Solidarité 1/2016

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POINT FORT La violence envers les femmes ACTUALITÉ Situation intenable sur les chantiers du Qatar Numéro 1, février 2016 Le magazine de

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Magazine Solidar Suisse

Transcript of Solidarité 1/2016

POINT FORTLa violenceenvers les femmes

ACTUALITÉSituation intenable surles chantiers du Qatar

Numéro 1, février 2016

Le magazine de

Esther MaurerDirectrice de Solidar Suisse

2 ÉDITORIAL

Chère lectrice, cher lecteur, En décembre dernier, un message projeté sur le nouveau silo à grains, dans la zone industrielle de Zurich, appelait à la lutte contre la violence domestique. Dans le tram, beaucoup de gens s’interrogeaient sur l’utilité du message de la Fondation Frauen-haus: une telle campagne peut-elle mettre fin à cette forme de violence? Peu auparavant, j’ai vécu une campagne similaire en Bolivie: pas de projection mo-numentale, mais des banderoles accro-chées dans la rue et des fanions sur les motos taxis. Des jeunes ont rédigé des textes et monté des pièces de théâtre dans lesquels ils ont dénoncé la violence envers les femmes et montré comment gérer les conflits sans violence. Ils ont aussi organisé une vaste action de «vac-cination contre la violence» dans toute la ville: quiconque était prêt à débattre avec eux de la violence envers les femmes se voyait administrer une goutte de miel et un bracelet en papier, qui prouvait qu’il était immunisé. Là encore, force est de se demander si ce travail d’information et de sensibilisation est à même de mettre fin à la violence.Il serait illusoire de croire que de telles campagnes peuvent produire des effets du jour au lendemain. J’ai toutefois été im-

pressionnée par cette manière de lever le tabou qui entoure ce sujet dans une société où la violence – principalement en-vers les femmes – est quotidienne et où même les victimes la considèrent comme «incontournable». La violence reste solide-ment ancrée dans les pays où nous menons nos activités, mais

les statistiques de la criminalité montrent qu’elle est aussi bien présente en Suisse. Que ce soit au Nicaragua, au Mozam-bique ou au Burkina Faso, nos projets de promotion des femmes et de préven-tion de la violence revêtent dès lors une grande importance. Solidar Suisse aide les femmes à s’émanciper et à renfor-cer leur estime de soi. Nous soutenons aussi tous les organismes qui luttent contre la violence, notamment par des campagnes. Cela ne suffira évidemment pas, car seuls des gens engagés pour-ront faire cesser la violence.

Nous tenons à mener ce combat et vous nous y aidez en nous soutenant. Je suis heureuse que nous puissions à nouveau compter sur vous en 2016 et vous en remercie.

Esther Maurer

2.12.2015Des usines chinoises de jouets choquent toujoursLego, Playmobil, Mattel, Hasbro ou en-core Disney… Durant les prochains jours, des milliers de jouets seront déposés en Suisse comme dans le reste du monde. Solidar Suisse et China Labor Watch (CLW) profitent de cette période char-nière pour l’industrie du jouet pour dénon-cer les conditions dans lesquelles Barbies, voitures télécommandées et autres pelu-ches sont produites en Chine. «Les mar-ques exigent la meilleure qualité (…) sans se soucier de la santé des ouvriers concer-nés», peut-on lire dans le rapport.

30.9.2015Solidar se mobilise pour les réfugiés syriens au LibanSi les réfugiés syriens affluent en Europe, plus d’un million d’entre eux ont déjà élu provisoirement domicile chez leur voisin libanais. «Notre mission est de rénover des maisons désaffectées ou inachevées au sud du Liban afin de les mettre à disposition des réfugiés, expose Lionel Frei de Solidar Suisse. C’est gagnant- gagnant, les propriétaires libanais n’ont rien à payer, mais en échange, ils s’en-gagent à loger des Syriens gratuitement pour une durée d’un an. La maison, habitable, leur revient ensuite.»

18.12.2015Produire des jouets dans des conditions dignesA l’approche de Noël, tout le monde se précipite dans les magasins. Or de nom-breux jouets pour les enfants sont pro-duits dans des conditions indignes. Pour que cela change, Solidar a remis un appel, signé par 5800 personnes, à l’Association suisse des jouets. Cette dernière a réagi favorablement: elle va entamer un dialo-gue en 2016 avec Solidar Suisse, a indi-qué l’ONG. L’objectif consiste à améliorer les conditions de travail en Chine et à ren forcer la transparence pour les con-sommateurs.

REVUE DE PRESSE

ACTUALITÉ Salaires impayés, échafaudages dangereux, logements insalubres: les ouvriers paient le prix des prestigieuses constructions au Qatar.

POINT FORTNeuf victimes de violence domestique pour une personne tuée lors d’un conflit. Les efforts pour lutter contre cette violence restent pourtant très modestes. Solidar Suisse fait bouger les choses. 4

POINT FORT La violence envers les femmes 4 La violence envers les femmes est l’une des violations les plus graves, mais aussi des plus tolérées 6 Bolivie: campagnes de «vaccination contre la violence» et services de consultation pour les femmes 8 Nicaragua: Valeria Lopez a porté plainte contre ses violeurs 10 POINT DE VUE Anja Kluge du HCR préconise des mesures de protection pour les femmes réfugiées 11 CULTURE Un livre brosse le portrait de femmes qui s’engagent pour l’évolution de la société salvadorienne 13 ACTUALITÉ Une délégation suisse fait état de conditions de travail déplorables sur les chantiers du Qatar 14 Pourquoi il importe d’interdire la spéculation sur les aliments 17 PORTRAIT Coordinatrice au Nicaragua pendant vingt-six ans, Carmen Ayon prend sa retraite. L’œuvre d’une engagée 18 CHRONIQUE 15 BRÈVES 12 & 16 CONCOURS 16

14

Editeur:Solidar Suisse, Quellenstrasse 31, case postale 2228, 8031 Zurich, Tél. 021 601 21 61, email: [email protected], www.solidar.ch CP 10-14739-9 Lausanne. Membre du réseau européen SolidarRédaction:Katja Schurter (rédactrice responsable), Rosanna Clarelli, Eva Geel, Lionel Frei, Cyrill Rogger

Layout: Binkert Partner, www.binkertpartner.ch / Spinas Civil VoicesTraduction: Ursula Gaillard, Milena Hrdina, Jean-François ZurbriggenCorrection: Jeannine Horni, Catherine VallatImpression et expédition:Unionsdruckerei/subito AG, Platz 8, 8201 SchaffhouseParaît quatre fois par an. Tirage 37 000 ex.

Le prix de l’abonnement est compris dans la cotisation (membres individuels 50.– par an minimum, organisations 250.– minimum). Imprimé sur papier recyclé et respectueux de l’environnement.Photo de couverture: une femme au Nicaragua attend le bureau de conseil. Photo : Frederic Meyer. Dernière page : Action sur la Paradeplatz à Zurich pour l’interdiction de la spéculation alimentaire. Photo : ZVG.

IMPRESSUM

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Qu’elle soit physique, sexuelle ou psychique, la violence est une catastrophe pour les victimes, mais nuit aussi à la société. Les femmes sont souvent les premières visées. La violence est utilisée pour punir un comportement déviant et empêcher les femmes et les jeunes filles de décider de leur sort, mais elle sert aussi d’arme de guerre. Alors que ses conséquences sont désastreuses, les efforts pour la juguler restent trop modestes. Des femmes ont pourtant entrepris de se défendre et, que ce soit au Nicaragua, au Salvador, en Bolivie ou en Afrique du Sud, Solidar soutient leur combat. Photo: Andreas Schwaiger

LES FEMMES VIOLENTÉES

POINT FORT

Ces jeunes tagueuses veulent que la violence sexuelle soit réprimée: «poursuites pénales et condamnation

sociale pour les auteurs de violences».

LES FEMMES VIOLENTÉES

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Selon ONU Femmes, la violence à l’égard des femmes est l’une des violations les plus graves et les plus tolérées des droits humains. Etant aussi bien la cause que la conséquen ce des inégalités sexospéci-fiques, elle prend diver ses formes: traite des femmes, violence sexuelle et physi que, mariage forcé et mariage de mineures, mutilations génitales. Lors de conflits ar-més, la violence sexuelle s’accroît et, app liquée systématiquement, sert d’arme de guerre. Selon le Centre d’information des Nations Unies pour l’Europe occi-dentale (UNIRC), entre 20 000 et 50 000 femmes ont été violées durant la guerre de Bosnie au début des années 1990. En République démocratique du Congo, on en dénombre 1100 chaque mois!La violence est par ailleurs utilisée pour punir les comportements «déviants». Dans le monde entier, on tue ou fait subir des violences sexuelles à des personnes

trans genres ou homosexuelles. En Afrique du Sud, la pratique du «viol correction-nel» est largement répandue: ces viols sont perpétrés sur les lesbiennes sous prétexte de les rendre hétérosexuelles… et leurs auteurs sont rarement poursui-vis. Les femmes handicapées courent davantage de risques que les autres: en Europe, en Amérique du Nord et en Aus-tralie, plus de la moitié d’entre elles su-bissent des actes de violence, alors que la proportion n’est que d’un tiers parmi

celles qui ne souffrent d’aucun han dicap. Amnesty International estime par ailleurs que le monde compterait 100 millions de femmes de plus, si elles n’avaient été

victimes d’un avortement ou tuées à la naissance. Beaucoup de femmes sont en outre exposées à la violence sexuelle au travail. Les employées de maison arrivent en tête de liste: isolées au sein du ménage où elles travaillent, elles sont sans défense face à la violence de leurs employeurs.

Violence domestique: neuf fois plus de victimes que la guerreLa violence dite «domestique» est la plus répandue et provoque les coûts les plus élevés, mais suscite le moins d’attention. L’expression désigne la violence exercée

dans un cadre fa-milial – en géné-ral à l’égard de femmes et d’en-fants – par des membres de l’en-

tourage – le plus souvent des hommes. Selon les estimations d’ONU Femmes, une femme sur trois subit la violence de son compagnon.

Au Nicaragua, les services de consultation offrent un soutien essentiel

aux femmes victimes de violence.

La violence contre les femmes a de terribles conséquences. Les efforts pour la prévenir sont cependant timides.Texte: Katja Schurter. Photos: Frederic Meyer

UNE PANDÉMIEQUI RESTEUN TABOU

La violence au sein du couple engendre chaque année des coûts de 8 billions de dollars.

La violence envers les femmes et les enfants entraîne plus de décès que les conflits armés: pour chaque mort à la guerre, on dénombre neuf personnes décédées à cause de la violence domes-tique. En 2014, une étude menée dans le cadre du consensus de Copenhague a évalué les conséquences économiques de la violence et des conflits armés: la violence domestique engendre l’impact le plus grand – en particulier sous forme de frais médicaux et d’absence au travail – avec des coûts annuels atteignant 8 billions de dollars à l’échelle mondiale. Pourtant, seuls 52 pays ont inscrit le viol au sein du couple parmi les actes répré-hensibles. «La violence domestique empêche les femmes de réaliser tout leur potentiel, freine la croissance économique et sape le développement», constatent les auteurs de l’étude. Elle réduit les chances des femmes de participer à la vie publique et a de graves conséquences sur leur santé. La violence domestique accroît aussi les risques sanitaires: selon l’OMS, les per-sonnes qui en sont victimes souffrent deux fois plus souvent de dépression et courent un risque une fois et demi plus élevé d’être infectées par le VIH.

Un manque flagrant d’attentionC’est pourtant à la violence domestique que l’on prête le moins d’attention lors de l’attribution de l’aide au développement. La lutte contre la violence envers les femmes ne figurait pas dans les Objec-tifs du millénaire pour le développement et ne constitue que l’une des nombreuses cibles des Objectifs de développement durable de l’agenda 2030: «Eliminer toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles.» La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la vio-lence à l’égard des femmes et la violence domestique, entrée en vigueur en août 2014, est la première norme légale contrai-gnante qui régit l’égalité des sexes, la création de services d’aide aux victimes et le travail de sensibilisation. La Suisse a certes signé cette convention, dite

d’Istanbul, mais ne l’a pas encore ratifiée. Par les programmes qu’elle réalise en Bolivie, au Nicaragua, au Salvador et en Afrique du Sud, Solidar Suisse contribue à prévenir la violence envers les femmes et à atténuer ses conséquences. Nos partenaires sensibilisent la population, viennent en aide aux victimes de vio-lences, offrent des conseils juridiques

VIOLENCE AU SEIN DU COUPLE

Dans le monde entier, une femme sur trois a subi des actes de violence physique ou sexuelle, perpétrés le plus souvent par son conjoint

En 2012, sur deux femmes tuées dans le monde, une l’a été par son conjoint ou un membre de sa famille. Seul un homme sur vingt est décédé dans les mêmes circonstances

Existe-t-il des lois qui protègent les femmes?

La violence domestique est interdite par la loi dans deux

tiers des pays du monde

Seuls 52 pays possèdent des lois qui interdisent le viol au

sein du couple

2,6 milliards de femmes et de jeunes filles vivent

dans des pays où le viol au sein du couple n’est pas

interdit par la loi

2,6 miaSeuls

52Graphique: UN Women

Grâce au théâtre, des jeunes femmes du Salvador partagent leurs expériences de la violence et réfléchissent ensemble à des solutions.

aux employées de maison et favorisent la participation politique et sociale des femmes et des jeunes filles (lire les ar-ticles aux pages 8, 10, 13 et 18). Car il est grand temps de mettre fin à cette pandémie!

Katja Schurter est la rédactrice responsable du magazine Solidarité.

Maria Lopez vit à Colcapirhua, dans le département de Cochabamba, en Bolivie. A la recherche d’un travail intéressant, elle a quitté Potosí il y a plus de dix ans pour rejoindre le centre du pays, plus prospère. Elle a mené à bien ses projets professionnels et bientôt rencontré le prince charmant. C’était hélas un cra-paud malfaisant.

Une spirale de violence sans finVoici le bilan de huit années de vie com-mune: trois enfants et des milliers de coups. L’époux de Maria lui a défendu de travailler et de sortir de la maison sans son autorisation. Il lui a interdit tout contact avec ses amis et sa famille pour qu’elle ne puisse pas parler de ses souf-frances. Et, alors qu’elle était pratique-ment prisonnière, son bourreau l’a soup-

çonnée d’infidélité quand est tombée en-ceinte pour la quatrième fois.Lorsqu’il a appris la nouvelle, il l’a rouée de coups à tel point qu’elle n’a pour ainsi dire plus pu bouger durant près de trois semaines. Une voisine a cependant eu vent de la situation. Comme elle était membre du réseau contre la violence de Colcapirhua, elle savait où Maria pouvait trouver de l’aide. Elle lui a conseillé d’aller voir le service communal de consultation pour les femmes (SLIM). Incapable d’en supporter davantage, Maria a pris son courage à deux mains et s’en est allée raconter son calvaire. Elle a toutefois re-noncé à demander une attestation médi-cale pour porter plainte, car son mari me-naçait d’emmener les trois enfants si elle le quittait. Elle est donc retournée chez elle et les choses n’ont fait qu’empirer!

Coups et culpabilité Les femmes du réseau ont offert un refuge à Maria et l’ont accompagnée à nouveau au SLIM. Cette fois, elle a entamé une thérapie, qui lui a permis de se libérer progressivement du sentiment d’être responsable de la violence subie. «Le psychologue du SLIM m’a beaucoup aidée à me libérer du sentiment que j’avais mérité les coups. Grâce à la voisine qui m’a parlé du réseau contre la violence, j’ai quitté mon mari», raconte Maria Lopez. Vu le soutien dont elle bénéficiait, ce der-nier n’a plus jamais menacé d’emmener les enfants. «Je vis désormais avec ma mère, qui est venue de Potosí et s’occupe de mes quatre enfants.» Le réseau contre la violence envers les femmes de Colcapirhua résulte d’une ini-tiative du projet PADEM mené par Solidar. Il regroupe les autorités communales, la police, le SLIM, des centres de santé, des écoles et des organisations de la société civile, qui collaborent pour prévenir la violence envers les femmes. Aujourd’hui, 95 des 339 communes boliviennes pos-

En Bolivie, les femmes sont très exposées à la violence. Des services de consultation et une masculinité repensée y remédient. Texte: Mavi Ortiz. Photos: Solidar

Les personnes qui se font vacciner reçoivent un bracelet qui porte le slogan de la campagne:

«Pour une vie à l’abri de la violence!»

FAIRE CESSER LA VIOLENCE DES HOMMES

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«Nous devons changer notre comportement au sein de la famille.»

sèdent un réseau contre la violence et des services de consultation pour les femmes. Ces structures servent à appli-quer la loi 348, entrée en vigueur en 2013, qui garantit aux femmes le droit de vivre à l’abri de la violence. Les médias participent à l’effort en sensibilisant les gens et en les mobilisant pour les droits des femmes. Un reportage radio du PA-DEM contre la violence faite aux femmes a été récompensé par un prix au début de l’année. Le problème est en effet aigu en Bolivie, puisque sept femmes sur dix sont un jour ou l’autre victimes de vio-lences. Avec 606 femmes assassinées entre 2009 et 2014, la Bolivie occupe la quatrième place dans cette sombre sta-tistique, derrière le Salvador, l’Argentine et le Pérou.

Impliquer les hommesSi sept Boliviennes sur dix sont victimes d’actes de violence, les auteurs de ceux-ci sont tout aussi nombreux. Pour que la société évolue, qu’elle mette fin au machisme régnant afin de privilégier la

prévention de la violence, l’émancipation et la poursuite pénale de la violence, les hommes doivent participer au mouve-ment. Le projet PADEM bouscule dès lors l’idée de masculinité qui prédomine. En collaboration avec divers acteurs sociaux, ses intervenants favorisent le changement de valeurs et motivent les

hommes à renoncer à la brutalité, pour dénoncer au contraire toute forme de violence à l’égard des femmes. Ils parti-cipent à des événements publics où l’on vaccine les gens (une goutte de miel constitue le vaccin symbolique) afin qu’ils rejettent la violence dans leur entourage. Les personnes vaccinées reçoivent un bracelet en papier, qui porte l’inscription «Pour une vie à l’abri de la violence!» Wilbur Paz Delgado, commandant de l’unité spéciale de la police contre la

Une femme lit la brochure d’information sur la loi 348, qui garantit aux Boliviennes le droit de vivre à l’abri de la violence.

Le commandant de police Wilbur Paz lors d’un meeting contre la violence.

violence à Cochabamba, ne ménage pas ses efforts: «J’ai participé à un atelier où les hommes ont remis leur attitude machiste en question et réalisé que je devais entreprendre quelque chose.» Ces derniers mois, il a ainsi organisé des réunions où les hommes exécutent des «tâches féminines» (changer les langes,

peler des pommes de terre, etc.) et où on leur explique que la violence n’est pas une solution. «Nous devons modifier notre comportement au sein de la famille, estime Wilbur Paz. Je suis macho et c’est dans cet es-

prit que j’élève mon fils. Je ne voudrais toutefois pas qu’il soit violent.» D’autres partagent heureusement son avis et le succès est au rendez-vous: grâce aux réseaux et aux services de consultation, les femmes portent plus souvent plainte lorsqu’elles sont victimes de violence. www.solidar.ch/padem

Mavi Oritz collabore à la commu ni­cation du projet PADEM.

POINT FORT 9

pliquons leurs droits et elles s’entraînent à faire face à des hommes violents, ra-conte Lourdes Vargas. Les jeunes filles parlent de ce qu’elles ont appris à l’école, de sorte que les garçons se montrent nettement plus respectueux!»

Briser le tabou! Grâce aux activités du réseau Ana Lucila, la violence a désormais sa place dans le débat public et les délits sont plus souvent dénoncés. Dans le cas de Valeria Cruz, les femmes ont manifesté contre les retards de la procédure judiciaire et discuté avec la juge compétente. Elle est d’ailleurs convaincue que «c’est la seule chose qui a obligé le tribunal à agir. Mes violeurs ont été condamnés à douze et à quatorze ans de prison, mais je n’ai eu droit à aucune compensation financière.» Pourtant, même si les auteurs de violence sont à présent souvent condamnés, les victimes sont toujours stigmatisées. Tra-vaillant dans une boulangerie, Valeria Cruz se dit heureuse de ne pas avoir per-du son job: «Mon employeur m’a réenga-gée, alors que c’était loin d’aller de soi.»www.solidar.ch/analucila

Barbara Mangold est responsable des partenariats de Solidar avec les fondations.

crucial: «Sans ce soutien, j’aurais jeté l’éponge», déclare-t-elle.

Commencer par les fillesLourdes Vargas est l’une des conseillères du réseau Ana Lucila. Elle met notamment le taux élevé de violence sur le compte du machisme qui règne au Nicaragua: «Cela commence dès la petite enfance: les garçons sont choyés et privilégiés. L’Eglise contribue d’ailleurs à la situation, puisqu’elle favorise le patriarcat et la suprématie des hommes. D’où le slogan de notre campagne: le machisme, ça tue, ça ruine et ça rend idiot.» En 2014, 85 femmes et jeunes filles ont été tuées au Nicaragua.Le réseau Ana Lucila conseille les vic-times de violence mais assure aussi un travail de sensibilisation et fait pression sur les autorités qui n’assument pas leurs responsabilités. «Les filles fréquentent dès 10 ans des cours où elles apprennent à avoir confiance en elles. Nous leur ex-

C’était le 31 décembre 2013. En rentrant chez elle, Valeria Cruz*, 46 ans, a croisé un groupe d’hommes dans le parc, qui l’ont interpellée. Ils n’étaient pas ivres et elle connaissait deux d’entre eux. Tout s’est passé très vite: six hommes se sont emparés d’elle et l’ont violée.

Injuriée devant le tribunalLorsqu’elle s’est rendue à la police pour porter plainte, Valeria Cruz a été bien trai-tée et on l’a aiguillée vers le réseau de femmes «Ana Lucila» contre la violence. Mais ce n’était que le début d’une longue procédure: «L’audience du tribunal a sans cesse été reportée, raconte cette mère qui élève seule ses enfants. M’y rendre était chaque fois une épreuve terrible. Les proches des violeurs se tenaient à l’entrée et m’insultaient. Leur avocat m’a traitée de putain et a déclaré que j’étais coupable de ce qui m’était arrivé, car je me promenais dehors la nuit.» L’accom-pagnement dont elle a bénéficié fut donc

Au Nicaragua, le réseau de femmes Ana Lucila s’engage contre la violence généralisée à l’égard des femmes. Texte et photo: Barbara Mangold

Un versement de 50 francs finance une consultation psychologique pour trois femmes victimes de violence. Un don de 75 francs permet à dix jeunes filles et jeunes femmes de suivre un cours d’affirmation de soi. Avec 100 francs, quinze jeunes peuvent assister à une séance d’information sur la violence envers les femmes.

Votre don compte!

LE MACHISME, ÇA TUE, ÇA RUINE ET ÇA REND IDIOT

Lourdes Vargas (à gauche) et Maria Estrada, du réseau Ana Lucila, un groupement nicaraguayen de femmes contre la violence, ont porté le débat autour de la violence sur la place publique.

* Nom d’emprunt

POINT DE VUE 11

IL FAUT PROTÉGER LES FEMMES RÉFUGIÉES!Les femmes contraintes de fuir sont davantage exposées à la violence et pas seulement parce qu’elles sont en route.Anja Klug, directrice du HCR pour la Suisse et le Liechtenstein

La moitié au moins de tous les réfugiés sont des femmes et des enfants. Tout comme les hommes, les femmes fuient la guerre et les persécutions motivées, par exemple, par leur appartenance à une minorité ethnique et religieuse ou à leur engagement politique. Mais elles fuient aussi pour des raisons liées à leur sexe, tel le harcèlement qu’elles subissent pour ne pas s’être pliées aux usages et à la morale en vigueur. La violence que les femmes endurent au sein de leur famille et de leur société peut aussi les pousser à fuir si l’Etat ne la combat pas avec une efficacité suffisante. La fuite ne parvient hélas pas toujours à faire cesser la violence. Alors que leurs structures communautaires et familiales se sont écroulées, les réfugiées courent un risque accru d’être victimes de discri-mination et de violence sexuelle dans le premier pays d’accueil. Lorsque même l’essentiel fait défaut, elles sont souvent obligées de se prostituer ou de se marier afin de survivre.

Pour des mesures de protection La violence n’épargne pas les femmes en fuite. Les récits de réfugiées victimes d’agressions sexuelles sont foison: dans les prisons ou les camions, lorsqu’elles se rendent aux toilettes ou paient une énième fois le passeur. Les formes les

plus terribles de la traite humaine sont récurrentes: des femmes et des hommes sont kidnappés, réduits à l’esclavage, torturés ou assassinés. Dans les camps et les autres logements provisoires, la pro-miscuité favorise les agressions. Le HCR a récemment attiré l’attention sur le fait que les réfugiées sont victimes d’agres sions sexuel les même en Europe. Or, nous pouvons et devons prévenir ce type de violence. Il importe avant tout de mettre en place des structures d’accueil sûres. Couvrir les besoins d’un grand nombre de réfugiés et de migrants re-présente certes un défi énorme. Il faut néanmoins accorder la priorité à la pro-tection contre les agressions sexuelles.

Créer des moyens d’admission légaleMalgré des conditions précaires, les femmes sont contraintes de rester dans le premier pays qu’elles atteignent durant leur fuite, le plus souvent un pays voisin. Les causes de cette situation sont multiples: les dangers d’une fuite vers l’Europe (qui s’avère impossible avec de jeunes enfants ou des parents im-potents), la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes et l’idée que les

hommes ont davantage de chances de s’établir dans le pays d’accueil. Il importe donc de trouver des solutions afin de permettre aux femmes et à toutes les personnes ayant des besoins particuliers de venir en Europe. Parmi ces moyens,

mentionnons le program me de réinstalla-tion du HCR: en collabora-tion avec les

Etats, le commissariat identifie les réfu-giés particulièrement vulnérables dans les camps et les envoie directement vers le pays d’accueil, du Liban en Suisse par exemple.En Suisse, il importe de tenir compte de la situation particulière des réfugiées, d’admettre qu’elles ont leurs propres rai-sons de fuir. Il faut assurer un traitement médical et, le cas échéant, un soutien psychologique aux personnes traumati-sées par des actes de violence sexuelle par exemple. L’intégration exige aussi des mesures spécifiques, telle la prise en charge des enfants. Car une femme ne peut pas suivre des cours de langue pendant qu’elle s’occupe de sa famille.

«Il faut admettre que les femmes ont leurs propres raisons de fuir.»

12 BRÈVES

Extension de la formation plurilingueAu Bénin, un pays situé au sud du Burkina Faso, un tiers de la population rurale est pauvre et ne parvient pas à couvrir ses besoins élémentaires. En 2014, dans la région septentrionale du Borgou, 54 % des enfants n’étaient pas scolarisés. Les formations de base et professionnelles qui leur donneraient des opportunités de gagner décemment leur vie plus tard, et de sortir de la pauvreté, leur font défaut. C’est pourquoi, depuis 2010, Solidar Suisse s’engage avec Helvetas pour proposer aux enfants et adolescents exclus du système d’éducation formel un modèle adapté localement. Quelque

Solidar Suisse: climatiquement neutreL’analyse de l’empreinte carbone de Soli-dar a montré que l’organisation émettait plus de CO2 que la moyenne en raison des nombreux voyages effectués par son personnel, ce qui tient à la nature de ses activités. Mais Solidar dépasse aussi la norme dans sa consommation d’énergie, car ses bureaux sont mal isolés. Une réno-vation prévue y remédiera et des mesures seront prises pour réduire l’utilisation de courant. Le CO2 émis sera compensé dans des projets de protection du climat.

Afrique du Sud: des droits pour le personnel temporaireUne importante révision légale est entrée en vigueur le 1er janvier 2015 en Afrique du Sud. La nouvelle loi sur le travail exige qu’après trois mois le personnel tempo-raire reçoive un contrat de travail fixe, et ce aux mêmes conditions que le person-nel permanent. En clair: même salaire et mêmes prestations sociales pour des tra-vailleuses et des travailleurs temporaires auparavant très mal protégés. C’est une avancée positive dans la lutte contre la précarité des conditions de travail dans un pays où jusqu’à 40 % de la population est sans emploi. Organisation partenaire de Solidar, le Casual Workers Advice Office (CWAO) a lancé une vaste campagne d’information sur ces nouvelles disposi-tions à l’appui de tracts, posters et spots radiophoniques, sur WhatsApp et les mé-dias sociaux. Et le succès est au rendez- vous: dans les mois ayant suivi l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, près de 500 travailleuses et travailleurs ont vu leurs contrats temporaires transformés en cont-rats fixes.

Production de poêles en Chine: l’exploitationPlus de 40 % des poêles utilisées en Suisse sont importées de Chine. Les conditions de travail régnant dans l’en-semble du secteur sont déplorables, comme l’a révélé une investigation ano-nyme. Les systèmes de salaire à la tâche sont la norme, raison pour laquelle les ouvrières et les ouvriers doivent travail-ler jusqu’à 12 heures par jour pour un salaire juste suffisant pour vivre. La pro-

Solidar projette un film sur le massacre de MarikanaEn décembre 2015, dans le cadre du Festival des droits humains de Zurich, Solidar Suisse a projeté le film «Miners shot down», de Rehad Desai, sur le mas-sacre de 34 mineurs en grève, perpétré en 2012 à Manikara, en Afrique du Sud.James Nichols, l’avocat qui défend gra-tuitement les familles des victimes en Afrique du Sud, était présent au terme de la projection. Par son humour et ses connaissances, il est parvenu à atténuer un peu les images effroyables diffusées. Pour lui, le film a valeur de témoignage historique: le massacre a été accepté, voire provoqué, par les plus hautes ins-tances gouvernementales. Car les rela-tions entre les ouvriers et les entreprises

57 centres de formation de base et professionnelle ont ouvert leurs portes à plus de 5000 élèves. Le projet qui profi-tera des expériences réunies par Solidar dans la formation plurilingue au Burkina Faso sera étendu en 2016. L’approche sera ensuite développée dans le pays tout entier.

minières n’ont pas fondamentalement changé depuis la fin de l’apartheid. En 2016, la télévision sud-africaine diffusera pour la première fois ce document et contribuera, espérons-le, à informer le grand public. Car aucune procédure pé-nale n’a pour l’heure été engagée contre les responsables du massacre. www.minersshotdown.co.za

tection de base des travailleurs se dis-tingue aussi par son absence: il est cou-rant que les sorties d’urgence soient bloquées, les extincteurs pas entretenus, les mains et le visage laissés sans pro-tection. Et les prestations sociales sont insuffisantes ou inexistantes. Solidar ex-horte les détaillants et les producteurs de poêles en Suisse à garantir des condi-tions de travail décentes dans toute leur chaîne d’approvisionnement.www.solidar.ch/casseroles

Un livre brossant le portrait de 12 femmes en lutte contre la violence a été publié au Salvador. Texte: Mercedes Cañas

Le Salvador connaît le taux de violence le plus élevé d’Amérique centrale: 19 per-sonnes y ont été quotidiennement assas-sinées l’an dernier, soit davantage que pendant la guerre civile des années 1980. Le livre «Hijas de la rebeldia y sus huellas» («Filles de la révolte») vient de paraître dans le pays. Il contient des récits et des poèmes de femmes qui, à l’époque, se sont engagées pour les droits des femmes.

Violence: le fait de l’armée et des marisHelía Rivera est l’une de ces femmes. Elle a grandi dans une extrême pauvreté et a entamé son engagement dans des mouvements sociaux des années 1970. Ils exigeaient des droits de propriété, des soins de santé et l’éducation mais, passées les premières manifestations, la répression a été massive. L’armée a bom-bardé les villages et les habitant-e-s – des femmes, des enfants et des hommes non armés – ont dû fuir en pleine nuit. «Nous avons traversé une rivière. J’avais de l’eau jusqu’au cou quand j’ai été sépa-rée de mon enfant et de mon mari. Une fois sur l’autre rive, je les ai cherchés en

vain tandis que des soldats tiraient de-puis les hélicoptères», se souvient Helía Rivera. Par la suite, elle a retrouvé sa famille mais son fils n’a pas survécu à une nouvelle attaque.Les femmes n’étaient pas en butte à la seule violence de la police et de l’armée mais subissaient encore celle de leurs camarades et époux. Comme Juana Mo-rales, brutalisée par son mari: «Je suis tombée enceinte après cinq mois de vie commune. J’ai alors décidé de partir, car je ne voulais pas que ma fille grandisse dans un tel environnement. J’ai préféré l’élever seule.» Sans aide, elle a suivi des cours de rattrapage et poursuivi sa formation. Aujourd’hui, elle travaille dans la santé à Chalatenango.

Inspiration à la résistanceLes récits montrent comment les femmes ont lutté dans un contexte difficile pour les changements sociaux et dit non à la violence. Helía Rivera est par exemple restée fidèle à son engagement malgré les expériences traumatisantes qu’elle a vécues. Elle interpelle les lecteurs: «Ne vous laissez pas seulement guider

CULTURE 13

Mercedes Cañas travaille pour Solidar Suisse au Salvador.

FILLES DE LA RÉVOLTE

«Filles de la révolte» est paru au début de l’année au Salvador.

Juana Morales s’est séparée de son partenaire violent pour élever seule ses enfants.

par les intérêts économiques et investis-sez plutôt votre argent dans des projets en faveur des femmes, dans des hôpi-taux et des écoles et non pas dans des armes et des bombes. Laissez-nous construire le paradis ici-bas pour que la justice, la paix et l’égalité deviennent réa-lité.» Elle coordonne la politique d’égalité dans sept communes du Chalatenango et en 2014 a mis sur pied un plan trien-nal de prévention de la violence à l’égard des femmes.L’idée du livre remonte à un séminaire sur les droits des femmes mis sur pied par des organisations partenaires de Solidar. L’ouvrage vise à inspirer les fem-mes d’aujourd’hui à refuser l’oppression et à prendre leur propre destinée en main. Ecrit sous le gouvernement du président Antonio Saca du parti conservateur ARENA, le livre prend fin sur le poème «Rêve d’avenir» d’Ernestina Ayala:

Femmes de ChalateNous devons comprendre Que le gouvernement en placeNe cherche qu’à nous duper.

Femmes d’ArcataoNe nous laissons pas découragerUn peuple a mis son espoir en nousEt nous devons transmettre une histoire

Et je prends congé de vousA cette condition queNous combattions tous ensemblePour notre juste cause.

14 ACTUALITÉ

Le couloir est étroit et totalement encom-bré d’habits de travail jaunes. A gauche et à droite, des portes mènent aux dor-toirs. On y voit des lits superposés serrés les uns contre les autres: sur 15 m² envi-ron, huit hommes vivent et dorment. Sur les grilles métalliques des lits, de minces matelas mousse dont les fourres sont percées et usées. Avec des sacs en plas-tique découpés, les habitants du lieu tentent de rendre le sol bétonné plus confortable. Quelques habits pendent à une corde contre le mur. Aucune sphère privée ici.

Sur le dos des migrants Toujours plus de travailleuses et de tra-vailleurs viennent d’Asie du Sud-Est ga-gner leur vie au Qatar. Ils s’engagent pour plusieurs années sur les chantiers. Car l’Etat le plus prospère de la planète se modernise. Le Mondial de football doit s’y dérouler en 2022 et d’ici à 2030, cet Etat du désert veut donner de lui l’image d’une nation moderne. Un quartier des

affaires d’où s’élancent de spectaculai-res gratte-ciel domine aujourd’hui déjà la capitale Doha.Mais seule la technologie est moderne. La main-d’œuvre ne voit guère se concré-tiser les promesses de cette nouvelle ère. Nous en faisons l’expérience durant notre visite: certains ouvriers du camp n’ont plus reçu leur salaire depuis des mois, d’autres se sont fait confisquer leurs pièces d’iden-tité – un contrôle policier pourrait vrai-ment mal tourner pour eux.Environ 1,8 million de travailleurs migrants construisent, nettoient, conduisent, cui-sinent, lavent ou servent au Qatar. Et ils

sont soumis à un régime impitoyable. Le système de «kafala» ne donne quasiment aucun droit aux travailleurs, l’arbitraire est quotidien. Ils n’ont pas le droit de se

déplacer librement sans la permission de leur employeur et sont souvent héber-gés dans des conditions pitoyables. Leur passeport leur est fréquemment illéga-lement confisqué. Les salaires sont mé-diocres, quand ils sont versés, les heures supplémentaires sont la règle, souvent non rétribuées. La grève est interdite et la protection au travail ne joue quasiment pas de rôle.

Aucune sécurité du travailLe maçon Kumar Mamoj l’a appris à ses dépens. Il est tombé d’un échafaudage et s’est grièvement blessé à la jambe

gauche. D’après lui, aucune me-sure de sécurité n’avait été prise. Mais l’employeur lui a imputé la faute de l’accident et a refusé de payer le salaire qui lui revenait de droit. Après de longs mois et

plusieurs opérations, il est toujours inapte au travail. Depuis longtemps, il n’a plus l’argent qu’il pouvait envoyer à son épouse et à ses quatre enfants restés en Inde.

Travailleur migrant dans un dortoir qu’il partage avec sept ouvriers à Doha.

Nimfa Dorneo conseille les travailleurs migrants sur

le droit du travail.

Quelques ouvriers n’ont pas reçu leur salaire depuis des mois.

DU FASTE BÂTI SUR L’EXPLOITATIONLes conditions des travailleurs migrants sur les chantiers du Qatar sont déplorables.Eclairages. Texte: Eva Geel. Photos: Tomas Nyberg/Elektrikern et Eva Geel

Et faute d’argent, impossible aussi pour lui de rentrer dans son pays. Comme beau-coup, il est échoué au Qatar, sans pers-pective ni espoir. Avec l’aide de l’Interna-tionale des travailleurs du bâtiment (BWI), il s’est adressé à l’ambassade indienne dans l’espoir d’y recevoir un soutien.

Succès des services de consultationSolidar Suisse apporte son appui aux services de consultation juridique de BWI au Qatar. Ce syndicat forme des volon-taires, informe les nouveaux arrivants et dispense des conseils juridiques. Un pro-jet de la communauté philippine a par exemple été lancé voilà quelques mois avec l’appui de Solidar. Forte de 200 000 travailleuses et travailleurs, celle-ci consti-tue le troisième plus important groupe étranger dans cet Etat du désert, après ceux des Indiens et des Népalais.Des formations juridiques ont doté des volontaires philippins des capacités de gestion d’un service de consultation. Ils disposent également d’une page Face-book. Spécialiste du marketing, Nimfa Dorneo fait aussi partie de cette équipe. Elle vit depuis longtemps au Qatar et consacre le plus clair de son temps libre à aider ses compatriotes philippins: «Les soutenir est ma passion. Je m’oc-cupe personnellement des cas compli-qués. Sur Facebook, nous répondons aux questions sur le droit du travail: que puis-je faire lorsque je veux rentrer chez moi ou lorsque mon salaire n’est pas versé? Quels sont mes droits en cas de bles-sure? Peut-on faire la grève au Qatar?» Nimfa Dorneo pose des questions aux employeurs, arrange des entretiens, fait

des recherches sur les prestations lé-gales des employeurs. Avec succès puisque lors des quatre derniers mois, le service de consultation a pu répondre à 187 demandes sur 238.

Le long chemin vers le travail décentOn aspire à des solutions pragmatiques car les procédures judiciaires sont sou-vent vouées à l’échec – et elles s’éter-nisent alors que certains travailleurs sou-haitent rentrer au plus vite chez eux. Plu-sieurs employeurs prennent au sérieux les plaintes du service de consultation. Il faut dire qu’en raison de la prochaine Coupe et des mauvaises conditions de travail, le pays est sous le feu des criti-ques internationales. Les Qataris ne les entendent pas volontiers – ils insistent plutôt sur la rapidité des changements dans leur pays et sur le temps supplé-mentaire qu’exigeraient certaines ques-tions. Et ils clament leur bonne volonté. Des améliorations sont effectivement ré-gulièrement annoncées. Comme en no-vembre dernier où il a été proclamé haut et fort que l’autorisation de l’employeur n’était plus nécessaire pour chercher un autre emploi à l’expiration d’un contrat. Mais la précision selon laquelle le règle-ment serait mis en œuvre après un an au plus tôt est ensuite venue, quasiment à demi-mot. Cela vaut aussi pour la promesse d’une plainte possible contre l’employeur qui s’opposerait à un départ. Ambet Yuson, le secrétaire général de BWI, ne s’en étonne pas. Il lâche en riant: «Le chemin est encore long. Mais nous faisons tout pour accélérer un peu le rythme au Qatar.»

Le conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz n’était pas le seul à croire que le reste du monde allait se casser les dents sur le secret bancaire suisse. Il n’est donc pas le seul à s’être trompé. Le reste de la planète a effectivement mordu – sans dommages dentaires: la Suisse doit introduire l’échange au-tomatique d’informations en matière fiscale (EAR) entre ses banques et les autorités fiscales étrangères. C’est une évolution réjouissante dans la lutte contre la fraude fiscale très ré-pandue dans les milieux prospères. Mais ce pas est insuffisant puisque les pays en développement en restent exclus. Et davantage de probité fiscale serait encore plus utile dans ces pays qu’en Occident. Les élites corrompues se soustraient massivement aux im-pôts: elles placent à l’étranger leurs fortunes illégalement acquises et ne déclarent pas les rendements comme revenus. Le secret bancaire protège précisément ces pratiques. L’OCDE estime la perte annuelle de recettes fiscales dans les pays du Sud à 285 milliards de dollars, soit bien plus que les sommes qui prennent le chemin de ces mêmes pays via la coopération au développement figurant dans nos budgets nationaux. Il est totalement incompréhensible que le Conseil fé-déral et la majorité du parlement fé-déral refusent obstinément de barrer la route aux élites corrompues du tiers-monde. Sans EAR avec ces na-tions également, la Suisse reste une Mecque de l’argent sale et poignarde dans le dos sa propre coopération au développement.

EAR pour tous

Hans-Jürg FehrPrésident de Solidar Suisse

Le paysage urbain futuriste de Doha.

Eva Geel est responsable de la communication à Solidar Suisse.

CHRONIQUE

16 CONCOURS

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9 5 1 6

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LE SUDOKU DE SOLIDAR

3

4

Solution

BRÈVES

Règles du jeu

Complétez les cases vides avec les chiffres 1 à 9. Chaque chiffre ne peut figurer qu’une seule fois sur chaque ligne, dans chaque colonne et dans chacun des carrés de 3x3 cases. La solution se trouve dans les cases grises lues horizontalement, selon la clé suivante:

1= C, 2 = N, 3 = I, 4 = E, 5 = O, 6 = V, 7 = L

Envoyez la solution à Solidar Suisse sur une carte postale ou par courriel à [email protected], sujet «sudoku».

1er prix un tablier de cuisine orné d’un slogan2e prix un t-shirt orné d’un slogan3e prix un sac orné d’un slogan

Les prix proviennent du projet contre la violence faite aux femmes en Bolivie (lire l’article en page 8) et portent les slogans originaux de la campagne.

La date limite d’envoi est le 14 mars 2016. Le nom des gagnant-e-s sera publié dans Solidarité 2/2016. Aucune correspondance ne sera échangée concernant ce concours. Tout recours juridique est exclu. Les collaborateurs et collaboratrices de Solidar Suisse ne peuvent pas participer au concours.

La solution du concours paru dans Solidarité 4/2015 était «travailleuse». Elisabet Kocara, de Starrkirch-Will, a gagné un bol en terre cuite, Margue-rite Planche de Sion un cruchon en terre cuite et Graciela Mondillo de Genève un paquet de café équitable du Nicaragua. Nous remercions toutes celles et tous ceux qui ont participé au concours.

Népal: 1000 maisons pour les victimes du séisme Les petits paysans du district de Sindhu-palchok ont été particulièrement tou-chés par le tremblement de terre qui, il y a dix mois, a enseveli d’innombrables personnes, maisons et animaux. Solidar a immédiatement réagi en apportant une aide d’urgence. Là où se dressaient des maisons de pierre et des étables, des bâches et des tôles ondulées servent dé-sormais d’abris de secours temporaires aux habitant-e-s. La reconstruction a tar-dé parce que le gouvernement était oc-cupé à rédiger une nouvelle constitution et que les permis de construire faisaient défaut. Solidar Suisse a présenté une proposition de reconstruction de 1000 logements et de réparation de conduites d’eau potable. Des traverses de stabili-sation en bois et un grenier plus léger

doivent rehausser l’ancien standard des maisons. Des fourneaux sans fumée pré-serveront la santé des occupants et des robinets doivent si possible être installés à l’intérieur des logements. La formation d’artisans locaux dans les méthodes de construction antisismique est aussi pré-vue. Les travaux débuteront dès l’appro-bation du projet par le gouvernement. www.solidar.ch/nepal

Nouveau coordinateur Après 26 ans d’activité, Carmen Ayón, responsable de notre bureau de coordina-tion au Nicaragua, a pris sa retraite à la fin 2015 (lire p. 18). Alexander Rayo Martínez de Managua a pris le relais. Economiste de 34 ans, il a acquis dix ans d’expérience de la coopération au développement en collaborant avec diverses organisations locales et internationales. Sa propre expé-rience professionnelle et ses nombreux voyages en font un connaisseur de tout le contexte régional. Nous sommes heureux de l’accueillir dans l’équipe de Solidar.www.solidar.ch/nicaragua

Le 28 février, les citoyennes et les cito-yens suisses voteront sur une interdic-tion de la spéculation sur les denrées alimentaires. Réagissant aux crises ali-mentaires des dernières années, la Jeu-nesse socialiste suisse exige, dans son initiative, de ne plus autoriser la spécula-tion sur les prix des denrées alimentaires. Car ces variations de prix provoquent la faim dans les pays en développement. Pour Catarina Tanga, du Mozambique, cela signifie un repas au lieu de deux par jour: «Je ne peux plus m’en permettre davantage.»Des contrats avec les producteurs ou acheteurs doivent toutefois rester pos-sibles. Dans ces opérations financières,

les acteurs des marchés financiers assu-ment le risque d’éventuelles fluctuations de prix. En échange, les parties concer-nées doivent leur verser une prime. Cette fonction d’assurance a un effet stabilisa-teur sur les prix.

Des opérations aux effets néfastesDepuis la déréglementation du secteur des matières premières dans les années 2000, toujours plus de fonds spéculatifs ont vu qu’ils pouvaient faire de l’argent sur les marchés agricoles et des ma-tières premières. Ils misent uniquement sur des variations des prix à court terme et profitent ainsi de fluctuations extrêmes des prix. Alors que sa part a nettement augmenté durant la dernière décennie, le marché agricole et des matières pre-mières a dans le même temps été en butte à des turbulences de prix aussi fortes que régulières, avec pour consé-quence des crises alimentaires dans plu-sieurs pays en développement.

Les causes de ces fluctua-tions sont multiples. Plusieurs travaux de recherche notent une corrélation entre la spé-culation excessive et la vola-

tilité des prix. Si les avis des scientifiques divergent quant à l’intensité de l’influence de la spéculation sur les prix, la popula-tion des pays en développement n’a cure de ce débat. Car pour elle, des hausses de prix même infimes ont des effets né-

Les pays les plus pauvres pâtissent de la spéculation sur les denrées alimentaires. Cette pratique doit être interdite. Texte: Caspar Zollikofer. Photo: Solidar

ACTUALITÉ 17

fastes: elle doit consacrer jusqu’à 90 % de son revenu à la nourriture. Avant, Germaine Yé, du Burkina Faso, pouvait stocker les principales denrées alimen-taires de base telles que le millet et le maïs. Comme les prix sont partis à la hausse, elle doit faire ses achats au jour le jour. «Ce qui fait que je dois envoyer mes enfants à l’école pour le petit-déjeu-ner. Il n’y a plus qu’un repas chaud par jour.» Rendue furieuse par le niveau des prix, elle a participé à une manifestation, à Diarra, que les forces de l’ordre ont dispersée dans la violence.

Profits pour les uns, faim pour les autresA côté du millet et du maïs, le sucre, le riz, l’avoine et le cacao sont négociés à la bourse des produits agricoles et des ma-tières premières. Un organisme de place-ment suisse peut par exemple spéculer sur la hausse du prix du sucre sans avoir de lien quelconque avec les producteurs et les acheteurs. Il n’a aucun intérêt à la stabilité du prix. Impossible de parler d’une fonction d’assurance. Les victimes de ces opérations sont le petit paysannat et les consommateurs des pays en déve-loppement qui sont déjà confrontés aux prix instables induits par les sécheresses. Cette réalité est intolérable. Première plaque tournante du commerce des ma-tières premières, la Suisse doit assumer sa responsabilité. Il n’est pas acceptable que la spéculation sur les denrées ali-mentaires intensifie les fluctuations de prix et plonge des gens dans la pauvreté tandis que des spéculateurs s’en mettent plein les poches.

«Je n’apprête un repas chaud plus qu’une fois par jour.»

Germaine Yé, du Burkina Faso, souffre des fluctuations de prix

des denrées alimentaires de base.

Caspar Zollikofer travaille au secteur communication de Solidar Suisse.

Défendez les plus démunis le 28 février et votez oui à l’interdiction de la spécu-lation sur les denrées alimentaires.

VOTEZ OUI

NOURRITURE: NESPÉCULONS PAS

UNE VIE POUR LA JUSTICEAprès avoir exercé vingt-six ans durant la fonction de coordinatrice de Solidar au Nicaragua, Carmen Ayón a pris sa retraite à la fin de l’année dernière. Merci pour le magnifique travail accompli! Texte: Katja Schurter. Photo: Frederic Meyer

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UNE VIE POUR LA JUSTICE

Carmen Ayón a vécu tous les grands évé-nements qui ont secoué le Nicaragua au cours des quarante dernières années: le tremblement de terre de Managua, la révo-lution sandiniste, la guerre des «contras», l’ouragan Mitch. «Ils ont marqué ma vie et j’en ai tiré beaucoup d’enseignements: par exemple, que seule la vie compte et non pas les aspects matériels. Que la haine qui sert de prétexte aux guerres est encouragée par les puissants pour semer des conflits parmi les pauvres. Mais fina-lement ce sont ces derniers qui souffrent des conséquences.»

Pour les femmes et les plus démunisLorsque cette économiste de formation a débuté ses activités en 1989 auprès de Solidar Suisse — l’Œuvre suisse d’en-

traide ouvrière (OSEO) à l’époque –, elle voulait investir toute son énergie dans une organisation «œuvrant avec des va-leurs révolutionnaires pour les plus pauv-res et les plus opprimés et s’engageant pour l’égalité entre les femmes et les hommes». Car la guerre civile a laissé un héritage amer: une violence largement répandue contre les femmes, la pauvreté et l’inégalité. Aujourd’hui en revanche, le Nicaragua est un des pays les plus sûrs d’Amérique centrale. «Peut-être parce que les valeurs de l’intégrité et de l’enga-gement ont été transmises à la police lors de la révolution sandiniste», suppose Carmen Ayón. «Dans chaque commune et chaque quartier urbain, la police, les autorités et les organisations sociales collaborent pour empêcher la délinquance et encourager la participation et l’intégra-tion des jeunes.»

Peu d’emplois réguliers Elle considère comme un problème ma-jeur le fait que de nombreux jeunes soient sans emploi et travaillent de ce fait sans sécurité sociale et à leur propre compte. Au Nicaragua, on ne trouve du travail que dans le secteur informel qua-siment, raison pour laquelle les ouvriers sont en position de faiblesse face aux employeurs. Il arrive ainsi que des entreprises congédient simple-ment des travailleuses et des tra-vailleurs quand ils s’organisent. «Et le gouvernement laisse faire, par peur de l’instabilité économique», s’emporte Carmen Ayón. Elle estime né-faste l’alliance du gouvernement avec l’Eglise qui défend des valeurs tradition-nelles, ce qui porte préjudice aux femmes et renforce le machisme. Le Nicaragua interdit totalement l’avortement, même lorsque la vie de la mère est en danger. Et finalement, le pays subit les consé-quences des changements climatiques: sécheresse et mauvaises récoltes me-nacent l’existence des petits paysans. Ils peuvent donc encore moins concurren-cer les produits importés subventionnés. «Et ce sera pire encore en 2016, lors-qu’aux termes de l’accord de libre-échan-

Ecouter et agir: Carmen Ayón prêtait toujours l’oreille aux

demandes des défavorisés – et aidait à y répondre.

PORTRAIT 19

ge ALEAC, le maïs des Etats-Unis arri-vera chez nous en franchise de droits», affirme-t-elle.

L’organisation fait la force Sous sa houlette, Solidar s’est attaqué aux problèmes évoqués, avec le soutien du syndicat des travailleurs à compte propre, les réseaux luttant contre la vio-lence et pour les droits des femmes ou encore avec des coopératives de petits paysans. Avec succès: par exemple, une coopérative caféière soutenue par Solidar a été la première organisation paysanne du Nicaragua à exporter du café équitable directement à l’étranger. Aujourd’hui, elle s’est alliée à d’autres coopératives et fait figure d’un des plus gros exportateurs de café du pays. «Ce qui est unique avec Solidar, c’est l’appui octroyé aux per-sonnes qui s’organisent. Car ce n’est que lorsqu’elles s’unissent que des dépen-dances s’estompent.» Pour Carmen Ayón, parvenir à changer la vie de nombreuses personnes a été l’aspect le plus positif de son travail. «L’investissement dans l’édu-cation des jeunes, des paysans et des femmes a le plus grand effet. Lorsqu’ils accèdent au crédit et aux droits de pro-priété, ils appliquent les nouvelles techno-

logies, diversifient leur production et dé-gagent de meilleurs rendements», conclut-elle. «Car le commerce équitable à lui seul ne suffit pas pour en finir avec la pauvreté dans le pays. Il faut que les femmes soient confortées dans leur estime propre.»Difficile d’imaginer que notre coordina-trice dynamique parte désormais à la retraite. Mais Carmen Ayón a ses plans pour cette nouvelle vie. Elle veut enfin faire ce pour quoi elle n’a jamais trouvé le temps: voyager, lire, être avec sa famille. «Et je continuerai de rêver à monde vrai-ment démocratique, dans lequel les dis-criminés ont accès aux ressources!»

Le commerce équitable ne suffit pas, les femmes doivent être confortées dans leur propre estime.

STOP À LA SPÉCULATION SUR LES ALIMENTSIl est intolérable que la spéculation sur les denrées alimentaires fasse basculer

des hommes et des femmes des pays en développement dans la pauvreté alors

que les spéculateurs s’en mettent plein les poches (lire l’article en page 17).

A vous de jouer: le 28 février, dites oui à l’initiative

«Pas de spéculation sur les denrées alimentaires»!