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Prolégomènes : Mesures du développement Bernard CONTE [email protected] http://conte.u-bordeaux4.fr 2003-2004 Introduction Dans un premier temps, les chercheurs se sont attachés à définir l'état de sous-développement à travers de multiples indicateurs tout en conservant l'ambition d'élaborer un critère unique et universel. Les tentatives d'élaboration de critères de sous-développement font référence, au moins implicitement, à un état de "développement" représenté par la situation économique politique et sociale des pays industrialisés. Les indicateurs de sous-développement tentent généralement de quantifier l'écart existant, dans différents domaines, entre les pays du Tiers Monde et les pays développés 1 . Section 1. L'utilisation des agrégats issus de la comptabilité nationale Ils font directement référence au niveau de vie des populations à travers les agrégats issus de la comptabilité nationale. Sont généralement utilisés le Produit intérieur Brut (PIB) ou le Produit National Brut (PNB) ou encore le Revenu National Brut 2 (RNB) que l’on rapporte à la 1 Le terme de « Tiers Monde » est apparu pour la première fois, le 14 août 1952, à la dernière phrase d'une chronique que tenait Alfred Sauvy dans l’Observateur. Cet article intitulé « Trois mondes, une planète », traitait des pays sous-développés en tant qu'enjeu des grandes puissances. Cet article se terminait par cette phrase : « Car enfin, ce Tiers Monde, ignoré, exploité comme le Tiers Etat, veut lui aussi être quelque chose ». 2 Le RNB (revenu national brut) est la « somme de la valeur ajoutée par tous les producteurs résidant dans une économie, majorée, d’une part, de toutes les taxes sur les produits (hors subventions) non incluses dans la valorisation de la production et, d’autre part, de toutes les recettes nettes de revenu primaire (rémunération des salariés et des biens immobiliers situés à l’étranger). La valeur ajoutée correspond à la production nette d’un secteur, après addition de toutes les composantes de cette production et déduction des facteurs intermédiaires. Les données sont exprimées en dollars courants des États-Unis, convertis selon la méthode de l’Atlas de la Banque mondiale », PNUD, RSDH 2003.

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Prolégomènes : Mesures du développement

Bernard CONTE [email protected]

http://conte.u-bordeaux4.fr 2003-2004

Introduction

Dans un premier temps, les chercheurs se sont attachés à définir l'état de

sous-développement à travers de multiples indicateurs tout en conservant l'ambition d'élaborer

un critère unique et universel.

Les tentatives d'élaboration de critères de sous-développement font référence, au moins

implicitement, à un état de "développement" représenté par la situation économique politique et

sociale des pays industrialisés.

Les indicateurs de sous-développement tentent généralement de quantifier l'écart existant,

dans différents domaines, entre les pays du Tiers Monde et les pays développés1.

Section 1. L'utilisation des agrégats issus de la comptabilité nationale

Ils font directement référence au niveau de vie des populations à travers les agrégats issus

de la comptabilité nationale. Sont généralement utilisés le Produit intérieur Brut (PIB) ou le

Produit National Brut (PNB) ou encore le Revenu National Brut2 (RNB) que l’on rapporte à la

1 Le terme de « Tiers Monde » est apparu pour la première fois, le 14 août 1952, à la dernière phrase d'une chronique que tenait Alfred Sauvy dans l’Observateur. Cet article intitulé « Trois mondes, une planète », traitait des pays sous-développés en tant qu'enjeu des grandes puissances. Cet article se terminait par cette phrase : « Car enfin, ce Tiers Monde, ignoré, exploité comme le Tiers Etat, veut lui aussi être quelque chose ». 2 Le RNB (revenu national brut) est la « somme de la valeur ajoutée par tous les producteurs résidant dans une économie, majorée, d’une part, de toutes les taxes sur les produits (hors subventions) non incluses dans la valorisation de la production et, d’autre part, de toutes les recettes nettes de revenu primaire (rémunération des salariés et des biens immobiliers situés à l’étranger). La valeur ajoutée correspond à la production nette d’un secteur, après addition de toutes les composantes de cette production et déduction des facteurs intermédiaires. Les données sont exprimées en dollars courants des États-Unis, convertis selon la méthode de l’Atlas de la Banque mondiale », PNUD, RSDH 2003.

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population. Le PIB par tête, le PNB par tête ou le revenu national par habitant sont considérés

comme des indicateurs synthétiques représentatifs à la fois « du niveau de vie, mais aussi des

potentialités de développement dans la mesure où le niveau de revenu, lié au PNB, influence la

capacité de formation du capital3 ».

Ces indicateurs servent de base à diverses typologies notamment proposées par les

organisations internationales. Ainsi sur la base du revenu par habitant, la Banque Mondiale

propose, dans son rapport sur le développement 2000-2001, une classification des pays en trois

groupes :

• « Les économies à faible revenu sont celles dont le PNB par habitant était égal ou

inférieur à 755 dollars en 1999. Actuellement, il y a 64 pays à faible revenue don’t la

population totale s’élève à plus de 2,4 milliards.

• Les économies à revenu intermédiaire sont celles dont le PNB par habitant était

compris entre 756 dollars et 9265 dollars en 1999 (58 pays); elles sont subdivisées en

une tranche inférieure et une tranche supérieure, selon que leur PNB par habitant était

inférieur ou supérieur à 2995 dollars en 1999. il y a 93 pays à revenu intermédiaire

totalisant 2,7 milliards d’habitants.

• Les économies à revenu élevé son celles dont le PNB par habitant était égal ou

supérieur à 9266 dollars en 19994 ». Il y a actuellement 50 pays a revenu élevé et leur

population totale est d’environ 0,9 milliards, c’est à dire moins de 1/6 de la

population mondiale.

Toutefois, il convient de signaler que cet indicateur dérivé du PNB révèle certaines

limites.

D'une part, on ne peut affirmer que le PNB par habitant constitue une mesure fiable du

niveau de vie des populations ou encore de la performance du développement national. En effet,

le montant du produit ne rend pas suffisamment compte de l’autoconsommation (élevée dans les

pays du Sud) surtout dans les zones rurales. Cette autoconsommation échappe pour la plus

grande part à la comptabilisation car elle n’est pas marchande et ne provoque que peu de flux

monétaires. En outre, le PNB rend difficilement compte des activités informelles, de

l'auto-investissement ou encore des pratiques d'entraide (famille élargie). Par contre, il intègre

tant les dépenses militaires que la production vivrière. Ensuite, le PNB par habitant n’est qu’une

3 M ; Penouil, Socio-économie du sous-développement, Paris, Dalloz, 1979. p.96. 4 Banque Mondiale : Rapport sur le développement dans le monde 2000/2001, Washington D.C., p.271.

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Licence ès sciences économiques et gestion 3

moyenne.

D'autre part, le PNB ne peut rendre compte de l'impact de l'activité sur l'environnement

notamment en ce qui concerne l'utilisation des ressources naturelles.

De plus, se pose le problème de l'évaluation tant du PNB que de la population « car les

systèmes de comptabilité nationale et de dénombrement de la population diffèrent d'un pays à

l'autre, de même que la portée et la fiabilité des statistiques sur lesquelles ils reposent5 »..

Enfin, le dernier obstacle tient à la nécessaire normalisation des résultats, c'est à dire la

conversion en une unité de compte commune : le dollar, par utilisation des taux de change

officiels. La Banque Mondiale a mis au point une méthode visant réduire les inconvénients

attachés à cette conversion.

A cette fin, il est procédé au calcul d'un facteur de conversion « pour une année

quelconque, (il est égal) à la moyenne du taux de change pour l'année en cause et des taux de

change des deux années précédentes, compte tenu de l'écart d'inflation entre le pays concerné et

les Etats-Unis.

Yt = PNB courant exprimé en monnaie nationale pour l'année t,

Pt = déflateur pour l'année t6,

et = taux de change annuel moyen (monnaie nationale/dollar) pour l'année t,

Nt = population au milieu de l'année t,

P$t = déflateur du PNB des USA pour l'année t.

La valeur du facteur de conversion pour l'année t est donnée par l'expression suivante :

(e*t-2,t)= 1/3 [et-2 [(Pt/Pt-2)/(P$

t/P$t-2)] + et-1 [(Pt/Pt-1) /(P$

t/P$t-1)] + et]

Le PNB par habitant exprimé en dollars pour l'année t :

Y$t = [(Yt / Nt) / (e*

t-2,t) ]

Malgré le lissage opéré par cette méthode, des problèmes persistent tenant à la

signification réelle des taux de change officiels utilisés dans les calculs. Pour pallier ces

inconvénients et permettre une comparaison internationale plus efficiente des PNB, la Banque

Mondiale a mis au point une évaluation des PNB non plus sur la base des taux de change mais

des parités de pouvoir d'achat (PPA7).

5 Banque mondiale : Rapport sur le développement dans le monde 1991, op. cit. p 295. Il est également à noter le problème de l'évaluation de l'auto-consommation, très importante dans les PVD. 6 Le déflateur est calculé en faisant pour chaque année le rapport PNB à prix courants / PNB à prix constants. 7 Voir à ce sujet : JP.Faugère et C. Voisin : Le système monétaire et financier international, Paris, collection Circa, Nathan, 1990. "Cette approche consiste à voir dans les variations du taux de change le résultat de la balance commerciale" p.57. L'approche de la fixation des taux de change par la PPA est due à Cassel (1921). Le taux de

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Estimation du PNB par habitant d'après la PPA (base 100 USA)

Pays 1987 1997 Mozambique 2,7 1,8 Ethiopie 2,0 1,8 Cameroun 15,1 6,9 Indonésie 9,8 12,0 Côte d’Ivoire 8,2 5,7

Source: Rapport sur le développement dans le monde,1997 et 1998-99. Banque mondiale.

Les estimations du PNB selon la PPA révèlent une certaine sous-évaluation des monnaies

du Tiers Monde, c'est à dire que les taux de changes semblent sous-estimer le pouvoir d'achat des

pays à bas revenu. Ainsi par exemple, en 1997, le PNB par habitant du Mozambique obtenu

selon la méthode "classique" s'élevait à 90 dollars, contre 28 740 pour les Etats-Unis. Le PNB

par habitant du Mozambique représentait 0,31 pour cent de celui des Etats-Unis; si l'on se réfère

à l'estimation en termes de PPA, ce pourcentage s'établit à hauteur de 1,8 pour cent c'est à dire

six fois plus important. Par ailleurs, l'estimation du PNB par habitant en termes de PPA remet en

cause le classement des pays selon la méthode classique en fonction de la sur ou sous-évaluation

relative de leur monnaie. Sur la base de la parité de pouvoir d'achat, la Banque Mondiale a défini

le "dollar international" qui possède « le même pouvoir d'achat par rapport au PNB total que le

dollar des Etats-Unis pour une année donnée8 ». Le PNB en "dollars internationaux" est obtenu

par application d'un facteur de conversion qui permet d'égaliser les pouvoirs d'achat des

monnaies des différents pays. Le facteur de conversion (la PPA) se définit « comme le nombre

d'unités de la monnaie d'un pays nécessaire pour acheter sur le marché de ce pays la même

quantité de biens et services qu'avec un dollar aux Etats-Unis9 ».

Produit intérieur brut par habitant de quelques pays en 2001

PAYS PIB/hab en dollars courants PIB/hab en PPA Luxembourg 42 041 53 780

change d'équilibre de prix est celui qui réalise une parité entre la monnaie du pays X et du pays Y telle qu'elle permet d'acheter indifféremment un panier donné de biens dans X et dans Y", P. Jacquemot et E. Assidon : Politiques de change et ajustement en Afrique, Paris, Ministère de la Coopération, 1988. "La PPA s'interprète comme l'égalité du pouvoir d'achat entre deux monnaies: une monnaie sous-évaluée (par rapport à la PPA) est plus demandée que ses concurrentes, car elle permet d'acquérir davantage de biens. Son prix augmente progressivement et la PPA est rétablie en niveau après un certain délai", Benassy .A :"Comment se fixent les taux de change", Analyse et prévision, n°107, 1/1993. 8 Rapport sur le développement dans le monde 1994, p. 259. 9 Rapport sur le développement dans le monde 1994, p. 259.

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France 22 129 23 990 Chili 4 314 9 190

Maroc 1 173 3 600 Inde 462 2 840

Côte d'Ivoire 634 1 490 Sierra Leone 146 470

Source: PNUD, RSDH 2003, pp. 279-281. Il est à noter que les Nations Unies ont créé depuis 1971 une catégorie spécifique de pays

pauvres : les Pays les moins avancés (PMA).

Les Pays les Moins Avancés (PMA)10 Depuis 1971, l'Organisation des Nations Unies dénomme "Pays les Moins Avancés" une

catégorie d'Etats (actuellement 49) qu'elle juge structurellement handicapés dans leur développement, et méritant une attention particulière, de la part de la communauté internationale, dans le contexte de leurs efforts de développement. Reconnaissant la gravité de la situation économique et sociale des Pays les Moins Avancés, l'ONU privilégie ces Etats dans l'allocation des ressources relevant de ses programmes de coopération. L'Organisation fournit en même temps un signal important aux autres partenaires du développement des Pays les Moins Avancés en effectuant des révisions périodiques de la liste de ces pays et en mettant en lumière leurs problèmes structurels, qui appellent des mesures d'appui spécialement généreuses, en particulier dans le domaine du financement du développement et dans le cadre commercial multilatéral.

Lors de sa dernière révision triennale de la liste des Pays les Moins Avancés en 2000, le Conseil Economique et Social des Nations Unies a utilisé, pour déterminer la nouvelle liste, les trois critères suivants, selon les recommandations du Comité des Politiques du Développement:

• un critère de bas revenu, basé sur une estimation moyenne, sur trois années, du produit intérieur brut par habitant (inférieur à 900 dollars pour les nouvelles entrées dans la catégorie, supérieur à 1035 dollars pour les sorties); • un critère de retard dans le développement du capital humain, basé sur un Indice révisé

de qualité de vie physique comprenant des indicateurs: (a) d'apport en calories, (b) de santé, (c) de scolarisation, et (d) d'alphabétisation des adultes;

• et un critère de vulnérabilité économique, basé sur un Indice de vulnérabilité économique comprenant des indicateurs: (a) d'instabilité de la production agricole, (b) d'instabilité des exportations de biens et de services, (c) de l'importance économique des activités non traditionnelles (part du secteur manufacturier et des services modernes dans le PIB), (d) de concentration des exportations de marchandises, et (e) des handicaps créés par la petite dimension économique (mesurée par la population en logarithme). Lors de la révision de la liste en 2000, les conditions à réunir pour pouvoir être ajouté aux

48 pays précédemment identifiés comme constituant la catégorie étaient que les trois critères ci-dessus fussent satisfaits, et que la population du pays satisfaisant ces critères ne fût pas supérieure à 75 millions. L'application de cette règle a entraîné l'admissibilité du Sénégal. Liste des PMA : 1. Afghanistan

26. Maldives 27. Mali

10 Source: CNUCED, Profil statistique des PMA, Genève, CNUCED, 2001. p. 3-6.

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2. Angola 3. Bangladesh 4. Bénin 5. Bhoutan 6. Burkina Faso 7. Burundi 8. Cambodge 9. Cap-Vert 10. Comores 11. Congo (Rép. dém. du) 12. Djibouti 13 . Erythrée 14. Ethiopie 15. Gambie 16. Guinée. 17. Guinée-Bissau 18. Guinée équatoriale 19. Haïti 20. Iles Salomon 21. Kiribati 22. Lesotho 24. Madagascar 25. Malawi

28. Mauritanie 29. Mozambique 31. Népal 32. Niger 33. Ouganda 34. Rép. centrafricaine 35. Rép. dém. pop. lao 36. Rép. Unie de Tanzanie 37. Rwanda 38. Samoa 39. Sao Tomé-et-Principe 40. Sénégal 41. Sierra Leone 42. Somalie 43. Soudan 44. Tchad 45. Togo 46. Tuvalu 48. Yémen 49. Zambie

Faut-il rejeter les indicateurs issus des agrégats de la comptabilité nationale pour mesurer

le développement? La réponse ne peut être que négative. En effet, les écarts constatés entre pays

traduisent généralement une différence de niveau de développement. Toutefois, il apparaît

essentiel d’affiner l'analyse en ayant recours à d'autres indicateurs pour cerner plus efficacement

l’état d’une économie donnée.

Section 2. Les indicateurs partiels

Ces indicateurs s’intéressent à des aspects économiques, démographiques ou sociaux du

processus de développement.

A. Les indicateurs structurels

Ils sont censés rendre compte de la structure d'une économie et par là-même de l'état de

développement. L’indicateur principal s’intéresse à la répartition sectorielle des activités.

Structure de la production de certains pays (Répartition du PIB en pourcentage)

Agriculture Industrie Services

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Pays 1970 2000 1970 2000 1970 2000 Côte d'Ivoire 40 28 23 29 36 43

Sénégal 24 18 20 26 56 56 Maroc 20 13 27 33 53 54

Corée du Sud 26 5 29 44 45 51 Source : Rapport sur le développement dans le monde, Banque Mondiale, 1994,2002.

Le développement d'une économie serait caractérisé par la croissance progressive de

certains secteurs ainsi que par le transfert corrélatif de main d’œuvre du secteur primaire vers le

secteur secondaire puis vers le secteur tertiaire en raison de gains de productivité successifs au

sein de ces trois secteur11 ».

Cette analyse a fait l'objet de critiques tenant généralement à la division de l'économie

en trois secteurs jugée arbitraire, et plus particulièrement en ce qui concerne le secteur tertiaire

dans les PVD artificiellement gonflé par l'exode rural et le chômage.

B. Les indicateurs de consommation

Les indicateurs de consommation peuvent être utilisés comme indicateurs indirects de

productivité (consommation d'énergie, de la consommation d'acier, de la consommation

d'engrais dans le secteur agricole12…) ou comme indicateurs de standard de consommation.

1. Les indicateurs de productivité

Comme le calcul d'indicateurs de productivité apparaît délicat, des indicateurs indirects

ont été proposés.

a) La consommation d'énergie

L'indicateur statistique de consommation d'énergie (globale et par tête) d'un pays fonde sa

validité sur l'existence d'une forte corrélation entre la dite consommation et le niveau de l'activité

économique. Toutefois, cette forte corrélation mise en lumière dans les années cinquante et

soixante par E.S. Mason (1955), Y. Mainguy (1967) et J. Darmstadter (1971) à été peu à peu

nuancée pour être mise en doute après les deux chocs pétrolier13.

11 On peut également envisager l'évolution structurelle du secteur manufacturier à travers par exemple la répartition de la valeur ajoutée dans le secteur manufacturier. 12 Cf: P. Guillaumont : Economie du développement, Paris, PUF, t1, pp.131 et suiv. 13 L'existence d'une forte corrélation entre la consommation d'énergie et le PIB a été nuancée par J. Darmstadter notamment en raison de la forte dispersion autour de la droite de régression entre la consommation d'énergie/tête et le PIB/tête. "Le produit par habitant n'est vraisemblablement pas la seule variable explicative de la consommation d'énergie par tête", JM. Martin : Economie et politique de l'énergie, Paris, A. Colin, 1992, pp.

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Consommation d'énergie commerciale par habitant (kilogrammes équivalent pétrole)

1965 1980 1995 Economies à faible revenu 125 133 198

Economies à revenu intermédiaire 663 1064 1139 tranche supérieure 516 1536 1579 tranche inférieure 881 953 1030

Economies à revenu élevé 3641 4807 5118 Source: Rapport sur le développement dans le monde, 1991, 1994,1997.1998-1999.

b) La productivité agricole

La Banque mondiale établit un indicateur de la consommation d'engrais par hectare

cultivé censé donner des éléments d'appréciation de la productivité dans l'agriculture.

Consommation d'engrais (hg d'éléments fertilisants par ha arable)

1970/71 1987/88 1991/92 Economies à faible revenu

171 802 1055

(dont Chine et Inde) 241 1185 403 Economies à revenu intermédiaire

370 703 585

tranche inférieure 309 592 544 tranche supérieure 465 865 635

France 2426 2214 2 892 Source: Rapport sur le développement dans le monde, 1991, 1994.

Depuis peu, et malgré les difficultés d’appréhension, la Banque mondiale fournit deux

indicateurs directs de la productivité agricole : la valeur ajouté agricole par travailleur agricole et

la valeur ajoutée agricole par hectare de terre agricole. Ces valeurs, dans le rapport sur le

développement dans le monde 1998-1999, sont exprimées en dollars de 1987.

Productivité agricole (Dollars de 1987)

Valeur ajoutée agricole par travailleur agricole

Valeur ajoutée agricole par hectare de terre agricole

Pays 1979-81 1994-96 1979-81 1994-96 Afrique du Sud 2 361 2 870 45 49 30-31.

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Bénin 374 563 188 321 Côte d’Ivoire 1 527 1354 195 212 Niger 292 256 57 63 France 13 699 30 035 838 1 113

Source: Rapport sur le développement dans le monde, 1998-1999. La détermination de cet indicateur se heurte aux difficultés afférentes à l'évaluation tant de la

production que de la population active. D’ailleurs dans un note technique, la Banque Mondiale

signale « qu’il importe d’interpréter les statistiques sur la productivité agricole avec

prudence14 ».

2. Les indicateurs de standard de consommation

Ils sont nombreux et s’intéressent à la consommation de divers biens.

Accès à certains biens de consommation (pour 100 habitants)

Pays Récepteurs Radio

Récepteurs de télévision

Téléphones Voitures particulières

Mozambique 5 0,3 0,4 nd Indonésie 15 6 0,7 1,4 Côte d’Ivoire 14 6,1 1,2 1,9 Brésil 38 21,5 9,2 nd Suisse 84 40 89 48 Moyenne PMA 10 0,9 0,3 0,2 Moyenne pays industrialisés

113 54,4 47,8 50,1

Source : PNUD, Rapport sur le développement humain, 1994, Paris, Economica, 1994.

3. Les indicateurs technologiques

L’accès à la technologie et sa maîtrise apparaissent comme des éléments qui suscitent et

accompagnent le processus de développement. Des indicateurs mesurent la diffusion et la

production de technologies.

Diffusion et création de technologies Télédensité Internautes

Pays 1990 2001 1990 2001 Brevets (1999) Suisse 57,4 73,2 5,8 307,0 203 France 49,5 57,3 0,5 263,8 195 Chili 6,6 23,3 0,4 201,4 1

14 Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde, 1998-1999, p. 263.

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Brésil 6,5 21,8 nd 46,6 2 Malaisie 8,9 19,8 nd 273,1 ns Algérie 3,2 6,1 nd 6,5 0 Niger 0,1 0,2 nd 1,1 0

(télédensité : nombre de lignes téléphoniques pour 100 habitants ; Internautes pour 1000 habitants ; brevets par million d’habitants) Source : PNUD, RSDH 2003, pp. 275-278.

C. Les indicateurs alimentaires

L'état de sous-développement se traduit généralement par des insuffisances alimentaires

tant sur la plan quantitatif que qualitatif. L'insuffisance quantitative se présente lorsque la ration

alimentaire par individu est inférieure à 2400 calories par jour; dans ce cas on parle de

"sous-alimentation". En 1996, les apports journaliers de calories par habitant s’élevaient, selon

le PNUD, à 1845 en Ethiopie, 2844 en Chine, 3250 en Tunisie et 3642 aux Etats-Unis.

L'insuffisance qualitative traduit des carences alimentaires bien que le nombre de calories de

ladite ration soit jugé suffisant; dans ce cas on emploie le terme « malnutrition ».

Personnes souffrant de malnutrition sur la période 1998-2000 (en % de la population totale)

Pays % de malnutris Pays % de malnutris Mexique 5 Cuba 13 Thaïlande 18 Sri Lanka 23 Congo 32 Sierra Leone 47 Source : PNUD, RSDH 2003, pp. 258-260.

La validité des indicateurs nutritionnels se fonde sur la corrélation existant entre le

niveau de développement et l'amélioration de l'alimentation. Mais se posent les problèmes de

l'évaluation et de l'interprétation des résultats15.

D. Les indicateurs démographiques

Il s'agit de rendre compte de la natalité, de la mortalité et de l'espérance de vie des

populations en supposant que le régime démographique d'une population apparaît lié à son degré

de modernisation socio-économique.

En effet, le régime démographique traditionnel se caractérise par des taux élevés de

15 M. Penouil souligne l'imprécision des évaluations de la ration alimentaire par enquête ainsi que les difficultés d'interprétation quand à la composition de la ration. "De plus, l'indicateur perd de sa valeur une fois franchi un certain seuil de développement; il est alors plus représentatif des habitudes de consommation que du niveau de développement", Socio-économie du sous-développement, op. cit. p. 113.

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natalité et de mortalité, conditions nécessaires au maintien de l'équilibre démographique. Puis,

s'amorce une transition démographique qui dans sa première phase voit le taux de mortalité se

réduire tandis que le taux de natalité se maintient. On assiste alors à une explosion

démographique. La deuxième phase de la transition voit le taux de natalité décroître à son tour,

engendrant une décrue du taux d'accroissement naturel de la population. Enfin, à l'issue de la

transition, la population adopte un régime démographique moderne avec des taux de natalité et

mortalité faibles se traduisant par un taux d'accroissement naturel faible16.

Taux bruts de natalité et de mortalité17 (pour 1000 habitants)

Taux brut de natalité taux brut de mortalité Pays 1970 1992 1970 1992 Niger 50 52 28 19 Inde 41 29 19 10

Maroc 47 28 16 8 Algérie 49 30 9 6 Chili 29 23 10 7

Source : Rapport sur le développement dans le monde 1994.

Calquée sur l'évolution qu'ont connue les pays industrialisés, la thèse de la transition

démographique mérite d'être nuancée notamment en raison de la différence entre la situation des

pays actuellement moins développés et la situation des pays industrialisés il y a un siècle. Il

s'avère, par exemple, que la transition a trouvé ses origines sur le plan interne dans les pays

développés alors que dans le Tiers Monde cette transition apparaît généralement impulsée de

l'extérieur.

La transition démographique dans le Tiers Monde (Taux d'accroissement annuel moyen de la population en pourcentage)

Afrique Asie Amérique latine 1950-1955 2,1 2,0 2,7 1955-1960 2,3 2,0 2,8 1960-1965 2,5 2,1 2,9 1965-1970 2,6 2,5 2,7 1970-1975 2,7 2,3 2,6 1975-1980 2,9 1,9 2,4

16 cf : D. Noin : La transition démographique dans le monde, Paris, PUF, 1983; JC. Chesnais : La revanche du Tiers Monde, Paris, Laffont, 1987. 17 Il s'agit du nombre annuel de naissances vivantes et de décès pour mille habitants.

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1980-1990 3,0 1,7 2,3 1990-2000 3,1 1,5 2,0 2000-2010 2,9 1,2 1,7

Source : J.C. Chesnais :La revanche du tiers monde, Paris, Laffont, 1987.

Le tableau précédent révèle l’avancement de la transition en Asie et en Amérique latine,

le continent africain devant voir le taux de croissance de sa population entamer sa réduction avec

le nouveau millénaire.

E. Les indicateurs relatifs à la santé

Dans ce domaine les indicateurs sont nombreux, on peut toutefois citer : l’espérance de

vie à la naissance, le nombre d'habitants par médecin, par infirmier, par lit d’hôpital, le nombre

d'accouchements assistés par le personnel de santé...

L’espérance de vie a progressé depuis plusieurs années, il n'en demeure pas moins qu'elle

reste relativement faible dans les pays les plus pauvres. En 2001, l’espérance de vie s’élevait à

64,4 années dans les pays en développement, 50,4 ans dans les pays les moins avancés (PMA),

46,5 ans en Afrique subsaharienne (contre 48,7 en 2000) et 77 ans dans les pays de l’OCDE.

L’espérance de vie maximale était de 81,3 ans au Japon (France 78,7), le minimum s’élevait à

34,5 ans en Sierra Leone18.

Sur la période 1990-2002, il y avait 1 médecins pour 100 000 habitants au Burundi, 4

médecins pour 100 000 habitants au Niger, 52 médecins pour 100 000 habitants au Viet Nam,

158 médecins pour 100 000 habitants au Brésil et 567 médecins pour 100 000 habitants en

Italie19.

Concernant les paramètres relatifs au nombre de médecins ou d'infirmiers, ils peuvent

voir leur validité atteinte par l'ampleur de l'assistance technique ainsi que les définitions souvent

larges des professions de médecin et d'infirmier dans certains pays.

D'autres indicateurs sont également employés, tel le taux de mortalité infantile qui

exprime le nombre de décès d'enfants de moins de un an pour mille naissances vivantes au cours

d'une année donnée20. En 1999, ce taux s'élevait à 127 pour le Mozambique, 182 pour la Sierra

18 Rapport sur le développement humain, 2003, pp.238-240. 19 idem, pp. 254-256. 20 On calcule également un indicateur de mortalité juvénile : « c’est exprimé par millier de naissances vivantes, le nombre d’enfants de moins de 5 ans qui mourront probablement avant leur cinquième anniversaire. On utilise aussi l’expression « mortalité de moins de 5 ans ». Rapport sur le développement dans le monde 1993, p. X.

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Leone, 64 en Bolivie21...

Certaines institutions internationales proposent également des indicateurs fondés sur le

pourcentage de la population totale ayant accès :

• aux soins de santé : 55% en Ethiopie, 42% au Bénin, 62% au Maroc en 1993…

• à des points d’eau aménagés : 20% au Niger, 41% au Rwanda, 79% au Nicaragua,

100% en France en 1999…

• aux médicaments et vaccins essentiels : 20% au Burundi, 85% au Vietnam, 70% au

Zimbabwe, 99% au Danemark en 199922.

Il convient de noter l’existence d’indicateurs spécifiques comme :

• La charge de morbidité globale (CMG), mis au point par la Banque mondiale et

l’OMS qui « mesure la quantité de vie pleine que fait perdre la maladie ; il se mesure

en années de vie corrigées du facteur invalidité »23.

• L’année de vie corrigée du facteur invalidité (AVCI) est l’unité qui « mesure à la fois

la charge de morbidité globale et l’efficacité des interventions de santé, telle qu’elle

est indiquée par une réduction de la charge de morbidité. C’est, pour une année

donnée, la valeur actuelle de la somme des années de vie valide perdues du fait de

décès prématurés ou d’une invalidité 24».

F. Les indicateurs sociaux

1. L'éducation et la formation

L’éducation et la formation ont un impact important sur l’accumulation du capital humain

et par là-même sur le processus de développement économique et social. Ainsi, sont proposés

des indicateurs afférents à l’analphabétisme, à la scolarisation... La Banque Mondiale et le

PNUD produisent des statistiques concernant les dépenses publiques d’éducation,

l’alphabétisation, les inscriptions dans l'enseignement primaire, secondaire et supérieur. En

2000, le taux d’alphabétisation des adultes (en % des plus de 15 ans) s’élevait à 73,7% pour

l’ensemble des pays en développement, 52,8% dans les pays les moins avancés (PMA), 61,5%

en Afrique subsaharienne, 55,6% en Asie du Sud et 88,3% en Amérique Latine25 . En 1999, le

taux brut de scolarisation combiné (du primaire au supérieur) s’élevait à 61% pour l’ensemble 21 idem 22 RSDH 2001-2002. 23 Idem. 24 Idem.

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des pays en développement, 38% pour les PMA, 42% pour l’ASS, 53% en Asie du Sud, 74% en

Amérique Latine et 94% dans les pays de l’OCDE à revenu élevé26.

Les performances dans le domaine de l’éducation cachent, dans certains cas, de

profondes disparités selon les sexes .

Taux d’alphabétisation et taux de scolarisation combiné selon les sexes en 2000 (en %)

Pays Tx alphab Hom Tx alphab Fem Tx scol Hom Tx scol Fem Italie 98,9 98 81 87 Chili 96 95,6 78 77 Arabie Saoudite 83,1 66,9 62 60 Togo 72,4 42,5 76 49 Niger 23,8 8,4 20 12 Source : PNUD, Rapport sur le développement humain 2002, p. 224.

Il est toutefois à souligner le relatif manque de fiabilité de ces paramètres concernant les

pays du Sud, en raison des difficultés d'établissement des statistiques (recensement, enquête).

2. Répartition et pauvreté

Le sous-développement est souvent présenté comme un état de pauvreté qui ne permet

pas la satisfaction des besoins fondamentaux notamment en raison de la forte inégalité dans la

répartition des revenus.

a) Une autre caractéristique des économies sous-développées est l'inégalité sociale

surtout perceptible au niveau des revenus.

Des travaux portant sur le calcul d'un indice de Gini de concentration du revenu ou

encore d'une analyse par tranches de population ont été réalisés. Ces travaux ont révélé que les

pays du Sud ont généralement un coefficient de Gini plus élevé que les pays développés, mais

les valeurs du coefficient varient de façon importante parmi les pays du Sud. « Les conclusions,

même sommaires, sont riches en enseignements quant aux inégalités nationales. Les variations

sont en effet très fortes, avec un indice de Gini qui s’étage de moins de 20 en Slovaquie à 60 au

Nicaragua et au Swaziland .La situation va-t-elle en s’améliorant ou en s’aggravant ? Difficile à

dire. Une étude consacrée à 77 pays représentant 82 % de la population mondiale a démontré

25 Source PNUD, Rapport sur le développement humain 2002, op, cit, p. 152. 26 Idem, p.152.

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qu’entre les années cinquante et quatre-vingt-dix, les inégalités ont augmenté dans 45 pays et

diminué dans 16 . Un grand nombre des pays du premier groupe sont situés en Europe de l’Est et

dans l’ex-Union soviétique, tous victimes d’une croissance faible, voire négative, dans les

années quatre-vingt-dix. Enfin, 16 autres pays ne présentent pas de tendance claire, ou bien les

écarts de revenu s’y sont d’abord réduits, avant de se stabiliser »27.

Répartition du revenu par tranches de population

Pourcentage du revenu des ménages

Pays Quintile le plus pauvre

2ème quintile

3ème quintile

4ème quintile

Quintile le plus riche

Décile le plus riche

Bangladesh (1995-96)(1) 8,7 12,0 15,7 20,8 42,8 28,6 Ghana (1997)(1) 8,4 12,2 15,8 21,9 41,7 26,1

Côte d'Ivoire (1995)(1) 7,1 11,2 15,6 21,9 44,3 28,8 Algérie (1995)(2) 7,0 11,6 16,1 22,7 42,6 26,8 Brésil (1996) (3) 2,5 5,5 10,0 18,3 63,8 47,6 France (1995) 7,2 12,6 17,2 22,8 40,2 25,1

(1) Pays à revenu faible; (2) Pays à revenu intermédiaire tranche inférieure; 3) Pays à revenu intermédiaire tranche supérieure. Source : Rapport sur le développement dans le monde 2000/2001.

Selon S. Kuznets, les inégalités de revenus s’accroîtraient dans les premières phases du

processus de développement avant de se stabiliser pour ensuite se réduire à partir d'un certain

seuil. S. Kuznets propose une courbe en forme de U renversé traduisant l'évolution des inégalités

de revenus. Diverses études ont tout d’abord confirmé cette assertion puis, plus récemment,

d’autres études sont venues contester les résultats de Kuznets (voir supra).

Les inégalités sociales se doublent d'inégalités spatiales : opposition ville-campagne,

inégalités régionales. Ce phénomène est dû au fait que la croissance naît dans un milieu et se

propage de façon lente et irrégulière dans l'espace national. Les inégalités issues de ce

phénomène se trouvent aggravées par les flux migratoires, notamment l'exode rural.

b) L'insatisfaction des besoins fondamentaux et la pauvreté

La pauvreté est un phénomène complexe et multidimensionnel. On la définit

généralement de trois points de vue : (i) par rapport à un revenu minimum déterminant un seuil

de pauvreté, (ii) par rapport à un niveau de satisfaction des besoins essentiels et (iii) par rapport à

la possibilité de réalisation d’un minimum de capacités fonctionnelles.

La première approche est utilitariste (néolibérale), la pauvreté y est définie comme un 27 RSDH, 2001-2002, p. 17.

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niveau de revenu socialement inacceptable et la lutte contre la pauvreté passe par l’augmentation

de la productivité des pauvres. Pour la Banque Mondiale, il existe un seuil de pauvreté absolue,

en deçà duquel les besoins minimaux ne seraient pas satisfaits. Cette approche se fonde sur un

seuil de pauvreté fixé à 1 dollar (en PPA) par jour et par personne. « Il est recommandé d’utiliser

un seuil de pauvreté correspondant à 2 dollars (en PPA) par jour pour l’Amérique Latine et les

Caraïbes et de 4 dollars (en PPA de 1990) pour l’Europe de l’Est et la CEI. Pour les

comparaisons entre pays industrialisés, le PNUD adopte le seuil de pauvreté valable pour les

Etat-Unis, et correspondant à 14,4 dollars) par jour et par personne28 ». On utilise l’expression de

pauvreté relative « pour des personnes qui sont moins bien loties que la majorité des autres

membres de la même communauté. Une personne est relativement pauvre si elle appartient à un

groupe à faible revenu (les 10% des personnes les plus pauvres par exemple)29 ». L’ultra-

pauvreté concerne les ménages « qui ne sont pas en mesure de satisfaire à 80% des besoins

caloriques minimaux définis par la FAO et l’OMS, et ce, même lorsqu’ils consacrent 80% de

leurs revenus à l’achat de produits alimentaires30 ». Selon la Banque Mondiale, 20 pour cent de

la population mondiale serait concernée par la pauvreté absolue, soit environ un milliard d'êtres

humains.

Pourcentage de la population ayant moins de 1 dollar par jour (PPA) pour subsister Pays (FR) pourcentages Pays (RI) pourcentages

Ethiopie (1995) 31,3 Philippines (1991) 28,6 Niger (1992) 61,5 Algérie (1995) < 2 Madagascar (1993) 60,2 Tunisie (1990) < 2 Sénégal (1995) 26,3 Jamaïque (1996) 3,2 Côte d’Ivoire (1995) 12,3 Hongrie (1993) < 2

Source : Banque Mondiale, 2000-2001, pp. 280-281.

La deuxième approche, qui répond à des préoccupations humanitaires, élargit la

précédente en identifiant un certain nombre de besoins de base (alimentation, logement,

éducation, santé) dont les politiques de lutte contre la pauvreté doivent permettre d’assurer le

plus rapidement possible la satisfaction. En effet, comme l’a écrit F. Perroux, le

sous-développement est un ensemble de conditions socio-économiques définissant un état

auto-entretenu d'insatisfaction des besoins fondamentaux que sont « nourrir les hommes, soigner

28 PNUD, Rapport sur le développement humain, 1997, p. 14. 29 Idem. 30 Idem.

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les hommes et instruire les hommes31 ». Lorsque ces besoins fondamentaux32 ne sont pas

satisfaits, on est face à une situation de pauvreté.

La troisième approche, proposée par A. Sen33, apparaît encore plus vaste en faisant

référence aux capacités humaines. La pauvreté est définie par l’absence de certaines capacités

fonctionnelles élémentaires recouvrant tant le domaine matériel (alimentation, logement,

habillement, santé…) que social (participation à la vie sociale…). Les politiques de réduction de

la pauvreté sont axées sur l’habilitation des pauvres (empowerment of the poor) à agir sur les

institutions et les processus sociaux qui les concernent directement.

La pauvreté, sous tous ses aspects, s’est accrue dans la monde depuis plusieurs années.

Phénomène nouveau, elle touche également les pays développés. On peut penser que le retour

des politiques libérales n’est pas étranger à cette tendance. La lutte contre le fléau de la pauvreté

a été érigée en tant que priorité par de nombreuses organisations internationales comme la

Banque mondiale et le PNUD (voir supra).

G. Les indicateurs relatifs à l’environnement

Plus récemment, les préoccupations de la communauté internationale se sont portées sur

les problèmes relatifs à l’environnement. L’activité humaine (industrielle, agricole) engendre des

effets négatifs qui se traduisent par la dégradation des conditions environnementales,

notamment l’épuisement des ressources naturelles ainsi que la détérioration des écosystèmes.

« La croissance continue de la consommation détériore l’environnement par des émissions et des

rejets de déchets polluants. L’épuisement et la dégradation progressifs des ressources, même si

elles sont renouvelables, mettent également en danger les moyens de subsistance. Au cours des

50 dernières années, les émissions de dioxyde de carbone ont quadruplé, et la majeure partie de

cet accroissement est imputable aux pays riches34. En 1999, ces émissions dépassaient 12 tonnes

31 Cf. P. Guillaumont : Economie du développement, op. cit. p. 162. 32 Il convient de souligner le problème de la définition de la norme de besoins fondamentaux à satisfaire. En effet, de nombreux travaux socioéconomiques ont montré que cette définition évolue de concert avec le niveau de développement. 33 A. Sen, L'économie est une science morale, Paris, La Découverte, 1999, voir également : Rapport sur le développement humain, 1997, Paris, Economica, 1997. 34 « Les rapports scientifiques soulignent la nécessité d’entreprendre immédiatement des actions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement de la planète. En 1997, le protocole de Kyoto a imposé aux pays riches de financer la majeure partie de ces mesures, car ils abritent 16 % de la population mondiale mais produisent 51 % de ces gaz. Le protocole appelle les pays riches à réduire, d’ici 2008-12, leurs émissions de dioxyde de carbone d’au moins 5 % par rapport à leur niveau de 1990. Ses partisans le considèrent comme une étape essentielle pour atténuer les changements climatiques. Ses opposants lui reprochent des coûts de mise en oeuvre disproportionnés, vu les restrictions relatives aux permis d’émissions négociables, ainsi que l’absence de plafonds

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par habitant dans les pays de l’OCDE à revenu élevé, contre 0,2 dans les pays les moins

avancés »35.

Emissions de dioxyde de carbone Par habitant (tonnes) 1980 1999 Part dans le total mondial en 1999 (%) Etats-Unis 20,4 19,7 23,2 France 9,0 6,1 1,5 Chine 1,5 2,3 11,9 Nigeria 1,0 0,3 0,2 Côte d’Ivoire 0,6 0,8 0,1 OCDE 11,0 10,8 51,0 Amérique Latine 2,4 2,5 5,4 Source : PNUD, RSDH 2003, pp. 301-303.

Les institutions internationales produisent des statistiques concernant l’impact du développement

sur l’environnement (déforestation, évolution des ressources halieutiques,….).

Section 3. Une tentative d'élaboration d'un indicateur synthétique : l'indicateur de

développement humain (IDH)

En 1990, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a proposé

une mesure des progrès réalisés vers un développement humain durable par un indicateur

synthétique baptisé indicateur de développement humain (IDH). Cet indicateur a été l'objet de

diverses critiques qui ont conduit le PNUD à l'améliorer.

A. Le concept de développement humain

L'indicateur de développement humain proposé par le PNUD se fonde sur une conception

du développement humain défini comme « le processus conduisant à l'élargissement de la

gamme des possibilités qui s'offrent à chacun. Les possibilités de choix offertes aux individus ne

sont ni finies ni statiques. Cependant, quel que soit le stade de développement, les trois d’émissions pour les pays pauvres. De plus, même s’il était pleinement appliqué, le protocole ne permettrait de réduire la température moyenne de la planète que de moins de 0,15 degrés Celsius d’ici 2100. Les États-Unis, qui sont à l’origine de 25 % des émissions de gaz à effet de serre, ont refusé de ratifier ce protocole. Sans leur participation, aucun accord international sur les changements climatiques ne saurait réduire de manière significative la menace que constitue le réchauffement planétaire », PNUD, RSDH 2003, p. 130.

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possibilités essentielles sont celles de vivre longtemps et en bonne santé, d’acquérir des

connaissances et de pouvoir accéder aux ressources nécessaires pour vivre dans des conditions

décentes. Le développement humain ne s’arrête pas pour autant à ce niveau. Nombreux sont

ceux qui accordent une grande valeur à d’autres possibilités de choix, qui vont de la liberté

politique, économique et sociale, à l’opportunité de faire preuve de créativité et de productivité,

de pouvoir vivre dans le respect de soi-même et dans le respect des droits de l’homme36 ».

B. La méthodologie de calcul de l'IDH

Indicateur synthétique du développement, l’IDH comporte trois éléments pour lesquels

des valeurs maximales et minimales ont été fixées :

• L’espérance de vie à la naissance : 25 ans – 85 ans,

• Le niveau d’éducation composé pour 2/3 du taux d’alphabétisation des adultes

(minimum 0% ; maximum 100%) et pour 1/3 du taux brut de scolarisation combiné

(tous niveaux confondus) (minimum 0% ; maximum 100%),

• Le niveau de vie mesuré par PIB réel par habitant (exprimé en PPA) (minimum 100,

maximum 40000).

Le calcul de tous les indicateurs entrant dans la composition de l’IDH se calculent de la

façon suivante :

Le revenu est considéré comme contribuant, au delà d'un certain seuil, de façon

décroissante au développement humain. Pour ce faire, on utilise la formule d'Atkinson W(y) =

(1/(1 - ε)) (y1-ε)où W(y) représente l'utilité du revenu et ε mesure l'importance du rendement

décroissant du revenu. ε exprime l'élasticité de l'utilité marginale du revenu par rapport au

revenu. Si ε = 0, les rendements sont constants. Si ε tend vers 1, l'équation devient W(y) = log y.

Ainsi, la valeur de W(y) prise en compte dans le calcul de l'IDH s'accroît parallèlement à

l'augmentation du revenu, l'étendue des revenus étant divisée en multiples du seuil de revenu

mondial moyen (y*), soit 5835 dollars en termes de PPA pour 1994. On obtient :

35 PNUD, RSDH 2003, p. 124. 36 Rapport sur le développement humain 1993, 1997, PNUD, Economica, Paris, 1993, 1997.

minmaxmin

⋅−⋅⋅−⋅

=valval

valnationalevalindicateur

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20

La valeur corrigée du revenu maximum de 40 000 dollars (PPA) se situe entre 7 y* et 8

y*. Selon la formule retenue, la valeur corrigée du revenu maximum s’établit à 6311 dollars

(PPA).

Il apparaît que plus le revenu est élevé par rapport au seuil, plus les effets des rendements

décroissants se répercutent sur la contribution du revenu au développement humain.

« Le principal problème de cette formule est qu’elle opère une très forte correction au-

delà de la valeur de seuil (y*) ce qui pénalise de fait les pays dans lesquels le revenu est

supérieur à cette valeur37 ». Cette forte correction fait perdre au revenu sa pertinence en tant

qu’indicateur de « substitution de l’ensemble des aspects du développement humain non pris en

compte par la longévité, la santé et le savoir38 ».

Depuis 1999, un nouveau traitement du revenu a été adopté visant à pallier les problèmes

précédents. Le raisonnement et le mode de traitement s’inspire des travaux de S. Anand et A.

Sen39 (1999).

Le revenu est maintenant déterminé par la formule suivante :

Ce nouveau mode de calcul autorise une correction moins sévère du revenu. De plus,

cette correction s’applique à tous les revenus et non seulement à ceux situés au-delà d’un certain

seuil. « Enfin l’asymptote se dessine relativement tard, ce qui évite de pénaliser les pays à

revenu intermédiaire40 ».

37 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 1999 », New York, 1999, p. 159. 38 Idem. 39 « The income component of the HDI – alternative formulations », Occasional paper, PNUD, New York, 1999. 40 Idem.

( )[ ][ ] ( )[ ][ ] ( )[ ] [ ]( ) **/1*3/1*2/1**

**3/1*2/1**

**2/1**

*

)1()1(1...232

32232

22

0)(

nyyynpourynnyyyy

yyypouryyyy

yyypouryyy

yypouryyW

n≤≤−−−++−++=

≤≤−++=

≤≤−+=

<<=

minmax

min

loglogloglog)(

yyyyyW

−−

=

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Exemple de calcul de l’IDH

Nous prendrons l'exemple de deux pays pour illustrer le calcul de l'IDH : un pays industrialisés,

l'Allemagne, et un pays en développement, la Chine.

Pays Espérance de vie (années)

Taux d'alphabétisation des adultes (%)

Taux brut de scolarisation tous niveaux confondus (%)

PIB réel par habitant (PPA)

Allemagne 77,2 99,0 88,1 21 260 Chine 69,8 82,9 68,9 3 130

Indicateur d'espérance de vie

Allemagne = 77,2 - 25 = 52,2 = 0,870

85 – 25 60

Chine = 69,8 – 25 = 44,8 = 0,747

85 – 25 60

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22

Indicateur d'alphabétisation des adultes

Allemagne = 99,0 - 0 = 99,0 = 0,990

100 - 0 100

Chine = 82,9 - 0 = 82,9 = 0,829

100 - 0 100

Indicateur de scolarisation combiné

Allemagne = 88,1 - 0 = 0,881

100 - 0

Chine = 68,9 - 0 = 0,689

100 - 0

Indicateur de niveau d'éducation

Allemagne = [2(0,990)+ 1(0,881)]/3 = 0,954

Chine = [2(0,829) + 1(0,689)]1/3 = 0,782

Indicateur de PIB réel corrigé par habitant (en PPA)

Allemagne = log(21 260) - log(100) = 0,895

log (40 000) - log ( 100)

Chine = log(3 130) - log(100) = 0,575

log(40 000) - log(100)

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L'IDH est simplement la moyenne arithmétique simple des trois indicateurs de durée de

vie, de niveau d'éducation et de PIB réel corrigé par habitant (en PPA), ce qui donne pour

l'Allemagne et la Chine les résultats suivants :

Pays Indicateur

d'espérance de vie

Indicateur de niveau d'éducation

Indicateur de PIB réel corrigé par habitant

Somme des indicateurs

IDH

Allemagne 0,870 0,954 0,895 2,719 0,906 Chine 0,747 0,782 0,575 2,104 0,701

C. Les résultats de l'IDH

Le PNUD a calculé un IDH relatif à l’année 2001 pour chacun des 175 pays pris en

compte dans le rapport de 2003. Pour le PNUD, le développement humain élevé s'étend de 0,8 à

1, 55 pays entrent dans cette catégorie. La Norvège est la première de la liste (0,944) suivie de

l’Islande (0,942), la France arrive en 17ème position (0,925) (12ème position en 2000 avec 0,928);

le dernier de ce groupe étant le Mexique avec un IDH égal à 0,800. Le second groupe comprend

les pays à niveau de développement moyen ; 86 pays le composent. Dans ce groupe, l’IDH

s’échelonne entre les indices 0,5 et 0,799. L’IDH le plus élevé est celui de Antigua et Barbuda

(0,798) et le plus faible celui du Togo (0,501). La troisième catégorie comprend les pays à

développement humain faible, inférieur à 0,5, qui comprend 34 Etats. Les valeurs extrêmes ont

celles du Cameroun (0,499) et de la Sierra Leone (0,275). Certains pays « voient leur

développement humain reculer depuis 1990 sous l’effet de la pandémie du sida (surtout en

Afrique subsaharienne) ou de la stagnation économique (en ASS, en Europe de l’Est et dans la

CEI)41 ».

Globalement, le classement par IDH est assez proche du classement par PIB/habitant : le

coefficient de corrélation entre le rang du classement par IDH et celui du classement par

PIB/habitant est de l’ordre de 0,9. Cela confirme la forte liaison existant entre le niveau de

revenu, l'espérance de vie et le niveau d'instruction. Toutefois, « les classements selon l’IDH et

selon le PIB par habitant peuvent donner des résultats très contrastés, ce qui montre bien que la

prospérité économique n’est pas un préalable au développement humain. Ainsi, le Costa Rica et

la Corée se distinguent par leurs avancées impressionnantes sur le front du développement

41 Rapport sur le développement humain 1999, op. cit. p. 129.

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humain, avec un IDH actuellement supérieur à 0,8, mais le Costa Rica y est parvenu alors même

que son revenu par habitant est inférieur de moitié à celui de la Corée. Autre exemple, le

Pakistan et le VietNam affichent un PIB par habitant du même ordre, mais le VietNam a

beaucoup plus oeuvré pour traduire ce niveau de revenu en termes de développement

humain »42.

Il apparaît donc que certains « pays réussissent moins bien à convertir leur prospérité

économique en amélioration des conditions de vie de leur population43 ».

Pays affichant un recul de l’indicateur du développement humain, 1999

IDH inférieur au niveau de 1975

IDH inférieur au niveau de 1980

IDH inférieur au niveau de 1985

IDH inférieur au niveau de 1990

IDH inférieur au niveau de 1995

Zambie Roumanie Botswana Afrique du Sud Malawi Russie, R Féd. de Bulgarie Bélarus Namibie Zimbabwe Burundi Cameroun Congo Kenya Lesotho Lituanie Lettonie Moldavie, Rép.

de

Swaziland Ukraine

Source: RSDH, 2001-2002, p. 10.

D. L'IDH contesté

Etant donné que pour chacune des dimensions envisagées (longévité, accès aux

ressources, niveau d'éducation) on calcule une distance relative dont la valeur se situe entre 0 et

1, il semblerait que l'IDH soit une mesure normative. S'il en était ainsi, une valeur de l'IDH égale

à 1 correspondrait au bonheur parfait. En réalité, il ne peut y avoir de limite et l'IDH doit être

envisagé comme une mesure des aptitudes humaines à vivre longtemps et en bonne santé, à

communiquer et à participer à la vie de la communauté, et à disposer de ressources suffisantes

pour s'assurer une vie convenable. En fait, l’IDH est un indicateur relatif.

Les questions principales posées aux concepteurs de l'IDH sont les suivantes : 42 RSDH, 2001-2002, p. 13.

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• Pourquoi retenir trois dimensions seulement?

• Les variables choisies pour mesurer les dimensions sont-elles pertinentes? et pour chaque

dimension, les variables associées sont-elles trop ou pas assez nombreuses?

• Les mesures effectuées sont-elles sujettes aux erreurs d'estimation, et dans l'affirmative

ces erreurs faussent-elles les résultats obtenus?

• Le choix du minimum et du maximum est-il justifié ou bien arbitraire? Quelle est la

sensibilité des indicateurs à des choix différents concernant les maxima et les minima?

• Pourquoi retenir une pondération égale pour chaque élément? Quelle est la sensibilité du

résultat aux variations de pondération?

De plus, il s’avère que la méthode de calcul de l’IDH a été plusieurs fois modifiée notamment en

ce qui concerne la prise en compte du revenu.

Enfin, il faut se poser la question de la fiabilité des données.

Malgré les réserves et les critiques que l'on peut adresser à l'IDH, il faut reconnaître que

cet indicateur a le mérite d'exister.

E. La mesure des disparités sociologiques entre les sexes

Depuis 1995, le PNUD s’intéresse à l’égalité des sexes et la participation des femmes à

travers deux indicateurs.

1. L’indicateur sexospécifique de développement humain (ISDH)

L’ISDH part de l’IDH, mais tient compte des inégalités sociologiques entre les sexes.

Plus les écarts touchant les domaines couverts par l’IDH sont importants, plus l’ISDH du pays

considéré est faible par rapport à son IDH. En fait, l’ISDH est tout simplement un IDH corrigé

en fonction des inégalités entre les sexes.

Dans son rapport de 2003, le PNUD a calculé l’ISDH pour 144 pays. La Norvège est le

pays possédant l’ISDH le plus élevé 0,941 et le Niger occupe la dernière place avec un ISDH de

0,279. Pour certains pays, la différence de classement entre l’IDH et l’ISDH est positive (Etats-

Unis, Canada…) et indique une répartition plus équitable du développement humain entre

hommes et femmes. Néanmoins, pour la majorité des pays, le classement selon l’ISDH est

inférieur (ou égal) au rang obtenu pour l’IDH, ce qui dénote une discrimination entre les sexes.

En fait, les avancées dans le développement humain ne sont pas également réparties entre 43 Idem.

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hommes et femmes.

Valeurs comparées de l’IDH et de l’ISDH pour certains pays en 2001

Pays IDH ISDH Diff. de classement IDH, ISDH44 Canada 0, 0,934 2 France 0, 0,923 0 Arabie Saoudite

0, 0,743 - 6

Côte d’Ivoire 0, 0,376 - 2 Niger 0, 0,279 0

Source : PNUD 2003, op. cit. pp. 150-152 et 310-312.

2. L’indicateur de participation des femmes (IPF)

Cet indicateur mesure la participation des femmes à la vie économique et professionnelle

et aux prises de décisions politiques. « Il se concentre sur la participation et mesure les

inégalités sociologiques entre les sexes en termes de représentation et de pouvoir de décision

dans certains domaines clef de la sphère économique et politique45 ». Il tient compte de la part

respective des femmes et des hommes en termes de sièges parlementaires, de fonctions

administratives et d’encadrement, de professions libérales et techniques, ainsi que leurs part

respective des revenus du travail. Les valeurs de l’indicateur s’échelonnent de 0 à 1, le niveau le

plus élevé traduisant une égalité parfaite entre les sexes. Plus l’écart hommes - femmes est

important, plus l’IPF est faible.

Indicateur de la participation des femmes (IPF) pour certains pays en 2000

Pays IPF Pays IPF Norvège 0,837 Chili 0,474 Suisse 0,718 Egypte 0,260 Japon 0,527 Equateur 0,484 Portugal 0,638 Honduras 0,405

Source : PNUD, 2002, pp. 226-229.

Pour l’année 2000, le PNUD a calculé l’IPF pour 66 pays. Les 3 premiers sont les

suivants : la Norvège (0,837), l’Islande (0,833), la Suède (0,824),…la France n’est pas classée.

Les derniers du classement sont le Sri Lanka (0,274), l’Egypte (0,260) et le Bangladesh (0,223).

44 Le classement selon l’IDH a été recalculé en fonction des pays pris en compte dans l’ISDH. 45 PNUD, 1997, p. 15.

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Certains pays en développement surclassent des pays industrialisés beaucoup plus riches sur le

plan de l’égalité des sexes dans les activités politiques économiques et professionnelles. Ainsi,

l’IPF du Mexique est de 0,517 alors que celui de la Grèce est de 0,512.

F. L’indicateur de la pauvreté humaine (IPH)

« Un indicateur de la pauvreté humaine (IPH) mesure la misère dans quatre grands

aspects de la vie humaine : la capacité de vivre longtemps et en bonne santé, le savoir, les

moyens économiques et la participation à la vie sociale. Ces aspects de la misère sont les mêmes

pour tous les pays, qu'ils soient industrialisés ou en développement. Seuls les critères les

mesurant varient, pour tenir compte des différences dans les réalités de ces pays et en raison des

limites que posent les données46 ». Le PNUD a donc conçu deux versions de l’IPH : l’IPH-1

pour les pays en développement et l’IPH-2 pour les pays industrialisés.

1. Pour les pays en développement, « l’IPH-1 s’attache aux déficits rencontrés dans trois

domaines essentiels de l’existence humaine, et qui sont eux-mêmes déjà globalement pris en

compte dans l’IDH47 », mais envisage ces aspects sous l’angle des déficits. L’insuffisance en

termes de longévité est représentée par la proportion d’individus risquant de décéder avant l’âge

de 40 ans ( P1). Le défaut d’instruction est traduit par la proportion d’adultes analphabètes (P2).

Le troisième aspect, le manque de conditions de vie décentes sur le plan économique en général

est représenté par un sous indicateur composite (P3) composé de 3 variables : le pourcentage

d’individus privés d’accès à l’eau potable (P31) ; celui des personnes privées d’accès aux services

de santé (P32) et celui des enfants de moins de 5 ans souffrant d’insuffisance pondérale modérée

ou aiguë (P33) (malnutrition)48.

La composante P3 est la moyenne arithmétique des trois variables P31, P32 et P33 :

L’IPH-1 se calcule alors ainsi :

46 PNUD 1999, p. 130. 47 PNUD, 1997, p. 15. 48 Il est à noter qu’en l'absence d'un outil de mesure acceptable et des données nécessaires, l'indicateur de la pauvreté humaine (IPH-1) n’est pas en mesure de restituer le déficit de participation à la vie sociale dans les pays en développement.

3333231

3PPPP ++

=

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Pour le Panama en 2000, le calcul était le suivant :

% P1 P2 P31 P32 P33 Panama 6,4 8,9 7,0 18,0 7,0 Calcul de P3 :

Calcul de l’IPH-1 :

Le tableau suivant révèle la proportion importante de pauvres dans les pays à faible revenu, et particulièrement dans les pays situés sur le continent africain. De nombreux facteurs explicatifs peuvent être mis en avant : géo-climatiques, politiques, économiques et sociaux.

Indicateur de la pauvreté humaine (IPH-1) pour certains pays en développement en 2001 Pays pourcentages Pays pourcentages

Barbade 2,5 Pakistan 40,2 Trinité et Tobago 8,0 Sénégal 44,5 Chili 3,0 Côte d’Ivoire 45,0 Costa Rica 4,0 Ethiopie 56,0 Thaïlande 12,9 Niger 61,8

Source : PNUD, 2003, pp. 245-247. Dans son rapport 2003, le PNUD a établi le classement de 94 pays selon l’IPH-1.

Source : PNUD, RSDH 2003, p. 247.

La pauvreté humaine s’échelonne entre 2,5% de la population à la Barbade et 61,8% au

Niger. Il convient de signaler que dans 33 pays sur 88, la pauvreté humaine touche plus du tiers

de la population.

( ) 31

33

32

313

11

++=− PPPIPH

7,103

323

71873 ==

++=P

( ) 0,97,109,84,6311

31

333 =

++=−IPH

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2. « L'indicateur de la pauvreté humaine pour les pays industrialises (IPH-2) se concentre sur

quatre aspects du dénuement qui sont très proches de ceux envisagés dans le cadre de l'IDH - la

longévité, le savoir, les conditions de vie et l'exclusion. La première forme de manque se mesure

ainsi en termes de longévité - c'est la probabilité de décéder à un âge relativement précoce. La

deuxième, qui a trait à l'instruction, consiste à se trouver exclu du monde de la lecture et de la

communication. La troisième concerne l'absence d'accès à des conditions de vie décentes, et

s'attache en particulier à ce que procure l'économie dans son ensemble. Enfin, la quatrième a trait

à l'absence de participation à la vie de la société, ou exclusion49 ».

L'IPH-2 comporte 4 composantes : a) le pourcentage d'individus risquant de décéder

avant l'âge de soixante ans (P1), b) le pourcentage de personnes illettrées, selon la définition

qu'en donne l'OCDE (P2), c) le pourcentage d'individus vivant en deçà du seuil de pauvreté

correspondant à la demie médiane (1er quartile) du revenu individuel disponible (P3), d) le

pourcentage de la population active en situation de chômage de longue durée, c'est-à-dire depuis

plus de 12 mois (P4).

L’IPH-2 se calcule alors ainsi :

En 2000, pour les Etats-Unis, le calcul était le suivant :

% P1 P2 P3 P4 Etats-Unis 12,6 20,7 19,1 0,5

Calcul de l’IPH-2 :

Indicateur de la pauvreté humaine (IPH-2) pour certains pays industrialisés en 2001

49 PNUD, op. cit. p.131.

( ) 31

34

33

32

314

12

+++=− PPPPHPI

( ) 5,165,01,197,206,12412

31

3333 =

+++=−IPH

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Pays pourcentages Pays pourcentages Suède 6,5 Japon 11,1 Norvège 7,2 Italie 12,2 Finlande 8,4 Royaume-Uni 14,8 Allemagne 10,2 Irlande 15,3 France 10,8 Etats-Unis 15,8

Source : PNUD, 2003, pp. 248-249.

Le PNUD a calculé l’IPH-2 pour 17 pays industrialisés. La Suède est le pays où la pauvreté

humaine est la moins répandue. Suivent ensuite dans le classement la Norvège, la Finlande et les

Pays-Bas ; les pays les plus touchés par la pauvreté sont le Royaume-Unis, l’Irlande et les Etats-

Unis.

Source : PNUD, RSDH 2003, p. 249. Récapitulatif :

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Source : PNUD, RSDH 2003, p. 340.

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G. L’indicateur du développement technologique (IDT)

Dans le rapport sur le développement humain 2001, le PNUD a innové en calculant un

nouvel indicateur.

« L’indicateur du développement technologique (IDT) est un indicateur composite

destiné à rendre compte de la capacité d’un pays à innover et à diffuser les innovations, ainsi

qu’à constituer une base de compétences humaines ».

L’IDT détermine les réalisations dans quatre domaines :

! L’innovation technologique appréhendée à travers d’une part, le nombre de brevets

délivrés et d’autre part, le montant des redevances et droits de licence, ramenés à la

population.

! La diffusion des technologies récentes perçue à travers le nombre d’ordinateurs reliés à

l’Internet par habitant et la proportion des exportations de produits à contenu

technologique intermédiaire ou élevé dans les exportations totales de marchandises.

! La diffusion des technologies anciennes mesurée par le nombre de téléphones (lignes

fixes et téléphones portables) ramené à la population et par la consommation d’électricité

par habitant.

! Les compétences humaines prises en compte à partir de la durée moyenne de la scolarité

de la population de 15 ans et plus et à partir du taux d’inscription dans les filières

scientifiques de l’enseignement supérieur.

Pour chacune des composantes on calcule :

observéeimalevaleurobservéeimalevaleurobservéeimalevaleurnationalevaleurcomposante minmax

min⋅−⋅

⋅−⋅=

Pour chacun des domaines, l’indicateur est la moyenne arithmétique simple de ses

composantes. L’IDT est la moyenne arithmétique simple des quatre indicateurs.

L’IDT est calculé pour 72 pays pour lesquels les données statistiques sont disponibles ou

jugées suffisamment fiables. Le PNUD classe ces pays en quatre catégories : les leaders

(IDT>0,5), les leaders potentiels (0,35<IDT<0,5, les utilisateurs dynamiques (0,20<IDT<0,35) et

les pays marginalisés (IDT<0,20).

La valeur de l’IDT pour quelques pays

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Pays IDT Rang Pays IDT Rang

Finlande 0,744 1 Mexique 0,389 32 USA 0,733 2 Afrique du Sud 0,340 39 Allemagne 0,583 11 Iran 0,260 50 France 0,535 17 Soudan 0,071 71 Portugal 0,419 27 Mozambique 0,066 72

Source : PNUD, RSDH 2001-2002… La principale critique que l’on peut adresser à l’IDT est qu’il se trouve surtout adapté aux pays

du Nord industrialisés. D’ailleurs, le faible nombre de pays du Sud pris en compte semble

l’attester. Depuis 2002, le PNUD n’a pas reconduit le calcul de l’IDT.

Initialement, l’ambition du PNUD était de construire un indicateur synthétique unique

capable d’embrasser les différentes dimensions du développement humain. La multiplication des

indicateurs (ISDH, IPF, IPH,IDT), semble attester de l’échec de la démarche du PNUD. En fait,

malgré les progrès réalisés, la définition d’un critère unique apparaît encore largement utopique

car le développement est un processus multidimensionnel.