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SEQUENCE 1 : L’Homme est un loup pour l’Homme Objet d’étude : Argumentation : convaincre, persuader, délibérer L’essai, l’apologue, la lettre, le discours… La Question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVI ème à nos jours. Problématique : Quelle stratégie argumentative les auteurs choisissent-ils pour faire réfléchir le lecteur ? Lectures Analytiques 1. Montaigne - « Notre Monde vient d’en trouver un autre » Essais, III, 6 (1572-92) 2. La Fontaine - « Les loups et les brebis », Livre III, fable 13, Fables (1668) 3. Montesquieu - « Les Troglodytes : Méfaits de l’anarchie », Lettre XI des Lettres Persanes (1721) 4. Sartre - Huis Clos, scène 5 (1943) Lectures Complémentaires L’homme est un loup pour l’homme A. Hobbes, Le Léviathan (1651) Lutte pour le profit : le nouveau monde B. Christophe Colomb – Lettre au trésorier du roi d’Espagne (1493) C. Montaigne – « Qui est un Barbare ? » Essais (livre I, 31) Lutte pour la sécurité : guerre et paix D. Esope – « Les loups et les Moutons », Fables (VIème s. av JC) E. Montesquieu – Utopie des Troglodutes, Lettres persanes, XII (1721) Lutte pour la réputation : l’enfer c’est les autres F. Jean-Paul Sartre, discours sur Huis Clos (1964) G. Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme (1946) Autres activités : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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►SEQUENCE 1 : L’Homme est un loup pour l’Homme

Objet d’étude : Argumentation : convaincre, persuader, délibérer L’essai, l’apologue, la lettre, le discours…

La Question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIème à nos jours.

Problématique : Quelle stratégie argumentative les auteurs choisissent-ils pour faire réfléchir le lecteur ?

Lectures Analytiques1. Montaigne - « Notre Monde vient d’en trouver un autre » Essais, III, 6 (1572-92)2. La Fontaine - « Les loups et les brebis », Livre III, fable 13, Fables (1668)3. Montesquieu - « Les Troglodytes : Méfaits de l’anarchie », Lettre XI des Lettres

Persanes (1721)4. Sartre - Huis Clos, scène 5 (1943)

Lectures Complémentaires L’homme est un loup pour l’homme

A. Hobbes, Le Léviathan (1651)

Lutte pour le profit : le nouveau mondeB. Christophe Colomb – Lettre au trésorier du roi d’Espagne (1493)C. Montaigne – « Qui est un Barbare ? » Essais (livre I, 31)

Lutte pour la sécurité : guerre et paixD. Esope – « Les loups et les Moutons », Fables (VIème s. av JC)E. Montesquieu – Utopie des Troglodutes, Lettres persanes, XII (1721)

Lutte pour la réputation : l’enfer c’est les autresF. Jean-Paul Sartre, discours sur Huis Clos (1964)G. Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme (1946)

Autres activités :. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Séquence 1L’Homme est un loup pour l’Homme

Lecture analytique : 1. Montaigne, Essais (version originale et traduction)« Notre Monde vient d’en trouver un autre… »

Lecture analytique 1 : Dans Le livre III des Essais, Montaigne évoque la découverte du nouveau monde.

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Notre monde vient d'en trouver un autre (et qui nous garantit que c'est le dernier de ses frères, puisque les Démons, les Sibylles1 et nous, avons ignoré celui-ci jusqu'à cette heure ?) non moins grand, plein et peuplé que lui, toutefois si nouveau et si enfant qu'on lui apprend encore son a, b, c ; il n'y a pas cinquante ans qu'il ne savait ni lettres, ni poids, ni mesure, ni vêtements, ni céréales, ni vignes. Il était encore tout nu au giron, et ne vivait que des moyens de sa mère nourricière. Si nous avons raison de conclure à notre fin, et ce poète à la jeunesse de son siècle, cet autre monde ne fera qu'entrer en lumière quand le nôtre en sortira. L'univers tombera en paralysie ; l'un membre sera perclus2, l'autre en pleine vigueur.

Je crains bien que nous aurons bien fort hâté son déclin et sa ruine par notre contagion, et que nous lui aurons bien cher vendu nos opinions et nos arts. C'était un monde enfant ; pourtant nous ne l'avons pas fouetté ni soumis à notre discipline par la supériorité de notre valeur et de nos forces naturelles, ni ne l'avons séduit par notre justice et notre bonté, ni subjugué par notre grandeur d’âme. La plupart de leurs réponses et des négociations faites avec eux témoignent qu'ils ne nous devaient rien en clarté d'esprit et en pertinence. La stupéfiante magnificence des villes de Cusco et de Mexico, et, entre plusieurs choses semblables, le jardin du roi de cette ville, où tous les arbres, les fruits et toutes les herbes, selon l'ordre et grandeur qu'ils ont dans un jardin, étaient excellemment formées d’or ; de même, dans son cabinet, pour tous les animaux qui naissaient en son état et dans ses mers ; et la beauté de leurs ouvrages en pierrerie, en plume, en coton, celle de leur peinture, tout cela montre qu'ils ne nous cédaient non plus en habileté. Mais, quant à la dévotion, au respect des lois, à la bonté, à la libéralité, à la loyauté, à la franchise, il nous a bien servi de n'en avoir pas tant qu'eux ; ils se sont perdus par cet avantage, et vendus et trahis eux-mêmes. […]

Au contraire, nous nous sommes servis de leur ignorance et de leur inexperience, pour les plier plus facilement vers la trahison, la luxure, l’avarice, et vers toute sorte d’inhumanité et de cruauté, à l’exemple et sur le patron de nos mœurs. Qui fit jamais payer un tel prix, pour les profits du commerce et du trafic ? Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l’épée, et la plus riche et belle partie du monde bouleversée pour la negotiation des perles et du poivre ! Brutales victoires. Jamais l’ambition, jamais les inimitiés publiques ne poussèrent les hommes les uns contre les autres, à si horribles hostilités, et calamités si miserables.

Montaigne, Essais, III, 6 (1572-92)

les Sibylles1 : prophétesses, femmes qui font des prédictions.perclus2 : engourdi, impotent

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Séquence 1L’Homme est un loup pour l’Homme

Lecture analytique : 2. La Fontaine, « Les loups et les brebis» (Fables)

Lecture analytique 2 :

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LES LOUPS ET LES BREBIS

Après mille ans et plus de guerre déclarée,Les Loups firent la paix avecque les Brebis.C'était apparemment le bien des deux partis : Car, si les Loups mangeaient mainte bête égarée,Les Bergers de leur peau se faisaient maints habits.Jamais de liberté, ni pour les pâturages, Ni d'autre part pour les carnages :Ils ne pouvaient jouir, qu'en tremblant, de leurs biens.La paix se conclut donc ; on donne des otages :Les Loups, leurs Louveteaux ; et les Brebis leurs Chiens.L'échange en étant fait aux formes ordinaires, Et réglé par des Commissaires,Au bout de quelque temps que Messieurs les Louvats1

Se virent Loups parfaits et friands de tuerie,Ils vous prennent le temps que dans la bergerie Messieurs les Bergers n'étaient pas,Étranglent la moitié des Agneaux les plus gras,Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.Ils avaient averti leurs gens secrètement.Les Chiens, qui sur leur foi, reposaient sûrement, Furent étranglés en dormant :Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent.Tout fut mis en morceaux ; un seul n'en échappa. Nous pouvons conclure de làQu'il faut faire aux méchants guerre continuelle. La paix est fort bonne de soi2 : J'en conviens ; mais de quoi3 sert-elle Avec des ennemis sans foi ?

La Fontaine - « Les loups et les brebis », Livre III, fable 13, Fables (1668)

Illustration de J.J. Grandville

1Louvats : Louveteaux2de soi : en soi3de quoi : à quoi

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Lecture analytique 3 : Les Lettres persanes est un roman épistolaire de Montesquieu, rassemblant la correspondance fictive échangée entre deux voyageurs persans, Usbek et Rica, et leurs amis. Usbek raconte à Mirza l’histoire d’un peuple appelé Troglodyte qui est d’un naturel cruel. Après avoir tué leur roi et leurs magistrats, ils sont livrés à eux-mêmes.

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USBEK A MIRZA, à Ispahan.

[…] Ce peuple, libre de ce nouveau joug, ne consulta plus que son naturel sauvage. Tous les particuliers convinrent qu'ils n'obéiraient plus à personne ; que chacun veillerait uniquement à ses intérêts, sans consulter ceux des autres.

Cette résolution unanime flattait extrêmement tous les particuliers. Ils disaient : Qu'ai-je affaire d'aller me tuer à travailler pour des gens dont je ne me soucie point ? Je penserai uniquement à moi. Je vivrai heureux : que m'importe que les autres le soient ? Je me procurerai tous mes besoins ; et, pourvu que je les aie, je ne me soucie point que tous les autres Troglodytes soient misérables.

On était dans le mois où l'on ensemence les terres ; chacun dit : je ne labourerai mon champ que pour qu'il me fournisse le blé qu'il me faut pour me nourrir ; une plus grande quantité me serait inutile : je ne prendrai point de la peine pour rien.

Les terres de ce petit royaume n'étaient pas de même nature : il y en avait d'arides et de montagneuses, et d'autres qui, dans un terrain bas, étaient arrosées de plusieurs ruisseaux. Cette année la sécheresse fut très grande ; de manière que les terres qui étaient dans les lieux élevés manquèrent absolument, tandis que celles qui purent être arrosées furent très fertiles : ainsi les peuples des montagne périrent presque tous de faim par la dureté des autres, qui leur refusèrent de partager la récolte.

L'année d'ensuite fut très pluvieuse : les lieux élevés se trouvèrent d'une fertilité extraordinaire, et les terres basses furent submergées. La moitié du peuple cria une seconde fois famine ; mais ces misérables trouvèrent des gens aussi durs qu'ils l'avaient été eux-mêmes.[…]

A Erzeron, le 3 de la lune de Gemmadi 2, 1711.Montesquieu, Lettre XI des Lettres Persanes (1721)

Lecture Analytique 4 : Trois personnages se retrouvent à leur mort en enfer dans un lieu ressemblant à un salon de style second empire. Ils ne se connaissent pas, viennent de milieux très différents, ne partagent ni les mêmes convictions ni les mêmes goûts. Estelle et Garcin prétendent ne pas comprendre pourquoi ils sont là.

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Inès - Je vois. (Un temps.) Pour qui jouez-vous la comédie ? Nous sommes entre nous.Estelle, avec insolence - Entre nous ?Inès - Entre assassins. Nous sommes en enfer, ma petite, il n'y a jamais d'erreur et on ne damne jamais les gens pour rien.Estelle - Taisez-vous.Inès - En enfer ! Damnés ! Damnés !Estelle - Taisez-vous. Voulez-vous vous taire ? Je vous défends d'employer des mots grossiers.Inès - Damnée, la petite sainte. Damné, le héros sans reproche. Nous avons eu notre heure de plaisir ; n'est-ce pas ? Il y a des gens qui ont souffert pour nous jusqu'à la mort et cela nous amusait beaucoup. À présent, il faut payer.Garcin, la main levée - Est-ce que vous vous tairez ?Inès, le regard sans peur, mais avec une immense surprise - Ha ! (Un temps.) Attendez ! J'ai compris, je sais pourquoi ils nous ont mis ensemble.Garcin - Prenez garde à ce que vous allez dire.Inès - Vous allez voir comme c'est bête. Bête comme chou ! Il n'y a pas de torture physique n'est-ce pas ? Et cependant, nous sommes en enfer. Et personne ne doit venir. Personne. Nous resterons jusqu'au bout seuls ensemble. C'est bien ca ? En somme, il y'a quelqu'un qui manque ici : c'est le bourreau.Garcin, à mi-voix - Je le sais bien.Inès - Eh bien, ils ont réalisé une économie de personnel. Voilà tout. Ce sont les clients qui font le service eux-mêmes, comme dans les restaurants coopératifs.Estelle - Qu'est-ce que vous voulez dire ?Inès - Le bourreau, c'est chacun de nous pour les deux autres.

Jean-Paul Sartre, Huis Clos, scène 5 (1943)

Séquence 1L’Homme est un loup pour l’Homme

Lectures analytiques : 3. Montesquieu, Lettre XI, Les Lettres persanes4. Jean-Paul Sartre, scène 5, Huis Clos

Mise en scène de Raymon Rouleau (1944)

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Séquence 1L’Homme est un loup pour l’Homme

Lecture complémentaire : A. Hobbes, Le Léviathan

Texte A : Dans Le Léviathan, Thomas Hobbes reprend l’expression de Plaute (auteur latin) « Homo homini lupus » (« l’homme est un loup pour l’homme »). Il explique que sans pouvoir et lois, les hommes sont en guerre.

[...] Les hommes ne retirent pas d'agrément (mais au contraire un grand déplaisir) de la vie en compagnie, là où il n'existe pas de pouvoir capable de les tenir tous en respect. Car chacun attend que son compagnon l'estime aussi haut qu'il s'apprécie lui-même, et à chaque signe de dédain, ou de mésestime il s'efforce naturellement, dans toute la mesure où il l'ose (ce qui suffit largement, parmi des hommes qui n'ont pas de commun pouvoir qui les tienne en repos, pour les conduire à se détruire naturellement), d'arracher la reconnaissance d'une valeur plus haute : à ceux qui le dédaignent, en lui nuisant ; aux autres, par de tels exemples.

De la sorte, nous pouvons trouver dans la nature humaine trois causes principales de querelles :

Premièrement, la rivalité Deuxièmement, la méfiance Troisièmement, la fierté (glory)

La première de ces choses fait prendre l'offensive aux hommes en vue de leur profit. La seconde, en vue de leur sécurité. La troisième, en vue de leur réputation. Dans le premier cas, ils usent de violence pour se rendre maîtres de la personne d'autres hommes, de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs biens. Dans le second cas, pour défendre ces choses. Dans le troisième cas, pour des bagatelles, par exemple pour un mot, un sourire, une opinion qui diffère de la leur, ou quelque autre signe de mésestime, que celle-ci porte directement sur eux-mêmes, ou qu'elle rejaillisse sur eux, étant adressée à leur parenté, à leurs amis, à leur nation, à leur profession, à leur nom.

Il apparaît clairement par là qu'aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun.

Extrait de Le Léviathan, Thomas Hobbes (1651)

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Séquence 1L’Homme est un loup pour l’Homme

Lectures complémentaires : B. Christophe Colomb, Lettre au trésorier du roiC. Montaigne, Essais (livre I, 31)

Texte B : Ce texte est extrait d’une lettre de Christophe Colomb adressée au seigneur Raphaël Sanris, trésorier du roi d’Espagne. Il y raconte sa découverte du « nouveau monde ».

Les habitants des deux sexes de cette île, comme ceux des autres îles que j’ai visitées ou dont j’ai entendu parler, sont toujours nus et tels qu’ils sont venus au monde. Quelques femmes cependant couvrent leur nudité d’une feuille ou de quelque feuillage, ou d’un voile de coton qu’elles ont préparé pour cet usage. Tous manquent de fer comme je l’ai dit ; ils manquent aussi d’armes ; elles leur sont inconnues pour ainsi dire ; et d’ailleurs ils ne sont point aptes à en faire usage, non par la difformité de leur corps, car ils sont bien faits, mais parce qu’ils sont timides et craintifs. Au lieu d’armes, ils portent des roseaux durcis au soleil, et aux racines desquels ils adaptent une espèce de lame de bois sec, terminée en pointe. Ils n’osent même s’en servir, car il arriva souvent que députant deux ou trois hommes vers quelques-unes de leurs bourgades afin de conférer avec eux, une foule d’Indiens sortaient, et dès qu’ils voyaient que les nôtres s’approchaient d’eux, ils prenaient promptement la fuite, au point que les pères abandonnaient leurs enfants, et réciproquement, quoiqu’on ne leur fît aucun mal. Cependant ceux que j’ai pu aborder, et avec lesquels j’ai pu échanger quelques paroles, je leur donnais des étoffes ou beaucoup d’autres choses sans qu’ils me donnassent autre chose en échange ; mais, je le répète, ils sont naturellement craintifs et timides. Toutefois, quand ils se croient en sûreté, quand la crainte a disparu, alors ils se montrent simples, de bonne foi, et très-généreux dans ce qu’ils ont. Aucun d’eux ne refuse ce qu’il possède à celui qui le lui demande. Bien plus, ils nous invitaient à leur demander. Ils ont pour tous une grande affection, se plaisent à donner beaucoup pour recevoir peu, se contentent de la moindre bagatelle et même de rien du tout. J’ai défendu qu’on leur donnât des objets d’une trop mince valeur, ou tout à fait insignifiants, comme des fragments de plat, d’assiette, de verre ; ceux qui recevaient des clous, des lanières pensaient être en possession des plus beaux bijoux du monde. Il arriva à l’un des matelots de recevoir pour une lanière autant d’or qu’il en faudrait pour faire trois sous d’or.

Lettre de Christophe Colomb sur la découverte du nouveau monde, 1493

Texte C : Les « Indiens » découverts en Amérique étaient alors vus par la plupart comme des barbares.

Chacun appelle barbarie, ce qui n'est pas de son usage. Comme de vrai nous n'avons autre mire de la vérité, et de la raison, que l'exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages de même, que nous appelons sauvages les fruits, que nature de soi et de son progrès ordinaire a produits : là où à la vérité ce sont ceux que nous avons altéré par notre artifice, et détourné de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux là sont vives et vigoureuses, les vraies, et plus utiles et naturelles, vertus et propriétés ; lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, les accommodant au plaisir de notre goût corrompu. Et si pourtant la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût même excellente à l'envie des nôtres, en divers fruits de ces contrées là, sans culture : ce n'est pas raison que l'art gagne le point d'honneur sur notre grande et puissante mère nature. Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions, que nous l'avons du tout étouffée. Si est-ce que par tout où sa pureté reluit, elle fait une merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises. Et veniunt hederæ sponte sua melius, Surgit et in solis formosior arbutus antris, Et volucres nulla dulcius arte canunt1. Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à représenter le nid du moindre oiselet, sa contexture, sa beauté, et l'utilité de son usage : non pas la tissure de la chétive araignée. Toutes choses, dit Platon, sont produites ou par la nature, ou par la fortune, ou par l'art. Les plus grandes et plus belles par l'une ou l'autre des deux premières : les moindres et imparfaites par la dernière.

1 Vois quelles couleurs la terre splendide fait jaillir ; Comme le lierre sauvage pousse seul avec plus de force ; Vois l'arbousier dans les antres solitaires plus beau se dresser ; et l'eau vive sans nul maître courir son chemin (Elégies)

Montaigne, Les Essais, Livre I Chapitre XXXI (1572-92)

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Séquence 1L’Homme est un loup pour l’Homme

Lectures complémentaires : D. Esope, « Les loups et les moutons » (Fables)E. Montesquieu, Lettre XII, Les Lettres Persanes

Texte D : Voici le texte d’Esope (auteur grec du VIIème –VIème s. av JC, fondateur du genre de la fable) qui a inspiré La Fontaine.

LES LOUPS ET LES MOUTONS

Des loups cherchaient à surprendre un troupeau de moutons. Ne pouvant s’en rendre maîtres, à cause des chiens qui les gardaient, ils résolurent d’user de ruse pour en venir à leurs fins. Ils envoyèrent des députés demander aux moutons de livrer leurs chiens. C’étaient les chiens, disaient-ils, qui étaient cause de leur inimitié ; on n’avait qu’à les leur livrer ; et la paix régnerait entre eux. Les moutons ne prévoyant pas ce qui allait arriver, livrèrent les chiens, et les loups, s’en étant rendus maîtres, égorgèrent facilement le troupeau qui n’était plus gardé.

Il en est ainsi dans les États : ceux qui livrent facilement leurs orateurs ne se doutent pas qu’ils seront bientôt assujettis à leurs ennemis.

Esope, Fable 217, Fables

La Fable, un genre efficace ?

Démosthène, l’un des grands orateurs antiques grecs, (384 av. J.-C. - 322 av. J.-C.), utilisa cette fable. Alexandre le Grand (Roi de Macédoine, adversaire des grecs) demanda aux Athéniens de lui remettre entre les mains huit de leurs orateurs, qu’il considérait comme des chefs de trouble. Démosthène conta au peuple d'Athènes la fable des Loups et des Moutons, en comparant lui et ses compagnons, travaillant pour le bien du peuple, aux Chiens qui gardent les troupeaux de Moutons, et appelant Alexandre le Loup. Il fut écouté du peuple.

Lors de la seconde Assemblée législative en France (en 1791), les deux partis qui la divisaient s'étant réunis dans un moment d'enthousiasme, sous la promesse solennelle d'abjurer leurs animosités et leurs haines. Le roi Louis XVI s'y rendit le soir de ce jour-là même, accompagné de ses ministres, pour signer ce nouveau traité de paix.

Le lendemain, les murs de la capitale se trouvèrent tapissés d'affiches qui portaient la fable des Loups et des Brebis de La fontaine. La paix ne dura pas même un jour ; et le 20 juin, qui suivit bientôt après, Louis XIV dut fuir à Varennes.

Texte E : Après avoir montré où la crauté pouvait mener les hommes, l’auteur propose une utopie.

Usbek au même, à Ispahan

Tu as vu, mon cher Mirza, comment les Troglodytes périrent par leur méchanceté même et furent les victimes de leurs propres injustices. De tant de familles, il n'en resta que deux qui échappèrent aux malheurs de la Nation. Il y avait dans ce pays deux hommes bien singuliers : ils avaient de l'humanité ; ils connaissaient la justice ; ils aimaient la vertu. Autant liés par la droiture de leur coeur que par la corruption de celui des autres, ils voyaient la désolation générale et ne la ressentaient que par la pitié ; c'était le motif d'une union nouvelle. Ils travaillaient avec une sollicitude commune pour l'intérêt commun ; ils n'avaient de différends que ceux qu'une douce et tendre amitié faisait naître ; et, dans l'endroit du pays le plus écarté, séparés de leurs compatriotes indignes de leur présence, ils menaient une vie heureuse et tranquille. La terre semblait produire d'elle-même, cultivée par ces vertueuses mains.

Ils aimaient leurs femmes, et ils en étaient tendrement chéris. Toute leur attention était d'élever leurs enfants à la vertu. Ils leur représentaient sans cesse les malheurs de leurs compatriotes et leur mettaient devant les yeux cet exemple si triste ; ils leur faisaient surtout sentir que l'intérêt des particuliers se trouve toujours dans l'intérêt commun ; que vouloir s'en séparer, c'est vouloir se perdre ; que la vertu n’est point une chose qui doive nous coûter ; qu’il ne faut point la regarder comme un exercice pénible ; et que la justice pour autrui est une charité pour nous.

Ils eurent bientôt la consolation des pères vertueux qui est d'avoir des enfants qui leur ressemblent. Le jeune peuple qui s’éleva sous leurs yeux s’accrut par d’heureux mariages : le nombre augmenta ; l’union fut toujours la même, et la vertu, bien loin de s’affaiblir dans la multitude, fut fortifiée, au contraire, par un plus grand nombre d’exemples. [...]

Le soir, lorsque les troupeaux quittaient les prairies, et que les boeufs fatigués avaient ramené la charrue, ils s'assemblaient, et, dans un repas frugal, ils chantaient les injustices des premiers Troglodytes et leurs malheurs, la vertu renaissante avec un nouveau peuple et sa félicité. Ils célébraient les grandeurs des Dieux, leurs faveurs toujours présentes aux hommes qui les implorent, et leur colère inévitable à ceux qui ne les craignent pas ; ils décrivaient ensuite les délices de la vie champêtre et le bonheur d'une condition toujours parée de l'innocence. Bientôt, ils s'abandonnaient à un sommeil que les soins et les chagrins n'interrompaient jamais.

La Nature ne fournissait pas moins à leurs désirs qu'à leurs besoins. Dans ce pays heureux, la cupidité était étrangère : ils se faisaient des présents où celui qui donnait croyait toujours avoir l'avantage. Le peuple troglodyte se regardait comme une seule famille ; les troupeaux étaient presque toujours confondus ; la seule peine qu'on s'épargnait ordinairement, c'était de les partager.

D'Erzeron, le 6 de la lune de Gemmadi 2, 1711.Montesquieu, Lettres persanes, XII (1721)

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Texte F : Huis Clos est une pièce très controversée et souvent mal comprise. Sartre explique en quoi chaque homme est le bourreau de l’autre, et plus particulièrement la phrase conclusive : « l’Enfer c’est les autres ».

J'ai voulu dire « l'enfer c'est les autres ». Mais « l'enfer c'est les autres » a été toujours mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'était toujours des rapports infernaux. Or, c'est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui et alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres, ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous.

Deuxième chose que je voudrais dire, c'est que ces gens ne sont pas semblables à nous. Les trois personnes que vous entendrez dans Huis clos ne nous ressemblent pas en ceci que nous sommes tous vivants et qu'ils sont morts. Bien entendu, ici, « morts » symbolise quelque chose. Ce que j'ai voulu indiquer, c'est précisément que beaucoup de gens sont encroûtés dans une série d'habitudes, de coutumes, qu'ils ont sur eux des jugements dont ils souffrent mais qu'ils ne cherchent même pas à changer. Et que ces gens-là sont comme morts, en ce sens qu'ils ne peuvent pas briser le cadre de leurs soucis, de leurs préoccupations et de leurs coutumes et qu'ils restent ainsi victimes souvent des jugements que l'on a portés sur eux.

À partir de là, il est bien évident qu'ils sont lâches ou méchants. Par exemple, s'ils ont commencé à être lâches, rien ne vient changer le fait qu'ils étaient lâches. C'est pour cela qu'ils sont morts, c'est pour cela, c'est une manière de dire que c'est une « mort vivante » que d'être entouré par le souci perpétuel de jugements et d'actions que l'on ne veut pas changer.

De sorte que, en vérité, comme nous sommes vivants, j'ai voulu montrer, par l'absurde, l'importance, chez nous, de la liberté, c'est-à-dire l'importance de changer les actes par d'autres actes. Quel que soit le cercle d'enfer dans lequel nous vivons, je pense que nous sommes libres de le briser. Et si les gens ne le brisent pas, c'est encore librement qu'ils y restent. De sorte qu'ils se mettent librement en enfer.Vous voyez donc que « rapport avec les autres », « encroûtement » et « liberté », liberté comme l'autre face à peine suggérée, ce sont les trois thèmes de la pièce.

Je voudrais qu'on se le rappelle quand vous entendrez dire... « L'enfer c'est les autres ».

Extrait du CD « Huis clos », texte de 1964 par Jean-Paul Sartre

Texte G : Huis Clos permet à Sartre d’illustrer sa philosophie : L’existentialisme

L'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait.

Lorsqu'on considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet objet a été fabriqué par un artisan qui s'est inspiré d'un concept ; il s'est référé au concept de coupe-papier, et également à une technique de production préalable qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le coupe-papier est à la fois un objet qui se produit d'une certaine manière et qui, d'autre part, a une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l'objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence — c'est-à-dire l'ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir — précède l'existence [...]

L'existentialisme athée, que je représente, [...] déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'homme [...]. Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme est non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan vers l'existence, l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme.

L'existentialisme est un humanisme (1946), extraits. Jean-Paul Sartre

Séquence 1L’Homme est un loup pour l’Homme

Lectures complémentaires : F. Jean-Paul Sartre, discours sur Huis ClosG. Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme