Soigner l’Esprit, guérir la Terre

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104 Bonnes feuilles LE CERCLE PSY | 18 | SEPTEMBRE/OCTOBRE/NOVEMBRE 2015 3. VERDISSEMENT DE L’IDENTITÉ La tradition psychologique n’est pas étrangère à l’aliénation de l’être humain par rapport à la nature. Elle y a notam- ment contribué par une conception étri- quée du moi, dans laquelle Bateson voit l’erreur épistémologique de la civilisation occidentale. L’enjeu consiste donc, esti- ment les écopsychologues, à sortir de cette « réification erronée du moi qui est à la base de la crise écologique planétaire dans laquelle nous nous trouvons ». Il s’agit de refonder la conception de la psyché dans une perspective holistique et non dualiste – à partir de l’histoire de l’évolu- tion et d’une vision globale de la bios- phère. Si l’être humain se situe dans un continuum avec les autres êtres de la toile de la vie, en particulier les animaux, il convient maintenant d’effectuer un pas de plus en explorant la profondeur intérieure de cette unité : non seulement l’être hu- main est partie intégrante de la nature, mais la nature est partie intégrante de son être. Cela, dans ses dimensions corpo- relles et psychiques, conscientes et inconscientes. L’illusion de la séparation Dans cette démarche, Hillman définit ainsi la première question à se poser : « Où le “moi” commence-t-il ? Où s’arrête-t-il ? Où commence l’“autre” ? » Pour une bonne part de son histoire, dans le sillage de Freud, la psychologie a défini cette fron- tière par l’épiderme : le moi et la psyché se trouvent à l’intérieur de l’enveloppe de chair. Elle a construit cette démarcation sur le principe d’un sujet intentionnel considéré dans ses fonctionnements in- trapsychiques, ses expériences, ses com- portements et ses relations avec les autres sujets humains, en particulier au sein du couple et de la famille. Les écopsychologues mettent en question cet accent « exagéré sur l’intériorité per- sonnelle » (Hillman) ainsi que les délimi- tations qui en découlent, au détriment du monde naturel. Pour la psychothérapeute intégrative Margaret Kerr et le guide dans la nature sauvage David Key, « si nous en- tendons répondre à l’étendue, l’échelle et la vitesse du changement social nécessaire pour vivre de manière soutenable, il est vital de questionner la notion de moi sépa- ré ». Steven Foster et Meredith Little, fon- dateurs du centre d’écopsychologie The School of Lost Borders, n’hésitent à parler à cet égard de « grand mensonge ». La coupure humaine avec la nature est une illusion, elle est de l’ordre de la perception et du vécu plus que de la réalité ontologique. EXTRAIT DE L’OUVRAGE Soigner l’Esprit, guérir la Terre MICHEL MAXIME EGGER Sociologue et journaliste, Michel Maxime Egger travaille pour le développement durable et des relations Nord-Sud plus équitables. Il a fondé le réseau « Trilogies » qui met en dialogue traditions spirituelles et grandes problématiques de notre temps. Dernier livre paru : La Terre comme soi-même, Labor et Fides, 2012. Il prône une écopsychologie qui tente de reconnecter le psychisme à la nature. DR

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3. VERDISSEMENT DE L’IDENTITÉ

L a tradition psychologique n’est pas étrangère à l’aliénation de l’être humain par rapport à la nature. Elle y a notam-ment contribué par une conception étri-quée du moi, dans laquelle Bateson voit l’erreur épistémologique de la civilisation occidentale. L’enjeu consiste donc, esti-ment les écopsychologues, à sortir de cette « réification erronée du moi qui est à la base de la crise écologique planétaire dans laquelle nous nous trouvons ». Il s’agit de refonder la conception de la psyché

dans une perspective holistique et non dualiste – à partir de l’histoire de l’évolu-tion et d’une vision globale de la bios-phère. Si l’être humain se situe dans un continuum avec les autres êtres de la toile de la vie, en particulier les animaux, il convient maintenant d’effectuer un pas de plus en explorant la profondeur intérieure de cette unité : non seulement l’être hu-main est partie intégrante de la nature, mais la nature est partie intégrante de son être. Cela, dans ses dimensions corpo-relles et ps ychiques, conscientes et inconscientes.

L’illusion de la séparationDans cette démarche, Hillman définit

ainsi la première question à se poser : « Où le “moi” commence-t-il ? Où s’arrête-t-il ? Où commence l’“autre” ? » Pour une bonne part de son histoire, dans le sillage de Freud, la psychologie a défini cette fron-tière par l’épiderme : le moi et la psyché se trouvent à l’intérieur de l’enveloppe de chair. Elle a construit cette démarcation sur le principe d’un sujet intentionnel considéré dans ses fonctionnements in-trapsychiques, ses expériences, ses com-por tements et ses relations avec les autres sujets humains, en particulier au sein du couple et de la famille.Les écopsychologues mettent en question cet accent « exagéré sur l’ intériorité per-sonnelle » (Hillman) ainsi que les délimi-tations qui en découlent, au détriment du monde naturel. Pour la psychothérapeute intégrative Margaret Kerr et le guide dans la nature sauvage David Key, « si nous en-tendons répondre à l’ étendue, l’ échelle et la vitesse du changement social nécessaire pour vivre de manière soutenable, il est vital de questionner la notion de moi sépa-ré ». Steven Foster et Meredith Little, fon-dateurs du centre d’écopsychologie The School of Lost Borders, n’hésitent à parler à cet égard de « grand mensonge ».La coupure humaine avec la nature est une illusion, elle est de l’ordre de la perception et du vécu plus que de la réalité ontologique.

EXTRAIT DE L’OUVRAGE

Soigner l’Esprit, guérir la Terre

MICHEL MAXIME EGGER Sociologue et journaliste, Michel Maxime Egger travaille pour le développement durable et des relations Nord-Sud plus équitables. Il a fondé le réseau « Trilogies » qui met en dialogue traditions spirituelles et grandes problématiques de notre temps. Dernier livre paru : La Terre comme soi-même, Labor et Fides, 2012. Il prône une écopsychologie qui tente de reconnecter le psychisme à la nature. D

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Autrement dit, il y a une différence entre ce que nous sommes dans notre être et notre manière de nous incarner. Nous nous percevons comme séparés du monde « autre qu’ humain », parce que nous igno-rons l’essence de notre psyché. Celle-ci ne peut être séparée de la nature. Notre lien à la nature est intrinsèque à notre être. Il peut être ignoré, il ne peut être perdu. Il existe indépendamment de nous, comme une part secrète et indemne de notre être. William James, le père de la psychologie américaine, exprime en ces termes cette unité fondatrice entre la personne et la biosphère :Une conclusion émerge de mon expé-rience : nous sommes, avec nos vies, comme des îles dans la mer ou des arbres dans la forêt. […] Les arbres mêlent leurs racines dans les profondeurs obscures de la terre comme les îles tiennent ensemble via le fond de l’océan. Il y a ainsi un conti-nuum de conscience cosmique contre le-quel notre individualité construit des bar-r ières for t uites, et da n s lequel nos multiples esprits plongent comme dans une mère maternelle ou un réservoir.Pour les écopsychologues, notre sépara-tion avec la nature et la crise écologique qui en résulte ne sont donc autres que le fruit d’un « déni de connexion » : une com-préhension aberrante qui a « nourri une

distance perceptive et éthique, laquelle a légitimité et établi de manière normative une dissociation psychologique profonde ». D’où le concept, développé par la théolo-gienne féministe Catherine Keller, de « moi séparant » (separative self), par oppo-sition à un « moi séparé » (separate self). Une manière de souligner que la sépara-tion en question n’est pas « un état fonda-mental de l’être », mais un sentiment sub-jectif, une intention et manifestation de l ’ego dans sa volonté de contrôler le monde extérieur ou de s’en protéger. […]

Un moi écologique

Au moi égocentré, séparant et individuel qui a conditionné la culture dominante de l’Occident pendant des siècles, les écopsy-chologues substituent un « moi écolo-gique », écocentré, reliant et transperson-nel. Ils empruntent ce concept à Arne Naess, pionnier de l’écologie profonde. Le « moi écologique » définit un processus d’individuation à travers lequel la per-sonne s’autoréalise en dépassant les li-mites de l’ego individuel, au-delà de la fa-mille et de la communauté humaine, en intégrant de manière croissante les êtres de la biosphère dont il dépend. Cette no-tion permet d’allier notre sens psycholo-gique de qui nous sommes avec la réalité

biologique de ce que nous sommes. Naess nomme « ontologie de gestalt » la partici-pation de l’être à la toile de la vie. Elle re-pose sur la conscience que la personne a de son interdépendance non seulement avec les autres (humains), mais avec tous les êtres vivants.En s’étendant spatialement à toute la terre, le « moi écologique » élargit aussi son cadre temporel. Comme l’affirme Macy en prolongement de Jung, il intègre toute l’histoire de la planète dont il est issu : « La vie qui coule à travers nous, injec-tant du sang à travers notre cœur et de l’air à travers nos poumons, n’a pas commencé à notre naissance ou notre conception. » À l’instar de chaque atome de notre corps, elle remonte aux temps immémoriaux des origines et aux premières étoiles.[Le verdissement du moi constitue] le dé-veloppement le plus fascinant et porteur d’espoir de notre temps. […] Il nous aide ainsi à réhabiter le temps et notre propre histoire en tant que vie sur la Terre. […] Sous les couches extérieures de notre né-ocortex et de ce que nous avons appris à l’école, cette histoire est en nous – l’his-toire d’une parenté profonde avec toute la vie, nous donnant des forces que nous n’aurions jamais imaginées. Lorsque nous percevons cette histoire comme le sens le plus intime de qui nous sommes, une joie

« Notre lien à la nature est intrinsèque à notre être. Il peut être ignoré, il ne peut être perdu. Il existe indépendamment de nous, comme une part secrète et indemne de notre être. »

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surgit qui va nous aider à survivre. Les écopsychologues estiment que, pour ac-complir en plénitude son individuation, l ’être humain doit intégrer toutes les autres créatures – humaines et non hu-maines. Cela suppose d’entrer dans une co-participation avec la terre, où l’autre est reconnu comme partie de soi. Il est im-portant de voir cette intégration dans une dynamique de réciprocité, c’est-à-dire, ainsi que le précise Robertson, pas seule-ment comme une action de l’être humain vers la nature, mais aussi comme un mou-vement de la nature vers nous :L’oiseau qui chante de l’autre côté de ma fenêtre demande à être entendu. […] Le monde nous sent pendant que nous le sen-tons. Il n’est pas un récipiendaire passif de notre attention, mais un partenaire pro-fondément réciproque. Nous participons à une histoire que nous racontons et qui est racontée à travers nous.Dans cette dynamique de réciprocité, la séparation entre l’intérieur et l’extérieur s’estompe : le « je » devient « nous ». D’où selon Bradshaw, la différence entre la vie et la survie. Alors que l’effort pour survivre confine les motivations dans les limites de la cellule individuelle et so-ciale, le choix de vivre participe d’une célébration du lien et de la relation. Il procède d’une énergie et d’un mouve-ment plus grands qui naissent de l’es-pace « entre » et traversent le corps et l’esprit de la personne et du groupe. […]

Le lieu de l’amour

Plusieurs écopsychologues mettent en gardent : la volonté de dépasser le dua-lisme et d’affirmer notre unité avec la na-ture ne doit pas nous faire tomber dans le piège d’un monisme ontologique statique, o ù l ’u n i o n d e v i e n d r a i t f u s i o n e t

confusion. L’individu est un « holon », c’est-à-dire à la fois un tout particulier – avec des qualités spéciales et des expé-riences à honorer – et la partie d’un tout social et cosmique. Tout l’art est de trou-ver et garder le juste équilibre entre ces deux pôles. Un accent exagéré sur l’éman-cipation et l’épanouissement du moi indi-viduel, glorifié dans son autonomie, risque d’aboutir à une séparation avec le monde, le fermant par là-même à des nour r it ures essent ielles à sa v ie et croissance.À l ’inverse, ne voir le moi que comme partie d’un ensemble peut conduire, à l ’instar de la goutte d’eau qui se fond dans l’océan, à une régression dans l’in-division de soi et de l’environnement glo-bal. Une relation vivante et réciproque avec les autres – humains et non hu-mains – n’est possible que dans le res-pect de notre unicité, de leur altérité et de notre co-appartenance à la toile de la vie.Le « moi écologique » doit donc être ap-préhendé moins comme une monade fu-sionnant de manière indistincte l ’hu-main et la nature, que comme une entité spatio-temporelle qui se déploie dans une matrice animée de processus rela-tionnels complexes. L’ontologie doit être rééquilibrée par la relation. La psyché humaine et la nature n’existent pas en soi, selon une essence éternelle, mais en interaction et dans un devenir. Elles ne sont pas des entités achevées et sta-tiques, mais des flux en mouvement, tis-sés de dépendance et de liberté, d’union et de différenciation. Celle-ci n’est pas synonyme de séparation, mais une ma-nière d’être relié dans une unité sans confusion. Pour Roszak, l’expression plé-n ièr e d ’u ne te l le r e lat ion s’app e l le l’amour ou la compassion.

4. INCONSCIENT ÉCOLOGIQUE

Les écopsychologues ne font pas que s’emparer de la notion de « moi écolo-gique » chère à l’écologie profonde. Ils lui ajoutent l’inconscient. Une dimension qui l’enracine dans les niveaux les plus pro-fonds de la psyché, brouille encore plus les délimitations entre l’être humain et la nature, et complexifie leurs relations. Notre identité, en partie indiscernable, est plus et autre que ce que nous croyons être. Elle a une partie de ses racines au-delà de notre conscience, plantées dans des territoires très lointains dans le temps et l’espace. Nos modes de penser, sentir et percevoir ont des fondements autres que rationnels. L’inconscient est en cela le matériau premier de la civilisa-tion, une force centrale de et en l’humain. C’est à travers lui aussi que la personne se relie à sa culture et à la nature, dans la construction de son identité et de son rapport à la Terre. […]Un élément clé pour l’écopsychologie est la manière dont Jung conçoit les racines les plus profondes de la psyché humaine. D’une part, elles comprennent la dimen-sion instinctive et animale de l’être hu-main. Celle-ci renvoie à notre expérience pré-humaine et s’ancre dans l’interaction avec l ’autre au-delà de notre espèce. « L’ âme primitive de l’ homme confine à la vie de l’ âme animale, de même que les grottes des temps primitifs furent le plus souvent habitées par des animaux, avant que les hommes ne s’en emparassent pour eux-mêmes. » […]D’autre part, la couche préhistorique de la psyché renvoie également à la terre dont nous sommes issus et dont nous avons gardé une mémoire. « Au point de vue phylogénétique comme au point de vue

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ontogénétique, nous sommes issus du sein étroit de la terre ». Il y a donc une dimen-sion plus large de la psyché que celle de la personne ou du collectif humain. Exploré jusqu’au bout, l ’ inconscient collectif ouvre sur le cosmique. […]

L’inconscient écologique de Roszak

Soucieux de nous donner des raisons nou velles de nou s réjouir de la v ie, Roszak va reprendre ces intuitions de Jung pour élaborer la notion d’« incons-cient écologique ». Il le définit comme « la mémoire vivante de l ’ évolution cos-mique » au cœur de la psyché. Il recouvre le monde naturel et matériel, organique et inorganique. Il nous connecte non s eu le me nt au x s t r at e s le s plu s a r -chaïques de notre être, mais aussi à la terre, à la faune et à la flore, aux mon-tagnes et aux rivières :Il abrite, à son niveau le plus profond, l’in-telligence écologique sédimentée de notre espèce. […]La continuation de la vie et la survie de notre espèce n’auraient pas été possibles sans une telle sagesse d’auto-ajustement et de construction de système. […] C’est avec cet inconscient-là que le moi doit s’unir si nous voulons devenir une espèce saine capable des plus grandes aventures évolutionnaires.Selon Roszak, l’existence d’un tel incons-cient écologique n’est pas une spécula-tion intellectuelle. Il suffit, pour s’en convaincre, d ’obser ver comment un petit enfant explore le monde et com-ment il réagit sensoriellement. Le plaisir psycho-corporel qu’il prend à se baigner dans de l ’eau chaude ou à caresser la fourrure d’un animal sont sans doute des réminiscences de l’osmose avec la mère, la manifestation de la nostalgie du

bain amniotique. Mais pas seulement : selon certains écopsychologues, il est aussi la recherche du lien originel avec la Terre-Mère et l’océan, dont il porte la mé-moire jusque dans ses cellules.Un autre signe de cet inconscient est l’at-trait des enfants pour les histoires met-tant en scène des animaux. Celles-ci ne sont pas seulement des allégories des conflits intérieurs de l’être en formation, selon l’analyse classique des contes de fées par Bruno Bettelheim. Elles sont éga-lement l’expression d’une connexion ar-chaïque de l’enfant avec les animaux et

tous les êtres vivants de la terre, le sen-timent instinctif d ’appar tenir à une forme de grande communauté. On com-prend pourquoi l’écopsychologie, à l’ins-tar d’autres thérapies d’ailleurs, consi-d è r e q u e l ’ é t a p e c r u c i a l e d u dé v e lopp e me nt de la p e r s on ne e s t l’enfance.Pour Roszak, « l’ inconscient écologique y est régénéré […] à travers le sens enchanté que le nouveau-né a du monde ». En tant que lien le plus intime entre le moi et la nature, il devient « le matériau de base d’un nouveau principe de réalité ».…

Psychologie rime avec écologieMichel Maxime Egger, Soigner l’Esprit, guérir la Terre, Labor et Fides, 2015, 288 pages, 25 euros..

Pour la première fois dans l’édition francophone, cet ouvrage fait décou-vrir un mouvement important et quasi inconnu en Europe continen-tale : l’écopsychologie. Cristallisée dans les années 1990 en Californie et développée depuis lors essentielle-ment dans le monde anglo-saxon, l’écopsychologie estime que l’écolo-gie et la psychologie ont besoin l’une

de l’autre. Pour ses promoteurs, l’aliénation de l’humanité par rapport à son habitat naturel ne serait pas étrangère aux formes d’addiction à la consommation et aux techniques de masse. Pour s’en préserver, ils inven-tent l’idée féconde d’inconscient écologique à partir de laquelle se profilent des thérapies prometteuses sollicitant l’immersion dans la nature sauvage ou la sollicitation des animaux. Un champ d’intervention important est l’éducation qui doit permettre à l’enfant de se construire une identité per-sonnelle en interrelation non seulement avec la culture et les autres hu-mains, mais avec la nature et le monde du vivant en général.

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CHAPITRE IX, LES PETITES MADELEINES DE NOTRE CULTURE POLITIQUE ?

Le fléchage d’un monde politique complexe

Pour étudier la transmission des informa-tions, les psychologues ont volontiers recours au « jeu du téléphone » : on raconte à une per-sonne une histoire comportant de nombreux détails, et on lui demande de dire à la per-sonne suivante ce qu’elle a entendu. La se-conde transmet à une troisième, la troisième à une quatrième, etc. Environ 70 % des détails de l’histoire sont perdus en cinq à six trans-missions ; le récit se resserre sur l’essentiel.Les petites phrases sont au fond des récits resserrés sur l’essentiel. Comme la madeleine de Proust enferme tout un univers dans une saveur, elles enferment toute une histoire dans quelques mots. Leur force est dans ce contenu implicite. Les plus puissantes d’entre elles ne sont pas les moins anecdotiques à première vue ; si « Souviens-toi du vase de

Soissons » est arrivé jusqu’à nous, c’est que cette formule concise contient bien plus qu’une histoire de vase. Son caractère de récit collectif est d’ailleurs officiel : comme beau-coup de petites phrases très connues, elle a été imposée par les pouvoirs publics à travers les programmes scolaires.« Comprendre le monde est extraordinaire-ment compliqué », notent avec bien d’autres Schank et Abelson. « Il est bien plus facile de trouver une histoire qui ressemble à celle que vous avez sous les yeux. Moins vous avez d’his-toires en mémoire, plus c’est facile. » Selon eux, notre éducation consiste pour une grande part à apprendre des scripts ou scénarios dé-crivant comment agir dans telle ou telle situa-tion, sans devoir y réfléchir à chaque fois. Chacun de nous obéit sans le savoir à un ré-pertoire de scénarios personnels. Et si des si-tuations nouvelles se présentent, nous les ré-solvons par analogie avec nos scénarios existants, nous les interprétons par rapport à ce que nous croyons déjà. En expliquant un événement nouveau, nous ne faisons en

réalité que réécrire un récit existant, stocké dans notre mémoire, en l’adaptant à de nou-velles circonstances. N’est-ce pas précisé-ment la fonction des petites phrases ?Reste bien entendu à retrouver au bon mo-ment le récit pertinent. La récupération des récits, estiment Schank et Abelson, est pos-sible grâce à une « indexation ». « Pour être effi-cace, écrivent-ils, la mémoire doit contenir à la fois des expériences spécifiques (souvenirs) et des étiquettes (index) servant à retrouver les souvenirs des expériences. [...] Ces index peuvent être des lieux, des attitudes, des croyances, des embarras, des décisions, des conclusions ou tout ce qu’on veut. » Dans cette optique, il est tentant de considérer les petites phrases comme des entrées d’index simples permet-tant de localiser des récits complexes. « L’État, c’est moi » amorce le récit d’une monarchie toute puissante, « J’accuse » celui d’une révolte de la société civile face à l’injustice d’État, etc. À moins que le mécanisme ne fonctionne dans l’autre sens : « Bâtissez une croyance, et vous devriez trouver un récit qui en fournit un exemple », proposent Schank et Abelson. Selon eux, notre cerveau indexe les événements non sur les événements eux-mêmes mais sur l’in-terprétation que nous en donnons.Simplifier est en tout cas une impérieuse né-cessité. Comme l’écrit Nassim Nicholas Taleb : « Nous autres, membres de la variété humaine des primates, avons un besoin dévorant de règles parce qu’il nous faut réduire la dimension

EXTRAIT DE L’OUVRAGE

La Petite PhraseD’où vient-elle? Comment se propage-t-elle?

Quelle est sa portée réelle ?

MICHEL LE SÉAC’H, Diplômé de Sciences Po et de SciencesCom, est l’auteur de L’État marketing : comment vendre des hommes et des idées politiques (Alain Moreau, 1981) et de plusieurs autres ouvrages.

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des choses afin qu’elles puissent entrer dans notre crâne. Ou plutôt – malheureusement – afin que nous puissions nous les enfoncer dans le crâne. » La petite phrase est, elle aussi, un moyen de réduire la dimension des choses. Il est plus simple de juger l’œuvre entière de Guizot d’après les deux mots « Enrichissez-vous » qu’en lisant des dizaines de volumes. C’est d’ailleurs plus efficient, puisque les écrits de Guizot ont peu d’importance pratique de nos jours.Ce raisonnement s’applique pareillement aux slogans et aux sobriquets. Simplifier le monde, tel est l’objectif des devises d’Oceania, qui frappent tant les lecteurs du 1984 de George Orwell (« La liberté c’est l’esclavage », etc.) ; de fait, le héros du roman, Winston Smith, se complique beaucoup la vie en ne les acceptant pas pour argent comptant… Les marques commerciales fonctionnent en fait de la même manière. « Grâce à la publicité, le consomma-teur n’a pas d’effort à faire pour se repérer dans la galaxie des marques », observe Daniel Bô. « Les publicités ont la capacité de constituer des mythes immémoriaux qui dépassent la maté-rialité et la fonctionnalité du produit. » L’ab-sence d’effort est un indice capital : comme les petites phrases, les marques visent le Sys-tème 1 du cerveau, ainsi qu’on va le voir.

Les petites phrases comme heuristiques

Comprendre le monde est une chose, mais

qu’en fait-on ? Depuis l’Antiquité, la manière dont on prend des décisions a intrigué les phi-losophes, puis les psychologues et les écono-mistes. Ils opposent d’ordinaire la raison et l’intuition. Cette dernière surtout fait débat. Comment peut-on décider sans savoir pour-quoi et néanmoins tomber juste… ou pas ? On y a vu une inspiration divine, une intervention de la Providence, une association d’idées, etc. Les connaissances en la matière ont beaucoup progressé depuis les années 1970.Deux écoles principales se sont longtemps af-frontées. L’une, derrière Amos Tversky et Da-niel Kahneman, se focalise sur les erreurs des jugements automatiques découlant de l’ap-plication de règles simplificatrices. L’autre, re-présentée par des chercheurs comme le psy-chologue allemand Gerd Gigerenzer ou le spécialiste de la macrocognition Gary Klein, s’intéresse plutôt aux instincts des experts en tout genre : un capitaine de pompiers fait évacuer un bâtiment en feu juste avant qu’il ne s’effondre, un champion d’échecs détecte instantanément un coup qui le mènera à la victoire, une infirmière pressent qu’un enfant est gravement malade… Après maintes escarmouches, les deux camps ont fini par conclure un armistice spectacu-laire. Dans un article commun, l’un des plus fréquemment cités en psychologie, Daniel Kahneman et Gary Klein ont admis que les différences entre leurs théories n’étaient pas si radicales en vérité. L’une, en quelque sorte,

voit le verre à moitié vide, l’autre le voit à moi-tié plein. Mais toutes deux s’accordent sur la définition de l’intuition donnée par le grand économiste et psychologue américain Her-bert Simon : « La situation a fourni un indice ; cet indice a donné à l’expert un accès à une in-formation stockée dans sa mémoire, et cette information fournit la réponse. L’intuition n’est ni plus ni moins qu’une reconnaissance. » Toutes deux se rejoignent aussi à propos d’un aspect capital du fonctionnement du cer-veau : deux processus cognitifs y coexistent. Daniel Kahneman en a fait une présentation détaillée dans Système 1, Système 2, les deux vitesses de la pensée. Le Système 1, écrit-il, « fonctionne automatiquement et rapidement, avec peu ou pas d’effort et aucune sensation de contrôle délibéré ». Le Système 2, en revanche, « accorde de l’attention aux activités mentales contraignantes qui le nécessitent, y compris des calculs complexes ». Kahneman illustre ainsi le fonctionnement du Système 1 :« Voici, dans un ordre de complexité sommaire, quelques exemples des activités automatiques attribuées au Système 1 :- détecter qu’un objet est plus éloigné qu’un autre ;- s’orienter vers la source d’un bruit soudain ;- compléter l’expression “Du pain et…” ».La liste de Kahneman comprend huit autres exemples, mais on aura reconnu dans « Du pain et… » l’amorce d’une petite phrase poli-tique. Le mécanisme fonctionne tout aussi

« Les petites phrases sont au fond des récits resserrés sur l’essentiel. Comme la madeleine de Proust enferme tout un univers dans une saveur, elles enferment toute une histoire dans quelques mots. »

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bien avec « Ralliez-vous à mon… », « Rendez à César ce qui est… » ou « La France ne peut pas accueillir toute… ». Peut-être même est-ce à cela qu’on reconnaît une petite phrase : on la complète spontanément quand on en entend le début – à demi-mot, en somme. Comme le dit Kahneman, « vous ne pouvez pas vous em-pêcher de comprendre des phrases simples dans votre propre langue ». La petite phrase est clairement en rapport avec le Système 1 du cerveau, au fonctionnement automatique et rapide. (Tandis que les citations, elles, ali-mentent le Système 2, celui du raisonnement et des choix conscients.)Or, écrit Kahneman, « la principale fonction du Système 1 est d’entretenir et d’actualiser en permanence un modèle de votre monde per-sonnel, de ce que vous percevez comme normal. Ce modèle est construit par des associations reliant des idées de circonstances, d’événe-ments, d’actions et de résultats qui se pro-duisent avec une certaine régularité, soit simul-tanément, soit dans un intervalle relativement court. Alors que ces liens se forment et se ren-forcent, le schéma des idées associées en vient à représenter la structure des événements de votre vie, et détermine votre interprétation du présent ainsi que ce que vous attendez de l’ave-nir. » Nos petites phrases décrivent en effet les contours d’un monde normal. Elles in-vitent aux associations d’idées et font sou-vent office de métaphores.Face à une question complexe pour laquelle on ne trouve pas rapidement une réponse sa-tisfaisante, le Système 1 procède par approxi-mation : il trouve une question proche et plus facile. Cette question simplifiée est une ques-tion heuristique. Une heuristique, précise Kahneman, est « une procédure simple qui per-met de trouver des réponses adéquates, bien que souvent imparfaites, à des questions diffi-ciles. Le mot a la même racine que l’expression eurêka. » Les heuristiques sont des raccourcis cognitifs. Elles nous permettent en somme de sauter aux conclusions sans passer par la

case réflexion, en appliquant des règles empi-riques. Leur rôle est d’autant plus important que les émotions sont en jeu. « Vos préférences politiques définissent les arguments que vous trouvez convaincants », note Kahneman.Cette conception de la petite phrase telle que pourrait l’expliquer la psychologie contempo-raine était déjà en germe dans la sententia romaine. Les sentences, écrivait Quintilien il y a deux mille ans, « frappent l’esprit, y pé-nètrent d’un seul coup, s’y fixent mieux en rai-son de leur brièveté même et persuadent par le plaisir qu’elles causent ». Il y a de la jubilation dans l’eurêka. De nos jours encore, la plupart des commentateurs opposent spontanément petite phrase et réflexion politique délibérée. « Dans notre culture de petites phrases, il peut être difficile de persuader avec des arguments complexes », écrit par exemple le cogniticien George Lakoff.Même si en théorie la vie politique est le do-maine du Système 2, celui de la réflexion à tête reposée, il ne fait aucun doute que le Sys-tème 1 y tient une grande place. « La quasi-to-talité des termes et concepts que nous em-ployons dans les théories politiques et juridiques sont des heuristiques, ou des méta-phores, plutôt que des aspects observables du monde », affirme même Edward L.Rubin, pro-fesseur de sciences politiques à Vanderbilt University. Et parmi ces « termes et concepts », il faut assurément ranger les petites phrases. Celles-ci « fonctionnent comme des heuris-tiques », des raccourcis intellectuels, confirme Kimberly Meltzer, professeur de communica-tion à Georgetown University. « Et si cela marche, c’est qu’elles activent d’ordinaire des idées ou des formules qui se trouvent déjà dans nos schémas mentaux, ou qu’elles tentent d’en créer de nouvelles. C’est pourquoi le buzz se re-tient si facilement et se crée si aisément : il se rattache à des idées qui sont déjà nôtres. »Ce rôle des petites phrases, récits en réduc-tion, confirme l’importance des récits évo-quée plus haut. Pourquoi aimons-nous

écouter des histoires ? Parce qu’elles nous permettent d’établir des liens entre ce que nous entendons dire et ce que nous connais-sons, et d’inscrire dans notre mémoire des enseignements complexes sous une forme simple. « Nous comprenons les événements par référence à d’autres événements que nous com-prenons déjà », expliquent Schank et Abelson. « Si une heuristique décisionnelle, c’est-à-dire une règle empirique, nous est présentée hors de tout contexte, nous ne sommes pas capables de déterminer la validité de la règle entendue, et nous ne savons pas non plus si nous devons la stocker en mémoire. [...] Le bon professeur ne se contente pas d’expliquer les choses correc-tement, il les explique sous une forme mémo-rable, c’est-à-dire intéressante. » Vous avez dit cheval de Troie ?

Le guidage de l’électeur non rationnelSi les petites phrases politiques sont bien de nature heuristique, à quelles décisions parti-cipent-elles ? Au minimum, à l’adoption d’atti-tudes à l’égard des questions politiques (« ce que vous percevez comme normal », comme écrit Kahneman à propos de la fonction du Système 1). Voter est rarement un acte d’ex-pert. Élire un président de la République consiste à donner une réponse unique à un vaste ensemble de problèmes qu’aucun élec-teur ne peut prétendre maîtriser en entier. Que les petites phrases en soient ou non l’un des instruments, un processus de simplifica-tion cognitive intervient nécessairement.Ce constat intrigue les penseurs depuis les débuts de la démocratie. Les enquêtes d’opi-nion le rappellent régulièrement : la culture politique des citoyens est mince et fragile. Comment, alors, peuvent-ils choisir leurs opi-nions et leurs bulletins de vote ? Différentes théories ont été émises. Les électeurs sont guidés par un attachement affectif à un parti qui leur sert de groupe de référence, estime le politologue Philip Converse ; ils se déter-minent par rapport au degré de dirigisme au-

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quel ils aspirent, affirme l’économiste Antho-ny Downs, etc.À la fin du xxe siècle, les avancées des sciences cognitives renouvellent les réflexions de la science politique. « Bien que leur niveau d’in-formation politique soit minime, les électeurs parviennent à raisonner de manière cohérente à propos de leurs choix politiques grâce à des raccourcis intellectuels – qu’on appelle formel-lement des heuristiques de jugement », écri-vent ainsi Paul Sniderman, Richard Brody et Michael Tetlock dans les années 1990, rejoints par d’autres auteurs comme Michael Delli Carpini. Les électeurs américains sont peu informés, admet ce dernier. Ils sont souvent incapables de dire où se trouve tel pays, ou qui dirige le parti pour lequel ils votent. Mais ils se rappellent leurs préférences politiques grâce à des « raccourcis intellectuels ». Les pe-tites phrases pourraient bien en être l’une des formes.De tels raisonnements fragilisent le modèle idéal de l’électeur rationnel. Certains cher-cheurs s’efforcent de le reformuler ; sans nier les processus inconscients, ils cherchent à les réévaluer. C’est le cas de Samuel Popkin, pour qui les électeurs obéissent à une low-informa-tion rationality (rationalité peu informée), ou « méthode visant à combiner, de manière éco-nomique, l’apprentissage et les informations provenant des expériences passées, de la vie courante, de la presse et des campagnes politiques ».« Depuis Aristote au moins, les observateurs utilisent des métaphores reposant sur le choix ou le commerce pour décrire le vote », rappelle Popkin, qui soutient que l’électeur raisonne avant de voter. Mais ajoute-t-il, « le raisonnement s’appuie sur différents raccour-cis informatifs et sur des règles empiriques que les électeurs utilisent pour obtenir et évaluer leurs informations et pour simplifier le proces-sus du choix entre candidats. Les gens utilisent des raccourcis qui incorporent beaucoup d’in-formations politiques ; ils effectuent des

triangulations et valident leurs opinions par des conversations avec les gens en qui ils ont confiance et en fonction des opinions de per-sonnages nationaux dont les avis et positions leur sont connus. À l’aide de ces raccourcis, ils apprennent à “déchiffrer” les hommes poli-tiques et leurs positions. »« Nous croyons que les électeurs sont bien plus compétents qu’une évaluation de leurs connaissances factuelles ne l’indiquerait », assurent même Popkin et le spécialiste des sondages Michael Dimock. « Les électeurs n’ont pas besoin de toutes les informations sur leur État que théoriciens et réformateurs voudraient qu’ ils détiennent, car ils ap-prennent à utiliser des “raccourcis”, formes d’information faciles à obtenir et à utiliser qui fonctionnent comme des “solutions de repli” pour les types de données plus difficiles à obtenir. Ces raccourcis comprennent les ap-prentissages provenant d’expériences anté-rieures, de la vie quotidienne, de la presse et des campagnes politiques. » Les petites phrases s’inscrivent évidemment dans cette énumération.

Cet optimisme n’est pas nécessairement par-tagé par tous. Face à une situation donnée, la petite phrase qu’on connaît invite au raison-nement par analogie. Or, disent Hofstadter et Sander, il y a des « analogies qui prennent les décisions à notre place, non seulement à notre insu mais à notre corps défendant. En effet, dans certains cas, l’analogie entre deux situa-tions est si flagrante, si irrésistible qu’elle s’im-pose et qu’on se sent forcé de lui obéir. [...] L’ana-logique l’emporte à plate couture sur la logique lorsque la suprématie de l’une ou de l’autre est en question. »L’électeur est à la fois rationnel et intui-tif. La communication politique en tient compte spontanément : elle s’adresse au Système 1 et au Système 2. Si les pro-grammes des par tis sont destinés au Système 2, les petites phrases des can-didats parlent au Système 1. L’avenir des réflexions sur les comportements élec-toraux semble évident : le paradigme des deux vitesses de la pensée devrait leur apporter un éclairage neuf et puissant. …

Fer de lance ou boomerang de la communication politique ?La Petite Phrase. Michel Le Séac’h, Eyrolles, 269 pages, 2015, 19 euros.

« La petite phrase » on en entend parler tous les jours dans les médias, elle oc-cupe incontestablement une place cen-trale dans la communication politique… et pourtant, qui pourrait dire comment

elle naît, comment elle se propage et à quoi elle sert vraiment ? Bien qu’omniprésent, ce phénomène n’a fait, à ce jour, l’objet d’aucune étude systématique. Certes, il existe d’innombrables recueils de citations, mais la petite phrase n’est pas une simple citation : elle vise principalement à marquer les esprits et, surtout, ce n’est pas son auteur qui la fait, c’est son public ! À travers de nombreux exemples contextualisés et analysés, ce livre met au jour les aspects les plus surprenants des petites phrases les plus connues tout en explorant avec un regard résolument neuf leur domaine d’étude.

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Chapitre V Passion mortelle

« Un drame passionnel s’est déroulé ce matin à La Jarrie [...] Une altercation ne tarda pas à s’élever entre les deux amants, à la suite de laquelle Duchâteau tira quatre coups de revolver sur son amie, qui fut at-teinte au visage et au cou. La blessée, tout ensanglantée, put s’enfuir. Le meurtrier poursuivi par les gendarmes a retourné l’arme contre lui. »Le Petit Parisien, 27 décembre 1932

LE FAIT DIVERS PASSIONNEL

Avec l’écrit, canards de petit format ou quo-tidiens nationaux, feuilles illustrées ou complaintes prolixes, « le crime devient un véritable objet de discours public ». Construc-tion journalistique s’installant dans l’abso-lutisme de la presse quotidienne, le crime passionnel peut, selon André Rauch, être daté de 1827, lorsque, dans la petite église de Brangues, Antoine Berthet fit feu sur Jeanne Michoud et Stendhal, narrant les amours de Julien Sorel, sous-titra Le Rouge et le Noir. Chronique du XIXe siècle. Le crime familial et surtout la criminalité passion-nelle occupent une grande place dans l’ima-ginaire populaire. Les « faits divers » se sont longtemps abandonnés à la complaisance, voire à l’apitoiement, envers les meurtriers « sous emprise de l’amour ». Crime de la ja-lousie, crime de l’amour, comme le noir-cissent les articles, la victime était fautive et la presse populaire ne cessa de le ressas-ser pendant plus d’un siècle. Même s’il ne figure pas dans le code pénal, dans la juris-prudence, le crime dit passionnel a long-temps été considéré comme une circons-tance atténuante dans une morale obligeant les femmes à rester à leur place, au foyer, discrètes, soumises et affectueuses, devant assurer le bonheur conjugal. Un moyen d’échapper à la lourde peine encourue par l e m e u r t r i e r é t a i t d e p l a i d e r l e

crime passionnel, il suffisait de l’éloquence persuasive d’avocats de la défense, voire d’un réquisitoire complaisant du procureur général, pour que la femme, en dérogeant à ses devoirs d’épouse, devienne coupable face à son meurtrier, meurtrier victime de sa passion irrépressible et de la « mauvaise conduite » de son épouse. « Il n’y a pas de faits criminels en eux-mêmes, mais un jugement criminel qui les fonde en désignant à la fois ses objets et ses acteurs ; un discours criminel qui traduit les obsessions d’une société. »« L’homme qui a battu sa femme et qui lui a fait grâce est perdu. » telle est la philosophie de Lerouge évoquant avoir surpris, une nuit, sa femme avec un « méchant gringalet » et l’avoir frappée jusqu’à ce qu’elle ne bouge plus. Ce théâtre sanglant a perduré en dépit des profonds changements qui ont affecté la vie sexuelle et amoureuse ainsi que les rapports sociaux entre hommes et femmes.Depuis une dizaine d’années, le traitement médiatique des homicides de conjoints évo-lue. À l’exception d’une presse à sensation ou d’enquêtes télévisées qui se nourrissent encore de l’imagerie des crimes dits pas-sionnels, l’ensemble des médias relatent les meurtres de partenaires davantage comme des issues ultimes de la violence conjugale que comme des « accidents » de l’amour. L’expression crime conjugal se substitue progressivement à celle de crime passion-nel, sans pour autant affaiblir l’intérêt du lecteur ou de l’auditeur ; la subjugation pour

EXTRAIT DE L’OUVRAGE

Je suis à toi, tu es à moiViolence et passion conjugales

MARYSE JASPAR Maryse Jaspard est sociologue et directrice du rapport Enveff, première enquête nationale sur la violence envers les femmes.

DR

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ce type de crime demeure, quel que soit le mobile invoqué. Si les médias ont quelque peu revu leur vocabulaire, voire leur percep-tion de ce crime, et l’affichent sous l’angle de la violence conjugale, l’analyse d’affaires récentes montre que les avocats recourent encore à des argumentaires surannés pour assurer la défense de leurs clients.

CATALYSEUR DES PEURS

La presse écrite fut jusqu’à une époque ré-cente le principal catalyseur des peurs. L’omniprésence des médias audiovisuels et le relais des réseaux sociaux ont bousculé cette suprématie de l’écrit, tout en s’ap-puyant sur les mêmes recettes de capta-tion de l’audi-teur ou de l’internaute. « Ces récits occupent dans les stratégies commer-ciales des journaux une place très impor-tante, car ils contribuent à faire vendre. » Au travers des récits, témoignages, repor-tages, le but est de captiver le lectorat ou l’auditoire, en suscitant des sentiments contradictoires de frayeur/fascination, face à des passions humaines inacces-sibles, et d’indignation/ compassion, face à des morts violentes. Le fait divers pas-sionnel satisfait les fantasmes de désirs agressifs et violents intriqués dans la vie amoureuse, tout en répondant à une lo-gique des plus commerciales. Parce qu’ils suscitent davantage l’intérêt du public,

seuls les drames à la fois les plus sordides et les plus spectaculaires sont donnés à lire ou à voir. Même si le but de certains médias s’avère purement lucratif, ceux-ci jugulent d’une certaine manière l’effroi suscité dans le public par la cruauté de certaines affaires criminelles, en situant ces crimes dans une jungle impénétrable, et en dési-gnant des boucs émissaires. Quel qu’en soit le motif, cette forme de récit opère une mise à distance par rapport au crime, sans doute indispensable autant pour le main-tien du lien social que pour la survie du média.

STYLE IRONIQUE

La dérision est une forme de mise à dis-tance utilisée par des journalistes en proie à un sentiment compassionnel envahis-sant. Moyen efficace pour combattre la peur, le lecteur se fait complice de procé-dés journalistiques qui peuvent apparaître inconvenants à ceux dénués d’humour, mais qui, de fait, détournent l’anxiété des autres. Certains quotidiens manient sans précautions la métaphore culinaire, d’autres recherchent les formules chocs ; dans tous, les femmes criminelles font particulièrement l’objet de dérision, déri-sion qui frise le mépris : « La meurtrière à la fourchette écope de quinze ans » ; « vingt ans de prison pour la tueuse à la hache »,

« Une croqueuse d’hommes accusée d’avoir fait brûler son riche amant » ; les « empoi-sonneuses » sont particulièrement étique-tées. La métaphore culinaire couvre le spectre du repas, du plat de résistance, « Les pommes de terre étaient empoison-nées », au dessert, « La piste du flan au cho-colat ». Les métiers de bouche permettent des myriades de jeux de mots journalis-tiques : « Le charcutier traiteur avait décou-pé ses deux victimes » ; « Il tue sa femme à coups de hachoir » ; « Un cadavre dépecé dans les sacs-poubelle », le dépeçage du ca-davre, pourtant peu fréquent, est mis en exergue par les journalistes maniant, avec cynisme ou humour noir, le calembour : « Un couple divisé, un corps en morceaux », « Du mensonge à la tronçonneuse ».Longtemps, le quotidien Libération se fit une réputation dans l’ironie grinçante et les formules accrocheuses, à sa suite les quotidiens régionaux s’évertuent à inven-ter des titres dignes de la série noire : « Meurtre en sous-sol », « Le mystère du sac repêché », « Le périple de la malle ensan-glantée », « Le mari était coulé dans le béton ». Les rappels littéraires, « La Passion selon A. t. : 31 coups de couteau », et les clins d’œil cinématographiques abondent : « trop d’ombres dans le film noir du projection-niste », « L’affaire… inspirée de l’inspecteur Colombo », « L’assassin inspiré de Scream », « Comme dans le film Basic Instinct », « comme dans les films d’horreur ».

« Les femmes criminelles font particulièrement l’objet de dérision : ‘‘La meurtrière à la fourchette écope de quinze ans’’, ‘‘ les empoisonneuses’’ sont particulièrement étiquetées. »

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HORREUR ET CATHARSIS

Plus les crimes sont insoutenables, plus ils semblent lointains, voire irréels, et le recours à la dérision n’est pas nécessaire dans les affaires les plus sordides. Par as-sociation d’idées, je pense au choc mais aussi à la sensation d’irréalité ressentie lors de la vision en direct de la destruc-tion des Twin Towers, alors que tels de pe-tits insectes noirs tombaient des corps. Mais entre le choc des images et le poids des mots je ne saurais dire lequel a le plus d’impact sur la perception subjective du crime. D’une certaine manière, les images télévisées ou les photographies bloquent l’imagination, la figeant dans le sang ré-pandu, tandis que la narration, plus ou moins littéraire, active l’imaginaire. Un imaginaire pour voyeur de frayeur et d’angoisse qui doit être mis à distance par des techniques journalistiques appro-priées et ainsi rendu lisible. De même que la vue d’un film d’horreur peut exorciser ses propres frayeurs, par catharsis, « l’as-pect exutoire d’un meurtre quasi rituel, sa-crificiel, permet de gérer la peur, indivi-duelle et sociale, la peur devant une violence réelle ».Scène atroce rencontrée dans une livrai-son de vulgarisation médicale, cette nar-ration, plus sordide que le théâtre ma-c a br e e t le s d r a me s hor r i f ique s du Grand-Guignol, est restée gravée dans ma mémoire : « Spectacle d’horreur... Sur le lit, complètement nue, la belle Suzanne gît, éventrée, le sexe dévoré suivant la plus pure technique d’un roman de Boris Vian. Com-plètement décomposé, Ali se balance entre deux poutres du plafond. Il s’est fait justice. Dans un coin de la pièce, hagard, effrayé, tremblant… mais vivant un pauvre chéru-bin contemple depuis trois jours sa mère étripée et le sombre pierrot pendu. »

Ce dénouement apeurant n’est pas extrait d’une série télévisée détaillant, d’épisode en épisode, les mémoires d’un psycho-pathe, mais celui d’un crime perpétré par un mari jaloux ayant surpris un courrier évoquant la volupté de sa femme dans les bras de son amant. La trame de ce crime commis avant 1950 est en fait atempo-relle et universelle.En 2001, le journal Le Parisien relate la mise à mor t rituelle d ’une femme de trente-trois ans par son concubin, sous l’emprise du crack au moment de la tue-rie. Torturée pendant six heures devant leur fillette de trois ans, cette femme, ma-lade du sida, toxicomane, sera frappée à coups de balai et de fer à repasser, puis ligotée sur une chaise ; le meur trier s’acharnera alors et lui lacérera le visage avec une lame de rasoir jusqu’à ce que mort s’ensuive. Dans cette insoutenable réalité surgit le calvaire d’une enfant dé-laissée. L’horreur qu’inspirent ces crimes odieux produit un effet de catharsis indi-viduel, bien distinct de la peur sociale, peur collective engendrée par la médiati-sation des crimes pédophiles, des viols collectifs, des tueurs en série. « En accen-tuant la mise en spectacle du crime plutôt que sa répression sociale, la presse pour-suit une entreprise de séduction auprès d’un lectorat invité à éprouver des sensa-tions fortes à travers l’évocation de détails macabres et à se frotter à l’universalité supposée des passions humaines. » La poli-tique sécuritaire peine à insérer ce crime privé dans son arsenal répressif, ancré sur la peur de l’autre ; l’autre étant plutôt l’étranger, la bande de jeunes, le fou… Le crime passionnel est longtemps demeuré un drame de l’intime, un drame familial, un échec de la vie sentimentale. En deve-nant crime conjugal, le meur tre d’un conjoint est-il sur le point de devenir un

drame social, le stade ultime de la vio-lence conjugale ?

CHANGEMENT DE STYLE, CHANGEMENT DE SENS

Les études réalisées à partir du dépouille-ment de grands quotidiens nationaux (Le Monde, Le Figaro, Libération) et régionaux (Sud-Ouest, Le Parisien) pour les années al-lant de 1998 à 2007, soit quelque mille cinq cent s ar ticles concer nant cinq cent soixante-dix affaires, montrent un chan-gement de paradigme dans la perception de ce crime. Le traitement journalistique des crimes varie selon le quotidien. Les crimes conjugaux sont suivis principale-ment dans les journaux régionaux, au mo-ment du crime, puis deux ou trois ans plus tard, au moment du procès d’assises. Ainsi, la moitié des affaires sont relatées dans Sud-Ouest, près d’un tiers dans Le Figaro, près d’une sur cinq dans Libération et moins de cinq sur cent dans Le Monde.Les meurtres de conjoints alimentent tou-jours la rubrique faits divers des quoti-diens mais, depuis le début des années 2000, ces crimes sont plus rarement trai-tés sous l’angle de la passion, sauf dans les colonnes de Sud-Ouest qui qualifient en-core quelques crimes de passionnels en 2003-2004. Les mille cinq cents articles se répartissent sur l’ensemble de la période, mais les trois quarts des crimes dits pas-sionnels sont relatés principalement dans les quotidiens régionaux, surtout Sud-Ouest, et avant 2003. Sur l’ensemble de la période, moins de quarante titres d’articles font allusion à la passion comme mobile du crime, « Deux morts dans un drame pas-sionnel », une cinquantaine si l’on inclut la rhétorique amoureuse, « Sylvie et Ludo : de l’amour au meurtre », « Sous le pont d’Iéna

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coule l’amour des amants », « L’amour à mort ». Les amants meurtriers d’un conjoint gênant sont « terribles », « diaboliques », « maudits ».À partir de 2003, en plus du quasi-efface-ment de la passion, on observe globale-ment plus de retenue dans les titres des journaux. Le meurtre de Marie Trintignant n’y est pas étranger. La presse s’est enflam-mée pour cette tragédie qui touchait le monde artistique, des vedettes incontes-tées, presque des icônes. Crime passionnel ou violence conjugale ? La question s’est posée avec acuité, âpreté, sans trouver de réponse consensuelle par la suite. Après ce drame, les journalistes se montrèrent plus prudents, plus réservés.Neutres, descriptifs, la plupart des titres résument les affaires sobrement. Soit ils précisent le mode opératoire : « Élodie tuée par suffocation », « Elle poignarde son mari ivre », « Il tue sa femme à coups de mar-teau », « Un homme tue sa femme et ses deux enfants avant de se pendre », « Battue à mort par son mari ». Soit ils donnent une infor-mation judiciaire : « Un homme a été mis en examen et écroué pour « meurtre aggravé » de sa compagne, mortellement blessée de plusieurs coups de râteau ». Soit les titres évoquent le mobile : « Le mari jaloux tue sa femme », « Morte pour une liste d’amants », « Valérie tuée par un amoureux déçu », « Es-croquerie à l’assurance vie ». Des titres dé-noncent au passage des problèmes so-ciaux : « Alcool, le chômage, la violence ».Dans l’ensemble, la référence aux violences conjugales est clairement énoncée : « En-core une femme tuée lors de violences conju-gales », « Comment le conjoint violent est de-venu meurtrier » ; elle est même explicitée : « Le crime plutôt que la rupture », « Jugé pour le meurtre de sa compagne enceinte », « L’oc-togénaire ne supportait plus les délires de sa femme. Il la tue à coups de marteau ».

RÉSISTANCE DU CRIME PASSIONNEL

Toutefois, les journaux, y compris natio-naux peinent à abandonner la rhétorique de la passion. En 1999, Le Monde s’émeut du sort d’un homme meurtri d’amour « La pas-sion a rongé il y a trois ans la vie de ce petit patron de café-carburants », ce qui l’a amené à tuer sa maîtresse ! Le journal Sud-Ouest donne une place de choix aux affaires pas-sionnelles : un homme « fou amoureux » de-vient meurtrier par jalousie, après deux ans de séparation, il tue le nouveau compagnon de son ex-femme. Pendant son procès, l’as-sassin apparaît « prostré, les mains jointes, la tête penchée en avant et rentrée dans les épaules si basses qu’elles semblent suppor-ter toute la misère du monde ». Jusqu’en 2003, le quotidien régional qualifie de pas-sionnel un grand nombre de meurtres per-pétrés par jalousie, après une séparation, que les victimes soient la femme, son nou-vel amant, ou les deux. Le Monde et Libéra-tion, peu diserts sur les crimes conjugaux, sélec tionnent les meur t res les plus

saillants. En 2001, les arcanes du crime perpétré par le projectionniste sur sa femme enceinte alimentent la rubrique so-ciété des quotidiens nationaux. Le projec-tionniste, devenu chef opérateur, plaide lui-même le crime passionnel, pour excuser son crime « presque parfait » dont Agatha Christie aurait consolidé l’intrigue. Il ne convaincra personne, mais le machiavé-lisme de sa machination captive longtemps les lecteurs.Depuis la fin des années 2000, la dénoncia-tion des violences conjugales faisant consensus, le crime passionnel ne fait plus la une des journaux, les crimes conjugaux y sont présentés pour ce qu’ils sont : des meurtres ou des assassinats perpétrés pour punir l’autre, pour l’anéantir au sens littéral ; tout au plus évoque-t-on la crise de folie. Le nouveau regard porté sur ces crimes représente un progrès dans la re-connaissance des violences conjugales. Le crime passionnel ne joue plus sa fonction journalistique de catalyseur des peurs so-ciales. Plus rare dans les médias, il devient singulier, élitiste, quasiment emblématique de la passion idéalisée. …

La violencede la passionJe suis à toi, tu es à moi. Violence et passion conjugales. Maryse Jaspard, 2015, Éditions Payot & Rivages, 336 pages, 20 euros.

Les chiffres : 400 000 femmes vic-times de violences conjugales décla-rées en deux ans ; tous les deux jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint. L’auteur : so-ciologue, Maryse Jaspard a dirigé le fameux rapport Enveff, première en-quête nationale sur la violence en-vers les femmes. Le livre : un essai « total » sur la violence de la passion et celle de la domination dans le couple. Tout y est : les chiffres, les

comparaisons européennes, les explications psychologiques, sociolo-giques, démographiques, culturelles. Un futur classique.

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Extrait du 2e témoignage« Ta maman ne savait certainement pas qu’elle te faisait du mal, sinon, bien sûr qu’elle ne l’aurait pas fait.L’alcool qu’elle buvait, tu le buvais aussi et on sait maintenant que l’alcool abîme le cerveau des bébés ».Face à ces explications, Emma réagit tout de suite :- « Est-ce que ça veut dire que je suis

gogole ? »- « Non, ne crois pas cela, tu n’es pas moins intelligente que les autres, mais les petites routes de ton cerveau sont moins bien tracées. Et chaque fois qu’ il y a du trafic sur tes routes à toi, tu es obligée de trouver une solution qui n’est pas celle de tout le monde. Cela te donne deux fois plus de travail qu’aux autres c a r i l te fa u t fa b riq u e r te s p ro p re s

chemins de traverse. À force de repasser sur tes sentiers, si tu y repasses souvent, le petit sentier devient un chemin et le chemin devient une route sur laquelle l’ herbe ne repousse plus… J’essayais de trouver un schéma imagé et elle compre-nait très bien ce que je voulais lui dire, se souvient Gabrielle avec émotion ».

Extrait du 3e témoignage« La seconde année au sein du lycée pro-fessionnel a très mal démarré : dès oc-tobre, David a commencé à fuguer.Son professeur principal avait changé, il pensait davantage à l’entreprise qu’au volet artistique. Sa tenue vestimentaire reflétait d’ailleurs son état d’esprit : che-mise, cravate, des petites lunettes cer-clées de métal, pas du tout le genre dé-contracté de son prédécesseur.Très rapidement, il y a eu un clash : début octobre, David a disparu pendant trois jours « chez des potes » à Miramas, des jeunes que j ’aurais préféré qu’ il ne fréquente pas. Simultanément, il a com-mencé à s’ intéresser à la politique et est tombé dans l’extrémisme, hésitant entre le Front national, puissant à Miramas, et l’extrême gauche.Finalement, il a opté pour l ’ex trême gauche et le mouvement punk, s’ ha-billant de vêtements volontairement

EXTRAIT DE L’OUVRAGE

La Tête en désordreL’exposition prénatale à l’alcool

CATHERINE DARTIGUENAVE Médecin de santé publique

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STÉPHANIE TOUTAIN Maître de conférences en socio-démographie (Paris-Descartes) et chercheur au Cermès 3

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déchirés et décorés de chaînes, de clous et de slog a n s punk s : « No Future », « Punk is not dead », « Fuck the police ». Il s’est rasé le crâne et s’est laissé pous-ser une crête. Pour couronner le tout, il s’enfermait dans sa chambre, « décorée » de têtes de morts, de symboles punks et de slogans variés, et mettait la musique à fond… À la maison, le climat était de-venu parfaitement insupportable : des « engueulades » sans arrêt, beaucoup de violences verbales, beaucoup d’agressi-vité vis-à-vis de son père ».

CHAPITRE 5

Ses alcools et spiritueux constituent pour la France un véritable patrimoine e t p a r t i c i p e n t d e s a r i c h e s s e culturelle.Mais il est vrai que la relation à l’alcool a é v olué au f i l de s sièc le s . D’a b or d simple boisson gourmande ou reconsti-tuante, l ’alcool (… avec modération !) est désormais devenu un instrument de socialisation et de fête. Il n’en demeure pas moins source de risques et d’excès, surtout pour certaines tranches de po-p u l a t i o n c o m m e l e s j e u n e s e t l e s femmes en âge de procréer. Un phéno-m è n e d e s o c i é t é m é r i t e a i n s i

d’être souligné : les rites d’alcoolisation collec tive chez les jeunes ou « binge drinking » (selon le baromètre santé de l’INPES, en 2014, 28 % des jeunes filles notamment étudiantes ont connu au moins trois ivresses, et 11 % au moins dix ivresses dans l’année). Ces épisodes d’« alcool défonce » ou de « cuites » in-du isent u n f or t r isque de r elat ion s sexuelles non consenties ou passées inaperçues pour l’intéressée. De même, certaines femmes cadres sont amenées à « consommer », soit en raison du stress pr ofessionnel, soi t pa r inci t at ion à boire au cours de repas d’affaires ; et elles ne sont pas toujours conscientes que quelques verres peuvent suffire à per turber le cer veau très sensible de leur futur bébé (Inserm dans BEH 2013).En témoignent ces posts recueillis tels quels sur le net « Je réponds rarement ( jamais) aux posts mais je voulais juste vous donner mon point de vue car une c h o s e m’a b e a u c o u p a g a c é e q u a n d j’ étais enceinte. J’ai arrêté de boire tout alcool : pas une goutte. Déjà que je ne bois pas grand-chose en temps normal, ça ne m’a posé aucun problème. Mais ce qui m’a vraiment gonflée plus que tout, c ’ e s t l a p r e s s i o n d e s g e n s à table, ‘ ‘ohhhh, allez, un petit fond de verre, ça ne peut pas faire de mal !!!’’ ou

tout ce genre de phrase toute faite. ‘‘Oh t ’e s e n c e i n t e : f a u t q u’o n o u v r e l e champagne’’ ».« Voilà, samedi dernier à une fête, j’avais trop bu. Beaucoup trop bu. Je ne me sou-viens pas de ce qui s’e st passé mais lorsque je me suis levée le lendemain j ’avais des douleurs. J ’ai paniqué. Et lorsque j’ai vu mon amie avec qui j’ étais, elle m’a dit tu ne te souviens pas ? Elle m’a dit que j’avais couché avec des gars et m’a donné les noms, il y avait 6 mecs. Je suis allé voir l’un d’entre eux. On s’est engueulé, il m’a dit que j ’ étais consen-tante et qu’un d’eux avait filmé… Je m’en veux trop, on a l’ impression de voir une pute alors que ce n’est pas du tout ma nature. On était une 60aine dans la mai-son d’un pote et on a dû appeler les pom-piers 2 fois pour des types qui étaient li-mite en coma. Ce n’est pas la première fois que je bois trop et ça m’a déjà fait pareil, les relations sexuelles en moins. Souvent je ne me souviens pas. C’est une chose que je n’aurais pourtant jamais faite à l’ état normal. Je me sens salie. L’autre problème c’est que si ma famille apprend ça je suis morte. Je n’ai que 16 ans. Je ne sais pas quoi faire. Aidez-moi svp. J’attends vos conseils ».« Jaimerais savoir si cé vrai ????jai su que jetais enceinte javais deja 3 mois de fais

« L’alcool, soluble dans le sang du cordon, est tératogène pour le cerveau du futur bébé car il vient perturber la migration neuronale et entraîner des défauts de positionnement des neurones dans le cortex. »

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et la je suis inquiete parce jai bu de lal-cool au debut. je lis à plusieurs places que cé tres dangereux de boire en debut de grossesse .... je suis très inquiète et aimerais savoir si avec les échographies que jai passer a date si le bébé aurais eu une malformation j’aurais su… ».L’historique du syndrome d’alcoolisa-tion fœtale (SAF) et des troubles causés par l ’alcoolisation fœtale (TC A F) il-lu s t r e le dén i e t le s t a b ou s qu i en-tourent les risques liés à l ’alcool : une mise en garde apparaî t déjà dans la Bible lorsqu’un ange, s’adressant à la femme de Manoa enceinte de Samson, la dissuade de boire du vin durant cette attente. Malgré plusieurs alertes de mé-decin s au x X V IIIe e t X I X e siècles en France et en Angleterre, il faut attendre 1968 pour voir publier la description princeps de « l’embryofoetopathie alcoo-lique » par le pédiatre nantais Paul Le-moine… publication qui passe inaperçue jusqu’à celle enfin médiatisée de deux pédiatres américains en 1973.Aujourd’hui, l ’exposition prénatale à l’alcool reste très présente en France et méconnue ou sous-estimée par les mé-decins, malgré le guide 2011 de la Direc-tion générale de la santé et les recom-mandations 2013 de la Haute Autorité de santé. L’alcool, soluble dans le sang du cordon, est tératogène pour le cer-veau du futur bébé car il vient pertur-ber la migration neuronale et entraîner des défauts de positionnement des neu-rones dans le cortex. Il entraîne notam-ment une altération des structures cé-rébrales impliquées dans les processus d’apprentissage et demémorisation.La première expression de ces troubles

n’est le plus souvent pas spectaculaire. Les difficultés de l ’enfant peuvent en effet être assez peu visibles au début, en l’absence de signes physiques : elles deviennent surtout gênantes à l ’école maternelle en raison d ’un compor te-ment hyperactif et plus encore lors des apprentissages scolaires.Voici ce qu’en dit la Haute Autorité de santé (fiche même juin 2013 « Troubles c a u s é s p a r l ’a lc o ol i s a t ion f œ t a le : repérage ») :« Ces troubles forment un continuum al-lant de la forme la plus caractéristique et la plus sévère, le syndrome d’alcooli-sation fœtale, à des formes incomplètes se traduisant par des difficultés dans les apprentissages et/ou un trouble des fa-cultés d’adaptation sociale.Le SAF comporte :• une dysmorphie faciale parfois diffi-cile à mettre en évidence (comprenant des fentes palpébrales raccourcies,un sillon naso-labial lisse, allongé, ef-facé et une lèvre supérieure mince) ;• un retard de croissance non spéci-fique (taille ou poids ou périmètre crâ-nien) prénatal ou postnatal ou les deux• des troubles du développement neu-rologique s’exprimant parfois par un retard mental, plus souvent par des dif-ficultés d’apprentissage (avec troubles de l’attention, de la mémoire, du raison-nement abstrait), des troubles du lan-gage, des troubles du calcul, une défi-cience sensorielle (surtout visuelle), des troubles du comportement, des troubles d e s f a c u l t é s d ’a d a p t a t i o n e t d e s conduites sociales, source de difficultés d’insertion sociale. Les anomalies du système nerveux sont directement liées à l ’e f f e t d e l ’a lc o ol e t le u r s e f f e t s

s’expriment de manière variable avec l ’ âge. L a for me clinique la plus f ré-quente est la for me par tielle qui est responsable de troubles neuro-dévelop-p e m e n t a u x , d ’ é c h e c s c o l a i r e , d e troubles des conduites, de délinquance voire d’incarcération, de consommation de produits à l’adolescence. Savoir penser à des TCAF devant un re-tard de croissance, une microcéphalie, une malformation, un retard psycho-moteur, un trouble des apprentissages, un trouble de l’attention, un trouble du comportement et/ou de l’adaptation so-ciale inexpliqués, même en l’absence de n o t i o n d ’a l c o o l i s a t i o n d u r a n t l a grossesse ».Face à ce problème de santé publique, p o u r t a n t t o t a l e m e n t é v i t a b l e , l e s médecins :- en amont, abordent avec difficulté le s uje t lor s du s u i v i de s f em me s en-ceinte s (2 3 % de f em me s déc la r ent con sommer penda nt leur g rossesse sans pour autant être « alcooliques »)- en aval, ne savent le plus souvent pas l’identifier, c’est-à-dire attribuer à leur véritable cause les troubles d’appren-t i s s a g e e t d e c o m p o r t e m e n t d o n t souffrent les enfants.L’a lcoolisat ion f œ t a le es t pour t a nt considérée par la recherche comme la première cause de handicap mental et d’inadaptation sociale d’origine non gé-nétique chez l’enfant, notamment dans sa for me la plus e x pressi ve, le s y n-drome d’alcoolisation fœtale (SAF : 1 ‰ naissances), mais aussi dans ses formes partielles, les troubles causés par l’al-coolisation fœtale (TCAF : 1 % des nais-sances, soit près de 8 000 nouveau-nés par an).

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Mais si les lésions sont irréversibles, elles ne sont pas irrémédiables Ces troubles neuro-développementaux demeurent ac-tuellement méconnus en France, mal re-pérés et donc non diagnostiqués, alors qu’une éducation scolaire adaptée est possible ainsi qu’une prise en charge au-près d’un neuropédiatre averti et d’une équipe pluridisciplinaire (psychomotri-cité, orthophonie, psychologie), notam-ment dans les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) et les centres médico-psychologiques (CMP).De tels soins permettent une mise en ac-tion des mécanismes de plasticité céré-brale et doivent être prescrits le plus pré-cocement possible.Quelques principes-clés d’éducation sont également à connaître « Dans l’idéal ! avec un enfant porteur de TCAF, il faudrait être patient, n’utiliser que des mots simples, privilégier un cadre calme et tenir compte de son instabilité et de sa fatigue. Donner une seule consigne à la fois, ne pas hésiter à la répéter et à l’aider à s’organiser en progressant par étapes (bloc-notes, plan-ning de tâches, tableau de vie). Plus tard, lui rappeler un rendez-vous la veille par un texto ! Établir des routines, toujours sécu-risantes, tout en l’encourageant à une cer-t a i n e a u t o n o m i e (e n c a d r e m e n t d e soutien).Enfin, l’aider à formuler ce qui ne va pas car il n’a pas toujours les mots pour expri-mer son malaise et peut être tenté de men-tir pour ne pas décevoir ses parents ou son enseignant. Des parents, pensant bien faire, essayent à toute force d’inculquer à leur enfant des connaissances qui dé-passent de loin ses capacités. Celui-ci ne r e n c o n t r e a l o r s q u e l ’ é c h e c , p e r d confiance en lui, et devient agressif ou

opposant. Le professeur devra, de son côté, savoir interpréter le comportement de son élève et ne pas mettre la barre trop haut, afin de lui rendre accessible son en-seignement [...] ».Enfin, le livre développe nombre d’infor-mations relatives à l’accompagnement des parents et de la fratrie, ainsi qu’aux

recours possibles à des organismes en charge du handicap et/ou aux associa-tions mobilisées dans ce domaine : l’as-sociation de professionnels SAF-France et l’association de familles naturelles, adoptives ou d’accueil, d’enfants présen-tant des troubles causés par l’alcoolisa-tion fœtale…

Exposésà l’alcool…avant leur naissanceCatherine Dartiguenave, Stéphanie Toutain, La Tête en désordre, l’exposition prénatale à l’alcool, L’Harmattan, 2014, 240 pages, 25 euros.

Comment accueil l ir un enfant porteur de troubles liés à une al-c o o l i s a t i o n p e n d a n t l a g r o s -sesse ? Quatre familles racontent leur histoire : elles ont dû faire preuve de trésors d’inventivité et ont dû puiser dans leur s res-

sources intérieures tout en recherchant de l’aide, pour relever ce défi.Un dernier chapitre, davantage théorique, s’adresse plus particu-lièrement aux professionnels de l’enfance qui souhaitent approfon-dir leurs connaissances sur le sujet. Destiné à un large public, ce livre apporte aux familles (d’adoption, biologiques ou d’accueil) la reconnaissance de leurs difficultés. Quant aux professionnels du médico-social, de l’enseignement et de la justice, il leur révèle la violence de la vie quotidienne lorsque les troubles liés à l’alcooli-sation fœtale ne sont ni diagnostiqués, ni traités et, a contrario, l’importance du diagnostic et le changement qui s’opère lorsque les bonnes pratiques sont mises en œuvre.