Sommaire Revue Pouvoirs Locaux n 84

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Pouvoirs Locaux n°84 I / 2010 (avril)

Culture et territoires : silence, ça tourne !

Entretien avec François DESCHAMPS : Directeur des affaires culturelles et de l'ODAC du Conseil général de la Haute-Savoie, président de l'association nationale Départements Membre du CLIDAC (Comité de liaison national des DAC), rédacteur de la Lettre d'info du Réseau Culture.

PL : En novembre 2007, les 1ères Assises des directeurs des Affaires culturelles décrivaient un métier en construction. Deux ans plus tard, quel regard portez-vous sur les évolutions de votre métier ? sur la professionnalisation des services culturels ? sur leur place dans l'architecture administrative territoriale ?

François Deschamps : Le métier existe bel et bien, il réunit les DAC sur des valeurs et des savoir-faire communs, décrits notamment dans leur Charte nationale, même s'il s'effectue dans la réalité quotidienne de façon différente selon la collectivité dans laquelle ils exercent. Les services culturels ont continué à se professionnaliser, notamment dans les petites villes, même si l'on commence à observer depuis 2009 des concentrations et des réductions d'effectifs, notamment dans les Conseils généraux soumis à de très fortes contraintes budgétaires. Les services culturels sont correctement inscrits dans les organigrammes des collectivités, et la structuration régionale des réseaux de DAC qui se développe (Ile de France, Midi-Pyrénées, auxquels s'ajoutent maintenant Poitou-Charentes et Rhône-Alpes) accroît leur lisibilité.

PL : Comment envisagez-vous aujourd'hui l'action culturelle territoriale : quelles priorités, quelles contraintes ? Quels sont les enjeux des politiques culturelles à l'échelle de votre territoire ?

François Deschamps : L'action culturelle s'envisage aujourd'hui comme décentralisée et territorialisée, transversale à de nombreux autres domaines (social, éducation, tourisme) et objet de financements conjoints exigeant une concertation avec les différents niveaux d'administration. L'action des services publics culturels est en pleine mutation car l'influence de l'industrie culturelle et d'internet, ajoutée au constat des difficultés (récurrentes) de démocratisation culturelle, contraint élus et professionnels à réfléchir à de nouveaux modes d'action, moins axés sur les équipements que sur les projets, la médiation culturelle, le croisement des esthétiques et l'émergence de nouvelles esthétiques, l'appropriation du numérique... Enfin, les contraintes budgétaires obligent à accentuer le travail d'élaboration et d'évaluation des politiques culturelles, notamment dans le cadre d'intercommunalités dont peu ont pris jusqu'alors la compétence culturelle.

PL : Le rapport région-département (mais aussi ville-intercommunalité) va sans doute évoluer à l'issu de la réforme territoriale actuellement débattue au Parlement. Quelles conséquences cette "recomposition" territoriale peut-elle entraîner dans le champ des interventions culturelles ?

François Deschamps : On peut parler quasiment d'une révolution, tant dans certains endroits les régions travaillaient peu jusqu'alors avec leurs départements (voire certaines villes centres avec leurs communes périphériques). Les conseillers territoriaux souhaiteront probablement rendre plus homogène à terme les politiques menées d'un département à l'autre, mais toute la question est de savoir si l'on assistera, domaine par domaine, à un nivellement vers le haut (en prenant exemple sur les bonnes pratiques, sur les initiatives qui ont fait leurs preuves) ou au contraire a minima, pour des motifs d'ordre purement budgétaire...Par ailleurs, la recomposition des circonscriptions, plus vastes que nombre de cantons actuels, devraient permettre de limiter la tendance du saupoudrage qu'ont conservé certains conseils généraux en matière d'aide aux associations culturelles. Dans l'attente de cette réforme, il est fortement souhaitable que les Départements ne baissent pas la garde dans le domaine culturel, afin de pouvoir compter quand les Régions bâtiront leurs nouvelles politiques culturelles après 2014.

Pouvoirs Locaux n°84 II / 2010 (avril)

Culture et territoires : silence, ça tourne !

Entretien avec Helga Sobota, Directrice de la culture au Conseil général de l’Ardèche. PL : En novembre 2007, les 1ères Assises des directeurs des Affaires culturelles décrivaient un métier en construction. Deux ans plus tard, quel regard portez-vous sur les évolutions de votre métier ? sur la professionnalisation des services culturels ? sur leur place dans l'architecture administrative territoriale ? Helga Sobota : Difficile de répondre autrement que de manière impressionniste à votre question tant il s'exprime des tendances contradictoires. Entre des collectivités comme l'Ardèche qui reconnaissent la spécificité des fonctions de DAC, permettent le bon fonctionnement du tandem qu'il forme avec l'élu à la culture, facilitent son travail en l'intégrant dans la direction générale, et d'autres, qui lui réservent une place beaucoup fragile que ce soit par indécision sur la place de la culture dans le projet de la collectivité, par le poids des fonctionnements internes ou encore par la prégnance d'approches plus gestionnaires , les écarts dans l'appréhension des missions des DAC restent très contrastés.Ce métier de DAC me semble continuer à fonctionner entre dits et non-dits . Conçu sur un modèle assez standardisé, leur profil de poste les invitent à contribuer à l’élaboration de la politique culturelle et à sa mise en œuvre, à nouer des partenariats actifs avec les institutions et les acteurs culturels, à organiser et manager leur direction, élaborer et exécuter le budget de la culture. Sous la simplicité de cet énoncé, il faut décoder la dimension politique du poste, les spécificités de la fonction (un directeur comme les autres mais aussi un spécialiste des enjeux culturels et artistiques, un stratège et un gestionnaire, un concepteur et un passeur), les possibles injonctions paradoxales auxquelles le DAC aura à faire face (répondre à la demande de reconnaissance des acteurs tout en inscrivant les projets dans des orientations générales, développer des projets et soutenir dans le même temps un propos sur la rigueur budgétaire, travailler à la cohérence des actions sans toujours pouvoir la faire naître dans le dialogue), le don d’ubiquité dont il doit faire preuve pour trouver le temps de penser et produire des documents stratégiques, d’être de toutes les réunions dans les configurations les plus diverses et de toutes les dynamiques transversales mais aussi être présent dans les salles de spectacle, aux inaugurations, dans les colloques.Dans ce jeu de l'explicite et de l'implicite, il manque en fait encore l’essentiel, c’est à dire le sens de la politique culturelle qu’il aura à conduire (pourquoi, pour qui, avec qui ?).De leur côté, les DAC au sein de leurs différentes associations, et depuis les 1 ères Assises également au sein du CLIDAC (le Comité de liaison des Directeurs d'affaires culturelles des collectivités territoriales), ont fait avancé la réflexion sur les grands principes des politiques culturelles ainsi que sur leurs missions. L'un des enjeux importants aujourd'hui est très certainement qu'une convergence puisse s'approfondir entre les visions institutionnelles et professionnelles sur ce qui constitue le coeur du métier de DAC. PL : Comment envisagez-vous aujourd'hui l'action culturelle territoriale : quelles priorités, quelles contraintes ? Quels sont les enjeux des politiques culturelles à l'échelle de votre territoire ?

Helga Sobota : Hier, l'injonction faite aux politiques culturelles portait sur la "culture pour tous", aujourd'hui le Ministre de la culture parle de "culture pour chacun". Accès à la culture et aux arts pour tous, pour chacun, pour qui au fait et pourquoi faire ? Telle est sans doute la question centrale qui se pose en cette période de flottement des philosophies d'action qui sous-tendent les interventions publiques dans le domaine de la culture. Au plan mondial (ONU et UNESCO), européen (Agenda 21 de la culture) et constitutionnel, des textes fondateurs garantissent le respect du droit à la culture et à la diversité culturelle mais ils ne constituent encore que des références ténues pour les politiques publiques. L' appropriation de leurs contenus contiendrait pourtant tous les germes pour renouveler en profondeur les logiques d'action qui prévalent aujourd'hui et dont les limites et les contradictions sont patentes. L'objectif de démocratisation culturelle est posé en terme d'échec, à raison car il est incontestable la base sociale de la fréquentation des équipements culturels ne s'est pas élargie, mais à tord aussi, car ce diagnostic est posé en méconnaissance de tous une série de rapports à l'art et à la culture.Cela renvoie à la nécessité d'impulser des démarches dont les résultats ne se comptabilisent pas seulement en nombre de spectateurs ou de visiteurs mais en curiosité attisée, en vitalité des propositions en présence, en dignité retrouvée, en pratiquants d'un art. La prise en compte des pratiques artistiques en amateurs et des pratiques culturelles qui se développent en dehors de l'usage des lieux ; la prise en considération de certains pans du secteur privé de la culture dès lors qu'ils participent à l'enrichissement des contenus artistiques et culturels et à l'irrigation des territoires ; l'accompagnement des initiatives qui dépassent le cycle étroit de la production/diffusion ou se projettent hors les murs l’incitation à la création d'autres ouvertures derrière les sorties culturelles ; l'investissement du champ des cultures numériques ; appréhender autrement la construction des politiques culturelles Si on veut bien admettre qu’animer une politique culturelle c’est, d’une part, donner un sens et un cap à la multiplicité des actions développées sur un territoire, et d’autre part, rechercher toutes les formes de socialisation de l’action publique culturelle à travers une connexion des enjeux culturels aux enjeux sociaux, économiques, territoriaux, on voit bien qu’on a quitté la scène de systèmes culturels renfermés sur leurs objets pour entrer dans un ensemble de démarches dont les forces motrices sont le décloisonnement, la circulation, la complémentarité, la solidarité, l’équilibre, la confrontation aussi, et où chacun agit et est agit en retour.Cette échelle du « entre » et du « avec » est devenue la signature toute particulière des méthodes de travail qui prévalent dans le domaine culture. « Entre » renvoie à la reconnaissance de la spécificité des positionnements et à une indispensable distance, préalable nécessaire pour collaborer à des enjeux communs. Quant à « avec », il signale la possibilité d’implication conjointe vers un même but ; « entre » et « avec » étant des postures parfaitement réversibles, pour les collectivités comme pour les acteurs culturels, selon que l’on se trouve dans le temps de l’écoute, du diagnostic, de la définition des finalités, de la recherche des solutions ou de la mise en œuvre. Bâties dans l’action, ces collaborations quand, elles sont menées, permettent de sortir des mécaniques à sens unique : descendante avec cela implique comme arbitraire des choix et ascendant avec les problématiques de gestion des flux et de l’hétérogénéité des demandes.Un pas de plus serait à franchir pour aller de l’espace de la concertation et de la négociation vers la co-construction des politiques culturelles dans l’espace public sur la base d’engagements solides autour de l’explicitation des valeurs culturelles fondatrices des actions mises en œuvre.Pour construire collectivement ce sens qui ne répond jamais à un enjeu unique, ni ne produit un bénéfice unique, il faut savoir ne pas être les mêmes ce qui présume en conséquence la liberté d’action de chaque acteur et son autonomie.Aux politiques culturelles de savoir bâtir et soutenir une discussion permanente autour des valeurs d’intérêt général qui les fondent et de créer les conditions qui permettent aux acteurs artistiques et culturels de choisir leurs engagements. A elles aussi de savoir insuffler une pédagogie de la transversalité qui ne subordonnent pas la culture à

d'autres fins dans les alliances qui se tissent avec les secteurs connexes. A elles, enfin, de positionner des modalités de gouvernance qui se situent sur le terrain des questions, et pas des solutions, afin d’ aider à l’accélération des interactions entre les acteurs culturels à partir d’un maillage des informations et des diagnostics et de savoir entretenir cet écheveau coopératif par l'adoption de modes de décisions itératifs c’est-à-dire qui intègrent la faculté de l'aller-retour indispensable à l’invention de nouvelles réponses. Les contraintes, quant à elles, sont connues aussi je me bornerais à en énumérer quelques unes : tout d’abord, la difficulté à positionner des objectifs collectifs à un moment où la culture ne fait plus guère partie des priorités L'avenir des budgets de la culture dans un contexte financier très tendu en particulier dans les départements ce qui permet guère d'entrevoir les marges de manoeuvre qui pourraient trouvées pour travailler autrement et prendre en charge la relance des politiques culturelles- Le déficit d'ingénierie culturelle dans un département rural comme l'Ardèche où seulement deux villes sont dotés de services culturels et donc d'appuis En outre, la précarité de nombreux emplois culturels dans le secteur associatif. La place difficile de la culture dans le mouvement de recomposition des territoires ( noyée dans les contrats de Pays ; dans les communautés de communes, faiblesse de la prise de compétence culturelle ou absence de projet stratégique). Les grands enjeux que j'ai mentionné ci-dessus sont évidemment aussi ceux de l’Ardèche. Certains s'y expriment de manière particulièrement aiguisée comme l'intensité et la qualité des relations partenariales nouées avec l'Etat et la Région qui sont essentielles pour ouvrir l'espace d'action des acteurs culturels, notamment. Les effets leviers à susciter auprès des collectivités locales pour les inviter à prendre en compte le fait culturel sont encore à évoquer, ainsi que l'invention de nouvelles formes d'action dans un territoire peu pourvu en équipements culturels et l'importance du travail en réseau. PL : Le rapport région-département (mais aussi ville-intercommunalité) va sans doute évoluer à l'issu de la réforme territoriale actuellement débattue au Parlement. Quelles conséquences cette "recomposition" territoriale peut-elle entraîner dans le champ des interventions culturelles ? Helga Sobota : Pour toutes les raisons énoncées précédemment, on voit bien que l’adoption d’un principe de spécificité de compétence par niveau de collectivité n’est aucunement de nature à résoudre les difficultés qui s’expriment dans le domaine de la culture. Bien au contraire, à l’heure où les questions culturelles mériteraient de réinvestir l’espace public, c’est plutôt une intensification des relations et des coopérations entre les collectivités territoriales, et avec l’Etat, qui serait nécessaire.Le débat actuel sur la réforme territoriale semble s'orienter vers la possibilité de l'exercice d'une compétence culturelle partagée moyennant la désignation d'un chef de file. Pour la culture une telle option me semble aller à contre-courant les modalités de gouvernance qui commencent à se mettre en place. Celles-ci privilégient le développement à l'horizontal or désigner un chef de file reviendrait à réintroduire cette verticalité dont on commençait à s'affranchir après 30 ans de construction de la décentralisation culturelle. Le risque est grand aussi de ne pas pouvoir poursuivre ce tricotage au plus près de tous les acteurs et de reconsolider des cercles de plus ou moins grandes légitimités culturelles. Coopérer n'est possible que dans le respect de l'autonomie des partenaires engagés.