Socius-Le Virage Social Dans Les Etudes Sur La Traducti
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socius : Ressources sur le littéraire et le social
Le virage social dans les études sur la traduction : une
rupture sur fond de continuité
Rainier Grutman
Un virage social
Un vent sociologique souffle sur les études de la traduction ou, comme on dit dans le
milieu, sur la traductologie
3
», d’une rupture révolutionnaire au sens de Kuhn. C’est là
un pas que j’hésiterai à franchir. Il me semble plus prudent et en même temps plus
juste d’envisager cette évolution sous les espèces d’une sédimentation, où de
nouvelles couches s’ajoutent aux et composent avec les savoirs déjà acquis, mais sans
totalement évacuer ceux-ci.
En l’occurrence, le terrain avait été préparé par le « virage culturel » que prirent les
études de la traduction il y a une vingtaine d’années, délaissant le domaine de la
linguistique (appliquée ou non) auquel elles avaient été peu ou prou confinées depuis
leur essor au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En 1990, prenant acte du
cultural turn, André Lefevere et Susan Bassnett qualifient de partielle et partiale, de
dépassée même, la position du linguiste qui s’occupait traditionnellement de
traduction, allant jusqu’à le comparer à l’« intrepid explorer who refuses to take any
notice of the trees in the new region he has discovered until he has made sure he has
painstakingly arrived at a description of all the plants that grow there
5
» plutôt que
comme copie conforme. À l’étude isolée de l’énoncé traduit, on ajoutait l’examen des
conditions de son énonciation, ainsi que des normes régissant tant la production que
la réception des textes traduits.
De leur propre aveu, cette ouverture au cotexte discursif et au contexte historique
était tributaire de Michel Foucault et du chercheur israélien Gideon Toury. Si le premier
se passe de présentation dans le monde francophone, il n’en va pas de même pour le
deuxième, dont les textes ont d’abord paru en hébreu, langue peu accessible, puis
dans un anglais que Lefevere et Bassnett disent « somewhat more than hermetic
8
. ».
Telle était l’influence de ce modèle qu’entre 1985 et 1995, on n’était pas loin d’y voir
une sorte de synecdoque de la traductologie. C’est la situation qu’évoque Edwin
Gentzler dans son survol des Contemporary Translation Studies : la théorie du
polysystème, dit-il, « became so identified as the theory underlying contemporary
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translation studies […] that for many the two were indistinguishable
12
». C’est aussi
l’avis de Theo Hermans dans Translation in Systems :
« Translation is recognized as a cultural practice interacting with other practices in a
historical continuum. The workings of translation norms, the manipulative nature of
translation and the effects of translation can all be slotted into a broader sociocultural
setting. The study of translation becomes the study of cultural history
13
. »
Au Canada, les premiers ouvrages d’inspiration franchement sociologique parurent à la
fin des années 1980. Dans L’Inscription sociale de la traduction au Québec, Sherry
Simon cite à plusieurs reprises Toury (y compris l’adage controversé selon lequel « A
translation is a fact only for the target system
16
. ». À la même époque, Annie Brisset
reconnaît elle aussi la nature pionnière des travaux menés par les chercheurs de Tel-
Aviv :
« Il aura fallu que des théoriciens de la traduction comme Itamar Even-Zohar et
Gideon Toury s’intéressent à la fonction des œuvres étrangères dans une littérature en
place pour que l’on sorte des impasses et des prescriptions contradictoires où se
figeait la réflexion sur l’acte de traduire
17
. »
Elle considère cependant leurs travaux trop axés sur la traduction littéraire, qui ne
représente en effet qu’une part infime du marché mondial de la traduction, et propose
d’élargir la perspective à d’autres types de discours afin d’étudier les modalités et les
conditions d’insertion du « discours porté par les textes étrangers […] dans le discours
de la société qui les reçoit.
18
». On reconnaît là le débat entre les tenants d’une
intertextualité restreinte, littéraire, et ceux d’une interdiscursivité œcuménique, plus
proche de l’idée que s’en faisait Bakhtine lui-même.
Les termes du débat
Qui dit débat dit néanmoins tentative de dialogue. La volonté d’audire alteram partem
(comme disent les juristes) est précisément ce qui fait défaut dans certains travaux
plus récents sur le sujet. Prompts à endosser les thèses bourdieusiennes (dont il ne
s’agit pas, soulignons-le, de mettre en doute la pertinence), leurs auteurs réfléchissent
moins aux manières de les intégrer aux paradigmes existants et notamment au cadre
polysystémique, dont nous avons vu l’importance pour la prise en compte du
co(n)texte dans les études de la traduction.
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Un premier obstacle à un tel rapprochement est d’ordre matériel : c’est la langue dans
laquelle les idées (n’)ont (pas) circulé. Bourdieu s’est toujours soucié de faire traduire
ses articles pour des revues américaines ; sa gloire est aujourd’hui acquise de ce côté-
ici de l’océan Atlantique
19
. L’inverse n’est pas vrai : la théorie du polysystème,
formulée en anglais certes mais en Israël, a été peu et tardivement – le manuel
d’Oseki-Dépré date de 1999 – diffusée en français. En plus, dans un premier temps,
elle le fut à partir de la Belgique néerlandophone (par José Lambert surtout), de sorte
qu’il n’y a guère eu de dialogue institutionnel avec les francophones qui s’intéressaient
à la littérature comme objet social, toutes tendances confondues (de Claude Duchet à
Edmond Cros et Robert Lafont, de Robert Escarpit à Jacques Dubois, puis à Pierre
Bourdieu). S’ajoute à cela, dans le cas de la traductologie, le caractère encore
fragmenté de cette discipline : avant la création toute récente de doctorats en la
matière, la plupart des chercheurs œuvrant dans le domaine avaient été formés, qui
en linguistique, qui en littérature comparée, qui encore en didactique des langues.
On a également allégué l’incompatibilité d’humeurs, la nature irréconciliable de
modèles trop éloignés sur le plan épistémologique. Tel était l’enjeu du colloque
« Systems and Fields
21
. D’autres sont bien plus sceptiques. Koenraad Geldof croit ainsi
trouver chez Bourdieu un « dement[i] sans equivoque » de tout rapprochement. Voici
le passage qui lui sert d’argument-massue:
« [L]a notion de champ exclut le fonctionnalisme et l’organicisme : les produits d’un
champ donné peuvent être systématiques sans être les produits d’un système et, en
particulier, d’un système caractérisé par des fonctions communes, une cohésion
interne et une autorégulation – autant de postulats de la théorie des systèmes qui
doivent être rejetés. […] La cohérence qui peut être observée dans un état donné du
champ, son apparente orientation vers une fonction unique […] sont le produit du
conflit et de la concurrence, et non d’une sorte d’autodéveloppement immanent de la
structure
22
. »
Sans doute justifiées à l’égard des « vieilles » théories systémiques (telle celle de
Talcott Parsons, qui eut son heure de gloire en sociologie et que Bourdieu égratigne
dans Les Règles de l’art
23
), ces critiques me semblent avoir moins de poids en ce qui
concerne Even-Zohar. Si le chercheur israélien tient tant au terme (assez rébarbatif,
on en conviendra) de polysystème, ce n’est pas par simple « convention
terminologique » : « Its purpose is to make explicit the conception of a system as
dynamic and heterogeneous in opposition to the synchronistic approach » héritée de
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Saussure, dont son modèle se distingue de deux manières importantes :
1) Pour lui non plus, les adjectifs systématique et systémique ne sont pas synonymes :
« in order for a system to function, uniformity need not be postulated ».
2) « Once the historical nature of a system is recognized […], the transformation of
historical objects into a series of uncorrelated a-historical occurrences is prevented
24
».
Vu que le préfixe « poly » souligne l’hétérogénéité inhérente au « système », il faut
concevoir ce dernier en d’autres termes que ceux employés dans l’extrait cité par
Geldof. Chez Even-Zohar, il y a de la place pour des désordres, des
dysfonctionnements, lesquels ne sont un inconvénient que du point de vue d’une
théorie des systèmes statiques, non de celui, dynamique, qui est le sien. Au moins
aussi important que le caractère dynamique d’un polysystème est son hétérogénéité,
résultat direct des forces centrifuges qui le travaillent autant que les forces centripètes
responsables de ce que Bourdieu appelle « son apparente orientation vers une
fonction unique ». Cette diversification interne, Even-Zohar la concevait dès les années
1970 en des termes proches de ceux de la sociolinguistique :
« There is no unstratified language, even if the norms of the system do not allow for an
explicit consideration of other than the high, or canonized, strata. The same holds true
for the structure of society and everything involved in that complex phenomenon
25
. »
Au moment de mettre à jour les Papers in Historical Poetics dont est tirée cette
citation, Even-Zohar a l’impression de se trouver en terrain connu quand il lit Bourdieu,
dont il trouve les recherches « très à propos » ; sa théorie de l’habitus en particulier lui
paraît « une contribution significative
27
. ».
Cette convergence, Even-Zohar n’était pas seul à la percevoir. Repensant l’histoire
littéraire à partir du polysystème, Clément Moisan y « voit […], sous une autre forme,
les champs de Bourdieu
30
. ». S’il n’est bien sûr pas impossible que tous ces gens se
soient trompés, une telle volonté de combiner les deux théories pourrait cependant
aussi être le signe que l’on en a exagéré le caractère mutuellement exclusif (selon la
logique « ou bien/ou bien »).
Refuser le dialogue ou le réduire à une confrontation, c’est permettre à l’un des deux
modèles de simplement supplanter l’autre dans le champ intellectuel (dont on sait,
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grâce à Bourdieu notamment, qu’il n’est pas uniquement structuré en fonction
d’enjeux intellectuels). Or, si l’on veut bien accepter que les sciences humaines et
sociales n’avancent pas par sauts qualitatifs, mais accueillent volontiers les traces de
paradigmes antérieurs, perceptibles comme une sorte de sédimentation, il paraît
profitable de comparer les deux modèles sans pour autant gommer leurs différences
épistémologiques (car il ne saurait être question de faire de Bourdieu un théoricien des
systèmes, ni de transformer Even-Zohar en sociologue).
À bien y regarder, il s’avère que chaque modèle possède une dimension qui fait défaut
dans l’autre. D’une part, une pensée aussi ouvertement sociologique que celle de
Bourdieu vient utilement actualiser ce qui n’est qu’un potentiel social dans la théorie
du polysystème. Si Even-Zohar s’est reconnu dans les travaux de Bourdieu, c’est qu’il
était bien placé pour savoir que sa propre vision des systèmes, appréhendés dans une
perspective plus historique que proprement sociale, n’avait pourtant jamais exclu
cette dernière dimension. D’autre part, l’insistance d’Even-Zohar sur le caractère
fondamentalement hétérogène des systèmes rend son modèle nettement mieux
adapté à l’analyse de configurations interculturelles et plurilingues. Plus même : loin
d’être considérées comme des exceptions qui confirment la règle tacite de
l’unilinguisme, ces configurations sont l’une des raisons d’être du polysystémisme,
dont l’un des principaux objectifs est précisément l’étude d’« interférences » et de
« transferts »
37
. Bref, si une dose de sensibilité sociologique viendrait fort à propos
rehausser la dimension sociale du polysystème, ce dernier serait un bon antidote au
préjugé unilingue du modèle français.
En haine du structuralisme ?
Pour arriver à une telle pollinisation croisée, il faut s’assurer au préalable que les
concepts clef à la base de chaque théorie ne soient pas incompatibles, faute de quoi
tout l’édifice conceptuel risquerait de s’effondrer. Dans l’espace qui reste, j’entamerai
ce travail pour la paire « système/champ ».
Telles que les ont développées Even-Zohar et Bourdieu, les notions de système et de
champ ont plus en commun qu’il n’y paraît. D’abord, elles se caractérisent par leur
nature relationnelle. Aux yeux d’Even-Zohar, la grande vertu de la pensée relationnelle
est d’avoir « fourni aux sciences humaines des outils polyvalents », surtout en leur
permettant d’expliquer « un large et complexe éventail de phénomènes » à l’aide d’un
« ensemble relativement restreint de relations
40
».
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Assez curieusement, et malgré les palinodies
42
» : « en se posant, s’opposant et se
composant, [les agents] lui confèrent sa structure spécifique ». Bourdieu ajoute
aussitôt que « chacun d’eux est déterminé par son appartenance [au] champ », qui le
structure donc au moment même où il vient le structurer : « il doit en effet à la
position particulière qu’il y occupe des propriétés de position irréductibles aux
propriétés intrinsèques ». Chaque agent est en outre doté d’un « poids fonctionnel »,
notion que Bourdieu clarifiera plus loin dans un langage proche de Saussure (dont il
réactive la métaphore) et, quoi qu’il prétende, du structuralisme en général. Qu’on en
juge :
« Si chacune des parties du champ intellectuel dépend de toutes les autres, toutes ne
dépendent pas au même degré de toutes les autres : comme au jeu d’échecs où le
sort de la reine peut dépendre du moindre pion sans que la reine cesse pour autant
d’avoir un pouvoir infiniment plus grand qu’aucune autre pièce, les parties
constitutives du champ intellectuel qui sont placées dans un rapport
d’interdépendance fonctionnelle, sont séparées néanmoins par des différences de
poids fonctionnel et contribuent de façon très inégale à donner au champ intellectuel
sa structure particulière. En effet, la structure dynamique du champ intellectuel n’est
autre chose que le système des interactions entre une pluralité d’instances […]
définies […] dans leur être et dans leur fonction, par leur position dans cette structure,
et par l’autorité […] qu’elles exercent ou prétendent exercer […]
43
. »
Un quart de siècle après cette contribution au numéro spécial des Temps modernes
consacré aux Problèmes du structuralisme, Bourdieu utilise moins souvent le mot
« système » et préfère parler du champ comme d’un « réseau de relations
objectives ». Chaque position n’en est pas moins toujours « définie par sa relation
objective aux autres positions », de telle sorte que « [t]outes les positions dépendent
[…] de leur situation actuelle et potentielle dans la structure du champ
44
».
Bourdieu vitupérant le structuralisme fait un peu penser à Flaubert dégainant contre le
réalisme. Pris de court par le succès de Madame Bovary, ce dernier écrivit à la
« Sylphide » (Edma Roger des Genettes) ces mots restés célèbres : « On me croit épris
du réel, tandis que je l’exècre ; car c’est en haine du réalisme que j’ai entrepris ce
roman
48
.
En plus d’être pensés l’un et l’autre en termes relationnels, selon les modalités que
nous venons de voir, le champ et le système se caractérisent par leur nature
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agonistique, soit, au sens étymologique, de lutte. C’est le deuxième point commun. On
ne saurait assez insister sur l’importance de ce trait pour le champ bourdieusien, qui
prend parfois les allures d’un champ de bataille, voire d’une arène romaine, où les
gladiateurs entrent à leurs risques et périls. Car, en plus d’être « un champ de forces
agissant sur tous ceux qui y entrent », il est aussi « un champ de luttes de
concurrence qui tendent à conserver ou à transformer ce champ de forces. ». Le
« système d’oppositions » qu’y dessinent les prises de position de la part des agents
n’est « pas le résultat d’une forme quelconque d’accord objectif mais le produit et
l’enjeu d’un conflit permanent. Autrement dit, le principe générateur et unificateur de
ce ‘système’ est la lutte même
49
. ».
Comme souvent chez Bourdieu (qui, décidément, ne croyait pas à l’adage marxien
fortiter in re, suaviter in modo), la formulation est aussi musclée qu’est forte la
conviction sous-jacente. Le caractère concurrentiel du champ explique pourquoi, au
détour d’une note, Bourdieu fait litière d’une notion voisine, celle d’institution : « elle
risque de suggérer, par ses connotations durkheimiennes, une image consensuelle
d’un univers très conflictuel » et fait ainsi « disparaître une des propriétés les plus
significatives du champ
51
».
Cependant, comme nous l’avons vu, ces attaques ratent en partie leur cible si elles
visent le polysystème, issu du formalisme russe plutôt que du structuralisme
saussurien. Dès 1927, Tynianov, à la pensée de qui Even-Zohar restera fidèle, affirmait
que le système littéraire « n’est pas une coopération fondée sur l’égalité de tous les
éléments mais […] suppose la mise en avant d’un groupe d’éléments […] et la
déformation des autres
53
. ». Voilà autant d’idées qu’Even-Zohar reprendra à son
compte :
« It is the permanent struggle between the various strata, Tynjanov has suggested,
which constitutes the (dynamic) synchronic state of the system. It is the victory of one
stratum over another which constitutes the change on the diachronic axis. In this
centrifugal vs. centripetal motion, phenomena are driven from the center to the
periphery while, conversely, phenomena may push their way into the center and
occupy it
54
. »
Regardons de plus près ces citations. Chez Tynianov, la « coopération » et « l’égalité »
sont reléguées au second plan par le « combat », ce qui paraît bien traduire le
caractère agonistique du champ. De fait, Bourdieu souligne le progrès que marquent
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les formalistes russes par rapport à Saussure lorsqu’ils reconnaissent que le « système
littéraire […] est le lieu, à chaque moment, de tensions entre écoles littéraires
opposées, canonisées et non canonisées, et se présente comme un équilibre instable
entre tendances opposées
57
.
Loin d’être un facteur rédhibitoire qui rendrait nulle et non avenue l’hypothèse
polysystémique, l’absence de réflexion explicite sur les agents du changement
littéraire montre justement l’intérêt qu’il y aurait à la compléter à l’aide de la théorie
du champ. Une telle démarche me paraît non seulement possible sur le plan
épistémologique, vu la pensée constructiviste qui sous-tend les deux modèles, mais
encore désirable. À l’évidence, l’analyse polysystémique y gagnerait, mais la
sociologie du champ également, dont le caractère opératoire pour l’analyse discursive
des textes est loin de faire l’unanimité, même parmi les convertis
58
. Chercher à
renouveler de la sorte la théorie du polysystème, c’est (pour emprunter une
expression aux politiciens québécois) un « beau risque » qu’il vaut la peine de courir.
Des concepts à la carte ?
Un tel renouvellement n’a évidemment pu qu’être esquissé dans ces pages, dont la
perspective demande à être étendue aux autres notions-clef de Bourdieu et d’Even-
Zohar. Dans l’un et l’autre cas en effet, nous avons affaire à un modèle construit, à un
menu préétabli si l’on veut employer une métaphore. Il n’est pas vraiment possible de
se resservir de tel mets sans goûter à tel autre, comme le permettrait un buffet dans
une réception (ce à quoi ressemblent parfois des œuvres théoriques moins intégrées,
comme celles de Walter Benjamin et surtout de Bakhtine). Ici, loin d’être isolés, les
concepts ont souvent été pensés les uns en fonction des autres ; faisant partie d’une
série sémantique, d’une chaîne cognitive, ils sont également de nature relationnelle,
comme dans le fameux jeu d’échecs. Il est bien sûr impossible de résumer des
modèles aussi complexes en quelques lignes : je m’en tiendrai à une formulation
succincte et surtout parallèle.
Dans l’espace social qu’est le champ de Bourdieu, des agents briguent des positions
d’importance variable en prenant position (dans leurs œuvres, mais aussi dans le
discours qui les accompagne) en fonction de leurs dispositions socialement acquises,
que Bourdieu appelle habitus, récupérant par là un terme de la sociologie
allemande
60
. ». Grâce à leur talent donc mais aussi considérablement (dé)favorisés par
leur habitus, les agents occuperont une série de positions dominantes ou dominées,
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dont la succession dans le temps constitue leur « trajectoire ».
Dans l’ensemble sémiotique qu’est le système d’Even-Zohar, des éléments concrets
ou des modèles plus abstraits (les genres littéraires, p.ex.), soit pris individuellement
soit regroupés dans des « répertoires », occupent également diverses positions. Ils
peuvent tomber en désuétude et de ce fait, migrer du centre vers la périphérie du
système ; ou ils peuvent effectuer le trajet inverse, dans la mesure où l’innovation
qu’ils représentent est de plus en plus reconnue par le centre, au point de devenir une
nouvelle référence qui sera à son tour contestée dans les marges du système.
Habituellement, de telles migrations, qui sont le moteur du changement intra-littéraire,
s’accompagnent de « conversions » ou de « transformations », grâce auxquelles on
attribue de nouvelles fonctions aux éléments formels constitutifs du répertoire
61
.
On voit, j’espère, que malgré des différences réelles – la plus importante étant sans
aucun doute la présence/absence d’agents selon le modèle choisi – la perspective dont
sont tributaires les théories de Bourdieu et d’Even-Zohar, apparues à peu près en
même temps dans le sillage du structuralisme, ne diffère pas du tout au tout. Dans les
disciplines où l’on a accueilli Bourdieu sans jamais avoir entendu parler de la pensée
polysystémique – soit, pour ce qui est de la France, les études littéraires en général et
la sociologie littéraire en particulier – il est concevable de faire l’économie de cette
pensée. Dans le cas précis de la traductologie, en revanche, discipline où le
polysystémisme a (eu) pignon sur rue, il serait naïf de croire que l’on peut simplement
fermer la parenthèse en brûlant les idoles d’hier. Le faire serait introduire une rupture
artificielle entre deux modes de pensée dont l’un se situe en réalité dans le
prolongement de l’autre, puisque le virage social qui marque aujourd’hui les études en
traduction a pris le relais du virage culturel amorcé il y a vingt ans à la faveur des
hypothèses d’Even-Zohar, Toury, Lefevere, Lambert et bien d’autres. Pire encore : en
faisant table rase dans un domaine où jadis, il n’était pas rare de voir la roue
réinventée
62
, les spécialistes de la traduction s’interdiraient de construire leur propre
arsenal conceptuel, de penser leur objet de recherche avec leurs propres outils. Car, à
la différence de la sociologie des champs, que l’on peut certes appliquer à tel ou tel
aspect du phénomène traductif (aux traducteurs en tant qu’agents, notamment), la
théorie du polysystème avait été conçue dès le départ pour le type de configuration
interculturelle dont les traductions sont le produit.
Ce qui manque en somme, c’est une reconnaissance du fait que l’on comprend
toujours l’inconnu à partir du déjà connu, que le nouveau ne peut rompre avec la
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tradition qu’à condition de maintenir aussi une forme de continuité. Ou, pour le dire
avec Bourdieu lui-même :
« La recherche de l’originalité à tout prix, souvent facilitée par l’ignorance, et la fidélité
religieuse à tel ou tel auteur canonique, qui incline à la répétition rituelle, ont en
commun d’interdire ce qui me paraît être la seule attitude possible à l’égard de la
tradition théorique : affirmer inséparablement la continuité et la rupture, par une
systématisation critique d’acquis de toute provenance
63
. »
Université d’Ottawa
Notes :
1. La paternité de ce terme revient au Canadien Brian Harris, pour qui la
traductologie est à la traduction empirique ce que la phonologie est à la
prononciation. Voir Harris (Brian), « What I really Meant by "Translatology" »,
TTR (Traduction-Terminologie-Rédaction), vol. I, n° 2, 1988, pp. 91-92.
2. Heilbron (Johan) et Sapiro (Gisèle), « La traduction littéraire, un objet
sociologique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 144, 2002, pp.
3-7 ; Wolf (Michaela) et Fukari (Alexandra) (dir.), Constructing a Sociology of
Translation, Amsterdam/Philadelphie, Benjamins, 2007. Voir aussi : Pym
(Anthony), Shlesinger (Miriam) et Jettmarová (Zuzana) (dir.),Sociocultural
Aspects of Translating and Interpreting, Amsterdam/Philadelphie, Benjamins,
2006 ; et les contributions de Gambier (Yves) et de Chesterman (Andrew) à
Ferreira Duarte (João), Assis Rosa (Alexandra) et Seruya (Teresa) (dir.),
Translation Studies at the Interface of Disciplines, Amsterdam/Philadelphie,
Benjamins, 2006. En français, on consultera les livres de Gouanvic (Jean-Marc),
Sociologie de la traduction, Arras, Artois presses université, 1999 et Pratique
sociale de la traduction, Arras, Artois presses université, 2007, et Sapiro
(Gisèle) (dir.), Translatio. Le marché de la traduction en France à l'heure de la
mondialisation, Paris, CNRS, 2008.
3. Inghilleri (Moira), « The Sociology of Bourdieu and the Construction of the
"Object" in Translation and Interpreting Studies »,The Translator, vol. XI, n° 2,
2005, p. 125.
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4. Lefevere (André) et Bassnett (Susan), « Proust's Grandmother and the
Thousand and One Nights: the "Cultural Turn" in Translation Studies », dans
Translation, History, Culture, sous la direction d'André Lefevere, Londres/New-
York, Pinter, 1990, p. 4.
5. Selon le titre à la fois évocateur et provocateur choisi par Theo Hermans pour
le collectif The Manipulation of Literature : Studies in Literary Translation,
Londres, Croom Helm, 1985.
6. Lefevere (André) et Bassnett (Susan), op. cit., pp. 5-6.
7. Toury (Gideon), « The Nature and Role of Norms in Literary Translation », dans
Literature and Translation : New Perspectives in Literary Studies, sous la
direction de James S. Holmes, José Lambert et Raymond Van den Broeck,
Louvain, Acco, 1978, pp. 83‑99.
8. Even-Zohar (Itamar), « The Position of Translated Literature within the Literary
Polysystem », dans Literature and Translation : New Perspectives in Literary
Studies, op. cit., pp. 117-127. Sur le concept de polysystème, on lira aussi la
notice publiée dans le lexique Socius : http://ressources-
socius.info/index.php/lexique/21-lexique/48-polysysteme.
9. Gentzler (Edwin), Contemporary Translation Studies, Clevedon/Buffalo,
Multilingual Matters, 2001, p. 103 et plus généralement, pp. 106-144.
10. Larose (Robert), Théories contemporaines de la traduction, Québec, Presses de
l'Université du Québec, 1989, pp. 142, 218 et 289.
11. Oseki-Dépré (Inês), Théories et pratiques de la traduction littéraire, Paris, Colin,
1999, p. 62.
12. Ibid., p. 74.
13. Hermans (Theo), Translation in Systems. Descriptive and Systemic Approaches
Explained, Manchester, St. Jerome, 1999, p. 118 et plus généralement, pp.
102-119.
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14. Toury (Gideon), « A Rationale for Descriptive Translation Studies », dans The
Manipulation of Literature, op. cit., p. 19.
15. Simon (Sherry), L'inscription sociale de la traduction au Québec, Québec, Office
de la langue française, 1989, pp. 13-17.
16. Ibid., p. 24.
17. Brisset (Annie), Sociocritique de la traduction : théâtre et altérité au Québec,
Longueuil, Le Préambule, 1990, p. 24.
18. Ibid., p. 25. Une même ouverture était prônée dès cette époque par Clem
Robyns, qui commente d'ailleurs les travaux de Simon et Brisset dans : Robyns
(Clem), « Towards a Socio-Semiotics of Translation », Romanistische Zeitschrift
für Literaturgeschichte/Cahiers d'histoire des littératures romanes, vol. 1, n° 2,
1992, pp. 211-226.
19. Voir Sallaz (Jeffrey J.) et Zaviska (Jane), « Bourdieu in American Sociology,
1980–2004 », Annual Review of Sociology, vol. XXXIII, 2007, pp. 21–41.
20. Les actes de ce colloque forment un numéro spécial de la Canadian Review of
Comparative Literature/Revue canadienne de littérature comparée, vol. XXIV,
n° I, 1997 (dorénavant : RCLC). En traductologie, la question a été abordée par
Córdoba Serrano (Maria Sierra), « Sociología del campo literario y teoría de los
polisistemas : ¿dos modelos teóricos irreconciliables en estudios de traducción
? », dans La traducción literaria en la época contemporánea, sous la direction
d'Assumpta Camps et Lew Zybatow, Francfort, Lang, 2008, pp. 411-426.
21. Viala (Alain), « Logiques du champ littéraire », Revue canadienne de littérature
comparée, vol. XXIV, n° 1, 1997, pp. 72 et 74.
22. Bourdieu (Pierre), Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Paris, Seuil,
1992, pp. 79-80, cité par Geldof (Koenraad), « Du champ (littéraire).
Ambiguïtés d'une manière de faire sociologique », Revue canadienne de
littérature comparée, vol. XXIV, n° 1, 1997, p. 84.
23. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire,
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Paris, Seuil, 1992, p. 282. La pensée de Parsons fut divulguée en français par le
Québécois Guy Rocher : Rocher (Guy), Introduction à la sociologie générale.
L'Organisation sociale, Paris, Seuil, coll. « Points », 1970 ; Id., Talcott Parsons et
la sociologie américaine, Paris, P.U.F., 1972.
24. Even-Zohar (Itamar), « Polysystem Theory », Poetics Today, vol. XI, n° 1, 1990,
p. 12. Une première version de cet article, parue en 1979 sous le même titre et
dans la même revue (« Polysystem Theory », Poetics Today, vol. I, n° 1-2, pp.
287-310) est mentionnée en note par Bourdieu dans Les Règles de l'art, op. cit.
25. Even-Zohar (Itamar), Papers in Historical Poetics, Tel Aviv, Porter Institute for
Poetics and Semiotics, 1978, p. 42. En ligne à l'adresse suivante URL :
http://www.tau.ac.il/~itamarez/ez_vita/EZ-TOCS-Books.htm#Historical_Poetics.
26. Id., « The Literary System », Poetics Today, vol. XI, n° 1, 1990, pp. 38 et 42.
27. Id., « Introduction », Poetics Today, vol. XI, n° 1, 1990, p. 3.
28. Moisan (Clément), Qu'est-ce que l'histoire littéraire ?, Paris, P.U.F., 1987, p.
206.
29. Oseki-Dépré (Inès), op. cit., pp. 64-66.
30. Iglesias Santos (Montserrat), « La teoría de los polisistemas como desafío a los
estudios literarios », dans Teoría de los polisistemas, sous la direction de Milan
V. Dimic et Montserrat Iglesias Santos, Madrid, Arco, 1999, p. 11. A. Figueroa
part aussi d'Even-Zohar pour arriver à Bourdieu dans : Figueroa (Antón), « La
noción de campo literario y las relaciones literarias internacionales », dans El
texto como encrucijada, sous la direction de Ignacio Iñarrea Las Heras et Maria
Jesús Salinero Cascante, Logroño, Presses de l'Université de la Rioja, 2004, vol.
1, pp. 521-534.
31. Even-Zohar (Itamar), « Polysystem Theory », op. cit., pp. 13 et 25.
32. Voir les études réunies dans Poetics Today, 1990, pp. 97-173, mais aussi un de
ses rares textes à avoir été traduits en français : Even-Zohar (Itamar), « Aperçu
de la littérature israélienne », Liberté, vol. XIV, no 4-5, 1972, pp. 104-120.
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33. Tymoczko (Maria), The Irish Ulysses, Berkeley, University of California Press,
1994.
34. Lambert (José), « L'éternelle question des frontières : littératures nationales et
systèmes littéraires », dans Langue, dialecte, littérature, sous la direction de
Christian Angelet, Louvain, Leuven University Press, 1983, pp. 355-370 ; Berg
(Christian), « La Fin-de-siècle en Belgique comme polysystème », dans
Comparative Literature Now/La littérature comparée à l'heure actuelle, sous la
direction de Milan V. Dimic, Irene Sywenky et Steven Tötösy de Zepetnek,
Paris, Champion, 1999, pp. 271‑281 ; Meylaerts (Reine), L'aventure flamande
de la Revue belge : langues, littératures et cultures dans l'entre-deux-guerres,
Bruxelles/Francfort, PIE/Peter Lang, 2004.
35. Dimic (Milan V.), « Canadian Literatures of Lesser Diffusion : Observations from
a Systemic Standpoint », Revue Canadienne de Littérature Comparée, vol. XVI,
n° 3-4, 1989, pp. 565-574 ; Moisan (Clément), op. cit., pp. 155-232.
36. Voir cependant les pages qu'il consacre au rapport hiérarchique (d'autres
diraient diglossique) entre le béarnais et le français dans Bourdieu (Pierre), Ce
que parler veut dire. L'économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard,
1982, pp. 60-68.
37. En témoigne l'important numéro des Actes de la recherche en sciences
sociales, n° 144, 2002 sur la traduction, puis les longs comptes rendus
critiques que lui ont consacrés Alexandra Fukari (dans TTR, vol. XV, n° 2, 2002,
pp. 253-258) ainsi que Reine Meylaerts et Michael Boyden (dans Target, vol.
XVI, n° 2, 2004, pp. 363-368).
38. Even-Zohar (Itamar), « Factors and Dependencies in Culture: A Revised Outline
for Polysystem Culture Research », Revue Canadienne de Littérature
Comparée, vol. XXIV, n° 1, 1997, p. 15.
39. Saussure (Ferdinand de), Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1979, p.
159.
40. Ibid., pp. 125-126.
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41. Ainsi, dans Les Règles de l'art (op. cit., p. 255), Bourdieu préfère invoquer
Substance et fonction (1910) de Cassirer pour opposer un mode de pensée «
substantialiste », qui considère les réalités « en elles-mêmes et pour elles-
mêmes, au détriment des relations objectives, souvent invisibles, qui les
unissent », et un « mode de pensée relationnel (plutôt que structuraliste), qui
[...] est celui de toute la science moderne et qui a trouvé quelques
applications, avec les formalistes russes notamment, dans l'analyse des
systèmes symboliques ». Dans une version précédente de ces « questions de
méthode », la science moderne comprenait encore des entreprises
d'apparence aussi différente « as those of the Russian formalists – and
particularly Tynjanov – of Lewin or of Elias and also, obviously, those of the
Structuralists, in linguistics as well as in anthropology. » Bourdieu (Pierre), «
The Genesis of the Concepts of Habitus and of Field », Sociocriticism, vol. II,
1985, pp. 16-17. (C'est moi qui souligne dans les deux cas.)
42. Cette citation ainsi que celles qui suivent sont tirées de Bourdieu (Pierre), «
Champ intellectuel et projet créateur », Les temps modernes, vol. XXII, n° 246,
1966, p. 865.
43. Ibid., p. 886. On aura noté la fréquence du mot « système » et sa concurrence
privilégiée avec le mot « champ », collocation tout aussi sensible dans l'article
classique : Bourdieu (Pierre), « Le marché des biens symboliques », L'année
sociologique, vol. XXII, 1971, pp. 49-126. C'est ce qui permet à Alain Viala de
qualifier la démarche de Bourdieu de systémique et d'insister sur le fait que «
champ n'est pas autre ou contradictoire par rapport à système. » op. cit., p.
65).
44. Bourdieu (Pierre), Règles de l'art, op. cit., p. 321.
45. Lettre du 30 octobre 1956 reprise dans Flaubert (Gustave), Préface à la vie
d'écrivain ou Extraits de la correspondance, Paris, Seuil, 1963, p. 185.
46. Zola (Émile), Du roman. Sur Stendhal, Flaubert et les Goncourt, Bruxelles,
Complexe, 1989, pp. 207-208.
47. Ibid., p. 132.
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48. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art, op. cit., pp. 117 et surtout 136-139.
49. Ibid., p. 323.
50. Ibid., p. 321, note 21.
51. Ibid., p. 325.
52. Tynianov (Iouri), « De l'évolution littéraire », dans Théorie de la littérature :
Textes des Formalistes russes, sous la direction de Tzvetan Todorov, Paris,
Seuil, 1965, p. 130.
53. Tynianov (Iouri), cité par Eikhenbaum (Boris), « La théorie de la méthode
formelle », dans Théorie de la littérature : Textes des Formalistes russes, sous
la direction de Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 1965, p. 68. C'est moi qui
souligne.
54. Even-Zohar (Itamar), « Polysystem Theory », op. cit., 1979, p. 293 ; 1990, p.
14.
55. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art, op. cit., pp. 282-283. Il fait allusion à
Chklovski, pour qui « [c]haque époque littéraire contient non pas une, mais
plusieurs écoles littéraires. Elles existent simultanément dans la littérature, et
une d'entre elles prend la tête et se trouve canonisée. Les autres existent
comme non canonisées, en cachette » cité par Eikhenbaum, op. cit., p. 69.
56. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art, op. cit., p. 283.
57. Voir Hermans (Theo) : « Literature and culture in general are described as sites
of conflict, but the stakes remain invisible, and the struggle is waged by
competing norms and models rather than individuals or collectives who stand
to gain or lose something by the outcome. » (op. cit., p. 118).
58. Voir Saint-Jacques (Denis), « Faut-il brûler Les Règles de l'art ? », Discours
social/Social Discourse, vol. VII, n° 3-4, 1995, pp. 169-177 et Geldof
(Koenraad), op. cit., pp. 87-88.
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59. S'il est vrai que le mot lui-même est d'origine scolastique (c'est la traduction
latine de la hexis d'Aristote), son emploi sociologique est nettement plus
récent. Il a été remis en circulation par Norbert Elias dans les années 1930,
discrètement d'abord, dans sa thèse d'habilitation sur La société de cour, puis,
de manière plus appuyée, dans son magnum opus sur le processus de
civilisation, partiellement traduit en français. Voir Elias (Norbert), La
Dynamique de l'Occident, Paris, Calmann-Lévy, 1975, pp. 181-202.
60. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art, op. cit., p. 327.
61. Even-Zohar (Itamar), « Polysystem Theory », op. cit., 1979 ; Id., « System,
Dynamics, and Interference in Culture », Poetics Today, 1990, pp. 89-90. Cette
conception était au demeurant déjà celle de Tynianov (Iouri), « De l'évolution
littéraire », op. cit., p. 136.
62. Rappelons-nous les remarques dures formulées il y a une génération par
George Steiner : « despite this rich history, and despite the calibre of those
who have written about the art and theory of translation, the number of
original, significant ideas in the subject remains very meagre. [...] Over some
two thousand years of argument and precept, the beliefs and disagreements
voiced about the nature of translation have been almost the same. » Steiner
(George), After Babel. Aspects of Language and Translation, Oxford, Oxford
University Press, 1975, pp. 238-239.
63. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art, op. cit., p. 253.
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