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48 MANAGEMENT N°584 – JANVIER 2018 L e handicap psychique est une réa- lité de plus en plus tangible dans nos sociétés. Conséquence directe de troubles psychiques sévères et persistants souvent liés à des situa- tions d’épuisement professionnel, cette pathologie concernera 20 % des individus à l’horizon 2020, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour un nombre toujours plus important de salariés français (13 % des 2,7 millions de personnes béné- ficiant de la reconnaissance adminis- trative d’un handicap ou d’une perte d’autonomie, d’après le ministère du Travail), le handicap psychique, sans affecter les capacités intellectuelles, occasionne de multiples troubles (volonté, pensée, perception, commu- nication et langage, comportement, humeur, conscience et vigilance intel - lectuelle…) nécessitant des disposi- tifs adaptés. Si la loi de 2005, relative à l’égalité des droits et des chances, la parti- cipation et la citoyenneté des per- sonnes handicapées, a officiellement reconnu les troubles psychiques comme pouvant être à l’origine d’un handicap, force est de constater que la pathologie demeure relativement méconnue et toujours sujette à un certain nombre de peurs irration - nelles et d’idées reçues, qui sont autant d’obstacles à l’accès et au maintien dans l’emploi. Pouvoirs pu- blics, organisations syndicales, entre- prises, société civile : il est urgent de prendre en compte ces situations de handicap psychique et de construire une société réellement inclusive en faveur des salariés en situation de handicap et de leurs proches. Agir sur la problématique grandissante des troubles de santé mentale liés au travail Premier syndicat des salariés cadres et assimilés (agents de maîtrise, ingénieurs, techniciens) du privé et du public, la CFE-CGC poursuit sans relâche son combat quotidien pour conseiller, assister et représenter les travailleurs handicapés et les sa- lariés dont un proche est handicapé. Mobilisée face au développement de toutes les nouvelles formes de handi - cap, la CFE-CGC est en première ligne sur la problématique grandissante du handicap psychique et des troubles de santé mentale liés au travail. Cet engagement a d’ailleurs été formalisé lors de la signature, le 15 novembre 2016, d’une nouvelle convention entre la CFE-CGC et l’As- sociation de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handica- pées (Agefiph). Objectif : changer le regard sur le handicap psychique. « Je suis fier d’être le président d’une organisation syndicale qui, très tôt, a considéré le handicap comme une question clé au cœur de nos activités, confiait alors François Hommeril, pré- sident confédéral. Dans chaque terri- toire et chaque secteur d’activité, des SOUFFRANCE AU TRAVAIL CHANGER LE REGARD SUR LE HANDICAP PSYCHIQUE PAR LA BANDE DESSINÉE Touchant un nombre croissant de salariés, le handicap psychique, pourtant reconnu par la loi depuis 2005, demeure méconnu. Mobilisée au quotidien face à toutes les formes de handicap, la CFE-CGC, premier syndicat des cadres et de l’encadrement, agit pour sensibiliser, lever les freins et mieux prendre en compte cette pathologie. Afin d’en parler, de développer la prévention avec les CHSCT, les CSE et les entreprises, la confédération sort une bande dessinée, entièrement dédiée à ce sujet. Il est urgent de prendre en compte ces situations de handicap psychique et de construire une société réellement inclusive. Par Christophe Roth, délégué national CFE-CGC santé au travail et handicap

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Le handicap psychique est une réa-lité de plus en plus tangible dans

nos sociétés. Conséquence directe de troubles psychiques sévères et persistants souvent liés à des situa-tions d’épuisement professionnel, cette pathologie concernera 20 % des individus à l’horizon 2020, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour un nombre toujours plus important de salariés français (13 % des 2,7 millions de personnes béné-ficiant de la reconnaissance adminis-trative d’un handicap ou d’une perte d’autonomie, d’après le ministère du Travail), le handicap psychique, sans affecter les capacités intellectuelles, occasionne de multiples troubles (volonté, pensée, perception, commu-nication et langage, comportement,

humeur, conscience et vigilance intel-lectuelle…) nécessitant des disposi-tifs adaptés.

Si la loi de 2005, relative à l’égalité des droits et des chances, la parti-cipation et la citoyenneté des per-sonnes handicapées, a officiellement reconnu les troubles psychiques comme pouvant être à l’origine d’un handicap, force est de constater que la pathologie demeure relativement méconnue et toujours sujette à un certain nombre de peurs irration -nelles et d’idées reçues, qui sont autant d’obstacles à l’accès et au maintien dans l’emploi. Pouvoirs pu-blics, organisations syndicales, entre-prises, société civile : il est urgent de prendre en compte ces situations de handicap psychique et de construire une société réellement inclusive en faveur des salariés en situation de handicap et de leurs proches.

Agir sur la problématique grandissante des troubles de santé mentale liés au travail

Premier syndicat des salariés cadres et assimilés (agents de maîtrise, ingénieurs, techniciens) du privé et du public, la CFE-CGC poursuit sans relâche son combat quotidien pour conseiller, assister et représenter les travailleurs handicapés et les sa-lariés dont un proche est handicapé. Mobilisée face au développement de

toutes les nouvelles formes de handi-cap, la CFE-CGC est en première ligne sur la problématique grandissante du handicap psychique et des troubles de santé mentale liés au travail.

Cet engagement a d’ailleurs été formalisé lors de la signature, le 15 novembre 2016, d’une nouvelle convention entre la CFE-CGC et l’As-sociation de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handica-pées (Agefiph). Objectif : changer le regard sur le handicap psychique. « Je suis fier d’être le président d’une organisation syndicale qui, très tôt, a considéré le handicap comme une question clé au cœur de nos activités, confiait alors François Hommeril, pré-sident confédéral. Dans chaque terri-toire et chaque secteur d’activité, des

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CHANGER LE REGARD SUR LE HANDICAP PSYCHIQUE PAR LA BANDE DESSINÉETouchant un nombre croissant de salariés, le handicap psychique, pourtant reconnu par la loi depuis 2005, demeure méconnu. Mobilisée au quotidien face à toutes les formes de handicap, la CFE-CGC, premier syndicat des cadres et de l’encadrement, agit pour sensibiliser, lever les freins et mieux prendre en compte cette pathologie. Afin d’en parler, de développer la prévention avec les CHSCT, les CSE et les entreprises, la confédération sort une bande dessinée, entièrement dédiée à ce sujet.

“ Il est urgent de prendre en compte ces situations de handicap psychique et de construire une société réellement inclusive. ”

Par Christophe Roth, délégué national CFE-CGC santé au travail et handicap

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militants s’engagent pour un meilleur respect des droits et de la place des personnes handicapées dans la com-munauté nationale. Le handicap, dont le handicap psychique, est une préoc-cupation constante pour notre réseau qui agit concrètement sur le terrain 52 semaines par an. »

Intégrer les pathologies psychiques dans la négociation des accords handicap d’entreprise

Avec l’appui de son réseau de vingt référents régionaux et de cinquante référents issus de ses fédérations professionnelles (métallurgie, banque, assurance, services publics, com -merce et service, chimie, énergie, santé…), la CFE-CGC a mis en place divers modules de formation pour per-mettre de négocier des accords handi-cap dans les entreprises et la fonction publique en intégrant les dispositions de la loi de 2005 et en tenant compte du handicap psychique. Les adhé -rents peuvent aussi s’appuyer sur la fiche pratique handicap psychique contenue dans le guide handicap CFE-CGC régulièrement mis à jour, et sur une banque des accords handicap qui recense les accords pour iden-tifier les bonnes pratiques et faire converger les compétences. La CFE-CGC s’est également dotée d’outils pédagogiques et ludiques autour du handicap : vidéos, jeux de cartes, questions pour un champion « handi-cap », goodies et bande dessinée, dont la dernière mouture a été présentée le 12 décembre dernier, lors d’une soi-rée festive de sensibilisation du han-dicap psychique auprès des adhérents et du grand public (cf. illustration).

La CFE-CGC en première ligne au niveau national interprofessionnel

Partenaire social incontournable et acteur majeur du dialogue social au niveau national interprofessionnel, la CFE-CGC a été reçue le 9 novembre dernier par Sophie Cluzel, la secré -taire d’État chargée des personnes handicapées. L’occasion de rappeler ses grandes propositions s’appli-quant à toutes les formes de handi-cap, dont les pathologies psychiques. La CFE-CGC a notamment réitéré sa ferme opposition à la réduction des

contrats aidés prévue par le gouver-nement. Ceux-ci sont en effet un outil d’insertion professionnelle non négli-geable pour les personnes en situa-tion de handicap. Les demandeurs d’emploi handicapés figurent par ailleurs parmi les principaux bénéfi-ciaires de ces contrats.

La CFE-CGC en appelle en outre au déploiement de l’emploi accompa -gné, qui permet aux personnes en situation de handicap d’obtenir et de garder un emploi rémunéré sur le marché du travail. Ce dispositif fonc-

“ La CFE-CGC alerte depuis des années sur l’explosion des cas de burn-out, ce broyeur silencieux. ”

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tionne dans l’accompagnement du handicap psychique. Il faut donc favoriser la montée en compétences et la forma-tion des professionnels de l’emploi accompagné.

La CFE-CGC préconise également un accompagnement adapté pour favoriser l’insertion professionnelle des salariés en situation de handicap afin, notamment, de répondre à la problématique spécifique du handicap psychique lié à l’épuisement professionnel. La CFE-CGC alerte depuis des années sur l’explosion des cas de burn-out, ce broyeur silencieux devenu un enjeu social et sociétal majeur et dont les principales victimes sont les salariés cadres et assimilés.

Oui à une indispensable reconnaissance du syndrome d’épuisement professionnel comme maladie professionnelle !

Le constat est édifiant : notre société vivant dans la culture du résultat, il faut en faire toujours plus, sans pou-voir « relâcher ». Beaucoup de salariés, hyperconnectés, se voient assigner des objectifs parfois inatteignables. Selon la Sécurité sociale, 20 % des arrêts supérieurs à six mois sont dus à des troubles psychologiques liés au travail. C’est énorme ! Voilà pourquoi la CFE-CGC milite inlassa-blement pour la reconnaissance du syndrome d’épuise-ment professionnel comme maladie professionnelle, les dispositifs actuels n’étant pas adaptés.

Par Philippe Zawieja, chercheur associé, CRC Mines ParisTech PSL Research University (France) et Équipe sur les organisations en santé (ÉOS), université de Sherbrooke (Canada), membre de la commission ANDRH QVT

La notion de « handicap psychique » fait sans doute du droit français une exception, voire une aberration, puisqu’elle conduit à regrouper sous le même vocable les maladies mentales – telles que les psychoses, les troubles obsessionnels compulsifs ou les maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer…) – les séquelles des traumatismes crâniens ou

des accidents vasculaires cérébraux, et les situations de souffrance au travail auxquelles cet article est consacré.

Assimiler le handicap à une pathologie, c’est-à-dire à une maladie au sens propre, me paraît problématique. Surtout si l’on parle d’« une » maladie, comme si elle était unique, non seulement dans ses symptômes, mais surtout dans ses reten-tissements psychologiques et sociaux.

Problématique, d’abord parce que cela implique que le travail fabrique des fous. Qu’il induise des souffrances psychologiques est indéniable, mais la « fabrication » de la folie est un phénomène social autrement plus complexe (cf. Histoire de la folie à l’âge classique, Michel Foucault) auquel la CFE-CGC collabore paradoxale-ment en réclamant pour le burn-out (et contre toutes les autorités médicales) ce statut anthropologique et social particulier qu’est la maladie.

Problématique, ensuite parce que cette revendication ne répond pas nécessairement à la demande sociale des personnes en situation d’épuisement professionnel elles-mêmes. Le handicap a une image de permanence, à tout le moins de chronicité, dont ne veulent pas toujours les épuisés professionnels. L’étiquette de la maladie – ponc-tuelle, traitable, curable – répondrait peut-être mieux à leur requête…

Problématique, enfin et surtout parce qu’au handicap correspond une perte de capacités et d’aptitudes, voire une inaptitude (au sens de la médecine du travail) et, en filigrane, une rhétorique réactionnaire de perte d’utilité pour la société. Cette stigmatisation me semble contraire au besoin de renforcement narcissique du « burn-outé ».Je suis, bien sûr, en accord avec la volonté de réaffirmer l’appartenance à la cité des personnes en situation de handicap psychique, de défendre leur droit au travail et leur place dans les équipes, ainsi que de lutter contre les déterminants de la souffrance au travail. Je conteste en revanche l’amalgame doloriste et victimaire qui est ici dé-fendu, qui me semble, à terme, plus délétère que bénéfique pour les personnes dont il prétend défendre les droits.

« Assimiler le handicap à une pathologie me paraît problématique »

LE POINT DE VUE DE LA COMMISSION ANDRH « SANTÉ ET QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL »

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Laurence Breton-Kueny, DRH du groupe Afnor

C’est toujours une bonne initiative de communiquer sur le handicap pour mieux le faire connaître, à condition de prêter attention à l’interprétation des faits pour éviter une analyse conduisant, in fine, à une proposition inadaptée.Commençons par quelques chiffres : l’Insee Enquête emploi 2013 men-

tionnait 878 000 personnes ayant une reconnaissance administrative d’un handicap quel qu’il soit, en emploi sur le marché du travail. À la question du handicap psychique, il convient d’en rappeler la définition de l’Unafam : « Le handicap psychique est caractérisé dans le champ social par un déficit relationnel, des difficultés de concentration, une grande

variabilité dans la possibilité d’utilisation des capacités, alors que la personne garde des facultés intellectuelles nor-males. Le handicap psychique est la conséquence directe des troubles psychiques. Le handicap mental résulte d’une déficience intellectuelle. »

Un premier amalgame consiste à confondre handicap psychique et pathologies liées au stress (les troubles mus-culosquelettiques, les problèmes cardio-vasculaires, la déprime, la dépression, l’épuisement notamment). Pour le BIT, celles-ci deviendraient la première cause d’arrêt de travail (20 %) à l’horizon 2020. Le handicap psychique est la conséquence de diverses maladies comme les psychoses, le trouble bipolaire, voire de pathologies liées à des traumatismes ou des syndromes autistiques. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas se préoccuper de l’employa-bilité de ces personnes souffrant d’un handicap psychique, mais on ne peut généraliser les cas individuels. Un deuxième amalgame est de reprendre le mantra réducteur de demander une automaticité de reconnaissance de maladie professionnelle pour l’épuisement professionnel, car c’est à la fois oublier la personne et faire porter le poids financier sur des organisations dont la plupart ne sont pas responsables. L’ANDRH a donné sa position sur la question en 20161, suivant en cela celle de l’Académie de médecine qui est contre la reconnaissance de l’épui-sement professionnel comme maladie professionnelle. Attention à ne pas se méprendre sur cette position : une personne peut porter un dossier et obtenir à titre individuel une reconnaissance, mais vouloir une automaticité ne correspondrait pas à une réalité. La vie dans les organisations nous prouve chaque jour que chaque cas est unique et vouloir une décision globale est contre-productif pour la personne, car ce sont en majorité des raisons multifactorielles (sociale, personnelle et professionnelle). L’étude Salveo du professeur Marchand est utile à décou-vrir, car elle met en perspective les facteurs professionnels et individuels ayant un effet sur la santé mentale des personnes : déprime, dépression et épuisement professionnel2.

En tant que DRH, nous mettons l’humain au cœur de la performance de nos organisations, c’est notre raison d’être que d’y veiller, et les politiques « santé qualité de vie au travail » que nous mettons en œuvre témoignent de la cohérence entre nos paroles et nos actes.

1 http://www.andrh.fr/l-actualite/liste-des-actualites/reaction-de-l-andrh-au-rapport-de-l-academie-de-medecine-sur-le-burn-out2 http://events.snwebcastcenter.com/manulife/GBRS/Prod/Media/PDFs/SL/gf13611.pdf

LE POINT DE VUE DE LAURENCE BRETON KUENY, VICE-PRÉSIDENTE DE L’ANDRH EN CHARGE DES QUESTIONS DE SANTÉ