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Médecine & enfance janvier-février 2016 page 8 J OURNÉE DU GROUPE FRANCOPHONE DHÉPATO- GASTROENTÉROLOGIE ET NUTRITION PÉDIATRIQUES Arthur, onze ans, présente des douleurs abdominales récurrentes depuis plusieurs mois et une perte de poids de 2 kg ; sa scolarité en est perturbée et ses absences sont fréquentes. Dans ses antécédents, on trouve, au cours des dernières années, plusieurs gastroentérites aiguës, avec diarrhée mais sans vomissements. Aucun épisode de rectorragies n’est noté. QUEL DIAGNOSTIC ÉVOQUER ? Il peut s’agir d’une colopathie fonction- nelle, mais ces diarrhées et ces douleurs abdominales chroniques sont plutôt évocatrices d’une maladie inflammatoi- re chronique de l’intestin, surtout en cas de perte de poids. QUEL BILAN PRESCRIRE EN PREMIÈRE INTENTION ? NFS, plaquettes, VS, CRP, albuminé- mie, ASCA, pANCA. Calprotectine dans les selles. Echographie abdominale. Et un scanner ? une IRM ? ou une endo- scopie ? Un scanner abdominal, très ir- radiant, ne doit pas être réalisé dès qu’une anomalie est observée à l’écho- graphie, comme cela est trop souvent fait… Actuellement, précise Frank Ruemmele, en gastroentérologie pédia- trique, le scanner n’a plus qu’une indi- cation : un tableau aigu dont la cause doit être identifiée en urgence. L’entéro- IRM est aujourd’hui l’examen de réfé- rence, mais elle ne doit pas être prescri- te en première intention. Quant à l’en- doscopie, qui permettra de poser le dia- gnostic, elle n’est réalisée qu’en cas de forte suspicion de maladie inflammatoi- re chronique de l’intestin (MICI). L’échographie révèle donc chez Arthur une iléite, avec un épaississement des parois de l’iléon terminal. Mais cette iléite n’est pas spécifique, indique Frank Ruemmele. Tout d’abord l’épaississe- ment pariétal peut être simplement lié à la phase de contraction de l’intestin. Un radiologue expérimenté doit recon- naître ce piège ; l’expérience de l’écho- graphiste est en outre indispensable pour éliminer un diagnostic différentiel, comme une hyperplasie nodulaire. Une fois l’iléite diagnostiquée, il faut en trouver la cause. L’iléite ne témoigne que d’une inflammation, et cette der- nière peut aussi être d’origine infectieu- se. Il faut donc prescrire une coprocul- ture à la recherche de pathogènes chez cet enfant qui a présenté plusieurs épi- sodes de diarrhée, en ajoutant la re- cherche de Clostridium difficile avec toxines. CE QU’IL FAUT FAIRE Ne pas oublier les fondamentaux, c’est- à-dire le contexte et l’examen clinique. Sont en faveur d’une MICI : des antécé- dents familiaux ; une perte de poids, voire une cassure de la courbe de crois- sance ; une altération de l’état général ; des lésions périnéales ; un syndrome in- flammatoire biologique ; une calprotec- tine fécale élevée. Si des éléments évocateurs de MICI sont identifiés, une imagerie complète Iléite à l’échographie devant des douleurs abdominales : recontrôler, prescrire un bilan biologique ou une endoscopie d’emblée ? D’après la présentation de F. Ruemmele, service de gastroentérologie pédiatrique, hôpital Necker-Enfants Malades, université Sorbonne-Paris-Cité, Institut Imagine, Inserm U1163, Paris Compte rendu des interventions du congrès ECHANGE (Echange de Consensus Hôpital-Ambulatoire en Nutrition, Gastro-entérologie et hEpatologie) organisé par le Groupe francophone d’hépato-gastroentérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP) Rédaction : M. Joras L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts

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Arthur, onze ans, présente des douleursabdominales récurrentes depuis plusieursmois et une perte de poids de 2 kg ; sascolarité en est perturbée et ses absencessont fréquentes. Dans ses antécédents,on trouve, au cours des dernières années,plusieurs gastroentérites aiguës, avecdiarrhée mais sans vomissements. Aucunépisode de rectorragies n’est noté.

QUEL DIAGNOSTICÉVOQUER ?

Il peut s’agir d’une colopathie fonction-nelle, mais ces diarrhées et ces douleursabdominales chroniques sont plutôtévocatrices d’une maladie inflammatoi-re chronique de l’intestin, surtout en casde perte de poids.

QUEL BILAN PRESCRIREEN PREMIÈRE INTENTION ?

� NFS, plaquettes, VS, CRP, albuminé-mie, ASCA, pANCA.� Calprotectine dans les selles.� Echographie abdominale.Et un scanner ? une IRM ? ou une endo-scopie ? Un scanner abdominal, très ir-radiant, ne doit pas être réalisé dèsqu’une anomalie est observée à l’écho-graphie, comme cela est trop souventfait… Actuellement, précise FrankRuemmele, en gastroentérologie pédia-trique, le scanner n’a plus qu’une indi-cation : un tableau aigu dont la causedoit être identifiée en urgence. L’entéro-IRM est aujourd’hui l’examen de réfé-rence, mais elle ne doit pas être prescri-

te en première intention. Quant à l’en-doscopie, qui permettra de poser le dia-gnostic, elle n’est réalisée qu’en cas deforte suspicion de maladie inflammatoi-re chronique de l’intestin (MICI).L’échographie révèle donc chez Arthurune iléite, avec un épaississement desparois de l’iléon terminal. Mais cetteiléite n’est pas spécifique, indique FrankRuemmele. Tout d’abord l’épaississe-ment pariétal peut être simplement lié àla phase de contraction de l’intestin. Unradiologue expérimenté doit recon-naître ce piège ; l’expérience de l’écho-graphiste est en outre indispensablepour éliminer un diagnostic différentiel,comme une hyperplasie nodulaire.Une fois l’iléite diagnostiquée, il faut entrouver la cause. L’iléite ne témoigneque d’une inflammation, et cette der-nière peut aussi être d’origine infectieu-se. Il faut donc prescrire une coprocul-ture à la recherche de pathogènes chezcet enfant qui a présenté plusieurs épi-sodes de diarrhée, en ajoutant la re-cherche de Clostridium difficile avectoxines.

CE QU’IL FAUT FAIRENe pas oublier les fondamentaux, c’est-à-dire le contexte et l’examen clinique.Sont en faveur d’une MICI : des antécé-dents familiaux ; une perte de poids,voire une cassure de la courbe de crois-sance ; une altération de l’état général ;des lésions périnéales ; un syndrome in-flammatoire biologique ; une calprotec-tine fécale élevée.Si des éléments évocateurs de MICIsont identifiés, une imagerie complète

Iléite à l’échographie devant desdouleurs abdominales : recontrôler,prescrire un bilan biologique ou uneendoscopie d’emblée ?

D’après la présentation de F. Ruemmele, service de gastroentérologie pédiatrique, hôpital Necker-Enfants Malades, université Sorbonne-Paris-Cité, Institut Imagine, Inserm U1163, Paris

Compte rendu des interventions du congrès ECHANGE(Echange de Consensus Hôpital-Ambulatoire enNutrition, Gastro-entérologie et hEpatologie) organisépar le Groupe francophone d’hépato-gastroentérologieet nutrition pédiatriques (GFHGNP)Rédaction : M. JorasL’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts

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par entéro-IRM doit être réalisée, ainsiqu’une exploration endoscopique.En l’absence de signes cliniques et/oubiologiques en faveur d’une MICI, il fautrassurer l’enfant et ses parents, et en casde persistance des symptômes le revoiret éventuellement contrôler le bilansanguin.

LES QUESTIONSDE LA SALLE

Quel est l’apport de l’entéro-IRM ? C’estaujourd’hui une technique précise et fi-ne, qui, dans les mains d’un radiologueexpérimenté, peut éventuellement par-tiellement remplacer l’endoscopie pourle suivi des patients sous traitement. El-le permet de contrôler l’évolution deslésions sans répéter des examens inva-sifs. Dans le cadre du bilan initial, ellepermet aussi de visualiser des atteintesdu grêle non accessibles à l’endoscopieet de façon globale de préciser l’étenduedes lésions. Dans tous les cas, l’entéro-IRM complétera l’examen endoscopiquedu bilan initial.Quelle surveillance en cas d’iléite non spéci-fique ? Si le diagnostic de MICI et d’infec-

tion a été écarté et que l’enfant continueà se plaindre de douleurs abdominales, ilfaut le réexaminer et refaire un bilan san-guin et une échographie à distance.

Une maladie de Crohn peut-elle se révélerpar des ulcérations labiales ou une chéiliteisolées ? La maladie de Crohn peut at-teindre l’ensemble du tube digestif, de labouche à l’anus. Une chéilite peut doncrévéler la maladie, elle peut être isoléeet précéder d’autres localisations, maisc’est une situation relativement rare.Doit on demander une sérologie Yersiniadans le bilan initial ? La sérologie Yersi-nia est utile dans un contexte aigu, pasdans le cadre de symptômes récurrents.Mais, dans le cas d’Arthur, elle peut sejustifier dans le premier bilan avec lacoproculture.Le typage HLA est-il indiqué dans le cadredu bilan d’une MICI ? Non, il n’a aucunintérêt diagnostique à ce jour.En cas d’iléite sans syndrome inflamma-toire mais avec des ANCA positifs peut-ils’agir d’une maladie de Crohn ? Le dia-gnostic doit prendre en compte l’en-semble des signes ; un élément isolé,comme un dosage des ANCA anormal,n’a pas de signification. En revanche, s’ilest associé à une CRP élevée ou à uneperte de poids, il faut bien entendupoursuivre les explorations. �

Marc, quatorze ans, consulte pour desdouleurs abdominales spasmodiques ré-currentes. Il évoque des épisodes va-riables de diarrhée alternant avec un tran-sit normal. Il aurait perdu 2 kg mais il ditqu’il en est très content, car il se trouvaittrop gros… L’examen clinique est normal.S’agit-il d’une colopathie fonctionnelle oud’un début de maladie inflammatoirechronique de l’intestin (MICI) ?

ARGUMENTS EN FAVEURD’UNE MICI

Les signes révélateurs de MICI sont en

Quand prescrire une calprotectinefécale ?

D’après la présentation de J.P. Hugot, hôpital Robert-Debré, Paris

Arbre décisionnel en cas de suspicion de maladie inflammatoire chronique de l’intestin(MICI)

Douleur abdominale,diarrhée

Antécédents familiauxde MICI ?

Examen cliniqueen particulier croissance

Syndrome inflammatoire

Calprotectine fécale

ImagerieMICI peu probable

A réévaluer à distance

Coproculture (C. difficile)

Fibroscopieœso-gastro duodénale

+ iléoscopie

Entéro-IRM

négatifs positifs

effet des douleurs abdominales, unediarrhée, des saignements, une perte depoids, une anorexie, une fatigue [1].

QUEL BILAN EN PREMIÈREINTENTION ?

En première intention, on demandera :� un bilan sanguin : NFS, CRP, VS, al-buminémie, antitransglutaminases.� une échographie abdominale à la re-cherche d’un épaississement de la paroidigestive.� un dosage de la calprotectine dans lesselles.

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INTÉRÊT DU DOSAGE DELA CALPROTECTINE FÉCALE

La calprotectine fécale est une enzymecontenue dans le cytoplasme des poly-nucléaires neutrophiles. En cas d’in-flammation, elle est exsudée dans la lu-mière du tube digestif et retrouvée dansles selles.C’est un marqueur histologique d’infiltra-tion et d’ulcération digestives [2]. Elle tra-duit une inflammation intestinale, elleest donc élevée dans les MICI, mais aussien cas d’infection digestive [3]. Elle pré-sente une bonne corrélation avec la scin-tigraphie aux leucocytes marqués [4]. Cetexamen simple est efficient quelle quesoit la localisation de l’inflammation.En cas de suspicion clinique de MICI,

une calprotectine fécale normale estrassurante : elle signe l’absence d’ulcé-rations profondes.La calprotectine est aussi un bon mar-queur pour le suivi d’une maladie in-flammatoire intestinale, car elle est biencorrélée avec le score endoscopique [5].Elle reflète mieux que les marqueurs sé-riques la présence et la sévérité d’une in-flammation intestinale : 20 % des pa-tients atteints d’une MICI en poussée ontune CRP normale, alors que les taux decalprotectine fécale sont quasiment tou-jours élevés. C’est un moyen peu invasifd’évaluer la cicatrisation muqueuse. Sonintérêt majeur est ainsi de limiter les in-dications de l’endoscopie, un taux nor-mal étant le témoin d’une rémission.Au total, la calprotectine fécale est unexcellent outil pour guider les indica-

tions de l’endoscopie, que ce soit dans lecadre du diagnostic, en cas de suspicionforte de MICI, ou dans celui de la sur-veillance d’une MICI connue.… Mais, à ce jour, le dosage de la cal-protectine fécale n’est pas remboursé.

LES QUESTIONSDE LA SALLE

La calprotectine est-elle augmentée dansles colites aiguës ? Oui, car la calprotec-tine témoigne d’une inflammation di-gestive quelle qu’en soit l’étiologie.Chez un enfant traité pour une MICI, quelleest la signification d’une calprotectine éle-vée ? Cela signifie qu’il n’est pas en ré-mission.En cas de MICI, dans quel délai la calpro-tectine fécale diminue-t-elle sous traite-ment ? En quelques semaines.La calprotectine a-t-elle une indication ennéonatologie ? Non. Elle est très élevéeen cas d’entérocolite, mais cela n’a guè-re d’intérêt, de plus la valeur seuil chezle nouveau-né n’est pas nette. �

Dosage de la calprotectine fécale enpratique [6]

� 1 g à 2 g de selles suffisent.� Conservation pendant 7 jours à températureambiante.� Technique de dosage ELISA facile etreproductible.� Bonne corrélation interindividuelle (un seuldosage suffit).� Absence d’effet du régime alimentaire.� Faux positifs : polypose, cancer, AINS,ulcérations de toutes origines.� Faux négatifs : neutropénie.� Valeur seuil admise : 50 µg/g de selles.� Très bonne discrimination entre normal etpathologique (< 25 µg/g chez le sujet sainversus > 250 µg/g en cas d’inflammationintestinale).

Réaction inflammatoire à l’origine de la sécrétion de calprotectine

Références

[1] SAWCZENKO A., SANDHU B.K. : « Presenting features of in-flammatory bowel disease in Great Britain and Ireland », Arch.Dis. Child., 2003 ; 88 : 995-1000.[2] FOELL D., WITTKOWSKI H., ROTH J. : « Monitoring diseaseactivity by stool analyses : from occult blood to molecular mar-

kers of intestinal inflammation and damage », Gut, 2009 ; 58 :859-68.[3] DÄBRITZ J., MUSCI J., FOELL D. : « Diagnostic utility of faecalbiomarkers in patients with irritable bowel syndrome », World J.Gastroenterol., 2014 ; 20 : 363-75.[4] TIBBLE J., TEAHON K., THJODLEIFSSON B. et al. : « A simplemethod for assessing intestinal inflammation in Crohn’s disea-se », Gut, 2000 ; 47 : 506-13.

[5] MOSLI M.H., ZOU G., GARG S.K. et al. : « C-reactive protein,fecal calprotectin, and stool lactoferrin for detection of endosco-pic activity in symptomatic inflammatory bowel disease patients :a systematic review and meta-analysis », Am. J. Gastroenterol.,2015 ; 110 : 802-19.[6] WRIGHT E.K., DE CRUZ P., GEARRY R. et al. : « Fecal biomar-kers in the diagnosis and monitoring of Crohn’s disease », In-flamm. Bowel Dis., 2014 ; 20 : 1668-77.

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