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MarcLEVY

Septjourspouruneéternité...

RobertLaffont

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©Pocket,2004.978-2-266-13604-4

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Lehasard,c'estlaformequeprendDieupourpasserincognito.JeanCOCTEAU

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ÀManine,ÀLouis.

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AucommencementDieucréalecieletlaterre.Ilyeutunsoir,ilyeutunmatin:

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1.

PremierJour

Allongé sur son lit, Lucas regarda la petite diode de son beeper quiclignotait frénétiquement. Il referma son livre et le posa juste à côté de lui,ravi.C'étaitlatroisièmefoisenquarante-huitheuresqu'ilrelisaitcettehistoireetdemémoired'enferaucunelecturenel'avaitautantrégalé.Ilcaressalacouvertureduboutdudoigt.CedénomméHiltonétaitenpasse

de devenir son auteur culte. Il reprit l'ouvrage enmain, bien heureux qu'unclientl'aitoubliédansletiroirdelatabledenuitdecettechambred'hôteletlelança d'un geste assuré dans la valise ouverte à l'autre bout de la pièce. Ilregardalapendulette,s'étiraetquittalelit.«Allez,lève-toietmarche»,dit-il,enjoué.Faceaumiroirdel'armoire,ilresserralenœuddesacravate,ajustalaveste de son costume noir, reprit ses lunettes de soleil sur le petit guéridonprès de la télévision et les rangea dans la poche haute de son complet. Lebeeperattachéaupassantdelaceinturedesonpantalonnecessaitdevibrer.Ilrepoussadupied laportede l'uniqueplacardet sedirigeavers la fenêtre. Ilécarta le voile grisâtre et immobile pour étudier la cour intérieure, aucunebriseneviendraitchasserlapollutionquienvahissait lebasdeManhattanets'étendait jusqu'aux limites deTriBeCa.La journée serait caniculaire,Lucasadorait le soleil, et quimieuxque lui savait combien il était nocif ?Sur lesterres de sécheresse, n'autorisaitil pas la prolifération de toutes sortes degermesetdebactéries,n'était-ilpasplus intraitableque lagrande faucheusepour trier les faibles des forts ? « Et la lumière fut ! » fredonna-t-il endécrochant le téléphone. Il demanda à la réceptionque l'onprépare sanote,sonvoyageàNewYorkvenaitd'êtreécourté,puisilquittalachambre.Au bout du couloir, il déconnecta l'alarme de la porte qui s'ouvrait sur

l'escalierdesecours.Arrivédanslacourette,ilrécupéralelivreavantdesedélesterdesavalise

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dansungrandcontaineràorduresets'engagead'unpaslégerdanslaruelle.Dans la petite rue de SoHo aux pavés disjoints, Lucas guettait d'un œil

gourmand un balconnet en fer forgé, qui ne résistait plus à la tentation des'effondrerqueparlagrâcededeuxrivetsrouillés.Lalocatairedutroisièmeétage,jeunemannequinauxseinstropbiensculptés,auventreinsolentetauxlèvrespulpeuses,étaitvenues'installerdanssachaiselongue,nesedoutantderien et c'était parfait ainsi.Dans quelquesminutes (si sa vue ne le trompaitpas, et elle ne le trompait jamais), les rivets céderaient. La ravissante seretrouverait alors trois étages en contrebas, le corps disloqué. Le sang quis'écouleraitdesonoreilleentrelesintersticesdespavéssouligneraitlaterreurpeinte sur son visage. Son joliminois resterait ainsi figé jusqu'à ce qu'il sedécompose dans une boîte en sapin où la famille de la demoiselle l'auraitenferméavantdelarguerletoutsousunedalledemarbreetquelqueslitresdelarmesinutiles.Unriendutout,quiferaitauplusquatrelignesmalrédigéesdanslejournalduquartieretcoûteraitunprocèsaugérantdel'immeuble.Unresponsable technique de la mairie perdrait son emploi (il faut toujours uncoupable),undesessupérieursenterreraitl'affaire,enconcluantquel'accidentaurait tourné au drame si des passants s'étaient trouvés sous le balconnet.CommequoiilyavaitunDieusurcetteterre,etfinalementc'étaitbienlàlevraiproblèmedeLucas.La journée aurait pu parfaitement bien commencer si, à l'intérieur de cet

appartement coquet, un téléphone n'avait sonné et si l'idiote qui l'occupaitn'avaitlaissésonportabledanssasalledebains.Lastupidetêtedelinotteselevapouraller lechercher :décidément, ilyavaitplusdemémoiredansunMacquedanslacervelled'unmannequin,seditLucas,déçu.Lucasserralesdentsetsesmâchoiresgrincèrent,commecellesducamion

d'orduresquidescendaitverslui,faisanttremblerlaruesursonpassage.Dansunclaquementsecet franc, l'assemblagemétalliques'arrachade lafaçadeetdégringola.Àl'étageinférieur,unefenêtreexplosa,pulvériséeparunmorceaude la rambarde. Un gigantesque mikado de poutrelles de fer rouillées,habitations troglodytes de colonies de bacilles du tétanos, s'abattait sur lepavé.L'œildeLucass'éclairaànouveau,un longerondemétalaiguisé filaitvers le sol àunevitessevertigineuse.Si ses calculs immédiats se révélaientjustes,etilsl'étaienttoujours,rienn'étaitperdu.Ils'engageanonchalammentsur la chaussée, forçant le conducteur de la benne à ralentir. La poutrelletraversa la cabine de la benne à ordures et vint se ficher dans le thorax du

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chauffeur,lecamionfituneterribleembardée.Lesdeuxéboueurs,juchéssurleurplate-formearrière,n'eurentpas le tempsdecrier : l'unfuthappépar lagueulebéantedelabenneetaussitôtbroyéparlesmandibulesquiofficiaient,imperturbables,l'autrefutprojetéau-devantetglissa,inerte,surlemacadam.L'essieuavantpassasursajambe.Danssacourse,leDodgepercutaunréverbèrequ'ilexpédiaenl'air.Lesfils

électriques désormais dénudés eurent la bonne idée de frétiller jusqu'aucaniveaugorgéd'eausale.Unegerbed'étincellesannonçaleformidablecourt-circuit qui affecta tout le pâté de maisons. Dans le quartier, les feux decroisementsemirentenberne,aussinoirsquelecompletdeLucas.Auloin,on pouvait déjà entendre les fracas des premières collisions aux carrefoursabandonnés à eux-mêmes.A l'intersection deCrosbyStreet et deSpring, lechocdelabennefolleetd'untaxijaunefutinévitable.Heurtéparletravers,leYellowCabvints'encastrerdansladevanturedelaboutiquedumuséed'Artmoderne. « Une compression de plus pour leur vitrine », murmura Lucas.L'essieuavantducamionescaladaunevoitureenstationnement,lesoptiquesdésormaisaveuglespointaientversleciel.Lalourdebennesetorditdansunbruit de tôles déchirées, avant de se coucher sur le flanc. Les tonnes dedétritus qu'elle contenait dégueulèrent de ses entrailles et la chaussée secouvritd'untapisd'immondices.Auvacarmedudrameconsommésuccédaunsilencedemort.Lesoleilcontinuaittranquillementsacourseverslezénith,lachaleur de ses rayons aurait vite fait de rendre l'atmosphère du quartierpestilentielle.Lucasajusta lecoldesachemise, ilavaitunesaintehorreurque lespans

dépassentdesonveston.Ilcontemplal'étenduedudésastretoutautourdelui.Il était àpeineneufheures à samontre, et, finalement, c'était une trèsbellejournéequicommençait.Latêteduchauffeurdetaxireposaitsurlevolant,actionnantleklaxonqui

résonnaità l'unissondelacornedesremorqueursdansleportdeNewYork,un endroit si joli quand il faisait beau comme en ce dimanche de find'automne.Lucass'yrendait.Delà,unhélicoptèreledéposeraitàl'aéroportdeLaGuardia,sonaviondécollaitdanssoixante-sixminutes.

*

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Lequai80duportmarchanddeSanFranciscoétaitdésert,Zofiaraccrochalentementlecombinédutéléphoneetsortitdelacabine.Lesyeuxplissésparlalumière,ellecontemplalajetéeopposée.Unessaimd'hommess'yaffairaitautourdegigantesques containers.De leurnacelle, lesgrutiershautperchésdans le ciel dirigeaient un ballet subtil de flèches qui se croisaient à laverticaled'unimmensecargoenpartancepourlaChine.Zofiasoupira,mêmedouéedelameilleurevolontédumonde,ellenepouvaitpastoutfaireseule.Elleavaitbiendesdons,maispasceluid'ubiquité.LabrumerecouvraitdéjàletablierduGoldenGatedontseulslessommets

despilesdépassaientdel'épaisnuagequienvahissaitprogressivementlabaie.Dans quelques instants l'activité portuaire devrait cesser, faute de visibilité.Zofia,ravissantedanssatenued'officierenchargedelasécurité,n'avaitquepeudetempspourconvaincrelescontremaîtressyndiquésd'interrompreleursdockerspayésàlatâche.Siseulementellesavaitsemettreencolère!...Lavied'unhommedevraitpourtantpeserpluslourdquequelquescaisseschargéesàla hâte ; mais les hommes ne changeraient pas si rapidement, sinon ellen'auraitpasbesoind'êtrelà.Zofia aimait l'atmosphère qui régnait sur les docks. Elle avait toujours

beaucoup à faire ici. Toute la misère du monde se donnait rendezvous àl'ombre des anciens entrepôts. Les sansabri y élisaient domicile, à peineprotégésdespluiesd'automne,desventsglacésquelePacifiquecharriaitsurla ville l'hiver venu, et des patrouilles de police qui n'aimaient guères'aventurerdanscetunivershostile,quellequesoitlasaison.—Manca,arrêtez-les!L'homme à la carrure épaisse fitmine de ne pas l'avoir entendue. Sur le

grand bloc-notes qu'il calait contre son ventre, il recopiait le numérod'immatriculationd'uncontainerquis'élevaitdansleciel.—Manca!Nem'obligezpasàdresserunprocès-verbal,prenezvotreradio

etfaitescesserletravail,maintenant!repritZofia.Lavisibilitéestinférieureàhuitmètresetvoussavezbienqu'endessousdedixvousauriezdéjàdûsifflerl'arrêt.Le contremaîtreMancaparapha lapage et la tendit au jeunepointeurqui

l'assistait.D'unmouvementdelamainilluifitsignedes'éloigner.—Nerestezpaslà-dessous,vousêtesdansunezoned'aplomb:quandçase

décroche,çanepardonnepas!

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—Oui, mais ça ne se décroche jamais.Manca, vousm'avez entendue ?insistaZofia.—Jen'aipasuneviséelaserdansl'oeilquejesache!bougonnal'homme

ensegrattantl'oreille.—Maisvotremauvaisefoiestplusprécisequen'importequeltélémètre!

N'essayezpasdegagnerdutemps,fermez-moiceporttoutdesuiteavantqu'ilnesoittroptard.—Celafaitquatremoisquevoustravaillezicietjamaislaproductivitén'a

autantbaissé.C'estvousquialleznourrirlesfamillesdemescamaradesàlafindelasemaine?Untracteurs'approchaitdelazonededéchargement.Lechauffeurnevoyait

plus grand-chose, et ses fourches frontales évitèrent de justesse la collisionavecuneremorqueàplateau.—Allezpoussez-vousdelà,mapetite,vousvoyezbienquevousgênez!—Cen'estpasmoiquigêne,c'estlebrouillard.Vousn'avezqu'àpayervos

dockersautrement. Je suis certaineque leursenfants serontplusheureuxdevoir leurpèrecesoirquedetoucherlaprimed'assurancedécèsdusyndicat.Dépêchez-vous, Manca, dans deux minutes je vous dresse une assignationpersonnelleautribunaletj'iraiplaidermoi-mêmedevantlejuge.LecontremaîtredévisageaZofiaavantdecracherdansleport.—Onnevoitmêmeplusvosrondsdansl'eau!dit-elle.Manca haussa les épaules, s'empara de son talkie-walkie et se résigna à

ordonnerl'arrêtgénéraldesactivités.Quelquesinstantsplustard,quatrecoupsde trompe résonnèrent, immobilisant aussitôt le ballet des grues, desélévateurs,destracteursàsellette,descavaliers,desfrontaux,etdetoutcequipouvait se mouvoir autour des quais ou à bord des cargos. Au loin, dansl'invisible,lacornedebrumed'unremorqueurréponditàl'arrêtdel'activité.—Aforcedejourschômés,ceportfiniraparfermer.—Cen'est pasmoi qui fais la pluie et le beau temps,Manca, j'empêche

juste vos hommes de se tuer.Arrêtez de faire cette tête-là, je déteste quandnoussommesfâchés,jevousoffreuncaféetdesœufsbrouillés.Venez!—Vous pouvezme regarder tant que vous voulez avec vos yeux d'ange,

mais,jevouspréviens,àdixmètresjeremetstoutenroute!—Dès que vous pourrez lire le nomdes bateaux sur leur coque !Allez,

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venez!Le Fisher's Deli, meilleure cantine du port, était déjà bondé. A chaque

brouillard, tous les dockers s'y retrouvaient pour partager l'espoir d'uneéclairciequisauveraitleurjournée.Lesanciensétaientattablésaufonddelasalle.Deboutaucomptoir,lesplusjeunesserongeaientlesonglesententantdedevinerpar-delàlesfenêtreslaproued'unnavireoulaflèched'unegruedebord,premierssignesd'uneaméliorationdutemps.Derrièrelesconversationsdecirconstance, touspriaient,ventrenoué, cœur serré.Pourcespolyvalentsquitravaillaientdejourcommedenuit,sansjamaisseplaindredelarouilleetduselquis'infiltraientjusquedansleursarticulations,pourceshommesquinesentaientplusleursmainsauxcalsépais,ilétaitterriblederentreràlamaison,lesquelquesdollarsdelagarantiesyndicaleenpoche.Unecacophonierégnaitdanslebistrot—decouvertsquis'entrechoquaient,

devapeurquisifflaitdupercolateur,deglaçonsquel'onraclaitdansleurbac.Sur les banquettes en moleskine rouge, les dockers s'étaient entassés pargroupesdesixetpeudemotss'échangeaientau-dessusdubrouhaha.Mathilde, la serveuse aux cheveux coupés à la Audrey Hepburn, la

silhouette fragiledanssablouseenvichy,porteunplateausichargéque lesbouteilles y tiennent en équilibre comme par enchantement. Le carnet decommandesfichédanssontablier,ellevaetvientdelacuisineaucomptoir,dubarauxtables,delasalleauguichetduplongeur.Lesjournéesdegrandebrumesontpourellesans répit,maisdanssasolitudequotidienneellessontsespréférées.Desessouriresgénéreux,desesregardsencoin,desesrepartiescinglantes,ellefinittoujoursparréchaufferunpeulemoraldeshommesquilacôtoient.Laportes'ouvre,elletournelatêteetsourit,elleconnaîtbiencellequientre.—Zofia!Table5!Dépêche-toi,ilapresquefalluquejemontedessuspour

telagarder.Jevousapporteducafétoutdesuite.Zofias'yinstalleencompagnieducontremaîtrequicontinuederâler.— Cinq ans que je leur dis d'installer des éclairages au tungstène, on y

gagnerait au moins vingt jours de boulot par an. Et puis ces normes sontidiotes,mesgarssaventencorebosseràcinqmètresdevisibilité,cesonttousdespros.—Lesapprentisreprésententtrente-septpourcentdevoseffectifs,Manca!—Lesapprentis, ils sont làpourapprendre !Notremétierse transmetde

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pèreenfils,etpersonnenejoueaveclaviedesautresici.Unecartededockerçasemérite,partouslestemps!LevisagedeMancas'adoucitquandMathildelesinterromptpourdéposer

leurcommande,fièredesonagilitéacquiseàl'ouvrage.—Desœufsbrouillésbaconpourvous,Manca.Toi,Zofia,jesupposequetunemangespas,commed'habitude.Je

t'aiquandmêmeserviuncaféquetuneboiraspasnonplus,avecdulaitsansmousse.Lepain,leketchup,voilà,toutyest!Labouchedéjàpleine,Mancalaremercie.D'unevoixmalassuréeMathilde

demande à Zofia si sa soirée est libre. Zofia lui répond qu'elle passera lachercher dès la fin de son service. Soulagée, la serveuse disparaît dans letumulteducaféquinecessedes'emplir.Dufonddelasalle,unhommeàlacarrure sérieuse sedirigevers la sortie.À lahauteurde leur table il s'arrêtepour saluer le contremaître. Manca essuie sa bouche et se redresse pourl'accueillir.—Qu'est-cequetufaisparici?—Commetoi,jesuisvenurendrevisiteauxmeilleursœufsbrouillésdela

ville!—Tuconnaisnotreofficierdesécurité,lelieutenantZofia...?—Nousn'avonspasceplaisir,l'interromptaussitôtZofiaenselevant.—Alors,jevousprésentemonvieilamil'inspecteurGeorgePilguezdela

policedeSanFrancisco.Elletenditunemainfrancheaudétectivequilaregardait,étonné,lorsquele

beeperaccrochéàsaceinturesemitàsonner.—Jecroisbienquel'onvousappelle,ditPilguez.Zofia examina le petit appareil à sa ceinture. Au-dessus du chiffre 7, la

diodelumineusenecessaitdeclignoter.Pilguezladévisageaensouriant.—Çavajusqu'à7chezvous?Votreboulotdoitêtrerudementimportant,

cheznousças'arrêteà4.—C'estlapremièrefoisquecettediodes'allume,répondit-elle,troublée.Je

vouslaisse,jevouspriedem'excuser.Ellesalualesdeuxhommes,adressaunpetitsigneàMathildequinelavit

pasetsefrayauncheminverslaporteàtraversl'assemblée.

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De la table où l'inspecteur Pilguez avait pris sa place, le contremaîtres'écria:—Ne conduisez pas trop vite, àmoins de dixmètres de visibilité aucun

véhiculen'estautoriséàcirculersurlesquais!MaisZofian'entenditpas;remontantsursanuquelecoldesavesteencuir,

ellecouraitverssavoiture.Portièreàpeineclaquée,ellelançalemoteurquidémarra au quart de tour. La Ford de service s'ébranla et fonça le long desdocks, sirènehurlante.Zofiane semblait aucunementperturbéepar l'opacitédubrouillardquinecessaitdes'intensifier.Elleroulaitdanscedécorspectral,se faufilant entre les pieds des grues, slalomant allègrement entre lescontainersetlesmachinesimmobilisées.Quelquesminutesluisuffirentpourarriver à l'entrée de la zone d'activité marchande. Elle ralentit au poste decontrôle, même si par ce temps la voie devait être libre. La barrière striéerouge et blanc était levée. Le gardien du quai 80 sortit de sa guérite,mais,dansune tellenuitblanche, ilnevit rien.Onnevoyaitplus sapropremaintendue. Zofia remontait 3rd Street, longeant la zone portuaire. Après avoirtraversétoutleBassinchinois,3rdStreetbifurquaitenfinverslecentredelaville. Imperturbable, Zofia naviguait dans les rues désertes. À nouveau sonbeeperretentit.Elleprotestaàvoixhaute.—Jefaiscequejepeux!Jen'aipasd'ailesetlavitesseestlimitée!Elle avait à peine achevé sa phrase qu'un immense éclair diffusa dans la

brume un halo de lumière fulgurant. Un coup de tonnerre d'une violenceinouïeéclata,faisanttremblertouteslesvitresdesfaçades.Zofiaécarquillalesyeux,sonpiedappuyaunpeuplusfortsurl'accélérateur,l'aiguillegrimpatrèslégèrement. Elle ralentit pour traverser Market Street, on ne pouvait plusdistinguer la couleur du feu, et s'engagea surKearny.Huit blocs séparaientencoreZofiadesadestination,neufsielleserésignaitàrespecterlesensdecirculationdesrues,cequ'elleferaitsansaucundoute.Danslesruesaveugles,unepluiediluviennedéchiraitlesilence,degrosses

goutteséclataientsur lepare-brisedansunclapotisassourdissant, lesessuie-glacesétaientimpuissantsàchasserl'eau.Auloin,seulelapointequiabritaitl'ultime étage de lamajestueuse Tour pyramidale duTransamericaBuildingémergeaitdel'épaisnuagenoirquirecouvraitlaville.

*

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Vautrédanssonfauteuildepremièreclasse,Lucasprofitaitparlehublotde

cespectaclediaboliquemaisd'unebeautédivine.LeBoeing767tournaitau-dessus de la baie de San Francisco, dans l'attente d'une hypothétiqueautorisation d'atterrir. Impatient, Lucas tapota sur le beeper accroché à saceinture.Ladioden°7necessaitdeclignoter.L'hôtesses'approchapour luiordonnerdel'éteindreetderedressersondossier:l'appareilétaitenapproche.— Eh bien, arrêtez donc d'approcher, mademoiselle, et posez-nous ce

putaind'avion,jesuispressé!La voix du commandant de bord grésilla dans les haut-parleurs : les

conditions météorologiques au sol étaient relativement difficiles, mais lafaible quantité de kérosène dans les réservoirs les obligeait à atterrir. Ildemandaà l'équipagenavigantdes'asseoiretconvoqualechefdecabineaupostedepilotage.Ilraccrochasonmicro.Lamineforcéedel'hôtessedel'airdelapremièreclassevalaitbienunoscar:aucuneactriceaumonden'auraitsucomposer lesourireà laCharlieBrownqu'elleaccrochaà lacommissuredeses lèvres.LavieilledameassiseàcôtédeLucasetquineparvenaitplusàcontrôler sapeuragrippa sonpoignet.Lucas fut amusépar lamoiteurde samainetlelégertremblementquil'agitait.Lacarlingueétaitmalmenéeparunesérie de secousses plus violentes les unes que les autres. Lemétal semblaitsouffrir autant que les passagers. Par le hublot on pouvait voir les ailes del'appareil osciller au maximum de l'amplitude prévue par les ingénieurs deBoeing.—Pourquoilachefdecabineestconvoquée?demandalavieilledame,au

borddeslarmes.— Pour faire un canard dans le café du commandant de bord ! répondit

Lucas,rayonnant.Vousavezlatrouille?—Plusqueça,jecrois.Jevaisprierpournotresalut!—Ah!maisarrêtez-moiçatoutdesuite!Bienheureuse,gardezdonccette

angoisse,c'esttrèsbonpourvotresanté!L'adrénaline,çadécrassetout.C'estledéboucheur liquideducircuitsanguinetpuisça fait travaillervotrecœur.Vous êtes en train de gagner deux années de vie ! Vingt-quatre moisd'abonnementàl'œil,c'esttoujoursçadepris,mêmesiàvoirvotreminelesprogrammesnedoiventpasêtrefolichons!Labouchetropsèchepourparler,lapassagèreessuyad'unreversdelamain

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desgouttesdesueuràsonfront.Danssapoitrine lecœurs'étaitemballé,sarespiration devenait difficile et unemultitude de petites étoiles scintillantesvenaienttroublersavue.Lucas,amusé,luitapotaamicalementlegenou.—Sivousfermezbienfortlesyeux,etenvousconcentrantbienentendu,

vousdevriezvoirlaGrandeOurse.Iléclataderire.Savoisineavaitperduconnaissanceetsatêteretombasur

l'accoudoir.Endépitdesviolentes turbulences, l'hôtesse se leva.S'agrippanttantbienquemalauxportebagages,elleavançaitverslafemmeévanouie.Delapochedesontablier,ellesortitunepetitefioledeselsqu'elledécapsulaetpromenasouslenezdelavieilledameinconsciente.Lucaslaregarda,encoreplusamusé.—NotezqueMamieadesexcusesdenepasbiensetenir,votrepiloten'y

vapasdemainmorte.Onsecroiraitdansdesmontagnesrusses.Dites-moi...çaresteraentrenous,promis...votreremèdedegrand-mère...surelle...c'estpoursoignerlemalparlemal?Etilneputréfrénerunnouveléclatderire.Lachefdecabineledévisagea,

outrée:ellenetrouvaitriend'amusantàlasituationetleluifitsavoir.Un trou d'air brutal expédia l'hôtesse vers la porte du poste de pilotage.

Lucas luiadressaunlargesourireetgiflafranchement la jouedesavoisine.Celle-cisursautaetouvritunœil.— Et la revoilà parmi nous ! Ça vous fait combien de Miles ce petit

voyage?Ilsepenchaàsonoreillepourchuchoter:—N'ayezpashonte,regardez-lesautourdenous, ilssont tousentrainde

prier,c'estd'unridicule!Elle n'eut pas le temps de répondre, dans le hurlement assourdissant des

moteurs l'avion venait de toucher le sol. Le pilote inversa la poussée desréacteursetdeviolentesgerbesd'eauvinrentfouetterlacarlingue.L'appareils'immobilisa enfin. Dans toute la cabine, les passagers applaudissaient lespilotesoujoignaientlesmains,remerciantDieudelesavoirsauvés.Exaspéré,Lucas déboucla sa ceinture de sécurité, leva les yeux au ciel, regarda samontreets'avançaverslaporteavant.

*

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Lapluieavaitredoublédeforce.ZofiagaralaFordlelongdutrottoirqui

bordait la Tour. Elle abaissa le pare-soleil, dévoilant un petit macaron quiarborait les lettres CIA. Elle sortit en courant sous l'ondée, chercha de lamonnaie au fond de sa poche et inséra la seule pièce qu'elle avait dans leparcmètre.Puiselletraversal'esplanade,dépassalestroisportesàtambourquidonnaient accès au hall principal du majestueux édifice pyramidal qu'ellecontourna.Unenouvellefoislebeepervibraàsaceinture:ellelevalesyeuxversleciel.—Jesuisdésolée,maisc'esttrèsglissantlemarbremouillé!Toutlemonde

lesait,saufpeut-êtrelesarchitectes...On plaisantait souvent au dernier étage de la Tour en disant que la

différence entre les architectes etDieu était queDieu, lui, ne seprenait paspourunarchitecte.Elle longea le mur du bâtiment, jusqu'à une dalle qu'elle reconnut à sa

couleurplusclaire.Elleposasamainsurlaparoi.Unpanneaus'effaçadanslafaçade,Zofias'engouffraetlatrappeseremitaussitôtenplace.

*Lucasétaitdescendude son taxietmarchaitd'unpasassuré sur leparvis

queZofiaavaitabandonnéquelquesinstantsplustôt.Al'opposédelamêmeTour, il appliqua comme elle samain sur la pierre.Une dalle, celle-ci plussombrequelesautres,coulissaetilentradanslepilierouestduTransamericaBuilding.

*Zofian'avaiteuaucunmalàs'accoutumeràlapénombreducorridor.Sept

lacets plus tard, elle accéda à un large hall habillé de granit blanc d'oùs'élevaient trois ascenseurs. La hauteur qui régnait sous le plafond étaitvertigineuse.Neufglobesmonumentaux, tousde tailledifférente, suspenduspardescâblesdontonnepouvaitdiscernerlespointsd'amarrage,diffusaientunelumièreopaline.

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Chaquevisiteausiègedel'Agenceétaitpourelleunesourced'étonnement.L'atmosphèrequi régnaitences lieuxétaitdécidément insolite.Ellesalua leconciergequis'étaitlevéderrièresoncomptoir.—Bonjour,Pierre,vousallezbien?L'affectiondeZofiapourceluiquidepuistoujoursveillaitauxaccèsdela

Centraleétaitsincère.Chaquesouvenirdecepassageauxportessiconvoitéesyassociaitsaprésence.N'était-cepasàluiquel'ondevaitleclimatpaisibleetrassurant qui régnait dans l'Entrée de la Demeure en dépit d'un transitintense ? Même les jours de grande affluence, quand des centaines depersonnesseprécipitaientauxportes,Pierre,aliasZée,nepermettaitjamaisledésordreoulabousculade.LesiègedelaCIAneseraitvraimentpaslemêmesanslaprésencedecetêtreposéetattentif.—Beaucoupdetravailcestempsderniers,ditPierre.Vousêtesattendue.Si

voussouhaitezvouschanger,jedoisavoirvotreclédevestiairequelquepart,donnez-moiquelquessecondes...Ilsemitàfouillerdanslestiroirsdelabanqued'accueiletmurmura:—Ilyenatellement!Voyons,oùl'ai-jemise?—Pasletemps,Zée!ditZofiaenmarchantd'unpaspresséversleportique

desécurité.La porte vitrée pivota. Zofia avança vers l'ascenseur de gauche, Pierre la

rappelaà l'ordre, luimontrantdudoigt lacabineexpressaucentre,cellequimontaitdirectementautoutdernierétage.—Vousêtescertain?demanda-t-elle,surprise.Pierrehocha la têtealorsque lesportess'ouvraientausond'uneclochette

quiricochasurlesmursdegranit.Zofiaenrestainterditequelquessecondes.—Dépêchez-vous,etbonnejournée,luidit-ilavecunsourireaffectueux.Lesportesserefermèrentsurelle,etlacabines'élevaversledernierétage

delaCIA.

*DanslepilieropposédelaTour,lenéonduvieuxmonte-chargegrésillaitet

la lumière vacilla quelques secondes. Lucas ajusta sa cravate et tapota les

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reversdesaveste.Lesgrillesvenaientdes'ouvrir.Un homme vêtu d'un costume identique au sien vint aussitôt l'accueillir.

Sansluiadresserlaparole,illuiindiquasèchementlessiègesdusasd'attenteetretournas'asseoirderrièresonbureau.Lemolosseauxalluresdecerbèrequidormait enchaîné à ses pieds souleva une paupière, se lécha les babines etrefermal'œil,untraitdebavefilasurlamoquettenoire.

*L'hôtesseavaitaccompagnéZofiaversuncanapéà l'assiseprofonde.Elle

luiproposadechoisirunedesrevuesmisesàdispositionsurunetablebasse.Avant de retourner derrière son comptoir, elle lui assura qu'on viendrait lachercherdanspeudetemps.

*Aumêmemoment, Lucas referma unmagazine et consulta samontre, il

étaitpresquemidi.Ilendéfitlebraceletetl'attachaàl'enverssursonpoignetpour ne pas oublier de la régler en repartant. Il arrivait parfois qu'au« Bureau » le temps s'arrête, et Lucas ne supportait pas le manque deponctualité.

*Zofia reconnut Michaël dès qu'il apparut au bout du couloir, son visage

s'éclairaaussitôt.Lacheveluregrisonnantetoujoursunpeuenbroussaille,lespattes épaisses qui allongeaient ses traits et cet irrésistible accent écossais(certains prétendaient qu'il l'avait emprunté à sir Sean Connery, dont il nerataitjamaisaucunfilm)luidonnaientunealluredontl'âgen'altéreraitjamaisl'élégance.Zofiaadoraitlafaçonquesonparrainavaitdefairechuinterless,mais elle raffolait encore plus de la petite fossette qui se formait sur sonmenton quand il souriait. Depuis son arrivée à l'Agence,Michaël était sonmentor,sonmodèleéternel.Aufuretàmesurequ'elleavaitgravileséchelonsde la hiérarchie, il avait accompagné chacun de ses pas et s'était toujours

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arrangépourqueriendenégatifnefigurâtàsondossier.Àforcedepatientesleçons et d'attentions dévouées, il avait toujours valorisé les qualitésprécieuses de sa protégée. Sa générosité rarement égalée, son à-propos, lavivacitédesonâmesincère,compensaient les légendaires repartiesdeZofiaqui surprenaient parfois ses pairs. Quant à la façon parfois peu orthodoxequ'elle avait de s'habiller... tout le monde savait bien ici, et depuis fortlongtemps,quel'habitnefaisaitpaslemoine.Michaël avait toujours soutenu Zofia car il avait identifié en elle, aux

premiers instants de son admission, un membre d'élite, et il avait toujoursveilléàcequ'elle-mêmenelesachejamais.Personnen'auraitosécontestersesvues : il était reconnupour sonautoriténaturelle, sa sagesseet sadévotion.Depuis lanuitdes temps,Michaëlétait lenumérodeuxde l'Agence, lebrasdroitdugrandPatronquetoutunchacunappelaitici-hautMonsieur.Un dossier sous le coude,Michaël passa devant Zofia. Elle se leva pour

l'embrasser.—C'estdouxdeterevoir!C'esttoiquim'asfaitappeler?—Oui,enfinpastoutàfait,restelà,ditMichaël.Jevaiscertainementvenir

techercher.Ilavaitl'airtendu,cequineluiressemblaitpas.—Qu'est-cequisepasse?— Pas maintenant, je t'expliquerai plus tard, et tu me feras le plaisir

d'enlevercebonbondetaboucheavantque...Laréceptionnisteneluilaissapasletempsd'acheversarecommandation,il

étaitattendu.Ils'engageadanslecouloird'unpaspresséetseretournapourlarassurer d'un regard. À travers la cloison il entendait déjà les bribes de laconversationquis'envenimaitdanslegrandbureau.—Ahnon,pasàParis!Ilssonttoutletempsengrève...ceseraitbeaucoup

trop facile pour toi, il y a desmanifestations quasi quotidiennes... N'insistepas... depuis le temps que ça dure, je ne les vois pas s'arrêter demain pournousfaireplaisir!UncourtsilenceencourageaMichaëlàleverlebraspourfrapperàlaporte,

mais il interrompitsongesteenentendant lavoixdeMonsieur reprendreuntonplusfort:—L'Asieetl'Afriquenonplus!

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Michaëlrecourbal'index,maislamains'immobilisaàquelquescentimètresdubattantcarànouveaulavoixs'élevait,résonnantcettefoisjusquedanslecorridor.—LeTexas,pasquestion!PourquoipasenAlabamatantquetuyes?!Ilfitunenouvelle tentative,sansplusdesuccès,néanmoinslavoixs'était

apaisée.—Quepenserais-tud'ici?Cen'estpasunemauvaiseidéeaprèstout...ça

nous évitera des déplacements inutiles et depuis le temps que nous nousdisputonsceterritoire.VapourSanFrancisco!Le silence indiqua que le moment était venu. Zofia sourit timidement à

Michaëlalorsqu'ilpénétraitdanslebureaudeMonsieur.Laporteserefermaderrièrelui,Zofiaseretournaverslaréceptionniste.—Ilestnerveux,non?—Oui,depuisleleverdujouroccidental,répondit-elleévasivement.—Pourquoi?—J'entendsbeaucoupdechosesici,maisjenesuisquandmêmepasdans

lesecretdeMonsieur...etpuisvousconnaissezlarègle,jenedoisriendire,jetiensàmaplace.Elle réussit au prix de grands efforts à garder le silence plus d'une petite

minuteetreprit:—Tout à fait confidentiellement, et de vous àmoi, je peux vous assurer

qu'iln'estpasleseulàêtretendu.RaphaëletGabrielonttravaillétoutelanuitoccidentale, Michaël les a rejoints au crépuscule oriental, cela doit êtresacrémentsérieux.Zofia s'amusait du vocable étrange de l'Agence.Mais était-il possible, en

ces lieux, de penser en heures alors que chaque fuseau du globe avait lasienne ? Son parrain lui rappelait, à la première ironie de sa part, que lerayonnement universel des activités de la Centrale et les diversitéslinguistiques de son personnel justifiaient certaines expressions et autresusages.Ilétaitproscrit,parexemple,d'utiliserdeschiffrespouridentifierlesagentsde l'Intelligence.Monsieur avait choisi les premiersmembres de sondirectoireenlesnommant,etlatraditionavaitperduré...Finalement,quelquesrègles bien simples, très éloignées des idées préconçues sur la terre,facilitaient les coordinations opérationnelles et hiérarchiques de la CIA.

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Depuistoujours,ondistinguaitlesangesparunprénom....carc'estainsiquefonctionnaitdepuislanuitdestempslamaisondeDieu

quel'onappelaitaussilaCENTRALEDEL'INTELLIGENCEDESANGES.Monsieurmarchait de long en large, lesmains croisées dans le dos, l'air

soucieux.Detempsentemps,Ils'arrêtaitpourregarderautraversdesgrandesfenêtresde la pièce.Au-dessousde lui, l'épaismatelasdenuages interdisaitd'entrevoir la moindre parcelle de terre. L'immensité bleue bordait la baievitréeauxdimensions infinies. Il jetaunœilcourroucéà la tablederéunionqui traversait la pièce dans toute sa longueur. Le plateau démesuré s'étiraitjusqu'à la cloison du bureau adjacent. Se retournant vers la table,Monsieurrepoussa une pile de dossiers. Tous ses gestes trahissaient l'impatience qu'ilcontrôlait.—Vieux!Toutçaestpoussiéreux!Veux-tuquejetedisecequeJepense?

Cescandidaturessontcanoniques!Commentveux-tuquel'ongagne?Michaëlétaitrestéprèsdelaporteetavançadequelquesmètres.—CesonttousdesagentssélectionnésparvotreConseil...—Parlons-endemonConseil,quelmanqued'idées!Toujoursàradoterles

mêmes paraboles, il vieillit leConseil !Quand ils étaient jeunes, ils étaientpleins d'idées pour améliorer le monde. Aujourd'hui, ils sont presquerésignés!—Maisleursqualitésn'ontjamaistari,Monsieur.—Jenelesremetspasencause,maisregardeoùnousensommes!Sa voix s'était élevée dans le ciel, faisant trembler les murs de la pièce.

Michaël redoutait plus que tout les colères de son employeur. Elles étaientrarissimes,maisleursconséquencesavaientétéplutôtdévastatrices.Ilsuffisaitde regarder par la fenêtre le temps qui régnait sur la ville pour deviner sonhumeurdumoment.—LessolutionsduConseilont-ellesréellementfaitprogresserl'humanité

ces tempsderniers? repritMonsieur. Iln'yavraimentpasdequoipavoiser,non ?Bientôt, on ne pourra plus influencer un simple froissement d'aile depapillon...niLuiniMoid'ailleurs,dit-il,désignantlemuraufonddelapièce.Sileséminentsmembresdemonassembléeavaientfaitpreuved'unpeuplusdemodernité,jen'auraispasàreleverundéfiaussiabsurde!Maislepariest

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lancé, alors il nous faut du neuf, de l'original, du brillant et, surtout, de lacréativité !Unenouvellecampagnes'engage,etc'est lesortdecettemaisonquiestenjeu,queDiable!Onfrappaaussitôttroiscoupsàlacloisonmitoyenne,Monsieurlaregarda

d'unairagacéets'assitàl'extrémitédelatable.L'airmalin,IlavisaMichaël.—Montre-moidonccequetucachessoustonbras!Confus, son fidèle adjoint s'approcha et déposa devant lui une chemise

cartonnée.Monsieurouvritlerabatetfitdéfilerlespremiersfeuillets,sonœils'éclaira, les plissements de son front dénotaient l'intérêt grandissant qu'ilportait à sa lecture. Il souleva le dernier onglet et examina attentivement lasériedephotographiesjointes.Blonde, recueillie dans une allée du vieux cimetière de Prague, brune,

courantlelongdescanauxdeSaint-Pétersbourg,rousse,attentivesouslatourEiffel,cheveuxcourtsàRabat,longsetdansleventàRome,bouclésplacedel'Europe à Madrid, ambrés dans les ruelles de Tanger, elle était toujoursravissante. De face ou de profil, son visage était simplement angélique.Interrogatif, Monsieur désigna le seul cliché où l'épaule de Zofia étaitdénudée:unlégerdétailretintsonattention.—C'estunpetitdessin,s'empressadedireMichaëlencroisantlesdoigts.

Unetoutepetitepaired'ailesderiendutout,unecoquetterie,untatouage...unpeumodernepeut-être?Maisonpeutl'effacer!— Je vois bien que ce sont des ailes, grommelaMonsieur. Où est-elle,

quandpuis-jelavoir?—Elleattendsurlepalier...—Alors,fais-laentrer!Michaël sortit dubureauet alla chercherZofia.Enchemin, il lui infligea

une série de recommandations. Zofia allait rencontrer le grand patron etl'événement était assez exceptionnelpourque sonparrain en ait le trac à saplace...etZofiadevraitsavoirgarderlasiennependanttoutl'entretien.Ellesecontenteraitd'écouter,saufsiMonsieurposaitunequestionsansapporterlui-mêmederéponse.Ilétaitinterditdeleregarderdanslesyeux.Michaëlrepritsonsouffleetpoursuivit:—Attachetescheveuxenarrièreettiens-toidroite.Unechoseencore,situ

doisparler,tuconcluraschacunedetesphrasesparMonsieur...

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MichaëldévisageaZofiaetsourit.—...etpuisoubliecequejeviensdetedire,soistoi-même!Aprèstout,

c'est ce qu'il préfère. C'est pour cela que j'ai proposé ta candidature etcertainementpourcelaaussiqu'ilt'adéjàchoisie!Jesuisépuisé,cen'estplusdemonâgetoutça.—Choisiepourquoi?—Tuvaslesavoir,allez,prendstonsouffleetentre,c'esttongrandjour...

ettumecrachescechewing-gumunefoispourtoutes!Zofianeputs'empêcherdefaireunerévérence.Avecsonvisageburiné,sesmainssublimes,sacarrure,savoixgrave,Dieu

étaitencoreplusimpressionnantquetoutcequ'elleavaitpuimaginer.Ellefitdiscrètement glisser son chewing-gum sous la langue et sentit unindescriptible frisson parcourir son dos. Monsieur l'invita à s'asseoir.Puisqu'elle était selon son parrain (Il savait que c'était ainsi qu'elle appelaitMichaël) l'undesagents lesplusqualifiésdesaDemeure,Il s'apprêtaità luiconfier la mission la plus importante que l'Agence ait connue depuis sacréation.Illaregarda,ellebaissaaussitôtlatête.— Michaël vous délivrera les documents et instructions nécessaires au

parfaitdéroulementdesopérationsdontvousaurezlaseuleresponsabilité...Ellen'avaitpasledroità l'erreuret le tempsluiseraitcompté...Elleavait

septjourspourréussir.—...Faitespreuved'imagination,de talent, ilparaîtquevousenavezde

multiples,jelesais.Soyezd'uneextrêmediscrétion,vousêtestrèsefficace,jelesaisaussi.Il étaitdirectif, jamaisuneopérationn'avaitautantexposé l'Agence. Il lui

arrivait de ne plus savoir lui-mêmede quelle façon il s'était laissé entraînerdanscetincroyabledéfi.—...Si,jecroisquejelesais!ajouta-t-il.Comptetenudelagravitédesenjeux,ellen'enréféreraitqu'àMichaëlet,en

cas de besoin extrême ou d'indisponibilité de sa part, à Luimême. Ce queMonsieurallaitmaintenantluirévélernedevraitjamaissortirdeceslieux.Ilouvrit son tiroir et présenta devant elle un manuscrit où deux signaturesétaient apposées.Le texte détaillait les dispositions de la singulièremissionquil'attendait:

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Les deux puissances qui régissent l'ordre du monde n'ont cessé des'affronter depuis la nuit des temps.Constatant qu'aucune d'elles n'arrive àinfluencer selon sa volonté le destin de l'humanité, chacune se reconnaîtcontrecarréeparl'autredansl'achèvementparfaitdesavisiondumonde...MonsieurinterrompitZofiadanssalecturepourcommenter:—Depuislejouroùlapommeluiestrestéeentraversdelagorge,Lucifer

s'opposeàcequejeconfielaTerreàl'homme.Iln'aeudecessedevouloirmedémontrerquemacréaturen'enestpasdigne.IlluifitsignedepoursuivreetZofiarepritledocument:... Toutes les analyses politiques, économiques et climatiques tendent à

révélerquelaterretourneàl'enfer.MichaëlexpliquaàZofiaqueleurConseilavaitopposéàcetteconclusion

prématurée de Lucifer que la situation actuelle résultait de leur rivalitépermanente,freinàl'expressiondelavéritablenaturehumaine.Ilétaitbientroptôtpourseprononcer,laseulecertitudeétaitquelemonde

netournaitplustrèsrond.Zofiapoursuivit:Lanotiond'humanitédivergeradicalementselonlepointdevuedel'unou

de l'autre. Après d'éternelles discussions, nous avons accepté l'idée quel'avènementdu troisièmemillénairesedevaitdeconsacreruneèrenouvelle,libéréedenosantagonismes.Dunordausud,de l'ouestà l'est, le tempsestvenu de substituer à notre cohabitation forcée un mode opératoire plusefficient...—Çanepouvaitpluscontinuerainsi,repritMonsieur.Zofia observait les lents mouvements des mains qui accompagnaient sa

voix.—Lexxesiècleaététropéprouvant.Etpuis,autrainoùvontleschoses,

nous allons finir par perdre tout contrôle, Lui comme moi. Ce n'est pastolérable,ilenvadenotrecrédibilité.Iln'yapasquelaTerredansl'univers,toutlemondemeregarde.Leslieuxsaintssontpleinsdequestions,maislesgensytrouventdemoinsenmoinsderéponses...Gêné, Michaël fixait le plafond, il toussa, Monsieur invita Zofia à

poursuivre....Pourattesterlalégitimitédeceluiàquiincomberaderégirlaterreau

coursduprochainmillénaire,nousnoussommeslancéunultimedéfidontles

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termessontdécritsci-dessous:Septjoursdurant,nousenverronsparmileshommesceluioucellequenous

considérons comme le meilleur de nos agents. Le plus à même d'entraînerl'humanitéverslebienoulemalapporteralavictoireàsoncamp,préludeàlafusiondenosdeuxinstitutions.Lepouvoird'administrerlenouveaumondereviendraauvainqueur.LemanuscritétaitsignédelamaindeDieuetdelamainduDiable.Zofia releva lentement la tête.Ellevoulait reprendre le texteà sondébut,

pourcomprendrel'originedel'actequ'elletenaitentresesmains.—C'estunpariabsurde,ditMonsieur,unpeuconfus.Maiscequiestfait

estfait.Ellerepritleparchemin,Ilcompritl'étonnementquetrahissaientsesyeux.—Considèrecetécritcommeunalinéaàmonderniertestament.Moiaussi

jevieillis.C'estbienlapremièrefoisquejeressensdel'impatience,alorsfaisen sorte que le temps passe très vite, ajouta-t-il en regardant par la fenêtre,n'oubliepasàquelpointilestcompté...Ill'atoujoursété,cefutmapremièreconcession.Michaël fit un signe à Zofia, il fallait se lever et quitter la pièce. Elle

s'exécutasur-le-champ.Aupasdelaporte,elleneputréprimerl'enviedeseretourner.—Monsieur?Michaëlretintsonsouffle,Dieutournalatêteverselle,levisagedeZofia

s'éclaira.—Merci,dit-elle.Dieuluisourit.—Septjourspouruneéternité...jecomptesurtoi!Illaregardasortirdelapièce.Danslecouloir,Michaëlretrouvaitàpeinesarespirationquandilentendit

lavoixgravelerappeler.IlabandonnaZofia,fitdemi-touretretournadanslegrandbureau.Monsieurfronçalessourcils.—Le bout de caoutchouc qu'elle a collé sousma table est parfumé à la

fraise,n'est-cepas?—C'estbiendelafraise,Monsieur,réponditMichaël.

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— Une dernière chose, lorsqu'elle aura terminé sa mission, je te seraisreconnaissantdeluifaireenlevercepetitdessinsurl'épauleavantquetoutlemondeicines'ymette.Onn'estjamaisàl'abrid'unemode.—C'estévident,Monsieur.—Unequestionencore:Commentas-tusuquejelachoisirais?—Parcequecela faitplusdedeuxmilleansque je travailleàvoscôtés,

Monsieur!Michaëlrefermalaportederrièrelui.LorsqueMonsieurfutseul,ils'assitau

boutde la longuetableet fixa lacloisonfaceà lui. Il se racla lagorgepourannoncerd'unevoixclaireetforte:—Noussommesprêts!—Nousaussi!réponditnarquoisementlavoixdeLucifer.Zofiaattendaitdansunepetitesalle.Michaëlentraetavançaverslafenêtre.

Au-dessous d'eux le ciel s'éclaircissait, quelques collines émergeaient de lacouchenuageuse.— Dépêche-toi, nous n'avons pas de temps à perdre, il faut que je te

prépare.Ils prirent place autour d'une petite table ronde sous une alcôve. Zofia

confiasoninquiétudeàMichaël.—Paroùdois-jecommencerunetellemission,parrain?—Tuparsavecuncertainhandicap,maZofia.Voyonsleschosesenface,

lemalestdevenuuniverseletpresqueaussi invisiblequenous.Tu jouesendéfense, ton adversaire en attaque. Il te faudra d'abord identifier les forcesqu'illigueracontretoi.Trouvelelieuoùiltenterad'opérer.Laisse-lepeut-êtreagirenpremieretcombatssesprojetsdumieuxquetulepourras.Cen'estquelorsque tu l'aurasneutraliséque tu aurasunechancedemettre enœuvreungranddessein.Tonseulatoutseralaconnaissanceduterrain.IlsontchoisiSanFranciscocommethéâtred'opérations...parlepluspurdeshasards.

*Se balançant sur sa chaise, Lucas achevait de prendre connaissance du

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même document sous l'oeil attentif de son Président. Bien que les storesfussent baissés, Lucifer n'avait pas ôté les épaisses lunettes de soleil quimasquaient son regard. Tous ses proches le savaient, le moindre éclairageirritaitsesyeux,brûlésjadisparunrayonnementexcessif.Entouré des membres de son cabinet qui avaient pris place autour de la

tableauxproportionsdémesurées(elles'étirait jusqu'àlacloisonquiséparaitl'immense salle du bureau adjacent), Président déclara aux membres duConseil que la séance était levée. Sous l'impulsion du directeur de lacommunication, un dénommé Blaise, l'assemblée s'achemina vers l'uniqueportedesortie.Restéassis,Présidentfitungestedelamain,rappelantLucasàsescôtés.Accentuantsongeste,ill'invitaàsepencherversluietmurmuraquelque chose à son oreille que personne n'entendit. En sortant du bureau,LucassevitrejoindreparBlaisequil'accompagnajusqu'auxascenseurs.Enchemin,illuiremitplusieurspasseports,desdevises,ungrandtrousseau

declésdevoitures,etexhibaunecartedecréditdecouleurplatinequ'ilagitasoussonnez.—Doucementaveclesnotesdefrais,n'abusezpas!D'ungestevifetagacé,Lucass'emparadurectangleenplastiqueetrenonça

àserrerlamainlaplusadipeusedetoutel'organisation.Habituédelachose,Blaise frotta sa paume sur le dos de son pantalon et cacha gauchement sesmains dans ses poches. Dissimuler était une des grandes spécialités del'individuquis'étaithisséjusqu'àceposte,nonparcompétence,maispartoutcequelavolontéd'ascensionpeutproduiredefourberieetd'hypocrisie.BlaisecongratulaLucas,luiditqu'ilavaitpesédetoutsonpoids(unelitote,comptetenudesaphysionomie)pourfavorisersacandidature.Lucasn'accordapaslemoindrecréditàsespropos:Blaisen'étaitàsesyeuxqu'unincompétentàquil'on avait confié la responsabilité de la communication interne, pourd'exclusivesraisonsdeparenté.Lucasnepritmêmepas lapeinedecroiser sesdoigtsquand il promitde

rendrerégulièrementcompteàBlaisedel'avancementdesamission.Auseinde l'organisation qui l'employait, mystifier était le moyen le plus sûr dontdisposaient les directeurs pour pérenniser leurs pouvoirs. Pour plaire à leurPrésident, il leurarrivaitmêmedesementirentreeux.Leresponsablede lacommunication supplia Lucas de lui divulguer ce que Président avaitmurmuréàsonoreille.Cedernierledévisageaavecméprisetpritcongé.

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*Zofiaembrassalamaindesonparrainetl'assuraqu'elleneledécevraitpas.

Elleluidemandasiellepouvaitluiconfierunsecret.Michaëlacquiesçad'unsignedetête.EllehésitaetluiavouaqueMonsieuravaitdesyeuxincroyables,ellen'avaitjamaisrienvud'aussibleu.—Ilschangentparfoisdecouleur,maisilt'estinterditdedireàquiconque

cequetuasvudedans.Elle promit et sortit dans le corridor. Il l'accompagna à l'ascenseur. Juste

avantquelesportesnesereferment,illuisouffla,complice:—Ilt'atrouvéecharmante.Zofiarougit.Michaëlfitmineden'enavoirrienvu.—Poureux,cedéfin'estpeut-êtrequ'unmaléficedeplus;pournous,c'est

unequestiondesurvie.Nouscomptonstoussurtoi.Quelquesinstantsplustard,elletraversaànouveaulegrandhall.Pierrejeta

un œil sur ses écrans de contrôle, la voie était libre. La porte coulissa ànouveaudanslafaçadeetZofiaputaccéderàlarue.

*Aumêmemoment,Lucassortaitdel'autrecôtédelaTour.Undernieréclair

zébralecielauloin,au-dessusdescollinesdeTiburon.Lucashélauntaxi,lavoitureserangeadevantluietilgrimpadansleYellowCab.Sur le trottoir d'en face, Zofia courait vers sa voiture, un agent de la

circulationétaitentrainderédigerunecontravention.—Bellejournée,vousallezbien?ditZofiaàlafemmeenuniforme.Lacontractuelle tourna lentement la têteafindes'assurerqueZofianese

moquaitpasd'elle.—Nousnousconnaissons?demandal'agentJones.—Non,jenecroispas.Dubitative, ellemâchouillait son stylo en dévisageant Zofia. Elle détacha

l'amendedesasouche.

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—Etvous,vousallezbien?demanda-t-elleenglissantlePVsurlepare-brise.— Vous n'auriez pas un chewing-gum à la fraise ? demanda Zofia en

s'emparantduticket.—Non,àlamenthe.Zofia refusa courtoisement la tablette qui lui était offerte. Elle ouvrit sa

portière.—VousnenégociezmêmepasvotrePV?—Non,non.—Voussavezque,depuisledébutdel'année,lesconducteursdevéhicules

dugouvernementsonttenusdepayereux-mêmesleursamendes?—Oui,ditZofia,j'ailucelaquelquepartjecrois,c'estunpeunormalaprès

tout.—Al'école,vousétieztoujoursaupremierrang?demandal'agentJones.—Trèsfranchement,jenem'ensouviensplus...Maintenantquevousm'en

parlez,jecroisquejem'asseyaisunpeuoùjevoulais.—Vousêtescertainequevousallezbien?—Lecoucherdusoleilserasuperbecesoir,neleratezsurtoutpas!Vous

devriez y assister en famille, depuis Presidio Park le spectacle seraéblouissant.Jevouslaisse,untravailénormem'attend,ditZofiaengrimpantdanssavoiture.Quand la Ford s'éloigna, la contractuelle sentit comme un léger frisson

parcourirsonéchine.Ellerangeasonstylodanssapocheetpritsontéléphoneportable.Elle laissa un long message sur la boîte vocale de son mari. Elle lui

demanda s'il pouvait retarder d'une demi-heure le début de son service, elleferait tout pour rentrer plus tôt. Elle lui proposait une promenade dansPresidioParkaucoucherdusoleil.Ilseraitexceptionnel,c'étaituneemployéedelaCIAquileluiavaitdit!Elleajoutaqu'ellel'aimaitetque,depuisqu'ilsvivaient en horaires décalés, elle n'avait pas trouvé lemoment de lui dire àquelpointilluimanquait.Quelquesheuresplustard,faisantdescoursespourunpique-niqueimprovisé,elleneserenditmêmepascomptequelepaquetdechewing-gumsqu'elleavaitmisdanssoncaddien'étaitpasàlamenthe.

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*Prisonnier des embouteillages du quartier financier, Lucas feuilletait les

pagesd'unguide touristique.Quoiqu'enpenseBlaise, l'enjeude samissionjustifaituneaugmentationdesesnotesdefrais:ildemandaauchauffeurdeledéposer à Nob Hill. Une suite au Fairmont, palace réputé de la ville, luiconviendrait parfaitement. La voiture bifurqua sur California Street, à lahauteur deGraceCathedral pour s'engouffrer sous lemajestueux auvent del'hôtel.Elles'immobilisadevantletapisdeveloursrougegansédefiletsdorés.Lebagagistevouluts'emparerdesapetitemallette,maisilluijetaunregardquilemaintintàdistance.Ilneremerciapasleportierquifaisaittournerpourluilaportetambouretsedirigeadirectementverslaréception.Lapréposéenetrouvait nulle trace de sa réservation. Lucas haussa le ton, traitant la jeunefemme d'incapable. Instantanément le responsable du service fondit sur lui.D'un ton obséquieux « spécial client difficile » il tendit à Lucas une clémagnétique et se confondit en excuses, espérant qu'un surclassement encatégorie«Suitesupérieure»luiferaitoublierleslégersdésagrémentscauséspar une employée incompétente. Lucas saisit la carte sans ménagement etdemanda à n'être dérangé sous aucun prétexte. Il fit mine de lui glisser unbilletdanslamain,qu'ildevinaitpresqueaussimoitequecelledeBlaise,etsedirigea d'un pas pressé vers l'ascenseur. Le responsable de la réception seretourna,lapaumevideetl'aircourroucé.Leliftierdemandacourtoisementàsonpassagerrayonnants'ilavaitpasséunebonnejournée.—Qu'est-ce que ça peut bien te foutre ? réponditLucas en sortant de la

cabine.

*Zofiarangeasavoiturelelongdutrottoir.Ellegravitlesmarchesduperron

de la petite maison victorienne perchée sur Pacific Heights. Elle ouvrit laporteetcroisasalogeuse.—Tuesrentréedevoyage,jesuisbiencontente,ditMissSheridan.—Maisjenesuispartiequedepuiscematin!—Tuescertaine?Ilmesemblaitquetuétaisabsentehiersoir.Oh,jesais

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bienquejememêleencoredecequinemeregardepas,maisjen'aimepasquandlamaisonestvide.— Je suis rentrée tard, vous dormiez, j'avais un peu plus de travail que

d'habitude.—Tutravaillestrop!Àtonâge,etjoliecommetul'es,tudevraispassertes

soiréesavecunpetitami.—Ilfautquejemontemechanger,maisjepasseraivousvoirenpartant,

Reine,c'estpromis.La beauté de Reine Sheridan n'avait jamais capitulé devant le temps. Sa

voixdouceetgraveétaitmagnifique,sonregarddelumièretémoignaitd'uneviedensedontellenechoyaitquelesbonssouvenirs.Elleavaitétél'unedespremières femmes grands reporters à parcourir le monde. Les murs de sonsalon ovale étaient couverts de photos jaunies, visages passés quitémoignaientdesesnombreuxvoyages,desesrencontres.Làoùsesconfrèresavaientcherchéàphotographierl'exception,Reineavaitsaisilecommun,pourcequ'ilcontenaitdeplusbeauàsesyeux,sonà-propos.Lorsquesesjambesluiinterdirentleprochaindépart,elleseretiradanssa

demeuredePacificHeights.Elleyétaitnée,pourenpartirun2février1936embarquersuruncargoàdestinationdel'Europe,lejourdesesvingtans.Elleyétaitrevenueplustard,yvivresonuniqueamour, le tempsd'untropcourtmomentdebonheur.Depuislors,Reineavaithabitéseulecettegrandemaison,jusqu'aujouroù

elleavaitrédigéunepetiteannoncedansleSanFranciscoChronicle.«Jesuisvotre nouvelle roommate », avait dit Zofia souriante en se présentant à saporte d'entrée, aumatinmêmede la parution.Le tondéterminé avait séduitReine,etsanouvellelocataireavaitemménagélesoirmême,changeantaufildes semaines la vie d'une femme qui s'avouait aujourd'hui heureuse d'avoirrenoncéàsasolitude.Zofiaadoraitlesfinsdesoiréepasséesencompagniedesalogeuse.Quandellenerentraitpastroptard,elledistinguaitdelavitreduperron le rai de lumière qui traversait le vestibule, l'invitation de MissSheridan était toujours ainsi formulée. Sous prétexte de s'assurer que toutallait bien, Zofia passait la tête dans l'encadrement de la porte. Un grandalbum de photographies était ouvert sur le tapis et quelques morceaux degalettedisposésdansunecoupellefinementciseléerapportéed'Afrique.Reineattendaitdanssonfauteuil,assisefaceàl'olivierquis'épanchaitdansl'atrium.Alors, Zofia entrait, s'allongeait àmême le sol et commençait à tourner les

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feuillets d'un des albums aux vieilles couvertures de cuir, dont lesbibliothèquesdelapièceregorgeaient.Sansjamaisquitterl'olivierduregard,Reinecommentaituneàunelesillustrations.Zofia grimpa à l'étage, fit tourner la clé de son appartement, repoussa la

porte du pied et lança son trousseau sur la console. Elle jeta sa veste dansl'entrée, ôta son chemisier dans le petit salon, traversa sa chambre en yabandonnantsonpantalon,etentradanslasalledebains.Elleouvritengrandlesrobinetsdeladouche,latuyauteriesemitàcogner.Elledonnauncoupsecsurlepommeauetl'eauruisselasursescheveux.Parlapetitelucarneouvertesurlestoitsenhélixquidévalaientjusqu'auportpassaitlesondesclochesdeGraceCathedral,quiannonçaitdix-neufheures.—Pasdéjà!dit-elle.Elle sortit de l'alcôve qui sentait bon l'eucalyptus et retourna dans sa

chambre. Elle ouvrit la penderie, hésita entre un débardeur et une chemised'hommetropgrandepourelle,unpantalonencotonetsonvieuxjean,optapour le jean et la chemise dont elle retroussa lesmanches. Elle attacha sonbeeperàlaceintureetenfilaunepairedetennisensautillantversl'entréepourenredresserlescontrefortssansavoiràsebaisser.Ellepritsontrousseaudeclés,décidadelaisserlesfenêtresouvertesetdescenditl'escalier.—Jerentreraitardcesoir.Nousnousverronsdemain,sivousavezbesoin

dequoiquecesoit,appelez-moisurmonbeeper,d'accord?Miss Sheridan grommela une litanie que Zofia savait parfaitement

interpréter.Quelquechosequidevaitdire:«tutravaillestrop,mafille,onnevitqu'uneseulefois».Et c'était vrai, Zofia œuvrait continuellement à la cause des autres, ses

journéesétaient sans relâche,mêmepas lamoindrepetitepauseneserait-cequepourdéjeunerousedésaltérerpuisquelesangesnesesustentaientjamais.Si généreuse et intuitive fût-elle, Reine ne pouvait rien deviner de ce queZofiapeinaitelle-mêmeàappeler«savie».

*Les lourdes cloches résonnaient encoredu septièmeetdernier carillonde

l'heure. Grace Cathedral, perchée au sommet de Nob Hill, faisait face auxfenêtresde la suitedeLucas. Il suçait avecdélectation sonosdepoulet, en

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croqualecartilageauboutdupilonetselevapours'essuyerlesmainssurlesrideaux. Il enfila saveste, se regardadans legrandmiroir qui trônait sur lacheminéeet sortitde lachambre. Ildescendit lesmarchesdugrandescalierdontlamajestueusevoléecommandaitlehalletadressaunsourirenarquoisàlaréceptionniste,quibaissalatêtedèsqu'ellelevit.Sousl'auvent,unchasseurhéla aussitôt un taxi qu'il emprunta sans lui délivrer de pourboire. Il avaitenvied'unebellevoitureneuve,leseulendroitdelavillepourenchoisiruneledimancheétait leportmarchandoùdenombreuxmodèlesétaientparquésunefoisdébarquésdescargos.Ildemandaauchauffeurdeleconduiresurlequai80...Là,ilpourraitenvoleruneàsongoût.—Dépêchez-vous,jesuispressé!dit-ilauconducteur.LaChrysler bifurquadansCaliforniaStreet et descendit vers le bas de la

ville.Illeurfallutàpeineseptminutespourtraverserlequartierdesaffaires.À chaque intersection, le chauffeur rouspétait en reposant son bloc-notes ;tous les feux passaient au vert, l'empêchant d'y inscrire la destination de sacoursecommelaloil'yobligeait.«Acroirequ'ilslefontexprès»,marmonna-t-ilausixièmecarrefour.Danssonrétroviseur,ilvitlesouriredeLucasetleseptièmefeuluiouvritlaroute.Lorsqu'ils arrivèrent à l'entrée de la zone portuaire, une épaisse vapeur

s'échappadelacalandre,lavoituretoussaets'immobilisasurlebas-côté.—Ilnemanquaitplusquecela!soupiraleconducteur.— Je ne vous règle pas la course, dit Lucas d'un ton cassant, nous ne

sommespastoutàfaitarrivésàdestination.Il sortit en laissant sa portière ouverte. Avant que le chauffeur ne puisse

réagir,lecapotdesontaxifutpropulséverslecielparungeyserd'eaurouilléequi s'échappait du radiateur. « Joint de culasse, le moteur est mort, mongrand!»criaLucasens'éloignant.Àlaguérite,ilprésentaunbadgeaugardien,labarrièreauxstriesrougeset

blanches se releva. Ilmarchad'unpas assuré jusqu'auparking.Là, il repéraune sublime Chevrolet Camaro cabriolet dont il crocheta la serrure sansdifficulté.Lucass'installaderrièrelevolant,choisituneclédansletrousseauqu'ilportaità laceintureetdémarraquelquessecondesplus tard.Lavoitureremonta l'allée centrale, ne ratant aucune des flaques formées au creux desnids-de-poule. Il souilla ainsi chaque container qui se trouvait de part etd'autredesonchemin,rendantlesimmatriculationsillisibles.

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Auboutdupavé,iltiralefreinàmaind'uncoupsec;lavoitureglissaparson travers jusqu'à s'immobiliser à quelques centimètres de la devanture duFisher'sDeli, lebarduport.Lucassortit,gravit les troismarchesenboisduperronensifflotantetpoussalaporte.La salle était presque vide.D'ordinaire les ouvriers venaient se désaltérer

aprèsune longue journéede travail,mais aujourd'hui, en raisondumauvaistemps qui avait sévi toute la matinée, ils tentaient de récupérer les heuresperdues.Cesoirilsfiniraienttrèstard,serésignantàrendrelesmachinesauxéquipesdenuitquinetarderaientpasàarriver.Lucas prit place dans un box, fixant Mathilde qui essuyait des verres

derrière son comptoir. Troublée par son sourire étrange, elle vint aussitôtprendresacommande.Lucasn'avaitpassoif.—Amangerpeut-être?questionna-t-elle.Uniquementsiellel'accompagnait.Mathildedéclinaaimablementl'offre,il

luiétait interditdes'asseoirdanslasalledurant lesheuresdeservice.Lucasavait tout son temps, il n'avait pas faim et se proposait de l'inviter dans unautrelieuquecelui-ciqu'iltrouvaitterriblementbanal.Mathildeétaitgênée,lecharmedeLucasétaitloindelalaisserindifférente.

Danscettepartiede laville, l'éléganceétait aussi rarequedans savie.Elledétournasonregardalorsqu'illadévisageaitdesesyeuxdiaphanes.—C'estvraimenttrèsgentil,murmura-t-elle.Aumêmemoment,elleentenditdeuxpetitscoupsd'avertisseur.—Jenepeuxpas,répondit-elleàLucas,jedînejustementavecuneamiece

soir.C'estellequivientdeklaxonner.Uneautrefoispeutêtre?Zofiaentra,essoufflée,etsedirigeaverslebaroùMathildeavaitreprissa

place,etunsemblantdecontenance.—Pardon, je suis en retard,mais j'ai euunevraie journéededingue,dit

Zofiaensehissantsurl'undestabouretsducomptoir.Unedizained'hommesappartenantauxéquipesdenuitentrèrentàleurtour

dans l'établissement, ce qui contraria beaucoup Lucas. L'un des dockerss'arrêta à la hauteur de Zofia, il la trouvait ravissante sans uniforme. ElleremercialegrutierdesoncomplimentetseretournaversMathildeenlevantlesyeuxauciel.La jolie serveuse sepenchavers son amiepour lui demanderde regarder

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discrètementleclientàlavestenoire,installédansleboxaufonddelasalle.—J'aivu...laissetomber!—Toutdesuite,lesgrandsmots!chuchotaMathilde—Mathilde,tadernièreaventureendateafaillitecoûterlavie,alors,cette

fois-ci,sijepeuxt'éviterlepire...j'aimeraismieux!—Jenevoispaspourquoitudisça?—Parcequelepire,c'estjustementcegenre-là!—Quelgenre?—Leregardquiseveutténébreux.— Tu tires vite, dis donc ! Je ne t'avais même pas entendue charger le

revolver!—Tu asmis sixmois à te désintoxiquer de toutes les saloperies que ton

barmand'O'Farrelltefaisaitgénéreusementpartageraveclui.Tuveuxruinertasecondechance?Tuasunjob,unechambre,ettues«propre»depuisdix-septsemaines.Tuveuxreplongertoutdesuite?—Monsangn'estpaspropre,lui!—Donne-toiunpeudetempsetprendstesmédicaments!—Cetypeal'airgentilcommetout.—Commeuncrocodiledevantunfiletmignon!—Tuleconnais?—Jamaisvu!—Alorspourquoicejugementhâtif?—Fais-moiconfiance,j'aiundonpourfairelapartdeschoses.LavoixgravedeLucassouffladanslecreuxdesanuqueetZofiasursauta.—Puisque vous avez préempté la soirée de votre délicieuse amie, soyez

généreuseetacceptezuneinvitationcommuneàl'unedesmeilleurestablesdelaville.Ontientparfaitementàtroisdansmoncabriolet!—Vous êtes très intuitif, il n'y apasplusgénéreuxqueZofia ! enchaîna

Mathilde,pleined'espoirquesonamiesoitaccommodante.Zofia se retournaavec l'intentionde le remercier etde le congédier,mais

elle fut aussitôt saisie par les yeux qui la dévisageaient. Tous deux seregardèrent longuement sans rienpouvoir sedire.Lucas aurait vouluparler,

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mais aucun son ne sortit de sa gorge. Silencieux, il scrutait les traits de cevisagefémininaussitroublantqu'inconnu.Ellen'avaitpluslamoindregouttedesalivedanslabouche,ellecherchauneboissonàtâtons,ilposasamainsurlecomptoir.Uncroisementdegestesmaladroitsfitglisserleverre,quiroulasur le tablier de zinc et se brisa au sol en sept éclats. Zofia se baissa pourramasseravecprécautiontroisdesmorceauxdeverre,Lucass'agenouillapourl'aiderets'emparadesquatreautres.Enserelevantilsnesequittèrenttoujourspasduregard.Mathildelesavaitobservéstouràtour,elleintervint,agacée.—Jevaisbalayer!—Enlèvetontablieretallons-y,noussommestrèsenretard,réponditZofia

endétournantleregard.EllesaluaLucasd'unsignede têteetentraînasansménagementsonamie

au-dehors.Sur leparking,Zofiapressa lepas.Aprèsavoirouvert laportièredeMathilde,elles'installaàsontouretdémarraentrombe.—Maisqu'est-cequiteprend?demandaMathilde,interloquée.—Riendutout!Mathildefitpivoterlerétroviseurcentral.—Regardetatêteetreformule-moitonriendutout!La voiture filait le long du port. Zofia ouvrit sa fenêtre, un air glacial

envahitl'habitacle,Mathildefrissonna.—Cethommeestterriblementgrave!murmuraZofia.— Je connaissais grand, petit, beau, laid, maigre, gros, poilu, imberbe,

chauve,maisgrave,làjet'avouequetumesèches!— Alors je te demande de me faire confiance, je ne sais même pas

commentlediremoi-même.Ilesttristeetsemblaitsitourmenté...jamaisjen'ai...—Ehbien,c'estlecandidatparfaitpourtoiquiraffolesdesâmesenpeine.

Tuvascertainementnousfaireunepetitefractureduventriculegauche!—Nesoispascaustique!— Ça, c'est quand même le monde à l'envers ! Je te demande un avis

impartialsurunhommequejetrouvecraquantcommeunpetitLu.Tuneleregardesmêmepas,maistumeledescendsd'uneflèchequeGeronimoaurait

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pu tailler enpersonne.Et lorsque tudaignes enfin te retourner, tu colles tesyeuxdanslessienscommeuneventousequivoudraitdéboucherlelavabodemasalledebains.Mais,àpartça,jen'aipasledroitd'êtrecaustique!—Tun'asrienressenti,Mathilde?—Si,HabitRougesituveuxtoutsavoir,etcommeonentrouvequechez

Macy's,côtéélégancejepensaisquec'étaitplutôtbonsigne.—Tunet'espasrenducompteàquelpointilavaitl'airsombre?— C'est dehors qu'il fait sombre, allume tes phares, on va avoir un

accident!Mathilderesserralecoldesaparkaautourdesanuqueetajouta:—Bon, d'accord, sa veste était un peu sombre :mais coupe italienne en

cashmeresixfils,pardonne-moidupeu!—Cen'estpasdeçaquejeteparle.—Tuveuxquejetedise?Jesuiscertainequecen'estpaslegenreàporter

n'importequelcaleçon.Mathildepritunecigaretteetl'alluma.Elleouvritsafenêtreetsoufflaune

longuevolutedefuméequifilaparlavitreouverte.—Quitteàmourird'unepneumonie!Bon,jeteleconcède,ilyacaleçonet

caleçon!—Tun'écoutespasunmotdecequejetedis!repritZofia,préoccupée.—Tu imagines le troublepour la filledeCalvinKleindevoir lenomde

sonpèreécritengrosseslettresquandunhommesedéshabilledevantelle!—Tul'avaisdéjàvu?demandaZofia,imperturbable.—Peut-être au bar deMario,mais je ne peux pas te le garantir.A cette

époquelessoiréesoùjevoyaisclairétaientplutôtrares...—Maistoutçac'estfini,c'estderrièretoimaintenant,ditZofia.—Tucroisauxsensationsde«déjà-vu»?—Peut-être,pourquoi?—Tout à l'heure, au bar... quand le verre lui a échappé desmains... j'ai

vraimenteul'impressionqu'iltombaitauralenti.—Tuasleventrevide,jet'emmènedînerasiatique!achevaZofia.—Jepeuxteposerunedernièrequestion?

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—Biensûr.—Tun'asjamaisfroid?demandaMathilde.—Pourquoi?—Parcequ'avecunbâtonnetdans labouche, jepourrais ressembleràun

esquimau,fermemoicettevitre!LaFordroulaitversl'anciennechocolateriedeGhirardelliSquare.Aubout

de quelques minutes de silence, Mathilde tourna le bouton de la radio etregarda la ville qui défilait.Au croisement deColombusAvenue et deBayStreet,leportdisparutdesavue.

*—Sivousvoulezbienrelevervotremainpourquejepuissenettoyermon

comptoir!LepatronduFisher'sDeliavaittiréLucasdesarêverie.—Pardon?—Ilyaduverresousvosdoigts,vousallezvouscouper.—Nevousfaitespasdesoucipourmoi.Quiétait-ce?—Unejoliefemme,cequiestassezrareparici!—Oui, c'est pour ça que j'aimebien le quartier ! coupaLucas aussi sec.

Vousn'avezpasréponduàmaquestion.— C'est ma barmaid qui vous intéresse ? Désolé, mais je ne donne pas

d'information sur mon personnel, vous n'avez qu'à revenir et lui demandervous-même,ellereprenddemainàdixheures.Lucas plaqua sa main sur le comptoir en zinc. Les morceaux de verre

explosèrentenmilleéclats.Lepropriétairedel'établissementreculad'unpas.—Jemefouscomplètementdevotreserveuse!Connaissez-vouslajeune

femmequiestpartieavecelle?repritLucas.—C'estunedesesamies,elle travailleà lasécuritéduport,c'est toutce

quejepeuxvousdire.D'ungestevif,Lucass'emparadutorchonfichédanslaceinturedupatron.

Ilépoussetasapaumequiétrangementn'avaitpaslamoindreégratignure.Puis

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illançalemorceaudechiffondanslapoubelleplacéederrièrelecomptoir.LepatronduFisher'sDelifronçalessourcils.—T'inquiètepas,monvieux,ditLucasenregardantsamainintacte.C'est

commepourmarchersurlesbraises,ilyauntruc,ilyatoujoursuntruc!Puis il sedirigeavers la sortie.Sur leperronde l'établissement, il ôtaun

minusculeéclatquis'étaitfichéentresonindexetsonmajeur.Ilavançaverslecabriolet,sepenchapardessuslaportièreetendesserrale

freinàmain.Lavoiturequ'ilavaitvoléeglissa lentementvers labordureduquaietbascula.Dèsquelacalandrepénétradanslesflots,levisagedeLucass'éclairad'unsourire,aussiintensequeceluid'unenfant.Pour lui, lemomentoù l'eauenvahissait l'habitacle enentrantpar lavitre

(qu'il prenait toujours soin de laisser entrouverte) était unmoment de purejoie.Maiscequ'ilpréféraitleplus,c'étaientlesgrossesbullesquis'évadaientdupotd'échappementjusteavantquelacombustionnes'étouffe.Quandelleséclataientàlasurface,leurs«blob-blob»étaientirrésistibles.Lorsque la foule se massa pour voir les feux arrière de la Camaro

disparaître dans les eaux troubles du port, Lucas marchait déjà loin dansl'allée,mainsdanslespoches.— Je crois que je viens de trouver une perle rare, murmura-t-il en

s'éloignant.Sijenegagnepas,ceseraitbienlediable.

*Zofia et Mathilde dînaient face à la baie, devant l'immense vitre qui

surplombait Beach Street. «Notremeilleure table », avait précisé lemaîtred'hôteleurasiend'unsourirequinecachaitriendesadentureproéminente.Lavueétaitmagnifique.Àgauche,leGoldenGâte,fierdesesocres,rivalisaitdebeautéavecleBayBridge,lepontargentéd'unansonaîné.Devantelles,lesmâtsdesvoilierssebalançaientlentementdansl'enceintedelamarinaàl'abridesgrandeshoules.Desalléesdegravierparcellisaient lescarrésdepelousequi s'étendaient jusqu'à l'eau. Les promeneurs du soir les empruntaient,jouissantdelatempératureclémentedecedébutd'automne.Le serveur déposa deux cocktails maison et une corbeille de chips de

crevettes sur leur table. « Cadeau de la maison », dit-il en présentant les

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menus. Mathilde demanda à Zofia si elle était une habituée. Les prix luisemblaient trèsélevéspourunemodesteemployéede l'administration.Zofiaréponditquelepatronlesinvitait.—TufaissauterlesPV?— Juste un service rendu il y a quelques mois, rien du tout, je t'assure,

rétorqua-t-elle,presqueconfuse.—J'aiunpetitcontentieuxavectesriendutout!Quelgenredeservice?Zofiaavaitrencontrélepropriétairedel'établissementunsoir,surlesdocks.

Il ymarchait le long du quai, attendant que l'on dédouane une livraison devaisselleenprovenancedeChine.Latristessedesonregardavaitattirél'attentiondeZofia;elleavaitredouté

lepirequandils'étaitpenchéprèsdubord,fixant l'eausaumâtrependantunlongmoment.Elles'étaitapprochéedeluietavaitengagélaconversation;ilavait finipar luiconfierquesafemmevoulait lequitteraprèsquarante-troisannéesdemariage.—Quelâgeasafemme?demandaMathilde,intriguée.—Soixante-douzeans!—Etonpenseàdivorcer à soixante-douzeans ?questionnaMathildeen

réprimantdifficilementlerirequilagagnait.—Si tonmarironfledepuisquarante-troisans, tupeuxypenser trèsfort,

voiremêmetouteslesnuits.—Tuasressoudélecouple?— Je l'ai convaincu de se faire opérer en lui promettant que cela ne lui

feraitpasmal.Leshommessonttellementdouillets.—Tucroisqu'ilauraitvraimentsauté?—Ilavaitjetésonallianceàl'eau!Mathildelevalesyeuxauciel,ellefutfascinéeparleplafonddurestaurant

entièrementdécorédevitrauxdechezTiffany's.Ildonnaitàlasalleunairdecathédrale.Zofiapartageaitsonavisetluiresservitunebouchéedepoulet.Intriguée,Mathildesepassalamaindanslescheveux.—C'estvrai,cettehistoirederonflement?Zofialaregardaetnerésistapasausourirequilagagnait.—Non!

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—Ah!Alorsqu'est-cequenousfêtons?demandaMathildeenlevantsonverre.Zofiaparlavaguementd'unepromotiondontelleavaitfait l'objet lematin

même. Non, elle ne changeait pas d'affectation et, non, elle n'était pasaugmentée, et tout ne se ramenait pas non plus à des considérationsmatérielles.SiMathildevoulaitbiencesserdericaner,ellepourraitpeut-êtreluiexpliquerquecertainestâchesapportaientbienplusquedel'argentoudel'autorité :une formesubtiled'achèvementpersonnel.Lepouvoir acquis sursoi-mêmeaubénéfice—etnonaudétriment—desautrespouvaitêtre trèsdoux.—Ainsisoit-il!ricanaMathilde.— Décidément, avec toi, ma vieille, je suis loin d'être au bout de mes

peines,répliquaZofia,dépitée.Mathildesaisissaitlabouteilledesakéenbamboupourremplirleursdeux

verres,lorsqu'enl'espaced'unesecondelevisagedeZofiasemétamorphosa.Elleagrippalepoignetdesonamieetlasoulevapratiquementdesonfauteuil.—Sorsd'ici,fonceverslasortie!hurlaZofia.Mathilderestafigée.Leursvoisinsdetable,toutaussiétonnés,regardèrent

Zofia qui vociférait en tournoyant sur elle-même, à l'affût d'une menaceinvisible.—Sorteztous,sortezaussivitequevouslepouvezetéloignez-vousd'ici,

dépêchez-vous!L'assembléehésitante la regardait, sedemandantquellemauvaise farce se

jouait.Legérantde l'établissementaccourutversZofia, lesmains jointesenun geste de supplication pour que celle qu'il considérait comme une amiecesse de perturber le bon ordre de son établissement. Zofia le priténergiquement par les épaules et le supplia de faire évacuer la salle, sansattendre. Elle le conjura de lui faire confiance, c'était une question desecondes.LiuTrann'étaitpastoutàfaitunsage,maissoninstinctneluiavaitjamais fait défaut. Il frappadeux coups secsdans sesmains et les quelquesmots qu'il prononça en cantonais suffirent à animer un ballet de serveursdéterminés.Leshommesen livréeblanche tiraientenarrière leschaisesdesconvivesqu'ilsguidaientprestementverslestroissortiesdel'établissement.LiuTranrestaaumilieudelasallequisevidait.Zofial'entraînaparlebras

vers une des issues, mais il résista, avisant Mathilde, pétrifiée à quelques

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mètresd'eux.Ellen'avaitpasbougé.— Je sortirai le dernier, dit Liu au moment même où un aide-cuisinier

couraithorsdelacuisineenhurlant.Uneexplosiond'uneviolenceinouïesoufflaleslieux.Lelustremonumental

futdisloquéparl'ondedechocquiravagealasalle;iltombalourdementsurlesol.Lemobiliersemblaitcommeaspiréautraversdelagrandebaiedontlesvitrespulvériséess'éparpillaientsurlachausséeencontrebas.Desmilliersdepetits cristaux rouges, verts et bleus pleuvaient sur les décombres. L'âcrefuméegrisequienvahissaitlasalleàmangers'élevaenépaissesvolutesparlafaçade béante. Au grondement qui suivit le cataclysme succéda un silenceétouffant. Garé en contrebas, Lucas referma la vitre de la nouvelle voiturequ'ilavaitvoléeuneheureplustôt.Ilavaitunesaintehorreurdelapoussièreetplusencorequeleschosesnesepassentpascommeillesavaitprévues.Zofiarepoussalebuffetmassifquis'étaitcouchésurelle.Ellesefrottales

genoux et enjamba une desserte retournée. Elle observa le désordre quis'étendaitautourd'elle.Souslesquelettedugrandluminaire,dégarnidetoussesapparats,gisaitlerestaurateur,larespirationsaccadéeetdifficile.Zofiaseprécipitaverslui.Liugrimaçait,terrasséparladouleur.Lesangaffluaitdanssespoumons,comprimantunpeuplussoncœuràchaqueinspiration.Auloin,lessirènesdespompierssefaisaientéchodanslesruesdelaville.ZofiasuppliaLiudetenirbon.—Vousêtesinestimable,soupiralevieuxChinois.Elleprit samain ;Liu saisit la sienne et la posa sur son torsequi sifflait

commeunpneupercé.Mêmemalenpoint,sesyeuxsavaientlirelavérité.Iltrouvaquelquesforcesultimespourmurmurerque,grâceàZofia,iln'étaitpasinquiet. Ilsavaitque,danssongrandsommeiléternel, ilneronfleraitpas. Ilricana,provoquantunequintedetoux.—Quellechancepourmesfutursvoisins!Ilsvousdoiventbeaucoup!Unrefluxdesangémergeadesabouche,s'écoulantsursajouepourvenir

sefondreaurougedutapis.LesouriredeLiuseraidit.—Jepensequ'ilfautvousoccuperdevotreamie,jenel'aipasvuesortir.Zofia regarda tout autour d'elle mais ne vit aucune trace deMathilde ni

d'aucunautrecorps.—Prèsdelaporte,souslevaisselier,suppliaLiuentoussantunenouvelle

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fois.Zofia se releva. Liu la retint par le poignet et plongea ses yeux dans les

siens.—Commentavez-voussu?Zofia contempla l'homme, les derniers rayonsdevie s'échappaient de ses

prunellesdorées.—Vouslecomprendrezdansquelquesinstants.Alors, le visage de Liu s'éclaira d'un immense sourire, et tout son être

s'apaisa.—Mercipourcettemarquedeconfiance.CefurentlàlesdernièresparolesdeMr.Tran.Sespupillesdevinrentaussi

infimes que la pointe d'une aiguille, ses paupières cillèrent et sa joues'abandonnaaucreuxdelamaindesatoutedernièrecliente.Zofialuicaressalefront.— Pardonnez-moi de ne pas vous accompagner, dit-elle en reposant

doucementlatêteinertedurestaurateur.Ellesereleva,écartaunepetitecommodequigisaitlesquatrepiedsenl'air

et se dirigea vers le grand meuble couché. De toutes ses forces, elle lerepoussaetdécouvritMathilde, inconsciente,unegrandefourchetteàcanardplantéedanslajambegauche.Lefaisceaudelalampedupompierbalayalesol,sespascrépitaientsurles

gravats. Il s'approcha des deux femmes et décrocha aussitôt l'émetteur-récepteur du holster accroché à son épaule pour annoncer qu'il avait trouvédeuxvictimes.—Uneseule!repritZofiaens'adressantàlui.— Tant mieux, dit un homme, en veston noir, qui scrutait au loin les

décombres.Lechefdespompiershaussalesépaules.— C'est probablement un agent fédéral. Maintenant, ils arrivent presque

avant nous quand ça explose quelque part, ronchonna-t-il en apposant unmasqueàoxygènesurlevisagedeMathilde.Ils'adressaàl'undeseséquipiersquivenaitdelesrejoindre:—Elleaunejambefracturée,peut-êtreunbrasaussi,elleestinconsciente.

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Prévienslesparamédicauxpourqu'ilsl'évacuenttoutdesuite.IldésignalecorpsdeTran.—Etluilà-bas,commentest-il?—Ilesttroptard!réponditl'hommeaucomplet-veston,depuisl'autrebout

delasalle.Zofia tenait Mathilde dans ses bras et tâchait d'étouffer la tristesse qui

noyaitsagorge.—Toutçaestmafaute,jen'auraispasdûnousamenerici.Elleregardalecielparlafenêtreéclatée,salèvreinférieuretremblotait.—Ne la reprenezpasmaintenant !Ellepouvaityarriver,elleétait sur la

bonnevoie.Nousétionsconvenusdequelquesmoisavantdedéciderdequoiquecesoit.Uneparoleestuneparole!Étonnés, les deux ambulanciers qui s'étaient approchés d'elle lui

demandèrentsitoutallaitbien.Ellelesrassurad'unsimplemouvementdelatête.Ilsluiproposèrentdel'oxygène,ellen'envoulaitpas.Ilslaprièrentalorsde s'écarter, elle recula de quelques pas et les deux sauveteurs déposèrentMathildesurunecivièreetsedirigèrentaussitôtvers lasortie.Zofiaavançajusqu'àcequirestaitdelabaievitrée.Ellenequittapasdesyeuxlecorpsdeson amie qui disparaissait dans l'ambulance. Les tourbillons des gyropharesrougesetorangedel'unité02s'estompèrentausondelasirènequis'éloignaitversleSanFranciscoMémorialHospital.—Neculpabilisezpas,çanousarriveàtousd'êtreaumauvaisendroitetau

mauvaismoment,c'estledestin!Zofia sursauta.Elle avait reconnu la voix grave de celui qui tentait de la

réconforteraussigauchement.Lucass'approchaitd'elleenplissantlesyeux.—Qu'est-cequevousfaiteslà?demandat-elle.— Je croyais que le commandant des pompiers vous l'avait déjà dit,

répondit-ilenôtantsacravate.—...Etcommetoutsembleindiquerqu'ils'agitd'unebanaleexplosionde

gaz en cuisine ou aupire d'une affaire criminelle, le gentil agent fédéral vapouvoirrentrerchezluietlaisserfairelesgénéralistes.Lesmilieuxterroristesn'ontaucuneraisondechasserlecanardàl'orange!Lavoixaussiérailléequebourruedel'inspecteurdepoliceavaitinterrompu

leurconversation.

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—A qui avons-nous l'honneur ? demanda Lucas d'un ton persifleur quitrahissaitsonagacement.—Al'inspecteurPilguezdelapolicedeSanFrancisco,luiréponditZofia.—Jesuiscontentquecettefoisvousmereconnaissiez!ditPilguezàZofia,

ignorant totalement la présence de Lucas. A l'occasion, vousm'expliquerezvotrepetitnumérodecematin.—Jenesouhaitaispasquenousayonsàexpliquerlescirconstancesdenos

premières rencontres, pour protéger Mathilde, ajouta Zofia. Ixs ragots sediffusentplusvitequelabrumesurlesdocks.—Jevousaifaitconfianceenlalaissantsortirplustôtqueprévu,alorsje

vous remercierais d'en faire autant àmon sujet. Le tact n'est pas forcémentinterditdanslapolice!Celaétantdit,vul'étatdelapetite,onauraitpeut-êtremieuxfaitdelalaisserpurgersapeine.—Joliedéfinitiondutact,inspecteur!repritLucasenlessaluanttousdeux.Il traversa l'ouverture béante où gisaient les restes de la double porte

monumentaleexpédiéed'Asieàgrandsfrais.Avantderegagnersonvéhicule,LucasapostrophaZofiadelarue.—Jesuisdésolépourvotreamie.SaChevroletnoiredisparutquelquessecondesplustardàl'intersectionde

BeachStreet.Zofia ne pouvait fournir aucun éclaircissement à l'inspecteur. Seul un

terriblepressentiment l'avait conduiteàpresser tous lesoccupantsdequitterl'établissement.Pilguez lui fit remarquerque ses explications étaientunpeulégèresauregarddunombredeviesqu'ellevenaitdesauver.Zofian'avaitriend'autre à ajouter. Peut-être avait-elle détecté inconsciemment l'odeur de gazquis'échappaitdanslefauxplafonddelacuisine.Pilguezgrogna:lesdossierstordusoù l'inconscientavait sonmotàdireavaientune fâcheuse tendanceàs'attacheràluicesdernièresannées.—Prévenez-moiquandvousaurezétablilesconclusionsdevotreenquête,

j'aibesoindesavoircequis'estpassé.Il la laissa libredequitter les lieux.Zofia retourna à savoiture.Lepare-

briseétaitfendudepartetd'autre,etlacarrosseriemarronrepeinted'ungrispoussière parfaitement uniforme. Sur la route qui la conduisait vers lesurgences,ellecroisaplusieurscamionsdepompiersquicontinuaientàaffluer

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versleslieuxdudrame.EllegaralaFord,traversaleparkingetentradanslesas. Une infirmière vint à sa rencontre et lui indiqua queMathilde était ensalle d'examen. Zofia remercia la jeune femme et prit place sur une desbanquettesvidesdelasalled'attente.

*Lucasklaxonnadedeuxcoupsimpatients.Assisdanssaguérite,legardien

appuya sur un bouton sans détourner le regard du petit écran : lesYankeesmenaientconfortablement.LabarrièresesoulevaetlaChevroletavança,feuxéteints,jusqu'auborddelajetée.Lucasouvritsafenêtreetjetalemégotdesacigarette. Il amena le levier de vitesse sur la position neutre et sortit duvéhicule en laissant tourner lemoteur.D'un coup de pied sur le pare-chocsarrière, il donna l'impulsion juste nécessaire pour que la voiture glisse enavant et bascule du quai. Lesmains sur les hanches, il contempla la scène,ravi. Quand la dernière bulle d'air eut éclaté, il se retourna et marchajoyeusement en direction du parking. Une Honda couleur olive semblaitn'attendrequelui.Ilencrochetalaserrure,ouvritlecapot,arrachalatrompede l'alarme et la lança au loin. Il s'installa et contempla, peu enthousiaste,l'intérieur enplastique. Il sortit son trousseaude clés et choisit celle qui luiparaissaitlemieuxconvenir.Lemoteurausonaigusemitàtourneraussitôt.—Unejaponaiseverte,onauratoutvu!maugréa-t-ilendesserrantlefrein

àmain.Lucasregardasamontre, ilétaitenretardet ilaccéléra.Assissurunplot

d'amarrage, un clochard nommé Jules haussa les épaules en regardant lavoitures'éloigner,unultime«blob»mourutàlasurface.

*—Ellevas'entirer?C'étaitlatroisièmefoisdelasoiréequelavoixdeLucaslafaisaitsursauter.— J'espère, répondit-elle, le regardant de pied en cap. Qui êtes-vous

exactement?—Lucas.Désoléetenchantéàlafois,dit-ilentendantlamain.

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C'était bien la première fois queZofia ressentait la fatiguepeser sur elle.Elleselevaetsedirigeaversledistributeurdecafé.—Vousenvoulezun?—Jeneboispasdecafé,réponditLucas.—Moinonplus,dit-elle,contemplantlapiècedevingtcentsqu'ellefaisait

tournerdanslecreuxdesamain.Qu'est-cequevousfaitesici?—Commevous,répliquaLucas,jesuisvenuvoircommentelleallait.—Pourquoi?demandaZofiaenrangeantlapiècedanssapoche.— Parce que je dois faire un rapport et que pour l'instant, dans la case

«victimes», j'aimis lechiffre1,alors jeviensvérifier s'il fautounonquej'amende l'information. J'aime bien remettre mes comptes rendus le jourmême,j'aiunesaintehorreurduretard.—Jemedisaisbienaussi!— Vous auriez mieux fait d'accepter mon invitation à dîner, nous n'en

serionspaslà!—Vous avez bien fait de parler de tact tout à l'heure, vous avez l'air de

vousyconnaître!—Ellenesortiradublocquetarddanslanuit,çafaitdessacrésdégâtsune

fourchetteàcanardquandelleestplantéedansunmagrethumain.Ilsenontpourdesheuresàrecoudretoutça,jepeuxvousemmeneràlacafétériad'enface?—Non,vousnepouvezvraimentpas!—Commevous voudrez, attendons ici, c'estmoins sympathique,mais si

vouspréférez...Dommage!Ilsétaientassisdosàdossurlesbanquettesdepuisplusd'uneheurelorsque

lechirurgienapparutenfinauboutducouloir.Ilnefitpasclaquersesgantsenlatex (depuis toujours les chirurgiens s'en débarrassaient en sortant du blocopératoire et les jetaient dans les poubelles disposées à cet effet).Mathildeétait hors de danger, l'artère n'avait pas été touchée. Le scanner ne révélaitaucunetracedetraumatismecrânien.Lacolonnevertébraleétaitintacte.Mathildeavaitdeuxfracturesnondéplacées,uneàlajambe,l'autreaubras,

etquelquespointsdesuture.Onétaitentraindelaplâtrer.Unecomplicationétaittoujourspossible,maislemédecinétaitconfiant.Ilsouhaitaitnéanmoinsqu'elle reste au repos complet au cours des prochaines heures. Il remercia

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Zofiad'avertirsesprochesqu'aucunevisiteneseraitautoriséeavantlematin.—Ceseravitefait,dit-elle,iln'yaquemoi.Elle communiqua à la responsable de l'étage le numéro d'appel de son

beeper.Ensortant,ZofiapassadevantLucaset, sans lui adresserun regard,ellel'informaqu'iln'auraitpasàraturersonprocès-verbal.Elledisparutdansle tourniquet du sas. Lucas la rejoignit sur le parking désert, elle cherchaitencoresesclés.— Si vous pouviez arrêter de me faire sursauter, je vous en serais très

reconnaissante,luidit-elle.—Jecroisquenousavonsmalcommencé,repritLucasd'unevoixdouce.—Commencéquoi?rétorqua-t-elle.Lucashésitaavantderépondre:—Disonsque je suis parfois unpeudirect dansmespropos,mais jeme

réjouissincèrementquevotreamies'ensorte.— Eh bien, nous aurons au moins partagé quelque chose aujourd'hui,

comme quoi tout est possible !Maintenant si vous vouliez bienme laisserouvrirmaportière...—Etsinousallionsaussipartageruncafé...s'ilvousplaît?Zofiarestamuette.—Mauvaise pioche ! poursuivit Lucas.Vous n'en buvez pas etmoi non

plus!Unjusd'orangepeut-être?Ilsenserventd'excellents,justeenface.— Pourquoi avez-vous tellement envie de vous désaltérer en ma

compagnie?— Parce que je viens d'arriver en ville et que je ne connais vraiment

personne. J'aipassé troisansd'uneextrêmesolitudeàNewYork,cequin'arien de très original. La Grande Pommem'a rendu peu disert, mais je suisrésoluàchanger.ZofiainclinalatêteetscrutaLucas.—Bon, je recommence tout, dit-il.OubliezNewYork,ma solitude et le

resteaussid'ailleurs.Jenesaispaspourquoij'aitantenviedeprendreunverreavecvous.Enfait,jem'enficheduverre,j'aienviedevousconnaître.Voilà,jevousaiditlavérité.Ceseraitunebonneactiondevotrepartdedireoui.Zofiaregardasamontreethésitaquelquessecondes.Ellesouritetaccepta

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l'invitation.IlstraversèrentlarueetentrèrentdansleKrispyKreme.Lepetitétablissementsentaitbonlapâtisseriechaude,uneplaquedebeignetssortaittoutjustedufour.Ilss'attablèrentdevantlavitrine.Zofianemangeapasmaisregardait Lucas, perplexe. Il avait englouti sept beignets au sucre glacé enmoinsdedixminutes.— Dans la liste des péchés capitaux, la gourmandise ne vous a pas

traumatiséàcequejevois?dit-elle,l'œilamusé.—C'est d'un ridicule ces histoires de péchés..., répondit-il en suçant ses

doigts,destrucsdemoine.Unejournéesansbeignet,c'estpirequ'unejournéedebeautemps!—Vousn'aimezpaslesoleil?luidemandat-elle,étonnée.—Ahmais, j'adoreça ! Ilya lesbrûlureset lescancersde lapeau ; les

hommes crèvent de chaud, étranglés par leur cravate ; les femmes sontterroriséesàl'idéequeleurmaquillagefonde,toutlemondefinitparattraperlacrèveàcausedesclimatiseursqui trouent lacouched'ozone; lapollutionaugmente et les animauxmeurent de soif, sansparler desvieilles personnesquisuffoquent.Ahnon,pardonnez-moi!Lesoleiln'estpasdutoutl'inventiondeceluiqu'oncroit.—Vousavezuneétrangeconceptiondeschoses.Zofia s'intéressaplus attentivement auxproposdeLucas lorsqu'il dit d'un

ton grave qu'il fallait être honnête lorsque l'on qualifiait le mal et le bien.L'ordonnancement des mots intrigua Zofia. Lucas avait cité à plusieursrepriseslemalavantlebien...d'ordinairelesgensfaisaientl'inverse.Uneidéetraversasonesprit.Ellelesoupçonnad'êtreunAngeVérificateur

venu contrôler le bon déroulement de sa mission. Elle en avait souventrencontré sur des opérations moins ambitieuses. Plus Lucas parlait, plusl'hypothèseluisemblaitvraisemblable,tantilétaitprovocateur.Achevantsonneuvième beignet, il annonça, la bouche à moitié pleine, qu'il adorerait larevoir.Zofiasourit.Ilréglalanoteettousdeuxsortirent.Surleparkingdésert,Lucaslevalatête.—Unpeufraismaissublimeciel,n'est-cepas?Elleavaitacceptéson invitationàdînerpour le lendemain.Si,par leplus

grand des hasards, tous deux travaillaient pour la même maison, celui quiavaitvoulu la testerseraitservi :ellecomptaitbiens'endonneràcœur joie.Zofiarepritsavoitureetrentrachezelle.

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Elle se gara devant la maison et prit garde de ne pas faire de bruit engravissant leperron.Aucunelumièrene traversait l'entrée, laportedeReineSheridanétaitclose.Avant d'entrer dans lamaison elle leva les yeux, il n'y avait ni nuage ni

étoileaufirmament.Ilyeutunsoir,ilyeutunmatin...

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2.

DeuxièmeJour

Mathildes'était éveilléeà l'aube.On l'avaitdescendueaucoursde lanuitdansunechambreoùl'ennuiperçaitdéjà.Depuisquinzemois,l'hyper-activitéavait été son seul remède pour se guérir des scories d'une autre vie où lecocktailmalindedésespoirsetdedroguesavaitpresqueeu raisond'elle.Lenéonquigrésillaitau-dessusdesatêteluirappelaitleslonguesheurespasséesà lutter contre le manque, qui en son temps corrompait ses entrailles enindiciblesalgies.Mémoirede joursdantesquesoùZofia,qu'elleappelaitsonangegardien,devaitretenirsesmains.Poursurvivre,ellemutilaitsoncorps,le griffait à s'en arracher la peau pour inventer île nouvelles blessures quidilueraientleschâtimentsinsoutenablesdesplaisirsrévolus.Illuisemblaitparfoisressentirencoreàl'arrièredesoncrânelelancinement

des hématomes, conséquence desmultiples coups qu'elle s'assenait au fonddesnuitsabandonnéesàdessouffrancesultimes.Elleregardalecreuxdesoncoude, les stigmates des piqûres s'en étaient effacés semaine après semaine,signe de rédemption. Seul un ultime petit point violacé subsistait encore autraitd'uneveine, commeun rappelde làoù lamort lenteétait entrée.Zofiapoussalaportedesachambre.—Justeàtemps,dit-elleendéposantunbouquetdepivoinessurlatablede

nuit.—Pourquoijusteàtemps?demandaMathilde.— J'ai vu ta tête en entrant, lamétéo de tonmoral avait l'air de virer au

variable,tendanceorage.Jevaisallerdemanderunvaseauxinfirmières.—Resteauprèsdemoi,ditMathilded'unevoixeffacée.—Lespivoinessontpresqueaussiimpatientesquetoi,ellesontbesoinde

beaucoupd'eau,nebougepas,jereviens.

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Seuledanssachambre,Mathildecontemplaitlesfleurs.Desonbrasvalide,elle caressa les corolles soyeuses. Les pétales de pivoine avaient la textured'unpelagedechat,Mathildeadoraitlesfélins.Zofiainterrompitsarêverieenrevenant,lesbraschargésd'unseau.—C'esttoutcequ'ellesavaient;cen'estpastrèsgrave,cenesontpasdes

fleurssnobs.—Cesontmespréférées.—Jesais.—Commenttuasfaitpourentrouverencettesaison?—Secret!Zofiacontemplalajambeplâtréedesonamiepuisl'attellequiimmobilisait

sonbras.Mathildesurpritsonregard.—Tun'yespasalléedemainmorteavectonbriquet!Qu'est-cequ'ils'est

passéexactementlà-bas?Jenemesouviensdepresquerien.Nousparlions,tut'eslevée,moipas,etpuisensuiteunimmensetrounoir.—Non... une fuite de gaz dans le faux plafond de l'office !Combien de

tempsdevras-turesterici?LesmédecinsauraientacceptédelaisserMathildesortirdèslelendemain,

maisellen'avaitpaslesmoyensdefaireappelàuneassistanceàdomicileetson état la privait de toute autonomie. Lorsque Zofia s'apprêta à repartir,Mathildefonditenlarmes.—Nemelaissepasici,cetteodeurdedésinfectantmerendfolle.J'aiassez

payé,jetelejure.Jen'yarriveraiplus.J'aitellementlatrouilledereplongerquejefaissemblantd'avalerlescalmantsqu'ilsmedonnent.Jesaisquejesuisunpoidspourtoi,maissors-moidelà,Zofia,maintenant!Zofiaretournaauchevetdesonamieetluicaressalefrontpourchasserles

spasmes de chagrin qui agitaient son corps. Elle lui promit de faire de sonmieuxpourtrouverunesolution,auplusvite.Ellerepasseraitlavoirenfindesoirée.Ensortantdel'hôpital,Zofiafilaverslesdocks,sajournéeétaitchargée.Le

tempspassaitvite : elleavaitunemissionàaccomplir, etquelquesprotégésqu'iln'étaitpasquestiond'abandonner.Ellepartitrendrevisiteàsonvieilamierrant. Jules avait quitté lemonde sans avoir jamais identifié le chemin quil'avaitconduitsous l'archen°7oùilavaitéludomicilenonfixe...Justeune

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sériedeterriblesmauvaistoursquelavieluiavaitjoués.Unecompressiondepersonnelavaitmarquéle termedesacarrière.Unesimplelettreétaitvenueluiannoncerqu'ilne faisaitpluspartiede lagrandecompagniequiavaitététoutesonexistence.Acinquante-huitansonestencore très jeune...etmêmesi lessociétésde

cosmétiques juraient qu'à l'approche de la soixantaine la vie était encoredevant soi pour peu que l'on prenne soin de son capital esthétique, leurspropresdépartementsderessourceshumainesn'enétaientquepeuconvaincuslorsqu'ilsréévaluaientleplandecarrièredeleurscadres.C'estainsiqueJulesMinskys'étaitretrouvéauchômage.Unagentdesécuritéavaitconfisquésonbadge à l'entrée de l'immeuble où il avait passé plus de temps que dans sapropremaison.Sansluiadresseruneseuleparole,l'hommeenuniformel'avaitaccompagnéjusqu'àsonbureau.Souslesregardssilencieuxdesescollègues,ilavaitdûrangersesaffaires.Parunjourdepluiesinistre,Juless'enétaitallé,unpetitcartonsouslebraspouruniquebagage,après trente-deuxannéesdefidèlesservitudes.LaviedeJulesMinsky,statisticienetférudemathématiquesappliquées,se

résumaitpourtantenunearithmétiquetrèsimparfaite:additiondeweek-endspasséssurdesdossiersaudétrimentdesaproprevie;divisionsubieauprofitdupouvoirdeceuxquil'employaient(onétaitfierdetravaillerpoureux,onformait une grande famille où chacun avait son rôle à jouer à condition detenirsaplace);multiplicationd'humiliationsetd'idéesignoréesparquelquesautoritésillégitimesauxpouvoirsinégalementacquis;soustraction,enfin,dudroitdefinirsacarrièredansladignité.Semblableàlaquadratureducercle,l'existencedeJulesseréduisaitàuneéquationd'insolublesiniquités.Au cours de son enfance, Jules aimait à traîner près de la décharge de

ferraille où une presse immense compressait les carcasses des vieillesvoitures. Pour chasser les solitudes qui hantèrent ses nuits, il avait souventimaginélaviedujeunecadrenantiquiavaitruinélasienneenl'«évaluant»bon pour la casse. Ses cartes de crédit s'étaient effacées à l'automne, soncompte en banque n'avait pas survécu à l'hiver, il avait quitté samaison auprintemps.L'étésuivant, ilavaitsacrifiéunimmenseamourenemportantsafierté dans un dernier voyage. Sansmême s'en rendre compte, le dénomméJules Minsky, cinquante-huit ans, était revenu élire domicile non fixe sousl'archen°7duquai80duportmarchanddeSanFrancisco.Ilpourraitbientôty fêter dix années de belles étoiles. Il se plaisait à raconter à qui pouvait

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l'entendreque,lejourdesongranddépart,ilnes'étaitvraimentrenducomptederien.Zofiaavisa lacicatricequi suintait sous l'accrocdupantalonen tweedau

motifprincede-galles.—Jules,vousdevezallerfairesoignercettejambe!—Ah,nerecommencepas,s'ilteplaît,ellevatrèsbienmajambe!—Si on ne nettoie pas cette plaie, elle sera gangrenée dansmoins d'une

semaineetvouslesaveztrèsbien!—J'aidéjàvéculapiredesgangrènes,majolie,alorsunedeplus,unede

moins ! Et puis, depuis le temps que je demande à Dieu de venir merechercher,ilfautbienquejelelaissefaire.Sijemesoigneàchaquefoisquej'aiquelquechosedetravers,àquoiçasertd'implorerdepartirdecettefoutueterre!Alorstuvois,cebobo,c'estmonticketgagnantpourTailleurs.—Quivousmetdesidéesaussistupidesdanslatête?—Personne,maisilyaunjeunegarsquitraîneparicietquiesttoutàfait

d'accordavecmoi.J'aimebiendiscuteraveclui.Quandje levois,c'estmonreflet dansunmiroirpassé. Il s'habille avec lemêmegenrede costumequeceuxque jeportais avantquemon tailleurn'ait levertige endécouvrant lesabîmesdemespoches.Jeluiprêchelabonneparole,luilamauvaise,onfaitunpeudetroc,tuvois,etmoijemedistrais.Nimurnitoit,personneàhaïr,pasplusdenourrituredevantlaportequede

barreauxqu'onrêveraitdescier...LaconditiondeJulesMinskyavaitétépirequecelled'unprisonnier.Rêverpouvaitdevenirunluxequandonluttaitpoursa survie. Le jour, il fallait chercher de la nourriture dans les décharges,l'hiver,marchersanscessepourluttercontrel'alliancemortelledusommeiletdufroid.—Jules,jevousconduisaudispensaire!—Jecroyaisquetutravaillaisàlasécuritéduport,pasàl'ArméeduSalut!Zofia tira de toutes ses forces sur le bras du clochard pour l'aider à se

relever. Il ne lui facilita pas la tâche mais finit bon gré mal gré parl'accompagner jusqu'à sa voiture. Elle lui ouvrit la portière, Jules passa samain dans sa barbe, hésitant. Zofia le regarda, silencieuse. Les ridesmagnifiques autour de ses prunelles azur composaient les fortins d'une âmeriche d'émotions. Autour de sa bouche épaisse et souriante se dessinaient

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d'autrescalligraphies,cellesd'uneexistenceoùlapauvretén'étaitquecelledel'apparence.—Çanevapassentirtrèsbondanstoncarrosse.Aveccettefoutueguibole,

jen'aipaspuallerjusqu'auxdouchescesderniersjours!—Jules,sil'onditquel'argentn'apasd'odeur,pourquoiunpeudemisère

enaurait-elle?Arrêtezdediscuteretmontez!Aprèsavoirconfiésonpassagerauxsoinsdudispensaire,elleredescendit

vers les docks. En chemin, elle fit un crochet pour rendre visite à MissSheridan:elleavaitunprécieuxserviceàluidemander.Ellelatrouvasurlepasdesaporte.Reineavaitquelquescoursesàfaireet,danscettevilleréputéepour ses rues pentues où chaque pas est un défi pour une personne âgée,rencontrerZofiaàcetteheureinhabituellerelevaitdumiracle.Zofialapriades'installer dans la voiture etmonta en courant à son appartement.Elle entrachez elle, jeta un coup d'œil à son répondeur téléphonique qui n'avaitenregistréaucunmessageetredescenditaussitôt.Enchemin,elleseconfiaàReine, qui accepta de recevoir Mathilde jusqu'à ce qu'elle se rétablisse. Ilfaudrait trouver un moyen de la hisser jusqu'à l'étage et quelques bonnespairesdebraspourdescendrelelitmétalliqueremiséaugrenier.

*Confortablement installé dans la cafétéria du 666 Market Street, Lucas

griffonnaitquelquescalculsàmêmelatableenformica,prenantpossessiondesontoutnouvelemploiauseinduplusgrandgroupeimmobilierdeCalifornie.Il trempait son septièmecroissantdansune tassede café crème,penché surl'ouvrage passionnant qui racontait comment s'était développée la SiliconValley:Unevastebandedeterres,devenuesentrenteanslaplusstratégiquezonedehautestechnologies,baptiséelepoumondel'informatiquedumonde.Pour ce spécialiste du changement d'identité, se faire embaucher avait étéd'unesimplicitédéconcertante,ilprenaitdéjàunplaisirfouàlapréparationdesonplanmachiavélique.Laveille,dansl'aviondeNewYork,lalectured'unarticleduSanFrancisco

Chronicle sur le groupe immobilierA&H avait illuminé l'œil de Lucas : laphysionomie rondouillarde de son vice-président s'offrait sans retenue àl'objectifduphotographe.EdHeurt, leHdeA&H,excellaitdans l'artde se

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pavaner d'interview en conférence de presse, vantant sans relâche lesincommensurables contributions de son groupe à l'essor économique de larégion.L'homme,quiambitionnaitdepuisvingtansunecarrièrededéputé,neratait jamais une cérémonie officielle. Il s'apprêtait à inaugurer en grandtralaladominicall'ouvertureofficielledelapêcheaucrabe.C'estàcetteoccasionqueLucasavaitcroisélarouted'EdHeurt.L'impressionnant carnet d'adresses influentes dontLucas avait habilement

nourrilaconversationluiavaitvalulepostedeconseilleràlavice-présidence,aussitôt créé pour lui. Les rouages de l'opportunisme n'avaient aucun secretpourEdHeurtetl'accordfutscelléavantquelenumérodeuxdugroupen'eûtachevé d'engloutir une pince de crabe, généreusement trempée dans unemayonnaiseausafran,qui tacha toutaussigénéreusement leplastrondesonsmoking.Ilétaitonzeheurescematinet,dansuneheure,EdprésenteraitLucasàson

associé,AntonioAndric,leprésidentdugroupe.LeAdeA&Hdirigeaitd'unemaindeferdansungantdevelourslevaste

réseau commercial qu'il avait sumailler au fil des années.Un sens inné del'immobilier, une assiduité inégalable au travail avaient permis à AntonioAndric de développer un immense empire qui employait plus de trois centsagentsetpresqueautantdejuristes,comptablesetassistantes.Lucas hésita avant de renoncer à une huitième viennoiserie. Il claqua du

pouceetdel'indexpourcommanderuncappuccino.Mâchouillantsonfeutrenoir, il compulsa ses feuillets et continua de réfléchir. Les statistiques qu'ilavaitempruntéesaudépartementinformatiquedeA&Hétaientéloquentes.S'accordant finalement un petit pain au chocolat, il conclut qu'il était

impossible de louer, vendre ou acheter lemoindre immeuble ou parcelle deterraindanstoutelavalléesanstraiteraveclegroupequil'employaitdepuislaveilleausoir.Laplaquettepublicitaireetsonineffableslogan:«L'immobilierintelligent»luipermirentd'affinersesplans.A&Hétaituneentitéàdeuxtêtes,sontalond'Achillesesituaitàlajonction

desdeuxcousde l'hydre. Il suffiraitque lesdeuxcerveauxde l'organisationaspirent aumême air pour en venir à s'étouffermutuellement.Qu'Andric etHeurtsedisputentlabarredunavire,etlegroupenetarderaitpasàdériver.Lenaufrage brutal de l'empire A&H attiserait vite l'appétit des grandspropriétaires, entraînant la déstabilisation du marché immobilier dans une

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vallée où les loyers étaient des piliers fondamentaux de la vie économique.Les réactions des places financières ne se feraient pas attendre et lesentreprisesdelarégionseraientviteasphyxiées.Lucas compulsa quelques données pour établir ses hypothèses : la plus

probable était qu'un grand nombre d'entreprises ne survivraient pas àl'augmentationdeleursloyersetàlabaissedeleurscotations.Mêmeenétantpessimiste, les calculs de Lucas laissaient prévoir qu'au moins dix millepersonnes perdraient leur emploi ; un chiffre suffisant pour faire imploserl'économiedetoutelarégionetprovoquerlaplusbelleemboliequel'onn'aitjamaisimaginée,celledupoumondel'informatiquedumonde.Lesmilieuxfinanciersn'ayantd'égaleàleurscertitudespassagèresqueleur

frilosité permanente, les milliards qui se jouaient à Wall Street sur lesentreprises de haute technologie se volatiliseraient en quelques semaines,infligeantunsuperbeinfarctusaucœurdupays.—Lamondialisationaquandmêmedubon!ditLucasàlaserveusequilui

portacettefoisunchocolatchaud.—Pourquoi, c'est avecunproduit coréenquevouscompteznettoyervos

cochonneries?répondit-elle,dubitative,enregardantlesgraffitissurlatable.—J'effacerai toutenpartant!grommela-t-ilenreprenant lecheminement

desapensée.Puisqu'on laissait entendre que le seul froissement des ailes d'un papillon

pouvaitdonnernaissanceàuncyclone,Lucasdémontreraitquece théorèmepouvait s'appliquer en économie. La crise américaine ne tarderait pas à sepropager en Europe et en Asie. A&H serait son papillon, Ed Heurt sonfroissementd'aile,etlesdocksdelavillepourraientbienêtrelethéâtredesavictoire.Aprèsavoirméthodiquement raturé le formicaavecune fourchette,Lucas

sortitde lacafétériaetcontourna l'immeuble. Il repéradans la rueuncoupéChryslerdontilcrochetalaserrure.Aufeu,ilactionnalacapoteélectriquequise replia dans son habitacle. En descendant la rampe de parking de sesnouveauxbureaux,Lucaspritsontéléphoneportable.Ils'immobilisadevantlevoiturieretluifitunsigneamicaldelamainpourqu'ilpatiente,letempsdeterminer sa communication. D'une voix ostentatoire, il confiait à uninterlocuteur imaginaire avoir surpris Ed Heurt prêcher à une ravissantejournalistequelavraie têtedugroupe,était lui,etsonassociéseulement les

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jambes ! Lucas enchaîna d'un formidable éclat de rire, ouvrit sa portière ettendit ses clés au jeune homme, qui lui fit remarquer que le barillet étaitendommagé.—Jesais,ditLucas,l'aircontrit,onn'estplusensécuriténullepart!Le voiturier, qui n'avait pas perdu unmot de la conversation, le regarda

s'éloignerendirectionduhalldel'immeuble.Ilallagarerladécapotabled'unemainexperte et reconnue... c'était à lui et àpersonned'autreque l'assistantepersonnelled'AntonioAndricconfiaitchaquejourlesoindegarerson4x4.Larumeurmitdeuxheuresàgrimperjusqu'auneuvièmeetdernierétagedu666Market Street, le prestigieux siège social deA&H : la pause-déjeuner avaitfreinésaprogression.Àtreizeheuresdixsept,AntonioAndricentraitivrederagedanslebureaud'EdHeurt,à treizeheuresvingt-neuf, lemêmeAntonioressortaitdubureaudesonassociéenclaquantlaporte.Ilcriasurlepalierque« les jambes » allaient se détendre sur un terrain de golf et que les« méninges » n'avaient qu'à assurer à sa place le comité mensuel desdirecteurscommerciaux.Lucasadressaunregardcompliceauvoiturierenreprenantsoncabriolet.Il

n'avaitrendezvousavecsonemployeurquedansuneheure,cequiluilaissaitletempsdefaireunepetitecoursederiendutout.Ilavaituneenviefolledechangerdevoiture, et pourgarer à samanière celle qu'il conduisait, le portn'étaitpassiloinqueça.

*ZofiaavaitdéposéReinechezsoncoiffeuretpromisdevenirlarechercher

deux heures plus tard. Juste le temps pour elle d'aller donner son coursd'histoire au centre de formation pour les malvoyants. Les élèves de Zofias'étaientlevéslorsqu'elleavaitfranchileseuildelaporte.—Sanscoquetterie, je suis laplus jeunedecetteclasse, asseyez-vous, je

vousenprie!L'assemblées'étaitexécutéedansunmurmureetZofiarepritlaleçonlàoù

elle l'avait laissée. Elle ouvrit le livre en braille posé sur son bureau et encommença la lecture.Zofia aimait cette écriture où lesmots se déliaient dubout des doigts, où les phrases se composaient au toucher, où les textesprenaient vie au creux de lamain. Elle appréciait cet univers amblyope, si

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mystérieux pour ceux qui croyaient tout voir, bien que souvent aveugles detant d'essentiels. Au son de la cloche, elle avait terminé sa leçon et donnérendez-vousàsesélèveslejeudisuivant.Elleavaitretrouvésavoitureetétaitallée chercher Reine pour la déposer chez elle. Puis elle avait traversé denouveaulavillepourreconduireJulesdudispensaireauxdocks.Lebandagequientouraitsajambeluidonnaitdesalluresdeflibustier,ilnedissimulapasunecertainefiertélorsqueZofialuienfitlaremarque.—Tum'asl'airpréoccupée?demandaJules.—Non,justeunpeudébordée.—Tuestoujoursdébordée,jet'écoute.— Jules, j'ai relevé un drôle de défi. Si vous deviez faire quelque chose

d'incroyablementbien,quelquechosequichangerait lecoursdumonde,quechoisiriez-vous?— Si j'étais utopiste ou si je croyais au miracle, je te dirais que

j'éradiquerais la faim dans le monde, j'anéantirais toutes les maladies,interdirais que quiconque attente à la dignité d'un enfant. Je réconcilieraistouteslesreligions,souffleraisuneimmensemoissondetolérancesurlaterre,jecroisaussique je feraisdisparaître toutes lespauvretés.Oui, toutça je leferais...sij'étaisDieu!—Etvousêtes-vousdéjàdemandépourquoiLuinelefaisaitpas?—Tulesaisaussibienquemoi,toutcelanedépendpasdeSavolontémais

decelledeshommesàquiIIaconfiélaTerre.Iln'existepasdebienimmensequel'onpuissesereprésenter,Zofia,toutsimplementparceque,aucontrairedumal, lebienest invisible. Ilnesecalculenineseracontesansperdredeson élégance et de son sens. Le bien se compose d'une quantité infinie depetitesattentionsqui,misesboutàbout,finiront,elles,unjourpeut-être,parchangerlemonde.Demandeàn'importequidetecitercinqhommesquiontchangéenbienlecoursdel'humanité.Jenesaispas,parexemple,lepremierdes démocrates, l'inventeur des antibiotiques, ou un faiseur de paix. Aussiétrange que cela paraisse, peu de gens pourront les nommer, alors qu'ilsévoquerontsansproblèmecinqdictateurs.Onconnaîttouslenomdesgrandesmaladies, rarementceluideceuxqui lesontvaincues.L'apogéedumalquechacunredouten'estriend'autrequelafindumonde,maiscemêmechacunsembleignorerquel'apogéedubienadéjàeulieu...lejourdelaCréation.—Mais alors, Jules, que feriez-vous pour faire le bien, accomplir le très

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bien?—Je feraisexactementceque tu fais ! Jedonneraisàceuxque jecôtoie

l'espoir de tous les possibles. Tu as inventé une chose merveilleuse tout àl'heure,sansmêmet'enrendrecompte.—Qu'est-cequej'aifait?— En passant devant mon arche tu m'as souri. Un peu plus tard, ce

détectivequivientsouventdéjeunerpariciestpasséenvoiture,ilm'aregardéavecsonéternelairbougon.Nosregardssesontcroisés, je luiaiconfié tonsourire,etquandilestreparti,jel'aivu,illeportaitsurseslèvres.Alors,avecunpeud'espoir, il l'auratransmisàceluioucellequ'ilallaitvoir.Turéalisesmaintenantcequetuasfait?Tuasinventéunesortedevaccincontrel'instantde mal-être. Si tout le monde faisait cela, rien qu'une seule fois par jour,donner juste un sourire, imagines-tu l'incroyable contagion de bonheur quifileraitsurlaterre?Alorsturemporteraistonpari.LevieuxJulestoussadanssamain.— Mais, bon. Je t'ai dit que je n'étais pas utopiste. Alors, je vais me

contenterdeteremercierdem'avoirreconduitjusqu'ici.Leclochardsortitdelavoitureetavançaverssonabri.Ilseretourna,fitun

petitsignedelamainàZofia—Quellesquesoientlesquestionsquetuteposes,fie-toiàtoninstinctet

continuedefairecequetufais.Zofialeregarda,interrogative.—Jules,quefaisiez-vousavantdevivreici?Ildisparutsousl'arche,sansrépondre.ZofiarenditvisiteàMancaauFisher'sDeli, l'heuredudéjeunerétaitdéjà

bien entamée et, pour la seconde fois de la journée, elle avait un service àdemanderàquelqu'un.Lecontremaîtren'avaitpastouchéàsonassiette.Elles'assitàsatable.—Vousnemangezpasvosœufsbrouillés?Mancasepenchapourchuchoteràsonoreille:—QuandMathilden'estpaslà,lanourrituren'aaucungoûtici.—Justement,c'estd'ellequejesuisvenuvousparler.

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Zofiaquittaleportunedemi-heureplustardencompagnieducontremaîtreetdequatredesesdockers.Enpassantdevantl'archen°7,ellepilanet.Elleavaitreconnul'hommeencompletélégantquifumaitunecigaretteauprèsdeJules.Lesdeuxdockersqui avaientprisplaceàbordde sonvéhicule et lesdeux autres qui la suivaient dans un pick-up lui demandèrent pourquoi elleavait freiné aussi brutalement. Elle accéléra sans répondre et fila vers leMémorialHospital.

*Les optiques de la Lexus flambant neuve s'illuminèrent dès qu'elle

s'engageadanslessoussols.Lucasmarchad'unpaspresséverslaported'accèsauxescaliers.Ilconsultasamontre,ilavaitdixminutesd'avance.Lesportesdel'ascenseurs'ouvrirentsurleneuvièmeétage.Ilfitundétour

pourpasser devant la portede l'assistanted'AntonioAndric, s'invita dans lapièceets'assitsurlecoindesonbureau.Ellenerelevapaslatêteetcontinuadepianotersurleclavierdesonordinateur.—Vousêtestotalementdévouéeàvotretravail,n'est-cepas?Elizabethluisouritetpoursuivitsatâche.—Savez-vousqu'enEurope laduréedu travailest légalisée?EnFrance,

ajouta Lucas, ils pensentmême que plus de trente-cinq heures par semainenuisentàl'épanouissementdel'individu.Elizabethselevapourseservirunetassedecafé.—Etsic'estvousquivouleztravaillerplus?demanda-t-elle.—Vousnepouvezpas!LaFranceprivilégiel'artdevivre!Elizabeth reprit place derrière son écran et s'adressa à Lucas d'une voix

distante.— J'ai quarante-huit ans, je suis divorcée, mes deux enfants sont à

l'université, je suispropriétairedemonpetit appartementàSausalitoetd'unjoli petit condominiumauborddu lacTahoe, que j'aurai fini de payer dansdeux ans. Pour tout vous dire, je ne compte pas le temps que je passe ici.J'aimebiencequejefais,bienplusquededéambulerdevantdesvitrinesenconstatantquejen'aipasassezbossépourmepayercedontj'aienvie.Quantaux Français, je vous rappelle qu'ilsmangent des escargots !Mr. Heurt est

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danssonbureauetvousavez rendez-vousàquatorzeheures... cequi tombebienpuisqu'ilestexactementquatorzeheures!Lucassedirigeaverslaporte.Avantd'emprunterlecouloirilseretourna.—Vousn'avezjamaisgoûtéaubeurred'ail,sinon,vousnediriezpasça!

*Zofiaavaitorganisé lasortieanticipéedeMathilde.Mathildeacceptaitde

signerunedécharge, etZofiaavait juréqu'aumoindre signeanormalelle laraccompagneraitaussitôtauxurgences.Lechefdeservicedonnasonaccordsous réserve que l'examenmédical prévu à quinze heures ne contredise pasl'évolutionfavorabledel'étatdesantédesapatiente.QuatredockersprirentMathildeenchargesurleparkingdel'hôpital.Leurs

plaisanteriessurlafragilitéduchargementallaientbontrain:ilss'amusaientàutiliser tout le vocabulaire d'unemanutention oùMathilde jouait le rôle ducontainer. Ils l'allongèrent avec beaucoup de précaution sur la civière qu'ilsavaient improvisée à l'arrière de la camionnette. Zofia conduisait aussilentementqu'ellelepouvait,maislemoindrecahotréveillaitdanslajambedeMathildeunevivedouleurremontantjusqu'aucreuxdel'aine.Illeurfallutunedemi-heurepourarriveràbonport.Lesdockersdescendirentlelitmétalliquedugrenieretl'installèrentdansle

living de Zofia. Manca le poussa jusqu'à la fenêtre et arrangea le petitguéridonquiferaitofficedetabledenuit.Commençaalorslalenteascensionde Mathilde, que les dockers emportaient vers l'étage, sous le hautcommandementdeManca.Achaquemarchegagnée,Zofiaserrait lesdoigtsenentendantMathildecriersapeur.Leshommesyrépondaientenchantantàtue-tête.Ellesfinirentpars'abandonnerauxrireslorsqu'ilseurentenfinpasséle coude de la cage d'escalier. Avec mille attentions, ils déposèrent leurserveusepréféréesursanouvelleliterie.Zofia les inviteraitàdéjeunerpour les remercier.Mancaditquecen'était

pas la peine, Mathilde les avait suffisamment choyés au Deli pour qu'ilspuissent rendre la pareille. Zofia les reconduisit au port. Quand la voitures'éloigna, Reine prépara deux tasses de café accompagnées de quelquesmorceauxdegaletteposésdanssacoupelleenargentciselé,puisellemontaàl'étage.

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Quittant le quai 80, Zofia décida de faire un léger détour. Elle allumal'autoradioetcherchaunestation jusqu'àceque lavoixdeLouisArmstrongs'envoledansl'habitacle.Whatawonderfulworldétaitl'unedeseschansonspréférées.Ellefredonnadeconcertaveclevieuxbluesman.LaFordtournaaucoindes entrepôts et fila endirectiondes archesquibordaient la travéedesimmensesgrues.Elleaccéléraet,aupassagedesralentisseurs, lavoitureeutunesériedehoquets.Elleensouritetouvritsavitreengrand.Leventfaisaitvolersescheveux,elletournaleboutonduvolume,etlachansonsejouaplusfort encore.Radieuse, elle s'amusait à slalomerentre les cônesde sécurité...vers la septième arche. Lorsqu'elle vit Jules, elle lui fit un petit signe de lamain, qu'il lui rendit aussitôt. Il était seul... alors Zofia éteignit la radio,refermalavitreetbifurquaverslasortie.

*Heurt avait quitté la salle du conseil sous les applaudissements cauteleux

des directeurs, effarés par les promesses qui venaient de leur être faites.Certain qu'il était rompu à tout exercice de communication, Ed avaittransformé la réunion commerciale en parodie de conférence de presse,détaillant sans retenue ses visionsmégalo-expansionnistes.Dans l'ascenseurquilereconduisaitauneuvièmeétage,Edétaitauxanges:lemanagementdeshommesn'étaitfinalementpassicompliquéquecela;s'illefallait,ilpourraittrèsbienœuvrerseulàladestinéedugroupe.Foudejoie,ildressasonpoingserréverslecielensignedevictoire.

*Laballedegolfavaitfaitchancelerledrapeauavantdedisparaître.Antonio

Andricvenaitderéussirunmagnifique«trouenun»surun«parquatre».Foudejoie,illevasonpoingserréverslecielensignedevictoire.

*Ravi,Lucas abaissa sonpoingvers la terre en signedevictoire : levice-

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présidentavait réussiàsemerun troublesansprécédentparmi lesdirigeantsdesonempire,et laconfusiondesespritsne tarderaitpasàsepropagerauxétagesinférieurs.Ed l'attendait près du distributeur de boissons, il ouvrit les bras en le

voyant.—Quelleréunionformidable,n'est-cepas?Jemerendscomptequejesuis

tropsouventloindemestroupes!Jedoisremédieràcela,àceproposj'aiunpetitserviceàvousdemander.Edavait rendez-vous lesoirmêmeavecune journalistequidevait rédiger

un article sur lui dans un quotidien local. Pour une fois il sacrifierait sesdevoirs vis-à-vis de la presse aux besoins de ses fidèles collaborateurs. Ilvenait de convier à dîner le patron du développement, le responsable dumarketingetlesquatredirecteursduréseaucommercial.Àcausedesonpetitaccrochage avec Antonio, il préférait ne pas informer son associé de soninitiativeetlelaisserjouird'unevraiesoiréedereposdontilavaitvisiblementbesoin.SiLucasvoulaitbienassurer l'interviewàsaplace, il lui rendraitunserviceinestimable;d'autantquelesélogesd'untierss'avéraienttoujoursplusconvaincants. Ed comptait sur l'efficacité de son nouveau conseiller, qu'ilencouragead'une tapeamicalesur l'épaule.La tableétait réservéeàvingtetuneheureschezSimbad,unrestaurantdepoissonssurFisherman'sWharf:uncadreuntantinetromantique,descrabesdélicieux,uneadditionhonorable,lepapierdevraitêtreéloquent.

*Après s'être occupée du transfert deMathilde, Zofia revint auMémorial

Hospital,dansunautreservicecettefois-ci.Elleentradanslepavillonn°3etgrimpajusqu'autroisièmeétage.Le service des hospitalisations pédiatriques était comme à son habitude

surchargé.Dèsque lepetitThomaseut reconnusonpasau fondducouloir,toutsonvisages'illumina.Pour lui, lesmardisetvendredisétaientdes jourssansgris.Zofiacaressasajoue,s'assitauborddesonlit,déposaunbaisersursamainqu'ellesouffladanssadirection(c'étaitleurgestecomplice),etrepritsalectureàlapagecornée.Personnen'étaitautoriséàtoucheraulivrequ'ellerangeaitdansletiroirdesatabledenuitaprèschaquevisite.Thomasyveillait

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commesuruntrésor.Mêmeluinesepermettaitpasdelirelemoindremotenson absence. Le petit bonhomme à la tête chauve connaissait mieux quequiconquelavaleurdel'instantmagique.SeuleZofiapouvaitluidirececonte.NulneconfisqueraituneminutedeshistoiresfantastiquesdulapinTheodore.Deses intonationselle rendait chaque ligneprécieuse.Parfois elle se levait,parcouraitlapiècedelongenlarge;chacunedesesgrandesenjambéesqu'elleaccompagnait d'amples mouvements de bras et de mimiques provoquaitaussitôtlesriressansretenuedupetitgarçon.Pendantl'heureféeriqueoùlespersonnagess'animaientdanssachambre,c'étaitlaviequireprenaitsesdroits.Même quand il rouvrait les yeux, Thomas oubliait les murs, sa peur et ladouleur.Elle replia l'ouvrage, le rangea en bonne place et regarda Thomas qui

fronçaitlessourcils.—Tuasl'airsoucieuxtoutàcoup?—Non,réponditl'enfant.—Quelquechoset'aéchappédansl'histoire?—Oui.—Quoi?dit-elleenreprenantsamain.—Pourquoitumelaracontes?Zofianetrouvapaslesmotsjustespourformulersaréponse,alorsThomas

sourit.—Moijesais,dit-il.—Alors,dis-le-moi.Ilrougitetfitglisserleplidudrapdecotonentresesdoigts.Ilmurmura:—Parcequetum'aimes!Etcettefois,cefurentlesjouesdeZofiaquis'empourprèrent.—Tu as raison, c'était exactement lemot que je cherchais, dit-elle d'une

voixdouce.—Pourquoilesadultesnedisentpastoujourslavérité?—Parcequ'elleleurfaitpeurparfois,jecrois.—Maistoitun'espascommeeux,n'est-cepas?—Disonsquejefaisdemonmieux,Thomas.

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Ellerelevalementondel'enfantetl'embrassa.Ilplongeadanssesbrasetlaserra très fort.Le câlin achevé,Zofia avançavers la porte,maisThomas larappelaunedernièrefois.—Jevaismourir?Thomas la dévisageait, Zofia scruta longuement le regard si profond du

petitgarçon.—Peut-être.—Passitueslà,alorsàvendredi,ditl'enfant.—Avendredi,réponditZofiaensoufflantlebaiseraucreuxdesamain.Elle reprit le chemin des docks pour aller vérifier le bon déroulement du

débardaged'uncargo.Elles'approchad'unepremièrepiledepalettes,undétailavaitattirésonattention:elles'agenouillapourcontrôlerlavignettesanitairequigarantissaitlerespectdelachaînedufroid.Lapastilleavaitviréaunoir.Zofia prit immédiatement son talkie-walkie et bascula sur le canal 5. Lebureau des services vétérinaires ne répondit pas à son appel. Le camionréfrigéré qui attendait au bout de la travée ne tarderait pas à emporter lamarchandise improprevers lesnombreuxrestaurantsde laville. Il lui fallaittrouverunesolutionauplusvite.Elletournalamolettesurlecanal3.—Manca,c'estZofia,oùêtes-vous?Lepostegrésilla.—A lavigie,ditManca,et il fait trèsbeausivousaviezundoutesur la

question!Jepourraispresquevoirlescôteschinoises!—LeVasco-de-Gamaestendéchargement,pouvez-vousm'yrejoindreau

plusvite?—Ilyaunproblème?— J'aimerais mieux en parler avec vous sur place, répondit-elle en

raccrochant.Elle attendait Manca au pied de la grue qui transbordait les palettes du

navire vers la terre, il arriva quelques minutes plus tard, au volant d'unFenwick.—Alorsqu'est-cequejepeuxfairepourvous?demandaManca.—Auboutdecettegrue,ilyadixpalettesdecrevettesnoncomestibles.

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—Et?—Commevouspouvezleconstater,lesservicessanitairesnesontpaslàet

jen'arrivepasàlesjoindre.— J'ai bien deux chiens et un hamster à la maison, mais je ne suis pas

vétérinairepourautant.Etpuisqu'est-cequevousyconnaissezencrustacés,vous?Zofialuimontralapastilletémoin.—Lescrevettesn'ontpasdesecretpourmoi!Sionnes'enoccupepas,il

neferapasbonalleraurestaurantenvillecesoir...—Benoui,maisqu'est-cequevousvoulezquej'yfasse,àpartmangerun

steakchezmoi?—...Nipourlespetitsdemangeràlacantinedemain!Laphrasen'étaitpasinnocente,Mancanesupportaitpasquel'ontoucheà

un seul cheveu d'un enfant, ils étaient sacrés pour lui. Il la fixa quelquesinstantsensefrottantlementon.—Bon,d'accord!ditMancaens'emparantdel'émetteurdeZofia.Ilchangealafréquencepourcontacterlegrutier.—Samy,mets-toiaularge!—C'esttoi,Manca?J'aitroiscentskilosaubout,çapeutattendre?—Non!Laflèchepivotalentement,entraînantsachargedansunlentbalancement.

Elles'immobilisaàlaverticaledel'eau.—Bien!ditMancadanslemicro.Maintenantjevaistepasserl'officieren

chef de la sécurité qui vient de repérer unegrosse faiblesse à ton arrimage.Ellevat'ordonnerdelarguertoutdesuitepourquetuneprennespasderisquepersonnel,ettuvasluiobéiràlamêmevitesseparcequec'estsonmétierdefairedestrucscommeça!Il tendit le combiné à Zofia avec un immense sourire. Zofia hésita et

toussotaavantdetransmettrel'ordre.Ilyeutunbruitsecetlecrochetsedéfit.Lespalettes de crustacés s'abîmèrent dans les eauxduport.Manca remontasur son Fenwick. En démarrant, il oublia qu'il avait enclenché la marchearrièreetrenversalescaissesdéjààterre.Ils'arrêtaàlahauteurdeZofia.—Silespoissonssontmaladescettenuit,c'estvotreproblème,jeneveux

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pasenentendreparler!Despapiersdel'assurancenonplus!Etletracteurfilasansbruitsurl'asphalte.L'après-midi touchait à sa fin. Zofia traversa la ville, la boulangerie qui

fabriquait lesmacaronspréférés deMathilde se trouvait à la pointe norddeRichmondsur45thStreet.Elleenprofitapourfairequelquescourses.Zofiarentrauneheureplustard,lesbraschargés,etgrimpajusqu'àl'étage.

Elle repoussa laportedupied, ellenevoyaitpasgrand-chosedevantelleetpassadirectementderrièrelecomptoirdelacuisine.Ellesoufflaenposantlespaquets bruns sur le plateau en bois et releva la tête :Reine etMathilde laregardaientavecunairplusqu'étrange.—Jepeuxprofiterdecequivousfaitrire?demandaZofia.—Nousnerionspas!assuraMathilde.—Pasencore...maisàvoirvosdeuxtêtes,jepariequeçanevapastarder.—Tuasreçudesfleurs!susurraReineentreseslèvresqu'ellepinçait.Zofialesdévisageatouràtour.— Reine les a mises dans la salle de bains ! ajouta Mathilde, la gorge

nouée.—Pourquoidanslasalledebains?demandaZofia,suspicieuse.—L'humiditéjesuppose!répliquaMathilde,hilare.ZofiaécartalerideaudedoucheetentenditReineajouter:—Cegenredevégétalabesoindebeaucoupd'eau!Lesilencerégnad'unepièceàl'autre.LorsqueZofiademandaquiavaiteu

ladélicatessedeluienvoyerunnénuphar,leriredeReineéclatadanslesalon,celuideMathildesuivitaussitôt.Reineretrouvasuffisammentdecontenancepour ajouter qu'il y avait un petit mot sur le rebord du lavabo. Dubitative,Zofialedécacheta.Amongrandregret,uncontretempsprofessionnelm'obligeàreporternotre

dîner.Pourmefairepardonner, jevousdonnerendez-vousà19h30aubarduHyattEmbarcadero,nousyprendronsl'apéritif.Soyezlà,votrecompagniem'estindispensable.Lepetitboutdebristol télégraphiéétaitsignéLucas.Zofia lefroissaet le

jetadanslacorbeille.Elleretournadanslesalon.

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—Alorsc'étaitqui?demandaMathildeens'essuyantlespommettes.Zofiasedirigeaversleplacardqu'elleouvriténergiquement.Elleenfilaun

cardigan, attrapa ses clés sur la tablette de l'entrée et se retourna avant desortir pour dire à Reine et Mathilde qu'elle était ravie qu'elles se soienttrouvées. Il y avait de quoi préparer à dîner sur le comptoir. Elle avait dutravailetrentreraittard.Ellefitunerévérenceforcéeets'éclipsa.MathildeetReine entendirent un « bonsoir » glacial dans la cage d'escalier, juste avantque la porte d'entrée ne claque. Le bruit du moteur de la Ford s'évanouitquelques secondes plus tard.Mathilde regarda Reine sansmasquer le largesourireaucoindeseslèvres.—Vouscroyezqu'elleestvexée?—Tuasdéjàreçuunnénuphar,toi!Reines'essuyalecoindel'oeil.Zofiaconduisaitsèchement.Elleallumalaradioetgrommela.—Donc,ilm'aprisepourunegrenouille!Au carrefour de la Troisième Avenue elle donna un coup rageur sur le

volant, actionnant inopinément le klaxon. Devant son pare-brise, un piétonmontraitd'ungesteinélégantquelefeuétaitencoreaurouge.Zofiapassasatêteparlafenêtreetluihurla:—Désolée,lesbatracienssontdaltoniens!Elleroulaàviveallureendirectiondesquais.—Unfâcheuxcontretemps,gnagnagna,maispourquiseprend-il!LorsqueZofiaarrivaauquai80,legardiensortitdesaguérite.Ilavaitun

messagedelapartdeMancaquivoulaitlavoirdetouteurgence.Elleregardasamontre et fila vers le bureaudes contremaîtres.En entrant dans la pièce,elle vit aussitôt à la mine de Manca qu'il y avait eu un accident : il luiconfirmaqu'uncalierdunomdeGomezétaittombé.Uneéchelledéfectueuseétaitprobablementà l'originedesachute.Levracaufonddelacaleavaitàpeineamorti lechoc, l'hommeavaitété transportéà l'hôpitaldansunpiteuxétat.Les causes de l'accident provoquaient la colère de ses collègues.Zofian'étaitpasdeserviceaumomentdelacatastrophe,maisellenes'ensentaitpasmoinsresponsable.Depuisledrame,latensionn'avaitcessédemonteretdesrumeursdedébrayagecirculaientdéjàentrelesquais96et80.Pourcalmerles

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esprits,Mancaavaitpromisde faireconsigner lebateauàquai.Si l'enquêteconfirmait lessuspicions, lesyndicatseporteraitpartiecivileetpoursuivraitl'armateur.Enattendant,pourdébattredubienfondéd'unegrève,Mancaavaitconviéàdînerlesoirmêmelestroischefsdesectiondel'UniondesDockers.L'airgrave,Mancagriffonna lescoordonnéesdurestaurantsurunpetitboutdepapierqu'ildéchiradubloc-notes.—Ceseraitbienquetutejoignesànous,j'airéservéàneufheures.IltenditlefeuilletàZofia,ellepritcongédelui.Le vent froid qui soufflait sur les quais giflait ses joues. Elle emplit ses

poumonsd'air glacé et expira lentement.Unemouettevint seposer surunecorded'amarragequigrinçaitens'étirant.L'oiseauinclinalatêteetfixaZofiaduregard.—C'esttoi,Gabriel?dit-elled'unevoixtimide.Lamouettes'élevadanslesairsenpoussantungrandcri.—Non,cen'étaitpastoi...Marchant le long de l'eau, elle ressentit une impression qu'elle ne

connaissaitpas,commeunvoiledetristessequivenaitsemêlerauxembruns.—Çanevapas?LavoixdeJuleslafitsursauter.—Jenevousavaispasentendu.—Moisi,dit levieilhommeens'approchantd'elle.Qu'est-ceque tu fais

pariciàcetteheurelà,tun'esplusdeservice!—Jesuisvenueméditersurunejournéequin'acessédedéraper.— Alors, ne te fie pas aux apparences, tu sais qu'elles sont souvent

trompeuses.Zofia haussa les épaules et s'assit sur la premièremarche de l'escalier de

pierrequidescendaitversl'eau.Juless'installaàsescôtés.—Votrejambenevousfaitpassouffrir?demanda-t-elle.—Ne t'occupedoncpasdema jambe,veuxtu !Alorsqu'est-cequineva

pas?—Jecroisquesuisfatiguée.—Tun'esjamaisfatiguée...jet'écoute!

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—Jenesaispascequej'ai,Jules...jemesensunpeulasse...—Nousvoilàbien!—Pourquoidites-vousça?—Pourrien,commeça!D'oùnousvientcecoupdecafard?—Jen'ensaisrien.—Onnelevoit jamaisvenir lepetitscarabéechagrin, ilest làetpuisun

matinilrepart,onnesaitpascomment.Ilessayadeserelever,elleluitenditlamainpourl'aideràprendreappuisur

elle.Ilgrimaçaenseredressant.—Ilestseptheuresetquart...jecroisquetudoisyaller.—Pourquoidites-vousça?—Arrêteaveccettequestion!Disonsquec'estparcequ'ilesttard.Bonne

soirée,Zofia.Il marcha sans boiter. Avant d'entrer sous son arche, il se retourna et

l'interpella:—Toncafardseraitplutôtblondoubrun?Julesdisparutdanslapénombre,lalaissantseulesurleparking.Le premier tour de clé ne laissait aucun espoir : les phares de la Ford

éclairaient àpeine laprouedunavire.Ledémarreur fit à peuprès lemêmebruitqu'unepuréedepommesdeterrequel'ontouilleàlamain.Ellesortitenclaquantviolemmentlaportièreetmarchaverslaguérite.—Merde!dit-elleenremontantsoncol.Un taxi la déposa un quart d'heure plus tard au pied de l'Embarcadero

Center.Zofiacourutdanslesescalatorsquidébouchaientsurlegrandatriumducomplexehôtelier.Delà,ellepritl'ascenseurquimontaitd'untraitjusqu'audernierétage.Lebarpanoramiquetournaitlentementsurunaxe.Enunedemi-heure,on

pouvait ainsi admirer l'île d'Alcatraz à l'est, le Bay Bridge au sud, lesfaubourgs financiers et leurs toursmagistrales à l'ouest. Le regard de ZofiaauraitputoutaussibienapercevoirlemajestueuxGoldenGatequireliaitlesterres verdoyantes du Presidio aux falaises tapissées de menthe quisurplombaient Sausalito... à condition toutefois d'être assise face à la vitre,

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maisLucasavaitprislabonneplace...Ilrefermalacartedescocktailsethélaleserveurd'unclaquementdedoigts.

Zofia baissa la tête. Lucas recracha dans sa main le noyau qu'il astiquaitméticuleusementdelalangue.— Les prix sont absurdes ici, mais je dois reconnaître que la vue est

exceptionnelle,dit-ilenenfournantunenouvelleolive.—Oui, vous avez raison, lavue est assez jolie, ditZofia. Je croismême

pouvoir deviner un tout petit morceau du Golden Gate dans le tout petitbandeaudemiroirenfacedemoi.Amoinsquecelanesoitlerefletdelaportedestoilettes,elleaussielleestrouge.Lucastiralalangueetlouchaenessayantd'envoirlebout,ilsaisitlenoyau

poli,l'abandonnasurlacoupelleàpainetconclut:—Detoutefaçonilfaitnuit,n'est-cepas?D'unemaintremblante,leserveurdéposasurlatableunmartinidry,deux

cocktailsdecrabesets'éloignad'unpaspressé.—Vousnetrouvezpasqu'ilestunpeutendu?demandaZofia.Lucasavaitattenducettetabledixminutesetavaitunpeutancélegarçon.—Croyez-moi,vulestarifs,onpeutêtreexigeant!—Vousavezcertainementunecartedecréditdorée?réponditZofiadutac

autac.— Absolument ! Comment le savez-vous ? demanda Lucas, l'air aussi

étonnéqueravi.— Elles rendent souvent arrogant... Croyezmoi, les additions sont sans

communemesureaveclasoldedesemployésdelasalle.—C'estunpointdevue,accusaLucasenmâchouillantuneénièmeolive.Dèslors,àchaquefoisqu'ilcommandadesamandes...unautreverre...une

serviette propre... il fit l'effort de prononcer quelques mercis étouffés quisemblaientvraimentluibrûlerlagorge.Zofias'inquiétadecequin'allaitpaschezlui,iléclatad'unriretonitruant.Toutallaitpourlemieuxdanslemeilleurdesmondes, il était vraiment heureux de l'avoir rencontrée.Dix-sept olivesplus tard, il régla l'addition sans laisser de pourboire. En sortant del'établissement,ZofiaglissadiscrètementunbilletdecinqdollarsdanslamainduchasseurquiétaitallérechercherlavoituredeLucas.

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—Jevousdépose?dit-il.—Non,merci,jevaisprendreuntaxi.D'ungestelarge,Lucasouvritlaportièrecôtépassager.—Montez,jevousdépose!Le cabriolet filait à vive allure. Lucas fit vrombir lemoteur et inséra un

disquecompactdans le lecteurde la consoledebord.Ungrand sourire auxlèvres, il saisit une carte de crédit Platinium de sa poche et l'agita entre lepouceetl'index.—Vousreconnaîtrezqu'ellesn'ontpasquedesdéfauts!Zofialedévisageaquelquessecondes.Alavitessedel'éclair,elleluiôtale

morceaudeplastiquedorédesdoigtsetlejetapar-dessusbord.—Ilparaîtmêmequ'ilslesrefontenvingtquatreheures!dit-elle.Lavoiturepiladansuncrissementdepneus,Lucaséclataderire.—L'humour,c'estirrésistiblechezunefemme!Quandlavoitureserangeadevantlastationdetaxis,Zofiafitpivoterlaclé

de contact pour couper le bruit assourdissant du moteur. Elle descendit etrefermadélicatementsaportière.—Vousêtescertainequevousnevoulezpasquejevousraccompagnechez

vous?demandaLucas.—Jevousremercie,maisj'airendez-vous.Enrevanche,j'aiunpetitservice

àvousdemander.—Toutcequevousvoudrez!ZofiasepenchaàlafenêtredeLucas.— Pourriez-vous attendre que j'aie tourné au coin de la rue avant de

remettrevotresupertondeuseàgazonenmarche?Ellereculad'unpas,ilagrippasonpoignet.—J'aipasséunmomentdivin,ditLucas.Illapriad'accepterdereconduirecedînermanqué.Lespremiersmoments

d'unerencontreétaienttoujoursdifficiles,malaiséspourlui,carilétaittimide.Elle devait leur laisser une chance de mieux se connaître. Zofia restaitperplexequantàsadéfinitiondelatimidité.—Onnepeutpasjugerlesgenssurunepremièreimpression,n'est-cepas?

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Ilyavaituneoncedecharmedansletonqu'ilavaitemprunté...Elleacceptaundéjeuner,riendeplus!Puiselletournalestalonsetavançaversletaxientêtedestation.Lev12deLucasvrombissaitdéjàdanssondos.

*Le taxi se rangea le long du trottoir. Les cloches de Grâce Cathedral

résonnèrentdeleurneuvièmecoup.ZofiaentrachezSimbad,elleétaitpileàl'heure.Ellereplialemenuqu'ellerenditàlaserveuseetpritunegorgéed'eau,décidée à entrer dans le vif du sujet qui l'avait amenée à cette table. Il luifallaitconvaincreleschefsdusyndicatd'enrayerlemouvementdegrognesurlesquais.—Même si vous les soutenez, vos dockers ne tiendront pas plus d'une

semainesanssalaire.Sil'activités'arrête,lescargosn'aurontqu'às'amarrerdel'autrecôtédelabaie.Vousalleztuerlesdocks,dit-elled'unevoixsansfaille.L'activité marchande était vivement concurrencée par Oakland, le port

voisin rival.Unnouveaublocus risquaitd'entraîner ledépartdesentreprisesdefret.L'appétitdespromoteurs,quilorgnaientdepuisdixanslesplusbeauxterrainsdelaville,étaitdéjàsuffisammentaiguisépourquel'onnejouepasenplusauPetitChaperonrouge,avecdesparfumsdegrèvedansunpanier.—C'estarrivéàNewYorketàBaltimore,çapeutnousarriverici,reprit-

elle,convaincuedelacausequ'elledéfendait.Et si les quais marchands fermaient leurs portes, les conséquences ne

seraientpasseulementdésastreusespourlaviedesdockers.Trèsvitelesfluxincessants de camions qui traverseraient quotidiennement les pontsachèveraientd'engorger lesaccèsde lapresqu'île.Lesgensdevraientquitterleurdomicileencoreplustôtpourserendreautravailetrentreraientchezeuxencoreplustard.Ilnefaudraitpassixmoisavantquebeaucoupd'entreeuxneserésignentàmigrerplusausud.—Vousnecroyezpasquevouspoussezlebouchonunpeuloin?demanda

l'undeshommes.Ilnes'agitquederenégocierlesprimesderisque!Etpuisjepensequenoscollèguesd'Oaklandserontsolidaires.—C'est ce que l'on appelle la théorie du battement de l'aile du papillon,

insistaZofiaendéchirantunboutdelanappeenpapier.

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—Qu'est-cequ'ilsviennentfairelà,lespapillons?demandaManca.L'hommeaucompletnoirquidînaitderrièreeuxseretournapourintervenir

dans leur conversation. Le sang de Zofia se glaça aussitôt qu'elle reconnutLucas.—C'estunprincipegéophysiquequiprétendque lemouvementdesailes

d'un papillon en Asie crée un déplacement d'air qui peut devenir, derépercussionenrépercussion,uncyclonedévastantlescôtesdelaFloride.Les délégués syndicaux se regardèrent tour à tour, aussi silencieux que

dubitatifs.Manca trempasonquignondepaindans lamayonnaiseet reniflaavantdes'exclamer:—QuitteàfairelesconsauVietnam,onauraitdûenprofiterpoursulfater

leschenilles,aumoinsonn'yseraitpasallépourrien!Lucas saluaZofia et se retourna vers la journaliste qui l'interviewait à la

tablevoisine.LevisagedeZofiaétaitcouleurpivoine.L'undesdéléguésluidemanda si elle était allergique aux crustacés, elle n'avait pas touché à sonplat. Elle se sentait légèrement nauséeuse, se justifia-telle, leur offrant departager son assiette. Elle les supplia de réfléchir avant de commettrel'irréparable,puiss'excusa:ellenesesentaitvraimentpastrèsbien.Tousselevèrentquandellequittalatable.Enpassant,ellesepenchaversla

jeune femmeet la regarda fixement.Surprise,celle-cieutunmouvementderecul,manquantdebasculerenarrière.Zofialuiadressaunsourireforcé.—Vousdevezdrôlementluiplairepourêtrefaceàlavue!Celadit,vous

êtesblonde!Jevoussouhaiteunebonnesoirée...professionnelle...àtouslesdeux!Ellesedirigead'unpasdéterminéverslesvestiaires,Lucasseprécipita,la

retintparlebrasetlaforçaàseretourner.—Qu'est-cequivousapris?—Professionnel,c'estdifficileàépeler,non?Unf,deuxs,deuxn,etvous

savez quoi ? Pas deq dedans ! Et pourtant, en ymettant un peu de bonnevolonté,onarrivequandmêmeàentrouverun,n'est-cepas!—C'estunejournaliste!—Oui,moi aussi je suis journaliste : le dimanche, je recopiemon bloc-

notesdelasemainedansmonjournalintime.—MaisAmyestunevraiejournaliste!

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—Et le gouvernement a l'air très occupé en cemoment à communiqueravecAmy!—Parfaitement,etneparlezpassifort,vousallezgrillermacouverture!—Celledesonmagazine,jesuppose?Offrezluiquandmêmeundessert,

j'enaivuunàmoinsdesixdollarsàlacarte!—Lacouverturedemamission,bonsang!—Ça,c'estunevraiebonnenouvelle!Plustard,quandjeseraigrand-mère,

jepourrairaconteràmespetits-enfantsqu'unsoirj'aiprisl'apéritifavecJamesBond!Àlaretraite,vousaurezbienledroitdeleverlesecret-défense?—Bonçasuffit!Vousnedîniezpasavectroiscopinesdelycéeàcequeje

constate!— Charmant, vous êtes résolument charmant, Lucas, remarquez, votre

invitéeaussi,dit-elle.Elleaundélicieuxportdetêtesurunjolicoud'oiseau.Laveinarde:dansquarante-huitheuresellevarecevoirunesublimecageenosiertressé!—Ça,c'estunsous-entendu!Monnénupharvousadéplu?—Bienaucontraire!Jemesuissentieflattéequevousnem'ayezpasfait

livrer l'aquariumet lapetite échelle avec !Allez,dépêchez-vous, elle a l'airaccablé ! C'est redoutable pour une femme de s'ennuyer à la table d'unhomme,croyez-moisurparole,jesaisdequoijeparle.Zofiatournalestalons,laportedurestaurantserefermaderrièreelle.Lucas

haussa lesépaules, avisad'uncoupd'œil la tabléequeZofiaavaitquittéeetrejoignitsoninvitée.—Quiétait-ce?demandalajournalistequis'impatientait.—Uneamie.—Jememêledecequinemeregardepas,maiselleavaitl'airdetout,sauf

deça.—Effectivement,vousvousmêlezdecequinevousregardepas!Tout au long du dîner, Lucas ne cessa de vanter les mérites de son

employeur. Ilexpliquaqu'à l'encontrede toutes les idées reçues,c'étaitàEdHeurtquelacompagniedevaitsonformidableessor.Unefidélitéexcessiveàson associé et sa modestie légendaire avaient amené le viceprésident à sesatisfairedutitredenumérodeux,carpourEdHeurtseulecomptaitlacause.Pourtant,lavraietêtepensantedubinômec'étaitlui,etluiseul!Lajournaliste

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pianotait d'une main agile sur le clavier de son ordinateur de poche.Hypocritement,Lucaslapriadenepasfaireétatdanssonarticledecertainesconsidérationsqu'illuiavaitlivréestoutàfaitconfidentiellementetparcequesesyeuxbleusétaientirrésistibles.Ilsepenchapourluiservirunverredevin,ellel'invitaàluiconfierd'autressecretsd'alcôve,àtitrepurementamical,bienentendu.Ilritauxéclatsetajoutaqu'iln'étaitpasencoreassezivrepourcela.Ajustantlabretelledesondébardeurensoiesurleborddesonépaule,Amydemandacequipourraitprovoquerl'ivressechezlui.

*Zofiagravitlesmarchesduperronàpasdeloup.Ilétaittard,maislaporte

deReineétaitencoreentrebâillée,Zofialapoussadoucementdudoigt.Iln'yavaitpasd'albumposésurletapis,pasdecoupelleàgâteaux,MissSheridanl'attendaitassisedanssonfauteuil.Zofiaentra.—Ilteplaîtcejeunehomme,n'est-cepas?—Quiça?—Nefaispasl'idiote,celuidunénuphar,avecquituaspassélasoirée!—Nousn'avonsprisqu'unverre.Pourquoi?—Parcequ'ilnemeplaîtpas,voilàpourquoi!—Jevousrassure,àmoinonplus.Ilestodieux.—C'estbiencequejedis,ilteplaît!—Maisnon!Ilestvulgaire,imbuetsuffisant.—MonDieu,elleestdéjàamoureuse!s'exclamaReineenlevantlesbras

auciel.—Alorsvraimentpas!C'estquelqu'undemaldanssapeauquejepensais

pouvoiraider.—C'estencorepirequecequejecroyais!ditReineenlevantànouveau

lesbras.—Maisenfin!—Neparlepassifort,tuvasréveillerMathilde.—De toute façon,c'estvousquinecessezdemedirequ'il fautque j'aie

quelqu'undansmavie.

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— Ça, ma chérie, c'est ce que toutes les mères juives disent à leursenfants...tantqu'ilssontcélibataires.Lejouroùilsleurramènentquelqu'unàlamaison, elles chantent lamême chanson,mais ellesmettent les paroles àl'envers.—Mais,Reine,vousn'êtesmêmepasjuive!—Etalors?Reineselevaetsortitlepetitplateaudubuffet;elleouvritlaboîteenmétal

et déposa troisbiscuitsdans la coupelle argentée.ElleordonnaàZofiad'engrignoter au moins un, et sans discuter, elle avait suffisamment souffertcommeçaàl'attendretoutelasoirée!— Assieds-toi et raconte-moi tout ! dit Reine en s'enfonçant dans son

fauteuil.Elle écoutaZofia sans l'interrompre, cherchant à comprendre les desseins

del'hommequiavaitcroisésarouteàplusieursreprises.EllefixaZofiad'unregard inquisiteur et ne brisa le silence qu'elle s'était imposé que pour luidemanderdeluitendreunmorceaudegalette.Ellen'enprenaitqu'àlafindeses repas, mais la circonstance justifiait l'assimilation immédiate de sucresrapides.— Décris-le-moi encore, demanda Reine après avoir croqué un bout de

sablé.Zofia s'amusait beaucoup du comportement de sa logeuse. Vu l'heure

tardive,elleauraitpumettreuntermeàcetteconversationetseretirer,maisleprétexte était parfait pour savourer ces instants précieuxoù la caresse d'unevoix se fait plus envoûtante que celle de la main. En répondant le plussincèrement possible à son interlocutrice, elle se surprit de ne pouvoirattribuer lamoindrequalité à celui qui avait partagé sa soirée, hormispeut-êtreuncertainespritoùlalogiquesemblaitrégnerenmaître.ReinetapotatendrementlegenoudeZofia.—Cetterencontren'estpaslefruitduhasard!Tuesendangerettunele

saismêmepas!LavieilledameserenditcomptequesonintentionavaitéchappéàZofia;

ellesecalaprofondémentdanssonfauteuil.— Il est déjà dans tes veines, il ira jusqu'à ton cœur. Il y récoltera les

émotions que tu y as cultivées avec tant de précautions. Puis il te nourrira

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d'espoirs.Laconquêteamoureuseestlapluségoïstedescroisades.—Reine,jecroisvraimentquevousvouségarez!—Non,c'esttoiquibientôtvast'égarer.Jesaisquetumeprendspourune

vieilleradoteuse,maistuverrascequejetedis.Chaquejour,chaqueheure,tuterassurerasdetesrésistances,detesmanières,detesesquives,maisl'enviedesaprésenceserabienplusfortequ'unedrogue.Alorsnesoispasdupedetoi-même,c'esttoutcequejetedemande.Ilenvahiratatête,etriennepourraplustedélivrerdumanque.Nitaraison,nimêmeletempsquiseradevenutonpireennemi.Seulel'idéedeleretrouver,telquetul'imagines,teferavaincrelaplusterribledespeurs:l'abandon...delui,detoi-même.C'estleplusdélicatdeschoixquelavienousimpose.—Pourquoimedites-voustoutça,Reine?Reine contempla dans la bibliothèque le dos de couverture de l'un de ses

albums.Quelqueslignesdenostalgievenaientdes'écriredanssesyeux.—Parcequemavieestderrièremoi!Alorsnefaisrienoufaistout!Pas

detricherie,pasdefaux-semblantet,surtout,pasdecompromis!Zofiaentrelaçaitlesfrangesdutapisentresesdoigts.Reineluiadressaun

regarddetendresseetcaressasescheveux.—Bon,nefaispascettetête-là,ilparaîtquedetempsentempsleshistoires

d'amourfinissentbien!Allez,assezdemotsusés,jen'osemêmepasregardermamontre.Zofia referma doucement la porte et grimpa chez elle.Mathilde dormait

d'unsommeild'ange.

*Les deuxMargarita s'entrechoquèrent dans un tintement de cristal. Assis

profondément dans le canapé de sa suite, Lucas se vanta de préparer cecocktail commepersonne.Amyporta le verre à sa bouche et acquiesça desyeux.D'unevoixterriblementdouceilconfiaêtrejalouxdesgrainsdeselquis'étaientabandonnéssursabouche.Ellelesfitcraquerentresesdentsetjouadesalangue,celledeLucasglissasurleslèvresd'Amy,avantdes'aventurerplusavant,bienplusavant.

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*Zofian'allumapaslalumière.Elletraversalapiècedanslapénombrepour

serendre jusqu'à la fenêtrequ'elle fitcoulisserdoucement.Elles'assit sur lerebordetregardalamerourlerlescôtes.Elleemplitsespoumonsdesembrunsquelabriseocéanesoufflaitsurlavilleetregardaleciel,songeuse.Iln'yavaitpasd'étoilesdansleciel....Ilyeutunsoir,ilyeutunmatin...

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3.

TroisièmeJour

Il voulut remonter à lui le couvre-lit,mais samain le chercha en vain. Ilouvritunœiletfrottasabarbenaissante.Lucassentitsaproprehaleineetseditquelacigaretteetl'alcoolfaisaientvraimentmauvaisménage.L'affichagedu radio-réveil indiquait six heures vingt et une. À côté de lui, l'oreillerdéfoncéétaitsolitaire.Ilselevaetsedirigeaverslepetitsalon,nucommeunver.Amy,enrouléedanslecouvre-lit,croquaitunepommerougearrachéeàlacorbeilledefruits.—Jet'airéveillé?demanda-t-elle.—Indirectement,oui!Ilyaducafédanscetendroit?—J'aiprislalibertéd'encommanderauroomservice,jeprendsunedouche

etjemesauve.—Si ça ne te dérange pas trop, répondit Lucas, j'aimeraismieux que tu

rentresprendretadouchecheztoi,jesuistrèsenretard!Amyenrestainterdite.Ellesedirigeaaussitôtverslachambreetrécupéra

sesaffaireséparses.Elle s'habilla à la hâte, attrapa ses escarpins et s'engagea dans le petit

corridorverslaportepalière.Lucassortitlatêtedelasalledebains.—Tuneprendsplusdecafé?—Non,jevaisleprendrechezmoiluiaussi,mercipourlapomme!—Iln'yapasdequoi,tuenveuxuneautre?—Non,çairacommeça,j'aiétéravie,bonnejournée.Elle retira la chaînette de sécurité et tourna la poignée. Lucas s'approcha

d'elle.—Jepeuxteposerunequestion?—Jet'écoute!

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—Quellessonttesfleurspréférées?—Lucas, tuasbeaucoupdegoût,maisessentiellementdumauvais !Tes

mains sont très habiles, j'ai vraiment passé une nuit d'enfer avec toi, maisrestons-enlà!Ensortant,ellesetrouvanezànezaveclegarçond'étagequiapportait le

plateaudupetitdéjeuner.LucasregardaAmy.—Tuescertainequetuneveuxpasdecafé,maintenantqu'ilestarrivé?—Certaine!—Soisgentille,dis-moipourlesfleurs!Amyinspiraprofondément,visiblementexaspérée.—Onnedemandepasceschoses-lààl'intéressée,çabrisetoutlecharme,

tunesaispasçaàtonâge?— Évidemment que je sais ça, répondit Lucas d'un ton de petit garçon

boudeur,maiscen'estpastoil'intéressée!Amytourna les talons,manquantdepeubousculer legarçonquiattendait

toujoursàl'entréedelasuite.Lesdeuxhommesimmobilesentendirentlavoixd'Amyhurlerdufondducouloir:«Uncactus,ettupeuxt'asseoirdessus!»Silencieux,ilslasuivirentduregard.Unepetitesonnetteretentit:l'ascenseurétaitarrivé.Avantquelesportesnesereferment,Amyajouta:«Undernierdétail,Lucas,tuestoutnu!»

*—Tun'aspasfermél'œildelanuit.—Jedorstoujourstrèspeu...—Zofia,qu'est-cequitepréoccupe?—Rien!—Uneamie,çasaitentendrecequel'autreneditpas.—J'ai tropde travail,Mathilde, jenesaismêmeplusparoùcommencer.

J'aipeurd'êtredébordée,denepasêtreàlahauteurdecequel'onattenddemoi.—C'estbienlapremièrefoisquejetevoisdouter.

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—Alors,nousdevonsêtreentraindedevenirdevraiesamies.Zofia se dirigea vers le coin cuisine. Elle passa derrière le comptoir et

remplit la bouilloire électrique. De son lit installé dans le salon, Mathildepouvaitvoirlejourseleversurlabaie,sousunlégercrachind'aube.Debientristesnuagesopacifiaientleciel.—Jehaisoctobre,ditMathilde.—Qu'est-cequ'ilt'afait?—C'est lemoisquienterre l'été.Toutestmesquinà l'automne : les jours

raccourcissent,lesoleiln'estjamaisaurendez-vous,lesfroidstardentàvenir,on regarde nos pull-overs sans encore pouvoir les mettre. L'automne n'estqu'une saloperie de saison paresseuse, rien que de l'humidité, de la pluie etencoredelapluie.—Etc'estmoiquisuissupposéeavoirmaldormi!Labouilloiresemitàtrembloter.Undéclicinterrompitlefrémissementde

l'eau.Zofiasoulevalecouvercled'uneboîteenfer,pritunsachetd'EarlGrey,versa le liquide fumant dans une grande tasse et laissa le thé infuser. EllecomposalepetitdéjeunerdeMathildesurunplateau,ramassalejournalqueReine avait glissé sous la porte comme chaquematin et le lui apporta.Elleaidasonamieàseredresser,remitlesoreillersenplaceetsedirigeaverssachambre. Mathilde souleva la fenêtre à guillotine. La moiteur de l'arrière-saison s'infiltra jusquedans sa jambe, réveillantunedouleur lancinante, ellegrimaça.—J'ai revu l'hommeaunénupharhier soir ! criaZofiadepuis la sallede

bains.—Vousnevousquittezplus!répliquaMathilde,crianttoutaussifort.—Tuparles!Ildînaitjustedanslemêmerestaurantquemoi.—Avecqui?—Uneblonde.—Quelgenre?—Blonde!—Maisencore?— Genre cours après moi tu n'auras pas de mal à me rattraper, j'ai des

talonshauts!

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—Vousvousêtesparlé?—Vaguement. Il abafouilléqu'elleétait journalisteetqu'il accordaitune

interview.Zofia entra sous sa douche. Elle tourna les vieux robinets grinçants et

gratifiad'uncoupseclepommeauquitoussapardeuxfois:l'eauruisselasurson visage et son corps. Mathilde ouvrit le San Francisco Chronicle, unephotoattirasonattention.—Iln'apasmenti!cria-t-elle.Zofia,quishampouinaitabondammentsescheveux,ouvritl'œil.Durevers

de lamain, elle tenta de chasser le savon qui la piquait et provoqua l'effetcontraire.—Saufqu'elleestplutôtchâtain...,renchéritMathilde,etplutôtpasmal!Le bruit de la douche cessa, Zofia apparut aussitôt dans le salon. Une

serviette-épongerhabillaitàlatailleetsachevelureétaitcoifféedemousse.—Qu'est-cequeturacontes?Mathildecontemplasonamie.—Tuasvraimentdebeauxseins!—Lessaintssonttoujoursbeaux,sinonceneseraientpasdessaints!—C'estcequej'essaiededireauxmienstouslesmatinsdevantlaglace.—Dequoituparlesexactement,Mathilde?—Detespommes!J'adoreraisquelesmiennessoientaussifières.Zofiacachasapoitrineavecsonavant-bras.—Dequoiparlais-tu,avant?—Probablementdecequit'afaitsortirdeladouchesansterincer!dit-elle

enagitantlejournal.—Commentl'articlepourrait-ilêtredéjàpublié?—Appareils numériques et Internet ! Tu donnes une interview, quelques

heuresplustardtuessurlapremièrepagedujournaletlelendemaintusersàemballerlepoisson!ZofiavoulutprendrelequotidiendesmainsdeMathilde,elles'yopposa.—N'ytouchepas!Tuestrempée.Mathildesemitàlireàvoixhautelespremièreslignesdel'articlequititrait

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sur deux colonnes «LAVRAIEASCENSIONDUGROUPEA&H» : unvéritablepanégyriqued'EdHeurtoùlajournalisteencensaitentrenteligneslacarrière de celui qui avait incontestablement contribué au formidable essoréconomiquede la région.Le texteconcluaitque lapetitesociétédesannées1950,devenueungigantesquegroupe,reposaitaujourd'huientièrementsursesépaules.Zofia finit par s'emparer du feuillet et acheva la lecture de la chronique

chapeautéed'unepetitephotoencouleurs.ElleétaitsignéeAmySteven.Zofiareplialepapieretneputrefrénerunsourire.—Elleestblonde!dit-elle.—Vousallezvousrevoir?—J'aiacceptéundéjeuner.—Quand?—Mardi.—Àquelleheure,mardi?Lucasdevaitpasser lachercherversmidi,réponditZofia.Mathildepointa

alorsdudoigtlaportedelasalledebainsenhochantlatête.—Dansdeuxheuresdonc!—Onestmardi?demandaZofiaenramassantàlahâtesesaffaires.—C'estcequiestécritdanslejournal!Zofiaressortitdudressingquelquesminutesplustard.Elleétaitvêtued'un

jeanetd'unpullagrossesmailles,elleseprésentadevantsonamie,enquêteinavouéed'unéventuelcompliment.Mathilde lui jetaunregardet replongeadanssalecture.— Qu'est-ce qui ne va pas ? Les couleurs jurent ? C'est ce jean, non ?

demandaZofia.—On en reparlera quand tu te seras rincé les cheveux, ditMathilde en

feuilletantlespagesdesprogrammesdetélévision.Zofia se contempla dans le miroir posé sur la cheminée. Elle ôta son

chandailetretourna,lesépaulesbasses,verslasalledebains.—C'estbienlapremièrefoisquejetevoistepréoccuperdelafaçondont

tueshabillée...Essaiedemeraconterqu'ilneteplaîtpas,quecen'estpastongenred'homme,qu'ilesttrop«grave»...justepourvoircommenttuledirais!

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ajoutaMathilde.Unpetitgrattementsurlaporteprécédal'entréedeReine.Elleavaitlesbras

chargésd'unpanierdelégumesfraisetd'uneboîteencartondontlejolirubantrahissaitlecontenugourmand.—Ondiraitqueletempsn'arrivepasàdéciderdesatenueaujourd'hui,dit-

elleenrangeantlesgâteauxsuruneassiette.—Ondiraitqu'iln'estpasleseul,renchéritMathilde.ReineseretournaquandZofiasortitdelasalledebains,lescheveuxtrèsen

volumecettefois.Elleachevadeboutonnersonpantalonetd'ajusterleslacetsdesestennis.—Tusors?questionnaReine.—J'aiundéjeuner,réponditZofiaendéposantunbaisersursajoue.—JevaistenircompagnieàMathilde.Sielleveutbiendemoi!Etmême

siçal'ennuied'ailleurs,parcequejem'ennuieencoreplusqu'elle,touteseuleenbas.Unesériedecoupsdeklaxonretentitdanslarue.Mathildesepenchaàla

vitre.—Onestbienmardi!ditMathilde.—C'estlui?demandaZofia,restantenretraitdelafenêtre.—Non,c'estFédéralExpress ! Ils livrent leurscolisenPorschecabriolet

maintenant.Depuisqu'ilsontrecrutéTomHanks,ilsnereculentplusdevantrien!Lasonnetteretentitdeuxfois.ZofiaembrassaReineetMathilde,sortitde

l'appartementetdescenditrapidementl'escalier.Installéauvolant,Lucasrelevasapairedelunettesdesoleiletluiadressa

ungénéreuxsourire.ÀpeineZofiaavait-ellerefermésaportièrequelecoupés'élançait à l'assaut des collines de Pacific Heights. La voiture entra dansPresidio Park, elle le traversa et s'engagea sur la bretelle qui conduisait auGoldenGâte.De l'autrecôtéde labaie, lescollinesdeTiburonémergeaientpéniblementdelabrume.—Jevousemmènedéjeuneraubordde l'eau !hurlaLucasdans levent.

Lesmeilleurscrabesdelarégion!Vousaimezlecrabe,n'est-cepas?Parpolitesse,Zofiaacquiesça.L'avantagequandonnesesustentepas,c'est

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quel'onpeutchoisirsansaucunedifficultécequel'onnevapasmanger.L'air était doux, l'asphalte défilait enun trait continu sous les rouesde la

voitureetlamusiquequejouaitlaradioétaitenchanteresse.L'instantprésentressemblaitàs'yméprendreàunmorceaudebonheur,qu'ilnerestaitplusqu'àpartager.Lavoiturequittalavoierapidepourunepetiteroute,dontleslacetsse déroulaient jusqu'au port de pêche de Sausalito. Lucas se rangea sur leparkingfaceàlajetée.IlfitletourduvéhiculeetouvritlaportièredeZofia.—Sivousvoulezbienmesuivre.Illuitenditlebrasetl'aidaàs'extrairedel'habitacle.Ilsmarchèrentsurle

trottoir qui bordait lamer.De l'autre côté de la rue, unhommeétait tiré enlaisseparunmagnifiquegoldenretrieveraupelagecouleursable.Enpassantàleurhauteur,ilregardaZofiaets'encastradepleinfouetdansleréverbère.Ellevouluttraverseraussitôtpourluiporterassistance,maisLucaslaretint

parlebras:cegenredechienétaitspécialisédanslessauvetages.Ill'entraînaà l'intérieur de l'établissement.L'hôtesseprit deuxmenus et les guida à unetableenterrasse.LucasinvitaZofiaàprendreplacesurlabanquettequifaisaitfaceà lamer. Il commandaunvinblancpétillant.Elleprit unboutdepainpour le lancer à une mouette perchée sur la balustrade qui la guettait duregard.L'oiseauattrapalemorceauauvolets'élançaversleciel,traversantlabaieàgrandscoupsd'aile.À quelques kilomètres de là, sur l'autre rive, Jules arpentait les quais. Il

s'approcha du bord et envoya d'un coup de pied sec un caillou ricocher parseptfoisavantdeleregardersombrer.Ilenfouitsesmainsdanslespochesdeson vieux pantalon de tweed et regarda le trait de la berge opposée qui sedécoupaitsurl'eau.Sonairétaitaussitroubléquelesflots,sonhumeuraussihouleuse. La voiture de l'inspecteur Pilguez qui quittait le Fisher's Deli etremontaitsirènehurlanteverslavilleletiradesespensées.Unerixeavaitviréà l'émeute dans Chinatown, et toutes les unités étaient appelées en renfort.Julesfronça lesyeux.Ilgrommelaet retournasoussonarche.Assissurunecagette en bois, il réfléchit : quelque chose le contrariait. Une feuille dejournalquivolaitdansleventseposadansuneflaque,justedevantlui.Elles'imbiba d'eau et, petit à petit, la photo de Lucas au verso apparut entransparence. Julesn'aimaitpasdu tout le frissonquivenaitde luiparcourirl'échiné.

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*La serveuse déposa sur la table une marmite fumante qui débordait de

pincesdecrabe.LucasservitZofiaetjetaunbrefcoupd'œilauxplastronsquiaccompagnaient le rince-doigts. Il lui en offrit un, qu'elle refusa, Lucasrenonçaégalementàs'enattacherunautourducou.—Jedoisavouerquelabavetten'estpasunaccessoiretrèsseyant.Vousne

mangezpas?demanda-t-il.—Jenecroispas,non.—Vousêtesvégétarienne!—L'idéedemangerdesanimauxmesembletoujoursunpeubizarre.—C'estdansl'ordredeschoses,iln'yariendebizarreàcela.—Unpeu,quandmême,si!—Maistouteslescréaturesdelaterreenmangentd'autrespoursurvivre.—Oui,maismoi lescrabesnem'ont rienfait. Jesuisdésolée,dit-elleen

repoussantlégèrementl'assiettequivisiblementl'écœurait.— Vous avez tort, c'est la nature qui veut ça. Si les araignées ne se

nourrissaientpasd'insectes,ceseraitlesinsectesquinousmangeraient.—Ehbien,justement,lescrabessontdegrossesaraignées,alorsilfautles

laissertranquilles!Lucasseretournaetappelalaserveuse.Ildemandalacartedesdessertset

trèscourtoisementindiquaqu'ilsavaientfini.—Jenedoispasvousempêcherdemanger,ditZofia,rougissante.—Vousm'avezralliéàlacauseducrustacé!Ildéplialacarteetdésignadudoigtunfondantauchocolat.—Jepenseque là,nousneferonsdemalqu'ànous-mêmes.Çadoitbien

chercherdanslesmillecaloriesuntruccommeça!Curieusede tester la justessedeson intuitionsur lesAngesVérificateurs,

Zofia interrogeaLucas sur ses véritables fonctions, il éluda la réponse. Il yavaitd'autressujetsplusintéressantsqu'ilsouhaitaitpartageravecelleet,pourcommencer,cequ'ellefaisaitd'autredanslaviequedeveilleràlasécuritéduportmarchand.Commentoccupait-ellesestempslibres?Mêmeausingulier,dit-elle, l'expression lui semblait étrangère. En dehors des heures qu'elle

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passait sur les docks, elle œuvrait dans diverses associations, enseignait àl'institut des malvoyants, s'occupait de personnes âgées et d'enfantshospitalisés.Elleaimait leurcompagnie, ilyavaitentreeuxun traitd'unionmagique.Seuls lesenfantset lespersonnesâgéesvoyaientcequebeaucoupd'hommesignoraient,letempsperdud'avoirétéadultes.Àsesyeux,lesridesde la vieillesse formaient les plus belles écritures de la vie, celles où lesenfantsapprendraientàlireleursrêves.Lucaslaregarda,fasciné.—Vousfaitesvraimenttoutça?—Oui!—Maispourquoi?Zofia ne répondit pas. Lucas avala la dernière gorgée de son café pour

retrouver un semblant de contenance, puis il en commanda un autre. Il prittoutsontempspourleboireettantpissilebreuvageétaitdevenufroid,tantpissilegrisducielviraitausombre.Ilauraitvouluquecetteconversationnes'arrêtepas,pasdéjà,pasmaintenant.IlproposaàZofiadefairequelquespasauborddel'eau.Elleresserralecoldesonpullautourdesoncouetseleva.Elle le remercia pour le gâteau, c'était la première fois qu'elle goûtait auchocolatetelleendécouvraitlasaveurincroyable.Lucasluiditqu'ilcroyaitbienqu'ellesemoquaitdelui,mais,àl'expressionjoyeusequelajeunefemmeluiadressa, il sutqu'ellene luimentaitpas.Uneautrechose ledéroutabienplus encore : à cet instantprécis,Lucas lut l'indicible au fonddesyeuxdeZofia-ellenementaitjamais!Pourlatoutepremièrefois,ledoutelepénétraetilenrestabouchebée.—Lucas,jenesaispascequej'aidit,mais,enl'absenced'araignée,vous

prenezunrisqueénorme!—Pardon?—Sivousgardezlaboucheouvertecommeça,vousallezfinirpargober

unemouche!— Vous n'avez pas froid ? dit Lucas en se redressant, droit comme un

bâton.—Non,çava,maissinousnousmettonsenmarcheçairaencoremieux.La grève était presque déserte. Un immense goéland semblait courir sur

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l'eauàlarecherchedesonenvol.Sespattess'arrachèrentauxflots,soulevantquelqueécumeàlacrêtedesvagues.L'oiseaus'élevaenfin,fitunlentvirageet s'éloigna indolemment dans le rai de lumière qui traversait la couche denuages.Lesclaquementsd'ailessefondirentdansleclapotduressac.Zofiasecourba,luttantcontreleventquisoufflaitparbourrasquesenétrillantlesable.Un léger frissonparcourut soncorps.Lucasôta savestepour la luidéposersur les épaules.L'air chargéd'embrunsvenait fouetter ses joues.Sonvisages'éclaira d'un immense sourire, comme un ultime rempart au rire qui lagagnait,unriresansprétexte,sansraisonapparente.—Pourquoiriez-vous?demandaLucas,intrigué.—Jen'enaipaslamoindreidée.—Alorsnevousarrêtezsurtoutpas,celavousvavraimentbien.—Çavabienàtoutlemonde.Unefinepluiesemitàtomber,creusantlaplagedemillepetitscratères.—Regardez,dit-elle,ondiraitlaLune,vousnetrouvezpas?—Si,unpeu!—Vousavezl'airtristetoutàcoup.—Jevoudraisqueletempss'arrête.Zofiabaissalesyeuxetavança.Lucas se retourna pour marcher face à elle. Il continua sa progression à

reculons,précédantlespasdeZofiaquis'amusaitàposerméticuleusementlespiedsdanssestraces.—Jenesaispascommentdireceschoses-là,reprit-ild'unaird'enfant.—Alorsneditesrien.LeventchassalescheveuxdeZofiadevantsonvisage,ellelesrepoussaen

arrière.Unefinemèches'étaitenchevêtréedansseslongscils.—Jepeux?dit-ilenavançantlamain.—C'estdrôle,vousavezl'airtimidetoutàcoup.—Jenem'enrendaispascompte.—Alorsnevousarrêtezsurtoutpas...celavousvavraimentbien.LucasserapprochadeZofiaetl'expressiondeleursdeuxvisageschangea.

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Elleressentitaucreuxdelapoitrinequelquechosequ'ellenepossédaitpas:un infime battement qui résonnait jusqu'à ses tempes. Les doigts de Lucastremblaient délicatement, retenant la promesse d'une caresse fragile qu'ildéposasurlajouedeZofia.—Voilà,dit-ilendélivrantsesyeux.Un éclair déchira le ciel obscurci, le tonnerre retentit et une pluie lourde

vints'abattresureux.—J'aimeraisvousrevoir,ditLucas.—Moiaussi,unpeuplusausecpeut-être,maismoiaussi,réponditZofia.IlpritZofiasoussonépauleet l'entraînaencourantvers le restaurant.La

terrasseenboisblanchiavaitétéabandonnée.Ilss'abritèrentsousl'auvententuilesd'ardoiseetregardèrentensemblel'eauquidébordaitdelagouttière.Surla balustrade, la mouette gourmande se moquait bien de l'averse et lesdévisageait. Zofia se pencha et ramassa un quignon de pain trempé. Ellel'essoraetlelançaauloin.Levolatiles'enfuitverslelarge,lagueulepleine.—Commentvousreverrai-je?demandaLucas.—Dequeluniversvenez-vous?Ilhésita.—Quelquechosecommel'enfer!Zofiahésitaàsontour,elleledétaillaetsourit.—C'est ce que disent souvent ceux qui ont vécu àManhattan quand ils

arriventici.Le temps virait à la tempête, maintenant il fallait presque hurler pour

s'entendre.ZofiapritlamaindeLucasetditd'unevoixdouce:—D'abord vousme contacterez. Vous prendrez de mes nouvelles, et au

cours de la conversation vous proposerez un rendez-vous. Là, je vousrépondraiquej'aidutravail,quejesuisoccupée;alorsvoussuggérerezuneautredateetjevousdiraiquecelle-ciconvientparfaitement,car,justement,jeviendraid'annulerquelquechose.Un nouvel éclair zébra le ciel devenu noir. Sur la plage le vent soufflait

désormaisenrafales.Cetempsavaitdesairsdefindumonde.—Vousnevoudriezpasquel'onsemetteplusàl'abri?demandaZofia.—Commentallez-vous?ditLucaspourseuleréponse.

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—Bien!Pourquoi?répondit-elle,étonnée.—Parce que j'aurais voulu vous inviter à passer l'après-midi avecmoi...

maisvousn'êtespaslibre,vousavezdutravail,vousêtesoccupée.Peut-êtrequ'undînercesoirseraitparfait?Zofia sourit. Il ouvrit sonmanteaupour l'abriter et l'entraîna ainsi vers la

voiture.Lamerdémontéeabordaitletrottoirdésert.LucasfittraverserZofia.Il lutta pour ouvrir la portière plaquée par les assauts du vent. Le bruitassourdissantdelatempêtes'étouffadèsqu'ilsfurentàl'abrietilsreprirentlaroute sousunepluiebattante.LucasdéposaZofiadevantungarage,commeelle le lui avait demandé.Avant de la quitter, il consulta samontre.Elle sepenchaàsafenêtre.—J'avaisundînercesoir,maisj'essaieraidel'annuler,jevoustéléphonerai

survotreportable.Il sourit, démarra et Zofia le suivit du regard, jusqu'à ce que la voiture

disparaissedansleflotdeVanNessAvenue.Elle allapayer la rechargede sabatterie et les frais de remorquagede sa

voiture. Lorsqu'elle s'engagea dansBroadway, l'orage était passé. Le tunneldébouchait directement au cœurduquartier chaudde laville.Aunpassageclouté,ellerepéraunpickpocketquis'apprêtaitàfondresursavictime.Elleserangeaendoublefile,sortitdelaFordetcourutverslui.Elleinterpellasansménagementl'homme,quireculad'unpas:sonattitude

étaitmenaçante.—Trèsmauvaiseidée,ditZofiaenpointantdudoigtlafemmeàl'attaché-

casequis'éloignait.—T'esflic?—Laquestionn'estpaslà!—Alors,barre-toi,connasse!Et il courut à toute vitesse vers sa proie.Alors qu'il approchait d'elle, sa

chevilledévissaetils'étaladetoutsonlong.Lajeunefemmequiavaitgrimpédans unCablecar ne se rendit compte de rien. Zofia attendit qu'il se relèvepourrejoindresonvéhicule.Enouvrantlaportière,ellesemorditlalèvreinférieure,mécontented'elle-

même. Quelque chose avait interféré avec ses intentions. L'objectif était

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atteint,maispascommeellel'auraitvoulu:raisonnerl'agresseurn'avaitpassuffi.Ellerepritlarouteetserenditverslesdocks.

*—Dois-jeallergarervotrevoiture,monsieur?Lucassursautaetrelevala tête, il fixalevoiturierqui ledétaillaitd'unair

étrange.—Pourquoimeregardez-vouscommeça?—Vousrestiezsansbougerdansvotrevoituredepuiscinqbonnesminutes,

alorsjemedisais...—Qu'est-cequevousvousdisiez?—J'aicruquevousnevoussentiezpasbien,surtoutquandvousavezposé

votretêtesurlevolant.—Ehbien,necroyezpas,çavouséviteradestasdedéceptions!Lucas sortit de son coupé et lança les clés au jeune homme. Quand les

portes de l'ascenseur s'ouvrirent, il tomba nez à nez avec Elizabeth, qui sepenchaversluipourluidirebonjour.Lucasfitaussitôtunpasenarrière.— Vous m'avez déjà salué ce matin, Elizabeth, dit Lucas en faisant la

grimace.—Vousaviezraisonpourlesescargots,c'estdélicieux!Bonnejournée!Lesportes de la cabine s'ouvrirent sur le neuvième étage, et elle disparut

danslecouloir.EdaccueillitLucasàbrasouverts.—C'estunebénédictiondevousavoirrencontré,moncherLucas!— On peut appeler cela comme ça, dit Lucas en refermant la porte du

bureau.Ilavançaverslevice-présidentets'installadansunfauteuil.Heurtagitale

SanFranciscoChronicle.—Nousallonsfairedegrandeschosesensemble.—Jen'endoutepas.

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—Vousn'avezpasl'aird'allerbien?Lucas soupira. Ed ressentit l'exaspération de Lucas. Il secoua à nouveau

joyeusementlapagedujournaloùfiguraitlepapierd'Amy.—Formidable,l'article!Jen'auraispasfaitmieux.—Ilestdéjàpublié?—Cematin!Commeellemel'avaitpromis.ElleestdélicieusecetteAmy,

n'est-cepas?Elleadûytravaillertoutelanuit.—Quelquechosecommeça,oui.EdpointadudoigtlaphotodeLucas.—Jesuisidiot,j'auraisdûvousremettreunephotodemoiavantlerendez-

vous,maistantpis,vousêtestrèsbienvousaussi.—Jevousremercie.—Vousêtescertainquetoutvabien,Lucas?—Oui,monsieurleprésident,jevaistrèsbien!—Jene sais pas simon instinctme trompe,mais vous avez l'air unpeu

bizarre.Eddéboucha le carafon en cristal, servit unverred'eau àLucas et ajouta

d'unairfaussementcompatissant:—Sivousaviezdessoucis,mêmed'ordrepersonnel,vouspouveztoujours

vous confier à moi. Nous sommes une grandemaisonmais avant tout unegrandefamille!—Vousvouliezmevoir,monsieurleprésident?—Appelez-moiEd!Extatique,Heurtcommentasondînerdelaveillequis'étaitdérouléau-delà

detoutessesespérances.Ilavaitinstruitsescollaborateursdesonintentiondefonderauseindugroupeunnouveaudépartementqu'ilbaptiserait:DivisionInnovations.Lebutdecettenouvelleunitéseraitdemettreenœuvredesoutilscommerciauxinéditspourconquérirdenouveauxmarchés.Edenprendraitlatête :cetteexpérienceseraitpourluicommeunecuredejouvence.L'actionlui manquait. À l'heure où il lui parlait, plusieurs sous-directeurs seréjouissaient déjà à l'idée de former la nouvelle garde rapprochée du futurprésident.Décidément,Judasnevieilliraitjamais...ilsavaitmêmeêtrepluriel,pensaLucas.Poursuivantsonexposé,Heurtconclutqu'unepetiteconcurrence

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avec son associé ne pourrait pas faire demal, bien au contraire, un apportd'oxygèneesttoujoursbénéfique.—Vouspartagezcetteopinionavecmoi,Lucas?—Toutàfait,répondit-ilenhochantlatête.Lucasétaitauxanges:lesintentionsdeHeurtallaientbienau-delàdeses

espérances et laissaient présager la réussite de son projet. Au 666 MarketStreet, l'air du pouvoir ne tarderait pas à se raréfier. Les deux hommesdiscutèrentdelaréactiond'Antonio.Ilétaitplusqueprobablequesonassociés'opposeàsesnouvellesidées.Ilfallaituncoupd'éclatpourlancersadivision,maismettreaupointuneopérationd'enverguren'étaitpasunechoseaiséeetdemandait beaucoup de temps, rappela Heurt. Le vice-président rêvait d'unmarchéprestigieuxquilégitimeraitlepouvoirqu'ilvoulaitconquérir.Lucasselevaetposa ledossierqu'il tenait sous lebrasdevantEd. Il l'ouvritpourenextraireunépaisdocument:LazoneportuairedeSanFranciscos'étendaitsurdenombreuxkilomètres,

bordant pratiquement toute la côte est de la ville. Elle était en perpétuellemutation.L'activitédesdockssurvivait,augrandregretdumondeimmobilierqui avait pourtant bataillé ferme pour l'extension du port de plaisance et latransformation des terrains de front demer, les plus prisés de la ville. Lespetitsvoiliersavaienttrouvéunancragedansunesecondemarina,victoiredesmêmespromoteursquiavaient réussiàdéplacer leurbatailleunpeuplusaunord. La création de cette unité résidentielle avait fait l'objet de toutes lesconvoitisesdesmilieuxd'affaires,et lesmaisonsquibordaient l'eaus'étaientarrachées à prix d'or. Plus avant, on avait aussi construit de gigantesquesterminaux qui accueillaient les immenses paquebots. Les flots de passagersqu'ils déversaient suivaient une promenade récemment aménagée qui lesconduisait au quai 39. La zone touristique avait donné naissance à unemultitude de commerces et de restaurants. Lesmultiples activités des quaisétaientsourcedegigantesquesprofitsetd'âpresbataillesd'intérêts.Depuisdixans,lesdirecteursimmobiliersdelazoneportuairesesuccédaientaurythmede un tous les quinzemois, signe indicateur des guerres d'influence qui necessaientdesedéroulerautourdel'acquisitionetdel'exploitationdesrivesdelacité.—Oùvoulez-vousenvenir?demandaEd.Lucassouritmalicieusementetdépliaunplan:surlecartoucheonpouvait

lire«PortdeSanFrancisco,Docks80».

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—Àl'attaquedecedernierbastion!Levice-présidentvoulaituntrône,Lucasluioffraitunsacre!Ilserassitpourdétaillersonprojet.Lasituationdesdocksétaitprécaire.Le

travail, toujours dur, était souvent dangereux, le tempérament des dockersfougueux.Unegrèvepouvait s'ypropagerplusvitequ'unvirus.Lucasavaitdéjàfaitlenécessairepourquel'atmosphèreysoitexplosive.—Jenevoispasenquoicelanoussert,ditEdenbâillant.Lucasrepritd'unairdétaché:—Tantque les entreprisesde logistique etde fret paient leurs salaires et

leursloyers,personnen'oselesdéloger.Maiscelapourraitchangerassezvite.Ilsuffiraitd'unenouvelleparalysiedel'activité.— La direction du port n'ira jamais dans cette direction. Nous allons

rencontrerbeaucouptropderésistances.—Celadépenddescourantsd'influence,ditLucas.—Peut-être,repritHeurtendodelinantdelatête,mais,pourunprojetde

cetteenvergure,ilnousfaudraitdesappuistoutausommet.—Cen'estpasàvousqu'il fautexpliquercommentontire lesficellesdu

lobbying!Ledirecteurimmobilierduportestàdeuxdoigtsd'êtreremplacé.Jesuiscertainqu'uneprimededépartl'intéresseraitauplushautpoint.—Jenevoispasdequoivousparlez!—Ed,vousauriezpuinventerlacolleaudosdesenveloppesquicirculent

souslestables!Levice-présidentseredressadanssonfauteuil,nesachantpass'ildevaitse

sentirflattéparcetteremarque.Ensedirigeantverslaporte,Lucasapostrophasonemployeur:—Dans la chemise bleue, vous trouverez aussi une fiche d'informations

détailléessurnotrecandidatàunericheretraite. Ilpasse toussesweek-endsaulacTahoe, ilestcriblédedettes.Débrouillez-vouspourm'obtenirauplusviteunrendez-vousaveclui.Imposezunlieutrèsconfidentiel,etlaissez-moifairelereste.Heurt compulsa nerveusement les folios du dossier. Il regarda Lucas,

médusé,etfronçalessourcils.—ANewYork,vousfaisiezdelapolitique?

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Laportesereferma.L'ascenseur était sur le palier,Lucas le laissa repartir à vide. Il sortit son

portable,l'allumaetcomposafébrilementlenumérodesamessagerievocale.«Vous n'avez pas de nouveaumessage », répéta par deux fois la voix auxintonations de robot. Il raccrocha et fit rouler la molette de son téléphonejusqu'àafficherlapetiteenveloppetexto:elleétaitvide.Ilcoupal'appareiletentradanslacabine.Quandilressortitdansleparking,ils'avouaquequelquechose qu'il n'arrivait pas à identifier le troublait : un infime battement aucreuxdesapoitrinequirésonnaitjusquedanssestempes.

*Leconcileduraitdepuisplusdedeuxheures.Lesrépercussionsdelachute

de Gomez au fond de la cale du Valparaiso prenaient des proportionsinquiétantes.L'hommeétaittoujoursenréanimation.Touteslesheures,Mancatéléphonaità l'hôpitalpour s'enquérirdesonétat : lesmédecins réservaientencoreleurdiagnostic.Silecaliervenaitàdécéder,personnenepourraitpluscontrôlerlacolèrequigrondaitsourdementsurlesquais.Lechefdusyndicatde la côte ouest s'était déplacé pour assister à la réunion. Il se leva pour seresservirunetassedecafé.Zofiaenprofitapourquitterdiscrètementlasalleoùsetenaientlesdébats.Ellesortitdubâtimentets'éloignadequelquespaspour se cacher derrière un container. À l'abri des regards indiscrets, ellecomposaunnuméro.L'annoncedurépondeurétaitbrève:«Lucas»,suivaitimmédiatementlebip.—C'estZofia,jesuislibrecesoir,rappelezmoipourmedirecommentnous

nousretrouverons.Àtoutàl'heure.Enraccrochant,elleregardasontéléphoneportableet,sansvraimentsavoir

pourquoi,ellesourit.A la fin de l'après-midi, les délégués avaient reporté à l'unanimité leur

décision. Il leur faudrait du temps pour y voir plus clair. La commissiond'enquêtenepublieraitsonexpertisesurlescausesdudramequetarddanslanuit et le San Francisco Mémorial Hospital attendait également le bilanmédical du matin à venir pour se prononcer sur les chances de survie dudocker.Enconséquence,laséancefutlevéeetreportéeaulendemain.Mancaconvoqueraitlesmembresdubureaudèsqu'ilauraitreçulesdeuxrapports,et

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uneassembléegénéralesetiendraitaussitôtaprès.Zofiaavaitbesoindeprendrelegrandair.Elles'accordaquelquesminutes

de répit pourmarcher le longduquai.Àquelquespas, la proue rouilléeduValparaiso se balançait au bout de ses amarres, le navire était enchaînécommeunanimaldemauvaisaugure.L'ombredugrandcargosereflétaitparintermittencesurlesnappeshuileusesquiondulaientaugréduclapot.Lelongdescoursives,deshommesenuniformeallaientetvenaient,s'activantàtoutessortes d'inspections. Le commandant du vaisseau les observait, appuyé à labalustradedesavigie.Àenjugerpar lafaçondont il lançasacigarettepar-dessusbord,ilyavaitfortàcraindrequelesheuresàvenirnesoientencoreplustroublesqueleseauxdanslesquelleslemégots'étiola.LavoixdeJulesrompitlasolitudedulieuquelesmouettesébréchaientdeleurscris.—Çanedonnepasenviedefaireunplongeon,n'est-cepas?Saufsic'estle

grand!Zofiaseretournaet ledétailla tendrement.Sesyeuxbleusétaientusés,sa

barbeinsolente,sesvêtementsdéfraîchis,maisledénuementn'ôtaitrienàsoncharme.Chez cet homme, l'élégance se portait au fonddu cœur. Jules avaitenfouisesmainsdanslespochesdesonvieuxpantalondetweedauxmotifsàcarreaux.—C'estduprince-de-galles,maisjecroisqu'ilyapasmaldetempsquele

princes'estfaitlamalle.—Etvotrejambe?—Disonsqu'elletienttoujoursàcôtédel'autreetquecen'estdéjàpassi

mal.—Vousavezfaitrefairelepansement?—Ettoi,commentvas-tu?—Unpetitmaldetête,cetteréunionn'enfinissaitplus.—Unpeumalaucœuraussi?—Non,pourquoi?—Parcequ'auxheuresauxquelles tu traînespar icicesderniers temps, je

doutequecesoitpourvenirprendrelesoleil.—Çava,Jules,j'avaisjusteenvied'unpeud'airfrais.—Et le plus frais que tu aies trouvé, c'est autour d'un bassin qui pue le

poissoncrevé.Maisjesupposequetudoisavoirraison:tuvastrèsbien!

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Leshommesqui inspectaient levieuxbateaudescendirentpar l'échelledecoupée.IlsentrèrentclansdeuxFordnoires(dontlesportièresnefirentaucunbruit en se refermant), qui roulèrent lentement vers la sortie de la zoneportuaire.—Situpensaisprendretajournéedecongédemain,n'ycompteplus!J'ai

bienpeurqu'ellenesoitencorepluschargéequed'habitude.—Jelecrainsaussi.—Alors,oùenétions-nous?repritJules.—Aumomentoùj'allaismedisputeravecvouspourvousemmenerrefaire

votrepansement!Restezlà,jevaischerchermavoiture.Zofianeluilaissapasleloisird'argumenterets'éloigna.—Mauvaisejoueuse!bougonna-t-ildanssabarbe.Aprèsavoir raccompagnéJules,Zofia fit routeverssonappartement.Elle

conduisaitd'unemainetcherchaitsonportabledel'autre.Ildevaitencoresecacheraufonddesongrandsacet,commeelleneletrouvaitpas...lepremierfeupassaaurouge.Àl'arrêt,elleretournalefourre-toutsurlesiègeàsadroiteetpritlecombinéaumilieududésordre.Lucasavaitlaisséunmessage,ilpasseraitlaprendreenbasdechezelleà

sept heures et demie. Elle consulta sa montre, il lui restait exactementquarante-septminutespourrentrerembrasserMathildeetReineetsechanger.Unefoisn'étantpascoutume...ellesepencha,ouvritlaboîteàgantsetposasongyropharebleusurlaplageavant.Sirènehurlante,elleremonta3rdStreetàviveallure.

*Lucass'apprêtaitàquittersonbureau.Ilpritlagabardineaccrochéesurun

cintreauportemanteauetlapassasursesépaules.Iléteignit lalumièreet lavilleapparutennoiretblancderrièrelabaievitrée.Ilallaitrefermerlaportelorsque le téléphone semit à grelotter. Il retourna sur ses pas pour prendrel'appel.Ed l'informaque lerendez-vousqu'ilavaitsolliciteaurait lieuàdix-neufheures trenteprécises.Dans lapénombre,Lucasgriffonna l'adresse surunmorceaudepapier.

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— Je vous téléphonerai dès que j'aurai trouvé un terrain d'entente avecnotreinterlocuteur.Lucasraccrochasansplusdecivilitéscls'approchadelavitre.Ilregardait

les ruesquis'étendaientencontrebas.Decettehauteur, les filesde lumièresblanchesetrougesdélinééesparlesfeuxdevoituresdessinaientuneimmensetoile d'araignée qui scintillait dans la nuit. Lucas plaqua son front contre lecarreau,une auréoledebuée se formadevant sabouche, au centre, unpetitpointdelumièrebleueclignotait.Auloin,ungyrophareremontaitversPacificHeights.Lucassoupira,mitlesmainsclanslespochesdesonmanteauetsortitdelapièce.

*Zofiacoupalasirèneetrangealegyrophare;ilyavaituneplacedevantla

portedelamaison,elles'ygaraaussitôt.Ellegrimpal'escalierquatreàquatreetentradanssonappartement.—Ilssontnombreuxàtepoursuivre?demandaMathilde.—Pardon?—Tun'espresquepasdutoutessoufflée,situvoyaistatête!— Je vais me préparer, je suis très en retard ! Comment s'est passée ta

journée?—Al'heuredudéjeuner,j'aifaitunpetitsprintavecCarlLewis,c'estmoi

quil'aibattu!—Tut'esbeaucoupennuyée?—Soixante-quatrevoituressontpasséesdanslarue,dontdix-neufvertes!Zofiarevintverselleets'assitaupieddulit.—Jeferaimonpossiblepourrentrerplustôtdemain.Mathildejetaunœilencoinàlapenduletteposéesurleguéridonethocha

latête.—Jeneveuxpasmemêlerdecequinemeregardepas...—Jesorscesoir,maisjenerentreraipastard.Situnedorspas,onpourra

parler,ditZofiaenselevant.— Toi ou moi ? murmura Mathilde en la regardant disparaître dans la

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penderie.Ellereparutdixminutesplustarddanslesalon.Uneservietteentouraitses

cheveux mouillés, une autre sa taille encore humide. Elle posa une petitetrousseentissusurlereborddelacheminéeets'approchadumiroir.—TudînesavecpetitLu?questionnaMathilde.—Ilatéléphoné?!—Non!Paslemoinsdumonde.—Alorscommentlesais-tu?—Commeça!Zofiaseretourna,posasesmainssurseshanchesetfitfaceàMathilde,l'air

trèsdéterminé.—Tuasdevinécommeça,quejedînaisavecLucas?—Saufàmetromper,ilmesemblequecequetutiensdanstamaindroite

s'appelledumascara,etdanstagaucheunpinceauàblush.—Jenevoisvraimentpaslerapport!—Tuveuxquejetedonneunindice?ditMathilded'untonironique.—Tum'enverraisabsolumentravie!réponditZofia,légèrementagacée.—Tuesmameilleureamiedepuisplusdedeuxans...Zofiainclinalatêtedecôté.LevisagedeMathildes'illuminad'unsourire

généreux.—...c'estlapremièrefoisquejetevoistemaquiller!Zofia se retourna vers le miroir sans répondre. Mathilde prit

nonchalamment le supplément des programmes de télévision et enrecommençalalecturepourlasixièmefoisdelajournée.—Nousn'avonspaslatélé!ditZofiaenétalantdélicatementdudoigtun

peudebrillantàlèvres.—Ça tombebien, j'aihorreurdeça ! réponditMathildedu tacau tacen

tournantlapage.LetéléphonesonnadanslesacqueZofiaavaitlaissésurlelitdeMathilde.—Veux-tuquejedécroche?luidemandaielled'unevoixinnocente.Zofiaseprécipitasurlefourre-toutetplongeadedans.Ellepritl'appareilet

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s'éloignaàl'autreboutdelapièce.— Non, tu ne veux pas ! grommela Mathilde en attaquant la grille des

programmesdulendemain.Lucas était désolé, il avait pris du retard et il ne pouvait pas passer la

chercher.Unetableleurétaitréservéeàvingtheurestrenteaudernierétagedel'immeuble de laBank ofAmerica surCalifornia Street. Le restaurant troisétoiles qui surplombait la ville offrait unemagnifique vue duGoldenGâte.Zofialerejoindraitlà-bas.Elleraccrocha,gagnalecoincuisineetsepenchaàl'intérieurduréfrigérateur.Mathildeentendit lavoixcaverneusedesonamieluidemander:—Qu'est-cequi te feraitplaisir?J'aiunpeude tempspour tepréparerà

dîner.—Une«omelette-salade-yaourt».Plustard,Zofiaattrapasonmanteaudanslapenderie,embrassaMathildeet

refermadoucementlaportedel'appartement.Elles'installaauvolantdelaFord.Avantdedémarrer,elleabaissalepare-

soleiletseregardaquelquessecondesdans lemiroirdecourtoisie.Lamouedubitative,elle relevasavitreet tourna laclédecontact.Lorsque lavoituredisparutauboutdelarue, levoileà lafenêtredeReineretombadoucementsurlavitre.Zofiaabandonnasonvéhiculeàl'entréeduparkingetremercialevoiturier

enlivréerougequiluitendaitunticket.—J'aimeraisbienêtreceluiavecquivousallezdîner!ditlejeunehomme.—Mercibeaucoup,dit-elle,écarlateetravie.LaportetambourvirevoltaetZofiaapparutdanslehall.Aprèslafermeture

desbureaux,seuls lebaraurez-de-chausséeet lerestaurantpanoramiqueaudernierétagerestaientouvertsaupublic.Ellesedirigeaitd'unpasassuréversl'ascenseur,lorsqu'elleressentitunesingulièresensationdesécheresseenvahirsabouche.Pour la première fois,Zofia avait soif.Elle consulta l'heure à samontre. Comme elle avait dix minutes d'avance, elle avisa le comptoir encuivrederrière lavitrineducaféetchangeadedirection.Elles'apprêtaitàyentrer lorsqu'elle reconnut leprofildeLucas,attablé, enpleineconversationavec le directeur des services immobiliers du port. Elle recula, troublée, et

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retournaversl'ascenseur.Quelque temps plus tard, Lucas se laissait guider par le maître d'hôtel

jusqu'àlatableoùZofial'attendait.Elleseleva,ilbaisasamainetl'invitaàs'asseoirfaceàlavue.Au cours du dîner, Lucas posa cent questions auxquelles Zofia répondait

parmilleautres.Ilappréciaitlemenugastronomique,ellenetouchaitàaucunplat, écartant délicatement la nourriture aux quatre coins de l'assiette. Lesinterruptionsdu serveur leur semblaientdurerd'éternellesminutes.Quand ils'approcha encore,muni d'un ramasse-miettes qui ressemblait à une faucillebarbue,Lucasvints'asseoiràcôtédeZofiaetsoufflad'ungrandcoupsurlanappe.— Voilà, c'est propre maintenant ! Vous pouvez nous laisser, merci

beaucoup!dit-ilaugarçon.Laconversationrepritaussitôt.LebrasdeLucastrouvaappuisurledossier

delabanquette,Zofiaressentitlachaleurdesamain,siprochedesanuque.Legarçons'avançaànouveau,aucourrouxdeLucas.Ildéposadevanteux

deux cuillères et un fondant au chocolat. Il fit tourner l'assiette pour la leurprésenter, se redressa droit comme un piquet et annonça fièrement soncontenu.— Vous avez bien fait de le préciser, dit Lucas, agacé, on aurait pu

confondreavecunsouffléauxcarottes!Legarçons'éloignadiscrètement.LucassepenchaversZofia.—Vousn'avezrienmangé.—Jemangetrèspeu,répondit-elleenbaissantlatête.—Goûtez,pourmefaireplaisir,lechocolatestunmorceaudeparadisen

bouche.—Etunenferpourleshanches!reprit-elle.Ilneluilaissapaslechoix,tranchalefondant,portaunecuilleréejusqu'àla

bouchedeZofiaetdéposalechocolatchaudsursalangue.DanslapoitrinedeZofia, les battements sourdaient plus fort et elle cacha sa peur au fond desyeuxdeLucas.—C'estchaudetfroidenmêmetemps,c'estdoux,dit-elle.

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Leplateauqueportaitlesommeliers'inclinalégèrement,leverreàcognacglissa. Quand il heurta la pierre au sol, il éclata en sept morceaux, tousidentiques.Lasallesetut,LucastoussotaetZofiabrisalesilence.ElleavaitencoredeuxquestionsàposeràLucas,maisellevoulutqu'illui

prometted'yrépondresansdétour,etilpromit.—Quefaisiez-vousencompagniedudirecteurimmobilierduport?—C'estétrangequevousmedemandiezcela.—Onavaitditsansdétour!LucasregardafixementZofia,elleavaitposésamainsurlatable,lasienne

s'enapprocha.—C'étaitunrendez-vousprofessionnel,commeladernièrefois.— Ce n'était pas une vraie réponse, mais vous anticipez ma seconde

question.Quelestvotremétier?Pourquitravaillez-vous?—Nouspourrionsdirequejesuisenmission.LesdoigtsdeLucaspianotèrentfébrilementsurlanappe.—Quelgenredemission?repritZofia.LesyeuxdeLucasabandonnèrentZofiauninstant,uncertainregardavait

détournésonattention:aufonddelasalle,ilvenaitdereconnaîtreBlaise,lesouriremalinaucoindeslèvres.—Qu'ya-t-il?demanda-t-elle.Vousnevoussentezpasbien?Lucas était métamorphosé. Zofia reconnaissait à peine celui qui avait

partagécettesoiréerichedesentimentsinédits.— Ne me posez aucune question, dit-il. Allez au vestiaire, prenez votre

manteauetrentrezchezvous.Jevouscontacteraidemain,jenepeuxrienvousexpliquermaintenant,j'ensuisdésolé.—Qu'est-cequivousprend?dit-elle,levisageinterdit.—Partez,maintenant!Elleselevaettraversalasalle.Lesmoindresbruitsvenaientàsesoreilles:

le couvert qui tombe, les verres qui s'entrechoquent, le vieuxmonsieur quis'essuie la lèvre supérieure d'un mouchoir presque aussi vieux que lui, lafemme mal habillée qui regarde la pâtisserie dévorée d'envie, l'hommed'affairesquijouesonproprerôleenlisantunjournal,surlecheminentrelestablescecouplequineparleplusdepuisqu'elles'estlevée.Ellepressalepas,

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enfin les portes de l'ascenseur se refermèrent. Tout en elle n'était plusqu'émotionscontredites.Ellecourutjusqu'àlarueoùleventlasaisit.Danslavoiturequis'enfuyait,

iln'yavaitplusqu'elleetunfrissondemélancolie.QuandBlaises'assità laplacequeZofiavenaitd'abandonner,Lucasserra

lespoings.—Alors,commentvontnosaffaires?dit-il,jovial.— Qu'est-ce que vous foutez là ? demanda Lucas d'une voix qui ne

cherchaitnullementàcachersonirritation.—Jesuisresponsabledelacommunicationinterneetexterne,alorsjeviens

unpeucommuniquer...avecvous!—Jen'aiaucuncompteàvousrendre!—Lucas,Lucas,allons!Quiparledecomptabilité?Jevienssimplement

m'inquiéter de la santé demon poulain, et, à ce que j'ai vu, il a l'air de seporteràmerveille.Blaisesefitaussimielleuxquefaussementamical.—Jesavaisquevousétiezbrillant,maislà,jedoisavouerquejevousavais

sous-estimé.—Sic'esttoutcequevousaviezàmedire,jevousinviteàprendrecongé!—Jel'airegardéependantquevouslaberciezdevossérénades,etjedois

reconnaîtrequ'aumomentdudessertj'étaisimpressionné!Parcequelà,monvieux,çafriselegénie!Lucas scruta Blaise attentivement, cherchant à décrypter ce qui pouvait

rendrehilareceparfaitabruti.—Lanaturen'apasététrèsheureuseavecvous,Blaise,maisnedésespérez

pas.Ilyaurabienunjourcheznousunepénitentequiauracommisquelquechosede suffisammentgravepourêtrecondamnéeàpasserquelquesheuresdansvosbras!—Nesoyezpasfaussementmodeste,Lucas,j'aitoutcomprisetj'approuve.

Votreintelligencemesurprendratoujours.Lucas se retourna pour demander d'un signe de la main qu'on lui porte

l'addition.Blaises'enemparaettenditunecartedecréditaumaîtred'hôtel.

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—Laissez,c'estpourmoi!— Où voulez-vous en venir exactement ? demanda Lucas en reprenant

l'additiondesdoigtsmoitesdeBlaise.—Vouspourriezm'accorderplusdeconfiance.Dois-jevousrappelerque

c'estgrâceàmoiquecettemissionvousaétéconfiée?Alorsnejouonspasauximbécilespuisquenoussavonstrèsbientouslesdeux!—Quesavons-nous?ditLucasenselevant.—Quielleest!LucasserassitlentementetdévisageaBlaise.—Etquiest-elle?—Maiselleestl'autre,moncher...,votreautre!La bouche de Lucas s'entrouvrit légèrement, comme si l'air se raréfiait

soudain.Blaiseenchaîna:—Cellequ'ilsontenvoyéecontrevous.Vousêtesnotredémon,elleestleur

ange,leurélite.BlaisesepenchaversLucas,quifitunmouvementenarrière.— Ne soyez pas dépité comme ça, mon vieux, enchaîna-t-il, c'est mon

métierdetoutsavoir.Jemedevaisbiendevousféliciter.Latentationdel'angen'est plus unevictoire pour notre camp, c'est un triomphe !Et c'est biendecelaqu'ils'agit,n'est-cepas?Lucas avait senti une pointe d'appréhension dans la dernière question de

Blaise.—N'est-cepasvotremétierquedetoutsavoir,monvieux?ajoutaLucas

avecuneironiemêléedecolère.Ilquittalatable.Alorsqu'iltraversaitlasalle,ilentenditlavoixdeBlaise:—J'étaisaussivenuvousdirederallumervotreportable.Onvouscherche!

La personne que vous avez approchée ces dernières heures souhaiteraitbeaucouppouvoirconclureunaccordcesoir.L'ascenseur se referma sur Lucas. Blaise avisa l'assiette de dessert

inachevée,ilserassitettrempasondoigtmoitedanslechocolat.

*

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LavoituredeZofiafilaitlelongdeVanNessAvenue,sursonpassagetous

les feux passaient .m vert. Elle alluma le poste de radio et chercha unefréquence rock. Ses doigts frappaient le volant au gré des percussions, ilstapaientintensément,deplusenplusfort,jusqu'àcequeladouleurenvahisseles phalanges. Elle bifurqua dans Pacific Heights et vint se ranger sansménagementdevantlapetitemaison.Les fenêtres du rez-de-chaussée étaient éteintes.Zofiamonta vers l'étage.

Lorsqu'elle posa son pied sur la troisième marche de l'escalier, la porte deMissSheridans'entrouvrit.Zofiasuivitleraidelumièrequifilaitàtraverslapénombrejusquedansl'appartementdeReine.—Jet'avaisprévenue!—Bonsoir,Reine.—Assieds-toi donc près demoi, tume diras plutôt bonsoir en repartant.

Quoique, à voir ta mine, il est possible qu'on se dise plutôt bonjour à cemoment-là.Zofias'approchadufauteuil.Elles'assitsurlamoquetteetposasatêtesur

l'accoudoir.Reineluicaressalescheveuxavantdeprendrelaparole:—Tuasunequestion,j'espère?Parceque,moi,j'aiuneréponse!—Jesuisbienincapabledevousdirecequejeressens.Zofiase leva,avançavers la fenêtreetsouleva levoile.LaFordsemblait

dormirdanslarue.Reinereprit:—Loindemoil'idéed'êtreindiscrète.Enfin,àl'impossible,nuln'esttenu!

Àmonâge,lefuturrétrécitàvued'œil,etquandonestpresbytecommejelesuis,ilyadequois'inquiéter.Alorschaquejourquipasse,jeregardedevantmoi,aveclafâcheuseimpressionquelaroutevas'arrêteràlapointedemeschaussures.—Pourquoidites-vousça,Reine?—Parcequejeconnais tagénérosité,et tapudeuraussi.Pourunefemme

de mon âge, les joies, les tristesses de ceux qu'on aime sont comme deskilomètres gagnés dans la nuit qui s'annonce. Vos espoirs, vos envies nousrappellent qu'après nous le chemin continue, que ce que nous avons fait denotrevieaeuunsens,mêmeinfime...untoutpetitboutderaisond'être.Alorsmaintenant,tuvasmedirecequinevapas!

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—Jenesaispas!—Cequeturessenss'appellelemanque!—Ilyatantdechosesquej'aimeraispouvoirvousdire.—Net'inquiètepas,jelesdevine...ReinesoulevadoucementlementondeZofiadelapointedudoigt.—Réveille-moidonctonsourire;ilsuffitd'uneminusculegrained'espoir

pourplantertoutunchampdebonheur...etd'unpeuplusdepatiencepourluilaisserletempsdepousser.—Vousavezaiméquelqu'un,Reine?— Tu vois toutes ces vieilles photos dans ces albums, eh bien, elles ne

serventstrictementàrien!Laplupartdesgensquisontdessussontdéjàmortsdepuis longtemps et, pourtant, elles sont très importantes pourmoi. Sais-tupourquoi?...Parceque je lesaiprises!Si tusavaiscommejevoudraisquemes jambesm'emmènent encore une fois là-bas ! Profite,Zofia !Cours, neperds pas de temps ! Nos lundis sont parfois éreintants, nos dimanchesmaussades,maisDieuquelerenouvellementdelasemaineestdoux.Reineouvritlapaumedesamain,pritl'indexdeZofiaetluifitparcourirle

traitdesalignedevie.—Sais-tucequ'estleBachert,Zofia?Zofianeréponditpas,lavoixdeReinesefitplusdouceencore:—Écoute bien, c'est la plus belle histoire dumonde : le Bachert est la

personne queDieu t'a destinée, elle est l'autremoitié de toi-même, ton vraiamour.Alors,toutel'intelligencedetavieseradelatrouver...et,surtout,delareconnaître.ZofiaregardaReineensilence.Ellese leva, luidéposaunbaiserpleinde

tendresse sur le front et lui souhaita bonne nuit. Avant de sortir, elle seretournapourluidemanderunedernièrechose:—Ilyaundevosalbumsquej'aimeraisbeaucoupvoir.—Lequel?Tulesastousparcourusunebonnedizainedefois!—Levôtre,Reine.Etlaporteserefermadoucementsurelle.Zofiagravitlesmarches.Sursonpalierelleseravisa,repritl'escaliersans

faire de bruit et réveilla la vieille Ford. La ville était presque déserte. Elle

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descenditCaliforniaStreet.Unfeulaforçaàmarquerl'arrêtdevantl'entréedel'immeubleoùelleavaitdîné.Levoiturier lui fitunpetit signeamicalde lamain, elle détourna la tête et regarda Chinatown qui s'ouvrait à sa gauche.Quelquesblocsplusbas,ellerangeasavoiturelelongdutrottoir,traversaleparvisàpied,apposasamainsur laparoiestde laTourpyramidaleetentradanslehall.Elle salua Pierre et se dirigea vers l'ascenseur qui conduisait au dernier

étage. Quand les portes s'ouvrirent, elle demanda à voirMichaël. L'hôtesseétaitdésolée,lejourorientalétaitlevéetsonparrainœuvraitàl'autreboutdumonde.Ellehésita,etdemandasiMonsieurétaitdisponible.—Enprincipeoui,maislà,çarisqued'êtreunpeudifficile.La réceptionniste ne put résister à l'envie de répondre à l'air intrigué de

Zofia.—A vous je peux bien le dire !Monsieur a un dada, un hobby si vous

préférez:lesfusées!Ilenraffole!L'idéequeleshommesenenvoientpleindans leciel le rendhilare. Ilne rate jamaisundépart, Il s'enfermedanssonbureau,allumetoussesécransetpersonnenepeutplusLuiparler.JenevouscachepasqueçadevientunpeuproblématiquedepuisquelesChinoiss'ysontmiseuxaussi!—Etilyaunlancementencemoment?demandaZofia,impassible.—Saufproblèmetechnique, ledécollageestprévudans37minuteset24

secondes!VousvoulezquejeLuilaisseunmessage,c'étaitimportant?—Non,neLedérangezpas,j'avaisjusteunequestion,jereviendrai.—Oùserez-vousunpeuplustard?Quandjelaissedesmémosincomplets,

j'aitoujoursdroitàunepetiteréflexionencoin.—Jevaisprobablementallermarchersur lesquais,enfin, jecrois.Alors,

bonnenuitoccidentale,oubonjouroriental,commevouspréférez!Zofia quitta la Tour. Une fine pluie tombait, ellemarcha sans se presser

jusqu'àsavoitureetrepritlevolantendirectionduquai80,cetautreendroitdelavillequiétaitsonrefuge.Elleeutenvied'airpur,devoirdesarbres,etpritladirectiondunord.Elle

entradansleGoldenGâteParkparlavoieMartinLutherKingqu'elleremontajusqu'aulaccentral.Lelongdelapetiteroute,lesréverbèresdessinaientdes

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myriadesdehalosdanslanuitétoilée.Sesphareséclairèrentlapetitecabaneenboisoùlespromeneursviennentlouerdesbarqueslesjoursdebeautemps.Leparkingétaitdésert,elleylaissalaFordetmarchajusqu'àunbancsousunlampadaire,oùelles'assit.Pousséparunebriselégère,ungrandcygneblancdérivaitsurl'eaulesyeuxclos,passantprèsd'unegrenouilleendormiesurunnénuphar.Zofiasoupira.Elle Le vit arriver au bout de l'allée. Monsieur marchait d'un pas

nonchalant,lesmainsdanslespoches.Ilenjambalepetitgrillageetcoupaparlapelouse,évitantlesmassifsdefleurs.Ils'approchaets'assitàcôtéd'elle.—Tuasdemandéàmevoir?—Jenevoulaispasvousdéranger,Monsieur.—Tunemedérangesjamais.Tuasunproblème?—Non,unequestion.LesyeuxdeMonsieurs'éclairèrentunpeuplusencore.—Alorsjet'écoute,mafille.—Nouspassonsnotretempsàprêcherl'amour,maisnouslesanges,nous

nedisposonsquedethéories.Alors,Monsieur,qu'est-cevraimentquel'amoursurterre?IlregardalecieletpritZofiasoussonépaule..—Mais c'est la plus belle chose que j'aie inventée ! L'amour c'est une

parcelled'espoir,lerenouvellementperpétueldumonde,lechemindelaterrepromise.J'aicrééladifférencepourquel'humanitécultivel'intelligence:unmonde homogène aurait été triste à mourir ! Et puis la mort n'est qu'unmomentdelaviepourceluioucellequiasuaimeretêtreaimé.Duboutdupied,Zofiatraçafébrilementunronddanslegravier.—MaisleBachert,c'estunehistoirevraie?Dieusouritetluipritlamain.—Belleidée,n'est-cepas?queceluiquitrouvesonautremoitiédevienne

plusaboutiquel'humanitétoutentière.Cen'estpasl'hommequiestuniqueensoi - si je l'avais voulu ainsi, je n'en aurais créé qu'un ; c'est lorsqu'ilcommence à aimer qu'il le devient. La création humaine est peut-êtreimparfaite, mais rien n'est plus parfait dans l'univers que deux êtres quis'aiment.

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—Alors je comprends mieux maintenant, dit Zofia en traçant une lignedroitejusteaumilieudesoncercle.Il se leva, remit sesmainsdans lespoches et s'apprêtait à partir quand II

posasamainsurlatêtedeZofiaetluiditd'uneparoledouceetcomplice:—Jevaisteconfierungrandsecret,laseuleetuniquequestionquejeme

posedepuislepremierjour:Est-cevraimentmoiquiaiinventél'amour,ouest-cel'amourquim'ainventé?S'éloignant d'un pas léger, Dieu regarda son reflet dans l'eau et Zofia

l'entenditgrommeler:—Monsieurpar-ci,Monsieurpar-là, il fautvraimentque jeme trouveun

prénomdanscettemaison...déjàqu'ilsmevieillissentaveccettebarbe...IlseretournaetdemandaàZofia:—Quepenserais-tudeHoustoncommeprénom?Interloquée,Zofialeregardapartir,sessublimesmainsétaientcroiséesdans

sondos,ilcontinuaitdemarmonnertoutseul.—MonsieurHouston,peut-être...Non...Houston,c'estparfait!Etlavoixs'éteignitderrièrelegrandarbre.Zofiarestaseuleunlongmoment.Lagrenouillejuchéesursonnénupharla

regardaitfixement,ellecoassapardeuxfois.Zofiasepenchaetluidit:—Quoi,quoi?!Zofia se leva, rejoignit sa voiture et quitta le Golden Gâte Park. Sur la

collinedeNobHill,unclochersonnaitonzecoups.

*Lesrouesavants'arrêtèrentdetourneràquelquescentimètresdurebord,la

calandre de l'Aston Martin surplombait l'eau. Lucas descendit et laissa laportière ouverte. Il posa son pied droit sur le pare-chocs arrière, soupiraprofondémentetrenonça.Ils'éloignadequelquespas,sentanttournersatête.Ilsepenchaaudessusdel'eauetvomit.—Çan'apasl'aird'allerbienfort!Lucasserelevaetdévisagealevieuxclochardquiluitendaitunecigarette.

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—Desbrunes,unpeufortesmaisvulacirconstance,ditJules.Lucas enprit une, Jules avança sonbriquet, la flammeéclaira leurs deux

visagesuncourtinstant.Ilinhalauneprofondeboufféeettoussaaussitôt.—Ellessontbonnes,dit-ilenlançantlemégotauloin.—L'estomacdérangé?demandaJules.—Non!réponditLucas.—Alors,unecontrariétépeut-être!—EtvousJules,commentvavotrejambe?—Commelereste,elleboite!—Alorsremettezdoncvotrebandageavantqueças'infecte,ditLucasen

s'éloignant.Julesleregardasedirigerverslesvieuxbâtimentsàunecentainedemètres

delà.Lucasgrimpaitlesmarchesdel'escalierpiquéderouilleetavançaitsurlacoursivequilongeaitlafaçadeaupremierétage.Julesluicria:—Cettecontrariété,elleseraitplutôtbruneoublonde?MaisLucasn'entenditpas.Laporteduseulbureauàlafenêtreéclairéese

refermasurlui.

*Zofia n'avait aucune envie de rentrer chez elle. En dépit du plaisir

d'hébergerMathilde, une part d'intimité luimanquait. Ellemarchait sous lavieille tour en brique rouge qui dominait les quais déserts. La penduleincrustéedanslechapiteauconiquesonnalademi-heure.Elles'approchadelabordureduquai.Laproueduvieuxcargotanguaitdanslalumièred'uneluneàpeinedélayéed'unlégervoiledebrume.—Jel'aimebien,moi,cerafiot,onalemêmeâge!Luiaussigrincequand

ilbouge,ilestencoreplusrouilléquemoi!ZofiaseretournaetsouritàJules.—Jen'ai riencontre lui,dit-elle,mais, si seséchellesétaientenmeilleur

état,jel'aimeraisencoreplus.—Lematérieln'yestpourriendanscetaccident.

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—Commentlesavez-vous?— Les murs des docks ont des oreilles, des petits bouts de mot par-ci

formentdespetitsboutsdephrasepar-là...—VoussavezcommentGomezesttombé?—C'est bien là tout lemystère. Avec un jeune on aurait pu croire à un

moment d'inattention. Depuis le temps qu'on entend dire à la télé que lesjeunessontplusconsquelesvieux...,maisjen'aipaslatéléetledockerétaitun vieux briscard. Personne ne va gober qu'il a dévissé tout seul sur unbarreau.—Ilapuavoirunmalaise?—Possibleaussi,maisresteàsavoirpourquoiilauraiteucemalaise.—Maisvousavezvotrepetiteidée!—J'aisurtoutunpeufroid,cettesaletéd'humiditémerentrejusquedansles

os,j'aimeraisbiencontinuernotreconversationmaisunpeuplusloin.Prèsdel'escalierquimonteauxbureaux, là-bas ily a commeunmicroclimat, ça tedérangeraitquenousfassionsquelquesmètresensemble?Zofia offrit son bras au vieil homme. Ils s'abritèrent sous la coursive qui

longeait la façade.Julessedéplaçadequelquespaspours'installer justeau-dessousdelaseulefenêtreencorealluméeàcetteheuretardive.Zofiasavaitquelespersonnesâgéesavaienttoutesleursmaniesetquepourbienlesaimerilfallaitsavoirnepascontrarierleurshabitudes.—Voilà,onestbienici,dit-il,c'estmêmelàqu'onestlemieux!Ilss'assirentaupieddumur.Juleslissalesplisdesonéternelpantalonau

motifprincede-galles.—Alors,repritZofia,pourGomez?—Moi je ne sais rien !Mais si tu écoutes, il est bien possible que cette

petitebrisenousracontequelquechose.Zofia fronça les sourcils,mais Julesposaundoigt sur ses lèvres.Dans le

silence de la nuit, Zofia entendit la voix grave de Lucas résonner dans lebureau,justeau-dessusdesatête.

*

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Heurt était assis au bout de la table en formica. Il poussa un petit colisemballédansdupapierkraftdevant ledirecteurdesservices immobiliersduport.TerenceWallaceavaitprisplaceenfacedeLucas.— Un tiers maintenant. Le second viendra lorsque votre conseil

d'administrationauravoté l 'expropriationdesdockset ledernierdèsque jesignerai le mandat de commercialisation exclusif des terrains, dit le vice-président.—Nous sommesbiend'accordquevos administrateurs devront se réunir

avantlafindelasemaine,ajoutaLucas.—Le délai est terriblement court, gémit l'homme, qui n'avait pas encore

osésaisirlepaquetbrun.— Les élections approchent ! La mairie sera ravie d'annoncer la

transformationd'unezonepolluanteenrésidencesproprettes.Ceseracommeuncadeautombéduciel!renchéritLucasenchassantlepaquetverslesmainsdeWallace.Votretravailnedevraitpasêtresicompliquéqueça!Lucasselevapours'approcherdelafenêtrequ'ilentrebâillaetajouta:—Etpuisquevousn'aurezbientôtplusbesoindetravailler...vouspourrez

même refuser la promotion qu'ils vous offriront pour vous remercier de lesavoirenrichis...— Pour avoir trouvé une solution à une crise annoncée ! repritWallace

d'unevoixminaudiere,entendantunegrandeenveloppeblancheaEd.—Lavaleurdechaqueparcelleest indiquéedanscerapportconfidentiel,

dit-il.Surévaluezlesprixdedixpourcentetmesadministrateursnepourrontpasrefuservotreoffre.Wallaceempoignasondûetsecouajoyeusementlecolis.—Jelesauraitousréunisvendrediauplustard,ajouta-t-il.LeregarddeLucasquis'échappaitparlavitrefutattiréparl'ombrelégère

qui fuyait en contrebas. LorsqueZofiamonta dans sa voiture, il lui semblaqu'elleleregardaitdroitdanslesyeux.LesfeuxarrièredelaForddisparurentauloin.Lucasbaissalatête.—Vousn'avezjamaisd'étatsd'âme,Terence?—Cen'estpasmoiquivaisprovoquercettegrève!répondit-ilenquittant

lebureau.Lucasrefusaqu'Edleraccompagneetrestaseul.

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LesclochesdeGraceCathedralsonnèrentminuit.Lucasenfilasagabardine

etglissasesmainsdanslespoches.Enouvrantlaporte,ilcaressaduboutdesdoigts la couverture du petit livre dérobé qui ne le quittait plus. Il sourit,contemplalesétoilesetrécita:—Qu'ilyaitdesluminairesaufirmamentducielpourséparerlejourdela

nuit...etqu'ilsserventdesignespourséparerlalumièredesténèbres.Dieuvitquecelaétaitbon.Ilyeutunsoir,ilyeutunmatin...

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4.

QuatrièmeJour

Mathildeavaitgémipresque toutes lesheures, ladouleurn'avait cessédetroublersonsommeiletsanuitn'avaitconnuderépitqu'auxpremièreslueursdumatin. Zofia s'était levée sans faire de bruit, elle s'était habillée et avaitquittél'appartementsurlapointedespieds.Lafenêtredupalierdispensaitunjolisoleil.Enbasdel'escalierelleavaittrouvéReinequirepoussaitdupiedlaported'entrée,lesbraspleinsd'unbouquetdefleursénorme.—Bonjour,Reine.Reine qui serrait une lettre entre ses lèvres ne pouvait répondre, Zofia

avançaaussitôtpourl'aider.Elles'emparadel'immensegerbeetlaposasurlaconsoledel'entrée.—Vousavezétédrôlementgâtée,Reine.—Moinon,maistoioui!Tiens,lepetitmotaussial'aird'êtrepourtoi!

dit-elleenluitendantl'enveloppequeZofia,intriguée,décacheta.Jevousdoisdesexplications,appelez-moi,s'ilvousplaît.Lucas.Zofia rangea le mot dans sa poche. Reine contemplait les fleurs, mi-

admirative,mimoqueuse.— Il ne s'est pas foutu de toi, dis donc ! Il y en a près de trois cents, et

toutesdevariétésdifférentes!Jen'auraijamaisunvasesuffisammentgrand!Miss Sheridan retourna dans son appartement, Zofia lui emboîta le pas,

emportantlesomptueuxbouquetdanssesbras.—Posecesfleursprèsdel'évier,jeteferaidesbouquetsàtaillehumaine,

tulesreprendrasenrentrant.File,jevoisquetuesdéjàenretard.—Merci,Reine,jepasseraitoutàl'heure.—Oui,oui,c'estça,allezouste,jedétestenetevoirqu'àmoitiéettatête

estdéjàailleurs!

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Zofiaembrassasalogeuseetquittalamaison.Reinepritcinqvasesdansleplacard qu'elle aligna sur la table, chercha son sécateur dans le tiroir de lacuisineetcommençasescompositions.Ellelorgnasurunelonguebranchedelilasqu'ellemitdecôté.Quandelleentenditleparquetcraquerau-dessusdesatête,elleabandonnasonouvragepourpréparerlepetitdéjeunerdeMathilde.Quelquesinstantsplustard,ellemontaitl'escalierenmarmonnant:—Hôtelière,fleuriste...etpuisquoimaintenant?Nonmais,jetejure!Zofia rangea sa voiture devant le Fisher'sDeli. Elle reconnut l'inspecteur

Pilguezenentrantdanslebar;ill'invitaàs'asseoir.—Commentvanotreprotégée?—Elleserétablitdoucement,sajambelafaitsouffrirplusquesonbras.—C'estnormal,dit-il,onn'aplusbeaucoupde raisondemarcher sur les

mainscesdernierstemps!—Qu'est-cequivousamèneparici,inspecteur?—Lachutedudocker.—Etqu'est-cequivousrendd'humeuraussimaussade?— L'enquête sur la chute du docker ! Vous prenez quelque chose ? dit

Pilguezenseretournantverslecomptoir.Depuis l'accident de Mathilde, l'établissement assurait un service

minimum:endehorsdesheuresdepointe,ilfallaits'armerdepatiencepourobteniruncafé.—Est-cequel'onsaitpourquoiilesttombé?repritZofia.—Lacommissiond'enquêtepensequec'estlebarreaudel'échellequiest

encause.—C'estplutôtunetrèsmauvaisenouvelle,murmuraZofia.—Jenesuispasconvaincuparleursméthodesd'investigation!J'aieuun

petitaccrochageavecleurresponsable.—Àquelsujet?— J'avais l'impression qu'il faisait des gargarismes en répétant le mot

«vermoulu».Leproblème,continuaPilguez,plongédanssespensées,c'estquelepanneaudesfusiblessemblen'intéresseraucundescommissaires!—Quevient-ilfairelà,votretableaudefusibles?—Ici rien,maisprèsde lacale,beaucoup! Iln'yapas trente-sixraisons

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pourqu'undockerexpérimentétombe.Soitl'échelleestpourrie,jenedispasqu'elleétaitdepremièrejeunesse...soitilyafauted'inattention:paslegenredeGomez!Àmoinsquelacalenesoittrèssombre,cequidevientlecassilalumières'éteintbrutalement.Alorsl'accidentestquasimentinévitable.—Voussuggérezqu'ils'agiraitd'unactedemalveillance?— Je suggère que le meilleur moyen de faire dévisser Gomez était de

couper les projecteurs pendant qu'il était sur l'échelle ! Il faudrait presqueporterdeslunettesdesoleilpourbosserlà-dedansquandc'estéclairé,àvotreavisquesepasse-t-ilquandtoutestplongédans lenoir?Le tempsquevosyeuxaccommodent,vousperdezl'équilibre.Vousn'avezjamaiseulevertigeenentrantdansunmagasinoudansuncinémaaprèsêtrerestéenpleinsoleil?Imaginezl'effet,perchéenhautd'unescabeaudevingtmètres!—Vousavezdespreuvesdecequevousavancez?Pilguezmit lamaindans sa poche et sortit unmouchoir qu'il posa sur la

table. Il le déplia, découvrant un petit cylindre rond calciné sur toute salongueur.Ilréponditàl'airinterrogatifdeZofia.—J'aiunfusiblegrilléauquelilmanqueunzéroàl'ampérage.—Jenesuispastrèsdouéeenélectricité...—Cemachinétaitdixfoistropfaiblepourlachargequ'ildevaitsupporter!—C'estunepreuveça?—Demauvaisefoientoutcas!Larésistancepouvaittenircinqminutesau

mieuxavantderendrel'âme.—Maistoutçaprouveraitquoi?—Qu'iln'yapasquedans lescalesduValparaisoqu'onnevoitpas très

clair.—Qu'enpenselacommissiond'enquête?Pilgueztrituraitlefusible,sonvisagedissimulaitmalsacolère.—Ellepensequecequej'aientrelesmainsneprouverienpuisquejene

l'aipastrouvésurletableau!—Maisvouspensezlecontraire?—Oui!—Pourquoi?Pilguez fit rouler le coupe-circuit sur la table, Zofia s'en empara pour

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l'observerattentivement.—Jel'airamassésousl'escalier,lasurtensionavaitdûl'envoyervaldinguer.

Celuiquiestvenueffacersestracesn'apasdûleretrouver.Surletableau,ilyenavaitunflambantneuf.—Vouscomptezouvriruneenquêtecriminelle?—Pasencore,làaussij'aiunproblème!—Lequel?—Lemotif!Quelpouvaitêtrel'intérêtdefairetomberGomezaufondde

cerafiot?Aquil'accidentpouvait-ilbienservir?Vousavezuneidée?Zofiarésistaaumalaisequil'envahissait,elletoussaetmitsamaindevant

sonvisage.—Paslamoindre!—Mêmepetite?demandaPilguez,suspicieux.—Mêmeminuscule,dit-elleentoussantànouveau.—Dommage,réponditPilguezenselevant.Il traversa le bar, sortit en cédant le passage àZofia et se dirigeavers sa

voiture.Ils'appuyaàsaportièreetseretournaversZofia.—N'essayezjamaisdementir,vousn'avezaucundonpourça!Illuiadressaunsourireforcéets'installaderrièresonvolant,Zofiacourut

verslui.—Ilyaunechosequejenevousaipasdite!Pilguezregardasamontreetsoupira.—Lacommissiond'enquêteavaitmis lebateauhorsdecausehiersoiret

personnen'estretournél'inspecterdepuis.—Alorsqu'est-cequiauraitpulesconvaincredechangerd'avispendantla

nuit?demandal'inspecteur.— La seule chose que je sais, c'est que la mise en cause du navire va

provoquerunenouvellegrève.—Enquoicelabénéficie-t-ilàlacommission?—Ildoitbienyavoirunlien,cherchez-le!—S'ilyenaun,c'estlecommanditairedelachutedeGomez.— Un accident, une conséquence, une seule et même finalité, murmura

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Zofia,troublée.— Je vais commencer par aller fouiller dans le passé de la victime pour

écarterd'autreshypothèses.—Jesupposequec'estcequ'ilyademieuxàfaire,ditZofia.—Etvous,oùallez-vous?—Al'assembléegénéraledesdockers.Elles'écartadelaportière,Pilguezmitsonmoteurenmarcheets'éloigna.Ensortantdelazoneportuaireiltéléphonaàsonbureau.Laresponsabledu

dispatchingdécrochaàlaseptièmesonnerie,Pilguezenchaînaaussitôt:—Bonjour,icilespompesfunèbres,ledétectivePilguezafaitunmalaise,

il est décédé en essayant de vous joindre, et nous voulions savoir si vouspréfériezquel'onvousdéposesoncorpsaucommissariatoudirectementchezvous!—Enfin!Ilyaunedéchargeàdeuxblocsd'ici,vousn'avezqu'àledéposer

là-bas,j'irailevoirdèsquej'auraiuneadjointeetquejeneseraiplusobligéededécrochercetéléphonetouteslesdeuxminutes,réponditNathalia.—Gracieux!—Qu'est-cequetuveux?—Tunet'esmêmepasinquiétéeuneseconde?—Tu ne fais plus demalaise depuis que je surveille ta glycémie et ton

cholestérol.Enrevanche,ilm'arrivederegretterl'époqueoùtuallaismangertes œufs en cachette ; au moins, ta mauvaise humeur avait ses heures defaiblesse.C'étaitpourprendredemesnouvellesque tumepassaiscetappelbourrédecharme?—J'aiunserviceàtedemander.—Aumoinsonpeutdirequetusaist'yprendre!Jet'écoutetoujours...— Regarde sur le serveur central tout ce que tu peux trouver sur le

dénommé Félix Gomez, 56 Fillmore Street, carte de docker 54687. Etj'aimeraisbiensavoirquit'aracontéquejemangeaisdesœufsencachette!—Moiaussijesuisdanslapolice,figure-toi.Tumangesaussidélicatement

quetuparles!—Etalors,qu'est-cequeçaprouve?—Quiporteteschemisesaupressing?Bon,jetelaisse,j'aisixlignesen

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attente,etilyapeut-êtreunevraieurgence.Une fois queNathalia eut coupé la communication, Pilguez enclencha la

sirènedesonvéhiculeetfitdemi-tour.Ilavaitfalluunebonnedemi-heurepourquelafoulesetaise,laréunionsur

l'esplanade venait à peine de commencer.Manca finissait de lire le rapportmédical du San Francisco Mémorial Hospital. Gomez avait subi troisinterventionschirurgicales.Lesmédecinsnepouvaientprédires'ilreprendraitunjoursontravail,maislesdeuxfêluresauxvertèbreslombairesn'avaientpasentraîné d'atteinte de lamoelle épinière : il était toujours inconscient, maishorsdedanger.Unmurmuredesoulagement traversa l'assemblée,n'apaisantpaspourautant la tensionqui régnait.Lesdockersse tenaientdebout faceàl'estrade improvisée entre deux containers. Zofia s'était installée un peu àl'écart,audernierrang.Mancademandalesilence.—La commission d'enquête a conclu que la vétusté de l'échelle de cale

étaitprobablementresponsabledel'accidentdenotrecamarade.Levisageduresponsablesyndicalétaitgrave.Lesconditionsdetravailqui

leurétaientimposéesavaientmislavied'undeleurscompagnonsendanger,unefoisencorel'und'euxavaitpayédesapersonne.Un filet de fumée âcre s'échappait derrière la porte d'un container qui

jouxtaitlatribuneoùManca s'adressait aux dockers. En allumant son cigarillo, EdHeurt avait

ouvert la fenêtre de sa Jaguar. Il remit l'allume-cigares dans son enclave etpostillonnalesfibresdetabacdéposéessurleboutdesalangue.Ilsefrottalesmains,ravidesentirlacolèregronderàquelquesmètresdelui.—Jenepeuxquevousproposerdevoterl'arrêtillimitédutravail,conclut

Manca.Un lourd silence planait au-dessus des têtes. Une à une les mains se

levaient, cent bras s'étaient dressés,Manca consentit d'un signe de tête à ladécision unanime de ses collègues. Zofia inspira profondément avant deprendrelaparole.—Nefaitespasça!Vousêtesentraindetomberdansunpiège!Elle lut l'étonnementquisemêlaità lacolèresur lesvisages tournésvers

elle.

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—Ce n'est pas l'échelle qui a causé la chute de Gomez, reprit Zofia enhaussantleton.—Dequoiellesemêle!criaundocker.—Çat'arrangeraitbienquetaresponsabilitédechefdelasécuriténesoit

pasmiseencause!hurlaunautre.—C'estlamentablededireça!rétorquaZofia.Ellesentitl'agressivitéambianteseretournercontreelle.— On me reproche en permanence de prendre trop de précautions pour

vous,etvouslesaveztoustrèsbien!La rumeur se figea quelques secondes avant qu'un troisième homme ne

reprenne:—Alorspourquoiest-iltombé,Gomez?—Pasàcausedel'échelleentoutcas!réponditZofiaenbaissantlavoixet

latête.Un conducteur de tracteur s'avança en frappant une barre de fer dans le

creuxdesamain.—Tire-toi,Zofia!Tun'espluslabienvenueici.Ellesesentitsoudainmenacéeparlesdockersquiserapprochaient.Ellefit

unpasenarrièreetseheurtaàl'hommequisetenaitderrièreelle.—Donnant,donnant!chuchotaPilguezàsonoreille.Vousm'expliquezà

quisertcettegrève,etjevoustiredecemauvaispas.Jepensequevousavezunepetiteidéesurlaquestion,etvousn'aurezmêmepasàmedirequivousessayezdeprotéger!Elletournalatêteverslui,Pilguezaffichaitunsourirenarquois.—L'instinctpolicier,machère,ajouta-t-ilenfaisantroulerlefusibleentre

sesdoigts.Ilseplaçadevantelleetprésentasonbadgeàlafoule,quis'arrêtaaussitôt.—Ilestbienprobablequelapetitedameait raison,dit-ilensavourant le

silence qu'il venait d'imposer. Je suis l'inspecteur Pilguez de la brigadecriminelledeSanFranciscoetjevaisvousdemanderdebienvouloirreculerdequelquespas,jesuisagoraphobe!Personnen'obéitetdel'estradeMancalança:—Pourquoiêtes-vouslà,inspecteur?

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—Pour empêcher vos amis de faire une connerie, et de tomber dans unpiège,commeditlademoiselle!—Etenquoicelavousregarde?repritlechefdusyndicat.—Ça,çameregarde!ditPilguezenlevantlebras,lefusibleauboutdes

doigts.—Qu'est-cequec'est?questionnaManca.— Ce qui aurait dû assurer la continuité de l'éclairage dans la cale où

Gomezesttombé!TouslesvisagessetournèrentversMancaquihaussaleton.—Onnevoitpasoùvousvoulezenvenir,inspecteur.—C'estbiencequejedis,monvieux,etdanslacale,Gomeznonplusne

risquaitpasdevoirgrand-chose.Le petit cylindre en cuivre dessina une parabole au-dessus de la tête des

dockers.Mancalesaisitauvol.—L'accidentdevotrecamaradeestdûàunactedemalveillance,poursuivit

Pilguez.Cecoupe-circuitestdixfoistropfaible,constatezparvous-mêmes.—Pourquoionauraitfaitça?demandaunevoixanonyme.—Pourquevousvousmettiezengrève!réponditlaconiquementPilguez.—Desfusibles,yenapartoutsurlesbateaux,ditunhomme.—Cequevous racontezn'a rienàvoiravec le rapportde lacommission

d'enquête!repritunautre.— Silence ! hurla Manca. Supposons que vous disiez vrai, qui aurait

fomentécecoup?PilguezregardaZofiaetsoupiraavantderépondreauchefdusyndicat:—Disonsquecetaspectdelachosen'estpasencoretoutàfaitélucidé!—Alorspartezd'iciavecvoshistoiresàdormirdebout,clamaundockeren

agitantunpied-de-biche.La main du policier descendit lentement vers son holster. L'assemblée

menaçantesemouvaitverseux,commeunemaréemontantequinetarderaitpas à les submerger. Près de l'estrade, devant un container ouvert, Zofiareconnutceluiquilafixait.—Moijeconnaislecommanditaireducrime!

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LavoixposéedeLucasavaitsaisilesdockerssurplace.Touslesvisagessetournèrentverslui.Ilrepoussalaporteouverteducontainerquigrinçasursesgonds,découvrantàlavuedetouslaJaguarqu'ellecachait.Lucaspointadudoigtleconducteurquitournaitfébrilementlaclédudémarreur.—Ilyadegrossesenveloppespourracheterlesterrainssurlesquelsvous

bossez...aprèslagrèvebienentendu.Demandez-lui,c'estl'acheteur!Heurt enclencha brusquement la marche avant, les pneus patinèrent sur

l'asphalte et la voiture de fonction du vice-président deA&Hcommença sacoursefolleentrelesgruespouréchapperàlafureurdesdockers.PilguezordonnaàMancad'allerretenirseshommes.—Dépêchez-vousavantqueçatourneaulynchage!Lechefdusyndicatfitlagrimaceensefrottantlegenou.—J'aiunearthriteterrible,gémit-il,l'humiditédesquais,qu'est-cequevous

voulezc'estlemétierquiveutça!Ilclaudiquaens'éloignant.—Nebougezpasdelà,touslesdeux,grommelaPilguez.Il abandonnaLucas et Zofia pour courir dans la direction où les dockers

s'étaientélancés.Lucaslesuivitduregard.Alors que l'ombre de l'inspecteur se dérobait derrière un tracteur, Lucas

avançaversZofiaetpritsesmainsdanslessiennes.Ellehésitaavantdeposersaquestion.—Vousn'êtespasunVérificateur,n'est-cepas?dit-elled'unevoixpleine

d'espoir.—Non,jenesaispasdequoivousparlez!—Etvousnefaitespasnonpluspartiedugouvernement?—Disonsquejetravaillepourquelquechosede...comparable.Maisjete

doisquandmêmed'autresexplications.Unfracasdetôleretentitauloin.LucasetZofiaseregardèrentetcoururent

tousdeuxdansladirectiond'oùlebruitétaitvenu.—S'ilsmettentlamainsurlui,jenedonnepascherdesapeau!ditLucas

encourantàpetitefoulée.—Alorspriezpourqueçan'arrivepas, réponditZofia en sehissant à sa

hauteur.

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— Oh, de toute façon, pour ce qu'elle vaut ! reprit Lucas avec deuxenjambéesd'avance.Zofialedépassaànouveau.—Vousnemanquezvraimentpasd'airquandmême!—Côtésouffle,jesuisinépuisable!Ilgrimaçaenredoublantd'effortspourreprendrelatêtedanslachicanequi

se profilait entre deux piles de containers. Zofia accéléra sa course pourl'empêcherdereveniràsahauteur.—Ilssontlà-bas,dit-elle,horsd'haleinemaistoujoursentête.Lucassprintapourlarejoindre.Auloin,unefuméeblanches'échappaitde

la calandre de la Jaguar empalée sur la fourche d'un chargeur.Zofia inspiraprofondémentpourmaintenirsonallure.—Jem'occupedeluietvousdesdockers...dèsquevousm'aurezrejointe,

dit-elleendonnantunenouvelleimpulsion.Ellecontournalafoulecompactequiencerclaitlacarcasseduvéhicule,ne

voulant pas se retourner au risque de perdre quelques précieuses secondes.EllesedélectaitdelatêtequedevaitfaireLucasdanssondos.—C'estridicule,onnefaisaitpaslacourse,àcequejesache!entendit-elle

criertroisfouléesenarrière.L'assistanceétaitsilencieuseetcontemplaitlavoiturevide.Undesdockers

accourut : le gardien n'avait vu passer personne devant sa guérite, Ed étaitencore prisonnier des quais et devait certainement se cacher à l'abri d'uncontainer.L'assembléesedispersa,chacunpartantdansunedirection,décidéàretrouverlepremierlefuyard.LucasserapprochadeZofia.—Jen'aimeraispasêtreàsaplace!—Ondiraitvraimentqueçaa l'airdevousravir ! répondit-elle,énervée.

Aidez-moiplutôtàlelocaliseravanteux!—Jesuisunpeuàcourtdesoufflelà,maisonsedemandeàquilafaute!— Mais quelle mauvaise foi ! dit Zofia en campant ses mains sur ses

hanches.Quiacommencé?—Vous!LavoixdeJuleslesinterrompit.— Votre conversation a l'air passionnante, mais si vous pouviez la

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reprendreunpeuplus tard,nouspourrionspeut-êtresauverunevie.Suivez-moi!Julesleurexpliquaencheminqu'Edavaitabandonnésavoiturejusteaprès

le choc pour se précipiter vers la sortie du port. La meute se rapprochaitdangereusementdeluiquandilétaitpasséàlahauteurdel'archen°7.—Oùest-il?s'inquiétaZofia,marchantaucôtéduvieuxclochard.—Sousunepiledefripes!Julesavaiteuunmalfouàleconvaincredesecacherdanssoncaddie.—J'airarementvuquelqu'und'aussiantipathique!Vouslecroiriezqu'ila

faitsondifficile!repritJulesenrâlant.Quandjeluiaimontrélebassinoùlesdockers allaient lui faire prendre un bain, la couleur de la mousse l'aconvaincuquemonlingen'étaitpassisale.Lucas,quiétaittoujoursenretrait,accéléralepaspours'approcherd'euxet

murmura:—Si!C'estvous!—Absolumentpas!chuchota-t-elleentournantlatête.—Vousavezaccélérélapremière.I—Mêmepas!—Bon,çasuffit,touslesdeux,repritJules.I'inspecteurestauprèsdelui.Il

fauttrouverunmoyendefairesortircethommed'ici,discrètement.Pilguezleurfitunsignedelamain,et touslestroissedirigèrentverslui.

L'inspecteurpritlecommandementdesopérations.—Ilssont tousprèsdesgruesentraindefouillerchaquerecoin,et ilsne

vont pas tarder à venir par ici ! Est-ce que l'un de vous deux peut allercherchersonvéhiculesanssefaireremarquer?La Ford était parquée au mauvais endroit, Zofia attirerait probablement

l'attention des dockers en allant la prendre. Lucas resta muet, traçant de lapointedupieduncercledanslaterrepoussiéreuseduquai.Jules indiquad'un regard àLucas la gruequi déposait sur les docks, non

loind'eux,uneChevroletCamaroenpiteuxétat.C'était laseptièmecarcassequ'elleremontaitdesflots.—Moi je saurais bien où trouver des voitures non loin d'ici, mais leurs

moteurs fontdedrôlesdeblob-blobquanton lesdémarre ! souffla levieuxclocharddansl'oreilledeLucas.

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Sous le regard interrogatif de l'inspecteur Pilguez, Lucas s'éloigna enmaugréant:—Jevaisvouscherchercedontvousavezbesoin!Ilrevinttroisminutesplustardauvolantd'unespacieuseChryslerqu'ilgara

devant l'arche. Jules avança le caddie, Pilguez et Zofia aidèrentHeurt à ensortir.Levice-présidents'allongeasurlabanquettearrièreetJuleslerecouvritcomplètementd'unedesescouvertures.—Etvousaurezl'obligeancedelafairenettoyeravantdemelaramener!

ajouta-t-ilenclaquantlaportière.Zofias'installaàcôtédeLucas.Pilguezavançaàsafenêtre.—Netraînezpas!—Onvousledéposeauposte?interrogeaLucas.—Pourquoifaire?réponditlepolicier,dépité.—Vousn'allezpaslepoursuivre?demandaZofia.— La seule preuve que j'avais était un petit cylindre en cuivre de deux

centimètresde long, et j'ai dûm'en séparer pourvous tirer d'affaire !Aprèstout,ajouta l'inspecteurenhaussant lesépaules,éviter lessurtensions...c'estbienàçaqueçasertunfusible,non?Allez,filez!Lucas enclencha la vitesse et la voiture s'éloigna dans un nuage de

poussière.Alorsqu'ilroulaitencorelelongdesquais,lavoieétoufféedeEdsefitentendre.—Vousallezmelepayer,Lucas!Zofiasoulevaunpandelacouverture,dévoilantlevisageécarlatedeHeurt.—Jene suispas sûreque lemoment soit bienchoisi, dit-elled'unevoix

réservée.Mais le vice-président dont les clignements de paupières étaient devenus

incontrôlablesajoutaàl'attentiondeLucas.—Vousêtesfini,Lucas,vousn'avezpasidéedemonpouvoir!Lucas bloqua ses freins, la voiture glissa sur plusieurs mètres. Les deux

mainsposéessurlevolant,LucassetournaversZofia.—Descendez!—Qu'est-cequevousallezfaire?réponditelle,inquiète.

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Le tonqu'ilempruntapour réitérersonordrene laissaitaucuneplaceà ladiscussion. Elle descendit et la vitre se referma en couinant. Dans lerétroviseur,HeurtvitlesyeuxsombresdeLucasquisemblaientvireraunoir.—C'estvousquineconnaissezpasmonpouvoir,monvieux !ditLucas.

Maisnevousinquiétezpas,jevaisvousapprendretrèsvite!Il retira la cléde contact et sortit à son tourduvéhicule.Apeine avait-il

avancé d'un pas que toutes les portes se verrouillèrent. Le moteur montaprogressivementenrégimeet,quandEdHeurtseredressa,l'aiguilleducadranau centre du tableau de bord affichait déjà 4 500 toursminute. Les pneuspatinaientsurl'asphaltesansquelavoiturebouge.Lucascroisalesbras,l'airsoucieux,etmurmura:—Quelquechosenemarchepas,maisquoi?Zofias'approchadeluietlesecouasansménagement.—Qu'est-cequevousfaites?À l'intérieurde l'habitacleEdse sentithappéparune force invinciblequi

l'aplatissaitausiège.Ledossierdelabanquettefutbrutalementchassédesesenclaves et propulsé sur la lunette. Pour résister à la force qui le tirait enarrièreHeurts'agrippaàlasangledecuirdufauteuil,lacouturesedéchiraetla dragonne céda. Il saisit désespérément la poignée de la porte, maisl'aspirationétaitsifortequesesarticulationsbleuirentavantd'abandonnerleurvaine résistance. Plus Ed luttait, plus il reculait. Le corps comprimé par unpoidssansmesure,ils'enfonçaitinexorablementversl'intérieurducoffre.Sesonglesgriffèrent le cuir sansplusde succès ; dèsqu'il fut à l'intérieurde lamalle, le dossier de la banquette reprit sa place et la force cessa. Ed étaitdésormais dans le noir. Sur le tableau de bord, l'aiguille du comptetoursrebondissait contre la bordure extrême du cadran. De l'extérieur, levrombissement du moteur était devenu assourdissant. Sous les rouesfumantes, la gomme laissait de grasses empreintes noires, la voiture toutentière tremblait. Anxieuse, Zofia se précipita pour libérer le passager ;l'habitacleétaitvide,ellepaniquaetseretournaversLucasquitrituraitlaclédudémarreur,l'airpréoccupé.—Qu'est-cequevousavezfaitdelui?demandaZofia.—Ilestdanslecoffre,répondit-il,trèsabsorbé.Quelquechosenemarche

vraimentpas...qu'est-cequej'oublie?—Maisvousêtestotalementmalade!Silesfreinslâchent...

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Zofia n'eut pas le loisir d'achever sa phrase. Visiblement soulagé, Lucashochalatêteetclaquaaussitôtdesdoigts.Àl'intérieurdelaberline,lelevierdufreinàmainselibéraetlavoitureseprécipitadansleport.Zofiacourutàla bordure du quai, elle se concentra sur l'arrière du véhicule qui émergeaitencoredes flots : le capotde lamalle s'ouvrit, et levice-présidentpataugeadansleseauxépaissesquibordaientlequai80.Flottantcommeunbouchonàladérive,EdHeurts'éloignad'unebrassemaladroiteversl'escalierdepierre,crachant tant qu'il le pouvait. La voiture sombra, entraînant avec elle lesgrandsprojetsimmobiliersdeLucas.Surleparvis,ilportaitaucoindesyeuxlagêned'unenfantprissurlefait.—Vousn'auriezpasunepetitefaim?dit-ilàZofiaquivenaitversluid'un

pasdéterminé.Avectoutçaonaunpeusautéledéjeuner,non?Ellelefusilladuregard.—Quiêtes-vous?—C'estunpeudifficileàexpliquer,réponditil,embarrassé.Zofialuiarrachalaclédesmains.—Vousêtes lefilsdudiableousonmeilleurélèvepourréussirdes tours

pareils?Delapointedupied,Lucastraçaunelignedroiteauparfaitmilieuducercle

qu'il avait dessiné dans la poussière. Il baissa la tête et répondit d'un airpenaud:—Vousn'avezdonctoujourspascompris?Zofiareculad'unpas,puisdedeux.—Jesuissonenvoyé...sonélite!Elleplaquasamainàsabouchepourétouffersoncri.—Pasvous...,murmura-t-elle en regardantLucasunedernière fois avant

des'échapperencourant.Ellel'entenditcriersonprénom,maislesmotsdeLucasn'étaientdéjàplus

quequelquessyllabeshachéesparlevent.— Et merde, toi non plus tu ne m'avais pas dit la vérité ! dit Lucas en

effaçantlecercled'uncoupdepiedrageur.

*

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Danssonimmensebureau,Luciferéteignitsonécrandecontrôle,levisage

de Lucas devint une infime pointe blanche qui s'évanouit au centre dumoniteur. Satan pivota dans son fauteuil et appuya sur le bouton del'interphone.—Faites-moivenirBlaisetoutdesuite!

*Lucasmarcha jusqu'auparkingetquitta lesdocksàbordd'unDodgegris

clair.Labarrièrefranchie,ilcherchaaufonddesespochesunepetitecartedevisitequ'ilcoinçasurleparesoleil.Ilpritsontéléphoneportableetcomposalenumérodelaseulejournalistequ'ilconnaissaitbibliquement.Amydécrochaàlatroisièmesonnerie.—Jenesaistoujourspaspourquoituespartiefâchée?dit-il.—Jenem'attendaispasàcequeturappelles,tumarquesunpoint.—J'aiunserviceàtedemander!—Tuviensdereperdrelepoint!Etmoi,qu'est-cequej'ygagne?—Disonsquej'aiuncadeaupourtoi!—Sicesontdesfleurs,tutelesgardes!—Unscoop!—Quetuvoudraisquejepublie,j'imagine!—Quelquechosecommeça,oui.— Uniquement si le tuyau est assorti d'une nuit aussi brûlante que la

dernière.—Non,Amy,cen'estpluspossible!—Etsijerenonceàladouche,c'esttoujoursnon?—Toujours!—Çamedésespèrequedestypescommetoitombentamoureux!— Branche ton magnétophone, c'est au sujet d'un certain magnat de

l'immobilier dont les déconvenues vont faire de toi la plus heureuse desjournalistes!

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LeDodge filait le longde3rd Street ;Lucas acheva la communication etbifurquadansVanNessenremontantversPacificHeights.

*Blaise frappa trois coups, il essuya sesmainsmoites sur son pantalon et

entra.—Vousavezdemandéàmevoir,Président?—Tuas toujoursbesoindeposerdesquestions idiotesdont tuconnais la

réponse?Restedebout!Blaise se redressa, terriblement inquiet. Président ouvrit son tiroir et fit

glisser une chemise rouge jusqu'à l'autre bout de la table. Blaise partit lachercheràpetitefouléeetrevintaussitôtseplanterdevantsonmaître—Atonavis,imbécile,jet'aifaitveniricipourteregardertournerautour

demonbureau?Ouvrelapochette,crétin!Blaisetournanerveusementlerabatencartonetreconnutaussitôtlaphoto

oùLucastenaitZofiadanssesbras.—J'enferaisbiennotrecartedevœuxdefind'année,maisilmemanque

unelégende!ajoutaLuciferentapantdupoingsurlatable.J'imaginequetuvasmelatrouver,puisquec'esttoiquiaschoisinotremeilleuragent!— Formidable cette photo, n'est-ce pas ? bredouilla Blaise, qui suait de

toutesparts.—Alorslà,repritSatanenécrasantsacigarettesurleplateauenmarbre,ou

tonhumourdépassel'entendementouquelquechosed'intelligentm'échappe.—Vousnepensiezquandmêmepas,Président,que...maisnon...enfin...

voyons ! enchaînaBlaise d'un ton affecté.Tout cela est prévu et totalementcontrôlé ! Lucas a des ressources insoupçonnées, il est décidémentincroyable!Satan sortit une nouvelle cigarette de sa poche et l'alluma. Il inhala une

profondeboufféeetexpiralafuméedevantlevisagedeBlaise.—Faistrèsattentionàcequetuesentraindemeraconter...—Nousvisonsl'échecetmat...ehbien,noussommesentraindeprendrela

reinedevotreadversaire.

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Luciferselevaetmarchajusqu'àlabaievitrée.Ilposasesdeuxmainssurlecarreauetréfléchitquelquesinstants.—Arrêteavectesmétaphores,j'aihorreurdeça.Espéronsquetudisvrai...

lesconséquencesd'unmensongeseraientinfernalespourtoi.—Nousn'avonsaucunsouciàVousfaire!gémitBlaiseenseretirantsurla

pointedespieds.Dèsqu'ilfutseul,Satanrevints'installeràl'extrémitédelalonguetable.Il

allumasonécrandecontrôle.— On va quand même vérifier deux ou trois choses, grommela-t-il en

appuyantànouveausurleboutondel'interphone.

*LucasroulaitsurVanNess,ilralentitpourtournerlatêteàl'intersectionde

PacificStreet,ouvritsavitre,allumalaradioetpritunecigarette.EnpassantsouslespilesduGoldenGâte,iléteignitlaradio,jetasacigarette,refermalafenêtreetrouladanslesilenceversSausalito.

*Zofia avait garé sa Ford au fond du parking. Elle avait emprunté les

escaliers et refait surface sur Union Square. Elle traversa le petit parc etmarchasansbut.Dansl'alléediagonale,elles'assitsurunbancoùunejeunefemmepleurait.Llle luidemandacequin'allaitpas,mais, avantdepouvoirentendresaréponse,ellesentitlechagrinnoyersagorge.—Jesuisdésolée,dit-elleens'éloignant.Elleerralelongdestrottoirs,flânantdevantlesvitrinesdescommercesde

luxe.ElleregardalaporteàtambourdugrandmagasinMacy'setsansmêmes'en rendre compte s'engouffra dans le tourniquet. A peine était-elle entréequ'une hôtesse, vêtue de pied en cap d'un uniforme jaune poussin, luiproposait de l'asperger généreusement de la dernière senteur à la mode,CanaryWharf.Zofiadéclinacourtoisementd'unsourireeffacéetluidemandaoùtrouverleparfumHabitRouge.

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Lajeunedémonstratricenecherchapasàmasquersonagacement.—Deuxièmestandsurvotredroite!dit-elleenhaussantlesépaules.LorsqueZofias'éloigna,lavendeusevaporisadanssondosdeuxpschittde

fumetjaune.—Lesautresaussiontledroitd'exister!Zofia s'approcha du présentoir. Elle souleva timidement le flacon de

démonstration, dévissa le bouchon rectangulaire et posa deux gouttes deparfumà l'intérieurde sonpoignet.Elleavança samainprèsde sonvisage,inspiral'essencesubtileetfermalesyeux.Soussespaupièrescloses,labrumelégèrequiflottaitsousleGoldenGâtefaisaitcapaunordversSausalito:surlapromenadedéserte,unhommeencompletnoirymarchaitseul le longdel'eau.Lavoix d'une vendeuse la rappela aumonde.Zofia regarda autour d'elle.

Des femmes, lesbraschargésdesacsenrubannés, seprécipitaientd'alléeenallée.Zofiabaissa la tête, remit la fiole enplace, puis sortit dumagasin.Après

avoir récupéré sa voiture, elle se rendit au centre de formation pour lesmalvoyants.Laleçondujournefutquesilence,sesélèveslerespectèrenttoutaulongducours.Lorsquelaclocheretentit,elleabandonnasachaiseperchéesur l'estrade et leur dit simplement «merci » avant de quitter la salle. Ellerentra chez elle et découvrit un grand vase qui garnissait le hall de fleurssomptueuses.—Impossibledelemontercheztoi!ditReineenouvrantsaporte.Çate

plaît,c'estgaidanscetteentrée,non?—Oui,ditZofiaensemordillantlalèvre.—Qu'est-cequetuas?—Reine,vousn'êtespasdugenreàdire«jet'avaisprévenue»?—Non,cen'estpasdutoutmongenre!— Alors, vous pourriez mettre ce bouquet chez vous, s'il vous plaît ?

demandaZofiad'unevoixfragile.Elle grimpa aussitôt à l'étage. Reine la regarda s'enfuir dans l'escalier ;

lorsqu'elledisparutdesavue,ellemurmura:—Jetel'avaisdit!

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Mathildeposasonjournaletdévisageasonamie.—Tuaspasséunebonnejournée?—Ettoi?réponditZofiaenposantsonsacaupiedduportemanteau.— C'est une réponse ! Remarque, à voir ta tête, la question n'était pas

urgente.—JesuisfatiguéeMathilde!—Vienst'asseoirsurmonlit!Zofiaobéit.Lorsqu'elleselaissachoirsurlematelas,Mathildegémit.—Jesuisdésolée,ditZofiaenseredressant.Alorstajournée?—Passionnante ! repritMathilde engrimaçant. J'ai ouvert le frigo, lancé

unebonnevanne,tuconnaismonhumour,çaafaitexploserunetomatederireetducoupj'aipassélerestedel'après-midiàfaireunshampooingaupersil!—Tuasbeaucoupsouffertaujourd'hui?— Seulement pendant mon cours d'aérobic ! Tu peux te rasseoir mais

délicatementcettefois.MathilderegardaparlafenêtreetditaussitôtàZofia:—Restedebout!—Pourquoi?demandaZofia,intriguée.—Parceque tuvas te releverdansdeuxminutes, réponditMathilde sans

déviersonregard.—Qu'est-cequ'ilya?—Jenepeuxpascroirequ'ilremetteça!ricanaMathilde.Zofiaécarquillalesyeuxetreculad'unpas.—Ilestenbas?—Qu'est-cequ'ilestcraquant,siseulementc'étaitsonjumeau,ilyenaurait

unpourmoi!Ilt'attend,assissurlecapotdesavoiture,avecdesfleurs,allez,descends!ditMathilde,déjàseuledanslapièce.Zofia était sur le trottoir. Lucas se releva et tendit à mains jointes le

nénupharrouxquisetenaitfièrementplantédanssonpotenterrecuite.—Jenesaistoujourspasquellessontvospréférées,maisaumoins,celle-ci

vouspousseàmeparler!Zofialedévisageasansriendire.Ilavançaverselle.

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—Jevousdemandedemelaisseraumoinsunechancedevousexpliquer.—Expliquerquoi?dit-elle.Iln'yaplusrienàexpliquer.Elletournaledos,rentrachezelle,s'arrêtaaubeaumilieuduhallpourfaire

demi-tour,ressortitdanslarue,marchajusqu'àluisansprononcerunseulmot,s'emparadunénupharetretournadanslamaison.Laporteclaquaderrièreelle.Reineluibarral'accèsàl'escalieretconfisqualafleurd'eau.—Jem'enoccupeettoijetedonnetroisminutespourmontertepréparer.

Fais ta coquette et ta difficile, c'est très féminin, mais n'oublie pas que lecontrairedetoutc'estrien!Etrien,cen'estpasgrand-chose...allez,file!Zofiavoulutrépliquer,maisReinecampasesmainssursesdeuxhancheset

affirmad'untonautoritaire:—Iln'yapasde«mais»quitienne!Enentrantdansl'appartementZofiasedirigeaverslapenderie.—Jenesaispaspourquoi,maisdèsquejel'aivuj'aipressentiunjambon

puréeentêteàtêteavecReinecesoir,ditMathildeenadmirantLucasparlafenêtre.—Çava!répliquaZofia,énervée.—Trèsbien,ettoi?—Nemecherchepas,Mathilde,cen'estpaslemoment.—Là,mavieille,j'ail'impressionquetut'estrouvéetouteseule!Zofiadécrochasonimperméableduportemanteauetsedirigeaverslaporte

sansrépondreàsonamiequilarappelad'unevoixfranche:—Leshistoiresd'amourfinissenttoujourspars'arranger!...Saufpourmoi.—Arrête avec tes remarques, veux-tu, tu n'asmême pas idée de quoi tu

parles,réponditZofia.—Si tu avais connumon ex, tu aurais eu une idée de ce qu'est l'enfer !

Allez,passeunebonnesoirée.Reine avait posé le nénuphar sur un petit guéridon. Elle le regarda

attentivementetmurmura:«Aprèstout!»Jetantunœilàsonrefletdanslemiroirau-dessusdelacheminée,elleremithâtivementenordresescheveuxargent et se dirigea d'un pas discret vers l'entrée. Elle glissa sa tête dansl'encadrementde laporte etmurmura àLucasqui faisait les cent pas sur letrottoir : «Elle arrive ! »Elle rentra vite chez elle en entendant les pas de

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Zofia.Zofias'approchadelaberlinemauveàlaquelleLucasétaitadossé.—Pourquoiêtes-vousvenuici?Qu'est-cequevousvoulez?—Unedeuxièmechance!— On n'a jamais une seconde chance de faire une première bonne

impression!—Cesoir,çam'arrangeraitbeaucoupdevousprouverquec'estfaux.—Pourquoi?—Parceque.—C'estunpeucourtcommeréponse!—ParcequejesuisretournéàSausalitocetaprès-midi,ditLucas.Zofialeregarda,c'étaitlapremièrefoisqu'elleledevinaitfragile.—Jenevoulaispasquelanuit tombe,repritil.Non,c'estpluscompliqué

quecela.Ne«pasvouloir»atoujoursfaitpartiedemoi,cequiétaitétrangetoutàl'heurec'étaitdeconnaîtrelecontraire,pourunefoisj'aivoulu!—Vouluquoi?—Vousvoir,vousentendre,vousparler!—Etpuisquoid'autreencore!Quejetrouveuneraisondevouscroire?—Laissez-moivousemmener,nerefusezpascedîner.—Jen'aiplusfaim,dit-elleenbaissantlesyeux.—Vousn'avezjamaiseufaim!Iln'yapasquemoiquin'aipastoutdit...Lucasouvritlaportièredelavoitureetsourit.—...Jesaisquivousêtes.Zofialedévisageaetmontaàbord.Mathilde lâcha le pan du rideau qui glissa lentement sur le carreau. Au

mêmemoment,unvoilageretombaitsurunefenêtredurez-de-chaussée.Lavoituredisparutauboutdelaruedéserte.Sousunefinepluied'automne,

ilsroulaientsansriensedire,Lucasconduisaitàpetiteallure,Zofiaregardaitau-dehors,cherchantdanslecieldesréponsesauxquestionsqu'elleseposait.—Depuisquandsavez-vous?demanda-t-elle.—Quelquesjours,réponditLucas,gêné,ensefrottantlementon.

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—Demieuxenmieux!Etpendanttoutcetemps-làvousn'avezriendit!—Vousnonplus,vousn'avezriendit.—Moijenesaispasmentir!—Etmoi,jenesuispasprogrammépourdirelavérité!—Alorscommentnepaspenserquevousaveztoutmanigancé,quevous

memanipulezdepuisledébut?— Parce que ce serait vous sous-estimer. Et puis ça pourrait bien être

l'inverse,touslescontrairesexistent!Lasituationactuellesemblemedonnerraison.—Quellesituation?— Toute cette douceur, envahissante et étrangère. Vous, moi, dans cette

voituresanssavoiroùaller.—Quevoulez-vousfaire?demandaZofia,leregardabsenttournéversles

piétonsquidéfilaientsurlestrottoirshumides.—Jen'ensaisabsolumentrien.Resterauprèsdevous.—Arrêtezça!Lucaspilaetlavoitureglissasurl'asphaltemouillépouracheversacourse

aupiedd'unfeu.—Vousm'avezmanqué toute la nuit, et toute la journée. Je suis reparti

marcher jusqu'à Sausalito, en mal de vous, mais là-bas aussi vous memanquiez;vousmemanquiezetc'étaitdoux.—Vousignorezlesensdecesmots.—Jeneconnaissaisqueleurantonyme.—Arrêtedemefairelacour!—Jerêvaisquenousnoustutoyionsenfin!Zofianeréponditpas.Lefeupassaàl'orangepuisauvert,puisàl'orange

puisaurouge.Lesessuie-glaceschassaientlapluie,cadençantlesilence.—Etpuis,jenevousfaispaslacour!ditLucas.— Je n'ai pas dit que vous la faisiez mal, répondit Zofia en hochant

franchementlatête,j'aiditquetulafaisais,c'estdifférent!—Etjepeuxcontinuer?demandaLucas.—Noussommesassaillisd'appelsdephares.

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—Ilsn'ontqu'àattendre,c'estrouge!—Oui,pourlatroisièmefois!—Jenecomprendspascequim'arrive,jenecomprendsplusgrand-chose

d'ailleurs,maisjesaisquejemesensbienprèsdevousetquecesmots-lànonplusnefontpaspartiedemonvocabulaire.—C'estunpeutôtpourdiredeschosespareilles.—Parcequ'enplusilyadesmomentspourdirelavérité?—Oui,ilyena!—Alors là j'aivraimentbesoind'êtreaidé;êtresincère,c'estencoreplus

compliquéquejenelepensais!— Oui, c'est difficile d'être honnête, Lucas, bien plus que vous ne

l'imaginez, et c'est souvent ingrat et injuste, mais ne pas l'être c'est voir etprétendre être aveugle. Tout ça est tellement compliqué à vous expliquer.Noussommestrèsdifférentsl'undel'autre,vraimenttropdifférents.—Complémentaires,dit-il,pleind'espoir,làjesuisd'accordavecvous!—Non,vraimentdifférents!—Etdirequecesmotssortentdevotrebouche...Jecroyaisque...—Vouscroyezdésormais?—Nesoyezpasméchante,jepensaisentoutcasqueladifférence...mais

j'ai dû me tromper, ou plutôt j'avais raison, ce qui est paradoxalementdésolant.Lucas sortit de la voiture, laissant sa portière ouverte. Le vacarme de

klaxonsaugmentalorsqueZofiasemitàcourirderrièreluisouslapluie.Ellel'appelait,maisilnel'entendaitpas,l'averseavaitredoubléd'intensité.Ellelerattrapaenfinetagrippasonbras,ilseretournaetluifitface.LescheveuxdeZofia étaient plaqués sur son visage, il en écarta délicatement une mècherebelleàlacommissuredeseslèvres,ellelerepoussa.—Nosmondesn'ontrienencommun,noscroyancessontétrangères,nos

espoirsdivergents,nosculturessontsiéloignées...oùvoulezvousqu'onaillealorsquetoutnousoppose?—Vousavezpeur !dit-il.C'est ça,vousêtespétrifiéede trouille.Contre

vos ordres établis, c'est vous qui refusez de voir, vous qui parliezd'aveuglement et de sincérité. Vous prêchez la bonne parole à longueur de

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journée,maisdénuésd'actelessermentsnesontrien.Nemejugezpas,c'estvrai, je suis votre opposé, votre contraire, votre dissemblance, mais je suisaussivotreressemblance,votreautremoitié.Jenesauraispasvousdécrirecequejeressensparcequejeneconnaispaslesmotspourqualifiercequimehante depuis deux jours, au point de me laisser croire que tout pourraitchanger, monmonde, comme vous disiez, le vôtre, le leur. Jeme fous descombats que j'ai menés, je me moque de mes nuits noires et de mesdimanches, je suis un immortel qui pour la première fois a envie de vivre.Nouspourrions nous apprendre l'un l'autre, nous découvrir et finir par nousressembler...avecletemps.Zofiaposaundoigtsursabouchepourl'interrompre:—Letempsdedeuxjours?—...Ettroisnuits!Maisellesvalentbienunepartdemonéternité,reprit

Lucas.—Vousrecommencez!Un coup de tonnerre explosa dans le ciel, l'ondée devenait un orage

menaçant.Illevalatêteetregardalanuitquiétaitnoirecommeellenel'avaitjamaisété.—Dépêchez-vous,dit-ild'untondéterminé,ilfautquenouspartionsd'ici

toutdesuite,j'aiuntrèsmauvaispressentiment.Sansplusattendre,ilentraînaZofia.Dèsquelesportièresfurentclaquées,il

brûla le feu, abandonnant les conducteurs agglutinés à son pare-chocs. Iltournabrutalementàgaucheets'engageaàl'abridesregardsindiscretsdansletunnel qui passait sous la colline. Le souterrain était désert, Lucas accéléradans la longue lignedroitequidébouchait sur lesportesdeChinatown.Lestubesdenéondéfilaientau-dessusdupare-brise,illuminantl'habitacled'éclatsblancsintermittents.Lesessuie-glacess'immobilisèrent.—Probablementunfauxcontact,ditLucasaumomentoùlesampoulesdes

phareséclataientsimultanément.—Desfauxcontacts!rétorquaZofia.Freinez,onn'yvoitpresquerien.—J'adorerais,réponditLucasenappuyantsurlapédalequin'opposaitplus

aucunerésistance.Il leva le pied de l'accélérateur,mais lancée à cette vitesse, la voiture ne

s'arrêteraitjamaisavantlafindutunneloùcinqavenuessecroisaient.Celane

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portaitpourluiàaucuneconséquence,ilsesavaitinvincible,maisiltournalatêteetconsidéraZofia.Enunefractiondeseconde, ilserra levolantà touteforceetcria:—Accrochez-vous!D'unemain assurée, il dévia sa course pour plaquer le véhicule contre la

glissière qui bordait la paroi carrelée, de grandes gerbes d'étincelles vinrentlécher la vitre. Deux détonations résonnèrent : les pneus avant venaientd'éclater.Laberlinefituneséried'embardéesavantdesemettreentravers.Lacalandre percuta le rail de sécurité et l'essieu arrière se souleva, entraînantaussitôt la voiture dans une valse de tonneaux. La Buick était maintenantcouchée sur le toit et glissait inexorablement vers la sortie du tunnel. Zofiaserralespoingsetlavoitures'immobilisaenfinàquelquesmètresseulementducarrefour.Mêmelatêteàl'envers,ilsuffitàLucasderegarderZofiapoursavoirqu'elleétaitindemne.—Vousn'avezrien?luidemanda-t-elle.—Vousplaisantez!dit-ilens'époussetant.— C'est ce qu'on appelle une réaction en chaîne ! reprit Zofia en se

contorsionnantpoursesoustraireàl'inconfortdesaposition.—Probablement,sortonsde làavantque leprochainmaillonnous tombe

dessus,réponditLucasenrepoussantsaportièred'uncoupdepied.IlcontournalacarcassefumantepouraiderZofiaàs'enextraire.Dèsqu'elle

fut sur ses jambes, il lui prit lamain et l'entraîna en courant. Tous deux sefaufilèrentàviveallureverslecentreduquartierchinois.—Pourquoicourt-oncommeça?demandaZofia.Lucascontinuasansdireunmot.—Jepeuxaumoinsrécupérermamain?ditelle,essoufflée.Lucas délia ses doigts, la délivrant de son emprise. Il s'arrêta à la lisière

d'uneruelleblafardeéclairéeparquelquesréverbèresfatigués.— Entrons là, dit Lucas en montrant un petit restaurant, nous y serons

moinsexposés.—Exposésàquoi,qu'est-cequisepasse?Vousavezl'aird'unrenardaux

aguetspoursuiviparunemeutedechiens.—Dépêchons!

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Lucasouvrit la porte,maisZofianebougeapasd'un centimètre, il revintversellepourl'entraîneràl'intérieur,ellerésista.—Cen'estpaslemoment!dit-ilenlatirantparlebras.Zofiasedégageaaussitôtetlerepoussa.—Vousvenezdenousfaireavoirunaccident,vousm'entraînezdansune

course folle alors que personne ne nous poursuit, j'ai les poumons qui vontexploseretpaslamoindreexplication...—Suivez-moi,nousn'avonspasletempsdediscuter.—Pourquoivousferais-jeconfiance?Lucasreculaverslapetiteéchoppe.Zofial'observait,ellehésitaetfinitpar

marcherdanschacunde sespas.La salleétaitminuscule, ellecomptaithuittables. Il choisit celle du fond, lui offrit une chaise et s'assit à son tour. Iln'ouvritpaslacartequelevieilhommeencostumetraditionnelluiprésentaitet lui demanda courtoisement, en parfait mandarin, une décoction qui nefiguraitpasaumenu.L'hommes'inclinaavantdes'effacerverslacuisine.—Vousm'expliquezcequisepasse,Lucas,sinonjepars!—Jecroisquejeviensderecevoirunavertissement.—Cen'étaitpasunaccident?Dequoiveutonvousavertir?—Devous!—Maispourquoi?Lucasinspiraavantderépondre:—PARCEQU'ILSAVAIENTTOUTPREVU,SAUFQUENOUSNOUS

RENCONTRIONS!Zofiapritunechipsdecrevettedans lepetitbolenporcelainebleueet la

croqua lentement sous l'œil interdit de Lucas. Il lui servit une tasse du thébrûlantquelevieilhommevenaitdedéposersurlatable.—Jevoudrais tellementvouscroire,maisqu'est-cequevous feriezàma

place?—Jemelèveraisetjequitteraiscetendroit...—Vousn'allezpasrecommencer!—...etdepréférenceparlaportedederrière.—Etc'estcequevoussouhaiteriezquejefasse?— Absolument ! En ne vous retournant sous aucun prétexte, vous vous

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levezàtroisetnousfonçonsderrièrelerideau.Maintenant!Il la saisit par le poignet et l'entraîna sans ménagement. Traversant la

cuisine à toute hâte, il força d'un coup d'épaule la porte qui ouvrait sur lacourette.Poursefrayerunpassage,ilrepoussaunbacàorduresdontlesrouesgrincèrent.Zofiacompritenfin:unesilhouettesedécoupaitdansl'obscurité.A l'ombre portée par la lumière d'un lanterneau s'ajoutait celle de l'armeautomatique pointée dans leur direction. Zofia eut quelques secondes pourconstater d'un bref regard que trois murs les cernaient, cinq déflagrationsdéchirèrentlesilence.Lucassejetasurellepourluifaireunrempartdesoncorps.Ellevoulutle

repousser,maisillaplaquacontrelamurailled'enceinte.Le premier coup ricocha sur sa cuisse ; le deuxième effleura le haut du

bassin, il plia les genoux mais se redressa aussitôt ; le troisième impactrebonditsursescôtes,lamorsurefutsurprenante;lequatrièmeprojectilefitdemêmecontrelemilieudesacolonnevertébrale,ileneutlesoufflecoupéetretrouvapéniblementsarespiration.Quandlecinquièmeprojectilel'atteignit,ce fut comme une flamme qui brûlait sa chair : la cinquième balle était lapremièreàpénétrerdanssoncorps...sousl'épaulegauche.L'agresseur s'enfuit aussitôt son forfait accompli. Quand l'écho des

déflagrationss'estompa,iln'yeutplusquelaseulerespirationdeZofiapourvenirtroublerlesilence.Elleleserraitaucreuxdesesbras,latêtedeLucasreposait sur son épaule. Les yeux clos, il semblait lui sourire encore. Elleberçaitsoncorpsinerteetmurmuraàsonoreille:—Lucas?Ilneréponditpas,ellelesecouaunpeuplusvivement.—Lucas,nefaitespasl'idiot,ouvrezlesyeux!Les yeux clos, il semblait dormir, aussi paisiblement qu'un enfant

abandonné dans son sommeil. Et plus la peur montait en elle, plus ellel'étreignait.Quandunelarmeluivintàlajoue,elleressentituneforceinouïecomprimersapoitrine.Elleeutunhaut-le-cœur.—Celanepouvaitpasnousarriver,noussommes...—...Déjàmorts...invincibles...immortels?Oui!Àtoutinconvénientson

avantage,n'est-cepas?dit-ilenseredressant,presquejovial.Zofialedévisagea,incapabledecernerl'humeurquilagagnait.Ilapprocha

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lentementsonvisagedusien,elleserefusa,jusqu'àcequeleslèvresdeLucasviennenteffleurerlessiennesesquissantunbaiseraugoûtopiacé.Ellereculaetregardalapaumeempourpréedesamain.—Alorspourquoisaignes-tu?Lucassuivitlefiletrougequicoulaitlelongdesonbras.—C'estabsolumentimpossible,çanonpluscen'étaitpasprévu!dit-il....Puisils'évanouit.Elleleretintdanssesbrasrefermés.—Qu'est-cequinousarrive?demandaLucasenreprenantsesesprits.—Encequimeconcerne,c'estassezcompliqué!Encequiteconcerne,je

croisqu'uneballeatraversétonépaule.—Çamefaitmal!—Celatesemblepeut-êtreillogiquemaisc'estnormal,ilfautt'emmenerà

l'hôpital.—Horsdequestion!— Lucas, je n'ai aucune connaissancemédicale en démonologie, mais il

semblequetuasdusangetquetuesentraindeleperdre.— Je connais quelqu'un à l'autre bout de la ville qui peut recoudre cette

blessureletempsqu'ellecicatrise,dit-ilenappuyantsurlaplaie.—Moiaussijeconnaisquelqu'un,ettuvasmesuivresansdiscuter,parce

que la soirée a été suffisammentmouvementée comme ça. Je crois que j'aimoncompted'émotions.Ellelesoutintetl'entraînadanslaruelle.Auboutdupassage,elleavisale

corps de leur agresseur qui reposait inanimé sous un enchevêtrement depoubelles.ZofiaregardaLucas,étonnée.—J'aiunminimumd'amour-proprequandmême!dit-ilenledépassant.Ilsarrêtèrentuntaxi,quilesdéposadixminutesplustarddevantchezelle.

Elleleguidaversleperronetluifitsignedenepasfairedebruit.Elleouvritla porte avec mille précautions, et ils montèrent l'escalier à pas feutrés.Lorsqu'ils arrivèrent sur le palier, la porte de Reine se refermasilencieusement.

*

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Tétanisé derrière son bureau, Blaise éteignit son écran de contrôle. Ses

mains dégoulinaient, son front perlait d'une sueur abondante, lorsque lasonnerie du téléphone retentit, il enclencha le répondeur et entendit Luciferquileconviaitd'unevoixpeuavenanteaucomitédecrisequisetiendraitauleverdelanuitorientale.—Tuasintérêtàêtreàl'heureavecdessolutionsetunenouvelledéfinition

de«toutestprévu!»,achevaPrésidentavantderaccrocherbrutalement.Ilseprit la têteàdeuxmains.Tremblantde toutsoncorps, ildécrochale

combiné,quiluiglissadesdoigts.

*Michaël regardait lemurd'écransaccrochésen facede lui. Ildécrocha le

combiné de son téléphone et composa le numéro de la ligne directe deHouston. La ligne était sur répondeur. Il haussa les épaules et consulta samontre ; en Guyane, Ariane V quitterait sa rampe de lancement dans dixminutes.

*AprèsavoirinstalléLucassursonlit,l'épaulecaléepardeuxgroscoussins,

Zofiaserenditdanslapenderie.Elles'emparadelaboîteàcoutureposéesurl'étagèresupérieure,pritunebouteilled'alcooldansl'armoireàpharmaciedelasalledebainsetretournadanssachambre.Elles'assitprèsdelui,dévissaleflaconettrempalefilàcoudredansledésinfectant.Elleessayaensuitedelefairepasserautraversdel'aiguille.— Ta reprise va être un massacre, dit Lucas en souriant, narquois. Tu

trembles!— Pas lemoins dumonde ! répondit-elle, triomphante, alors que le lien

venaitenfindepasserdanslechasdel'aiguille.Lucas prit la main de Zofia et l'écarta doucement. Il caressa sa joue et

l'attiraverslui.

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—J'aipeurquemaprésencenesoitcompromettantepourtoi.—Jedoisavouerquelessoiréesentacompagniesontrichesenaléas.—Monemployeurn'aquefaireduhasard.—Pourquoit'aurait-ilfaittirerdessus?—Pourmemettreàl'épreuveetenarriverauxmêmesconclusionsquetoi,

jesuppose.Jen'aurais jamaisdûêtreblessé.Jeperdsdemespouvoirsà toncontact,etjepourraispresqueprierpourquelaréciproquesoitvraie.—Qu'est-cequetucomptesfaire?—Iln'oserapass'attaqueràtoi.Tonimmunitéangéliquelaisseàréfléchir.ZofiaregardaLucasaufonddesyeux.— Ce n'est pas de ça que je parle, qu'est-ce que nous ferons dans deux

jours?Duboutdudoigt,ileffleuraleslèvresdeZofia^elleselaissafaire.—Aquoipenses-tu?demanda-t-elle,troublée,enreprenantsasuture.—Le jouroù lemurdeBerlinest tombé, leshommeset les femmesont

découvert que leurs rues se ressemblaient.De chaque côté, desmaisons lesbordaient,desvoituresycirculaient,des réverbèresyéclairaient leursnuits.Bonheurs et malheurs n'allaient pas de même, mais les enfants de l'Ouestcomme de l'Est ont réalisé que l'opposé ne ressemblait pas à ce qu'on leuravaitraconté.—Pourquoidis-tuça?—Parcequej'entendsRostropovitchjouerduvioloncelle!—Quelmorceau?dit-elleenachevantsontroisièmepointdesuture.—C'estlapremièrefoisquejel'entends!Etlà,tuviensdemefairemal.Zofias'approchadeLucaspourcouperlaligatureavecsesdents.Elleposa

sa tête sur son torse et cette fois-ci s'abandonna. Le silence les liait. LucasglissaitlesdoigtsdesamainvaillantedanslacheveluredeZofia,berçantsatêtedecaresses.Ellefrissonna.—C'estcourtdeuxjours!—Oui,chuchota-t-il.—Nousseronsséparés.C'estinéluctable.Et,pourlatoutepremièrefois,ZofiacommeLucasredoutèrentl'éternité.

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—Onpourrait négocier qu'il te laisse repartir avecmoi ?ditZofia d'unevoixtimide.—OnnenégociepasavecPrésident,surtoutquandonluiafaitdéfautetde

toutefaçonjecrainsfortquel'accèsàtonmondenesoithorsdemaportée.—Maisavant, ilyavaitbiendespointsdepassageentre l'Estet l'Ouest,

non?dit-elleenapprochantànouveaul'aiguilleduborddelaplaie.Lucasgrimaçaetpoussauncri.—Là, tuesdouillet, je t'aiàpeine touché ! J'aiencorequelquespointsà

faire!Laportes'ouvritbrusquementetMathildeapparut,appuyéeaubalaiquilui

servaitdebéquille.— Je n'y suis pour rien si les murs de ton appartement sont en papier

mâché,dit-elleenboitantjusqu'àeux.Elles'assitaupieddulit.— Donne-moi cette aiguille, dit-elle autoritairement à Zofia, et toi,

approche-toi,ordonna-telleàLucas.Tuasunechancefolle,jesuisgauchère!Elle recousit les plaies d'unemain agile. Trois sutures de chaque côté de

l'épaulesuffirentàfermerlesblessures.—Deuxannéesdeviepasséesderrièreuncomptoir louchevousdonnent

des talents d'infirmière insoupçonnables, enfin, surtout quand on estamoureusedu taulier.A ce sujet d'ailleurs, j'aurais deux trois choses à vousdireàtouslesdeux,avantderetournermecoucher.Aprèsjeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourmeconvaincrequejesuisentraindedormiretquedemainmatinj'auraileplusgrandfouriredemavierienqu'enrepensantaurêvequejesuisentraindefaireencemoment.Sursabéquilledefortune,Mathilderepartitverssachambre.Surlepasde

laporteelleseretournapourlescontempler.—Peuimportequevoussoyezounoncequejecroisquevousêtes.Avant

de te rencontrer, Zofia, je pensais que les vrais bonheurs de cette terren'existaientquedanslesmauvaisbouquins,c'estcommeça,parait-il,qu'onlesreconnaissait.Mais c'est toi quim'as dit un jour que le pire d'entre nous atoujoursdesailescachéesquelquepart,qu'ilfautl'aideràlesouvriraulieudelecondamner.Alorsdonne-toiunevraiechance,parcequesij'enavaiseuuneaveclui,jepeuxt'assurer,mavieille,quejenel'auraispaslaissépasser.Quant

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àtoi, legrandblessé,si tu luifroissesneserait-cequ'uneplume, je terefaisdespointsdesutureavecuneaiguilleà tricoter.Etnefaitespasces têtes-là,quoiqu'ilvousfailleaffronter, jevousdéfendsformellementàtouslesdeuxde baisser les bras, parce que si vous renoncez, c'est le monde entier quibascule,entoutcaslemien!Laporteclaquaderrièreelle.LucasetZofiarestèrentmuets.Ilsécoutèrent

sonpasquiclaudiquaitsurleparquetdusalon.Desonlit,Mathildecria:—Depuis le temps que je te disais qu'avec tes airs de sainte-nitouche tu

faisais figure d'ange ! Eh bien, maintenant tu peux te les garder teshaussementsd'épaules,jen'étaispassiconnequeça!Elleprit l'interrupteurde la lampeposée sur leguéridonet tira le fild'un

coupsec.Ledisjoncteursautaimmédiatement.Lalumièredelalunefiltraautraversdesvoilagesde toutes lesfenêtresde l'appartement.Mathildeenfouitsatêteaufonddesonoreiller.Danssachambre,ZofiaseblottitcontreLucas.LesondesclochesdeGrâceCathedralentraparlafenêtreentrouvertedela

salledebains.Ledouzièmeéchorésonnaau-dessusdelaville.Ilyeutunenuit,ilyeutunmatin...

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5.

CinquièmeJour

L'aubeducinquièmejourselevaitettousdeuxdormaient.Lafraîcheurdupetitmatin portait les senteurs de l'automnepar la fenêtre ouverte.Zofia seblottit contreLucas.Engémissant,Mathilde l'avait sortie de son rêve agité.Elle s'étira et se figea aussitôt en réalisant qu'elle n'était pas seule. Elle fitglisserlentementlacouvertureetsortitdesonlitdansseshabitsdelaveille.Àpasdeloupellegagnalesalon.—Tuasmal?—Justeunemauvaisepositionetuneviolentedouleur, jesuisdésolée, je

nevoulaispasteréveiller.— Ça n'a aucune importance, je ne dormais pas vraiment. Je vais te

préparerunthé.Ellesedirigeaverslecoincuisineetcontemplalevisagemaussadedeson

amie.— Tu viens de gagner un chocolat chaud ! ditelle en ouvrant le

réfrigérateur.Mathildetiralerideau.Danslarueencoredéserte,unhommesortaitd'une

maison,tenantsonchienenlaisse.—J'adoreraisavoirunlabrador,maisàlaseuleidéededevoirlepromener

touslesmatinsjepourraismemettreauProzacenintraveineuse,ditMathildeenabandonnantlevoilage.— On est responsable de ce qu'on apprivoise et ça n'est pas de moi !

commentaZofia.—Tuasbienfaitdelepréciser.Vousavezdesplans,petitLuettoi?—Nousnousconnaissonsdepuisdeuxjours!Etpuisils'appelleLucas.—C'estbiencequejedis!

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—Non,nousn'avonspasdeplans!—Ehbien,çanepeutpasrestercommeça,onatoujoursdesplansquand

onestdeux!—Ettusorsçad'où?—C'estcommeça,ilyadesimagesdebonheurquel'onn'apasledroitde

retoucher, tu coloriesmais tu dépasses pas le trait !Alors un et un égalentdeux,deuxégalecoupleetcoupleégaleprojets,c'estainsietpasautrement!Zofiaéclatade rire.Le laitgrimpadans lacasserole,elle leversadans la

tasseetremualentementlapoudredechocolat.—Tiens,boisau lieudediredesbêtises,ditelleenapportant lebreuvage

fumant.Oùas-tuvuuncouple?— Tu es désolante ! Trois ans que je t'entends me parler de l'amour, et

blablabla. Ils servent à quoi tes contes de fées si tu refuses le rôle de laprincessedèslepremierjourdetournage.—Quellemétaphoreromantique!— Oui, eh bien, va métaphorer avec lui si ça ne te dérange pas ! Je te

préviensquesi tunefaisrien,dèsquecette jambeestréparéeje te lepiquesansvergogne.—Onverra.Lasituationn'estpasaussisimplequ'elleenal'air.—Tuenasdéjàvu,toi,deshistoiresd'amourquisontsimples?Zofia,je

t'ai toujours vue seule, c'est toi qui me disais : « Nous sommes seulsresponsablesdenotrefélicité»,ehbien,mavieille,tafélicitémesuredansles1,85mpourunpetit78kilosdemuscles,alors je t'enprie,nepassesurtoutpasàcôtédubonheur,c'estendessousqueçasepasse.—Ah!c'estvraimentmalinetdélicat!— Non, c'est pragmatique et je crois que « félicité » est en train de se

réveiller, alors si tu pouvais aller le voirmaintenant, parce que là vraimentj'aimeraisquetumefassesunpeud'air,allez,dégagedetonsalon,ouste!Zofiahochalatêteetrepartitverssachambre.Elles'assitaupieddulitet

guettaleréveildeLucas.S'étirerenbâillantluidonnaitunealluredefélin.Ilentrouvritlesyeux.Aussitôtsonvisages'éclairad'unsourire.—Tueslàdepuislongtemps?demanda-t-il.—Commentvatonbras?

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— Je ne sens presque plus rien, dit-il en effectuant un mouvement derotationdel'épauleaccompagnéd'unegrimacededouleur.—Etenversionnonmacho,commentvatonbras?—Çamefaitunmaldechien!—Alors, repose-toi. Jevoulais tepréparerquelquechose,mais jenesais

pascequetuprendsaupetitdéjeuner.—Unevingtainedecrêpesetautantdecroissants.—Caféouthé?répondit-elleenselevant.Lucaslacontempla,sonvisages'étaitobscurci,illasaisitparlepoignetet

latiraverslui.—Tuasdéjàeul'impressionquelemondetelaisseraitseulederrièrelui,la

sensationqu'enregardantchaquerecoindelapiècequetuoccupesl'espaceserétrécit, la conviction que tes vêtements avaient vieilli pendant la nuit, quedanschaquemiroirtonrefletjouelerôledetamisèresansaucunspectateur,sansquecelanet'apporteplusaucunsentimentdebien,depenserqueriennet'aimeetque tun'aimespersonne,que toutce rienneseraque levidede tapropreexistence?ZofiaeffleuraduboutdesdoigtsleslèvresdeLucas.—Nepensepascommeça.—Alors,nemelaissepas.—J'allaisjustetefaireuncafé.Elles'approchadelui.—Jenesaispassilasolutionexiste,maisnouslatrouverons,chuchota-t-

elle.—Jenedoispaslaissercetteépaules'engourdir.Vaprendretadouche,je

vaism'occuperdupetitdéjeuner.Elle accepta de bonne grâce et s'éclipsa. Lucas regarda sa chemise

suspendueaumontantdulit:lamancheétaitmaculéed'unsangdevenunoir,il l'arracha. Ilavança jusqu'à lafenêtrequ'ilouvritetcontempla les toitsquis'étendaient sous lui ; la corne de brume d'un grand cargo soufflait dans labaie,commeenréponseauxclochesdeGrâceCathedral.Ilroulaenbouleletissutachéetlejetaauloinavantderefermerlecarreau.Puisilfitquelquespas vers le seuil de la salle de bains et colla son oreille à la porte. Le

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ruissellementdel'eauleréchauffasoudain,ilinspiraprofondémentetsortitdelachambre.—Jevaisfaireducafé,vousenvoulez?demanda-t-ilàMathilde.Elleluimontrasatassedechocolatchaud.—J'aiarrêté lesexcitantsavec le reste,mais j'aientendupour lescrêpes,

alorsjemecontenteraidedixpourcentduhold-up.—Cinqpourcentmaximum,répondit-ilenserendantderrièrelecomptoir,

etuniquementsivousmeditesoùsetrouvelacafetière.—Lucas,hiersoir,j'aientenduquelquesbribesdevotreconversationetily

avaitvraimentdequoisepincer.Àl'époqueoùjemedroguais,jenedispas...jenemeseraisposéaucunequestion.Maislà, jenepensepasquel'aspirineprovoquedestripspareils,alorsdequoiparliez-vousexactement?—Nousavionsbeaucoupbu tous lesdeux,nousdevionsdirepasmalde

bêtises, ne vous inquiétez pas, vous pouvez continuer les antalgiques sanscraintedeseffetssecondaires.Mathilde regarda la veste qu'il portait la veille, elle était suspendue au

dossierdelachaise,sondosétaitcribléd'impactsdeballes.—Etquandvousprenezunecuite,vousfaitestoujoursunepartiedetiraux

pigeons?—Toujours!répondit-ilenouvrantlaportedelachambre.— En tout cas, elle est plutôt bien coupée pour une veste en kevlar,

dommagequevotretailleurn'aitpasrenforcélesépaulettes.—Jeleluiferairemarquer,comptezsurmoi.—Jecomptesurvous!Bonnedouche.Reine entra dans l'appartement, elle posa le journal et un gros sachet de

pâtisseriessurlatable,dévisageantMathildeseuledanslapièce.—QuitteàfaireBed&Breakfast,autantquepersonnenecritiquelabonne

tenue du petit déjeuner, ça pourrait nuire à ma future clientèle, on ne saitjamais.Lestourtereauxsontréveillés?—Danslachambre!ditMathildeenlevantlesyeuxauciel.—Quandje luiaiditquelecontrairedetoutc'estrien,ellem'avraiment

priseaupieddelalettre.—Vousn'avezpasvul'animaltorsenu!

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—Non,maisàmonâge,tusais,çaouunchimpanzé,çanefaitplusgrandedifférence.Reinedisposait lescroissantssurunegrandeassietteenregardantlaveste

deLucasd'unairintrigué.—Tuleurdirasqu'ilsévitentleteinturierauboutdelarue,c'estlemien!

Bon,jeredescends!Etelledisparutdanslacaged'escalier.ZofiaetLucass'assirentautourdelatablepourpartageràtroislerepasdu

matin. Dès que Lucas eut avalé la dernière viennoiserie, ils rangèrent lacuisine et installèrent Mathilde confortablement dans son lit. Zofia décidad'entraînerLucasdans sa journéequi commençait par unevisite auxdocks.Ellepritsonimperméableauportemanteau,Lucaslançaunregarddégoûtéauvestonenpiteuxétat.Mathildeluifitremarquerqu'unechemiseàunemancheétait peut-être un peu trop originale pour le quartier. Elle possédait unechemised'hommedanssesaffairesetacceptaitdelaluiprêteràlaconditionqu'ilpromettedelaluirendretellequ'ill'avaitportée;illaremercia.Quelquesminutesplustard,ilss'apprêtaientàsortirdanslaruequandlavoixdeReinelesrappelaàl'ordre.Ellesetenait,mainssurleshanches,aumilieudel'entréeettoisaitLucas.—Àvousvoircommeça,onadebonnesraisonsdepenserquevousêtes

de constitution solide, mais n'allez quand même pas tenter le diable enattrapantfroid.Suivez-moi!Elles'engouffradanssonappartementetouvritsavieillearmoire.Laporte

en bois grinça sur ses gonds.Reine écarta quelques affaires pour sortir unevestequipendaitsuruncintre,qu'elletenditàLucas.—Ellen'est plusdepremière jeunesse, quoique le prince-de-gallesne se

démoderajamais,sivousvoulezmonavis,etpuisletweed,çatientchaud!ElleaidaLucasàpasserlevestonquisemblaitavoirétécoupésurluitantla

carrureétaitparfaitementajustéeetregardaZofia,l'œilencoin.—Necherchepasàsavoiràquielleappartenait,veux-tu!Àmonâgeon

faitcequ'onveutdesessouvenirs.Elle se plia en deux pour prendre appui sur le rebord de la cheminée en

faisantunedrôledegrimace.Zofiaseprécipitaverselle.

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—Qu'est-cequevousavez,Reine?—Unriendutout,justeunedouleurauventre,pasdequoit'affoler.—Vousêtestoutepâleetvousavezl'airépuisée!—Jenesuispasalléeausoleildepuisdixans,etpuisàmonâge,tusais,il

fautbienseréveillerfatiguéeunmatinoul'autre.Netefaisdoncpasdesouci.—Vousnevoulezpasquel'onvousemmènevoirunmédecin?—Ilnemanqueraitplusqueça!Qu'ilsrestentdoncchezeuxtesdocteurs,

etmoijerestechezmoi!Iln'yaquecommeçaquejem'entendsbienaveceux.Elleleurfitunsignedelamainquivoulaitdire«allez,allez,vousavezl'air

aussipressésl'unquel'autre,partezd'ici».Zofiahésitaavantd'obtempérer.—Zofia?—Oui,Reine?—Cetalbumquetuvoulaistantvoir,jecroisquejeseraiscontentedetele

montrer. Mais ces photos sont un peu particulières, je voudrais que tu lesdécouvresàlalumièredelafindujour.C'estcellequileshabillelemieux.—Commevouslevoudrez,Reine.—Alorsviensmevoiràcinqheurescesoiretsoisprécise,jecomptesur

toi.—Jeserailà,c'estpromis.—Et,maintenant,filez,touslesdeux,jevousaiassezretardéscommeça

avec mes histoires de vieille bonne femme ! Lucas, prenez soin de cetteveste...jetenaisplusquetoutàl'hommequilaportait.Lorsque la voiture s'éloigna, Reine abandonna le rideau de sa fenêtre et

maugréatouteseuleenarrangeantl'undesbouquetsquifleurissaientsatable.—Levivre,lecouvert,ilnerestaitplusquelelinge!IlsdescendirentCaliforniaStreet.Aufeuquimarquaitl'arrêtàl'intersection

de Polk Street, ils se trouvèrent juste à côté de la voiture de l'inspecteurPilguez.Zofiabaissa savitrepour le saluer. Il écoutait sa radiodebordquicrachouillaitunmessage.—Jenesaispascequisepassecettesemaine,maisilssonttousentrainde

devenir fous, c'est la cinquième rixe qui dégénère dansChinatown. Je vous

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laisse,passezunebonnejournée,leurdit-ilendémarrant.Lavoituredupolicierbifurquasurlagauchesirènehurlante,laleurs'arrêta

dixminutes plus tard au bout du quai 80. Ils regardèrent le vieux cargo sebalancernonchalammentauboutdesescordages.— J'ai peut-être trouvé une idée pour empêcher l'inévitable, dit Zofia, te

rameneravecmoi!Lucasladévisagea,inquiet.—Oùça?—Chezlesmiens,reparsavecmoi,Lucas!— Et comment ? Par la grâce du Saint-Esprit ? répondit Lucas

ironiquement.—Quandonneveutpasretournerchezsonemployeur,ilfautfairetoutle

contrairedecequel'onattenddevous.Fais-toivirer!— Tu as lu mon CV ? Tu crois que je peux l'effacer ou le récrire en

quarante-huitheures?Etquandbienmême,crois-tuvraimentquetafamillem'accueilleraitlesbrasgrandsouverts,lecœurauréolédebonnesintentions?Zofia, jen'auraipas franchi le seuilde tamaisonqu'unehordedegardes sejetterasurmoipourmerenvoyerlàd'oùjeviens,etjedoutequeleretoursefasseenpremièreclasse.—J'aidédiémonâmeauxautres,àlesconvaincredenejamaisserésigner

àlafatalité,alorsmaintenantc'estmontour,c'estàmoidegoûteraubonheur,àmoid'êtreheureuse.Leparadisgagné,c'estd'êtredeux,jel'aimérité!—Tudemandesl'impossible,leuroppositionesttropgrande,jamaisilsne

nouslaisserontnousaimer.— Il suffirait d'un peu d'espoir, d'un signe. Toi seul peux décider de

changer,Lucas,donne-leurunepreuvedebonnevolonté.—Jevoudraistellementquetudisesvraietquecelasoitsifacile.—Alors,essaie,jet'ensupplie!Lucass'amuïtet lesilencerégna.Ils'éloignadequelquespasversl'étrave

rouilléedugrandnavire.Achaqueclaquementdesesamarresquisetendaientdansdesgrincementssauvages,leValparaisoprenait l'allured'unanimalquisebattraitpourlaliberté,pourchoisirsadernièredemeure:unbeaunaufrage

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degrandlarge.—J'aipeur,Zofia...—Moiaussi.Laisse-moit'emmenerdansmonmonde,j'yguideraichacun

detespas,j'apprendraitesréveils,j'inventeraitesnuits,jeresteraiprèsdetoi.J'effacerai tous lesdestins tracés, recoudrai toutes lesblessures.Tes joursdecolère, je lierai tesmains dans ton dos pour que tu ne te fasses pasmal, jecolleraimaboucheàlatiennepourétouffertescrisetrienneseraplusjamaispareil,etsituesseulnousseronsseulsàdeux.Illapritdanssesbras,effleurasajoueetcaressasonoreilledutimbregrave

desavoix.—Situsavaistouslescheminsquej'aiemployéspourarriveràtoi.Jene

savaispas,Zofia, jemesuistrompésisouvent,et j'airecommencéàchaquefois avec plus de joie encore, plus de fierté. Je voudrais que notre tempss'arrête pour pouvoir le vivre, te découvrir et t'aimer comme tu le mérites,maisce tempslànous liesansnousappartenir. Jesuisd'uneautresociétéoùtoutn'estquepersonne,toutn'estqu'unique;jesuislemal,toilebien,jesuistadifférence,maisjecroisquejet'aime,alorsdemande-moicequetuveux.—Taconfiance.Ils quittèrent la zone portuaire et la voiture remonta 3rd Street. Zofia

cherchaitunegrandeartère,unlieupleindepassage,traverséd'hommesetdevéhicules.

*Blaiseentradanslegrandbureau,penaud,leteintblafard.—C'estpourmoncoursparticulierd'échecs? clamaPrésident en faisant

lescentpaslelongdel'infiniebaievitrée.Redéfinis-moilanotionde«mat».Blaisetiraàluiungrosfauteuilnoir.—Restedebout,crétin!Etpuisnon,finalementassieds-toi,moinsjevois

ta personnemieux jemeporte !Doncpour résumer la situation, notre éliteauraitvirédebord?—Président...—Tais-toi!Tum'asentendutedemanderdeparler?As-tuaperçusurma

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bouchequemesoreillesavaientenvied'entendrelesondetavoixnasillarde?—Je...—Tutetais!PrésidentavaithurlésifortqueBlaiseenrétrécitdecinqbonscentimètres.—Iln'estpasquestionquenousleperdionsànotrecause,repritPrésident,

etiln'estpasquestionquenousperdionstoutcourt.J'attendaiscettesemainedepuisl'éternitéetjenetelaisseraipastoutgâcher,minuscule!Jenesaispasquelleétait tadéfinitionde l'enfer jusqu'àprésent,mais j'enaipeut-êtreunenouvelleàvenirpourtoi!Tais-toiencore!Faisbienensortequejenevoieplusbougerteslèvresadipeuses.Tuasunplan?Blaise prit une feuille et griffonna quelques lignes à la hâte. Président

s'empara de la note et la lut en s'éloignant vers le bout de la table. Si lavictoire semblait compromise, la partie pouvait être interrompue, elle seraitalorsàrejouer.BlaiseproposaitderappelerLucasavantl'heure.Ivrederage,LuciferroulalepapierenbouleavantdelejetersurBlaise.—Lucasmelepaieratrèscher.Ramène-leiciavantlanuit,etnet'avisepas

deratertoncoupcettefois-ci!—Ilnereviendrapasdesonpleingré.—Tusous-entendraisquesavolontéseraitsupérieureàlamienne?—Jesous-entendssimplementqu'ilfaudraqu'ilmeure...— ... En oubliant un petit détail... c'est déjà fait depuis longtemps,

imbécile!—Siuneballeapuletoucher,d'autresmoyensdel'atteindreexistent.—Alors,trouve-lesaulieudeparler!Blaises'éclipsa,ilétaitmidi.Lejours'effaceraitdanscinqheures,cequilui

laissait peu de temps pour rédiger les termes d'un redoutable contrat.Organiserlemeurtredesonmeilleuragentnelaissaitaucuneplaceauhasard.

*La Ford était garée à l'intersection de Polk et de California, face à une

grande surface. A cette heure de la journée le ruban de véhicules étaitininterrompu.Zofiaavisaunhommeâgéquisemblaithésiteràs'engageravec

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sacannesurlepassageclouté.Letempsimpartipourfranchirlesquatrefilesétaittrèscourt.—Etquefait-onmaintenant?ditLucasd'unairdésabusé.—Aide-le!répondit-elleendésignantlevieuxpiéton.—Tuplaisantes?—Paslemoinsdumonde.—Tuveuxque je fasse traverserunboulevardàunvieillard?Çaneme

semblepastrèscompliqué...—Alorsfais-le!—Ehbien,jevaislefaire,ditLucasens'éloignantàreculons.Ils'approchadel'hommeetrevintaussitôtsursespas.—Jenevoispasl'intérêtdecequetumedemandes.—Tupréfèrescommencerenpassantl'après-midiàremonterlemoralàdes

personneshospitalisées?Cen'estpastrèscompliquénonplus,ilsuffitdelesaider à faire leur toilette, prendre de leurs nouvelles, les rassurer surl'évolutiondeleurétat,t'asseoirsurunechaiseetleurlirelejournal...—C'estbon!Jevaism'enoccuperdetoncrouletabille!Ils'éloignaànouveau...pourrejoindreaussitôtZofia.—Je tepréviens, si lepetitmouflet en face,qui joueavec son téléphone

caméradigitale,prenduneseulephoto,jel'envoiejouerausatellited'uncoupdepiedaucul!—Lucas!—Çava,çava,j'yvais!Sansménagement, Lucas entraîna par le bras l'homme qui le dévisageait

d'unairétonné.— Tu n'étais pas venu compter les voitures, à ce que je sache ! Alors

accroche-toiàtacanneoutuvasgagnerlatraverséeensolitairedeCaliforniaStreet!Le feu passa au rouge et l'équipage s'engagea sur le macadam. À la

deuxièmebandezébrée,lefrontdeLucassemitàperler,àlatroisièmeileutl'impressionqu'unecoloniedefourmisavaitéludomiciledanslesmusclesdeses cuisses, une crampe violente le saisit à la quatrième bande. Son cœurbattaitlachamadeetl'airpeinaitdeplusenplusàtrouversespoumons.Avant

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d'atteindre le milieu de la chaussée, Lucas suffoquait. La zone protégéeautoriseraitunehalte,imposéedetoutefaçonparlacouleurdufeuquivenaitdevirerauvert,toutcommelevisagedeLucas.—Toutvabien, jeunehomme?demandalevieuxmonsieur.Voulez-vous

que jevousaideà traverser?Restezaccrochéàmonbras,cen'estplus trèsloin.Lucas s'empara dumouchoir en papier qu'il lui tendait pour éponger son

front.—Jenepeuxpas!dit-ild'unevoixtremblotante.Jen'yarrivepas!Jesuis

désolé,désolé,désolé!Et il s'enfuit en courant vers la voiture où Zofia l'attendait, assise sur le

capot,brascroisés.—Tucompteslelaisserlà?—J'aifailliylaissermapeau!dit-il,haletant.Elle n'écoutamême pas la fin de sa phrase et se précipita aumilieu des

voituresquiklaxonnaientpourrejoindrelaplate-formecentrale.Elleagrippalevieuxmonsieur.—Jesuisconfuse, terriblementconfuse,c'estundébutant,c'était sa toute

premièrefois,ditelle,affolée.L'hommesegrattal'arrièredelatêteenregardantZofiad'unœildeplusen

plusintrigué.Alorsquelefeupassaitaurouge,LucasappelaZofia.—Laisse-lelà!cria-t-il.—Qu'est-cequetudis?—Tum'astrèsbienentendu!J'aifaitlamoitiéducheminpourtoi,àton

tourdefairel'autre,versmoi.Laisse-lelàoùilest!—Tuesdevenufou?—Non,logique!J'ailudansunmagnifiquelivredeHiltonqu'aimerc'est

partager, fairechacununpasvers l'autre !Tum'asdemandé l'impossible, jel'aifaitpourtoi,accepteaussiderenonceràunepartdetoi-même.Laissecethommelàoùilest.C'estlepetitvieuxoumoi!Levieilhommetapotal'épauledeZofia.—Jeneveuxpasvousinterrompre,maisvousallezvraimentfinirparme

mettreenretardavectoutesvoshistoires.Allezdoncrejoindrevotreami!

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Etsansplusattendre,l'hommetraversal'autremoitiédel'avenue.Zofia retrouvaLucas adossé à la voiture, elle avait le regard triste. Il lui

ouvritlaportière,attenditqu'elles'asseyeetpritplacederrièrelevolant,maislaFordrestaimmobile.—Nemeregardepascommeça,jesuissincèrementnavrédenepasavoir

puallerjusqu'aubout,dit-il.Elleinspiraprofondémentpourluirépondre,songeuse:—Il fautcentanspourquepousseunarbre,quelquesminutesseulement

pourlebrûler...—Sûrement,maisoùveux-tuenvenir?—Jeviendraivivredanstamaison,c'esttoiquim'yemmèneras,Lucas.—Tun'ypensespas!—Bienplusquetunel'imagines.—Jenetelaisseraipasfaireça,enaucuncas.—Jereparsavectoi,Lucas,unpointc'esttout.—Tun'yarriveraspas.—C'esttoiquim'asditdenepasmesousestimer.C'estunvraiparadoxe,

maislestiensm'accueillerontàbrasouverts!Apprends-moilemal,Lucas!Il regarda longuement sa beauté singulière. Perdue dans le silence d'un

entre-deux-univers, elle était résolue à un voyage dont elle ignorait ladestinationmaisdontl'intentionluiôtaittoutepeur.Et,pourlapremièrefois,l'envie devint plus forte que la conséquence, pour la première fois, aimerprenaitunsensdifférentde toutcequ'elleavaitpu imaginer.Lucas reprit larouteetroulaàviveallureverslesbasquartiers.

*Surexcité, Blaise décrocha son téléphone et bafouilla qu'on lui passe

Président,ouplutôtqu'on lepréviennedesavisite imminente. Ilessuyasesmainssursonpantalonetretiralacassettedel'enregistreur.Trottinantverslefond du couloir aussi vite que ses petites jambes le portaient, Blaise avaitvraimenttoutducanard.Aussitôtaprèsavoirfrappé,ilentradanslebureaudePrésident,quilereçutenlevantunemainenl'air.

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—Tais-toi!Jesaisdéjà!—J'avaisraison!neputs'empêcherdeclamerl'ineffableBlaise.—Peut-être!réponditPrésidentd'unairhautain.Blaisefitunpetitsautdecontentementettapadanssonpoingdetoutesses

forces.—Vous l'aurezvotre échec etmat ! jubilait-il d'unevoix comblée.Parce

que j'avais vu juste, Lucas est un pur génie ! Il a converti leur élite à nosdesseins,quellesublimevictoire!Blaisedéglutitavantdereprendre:—Ilfautinterromprelaprocédureimmédiatement,maisj'aibesoindevotre

signature.Luciferselevapourallermarcherlelongdelabaievitrée.—MonpauvreBlaise,tuessibêteque,certainsjours,jemedemandesita

présence ici n'est pas une erreur d'orientation. A quelle heure sera exécuténotrecontrat?—L'explosionauralieuàdix-septheuresprécises,répondit-ilenconsultant

fébrilementsamontre.... Ce qui leur laissait exactement quarante-deux minutes pour annuler

l'opérationqueBlaiseavaitsavammentpréparée.—Nousn'avonspasunesecondeàperdre,Président!—Nousavonstoutletemps,nousassureronsnotrevictoiresansprendrele

moindrerisquederédemption.Nousnechangeonsrienàcequiétaitprévu...àun détail près..., ajouta Satan en se frottant lementon, nous les ramèneronstouslesdeux,àcinqheuresprécises!—Mais quelle sera la réaction de notre adversaire ? demandaBlaise qui

cédaitàl'affolement.— Un accident est un accident ! Ce n'est quand même pas moi qui ai

inventélehasard,àcequejesache?Prépareuneréceptionpourleurarrivée,tun'asquequaranteminutes!

*LecroisementdeBroadwayetdeColombusAvenueétaitdepuistoujoursle

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lieudeprédilectiondetouslesvicesdugenrehumain:ladrogue,lescorpsdefemmes et d'hommes abandonnés par la vie s'y échangeaient à l'abri desregards indiscrets. Lucas se rangea à l'entrée d'une ruelle étroite et sombre.Sous un escalier délabré une jeune prostituée subissait les brutalités de sonsouteneurquiluiinfligeaitunecorrectionmagistrale.— Regarde bien, dit Lucas ! Le voilà mon univers, l'autre visage de la

nature humaine, celui que tu veux combattre. Va chercher ta part de bontédanscetasd'immondices,ouvretesyeuxengrand,sanscompromis,tuverrasla pourriture, la déchéance, la violence à son état brut.La putain quimeurtdevanttoisefaitsouiller,dérouilleràencrever,sansopposerderésistanceàl'hommeàquionl'avendue.CommecetteTerre,illuirestequelquesinstantsdevie,quelquesfrappesencoreetellerendrasonâmedéchue.Voilàlaraisondecepariterriblequinouslie.Tuvoulaisquejet'apprennelemal,Zofia?Ilme suffit d'une leçon pour que toute sa dimension t'appartienne et tecompromettepourtoujours.Traversecetteruelle,acceptedenepasintervenir,tu verras, c'est d'une simplicité déconcertante de ne rien faire ; fais commeeux,passetonchemindevantcettemisère,jet'attendraidel'autrecôté;quandtuserasarrivéelà-bas,tuauraschangé.Cepassage,c'estceluidel'entre-deux-mondes,sansespoirderetour.Zofia descendit de la voiture, qui s'éloigna. Elle s'engagea dans une

pénombreoùchaquepasluisemblaitpluslourd.Elleportasonregardauloinet de toutes ses forces elle essaya de résister. Sous ses pieds, la ruelles'étendait à l'infini en un tapis de détritus épars qui maculaient le pavétortueux.Lesmursétaientnoir-de-gris,ellevitSarah,laprostituée,accabléeparles

coups qui pleuvaient en rafales. Sa bouche était meurtrie de multiplesblessures dont s'échappait un sang filant, aussi noir que l'abîme, sa têtechancelait, son dos n'était que déchirures, ses côtes craquaient l'une aprèsl'autresousledéchaînementdesviolences,maissoudainementelleluttait.Elleluttaitpournepastomber,nepaslaissersonventreàlamercidestalonnadesquiachèveraientlepeudeviequiluirestait.Lepoinglancésursamâchoireenvoyasa têteheurter lemur, lechoc fut inouï, la résonanceà l'intérieurdesoncrâne,terrible.Sarah lavit,commeuneultime lueurd'espoir,commeunmiracleoffertà

cellequicroyaitenDieudepuisjamais.AlorsZofiaserralesdents,lespoings,passasonchemin...etralentit.Derrièreelle,lafemmemitungenouàterre,ne

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trouvantpluslaforcemêmedegémir.Zofianevoyaitpaslamaindel'hommequiselevaitcommeunmailletau-dessusdelanuquerésignéedelaprostituée.Dansunbrouillarddelarmes,submergéed'unenauséeindicible,ellereconnutàl'autreboutdelaruellel'ombredeLucasquil'attendait,lesbrascroisés.Elles'arrêta,sonêtretoutentiersefigeaetellehurlasonnom.Dansuncri

d'unedouleurqu'ellenepouvait imaginer,elle l'appelasi fortqu'elledéchiratouslessilencesdumonde,condamnatouslesabîmes,letempsd'unefractiondesecondequepersonnenevit.Lucascourutjusqu'àelle,ladépassaetsaisitl'homme,qu'ilenvoyarouleràterre.Cedernierserelevaaussitôtetfonçaverslui. La violence de Lucas fut indescriptible et l'homme se disloqua. En sevidant de son sang, il trahissait la tragédie de son arrogance défaite, ultimeterreurqu'ilemportaitdanslamort.Lucass'accroupitdevantlecorpsinanimédeSarah.Ilpritsonpouls,glissa

sesmainssouselleetlasoulevadanssesbras.— Viens, dit-il à Zofia d'une voix douce. Nous n'avons pas de temps à

perdre,tuconnaismieuxquepersonnelechemindel'hôpital,jevaisconduire,tumeguideras,tun'espasenétat.Ilsallongèrentlajeunefemmesurlabanquette,Zofiapritlegyropharedans

laboîteàgantsetenclenchalasirène.Ilétaitseizeheurestrente,laFordfilaità toute allure vers le San FranciscoMémorial Hospital, ils y seraient dansmoinsd'unquartd'heure.Dèssonarrivéeauxurgences,Sarahfutimmédiatementpriseenchargepar

deux médecins dont un réanimateur. Elle souffrait d'un enfoncement de lacage thoracique, les radios crâniennes révélèrent un hématome au lobeoccipital sans lésion cérébrale apparente et un polytraumatisme facial. Unscannerconfirmeraitquesesjoursn'étaientpasendanger.Ils'enétaitfalludepeu.LucasetZofiaquittèrentleparking.—Tuespâlecommeunlinceul,cen'estpastoiquil'asfrappé,Zofia,c'est

moi.—J'aiéchoué,Lucas,jenesuispaspluscapablequetoidechanger.—Jet'auraishaïed'avoirréussi.C'estcequetuesquimetouche,Zofia,pas

ce que tu deviendrais pour t'accommoder de moi. Je ne veux pas que tuchanges.—Alorspourquoituasfaitça?

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—Pourquetucomprennesquemadifférenceestaussilatienne,pourquetunemejugespasplusquejenetejuge,parcequecetempsquinouséloigneennousfaisantdéfautpourraitaussinousrapprocher.Zofiaavisalapenduletteincrustéedansletableaudebordetsursauta.—Qu'est-cequetuas?—Jevaismanqueràlapromessequej'aifaiteàReine,etjevaisluifairede

lapeine.Jesaisqu'elleadûpréparerun thé,cuisinersessablés tout l'après-midi,etqu'ellem'attend.—Cen'estpassigrave,ellet'excusera.— Oui, mais elle sera déçue, je lui avais juré d'être ponctuelle, c'était

importantpourelle.—Quandaviez-vousrendez-vous?—Àdix-septheuresprécises!Lucasregardasamontre, ilétaitcinqheuresmoinsdix,et le traficdevant

euxleurlaissaitpeud'espoird'honorerlapromessedeZofia.—Tuaurasunquartd'heurederetardtoutauplus.—Ilseratroptard, le jourseratombé.Elleavaitbesoinpourmemontrer

ses photos d'une certaine lumière, commed'un soutien, unprétexte à ouvrircertaines pages de sa mémoire. J'ai tellement œuvré pour que son cœur selibère,jeluidevaisd'êtreàsescôtés.Jenesuisvraimentplusgrand-chose.LucasregardasamontreetcaressalajouedeZofiaenfaisantlamoue.—Onvarefaireunpetittourdemanègeengyrophareetensirène,ilnous

resteseptminutespourêtredanslestemps,vraimentpasdequoienfairetouteuneéternité!Accrochetaceinture!LaForddéboîtaaussitôtsurlafiledegaucheetremontaCaliforniaStreetà

touteallure.Danslenorddelaville,touslesfeuxs'alignèrentpourformerunealléemagistraledefanauxrouges,libéranttouslescarrefourssurleurpassage.

*—Oui, oui, j'arrive ! répondit Reine à la petite sonnette qui carillonnait

l'achèvementdelacuisson.

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Ellesebaissapoursortirlapâtisseriedelagazinière.Laplaquechaudeétaitbien trop lourde pour qu'elle puisse la tenir d'une seulemain. Elle laissa laportedufourouverteetdéposalagalettesurl'établienémail.Prenantgardedenepas sebrûler, elle la fitglisser suruneplanchedebois,pritune lamelarge et fine et commença à découper des parts. Elle épongea son front etsentit quelques gouttes qui fuyaient dans sa nuque. Elle n'avait jamais desueur:sansdouteétait-cecettepesantefatiguequil'avaitsaisielematinetnel'avaitpasquittéedepuis.Elleabandonnalegâteauuninstantpourallerdanssachambre.Uncourantd'airentraalorsdans lapièceet tourbillonna jusquederrièrelecomptoir.QuandReinerevint,elleregardal'horloge,pressantlepaspourdisposer les tasses sur leplateau.Dans sondos, l'unedes septbougiesposées sur le plan de travail s'était éteinte, celle qui était le plus près de lacuisinièreàgaz.

*LaFordbifurquadansVanNessetLucasprofitaduviragepourconsulter

sa montre, ils avaient encore cinq minutes devant eux pour être à l'heure,l'aiguilleducompteurgrimpad'uncran.

*Reineavançaverslavieillearmoireetenouvritlaportequigrinçadetout

sonbois.Samainsi joliment tachéepar lesannéessefaufilasous lapiledelingeendentelled'antan, lesdoigts fragiles se refermèrent sur le registreencuircraquelé.Ellefermasespaupièresethumalacouverturedurecueilavantdeleposeràmêmelesol,surletapisaumilieudusalon.Ilneluirestaitplusqu'àfairechaufferl'eauettoutseraitfinprêt,Zofiaarriveraitd'uneminuteàl'autre ; elle sentit son cœur battre un peu plus vite et s'attacha à contrôlerl'émotionqui lagagnait.Elle retournavers la cuisine et sedemandaoùelleavaitbienpurangerlesallumettes.

*

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Zofias'accrochaitdumieuxqu'ellelepouvaitàladragonneau-dessusdelaportière,Lucasluisourit.—Si tu savais lenombredevoituresque j'ai conduites, jen'enai jamais

éraflé une seule ! Encore deux petits feux et nous arriverons dans ta rue.Détends-toi,iln'estquecinqheuresmoinsdeux.

*Reine fouilla le tiroir du buffet, puis celui de la desserte, enfin ceux du

garde-manger, sans résultat. Elle tira le rideau sous le comptoir et regardaattentivement sur les étagères. En se relevant elle ressentit comme un légervertigeetsecoualatêteavantdecontinuersesrecherches.—Maisoùai-jebienpulesmettre?maugréat-elle.Elleregardaautourd'elleettrouvaenfinlapetiteboîteposéesurlerebord

delacuisinière.—Etl'eau,tulaverraisdevantlamer?sedit-elleentournantlamolettedu

brûleur.

*Lespneusdelavoiturecrissèrentdanslacourbe,Lucasvenaitdes'engager

dans Pacific Heights et la maison n'était plus qu'à cent mètres. Il annonçafièrement àZofia qu'au pire elle aurait quinze petites secondes de retard. Ilcoupalasirène...et,danssacuisine,Reinecraqual'allumette.L'explosion souffla instantanément toutes les vitres de la maison. Lucas

appuyadesdeuxpiedssurlapédaledufrein,laFordfituneembardée,évitantde justesse la porte d'entrée expulsée aumilieude la rue.Zofia etLucas seregardèrent, horrifiés, le rez-de-chaussée était la proie des flammes, il leurétait impossibledefranchiruntelmurdefeu.Ilétaitdix-septheures... justepasséesdequelquessecondes.Mathilde avait été projetée au milieu du salon. Autour d'elle, tout était

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renversé : le petit guéridon gisait sur son côté, le cadre au-dessus de lacheminées'étaitbriséentombant,éparpillantmilleéclatsdeverresurletapis.Laportedu réfrigérateurpendait sur sesgonds, legrand lustre sebalançait,dangereusement accroché audominodes fils électriques.Uneâcreodeurdefumées'infiltraitdéjàparleslambourdesduplancher.Mathildeseredressaetpassasesmainssur sonvisagepourenchasser lapoussièredusinistre.Sonplâtreétaitfissurésurtoutesalongueur.Déterminée,elleenécartalesbordsetle jeta loin devant elle. Réunissant toutes ses forces, elle prit appui sur ledossierdelachaiserenverséeetsereleva.Ellesefaufilaenboitantparmilesdécombres,touchalaported'entréeet,commecelle-cin'étaitpaschaude,ellesortit sur lepalier et avança jusqu'à labalustrade.Sepenchant, elle avisa lecheminqu'ellepourraitsefrayerautraversdesnombreuxfoyersdel'incendie,puisentrepritdedescendrel'escalier,ignorantlesfulgurancesdanssajambe.Latempératuredanslehallétaitinsoutenable,illuisemblaitquesessourcilset ses cheveux allaient s'embraser d'une seconde à l'autre. Devant elle, unepoutre incandescente se décrocha du plafond, entraînant dans sa chute unepluie de braises rougeoyantes. Le concert des craquements de bois étaitassourdissant,l'airqu'elleaspiraitluibrûlaitlespoumons,àchaqueinspirationMathilde s'asphyxiait.Ladernièremarche réveilla tropvivement sadouleur,elle fléchitet s'étalade toutson long.Aucontactdusol,elleprofitadupeud'oxygène qui restait dans la pièce. Elle inspira et expira au prix de grandsefforts,etrecouvrasesesprits.Sursadroite,lemurétaitéventré,illuisuffiraitde ramperquelquesmètrespour sauver savie,mais sur sagauche, àmêmedistance,Reine gisait sur le dos.Leurs regards se croisèrent au travers d'unvoiledefumée.D'ungestedelamain,Reineluiditdes'enalleretluimontralepassage.Mathildeserelevaenhurlantsadouleur.Contractantsesmâchoiresàs'en

briser les dents, elle avança vers Reine. Chaque pas infligeait un coup depoignarddanssachair.Ellerepoussaleslambeauxdeboiseriesléchésparlefeuetcontinuad'avancer.Elleentradansl'appartementets'allongeaàcôtédeReinepourreprendresonsouffle.—Jevais vous aider à vous relever, et vousvous accrocherez àmoi, dit

Mathildeenhaletant.Reine clignades yeux en signed'acquiescement.Mathildepassa sonbras

souslanuquedelavieilledameetentrepritdelasoulever.

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La souffrance fut insoutenable, une constellation d'étoiles l'éblouit, elleperditl'équilibre.—Sauve-toi,ditReine,nediscutepasetparsd'ici.DisdemapartàZofia

quejel'aime,disluiaussiquej'aiadorémesconversationsavectoi,quetuestrès attachante. Tu es une fille formidable, Mathilde, tu as un cœur groscommeunananas,alorsessaiejustedemieuxchoisirceluiàquituoffresdesquartiers, allez, file tant qu'il est temps. De toute façon, je voulais qu'ondisperse mes cendres autour de ma maison, alors, à quelques détails près,j'auraiétéexaucée.—Vouscroyezqu'ilyaunepetitechancepourquejesoismoinstêtueque

vous à votre âge ? Je reprends mon souffle et on recommence dans deuxsecondes,onpartirad'icitouteslesdeux...oupas!Lucasapparutdansl'embrasure,ilavançaitverselles.Ils'agenouilladevant

Mathildeetluiexpliquacommenttoustroissortiraientdubrasier.Ilôtalevestonentweed,couvritlatêtedeReinepourprotégersonvisage,

lapritdanssesbrasetsereleva.Quandildonnalesignal,Mathildes'accrochaà ses hanches et le suivit, parfaitement collée à son corps qui faisait écran.Quelquessecondesplustard,touslestroiséchappaientàl'enfer.LucasretenaitReinedanssesbras,Mathildes'abandonnaàceuxdeZofia

qui avait accouru vers elle. Les sirènes des secours se rapprochaient. Zofiaallongeasonamiesurlapelousedelamaisonvoisine.Reine ouvrit les yeux et regardaLucas, un sourire demalice au coin des

lèvres.—Sionm'avaitditqu'unbeaujeunehommecommeça...Maisunequintedetouxl'empêchadepoursuivre.—Gardezvosforces!—Çatevaplutôtbienlecôtéprincecharmant,maistudoisêtredrôlement

myopequandmême,parceque,franchement,autourdetoiilyabienmieuxquecequetuasdanslesbras.—Vousavezbeaucoupdecharme,Reine.—Oui, sûrement autant qu'une vieille bicyclette dans unmusée ! Ne la

perdspas,Lucas, ilyadeserreursqu'onnesepardonnejamais,crois-moi!Maintenant, si tu voulais bienme reposer, je crois que quelqu'un d'autre vavenirmechercher!

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—Neditespasdebêtises!—Ettoi,n'enfaispas!Les secours venaient d'arriver. Les pompiers s'attaquèrent aussitôt à

l'incendie. Pilguez courut vers Mathilde et Lucas s'avança vers lesbrancardiersquipoussaientunecivière.IllesaidaàyallongerReine.Zofialerejoignitetgrimpadansl'ambulance.—Retrouvons-nousàl'hôpital,jeteconfieMathilde!Un policier avait demandé une seconde ambulance, Pilguez fit annuler

l'ordre, pour gagner du temps il conduirait Mathilde luimême. Il enjoignitLucas de le suivre et tous deux la prirent sous l'épaule pour l'installer àl'arrièreduvéhicule.L'ambulancedeReineétaitdéjàloin.Unmaelstrômdelumièresbleuesetrougesscintillaitdansl'habitacle,Reine

regardaparlafenêtreetserralamaindeZofia.—C'estdrôle,lejouroùl'ons'enva,onpenseàtoutcequel'onn'apasvu.—Jesuislà,Reine,murmuraZofia,reposezvous.—Toutesmesphotosontbrûlémaintenant,saufune.Jel'aigardéecachée

surmoitoutemavie,elleétaitpourtoi,jevoulaisteladonnercesoir.Reinetenditsonbrasetouvritsamainquinecontenaitqueduvide.Zofia

laregarda,interloquée,Reineluisouritenretour.—Tuascruquej'avaisperdulaboule,hein?C'estlaphotodel'enfantque

jen'aijamaiseu,elleauraitétécertainementmaplusbelle.Prends-laetmets-la près de ton cœur, elle a tellementmanqué aumien. Zofia, je sais que tuferas un jour quelque chose qui me rendra fière de toi pour toujours. Tuvoulaissavoirsi leBachertn'étaitqu'unjoliconte?Jevais tedire lavérité.C'estàchacund'entrenousderendresonhistoirevraie.Nerenoncepasàtavieetbats-toi.Reineluicaressalajouetendrement.—Etapproche-toiquejet'embrasse,situsavaiscommejet'aime,tum'as

donnédevraiesannéesdebonheur.ElleserraZofiadanssesbrasetluioffritdanscetteétreintetouteslesforces

quiluirestaient.—Jevaismereposerunpeumaintenant,jevaisavoirpleindetempspour

mereposer.

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Zofiainspiraprofondémentpourretenirseslarmes.ElleposasatêtesurlapoitrinedeReinequi respirait lentement.L'ambulance entradans le sasdesurgences,etlesportess'ouvrirent.OntransportaReine,etpourlasecondefoisde la semaine Zofia s'assit dans la salle d'attente réservée aux familles despatients.Àl'intérieurdelamaisondeReine,lacouvertureencuircraqueléd'unvieil

albumfinissaitdeseconsumer.LesportescoulissèrentànouveaupourlaisserMathildeentrerdanslesas,

soutenue par Lucas et Pilguez. Une infirmière se précipita vers eux enpoussantunechaiseroulante.—Laissez tomber ! dit Pilguez.Elle nous amenacés de repartir si on la

mettaitlà-dessus!Lanurserécitaparcœurlerèglementdesadmissionsàl'hôpitaletMathilde

serangeaauxraisonsdesassurancesens'installantdemauvaisegrâcedanslefauteuil.Zofiaserenditauprèsd'elle.—Commenttesens-tu?—Commeuncharme.Un interne vint chercher Mathilde et l'emmena vers une salle d'examen.

Zofiapromitdel'attendre.—Pastroplongtemps!ditPilguezdanssondos.Zofiaseretournaverslui.—Lucasm'atoutditdanslavoiture,ajoutat-il.—Qu'est-cequ'ilvousadit?— Que certaines affaires immobilières ne lui avaient pas valu que des

amis!Zofia, jepense trèssérieusementquevousêtes l'uncommel'autreendanger.Lorsquej'aivuvotreamiaurestaurantilyaquelquesjours,jepensaisqu'il travaillait pour le gouvernement et non qu'il venait vous y voir. Deuxexplosionsaugazenunesemaine,endeuxendroitsoùvousvoustrouviez,çafaitbeaucouppourunecoïncidence!—Lapremièrefois,aurestaurant,jecroisquec'étaitvraimentunaccident!

ditLucasdel'autreboutdelasalle.— Peut-être ! reprit l'inspecteur. En tout cas, c'est du travail de grand

professionnel, nous n'avons pas retrouvé lemoindre indice qui permette desupposer qu'il s'agisse d'autre chose. Ceux qui ont monté ces coups sont

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démoniaques,etjenevoispascequilesarrêteratantqu'ilsn'aurontpasatteintleur but. Il va falloir vous protéger, et m'aider à convaincre votre petitcamaradedecollaborer.—Ceseradifficile.—Faites-leavantqu'ilnem'aitfoutulefeuàtouslesquartiersdelaville!

En attendant je vais vous mettre en sécurité pour la nuit. Le directeur duSheratonde l'aéroportmedoitquelques retoursd'ascenseur, c'est lemomentd'appuyer sur le bouton ! Il saura vous réserver un accueil des plusconfidentiels.Jeluipasseunappeletjevousemmène.Allezdireaurevoiràvotrecopine.Zofia souleva le rideauet entradans leboxd'examen.Elle s'approchade

sonamie.—Quellessontlesnouvelles?—Rienquedubanal!réponditMathilde.Jevaisavoirunplâtretoutneuf;

ilsveulentmegarderenobservationpourêtresûrsquejen'aipasinhalétropde fumées toxiques.Lespauvres, s'ils savaient ce que j'ai pu avaler commetrucstoxiquesdansmavie,ilsneseraientpassiinquiets.CommentvaReine?—Pastrèsbien.Elleestauservicedesgrandsbrûlés.Elledort,onnepeut

paslavoir,ilsl'ontmisedansunechambrestérile,auquatrièmeétage.—Tuviendrasmechercherdemain?Zofialuitournaledosetregardalepanneaulumineuxoùétaientaccrochées

lesradiographies.—Mathilde,jenecroispasquejepourraiêtrelà.— Je ne sais pas pourquoi, mais je m'en doutais un peu. C'est le lot de

l'amitiédeseréjouirquel'autrerompeunjoursoncélibat,mêmequandcelarenvoieàsapropresolitude.Nosmomentsvontrudementmemanquer.—Amoiaussi.Jevaispartirenvoyage,Mathilde.—Longtemps?—Oui,assezlongtemps.—Maistureviendrasquandmême?—Jen'ensaisrien.LesprunellesdeMathildes'embrumèrentdechagrin.— Je crois que je comprends. Vis,ma Zofia, l'amour est court,mais les

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souvenirsdurentlongtemps.ZofiapritMathildedanssesbrasetlaserratrèsfort.—Tuserasheureuse?demandaMathilde.—Jenesaispasencore.—Onpourrasetéléphonerdetempsentemps?—Non,jenepensepasquecelaserapossible.—C'estsiloinqueçal'endroitoùilt'emmène?—Encoreplusloin.Jet'enprie,nepleurepas.—Jenepleurepas,c'estcettefuméequicontinueàpiquer,allez,filed'ici!—Prendssoindetoi,ditZofiad'unevoixdouceens'éloignant.Elle souleva le rideau et regarda à nouveau son amie, les yeux pleins de

tristesse.—Tuvaspouvoirtedébrouillertouteseule?—Toiaussi,prendssoindetoi...pourunefois,ditMathilde.Zofiasourit,etlevoileblancretomba.L'inspecteur Pilguez était au volant, Lucas assis à côté de lui. Lemoteur

tournaitdéjà.Zofiamontaàl'arrière.Levéhiculequittal'auventdesurgencesetpritladirectiondel'autoroute.Personneneparlait.Zofia, le cœur trop lourd, revivait quelques souvenirs projetés sur les

façades et les carrefours qui défilaient par la fenêtre. Lucas inclina lerétroviseur pour la regarder, Pilguez fit lamoue et le remit en place.Lucaspatientaquelquessecondesetletournaànouveau.—Çavousdérangequejeconduise?râlaPilguezenleremettantdansle

bonsens.Il abaissa le pare-soleil côté passager, ouvrit le miroir de courtoisie et

reposasesmainssurlevolant.LavoiturequittalaHighway101àlahauteurdeSouthAirportBoulevard.

Quelquesinstantsplustard,PilguezserangeaitsurleparkingduSheraton.Ledirecteurdel'hôtelleuravaitréservéunesuiteausixièmeétage,leplus

haut.Ilsavaientétéenregistrésdansl'établissementaunomdeOliveretMarySweet. Pilguez avait haussé les épaules en expliquant qu'il n'y avait rien de

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mieuxpourattirerl'attentionquelesDoeetlesSmith.Avantdeleslaisser,illeur recommanda de ne pas quitter leur chambre et de faire appel au roomservicepourserestaurer.Illeurdonnalenumérodesonbeeperetlesinformaqu'il viendrait les chercher le lendemain avant midi. S'ils s'ennuyaient, ilspourraient commencer la rédaction d'un rapport sur les événements de lasemaine, ce serait autant de travail en moins pour lui. Lucas et Zofia leremercièrentsuffisammentpourqu'ilensoitgênéetilpartit,laminebourrue,agrémentantson«aurevoir»dequelques«Çava,çava».Ilétaitvingt-deuxheures,laportedelasuiteserefermaitsureux.Zofia se rendit à la salle de bains. Lucas s'allongea sur le lit, prit la

télécommandeetfitdéfilerleschaînes.Lesprogrammeslefirentrapidementbâiller.Iléteignitlatélévision.Ilentendaitl'eaucoulerderrièrelaporte,Zofiaprenait une douche. Alors, il regarda la pointe de ses chaussures, remit enplacelereversdesonpantalon,enépoussetalesdeuxgenouxettirasurlepli.Ilseleva,ouvrit leminibar,qu'ilrefermaaussitôt,avançaprèsdelafenêtre,soulevalevoilage,avisaleparkingdésertetretournas'allonger.Ilobservasacage thoracique qui se gonflait et se dégonflait au fur et à mesure desmouvements de sa respiration, soupira, inspecta l'abat-jour de la lampe dechevet,déplaçalecendrierlégèrementsurladroiteetfitcoulisserletiroirdelatabledelanuit.Sonattentionfutattiréeparlapetitecouverturecartonnéede l'ouvrage, gravée au sigle de l'hôtel ; il le prit et commença à lire. Lespremièreslignesleplongèrentdansuneffroiabsolu.Ilcontinuasalectureentournantlespagesdeplusenplusvite.Auseptièmefeuillet,ilselevahorsdeluietallafrapperàlasalledebains.—Jepeuxentrer?—Uneseconde,demandaZofiaenenfilantunpeignoir.Elleouvritetletrouvafulminant,faisantlescentpasauseuildelaporte.—Qu'est-cequ'ilya?demanda-t-elle,inquiète.—Ilyaquepluspersonnenerespecterien!Ilagita lepetit livrequ'il tenaitdanslamainetpoursuivitendésignant la

couverture:—CeSheratonaentièrementpompélelivredeHilton!Etjesaisdequoije

parle,c'estmonauteurpréféré.Zofia lui prit l'ouvrage desmains et le lui rendit aussitôt.Elle haussa les

épaules:

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—C'estlaBible,Lucas!Asonairinterrogatif,elleajoutad'unairdésolé:—Laissetomber!Ellen'osaitpas luidirequ'elleavait faim, il ledevinaà lafaçondontelle

feuilletaitlelivretduserviced'étage.—Ilyaunechosequejevoudraiscomprendreunebonnefoispourtoutes,

demanda-t-elle.Pourquoimettent-ilsdeshorairesdevantlesmenus?Çasous-entend quoi ? Que passé dix heures trente le matin ils doivent absolumentrangerleurscornflakesdansuncoffre-fortavecuneserrureàhorodateurquines'ouvriraplusavantlelendemain?C'estbizarre,quandmême!Etsituasenviedecéréalesàdixheurestrente,maisdusoir!Etregarde,ilsfontpareilaveclescrêpes!Detoutefaçon,tun'asqu'àmesurerlalongueurducordondeleursèchecheveuxdans lasalledebainset tuas toutcompris !Celuiquiainventélesystèmedevaitêtrechauve;ilfautquetutecollesàdixcentimètresdumurpourteréchaufferunemèche.Lucaslapritdanssesbrasetlaserracontreluipourlacalmer.—Tuesentraindedevenirexigeante!Elleregardaautourd'elleetrougit.—Peut-être!—Tuasfaim!—Pasdutout!—Jecroisquesi!—Unpetitquelquechoseàgrignoteralors,maispourtefaireplaisir.—DesFrostiesoudesSpécialK?—Ceuxquifont«Snap,Crackle,Pop»quandtulescroques?—RiceKrispies!Jem'enoccupe.—Sanslait!—Pasdelaitage,accordaLucasendécrochantletéléphone.—Maisdusucre,pleindesucre!—Jem'enoccupeaussi!Ilraccrochaetvints'asseoiràcôtéd'elle.—Tunet'esriencommandé?dit-elle.

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—Non,jen'aipasfaim,réponditLucas.Aprèsqueleroomserviceeutdélivrésacommande,elleprituneserviette-

éponge et dressa le couvert sur le lit. À chaque cuillerée avalée, elle enenfournait une dans la bouche de Lucas qui l'acceptait de bonne grâce. Unéclairzébralecieldanslelointain.Lucasselevaetfermalesrideaux.Ilrevints'allongerprèsd'elle.—Demain, je trouverai une solution pour que nous leur échappions, dit

Zofia.Ildoitbienyavoirunmoyen.—Nedisrien,murmuraLucas.J'auraisvouludesdimanchesfantastiques,

vivredesdemainsavectoienrêvantqu'ilyenauraitpleind'autres,maisilnenous reste qu'une seule journée, et celle-là, je veux que nous la vivionsvraiment.LepeignoirdeZofiasedéfit légèrement, ilenreferma lespans,elleposa

seslèvressurlessiennesetmurmura:—Déchois-moi!—Non,Zofia,lespetitesailestatouéessurtonépauletevonttropbienetje

neveuxpasquetulesbrûles.—Jeveuxrepartiravectoi.—Pascommeça,paspourça.Ilcherchaàtâtonsl'interrupteurdelalampe,Zofiaseblottittoutcontrelui.Danssachambred'hôpital,Mathildeéteignitlalumière.Cettenuitencore,

elles'endormiraitjusteau-dessusdulitdeReine.Lesclochesdelacathédralesonnèrentminuit.Ilyeutunenuit,ilyeutunmatin...

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6.

SixièmeJour

Elles'étaitavancéejusqu'àlafenêtresurlapointedespieds.Lucasdormaitencore.Elleavaitouvert lesrideauxsurl'aubed'unmatindenovembre.ElleregardalesoleilquiperçaitlabrumeetseretournapourcontemplerLucasquis'étirait.—Tuasdormi?demanda-t-il.Elles'enrouladanssonpeignoiretcollasonfrontàlavitre.—Je t'ai commandéunpetitdéjeuner, ilsnevontpas tarderà frapper, je

vaisallermepréparer.—C'estsiurgentqueça?dit-ilenprenantsonpoignetpourl'entraînervers

lui.Elles'assitsurleborddulitetpassasamaindanslescheveuxdeLucas.—Tusaiscequec'estqueleBachert?luidemanda-t-elle.—Çameditquelquechose,j'aidûlirecemotquelquepart,réponditLucas

enplissantlefront.—Jeneveuxpasquenousabandonnions.—Zofia,nousavonsl'enferànostrousses,ilnousrestejusqu'àdemainet

aucunendroitpourfuir.Restonslà,touslesdeux,etvivonsletempsquinousestoffert.—Non,jenemerésoudraispasàleurvolonté.Jenesuispasunpionsur

leuréchiquieretjeveuxtrouverlemouvementqu'ilsn'avaientpasprévu.Ilyatoujoursunrebellequisecacheparmilesimpossibles.—Maislà,tuparlesd'unmiracle,etcen'estvraimentpasmonrayon...—C'estsupposéêtrelemien!dit-elleenselevantpourouvrirauservice

d'étage.Elle signa la note, referma la porte et poussa la table roulante jusqu'à la

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chambre.— Je suis trop loin de leurs pensées maintenant pour qu'ils puissent

m'entendre,dit-elleenremplissantlatasse.Ellepritlescéréalesqu'ellerecouvritdetroissachetsdesucre.—Tuneveuxvraimentpasdelait?demandaLucas.—Nonmerci,c'esttoutmouaprès.Elle regardapar la fenêtre lavillequi s'étendait au loinet sentit lacolère

monter.—Jenepeuxpasregardercesmurstoutautourdemoietmedirequ'ilsont

plusd'immortalitéquenousdésormais,çamerendfollederage.—BienvenuesurlaTerre,Zofia!Lucas se leva et laissa la porte de la salle de bains entrouverte. Zofia

repoussaleplateau,songeuse.Elleseleva,arpentalepetitsalon,revintverslachambreets'allongeasur le lit.Sur la tabledenuit, lepetit livreéveillasonattention,ellebonditsursespieds.—Jeconnaisunendroit!cria-t-elleàLucas.Il passa la tête par la porte entrebâillée, unevolutedebuée entourait son

visage.—Moiaussijeconnaispleind'endroits!—Jeneplaisantepas,Lucas!—Moinonplus,dit-ild'unairtaquin.Tum'endisunpeuplus?Danscette

position j'ai à moitié chaud et à moitié froid, il y a un gros écart detempératureentrelesdeuxpièces.—JeconnaisunlieusurlaTerreoùplaidernotrecause.Elleavait l'airsi tristeetsi troublée,si fragiledanssonespoir,queLucas

s'eninquiéta.—Quelestcetendroit?demanda-t-ild'unevoixgrave.—Levraitoitdumonde,lamontagnesacréeoùtouslescultescohabitent

etserespectent,lemontSinaï.Jesuissûreque,delà-haut,jepourraiencoreparleràmonPèreetLuipeutêtrem'entendra.Lucasregardal'horlogedumagnétoscope.—Renseigne-toisurleshoraires,jem'habilleetjerevienstoutdesuite.

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Zofia se précipita sur le téléphone et composa le numéro desrenseignements aériens. Le disque lui promit qu'un opérateur traiterait trèsbientôt sa demande. Impatiente, elle regarda par la fenêtre unemouette quiprenaitsonenvol.Quelquesonglesrongésplustard,personnen'avaitprissonappel,Lucasarrivadanssondosetl'entouradesesbraspourmurmurer:— Au moins quinze heures de vol, auxquelles il faut ajouter dix de

décalagehoraire...lorsquenousarriverons,nousnepourronsmêmeplusnousdire adieu sur un trottoir d'aéroport, ils nous auront déjà séparés depuislongtemps.Ilesttroptard,Zofia,letoitdetonmondeesttroploind'ici.Lecombinédu téléphone retrouvasaplace.Ellese retournapourplonger

sesyeuxaufonddessiensetilss'embrassèrent,pourlapremièrefois.

*Bienplusaunord,lamouettevintseposersuruneautrebalustrade.Desa

chambre d'hôpital, Mathilde laissa un message sur le portable de Zofia etraccrocha.

*Zofiareculadequelquespas.—Jeconnaisunmoyen,dit-elle.—Tunerenonceraspas!— À l'espoir ? Jamais ! Je suis programmée pour ça ! Finis vite de te

prépareretfais-moiconfiance.—Jenefaisqueça!Dixminutesplustard,ilssortirentsurleparkingdel'hôteletZofiaserendit

comptequ'illeurfallaitunevoiture.—Laquelle ? demandaLucas d'un air désabusé en regardant le parc des

véhiculesenstationnement.A lademandedeZofia, il se résigna à« emprunter» laplusdiscrète. Ils

reprirent aussitôt la Highway 101, cette fois en direction du nord. Lucasvoulutsavoiroùilsserendaient,maisZofia,plongéedanssonfourre-toutàla

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recherche de son téléphone, ne lui répondit pas. Elle n'eut pas le temps decomposer le numéro de l'inspecteur Pilguez pour le prévenir de ne pas sedéranger,samessageriesonna,ellepritl'appel:«C'estmoi,c'estMathilde,jevoulaistediredeneplustefairedesoucis.Je

leurai tellementpourri lamatinéequ'ilsme laisseront sortir avantmidi. J'aiappeléManca, il viendramechercherpourme ramener chezmoi, et puis ilm'apromisqu'ilpasserait tous lessoirsm'apporteràdîner, jusqu'àceque jesoisremise...peut-êtrequejeferaiunpeudurerlachose...L'étatdeReinen'apasévolué,onnepeutpasluirendrevisite,elledort.Zofia,ilyadeschosesquel'onditenamouretquel'onn'osepasenamitié,alorsvoilà,tuasétébienplusquelaclartédemesjournéesoulacomplicedemesnuits,tuasétéetturestesmonamie.Oùquetuailles,bonneroute.Tumemanquesdéjà.»Zofiapressa lepetitboutonde toute laforcedesesdoigtsetsonportable

s'éteignit;ellelelaissachoiraufonddusac.—Rouleverslecentredelaville.—Oùnousemmènes-tu?demandaLucas.—Dirige-toiversleTransamericaBuilding,laTourenformedepyramide,

surMontgomeryStreet.Lucass'immobilisasurlabanded'arrêtd'urgence.—Àquoitujoues?—Onnepeutpastoujourscomptersurlesvoiesaériennes,maiscellesdu

cielrestentimpénétrables,démarre!La vieille Chrysler reprit sa route, dans le silence le plus absolu. Ils

quittèrentla101àl'embranchementde3rdStreet.—Noussommesvendredi?demandaZofia,soudainementinquiète.—Hélas!réponditLucas.—Quelleheureilest?—Tum'avais demandé une voiture discrète ! Tu noteras que celle-ci ne

donnemêmepasl'heure!Ilestmidimoinsvingt!—Ondoitfaireundétour,j'aiunepromesseàtenir,rouleversl'hôpital,s'il

teplaît.LucasbifurquapourremonterCaliforniaStreet,etdixminutesplustardils

entraient dans l'enceinte du complexe hospitalier. Zofia lui demanda de se

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garerdevantl'unitédepédiatrie.—Viens,dit-elleenrefermantsaportière.Illasuivitdanslehalljusqu'auxportesdel'ascenseur.Ellepritsamaindans

la sienne, l'entraîna et appuya sur le bouton. La cabine s'éleva jusqu'auseptièmeétage.Au milieu du couloir où d'autres enfants jouaient, elle reconnut le petit

Thomas. Il lui sourit en la voyant, elle lui rendit son bonjour d'un signe detendresseets'avançaverslui.Ellereconnutl'angequisetenaitàsoncôté.EllesefigeaetLucassentitalorslamaindeZofiaserrerlasienne.L'enfantrepritcelle de Gabriel et continua son chemin vers l'autre bout du corridor sansjamais laquitterdesyeux.Àlaportequidonnaitsur le jardind'automne, lepetitgarçonseretournaunedernièrefois.Ilouvritsamainengrandetsoufflaunbaiserdans sapaume. Il ferma sespaupières et, tout en sourire, disparutdanslapâlelumièredecettefindematin.AsontourZofiafermalesyeux.—Viens,luimurmuraLucasenl'entraînant.Quandlavoiturequittaleparking,elleeutunhaut-le-cœur.—Tuparlaisdecertainsjoursoùlemondeserefermesurnous?ditZofia.

C'estunedecesjournées-là.Ils roulèrent à travers la ville sans se dire un mot. Lucas ne prit aucun

raccourci,bienaucontraire,lescheminsqu'ilchoisitfurentlespluslongs.Ilroulaauborddel'océanets'arrêta.Ellel'emmenamarchersurlaplagebordéed'écume.IlsarrivèrentuneheureplustardaupieddelaTour.Zofiatournatroisfois

autourdublocsanstrouveruneplacedestationnement.—OnnepayepaslesPVdesvoituresvolées!dit-ilenlevantlesyeuxau

ciel.Gare-toin'importeoù!Zofia se rangea le long du trottoir réservé aux livraisons. Elle se dirigea

vers l'entrée est, Lucas lui emboîta le pas. Lorsque la dalle bascula dans laparoi,Lucaseutunmouvementderecul.—Tuessûredecequetufais?demandat-il,inquiet.—Non!Suis-moi!Ils parcoururent les couloirs qui conduisaient au grand hall. Pierre était

derrièresoncomptoir,ilselevaenlesvoyant.

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—Tunemanquespasdeculotdel'amenerici!dit-ilàZofiad'unairoutré.—J'aibesoindetoi,Pierre.—Est-cequetusaisquetoutlemondetechercheetquetouslesgardiens

delaDemeuresontàvostrousses.Qu'as-tufait,Zofia?—Jen'aipasletempsdet'expliquer.—C'estbienlapremièrefoisquejevoisquelqu'undepresséici.—Ilfautquetum'aides,jenepeuxcompterquesurtoi.Jedoismerendre

aumontSinaï,donne-moil'accèsaupassagequiyconduitparJérusalem.Pierresefrottalementonenlesdévisageanttouslesdeux.—Jenepeuxpasfairecequetumedemandes,onnemelepardonnerait

pas.Enrevanche,dit-ilens'éloignantversuneextrémitéduhall,ilsepourraitbien que tu aies le temps de trouver ce que tu cherches, pendant que jepréviens la sécurité de votre présence ici. Regarde dans le compartimentcentraldelaconsole.ZofiaseprécipitaderrièrelecomptoirdésertéparPierreetenouvrittousles

tiroirs.EllechoisitlacléquiluisemblaitlabonneetentraînaLucas.Laportedissimuléedanslemurs'ouvritquandelleintroduisitlepasse.ElleentenditlavoixdePierredanssondos.—Zofia,c'estunpassagesansretour,tusaiscequetufais?—Mercipourtout,Pierre!Il hocha la tête et tira sur une grande poignée qui pendait au bout d'une

chaîne, les clochesdeGrâceCathedral sonnèrent etZofia etLucas eurent àpeineletempsdesefaufilerdansl'étroitcorridoravantquetouteslesportesdugrandhallnesereferment.Ils en ressortirent quelques instants plus tard par une ouverture dans la

palissaded'unterrainvague.Lesoleilinondaitdesesrayonslapetiteruebordéed'immeublesdetroisou

quatreétagesauxfaçadesdéfraîchies.Lucaspritunairsoucieuxenregardantautourdelui.Zofias'adressaaupremierhommequipassaitprèsd'elle.—Vousparleznotrelangue?—J'ail'aird'unabruti?réponditl'hommeens'éloignant,vexé.Zofianesedécourageapasetserapprochad'unpiétonquitraversait.—Jecherche...?

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Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase, l'homme avait déjà rejoint letrottoird'enface.— Les gens sont plutôt accueillants pour une ville sainte ! dit Lucas,

ironique.Zofianefitaucuncasdelaréflexionet interpellaunetroisièmepersonne.

L'hommevêtutoutdenoirétaitsansaucundouteunreligieux.— Mon père, demanda-t-elle, pouvez-vous m'indiquer la route du mont

Sinaï?Leprêtrelatoisadepiedencapets'enallaenhaussantlesépaules.Adossé

àunréverbère,Lucascroisaitlesbrasensouriant.Zofiaseretournaversunefemmequimarchaitdanssadirection.—Madame,jecherchelemontSinaï?— Vous n'êtes pas très drôle, mademoiselle, répondit la passante en

S'éloignant.Zofiaavançaverslemarchanddesalaisonsquiarrangeaitsadevantureen

discutantavecunlivreur.—Bonjour,est-cequel'und'entrevouspeutm'indiquercommentserendre

aumontSinaï?Les deux hommes se regardèrent, intrigués, et reprirent le cours de leur

échangesansplusprêterlamoindreattentionàZofia.Entraversantlarue,ellemanquadesefairerenverserparunautomobilistequiklaxonnavivementenlafrôlant.—Ilssontabsolumentcharmants,ditLucasàvoixbasse.Zofiatournasurelle-mêmeàl'affûtd'unequelconqueassistance.Ellesentit

lacolère l'envahir,ellesaisitunecagettevideaupieddel'étaldumarchand,descenditsurlachausséepourseplanteraumilieuducarrefour,grimpasursapetiteestradeimproviséeet,mainssurleshanches,hurla:— Est-ce que quelqu'un ici voudrait bien me prêter attention une petite

minute,j'aiunequestionimportanteàposer!Laruesefigeaettouslesregardsconvergèrentverselle.Cinqhommesqui

passaientencortègeserapprochèrentetdirentàl'unisson:—Quelleestlaquestion?Nousavonsuneréponse!—JedoismerendreaumontSinaï,c'estuneurgence!

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Lesrabbinsformèrentuncercleautourd'elle.Ilsseconsultèrenttouràtour,échangeant avec force gestes leur avis sur la direction la plus appropriée àindiquer.Unhommedepetite taille se faufilaentreeuxpour s'approcherdeZofia.—Suivez-moi,dit-il,j'aiunevoiture,jepeuxvousconduire.IlsedirigeaimmédiatementversunevieilleFordgaréeàquelquesmètres

delà.Lucasabandonnasonlampadaireetsejoignitàl'équipage.—Dépêchez-vous, ajouta l'homme en ouvrant les portières, il fallait dire

toutdesuitequec'étaituneurgence.Lucas et Zofia prirent place à l'arrière et la voiture démarra en trombe.

Lucas regarda autour de lui, fronça à nouveau les sourcils et se pencha àl'oreilledeZofia:—Ilseraitplussagedesecouchersurlabanquette,ceseraittropbêtedese

fairerepérersiprèsdubut.Zofian'avaitaucuneenviedediscuter.Lucassetassaetelleposasatêtesur

sesgenoux.Leconducteurjetauncoupd'œildanssonrétroviseur,Lucasluirenditunlargesourire.La voiture roulait à vive allure, chahutant ses passagers.Une demi-heure

plustard,ellepilaàuncarrefour.—LemontSinaïvousvouliez,aumontSinaïvousvoilà!ditl'hommeen

seretournant,ravi.Zofiaseredressa,trèsétonnée,lechauffeurluitendaitlamain.—Déjà?Jecroyaisquec'étaitbeaucoupplusloin.—Ehbien,c'étaitbeaucoupplusprès!réponditleconducteur.—Pourquoimetendez-vouslamain?— Pourquoi ? dit-il en haussant le ton. De Brooklyn à 1470 Madison

Avenue,çafaitvingtdollars,voilàpourquoi!Zofia regardapar la fenêtreenécarquillant lesyeux.Lagrandefaçadedu

MontSinaïHospitaldeManhattansedressaitdevantelle.Lucassoupira.—Jesuisdésolé,jenesavaispascommentteledire.Il régla le chauffeur et entraîna Zofia qui ne disait plus mot. Elle tituba

jusqu'aupetitbancsousl'abrid'autobusets'assit,hébétée.

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—Tut'estrompéedemontSinaï,tuasprislaclédelapetiteJérusalemdeNewYork,ditLucas.Ils'agenouilladevantelleetpritsesmainsdanslessiennes.— Zofia, arrête maintenant... Ils n'ont pas réussi à statuer sur le sort du

mondeendesmilliersd'années,tucroisvraimentquenousavionsunechanceenseptjours?Demainàmidinousseronsséparés,neperdonspasuneminutedu temps qu'il nous reste. Je connais bien la ville, laisse-moi faire de cettejournéenotremomentd'éternité.Ill'entraînaettousdeuxdescendirentlaCinquièmeAvenue,endirectionde

CentralPark.Ill'emmenadansunepetitetrattoriaduVillage.Lejardinarrièreétaitdésert

encettesaison,ilss'yfirentservirundéjeunerdefête.Ilsremontèrentjusqu'àSoHo,entrèrentdanstouteslesboutiques,sechangèrentdixfois,abandonnantlesvêtementsdel'instantprécédentauxsans-abriquierraientsurlestrottoirs.À cinq heures, elle eut envie de pluie, il lui fit descendre la rampe d'unparkingetl'installaaumilieudelatravée.Ilallumasonbriquetsousunebuseanti-incendie et ils remontèrent l'allée main dans la main sous une averseunique. Ils s'enfuirent en courant auxpremières sirènesdespompiers. Ils seséchèrentdevantlagrilled'ungigantesqueextracteurd'airetentrèrents'abriterdansuncomplexedecinéma.Qu'importaitlafindesfilms,poureux,seulslesdébuts comptaient ; ils changèrent sept fois de salle, sans jamais perdre unseul pop-corn au cours de leurs cavalcades dans les couloirs. Quand ilssortirent, la nuit était déjà tombée surUnionSquare.Un taxi les déposa aucoinde57thStreet.Ilsentrèrentdansungrandmagasinquifermaittard.Lucaschoisitunsmokingnoir,elleoptapouruntailleuràlamode.—Lesrelevésnetombentqu'à lafindumois!chuchota-t-ilàsonoreille

alorsqu'ellehésitaitsuruneétole.Ils ressortirent par la Cinquième Avenue et traversèrent le hall du grand

palacequibordaitleparc.Ilsmontèrentjusqu'audernierétage.Depuislatablequ'onleurattribua,lavueétaitsublime.Ilsgoûtèrentàtouslesplatsqu'elleneconnaissaitpas,elles'attardasurlesdesserts.—Çanefaitgrossirquelesurlendemain,ditelleenchoisissantsurlemenu

lesouffléauchocolat.Il était onze heures du soir quand ils entrèrent dansCentral Park.L'air y

était doux. Ils marchèrent le long des chemins bordés de réverbères et

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s'assirent sur unbanc sousungrand saule.Lucasôta sa veste et couvrit lesépaules de Zofia. Elle regarda le petit pont de pierre blanche dont la voûtesurplombaitl'alléeetdit:—Danslavilleoùjevoulaist'emmener,ilyaungrandmur.Leshommes

écriventdesvœuxsurdesboutsdepapierqu'ilsglissententrelespierres.Nuln'aledroitdelesenlever.Unclochardpassadansl'allée,illessaluaetsasilhouettedisparutdansla

pénombre, sous l'arche du petit pont. Il y eut un long moment de silence.Lucas et Zofia regardèrent le ciel, une immense lune ronde diffusait autourd'euxunelumièreargentée.Leursmainssejoignirent,LucasdéposaunbaiseraucreuxdelapaumedeZofia,ilhumaleparfumdesapeauetmurmura:—Unseulinstantdetoivalaittoutesleséternités.Zofiaseserracontrelui.PuisLucaspritZofiadanssesbraset,danslaconfidencedelanuit,ill'aima

tendrement.

*Julesentradansl'hôpital.Ilavançajusqu'auxascenseurssansquepersonne

leremarque,lesAngesVérificateurssavaientserendreinvisiblesquandilslevoulaient...Ilappuyasurleboutonduquatrièmeétage.Lorsqu'ilpassadevantla salle de garde, l'infirmière ne vit pas la silhouette qui avançait dans lapénombreducouloir. Ils'arrêtadevant laportedelachambre,remitbienenplace sonpantalon en tweed aumotif prince-de-galles, frappadoucement etentrasurlapointedespieds.Ils'approcha,soulevalevoileentourantlelitoùReinedormaitets'assità

soncôté.Ilreconnutlavestedanslapenderie,etl'émotiontroublasonregard.IlcaressalevisagedeReine.—Tum'astellementmanqué,chuchotaJules.C'étaitlongdixanssanstoi.Il posa un baiser sur ses lèvres et le petit écran vert sur la table de nuit

paraphalaviedeReineSheridand'unlongtraitcontinu.L'ombredeReineselevaetilspartirenttouslesdeux,maindanslamain...

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*... Il était minuit dans Central Park et Zofia s'endormait sur l'épaule de

Lucas.Ilyeutunsoir,ilyeutunmatin...

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7.

SeptièmeJour

Une fine brise soufflait sur Central Park. Lamain de Zofia glissa sur ledossier du banc et retomba. Le froid du petit matin la faisait frissonner.Engourdiedanssonsommeil,elleresserralecoldumanteausursanuqueetramena ses genoux contre elle. La pâleur du jour naissant infiltrait sespaupières closes, elle se retourna.Non loin de là, un oiseau piailla dans unarbre,ellereconnutlecridelamouettequis'envolait.Elles'étiraetsesdoigtscherchèrentàtâtonslajambedeLucas.Samainremontalelongdel'assiseenboissansrientrouver,elleouvritlesyeuxsurlasolitudedesonréveil.Elle appela aussitôt, sans que personne lui réponde.Alors elle se leva et

regardaautourd'elle.Lesalléesétaientdésertes,laroséeintacte.—Lucas?Lucas?Lucas?Achaqueappel,savoixse faisaitplus inquiète,plus fragile,plusblessée.

Elletournaitsurelle-même,criantlenomdeLucas,às'endonnerlevertige.Quelquesbruissementsdefeuilles témoignaientdelaseuleprésencedupetitvent.Elle avança fébrilement jusqu'au petit pont, les morsures du froid la

faisaientgrelotter.Ellemarchale longdumurdepierreblancheet trouvalalettredéposéedansuninterstice.Zofia,Je te regarde dormir et Dieu que tu es belle. Tu te retournes dans cette

dernièrenuitoùtufrissonnes,jeteserrecontremoi,jeposemonmanteausurtoi, j'aurais voulu pouvoir en mettre un sur tous tes hivers. Tes traits sonttranquilles, jecaresse ta joue,et,pour lapremière foisdemonexistence, jesuistristeetheureuxàlafois.C'est la findenotremoment, ledébutd'un souvenirquidurerapourmoi

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l'éternité. Il y avait en chacun de nous tant d'accompli et tant d'inachevéquandnousétionsréunis.Jepartiraiauleverdujour,jem'éloigneraipasàpas,pourprofiterencore

dechaquesecondedetoi,jusqu'àl'ultimeinstant.Jedisparaîtraiderrièrecetarbre pour me rendre à la raison du pire. En les laissant m'abattre, noussonnerons la victoire des tiens et ils te pardonneront, quelles que soient lesoffenses.Rentre,monamour, retournedanscettemaisonquiest la tienneetquitevasibien.J'auraisvoulutoucherlesmursdetademeureàl'odeurdesel, voir de tes fenêtres lesmatins qui se lèvent sur des horizons que je neconnaispas,maisdontjesaisqu'ilssontlestiens.Tuasréussil'impossible,tuaschangéunepartdemoi.Jevoudraisdésormaisquetoncorpsmerecouvreetneplusjamaisvoirlalumièredumondeautrementqueparleprismedetesyeux.Làoùtun'existespas,jen'existeplus.Nosmainsensembleeninventaient

uneàdixdoigts;latienneenseposantsurmoidevenaitmienne,sijustementque,lorsquetesyeuxsefermaient,jem'endormais.Ne sois pas triste, personne ne pourra voler nos souvenirs. Il me suffit

désormaisdefermermespaupièrespourtevoir,cesserderespirerpoursentirtonodeur,memettrefaceauventpourdevinertonsouffle.Alorsécoute:oùquejesois,jedevineraiteséclatsderire,jeverrailessouriresdanstesyeux,j'entendraileséclatsdetavoix.Savoirsimplementquetueslàquelquepartsurcetteterresera,dansmonenfer,monpetitcoindeparadis.TuesmonBachert,Jet'aime

Lucas.Zofiaserecroquevilla lentementsur le tapisdefeuillesenserrant la lettre

danssesdoigts.Ellerelevalatêteetregardalecielvoilédechagrin.Aumilieu du parc, le nom de Lucas résonna comme jamais la Terre ne

l'avait entendu résonner ; lesmains tendues au plus haut vers le ciel, Zofiadéchiraitlesilenceetsonappelinterrompaitlecoursdumonde.—Pourquoim'as-tuabandonnée?murmurat-elle.—N'exagéronsrientoutdemême!réponditlavoixdeMichaëlquiapparut

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sousl'archedupetitpont.—Parrain?—Pourquoipleures-tu,Zofia?—J'aibesoindetoi,dit-elleencourantverslui.— Je suis venu te chercher, Zofia, il faut que tu rentres avec moi

maintenant,c'estfini.Illuitenditlamain,maisellerecula.—Jenerentrepas.Monparadisn'estpluscheznous.Michaëlavançaverselleetlapritsoussonbras.—TuveuxrenonceràtoutcequetonPèret'adonné?— À quoi servait de me donner un cœur si c'était pour le laisser vide,

parrain?Il semit faceàelleetposasesdeuxmainssur sesépaules ; il la regarda

attentivementetsourit,pleindecompassion.—Qu'as-tufait,Zofia?Elle plongea ses yeux dans les siens, ses lèvres serrées de tristesse, elle

soutintsonregardetluidit:—J'aiaimé.Alorslavoixdesonparrainsefitfeutrée,sonregarddevintévanescentetla

lumièredujourtraversasonvisageaufuretàmesurequ'ildisparaissait.—Aide-moi,supplia-t-elle.—C'estunealliance...Mais elle n'entendit jamais la fin de sa phrase, il avait disparu, elle ne

l'entendraitplus.—...sacrée,acheva-t-elleens'éloignantseuledansl'allée.

*Michaël sortitde l'ascenseur,passadevant l'hôtesse,qu'il saluad'ungeste

impatient, et avançad'unpaspressédans le corridor. Il frappaà laportedugrandbureauetentrasansattendre.

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—Houston,nousavonsunproblème!Laporteserefermaderrièrelui.Quelquesminutesplustard,lavoixtonitruantedeMonsieurfittremblerles

mursdelademeure.Michaëlressortitpeuaprès,faisantsigneàtousceuxqu'ilcroisait dans les couloirs que tout allait pour lemieux dans lemeilleur desmondes et que chacun pouvait retourner à son poste de travail. Il se faufiladerrière le comptoir de la réceptionniste et regarda nerveusement par lafenêtre.Danssonimmensebureau,Monsieurfixaitdesonœilrageurlacloisondu

fond,ilouvritletiroiràsamaindroite,fitcoulisserlecompartimentsecretetdéverrouillabrutalementlasécuritéducontacteur.D'un coup de poing franc, il appuya sur le bouton-poussoir. La cloison

coulissalentementsursesrailsets'ouvritsurlebureaudePrésident;lesdeuxtables n'en formaient désormais plus qu'une seule démesurée où chacun setenaitàuneextrémité,l'unfaceàl'autre.—Jepeuxfairequelquechosepourtoi?demandaPrésidentenposantson

jeudecartes.—Jenepeuxpascroirequetuaiesosé!—Oséquoi?susurraSatan.—Tricher!—Parcequec'estmoiquiaitrichélepremier?répliquaPrésidentd'unton

arrogant.—Commentas-tupuattenteraudestindenosenvoyés?Tun'asdoncplus

delimites?— Mais c'est quand même le monde à l'envers, j'aurai vraiment tout

entendu!raillaSatan.C'esttoiquiastrichélepremier,monvieux!—Moij'aitriché?—Parfaitement!—Etenquoiai-jetriché?—Neprendspascetairangéliqueavecmoi!—Maisqu'est-cequej'aifait?demandaDieu.—Tuasrecommencé!ditLucifer.—Quoi?

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—DESHUMAINS!Dieu toussa et caressa la pointe de son menton en dévisageant son

adversaire.—Tuvasarrêterimmédiatementdelespourchasser!—Etsinonquoi?—Sinonc'estmoiquivaistepoursuivre!—Ah oui ? Essaie, juste pour voir ! Je m'amuse déjà ! A ton avis, les

avocatsrésidentcheztoiouchezmoi?réponditPrésidentenappuyantsurleboutondanssontiroir.La cloison se referma lentement.Dieu attendit qu'elle soit àmi-course, il

inspiraprofondémentetSatanentendit savoix luicrierde l'autreboutde lapièce:—NOUSALLONSETREGRANDS-PERES!Lacloisons'immobilisaaussitôt.DieuvitlatêteeffaréedeSatanquis'était

penchépourlevoirànouveau.—Qu'est-cequetuviensdedire?—Tum'astrèsbienentendu!—Garçonoufille?demandaSatand'unepetitevoixinquiète.—Jen'aipasencoredécidé!Satanselevad'unbond.—Attends,j'arrive!Cettefois-ciilfautvraimentqu'onparle!Présidentfitletourdubureau,franchitlaséparationetvints'asseoiràcôté

de Monsieur, à l'autre extrémité de la table... s'ensuivit une longueconversationquidura...dura...durajusqu'ausoir...Puisilyeutunmatin,et...

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UneEternité

UnefinebrisesoufflaitsurCentralPark...Unamasdefeuillessemitàvirevolter,tourbillonnantautourd'unbancqui

bordait l'allée piétonne. Dieu et Satan s'étaient assis sur le dossier. Ils lesvirentarriverdeloin.LucastenaitlamaindeZofiadanslasienne.Desamainlibre, chacun guidait la poussette à deux berceaux. Ils passèrent devant euxsanslesvoir.Lucifersoupirad'émotion.—Tupeuxmedire ceque tuveux,mais la petite est la plus réussiedes

deux!dit-il.Dieuseretournapourletoiserd'unœilgoguenard.—Jecroyaisqu'onavaitditqu'onneparleraitpasdesenfants?Ilsselevèrentensembleetremontèrentl'alléecôteàcôte.— D'accord, dit Lucifer, dans un monde totalement parfait ou imparfait

nousnousserionsennuyés,oublionsça!Maismaintenantquenoussommesseulàseul,tupeuxmeledire!Tuascommencéàtricherlequatrièmeoulecinquièmejour?—Maispourquoiveux-tuquej'aietriché?...Dieuposasamainsurl'épaule

deLuciferetsourit:—...Etlehasarddanstoutça!

*

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Ilyeutunsoir...etpleind'autresmatins.

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Remerciements

NathalieAndré,M.R.Bass,ÉricBrame,Frédérique,KamelBerkane,AntoineCaro,PhilippeDajoux,ValérieDjian,MarieDrucker,M.P.Fehner,GuillaumeGallienne,M.C.Garot,PhilippeGuez,SophieFontanel,KatrinHodapp,M.P.Leneveu,RaymondetDanièleLevy,LorraineLevy,DanielManca,M.Natalini,PaulineNormand,l'instructeurIFRPatrickPartouche,J.M.Perbost,MlleRegenTell,ManonSbaïz,AlineSouliers,ZofiaetleSyndicatdesdockersCGTduportdeMarseille,MarieLeFort,AlixdeSaint-André,poursonmerveilleuxlivreArchivesdesAnges,NicoleLattès,LeonelloBrandolinietSusannaLeaetAntoineAudouard.