenbatailletandisqu’il lacaressait langoureusementet se laissaemporterdansun tourbillondevolupté.Ellesentaitsondésirseranimer,maisnevoulaitrienprécipiter.Elletentaderetarderlamontéeduplaisirpourprolongerl’instant.

Maiselleneputluttertrèslongtemps.Ilrefermaleslèvressurlepetitbourgeoncharnu,etavantqu'elleaiteuletempsdesouffler,l’extaselacueillitcommeunefleur.D’abordaigu,leplaisirs'adoucitetelleeutl’impressiondeflottersurunnuagevaporeux.

Spencerposalatêtesursonventre.

—Celam’amanqué,murmura-t-il.

Iln’avaitencore jamais fait«cela»àproprementparlé,maisellesavaitcequ’ilvoulaitdire.Ilvoulaitdire:«Vousm’avezmanqué.»

L’émotionluinoualagorge.

—Spencer?

Illevaverselleunregardinterrogateur.

— Jevousenprie,parlez, le supplia-t-elle.C’estunmomentcharmant,et c’est làquevousgâcheztout,d’ordinaire.C’estlàquevousêtescenséfaireuncommentairedésagréable.Voussavez,pourm’empêcherdetombercomplètementsousvotrecharme.

Ilsecontentadeluisourire.

—Seigneur!s’exclama-t-elle.C’esttroptard!Jeviensdetomberamoureusedevous.

—Àl’instant?demanda-t-ilenriant.

Ils’écartad’elleets’assit.

— Cen’estpas trop tôt, ajouta-t-il en sepassant lamaindans les cheveux. Il vousenaurafalludutemps.Plusqu’àmoi.

—Quoi?s’écria-t-elleenseredressantcommeunressort.Que...?Depuisquand?

—Depuisledébut,Amelia.Depuisletoutpremierjour.

—Non,jenevouscroispas.

—Ahbon?

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Ilbaissalesyeuxsurlapochedesongilet.Unmorceaudetissublancendépassait.

— Commentse fait-ilquevoussoyezencorevêtu? le taquina-t-elle touten tirantsurledittissu.

Interdite, elle fixacedernier.C’était sonmouchoir.Celuiqu'elle luiavait fourrédans lamainlesoirdeleurrencontresurlaterrassedesBunscombe.L'avait-ilvraimentgardésurluiduranttoutcetemps?

—Spencer...commença-t-elle.

Ilrougitlégèrement,l’airembarrassé.

—Allez-y,nem’épargnezpas.Vousm’avezdéjàtraitéderomantique.Jenevoispascequevouspourriezdiredepirepourmediscréditer.

—Vousêtesadorable.

—Etvoilà!vociféra-t-ilens’écroulantcommes’ilvenaitderecevoiruneflècheenpleincœur.Sijamaisvouslerépétezàquiquecesoit,jevouspoursuispourdiffamation.

—Jepréfèrequecesoitnotresecret,répliqua-t-elle

—Suis-jeautoriséàemployeruntermeaffectueuxoum’accuserez-vousdevoustraitercommel’undemeschevaux?s’enquit-ilenseredressant.

—Toutdépendduterme,jesuppose.Àquoisongez-vous?

—Machère?Machérie?Madouce?suggéra-t-ild’untonsceptique.

—Tropgalvaudés;ilsn’ontplusdesens.

—Quediriez-vousdemaperle?Mafleur?Montrésor?

Elles’esclaffa.

—Àprésent,vousvousmoquez.

Se penchant, il recueillit son visage au creux de ses mains. L’intense émotion qu’elledécouvritdanssesyeuxnoisetteluicoupalesouffle.

—Mafemme,proposa-t-il,recouvrantsonsérieux.Moncœur.

Ilinclinalatête,réfléchit.

—Mapluschèreamie,reprit-il.

Émueau-delàdesmots,elleréponditdoucement:

—Celui-cimeplaîtassez.

— Àmoiaussi,Amelia,murmura-t-ilavantd’attirersonvisageàluipours’emparerdeseslèvres.

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18.

—EtvoilàBriarbank,annonçaAmeliaentendantlebras.

Sa monture caracola comme Spencer la rejoignait. En contrebas de la falaise escarpéecoulait une rivière formant un coude, découvrit-il. Un vieux cottage en pierre dont lacheminéecrachaitdesvolutesdefuméeétaitnichésurlabergeboisée.

—C’estuncharmanttableau,n’est-cepas?reprit-elle.

Eneffet,songea-t-il.Plusquecharmantmême.

Sur leplateau tapissédeverdurequ’ils traversaientsedressaient les ruinesdeBeauvaleCastle.Depuissafalaise,lechâteausurplombaitlavalléeoùserpentaitlarivièreWye,offrantunevuepanoramiquesurlarégion:desétenduesdeboisetdeterrescultivéesdéployantunepalette de verts aux nuances infinies ; des vallons plongés dans l’ombre ; des champs deluzernecaressésparunebriselégère.

—Vousêtesbiensilencieux,fit-elleremarquerenledévisageant.Àquoipensez-vous?

Samonture s’agita, sensible à l’inquiétude qui perçait dans sa voix. Pour une premièreleçon, elle se débrouillait plutôt bien,mais pourmaîtriser complètement son cheval, il luimanquaitencorel’assurancenécessaire.Ilattendraitquelquessemainesavantdel'autoriseràmonterseule.

Spencercalmalehongred'Ameliaenémettantdesclaquementsdelangue.Puisilmitpiedà terre pour donner un peu de répit à Junon. Il n'aurait probablement pas dû utiliser unejumentdesonâgesurunsilongtrajet.Maisilavaitvulesdégâtsqu'ellecausaitdanssonbox

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etlesblessuresqu’elles’infligeaitparlamêmeoccasionquandilnel’emmenaitpasaveclui.Ilfallaitvraimentqu’ilrécupèreOsiris,etvite.

—C’estbeau,secontenta-t-ildedireencontemplantlavallée.

Lepaysagesauvagequis'étendaitencontrebas, la forêtprimitivedanssondoset lecield'azurau-dessusdesatête...Spencerfutsaisiparcespectacle.Ilseremémoralademeuredesonenfance,etunedouleurluitransperçalecœur.LeCanadaoffraitdespaysagessimilaires.Danssajeunesse,ils'échappaitetgalopaitàperdrehaleinepourlesdécouvrir.Maisl'adultequ’il étaitdevenune s’autorisaitque rarementàpenser à labeautéde lanaturequ’il avaitlaisséederrièrelui,etquiluimanquaittant.

C’était un recoin sombre de son esprit où il évitait de s’aventurer,mais Amelia y étaitparvenu directement et avait tiré les rideaux pour faire entrer la lumière. S'il n'était pasparticulièrementsentimental,ilétaitunvrairomantique,danslalignéedeWordsworthetdeses semblables. Iln'avait jamaispus'asseoir sur lebancd'uneéglise comble sans ressentirautrechosequedeladétresseetdel'impuissance.Enrevanche,laNatureétaitsacathédrale.Dansunendroitcommeceluioùilsetrouvaitencetinstant,ilsentaitlaprésencedudivin.C'étaitàlafoisuneleçond'humilitéetunréconfort.

Un duc avait parfois besoin d'une bonne leçon d'humilité. Etmême s'il avait dumal àl'admettre,ilavaitaussibesoinderéconfortdetempsàautre.Parchance,ilavaitépouséunefemmequiluiprodiguaitlesdeux.

Et il l'aimait pour cette raison. Apprendre à aimer était pour Spencer un nouveau défi.Intimidant,quiplusest,sachantqu'ilétaitlegenred’hommeàexcellerdansquelquesraresdomaines,etàéchouerlamentablementdanstoutlereste.

—Depuisquandlechâteauest-ildanscetétat?s'enquit-il.

— Pas si longtemps. D’après mon père, il était encore très bien il y a quelquesgénérationsdecela.Ilyaeuunincendie,àlasuiteduquelilacommencéàsedélabrer.Silaplupartdesmurssonttoujoursdebout,iln’yapourainsidireplusdetoitsnidesols.

Elle tournaunregardbrillantd’émotionvers l’entréeduchâteauoùunearcheenpierrereliaitdeuxtourelles.

—Saufdanslecorpsdegarde,poursuivit-elle,oùmesfrèrespréparaientleursmauvaistours.

—Etvous?Oùprépariez-vouslesvôtres?

—J’étaisunefillesage,répliqua-t-elleenhaussantlessourcils.Jenepréparaisjamaisdemauvaistours.

—Iln’estjamaistroptardpourbienfaire,répondit-ilavecunclind’œil.

Pourdétendre sa jument, il la fitmarcherautourduchâteau.Dommagequecespierresfassentpartiedesbiensinaliénablesdufrèred’Amelia,carilauraitvolontiersreconstruit lechâteaupourenfairelefoyerqu’elleméritait.Ilauraitaiméseréveillerchaquematinfaceàcepaysageverdoyant.

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IlrejoignitAmelia,etsuivitladirectiondesonregard.

—Cecottageestbiensitué,commenta-t-il.Maisilestaffreusementpetit.

—Oui,etilserabientôtpleindemonde.Jecomprendraiquevousayezbesoindevouséclipser, fit-elle en esquissant un sourire. De toute façon, la région gagne à être explorée.NouspourrionsnousrendreàTinternàcheval.CeseraittrèsinstructifpourClaudia.

Spencerserembrunit.Visiterlesruinesdel’abbayemédiévaledeTinternseraitsansdouteinstructif pourClaudia, encore faudrait-il qu’elle acceptede les y accompagner.Elle n’étaitpas montée à cheval depuis son retour de York. Et il ignorait encore si c’était là uneexpressionduressentimentqu’elleéprouvaitàl’égardd’Ameliaoudelui.

— Allons, poursuivit Amelia qui avait pris son froncement de sourcils pour de laréticence. Vous mourez d’envie de voir la vue de Tintern, inutile de le nier. Lorsquel’agitation stérile du monde, et sa fièvre ont menacé mon cœur palpitant... ajouta-t-elle,taquine,citantunpoèmedeWordsworth.

Ellearquaunsourcild’unairdedéfi.

— Combien de fois, en pensées, me suis-je tourné vers toi[7]

, acheva-t-il dans unmurmureenregardantautourdeluicommes'ilcraignaitd’êtreentendu.

—J’enétaissûre!s’écria-t-elle.J’aiépouséunromantique.

—N’oubliezpasquec’estnotresecret,dit-ilenadoptantuntonfaussementmenaçant.

Quatrejoursplustard,SpencerétaitinstallédanslapetitebibliothèquedeBriarbank,oùilvenaitdeterminerunelettre,lorsqu’onfrappaàlaporte.

—Entrez.

Ameliapénétradanslapièce,refermalaportederrièreelleets’approchadubureaud’unedémarcheondulantetoutàfaitprometteuse-s’ilinterprétaitlessignescorrectement.

Icielles'épanouissait.Àl'instantoùilsavaientposélepiedàBriarbank,unchangements'étaitproduitenelle.Elleétaitdanssonélément,confianteet joyeuse.EtSpencerenavaitété récompensé dans l'intimité de leur chambre. Et dans le dressing, le bain, et même lesalon.Pasencoredanslabibliothèque,maisilespéraitquel'interruptiond’Ameliaavaitpourbutderemédieràcetoubli.

Ilscellalalettreetlamitdecôté.

—Oui?

—Uncavaliervientd'arriverdeHarcliffeManor.Lilyetcesmessieurssontenroute.Ilsdevraientarriverd'iciàuneheureoudeux.

Spenceraccueillitcettenouvelledemanièreétonnammentambivalente.S'ilétaitvenuici,c'étaitcertesdansl'intentionderéglercettehistoiredejetonavecAshworthetBellamy.Mais

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ils'étaithabituéàpasserdutempsentêteàtêteavecAmelia,etl'idéequeleurlunedemielprennefinlecontrariait.

À l'évidence, elle partageait son avis. Contournant le bureau, elle vint s'installer sur sesgenoux.

—Bientôt,lamaisonserapleine,fit-elleremarquer,etjen'auraiplusuneminuteàmoi.Cesontsûrementnosderniersmomentsseulàseulavantlongtemps.

Elleneperditpasdetemps.Samainplongeaverssonsexe.

—Déjà?letaquina-t-elleencaressantsonérectionàtraverssonpantalon.

— Depuisquevousavez franchi le seuilde cettepièce, avoua-t-il avantde la gratifierd'unbaiseràlafoisespiègleetfougueux.

Insinuant la main entre eux, elle déboutonna son pantalon et son caleçon d'un gestehabile,libérasonsexe,etentrepritdelecaressersansretenue.Seigneur,elleapprenaitvite!Ellesavaitdéjàexactementcequ'ilfallaitfairepourluiplaire.

Ongrattaàlaporte,etilsursauta.

—Nebougezpas,ordonna-t-elleenglissantàterre.C'estsansdouteundomestique.J'enaipouruneseconde.

Illuiobéit,carilsevoyaitmalaccueillirquiquecefûtavecuneérectionaussiimposante.Ilnepritdurestepaslapeinedeserendreprésentable,maissecontentaderapprochersonsiègedubureau.Amelias’entretintuninstantavec l’intrusàvoixbasse,refermalaporteettournalaclédanslaserrure.LepetitdéclicsuffitàranimerledésirdeSpencer.

Alorsqu’Amelias'empressaitderetraverserlapièce,ils'interrogea:allait-ill'allongersurlebureau,oulafairesepencherdessus?

Elle avait apparemment une autre idée en tête, car à peine l'eut-elle rejoint qu'elles’agenouilladevantluietempoignasonsexe.Sesdélicieuseslèvrespulpeusesserefermèrentsurl’extrémitéengorgéedesavirilité.Unplaisirfulgurantletraversa.

—Amelia,attendez.

Ellerelevalatête.

—Vousêtessûre...?

Iln’avaitpasprévudelasoumettreàcetteexpériencesivite.

Sesyeuxpétillèrentdemalice.

—Vousm’avezditquesicequevousmefaitesmeprocureduplaisir,ilyadegrandeschancespourquelemêmegestevousplaiseaussi.

—Enl’occurrence,c’estunecertitude.

—Alorscessezdem’interrompre.

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Ellelepritdenouveaudanssabouche,etillaissaéchapperunjuron.

Elleétaitunpeuhésitante,ettantmieux.Carsielles’étaitmontréeplusentreprenante,ilauraitsansdoutejouiauboutdedixsecondes,cequiauraitétédesplusembarrassant.

Il s’adossa au fauteuil et s'abandonna au plaisir grandissant. Levant les yeux, Amelias’aperçutqu’illaregardait;ellepoussaunsoupirsensuelquieutraisondelui.

DouxJésus!Peut-êtreferait-ilmieuxdelaprévenir.C’étaitlapremièrefoisqu’ellefaisaitcela, ellene savaitprobablementpasqu'elle avait le choix,mais...pourquoi le luidonner ?Fallait-ilvraimentqu’ilprouvesanoblesseenunmomentpareil?

—Amelia,grogna-t-il.

Voilà. Ce serait le seul avertissement qu’il lui donnerait. Il savait qu’elle décèlerait ledésespoirdanssavoix.

Dieumerci,elleredoublad’efforts.Etilsfurentefficaces.

—BonDieu!éructa-t-ilensoulevantlebassin,lecorpssecouédespasmes.

Ameliaavaitraison,songea-t-iltandisqu’ils’efforcaitderécupérer.Cepetitcottagepleindecourantsd’airétaitleparadissurterre.

Elleseredressaetseperchasurlebureaudevantluiavecunepetitemoueexprimantuneextrêmesatisfaction.

La coquine. Il lui donnerait une raison d’être satisfaite. Dès qu’il aurait retrouvé sonsouffle.Tendantlebras,illuiattrapalacheville.

—Àvotretour.

Ellesecoualatête.

—Non,merci.Jeneveuxpasêtretoutefroissée.Nosinvitésnevontplustarder.Leslitssontfaits,maisj’avaisl’intentiondepréparerdesbouquetspouragrémenterleschambres.Etilmemanquetoujoursuneidéedelégumespouraccompagnerledînerdecesoir,ajouta-t-elleenfronçantlessourcils.Desnavets,celavousdit?

—Jemefichecomplètementdevosnavets,répliqua-t-ilenremontantlamainlelongdesonmollet.Enrevanche,j’aitrèsenviedevousgoûter.

Elleémitunpetitrire,etl’arrêtad’ungeste.

—Pasmaintenant.J’aivraimenttropàfaire.

—Quelleimportancesivousneterminezpasàtemps?Amelia,vousavezunefâcheusetendanceàfairepasserlebien-êtredesautresavantlevôtre.

Haussantlesépaules,ellecoulaunregardverssonentrejambe.

—Seriez-vousentraindedirequevousauriezpréféréquejene...

—Biensûrquenon!s’exclama-t-ilavecungrandsourire.Avez-vousperdulatête?

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Ilrajustasonpantalon,seredressasursonsiègeetrepritd’untonplussérieux.

—Unequestionmetaraude.AubaldesGrantham,vousétiezradieuse.Envoûtante.Lecentredel’attention.Commentsefait-ilquejen’aiejamaisvucetteAmelia-lààLondres?

Ellesemordillalalèvre.

—Vousm’avezdonnéconfianceenmoi.Jemetsaudéfin’importequellefemmedefairetapisserieavecunsibelhommeàsonbras,déclara-t-elle.Maisavantdevousconnaître...JevousaidéjàparlédeM.Poste,n'est-cepas?L’hommeàquij’étaisfiancée.

Ilhochalatête.

—Monpèreluidevaitunegrossesommed’argent,maisilétaitprêtàoublierladetteenéchange de... eh bien, demoi. Ilm’avait repérée depuis longtemps, avoua-t-elle d’une voixfaible.J’étaisencoretrèsjeune.Tropjeune.Moncorpss’estdéveloppétrèstôtparrapportàceluidesautres jeunes filles.J’avaisàpeinedouzeansquand je l’ai surprisen traindemelorgner.Jemesuissentiesouillée,etjen’étaisencorequ’unegamine.

Spencerfutprisd’uneboufféederage.

—Vousa-t-iltouchée?

—Quelquespetitspincements,icioulà.Riendeplus.Maisj’ignoraistoutefoiscommentfaire face à ce type d’attention, et je n’osais pas en parler à mes parents de peur qu’ilsrefusentensuitequejel’épouse.Jevoulaistellementlesaider...Pourtantjemesuisdéfiléeauderniermoment.Parpurégoïsme:simplementparcequejerêvaisdevivreunevéritablehistoired’amour.Maisilm’aensuitefalludesannéespouraccepterl’idéequ’unhommeposelesyeuxsurmoncorps.

Sacrebleu ! Il n’y avait rien de plus terrible pour unmari que d’écouter, impuissant, safemmeluiavoueruneblessurepassée.

—Alors,sipersonnenemeremarquaitlorsdecesbals,j’imaginequec’étaitparcequejenevoulaispasquel’onmevoie,conclut-elleenluiadressantunsouriredoux-amer.M.Posteest mort peu après l’annulation de nos fiançailles. Si seulement je l’avais épousé, j’auraisépargnébiendessoucisàmafamille.Etaujourd’hui,jeseraisunericheveuve.

— Vous ne vous considérez pas comme responsable des déboires de votre famille,j’espère?

Ellehaussauneépaule.

Pauvre petite. Se sentir coupable d’avoir regimbé à épouser un vieillard lubrique ! Ilcomprenaitmieux,àprésent,cettepropensionqu’elleavaitàsesacrifierpouraidersesfrères.

Illuipritlamainetlaserra.

—Jesuistrèsheureuxquevousnel’ayezpasépousé.

Elledétournaleregard.

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Ilattenditdansl’espoirqu’elleluidisequ’elleaussiétaitraviedelatournurepriseparlesévénements.Qu’ellepréféraitmille foisêtre laduchessedeMorlandqu’unericheveuve,etqu’elle ne renoncerait à lui pour rien aumonde - pasmêmepour racheter la dette de sonpère.

—Jevousaime,fit-elleàlaplace.

Une légèredéception lui tirailla lapoitrine. Ilsavaitqu’elleétaitsincère.Seulement, ilyavaitbeaucoupdegensqu’Ameliaaimaitsincèrement.Etilnes’étaitjamaissentiàl’aiseaumilieud’unefoule.

Désireuxdechangerdesujet,ildemanda:

—Quiafrappéàlaportetoutàl’heure?

— Claudia. Je lui ai dit que vous n’en auriez que pour uneminute. Une estimationétonnammentexacte,enfindecompte.

Illuiadministraunetapeaffectueusecommeelledescendaitdubureau.

— Autrechose,dit-elleenseretournantavantdesortir.Vousemmènerezleshommespêcherdèsleurarrivée.Jecomptesurvouspourmerapporterdusaumonfraispourledîner.

—Etdedeux!

D'unmouvementsecdupoignet,Ashworthsortitlepoissondel’eau.

Spencer le félicita, et lança de nouveau sa propre ligne, songeant encore, émerveillé,combiensafemmeétaitintelligente.IlavaitorganisécetteescapadedansleGloucestershireafin de dissoudre une fois pour toutes le Stud Club. Pourmettre son plan à exécution, ilfallait qu’il réussisse à s’entretenir avecAshworth à l’insu deBellamy.OrAmelia lui avaitfourni leprétexte idéal.Lapêcheétaitunsportdegentleman,un loisir champêtre.En tantque filsd’aristocrates,Rhysavait sansdoutepassé sesaprès-midid’étéàpêcherà la ligne,toutcommeSpencer.

TandisqueJulianBellamy...C’étaitsansdoutelapremièrefoisdesaviequ’ils’approchaitd’une rivière autre que la Tamise. Plus Spencer en apprenait sur son compte, plus il étaitconvaincu que Bellamy était issu des bas-fonds de la capitale. Ses bouffonneries et sesvêtements à la mode lui permettaient peut-être de s’immiscer dans la bonne sociétélondonienne,maisdansleGloucestershire,illuiseraitplusdifficilededonnerlechange.Ici,ilapparaissaitcommel’imposteurqu’ilétait.Ilavaitsuffideparlerdepêcheàlalignepourqu’ilsedérobesousleprétexteminablequ’ilvoulaitaccorderlepianoforte!

SpencersedemandacequeLéoavaitsuduvéritablepassédecethomme.D’aprèscequel’onracontait,ilsétaienttrèsliés.

— J’ai besoin d’argent, déclara Ashworth tout de go, épargnant à Spencer le soind’aborderlesujetendouceur.C’estpourcetteraisonquejesuisvenu.Unefoisquenousen

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auronsfiniici,jefiledansleDevonshirepourvoircequejepeuxfairedemondomaine.

—Ilsetrouvequej’aidel’argent,observaSpencerd’unairnonchalant.

—Etilsetrouvequej’aiunjeton.Jeteproposeraisvolontiersunsimpleéchange,mais...

—MaisBellamyrefused’enentendreparler,jesais,coupaSpencerd’unevoixoùperçaitl’ironie.PasquestiondemanqueraucodedebonneconduiteduStudClub!

Ilss’autorisèrentunrirediscret.DiscretcarcetteplaisanterieavaittraitàLéo.

—Qu’àcelanetienne,nouslejouerons,déclaraSpencer.

Sa ligne s’agita, accaparant son attention un instant. Mais alors qu’il commençait àrembobiner,saprises’échappa.

—Undecessoirs,nouspersuaderonsBellamydefaireunepartiedecartes,reprit-il.Iln’yapasgrand-chosed’autreàfairedanslecoin.Celanedevraitpasdurerlongtemps.Laisse-moiprendre lapartieenmain, jesaiscommentmener le jeudanscegenredesituation.Jeperdrai dix mille livres lors de la première manche, et toi, tu perdras le jeton lors de larevanche.

—Jeveuxvingtmillelivres.

—Quinzemille.C’estàprendreouàlaisser.

—TuaspourtantproposévingtmilleàLily.

—Elleestendeuiletelleestjolie.Toi,tueslaidetdéplaisant.

Ashworthhaussalesépaules.

—Soit.

Ilyeutunsilence.

— Il y a une conversation que nous aurions dû avoir voilà des années, j’imagine, fitSpencerenaccrochant l’appâtàsonhameçonavecuneextrêmeminutie.Àproposd’Eton...Cen’étaitpasdirigécontretoi,cejour-là.

Il n’irait pas plus loin en matière d’excuse. Après tout, ce n’était pas lui qui avaitcommencélabagarre.

—Cen’étaitpasnonplusaprèstoiquej’enavais,finitparlâcherAshworth.

—Nousn’avonspasbesoind’entrerdanslesdétails.

Horsdequestionqu’ilspartagentleursétatsd’âme.

Spencersedemandasoudainsicen’étaitpaspourcetteraisonqu’Amelialesavaitenvoyéspêcherentêteàtête.Lapetitesournoise.

—Sicen’étaitpasàmoiquetuenvoulais,repritAshworth,c’étaitàqui?

Spencer soupira. Et lui qui pensait s’en tirer sans plus d’explications. Ç’aurait été trop

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facile.Siseulementunpoissonmordait,luipermettantd’esquiverlesujet!

Hélas,aucunetouchenevintàsarescousse.

—Jenesaispas,finit-ilpardire.J’envoulaisaudestin.

SpenceravaitététrèsmalheureuxàEton.Adix-septans,quoiqu’ilfûtl’undesétudiantslesplusâgésdel’école,ilavaitleniveaud’unélèvedecinquièmeenlatin.Àcelas’ajoutaitlefait qu’il avait dû lutter pour dompter ses accès de sueurs froides dans les salles de coursbondées.LeseulgarçonaussirevêchequeluiétaitundénomméRhysSt.Maur.Deunansoncadet, il pesait une douzaine de kilos de plus que lui. Les deux garçons se disputaient demanièretaciteletitredepireélèvedel’école.SpencerignoraitpourquoiRhyssedonnaittantdemalpourincitersescamaradesàlaviolence.Quantàlui,ilavaitunbutbienprécis:s'ilsecomportait suffisamment mal, son oncle le renverrait peut-être au Canada. Du moinsl’espérait-il.

Puis,unjour,unelettreétaitarrivée.Onétaitallélechercheraubeaumilieud’uncoursdegrecpourlaluiremettre.Ilavaitd’abordétéravidesortirdelasalle.

Toutefois, la lettre contenait une triste nouvelle : son père était décédé au Canada, unmoisplustôt.Unmoisqu'ilétaitorphelinàsoninsu!Désormais,ilauraitbeaufairepisquependre,celan'avaitplusd'importance.Carilneretourneraitplusjamaischezlui.Iln'yavaitplusde«chezlui».

Cettenouvellel'avaitanéanti.Ilenvoulaitàlaterreentière.

EtRhysSt.Mauravaitchoisicejourprécispourleprovoquer.

—Tuenvoulaisaudestin?répétaRhys.Jetecroyaisplusfuté.Unhommenepeutriencontresondestin.

—Possible,admitSpencer.Enfindecompte,jenevaispasmeplaindredumien.

Quelsquefussentlesregretsd’Ameliaàproposdesonpassé,luin’enavaitaucun.Ilétaitduc,possédait lesprivilègeset l’argentquiallaitavec,sonaffaireétait florissanteet ilavaitépousé une femme intelligente et désirable, qui était également sa meilleure amie. Il nechangeraitrienàsavie.Ilauraitjusteaiméquesafemmeressentelamêmechose.

Quelques semaines plus tôt, il aurait tout donné pour qu’Amelia lui déclare un amourinconditionnel,semblableàceluiqu’elleéprouvaitpoursesfrères.Maintenantqu’elleleluiavaitoffert,celaneluisuffisaitplus.Ilétaitinsatiable.Ilvoulaitavoirlapremièreplacedanssavie.

Rhystiraunautresaumondufleuve.

—Etdetrois!

—Parfait,déclaraSpencerenrembobinantsaligne.Remballonsetrentrons.Ameliaseraenchantéedenotrepêche.

—Tuvasluidirequec’estmoiquiaitoutattrapé?

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—Biensûrquenon.Toinonplusd’ailleurs,situtiensàtesquinzemillelivres,ripostaSpencerenouvrant laboîtecontenantsonmatérieldepêche.Quinzemille livres, c'estunecoquettesomme.C'estassezpourtetrouveruneépouse.

— Une épouse ? répéta Rhys, l'air sombre, tandis qu'il aidait Spencer à démêler leslignes.C'estlapireidéequel'onm'aitjamaissuggérée.

— Pourquoi?Parceque,ensuite,turisqueraisdetemettreàsourire?Bellamyabeauêtreuncrétin,pourunefoisiln'apeut-êtrepastort.Lilyauraitbesoindelaprotectiond'unmari.

Rétrospectivement,ilavaitpeut-êtreunregret:lagrossièretéaveclaquelleilavaitrejetél'idéed'épouserlasœurdeLéo.Surlecoup,ilavaitrefusésansmêmesedemanderpourquoi.Celadit,ilétaitloind'imaginerqu'ils'étaitdéjàentichéd'Amelia.

Rhyslâchaunricanementmoqueur.

— Lilyn'apasbesoind'unprotecteur,elleenadéjàun.Bonsang, le trajetenvoitureaveccesdeux-làétait insupportable !Jen'ai jamaisvuunhommesedonnerautantdemalpouravoirl'airsidésintéresséetéchouersilamentablement.

Spenceravaitdoncvujuste.IlsepassaitquelquechoseentreBellamyetLilyChatwick.

Rhysluilançaunregardespiègle.

—J'évoqueraipeut-êtrel'idéedel'épouser,simplementpourvoirlatêtedeBellamy.

Voilàquipromettaitd'êtreamusant.

— Rends-moiservice,fitSpencerenramassantlescannesàpêche.Attendsquejesoisprésentpourlefaire.

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19.

— C'estmonimaginationquimejouedestours, fitAmeliaenpétrissantunebouledepâteàpain,ouest-ceunpeutenduentreM.Bellamyettoi?

Lilys'esclaffa.

—Tendu?Lemotestfaible.Julianfaitpressionsurmoipourquejememarie.

—Maiscelafaitàpeineunmoisque...commençaAmelia.

—QueLéoestmort,achevaLilyàsaplace.Jesais.EtsonhéritierestenÉgypte.Iln'apasencoreapprislanouvelle.Jenesuisdoncpasàlarue.Jevaispouvoirprofiterdel'hôtelparticulier de Londres et du domaine campagnard pendant encore quelques mois. Julianinsistenéanmoinssurlefaitqu'ilmefautunprotecteur.Tufaistonpaintoi-même?s'étonnaLily,sautantducoqàl'âne.

—Seulementpourlesgrandesoccasions.

Ou, comme dans le cas présent, elle était si nerveuse qu'elle avait englouti l'intégralitéd'unemiche de pain que la cuisinière avait préparé lematinmême. Elle avait la fâcheusemaniedes’empiffrerquandelleétaitanxieuse.

Dans lapiècevoisine, JulianBellamy frappait sur lepianoforteavecvigueur. Ilplaquaitdes accords si violents que les assiettes tremblaient sur les étagères.Amelia aurait préféréqu’ilaillepêcheraveclesautres,maisilétaitrésoluànepasquitterlamaison.Elletrouvaitintéressantqu'ilait choisides’occuperdupianoforte.Uneoccupationqui luipermettaitderesterprèsdeLilysanséveillersessoupçons.

Comme si elle avait lu dans ses pensées, Lily jeta un coupd'œil aumur qui séparait lacuisinedusalon.

—Jel'entends,dit-elle.Ouplutôt,jelesens.Iljouetoujoursavecpassion,maisavant,iljouaitdesmorceauxplusgais.

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—Commentarrives-tuà...

—Faireladifférence?complétaLilyenportantleregardsurlesétagères.Lesairsjoyeuxnefontpasvibrerlesassiettes.

Ameliamalaxalapâteàpaind’unairsongeur.

—Lily,as-tuenvisagéqueM.Bellamypuisseêtreamoureuxdetoi?

—Ohoui!Jecroiseneffetqu’ilpensel’être.

—Queveux-tudire?

—Noussommesamisdepuisdesannées,maiscelan’ajamaisétéau-delà.PuisLéoestmort...Et jepenseque le chagrin et la culpabilitédeJulianétaient telsqu’il en est venuàexagérerlaprofondeurdesessentimentsàmonégard.Iln’apaspusauverLéo,aussisesent-ilresponsabledemoi.

—Ettunepensespasqu’ilsuivrasoninclination?

Lilysecoualatête.

— C’estaussibien,commentaAmelia,enespérantquesonamienepartageaitpas lessentimentsdeBellamy.

Riendebonnepourrait sortir d’une telleunion.Lily était une jeune femme raffinée etdélicateissuedel’unedesfamilleslesplusnoblesd’Angleterre.Bellamyétaitunlibertinauxorigines incertaines. Cela seul n’aurait certes pas suffi à le faire baisser dans l’estimed’Amelia,maiselleseméfiaitdelui.S’ilétaitavecuneautrefemmelanuitoùLéos’étaitfaitassassiner,c'estqu'iln'étaitpastrèsamoureuxdeLily.

—Tusaisquetuneserasjamaisàlarue,repritAmelia.Tuserastoujourslabienvenuesousnotretoit.

—C'esttrèsgentilàtoi.EtàSpencer,réponditLilyenluiglissantunregardencoin.Net’avais-jepasditqu'ilferaitunbonmari?

Lesjouesbrûlantes,Ameliaretournalapâteetl'aplatitsurlatable.

—Si,eneffet.Illuiaurafalludutemps,maisenfindecompte,ilt'adonnéraison.

—Jesuistellementheureusepourtoi.

Amelia aussi étaitheureuse.Mais ladélicatesse voulait qu'ellene s'en vantepasdevantLilyquiétaitencoreendeuil.

Elle pensa à son propre frère et son cœur flancha. Si seulement ce séjour avait pupermettreàSpenceretàJackdeseréconcilier.Quoiquesonmaridemeurâtréservé,commeàsonhabitude,Ameliaavaitperçuunchangementdanssoncomportement.Ilselaissaitpeuàpeugagnerparledécorbucoliqueetl'atmosphèrechaleureusedeBriarbank.Àprésent,ellelecernaitmieux. Il était passé d'un fort britannique au Canada à la gigantesque demeure deBraxtonHall sans jamais connaître ladouceurd'un foyeret la chaleurd'une famille.Après

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avoir passé un peu de temps ici, il finirait par comprendre pourquoi sa femme ne pouvaittournerledosàsonfrère.

—TuessûrequecelanetedérangepasdepartagerlachambredeClaudia?demanda-t-elle.Cecottageesttellementpetit.Maissicelat'ennuie,nouspouvonsmettrequelqu'undansle...

—C'esttrèsbien,l'interrompitLily.J'aimelacompagnie,sitaciturnesoit-elle.

Ameliapoussaunsoupir.

—Ellen'ouvrejamaislabouche,n'est-cepas?Jenesaispluscommentlaprendre.

Elleéprouvaunepointedeculpabilitéàl’idéedel’avoirchasséedelabibliothèqueunpeuplustôt.EllesedemandasiSpenceravaiteul’occasiondeluidemandercequ’elleétaitvenuelui dire. Leurs invités étaient arrivés si rapidement qu’il n’en avait probablement pas eul’occasion.

—Jedoisavouerquec’estpourcetteraisonquejevousaimisesdanslamêmechambre.Peut-être auras-tu plus de chance que moi. J’ai tenté de me rapprocher d’elle à maintesreprises.Résultat:ellen’ajamaisétéaussidistante.

Son échec auprès de Claudia la contrariait et, oui, lui causait une certaine rancœur.Promenadeslelongdufleuve,quatremainsaupianoforte,ouvisitedesboutiquesdelavillevoisine-lajeunefillerejetaittoutessespropositionsenbloc.Ameliaétaitdésormaisàcourtd’idées.

Après avoirmis labouledepâtede côtépour la laisser reposer, elle se frotta lesmainspourenfairetomberlafarine,puissetournaverslacuvettepourleslaver.

ElleentenditLilys'exclamerderrièreelle:

—Quellesurprise!J'ignoraisquevousvousjoindriezànous!

Leshommesétaient-ilsdéjàderetourdeleurpartiedepêche?Entoutcas,ilnepouvaits’agirdeM.Bellamycarelleentendaittoujourslasombremélodiedanslapiècevoisine.Toutensecouantsesmainspourlessécher,ellepivota.

Sesjambesfaillirentsedérobersouselle.

—Bonjour,Amelia.

—Jack?

Uninstant,ellecrutqu’elleavaitunehallucination.LefantômedeJackdurantl’étédesesquatorze ans, quand il avait poussé de dix centimètres en six semaines, et qu’il dévoraittouteslesréservesdenourrituredelamaison.Maiscen’étaitniungaminniunfantômequisetenaitdevantelle,évidemment.C’étaitbeletbiensonfrère,deboutaumilieudelacuisine,l’air embarrassé, tel un étranger sous son propre toit. Il flottait dans ses vêtements, sonvisageétaitpâleetcreuxsouslabarbedetroisjours,etsesyeuxaffreusementcernés.

Leslarmesroulèrentsurlesjouesd’Ameliaavantmêmequ’ellepuisselesretenir.

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—Allons,est-ceunemanièred’accueillirsonfrèrefavori?

—Jack.

Elleleserradanssesbras.

«Quet'est-ilarrivé?»brûlait-elledeluidemander.Commentavait-ilputombersibas?Elle l'avait abandonné,manquant à la promesse qu’elle avait faite à samère.Trahissant lamémoiredeHugh.

—Quec’estbondeterevoir,souffla-t-elleenl'étreignantavecforce.

Cettefois,ellenelelaisseraitpasrepartir,quoiqueSpencerdiseoufasse.Pasavantqu'ilsesoitconfiéàelleetqu'ilsaienttrouvéensembleunesolutionpourleremettredansledroitchemin. Elle avait déjà perdu un frère, et si elle devait en perdre un autre, elle ne s'enremettraitpas.

— Tous les lits sont occupés, expliqua-t-elle en séchant ses larmes et en s’efforçantd’adopteruntonguilleret.Tusaurastecontenterdugrenierletempsdetonséjour?

—Biensûr.ÀsupposerqueMorland...

—AsupposerqueMorlandquoi?lesinterrompitunevoixgrave.

Spencerpénétradanslacuisineaupasdecharge,munid’unlotdepoissonsluisants.

—Troissaumons,commevousl’avezordonné.

IllesjetasurlatableetsetournaversJack.

Ameliasentitsonestomacsenouer.

LordAshworthentraàsontour.Enapercevant legéant,Jack leva lesmainsensignedetrêve.

—Jenesuispaslàpoursemerlapagaille.J'apportelespapiersdelapartdeLaurent.

—Lespapiers?s’étonnaAmelia.Quelspapiers?

Personne ne releva sa question. Tandis que Spencer parcourait d’un œil méfiant lesvêtementssalesetlasilhouetteamaigriedeJack,Ameliaretintsonsouffle.Allait-ilinsulterson frère ? Le chasser ? L'accueillir ? Cela semblait fort improbable, mais elle ne puts’empêcherdel’espérer.

Finalement,iln’adressapaslaparoleàJack.

— Ashworth, voici Jack d’Orsay, le frère de ma femme, fit-il en croisant le regardd’Amelia.Ilvaresteravecnousquelquetemps.

Deslarmesdesoulagementluipiquèrentlesyeux.Commeellel’aimait!Commeellelesaimait tous les deux.Elle était si reconnaissante à Spencer de ne pas la forcer à choisir. «Merci»,articula-t-elleensilenceàl’adressedesonmari.

— Jack, lord Ashworth est le lieutenant-colonel St. Maur, précisa-t-elle après s’être

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éclaircilavoix.IlaserviauxcôtésdeHughdansl’armée.

— Alors, je suisd’autantplusheureuxde faire votre connaissance,milord.Mon frèreévoquait votre courage dans ses lettres avec admiration, fit Jack en s'inclinant. Milord,enchaîna-t-ilàl'adressedeSpencertoutensortantuneliassedepapiersd'unsac,pourrait-ondiscuterdeceladanslabibliothèque?

— Qu'est-cequeturacontes?intervintAmelia.Ledînerserabientôtprêt.Quellesquesoientlesaffairesquevousavezàrégler,ellesattendrontquenousayonsmangé.

Enoutre,d'iciàlafindudîner,elleauraitprisSpenceràpartpourlequestionnersurcesfameuxpapiers.

—Unbonbainneseraitpasduluxe,poursuivit-elleenjaugeantleshommesduregard.Allez,ouste, sortezdemacuisine !Allezvous rendreprésentablespour ledîner, et laissez-moifinirmespréparatifsenpaix.

Lilyselevaégalement.

— Je vais allerme reposer un peu, si tu n’y vois pas d'inconvénient. Le voyagem’aépuisée.

—Veux-tuquejet’accompagneàl’étage?

—Non,merci.Jedevraisréussiràtrouvermonchemin.

Une fois seule, Amelia posa les mains à plat sur la table. Elle prit une profondeinspiration. Avant de fondre en larmes. Merveilleux ! Que diable lui arrivait-il ? Elle nepouvaitpluss'arrêterdepleurer,etelleignoraitpourquoi.Jackétaitlà,Spencernel'avaitpasjeté dehors, et l'occasion de les réconcilier s'offrait enfin à elle. Elle aurait dû s'en réjouir.Alorspourquoicessanglots?

Danslacuvette,unsaumonlafixaitdesonœilvitreux.Elleallaitdevoirpréparerlesfiletspour ledîner.Maisenattrapant lepoisson,elleeutunhaut-le-cœur.Délaissantcedernier,ellesaisitlepremierrécipientàportéedemainetrenditsondéjeuner.

Elleavait la têtequi tournait,maisparvintàeffectueruncalcul rapideencomptant surses doigts. Et l'évidence la frappa. Ses crises de larmes, ses nausées subites, ses fringalesrécentes - et son appétit sexuel... Le vide se fit dans sa tête.Elle enoublia ses invités, sonmari,etmêmesonfrèredépenailléetcettemystérieusehistoiredepapiers.

Elleétaitenceinte.

Audîner,SpencerseretrouvaassisenfacedeClaudia.Iln'appréciapasdelavoirtenirsescouverts comme une enfant. Et détesta ces regards fascinés qu'elle portait sur Ashworth,Bellamy,etJackd'Orsay,personnagespeuconvenabless'ilenfut.QuandJackpassaleplatdelégumes à la jeune fille, profitant de la situation pour lui glisser un sourire nonchalant,Spencersedemandas'ilétaitsagedemettresapupilleenprésencedetroishommesdontilpouvaitdirequ'ilsétaientsesennemis.

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Iltentadecapterleregardd’Amelia,maisellesemblaitavoirdéveloppéunsoudainintérêtpoursonverred'eau,qu’ellenequittaitpasdesyeux.Celaneluiressemblaitpasd'êtreaussidistraite.

— Dieu,quecette salleest silencieuse ! s’exclamasoudainJack.Bellamy,vousn’avezpasunehistoire drôle sous le coude ?ÀLondres, vous savez toujours commentmettre del’ambianceàunefête.

— Nousne sommespas àLondres, rétorquaBellamy.Et je neme sens pas vraimentd’humeuràplaisanter,cesdernierstemps.

C’étaituneuphémisme.Alesvoirainsiréunis,onauraitcruqueJacketBellamyjouaientàceluiquiressembleraitleplusàunspectre.

Sortantdesatorpeur,Ameliaseforçaàfairelaconversation.

—Commenttrouvez-vouslarégion,lordAshworth?

Cedernierfronçasesépaissourcils,puisréponditd’unlaconique:

—Charmante.

—J’aicrucomprendrequevousaviezundomainedansleDevonshire,reprit-elle.

—Eneffet,aucœurduDartmoor.Onnepeutpasqualifierlacampagnedecharmante.Inhospitalièreseraituntermeplusadéquat.

— Je me souviens d’avoir traversé la région pour rendre visite à des cousins. Quelmélange de beauté et de désolation ! Et vous, monsieur Bellamy, enchaîna-t-elle en setournantverscedernier,oùavez-vousgrandi?

Bellamypritunegorgéedevin.Lorsqu’ilreposasonverre,ilparutcontrariédeconstaterqu’elleattendaittoujourssaréponse.

—DanslapartielaplusaunordduNorthumberland,dit-il.Aumilieudenullepart.Jenecroispasquecesoitlegenred’endroitoùvousayezdescousins.

—JepossèdedesterresdansleNorthumberland,intervintSpencer.

—Vraiment?fitBellamyd’untonlas.

—Oui.Desmines.Vosparentstravaillaient-ilsdansl'industrieminière?

—Qu'ya-t-ild'autredansleNorthumberland?rétorquaBellamy.

—Ducharbon,jesuppose?

Bellamylegratifiad'unregardfroid.Spencersepenchaenavant,attendantlasuite.Celafaisaitunmomentqu'ilcherchaitàleprendrelamaindanslesac.

—Non,ducuivre.

— Foutaises ! Il n'y a pas une once de cuivre dans tout le Northumberland, s'écriaSpencer.Etsivousavezl'accentduNorthumberland,danscecasmoijeparlecommeunroi

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ottoman.Dequeldroitm'accusez-vousdemeurtre,vousquin'êtesqu'unimposteur?

Bellamyjetauncoupd'œilàLily.

Spencerrépétasesproposenarticulantpourquecelle-cilisesurseslèvres.

—Vousêtesunfoutumenteur,Bellamy.

—Écoutez...

— Comment avez-vous dépensé l’argent que je vous ai donné ? L’enquête de grandeenverguredontjevousaichargén’adonnéaucunrésultat.

—Peut-êtreparcequel’assassinn’estpasenville,rétorquaBellamyd’unevoixtendue.Peut-êtreparcequelecoupables’estréfugiédansleCambridgeshire.

—Bonsang,onpourraitpaschangerderefrain?grondaAshworth.Morlandn’estpasunassassin.Cen’estpasdanssanature.

—Qu’ensais-tu?rétorquaBellamy.

—Parcequesic’étaitlecas,jeneseraispasassisàcettetable.Jeseraissixpiedssousterredepuisquatorzeans.

Unsilencepesants’abattitsurl’assemblée.

SpencerdévisageaAshworth.

—TufaisréférenceàEton?

Il se rappelait l'acharnement avec lequel ils s'étaient battus, sous le regard des autresélèves, et des professeurs impuissants qui n'osaient intervenir car tous deux étaient pluscostauds que tous les adultes présents. S’ils étaient l’un comme l’autre vigoureux, Spenceravait l’avantagede l’âge,etde la forcequedonnent la tristesseet lacolère.Mais ilavaiteubeau dominer Rhys, celui-ci refusait de capituler. Relevant chaque fois sa carcasseensanglantée,ilenredemandait.Jusqu’àcequ’ilnefûtplusenmesuredefrapper.Ils’étaitapprochéd’unpaslourd,lesjambesflageolantes,prêtàencaisserlecoupsuivant.Àl’époque,Spencer avait pris sa persévérance pour une forme stupide d’orgueil, et il aurait volontierscontinué à le frapper... l’orgueil poussé à ce degré de bêtise étant une offense commeuneautre.

Mais lorsque Rhys s’était relevé, l’œil tuméfié et la cage thoracique affaissée - Spenceravaitsentisescôtescraquerlorsdesonderniercoup-,iln’avaitpuserésoudreàfrapperdenouveaucetimbécile.Ilavaitpréféréabandonner.Questiond’orgueil.

Àenjugerparl’expressiondeRhys,luiaussiseremémoraitlascène.

—Jevoulaisquetumetues,lâcha-t-il.

Autourdelatable,toutlemondeouvritdesyeuxcommedessoucoupes.

— Pardonnezmonfranc-parler, lançaRhysàlacantonade.Jen’aijamaisététrèsdouépourlesconversationsdistinguées.

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—Tuvoulaisquejetetue?répétaSpencer,interdit.

—Jevoulaismourir.Orjesavaisqu’àforcedeteprovoquer,tufiniraisparmetuer.Tuavais la force et la colère nécessaires. Mais il ne l’a pas fait, ajouta-t-il à l’intention deBellamy.

—C’estécœurant,fitSpencer.Tum’auraislaissévivreaveclepoidsdetonmeurtresurlaconscience?Qu’est-cequinetournepasrondcheztoi?

Rhyshaussalesépaules.

—Lalisteseraittroplongueàénumérerpourcesoir.Tuasétélepremieravecquij’aitentécetteexpérience,maispasledernier.Ilm’afalluuncertaintempsavantderenonceràprovoquerdesbagarresdansl’espoird'enfinir.

—Combiendetemps?

— Jene saispas. Jusqu'aumoisdernier.Dans l’infanterie, onmedécorait sans cessepouravoirréchappéàlamort.J’aifiniparcomprendrequeseulsleshommesbienmouraientjeunes.Entoutcas,Bellamy, jepeux t’assurerqueMorlandest incapabledecommettreunmeurtre.

—C’étaitilyadesannées,fitremarquerBellamy.Celaneprouverien.

—Possible,admitSpencer.Enrevanche,ceciestunepreuve.

Surce,ilsortitlejetondeLéodesapocheetlejetasurlatable.

—C’estlesien,fit-ilpourrépondreàlaquestionsilencieusedesesinvités.J’enaiseptautresàl’étagesivousdésirezcompter.

—J’enétaissûr!s’exclamaBellamy,levisagevirantaucramoisi.Jesavaisquetu...

—Cen’estpaslui,coupaJack,c’estmoi.Enfin,cen’estpasmoiquiaituéLéo,maisc’estmoiquiaitrouvésonjeton.Ilétaitentrelesmainsd’unepu...

Spencerécrasalepoingsurlatable.

—Pasmaintenant,gronda-t-ilenindiquantClaudia.

Sapristi ! Il se rendit compte qu’ils n’avaient cessé de parler de bagarres et demeurtredevantsapupille.

—Iln’estpasquestiond’avoirunetelleconversationenprésencedecetteenfant.

—Jenesuisplusuneenfant!protestaClaudia.Quandt’enapercevras-tuenfin?ajouta-t-elle,leslarmesauxyeux.

—Mangetonsaumon,ordonna-t-il.

—Non,jenemangeraipascefichusaumon!Jetedéteste,marmonna-t-elle.

Spencer soupira. Cette dernière remarque n’était sans doute pas destinée au poisson. Ilporta les yeux surAmelia dans l’espoir qu’elle intervienne et sauve ce dîner désastreux en

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usantdesoncharmed'hôtesse.Maisimpossibledecroisersonregard,quidemeuraitfixésursonassiette.Enfait,elleavaiteul’airpréoccupéeduranttoutelasoirée.

—Envoyezcettejeunefilleaulits'illefaut,fitBellamy.JemebatsdepuisdessemainespourtrouverlesassassinsdeLéo,alorssiquelqu’unautourdecettetablesaitquelquechose,qu’illedise.

—J’aitrouvélejeton,expliquaJack.Ilétaitentrelesmainsd’unep...

IlseravisaencroisantleregardnoirdeSpencer.

—...d’unepersonnequiaassistéàl’attaquedeLéo,reprit-il.Cellequiaappelélefiacre.

—Quandl’avez-vousrécupéré?

—Lelendemaindesamort.

—Etvousn’avezpaseul’idéed’enparler?

Jackhaussalesépaules.

— À ce moment-là, j’ignorais que vous le recherchiez. Je ne savais même pas qu’ilappartenaitàLéo.J’airencontrélademoiselleàCoventGarden,maisj’imaginequ’elles’étaitdéplacéeàWhitechapeltoutspécialementpourlecombatdeboxe,lesoirenquestion.Bref,lorsquej’aicherchéàlaretrouver,elleavaitdisparu.Enéchangedujeton,jeluiavaisdonnéuneguinée.Ilsembleraitqu’elleenaitprofitépourrendrevisiteàsamèreàDouvres.

SpencercroisaleregarddeBellamy.

—Jecomprendsmieuxpourquoiaucund'entrenousn'aréussiàmettrelamainsurelle.

—«Aucund’entrenous»?répétaBellamy.Queveux-tudire?

—Plustard.

Il n'allait sûrement pas raconter sa journée passée à écumer les maisons closes et lestavernesdeWhitechapelenprésencedeClaudia.

—Entoutcas,noussommesdésormaissûrsd'unechose,reprit-il:lejetonn’intéressaitpasletueur.Sinoniln'auraitpasatterrientrelesmainsd'unepassante.Vousavezfiniparladénicher?ajouta-t-ilàl'adressedeJack.

—Oui.Jemesuisditqueçapourraitêtreutile.

Intéressant, songea Spencer. Voilà qu'à présent Jack voulait lui être utile. Ce qu'ildemanderaitencontrepartiesemblaitévident.

— Et vous l'avez laissée filer de nouveau ? s'écria Bellamy en fourrageant dans sescheveuxenbataille.Oùest-elleàprésent?

— Elle se détend dans un logement comme elle n'en a jamais connu, répondit Jack.N'ayezcrainte,ellenevapasprendrelapoudred'escampette.Quelqu'unlasurveille.

—A-t-ellepufournirdesinformations?A-t-ellevulesagresseurs?

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— Elle lesaentraperçusalorsqu'ilsprenaient la fuite.Sadescriptionestplutôtvague.Grands, larges d'épaules vêtus de vêtements grossiers. Elle n'a pas pu donner de détailssignificatifs.Cequiestintéressant,enrevanche...

Ilfitunepausedramatiqueenarquantunsourcil.

—...c'estladescriptionqu’elleafaiteducompagnondeLéo.

Silence.

—Quoi?finitpararticulerBellamy.Mais...maisilétaitseul.

— Non. Léo était en compagnie d’un homme quand on l'a attaqué. Cette femme sesouvientfortbiendelui-cheveux,taille,vêtements,traits.

JackposasurBellamyunregarddur.

—D'aprèssadescription,l’hommeenquestionvousressemblaitàs’yméprendre.

20.

Bellamydevintpâlecommelamort.

—Ilmeressemblait?

Spencerbuvaitdupetit-lait.Nonseulementilétaitàprésentlavédetoutsoupçon,maisilallaitégalementpouvoirrendreàBellamylamonnaiedesapièce.

—Tiens,tiens,fit-il.Voilàquiestintéressant.

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— Je n'étais pas avec Léo cette nuit-là, se défendit Bellamy. Je donnerais tout pourl’avoirété,maiscen’étaitpaslecas.

— Et tu ne trouves pas étrange que Léo ait été vu en compagnie d’un homme quicorrespondàtadescription?

—Jelancelesmodes!Leshommesfonttoutpourmeressembler.Touslesdandyssanscervelle de la capitale s’efforcent de copiermon style. Bon sang, vous en avez un exemplesous les yeux, ajouta-t-il en pointant Jack du doigt. Du reste, pourquoi prendre ce qu’ilracontepourargentcomptant?

— Peut-être parce que le dandy en question a réussi à localiser en quelques jours lapersonnequeturecherchesdepuisprèsd’unmois?suggéraSpencerenrécupérantlejetonsur la table. En outre, ton implication dans cette affaire expliquerait bien des choses :pourquoilecorpsdeLéoaétéenvoyéàtondomicilecettenuit-là,parexemple.Pourquoitonenquêten’ariendonné.Etpourquoituétaissipromptàmefaireporterlechapeau.

—Jen’étaispasavecLéo,répétaBellamyd’unevoixcrispée.J’aiunalibi.

—Ah,oui,j’oubliais!répliquaSpencerenétrécissantlesyeux.Comments’appelle-t-elledéjà?LadyCarnelia?J’imaginequ’ellenes’empresserapasdeconfirmertaversiondesfaits.Tu crois vraimentqu’une aristocratemariée serait prête à se compromettrepour sauver tamisérablepeau?

Bellamyjetaunrapidecoupd’œilàLily,commes’ilespéraitqu’ellen’avaitpascomprislesparolesdeSpencer.

Lilybaissabrusquementlatêteets’écartadelatable.

— LadyClaudia,fit-elle,auriez-vouslagentillessedemereconduireànotrechambre?Quelletêtedelinotte,jesuis!Jenemesouviensplusoùellesetrouve.

Claudiarépugnantvisiblementàs'exécuter,Lilyluiattrapalepoignetetdutquasimentlatramerhorsde lapièce.Leshommesse levèrent,parrespectdesbonnesmanières.Amelia,quantàelle,nebougeapas.Elleétaitpâleetparaissaitsecouée.

—Alors?fitSpencer.

Il ne croyait pas vraiment à la culpabilité de Bellamy. Il avait vu sa réaction la nuit dudrame,et ses traits tirésdisaientmieuxquedesmotscombiencetteaffaireavait laissédestraces.Sibonacteur fût-il,JulianBellamyn’étaitpasassezdouépoursimuler le fidèleamiéperdu de chagrin demanière aussi convaincante.Que Léo ait été seul ou pas, il avait étéprobablementlavictimemalheureused’unvolfortuit.MaisqueBellamydécouvre,neserait-cequ’unmoment,cequel’onéprouveàêtreaccuséàtort.Qu’ilsachecequel’onressentenvoyantlafemmequel’onaimeenproieaudoute.

— Nous devons discuter de cela en privé, Morland, décréta Bellamy. Dans tabibliothèque.

—Nousn’allonspassimplementendiscuter,fitSpencerenagitantlejeton.Nousallonsfaireunepartiede cartes. Il est tempsdedissoudre le clubune foispour toutes.Ashworth

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vientaussi.

Il n'avait pas prévud’amener le sujet si tôt,mais c’était l'occasion ou jamais : les nerfsétaientàvif,etlesrivalitésàleurparoxysme.

—Çameva,réponditAshworth.

SpencerfixasurBellamyunregarddedéfi.Àmoinsquecevauriennesedérobe,cesoir,lavictoireseraitsienne.

—Trèsbien,cédaBellamy,leregardemplidehaine.Finissons-en.Ensuite,tumedirasoùlogecettegourgandine.JerentreàLondresdemainmatin.Ilfautquejel'interrogeauplusvite.

— Dans labibliothèque,alors, fitSpencer,quis’effaçapour laisserpasserAshworthetBellamy.

QuandJackvoulutleuremboîterlepas,iltenditlebraspourluibarrerlechemin.

—Pasvous.

—Allons,Morland,marmonnaJack.Laissez-moijouer.

—Oùestlaprostituée?

—Àl’aubergeBlueTurtleàHounslow.

—Etlespapiers?

—Lesvoilà.

Jack les sortit de la poche intérieure de sa veste, les jeta sur la table, puis reprit à voixbasse:

— Maintenant, laissez-moi jouer. J’ai trouvé le jeton. J’ai trouvé la femme. Vousmedevezuneplaceàlatabledejeu.

—Jenevousdoisriendutout.

L’autoriseràjouer?Pourqu’ils’endettedeplusieursmilliersdelivresalorsqu’ilétaitsurlepointdes’acquitterd’uneautredette?C’étaitladernièrechosedontAmeliaavaitbesoin.

—Vousavezfaitcepourquoivousétiezvenu,déclaraSpencer.Vousrepartezcesoir.

— Cesoir?s'écriaAmelia,sortantenfindesespensées.Ilvientàpeined'arriver.Sansoublier qu'il est ici chez lui. C'est notre maison de famille. Vous n'avez pas le droit de lemettreàlaporte.

— Notremaisondefamille?répétaJackenadressantunregardaccusateuràSpencer.Vousneluiavezmêmepasdit,n’est-cepas?

—Mêmepasditquoi?demandaAmeliaenselevant.

Spencerpoussaunsoupir.Pourvuqu’elleneprennepaslamouche.Aprèstout,iln’avait

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quedebonnesintentions.

—J’avaisprévudevousenparlercesoir.Jesuisentraind’acheterlecottage.

—Quoi?Cecottage?Briarbank?

—Oui.

—Maisc’estimpossible!C’estunbieninaliénable.

—Non,çanel’estpas.Lesterresquientourentlechâteaulesont,maispaslecottage.

—Alors,aveccespapiers...

—Jedevienslepropriétairedecettemaison,déclara-t-il.Nousledevenons,rectifia-t-ilenhâte.

—Mais...maiselleappartientàlafamilled’Orsaydepuisdessiècles!s’exclama-t-elleenbattantfurieusementdespaupières.

Bonsang!Elleneleprenaitpasbiendutout.

—Vousauriezmieuxfaitdelaprévenir,commentaJack.

—Sortez!aboyaSpencer.

Ilavaitbesoind’enparlerseulàseulavecAmelia.

— Non, reste, protesta Amelia en attrapant son frère par le bras. Ne le laisse pas techasserdecettemaison.

—BonDieu!Vousmefatigueztouslesdeux!s’exclamaJack.Jevaisallermecouchersivouslepermettez.

Une fois que son beau-frère eut quitté la pièce, Spencer posa lesmains sur les épaulesd'Ameliaetsemitàlamasseravecunetendressequivenaitunpeutard.

— Amelia, j'ai mené ma petite enquête ces dernières semaines. Votre frère est trèsendetté.Ildoitdesmilliersdelivresàunhommebeaucoupmoinsindulgentquemoi.

Ilneluirévélapaslenomducréancier.Celaneluiauraitpasditgrand-chose.Quoiqu’ilen soit, il s'agissaitdupropriétairede sallesde jeuxparmi lesplus infâmesdeLondres ; ilétaitréputépoursonintransigeance.Àvraidire,onnesehissaitpasausommetdecegenredecommercesanssemontrerimpitoyable.

Leslarmesmontèrentauxyeuxd’Amelia.

—Ilfaitpeuràvoir,souffla-t-elle.Ilal'airsitourmenté.

—Ildoitprobablementvivreentrelarueetlestavernesdepeurderentrerchezlui.S’ilneremboursepassadetteauplusvite...

Iln’achevapassaphrasemais,visiblement,Ameliaavaitcompris.

— Si je lui donnais directement l’argent dont il a besoin, ce serait comme si je

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cautionnaissonattitude.Enrevanche,jepeuxachetercecottage.Pourvous.

—Pourquoidiablevoudrais-jececottagepourmoi?

Detouteévidence,elleavaitcomplètementoubliéleurmarchéinitial,cequiluiredonnaespoir.

— J’avaisprévudel’acquériraucasoùvousdécideriezdevivredevotrecôté.Après lanaissanced’unenfant, s’entend.Évidemment, jepréféreraisdésormaisquece cottagenousservederefugeàtouslesdeuxpourlasaisonestivale,ajouta-t-ilenessuyantunelarmesurlajoued'Amelia.

— Spencer, cet endroit faitpartiedupassédesd'Orsay.NousavonsperdunotrehôtelparticulierdeLondresdepuislongtemps,quantauchâteaudeBeauvale,vousenavezvulesruines.Cecottageesttoutcequinousreste.L'orgueilfamilialestlemortierquinouspermetdemaintenircespierresdebout.Jenepeuxpascroirequevousayez lacruautédenousendéposséder.

—Lacruauté?Cetendroitappartientpeut-êtreaudomainedeBeauvale,maisvousêtesla seule à y être véritablement attachée.Et notre famille dans tout cela ? Pourquoi ne pasentamerensembleunnouveauchapitredel’histoiredecettemaison?

—Etvouscommenceriezcechapitreenlivrantmonfrèreenpâtureauxloups?lâcha-t-elleenrepoussantsesmains.

Diable,ilenavaitplusqu’assezdel’entendreluirebattrelesoreillesavecsonfrère!

— Combien de temps encore allez-vous continuer à prendre sa défense ? articula-t-ild’unevoixvibrantedecolère.Unefoislatransactioneffectuée,Jackseseradébarrassédesadette.Maisvousl’avezentendu,iln’aqu’uneidéeentête:seremettreàjouer,poursombrerdenouveau.S’ilcontinueainsi, ilvadroitàsaperte.Et ilvousentraîneraàsasuitesanslemoindreremords.S’ilresteici,ilvavousamadoueràforcedecajoleriesetdepromesses...Etunbeaumatin,vousvousréveillerezpourvousapercevoirqu’ilafiléavecvosperles.Envouslaissantunenouvellefoisanéantieparlechagrin.

— Ilne feraitpascela,protesta-t-elle.Et sivousétiezsi sûrde fairemonbonheurenachetantBriarbank,pourquoinem’enavez-vouspasparlé?Non,vousavezpréféréagirdansmon dos, et manipuler tout le monde pour parvenir à vos fins. Nous n’étions pas mariésdepuisunesemaineque...vousvousêtesservide ladettedemon frèrepourmepousseràjouerauxcartesetposerlesmainssur...

Elles'interrompit,essoufflée.Puisrepritàvoixbasseenindiquantlabibliothèque:

— C'estpourcettepartiedecartesquevousavezlancédesinvitations,pasvrai?Vousavez organisé nos vacances dans le seul but de récupérer les jetons et d'acquérir ce satanécheval!

Spencerhaussalesépaules,incapablederéfutersesaccusations.

—Etvousmereprochezdenepassavoirchoisirmespriorités?Vousm'avezfaitcroirequevousdésiriezréserverunaccueilchaleureuxàcesgens.Jecroyaisquevousvouliezêtre

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honnêteaveceux,gagnerleurconfianceetleurcoopération.Maisnon.Vouspréférezdeloinlesmanigances à la franchise. Tout ce que je vous demande, c'est de donner une chance àJack.Parlezaveclui,ouvrez-luilesyeux,permettez-luid'apprendreàpartirdevotreexemple.Maisvousnevoulezrienentendre.Celadit,quandjevoiscommentvoustraitezvotreproprefamille, je ne suis pas surprise. Vous n’avez pas parlé à Claudia en fin de compte, je metrompe?

—Non.

Il eut un soupir contrit. Non, il ne lui avait pas parlé. Il aurait certes pu trouver uneexcuse,maisç'auraitétéunmensonge.

—Jem'endoutais.Monfrèreapeut-êtredesproblèmes,maisvousêtesloind'avoiruncomportementexemplaire.Vousêtestellementmuréenvous-mêmequec’estunmiraclequevousarriviezàvoirplusloinqueleboutdevotrenez.Leducintelligentetfortunéquipréfèrepasserpourunrustreplutôtqued’avouerqu’ilsesentmalàl’aiseenpublic?Quipréfèreselaisseraccuserdemeurtreplutôtqued’admettrequ’ilauncœur?

Commentpouvait-elledirecela?Ilétaitcertesréservéaveclesautres,maispasavecelle.Elleluiavaitdonnéenviedesortirdesonfichuisolement.Àprésent,ilbrûlaitdefairepartied'une famille, de fonder un foyer. Ne comprenait-elle donc pas que c était pour eux qu'ilvoulaitcecottage?

—Amelia...commença-t-il.

Mais sa voix se brisa. Il se racla la gorge et recommença, cette fois d’une voix claire etposée:

—Vousêtestoutpourmoi.Etjenem'encachepas.

—Etvouscroyezqu’ilsuffitdem'enleverd’unesalledebaletdedistribuerdescoupsdepoingenmaprésencepourmeleprouver?Vousêtessurlepointd’arrachercettemaisonàmafamille,demettreuntermeàunehistoirevieilledeplusieurssiècles.

Elleravalaunsanglot.

— Entre-temps,vousvousêtesservidemoietdemonamourpourcetendroitafindevousapproprieruncheval.Etaujourd’hui,vousmettezmonfrèreàlaporte,unefoisdeplus.

—Maisc’estvousquilaissezJacks’immiscerentrenous!Vousvouscomplaisezdanslerôle de lamartyre dévouée.Mais je sais que quelque part sous cette carapace se cache lajeunefilledeseizeansquicroyaitmériterlebonheur.Lafemmequim’acaptivéaupremierregard et que je n’ai pas pu laisser partir. J’ai fait de mon mieux pour me montrercompréhensif,mais...

—Devotremieux?Oh,Spencer,vousn’allezpasmefairecroirecela!Vousm’accusezdemasquermavraienature,maisvousnefaitespasmieux.Jen’aijamaisconnuunhommeaussiremarquable,compliquécertes,maisattentionné...etaussirésoluàledissimuler.

Sic’étaitcenséêtreuncompliment,ilneleperçutpascommetel.

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—Ditescequevousvoulez,Amelia.Vousnepouveznierquejefaisdesefforts.Etj’enaiassezdepassertoujoursaprèsJack.Moiaumoins,j’essaiedefairevotrebonheur.

— Commentpourrais-jeêtreheureuseensachantquemonfrèren’oserentrerchezluiparcequ’ilcraintpoursavie?

—Jenesaispas,maisvousallezdevoirapprendreàfaireavec.ParcequeJackn'estpasprèsdechanger.Tôtoutard,vousdevrezchoisiràquivavotreloyauté.Àluiouàmoi?

Elle le regarda comme s’il était une sorte de monstre. Bon sang, il n'était qu’un êtrehumainquidésiraitsavoirsisafemmel'aimaitplusquetouslesautreshommes!N'était-cepasnaturelpourunmari?

—Sivousmeconnaissiezuntantsoitpeu,dit-elled'unevoixtremblante,voussauriezàquel pointma famille compte àmes yeux. Si vousme demandez de la renier... vous faitesvous-mêmeunchoix.

Ellesaisitlaliassedepapiersetlaplaquacontresapoitrine.

— Ilsn'ontpasencoreété signés.Tantquecettemaisonappartientauxd’Orsay,Jackreste.

— Riendebonne sortiradecela, laprévint-il.Votre frère recommenceraàvous fairesouffrir.

—Cenepourraêtrepirequecequevousmefaitessubirencemomentmême.

—Amelia...

Iltenditlebrasverselle,maisellesedéroba.

—Allez-y,reprit-elleenindiquantlabibliothèque.Allezremportervotrestupidecheval.Noussavonstousdeuxàquivavotreloyauté.

Elleétaitàfleurdepeau,ets’étaitmisuntasdefaussesidéesentête...Autrementdit,ilétaitinutiledediscuteravecelle.

Aussiseplia-t-ilàsonsouhait.Ilsortit.

Labibliothèqueétaitpetite.Ilss’installèrentautourdubureau.IlsoptèrentpourlepokerquoiqueSpencereûtpréférélepiquet,auquelilexcellait,maisquisejouaitàdeux.

Illuifallutdutempsetunepatienceinfiniepourtendreunpiège.Latâchelaplusarduefutderecréerl'illusionduhasard.Pendantlapremièreheure,ilremportaquelquesplistouten faisant en sorte d’en perdre certains autres. En quelques occasions, l'habileté de sesadversaires le prit carrément au dépourvu. Il savait qu’il devait observer Bellamyattentivement. Tous les joueurs, si doués fussent-ils, laissaient échapper malgré eux desindicessurleurjeu.MaisSpencern’arrivaitpasplusàseconcentrersurleshaussementsdesourcilsdeBellamyquesurletambourinementdesesdoigts.Ilrevoyaitlesbeauxyeuxbleusd'Ameliabrillantsde larmes et entendait sesparoles cinglantes. Il se rappelait aussi cequi

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s'étaitpasséplus tôtdans la journée,alorsqu’ilétait installésurcemêmesiège. Ilétaitenpleineconfusion.

Enunsens,ellen’avaitpastort.EnorganisantcetteescapadedansleGloucestershire, ill’avaiteffectivementmanipulée,elle,ainsiquetouslesautres.S’arrangeantpourracheterlecottagedans leplusgrand secret, conspirant avecRhyspouramenerBellamyà cette table.Maisqu'est-cequ’elles’imaginait?Qu’enadoptantsavisiondeschoses,cettepetitepartiedecampagneaurait étéune réussite?Qu’elleauraitouvert samaison, sesbraset soncœuràtoutlemonde?Spencerauraitrévélédevieuxsecretsassezembarrassants,et,entrepêcheàlaligneetjeuxdesalon,leconflitauraitétérésolu.Lestroishommesseraientdevenusamis.

Quellevisionnaïvedelavie.

TandisqueBellamybattaitlescartes,Spencerdemandaàbrûle-pourpoint.:

—Dis-moi,Ashworth...nousnesommespasamis,n’est-cepas?

Cedernierfronçalessourcils.

—Jenesaispas.Entoutcas,nousnesommespasennemis.

—Ilyad’autrestraumatismesdonttuaimeraisquenousparlions?

—Pasparticulièrement.Ettoi?

Spencersecoualatête.

Bellamycommençaàdistribuer.

—Puisquenousensommesauxconfidences,j’enprofitepourvousavouerquejevousméprisetouslesdeux.Et,autantquevouslesachiez,jesuisnédansungroupedechevriersnomadesenAlbanie.

Voilàquiétaitdit.Adieu,rêvesd’amitié!Spencerrassemblasescartes.Pasdepaires,peudepotentiel.L’heureétaitvenuedemettreàexécutionleplanconvenuavecRhys.

—Trèsbien,venons-enauxchosessérieusesdanscecas.Dixmille.

Ilgriffonnalasommesurunboutdepapierqu’iljetaaucentredelatable.

—Jenepossèdepascettesomme,annonçaRhys.

—J’acceptetonjetonencontrepartie.

—Dixmille?répétaRhysensoutenantsonregardl’airdedire«nousétionsconvenusdequinzemille».Vingtmille,etnousseronsquittes.

Le sournois ! Spencern’avait pas envie demarchander. Il voulait en finir, etmodifia lasommeindiquéesurlepapier.

Ashworth sortit le jeton de son porte-monnaie et le posa sur la table devant lui enadressantunregardénigmatiqueàSpencer.

—C’estentrelesmainsdudestin,àprésent.

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—Jepréfèreprendremondestinenmain,merci,fitBellamyensoulevantlecoindesescartesposéessurlatable.

Sonvisagedemeuraimpassible.Spencerpensaitqu’ilsemettraitenretraitetattendraitdevoircommentlapartiesedéroulaitentreAshworthetluiavantd’yrisquerdesplumes.

MaisBellamyn’étaitpasàcepointintelligent.Ilglissalamaindanslapochedesavesteetensortitunjeton.

—Allons-y.J'enaiassezdemiserdespennies.Ilfautàtoutprixquejeparleàcettecatinavant qu’elle oublie tout. Je dois découvrir avec qui Léo se trouvait cette nuit-là. Soncompagnonpourrapeut-êtrememenersurlapistedestueurs.

—Peut-êtrequecethommeestmortluiaussi,suggéraAshworth.

—Siunautregentlemanavaitdisparuous’étaitfaittuerlamêmenuit,nouslesaurionsàl’heurequ’ilest.Àmoinsqu’ilnesoitcomplicedel’attaque,ajouta-t-il,songeur.

—Bonsang,cessedechercheràtoutprixuneconspiration!s’énervaSpencer.C’estuncoupdemalchancebêteetméchant.Peut-êtrequelaprostituéeamenti,oupeut-êtrequ’elles’estsimplementtrompée.

—Possible,admitBellamy.Maisplusvitejeluiparlerai,plusvitej’enaurailecœurnet,pas vrai ? fit-il en jetant le jetonau centrede la table.Une seulepartie.Lesdix jetons.Levainqueurlesremportetous.

—J’aidéjàmisévingtmillelivres,protestaSpencer.Tuvoudraisquejerajoutetousmesjetonsenplus?

— Tuveuxcecheval,ouiounon?rétorquaBellamyavecunregarddur.C’esttaseulechance.Quetugagnesouquetuperdes,àlafindelapartie,jemelèveetjem’envais.

Spencerledévisagea,cherchantenvainàdécelerunticdanslamâchoireouunedilatationdespupillessignificative.Diantre!Ilauraitdûseconcentrerdavantage.IlsauraitàprésentsiBellamy possédait réellement de quoi étayer sa mise ou s’il bluffait pour effrayer sesadversairesetquitterlatableavecsonjetonetsadignité.

QuelquesoitlejeudeBellamy,Spencersavaitquelesiennevalaitrien.Certes,ilrestaitencore des cartes à distribuer, et il se pouvait que la chance tourne en sa faveur,mais s’ilrelevaitcepari,ilrisquaitdetoutperdre.

Enfin,pastout.Ilpritsoudainconsciencedesadémesure.Quelétaitlevéritableenjeudelapartie?Quelquesrondellesdecuivreetunétalonsurledéclin?Toutàcoup,riendetoutcelanesemblaitavoirdevaleuràsesyeux.Enrevanche,safemmeétaitirremplaçable.

Celafaisaitsilongtempsqu’ilpoursuivaitcebutqu’iln’avaitjamaisenvisagédecapituler.Aprèstoutcetemps,ilavaitpratiquementoubliépourquoiilvoulaitcetétalon.Audépart,ils’étaitpersuadéqu’enrenonçantàOsiris, ilrenonçaitàJunon.OrrenonceràJunon,c’étaitun peu renoncer à lui-même. Mais c’était avant. Aujourd’hui, il pensait différemment. Ilenvisageaitl’avenir.S’ilsétaientréuniscesoir,c’étaitparcequeleurami,LéoChatwick,étaitmortbientrop jeune.Spencer tenait-ilvraimentà lirecetteépitaphesursa tombe:Joueur

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émérite,amoureuxdeschevaux?

L’espace d’un instant, il imagina sa défaite. Il laisserait tous les jetons sur la table,abandonneraittouterevendicationsurOsiris,puismonteraitàl’étagedemanderpardonàsafemme.Il lui jureraitdefaired’ellesaprioritétoutenespérantqu’unjour,ellepartagesonsentiment. Il la couvriraitdebaisers,murmureraitdesmotsdouxcontre sapeau, lui feraitl’amourjusqu’àcequ’ilss’effondrent,àboutdeforces.

Quelgoûtauraitladéfaite?Ungoûtsavoureux!Pareilàceluidelavictoire.

L’heureétaitvenuedetirersarévérence.

Apparemment,Bellamyavaitpris lamêmedécision.Ramassantsonjeton, il lefourradenouveaudanssapocheetseleva.

—Bon,ehbien,situn’aspaslecrande...

— Assieds-toi,fitSpencerenjetantlejetondeLéosurlatable.Nousallonsenfinircesoir.Lesautresjetonssontdansuncoffretàl’étage.Jevaisenvoyerunvaletlechercher.

Ilseleva,maisavantqu’ilatteignelaporte,celle-cis’ouvritàlavoléeetAmeliaentraentrombe,Lilysursestalons.Lesdeuxfemmesparaissaientaffolées.

—Dieuduciel,quesepasse-t-il?s'exclamaSpencerens’avançantversAmelia.

Au diable les chevaux et les cartes ! À cet instant précis, rien d’autre ne comptait queprendresafemmedanssesbras.Elleavaitbesoinde luietelleétaitvenue le trouver.Ilnelaisseraitriennipersonneluifairedumal.

Maisalorsqu’ils’apprêtaitàl’enlacer,ellelerepoussa.

—Nousn’avonspasletemps,articula-t-elle.Claudiaestpartie.

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21.

—Partie?répétaSpencerdontlevisageviraaugris.Vousenêtessûre?Peut-êtreest-elleseulement...

—Non.Elleestbeletbienpartie.Etpasseule.

Ameliafitunepause,nesachantcommentluiannoncerlanouvelle.Maisellen’avaitpaslechoix.Letempsleurétaitcompté.

—Elles’estenfuieavecJack.Ilsontlaisséunmot.

Elle lui tendit cedernier.Elle l’avait trouvé fixé aumontantde la portede la cuisine, àl’endroitoùsesfrèresavaientl’habitudedeluilaisserdesmessages.Lebureaudepostedesd’Orsay,l'appelaient-ils.Fidèleàsonhabitude,Jackétaitbref:

SommesenroutepourGretnaGreen.[8]

Tousdeuxl’avaientsigné.

—Depuisquand?demandaSpenceravecbrusquerie.

— Nous...nousnesavonspasprécisément.De touteévidence,entre la findudîneretmaintenant.Tousleschevauxsontlà,ilsontdûdoncpartiràpied.C’estladotquil’intéresse,j’imagine.

—Jesuistellementnavrée,fitLilydanssondos.Jemesuiscouchéedebonneheureet,biensûr,jenel'aipasentenduesortir.

—Nevousexcusezpas,ditSpencer.Vousn'êtespasresponsabledeClaudia.

IlposasurAmeliaunregardacéré.Biensûr,Claudiaétaitenpartiesoussaresponsabilitéàelle.EtJackn’auraitpasétélàsiellen’avaitpasinsistépourqu’ilreste.

—Jesuisvraimentdésolée,dit-elled’unevoixfaible.Qu’ilsesoitenfuiavecelleenpleinmilieudelanuit...jen’arrivepasàlecroire.

— Évidemment ! Vous n’avez pas voulu écouter mes mises en garde. Vous prenezsystématiquementsadéfense.Pourquoichangeriez-vousdediscoursmaintenant?

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—Peut-êtreest-ceunmalentendu,hasarda-t-elle,alorsmêmequ’elleendoutait.

Lesmâchoiresserrées,Spencersedirigeaverslebureau.

—Jevousavaisbienditques'ilrestaitici,riendebonn'ensortirait.

—Eneffet.

Mais elle avait préféré prendre le risque, supposant bêtement que seuls ses sentimentsétaientenjeu.QuesiJackpréparaitencoreuncoupfourré,elleseraitlaseulevictime.Jamaisellen’auraitpenséquesesactionspuissentégalementnuireàSpenceretàClaudia.

BellamyetAshworths’étaientlevés.

—Quesepasse-t-il?s’enquitBellamy.

—Monfrères’estenfuiavecClaudia,réponditAmelia.

Spencerlafoudroyaduregard.Elles'empressad'ajouter:

— Cen'estpascommesinouspouvions le leurcacher.Pour l'amourduciel,Spencer,laissez-lesnousaider!

—Morland,quellerouteont-ilspriseselontoi?demandaAshworth.

—Amelia?interrogeaSpencer.Vousconnaissezmieuxlarégionquemoi.

Ellehaussalesépaulesd’unairimpuissant.

—Ilyaplusieursroutespossibles.IlssesontvraisemblablementdirigésversGloucesterpourprendreunemalle-posteendirectionduNord.MaispourserendreàGloucester,ilsontpupasseraunordparColford,ouà l’estversLydney. Ilsontaussipumarchervers lesud,traverserlaSevernenbacjusqu’àAustpourcontinuerensuiteàpiedjusqu’àLondres.C’estlàqu’ils trouveront lesdiligences lesplus rapides enpartancepour l’Écosse.Oualors, ils ontpeut-êtretentéd’embarqueràbordd’unnavire...

Sa voix mourut en même temps que ses espoirs. Les possibilités étaient infinies, leschancesdelesrattraperminces.

— Quellequesoit ladirectionchoisie, ilsn’ontpasplusd’unedizainedekilomètresàparcourirpourtrouverunmoyendetransport.

—Bon,noussommestrois,déclaraAshworth.

—Jevaisfairesellermeschevauxlesplusrapides,déclaraSpencerenouvrantuntiroirdubureau.Nousallonsprendrechacununeroutedifférente.

—Quandai-jeproposémonaide?intervintBellamy.

—Àl’instant,répliquaSpencerensortantunpistoletdutiroir.

Il fourra l’arme dans la ceinture de son pantalon d’un geste sans doute destiné àimpressionnerBellamy.

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—D’accord,d’accord,acquiesçacedernier.JefileausudendirectiondelaSevernetdela capitale. Si jamais je les trouve, vous en serez informés. Sinon, je poursuivraima routejusqu’àLondres.

—Trèsbien.TulatrouverasauBlueTurtleàHounslow.Ontedemanderasûrementderéglerlanote.

SiAmelian'avaitaucuneidéedecequecettedernièrephrasesignifiait,Bellamy,lui,parutcomprendre.

— Je monte au nord, déclara Ashworth. S'ils ont emprunté une voie carrossable,quelqu’unlesauraaperçussurlaroutedeGloucester.

—Danscecas,jefileàl’est,conclutSpencer.Parlaforêt.

— Je vais chausser une paire de bottes dignes de ce nom, annonçaBellamy avant dequitterlapièce.

Lilyluiemboîtalepas.

Ashworthsortitàsontour.

—Onseretrouveauxécuries,lança-t-ilpar-dessussonépaule.

Ameliaseretrouvaseuleavecsonmari.Elleleregardasortirdescartouchesd’unsacpourlescompter.

—Jesuistellementnavrée.

—Épargnez-moivosexcuses.

Avecunsoupir,ilattrapasaredingotesuspendueaudossierdesonsiègeetl’enfila.

— Donnez-moi l’itinéraire. Route, noms, bornes, points de repère. Tout ce dont vousvousrappelez.

Ellefitdesonmieuxquoiqu’ellen’eûtpastraversélaforêtdeDeandepuisdesannées.

— Bonsang,marmonnasoudainSpenceren jetantuncoupd’œilpar la fenêtre.Voilàqu’ilsemetàpleuvoir.

Ilnemanquaitplusquecela!Amelias'imaginaJacketClaudiamarchantsousunepluiebattante...sansoublierlestroiscavalierslancésàleurpoursuitesurunterrainglissantquineleurétaitpasfamilier,alorsqu’ilfaisaitnuitnoire.

CommeSpencerpassaitprèsd’ellepourgagnerlaporte,elleleretintparlamancheetleforçaàpivoterverselle.

—Attendez,Spencer.Vousmereprochezcequiestarrivé?

—Jen'aipasletempsdediscuterpoursavoirquiestàblâmer,Amelia.IlfautquejelesretrouveavantquelaréputationdeClaudiasoitruinée.Voirepire.

Elletressaillit,nesachantquetropbiencequ’ilinsinuait.Jackétaitcertesdésespéré,mais

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iln’allaittoutdemêmepasdéfloreruneinnocentedequinzeans?Encorequ’àcestade,ellenesavaitplusquoipenser.

—N’ya-t-ilrienquejepuissefairepourmerendreutile?

—Nebougezpasd’ici.Vousm’entendez?insista-t-ilenluiprenantlementond’ungestebrusquepourlaforceràcroisersonregard.Restezlàaucasoùilsrentreraient.

Ellelâchasamanche.

—Queferez-voussivouslesretrouvez?

—Cequ’ilfaudrapourprotégerClaudia.

Autrementdit,iln’hésiteraitpasàemployerlaforce.

Vulescirconstances,elleneluiauraitpasdemandédesemontrerclément...leravisseurdeClaudiaeût-ilétéunautrequesonfrère.

—Jevousenprie,supplia-t-elled’unevoixétranglée.Neletuezpas.Jenesupporteraispasde...

—Deperdrevotrefrère,acheva-t-ilàsaplaced’untonamer.Jesaiscequ’ilreprésentepourvous,Amelia.Croyez-moi,jenelesaisquetropbien.

Durantlesdeuxheuresquisuivirent,Ameliatournadanslesaloncommeunoursencage.Elle étaitmorte d’inquiétude. Plus le temps passait, plus elle avait demal à imaginer uneissueheureuseàcetteaffaire.SijamaisClaudiaetsonfrèrepassaientlanuitdehors,lajeunefilleseraitperdue-peuimportaitqu’onlesretrouveavantqu’ilsaientatteintl’Écosse,ouqueJack ne l’ait pas touchée. Spencer n’aurait d’autre choix que de les laisser semarier pourpréservercequ’il restaitde laréputationdeClaudia.Lesdeux jeunesgens leregretteraientsansdoutejusqu’àlafindeleursjours.

EnadmettantqueSpencerépargnelaviedeJack.

Unfrissonlasecoua.Laseuleidéededevoirchoisirentreeuxdeuxl'avaitdésolée.Cettenuit,ledestinrisquaitdefairecechoixàsaplace.S'ilarrivaitmalheuràClaudia,Spencerneleluipardonneraitjamais.

Dansun fauteuilnon loind’elle,Lilydormaitd’unsommeilagité.L’espritenébullition,Amelia cherchait désespérément une réponse aux questions qui la taraudaient. Si ellecomprenaitpourquoiJackavaitjetésondévolusurClaudia,enrevanche,ellenes'expliquaitpasquecelle-ciaitacceptédelesuivre.Jackétaitcertesbeaugarçon,et il luiarrivaitd’êtrecharmant quand il le voulait...mais en cemoment, il n’était pas aumieux de sa forme, etClaudial’avaitàpeinecôtoyédepuisleurrencontre.ElleavaitdumalàaccepterlemariagedeSpencer,aucundoute,maisétait-ellefurieuseaupointdes’enfuiravecunjeunehomme?

Etquepenserdel’Ecosse?Jackn’étaitpasassezingénieuxpouravoirorganiséunefugueàGretnaGreen.C’étaitunvoyagelong,éprouvantetcoûteux.Iln’avaitpasunsou,etl’argentdepochedeClaudianelesmèneraitpasloin.Peut-êtreavaient-ilsemportédesobjetsqu’ils

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espéraientrevendre.

Dansunaccèsdefrayeur,elles’emparad’unchandelieretseprécipitaàl’étage,dansleurchambreàcoucher.Elleouvritlepetitplacardd’angleetfitcoulisserlepanneaudufond...

Là.Lepetitsachetdebijouxde leurmèren’avaitpasbougé.Soncontenu-uncollierdeperlesetdesbouclesd’oreillesentopaze-n’avaitdevaleurquesentimentale,c’estpourquoiAmeliaytenaitcommeàlaprunelledesesyeux.

Elleremitlepanneausecretenplaceetseredressa.

Pours'accroupirpresqueaussitôt.Soncœurbattaitlachamadeetlatêteluitournait.

Justeciel!Subitement,toutfitsens.

Restezlàaucasoùilsrentreraient.C’étaittoutcequ’illuiavaitdemandé.

—Pardonnez-moi,Spencer,marmonnaAmeliaensortantducottage,unchâledrapésurlesépaules.

Lapluie tombaitmoinsdrueàprésent,mais la températureavait chuté.La lune fitunepercée entre les nuages, mais Amelia savait que ce serait de courte durée. Elle attrapa lalanternesuspendueàproximitéde laported’entrée.Pataugeantdansdesflaquesd’eaupeuprofondes,ellegagnal’écurie.

Si elle avait deviné juste - et la petite voix dans sa tête le lui assurait -, Claudia étaitdavantageendangerqueSpencerne l’imaginait.Enrevanche,ellen’étaitpeut-êtrepas trèsloin.

Une fois dans l’écurie, elle se rendit compte, sotte qu’elle était, queCapitaine, son vieilhongre, n’était pas sellé. De toute façon, monter en pleine nuit, dans son état, était troprisqué.Ehbien,ilneluirestaitplusqu’àmarcher.

Elle s’engagea sur le sentier sinueux qui grimpait jusqu’en haut de la falaise. Le sol,recouvert de pierre calcaire et de mousse, devenait très glissant par temps de pluie. Elletrébuchaàplusieursreprises,maisparvintàatteindrelepromontoireentière.

Elles’octroyaquelquessecondespourreprendresonsouffle,puisfonçaverslesruinesdeBeauvaleCastle.C’étaitlàquelesfilsd’Orsaypréparaientleursmauvaistoursautrefois.Toutencouvrantladistancequilaséparaitdesmursàdemiéboulés,ellepriapourquelesvieilleshabitudesaientperduré.

Parvenue au corps de garde, elle haletait. Son cœur s’allégea quand elle vit la porteentrouverte.Ellepoussalepanneaudechêneetbranditlalanterneàboutdebras.

AucentredelatourplongéedanslapénombresetenaitJack.Sescheveuxtrempésétaientplaquéssursoncrâne.Ilparutàpeinesurprisdelavoir.

—Jenesavaispas,Amelia,fit-ilenjetantunœilpardessussonépaule.

ElleaperçutClaudia,recroquevilléedansuncoin.

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—Jetejurequejenesavaispas,répéta-t-il.

—Tuesunimbécile,répliqua-t-elleensuspendantsalanterneàuneapplique.

Ellepassadevantlui.

— Tupensaisvraimentqu'elleacceptaitde s’enfuiravec toipour tesbeauxyeux?Tun’espasàcepointirrésistible.

EllerejoignitClaudiaàlahâteets’agenouillaprèsd’elle.Ellegrelottait,leslèvresbleuies,leregardvide,lesjouesstriéesdelarmes.

Ameliaôtasonchâlepourl’enenvelopper.

—Toutvabien,Claudia.Nevousinquiétezpas,murmura-t-elleencherchantsonregard.Toutvabien.Jesaistout.

L’adolescentes’effondradanssesbras,lecorpssecouédesanglots.Amelial’enlaçaenluichuchotantdesparolesrassurantes.Lapauvrepetite.Absorbéeparsespropressoucis,Amelian’avait pas compris que la grossièreté de Claudia à son endroit n’était pas due à unquelconqueressentiment,maisaufaitqu’elleredoutaitquel’onnedécouvresonsecret.

Saréserve,sessautesd’humeur,sesvariationsd’appétit,sesnauséesdurantlevoyage...

Claudiaattendaitunenfant.

—Pauvrepetite,fitAmeliaencaressantsacheveluremouillée.Jesuistellementnavrée.C’estarrivéàYork,n'est-cepas?

Claudiahochalatêtecontreelle.

—Monprofesseurdemusique.Jemesentaistellementseulelà-bas,etilétaitsigentil,audébut.Ilm’avaitpromisquejen’auraispas...

Savoixsebrisa.Ameliaresserrasonétreinte.

—Oh,Amelia,j’aiétésistupide!Commenttrouverai-jelecouragedeleluiavouer?

Ameliasavaitqu’ellenefaisaitpasallusionauprofesseurdemusique.

—Jenepourraipas,sanglotaClaudia.Ilseratellementfurieuxcontremoi.

—Chut,fitAmeliaenlaberçantdoucement.Jeleluidiraimoi-même.Ets'ilsemetencolère,ceneserapascontrevous.Iltienttellementàvous.

—Jepensais...qu'enm’enfuyant,etenmemariant...

— ... tout le monde croirait que l’enfant était de Jack, devina Amelia. Et que vousn’auriezjamaisàavouerlavérité.

—C’estellequiaeul’idée,intervintJack.J’ignoraisqu’elleétaitenceintejusqu’àcequ’ilsemetteàpleuvoirdescordes.Ilfautquetumecroies.Elleestvenuemetrouver,etj’étaissidésespéré...

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Ilétaitallés’adosseràunmur.Lentement,ilselaissaglisserlelongdelaparoi.

—Jenel’aipastouchée,jetelejure.

— Je te crois, Jack,mais comment as-tu pume faire cela ? Jeme suis battue bec etonglespourtoi.Jet’aisoutenuenversetcontretout,j’aicruentoi.Etc’estainsiquetumeremercies?Ent’enfuyantaveclapupilledemonmari?

—Jesuisdansdesalesdraps,Amelia.

—Spencerm’araconté.

—C’estencorepirequecequ’ilpense.C’estsoitl’exil,soitlamort,fit-il.Jepréféreraispresqueladeuxièmeoption.

Cetaveu transperça lecœurd’Amelia.Elleauraitvouluconsolerson frère,maisClaudiaavaitbesoind’elle.

—Ilnefautpasluienvouloir,murmuracettedernière.Iladitvrai.C’étaitmonidée.

—Certes,maisilauraitdûêtreplusraisonnable!Vousn’avezquequinzeans.

—Presqueseize,rectifia-t-elle.

—Seize,répétaJackd’unairabsent.Tuasoubliél’étédetesseizeans,Amelia?TuétaisfiancéeàuncertainM.Poste.Hughetmoiavonspassédesheurestapisici,danslesruinesdeBeauvale, àmanigancer un plan pour empêcher tonmariage. Nous n’avions peut-être quetreizeetdouzeans,maisnousavionsjurédenejamaistelivreràcevieillarddécrépit.Nousavionspréparédesgrenadesdepoudrenoirepourfairediversion,etunecatapulte,expliqua-t-il.Etnousavionsprévuunlâcherdepouletsenragés,simessouvenirssontbons.

Lesyeuxemplisdelarmes,Amelianeputs’empêcherderireàlapenséedelacérémonieinterrompueparunlâcherdevolatiles.CevieuxM.Posteauraitsansdoutefaituneattaque.

—Vousavezdûêtretrèsdéçusquandj’aitoutannulé.

— Non, rétorqua-t-il en la regardant droit dans les yeux. Nous avons été soulagés,Amelia.PasseulementHughetmoi,maistoutlemonde.Tuméritaistellementmieux...C’estpourquoi je me sens si mal à l’idée de t’avoir indirectement poussée dans les bras deMorland,avoua-t-ilaprèss’êtreraclélagorge.

— Jack, lasituationestcomplètementdifférente.Spencerest l’opposédeM.Poste.Jel’aime.

—Tuaimestoutlemondesansdistinction.Toujoursest-ilqu’iln’estpasassezbienpourtoi. Personne ne l’est. Si Hugh était encore de ce monde, nous aurions trouvé le moyend’empêcheraussicemariage-là.

Eussent-ils assiégé Bryanston Square, elle doutait que Spencer se fût laisséimpressionner.

—Évidemment,siHughétaitencoredecemonde,toutseraitdifférent,non?continua

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Jackenappuyantlatêtecontrelemur.Nousavonspassénotreenfancedanscetasderuines.Jenesupportaisplusdeveniriciaprèssamort.Jecroyaisqueceseraitunsoulagementdevendrelecottage,mais...

Elleressentitunpincementaucœur.Voilàpourquoiilavaitrefusédelarejoindrel'annéeprécédente?Lessouvenirsquilaréconfortaientluiétaientinsupportables.

—J'auraisdûpartiraveclui.J'enaitellementvouluàLaurentd’avoirachetéunecharged'officieràHughetpasàmoi.Jelesuivaistoujourspartout.

—Jesais,souffla-t-elle.Maistunepeuxpaslesuivrejusquedanslatombe.

L'eaugouttaitdeschevrons.Flicfloc,flicfloc.

— Seigneur!s'écria-t-ellesoudain.C'estpourcelaqueturestesassisici,n’est-cepas?Dansl'espoirqueSpencertedécouvreettedemanderéparation.

Ilneréponditpas.

Sonfrèresouhaitaitmourir.Cetaveutaciteluibrisalecœur,maislamitégalementhorsd’elle.

— Celat’arrivedenepaspenserqu’àtoi?JesaisquetuaimaisHugh.Nousl’aimionstous.Samortnousatousanéantis.Pourtanttuseraisprêtànousinfligerlamêmesouffrancepourlasecondefois?Enpoussantmonmariàteprovoquerenduel,quiplusest?

Savoixvacillacommeelleajoutait:

— Sache que ce n’est pas près d’arriver. Je ne te permettrai pas de faire de Spencerl’assassinqu’iln’estpas.

EllelissalacheveluredeClaudia.

— Etcettepetiteaquinzeans,Jack.Jemefichedesavoirdequivientl’idéeoucequit’estpasséparlatêtequandvousvousêtesenfuis.Celademeureimpardonnable.

—Jesais,jesais,fitJackenentourantsesgenouxdesbrasetensebalançant.

Amelia crut l’entendre pleurer. Ce qui ne fit qu’ajouter à sa colère.Dans cette pièce, cen’étaitpassonfrèrel’enfantvulnérable,apeuréetimpuissant.C’étaitClaudia.Maisiln’avaitrienfaitpourl’aidertantilétaitcentrésurlui-même.Cetteenfantétaitenceinte,terrorisée,trempée jusqu'aux os, et que faisait Jack ? Il la gardait dans cette tour pleine de courantsd’air.Combledelagoujaterie,iln’avaitmêmepaspenséàluiproposersaredingote.

Curieusement, Amelia en était heureuse. Ce manque de considération n'était peut-êtreriencomparéà toutcequ'il avaitpu lui fairepar lepassé,maisce fut finalement lagoutted’eau qui fit déborder le vase. Des mois durant, elle avait cru que son amour, s’il étaitsuffisamment fort, aiderait son frèreà s'en sortir.Quelleerreur !ElleavaitaccuséSpencerd'êtremuréenlui-même,maisc'étaitJackl'égoïste,incapabledevoirau-delàdesonchagrin.D’autres que lui perdaient frères, amis, parfoismême femme et enfants, sans pour autanttomber si bas. Jamais elle ne comprendrait pourquoi Jack avait sombrédans l’abîme alorsqued’autresparvenaientàlecontourner.Enrevanche,elleserendaitcomptequ'ellen’avait

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paslepouvoirdel’entirer.

—Claudia,voussentez-vousassezsolidepourvouslever?demanda-t-elle.

Cettedernièrehochalatête.

—Alors,venez.Jevousramèneàlamaison.

— Etmoi? fitJackd’unevoix faible.Quevais-jedevenirmaintenant?Dis-le-moi, toiquiaimestantmedonnerdesconseils.

— Je ne sais pas, Jack, répondit Amelia tout en aidant la jeune fille à se redresser.Honnêtement,jenesaispas.

22.

Peuavantl’aube,SpencerémergeadelaforêtpouramorcersadescenteversBriarbank.Lalune baignait le paysage de sa lumière spectrale tandis qu’un tapis de brume flottait au-dessusdelaterre.

Sesvêtementsempestaientlapoudre,sesbottesétaientmaculéesdesang.Ilétaitrecrudefatigue, et l’air était si chargé d’humidité qu’il avait l’impression de nager au travers. Delutter,desedébattre.Senoyer.

Il ne lui restait plusqu’àprierpourqueBellamyetAshworth aient réussi là où il avaitéchoué.

Uninstantplustard,alorsqu’ilpénétraitdansl’écurie,sonsangsefigeadanssesveines.

Nonseulementaucunde sesdeuxcompagnonsn’était rentré,maisCapitaine, lehongred'Amelia,n’étaitplusattachéprèsdelaporte.Dieuduciel!Ellesavaitàpeinetenirlesrênes.Ellenes’étaittoutdemêmepasaventuréedehors,seule,avecsoncheval?Vulesconditionsclimatiquesetsonmanqued’expérience,c’étaitpurefolie.

Sonsouffle seprécipita tandisque lapanique le submergeait.Àchaque inspiration,unevivedouleur luiperçait le flanc.Lamainpresséecontre lescôtes, ilsedemandas’ilnes’enétait pas cassé plusieurs. Il sortit de la grange et gagna le cottage d’un pas chancelant. Lamaisonétaitplongéedansl’obscurité,àl’exceptiond’unefaiblelueurprovenantdelafenêtrede la bibliothèque.Les yeux rivés sur le rectanglede lumière, il quitta l’alléepavée et s’en

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approcha.

Elleétaitlà,découvrit-il.Assisedansunfauteuil,uneliassedepapiersàlamain.Seule.

Il ressentit une telle gratitude qu’il dut s’appuyer au rebord de la fenêtre pour ne pass'effondrer.Iln’auraitpassupportédelaperdre,illesavait.

Mais peut-être l’avait-il déjà perdue... Et Dieu seul savait où était Claudia. Il demeurapourtantunmoment immobile,àcontemplersonadorablevisageens’efforçantd’imaginerquecettenuitnes’achèveraitpassurunéchectotal.

Ils’avançaverslaported’entrée.Ellen’étaitpasverrouillée.Quelquessecondesplustardil se tenait dans l’embrasure de la porte de la bibliothèque. Il ouvrit la bouche à plusieursreprises,maisaucunmotneluivint.

— Elle est dans sa chambre, dit Amelia en posant les papiers près d’elle d’unemaintremblante.Elledort.Ellevabien.

Une vague de soulagement déferla en lui, presque douloureuse. Pourtant, il ne savaittoujourspasquoidire. Il traversaalors lapièce, s’agenouilladevant sa femme,posa la têtesursesgenoux,etsemitàpleurer.

—MonDieu,Spencer,murmura-t-elleenrepoussantlesmèchesdesonfront,regardezdansquelétatvousêtes.Quevousest-ilarrivé?

— Riendegrave,assura-t-il.Capitaineadisparu.J’aicruquevous...Seigneur,Amelia,vousdevezmepromettredenejamaismequitter.

La main qui lui caressait les cheveux s’immobilisa. Le cœur de Spencer manqua unbattement.

—J’aiunenouvelleàvousannoncer,dit-elleenfin.Celanevapasvousplaire.

Ilauraitvolontiersgardélevisageenfouidanssesjupes,parpurelâcheté,maisilseforçaàseredresserpouraffronterlasuitecommeunhomme.

Ellehésita.

—Cen'estpasfacileàdire.

—Dites-lesimplement.

Ilappuyalesbrasdepartetd’autredesoncorps,sepréparantaupire.

—Claudiaestenceinte.

—Claudia.Claudia,enceinte?

Une série de douleurs fulgurantes lui transperça la poitrine. Au choc succédèrentl’incrédulité, la peine, la culpabilité, et la rage.Une douzaine de questions se bousculèrentdanssonesprit,maisilposalaseulequiimportait:

—Dequi?

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—DesonprofesseurdemusiqueàYork.

—Jevaisletuer,crachaSpencer.

—Àquoicelaservirait-il?Iln’estmêmepasaucourant.EtàencroireClaudia,ill'auraitcertesséduite,maisellen’étaitpas...réticente.

Laseulepenséequ’unhommepuissetouchersapupilleluidonnalanausée.

—Ellen’aquequinzeans.C’estencoreuneenfant.

— Plus maintenant, répliqua Amelia. Elle est terrorisée, Spencer. Cela fait unmomentqu'elle le sait,mais elle redoute votre réaction. Je croisqu’elle avait l’intentionde vous enparler.Plustôtdanslajournée.

Autrement dit, quand Amelia et lui étaient... occupés dans cette même pièce, et qu’ilsl’avaientrenvoyée.Iln’avaitpasprisletempsd’allerlatrouverensuite.Envérité,celafaisaitdessemainesqu’ilévitaitdeparleràsapupille.

— C’est elle qui a suggéré de s’enfuir, reprit Amelia d’une voix calme. Et Jack s’estempressédesaisirlaballeaubond.Iladésespérémentbesoind’argent;quantàClaudia,elleétaitprêteàtoutpourdissimulersagrossesse.C’étaitunplanridicule,et jepensequetousdeuxlesavaient.Enfindecompte,ilsn'ontpasdépassélecorpsdegardeduchâteau.C'estlàquejelesaitrouvés,trempésjusqu'auxos.

—Vousavezgrimpéjusqu’auchâteau?Enpleinenuit?

— J’ai pensé à prendre Capitaine, avoua-t-elle, mais je me suis vite aperçue del’absurditédemonidée.

—Dieumerci!s’exclama-t-il.J’auraisdûmedouterquevousétieztropaviséepourvouslancerdanscegenred’acrobaties.

Elleeutunlégerrire.

—S’ilnes’étaitagiquedemasécurité,j’auraispeut-êtreététentéedeprendrelerisque,mais...

Ellesoupira.

—Jemedoutequevousm’envoulez,reprit-elle.Siseulementjen’avaispasinsistépourqueJackreste,il...

—Arrêtez.Vousn’yêtespourrien.Jackestadulteetresponsable.Jesuisendroitdeluidemanderréparation,Amelia.Ilatoutdemêmeenlevéunejeunefilleinnocenteetentachésaréputation.Ilvadevoirassumer lesconséquencesdesesactes.Vousnepouvezplus l’enprotéger.

—Je...jel’aidéjàchassé.

Spencerlafixa,médusé.

—Pourvotrebienàtouslesdeux,continua-t-elle.Iln’estpasquestionquecettehistoire

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seterminedansunbaindesang.Jeluiaipromisdeleretrouverdanspeudetemps,ajouta-t-elle endétournant le regard. Je lui ai permisd’emprunterCapitaine,mais je vousprometsquelechevalvousserarestitué.

—Audiable,lecheval!

Comme s'il s’en souciait !En cet instant, il donnerait tous ses chevauxpour revenir enarrièreetchangerlecoursdudestin.

—Oùest-ilallé?

Elleneputserésoudreàcroisersonregard.

—Spencer,voussavezquejenepeuxpasvousled...

—Si,vouspouvez.Etvousallezlefaire,parcequejevousledemande.

Illuisaisitlementonpourlaforceràleregarder.

— Vousallezdevoirchoisir,Amelia.J’enaiassezdepassersystématiquementaprèscevaurien,devousvoirluiprodiguertoutevotretendresseetvotrecompassion.Cettefois,vousnepouvezêtreloyaleàl'unetàl’autre.Ilaenlevémapupille.Soitvousmeditesoùilestalléetvousmelaissezréglermescomptesaveclui,soit...

—Soit?fit-elle,lesyeuxhumidesdelarmes.

—Soitvouspartez.Vousallezlerejoindre,etvousmequittez.Tropc’esttrop.

Un signal d'alarme retentit dans sa tête, assourdissant. « Espèce d'imbécile ! Retire tesparoles avant qu'elle se rende compte de ce que tu viens de dire. » Il avait pleinementconsciencedesonerreur:enlaforçantàchoisirsur-le-champ,ilvenaitdefaireleparileplusstupide,leplusrisqué,leplusimpulsifdesavie.C'étaitsoncœurquiavaitparléetnonsoncerveau.Etsoncœurétaitenlambeaux.Ilavaitbesoind'elle.Maisil lavoulaittoutentière.Etsiellenepouvaitluidonnercequ'ildemandait,ilpréféraitlesavoirmaintenant.

Avantmêmequelesmotsaientfranchiseslèvres,illutlaréponsedanssonregard.

—Jesuisdésolée.Jeluiaipromisdelerejoindrecematin.

Le signal d'alarme qui rugissait dans sa tête se calma lentement, laissant place à unmurmurefunèbre:«Tun'asquecequetumérites,espècedecrétin.Voilà,elletequitte.Cematin.»

Le jourétait sur lepointdese lever,non?Une lumièredouces’insinuaitdans lapièce,éclairantsondouxvisagesi familierdésormais.Diantre, la lumièrede l’aubeavait toujoursétésonalliée.Ilseremémoralematindeleurrencontre,danslavoiture.C’estlàqu’ilavaitdécidédel’épouseretdelafairesienne.Etdepuis,ilavaitapprisàl’aimersansavoirbesoindelacontrôler.Iln'avaitpaslecouragedeluiforcerlamain.Siellenevoulaitpasresterdesonpleingré,qu’elles’enaille.

Tandisquelejourselevaitsurlafalaise,unenuitinfinies’abattitsurl’âmedeSpencer.

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—VousdevriezremmenerClaudiaàBraxtonHall,murmura-t-elle.Ilfautqu’ellevoieunmédecin.Maiscedontelleasurtoutbesoinencemoment,c’estderéconfortetdeconseils.C’estdevousqu’elleabesoin,Spencer.

—Mais...

Bonsang,qu’illedise,toutsimplement.

—Maismoi,c’estdevousquej’aibesoin.Jenesaispascommentlaprendre,etencoremoinscommentaborderlesujetavecelle!

—Voustrouverez,jevousfaisconfiance.

Ellerécupéralaliasseposéeprèsd’elle,etl’enroulasurelle-même.Ileutletempsdevoirqu’ils’agissaitdel’accorddeventedeBriarbankqu’iln’avaitpasencoresigné.

—J’emportecela,dit-elle.

Ilclignafurieusementdesyeux.

—Jevois.

Oui,ilnevoyaitquetrop.Lorsquesessentimentspourluiseheurtaientàsesobligationsenvers sa famille... la fiertédesd’Orsay avait ledessus, et l’aurait toujours.LesbesoinsdeJackpasseraienttoujoursavantlessiens.Ellenepermettraitpasquelecottagedesafamilledevienneleleur.Etenrefusantdelapartager,illafaisaitfuir.Ill’avaitforcéeàchoisirentresonmarietsafamille.Ilneluirestaitplusqu’àacceptersonchoix.

MaisDieuquec’étaitdur!

— Il yaencoreunechoseque jedoisvousdire,murmura-t-elle.Jepenseque je suiségalementenceinte.

—Oh,Seigneur,Amelia!

Jamais encore il n'avait éprouvéun telmélangede joie etdedétresse.La visionde soncorpss'arrondissantàmesureque leurenfantgrandissait,decetenfantqu'ilberceraitdanssesbras...C'étaitcommesiunepetiteétoileavaittraversél'atmosphèrepourvenirseficherdirectementdanssoncœur.Ilvoulaitformerunefamilleavecelleplusquetoutaumonde,etrienn'auraitpulerendreplusheureuxquecettenouvelle.Maisenmêmetemps,l'arrogancedesespropresparolesluirevenaitenpleineface.Jevousprocurelasécuritéfinancière,vousmedonnezunhéritier.Ellelequittaitcematinenemportantavecellel’excuseparfaitepourneplusjamaisrevenir.

Spencerpriaardemmentpourquecesoitunefille.

—Vousvoussentezbien?s’enquit-il,lagorgenouée.Ya-t-ilquoiquecesoitquevous...

—Jevaisbien,lerassura-t-elleenbaissantlesyeuxsursonventre.Onnepeutmieux.Dans notre famille, les femmes sont bâties pour porter des enfants, vous savez. Noussommesrobustes.

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Une centaine d’adjectifs mieux à même de lui rendre justice que « robuste » vinrentaussitôtàl’espritdeSpencer,maisdéjàelledétournaitlesyeux.

—Vousn’avezpaspufinirvotrepartie,observa-t-elle.

Iljetauncoupd’œilaubureausurlequelsetrouvaientencorelescartes,sapromessedevingtmillelivresainsiquedeuxjetonsduStudClub:celuideRhysetceluideLéo.

Celan’avaitplusd’importance.

Il se releva lentement. Il eut à peine le temps de faire quelques pas qu’une douleurfoudroyanteluiperforalescôtes.Ilgrimaçaets'appuyaaubureau.

—Dieuduciel,Spencer!s'exclama-t-elleenlerejoignant.Quevousest-ilarrivé?

—Jesuistombé,fit-ileninspirantavecdifficulté.J'aidûmecasserunecôteoudeux.

—Jevaisfairechercherlemédecinsansattendre.Vousvousêtescoupéquelquepart?Ilyadusang...

—Cen’estpaslemien.

Malheureusement, au lieu de lui demander des explications, elle se contenta d’attendrequ’il se décide. Spencer aurait pu facilement esquiver une question, mais il ne savaitcommentsedéfendrefaceàsasatanéepatience.

—J’étaissurJunon,dit-il,presséd’enfinir.NousrevenionsdeLydney.Elleatrébuchédansuneornièreetachuté.Ellem’aéjecté,heureusement.Sinon,j’auraisfinienpiètreétat.Elle s’est fracturé la jambe à plusieurs endroits. Elle souffrait beaucoup. Il aurait étéimpossible de la ramener jusqu’ici pour la faire soigner. Et quand bien même, elle seraitrestéeboiteuse...

—Oh,non!s’écria-t-elled’unevoixétranglée.Vousavezétéforcédel’abattre.

Ilacquiesçad’unhochementdetête,lesyeuxbrûlants.

— Spencer,murmura-t-elleenessuyantsespropres larmes.Vousauriez trèsmal si jevousprenaisdansmesbras?

—Probablement.Maisjesuisprêtàprendrelerisque.

Elle s’approchade luiunpeugauchement et l’enlaça.Puis, avecune lenteur torturante,ellepressasesformesvoluptueusescontreluietenfouitlevisageaucreuxdesonépaule.Cen’étaitpasassez.Illuientouralesépaulesdubrasetlaplaquacontresontorse.Celaluifitunmalde chien,mais cen’était rien comparé à ce qu’il éprouverait lorsqu’il devrait la laisseraller.

—Jesuisdésolée,fit-elle,pleurantcontresonhabitcrasseux.PourJack,Claudia,Junon,tout.Siseulementnouspouvionstouteffacer.

—Siseulement.

Elles’écartadeluietsetamponnalesyeuxavecsonpoignet.

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—Jeferaismieuxd’allerfairemesbagages,dit-elleenreniflant.

—Attendez.

Il sortit unmouchoir de sa poche et le lui tendit, sachant qu’elle le reconnaîtrait sansmêmeledéplier.Dieusaitcomment,ilparvintàesquisserunvaguesourire.

—Uneduchessenepeut-ellepassepayerunmouchoir?

Elles'enemparasansmotdire.Lefixaduregarduninstant.Puissortit.

Spencer demeura immobile, épuisé et tropmalheureux pour bouger. Il n’aurait su direcombiendetempss'étaitécoulélorsqueAshworthfrappaàlaporte.

—J'espèrequ'ilssontrentrés,fitcedernier,parcequ'ilsnesontnullepartentreColfordetGloucester.

—Claudiaestlà.Jackestparti.

—Tantmieux,grommelaAshworth.

RemarquantsoudainlesbottesensanglantéesdeSpencer,ilplissalesyeux.

—Quandtudisqu'ilest«parti»,tuveuxdireque...

—Non.

—Cen'estpasmoiquiteferaislamorale.

—Majumentafaitunesalechute,expliquaSpencer.J'aidû...

Il s’interrompit, jura et jeta un coup d’œil par la fenêtre. Le soleil avait commencé sonascension.

—Ilfautquej’aillel’enterrer.

— Je t’accompagne,décrétaAshworth.J’aieu l’occasiondecreuserquelques tombesaucoursdemavie.

— Non, non, protesta Spencer en se pinçant l’arête du nez. Tu as passé toute la nuitdehors.Jenepeuxpastedemander...

— Tunem’as riendemandé.C’estmoi qui te l’ai proposé.Et ilm’est aussi arrivé depasseruneoudeuxnuitsblanches,figure-toi.N’importequelamiferaitcela.

—Noussommesamis?

—Nousnesommespasennemis.

—Danscecas...

Spencersoupiraetsepassalamaindanslescheveux.

—Unedeuxièmepairedebrasseralabienvenue.

Indiquantlebureau,ilajouta:

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—N'oubliepasderécupérertondû.

Ashworthfronçalessourcils.

—Nousavonsétéinterrompus.Jenemerappellepasquequiconqueaitgagné.

— J'ai quitté la table en premier. Tout ce qui est sur le bureau représentemamise.Techniquement, Bellamy n'a jamais suivi. En outre, j'avais un très mauvais jeu. J'auraisperdu,conclutSpencerensecouant la tête.J'avaisprévudemettre finàcesatanéclubunefoispourtoutes,maisilsembleraitqueLéon'aitpasfiniderireànosdépens.

—TupensesqueBellamyparviendraàretrouverceluiquil'atué?

—Jecroisqu'illevoitchaquefoisqu'ilseregardedansunmiroir.C'estbienleproblème.

Spencerramassalanotegriffonnéeetlesdeuxjetons,etlestenditàAshworth.

—Prends-les,Rhys.N’est-cepastoiquinejuresqueparledestin?Peut-êtrequec'étaitécrit.

Ils prirent tout leur temps pour regagner Braxton Hall, par égard pour l'estomac deClaudiaetlescôtesfêléesdeSpencer.

Junon, sonmariage, l'innocence de Claudia, que de pertes et quel gâchis ! Quoique lestorts fussentpartagés, il se sentait entièrement responsable.Ameliaavait raison.S'il s'étaitmontréplusouvertavecsonentourage,toutceciauraitpuêtreévité.

Mais comment renouer le contact ? Il partagea la voiture avec Claudia, mais ilsn'échangèrent que des banalités. Il ne voulait pas forcer sa pupille à se confier à lui tantqu'ellen’étaitpasprête.

IlsparvinrentàBraxtonHallausoirduquatrièmejour.Uncrépusculegrissaupoudréd’orgardait obstinément la nuit à distance. Tandis qu’on déchargeait leurs malles et que l’onpréparait leurs chambres, Spencer demanda qu’on lui serve un souper léger dans labibliothèqueetinvitaClaudiaàsejoindreàlui.

Asagrandesurprise,elleaccepta.

Ilspartagèrentunplateaude sandwiches,aprèsquoielledégustades tartelettes toutensirotantunchocolatchaud.

—Celat’ennuieraitdemelirequelquechose?demanda-t-elleàbrûle-pourpoint,sansleregarder.Commequandj’étaispetite?Cela...celamemanque.

Ils’éclaircitlavoix.

—Pasdutout.Tupensesàunlivreenparticulier?

—Non.Jetelaissechoisir.

IlsélectionnaunvolumedeShakespeare-lescomédies,naturellement.Ilsavaienteuleur

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contentdetragédiescesdernierstemps!

Il feuilleta l’ouvrage, et s’arrêta sur le premier acte de La Tempête. Tandis qu’ilcommençaitàlire,Claudiareplialesjambessoussesjupes,appuyalatêtesurl’accoudoirducanapéetfermalesyeux.Ilignoraitsiellel’écoutaitousielles’étaitendormie,maiscontinuadelirepourlui-même.Celafaisaitdeslustresqu’iln’avaitpasluunepiècedeShakespearedudébutà lafin.Selonlui,ellesn’avaientdesensquelorsqu’onles lisaitàvoixhaute,mais iltrouvaitgênantdelireseulàlalueurd’unebougie.

Cettenuit-là,illutlapièced’unetraite,aprèsquoiildrapaunecouverturesurClaudiaenprenantsoindenepaslaréveiller.Lelendemainsoir,aprèsledîner,ilsortitLeSonged’unenuitd’été.Ilallaitentamerlequatrièmeactequandilfutinterrompuparunlégerronflement.Ilsterminèrentlalecturelesoird’après.

Puiselleinsistapourqu’illuiliseRasselasdeJohnson.Ilselaremémora,petitefille,serégalantàl'écoutedel’histoiredeceprinced'Abyssiniequiparcouraitlemondeenquêtedubonheur.À l'époque,c’étaientsurtout lespéripétiesqui lacaptivaient- lesprincesseset lespyramides. Spencer se demanda si elle se rappelait qu’à la fin, le prince ne trouvait pas lebonheur.

Alors qu’il faisait une pause pour siroter une gorgée de cognac, Claudia se redressasoudainsurlecanapé.

—Quevais-jedevenir?

Enfin,ilsyvenaient.Àlafoissoulagéetpleind’appréhension,Spencerposalelivre.

—Tuastroischoixpossibles,selonmoi.Situsouhaitestemarier,jepeuxtetrouverunépoux.Unbravehommeavecdesmoyenslimités,quiverradanscetteunionl’occasiondesehisser dans l’échelle sociale. Il devra consentir à élever cet enfant comme le sien etrepousser...d’autrestentativesdeconceptionjusqu’àcequetusoisprête.

—Jen’aimepastropcechoix-là,avoua-t-ellesansleregarder.

Dieumerci!Luinonplus.

— Si tudésirespréserver taréputation,reprit-il, tupeuxaccoucherensecret.L’enfantserarecueilliparunefamilledelarégion.Quantàtoi,tuseraslibredefairetesdébutsdanslemonde,etdetemarierselontespréférences.Tuverraspeut-êtrel’enfantdetempsàautre,maistunepourrasjamaislereconnaîtrecommeétantletien.

—Lareconnaître-jecroisquec’estunefille.Continue,fit-elleenposantlamainsursonventre.Tuasditqu’ilyavaittroischoix.

—Letroisièmeconsisteàgarderl’enfantaprèsl’accouchement,déclara-t-ilcalmement.Ta réputation en souffrira et tes chancesde contracterunbonmariage seront fortminces.Quoiqu’ilensoit,tupourrasdireadieuàtesdébutsdanslemonde.

—Maisj'auraimonbébé.

—Oui.

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Illalaissaréfléchirunmoment,puisreprit:

—Aucundeceschoixn’estfacile.Quelqu’ilsoit,tavieseraprofondémentbouleversée.Maissacheunechose:quellequesoittadécision,tupourrascomptersurmoi.

—EtsurAmelia?

—Je...jenepeuxpasparlerpourAmelia.

Prononcersonnomàvoixhauteétaitundéchirement...Elleluimanquaittellement.Quene donnerait-il pour l’avoir auprès de lui. Elle saurait quoi dire à Claudia, comment laréconforter.Hélas,ellen’étaitpaslà,etilnepouvaits’enprendrequ’àlui-même!Quediablelui avait-ilprisde lamettreaupieddumur?Cetamour inconditionnelqu'elle vouait à safamille,c’étaitcequiladéfinissait.Ilauraitdûsedouterqu'iln’étaitpasdetailleàlutter.

—J’aitoutgâché,n’est-cepas?murmuraClaudia,luiôtantlesmotsdelabouche.

—Tuascommisuneerreur.Maistun’espaslaseule.

Lui, il avait commis l’erreur de croire qu’elle était trop grande pour qu’il lui lise deshistoires.Etqu’iln'avaitriend’autreàluioffrir.

—Àprésent,ilfautquetudécidescommentt’enaccommoder,poursuivit-il.

—D’aprèstoi,quedevrais-jefaire?

—Ilfautquetuprennesletempsderéfléchir.

Il hésita. Il ne voulait pas prendre sa décision à sa place, mais dès lors qu’elle luidemandaitsonavis,n’était-cepassondevoirdeleluidonner?

— Noussavons tousdeuxcequec’estdegrandirsansmère.Cen’estpas facile.Jenecroispasquechercheràéviteràtoutprixlescomméragessoitunebonnefaçondefairedeschoixdanslavie.Quantaumariage...Queterappelles-tudetonpère?

—Jemerappellequetutedisputaissouventaveclui.

Ils'esclaffa.

— Nous avionsquelquesdifférends.Beaucoup, en réalité.C'était en grandepartiemafaute. C’était sacrément difficile de se montrer à la hauteur de ses attentes. Parfois, jepréféraisledécevoirsciemmentplutôtquedefairel’effortetd’échouerlamentablement.

—Jecomprends,dit-elled'unevoixdouce.

Iltressaillit.Ildétestaitl’idéequ’elleaitpuressentirlamêmechoseparsafaute.

—Peuimportenosdésaccords,reprit-il.J’avaisénormémentderespectpourtonpère,etpour le mien aussi. C’étaient des hommes bons et respectables, et d’une loyauté à touteépreuve.Aprèslamortdetamère,tonpèreauraitpuseremarierafind’engendrerunhéritier.Mais il aimait tant tamèreque cette idée lui était insupportable. Ilm’a donc fait venir duCanada.Jeluiaidonnétellementdefilàretordredurantlespremièresannéesquec’estunmiraclequ’ilnesoitpasrevenusursadécision.Monpèreaagidemêmeaprèslamortdema

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mère. C’est pourquoi je n’aimerais pas te voir piégée dans une union qui te rendraitmalheureuse, Claudia. L’amour, pour un Dumarque, n’est pas un caprice. Nous sommesfidèlesjusqu’àlamort.

—Tuesamoureuxd’Amelia?

—Oui,répondit-ilsimplement.

IlétaitunDumarquedansl’âme.Iln’aimeraitqu’uneseulefemmejusquecequelamortviennelechercher.

Claudialuicoulaunregarddebiais.

—Danscecas,tupourraisêtreunpeuplusdémonstratif,fit-elleremarquer.

— Tu as raison. Du reste, je pourrais l’être aussi davantage avec toi. Mais j’ai bienl’intentiondem’améliorer.

—Ettuasprévudet’ymettrebientôt?

À dix-sept ans, Spencer avait passé cinq semaines misérables à bord d’un brick pourgagner l’Angleterre.Mais cette traversée avait été une partie de plaisir comparée à ce qu’ilvivaitaujourd’hui.Ilseleva,etallas’asseoiràcôtédesapupille.

—Quoiquetudécides,Claudia,tuserastoujourscheztoiàBraxtonHall.

Il avaitàpeineachevé saphrasequ’elle fondit en larmes. Il glissa lebrasautourde sesépaulesetl’étreignit.S’ilétaitplutôtfierdelui,illuirestaitencoreducheminàparcourir.Auboutd’unmoment,Claudiareniflaetmurmura:

—Ameliamemanque.

—Amoiaussi,avoua-t-ilenresserrantsonétreinte.

—Quanddoit-ellerentrer?

—Jel’ignore.Ilsepeutqu’ellenereviennejamais.

Claudias’écartaetleregardadroitdanslesyeux.

—Comment?Maisqu’attends-tupourallerlachercher?

—C’estque...jenesaispasexactementoùelleest.

—TuesleducdeMorland.Trouve-la!

—Jenesuispassûrqu’elleveuillequ’onlatrouve.

Il avaitdumal à croirequ’il était en trainde s'épancherdevantClaudia...Mais versquid’autreaurait-ilpusetourner?

—J’aiétéplutôtmaladroitavecelleaudépart,reconnut-il,etjeneveuxpasreproduirela même erreur. Oui, elle me manque. Mais je souhaite avant tout son bonheur. Si ellerevient,jeveuxquecesoitdesapropreinitiative.

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Claudiaécarquillalesyeux.

— Danscecas,persuade-la !Mets-toiàgenouxet supplie-la.Présente-luidesexcusesdignesdecenom.Raconte-luicettejoliepetitehistoirequetuviensdemeraconteretjure-lui un amour éternel. Franchement, Spencer, tu ne connais donc rien en matière deromantisme?

23.

C'était une belle matinée ensoleillée. Sur les quais de Bristol, un brigantin du nom del’Angelicas'apprêtaitàleverl'ancrepourBoston.

AvecJackàsonbord.

Plissant les yeux sous le soleil aveuglant, Amelia songea qu'elle aurait dû acheter unchapeauàbordpluslargeàsonfrère.Avecsapeauclaire,ilseraitrougecommeuneécrevisseaprèsunejournéeenmer.

—Ehbien,nousyvoilà,fit-il.

Dansundernierélanfraternel,ellechassalespeluchesdesmanchesdeJack.

—Quellebelleaventuretuessurlepointdevivre!JecroisqueHught'envierait.

—J'aimeàpenserqu'ilm’accompagne.

— Qui sait ? fit-elle en l’étreignant. Je t'aime,murmura-t-elle d'une voix ardente. Net'avisejamaisdepenserlecontraire.Maisilesttempsquetuvolesdetespropresailes.

—Jesais.

Elles'écartadeluietsortitunpetitpaquetdesonréticule:unmouchoirnouéauxcoinsetquicontenaitunegrossepoignéedepièces.

— Ta traverséeest réglée. Ilya làdequoipourvoirà tesdépensespersonnelles.C'esttoutcequej'aipuréunir.

—Merci,dit-ilenattrapantla«bourse».Jeferaimonpossiblepournepastoutperdrelepremiersoir.

Elles'efforçaderire,maisellesavaitqu'ilyavaitdeforteschancesquecelaseproduise.Elleretintlabourse.

—Situperdstout,nem’écrispaspourquémander.Etsiturentresdansquelquesmoispourmedemanderdel’aide...sachequejetelarefuserai.

Si difficile que ce fût de prononcer ces paroles, elles devaient l’être. Si Jack comprenaitqu'elleneseraitplus làpour le rattraperencasdechute,peut-être ferait-ilattentiondene

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pastomber.

—C'estladernièrefoisquejevoleàtonsecours,tuentends?Jeprieraipourtoi,etjenecesseraipasdet’aimer,maistun’obtiendrasplusunpennydemoi.

Surce,ellelâchalabourse.Sedirequ’ellen’étaitplusresponsabledesonfrèren’étaitpasfacile,mais elle n’avait pas le choix. Elleméritait elle aussi sa part de bonheur, or elle nepouvaitimaginerl’êtresansSpencer.EllenepouvaittoutsimplementplusprendrelerisquedelaisserJacks’immiscerentreeux.

—Jeferaismieuxd’yaller,dit-ilenjetantuncoupd’œilàl’Angelica.Jen’aimepasl’idéedetelaisserseuleici.Morlanda-t-ilprévudevenirtechercher?

Ellesecoualatête.

—IlaraccompagnéClaudiadansleCambridgeshire.J’aienvoyéunmessageàLaurent.Ilvavenirm’aideràfermerlecottage,aprèsquoinousrentreronsensembleàLondres.

Jackluicaressalajoue.

— Quand j’aiditquepersonnen’étaitassezbienpour toi, je lepensais.Et jem’inclusdans le lot. Je neméritais pas lamoitié de ce que tu as fait pourmoi,mais... je t’en suisreconnaissant.Mercidem’aimerendépitdetousmesdéfauts.

Ceregardqu’ilavait,savoixàlalimitedesebriser...

Ameliasentitsagorgesenouer.Elleétaitàdeuxdoigtsdeleprendredanssesbras,delerameneràlamaisonetderéglertoussesproblèmesàsaplace.

Aulieudecela,ellereculad'unpas.Cefutsansdoutelegesteleplushéroïquedesavie.

—Aurevoir,Jack,murmura-t-elle.Tuvasnousmanquer.Jet'enprie,prendssoindetoi.

Surcesmots,ellepivotaets'éloigna.

—Oùveux-tuquejetedépose?demandaLaurent.Alamaison?

Lamaison.

À quelle maison son frère faisait-il référence ? s'interrogea Amelia. À celle du duc deMorlandouàcellequ'ilpartageaitavecWinifred?Oùétaitsamaison,désormais?

—Jepréfèreveniravectoi,sicelanetedérangepas.

EllenesesentaitnullepartchezellesansSpencer.Detoutefaçon,ellenesupporteraitpasdeseretrouverdansleurhôtelparticulierdeLondrestoutenlesachantàBraxtonHall.

—Biensûrquenon,répondit-il.Tusaisquetuestoujourslabienvenue.Winifredreçoit,cesoir.

—Ilyaurabeaucoupdemonde?voulut-ellesavoir,prêteàserétracter.

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— Non.Ils'agit justed'undîneravecquelquescouples,peut-êtresuivid’unepartiedecartesetd'unpeudedanse.

Ceneseraitpas lameràboire.Enfait,elleétaitplutôttentéepar ledîner.Ellepourraittoujoursfeindreunemigraineets'éclipserdanssachambreensuite.

—Ai-jeprislabonnedécision?demanda-t-elleàsonfrèrepourladixièmefoisdepuisledépartdeJack.Tupensesqu'ilsaurasedébrouiller?

—Jel'ignore,avouaLaurentenluipressantlamain.Enrevanche,jesaisquetuasprislabonnedécision.

— Jemesenscoupablede luiavoir laissécroirequenousn’allionspasremboursersadette.

—Tusaisparfaitementqu’ilneseraitjamaispartiautrement.

—Tuasraison,soupira-t-elle.Tuvasavoirdumalàtrouverunautreacquéreur?

— Jenepensepas.L’emplacementest trèsprisé,bienque lecottagesoitmodeste.Lecomte de Vinterre a l’air intéressé. Il veut tout raser pour construire à la place un palaisitaliendonnantsurlarivière.

—Seigneur,jecroisquejevaisvomir!

Laurentluipassalacuvette.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’elleétaitmaladedepuisledébutduvoyage.Apparemment,sonenfantnesupportaitpaspluslavoiturequ’elle.

Sonfrèreluicaressaledos.

—Net’enfaispas,jetrouveraiunautreacheteur.

—Non,protesta-t-elle.Jepréfèreencorequel’onraselecottageplutôtquedevoiruneautrefamilleyvivre.Vends-leàVinterresansattendre.

Plusvite ils concluraient l’affaire,plusvite ils rembourseraient ladettedeJack.Etplusvite Amelia pourrait retourner à Braxton Hall, les poches vides, mais le cœur intact. Elles’emploieraitalorsàconvaincresonmaridesondévouementsanspartage.

ABryanstonSquare,ilsfurentaccueillisparuneWinifredaffolée.AprèsavoiradresséunbrefsignedetêteàAmelia,elleagrippaLaurentparlebras.

— Dieu merci, te voilà ! Je ne sais plus où donner de la tête. Il faut commanderdavantagedevin!Etdesalcoolspourlesmessieurs.

Elletirasonmariàl’intérieurdelamaison.Amelialeuremboîtalepas.

— Lepoissonestunvéritableproblème.J’auraisdûm’endouter : ilest impossiblededénicherunpoissondignedecenomunlundi,quelquesoitleprixquel’onymette.Onnetrouvequedeshuîtrestrèsordinaires.Jenepeuxtoutdemêmepasservirdeshuîtresàuneduchesse!s'écria-t-elled'unevoixhautperchée.

Ameliasemitàrire.

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—Ceneseraitpaslapremièrefoisquevousm’enservez.

Sabelle-sœurpivotaverselle,l’airinterloqué.

—Pardonnez-moi,Amelia,maiscen’étaitbiensûrpasdevousdontilétaitquestion.

Biensûr.Amelialaissaéchapperunsoupir.

Winifredpoursuivitàvoixbasse:

—LaduchessedeHampsteadsejoindraànouspourledîner.C'estMmeNodwell,l’unede mes invitées, qui vient de m’envoyer un message pour m’en avertir. Sa cousine estl’épousedufrèreadoptifduneveududuc,voyez-vous?

Amelianevoyaitpas,maiselleacquiesçanéanmoinspoliment.

Winifredse tournadenouveauversLaurent touten l’attirantdans lesalonrose,oùdesvaletss’affairaient.

—Ilestévidentquejenepouvaispasrefuser.Puis,MmePetershamm’afaitparvenirunmotdans lequelellemedemandait siellepouvaitamenersescousinsdeBath,quisontdepassageàLondres.Làencore,jevoismalcommentj’auraispudirenon.Àprésent,lescartesnecessentd’arriver...Ilsembleraitquenousrecevionslegratindelahautesociété,cesoir.

—Àcettepériodedel’année?s’étonnaAmelia.Pourquoi?

— Pourvous,naturellement!Ilss’attendenttousqueMorlandetvousferezpartiedesinvités.Toutlemondebrûled’assisteràvotrepremièreapparitionpubliqueàLondresdepuisvotre mariage. Des rumeurs très intéressantes sont d’ailleurs parvenues de l’Oxfordshire,ajouta-t-elleenarquantunsourcil.

Ameliaeutunsouriredoux-amer.Ellesedoutaitqu’ilsseraientlaproiedescomméragesaprès lebaldesGrantham.Au souvenirde cette fameusenuit, son cœur se serra avecuneviolencequilapritdecourt.

DieuqueSpencerluimanquait!

S’approchantd’un repose-piedsque lesdomestiques venaientdedéplacer, elle s’y laissatomber.

— Je crains que vos invités ne soient déçus, dit-elle àWinifred. Je ne me sens passuffisammentbienpourdesmondanités.Quantauduc,iln’estmêmepasàLondres.

—Maissi!

Frappéedestupeur,Ameliademeurabouchebée.

— Il est arrivé ce matin, reprit Winifred La nouvelle est déjà dans les journaux del’après-midi.

Amelias’efforçademasquerl’ampleurdesasurprise.Spencerétaitenville?Sepouvait-ilqu’ileûtapprisqu'elle-mêmedevaitarriveràLondres?EtClaudia,oùétait-elle?

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TandisqueWinifreddébitaitunelistedeconsignesauxdomestiques,Laurents’accroupitprèsdesasœur.

—Veux-tuquel’onteramèneàMorlandHouse?

—Non,non.

Ellenesevoyaitpasdéboulerainsi.Ellen’étaitpasprête.Ellen’étaitmêmepascertainequ’ilaitenviedelavoir.

—Jevaisluienvoyerunmessage,décida-t-elle.

Enquelquesclaquementsdedoigts,Winifredluifitapporterunpupitreetuneplume.Lepapier lui parut d’une blancheur terrifiante. Elle redoutait d’y poser la plume de peurd’inscrirelesmotsqu’ilnefallaitpasetdetoutgâcherunefoisdeplus.Enfindecompte,ellesebornaàécrire:

JesuisàLondres,chezmonfrère.Vousêtesinvitéàdînercesoir.

A.

Voilà.S'ildésiraitlavoir,ilsauraitoùlatrouver.

AmeliapassadeuxheuresagitéesàdéfairesesbagagesdanssamodestechambretandisqueWinifreds’efforçaitdetransformerlerez-de-chausséeensallederéception.Àlatombéedujour,elleregardaitparlafenêtrelorsqu'elleaperçutlegarçonquiavaitportésonmessagesedirigerversl'entréedeservice.Elledévalal'escalierpourl'intercepter.

—Alors?s'enquit-elle,pantelante.Est-celaréponseàmamissive?fit-elleendésignantlepapierqu’iltenaitàlamain.

Ilsecoualatête.

—Leducétaitpaschezlui,m’dame.Unvaletaditqu'ilestalléàunepartiedecartes.

Unepartiedecartes?IlétaitrevenuàLondrespourunevulgairepartiedecartes?

— Retournes-y, ordonna-t-elle. Essaie de savoir où le duc s'est rendu, trouve-le etremets-luicemessage.Net'avisepasderentreravantd'avoiraccomplitamission.

—Bien,m'dame,réponditlegarçon,quirebroussacheminsansdemandersonreste.

Lamainposéesursonventre-ungestequiluivenaitspontanément,cesdernierstemps-,Ameliainspiraàfondens'efforçantdegardersoncalme.

Quelquesheuresplustard,elleétaitauborddelapanique.

Lespremiersinvitésétaientarrivéspeuaprèslecoucherdusoleilet,depuis,ilsdéfilaient

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enunflotcontinu.BryanstonSquareétaitassiégéparlesattelages.Laplupartdesnouveauxarrivants n'avaient pas reçu d'invitation et ne semblaient pas s'en formaliser. D’ailleurs,savaient-ils seulement chez qui ils se trouvaient ? Amelia n'en était pas certaine. Ils nefaisaient que suivre le troupeau.Bien que les réserves de nourriture deWinifred aient étéépuiséesdepuis longtemps, le vin et les alcoolsparaissaient résister.Personnene semblaitenclinàpartir.

Dans la salle de réception, le quatuor engagé pour la soirée couvrait le bourdonnementdes conversations et les rires. Quelques couples dansaient un quadrille. Amelia necomprenaitpaspourquoitouscesgenss'attardaientainsi.L'absenceduducétaitflagranteet,ce soir, elle n’avait pas le cœur à amuser la galerie. Bien que l’on eût ouvert toutes lesfenêtres et réduit le nombre de bougies, l'air était étouffant. Amelia évitait la foule, et dèsqu'on l'interrogeait au sujet de Spencer, elle bredouillait de vagues excuses. Récemmentarrivéenville,retardéparuneaffaire...etcetera.

Elleétaitsurlepointdes'éclipseretdelouerunfiacrepourseréfugieràMorlandHouseoùelleattendraitleretourdeSpencer,quandrésonnèrentlespremièresmesuresd'unevalseetqu’unevoixrauquecria:

—Pastoutdesuite!Pastoutdesuite!

Perplexe, elle vit toutes les têtes se tourner vers l’horloge. 23 h 50. Amelia compritsoudainpourquoilesinvitésn’étaientpaspartis.

Curieuxdesavoirsileducseraitfidèleàsaréputation,ilsattendaientlesdouzecoupsdeminuit!

S’ensuivirent les dixminutes les plus longuesde sa vie.Elle passa les cinqpremières àsiroterunverredelimonadetiède.Puisenpritdeuxpourlissersesgants.

Uneautreminutes’égrenadurantlaquelleellefutenproieàlaculpabilité,auxremordsetauxdoutes.Ets'ilétaittoujoursencolèrecontreelleetnevenaitpas?Ets'ilestimaitn’avoirplusbesoind’ellepuisqu’elleétaitenceinte?

Uneautreminutes’écoulaetelleseressaisit.S’ilnevenaitpascesoir,celanevoulaitriendire,sinonqu’ilétaitailleurs,etqu’elleleverraitlelendemain.Oulesurlendemain.

Il était minuit moins une. Les yeux étaient rivés sur l’horloge, les souffles suspendus.Quandl’aiguilledesminutesrejoignitenfincelledesheures,lesilencesefit.Alors,lecoucousortitdesafenêtreetsemitàchantercommepoursemoquerd’eux.

Coucou!Coucou!Douzefoisdesuite.Cesatanévolatileenboisn'avaitsansdoutejamaisvudepublicpluscaptivé.

Ilétaitminuit.Etleducn'étaitpaslà.

Voilà.Lafêteétaitvraimentfinie.Lesmusiciensentonnèrentunevalse,commeonleleuravait sans doute demandé,mais personne n'y prêta attention. Les invités commencèrent àprendrecongé.

La fatigue s’abattit d'un coup sur les épaules d’Amelia. Seigneur, elle avait besoin de

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s'allonger!Sefrayantuncheminàtraverslesaloncomble,ellesedirigeaverslaportesecrètesituéederrièrelepianoforte,etquidonnaitsuruncouloirdeservice.

— Amelia, attendez, fit une voix grave, couvrant à la fois le bourdonnement desconversationsetceluidel'orchestre.

—Attendez.S’ilvousplaît.

S’il vousplaît ?ÇanepouvaitpasêtreSpencer.Elle fit volte-faceetassistaàunescènepositivement biblique. L’assemblée s’était scindée en deux à l’instar de la mer Rouge. Del’autrecôtésetenaitsonmari.LeDucdeMinuit.Enretard.

—Ilestminuitpassédedixminutes,neput-elles'empêcherdeluifaireremarquer.

—Jesuisdésolé,dit-ilaussitôt.Jesuisvenudèsquej'aipu.

Ellesecoualatête,étonnée.Nonseulementelleavaiteudroitàun«s'ilvousplaît»,maiségalementàun«désolé».Enpublic,quiplusest!Cethommeétait-ilvraimentsonmari?

Sanslemoindredoute.Plusséduisant,celan'existaitpas.

—Nebougezpas,reprit-il.J’arrive.

Il s’approcha d’un pasmal assuré, le visage crispé. De toute évidence, ses blessures lefaisaientencoresouffrir.Siflatteurcelasoit-ildeleregarderfendrelafoulepourlarejoindreelle,etnonpasquelquepimpantedébutante,cen’étaitpasassezrapideàsongoût.

—Pourl’amourduciel,nefaitesplusunpas,fit-elle.

Maisalorsqu’elles'élançaitàsarencontre,ellesepritletalondansl'ourletdesarobe,etse serait probablement étalée sur le sol sans l'intervention opportune d’un gentleman.Lorsqu’elle se jeta enfin dans les bras de son mari, elle se rendit soudain compte que seretrouveraumilieudecettefouledevaitêtreunetorturepourSpencer.Elles'arrangeapourl'attireràl'écart,etlefairepivoterdosàlahorde.

—Faitessemblantdedanser,murmura-t-elleengardantlesbrasautourdesoncou.

Ilfitlagrimace.

—LetrajetdeBriarbankàBraxtonHallafaillim'achever.Avecmescôtes,jenepourraiquefairesemblant.

— A propos, que faites-vous en ville ? J'ai entendudire que vous aviez unepartie decartes?

—Eneffet.Dureste,jesuisvenuàLondresexprèspourcela.J’ignoraisquevousyseriezégalement.J’avaisprévuderembourserladettedeJackenjouantcontreceluiàquiildoitdel’argent.J’avaisorganisélarencontre,préparémesenjeuxetpeaufinémastratégie-saviez-vousquecethommeestl’undesmeilleursjoueursdepiquetdetoutel’Angleterre?

—Jevoussoupçonned’êtremeilleur.

LeslèvresdeSpencerseretroussèrentsurunsourirearrogant.

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— Et jevousauraissûrementdonnéraison,auboutducompte.Toutefois, ilm’auraitfalluplusieursheures.Oràpeineétions-nousassisquevotrejeunemessagerm’aremisvotremot.Aprèscela... aprèscela, jemesuisdit tantpis, et j'ai rédigéunchèquedebanqueà laplace.

—Non!s'écria-t-elle.Vousn'avezpasfaitcela!

—Si.Carquellequesoitlasommequevotrefrèredevait,passeruneheuredeplusloindevouspourlagagnern'envalaitpaslapeine.LesdettesdeJacksontréglées,Amelia.Vousn'avezplusàvousinquiéterpoursasécurité.

— Oh, Spencer ! C'est un geste très généreux de votre part. Si seulement j'avais pum'entreteniravecvousavant.Jackestparti.Ilaembarquésurunbrigantinenpartancepourl'Amérique.Vousaviezraison.Jeluifaisaisplusdemalquedebien.Jedevraidésormaismecontenterdel'aimeràdistance.

Ellebaissalavoixpourajouter:

—Notremariageestplusimportantquetout.Vousêtesplusimportantquetout.Jenelaisserairiennipersonnenousséparer.

Ilcilla,visiblementému.

—Etcommentcomptiez-vousréglersadette?

—Laurentatrouvéunnouvelacquéreurpourlecottage.

Commeilouvraitlabouche,elleenchaîna:

—C'estnotredette,paslavôtre.Nousvousrembourseronsjusqu’audernierpenny.Jackestnotreproblème,celuidenotrefamille.

— Vos problèmes sont les miens. Votre famille aussi, si vous l'acceptez. Je me suisconduitenimbécileenvousdemandantdechoisir.Etvousnepouvezpasvendrececottage.C'estvotremaison.

—C'estunemaison.Rienqu'untasdepierres-plutôtcroulantd’ailleurs.Sansfamilleilnevautrien.Mamaison,c'estlàoùvousêtes.Nousvoilàrevenusàlacasedépart,non?fit-elleavecunsourire.Vous,détenteurdeladettedemonfrère,etmoi,propriétaired'unvieuxcottagedansleGloucestershire.

—Nepuis-jevousdemanderBriarbankenguisederemboursement?Ainsi,ledomainene changerait pas de main. J’aime cet endroit ; j'aime y être avec vous. Et je vous aime.Diantre,jenevousl'aipasassezdit,maisj'ail'intentiondemerattraperenvouslerépétantcinq foispar jour !Jevousaime,Amelia.Dès la toutepremièrenuit, j'ai suquevousétiezfaitepourmoi.Jevousaimeraijusqu'àmamort.Jevous...

—Chut.

Elleposal'indexsurseslèvres.Avait-ilperdulatêteouavait-iloubliélafouledecurieuxderrièrelui?

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—Ilestminuitquinze,letaquina-t-elle.Etvousaurezbientôtatteintlequotadescinqfoisparjour.Nelesgaspillezpas,sinonquemerestera-t-ilàespérerunefoisderetourcheznous?

Illuipritlamainetluibaisatendrementlesdoigts.

— Nevous inquiétezpaspourcela, lui chuchota-t-il à l'oreille.Vousm'avez tellementmanqué. Pas seulement au lit,mais tout particulièrement au lit. C'est un très grand lit, etsansvous,ilestbienvide.Laviesansvousestvide.

Elleavaitlesjambesflageolantesetjugeaplusprudentdechangerdesujet.

—CommentvaClaudia?

—ElleestàBraxtonHall.Jeluiaipromisderevenirvite.Elleréfléchitencoreauxchoixquis'offrentàelle,maisjeluiaiditquejelasoutiendraiquelsqu'ilssoient.

—Nouslasoutiendrons.

Illâchaunprofondsoupir.

—Merci,murmura-t-il.Etvous?Commentallez-vous?

—Bien,répondit-elleensouriant.Nousallonsbientouslesdeux.

Luicaressantlajoue,illuiadressal’undesessouriresdévastateurs.

—Vousallezfaireunetrèsbellemaman.

Commeilinclinaitlatêtepourl'embrasser,elleposalamainsursontorse.

—Spencer,souffla-t-elle,ilyadescentainesdepersonnesquinousregardent.

—Ahbon?Jen’avaispasremarqué.

—Votrecœurbatàtouteallure.

—C’estàcausedevous.

Àprésent,c’étaitlecœurd'Ameliaquibattaitlachamade.

— N’oubliez pas que vous avezune réputation à préserver, reprit-elle. Tout lemondes’attendquevousm’enlèverezdemanièreplusoumoinsbarbare.

—Danscecas,ilsvontêtredéçus.Jeneseraismêmepascapabledesouleverunchaton,etmêmesijelepouvais...

Ilplongeasonregarddanslesien.

— Si vous quittez cette salle avecmoi, je veux que ce soit àmon bras. En tant quefemme,amante,partenaire...amielapluschère.Vousvoulezbien?

Ellehochalatête,leslarmesauxyeux.

—Alors,puis-jevousembrasserdevanttouscesgens?

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Denouveau,ellehochalatête,etsouritàtraversseslarmes.

—Surlabouche,s’ilvousplaît.Etenvousappliquant.

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[1]Enanglais,studsignifieàlafois«étalon»et,dansunregistrefamilier,«tombeur,typebienmonté».(N.d.T.)

[2]Guidedel'aristocratiebritanniquecomprenantlesdétailsdesgénéalogies.(N.d.T.)

[3]Fameuxchevaldecourse.(N.d.T.)

[4]Pur-sangarabe(XVIIIesiècle)àl’originedesplusgrandspur-sanganglais.(N.d.T.)

[5]Pur-sangarabe,l’undestroisétalonsàl’originedelaracedespur-sanganglais.(N.d.T.)

[6]WaverleyouSoixanteansavant,deWalterScott,1814.(N.d.T.)

[7]WilliamWordsworth,«TinternAbbey»,Balladeslyriques,1798.(N.d.T.)

[8]Villaged'Écossequioffraitauxcouplesmineursdes'ymariersansautorisationdesparents.(N.d.T.)