SOCIETE...en innovation sociale et directeur général de l’Institut du Nouveau Monde,aussi bien...

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Des solutions locales sont devenues des politiques publiques Page 2 SOCIETE INNOVATION SOCIALE Les États-Unis connaissent un état de crise systémique Page 4 L’ État social tel qu’on le connaissait est mis à mal Page 6 CAHIER THÉMATIQUE G › L E D E VO I R , L E S SA M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 M A R S 2 01 4 NORMAND THÉRIAULT S ouvenez-vous. C’était l’an dernier. Et le débat perdurait aux États- Unis depuis qu’un Obama avait décidé d’intervenir dans le monde de la santé en proposant un ré- gime d’assurance qui n’était en rien compa- rable à celui qui est le nôtre au Québec. Et une «guerre froide» a eu lieu: mesure « communiste » et ainsi de suite dans les pro- pos, au pays de ce George W. Bush qui vou- lut longtemps, en ses jours de règne, abolir les programmes fédéraux de retraite : les employés n’auraient-ils point eu alors la chance de « jouer » leur avenir en Bourse et ainsi faire fortune ? (La débâcle financière qui a suivi, celle de 2008, a mis à mal la pour- suite d’une telle aventure !) Nous connaissons l’état de notre monde : les finances publiques sont en mauvais état et, discours du budget après discours du budget, les mêmes rengaines se font enten- dre : on a toujours pour objectif l’atteinte de l’équilibre budgétaire et, à long terme, il y aura élimination de la dette publique. Aussi faut-il couper dans les dépenses de l’État et réduire, dans la limite du possible, les ser- vices (pas trop quand même, car il n’y aura alors pas de réélection à la clé). Inventions Dans notre monde où l’argent semble être une denrée rare (qui le croirait toute- fois, à voir les campagnes publicitaires de consommation qu’on nous assène ?), il fau- drait trouver moyen de réinventer la roue économique. Car lorsqu’on parle d’un monde meilleur, cela donne à plus d’une et d’un des idées ! Et voilà aussi que d’autres économistes font des calculs et déposent eux aussi des résultats : ainsi, une femme qui travaille est source de profit, non seulement pour son entourage immédiat, mais pour toute la so- ciété. Mais qui s’occupe alors des enfants ? Ici, quelques rappels s’imposent, surtout quand on regarde l’organisation sociale que s’est donnée le Québec au fil des dé- cennies. « Des innovations sociales mar- quantes ont changé la donne, nous dit Mi- chel Venne, président du Réseau québécois en innovation sociale et directeur général de l’Institut du Nouveau Monde, aussi bien en petite enfance (les CPE), dans l’insertion au travail des jeunes (les CJE), la pédiatrie sociale du D r Julien, le transport (Commu- nauto) ou la participation citoyenne (l’INM). On a innové au Québec en matière de logement social, de justice réparatrice chez les autochtones, de persévérance sco- laire (Allô prof, Fusion jeunesse), de créati- vité (la SAT) ou de finance solidaire (Fonds de solidarité, Fiducie du Chantier de l’écono- mie sociale). » Mais au moment où de telles actions avaient lieu, un mouvement contraire, celui du désengagement de l’État, avait aussi cours : il faut ainsi se souvenir que, dans ce même Québec, en année électorale, un Cha- rest en espérance de réélection a préféré di- riger un transfert fédéral de 900 millions de dollars non pas vers un programme social (ce pour quoi il était attribué), mais vers le budget de façon à accorder une diminution générale de l’impôt : mesure efficace il faut croire, car il fut porté à la tête d’un gouver- nement majoritaire ! Enjeux Pourtant, ni le budget public resserré, ni la tendance occidentale à la baisse des contributions de nature fiscale, ni le temps de parole de plus en plus accordé à un dis- cours où l’individuel a priorité sur le collec- tif ne peuvent faire oublier les défis qui at- tendent nos sociétés. Et si le modèle tradi- tionnel de l’État-providence ne tient plus, les grands États qui en furent les ténors, ici les Scandinaves, connaissent eux aussi des jours difficiles ; il faudra donc innover. Écoutons donc encore le discours d’un Michel Venne, car il indiquerait une voie d’avenir. « Il est frappant de constater que les plus grands enjeux auxquels nous serons confrontés dans l’avenir sont liés à l’innova- tion sociale : le vieillissement de la société, les changements climatiques, l’immigration et la diversification culturelle des sociétés, les trou- bles de santé mentale en hausse et les inégali- tés sociales sont toutes des problématiques qui trouveront leur solution non pas dans l’inno- vation industrielle et technologique, mais dans l’innovation sociale, parce que les solutions passent par de nouvelles formes de relations humaines, de nouveaux rapports sociaux, de nouvelles politiques de répartition et d’assu- rance, le dialogue et la coopération. » Invitation À tout problème, il y aurait donc solution. Et 80 intervenants en proposeront les 3 et 4 avril prochains, quand ils répondront à l’in- vitation du Centre de recherche sur les inno- vations sociales, ce CRISES basé à l’UQAM, pour décrire comment s’opère, reprenant la thématique de la rencontre, « la transforma- tion sociale par l’innovation sociale ». Des universitaires, donc, des cher- cheurs, d’Europe certes, mais québécois en majorité, car il s’avère que le Québec a en ce domaine une démarche exemplaire. Il restera toutefois à savoir si la classe po- litique saura les entendre : ce début d’avril n’est-il pas celui des derniers jours d’une campagne électorale ? Le Devoir Mesures d’urgence ! Il faut trouver moyen de réinventer la roue économique JACQUES NADEAU LE DEVOIR La pédiatrie telle que pratiquée par le D r Gilles Julien illustre de belle façon comment l’innovation sociale constitue une réponse aux besoins insatisfaits. Deux visions du monde se confrontent. D’un côté, l’avenir serait meilleur quand il y aurait accumulation de richesse, quitte à ce qu’elle soit alors distribuée dans les mains d’un petit nombre. De l’autre, le monde sera meilleur s’il y a distribution équita- ble de cette même richesse. Et qui décidera de la voie à suivre ? Des gouvernements dont la marge de manœuvre tant financière que politique est de plus en plus congrue ? Des individus qui au mot profit préfèrent celui de partage ? Le monde de l’innovation sociale en parle : il tient colloque.

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Des solutionslocales sontdevenuesdes politiquespubliques Page 2

SOCIETEINNOVATION SOCIALE

Les États-Unisconnaissent unétat de crisesystémiquePage 4

L’État socialtel qu’onle connaissaitest mis à malPage 6

C A H I E R T H É M A T I Q U E G › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 M A R S 2 0 1 4

N O R M A N D T H É R I A U L T

S ouvenez-vous. C’était l’an dernier.Et le débat perdurait aux États-Unis depuis qu’un Obama avaitdécidé d’intervenir dans le mondede la santé en proposant un ré-

gime d’assurance qui n’était en rien compa-rable à celui qui est le nôtre au Québec. Etune « guerre froide » a eu lieu : mesure«communiste» et ainsi de suite dans les pro-pos, au pays de ce George W. Bush qui vou-lut longtemps, en ses jours de règne, abolirles programmes fédéraux de retraite : lesemployés n’auraient-ils point eu alors lachance de « jouer» leur avenir en Bourse etainsi faire fortune ? (La débâcle financièrequi a suivi, celle de 2008, a mis à mal la pour-suite d’une telle aventure!)

Nous connaissons l’état de notre monde :les finances publiques sont en mauvais étatet, discours du budget après discours dubudget, les mêmes rengaines se font enten-dre : on a toujours pour objectif l’atteinte del’équilibre budgétaire et, à long terme, il yaura élimination de la dette publique. Aussifaut-il couper dans les dépenses de l’État et

réduire, dans la limite du possible, les ser-vices (pas trop quand même, car il n’y auraalors pas de réélection à la clé).

InventionsDans notre monde où l’argent semble

être une denrée rare (qui le croirait toute-fois, à voir les campagnes publicitaires deconsommation qu’on nous assène ?), il fau-drait trouver moyen de réinventer la roueéconomique.

Car lorsqu’on parle d’un monde meilleur,cela donne à plus d’une et d’un des idées !Et voilà aussi que d’autres économistesfont des calculs et déposent eux aussi desrésultats : ainsi, une femme qui travaille estsource de profit, non seulement pour sonentourage immédiat, mais pour toute la so-ciété. Mais qui s’occupe alors des enfants ?

Ici, quelques rappels s’imposent, surtoutquand on regarde l’organisation socialeque s’est donnée le Québec au fil des dé-cennies. « Des innovations sociales mar-quantes ont changé la donne, nous dit Mi-chel Venne, président du Réseau québécoisen innovation sociale et directeur généralde l’Institut du Nouveau Monde, aussi bien

en petite enfance (les CPE), dans l’insertionau travail des jeunes (les CJE), la pédiatriesociale du Dr Julien, le transport (Commu-nauto) ou la par ticipation citoyenne(l’INM). On a innové au Québec en matièrede logement social, de justice réparatricechez les autochtones, de persévérance sco-laire (Allô prof, Fusion jeunesse), de créati-vité (la SAT) ou de finance solidaire (Fondsde solidarité, Fiducie du Chantier de l’écono-mie sociale). »

Mais au moment où de telles actionsavaient lieu, un mouvement contraire, celuidu désengagement de l’État, avait aussicours : il faut ainsi se souvenir que, dans cemême Québec, en année électorale, un Cha-rest en espérance de réélection a préféré di-riger un transfert fédéral de 900 millions dedollars non pas vers un programme social(ce pour quoi il était attribué), mais vers lebudget de façon à accorder une diminutiongénérale de l’impôt : mesure efficace il fautcroire, car il fut porté à la tête d’un gouver-nement majoritaire !

EnjeuxPourtant, ni le budget public resserré, ni

la tendance occidentale à la baisse descontributions de nature fiscale, ni le tempsde parole de plus en plus accordé à un dis-cours où l’individuel a priorité sur le collec-tif ne peuvent faire oublier les défis qui at-tendent nos sociétés. Et si le modèle tradi-tionnel de l’État-providence ne tient plus,les grands États qui en furent les ténors, iciles Scandinaves, connaissent eux aussi desjours difficiles ; il faudra donc innover.

Écoutons donc encore le discours d’unMichel Venne, car il indiquerait une voied’avenir. «Il est frappant de constater que lesplus grands enjeux auxquels nous seronsconfrontés dans l’avenir sont liés à l’innova-tion sociale: le vieillissement de la société, leschangements climatiques, l’immigration et ladiversification culturelle des sociétés, les trou-bles de santé mentale en hausse et les inégali-tés sociales sont toutes des problématiques quitrouveront leur solution non pas dans l’inno-vation industrielle et technologique, mais dansl’innovation sociale, parce que les solutionspassent par de nouvelles formes de relationshumaines, de nouveaux rapports sociaux, denouvelles politiques de répartition et d’assu-rance, le dialogue et la coopération.»

InvitationÀ tout problème, il y aurait donc solution.

Et 80 intervenants en proposeront les 3 et4 avril prochains, quand ils répondront à l’in-vitation du Centre de recherche sur les inno-vations sociales, ce CRISES basé à l’UQAM,pour décrire comment s’opère, reprenant lathématique de la rencontre, «la transforma-tion sociale par l’innovation sociale».

Des universitaires, donc, des cher-cheurs, d’Europe certes, mais québécoisen majorité, car il s’avère que le Québec aen ce domaine une démarche exemplaire.

Il restera toutefois à savoir si la classe po-litique saura les entendre : ce début d’avriln’est-il pas celui des derniers jours d’unecampagne électorale ?

Le Devoir

Mesures d’urgence !Il faut trouver moyen de réinventer la roue économique

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

La pédiatrie telle que pratiquée par le Dr Gilles Julien illustre de belle façon comment l’innovation sociale constitue une réponse aux besoins insatisfaits.

Deux visions du monde se confrontent. D’un côté, l’avenir serait meilleur quand il yaurait accumulation de richesse, quitte à ce qu’elle soit alors distribuée dans lesmains d’un petit nombre. De l’autre, le monde sera meilleur s’il y a distribution équita-ble de cette même richesse. Et qui décidera de la voie à suivre ? Des gouvernementsdont la marge de manœuvre tant financière que politique est de plus en plus congrue ?Des individus qui au mot profit préfèrent celui de partage ? Le monde de l’innovationsociale en parle : il tient colloque.

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S O C I É T ÉL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 M A R S 2 0 1 4G 2

L’UQAM VUE PAR 7 ARTISTES 7 PORTRAITS À DÉCOUVRIR

INSPIRÉ PAR

uqam.ca

A S S Ï A K E T T A N I

D evant une situation de crise, des acteurssur le terrain, organismes communau-

taires ou collectifs de citoyens, amorcent desactions, explorent et expérimentent des solu-tions pour répondre aux problèmes majeursde la société. Ce faisant, ils sont une pépinièred’innovations sociales qui pourraient servir àposer les bases du Québec de demain : pen-sées hors des bureaux de l’État, ces innova-tions peuvent ser vir de leçon à plus grandeéchelle, pour peu qu’elles soient mieuxconnues et appliquées.

C’est dans cette optique que les 3 et 4 avrilprochains aura lieu le 4e colloque internationaldu CRISES. Ce colloque, qui a lieu une fois tousles trois ans, réunira 80 intervenants autour dela « transformation sociale par l’innovation so-ciale » : « Nous regardons, nous dit Juan-LuisKlein, comment ces solutions expérimentées dansles milieux locaux deviennent des solutions plusvastes et se transforment en politiques publiques.»Initialement prévu à l’UQAM, le colloque auralieu à l’hôtel Gouverneur de la Place Dupuis.

Pour se pencher sur la question, le Centre derecherche sur les innovations sociales regroupedix universités partenaires et 47 membres régu-liers issus de tous les champs de recherche,dont la géographie, la sociologie, les communi-cations, les sciences politiques ou les sciencesde la gestion. Mus par l’intérêt commun de re-nouveler le modèle québécois et d’aborderd’une nouvelle façon les problèmes sociaux,économiques, environnementaux, ceux-ci re-pensent la façon de produire la connaissance :plutôt que des connaissances produites en hautlieu, puis appliquées aux acteurs sur le terrain,les chercheurs du CRISES s’appuient sur un travail commun avec les acteurs, pour ensuite

influencer la prise de décision.Pour que ces innovations isolées débouchent

sur une véritable transformation sociale, il fautque les politiques publiques s’en inspirent, lesintègrent et les institutionnalisent… même si leprocessus est loin d’être évident. Car, malgré ledynamisme du Québec en la matière, l’innova-tion sociale ne bénéficie pas d’une reconnais-sance suffisante, déplore monsieur Klein. Selonlui, pour construire une société innovatrice, ilfaut cesser de valoriser « l’innovation sur le planuniquement technologique» et tenir compte plussystématiquement de leur pendant social.

De plus, le mouvement est inégal selon lessecteurs, dit-il. Du côté du ser vice aux per-sonnes, du développement du territoire et de lalutte contre la pauvreté, « les politiques sont plu-tôt perméables à l’inspiration de la base ». Maispar contre, en ce qui concerne l’organisation dutravail et le monde corporatif, les innovationsont du mal à aboutir à de réelles transforma-tions pérennes : « Même si cer taines réformessont adoptées en temps de crise, elles sont rare-ment définitives. » Au contraire, les conditionsont tendance à se dégrader. «L’organisation del’économie s’est modifiée d’une façon telle qu’unepartie importante du marché du travail est mar-quée par la vulnérabilité et la précarité. »

Québec, terre innovanteÀ plusieurs moments de son histoire, le Qué-

bec a été un vivier d’innovations sociales, no-tamment lors de la Révolution tranquille et dela crise de l’emploi des années 80. Le dévelop-pement économique communautaire, le finan-cement solidaire, puis l’économie sociale et so-lidaire ont notamment émergé de ces momentsde vaste remise en question.

Ainsi, lorsque les CPE sont devenus une me-sure d’État en 1997, l’idée avait déjà été expéri-

mentée dans des quartiers populaires dure-ment touchés, dans les années 70-80, par lescontrecoups de la crise industrielle. Alors quedes parents s’étaient organisés pour concevoirdes garderies solidaires à faible coût pour per-mettre aux mères d’intégrer le marché de l’em-ploi, « le gouvernement du Québec s’en est inspirépour élaborer une politique publique devenue na-tionale ». Les carrefours jeunesse emploi ensont un autre exemple, ou encore les centreslocaux de développement : «Dans les années 80,Montréal a vécu une crise importante en raisondes modifications de sa structure industrielle, etles quartiers industriels ont été durement tou-chés. On a expérimenté des formules de dévelop-pement économique communautaire, que lesgens ont mis en place pour résoudre le problèmede l’emploi. À la fin des années 90, le gouverne-ment du Québec créait les CLD.»

Aujourd’hui, le Québec connaît une « troi-sième vague d’expérimentation d’innovations so-ciales » après la crise de 2008 et la profonde re-mise en question du néolibéralisme qu’elle ainspiré. «De nouvelles formes de société sont entrain de se générer. Il faut briser les cadres insti-tutionnels et en créer d’autres ». Du côté des en-jeux de l’heure, citons notamment l’environne-ment, le travail atypique ou encore les nou-velles formes d’organisation du travail qui s’im-posent au détriment de la sécurité de l’emploi.

Quant au problème majeur de notre sociétéactuelle, « l’atomisation sociale provoquée parle modèle économique », ces innovations so-ciales pourraient « reconstruire ce que le néoli-béralisme a déconstruit, avec des bases plus so-

lidaires et éthiques ».

Initiatives remarquablesLes initiatives présentées au colloque soulè-

veront des cas du monde entier, d’Amérique la-tine au Moyen-Orient, de Milan à Haïti. Il s’agitpar exemple de formules de gouvernance inclu-sives, qui donnent une place aux citoyens dansles décisions, de formes de démocratie partici-patives. Un exemple sera celui de Sainte-Ca-mille, en Estrie, où a été expérimentée uneforme de gouvernance partagée et participativeautour de projets culturels, de valorisation desressources naturelles et de projets résidentielsdans un esprit d’inclusion : un incubateur en in-novations sociales qui a généré des choses «ad-mirables », selon Juan-Luis Klein.

D’autres communications porteront sur desmodèles d’organisation dif férents au sein devilles af fectées par la désindustrialisation.C’est notamment le cas d’un « modèle postcapi-taliste et évolutif, proposé à Cleveland, bâti surune base de réciprocité et de solidarité, impli-quant des acteurs de la santé, de la sphère poli-tique et municipale ».

Citons également la présence de l’organismeTIESS (Territoires innovants en économie so-ciale et solidaire), qui a vu le jour en octobredernier, rassemblant une quarantaine d’organi-sations afin de favoriser l’innovation socialedans les territoires du Québec et le transfert deconnaissances des chercheurs aux ministères.

CollaboratriceLe Devoir

INNOVER POUR TRANSFORMER

Des solutions localesdevenues politiques publiquesLe CRISES propose son quatrième colloque internationalQue faire lorsque les politiques publiques échouent à résoudre les problèmes sociaux ? Qu’ils’agisse d’environnement, d’exclusion sociale ou d’intégration au marché du travail, certainsenjeux résistent aux mesures publiques et aux programmes officiels. Selon Juan-Luis Klein, di-recteur du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), la solution serait ducôté de la société civile et des acteurs sur le terrain.

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Les centres de la petite enfance sont la réplique des garderies communautaires des années 1970.

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S O C I É T ÉL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 M A R S 2 0 1 4 G 3

POUR QUE LES IDÉESNOUVELLES FASSENT DES PETITS

Innovons ensemble. Pour mieux aider tous les enfants à réussir.

fondationchagnon.org

M A R I E L A M B E R T - C H A N

L’ innovation n’est pas l’apanage de la scienceet des technologies. Elle est aussi sociale.

Pensons aux centres de la petite enfance, auxgrands fonds de retraite, aux centres locaux dedéveloppement, aux tables de quartier, aux jar-dins communautaires, à la finance sociale etresponsable, au microcrédit… Des initiativesqui ont fait boule de neige avant de transformernotre société.

«Les innovations sociales émergent souvent dansdes contextes de crise et forment de nouvelles ave-nues permettant de régler certains problèmes so-ciaux. Elles répondent à des besoins, mais plus en-core, à des aspirations. Prenez les services de garde.Il y avait un besoin, certes, mais aussi un désird’émancipation des femmes, desocialisation des enfants et d’in-sertion sociale des familles plusdémunies», explique Benoît Lé-vesque, professeur émérite auDépartement de sociologie del’Université du Québec à Mont-réal et spécialiste mondialementreconnu de l’innovation et destransformations sociales. Il a co-fondé le Centre de recherchesur les innovations sociales(CRISES) et est professeur as-socié à l’École nationale d’admi-nistration publique.

Dès les années 80Toutes les époques ont eu

leurs innovations sociales,mais l’expression consacrée est surtout utiliséedepuis les années 1980, poursuit l’expert. «Aucours de cette décennie, on parlait de bureaucra-tisation, d’automatisation, de robotisation, ce quilaissait l’impression que tout tournait autour destechnologies. Le modèle du travail fordiste et mo-notone, la société de consommation et l’État-pro-vidence étaient remis en question. Au même mo-ment, la société civile est apparue comme por-teuse d’initiatives. Toutes ces influences ontnourri l’intérêt pour les innovations sociales quien étaient alors à leur première vague. »

Des projets prennent racine dans trois do-maines bien distincts que l’État n’est plus enmesure de soutenir comme il le faisait : les ser-vices collectifs, le territoire et l’emploi. Le gou-vernement continue d’y intervenir, mais en par-tenariat avec des groupes communautaires etdes initiatives relevant de l’économie sociale etsolidaire. « Ces groupes finissent par se rassem-bler et deviennent par exemple des corporationsde développement économique communautaire,des centres locaux de développement, des entre-prises d’inser tion, précise le professeur Lé-vesque. Entre 1976 et 2012, le Québec a ainsivu son nombre d’associations sans but lucratifgrimper de 23000 à 57000.»

La deuxième vagueSelon Benoît Lévesque, cette « impulsion in-

novatrice » a perduré jusqu’au tournant des an-nées 2000. La déferlante de la mondialisationet de la financiarisation, le capitalisme en criseet la montée des inégalités incitent alors la so-ciété à imaginer de nouvelles solutions. Si lapremière vague d’innovations sociales s’inscri-vait dans une reconfiguration du rappor t àl’État, la deuxième vise plutôt à répondre auxdéfis du développement durable et d’une autremondialisation.

« On a vu apparaître dif férentes initiativesdans les domaines de l’économie locale, destransports, de l’énergie et de la sécurité alimen-taire, entre autres, énumère-t-il. Les jardinscommunautaires, les principes de consomma-tion responsable, la mise en valeur des produitsdu terroir et la promotion d’une économie deproximité n’en sont que quelques exemples. Il nefaut pas oublier le secteur financier. Soucieuxdu bien commun, du développement durable, dela responsabilité sociale et de l’éthique, les ac-teurs relevant de l’économie sociale ont créé de

nouveaux outils financiers tellela Fiducie du Chantier del’économie sociale. »

Ces innovations semblent àpremière vue moins massivesque celles de la vague précé-dente, mais elles n’en sont pasmoins importantes aux yeuxde M. Lévesque, qui rappelle«que nous ne sommes qu’au dé-but d’un deuxième cycle d’inno-vation sociale».

Le modèle québécoisLe professeur Lévesque sou-

ligne que le Québec a su, aucours des 20 dernières an-nées, forger « un écosystèmed’innovation sociale » qui se

démarque sur la scène internationale. «Nos ef-forts se sont développés autour d’une vision rela-tivement commune et se déploient dans pratique-ment toutes les sphères : la recherche universi-taire, la formation, le réseautage entre lesgroupes sectoriels et intersectoriels, les politiquespubliques, sans compter le financement. Autantd’éléments qui constituent un véritable systèmed’innovation sociale. »

Rien n’est acquis cependant dans cet écosys-tème. L’innovation sociale ne peut donner lieu àune grande transformation sans une vision par-tagée entre la société civile et les élus. Or,comme le souligne Benoît Lévesque, « la sociétécivile est critiquée pour son immobilisme, et elle-même accuse ses dirigeants de manquer de vi-sion ». Une réconciliation est nécessaire. « Enraison de sa petite taille, le Québec ne peut vivreavec une société polarisée où les ef forts de cha-cun s’annulent. Il faut donc renouveler la démo-cratie participative et la démocratie représenta-tive», dit-il en ajoutant, un sourire dans la voix,qu’il faudrait bien des innovations sociales pouraider à cet arrimage…

CollaboratriceLe Devoir

MODÈLE QUÉBÉCOIS

L’innovation socialeest une réponseaux aspirations de la société

A N N I E C A M U SC H R I S T I A N J E T T ÉJ U A N - L U I S K L E I N

L es dérèglements présents,loin de pousser la collecti-

vité vers l’apathie, génèrentchez nombre d’acteurs so-ciaux une volonté de transfor-mation sociale visant à redéfi-nir la société sur des basesplus solidaires, plus équita-bles, voire plus éthiques, com-munautaires, écologiques etcitoyennes.

Dès lors, pour les leaders dela société québécoise (et detoutes les autres), le déficonsiste à rendre compte nonseulement des problèmes,mais aussi des nouvelles ave-nues et des possibles qui sur-gissent et se construisent. L’in-novation sociale s’inscrit préci-sément dans cette perspective,cherchant à la fois à appréhen-der la reconstruction socialeen cours à travers l’émergenced’expériences socialement in-novantes, et à rendre comptede l’ef fet de ces expériencessur les transformations so-ciales qui se dessinent. En por-tant un regard à la fois sur lesacteurs, les structures, les ob-jets et les effets, la perspectivede l’innovation sociale permetde mettre en lumière la capa-cité d’initiative des individus,des organisations et des col-lectivités quant aux défis et en-jeux de notre époque.

Jalons pourun nouveau modèle

La recherche sur l’innova-tion sociale jette un éclairagesur les processus qui amènentà l’institutionnalisation des in-novations sociales et sur lesliens entre les acteurs socioé-conomiques et les instancesgouvernementales. Ce travailde coconstruction donne lieu àdes politiques publiques quisont davantage en syntonieavec les besoins citoyens.Mais pour être en mesure derépondre à ces besoins, la ré-flexion sur l’innovation socialedoit s’inscrire dans une pos-ture épistémologique et mé-

thodologique ainsi que dansune démarche transdiscipli-naire qui savent produire dessavoirs mobilisables pour l’ac-tion et qui tiennent comptedes fondements normatifs etidéologiques sur lesquels l’in-novation s’est construite.

Ce processus de dévoile-ment permet alors d’aller au-delà du discours tenu par lesartisans de l’innovation et desoulever les enjeux politiquesqui accompagnent l’émer-gence de toute innovation so-ciale et qui ont une influencedéterminante sur sa pérennitéet son potentiel de transforma-tion sociale.

Une dialectique constantes’établit entre innovation etinstitution ; l’innovation so-ciale étant précisément unetransgression des règles pou-vant déboucher sur unetransformation de l ’ordre,voire sur la construction d’unnouvel ordre. Il s’agit alorspour l ’État non seulementd’of frir le soutien nécessaireà l’innovation par l’assouplis-sement ou le réajustementdes politiques publiques etdes ressources financières etinformationnelles, mais éga-lement de laisser place à l’au-

tonomie des acteurs pour ré-véler leur potentiel transfor-mateur et offrir la latitude né-cessaire à la poursuite duprocessus d’innovation.

Car l’innovation sociale,pour qu’elle devienne por-teuse de transformation so-ciale, doit reposer, d’une part,sur un processus collectif d’ap-prentissage et de création per-mettant une (re)prise de pou-voir sur l’existence des indivi-dus et des communautés et,d’autre part, sur une interac-tion entre les acteurs concer-nés laissant place au dialogueet au compromis afin que l’in-novation puisse s’inscrire dansune dynamique de construc-tion de liens sociaux qui favori-sent les actions inspirées parla recherche du mieux-êtrecollectif.

Nouvelles valeursL’innovation sociale peut

ainsi devenir l’ingrédientd’une stratégie de développe-ment alternatif por teuse denouvelles valeurs (solidarité,équité, justice sociale). D’ail-leurs, les nombreuses réfé-rences à l’innovation socialeque nous observons actuelle-ment — au point où l’innova-tion sociale est devenue unconcept en vogue — témoi-gnent de ce qu’elle n’est passimplement le reflet passagerd’une transition, mais qu’elleest bel et bien une caractéris-tique marquante d’un nouveaumodèle qui promeut une cul-ture du changement. Cetteévolution pose toutefois laquestion de l’orientation de cechangement : pour qui ? pour-quoi ? et comment?

Ainsi, la simple multiplica-tion des innovations socialesne suffit pas à générer un nou-veau modèle de développe-ment, à plus forte raison si onsouhaite que ce nouveau mo-dèle soit por teur d’arrange-ments qui favorisent la justicesociale, la solidarité et l’équité.C’est par leur ancrage au seind’une nouvelle façon de voir etde résoudre les problèmesque les innovations sociales fa-çonnent de nouvelles repré-sentations de la société qui fa-vorisent les actions politiquesnécessaires à la recherche dubien commun.

Annie Camus, Christian Jetté etJuan-Luis Klein sont membres duCRISES, le Centre de recherchesur les innovations sociales.

ACTION PUBLIQUE

Une crise utile?Le temps de la solidarité,de l’équité et de la justice sociale est venu

Il fautrenouvelerla démocratieparticipative etla démocratiereprésentativeBenoît Lévesque

«

»

Si, dans les années 1980, les innovations so-ciales s’inscrivaient dans une reconfigurationdu rapport à l’État, elles sont aujourd’hui plu-tôt liées au développement durable et à la re-cherche d’une autre mondialisation.

Crise financière, crise des institutions, crise des grands récits,désaf fection politique, croissance des inégalités, perte desens, autant de phénomènes qui se conjuguent pour créer unclimat délétère que plusieurs associent à une perte de re-pères et au désenchantement, mais qui est aussi à la based’une période de transition, de renouvellement, marquée pardes dynamiques d’innovation et de transformation.

L’innovation socialeest une transgressiondes règles pouvant dé-boucher sur une trans-formation de l’ordre,voire sur la construc-tion d’un nouvel ordre

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S O C I É T ÉL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 M A R S 2 0 1 4G 4

Malgré des niveaux de richesse et de dévelop-pement technique et technologique sans pré-cédent, nombre de pays des Amériques etd’ailleurs sont aujourd’hui confrontés à desdéfis considérables.

G A R A L P E R O V I T Z

J usqu’à présent, au milieu de la souffranceéconomique, de l’insécurité, et avec le spec-

tre d’une catastrophe environnementale à laclé, aucune réponse politique solide n’a émergéafin de proposer des pistes de solutionconcrètes qui permettent un avenir véritable-ment démocratique. Force est de reconnaîtreque nous faisons face, non pas à un simple pro-blème d’ordre politique ou économique, mais àune défaillance beaucoup plus large, à un pro-blème d’ordre systémique.

À cet égard, la trajectoire des États-Unis estdes plus éclairantes : le salaire de la majoritédes travailleurs américains stagne au même ni-veau depuis plus de trente ans. Et les inégali-tés, de revenu comme de richesse, continuentde s’accroître : les 400 individus les plus richespossèdent à eux seuls plus que l’ensemble des180 millions d’Américains les plus pauvres.(Les dynamiques d’inégalité au Canada adop-tent d’ailleurs la même trajectoire, alors que20 % des individus contrôlent 70 % de la richessede la nation.)

Toujours aux États-Unis, l’effritement de ladémocratie s’étend bien au-delà du fossé crois-sant entre les 99% et le 1% : le taux d’incarcéra-tion a atteint le plus haut niveau jamais atteintdans les pays dits développés, les libertés ci-viles sont de plus en plus attaquées, sans parlerde la spoliation des ressources naturelles, quise poursuit impunément.

Une nouvelle économie prend placeDès lors, la question se pose : comment règle-

t-on une crise systémique, c’est-à-dire une crisequi est inscrite aux principes de notre mondeéconomique et politique? Il faut pour cela trans-former les façons de faire au cœur de la « ma-chine », au cœur des institutions, des corpora-tions, de la bureaucratie et de tous les autreséléments du «système» qui produit et reproduitles effets que nous observons. Mais, comme lepouvoir politique suit en grande partie le pou-voir économique, serait-il possible de concevoir,de réfléchir un mouvement vers un système dif-férent qui permette de démocratiser réellement

la possession des richesses, et ce, d’une façonqui favorise aussi le déploiement d’une démo-cratie authentique en général ?

C’est peut-être possible. Quelque chose d’im-portant est en train de s’esquisser, alors que ladétérioration progressive de l’économie obligeles gens à reprendre entre leurs propres mainsle développement de leur communauté. Com-munauté par communauté, une « nouvelle éco-nomie » émerge ainsi et rassemble des organi-sations, des projets, des militants, des cher-cheurs et des citoyens engagés dans la recons-truction du système politico-économique à par-tir de la base. Des milliers de projets concretsallant du commerce local écologiquement et so-cialement durable aux coopératives de travail,en passant par la mise en place de grandesbanques et d’entreprises publiques, se dé-ploient à l’échelle du continent, s’inspirant desmodèles et des expériences comme celles dé-veloppées au Québec ou dans le Pays basqueespagnol, et les diffusant.

L’exemple de ClevelandÀ titre d’exemple du travail accompli dans les

dernières années, nous pouvons citer le cas deCleveland en Ohio, au cœur de la « ceinture derouille » (Rust Belt), où un groupe d’entre-prises, propriétés de leurs travailleurs et res-pectueuses de l’environnement, s’est mis enplace. Ces entreprises sont partenaires d’unecorporation de développement communautaireà but non lucratif (community-building nonprofitcorporation) et d’un fonds de roulement destinéà soutenir la création de nouvelles entreprisescoopératives.

On y trouve ainsi une importante blanchisse-

rie industrielle qui poursuit ainsi ses opérationsdans un bâtiment LEED certifié or et qui réus-sit à n’utiliser que le tiers de la quantité d’eauutilisée par une blanchisserie commercialestandard. Une autre coopérative de travailleursy est quant à elle sur le point d’installer leséquipements nécessaires à la productiond’énergie solaire à grande échelle. Une troi-sième, une serre hydroponique de trois acreset un quart, arrive à produire plus de 3 millionsde laitues par année.

Enfin, une part importante du design autourde ce groupe entrepreneurial comprend desdispositions particulières pour permettre auxhôpitaux et aux universités de la région de s’ap-provisionner auprès de ces coopératives de tra-vailleurs. L’objectif n’est donc pas uniquementde soutenir des travailleurs propriétaires deleur entreprise, mais bien de mettre en relationde façon stratégique le développement des coo-pératives et celui de la communauté.

Changements en coursPartout à travers le continent nord-améri-

cain, dans des villes comme Montréal, Seattle,Chicago, Austin, Texas et plusieurs autres, descentaines de coopératives, de fiducies fon-cières, d’entreprises municipales ont vu le jour,en partie à cause de crises économiques et so-ciales et en partie grâce aux efforts soutenusde citoyens-militants décidés à trouver de nou-velles façons de faire alors que le système ac-tuel se désagrège.

De telles stratégies semblent esquisser àplus long terme la possibilité d’un changementsystémique qui s’éloigne des réformes tradi-tionnelles où la propriété du capital et de la ri-

chesse reste principalement entre les mains degrandes corporations.

Vers une reconstructionCe n’est pas la « révolution », c’est autre

chose. C’est une « reconstruction évolution-niste », comme je me plais à l’appeler. Une re-construction qui change le modèle de propriétéet déplace le pouvoir, et ce, d’une façon qui per-met progressivement la construction de nou-velles institutions plus démocratiques àl’échelle locale, puis régionale, et un jour, possi-blement nationale.

Il est tout à fait pensable que la détériorationdes contextes social, économique et écologiquese poursuive. Mais il ne faut pas oublier que cesont ces conditions dif ficiles qui permettentl’émergence des efforts vers une «nouvelle éco-nomie». Alors que la situation s’aggrave et queles leçons tirées des nouvelles avancées se trans-mettent, il y a des raisons de croire que le rythmedu changement puisse s’accélérer et s’intensifierau point où les efforts et les énergies locales et ré-gionales s’unissent pour poser les fondations dece qui pourrait devenir un jour un nouveau sys-tème décentralisé et démocratique, complète-ment différent dans sa structure du capitalismed’entreprise ou du socialisme d’État.

Le «mouvement de la nouvelle économie» a pré-cisément cet objectif à l’esprit et, si la probabilitéreste lointaine comme pour beaucoup de mouve-ments historiques avant lui, les énergies nouvelleslibérées par celui-ci restent bien plus impression-nantes que ce qui est couramment dépeint.

Gar Alperovitz est professeur en économie politiqueà l’Université du Maryland.

AMÉRIQUES

État de crisesystémiqueaux États-Unis

J E A N - L O U I S L A V I L L E

D es expériences de solidarité, longtempsconsidérées comme marginales, sont dés-

ormais en train de prendre un rôle politiqueinédit. Une enquête menée en Catalogne lemontre avec des résultats surprenants. Elle amis en évidence ce qui était jusqu’alors invisi-ble, c’est-à-dire le fait qu’un nombre de per-

sonnes beaucoup plus important que celui d’or-dinaire estimé était concerné par ces pratiquesque sont les initiatives solidaires.

D’après cette estimation, plus de 300 000personnes sont impliquées dans l’autre éco-nomie en Catalogne, et l’étude d’un échan-tillon statistiquement représentatif de la po-pulation à Barcelone montre que, sur 800 per-sonnes interrogées, 97 % d’entre elles partici-

pent au moins à une de ces activités.L’accélération depuis 2008 est spectaculaire,

car si le groupe de ceux qui visent une transfor-mation de la société par ce biais a largementaugmenté (en effet, des participants au mouve-ment des indignés, en l’absence de débouchésdu côté des partis politiques traditionnels, sesont tournés vers les réseaux de proximité etsont devenus très actifs en leur sein), ceux-làont été rejoints par un second groupe, les prati-quants alternatifs qui n’ont pas été convaincuspar idéologie, mais qui se sont ralliés à la suitedes difficultés rencontrées depuis la crise : ilstrouvent dans l’autre économie une confianceen l’avenir qu’ils avaient perdue, grâce auxconnaissances interpersonnelles qu’ilsy acquièrent.

Leur présence confère une ampleurtout à fait nouvelle au phénomène. Ilsy découvrent combien la perspectived’un nouveau modèle socioécono-mique peut s’ancrer dans leur réalitéquotidienne. Ce qui relevait de l’utopiedevient aujourd’hui concret.

Cette structuration récente au ni-veau des territoires se retrouve aussien Italie avec les districts d’économiesolidaire, rassemblant les groupesd’achats solidaires, d’agriculture biolo-gique, de commerce équitable, de fi-nances éthiques, d’énergies renouve-lables, de logiciels libres, etc.

Au nombre de 20, ces groupes ont interpelléles autorités publiques locales et entamé des dé-marches pour une reconnaissance, ce qui aabouti à des lois dans différentes régions. Ainsidans le Frioul, la loi a été suscitée par un forumde l’économie solidaire et des biens communs,qui a par ailleurs invité chaque conseil municipalà adopter une délibération pour promouvoir laparticipation de voisinage et les politiques de ré-cupération du parc immobilier autant que poursoutenir les pratiques d’économie solidaire.

De nouvelles politiques publiquesCette visibilisation politique est également

controversée en France, où les débats se multi-plient avec des manifestations comme celle, an-nuelle, du mois de l’économie sociale et soli-daire, où des centaines de rencontres sont or-ganisées. Les élus élaborent des politiques surle plan local et dix-huit des vingt-deux régionsont modifié dans ce sens leurs schémas régio-naux de développement économique. De plus,en écho de ce qui se passe au Québec, un mi-

nistère délégué à l’économie sociale et solidairepromeut une loi-cadre qui répond à une de-mande de l’ensemble des acteurs.

La rupture avec une vision qui réduit l’écono-mie solidaire à une fonction d’insertion et de luttecontre la pauvreté est encore plus évidente en Bo-livie et en Équateur. Dans les deux cas, la configu-ration politique qui a mené au pouvoir les prési-dents Evo Morales et Rafael Correa se caractérisepar la délégitimation des partis traditionnels, inca-pables de combattre les inégalités et de sortir del’orthodoxie libérale, engendrant la constitutiond’un regroupement de mouvements sociaux par-tisans du changement.

Économie pluriellePortés par cette coalition, les nou-

veaux élus ont édicté des constitutionsqui substituent à l’objectif de crois-sance maximale celui du bien-vivrepour toutes et tous, largement inspirépar la revalorisation des cultures indi-gènes. Le moyen approprié est le re-cours à une économie plurielle qui, àcôté des économies privée et pu-blique, fait place à une économie soli-daire. Cette dernière devient donc unsujet d’intérêt public identifié par lasphère politique, qui lui dédie des ré-formes institutionnelles ainsi que desinstitutions bancaires et administra-tives, parce qu’elle est en mesure de

fournir des opportunités de revenus aux mi-lieux populaires en même temps qu’elle parti-cipe à la construction d’un nouvel équilibre éco-logique et social.

Bien sûr, dans aucun des pays cités, le pro-cessus de reconnaissance de l’économie soli-daire n’est un long fleuve tranquille. Des ten-sions existent entre les projets gouvernemen-taux et les revendications de terrain. Le cheminest encore ardu pour une acceptation pluspleine et entière d’une économie sociale et soli-daire qui ne se limite pas à des actions de répa-ration, mais qui soit vraiment un levier de trans-formation. Néanmoins, les avancées sont indé-niables. Dernière preuve : la création en 2013d’une interagence de l’économie sociale et soli-daire instaurée par 13 organisations de l’ONUet coordonnée par l’UNRISD (www.unrisd.org).

Économie et sol idar i té ne sont p lus antinomiques.

Jean-Louis Laville est professeur et chercheur auConservatoire national des arts et métiers de Paris.

ÉCONOMIE ET MONDIALISATION

Hier, une utopie, aujourd’hui, une réalitéNous assistons à une montée des initiatives nées de la solidarité

En Bolivie eten Équateur,on a substituéà l’objectifde croissancemaximalecelui du bien-vivre pourtoutes et tous

L’innovation sociale est trop souvent considérée comme un simple instrument de réduction dela pauvreté qui reste sans ef fets sur l’accroissement des inégalités. Néanmoins, dans dif fé-rents contextes en Europe comme en Amérique, cette innovation ancrée dans une économiesociale en plein renouvellement et dynamisée par l’apport de l’économie solidaire commence àêtre prise en compte comme un vecteur de changement démocratique.

ADRIAN SANCHEZ-GONZALEZ AGENCE FRANCE-PRESSE

Aux États-Unis, l’ef fritement de la démocratie s’étend bien au-delà du fossé croissant entre les 99% et le 1%.

Page 5: SOCIETE...en innovation sociale et directeur général de l’Institut du Nouveau Monde,aussi bien en petite enfance (les CPE), dans l’insertion au travail des jeunes (les CJE),

S O C I É T ÉL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 M A R S 2 0 1 4 G 5

L’Université Laval, par ses nombreuses chaires de recherche en innovations sociales, contribue à l’avancement et au mieux-être de notre société.

Développement durable du Nord québécoisSécurité en milieu éducatif

Adhésion aux traitements médicauxPrévention de la maltraitance

L’école en réseauFemmes savoirs et société

Démocratie et institutions parlementairesGouvernance de sociétés

Patrimoine ethnologiqueCondition autochtone

Éducation et prévention en santéDéveloppement international

Droit de l’environnementMotivation et réussite scolaire

Intégration professionnelleDéveloppement social de l’enfant

ObésitéÉconomie des politiques sociales

Entreprenariat et innovationCulture philanthropique

NOS CERVEAUX AIMENT LES DÉFIS

DE SOCIÉTÉ

ulaval.ca

R É G I N A L D H A R V E Y

M ichel Venne est en pre-mier lieu invité à cerner

sur quels plans et dans quelssecteurs l’innovation sociale semanifeste au Québec : « Il fautaller voir la définition que l’ondonne sur notre site Web [celuidu Réseau québécois en inno-vation sociale (RQIS)] pour serendre compte que l’innovationsociale intervient dans tous lesdomaines possibles. »

Il fournit des exemples: «Desinnovations sociales marquantesont changé la donne aussi bienen petite enfance (les CPE), dansl’insertion au travail des jeunes(les CJE), la pédiatrie sociale duDr Julien, le transport (Commu-nauto) ou la participation ci-toyenne (l’INM). On a innovéau Québec en matière de loge-ment social, de justice répara-trice chez les autochtones, de per-sévérance scolaire (Allô prof, Fu-sion jeunesse), de créativité (laSAT) ou de finance solidaire(Fonds de solidarité, Fiducie duchantier de l’économie sociale).»

Et il en mesure les impactsmajeurs en ces mots : «Mais ilest frappant de constater que lesplus grands enjeux auxquelsnous serons confrontés dansl’avenir sont liés à l’innovationsociale : le vieillissement de lasociété, les changements clima-tiques, l’immigration et la diver-sification culturelle des sociétés,les troubles de santé mentale enhausse, les inégalités socialessont tous des problématiques quitrouveront leur solution non pasdans l’innovation industrielle ettechnologique, mais dans l’inno-vation sociale, parce que les so-lutions passent par de nouvellesformes de relations humaines,de nouveaux rapports sociaux,de nouvelles politiques de répar-tition et d’assurance, le dialogueet la coopération.»

Le concept d’innovation sous-tend qu’il y a des changementsà apporter à certaines règles ouconventions coutumières du vi-vre en société pour en assurerla réalisation et les avancées…Il y a bousculade quelque part!Quels sont les obstacles rencon-trés à ce sujet? Sont-ils majeursici ? « Je nomme deux obstaclesprincipaux: la méconnaissanceet la faible reconnaissance duconcept et de sa réalité concrète;et puis, la dif ficulté de faire ac-cepter par les grandes institu-tions publiques de prendre desrisques. La notion de risque estbien intégrée dans l’industrie etles technologies, mais pas dans lesocial. Dans l’industrie et la tech-nologie, on investit dans un pro-jet en sachant que même si on neréussit pas à tout coup, on se pri-verait de bijoux si on ne prenaitpas ces risques. Dans le social, lesbailleurs de fonds exigent presquetoujours de démontrer que tonprojet va marcher parce qu’ils’appuie sur des pratiques éprou-vées. Or, une innovation, par dé-finition, ne peut pas être une pra-tique éprouvée. C’est antino-mique. Il faut accepter de pren-dre des risques.»

Mais encore, dans quels do-maines ces risques doivent-ilsêtre pris en priorité dans la so-ciété québécoise? «Les princi-paux risques doivent être prisdans les domaines les plus ur-gents et les plus complexes. Pren-dre un risque veut dire: accepterd’investir des fonds dans des expé-riences ou des laboratoires des-quels émergeront des solutionsnouvelles. Présentement, tout ce

qui concerne la persévérance sco-laire et la réussite éducative, laréduction de l’analphabétisme etl’accès aux soins de proximité re-quiert de penser dif féremment.Nos vieux modèles sont enpanne. Les besoins ont changé.Le rapport à l’éducation n’estplus le même. La culture scolaires’effrite. Il reste encore à imagi-ner l’école du XXIe siècle. C’est lamême chose en santé: l’hôpital etle médecin ne peuvent pas répon-dre aux besoins de la société d’au-jourd’hui, dans laquelle il fautmettre l’accent sur la prévention,le maintien à domicile des per-sonnes vieillissantes, le suivi desmaladies chroniques et le soutienaux personnes seules, pour nedonner que ces exemples.»

La thématique etl’ampleur de la tâche

Le colloque du CRISES por-tera sur «La transformation so-ciale pour l’innovation sociale».Le président du RQIS est ins-piré de la sorte par cette théma-tique: «Selon notre définition del’innovation sociale, “la portéed’une innovation sociale esttransformatrice et systémique.Elle constitue, dans sa créativitéinhérente, une rupture avecl’existant.” Nous croyons en effetque l’innovation sociale entraînela transformation sociale. L’inno-vation sociale ne consiste pas seu-lement à proposer quelque chosede nouveau pour résoudre unproblème ponctuellement. Noussavons que les solutions aux pro-blèmes sociaux relèvent de sys-tèmes qu’il faut changer pour ob-tenir des résultats durables.»

Faut-il parler d’utopie ou deréalité dans un tel cadre ?« Nous ne sommes pas dansl’utopie, comme cer tains peu-vent le croire. C’est tout simple-ment une exigence: pour réduireles inégalités, pour améliorer lapersévérance scolaire, pour don-ner accès aux soins de santé àtous, pour réduire l’isolement etl’exclusion, pour concilier fa-mille-travail-études-engagementsocial, ce sont les systèmes qu’ilfaut transformer, parfois aussiles rapports sociaux. Est-ce qu’ilest dif ficile de changer un sys-tème ? Certainement que c’estdif ficile. Il s’agit d’une œuvrequi peut s’étaler sur plus d’unegénération. Et il faut, pour y ar-river, un alliage d’imaginationcitoyenne, de connaissancescientifique, de mobilisation desforces sociétales et de couragepolitique. Ce n’est pas utopique.C’est seulement ardu.»

Le Réseau participera au col-loque, et Michel Venne laissevoir sous quel angle il aborderale sujet de l’innovation : «Nousvoulons explorer comment créerles conditions pour permettrel’éclosion d’innovations socialesdans les grands systèmes commecelui de la santé, celui de l’éduca-tion, les municipalités, pour nenommer que ceux-là. Pourquoi?Parce que ces systèmes sont bri-sés. Mais qu’en même temps,parce qu’ils sont gros, puissants,et traversés par des rapports deforce inextricables entre lesgroupes d’intérêt, ils sont devenusextrêmement difficiles à réformer.Tout le monde protège ses acquis.Les gestionnaires ont peur deprendre des risques en général etils n’y sont pas encouragés. Alors,comment faire pour ouvrir cesmastodontes au changement ?C’est ce que nous cherchons.»

CollaborateurLe Devoir

RÉSEAU QUÉBÉCOISEN INNOVATION SOCIALE

«Les grands enjeuxde l’avenir sont liésà l’innovationsociale», selonMichel Venne

B E R N A R D P E C Q U E U R

U ne densité de relation en-tre les acteurs locaux (en-

treprises, municipalités, uni-v e r s i t é s , c e n t r e s d e r e -cherche, syndicats) peut jouerun rôle déterminant dans lacompétitivité de certaines acti-vités industrielles et de ser-vices. Les districts industrielsitaliens semblent avoir leuréquivalent dans le Bade-Wur-temberg tout comme dans cer-taines préfectures japonaisesou encore dans la Silicon Val-ley ou, plus récemment, dansles « pôles de compétitivité »français. L’acteur local citoyenest aussi présent avec des ini-tiatives observées notammentpar les chercheurs québécoistant dans les villes qu’en mi-lieu rural atour de l’innovationsociale, où des citoyens ou desusagers (voir les Living Labs)se regroupent pour trouverdes solutions aux problèmesé c o n o m i q u e s f o r m u l é scomme partagés.

Les te r r i to i r es commeconstruction sociale éphémèreet partielle viennent se superpo-ser aux territoires définis parles États. Les habitants regrou-pés autour d’un sentiment com-mun d’appartenance peuventainsi retrouver des marges demaîtrise sur leur propre destinéconomique.

L’exemple qui vient d’ailleursà l’esprit est celui des labels surles produits agroalimentaires, à

travers les zones d’AOC (appel-lation d’origine contrôlée), as-sez fortement développées enEurope et en émergence auQuébec. Celles-ci labellisent unproduit sur la base de la qualitéde sa fabrication et aussi deson origine géographique.Cette pratique répond à la vo-lonté du consommateur de per-sonnaliser sa consommation.Elle profite sans doute du be-soin de traçabilité issu descrises alimentaires récentes,mais surtout, elle permet, no-tamment dans les régions agri-coles où les rendements dansl’agriculture productiviste sonttrop faibles pour tenir laconcurrence, de proposer uneproduction alternative baséesur la qualité et donc sur unevalorisation par des prix élevés.L’AOC peut alors être au centred’une offre diversifiée de bienset de services à la base d’un dé-veloppement de tout le terri-toire. D’une manière générale,on assiste à une multiplicationdes stratégies de développe-ment territorial fondées surdes produits spécifiques, cequi, combiné au patrimoine et àla culture propre à chaque ter-ritoire, peut aussi être valorisépar le tourisme.

Défi économiqueet politique

Ainsi, dans cette période demutation rapide dans laquelleles régulations économiques

héritées de l’économie indus-trielle sont remises en ques-tion, il existe de nouvelles mo-dalités de création de res-sources en lien avec des stra-tégies locales d’acteurs. Au-jourd’hui, les perspectives decréation de richesses tiennentaux capacités de groupes às’organiser et à élaborer desprocessus originaux d’émer-gence des ressources. La mon-dialisation, qui consiste essen-tiellement en l’interconnexiondes marchés et qui crée desliens de cause à effet de plusen plus denses entre les ac-teurs économiques, produit enmême temps des dynamiqueset des procédures singulièresde création de ressources.

Bien sûr, cela donne de nou-velles possibilités pour les col-lectivités locales, lesquellespeuvent élaborer des actionspubliques renouvelées autourde la dynamisation des initia-tives d’acteurs et de l’améliora-tion de la performance des ter-ritoires, ce qui se traduit parl’amélioration aussi bien du vi-

vre que de la performance desentreprises qui s’y rattachent.Cependant, ces possibilités nepeuvent constituer un modèlecrédible d’adaptation de nossociétés au monde global qu’àcertaines conditions.

En premier lieu, rappelonsque le développement local desterritoires ne vise pas le replisur soi, mais une adaptation à lamondialisation. Il ne s’agit pasd’autarcie, mais de rééquilibrerles productions de proximitéavec celles qu’il faut importer.En second lieu, la démocratieélective doit trouver un nou-veau dialogue avec la démocra-tie directe et les citoyens. Enfin,il faut qu’existent des lieux etdes temps pour la révélation etl’élaboration collective des res-sources propres à chaque terri-toire afin que chaque habitantpuisse se reconnecter aumonde qui l’entoure et se réap-proprier une part de son destin.

Bernard Pecqueur est professeurà l’Institut de géographie alpinede l’Université de Grenoble-Alpes

DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL

De la concertation locale à la mondialisation

Le Réseau québécois en innovation sociale (RQIS) articulaitsa vision concrète de ce concept en avril 2011 dans la Décla-ration pour l’innovation sociale. Ce document formulait ceténoncé : «La transition démographique que vit le Québec im-pose un nouveau contrat social entre les générations. » De-puis la Tunisie où il séjournait, entretien avec Michel Venne,le président du Réseau et directeur générale de l’Institut duNouveau Monde (INM).

Depuis les années 1970, nous vivons un phénomène de mon-dialisation renforcé. Cela s’exprime à travers l’intensificationdes échanges de différents types: informations, capitaux, bienset services, mais aussi par le déplacement de personnes. Ce-pendant, la recherche en sciences sociales, notamment en Italieavec les districts industriels, a découvert que les relations deproximité entre les acteurs locaux peuvent jouer un rôle déter-minant dans la compétitivité des activités économiques.

MYCHELE DANIAU AGENCE FRANCE-PRESSE

Les produits d’AOC peuvent proposer une production alternativebasée sur la qualité.

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E N Z O M I N G I O N E

N o u s v i v o n s d a n s u ncontexte où l’accomplis-

sement personnel et l’autoréa-lisation de soi se conjuguentavec la vulnérabilité des per-sonnes et la diminution despr o tec t ions soc ia les . Cecontexte a été marqué par laredéfinition de l’État-provi-dence, le délitement du liensocial et l’affaiblissement desréseaux sociaux traditionnels.Le nombre de travailleursayant des carrières et des par-cours d’emploi non tradition-nels s’est multiplié et plusieursd’entre eux ne disposent d’au-cun soutien syndical ou pro-fessionnel. La famille nu-cléaire ne constitue plus levecteur d’intégration socialequ’elle a déjà été. En outre,l’entrée massive des femmessur le marché du travail abousculé les rapports homme-femme, ce qui a eu pour effetde revoir les modalités deconciliation travail-famille.

Simultanément, nous assis-tons à une vague sans précé-dent de déplacement de popu-lations sur le plan internatio-nal. L’augmentation des em-plois faiblement rémunérés,souvent occupés par des immi-grants, rend plus difficile l’in-tégration sociale, profession-nelle et résidentielle de ces po-pulations. Qui plus est, les im-migrants sont davantageconfrontés à l’intérieur despays d’accueil à une conjonc-ture politique et culturelledans laquelle leurs droits so-ciaux sont remis en question,alors que les pratiques discri-minatoires à leur endroit ten-dent à se généraliser.

Face à ces problèmes so-

ciaux, les États comptent surdes ressources limitées, consé-quence des nouvelles règles dujeu découlant de la mondialisa-t ion des mar chés e t descontraintes associées à laconcurrence économique. Led é v e l o p p e m e n t d e s p r o -grammes de protection socialeapparaît désormais incompati-ble avec la compétitivité au seindes échanges commerciaux in-ternationaux, les dispositifs deprotection sociale émanant dusecteur public devenant illégi-times sur le plan politique.

La transformation de l’État social

C’est dans cette trame histo-rique qu’apparaît l ’idée dunouvel État social en tant queréponse aux défis lancés parce nouveau contexte mondial.Faisant appel aux dynamiqueslocales et à la participation ac-tive des personnes et des com-munautés dans le besoin, lesmoyens mis en œuvre pour re-nouveler l’État social impli-quent à la fois des ressourcesémanant d’organisations béné-voles et du milieu des affaires.

La transformation de l’Étatsocial provient de deux impul-sions différentes (et parfois op-posées), à savoir la nécessitéde déterminer des façons effi-caces de répondre aux besoinssociaux qui sont aujourd’huiindividualisés, fragmentés ethétérogènes ; et donc, d’accroî-tre les politiques sociales ditesactives et la nécessité de ré-duire les dépenses publiquesconsacrées aux mesures d’as-sistance sociale.

Il est important ici de souli-gner la dif férence entre cesdeux dynamiques de transfor-mation des politiques pu-

bliques, puisqu’elles impli-quent la mise en place de stra-tégies distinctes qui ne sontpas toujours conciliables. D’uncôté, on obser ve un mouve-ment pour une protection so-ciale plus complète afin de pro-téger les populations vulnéra-bles contre les nouveauxrisques sociaux; de l’autre, desinitiatives politiques visant à ré-duire les dépenses publiques.

Nouvelles pratiquesLes pratiques associées à ce

nouvel État social ont une di-mension locale qui permet derépondre, du moins en partie,aux demandes ciblées et diver-sifiées de protection socialedes citoyens. Mais ce faisant,les mesures qui découlent deces innovations par viennent

difficilement à juguler la crois-sance des inégalités qui, à sontour, entraîne un déficit accrusur le plan des droits sociauxet de la citoyenneté.

La crise actuelle exacerbecette tension parce que, si sarésolution dépend en par tiedes innovations sociales qui se-ront mises en place afin de sa-tisfaire les besoins non com-blés, ces mêmes innovationstrouvent difficilement, dans lecontexte actuel, les appuis né-cessaires au déploiement deleur plein potentiel étant donnéle contrôle serré exercé sur lesressources par l’État central.

Même au sein des pays quiont toujours été considéréscomme généreux en matièrede régulation publique univer-selle — tels les pays scandi-

naves — la situation actuelleengendre des tensions qui de-viennent problématiques etconflictuelles, comme le dé-m o n t r e n t l e s v i o l e n t e sconfrontations ayant éclaté en-tre des groupes d’immigrantset la police au printemps 2013dans les banlieues de cer-taines villes suédoises.

Revoir l’État socialL’État social traditionnel

s’avère ainsi plus qu’un luxeque nous ne pouvons plusnous permettre ; il constitueun système de protection so-ciale peu efficace pour répon-dre aux besoins dans lescontextes sociaux marquéspar l’hétérogénéité, l’instabi-lité et l’individualité. Or, lesformes de transition vers un«nouvel État social » tendent àaccentuer les inégalités so-ciales et les discriminationsenvers les groupes les plusvulnérables qui sont sous-re-présentés en matière de poli-tiques. Plus encore, le prolon-gement de la crise entraîneune augmentation du nombrede personnes en besoin deprotection, comme les chô-meurs de longue durée, les fa-milles pauvres, les immigrantset les minorités victimes dediscrimination.

Les mesures adoptées pourrésoudre la crise en Europe —austérité budgétaire et réduc-tions des dépenses publiques— n’ont fait qu’amplifier lesphénomènes d’inégalité et de

discrimination. Or, il n’existepas de projets innovants, ni demobilisation des ressourcesdu marché et du secteur béné-vole, ni encore de mesuresd’activation visant les usagersde ser vices qui soient suf fi-samment ef ficaces et équita-bles pour satisfaire la de-mande croissante de protec-tion sociale dans nos sociétés,et qui, du même coup, permet-traient d’opérer une réductiondrastique des ressources in-vesties par l’État dans sa mis-sion sociale. La grande crisede 1929 et la Seconde Guerremondiale ont favorisé l’essorde l’État social dans les paysindustrialisés, une perspectivequi, ultimement, a mené àl’adoption du New Deal et dumodèle social européen.

À l’heure actuelle, si nousconsidérons les scénarios desor ties de crise qui incluentuniquement les acteurs prove-nant du marché et des Étatsnations, les perspectives s’avè-rent plutôt déprimantes. Maispeut-être serait-il temps d’envi-sager sérieusement l’éventua-lité d’une réponse à cette crisequi proviendrait des mouve-ments sociaux et des orga-nismes communautaires, àcondition toutefois que leursinitiatives soient orientées demanière à dépasser la frag-mentation et les inégalités quiminent nos sociétés.

Enzo Mingione est professeurà l’Université de Milan-Bicocca

MONDIALISATION

L’État social tel qu’on le connaissait est mis à malLes mesures adoptées pour résoudre la crise en Europe n’ont fait qu’amplifier l’inégalité et la discrimination

T H I E R R Y H A R O U N

L e bilan de l’année de 2013des directeurs provinciaux

de la protection de la jeunesse(DPJ) note que, au cours desdix dernières années, le nom-bre de signalements retenuspar les DPJ s’est accru de prèsde 14 %. «La maltraitance et lanégligence vécues durant l’en-fance laissent des traces indélé-biles dans le parcours de vie deces enfants. Il ne faut pas ou-blier que les premières annéesde vie d’un enfant sont détermi-nantes. Pour être capable de sedévelopper, d’acquérir l’estimede soi, la capacité de se réaliseret la confiance, les enfants ontavant tout besoin d’un attache-ment sécurisé avec un adulteengagé auprès d’eux et de vivredans un environnement sta-ble », lit-on dans le document.

Plus loin, on y indique quel’Organisation mondiale de lasanté « af firme que la maltrai-tance dans l’enfance altère par-fois pour la vie la santé phy-sique et mentale de ceux qui ensont victimes et, en raison deses conséquences socioprofes-sionnelles, elle peut au bout ducompte ralentir le développe-ment économique et social d’unpays».

D’autres chiffresAutre document, autres

constatations. Produite en2012, l’enquête de l’Institut dela statistique du Québec intitu-lée La violence familiale dansla vie des enfants du Québec

constate que 80 % des enfantsont vécu au moins un épisoded’agression psychologique,que 49 % en ont vécu trois ouplus, que 35 % des enfants ontété l’objet de violence phy-sique mineure et 11 % l’ont étéde façon répétée et, enfin, que6 % des enfants ont subi de laviolence physique sévère, cequi comprend des conduitestelles que secouer un enfantde moins de deux ans ou frap-per l’enfant sur les fesses ouailleurs avec un objet dur.

De son côté, la Chaire departenariat en prévention dela maltraitance rappelle que,chaque année au Canada,plus de 145 000 enfants âgésde 0 à 17 ans sont victimes demaltrai tance ou à r isqueélevé d’en être victimes. Cechif fre exclut par ai l leurstous les jeunes qui sont la ci-ble de comportements paren-taux coercitifs non rapportésaux autorités. Les coûts di-rects et indirects de la mal-traitance se chif frent en mil-l iards de dollars annuelle-ment. « Ce fardeau écono-mique considérable s ’appa-rente à celui imposé par desproblèmes de santé répandus,comme les maladies cardio-vasculaires ou le diabète. »

Un partenariatmultiniveaux

Tel est le contexte dans le-quel baigne la chaire dirigéepar Marie-Hélène Gagné, qui apour objectif de mobiliser etsoutenir un partenariat multi-

niveaux (provincial, régionalet local) dans la planification,l’élaboration et la mise en œu-vre d’une stratégie en gradinsde prévention. D’autre par t,elle vise à alimenter scientifi-quement cette approche parl’entremise d’une évaluation,tout en tenant compte des be-soins et des ressources du mi-lieu. «C’est reconnu comme unproblème de santé publique. »

«La maltraitance peut se tra-duire par de la violence phy-sique, verbale ou encore émo-tionnelle », ajoute Mme Gagné,dont la chaire bénéficie del’apport d’autres spécialistesen provenance notamment del ’Université d ’Ottawa, del’UQAM, de l’Université deMontréal, de l’Université duQuébec en Outaouais et del ’Université du Québec àTrois-Rivières.

Parmi les par tenaires decette chaire, on note l’Associa-tion des centres jeunesse duQuébec, l’Association québé-coise d’établissements desanté et de services sociaux,les CPE, l’Institut national desanté publique et la Fédéra-tion québécoise des orga-nismes communautaires Fa-mille. Depuis sa mise sur pieden 2012, cette chaire concen-tre ses travaux sur deux terri-toires, soit Québec et Mont-réal. «Nous avons décidé de fa-voriser une approche commu-nautaire. La mobilisation com-munautaire est essentielle. Et sion cible des territoires, c’estparce que cela nous permetd’approfondir nos travaux, pré-cise Marie-Hélène Gagné.Nous prônons une approcheparticulière de prévention quiinterpelle l’ensemble des établis-sements et organismes d’un ter-ritoire donné autour des en-

fants. C’est qu’on s’est aperçuqu’il n’y avait pas d’établisse-ment ayant pour mission decouvrir tous les éléments tou-chant la prévention. »

Nécessaire présenceLa Chaire de partenariat en

prévention de la maltraitancecomble donc un vide ? « Jepense que oui. Je ne dis pasqu’il ne se fait rien. Ce qu’onremarque par contre c’est qu’iln’y a pas d’ef forts concertés. Iln’y a pas de porteur de dossier.Normalement, ce travail de-vrait être assuré par le CLSC,qui doit être appuyé par sonAgence de santé et de servicessociaux par l’entremise de saDirection de la santé publique.Mais dans la réalité, les CLSCsont pris eux-mêmes avec desclientèles qui sont très lourdes.Ils éteignent des feux et ils man-quent de ressources. Au final,on se retrouve avec un manquede leadership. Et en ce sens, jecrois que, en ef fet, on vientcombler un besoin. »

De manière concrète, Ma-rie-Hélène Gagné fait valoirque les travaux de sa chaireont mené à ce jour à mettre enplace « ce qu’on appelle uneéquipe locale d’intervention. Ily a eu un gros travail de mobili-sation qui a été fait. Chaqueressource du territoire a étérencontrée individuellement eta été mise au fait de la manièreque l’on compte procéder. Onsent vraiment un enthousiasmesur le terrain. Notre plan deformation est prêt. Il seradonné à l’automne prochain, etdès janvier 2015, on sera enmesure d’intervenir auprès desparents avec une approche engradins. »

CollaborateurLe Devoir

PRÉVENTION

La maltraitance des enfants est reconnuecomme un problème de santé publiqueLa maltraitance des enfants est en hausse depuis des annéesau Québec. Pour contrer ce fléau sociétal, la Chaire de parte-nariat en prévention de la maltraitance de l’Université Lavalpropose une approche particulière qui interpelle l’ensembledes acteurs intéressés sur un territoire donné. Perspective.

Au cours des dernières années, diverses transformations ins-crites dans la mondialisation ont af faibli les politiques so-ciales mises en place dans les pays industriels. Nos sociétéssont de plus en plus individualisées et fragmentées.

LOUISA GOULIAMAKI AGENCE FRANCE-PRESSE

À Athènes, une femme tient une petite af fiche disant simplement«j’ai faim».

Page 7: SOCIETE...en innovation sociale et directeur général de l’Institut du Nouveau Monde,aussi bien en petite enfance (les CPE), dans l’insertion au travail des jeunes (les CJE),

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I l est en effet de plus en plus évident que l’ac-tion des pouvoirs publics et du secteur privé

classique se heur te à des limites majeuresquand il s’agit d’af fronter des problèmes so-ciaux tels la nouvelle pauvreté, le chômageélevé, l’exclusion sociale, le manque de pers-pectives pour les jeunes, les défis environne-mentaux et les enjeux liés au vieillissement dela population.

Ce qui est en jeu avec l’entreprise sociale etl’entrepreneuriat social, c’est la recherche desolutions novatrices, mobilisant « l’esprit d’en-treprendre » et la créativité, ainsi que la re-cherche de combinaisons originales de res-sources, notamment à partir de partenariatsinédits entre entités de l’économie sociale avecle monde de l’entreprise privée ou avec despouvoirs publics locaux ou régionaux.

Il apparaît clairement que les dif férentesconceptions de l’entreprise sociale et de l’entre-preneuriat social sont profondément ancréesdans les contextes au sein desquels ces organisa-tions naissent et se développent. Chaquecontexte produit des débats qui lui sont propres.

L’Amérique et le «social business»En Amérique du Nord, l’idée d’entrepreneuriat

social recouvre aujourd’hui des acceptions trèsvariées, mais ces différentes approches conver-gent généralement vers quelques critères cen-

traux: la poursuite d’impacts sociaux, l’innovationsociale, la mobilisation de recettes marchandes,ainsi que l’usage de méthodes managériales, etce, quel que soit le statut légal de l’organisation: àbut lucratif ou non lucratif, privé ou public.

Ici, ce sont les acteurs privés et pratiquementeux seuls qui semblent dessiner le paysage desentreprises sociales et de l’entrepreneuriat so-cial. Cela va sans doute de pair avec unecroyance largement partagée dans le mondedes affaires voulant que les forces du marchéaient la capacité de résoudre une part crois-sante des problèmes sociaux.

Dès lors, même si certains soulignent la né-cessité de mobiliser dif férents types de res-sources, il n’est pas impossible que la présentevague d’entrepreneuriat social agisse en partiecomme un processus de hiérarchisation et desélection des défis sociaux en fonction de leurspossibilités à être traités sur un mode entrepre-neurial et marchand. Certaines réponses nova-trices peuvent certes naître du « social busi-ness », mais d’un point de vue sociétal, on nepeut que douter de la pertinence d’un tel ordon-nancement des besoins sociaux.

L’Europe et l’entreprise socialeEn Europe, on reconnaît au concept d’entre-

prise sociale une filiation très nette avec les dif-férentes approches qui tentent de cerner l’exis-tence d’un troisième secteur, au-delà de la dis-tinction classique entre un secteur privé detype capitaliste et un secteur public, et ce, quels

que soient les termes utilisés pour appréhenderun tel troisième secteur.

Une quinzaine de pays européens ont mis enplace des législations offrant des statuts juri-diques mieux adaptés aux « entreprises so-ciales » ou aux « coopératives sociales ». LaCommission européenne a, quant à elle, lancé,en 2011, une stratégie d’envergure intitulée« Initiative pour l’entrepreneuriat social ».

Ce sont les travaux d’EMES (www.emes.net),rassemblant 15 centres de recherche spécialiséset des chercheurs individuels, qui ont fourni lespremières bases théoriques et empiriques pourune conceptualisation de l’entreprise sociale. Eneffet, ce réseau européen de chercheurs s’estconstitué dès 1996 pour étudier «l’émergence desentreprises sociales» en Europe.

Les 9 indicateurs retenus par le RéseauEMES peuvent être représentés en trois sous-ensembles : la dimension économique, la pri-mauté de la finalité sociale reflétée par une limi-tation dans la distribution des bénéfices, et unmode de gouvernance participatif. À traversces indicateurs, on reconnaîtra bien des carac-téristiques habituelles des organisations d’éco-nomie sociale et solidaire qui sont ici complé-tées ou affinées de manière à révéler de nou-velles dynamiques entrepreneuriales.

Politiques publiquesSi la question de sélection des défis sociaux

en fonction de leurs possibilités de solvabilisa-tion marchande se pose également dans lecontexte européen, particulièrement dans lespays où les logiques de privatisation et de mar-chandisation de services sociaux sont allées leplus loin, en Europe, toutefois, c’est aussi à unautre défi auquel doivent faire face nombred’entreprises sociales. Elles s’y trouvent de

plus en plus soutenues par des politiques pu-bliques visant tantôt la réinsertion de travail-leurs marginalisés, tantôt la fourniture de ser-vices à des populations vulnérables.

Les risques inhérents à de tels appuis publicssont ceux de figer l’innovation sociale à un cer-tain stade en l’institutionnalisant et d’instru-mentaliser les entreprises sociales dans le ca-dre de lignes d’action politiques qui leur enlè-vent l’essentiel de leur autonomie et de leurcréativité.

Vaste rechercheL’entrepreneuriat social jouit actuellement

d’un effet de mode qui a ses avantages. Cepen-dant, cet engouement tous azimuts génèreaussi des attentes démesurées et une certaineconfusion dans les débats.

C’est pourquoi le Réseau EMES vient de lan-cer un grand projet de recherche comparativesur l’entreprise sociale : l’International Compa-rative Social Enterprise Models — ICSEM —Project (http://iap-socent.be/icsem-project). Ceprojet a suscité un intérêt inattendu par son am-pleur : ce sont plus de 170 chercheurs de 50pays qui ont confirmé leur engagement en tantque ICSEM Founding Partners.

Pour éviter de douloureuses désillusions et,au contraire, donner toutes leurs chances auxmultiples formes d’entrepreneuriat à finalité so-ciétale, l’objectif du projet est de saisir aumieux les forces et faiblesses de différents mo-dèles dans leurs contextes propres et dansleurs domaines d’activité respectifs.

Marthe Nyssens et Jacques Defourny professentrespectivement à l’Université catholique de Louvainet à l’Université de Liège. Ils sont membres duRéseau de recherche EMES.

ENTREPRISE SOCIALE

Les modèles européens et nord-américains divergentLe Réseau EMES vient de lancer un grand projet de recherche comparative

PHILIPPE HUGUEN AGENCE FRANCE-PRESSE

Entreprise sociale, entrepreneuriat social : voilà des termes quasiment inemployés il y a unedizaine d’années, mais dont la dif fusion s’opère aujourd’hui à une vitesse étonnante. C’estqu’au-delà de la diversité des contextes, ces concepts traduisent des pratiques innovantes por-teuses d’espoir quant à l’ampleur et à la complexité des défis sociétaux contemporains.

Page 8: SOCIETE...en innovation sociale et directeur général de l’Institut du Nouveau Monde,aussi bien en petite enfance (les CPE), dans l’insertion au travail des jeunes (les CJE),

Programme du 4e Colloque international du CRISES

La transformation sociale par l’innovation socialeSocial Transformation through Social Innovation

4e Colloque international du 4th CRISES international conference

3 et 4 avril 2014 Hôtel Gouverneur, Place Dupuis 1415, rue Saint-Hubert, Montréal — Métro Berri-UQAMFrançais et anglais (traduction simultanée dans la salle principale)

Pour s’inscrire : www.crises.uqam.ca

Jeudi 3 avril 2014 8 h Accueil et inscriptions

9 h Mot de bienvenue

9 h 15 CONFÉRENCE D’OUVERTURE Social innovation facing the challenges of globalization: tensions and illusionsEnzo MINGIONE

10 h

Plénière 1 10 h 30

L’innovation sociale au cœur de la transformation sociale

12 h 30Séance 1A 14 h

Développement équitable et mobilisation des acteurs

Concordia

Séance 1B 14 h

La transformation sociale par l’innovation sociale en milieux ruraux et périphériques

Séance 1C 14 h

Soutenir et favoriser l’innovation sociale

Séance 1D 14 h

Mouvements sociaux et transformation sociale

Séance 1E 14 h

L’innovation sociale et la ville / Social innovation and the city

15 h 30Plénière 2 15 h 45

Potentiel transformateur des innovations sociales : dimensions méthodologiques

Plénière 3 16 h 45

Table ronde du RQIS : L’intégration et l’institutionnalisation des innovations sociales dans les grands systèmes

18 h

Vendredi 4 avril 2014 8 h 30 Accueil et inscriptions

Plénière 4 9 h

Innovation sociale, économie sociale et développement territorial : quels liens ?

Affiches 10 h SÉANCE DE COMMUNICATIONS PAR AFFICHE

Séance 4A 11 h

Utopies, imaginaires et valeurs au cœur de la transformation sociale

Séance 4B 11 h

Santé, services sociaux et innovation sociale

Séance 4C 11 h

Développement local, redéfinition de l’État et innovation sociale

Séance 4D 11 h

Travail, emploi et transformation sociale : entre avancées et reculs

Séance 4E 11 h

Co-construction de la connaissance et recherche partenariale

12 h 30Séance 5A 14 h

Lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale : vers une co-construction de l’offre de services et des politiques publiques

Séance 5B 14 h

Innovation sociale et économie sociale et solidaire : vecteurs de transformation sociale

Séance 5C 14 h

Citoyenneté et recherche du bien commun

Séance 5D 14 h

Gouvernance, innovation organisationnelle et entrepreneuriat social

Séance 5E 14 h

De l’agriculture à la démocratie alimentaire : place à l’innovation sociale

15 h 30

15 h 45 CONFÉRENCE DE CLÔTURE Innovation sociale, économie sociale et solidaire, entrepreneuriat social. Une mise en perspective historique.Jean-Louis Laville