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    Collection Collectif psy

    CHAMP SOCIAL D I T I O N S

    Quel accueil pour lafolie?

    GUY BAILLON

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    La maison ddition reoit le soutiende la Rgion Languedoc-Roussillon

    Collection Collectif psydirige par Yves Gigou

    Champ social ditions,

    201134 bis, rue Clrisseau 30 000 NMES

    [email protected]

    Diffusion/distribution PollenISBN : 978-2-35371-113-0

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    Guy Baillon

    Quel accueil pour la folie ?

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    Hlne Chaigneau,sa prsence lautre.

    Francis Jeanson,sa qute de lhumain.

    nos guides et amis Lucien Bonnaf, Tony Lain,et tant dautres

    tous les miens.

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    AVANT-PROPOS

    Folie et psychiatrie : entre colre et espoir

    Les usagers ne veulent pas de la psychiatrie actuelle,celle dont ils se servent en ce moment. Ils font une va-luation brutale et sans merci du paysage psy.

    valuation renforce par celle des familles qui portesur dautres points, dont certains peuvent paratre oppo-ss, opposition que certains psy soulignent plaisir,

    alors qu la base la demande des usagers et des famillesest exactement la mme. Par contre les demandes de cha-cun sopposent, en priode dinconsquence et daban-don de la psychiatrie comme aujourdhui : si lespsychiatres refusent dentendre les familles, les famillesvont revendiquer une loi leur donnant la possibilit den-fermer pour soigner puisque cest le seul moyen qui leurest accord dtre coutes et dobtenir des soins, deman-dant toute une suite de garanties contraignantes et pri-vatives de libert, toutes choses que les usagers excrent.

    Alors les usagers se rvoltent, oui, ils se rvoltentcontre la liste est longue1.

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    1. Contre les psychiatres, les soignants, les acteurs sociaux, les direc-teurs, les familles, les lus, les chefs dentreprise, les prfets, les juges,les policiers, contre eux-mmes, non, contre les faux-usagers quise font passer pour fous et profitent, contre les statisticiens, les phi-losophes contre tout le monde, chaque fois pas tous Contrela souffrance au quotidien, lindiffrence. Surtout contre le rejet, lastigmatisation, la peur, lgosme, lindividualisme, lisolement,contre labsence damour, simplement.

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    Hlas ! Cette rvolte va prendre tous les psychistes contre-pied, autant ceux qui ont choisi ce mtier commenimporte quel autre sans foi ni perspective, donc indif-frents aux vrais besoins, pensant simplement faire leurtravail, que ceux qui se battent pour une psychiatriemeilleure et une foi en lhomme.

    Ceux qui veulent une psychiatrie meilleure vont trestupfaits, car ils sont persuads que depuis 50, 30 ansla psychiatrie sest considrablement amliore (cest tout

    fait exact), ils font tout ce quils peuvent au quotidienpour quelle soit humaine, et pourtant ils se voient brus-quement disqualifis par cette valuation, ils ne regret-teront pas de les couter : car les usagers veulent unepsychiatrie disponible 24h/24. Ils la veulent en ville. Ilsla veulent hors hpital. Ils la veulent non stigmatise,sans affiche, sans concentration. Ils la veulent lisible. Ils

    la veulent en liens avec le champ social puisquils sontdans les deux. Ils la veulent immdiatement disponible,cest--dire quand ils en ont besoin, et ce besoin cesttoujours limprvu.

    Les familles nen demandent pas plus. Elles deman-dent seulement tre traites comme les usagers, avecdignit, avec confiance. Les familles demandent trereues, de temps en temps, pour apprendre comment sesituer entre leur amour et leur souffrance. Les psychiatresnont pas encore intgr cette ncessit, sauf en psychia-trie infanto-juvnile.

    Tout cela est possible si une volont commune se meten place autour des usagers et leur entourage : formation,

    information, solidarit, foi en lhomme.Un tableau de la psychiatrie en 2011

    Paralllement cette rvolte, brossons en quelqueslignes un tableau de la psychiatrietelle quelle apparataux yeux de lopinion en 2010. La psychiatrie est sortie

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    de son ghetto, on en parle comme dun outil dont cha-cun peut se servir, elle nest plus synonyme dinterne-ment systmatique. Bien plus, ds quun vnementsocial collectif survient avec violence, il est convenu dap-peler des psy la rescousse ; la psychiatrie devrait cal-mer, car elle est cense expliquer. Cela prouve lareconnaissance de lopinion, ce qui nest pas sans poserproblme, car la mission de la psychiatrie est de soigner,il nest pas prudent dutiliser une grande part du temps

    du soin jouer les conseillers en humanit de tout unchacun. Nest-ce pas ici la simple place de la rflexionhumaine appartenant chaque citoyen ? Sans tre rser-ve la psychiatrie ?

    linverse lorsquil nous arrive dtre usager de laSant Mentale, il faut convenir que lorganisation internede la psychiatrie nest pas lisible. Lorsquun des ntres

    souffre, on mesure notre tour la complexit que consti-tue laccs aux soins ; les soignants au lieu dtre accueil-lants donnent limpression quon les drange ; si noussommes un membre de la famille dune personne maladenous sommes peine couts ; nous ne sommes pasreus si le malade nest pas prsent, alors quon voudraitdabord comprendre simplement un peu ce qui nousarrive nous deux avant de demander un soin pour lundentre nous. Pouvons-nous continuer ainsi ? Angoissedun ct, rticence de lautre, laccessibilit des soinsserait-elle un mythe pour la psychiatrie ?

    Puis, sil nous arrive daller dun dpartement lau-tre, nous constatons que rien nest comparable dans lor-

    ganisation des soins, ni dans le climat des quipes, et rienne nous permet de comprendre pourquoi, ni commentragir ?

    Enfin quand nous apprenons quune loi est parue en2005 pour rpondre aux besoins sociaux des personnesqui ont des troubles psychiques graves, il semble simple

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    de demander leur avis aux soignants. Mais ceux-ci ston-nent et nous renvoient ailleurs en disant que cette loi ilsne la connaissent pas, ou sen mfient car cela peut dtour-ner du soin. Ce nest pas invent, cest le quotidien.

    Pour lusager de la sant mentale et sa famille ces par-cours sont kafkaens. Ils ne peuvent comprendre ces rti-cences, ce dsordre, ces ingalits dune quipe lautre, cetteopposition entre soin et compensation sociale ; cest la jungle.

    Est-ce la lutte pour la vie de Darwin et la promesse

    de lextinction dune race ? Celle des malades mentaux ?Non. Ce nest que la face visible de liceberg.Car si nous rencontrons en dehors dune dmarche

    de soin les soignants de ces mmes quipes ils tmoi-gnent de la violence quils vivent au quotidien de la partde leur administration dont lattitude est, elle aussi, kaf-kaenne ; celle-ci na quune proccupation, la rentabi-

    lit, et quun mot dordre, le management des soins(comme dans les grandes entreprises) ; elle ne rve quede concentrations des moyens, des services, desmalades ; elle na quun outil la multiplication descontrles. Lvaluation de lhumain ne la concerne pas,car cest du subjectif ! Enfin elle ne se sent pas du toutconcerne par la loi du handicap et mconnat lesMDPH (maison dpartementale de lgalit desChances, loi du 11-2-2005).

    Thorie de lvolution et la continuit de lespce humaine

    La thorie de lvolution invite ne pas oublier lacontinuit de lespce humaine : un mouvant compa-

    gnon de notre recherche, Jean Claude Ameisen.Pour faire face cette double rvolte, nous vous pro-

    posons dinviter aujourdhui nos cts Jean ClaudeAmeisen, chercheur et prsident du comit dthique de

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    lINSERM2, avec son magnifique pome sur la vie :Dans la lumire et les ombres. Darwin et le bouleversementdu monde. Livre blouissant nous racontant lhistoire dumonde, interprtant le prsent et nous menant au-delde tout ce que nos yeux voient ; grce lui nous noussentons mme de mettre un terme certaines de nospeurs ancestrales les plus profondes, comme celles autourde la vie et de la mort. Nous nous sentons arms pourpenser notre civilisation venir.

    Nous apprenons comment les tres se sont dveloppssur notre plante, comment tout homme en garde lestraces, nous dcouvrons les liens qui unissent tous lestres vivants Certes notre ignorance reste extrme,nous ne savons pas encore comment lhomme est n,comment son esprit a merg, mais contempler lhis-toire du monde, brusquement cette histoire donne sens

    tout.La thorie de lvolution est ne il y a 150 ans avec

    Darwin et Wallace (notre auteur souligne quil faut lesassocier). Elle a eu un destin vari, stimulant dinnom-brables recherches, plus tonnantes les unes que lesautres, mettant leurs rsultats en cohrence. Mais elle aaussi t utilise mal escient par lhomme contrelhomme, dans une drive le darwinisme social a trahison propos et la utilise pour donner du poids leug-nisme et soutenir le nazisme. J.-C. Ameisen en parle entermes forts. Heureusement depuis 30 40 ans elle a tsolidement restaure par un foisonnement de dcou-vertes passionnantes, dont nous ne connaissions pas les

    plus rcentes.J.-C. Ameisen nous fait, avec une trs grande clartet une trs grande simplicit, le rcit de ces diffrentestapes et du bouleversement qui en rsulte.

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    2. Jean Claude AMEISEN, Dans la lumire et les ombres. Darwin et lebouleversement du monde, Fayard/Seuil, 2008.

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    La grande force de son livre est de nous donner unenouvelle lecture du monde, en donnant sens toute viepuisque toute vie participe la construction de cette his-toire commune, bouleversante, message drangeant quinous touche.

    Cette rflexion rejoint la demande des usagers qui ren-contrent la psychiatrie ; celle-ci leur offrant trop souventun aspect kafkaen, ils rclament son histoire, pensant avecpertinence quelle leur permettra de comprendre. En effet

    cette histoire donne du sens aux dmarches de chacunpour faire face aux souffrances psychiques et montre, nousle verrons, comment aujourdhui la psychiatrie trouve sacontinuit dans la promulgation de la loi sur lgalit deschances du 11-2-2005. Nous verrons aussi pourquoi cettecontinuit nest pas encore vidente aux yeux dune grandepartie des professionnels.

    Rien na de sens en biologie, except la lumire de lvolu-tion. Thodosius Dobzhanski, 1973, cit par J.-C. Ameisenen exergue son propos.

    Le temps est venu, non pas de chercher constammentdes responsables pour les dgradations que nous consta-tons, mais de montrer comment lhistoire de la succes-

    sion des vnements apporte un clairage nouveau etdonne de ce fait une faon nouvelle de comprendre cesenchanements.

    Nous voyons dans ce rcit les scientifiques faire desdcouvertes extraordinaires, pendant que dautresaccomplissent des erreurs, nous voyons comment lascience en expliquant la survenue de certaines souf-

    frances ouvre une voie pour les soulager. En mme temps tout moment cette histoire souligne les incertitudes surce que nous savons, il nest pas de sciences sans incer-titude , disent de grands chercheurs, alors que nous sou-haiterions toujours le contraire, la certitude.

    Sappuyant sur le temps, la profondeur du temps,ltirement du temps, lhistoire raconte, selon Darwin,

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    comment se produit la gnalogie des espces, donc lagnalogie de lhomme.

    claire par les variations dans la succession de cesespces, par leur lutte pour lexistence, le tout aboutissant la slection naturelle que propose Darwin comme lecturede notre monde. Cette thorie sappuyant sur les diff-rences extrieures des tres sest prolonge dans la dcou-verte du rle jou par les gnes, et ses limites (en effet ilnous prcise que la notion de programme gntique est

    fausse, car linfluence du gne nest jamais que partielle),et du rle constant jou par lenvironnement tant pourchaque chromosome, que pour chaque cellule, que pourchaque individu, confirmant la force et la continuit desvariations de lentourage. Il nous fait dcouvrir aussi lhis-toire de la mort des cellules, du suicide de certaines par-ticipant, notre tonnement, la construction de tout

    tre, vie et mort indissolublement lies du dbut la fin,ce sera lhistoire du vieillissement. J.-C. Ameisen nous pro-pose une trs belle image de tout cela, il dcrit chacun denous comme tant le sculpteur de lui-mme, chacunrecevant en hritage une masse initiale (de matire et des-prit), que tout au long de notre vie nous allons sculpter,dtruire et reconstruire, elle-mme modele aussi par notreenvironnement

    Enfin nous aimerions insister sur cette ralit la plussaisissante, mais qui nous chappe constamment : nouscomprenons quel point nous jouons sur deux tableauxtout au long de notre vie : nous sommes la fois en trainde sculpter un tre, et dans le mme temps de faon indis-

    sociable mais diffrente, chacun de nous constitue uninfime maillon dans la longue chane de lvolution delhomme et des espces du monde, participant de faonirremplaable cette construction infinie.

    Le rle de chacun tant irremplaable, chacun tantdfinitivement diffrent de tous les autres, car cette iden-tit est trs prcise, nous en transmettons une trace, que

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    nous ayons des enfants ou non, car ce qui est transmisnest pas seulement prsent dans les gnes, nous transmet-tons aussi au moyen de tous les messages transmis dansnotre environnement ; nous participons la transmissionde lun et de lautre, mme nos actes de destruction sontun message transmis, comme nos actes de reconstruction.Nous voici obligs daccepter ce lien entre chaque per-sonne et lensemble de la race humaine, puis de lunivers.

    Nest-ce pas un blouissement qui nous garde en veil,

    quel que soit ce que nous vivons, qui nous fait admirer lemonde et constamment prserve lespoir jusqu notredernire pense, et ce qui la suivra dans linfini ?

    J.-C. Ameisen ne dit rien, bien sr, de la souffrance quelhomme impose lhomme. Mme sil raconte tout aulong de son ouvrage avec prcision lesclavage, leug-nisme, le nazisme, les gnocides, il sarrte aux portes du

    mystre de lexistence du mal, quil naborde pas, rappe-lant que des scientifiques comme dautres hommes peu-vent y participer. En fait cette question du mal neconcerne pas dabord la science, elle concerne lhommedabord, en fait uniquement lui. Il nous faudra bien oserlaborder. Peut-tre le ferons-nous de faon plus lucideaprs le rcit de cette prodigieuse histoire, et avec plus des-poir. Ce sera au lecteur de sen saisir.

    Une harmonie du mondeNous navons pas la prtention davoir rapport les-

    sentiel de ce pome, en effet ce livre est construitcomme un pome, un pome par essence ne peut se rsu-mer. Ce message est un appui trs fort pour aborder avec

    un maximum de srnit le mystre et la gravit des souf-frances psychiques ; de plus il nous donne des pistes pourpenser ; par exemple cette image de sculpteur, sculpteurdu corps comme de lesprit, si intimement lies et laquelle chacun de nous participe sans cesse, comme yparticipe notre environnement.

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    INTRODUCTION

    Quel sens a laccessibilit pour les personnes prsentant des troubles

    psychiques ?Cest une question a priori trs simple : pour tre

    accessible il suffirait dtre prsent, nest-ce pas ?Lobservation montre que cest infiniment plus

    complexe.Au quotidien, lorsque lun dentre nous subit une

    grave difficult psychique que se passe-t-il ? Cet homme,cette femme ne savent pas quils ont cette difficult, doncils nont pas conscience que les autres la voient, et deplus se sentent mal laise. Ils ne peroivent ni leur pro-pre trouble, ni le mouvement de retrait des autres.

    Leur entourage ne sait comment sy prendre pour leurapporter laide dont la personne a besoin. La premire

    chose serait de lenvelopper de paroles, lentourer dunbain de paroles. Toute autre attitude lui donne le senti-ment quelle est en terrain hostile, partir de l elle nesonge qu se dfendre, se met aux aguets.

    Ce bain de paroles (qui ne doit pas chercher modifierce quelle dit sur ce quelle ressent, car elle sait ce quelleressent) tablit un change fluide o lpret des mots que

    les autres veulent lui assner pour la contredire et qui lablessent, leur duret, leur violence, sont attnues par cemouvement de paroles qui lenveloppe, comme un l-ment fluide touchant tout son corps, cela lapaise.

    Elle-mme souvent commence plutt sentir commeune protection, mais peroit aussi douloureusement cette

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    carapace et ne supporte aucun contact, elle ne sait paspourquoi mais elle ragit avec la plus extrme vivacit cette douleur.

    Cependant au bout dun bon nombre dchangesavec elle, une confiance sinstalle. Le flux des mots conti-nue apaiser.

    Lentourage apprhendant les limites de cet changepeut se sentir totalement dpass devant la gravit de ladifficult, ce peut tre une excitation vive, une tristesse

    extrme, une inhibition profonde, et fait intervenir dessoignants. Ceux-ci parfois trouvent les mots pour tablirun contact, dautres fois ils jugent quun mdicament estune tape indispensable pour retrouver la capacit deparler ; par contre la personne ne pense pas en avoirbesoin. Cest un moment extrmement difficile, cetteprise dun mdicament qui lui est offerte pour assouplir

    son enveloppe. Peut-tre sera-t-elle grce lui plus per-mable aux paroles et pourra-t-elle exprimer la souf-france qui existe derrire son excitation, son inhibition,sa certitude acre sur ce quelle vit. Cest difficile, carelle sait aussi dj quavec ce mdicament se prpare lef-fritement de son unit psychique, ce qui est pour elle delordre de linsupportable.

    Certes si tout le monde se ligue contre elle, elle va trepuise, se sentir emporte par cette foule, aller ladrive, quoi va-t-elle pouvoir saccrocher ?

    Ne restent que crainte, dfiance, mfiance, cest levide, ou la rvolte.

    Il va falloir beaucoup de temps, beaucoup dchanges,

    de nombreux moments de vie trs diffrents les uns desautres pour quun peu de cohrence, un peu de conti-nuit renaissent pour elle et quelle puisse sappuyer surelles.

    Le plus souvent cela nest possible que parce quunvrai partage sest effectu, elle a pu faire passer un peu

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    de sa souffrance, ceux qui lcoutent prouvent cettesouffrance leur tour, elle le peroit, sen trouve un peudcharge.

    Souvent le mdicament reste ncessaire ce momentpour diminuer lmotion, cela lui est pnible car cettemotion, dont elle ne veut pas reconnatre quelle estdouloureuse, constitue un appui, alors sen dessaisir luiest trs pnible, plus rien ne tient aussi bien aprs.

    La reprise de la parole, de lchange est aprs cela

    essentielle. Elle sait quil faudra du temps, cependant peu peu quelque chose se tisse sur quoi elle pourra prendreappui, souvent il faudra du temps, du temps, encore dutemps, peu peu alors cet appui peut devenir solide, fort.

    De sa famille, de son entourage, que pense-t-elle ?Elle ne sait. Ctait dj difficile avant cela, si la

    famille a impos le traitement elle pense quelle ne la

    comprend pas. Aprs cest souvent encore trs difficile.Elle a besoin de tellement de choses, comme de sloi-gner de ce qui la fait souffrir. Si sa famille est encore lcest comme si une tension persistait. Ils ne savent pastrs bien ce dont elle a besoin, ils ne veulent pas convenirque ce nest pas des mmes choses quavant. Elle sedemande sil ne faut pas les craindre ? Ici encore le tempsjoue son rle ; un moment elle sappuie sur sa famille,comme si rien ne stait pass, et sans parler de rien.

    Comment ragit cette famille ?

    On le voit, de multiples faons la famille souffre elle-mme, elle est blesse, elle ne comprend pas, elle a honte,

    se sent coupable, cette culpabilit peut la poursuivre trslongtemps. Elle a limpression que cest elle qui devraittout faire pour calmer son enfant, son conjoint, que cestson rle, et elle constate que rien ne marche pour retrou-ver un simple contact. Elle ne sait quoi faire. En dernierrecours, dans ces moments de grand dsarroi, de bles-

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    sure, de douleur, elle se rsout chercher un psychiatre.Aprs tout cest son mtier, il saura laccueillir, lui donnerdes cls pour renouer le contact.

    Hlas, aujourdhui la famille rencontre trop souventle vide, le psychiatre refuse de les voir, tous les prtextessont bons puisque la personne qui souffre ne les accom-pagne pas lui-mme a beaucoup faire, ils doivent allerailleurs, lui ne vient pas au domicile Au nom de quoipensons-nous ncessaire de traiter la famille ainsi ? Si elle

    appelle et vient au CMP, cest quelle est dans la dtresse,dans la souffrance ; elle ne sait plus quoi faire, se sentresponsable ; elle sait quelle peut tre une boue de sau-vetage, peut-tre la seule boue. Mais elle ne trouve pasde personne laquelle elle peut saccrocher, les profes-sionnels qui pourraient faire lien refusent, la laissentseule, et ceci tout au long des annes o le soin se pour-

    suit, sous le prtexte que leur enfant dclare leur tre hos-tile ! Cest un rel dni de notre part de ne pascomprendre que leur enfant adulte est en plein dni deses troubles psychiques. La boucle de ce cloisonnementest boucle

    Il ne suffit pas dtre dans la proximit pour tre accessible

    En ralit personne ne tente dapprcier le sens relde ce mot dni en psychiatrie, pas plus que dans lechamp du handicap psychique, ni son sens.

    Nous nous appuyons navement sur la connaissanceque nous avons de personnes ayant un handicap senso-riel, moteur, nous pensons par exemple aux difficults

    dun paralys ; avec une chaise roulante on lui donnetout de suite une faon de dpasser cette incapacit. Oncomprend vite que pour autant tout ne lui est pasencore accessible (nous savons quil a fallu des dizainesdannes avant que la socit sy intresse). Il a unechaise roulante, mais ne peut accder ltage sil y a un

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    escalier roulant, il ne peut traverser certains carrefours.La Cit intervient alors, installe un ascenseur, abaisse letrottoir. partir de l seulement il y a une vraie libertdaccs pour le paraplgique.

    Par contre lorsquil sagit de difficults psychiques,cest tout autre chose.

    L le chemin qui permet daller dune personne lau-tre, pour tablir un contact nest pas vident, ou pluttil est trompeur. On pourrait croire quil suffit que les

    deux personnes, celle qui souffre, celle qui soigne, soientdans la mme pice. En fait il faut se demander dabordde quelle faon cette rencontre peut se produire. Ensuiteon constate que pour quil y ait change, il faut quil yait deux dsirs qui se cherchent, se trouvent. Mais mmesi elles se parlent, au dbut elles ne se comprennent pas,lune sait quelle na besoin de rien, lautre si !

    Laccessibilit ce nest pas une simple question decommunication, cela ne se rsume pas la recherchedune nouvelle langue. Clairement entre la personne quisouffre (et parfois nexprime mme pas cette souffrance)et une autre, par exemple un professionnel de la psychia-trie, ce nest pas seulement une question despace, deproximit. Il y a en ralit un vritable foss entre elles.Il y a mconnaissance et mprise. La personne qui souf-fre ne voit pas propos de quoi il lui serait utile, intres-sant de prendre contact avec cette personne qui est l, niavec une autre, dans la mesure o sa propre souffrancene lui est pas apparente. Ce foss existe avec tous lesautres : les proches, les soignants, les membres de la Mai-

    son de lgalit des Chances, tous ces acteurs se croientaccessibles en pensant quil leur suffit de dire quellessont disponibles.

    Il nen est rien. Il y a dun ct mconnaissance desdifficults vcues, et il y a de lautre ct, en miroir,mconnaissance de cette mconnaissance. La personne

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    concerne na aucune raison de regarder les autresautrement que comme des passants auxquels elle estaussi indiffrente quenvers les autres, anonymes. Lesprofessionnels du soin restent fidles lide dun ser-vice rendre, et ils croient avoir fait le tour de la ques-tion ds quils se sont dcids provoquer unerencontre. En fait ils ne peroivent pas que cest unedonne abstraite pour la personne et surtout une atti-tude anonyme, alors que ce qui importe cest le carac-

    tre unique de la personne qui est l, et sa proprehistoire. Ils ne se rendent pas compte que cette per-sonne ne sait pas quelle a besoin de ce que ces profes-sionnels lui proposent.

    De ce fait elle na aucune raison, aucune envie deprendre contact, ni dtablir le moindre lien avec cesacteurs, puisque la question qui les proccupe na aucun

    sens pour elle-mme. Il y a l une vraie barrire. Cecivoque linitiative des membres de lUNAFAM du 78qui pour illustrer cette ralit font rouler une grandebulle (une boule ronde de plastique transparent, gonfle)dans laquelle est enferme une personne. Cette bullepeut se mouvoir grce aux seuls mouvements de la per-sonne enferme, dont on nentend pas les paroles et quiest labri des ntres. Toute occupe trouver commentavancer, elle est aussi indiffrente tout ce qui se passeautour delle ou reste perplexe.

    La profondeur de ces mconnaissances mutuelles estinsondable, sans limite.

    Il faut des artifices, du temps, des allis, pour les

    dpasser et quun lien stablisse enfin.Quelles sont les conditions gnrales de laccessibilit ?

    Hlne Chaigneau au sortir de son dernier anniver-saire aussitt oubli, octobre 2009, a immdiatementragi linterrogation qui lui tait soumise : Nous lui

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    demandons : Sagit-il ici en fait daccessibilit ? Non ! Pourrait-on partir dune dmarche decomprhension, qui serait le dbut de lempathie ? Non plus ! Car cela, cest une tape suivante. Celle dun dialogue ? Encore moins ! De lamise en place dune rencontre ? Certes. Nousapprochons, car nous mettons l deux personnes en pr-sence sur un pied dgalit et de rciprocit.

    Mais nous ny sommes pas encore, ajoute Hlne

    Chaigneau, disons plutt quil sagit dune invention.Il se produit quelque chose qui ntait pas. Proposition remarquable, pensons-nous, car dj le

    dlire est une invention ; contrairement ce que nousdisons ce nest pas une conviction, la personne est sondlire, elle y est plonge aussi. Lchange que nous vo-quons ici se passe avant et en de dune conviction.

    Nous allons continuer avec elle dans une nouvelleinvention pour se rencontrer dans un co-cheminement.Est prsent aussi un sentiment dclatement, dans lamesure o survient une surprise qui nous dplace ,prcise Hlne Chaigneau ; tout ceci montre quelpoint pareille entreprise est loin dtre simple. Ellenobit aucun protocole systmatique, mais un enga-gement psychique et affectif profond de lacteur ; celui-ci va trouver un moment une fibre psychique sensiblechez la personne. Alors la rencontre peut samorcer3.

    Nous sommes loin de notre fonctionnement habituel,nous sommes loin des rseaux, nous sommes loin de lef-fet convenu dun mdicament, dune comptabilit

    dactes et de donnes prcises ; nous sommes larecherche des attitudes qui vont permettre un contact ensappuyant sur des lments subjectifs de part et dautre.

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    3. Hlne Chaigneau, qui nous a accompagns dans ce parcours,nous a quitts dans la srnit, le 30 aot 2010.

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    Avec laffirmation que la notion daccessibilit nousouvrirait les voies, nous croyons tre dans une certitudealors quil semble que rien ne soit possible sans ledoute, cest plutt lincertitudequi ouvre les cheminsde la rencontre.

    Ceci se droule au dbut de tout soin et va se prolon-ger de diverses faons, si toutefois chacun des acteursgarde le mme cap.

    Alors quelle accessibilit pour le handicap psychique ?Il en est de mme pour les acteurs sociaux, dpassent-

    ils totalement cette mme difficult une fois que laccs une compensation dun handicap psychique est devenuun objectif pertinent pour eux ?

    distance du moment de la premire rencontre avantles soins, lorsque lentourage peroit que les difficultspsychiques entranent aussi des consquences sociales,parfois redoutables, puisque confinant lisolement souscouvert dautonomie, le mme foss apparat et fait bar-rage.

    Il y prend mme laspect dun nouvel obstacle : leterme nouveau de handicap psychique est blessant, non

    pas en raison de la prsence du terme de handicapcomme le pensent les psy, mais cause de celle du motpsychique. Il est blessant car il renvoie maladie, psy-chiatrie, notions qui inquitent depuis trop longtempslopinion, et la personne.

    La gne sociale est parfois reconnue par celle-ci(nous y reviendrons), mais que cette gne ait un lien avec

    le psychisme lui est insoutenable, car elle se sent existerhors de toute rfrence une difficult psychique.

    Nous nous retrouvons donc ici devant la mme diffi-cult que lors du premier contact la veille dun soin.Les acteurs sociaux et les membres de la MDPH veulentmettre disposition des personnes notoirement concer-

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    nes par les consquences sociales des troubles psy-chiques graves, le processus dont ils pensent que ces per-sonnes ont besoin ; parfois elles y arrivent ; souvent lecontact ne se fait pas. Elles pensent quil suffit daccueilliret de mettre ce processus leur disposition, mais la per-sonne qui a ces difficults sociales ne sait pas de quoi seplaindre, de quoi parler ; en ralit elle ne sait pas dequoi elle peut dire quelle a besoin ; certes les rupturessociales quentrane son isolement sont en lien direct avec

    son psychisme, mais elle ne les ressent pas comme telles,quelle soit en cours de soin, ou pas ; elle na pas ide dece dont elle a besoin, ni en quoi ces acteurs du champsocial peuvent lui tre utiles

    L encore le foss est prsent, considrable, renouvel.Une fois de plus on est pris de vertige devant sa pro-

    fondeur et devant labsence de repres empchant cha-

    cun de saccrocher la ralit environnante.Ici encore seul laccueil renouvel, la patience, peu-

    vent construire un temps, et un espace o peu peu unchange va stablir et prparer une rencontre.

    Ensuite laccord autour de ce statut avec un plan decompensation du handicap pourra se faire en un seul jour,mais avant il aura fallu du temps pour installer le proces-sus. Seul le temps permet une laboration psychique ; ilreste loutil indispensable pour quun travail psychiquepermette de passer de la certitude du dlire un doute etquun changement soit possible. Le doute permet le chan-gement. Ce foss au dpart est sans fond. Cest une failledont les deux bords non seulement sont sans lien, mais

    signorent. Nous navons conscience ni de sa prsence, nide son ampleur. Il sagit de mconnaissance.Paradoxalement, quand un contact a pu stablir

    entre deux personnes, survient un moment critique,celui o de faon dtermine, ou involontaire, la dimen-sion psychique est voque. Alors un raz-de-mare

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    risque de tout balayer si la confiance qui lie les deux per-sonnes, peine tablie, nest pas solide, car les fantasmesde danger, de peur et aussi dindignit viennent submer-ger la personne, son entourage. Certains mots, folie, psy-chiatrie, handicap lui font perdre en un instant ce quilui reste de libert.

    Paradoxalement du dbut la fin de ces rencontres,le besoin essentiel, chaque fois renouvel, cest la nces-sit que soit instaur un espace de libert.

    Nous serons donc sans cesse la recherche de tout cequi peut renouveler et renforcer cet espace de libert. Cequi ne veut pas dire du tout que nous serons dans unlaisser-faire, qui serait espace dabandon. Le souci estdaccompagner la personne retrouver sa libert, sa flui-dit psychique et sociale.

    Dans ce contexte on peut se poser la question de

    savoir si la rvolte des usagers est relle ? A-t-elle unsens ici ? Notre rponse est clairement : oui ! Nous ajou-terons que les difficults communes que nous venons dedcrire ninvalident pas cette rvolte, mais tmoignentdun chemin parcouru.

    Nous saisissons son caractre courageux, leffort delucidit quelle demande, le respect quelle doit imposeraux professionnels de la psychiatrie ainsi quaux profes-sionnels du champ social. Nous voyons aussi les lignesde fracture qui peuvent entraner la dfiance et expliquerles ractions extrmes de certains usagers comme de cer-taines familles.

    Nous aimerions prciser que dans la mesure o les

    professionnels de la psychiatrie et ceux du champ socialsengagent dans des professions librement choisies celasouligne la ncessit quils ont au pralable sinformeret se former sur la spcificit des troubles psychiquesgraves par rapport au reste du champ du soin et de lac-tion sociale.

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    Folie et troubles psychiques justifient des interroga-tions et une laboration adaptes chez tous les acteurs,intgrant aussi les interlocuteurs administratifs et poli-tiques, directeurs et lus.

    Nous comprenons que la rvolte des usagers de lasant mentale nest pas lexpression des premires rac-tions de ceux-ci, puisquau dbut ils ne peroivent pasce qui est en train de se passer pour eux. Cette rvolteest concomitante des ractions quils expriment aprs

    avoir vcu la complexit des tapes qui les attendent unefois entrs en psychiatrie.Cependant lorsquils sont runis en Association ils

    pensent quun dialogue collectif peut permettre de com-prendre les raisons dun parcours si difficile et de dessinerles modalits de rponse satisfaisantes.

    En ralit cest un vritable dfi que nous sommes

    tous convoqus.Toute la psychiatrie est mise en question dans cette inter-

    rogation autour de cette double mconnaissance. Pour yrpondre lespoir est dans la capacit linvention de cha-cun, une invention faite dhumain.

    Le fait nouveau de la Psychiatrie et de la Sant Mentale : Lesusagers

    La survenue des usagers de la psychiatrie sur la scnepublique est un fait trs nouveau et de grande ampleurpour notre socit.

    Ils ont ouvert un dialogue direct, sur la placepublique, avec la psychiatrie et le reste de la socit, en

    France, mais seulement depuis une quinzaine dannes.Ils estiment aujourdhui que ce dialogue nest pas satis-faisant, car la qualit de lcoute de leurs partenaires nestpas celle quils espraient. Ces partenaires ce ne sont passeulement les soignants, ce sont aussi, des titres divers,les acteurs sociaux pour beaucoup, la justice pour unpeu, en fait tous les acteurs de la cit.

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    La stigmatisation qui pse sur eux et dont nousallons parler, avait commenc diminuer depuis unetrentaine dannes, depuis 1972. Hlas elle a t vive-ment rveille par lintervention du Chef de ltat du2 dcembre 2008 Antony, balayant en quelques motstous les acquis antrieurs bass sur la tolrance et le res-pect mutuel. La rforme de la psychiatrie que les usa-gers attendaient, parait, depuis, mal engage et se faitattendre.

    Il est donc utile de faire le point en ce dbut 2011.Pourquoi les usagers se rvoltent-ils ? Contre qui ?Contre quoi ? Quelles sont leurs attentes ? Quelles rai-sons ont-ils desprer ?

    Comment en sommes-nous arrivs l ?Nous avons vu avec J.-C. Ameisen quaucun l-

    ment de lunivers ne peut se comprendre sil nest resi-

    tu dans un historique retraant ce qui sest pass avantla propre naissance de chacun. Aucune donne de lavie, aucun tre ne peuvent tre compris sils sont dta-chs de leur contexte, quils soient pierre, animal, vg-tal ou homme. Il nous dmontre que les notionsdindividu et de solitude paraissent inadmissibles, invi-vables, inacceptables au regard des espces vivantes. Untre seul na pas dexistence possible ou est en sursis. Lhis-toire de lunivers nous le raconte. Demble la solitudequi pse tant sur un si grand nombre dhommes semontre comme un fait qui ne peut durer, et quil estimpratif de combattre.

    J.-C Ameisen grce Darwin nous apporte un ensei-

    gnement dune valeur infinie, le fait que pour tout tre,et particulirement pour tout humain, il ny a pas deje sans nous. La cellule seule na pas dexistence pos-sible. Sil arrive lhomme lillusion dtre auto-suffi-sant, il sera tt ou tard accabl de souffrances.

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    Nous percevons l lerreur de la psychiatrie classiquequi, certes, veut rpondre aux souffrances psychiquesdes personnes prsentant des troubles psychiques, maisen construisant une rponse qui ne sadresse qu lin-dividu prsentant ces troubles.

    Ceci nous permet de justifier notre effort vouloirabsolument introduire toute rflexion et toute tentativedanalyse sur la psychiatrie par une recherche histo-rique ; cela permet de mettre en vidence la succession

    des faits, des vnements, des crations qui ont exist,antrieurement la situation actuelle.La psychiatrie classique, du XIXe et dune grande

    partie du XXe, est btie sur une autre erreur, uneimpasse : la croyance que les troubles psychiques ontpour origine uniquement une lsion ou un dysfonc-tionnement organiques et quil suffit de procder une

    classification des maladies mentales pour cerner chaquelment de cette ralit.

    En ralit la personne humaine nest pas divisible,ni par une sparation entre corps et esprit, ni par unedivision individu-liens sociaux. Cest comme si on vou-lait sparer le chromosome de la cellule, alors que lechromosome ne reprsente que 2 5% des protinesqui constituent lADN, ou si on voulait sparer une cel-lule de lorganisme qui labrite, ou enfin si on voulaitsparer un tre de son environnement. Tout tre humainest construit de faon intrique avec des donnes physiques,

    psychiques et relationnelles, le tout en lien avec son envi-ronnement. La dimension relationnelle, cest--dire la

    question des liens de la personne avec son entourage,est incontournable pour parler de toute souffrance psy-chique, tout aussi insparable que son corps, son esprit.

    Avec La parole retrouve : des usagers au secours de lapsychiatrienous avons propos une autre lecture de la psy-chiatrie et de la Sant Mentale la recherche de la place

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    des usagers4. Nous voulons en reprendre lessentiel ici enradicalisant le propos, en accentuant les contrastes5.

    Le projet de cet essai : comment rendre la psychiatrie lisible ?

    Quelques paramtres sont incontournables.Nous tentons de proposer un ensemble de repres

    avec lesquels il est indispensable que tous les acteurssoient familiers. Cest loin dtre vident. Cela invite

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    4. Le but du livre Les usagers au secours de la psychiatrieest de mon-trer que lon ne peut aborder le champ illisible de la Sant Mentale,si ce nest en se laissant conduire par la dmarche des usagers. Cesont eux qui savent de par leur vcu ce quest la souffrance psy-chique et comment la socit ragit et rpond la folie.5. Il existe chez les professionnels de la psychiatrie une rticencedevant le terme dusagers, parce que lide mme dune mobilisationsociale (les usagers) leur parait hors de propos, voire choquante,

    car elle semble mettre lindividu en arrire-plan, remplac par unvague collectif auquel ils ne reconnaissent aucune lgitimit, si cenest dtre un groupe de pression, ce dont ils ont horreur, car unefois de plus leur ide du sujet se trouve corne. Lun des traversdes professionnels est daller la pche la sacralisation des mots,des concepts et de les brandir comme le saint-sacrement, croyantconforter leur savoir : en fait ils sisolent. De ce fait il est impossiblede les inviter comprendre que leur champ dactivit se dploie

    depuis des dizaines dannes dans un quiproquo grave et alinant ;ils nont pas compris que depuis 1970 (nous lexpliquerons), la psy-chiatrie est divise, en morceaux, et que leur activit ne porte quesur une partie seulement des souffrances psychiques, alors quilscroient avancer sur la totalit. Les incomprhensions saccumulentau fil des ans avec de multiples effets ngatifs.Mettre en vidence les origines et le fil de ce quiproquo sera dunegrande utilit pour tout le monde. La cl serait que lon accepte le

    constat partag par chacun quune seule catgorie dacteurs ne peutaujourdhui avoir une perception complte de lensemble desbesoins de la personne en souffrance psychique ni des rponses pos-sibles, si ce nest lusager et son entourage proche, et quil y a lmatire changer pour examiner lensemble de la situation et lesrapports entre les diffrents acteurs de la psychiatrie et de la SantMentale.

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    carter tout terme, tout systme qui ne seraient connusque de lun ou lautre des acteurs, en sachant que le poidsdun langage abscons pse lourd demble du ct despsychiatres, et que cest l que nous devons tre vigilants.

    Lexprience la plus lourde, la plus complexe, la pluslongue, mais la plus globale est bien celle des usagers dela sant mentale. Alors coutons-la.

    Les familles se situent une place intermdiaire ; defaon privilgie, elles sont en situation, de partager le

    plus de temps avec les usagers, tout en ntant pas encorereues ce titre par les professionnels ! Avec la difficultsupplmentaire dtre souvent reconnues par lusagercomme le premier agresseur envoy par la socit envi-ronnante, ou linverse comme leur premier rempartaux agressions de cette socit ! Ceci mrite dtremdit.

    Lensemble de ces acteurs les usagers, leurs familles(avec plusieurs cercles, parents, conjoint, fratrie, enfants,grands parents, latraux), les amis distants et voisins, lesacteurs professionnels de la psychiatrie, les gnralistes,les acteurs sociaux, les services des mairies et communes,les citoyens et opinion publique, les lus enfin estsimultanment concern.

    Que la lisibilit du trouble psychique comme de lapsychiatrie soit partage, que chacun puisse se lappro-prier. Est-ce un but atteignable ?

    Nous verrons pourquoi aujourdhui il nest plus pos-sible de parler de psychiatrie sans parler simultanmentpour la mme personne des consquences sociales de ses

    troubles psychiques ; en effet sil sagit de troubles psy-chiques graves la socit se doit de rpondre leursconsquences : le handicap psychique est dclar et ouvreles droits aux compensations. Inversement il est toutaussi impossible de parler de handicap psychique sansvoquer lexistence de trouble psychique, mais de faon

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    gnrale sans jamais noncer un diagnostic, celui-cidevant respecter lintimit de la personne.

    Il nest pas plus possible de parler de psychiatrie de lapersonne adulte sans connatre et approfondir la psychia-trie de lenfant et de ladolescent, lune claire lautre.

    Enfin on ne peut rien comprendre la psychiatrieactuelle, son organisation, ses ides, si nous ne nousappuyons pas sur lclairage de son volution.

    Trois affirmations inhabituelles auxquelles il faut

    ajouter la synthse de notre propos : aujourdhui unepersonne qui sinterroge sur ses troubles psychiques ousa souffrance psychique ne peut plus se contenterdavoir un seul interlocuteur, car plusieurs dentre euxvont intervenir pour rpondre ses besoins dans lechamp de la Sant Mentale : la psychiatrie, lactionsociale et la prvention.

    Toute la question qui se pose lusager est de savoircomment il va viter dtre morcel entre ces diffrentsacteurs, et aussi comment la continuit quil va chercher construire grce eux ne va pas tre une nouvelledpendance.

    La notion de tiers est un fil conducteur pour guidernotre rflexion, ceci grce lenvironnement relationnelde la personne, comme vecteur de cet enjeu, ou saconstellation, donne souple, associant la fois mem-bres de sa famille et personnes jouant un rle positif pourelle.

    Acte de naissance de la psychiatrie : en 1795 la premire quipe de

    soinLvnement dterminant qui a sign le dbut de la

    psychiatrie en France est le travail collectif ralis dansles annes 1785 et 1800 par Jean-Baptiste Pussin gardiende Bictre, sa femme Marguerite et un jeune mdecinvenant de Montpellier et affect Bictre. Une vritable

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    quipe pluri professionnelle demble. Lisons les des-criptions de Bictre6. Ce grand renfermement aux portessud de Paris.

    Pussin7 avant dtre gardien a t gravement maladephysiquement. Il est profondment boulevers par lessouffrances des fous enchans comme des animaux sau-vages, il veut les soulager et prend la libert denleverleurs liens, du coup il soccupe alors plus humainementde leur nourriture et de leurs vtements ; et l il constate

    quelque chose dinattendu : le plus souvent ces tres secalment ; accabl de travail, Pussin est aid par sa com-pagne, Marguerite. Peu peu tous deux se mettent par-tager avec certaines de ces personnes les nombreusestches quils sont obligs de remplir pour permettre cesbtes de survivre, ils observent avec tonnement et jouraprs jour quelles sont amliores aussi par cette impli-

    cation dans ce collectif.Il est juste de sarrter sur ce simple fait, car cest une

    leon qui permet desprer que cela puisse se reproduiresans cesse ; demandons-nous comment un homme, sansformation aucune, habitu seulement obir desordres, entran considrer ces tres comme des ani-maux, comment avec sa compagne a-t-il pu oser enleverleurs chanes et partager des tches avec eux ? Commentont-ils os prendre de si grands risques allant lencontredes certitudes de lpoque ?

    De plus ils ont t tellement touchs de leur dcou-verte que Pussin sest mis crire leurs constats et vou-loir les partager avec un personnage dune autre classe

    qui venait dtre nomm, un mdecin, le jeune docteurPinel ; celui-ci dcouvrant les fous au milieu de tant de

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    6. Marcel GAUCHET et Gladys SWAIN, La pratique de lesprit humain.Linstitution asilaire et la rvolution dmocratique, Gallimard, 1980.7. Marie DIDIER, Dans la nuit de Bictre, Gallimard, 2006.

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    violence et de misres prend fait et cause pour cettedcouverte, la confirme ; il va lui aussi se battre contrelopinion selon laquelle les fous constituaient une autreespce que le reste de lhumanit dominante.

    Le mdecin Pinel veut faire reconnatre leur dcou-verte ses suprieurs hirarchiques, ses confrres et semet crire un trait dcrivant sa comprhension dumal dont sont atteintes ces personnes ; ce qui est remar-quable cest quil explique son processus de gurison

    dans son Trait sur la manie8

    . Ce que nous raconte Gla-dys Swain dans sa thse, remarquable et innovante, estque ce seul fait constitue une rvolution considrabledans la pense de lpoque, analogue laffirmation deGalile, se heurtant une mme incrdibilit : La terreest ronde. La conclusion de Pinel amplifiant celle dePussin bouscule les certitudes en une phrase dont la por-

    te est considrable : La folie totale nexiste pas. Chez toute personne dite insensepersiste une part de raison garde.

    Cette affirmation va avoir beaucoup deffets. Elle va setraduire par lmergence de nouvelles pratiques, un nou-veau discours sur les troubles, de nouvelles organisations,

    un nouveau traitement, le traitement moral. Cependant,un vnement navrant se droule quelques annes peineplus tard comme le dcrit trs bien Gladys Swain9, au lieuque cette dcouverte claire dfinitivement la route de lapsychiatrie venir, un lent travail dobscurcissement decelle-ci a contrario va surgir et ne cessera de stendre.Cette dissimulation va tre consacre par le tableau qui 50

    ans plus tard montre Pinel enlevant les chanes des agits,uvre faussaire. Que sest-il pass ?

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    8. Gladys SWAIN, Le sujet de la folie. Naissance de la psychiatrie, Pri-vat, 1977.9. Gladys SWAIN, Dialogue avec linsens, Gallimard, 1994.

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    Cest l que le drame vcu au quotidien par les usa-gers de la sant mentale commence. On comprend laviolence de Michel Foucault qui a bien peru le poids dela dpendance des usagers envers les psychiatres qui sestinstalle aprs la rupture des chanes, et il la dnonce.Seulement il navait pas retenu la squence capitale quenous venons de rappeler, celle de la dcouverte de la psy-chiatrie, qui a prcd cette dissimulation.

    Alors que Hegel10 a remarqu cette dcouverte avec

    grand intrt, il en confirme le bien-fond et flicitePinel !La psychiatrie vritable, sest donc construite sur une

    dcouverte qui est aussitt cache. G. Swain explique eneffet que Pinel sest montr trop timide pour lexploiter,son lve Esquirol va le faire son tour, et crira un Trait des passions , mettant lui aussi dabord laccent

    sur la part saine de toute personne dite folle.Mais lun et lautre vont aussitt aprs dplacer leur

    intrt et se concentrer sur les classifications des mala-dies mentales. Afin de garder les malades curables pourles soigner ils vont laisser de ct les incurables, il leurfaut donc les classer. Cest partir de cette mthodologieque la psychiatrie classique va chercher faire reconnatreses prtendues lettres de noblesse.

    Personne par la suite ne dmentira leur dcouvertepremire. Simplement tout sest pass comme si lesacteurs ny croyaient plus. Depuis cette poque en ralitnous savons que tout praticien un peu attentif, ainsi SvenFollin11, comme tout soignant, va faire la mme dcou-

    verte solitaire : Il existe toujours une part saine chez lapersonne ; mme si chaque psychiatre ne le clame pas

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    10. G.W.F. HEGEL, Philosophie de lesprit, 1867, cit par G. SWAINin Dialogue avec linsens.11. Sven FOLLIN, Vivre en dlirant, Les empcheurs de tourner enrond, 1998, (lire la page de garde).

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    sur les toits, mme sil nen fait pas une publication, laplupart appliqueront les consquences de cette dcou-verte mais dans lombre, et sauront traiter ces personnesen tres humains. Les premiers psychiatres au dbut duXIXe sicle commenceront lappliquer avec le traite-ment moral ; lentreprise sera fragile et ne rsistera pasau temps. Beaucoup, par contre la refouleront et se foca-liseront sur des donnes dites scientifiques.

    Il faudra un autre sicle pour quun autre acteur

    fasse la mme dcouverte, mais lui va lexploiter avecune trs grande dtermination, Sigmund Freud ; noussavons cependant quen ralit en se focalisant sur lesnvroses, la psychanalyse na pas vraiment dploycette dcouverte avec toute lampleur que lon pouvaitattendre sur laspect le plus nigmatique de la folie, lespsychoses.

    Il a fallu encore un demi-sicle, 1950, pour que lapsychiatrie franaise moderne fasse son tour la mmedcouverte, sappuie clairement sur la psychanalyse et surcette dcouverte pour proposer une autre dmarche,nous verrons comment.

    Mais nous voyons quaprs 1805 cest comme si cettedcouverte tait trop forte, insoutenable longtemps, faceaux craintes venant du fond des ges autour de la drai-son. Aussi fut-elle fugitive.

    Le livre de Gladys Swain et Marcel Gauchet (admi-rable12, il se lit comme un roman policier) explique quel point cette dcouverte sopposait toutes les certi-tudes, pourquoi elle est si fondamentale et quelles sont

    ses promesses.

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    12. Marcel GAUCHET et Gladys SWAIN, La pratique de lesprithumain. Linstitution asilaire et la rvolution dmocratique, Galli-mard, 1980.

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    La dcouverte de Pussin, Marguerite, Pinel, puisEsquirol, enfin de chacun de nous, autour de la prsencede cette part saine chez chaque personne folle, est tropdsesprment banale, pour pouvoir tre annoncecomme une dcouverte fondamentale de lespcehumaine.

    En effet aujourdhui une dcouverte, pour treaccepte, doit obligatoirement avoir un habit scienti-fique, elle doit tre objective, seule la science entrane

    notre foi. Seule la science fascine lhomme car elle luidonne du pouvoir sur le monde, et sur ses congnres.Ainsi dcouvrir lADN, dcortiquer sa composition endiffrentes protines, la dcrire comme un doubleruban senroulant sur lui-mme en hlice, en dtaillerles innombrables branches, montrer comment on peuten dtacher certaines, les remplacer par dautres, a,

    cest en effet extraordinaire, l lhomme devient unconqurant !

    Alors que parler dune simple attitude humaine, delempathie, soutenir quelle est aussi le produit de touteune suite defforts et dattention lautre, affirmer quellejoue un grand rle, a, ce nest pas du solide car on nepeut mme pas en dmontrer lexistence, impalpable, nison impact, tacite !

    Pourtant dans tout traitement dune maladie psy-chique, la diminution de la douleur psychique na-t-ellepas toujours besoin de toute faon de gestes, de phrases,de comportements, qui vont rappeler la personnequelle est entoure de ses pairs, quelle est digne din-

    trt, voire de compassion et quun simple sourirepeut sauver une vie (comme le dit inlassablement JeanOury).

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    La drive de la psychiatrie au lendemain de sa naissance

    Cest ainsi que Pinel lui-mme sest trs vite engag

    dans la voie dite scientifique (celle-ci a t dnoncecomme prise de pouvoir sur lhomme par Michel Fou-cault 150 ans plus tard : il sest intress au seul sens poli-tique de la dmarche, il a tout simplement constat queles psychiatres ont libr les fous de Bictre pour aussittmieux prendre le pouvoir sur eux et les enfermer nou-veau, utilisant leurs ides classificatoires et leurs pratiques

    alinistes). Pinel a voulu approfondir ses recherches surla gurison, et trs vite, avec son lve Esquirol ayantouvert une maison de soins en face de La Salptrire13,ils ont constat que ne pas mettre de chanes aux fous neles gurissait pas tous. Il a voulu alors diffrencier ceuxqui gurissaient par la seule parole et grce au tempspass avec eux, de ceux qui ne gurissaient pas ainsi. Il adonc tabli deux classes les curables et les incurableset a voulu prciser ce qui les diffrenciait.

    Lide quil y a plusieurs grandes catgories de trou-bles psychiques tait intressante, mais daucune utilit,et imprudente tant quelle ne saccompagnait pas dedcouverte thrapeutique applicable tous. Elle ntait

    que descriptive. Toute vraie classification est gnalogique , dit Dar-win dans Lorigine des espces14. Ce ntait pas le cas icien psychiatrie.

    La consquence en fut lourde pour lhistoire de la psy-chiatrie. Car cest en sappuyant sur la croyance en cesclassifications que des innovations thrapeutiques ont

    longtemps t empreintes darbitraire dissimul dans uneclassification pseudo scientifique inefficace et rigide ; ona dcid en effet en son nom tout au long du sicle etdemi suivant de promouvoir :

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    13. Gladys Swain , Le sujet de la folie, Privat, 197714. cit par J.-C. AMEISEN, p. 320.

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    la sparation obligatoire du patient de sa famille etde son milieu de vie, vite devenue un dogme si souventinadapt ;

    son loignement, lenfermement dans des espacesde vie artificielle singeant la vie sociale, jusqu ce quegerme lide de construire des asiles vivant en totaleautarcie, puis pour faire moderne sous forme de villagesavec leur chapelle, leur thtre, leur ferme (nouvelleabbaye de Thlme !) ;

    enfin linstitution dun mode de protection rigide ;celui-ci sest totalement retourn contre les malades pen-dant la dernire guerre, le produit des fermes fut arrach lasile puisque les personnes accueillies qui de plustaient utilises comme main-duvre remplaant lesgardiens rquisitionns15 avaient moins de valeur quele reste de la population ; cest dans les asiles quen

    France la famine a fait des ravages extrmes entranantjusqu 45 000 morts de faim. Ralit assez terrifiantepour rester cache trs longtemps lopinion !

    Hitler stait charg en Allemagne de faire disparatre80 000 malades mentaux par euthanasie de 1933 193916, mais habilement il na jamais sign un ordredeuthanasier ; par contre ce sont des psychiatres qui l-bas lont applique, allant au-devant de ses dsirs !Nont-ils pas une part de responsabilit ?

    J.-C. Ameisen prcise lampleur prise par la doctrinede leuthanasie dans tous les pays occidentaux depuisGalton, un de ses fondateurs, en 1880, rappelant quil afallu avoir enfin connaissance de la rigueur mthodique

    de lhorreur hitlrienne pour mettre fin, en 1945 seule-ment, lapplication de cette idologie aux consquencesinnommables !

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    15. Lucien Bonnaf dans le film de De Soliers et Muxel : Histoiresde la folie, 1992.16. Alice RICIARDI VON PLATEN, Lextermination des malades men-taux dans lAllemagne nazie, Toulouse, rs, 2002.

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    Il serait tout fait injuste et faux de faire pour autantici le procs de tous les soignants de la psychiatrie clas-sique. Les preuves sont dans les archives de tous les hpi-taux psychiatriques et anciens asiles, qui dcrivent aucontraire dans le dtail les efforts quotidiens de diffrentsacteurs des soins pour amliorer la vie des alins17.

    Ensemble Pinel et Esquirol, puis une trs grande partde leurs successeurs se sont engags dans un effort declassification des maladies mentales, alors que dans le

    mme temps les pratiques thrapeutiques ne progres-saient pas. De ce fait ces classifications sont devenues despiges qui se sont substitus aux efforts thrapeutiqueset humains, et jusqu maintenant des applications nonfondes de donnes scientifiques bases sur ces classifi-cations, sont venues supplanter la qualit irremplaablede la relation humaine qui aurait d tre prioritaire.

    Cest cette drive qui a laiss la pharmacologie sim-poser, drive qui est actuellement dune extrme gravit ;le dcs rcent de Michael Jackson aux USA a com-menc, en rvler ltendue au grand public (Le Mondedu 3-9-9) : les mdicaments psychotropes sont de plusen plus distribus sans limite en labsence de touterflexion scientifique et surtout en labsence de toutencadrement psychothrapique.

    Ainsi du dbut la fin, de la naissance de la psychia-trie la dcouverte des psychotropes, la ncessit duneattitude humaine et le cadrage de tout traitement psy-chique par un travail psychothrapique qui puisse domi-ner lensemble, apparat comme un impratif essentiel.

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    17. Ainsi rcemment Agns Bertomeu, psychologue clinicienne che-vronne, dans une confrence au groupe des travailleurs sociaux duCdias (18 mai 2009) partir de lAssociation de la SERHEP dontelle est prsidente lhpital de Ville Evrard, a rvl par toute unesuite de dtails extraits des divers documents darchives, la multi-plicit des efforts et des attentions quavaient tous les acteurs de cetasile pour amliorer le vcu quotidien des malades malgr leur peu

    de moyens.

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    Cela nest pas reconnu encore, do lintrt de notre tra-vail ayant pour but de mettre en premire ligne la paroledes personnes qui souffrent, la parole des usagers, soute-nue par lthique des professionnels.

    Le sisme du 2-12-2008, la rvolte des usagers aujourdhui

    Il est ncessaire de commenter le choc qui a secou laFrance le 2 dcembre 2008 lorsque le Chef de ltat, detoute vidence trs mal conseill, sest appuy sur la psy-

    chiatrie pour prolonger cette politique scuritaire quilobsde tant. En fait il a simplement tenu compte desaffirmations dites scientifiques modernes du milieu psy-chiatrique et de ltat actuel des lieux de soins. Il a dsi-gn une catgorie prcise de malades, lespce desschizophrnes, comme tant des criminels en puissanceet a ordonn leur mise lcart en demandant de lesenfermer dans ces lieux que, selon lui, ils nauraientjamais d quitter et do ils se sauvaient trop facile-ment, les hpitaux psychiatriques ! Par ce propos il taitnavement persuad de protger la socit franaise, il nese croyait pas rpressif, mais scientifique et raliste,mieux, protecteur de la socit !

    Il est difficile de nier que si les psychiatres taientrigoureux ils affirmeraient que leurs multiples classifica-tions des troubles psychiques nont aucun caractrescientifique, mais se rsument une compilation de plusen plus absconse dune liste de symptmes dont la coh-rence est des plus douteuses ; elles ne permettent doncpas du point de vue dontologique de diffrencier des

    catgories humaines ; certes lensemble des collgues a,aussitt aprs ce discours, mais trop tard, affirm,dmontr par des statistiques que le lien entre crime etmaladie mentale est le pur produit de la peur et de la stig-matisation dont la folie est lobjet. De mme il est difficilede nier que si les psychiatres avaient tous intgr les

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    leons de la psychiatrie de secteur (applique ds 1972elle a montr que, pour soigner tous les troubles psy-chiques, de petites units de soin disperses en ville dontune avec 20 lits pour un secteur de 60 000 hab. taienttout fait adaptes et suffisantes) ils auraient convenuque fermer les anciens asiles du XIXe sicle devenus inu-tiles tait une urgence si on ne voulait pas quun jour ungouvernement ne sen serve pour raliser un enferme-ment utile sa seule politique (vieillards ou dlinquants,

    ou personnes dviantes). Cela vient de se produire ! Cer-tains dentre nous avions crit, en vain, que laisser cesasiles moiti vides reprsentait un rel danger face lapptit des politiques. La prvention aurait t dedployer tous les soins en ville dans un maillage continu,relationnel et de quitter compltement lhpital caduc.

    Ctait hlas, une rcidive pour le Chef dtat. En

    2006 il stait dj appuy sur de fcheuses synthsesdenqutes de lINSERM, prtendant montrer quuncertain nombre de dlinquants adolescents avaient pr-sent avec une certaine frquence des priodes dagitationpendant leur petite enfance. Les conseillers du Chef deltat en ont dduit quil suffisait de reprer aujourdhuiles enfants qui taient agits entre 3 et 5 ans et lon allaitfaire ainsi un acte de prvention dont la Nation pourraitse louer. En les traitant tout jeunes on liminerait lesdlinquants ! Le Chef de ltat tait persuad dengrangerun grand succs dopinion. Affirmation en tout pointerrone, mais l encore il est clair que les psychiatres nontpas assez travaill la question de la prvention, et ont laiss

    la prdiction sinstaller. Le constat est quils ne sont pasarrivs construire une psychiatrie tablissant une conti-nuit entre soins des enfants et soins des adultes. Ils ontsoigneusement verrouill la sparation entre enfants etadultes et de ce fait nont jamais pu laborer une prven-tion continue, longitudinale, de la personne.

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    Heureusement la pdopsychiatrie sest rvolte dansune ptition18 et aprs avoir runi plus de 250 000 signa-tures obtenait que lINSERM rvise ses mthodes de tra-vail. Les nouvelles conclusions ont montr que lesmthodes utilises dans cette enqute par lINSERMtaient effectivement inadaptes. Cest lauteur voquplus haut, J.-C. Ameisen, qui en tant que prsident ducomit dthique de lINSERM a rendu publique cetteerreur et invit lINSERM revoir sa mthodologie.

    De mme lorsque, encore sous le choc de la dsigna-tion du malade futur criminel faite avec une volontmdiatique par le Chef de ltat, parait en fvrier 2009le rapport Couty, point dorgue venant proposant la des-truction programme de la politique de secteur alors quecelle-ci a fait faire une volution remarquable la psy-chiatrie franaise, la psychiatrie sest rvolte. LAppel

    des 39, lAppel de Bondy, et lAppel des Appels ontmanifest vivement pendant 2 mois19. Le gouvernementa recul et dcid un moratoire de 6 mois. Hlas larforme dvoile dbut 2010 est dune gravit exception-nelle, car elle est encadre par la politique scuritaire :elle se construit sur laffirmation du danger potentiel desmalades : elle installe une garde vue de 72 h audcours de laquelle il est soit libr soit en obligationde soin, laquelle peut mme se drouler domicile,mesure qui parat banale alors quelle enlve toute pro-tection, ouvrant la voie la dlation dans ce climat destigmatisation. Ceci confirme lavertissement fait par nosanciens : Ne touchez pas la loi sur linternement de

    1838, car chaque rforme de cette loi, le rsultat serapire, cest--dire que la punition prendra la place du soin

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    18. Pierre DELION, Pas de zro de conduite pour les enfants de troisans, rs, 2006.19. MDIA PART, Les contes de la folie ordinaire, revue numrique(Rdactrice en chef : Sophie Dufau).

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    et sera chaque fois plus rpressive. On peut penser quecette loi va raliser en peu de temps la mort de la psy-chiatrie de secteur et annulera 50 ans davances. Elleaggrave lorientation prise en 1990 qui a augment lhos-pitalisation. La solution ne peut tre que la transforma-tion de ces lois spcifiques en une loi de droit communpour des personnes ayant besoin dappui pour dciderde leurs soins, quelle que soit leur pathologie. Ce ne sontni les murs, ni les lois qui soignent, ce sont les hommes !

    Affirmation valide entre 1970 et 1990 : cest la dispo-nibilit de lquipe de secteur dans le tissu social avecla reconversion des modalits de soin hospitalier dansla ville permettant lquipe de sappuyer sur les res-sources relationnelles des citoyens, cest elle qui assurelamlioration des troubles de ces personnes et diminuela stigmatisation.

    Ce sont les usagers et les familles qui ont montr en2009 leur impatience vouloir une psychiatrie meilleure.Ils croyaient avoir un pouvoir de ngociation lev, dau-tant que les reprsentants de la psychiatrie taient prts participer au dbat ministriel. Aucun dentre eux naperu quune ngociation pouvait aboutir, dans lamesure o le dbat sinstallait sur la recherche dun tout-scuritaire et la persistance de la notion de dangerosit.Cest la peur de la folie qui est reste llment moteurdu dbat orchestr par les mdias. Toute laborationbase sur la connaissance clinique de la psychopathologiea t carte. Comme en 1990 la revendication des usa-gers sest retourne contre eux. En ralit une politique

    portant sur la psychiatrie pose des problmes de socitdu mme ordre que celui de la peine de mort et ncessiteune rflexion de fond sur lhomme et un grand couragede la part des lus.

    La rvolte des usagers na mu personne.La socit, professionnels de la psychiatrie compris,

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    devrait percevoir la valeur humaine, charge de souf-france, de cette rvolte des usagers et sengager dans lou-verture dune rforme profonde qui commencerait dscette anne. Notre propos est de rassembler ici les pointsles plus essentiels dune rflexion autour de lurgence nonpas dune loi, mais dune autre rforme de la Sant Men-tale base sur la connaissance acquise sur les troubles psy-chiques et sur la dignit humaine.

    Les conseillers du Chef de ltat et les mdias pensent

    que les troubles psychiques expliquent la violence sociale,la dlinquance, les troubles des banlieues, la criminalit !Ne viendrait-il lesprit daucun membre du gouverne-ment, ni des mdias que lampleur des consquences duchmage, la prcarit dune partie de la population, lagravit de la pression managriale sur les salaris desentreprises, cadres compris, (ils font face une pression

    bien mise en vidence par des travaux comme ceux deChristophe Dejours20) aient la moindre responsabilitdans la croissance de linscurit21 ?

    Ainsi la dlinquance des cols blancs (les financiers)est juge moins grave que la rvolte des sans chemisealors quelle cote extrmement cher la nation ; et ilest clair que cette perversit, celle des cols blancs, nestpas un trouble psychique mais le rsultat dun choixlucide et malfaisant.

    Il faut souligner que la rvolte des usagers ne vise passpcifiquement les psychiatres ni lensemble des profes-sionnels de la psychiatrie. En effet depuis 2001 laFNAPSY et lUNAFAM ont labor ensemble un plan

    de sant mentale en six points, prcis, sobre et toujours

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    20. Christophe DEJOURS, La souffrance en France. La banalisationde linjustice sociale, rdition 2009, Points Seuil ; et Travail vivant,Payot, tomes I et II, 2009.21. Documentaire France 3, La mise mort du travail, diffus les26 et 28 octobre 2009.

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    actuel, dans lequel non seulement elles respectent la psy-chiatrie, mais elles lapprcient et se dclarent favorables la consolidation de ses qualits.

    Cette rvolte a abouti dj un premier rsultat : lin-clusion de la reconnaissance des troubles psychiques dansla nouvelle loi sur les handicaps du 11-2-2005 dite delgalit des Chances, qui devrait tre lorigine dunervolution culturelle, invitant la runion de la psychiatrieet de laction sociale dans un mme ensemble, le champ de

    la Sant Mentale. Mais jusqu aujourdhui la majoritdes professionnels de la psychiatrie sest montre rtivepour soutenir cette rvolution qui change totalement ladonne des rponses aux souffrances psychiquespuisquelle propose le rapprochement et la continuitentre soins des troubles et compensations sociales deshandicaps.

    Notre premier constat est donc celui dune intensestigmatisation pralable concernant les troubles psy-chiques qui pse fort lourdement sur les personnes pr-sentant des souffrances psychiques et les aggrave. Lesprofessionnels veulent ignorer cet tat de fait. Cette atti-tude obscurcit tous les dbats, sinfiltre dans toutes lesactions. Les usagers ne le savent que trop. Ils veulent lavoir cesser. Soyons attentifs leur propos.

    Cest sur cette proposition que se construit lensemblede cet essai.

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    La tourmente des dbats actuels sur la psychiatrie ac-crot de faon inacceptable la souffrance des malades,celle de leur famille, et inquite lopinion. Ltat prendle prtexte de quelques vnements exceptionnels pourfaire une loi qui va utiliser la psychiatrie comme unearme supplmentaire de sa politique scuritaire.

    Cet ouvrage participe linformation des citoyens etde leurs lus sur la Sant Mentale pour alimenter ledbat national et soutenir la dmarche des usagers et

    des familles.Par ailleurs, tous ceux qui se prparent aux profes-sions de la Sant Mentale ainsi quaux acteurs che-vronns, Guy Baillon propose une nouvelleintroduction dans le champ de la folie.

    Guy Baillon, psychiatre des hpitaux, a travaill avec la mmequipe de secteur pendant 30 ans dans le 93 entre lHpital deVille-Evrard et le secteur de Bondy, cofondateur de lAssociationAccueils. Auteur de nombreux articles sur la psychiatrie au quoti-dien, Chronique du lundi sur le site de SERPSY(www.serpsy.org) et de deux ouvrages : Les urgences de la folie. Lac-cueil en sant mentale, 1998, Gatan Morin d. et PUF ; Les usagersau secours de la psychiatrie. La parole retrouve, 2009, rs.

    www.champsocial.com

    Quel accueil pour la folie?