Socius-Le Virage Social Dans Les Etudes Sur La Traducti

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socius : Ressources sur le littéraire et le social Le virage social dans les études sur la traduction : une rupture sur fond de continuité Rainier Grutman Un virage social Un vent sociologique souffle sur les études de la traduction ou, comme on dit dans le milieu, sur la traductologie 3 », d’une rupture révolutionnaire au sens de Kuhn. C’est là un pas que j’hésiterai à franchir. Il me semble plus prudent et en même temps plus juste d’envisager cette évolution sous les espèces d’une sédimentation, de nouvelles couches s’ajoutent aux et composent avec les savoirs déjà acquis, mais sans totalement évacuer ceux-ci. En l’occurrence, le terrain avait été préparé par le « virage culturel » que prirent les études de la traduction il y a une vingtaine d’années, délaissant le domaine de la linguistique (appliquée ou non) auquel elles avaient été peu ou prou confinées depuis leur essor au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En 1990, prenant acte du cultural turn, André Lefevere et Susan Bassnett qualifient de partielle et partiale, de dépassée même, la position du linguiste qui s’occupait traditionnellement de traduction, allant jusqu’à le comparer à l’« intrepid explorer who refuses to take any notice of the trees in the new region he has discovered until he has made sure he has painstakingly arrived at a description of all the plants that grow there 5 » plutôt que comme copie conforme. À l’étude isolée de l’énoncé traduit, on ajoutait l’examen des conditions de son énonciation, ainsi que des normes régissant tant la production que la réception des textes traduits. De leur propre aveu, cette ouverture au cotexte discursif et au contexte historique était tributaire de Michel Foucault et du chercheur israélien Gideon Toury. Si le premier se passe de présentation dans le monde francophone, il n’en va pas de même pour le deuxième, dont les textes ont d’abord paru en hébreu, langue peu accessible, puis dans un anglais que Lefevere et Bassnett disent « somewhat more than hermetic 8 . ». Telle était l’influence de ce modèle qu’entre 1985 et 1995, on n’était pas loin d’y voir une sorte de synecdoque de la traductologie. C’est la situation qu’évoque Edwin Gentzler dans son survol des Contemporary Translation Studies : la théorie du polysystème, dit-il, « became so identified as the theory underlying contemporary 1 / 17 Phoca PDF

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n vent sociologique souffle sur les études de la traduction ou, comme on dit dans le milieu, sur la traductologie3 », d’une rupture révolutionnaire au sens de Kuhn. C’est là un pas que j’hésiterai à franchir.

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Le virage social dans les études sur la traduction : une

rupture sur fond de continuité

Rainier Grutman

Un virage social

Un vent sociologique souffle sur les études de la traduction ou, comme on dit dans le

milieu, sur la traductologie

3

», d’une rupture révolutionnaire au sens de Kuhn. C’est là

un pas que j’hésiterai à franchir. Il me semble plus prudent et en même temps plus

juste d’envisager cette évolution sous les espèces d’une sédimentation, où de

nouvelles couches s’ajoutent aux et composent avec les savoirs déjà acquis, mais sans

totalement évacuer ceux-ci.

En l’occurrence, le terrain avait été préparé par le « virage culturel » que prirent les

études de la traduction il y a une vingtaine d’années, délaissant le domaine de la

linguistique (appliquée ou non) auquel elles avaient été peu ou prou confinées depuis

leur essor au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En 1990, prenant acte du

cultural turn, André Lefevere et Susan Bassnett qualifient de partielle et partiale, de

dépassée même, la position du linguiste qui s’occupait traditionnellement de

traduction, allant jusqu’à le comparer à l’« intrepid explorer who refuses to take any

notice of the trees in the new region he has discovered until he has made sure he has

painstakingly arrived at a description of all the plants that grow there

5

» plutôt que

comme copie conforme. À l’étude isolée de l’énoncé traduit, on ajoutait l’examen des

conditions de son énonciation, ainsi que des normes régissant tant la production que

la réception des textes traduits.

De leur propre aveu, cette ouverture au cotexte discursif et au contexte historique

était tributaire de Michel Foucault et du chercheur israélien Gideon Toury. Si le premier

se passe de présentation dans le monde francophone, il n’en va pas de même pour le

deuxième, dont les textes ont d’abord paru en hébreu, langue peu accessible, puis

dans un anglais que Lefevere et Bassnett disent « somewhat more than hermetic

8

. ».

Telle était l’influence de ce modèle qu’entre 1985 et 1995, on n’était pas loin d’y voir

une sorte de synecdoque de la traductologie. C’est la situation qu’évoque Edwin

Gentzler dans son survol des Contemporary Translation Studies : la théorie du

polysystème, dit-il, « became so identified as the theory underlying contemporary

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translation studies […] that for many the two were indistinguishable

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». C’est aussi

l’avis de Theo Hermans dans Translation in Systems :

« Translation is recognized as a cultural practice interacting with other practices in a

historical continuum. The workings of translation norms, the manipulative nature of

translation and the effects of translation can all be slotted into a broader sociocultural

setting. The study of translation becomes the study of cultural history

13

. »

Au Canada, les premiers ouvrages d’inspiration franchement sociologique parurent à la

fin des années 1980. Dans L’Inscription sociale de la traduction au Québec, Sherry

Simon cite à plusieurs reprises Toury (y compris l’adage controversé selon lequel « A

translation is a fact only for the target system

16

. ». À la même époque, Annie Brisset

reconnaît elle aussi la nature pionnière des travaux menés par les chercheurs de Tel-

Aviv :

« Il aura fallu que des théoriciens de la traduction comme Itamar Even-Zohar et

Gideon Toury s’intéressent à la fonction des œuvres étrangères dans une littérature en

place pour que l’on sorte des impasses et des prescriptions contradictoires où se

figeait la réflexion sur l’acte de traduire

17

. »

Elle considère cependant leurs travaux trop axés sur la traduction littéraire, qui ne

représente en effet qu’une part infime du marché mondial de la traduction, et propose

d’élargir la perspective à d’autres types de discours afin d’étudier les modalités et les

conditions d’insertion du « discours porté par les textes étrangers […] dans le discours

de la société qui les reçoit.

18

». On reconnaît là le débat entre les tenants d’une

intertextualité restreinte, littéraire, et ceux d’une interdiscursivité œcuménique, plus

proche de l’idée que s’en faisait Bakhtine lui-même.

Les termes du débat

Qui dit débat dit néanmoins tentative de dialogue. La volonté d’audire alteram partem

(comme disent les juristes) est précisément ce qui fait défaut dans certains travaux

plus récents sur le sujet. Prompts à endosser les thèses bourdieusiennes (dont il ne

s’agit pas, soulignons-le, de mettre en doute la pertinence), leurs auteurs réfléchissent

moins aux manières de les intégrer aux paradigmes existants et notamment au cadre

polysystémique, dont nous avons vu l’importance pour la prise en compte du

co(n)texte dans les études de la traduction.

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Un premier obstacle à un tel rapprochement est d’ordre matériel : c’est la langue dans

laquelle les idées (n’)ont (pas) circulé. Bourdieu s’est toujours soucié de faire traduire

ses articles pour des revues américaines ; sa gloire est aujourd’hui acquise de ce côté-

ici de l’océan Atlantique

19

. L’inverse n’est pas vrai : la théorie du polysystème,

formulée en anglais certes mais en Israël, a été peu et tardivement – le manuel

d’Oseki-Dépré date de 1999 – diffusée en français. En plus, dans un premier temps,

elle le fut à partir de la Belgique néerlandophone (par José Lambert surtout), de sorte

qu’il n’y a guère eu de dialogue institutionnel avec les francophones qui s’intéressaient

à la littérature comme objet social, toutes tendances confondues (de Claude Duchet à

Edmond Cros et Robert Lafont, de Robert Escarpit à Jacques Dubois, puis à Pierre

Bourdieu). S’ajoute à cela, dans le cas de la traductologie, le caractère encore

fragmenté de cette discipline : avant la création toute récente de doctorats en la

matière, la plupart des chercheurs œuvrant dans le domaine avaient été formés, qui

en linguistique, qui en littérature comparée, qui encore en didactique des langues.

On a également allégué l’incompatibilité d’humeurs, la nature irréconciliable de

modèles trop éloignés sur le plan épistémologique. Tel était l’enjeu du colloque

« Systems and Fields

21

. D’autres sont bien plus sceptiques. Koenraad Geldof croit ainsi

trouver chez Bourdieu un « dement[i] sans equivoque » de tout rapprochement. Voici

le passage qui lui sert d’argument-massue:

« [L]a notion de champ exclut le fonctionnalisme et l’organicisme : les produits d’un

champ donné peuvent être systématiques sans être les produits d’un système et, en

particulier, d’un système caractérisé par des fonctions communes, une cohésion

interne et une autorégulation – autant de postulats de la théorie des systèmes qui

doivent être rejetés. […] La cohérence qui peut être observée dans un état donné du

champ, son apparente orientation vers une fonction unique […] sont le produit du

conflit et de la concurrence, et non d’une sorte d’autodéveloppement immanent de la

structure

22

. »

Sans doute justifiées à l’égard des « vieilles » théories systémiques (telle celle de

Talcott Parsons, qui eut son heure de gloire en sociologie et que Bourdieu égratigne

dans Les Règles de l’art

23

), ces critiques me semblent avoir moins de poids en ce qui

concerne Even-Zohar. Si le chercheur israélien tient tant au terme (assez rébarbatif,

on en conviendra) de polysystème, ce n’est pas par simple « convention

terminologique » : « Its purpose is to make explicit the conception of a system as

dynamic and heterogeneous in opposition to the synchronistic approach » héritée de

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Saussure, dont son modèle se distingue de deux manières importantes :

1) Pour lui non plus, les adjectifs systématique et systémique ne sont pas synonymes :

« in order for a system to function, uniformity need not be postulated ».

2) « Once the historical nature of a system is recognized […], the transformation of

historical objects into a series of uncorrelated a-historical occurrences is prevented

24

».

Vu que le préfixe « poly » souligne l’hétérogénéité inhérente au « système », il faut

concevoir ce dernier en d’autres termes que ceux employés dans l’extrait cité par

Geldof. Chez Even-Zohar, il y a de la place pour des désordres, des

dysfonctionnements, lesquels ne sont un inconvénient que du point de vue d’une

théorie des systèmes statiques, non de celui, dynamique, qui est le sien. Au moins

aussi important que le caractère dynamique d’un polysystème est son hétérogénéité,

résultat direct des forces centrifuges qui le travaillent autant que les forces centripètes

responsables de ce que Bourdieu appelle « son apparente orientation vers une

fonction unique ». Cette diversification interne, Even-Zohar la concevait dès les années

1970 en des termes proches de ceux de la sociolinguistique :

« There is no unstratified language, even if the norms of the system do not allow for an

explicit consideration of other than the high, or canonized, strata. The same holds true

for the structure of society and everything involved in that complex phenomenon

25

. »

Au moment de mettre à jour les Papers in Historical Poetics dont est tirée cette

citation, Even-Zohar a l’impression de se trouver en terrain connu quand il lit Bourdieu,

dont il trouve les recherches « très à propos » ; sa théorie de l’habitus en particulier lui

paraît « une contribution significative

27

. ».

Cette convergence, Even-Zohar n’était pas seul à la percevoir. Repensant l’histoire

littéraire à partir du polysystème, Clément Moisan y « voit […], sous une autre forme,

les champs de Bourdieu

30

. ». S’il n’est bien sûr pas impossible que tous ces gens se

soient trompés, une telle volonté de combiner les deux théories pourrait cependant

aussi être le signe que l’on en a exagéré le caractère mutuellement exclusif (selon la

logique « ou bien/ou bien »).

Refuser le dialogue ou le réduire à une confrontation, c’est permettre à l’un des deux

modèles de simplement supplanter l’autre dans le champ intellectuel (dont on sait,

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grâce à Bourdieu notamment, qu’il n’est pas uniquement structuré en fonction

d’enjeux intellectuels). Or, si l’on veut bien accepter que les sciences humaines et

sociales n’avancent pas par sauts qualitatifs, mais accueillent volontiers les traces de

paradigmes antérieurs, perceptibles comme une sorte de sédimentation, il paraît

profitable de comparer les deux modèles sans pour autant gommer leurs différences

épistémologiques (car il ne saurait être question de faire de Bourdieu un théoricien des

systèmes, ni de transformer Even-Zohar en sociologue).

À bien y regarder, il s’avère que chaque modèle possède une dimension qui fait défaut

dans l’autre. D’une part, une pensée aussi ouvertement sociologique que celle de

Bourdieu vient utilement actualiser ce qui n’est qu’un potentiel social dans la théorie

du polysystème. Si Even-Zohar s’est reconnu dans les travaux de Bourdieu, c’est qu’il

était bien placé pour savoir que sa propre vision des systèmes, appréhendés dans une

perspective plus historique que proprement sociale, n’avait pourtant jamais exclu

cette dernière dimension. D’autre part, l’insistance d’Even-Zohar sur le caractère

fondamentalement hétérogène des systèmes rend son modèle nettement mieux

adapté à l’analyse de configurations interculturelles et plurilingues. Plus même : loin

d’être considérées comme des exceptions qui confirment la règle tacite de

l’unilinguisme, ces configurations sont l’une des raisons d’être du polysystémisme,

dont l’un des principaux objectifs est précisément l’étude d’« interférences » et de

« transferts »

37

. Bref, si une dose de sensibilité sociologique viendrait fort à propos

rehausser la dimension sociale du polysystème, ce dernier serait un bon antidote au

préjugé unilingue du modèle français.

En haine du structuralisme ?

Pour arriver à une telle pollinisation croisée, il faut s’assurer au préalable que les

concepts clef à la base de chaque théorie ne soient pas incompatibles, faute de quoi

tout l’édifice conceptuel risquerait de s’effondrer. Dans l’espace qui reste, j’entamerai

ce travail pour la paire « système/champ ».

Telles que les ont développées Even-Zohar et Bourdieu, les notions de système et de

champ ont plus en commun qu’il n’y paraît. D’abord, elles se caractérisent par leur

nature relationnelle. Aux yeux d’Even-Zohar, la grande vertu de la pensée relationnelle

est d’avoir « fourni aux sciences humaines des outils polyvalents », surtout en leur

permettant d’expliquer « un large et complexe éventail de phénomènes » à l’aide d’un

« ensemble relativement restreint de relations

40

».

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Assez curieusement, et malgré les palinodies

42

» : « en se posant, s’opposant et se

composant, [les agents] lui confèrent sa structure spécifique ». Bourdieu ajoute

aussitôt que « chacun d’eux est déterminé par son appartenance [au] champ », qui le

structure donc au moment même où il vient le structurer : « il doit en effet à la

position particulière qu’il y occupe des propriétés de position irréductibles aux

propriétés intrinsèques ». Chaque agent est en outre doté d’un « poids fonctionnel »,

notion que Bourdieu clarifiera plus loin dans un langage proche de Saussure (dont il

réactive la métaphore) et, quoi qu’il prétende, du structuralisme en général. Qu’on en

juge :

« Si chacune des parties du champ intellectuel dépend de toutes les autres, toutes ne

dépendent pas au même degré de toutes les autres : comme au jeu d’échecs où le

sort de la reine peut dépendre du moindre pion sans que la reine cesse pour autant

d’avoir un pouvoir infiniment plus grand qu’aucune autre pièce, les parties

constitutives du champ intellectuel qui sont placées dans un rapport

d’interdépendance fonctionnelle, sont séparées néanmoins par des différences de

poids fonctionnel et contribuent de façon très inégale à donner au champ intellectuel

sa structure particulière. En effet, la structure dynamique du champ intellectuel n’est

autre chose que le système des interactions entre une pluralité d’instances […]

définies […] dans leur être et dans leur fonction, par leur position dans cette structure,

et par l’autorité […] qu’elles exercent ou prétendent exercer […]

43

. »

Un quart de siècle après cette contribution au numéro spécial des Temps modernes

consacré aux Problèmes du structuralisme, Bourdieu utilise moins souvent le mot

« système » et préfère parler du champ comme d’un « réseau de relations

objectives ». Chaque position n’en est pas moins toujours « définie par sa relation

objective aux autres positions », de telle sorte que « [t]outes les positions dépendent

[…] de leur situation actuelle et potentielle dans la structure du champ

44

».

Bourdieu vitupérant le structuralisme fait un peu penser à Flaubert dégainant contre le

réalisme. Pris de court par le succès de Madame Bovary, ce dernier écrivit à la

« Sylphide » (Edma Roger des Genettes) ces mots restés célèbres : « On me croit épris

du réel, tandis que je l’exècre ; car c’est en haine du réalisme que j’ai entrepris ce

roman

48

.

En plus d’être pensés l’un et l’autre en termes relationnels, selon les modalités que

nous venons de voir, le champ et le système se caractérisent par leur nature

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agonistique, soit, au sens étymologique, de lutte. C’est le deuxième point commun. On

ne saurait assez insister sur l’importance de ce trait pour le champ bourdieusien, qui

prend parfois les allures d’un champ de bataille, voire d’une arène romaine, où les

gladiateurs entrent à leurs risques et périls. Car, en plus d’être « un champ de forces

agissant sur tous ceux qui y entrent », il est aussi « un champ de luttes de

concurrence qui tendent à conserver ou à transformer ce champ de forces. ». Le

« système d’oppositions » qu’y dessinent les prises de position de la part des agents

n’est « pas le résultat d’une forme quelconque d’accord objectif mais le produit et

l’enjeu d’un conflit permanent. Autrement dit, le principe générateur et unificateur de

ce ‘système’ est la lutte même

49

. ».

Comme souvent chez Bourdieu (qui, décidément, ne croyait pas à l’adage marxien

fortiter in re, suaviter in modo), la formulation est aussi musclée qu’est forte la

conviction sous-jacente. Le caractère concurrentiel du champ explique pourquoi, au

détour d’une note, Bourdieu fait litière d’une notion voisine, celle d’institution : « elle

risque de suggérer, par ses connotations durkheimiennes, une image consensuelle

d’un univers très conflictuel » et fait ainsi « disparaître une des propriétés les plus

significatives du champ

51

».

Cependant, comme nous l’avons vu, ces attaques ratent en partie leur cible si elles

visent le polysystème, issu du formalisme russe plutôt que du structuralisme

saussurien. Dès 1927, Tynianov, à la pensée de qui Even-Zohar restera fidèle, affirmait

que le système littéraire « n’est pas une coopération fondée sur l’égalité de tous les

éléments mais […] suppose la mise en avant d’un groupe d’éléments […] et la

déformation des autres

53

. ». Voilà autant d’idées qu’Even-Zohar reprendra à son

compte :

« It is the permanent struggle between the various strata, Tynjanov has suggested,

which constitutes the (dynamic) synchronic state of the system. It is the victory of one

stratum over another which constitutes the change on the diachronic axis. In this

centrifugal vs. centripetal motion, phenomena are driven from the center to the

periphery while, conversely, phenomena may push their way into the center and

occupy it

54

. »

Regardons de plus près ces citations. Chez Tynianov, la « coopération » et « l’égalité »

sont reléguées au second plan par le « combat », ce qui paraît bien traduire le

caractère agonistique du champ. De fait, Bourdieu souligne le progrès que marquent

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les formalistes russes par rapport à Saussure lorsqu’ils reconnaissent que le « système

littéraire […] est le lieu, à chaque moment, de tensions entre écoles littéraires

opposées, canonisées et non canonisées, et se présente comme un équilibre instable

entre tendances opposées

57

.

Loin d’être un facteur rédhibitoire qui rendrait nulle et non avenue l’hypothèse

polysystémique, l’absence de réflexion explicite sur les agents du changement

littéraire montre justement l’intérêt qu’il y aurait à la compléter à l’aide de la théorie

du champ. Une telle démarche me paraît non seulement possible sur le plan

épistémologique, vu la pensée constructiviste qui sous-tend les deux modèles, mais

encore désirable. À l’évidence, l’analyse polysystémique y gagnerait, mais la

sociologie du champ également, dont le caractère opératoire pour l’analyse discursive

des textes est loin de faire l’unanimité, même parmi les convertis

58

. Chercher à

renouveler de la sorte la théorie du polysystème, c’est (pour emprunter une

expression aux politiciens québécois) un « beau risque » qu’il vaut la peine de courir.

Des concepts à la carte ?

Un tel renouvellement n’a évidemment pu qu’être esquissé dans ces pages, dont la

perspective demande à être étendue aux autres notions-clef de Bourdieu et d’Even-

Zohar. Dans l’un et l’autre cas en effet, nous avons affaire à un modèle construit, à un

menu préétabli si l’on veut employer une métaphore. Il n’est pas vraiment possible de

se resservir de tel mets sans goûter à tel autre, comme le permettrait un buffet dans

une réception (ce à quoi ressemblent parfois des œuvres théoriques moins intégrées,

comme celles de Walter Benjamin et surtout de Bakhtine). Ici, loin d’être isolés, les

concepts ont souvent été pensés les uns en fonction des autres ; faisant partie d’une

série sémantique, d’une chaîne cognitive, ils sont également de nature relationnelle,

comme dans le fameux jeu d’échecs. Il est bien sûr impossible de résumer des

modèles aussi complexes en quelques lignes : je m’en tiendrai à une formulation

succincte et surtout parallèle.

Dans l’espace social qu’est le champ de Bourdieu, des agents briguent des positions

d’importance variable en prenant position (dans leurs œuvres, mais aussi dans le

discours qui les accompagne) en fonction de leurs dispositions socialement acquises,

que Bourdieu appelle habitus, récupérant par là un terme de la sociologie

allemande

60

. ». Grâce à leur talent donc mais aussi considérablement (dé)favorisés par

leur habitus, les agents occuperont une série de positions dominantes ou dominées,

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dont la succession dans le temps constitue leur « trajectoire ».

Dans l’ensemble sémiotique qu’est le système d’Even-Zohar, des éléments concrets

ou des modèles plus abstraits (les genres littéraires, p.ex.), soit pris individuellement

soit regroupés dans des « répertoires », occupent également diverses positions. Ils

peuvent tomber en désuétude et de ce fait, migrer du centre vers la périphérie du

système ; ou ils peuvent effectuer le trajet inverse, dans la mesure où l’innovation

qu’ils représentent est de plus en plus reconnue par le centre, au point de devenir une

nouvelle référence qui sera à son tour contestée dans les marges du système.

Habituellement, de telles migrations, qui sont le moteur du changement intra-littéraire,

s’accompagnent de « conversions » ou de « transformations », grâce auxquelles on

attribue de nouvelles fonctions aux éléments formels constitutifs du répertoire

61

.

On voit, j’espère, que malgré des différences réelles – la plus importante étant sans

aucun doute la présence/absence d’agents selon le modèle choisi – la perspective dont

sont tributaires les théories de Bourdieu et d’Even-Zohar, apparues à peu près en

même temps dans le sillage du structuralisme, ne diffère pas du tout au tout. Dans les

disciplines où l’on a accueilli Bourdieu sans jamais avoir entendu parler de la pensée

polysystémique – soit, pour ce qui est de la France, les études littéraires en général et

la sociologie littéraire en particulier – il est concevable de faire l’économie de cette

pensée. Dans le cas précis de la traductologie, en revanche, discipline où le

polysystémisme a (eu) pignon sur rue, il serait naïf de croire que l’on peut simplement

fermer la parenthèse en brûlant les idoles d’hier. Le faire serait introduire une rupture

artificielle entre deux modes de pensée dont l’un se situe en réalité dans le

prolongement de l’autre, puisque le virage social qui marque aujourd’hui les études en

traduction a pris le relais du virage culturel amorcé il y a vingt ans à la faveur des

hypothèses d’Even-Zohar, Toury, Lefevere, Lambert et bien d’autres. Pire encore : en

faisant table rase dans un domaine où jadis, il n’était pas rare de voir la roue

réinventée

62

, les spécialistes de la traduction s’interdiraient de construire leur propre

arsenal conceptuel, de penser leur objet de recherche avec leurs propres outils. Car, à

la différence de la sociologie des champs, que l’on peut certes appliquer à tel ou tel

aspect du phénomène traductif (aux traducteurs en tant qu’agents, notamment), la

théorie du polysystème avait été conçue dès le départ pour le type de configuration

interculturelle dont les traductions sont le produit.

Ce qui manque en somme, c’est une reconnaissance du fait que l’on comprend

toujours l’inconnu à partir du déjà connu, que le nouveau ne peut rompre avec la

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tradition qu’à condition de maintenir aussi une forme de continuité. Ou, pour le dire

avec Bourdieu lui-même :

« La recherche de l’originalité à tout prix, souvent facilitée par l’ignorance, et la fidélité

religieuse à tel ou tel auteur canonique, qui incline à la répétition rituelle, ont en

commun d’interdire ce qui me paraît être la seule attitude possible à l’égard de la

tradition théorique : affirmer inséparablement la continuité et la rupture, par une

systématisation critique d’acquis de toute provenance

63

. »

Université d’Ottawa

Notes :

1. La paternité de ce terme revient au Canadien Brian Harris, pour qui la

traductologie est à la traduction empirique ce que la phonologie est à la

prononciation. Voir Harris (Brian), « What I really Meant by "Translatology" »,

TTR (Traduction-Terminologie-Rédaction), vol. I, n° 2, 1988, pp. 91-92.

2. Heilbron (Johan) et Sapiro (Gisèle), « La traduction littéraire, un objet

sociologique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 144, 2002, pp.

3-7 ; Wolf (Michaela) et Fukari (Alexandra) (dir.), Constructing a Sociology of

Translation, Amsterdam/Philadelphie, Benjamins, 2007. Voir aussi : Pym

(Anthony), Shlesinger (Miriam) et Jettmarová (Zuzana) (dir.),Sociocultural

Aspects of Translating and Interpreting, Amsterdam/Philadelphie, Benjamins,

2006 ; et les contributions de Gambier (Yves) et de Chesterman (Andrew) à

Ferreira Duarte (João), Assis Rosa (Alexandra) et Seruya (Teresa) (dir.),

Translation Studies at the Interface of Disciplines, Amsterdam/Philadelphie,

Benjamins, 2006. En français, on consultera les livres de Gouanvic (Jean-Marc),

Sociologie de la traduction, Arras, Artois presses université, 1999 et Pratique

sociale de la traduction, Arras, Artois presses université, 2007, et Sapiro

(Gisèle) (dir.), Translatio. Le marché de la traduction en France à l'heure de la

mondialisation, Paris, CNRS, 2008.

3. Inghilleri (Moira), « The Sociology of Bourdieu and the Construction of the

"Object" in Translation and Interpreting Studies »,The Translator, vol. XI, n° 2,

2005, p. 125.

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4. Lefevere (André) et Bassnett (Susan), « Proust's Grandmother and the

Thousand and One Nights: the "Cultural Turn" in Translation Studies », dans

Translation, History, Culture, sous la direction d'André Lefevere, Londres/New-

York, Pinter, 1990, p. 4.

5. Selon le titre à la fois évocateur et provocateur choisi par Theo Hermans pour

le collectif The Manipulation of Literature : Studies in Literary Translation,

Londres, Croom Helm, 1985.

6. Lefevere (André) et Bassnett (Susan), op. cit., pp. 5-6.

7. Toury (Gideon), « The Nature and Role of Norms in Literary Translation », dans

Literature and Translation : New Perspectives in Literary Studies, sous la

direction de James S. Holmes, José Lambert et Raymond Van den Broeck,

Louvain, Acco, 1978, pp. 83‑99.

8. Even-Zohar (Itamar), « The Position of Translated Literature within the Literary

Polysystem », dans Literature and Translation : New Perspectives in Literary

Studies, op. cit., pp. 117-127. Sur le concept de polysystème, on lira aussi la

notice publiée dans le lexique Socius : http://ressources-

socius.info/index.php/lexique/21-lexique/48-polysysteme.

9. Gentzler (Edwin), Contemporary Translation Studies, Clevedon/Buffalo,

Multilingual Matters, 2001, p. 103 et plus généralement, pp. 106-144.

10. Larose (Robert), Théories contemporaines de la traduction, Québec, Presses de

l'Université du Québec, 1989, pp. 142, 218 et 289.

11. Oseki-Dépré (Inês), Théories et pratiques de la traduction littéraire, Paris, Colin,

1999, p. 62.

12. Ibid., p. 74.

13. Hermans (Theo), Translation in Systems. Descriptive and Systemic Approaches

Explained, Manchester, St. Jerome, 1999, p. 118 et plus généralement, pp.

102-119.

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14. Toury (Gideon), « A Rationale for Descriptive Translation Studies », dans The

Manipulation of Literature, op. cit., p. 19.

15. Simon (Sherry), L'inscription sociale de la traduction au Québec, Québec, Office

de la langue française, 1989, pp. 13-17.

16. Ibid., p. 24.

17. Brisset (Annie), Sociocritique de la traduction : théâtre et altérité au Québec,

Longueuil, Le Préambule, 1990, p. 24.

18. Ibid., p. 25. Une même ouverture était prônée dès cette époque par Clem

Robyns, qui commente d'ailleurs les travaux de Simon et Brisset dans : Robyns

(Clem), « Towards a Socio-Semiotics of Translation », Romanistische Zeitschrift

für Literaturgeschichte/Cahiers d'histoire des littératures romanes, vol. 1, n° 2,

1992, pp. 211-226.

19. Voir Sallaz (Jeffrey J.) et Zaviska (Jane), « Bourdieu in American Sociology,

1980–2004 », Annual Review of Sociology, vol. XXXIII, 2007, pp. 21–41.

20. Les actes de ce colloque forment un numéro spécial de la Canadian Review of

Comparative Literature/Revue canadienne de littérature comparée, vol. XXIV,

n° I, 1997 (dorénavant : RCLC). En traductologie, la question a été abordée par

Córdoba Serrano (Maria Sierra), « Sociología del campo literario y teoría de los

polisistemas : ¿dos modelos teóricos irreconciliables en estudios de traducción

? », dans La traducción literaria en la época contemporánea, sous la direction

d'Assumpta Camps et Lew Zybatow, Francfort, Lang, 2008, pp. 411-426.

21. Viala (Alain), « Logiques du champ littéraire », Revue canadienne de littérature

comparée, vol. XXIV, n° 1, 1997, pp. 72 et 74.

22. Bourdieu (Pierre), Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Paris, Seuil,

1992, pp. 79-80, cité par Geldof (Koenraad), « Du champ (littéraire).

Ambiguïtés d'une manière de faire sociologique », Revue canadienne de

littérature comparée, vol. XXIV, n° 1, 1997, p. 84.

23. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire,

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Paris, Seuil, 1992, p. 282. La pensée de Parsons fut divulguée en français par le

Québécois Guy Rocher : Rocher (Guy), Introduction à la sociologie générale.

L'Organisation sociale, Paris, Seuil, coll. « Points », 1970 ; Id., Talcott Parsons et

la sociologie américaine, Paris, P.U.F., 1972.

24. Even-Zohar (Itamar), « Polysystem Theory », Poetics Today, vol. XI, n° 1, 1990,

p. 12. Une première version de cet article, parue en 1979 sous le même titre et

dans la même revue (« Polysystem Theory », Poetics Today, vol. I, n° 1-2, pp.

287-310) est mentionnée en note par Bourdieu dans Les Règles de l'art, op. cit.

25. Even-Zohar (Itamar), Papers in Historical Poetics, Tel Aviv, Porter Institute for

Poetics and Semiotics, 1978, p. 42. En ligne à l'adresse suivante URL :

http://www.tau.ac.il/~itamarez/ez_vita/EZ-TOCS-Books.htm#Historical_Poetics.

26. Id., « The Literary System », Poetics Today, vol. XI, n° 1, 1990, pp. 38 et 42.

27. Id., « Introduction », Poetics Today, vol. XI, n° 1, 1990, p. 3.

28. Moisan (Clément), Qu'est-ce que l'histoire littéraire ?, Paris, P.U.F., 1987, p.

206.

29. Oseki-Dépré (Inès), op. cit., pp. 64-66.

30. Iglesias Santos (Montserrat), « La teoría de los polisistemas como desafío a los

estudios literarios », dans Teoría de los polisistemas, sous la direction de Milan

V. Dimic et Montserrat Iglesias Santos, Madrid, Arco, 1999, p. 11. A. Figueroa

part aussi d'Even-Zohar pour arriver à Bourdieu dans : Figueroa (Antón), « La

noción de campo literario y las relaciones literarias internacionales », dans El

texto como encrucijada, sous la direction de Ignacio Iñarrea Las Heras et Maria

Jesús Salinero Cascante, Logroño, Presses de l'Université de la Rioja, 2004, vol.

1, pp. 521-534.

31. Even-Zohar (Itamar), « Polysystem Theory », op. cit., pp. 13 et 25.

32. Voir les études réunies dans Poetics Today, 1990, pp. 97-173, mais aussi un de

ses rares textes à avoir été traduits en français : Even-Zohar (Itamar), « Aperçu

de la littérature israélienne », Liberté, vol. XIV, no 4-5, 1972, pp. 104-120.

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33. Tymoczko (Maria), The Irish Ulysses, Berkeley, University of California Press,

1994.

34. Lambert (José), « L'éternelle question des frontières : littératures nationales et

systèmes littéraires », dans Langue, dialecte, littérature, sous la direction de

Christian Angelet, Louvain, Leuven University Press, 1983, pp. 355-370 ; Berg

(Christian), « La Fin-de-siècle en Belgique comme polysystème », dans

Comparative Literature Now/La littérature comparée à l'heure actuelle, sous la

direction de Milan V. Dimic, Irene Sywenky et Steven Tötösy de Zepetnek,

Paris, Champion, 1999, pp. 271‑281 ; Meylaerts (Reine), L'aventure flamande

de la Revue belge : langues, littératures et cultures dans l'entre-deux-guerres,

Bruxelles/Francfort, PIE/Peter Lang, 2004.

35. Dimic (Milan V.), « Canadian Literatures of Lesser Diffusion : Observations from

a Systemic Standpoint », Revue Canadienne de Littérature Comparée, vol. XVI,

n° 3-4, 1989, pp. 565-574 ; Moisan (Clément), op. cit., pp. 155-232.

36. Voir cependant les pages qu'il consacre au rapport hiérarchique (d'autres

diraient diglossique) entre le béarnais et le français dans Bourdieu (Pierre), Ce

que parler veut dire. L'économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard,

1982, pp. 60-68.

37. En témoigne l'important numéro des Actes de la recherche en sciences

sociales, n° 144, 2002 sur la traduction, puis les longs comptes rendus

critiques que lui ont consacrés Alexandra Fukari (dans TTR, vol. XV, n° 2, 2002,

pp. 253-258) ainsi que Reine Meylaerts et Michael Boyden (dans Target, vol.

XVI, n° 2, 2004, pp. 363-368).

38. Even-Zohar (Itamar), « Factors and Dependencies in Culture: A Revised Outline

for Polysystem Culture Research », Revue Canadienne de Littérature

Comparée, vol. XXIV, n° 1, 1997, p. 15.

39. Saussure (Ferdinand de), Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1979, p.

159.

40. Ibid., pp. 125-126.

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41. Ainsi, dans Les Règles de l'art (op. cit., p. 255), Bourdieu préfère invoquer

Substance et fonction (1910) de Cassirer pour opposer un mode de pensée «

substantialiste », qui considère les réalités « en elles-mêmes et pour elles-

mêmes, au détriment des relations objectives, souvent invisibles, qui les

unissent », et un « mode de pensée relationnel (plutôt que structuraliste), qui

[...] est celui de toute la science moderne et qui a trouvé quelques

applications, avec les formalistes russes notamment, dans l'analyse des

systèmes symboliques ». Dans une version précédente de ces « questions de

méthode », la science moderne comprenait encore des entreprises

d'apparence aussi différente « as those of the Russian formalists – and

particularly Tynjanov – of Lewin or of Elias and also, obviously, those of the

Structuralists, in linguistics as well as in anthropology. » Bourdieu (Pierre), «

The Genesis of the Concepts of Habitus and of Field », Sociocriticism, vol. II,

1985, pp. 16-17. (C'est moi qui souligne dans les deux cas.)

42. Cette citation ainsi que celles qui suivent sont tirées de Bourdieu (Pierre), «

Champ intellectuel et projet créateur », Les temps modernes, vol. XXII, n° 246,

1966, p. 865.

43. Ibid., p. 886. On aura noté la fréquence du mot « système » et sa concurrence

privilégiée avec le mot « champ », collocation tout aussi sensible dans l'article

classique : Bourdieu (Pierre), « Le marché des biens symboliques », L'année

sociologique, vol. XXII, 1971, pp. 49-126. C'est ce qui permet à Alain Viala de

qualifier la démarche de Bourdieu de systémique et d'insister sur le fait que «

champ n'est pas autre ou contradictoire par rapport à système. » op. cit., p.

65).

44. Bourdieu (Pierre), Règles de l'art, op. cit., p. 321.

45. Lettre du 30 octobre 1956 reprise dans Flaubert (Gustave), Préface à la vie

d'écrivain ou Extraits de la correspondance, Paris, Seuil, 1963, p. 185.

46. Zola (Émile), Du roman. Sur Stendhal, Flaubert et les Goncourt, Bruxelles,

Complexe, 1989, pp. 207-208.

47. Ibid., p. 132.

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48. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art, op. cit., pp. 117 et surtout 136-139.

49. Ibid., p. 323.

50. Ibid., p. 321, note 21.

51. Ibid., p. 325.

52. Tynianov (Iouri), « De l'évolution littéraire », dans Théorie de la littérature :

Textes des Formalistes russes, sous la direction de Tzvetan Todorov, Paris,

Seuil, 1965, p. 130.

53. Tynianov (Iouri), cité par Eikhenbaum (Boris), « La théorie de la méthode

formelle », dans Théorie de la littérature : Textes des Formalistes russes, sous

la direction de Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 1965, p. 68. C'est moi qui

souligne.

54. Even-Zohar (Itamar), « Polysystem Theory », op. cit., 1979, p. 293 ; 1990, p.

14.

55. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art, op. cit., pp. 282-283. Il fait allusion à

Chklovski, pour qui « [c]haque époque littéraire contient non pas une, mais

plusieurs écoles littéraires. Elles existent simultanément dans la littérature, et

une d'entre elles prend la tête et se trouve canonisée. Les autres existent

comme non canonisées, en cachette » cité par Eikhenbaum, op. cit., p. 69.

56. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art, op. cit., p. 283.

57. Voir Hermans (Theo) : « Literature and culture in general are described as sites

of conflict, but the stakes remain invisible, and the struggle is waged by

competing norms and models rather than individuals or collectives who stand

to gain or lose something by the outcome. » (op. cit., p. 118).

58. Voir Saint-Jacques (Denis), « Faut-il brûler Les Règles de l'art ? », Discours

social/Social Discourse, vol. VII, n° 3-4, 1995, pp. 169-177 et Geldof

(Koenraad), op. cit., pp. 87-88.

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59. S'il est vrai que le mot lui-même est d'origine scolastique (c'est la traduction

latine de la hexis d'Aristote), son emploi sociologique est nettement plus

récent. Il a été remis en circulation par Norbert Elias dans les années 1930,

discrètement d'abord, dans sa thèse d'habilitation sur La société de cour, puis,

de manière plus appuyée, dans son magnum opus sur le processus de

civilisation, partiellement traduit en français. Voir Elias (Norbert), La

Dynamique de l'Occident, Paris, Calmann-Lévy, 1975, pp. 181-202.

60. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art, op. cit., p. 327.

61. Even-Zohar (Itamar), « Polysystem Theory », op. cit., 1979 ; Id., « System,

Dynamics, and Interference in Culture », Poetics Today, 1990, pp. 89-90. Cette

conception était au demeurant déjà celle de Tynianov (Iouri), « De l'évolution

littéraire », op. cit., p. 136.

62. Rappelons-nous les remarques dures formulées il y a une génération par

George Steiner : « despite this rich history, and despite the calibre of those

who have written about the art and theory of translation, the number of

original, significant ideas in the subject remains very meagre. [...] Over some

two thousand years of argument and precept, the beliefs and disagreements

voiced about the nature of translation have been almost the same. » Steiner

(George), After Babel. Aspects of Language and Translation, Oxford, Oxford

University Press, 1975, pp. 238-239.

63. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art, op. cit., p. 253.

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