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GuillaumeMusso

Septansaprès…roman

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Premièrepartie

ArooftopinBrooklyn

«Pourroulerauhasard,ilfautêtreseul.Dèsqu’onestdeux,onvatoujoursquelquepart.»

AlfredHITCHCOCK,Vertigo

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Pelotonnéesoussacouette,Camilleobservaitdu fonddeson lit lemerleposésur le rebordde lafenêtre.Leventd’automnebruissaità travers lavitre, lesoleil jouaitentre lesfeuillages,projetantsesrefletsmordoréssur lesparoisdelaverrière.S’ilavaitplutoutelanuit, lecielbrillaitàprésentd’unbleulimpidequiannonçaitunebellejournéed’octobre.

Couchéaupieddulit,ungoldenretrieveràpoilcrèmelevalatêteenpointantleboutdesatruffe.–Viens,monBuck,viens,monbeau!l’invitaCamilleentapotantsonoreiller.Le chien ne se le fit pas répéter. D’un bond, il rejoignit sa maîtresse pour recevoir son lot de

câlineriesmatinales.L’adolescentelecajola,caressantlatêterondeetlesoreillestombantesdel’animalavantdesefaireviolence:

Secoue-toi,mavieille!Elles’extirpaàregretdesprofondeurstièdesdesonlit.Endeuxtemps,troismouvements,elleenfila

unsurvêtement,chaussasesbaskets,nouaenunchignonlâchesescheveuxblonds.–Allez, Buck, bouge-toi,mon gros, on va courir ! lança-t-elle en s’engageant à toute allure dans

l’escalierquimenaitausalon.

Organisésautourd’unvasteatrium,lestroisétagesdelamaisonbaignaientdanslalumièrenaturelle.L’élégantetownhouseenpierrebruneappartenaitàlafamilleLarabeedepuistroisgénérations.

C’étaituntriplexàl’intérieurmoderneetdépouillé,auxpièceslargementouvertes,auxmursornésdepeinturesdesannées1920signéesMarcChagall,TamaradeLempickaetGeorgesBraque.Malgré lestoiles,lecôtéminimalistedeladécorationrappelaitdavantagelesrésidencesdeSohoetdeTriBeCaquecellesdutrèsconservateurUpperEastSide.

–Papa?Tueslà?demandaCamilleenarrivantdanslacuisine.Elle se servit unverred’eau fraîche en regardant autourd’elle.Sonpère avait déjàpris sonpetit

déjeuner. Sur le comptoir laqué, une tasse àmoitié vide et un reste de bagel voisinaient avec leWallStreetJournal,queSebastianLarabeefeuilletaitchaquematinenbuvantsoncafé,etunexemplaireduStrad1.

En tendant l’oreille, Camille perçut le bruit de la douche à l’étage. Apparemment, son père étaitencoredanslasalledebains.

–Hé!Elle donna une petite tape à Buck et claqua la porte du réfrigérateur pour empêcher son chien

d’attraperlesrestesd’unpouletrôti.–Tumangerasplustard,espècedegoinfre!Écouteurssurlesoreilles,ellesortitdelamaisonetremontalarueàpetitesfoulées.

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LademeuredesLarabeeétaitsituéeentreMadisonetParkAvenue,àhauteurdela74e,dansunejolietraversebordéed’arbres.Malgrél’heurematinale,lequartierétaitdéjàanimé.Lestaxisetleslimousinesdéfilaient devant les hôtels particuliers et les immeubles chics. Sanglés dans leurs uniformes, lesconciergesredoublaientdezèledansunballetétourdissant,hélantlesyellowcabs,ouvrantlesportières,chargeantlesbagagesdanslescoffres.

Camillerejoignitla5eAvenueentrottinantetremontaMillionaire’sMile, l’alléedesmilliardairesqui, le long de Central Park, voyait se succéder les plus prestigieux musées de la ville : leMet, leGuggenheim,laNeueGalerie…

– Allez, mon beau, l’effort avant le réconfort ! lança-t-elle à Buck en accélérant sa course pours’engagersurlapistedejogging.

Dèsqu’ilfutcertainquesafilleavaitquittélamaison,SebastianLarabeesortitdelasalledebains.IlpénétradanslachambredeCamillepoursoninspectionhebdomadaire.Ill’avaitmiseenplacelorsquesafilleétaitentréedanslapréadolescence.

Œilsombreetsourcilsfroncés,ilavaitsatêtedesmauvaisjourscar,depuisplusieurssemaines,ilsentaitCamilleplussecrète,moinsconcernéeparsesétudesetlapratiqueduviolon.

Sebastianbalaya lapièceduregard :unevastechambred’adolescenteaux tonalitéspasteldontsedégageaituneatmosphèreapaisanteetpoétique.Auxfenêtres,desrideauxvaporeuxscintillaientsouslesrayonsdusoleil.Sur legrand lit,desoreillerscolorésetunecouette rouléeenboule.Machinalement,Sebastianrepoussalacouetteets’assitsurlematelas.

Il s’empara du Smartphone qui traînait sur la table de nuit. Sans états d’âme, il entra les quatrechiffresducodesecretqu’ilavait saisià ladérobée,un jouroùsa fille téléphonaitdevant lui sansseméfier.L’appareilsedébloqua.Sebastiansentitunepousséed’adrénalinel’envahir.

Chaque fois qu’il s’aventurait dans la vie intime de Camille, il appréhendait ce qu’il pourraitdécouvrir.

Rienàcejouretpourtantilcontinuait…Il scruta lesderniersappelspasséset reçus. Il connaissait tous lesnuméros : ceuxdescopinesdu

lycéeSt.JeanBaptiste,desaprofesseuredeviolon,desapartenairedetennis…Pasdegarçon.Pasd’intrus.Pasdemenace.Soulagement!Ilfitdéfilerlesphotosrécemmentenregistrées.Riendebienméchant.Desclichésprislorsdelafête

d’anniversairede lapetiteMcKenzie, la filledumaire,avecquiCamilleallaità l’école.Pournerienlaisserauhasard,ilzoomasurlesbouteillespours’assurerqu’ellesnecontenaientpasd’alcool.C’étaitduCocaetdesjusdefruits.

Il poursuivit ses investigations par l’étude des mails, des SMS, ainsi que par l’historique de lanavigationWebetdelamessagerieinstantanée.Làencore,touslescontactsétaientbienidentifiésetlecontenudesconversationsneportaitpasàconséquence.

Sonangoissedescenditd’uncran.Il reposa le téléphone, puis examina les objets et les papiers posés sur le bureau. Un ordinateur

portableétaitbienenvue,maisSebastians’endésintéressa.Sixmoisauparavant,ilavaitinstalléunkeyloggersurl’ordinateurdesafille.Unlogicielespionqui

lui permettait de recevoir un compte rendu exhaustif des sites fréquentés par Camille, ainsi qu’uneretranscriptiondesescourriersélectroniquesetdesesconversationsen«tchat».Bienentendu,personnen’étaitaucourantdecettedémarche.Lesbonsespritslecondamneraientàcoupsûr,lefaisantpasserpourunpèreabusif.MaisSebastiann’enavaitcure.Sonrôledepèreétaitd’anticiperetd’éloignerlesdangerspotentielsquepouvaitcourirsafille.Etdanscecas-là,lafinjustifiaitlesmoyens.

CraignantunretourprécipitédeCamille,iljetauncoupd’œilparlafenêtreavantdereprendresesrecherches. Il contourna la tête de lit qui servait de séparation entre la chambre et le dressing. Là, il

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ouvritméthodiquementlesplacards,soulevachaquepiledevêtements,fitlamouedevantlemannequindeboissurlequelreposaitunerobebustierqu’iltrouvabeaucouptropglamourpourunegaminedesonâge.

Ilfitglisserlaporteduplacardàchaussuresetdécouvritunenouvellepaire:desStuartWeitzmanencuir verni à talons hauts. Il regarda avec inquiétude les escarpins, symbole douloureux pour lui de lavolontédesafilledes’extirpertroptôtdesachrysalide.

Encolère,illesreposasurlaplanchette,avantderemarquerunélégantsacdeshoppingroseetnoir,ornédulogod’unecélèbreenseignedelingerie.Ill’ouvritavecappréhensionetdécouvritunensembleensatincomposéd’unsoutien-gorgeàbalconnetetd’uneculotteendentelle.

Cette fois,c’enest trop! fulmina-t-il enbalançant le sacau fondduplacard.Dansunmouvementd’humeur,ilclaqualaportedelapenderie,prêtàrejoindreCamillepourluidiresonfait.Puis,sanstropsavoirpourquoi,ilpoussalaportedelasalledebains.Enpassantaucriblelecontenudelatroussedetoilette, il en extirpa une plaquette de comprimés.Une série de numéros indiquait l’ordre de prise dechaquecachet.Unedesdeuxrangéesdecapsulesétaitdéjàentamée.Sebastiansentitsesmainstrembler.Sacolèresechangeaenpaniqueaufuretàmesurequel’évidences’imposaitàlui:safilledequinzeansprenaitlapilule.

1.Magazinespécialisédansl’actualitédesinstrumentsàcordes.

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–Allez,monBuck,onrentreàlamaison!Après deux tours de piste, le golden retriever commençait à tirer la langue. Ilmourait d’envie de

s’ébrouerdansl’immensepland’eauquisetrouvaitderrièrelegrillage.Camilleaccéléraetterminaausprint sesdernières foulées.Troismatinspar semaine, pourgarder la forme, elle venait courir ici, aucœurdeCentralPark,surlabouclededeuxkilomètresetdemiquilongeaitleReservoir.

Une fois le parcours terminé, elle reprit son souffle, lesmains sur les hanches, puis repartit versMadisonensefrayantuncheminaumilieudescyclistes,desrollersetdespoussettes.

–Yaquelqu’un?demanda-t-elleenouvrantlaportedelamaison.Sansattendrelaréponse,ellemontalesmarchestroispartroispourregagnersachambre.Faut que jemegrouille ou je vais être en retard ! pesta-t-elle en passant sous la douche.Après

s’êtresavonnée,séchéeetparfumée,elles’arrêtadevantsondressingpourchoisirunetenue.Lemomentleplusimportantdelajournée…Sonlycée,leSt.JeanBaptisteHighSchool,étaitunétablissementcatholiquepourfilles.Uneécole

d’élite accueillant la jeunesse dorée new-yorkaise. Une institution régie par des règles strictes quiimposaientleportd’ununiforme:jupeplissée,blazeràécusson,chemiseblanche,serre-tête.

Une rigueur chic et austère qui autorisait heureusement le choix de quelques accessoires plusaudacieux.Camillenouaautourdesoncouunecravatelavallière,appliquaavecsondoigtunsoupçonderougecouleurframboisesurseslèvres.

Ellepeaufinasonallured’écolièrepreppyenempoignantle itbag rosevifqu’elleavait reçupoursonanniversaire.

–Bonjour,papa!lança-t-elleens’asseyantautourdel’îlotcentraldelacuisine.Sonpèreneréponditpas.Camilleledétailla.Ilavaitdel’alluredanssoncostumesombrecoupéà

l’italienne.C’étaitelled’ailleursquiluiavaitconseillécemodèle:unevesteauxépaulesbassesetàlataillecintréequi tombait impeccablement.L’airsoucieux, lesyeuxdans levague, ilse tenait immobiledevantlabaievitrée.

–Çava?s’inquiétaCamille.Tuveuxquejeteprépareunautrecafé?–Non.–Tantpis…conclut-elled’untonléger.Une bonne odeur de toasts grillés flottait dans la pièce. L’adolescente se servit un verre de jus

d’orange,dépliasaservietted’oùtomba…saplaquettedepilules.–Tu…tupeuxm’expliquer?demanda-t-elled’unevoixtremblante.–C’estàtoidem’expliquer!grondasonpère.–Tuasfouillédansmesaffaires!s’indigna-t-elle.–Nechangepasdesujet,tuveuxbien!Quefaitcecontraceptifdanstatroussedetoilette?–Ça,c’estmavieprivée!protesta-t-elle.

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–Onn’apasdevieprivéeàquinzeans.–Tun’aspasledroitdem’espionner!Sebastians’avançaverselleenpointantunindexmenaçant.–Jesuistonpère:j’aitouslesdroits!–Maislâche-moiunpeu!Tucontrôlestout:mesamis,messorties,moncourrier,lesfilmsqueje

vaisvoir,leslivresquejelis…–Écoute,jet’élèveseuldepuisseptanset…–Parcequetul’asbienvoulu!Excédé,ilabattitsonpoingsurlatable.–Répondsàmaquestion:tucouchesavecqui?–Çaneteregardepas!Jen’aipasàtedemanderl’autorisation!Cen’estpastavie!Jenesuisplus

uneenfant!– Tu es trop jeune pour avoir des relations sexuelles. C’est de l’inconscience ! Qu’est-ce que tu

cherches?ÀsabordertavieàquelquesjoursseulementduconcoursTchaïkovski?–J’enaimarreduviolon!Etd’ailleurs,j’enaimarredececoncours!Jenem’yprésenteraijamais!

Voilà,c’esttoutcequetuasgagné.–Benvoyons!C’esttellementplusfacile!Encemoment,tudevraisjouerdixheuresparjourpour

avoirunepetitechancedebriller.Aulieudequoi,tut’achètesdelalingeriedebimboetdeschaussuresquidoiventcoûterl’équivalentduPIBduBurundi.

–Arrêtedemeharceler!cria-t-elle.–Ettoi,arrêtedetefringuercommeunepute!Ondirait…ondiraittamère!hurla-t-ilenperdant

complètementsoncalme.Stupéfaiteparlaviolencedupropos,ellecontre-attaqua:–Tuesunsalemalade!Cefutlemotdetrop.Horsdelui,illevalebrasetluiassenaunegiflemagistralequiladéséquilibra.

Letabouretsurlequelelles’appuyaitvacillaettombasurlesol.Sidérée,Camilleserelevaetsetintquelquesinstantsimmobile,encoresonnéeparcequivenaitde

sepasser.Reprenantsesesprits,elleattrapasonsac,biendécidéeànepasresterunesecondedeplusenprésencede sonpère.Sebastianessayade la retenir,maiselle le repoussaet sortitde lamaison sansmêmerefermerlaportederrièreelle.

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Le coupé auxvitres teintées s’engagea surLexington et rejoignit la 73eRue. Sebastian baissa sonpare-soleilpouréviterl’éblouissement.Ilfaisaitparticulièrementbeauencetautomne2012.EncoresouslechocdesonaltercationavecCamille,ilsesentaitdésemparé.C’étaitlapremièrefoisqu’illevaitlamainsurelle.Conscientdel’humiliationqu’elleavaitdûéprouver,ilregrettaitprofondémentcettegifle,maislaviolencedesongesteétaitproportionnelleàsadéception.

Le fait que sa fillepuisse avoirunevie sexuelle l’anéantissait.C’était trop tôt !Cela remettait enquestion les projets précis qu’il avait pour elle. Le violon, les études, les différentes professions àenvisager:toutétaitplanifié,réglécommedupapieràmusique,ilnepouvaityavoirdeplacepourautrechose…

Cherchantàs’apaiser,ilinspiraprofondémentetregardaàtraverslavitre,trouvantduréconfortdanslespectacledel’automne.Encettematinéeventeuse,lestrottoirsdel’UpperEastSideétaienttapissésdefeuillesauxcouleursflamboyantes.Sebastianétaitattachéàcequartieraristocratiqueetintemporelquiabritaitlahautesociéténew-yorkaise.Danscetteenclaveauconfortfeutré,toutétaitsobreetrassurant.Unebullepréservéedutumulteetdel’agitation.

Ildébouchasurla5eAvenueetdescenditverslesudenlongeantCentralParktoutencontinuantsesruminations. Sans doute était-il un peu possessif,mais n’était-ce pas une façon – certesmaladroite –d’exprimer sonamourà sa fille?Peut-êtrepourrait-il essayerde trouverun justeéquilibreentre sondevoirdelaprotégeretledésird’autonomiequ’ellemanifestait?Pendantquelquessecondes,ilvoulutcroirequeleschosesétaientsimplesetqu’ilallaitchanger.Puis il repensaà laplaquettedepilulesettoutessesbonnesrésolutionss’évanouirent.

Depuissondivorce,ilavaitélevéCamilleseul.Ilétaitfierdeluiavoirdonnétoutcedontelleavaiteu besoin : de l’amour, de l’attention, une éducation. Il avait porté sur elle un regard prévenant etvalorisant.Toujoursprésent,ilprenaitsonrôletrèsausérieux,s’investissantquotidiennement,depuislesuividesdevoirsjusqu’auxcoursdeviolonenpassantparlesleçonsd’équitation.

Ilavaitsûrementratédeschoses,commisdesmaladresses,maisilavaitfaitdesonmieux.Danscetteépoque déliquescente, il avait surtout essayé de lui transmettre des valeurs. Il l’avait préservée desmauvaises fréquentations,dumépris,ducynismeetde lamédiocrité.Pendantdesannées, leur relationavaitétéforteetcomplice.Camilleluiracontaittout,luidemandaitsouventsonavisettenaitcomptedesesconseils.Elleétaitlafiertédesavie:uneadolescenteintelligente,subtileettravailleusequibrillaità l’école et qui était peut-être à l’aube d’une grande carrière de violoniste. Pourtant, depuis quelquesmois,lesdisputessemultipliaientetildevaitbienadmettrequ’ilsesentaitdeplusenplusdémunipourl’accompagner dans cette traversée périlleuse quimenait des rivages de l’enfance vers les berges del’âgeadulte.

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Untaxileklaxonnapourluisignifierquelefeuétaitpasséauvert.Sebastianpoussaunlongsoupir.Il

necomprenaitpluslesgens,ilnecomprenaitpluslesjeunes,ilnecomprenaitplussonépoque.Toutledésespéraitetl’effrayait.Lemondedansaitauborddugouffre,ledangerétaitpartout.

Certes,ilfallaitvivreavecsontemps,faireface,nepasbaisserlesbras,maispersonnenecroyaitplusenrien.Lesrepèressebrouillaient,lesidéauxavaientdisparu.Criseéconomique,criseécologique,crise sociale. Le système était à l’agonie et ses acteurs avaient rendu les armes : les politiciens, lesparents,lesenseignants.

Cequ’ilsepassaitavecCamilleremettaitencausetoussesprincipesetnefaisaitqu’aggraversonanxiéténaturelle.

Sebastians’étaitrepliésurlui-même,secréantunmondeàsamesure.Désormais,ilquittaitrarementsonquartieretencoremoinsManhattan.

Luthiercélèbreaimantlasolitude,ils’enfermaitdeplusenplussouventdanssonatelier.Pendantdesjoursentiers,aveclamusiquepourseulecompagne,ilfaçonnaitetciselaitsesinstruments,modelantleurtimbre et leur sonorité pour en faire des pièces uniques dont il tirait une grande fierté. Son atelier delutherie était représenté en Europe et en Asie, mais lui n’y mettait jamais les pieds. Quant à sesfréquentations,elles se limitaientàunpetitcercledeconnaissances,essentiellementdesgensévoluantdanslemilieudelamusiqueclassique,oudesdescendantsdesfamillesbourgeoisesvivantdansl’UpperEastSidedepuisplusieursdécennies.

Sebastianregardasamontreetaccéléra.AuniveaudeGrandArmyPlaza,ildépassalafaçadegrisclairde l’ancienhôtelSavoyet slalomaentre lesvoitureset lescalèchesà touristespour rejoindre leCarnegie Hall. Il se gara dans le parking souterrain en face de la mythique salle de concert et pritl’ascenseurpourrejoindrelalutherie.

L’entrepriseLarabee & Son avait été fondée par son grand-père, Andrew Larabee, à la fin desannées1920.Aufildutemps,lamodesteéchoppedesdébutsavaitacquisuneréputationinternationale,pour devenir une adresse incontournable dans le domaine de la fabrication et de la restauration desinstrumentsanciens.

Dèsqu’ilentradans l’atelier,Sebastiansedétendit. Ici, toutn’étaitquequiétudeetapaisement.Letemps semblait arrêté. Les odeurs agréables d’érable, de saule et d’épicéa semêlaient à celles, plusentêtantes,duvernisetdessolvants.

Il aimait l’atmosphère particulière de cet artisanat d’un autre temps. Au XVIIIe siècle, l’école deCrémoneavaitportél’artdelalutherieausommetdesaperfection.Depuiscetteépoque,lestechniquesn’avaient guère évolué.Dans unmonde en perpétuellemutation, cette stabilité avait quelque chose derassurant.

Derrière leurs établis, luthiers et apprentis travaillaient sur différents instruments. Sebastian saluaJoseph,sonchefd’atelier,quiajustaitleschevillesd’unalto.

– Les gens de Farasio ont appelé à propos du Bergonzi. La vente a été avancée de deux jours,expliqua-t-ilenépoussetantlescopeauxquis’accrochaientàsontablierdecuir.

–Ilsexagèrent!Çavaêtredifficilepournousdetenirlesdélais,s’inquiétaSebastian.–Àcepropos,ilsaimeraientavoirtoncertificatd’authenticitédanslajournée.Tupensesquec’est

possible?Sebastiann’étaitpasseulementunluthierdetalent,ilétaitégalementunexpertreconnu.Ilfitunemouerésignée.Cetteventeétaitlaplusimportantedel’année.Impensabled’yrenoncer.–Ilfautquejecomplètemesnotesetquejerédigemonrapport,mais,sijem’ymetstoutdesuite,ils

l’aurontavantcesoir.–D’accord.Jelespréviens.

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Sebastianserenditdanslagrandesallederéceptionauxmurstendusdevelourspourpre.Accrochésauplafond,unecinquantainedeviolonsetd’altosdonnaientà lasallesasingularité.Bénéficiantd’uneexcellenteacoustique,elleavaitaccueillidesinterprètesillustresvenusdumondeentierpouracheteroufaireréparerleurinstrument.

Sebastians’installaàsatabledetravailetchaussadefineslunettesavantdes’emparerdelapiècequ’ildevaitexpertiser.C’étaitunobjetassezrare:ilavaitappartenuàCarloBergonzi,leplusdouédesélèvesdeStradivari.Datantde1720,ilétaitétonnammentbienconservéetlacélèbremaisond’enchèresFarasioétaitdécidéeàentirerplusde1milliondedollars,lorsdesaprochainegrandevented’automne.

Spécialistemondialementréputé,Sebastiannepouvaitsepermettrelamoindreerreurd’appréciationsurunévénementdecetteampleur.Àlamanièred’unœnologueoud’unparfumeur,ilavaitenmémoiredes milliers de caractéristiques sur chaque école de lutherie : Crémone, Venise, Milan, Paris,Mirecourt… Mais, malgré toute cette expérience, il restait difficile de certifier avec exactitudel’authenticitéd’unepièceet,àchaqueexpertise,Sebastianjouaitsaréputation.

Avecprécaution,ilcoinçal’instrumententresaclaviculeetsonmenton,levasonarchetetentamalespremièresmesuresd’unepartitadeBach.Lasonoritéétaitexceptionnelle.Dumoinsjusqu’àcequ’unedescordescassesubitementet,telunélastique,viennelegifler.Médusé,ilreposal’instrument.Toutesanervositéettoutesatensions’étaientressentiesdanssonjeu!Impossibledeseconcentrer.L’incidentdelamatinéepolluaitsonesprit.LesreprochesdeCamillerésonnaientets’amplifiaientenlui.Ildevaitbienadmettrequ’ilyavaitunepartdevéritédanscequ’elle luiavaitdit.Cette fois, il étaitallé trop loin.Terrifiéàl’idéedelaperdre,ilsavaitqu’ildevaitrenouerledialogueauplusvite,maisilsedoutaitquece ne serait pas aisé. Il regarda samontre, puis sortit son téléphonemobile. Les cours n’avaient pasencore commencé, avec un peu de chance… Il essaya de la joindre,mais tomba directement sur sonrépondeur.

Inutilederêver…Àprésent, il était convaincuque la stratégie frontale étaitvouéeà l’échec. Il fallaitqu’il lâche la

bride, dumoins en apparence.Et pour ça, il avait besoin d’un allié.Quelqu’un qui lui permettrait deregagnerlaconfiancedeCamille.Lorsqu’ilauraitrestaurécettecomplicité,ils’arrangeraitpouréclaircirl’affaireetramenersafilleàlaraison.Maisàquidemanderdel’aide?

Mentalement,ilpassaenrevuelesdifférentesoptions.Desamis?Ilavaitbiendes«relations»,maispersonnedesuffisammentprocheetfiablepouraborderunproblèmeaussiintime.Sonpèreétaitdécédél’année dernière ; quant à samère, ce n’était pas vraiment unmodèle de progressisme. Sa compagne,Natalia?ElleétaitendéplacementàLosAngelesavecleNewYorkCityBallet.

RestaitNikki,lamèredeCamille…

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Nikki…Non, ce n’était pas sérieux. Ils ne s’étaient plus adressé la parole depuis sept ans.Et puis, plutôt

creverquededemanderdel’aideàNikkiNikovski!En y réfléchissant bien, il était même possible que ce soit elle qui ait laissé Camille prendre la

pilule!Çaluiressemblaitbien,aprèstout…Nikkiétaituneadeptedelalibérationdesmœursetdetousces préceptes prétendument progressistes : laisser les enfants s’émanciper, leur faire une confianceaveugle, refuser de les sanctionner, bannir toute autorité, prôner une tolérance à tout crin, voire unelibertéabsolueaussiinconscientequenaïve.

Ilconsidéra lachoseuninstant.Était-ilpossiblequeCamilleaitdemandéconseilàsamèreplutôtqu’à lui?Mêmepourunsujetaussi intimequelacontraception,cela luiparutpeuprobable.D’abord,parce queNikki et sa fille se voyaient peu, ensuite, parce queNikki – volontairement ou non – étaittoujoursrestéeendehorsdel’éducationdeCamille.

Chaquefoisqu’ilrepensaitàsonex-femme,Sebastianéprouvaitunmélanged’aigreuretdecolère.Maisunecolèredirigéecontrelui-même,tantl’échecdeleurrelationparaissaitprogrammé.Cemariageavaitétélaplusgrandeerreurdesavie.Ilyavaitperdusesillusions,sasérénitéetsajoiedevivre.

Ils n’auraient jamais dû se rencontrer, jamais dû se plaire. Ils n’avaient en commun ni l’originesociale,nil’éducation,nimêmelareligion.Leurstempéraments,leurscaractèresétaientauxantipodes.Etpourtant,ilss’étaientaimés!

DébarquéeàManhattandesonNewJerseynatal,Nikkiavaitdébutéunecarrièredemannequinenrêvant de rôles dramatiques et de comédies musicales à Broadway. Elle vivait au jour le jour, dansl’insoucianceetladésinvolture.

Vive d’esprit, extravertie et passionnée, elle savait être attachante et jouer de ses charmes pourarriverà ses fins.Maisellevivaitdans l’excès,droguéeauxsentimentsetauxeffusions.Victimed’unbesoincompulsifd’existeràtraversleregarddeshommes,ellejouaitsanscesseaveclefeu,prêteàallertrèsloinpourserassurersursonpouvoirdeséduction.

L’exactopposédeSebastian.Discret et réservé, il était le produit d’une éducation élitiste et bourgeoise. Il aimait prévoir les

choseslongtempsàl’avance,organisersaviesurlelongterme,s’accrocheràdesprojetsd’avenir.Danssonentourage,sesparentsetsesamisn’avaientpasétélongsàlemettreengarde,luifaisant

comprendrequeNikkin’étaitpasunefillepourlui.MaisSebastians’étaitentêté.Uneforceirrésistiblelesattirait l’unvers l’autre.Tous lesdeuxs’étaient laisségriserpar lemythenaïfetpopulairevoulantque«lescontrairess’attirent».

Ilsavaientcruenleurchance,s’étaientmariéssuruncoupdetêteetNikkiétaittombéeenceintedanslafoulée,donnantnaissanceàdesjumeaux:CamilleetJeremy.Aprèsunejeunessechaotique,Nikkiétait

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enquêtedestabilitéetdematernité.Lui,engoncédansuneéducationconservatrice,avaitpensétrouverdans cette relation une échappatoire à lamorgue pesante de sa famille. Chacun avait vécu cet amourcommeundéfi,avecl’ivressedetransgresseruninterdit.Maisleretourdebalancieravaitétébrutal.Lesdifférencesqui,danslespremierstemps,avaientpimentéleurexistenceétaientrapidementdevenuesdesmotifsd’agacementpuisdedisputesincessantes.

Mêmeaprèslanaissancedesjumeaux,ilsn’avaientpasréussiàs’accordersurunsocledevaleursqui leur auraient permis d’avancer dans la vie. La nécessité de fixer des principes pour élever leursenfantsavaitaucontraireexacerbélesconflits.Nikkiconcevait l’éducationsurunmodeprivilégiantlaliberté et l’autonomie. Sebastian ne l’avait pas suivie sur ce chemin qu’il jugeait dangereux. Il avaitcherchéàlaconvaincrequeseulesdesrèglesstrictesstructuraientlapersonnalitéd’unenfant.Maisleurspointsdevueétaientdevenusinconciliablesetchacunavaitcampésursespositions.C’étaitainsi.Onnepeutpaschangerlesgens.Onnepeutpaséradiquerlesfondementsd’unepersonnalité.

Ilsavaient finiparseséparerà lasuited’unépisodepéniblequeSebastianavaitvécucommeunetrahison.Nikki avait franchi la limite de ce qu’il était capable d’endurer. Si les événements l’avaientdévasté,ilsavaientétélesignalimpérieuxluiordonnantdemettrefinàcemariagequin’avaitplusdesens.

Poursauversesenfantsdecenaufrageetenobtenirlagarde,Sebastianavaitengagéunspécialistedudivorceetdudroitde la famille.Un ténordubarreauquis’étaitemployéà traînerNikkiplusbasqueterrepour l’obligeràrenoncerà l’essentieldesesdroitsparentaux.Mais leschosess’étaientrévéléesplusdifficilesqueprévu.Sebastianavaitfinalementproposéunaccordparticulieràsafutureex-femme:illuiabandonnaitlagardequasiexclusivedeJeremyenéchangedecelledeCamille.Pournepasrisquerdetoutperdreens’engageantdansunebataillejuridique,elleavaitacceptécepartage.

Depuisseptans,CamilleetJeremyvivaientdoncdansdeuxmaisonsdistinctessouslaresponsabilitédedeuxadultesquileuravaientprodiguéuneéducationdiamétralementopposée.Lafréquencedesvisitesà l’«autreparent»était faibleet strictementencadrée.Camillenevoyait samèrequ’undimanchesurdeuxpendantqueSebastianrecevaitJeremy.

SisonmariageavecNikkiavaittenudeladescenteauxenfers,cettepériodeétaitdepuislongtempsrévolue.Aufildesannées,Sebastianavait remisde l’ordredanssavie.Désormais,Nikkin’étaitplusqu’unlointainsouvenir.Iln’avaitquederareséchosdesavieparl’intermédiairedeCamille.Sacarrièredemannequinn’avaitpasdécollé;sacarrièred’actricen’avaitjamaisdébuté.Auxdernièresnouvelles,elleavaitabandonné lesséancesphoto, lescastingsetsesrêvesde théâtrepoursereconvertirdans lapeinture.Ses toilesétaientcertesparfoisexposéesdansdesgaleriessecondairesdeBrooklyn,maissarenommée restait très confidentielle.Quant aux hommes, ils défilaient dans sa vie. Jamais lesmêmes,jamais les bons. Elle semblait avoir un talent particulier pour attirer ceux qui la feraient souffrir, quidevineraient sa faille, sa fragilité, et essaieraient d’en tirer parti. Avec l’âge, toutefois, elle semblaitvouloirstabilisersaviesentimentale.AuxdiresdeCamille,elleavaitdepuisquelquesmoisuneliaisonavecunflicdelaNYPD.Unhommededixanssoncadet,évidemment.Rienn’étaitjamaissimpleavecNikki.

La sonnerie du téléphone sortit Sebastian de sa rêverie. Il regarda son cellulaire et écarquilla lesyeux.Paruneffettroublantdesynchronicité,l’intitulé«NIKKINIKOVSKI»s’affichaàl’écran.

Ileutunmouvementderecul.Sescontactsavecsonex-femmeétaientdevenuspresqueinexistants.Lapremière année qui avait suivi le divorce, ils s’apercevaient aumoment de l’« échange », mais leurrelationselimitaitaujourd’huiàquelquesSMSinformatifspourcoordonnerlesvisitesbimensuellesdesdeuxenfants.SiNikkiprenaitlapeinedel’appeler,c’estqu’ils’étaitpasséquelquechosedegrave.

Camille…pensa-t-ilendécrochant.–Nikki?

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–Bonjour,Sebastian.Ilsentitimmédiatementl’inquiétudedanssavoix.–Tuasunproblème?–C’estJeremy.Tu…tuaseudesnouvellesdetonfils,cesderniersjours?–Non,pourquoi?–Jecommenceàêtreinquiète.Jenesaispasoùilest.–Commentça?–Iln’estpasalléaulycée.Nihierniaujourd’hui.Sonportablenerépondpasetiln’apasdormiàla

maisondepuis…–Tuplaisantes!lacoupa-t-il.Iladécouché?Elleneréponditpastoutdesuite.Elleavaitanticipésacolère,sesreproches.–Çafaittroisnuitsqu’iln’estpasrentré,finit-elleparavouer.LarespirationdeSebastians’arrêtanet.Samainsecrispaautourduportable.–Tuasprévenulapolice?–Jenepensepasquecesoitunebonneidée.–Pourquoi?–Viens,jet’expliquerai.–J’arrive,dit-ilenraccrochant.

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Sebastian trouva une place au croisement de Van Brunt et de Sullivan Street. À cause de lacirculation,ilavaitmispresquetroisquartsd’heurepourfaireletrajetjusqu’àBrooklyn.

Depuisledivorce,Nikkis’étaitinstalléeavecJeremyàl’ouestdeSouthBrooklyn,danslequartierdeRedHook,l’ancienbastiondesdockersetdelamafia.Enclavéetmaldesserviparlestransportsencommun,lesecteuravaitlongtempssouffertdesonisolementetdel’insécurité.Maiscepassésulfureuxétaitrévolu.LeRedHookd’aujourd’huin’avaitplusriendelazoneundergroundetdangereusequ’elleavaitétédanslesannées1980et1990.Àl’imagedebeaucoupd’endroitsàBrooklyn,c’étaitdevenuunterritoireenpleinemutation,hypeetbohème,plébiscitéparnombred’artistesetdecréateurs.

Sebastiannevenait icique rarement. Il luiarrivaitparfoisd’ydéposerCamille le samedi,mais iln’avait jamais mis les pieds dans l’appartement de son ex-femme. À chacune de ses incursions àBrooklyn,ilétaitfrappéparlarapiditédeschangementsquiaffectaientlequartier.Lesentrepôtsdélabrésetlesdockscédaientlaplaceauxgaleriesd’artetauxrestaurantsbioàunevitesseétourdissante.

Sebastianverrouilla savoitureet remonta la rue jusqu’à la façadeenbrique rouged’uneancienneusineàpapier,transforméeenhabitation.Ilpénétradanslepetitimmeubleetmontalesmarchesdeuxpardeux jusqu’à l’avant-dernier étage.Nikki l’attendait sur le seuil d’une porte coupe-feumétallique quifaisaitofficedeported’entrée.

–Bonjour,Sebastian.Il la contempla en tenant ses émotions à distance. Elle avait conservé une silhouette sportive et

élancée:épauleslarges,tailleétroite,longuesjambes,fesseshautesetrebondies.Son visage était toujours d’une indéniable distinction : pommettes saillantes, nez pointu et regard

félin.Maisilyavaitchezelleunevolontédedissimulercettegrâcesousuneallurefaussementnégligée.Teintsenroux,seslongscheveuxétaienttressésendeuxnattesrelevéesenunchignoninforme.Sesyeuxvertsenamandeétaientsoulignésdetropdekhôl,soncorpsdelianeperdudansunpantalonbouffant,sapoitrineserréedansuntee-shirtexagérémentdécolleté.

–Salut,Nikki,lança-t-ilenentrantdansl’appartementsansattendred’yêtreinvité.Ilneputs’empêcherd’examiner l’endroitaveccuriosité.L’ancienneusineabritaitunvaste loftqui

assumait avec fierté son passé industriel : parquet décapé et blanchi, poutres apparentes, charpente etpiliersenfonte,pandemurenvieillesbriques,plateaudebétongris.Partoutcontrelesmurs,poséesàmêmelesol,séchaientdegrandestoilesabstraitesqueNikkiavaitpeintesrécemment.Sebastianjugeaitla décoration complètement fantaisiste.Desobjets hétéroclites –probablement chinés auxpuces–quiallaient du vieux canapé Chesterfield jusqu’à la table de salon constituée d’une grosse porte rouilléeposée sur deux tréteaux. L’ensemble obéissait probablement à une logique esthétique, mais elle luiéchappait.

–Bon,c’estquoi,cettehistoire?dit-ild’untonimpérieux.–Jetel’aiexpliqué:jen’aiplusdenouvellesdeJeremydepuissamedimatin.

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Ilsecoualatête.–Samedimatin?Maisonestmardi!–Jesais.–Etc’estmaintenantquetut’inquiètes?–Jet’aiappelépourquetumeprêtesmain-forte,paspourquetum’accablesdereproches.–Attends,tuvisdansquelmonde?Tuconnaislesprobabilitésderetrouverunenfantquarante-huit

heuresaprèssadisparition?Elleétouffauncri,l’empoignabrutalementparlesreversdesonpardessuspourlepousserdehors.–Tire-toi!Situn’espasvenupourm’aider,rentrecheztoi!Surpris par la violence de son geste, il se débattit et réussit à attraper les mains de Nikki pour

l’immobiliser.–Explique-moipourquoitunem’aspasprévenuavant!Elleplantasonregarddanslesien.Sesyeuxtraversésd’éclairsmordorésaffichaientunairdedéfi.–Peut-êtrequesitumontraisunpeuplusd’intérêtpourtonfils,j’auraismoinshésité!Sebastianencaissaleproposetrepritd’unevoixpluscalme:–OnvaretrouverJeremy,promit-il,maisilfautquetumeracontestout.Depuisledébut.Méfiante,Nikkimitplusieurssecondesavantdebaisserlagarde.–Assieds-toi,jevaispréparerducafé.

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–J’aivuJeremypourladernièrefoissamedimatin,autourde10heures,unpeuavantqu’ilnepartepourlasalledeboxe.

Nikkiparlaitd’unevoixtroubléeparl’inquiétude.Sebastianfronçalessourcils.–Depuisquandfait-ildelaboxe?–Depuisplusd’unan.Tudébarquesouquoi?Ilesquissaunemoueincrédule.LavisiondeJeremy,adolescentfiliforme,apparutdanssonesprit.Il

avaitdumalàimaginersonfilssurunring.–Onaprislepetitdéjeunertouslesdeux,continuaNikki.Puisonapréparénosaffaires.C’étaitun

peulerush.Lorenzom’attendaitenbas.Ondevaitpartirenweek-enddanslesCatskillset…–Lorenzo?–LorenzoSantos,monmec.–C’esttoujoursceluiquiestflicouc’estunnouveau?–Putain,Sebastian,tucherchesquoi,là?s’emporta-t-elle.Ils’excusad’ungestedelamain.Ellepoursuivit:–Justeavantquejenequittelamaison,Jeremym’ademandélapermissiond’allerpasserlanuitchez

son ami Simon. J’ai accepté. C’était courant pour un samedi soir, presque une habitude pour eux dedormirchezl’unouchezl’autre.

–Premièrenouvelle.Ellenerelevapas.–Ilm’aembrasséeetilestparti.Ilnem’apasdonnédenouvellesdetoutleweek-end,maisjeneme

suispasinquiétéeoutremesure.–Benvoyons…–Ilaquinzeans.Cen’estplusunbébé.EtpuisSimonestpresquemajeur.Illevalesyeuxauciel,maiss’abstintdetoutcommentaire.–JesuisrentréeàBrooklyndimanchesoir.Commeilétaittard,j’aipassélanuitchezSantos.Sebastianluijetaunregardfroidavantdedemander:–Etlelundimatin?– J’ai fait un crochetpar lamaisonvers9heures.Àcetteheure-ci, il est généralementparti pour

l’école.C’étaitnormalqu’ilnesoitpaslà.Ils’impatienta:–Etaprès?–J’aitravaillétoutelajournéeàmonexpositiondepeintureauBWAC,unbâtimentprèsdesquais

quiaccueilleuncollectifd’artistes…–OK,Nikki,épargne-moilesdétails!

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–Dans l’après-midi, j’ai trouvésurmonrépondeurunmessagedu lycéemeprévenantqueJeremyavaitséchélescours.

–Tuasappelélesparentsdugamin?–J’aieulamèredeSimonhiersoir.Ellem’aditquesonfilsétaitpartienvoyaged’étudesdepuis

plusieursjours.Jeremyn’adoncpasdormichezeuxceweek-end.

LetéléphonedeSebastianvibradanssapoche.Ilregardal’écran:c’étaientlestypesdeFarasioquidevaients’inquiéterpourl’expertisedeleurviolon.

–Là,j’aivraimentcommencéàavoirpeur,enchaînaNikki.J’aivoulualleraucommissariat,mais…jen’étaispascertainequelesflicsm’auraientpriseausérieux.

–Pourquoi?–Pourêtrehonnête,cen’estpaslapremièrefoisqueJeremydécouche…Sebastiansoupira.Iltombaitdesnues.Nikkiexpliqua:–Enaoûtdernier,Jeremyestrestédeuxjourssansdonnersignedevie.J’étaisdanstousmesétatset

j’aiprévenuleprecinct1deBushwickdesadisparition. Ilest finalement réapparu le troisième jour. IlétaitsimplementalléfaireunerandonnéedansleparcAdirondack.

–Quelpetitcon!explosa-t-il.–Tu imagines la réactiondesflics. Ilsontprisunmalinplaisiràmesermonner,mereprochantde

leuravoirfaitperdreleurtempsetd’êtreincapabledetenirmonfils.Sebastianvoyaitletableau.Ilfermalesyeux,semassalespaupièresetproposa:–Cettefois,c’estmoiquilesappelle,maissanspasserparunsous-fifre.Jeconnaislemaire.Safille

estdanslamêmeclassequeCamilleet j’airéparéleviolondesafemme.Jevaisluidemanderdememettreenrapportavec…

–Attends,tunesaispastout,Sebastian.–Quoiencore?–Jeremyadéjàeuunpetitproblème:ilauncasierjudiciaire.Ilrestasansvoixetlaregardaavecincrédulité.–Tuplaisantes?Ettunem’asjamaismisaucourant?–Ilafaitdesconneriescesdernierstemps.–Quelgenredeconneries?–Ilyasixmois,ils’estfaitserrerparunepatrouilleentraindetagueruncamiondelivraisondans

lehangard’Ikea.Ellebutunegorgéedecafé,secoualatêted’unairatterré.–Commesicesconsn’avaientpasautrechoseàfairequedetraquer lesmômesquiaiment l’art!

pesta-t-elle.Sebastian tiqua.Les tags,de l’art?Nikkiavaitdécidémentune façonbienparticulièredevoir les

choses.–Ilestpasséautribunal?– Oui. Il a écopé de dix jours de travaux d’intérêt général. Mais il y a trois semaines, il a été

interpellépourvolàl’étalagedansunmagasin.–Qu’est-cequ’ilcherchaitàpiquer?–Unjeuvidéo.Pourquoi?Tuauraispréféréunlivre?Sebastian ignora la provocation. Une deuxième condamnation était dramatique. En vertu de la

politiquedetolérancezéro,mêmeunlarcininsignifiantpouvaitenvoyersonfilsenprison.–Jemesuisdémenéeauprèsdumagasinpourlesdissuaderdeporterplainte,lerassuraNikki.–BonDieu!Qu’est-cequ’iladanslatête,cegamin?

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–Cen’estpas lafindumonde, tempéra-t-elle.Ona tousvoléaumoinsunefoisdansnotrevie.Àl’adolescence,c’estnormal…

–C’estnormaldevoler?explosa-t-ildenouveau.–Çafaitpartiedelavie.Quandj’étaisjeune,jepiquaisdelalingerie,desfringues,duparfum.C’est

mêmecommeçaqu’ons’estrencontrés,situt’ensouviensbien.Cen’estpaslameilleurechosequinoussoitarrivée,pensa-t-il.Sebastianselevadesachaise.Ilessayadefairelepoint.Fallait-ilvraiments’inquiéter?Aprèstout,

siJeremyétaitcoutumierdecegenredefugue…Commesiellelisaitdanssespensées,Nikkis’alarma:–Cettefois,jesuiscertainequec’estgrave,Sebastian.Jeremyavucombienjem’étaisinquiétéela

dernièrefois.Ilm’avaitpromisdeneplusmelaissersansnouvelles.–Qu’est-cequetuveuxqu’onfasse?–Jenesaisplus.J’aicontactélesservicesdesurgencesdesprincipauxhôpitaux,j’ai…–Tun’asrientrouvédebizarreenfouillantsachambre?–Commentça,enfouillantsachambre?–Tul’asfaitoupas?–Non,c’estsonjardinsecret.C’est…–Sonjardinsecret?Maisiladisparudepuistroisjours,Nikki!s’emporta-t-ilensedirigeantvers

l’escalierenmétalquimenaitàl’étage.

1.Commissariat.

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–Quandj’étaisado,jedétestaisquemamèremettesonnezdansmesaffaires.Malgrésoninquiétude,Nikkirépugnaitmanifestementàfouinerdansl’intimitédesonfils.–TufouilleslachambredeCamille,toi?–Unefoisparsemaine,réponditSebastiansanss’émouvoir.–Tuasvraimentuntrèsgrosproblème…Peut-être,maiselleaumoinsn’apasdisparu,pensa-t-ilperfidementensemettantautravail.LachambredeJeremybénéficiaitdesdimensionsgénéreusesoffertesparlaconfigurationatypiquede

l’ancienneusine.C’était une tanière degeek baignant dans un joyeuxdésordre.Épinglées aumur, desaffichesdefilmscultes:Retourverslefutur,WarGames,L’Aventureintérieure,Tron.Posécontreunecloison,unvéloàpignon fixe.Dansuncoinde lapièce,uneborned’arcadeDonkeyKong datant desannées1980.Danslapoubelle,unepyramidedeboîtesdenuggets,depizzassurgeléesetdecanettesdeRedBull.

–C’estunbordelindescriptible!s’exclamaSebastian.Çaluiarrivederangersachambre?Nikki le fusilla du regard. Elle marqua un instant d’arrêt, puis s’attela à la tâche. Elle ouvrit la

penderie:–Apparemment,ilaemportésonsacàdos,nota-t-elle.Sebastians’approchadubureau.Disposésenarcdecercle, troismoniteursdegrandetailleétaient

reliés à deux tours d’ordinateur. Plus loin, un équipement complet deDJ : platines, table demixage,enceintesdemarque,ampli,caissondebasse.Uniquementdumatérieldeprofessionnel.

Oùtrouve-t-ill’argentpoursepayertoutça?Ildétaillalesétagères.Ellesployaientsouslepoidsdescomics:Batman,Superman,Kick-Ass,X-

Men.Sceptique,ilfeuilletaledernierfasciculedelapile:unSpidermandanslequelPeterParkeravaitlaisséplaceàunadolescentmétisafro-américainethispanique.«Lestempschangent»,commechantaitDylan…

Sur un autre rayonnage, il trouva quantité d’ouvrages théoriques sur le poker ainsi qu’une longuemalletteenaluminiumcontenantdixrangéesdejetonsencéramiqueetdeuxjeuxdecartes.

–C’estquoi,cettechambre?Untripot?–Cen’estpasmoiquiluiaiachetécettemallette,sedéfenditNikki.Maisjesaisqu’iljouesouvent

aupokercesdernierstemps.–Avecqui?–Sescopainsdelycée,jepense.Sebastiangrimaça.Iln’aimaitvraimentpasça.Avec un certain réconfort, il constata que l’étagère n’était pas dépourvue de « vrais » livres :Le

Seigneurdesanneaux,Dune,LaMachineàremonterletemps,BladeRunner,lecycledeFondation…

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À côté des essentiels de toutgeek digne de ce nom, on trouvait aussi une dizaine demanuels descénario,desbiographiesdeStanleyKubrick,QuentinTarantino,ChristopherNolan,AlfredHitchcock.

–Ils’intéresseaucinéma?s’étonna-t-il.–Évidemment!Sonrêveestdedevenirréalisateur.Ilnet’ajamaismontrésesfilmsamateurs?Tune

saismêmepasqu’ilpossèdeunecaméra,hein?–Non,concéda-t-il.Avecunecertainetristesse,ilserenditàl’évidence:ilneconnaissaitpassonfils.Etcelanetenait

pasaufaitqu’illevoyaitpeu:cesdernièresannées,leursrapportsviraientaudialoguedesourds.Iln’yavaitmême plus d’opposition. Seulement de l’indifférence.Considérant que Jeremy n’était pas le filsqu’il aurait voulu avoir, parce qu’il ressemblait trop à samère, Sebastian s’était désintéressé de sonévolution,desesétudes,desesaspirations.Lentement,maissûrement,ilavaitjetél’éponge,sansgrandeculpabilité.

–Jenetrouvepassonpasseportnonplus,s’inquiétaNikkienexaminantlestiroirsdubureau.Pensif,Sebastianappuyasurlatouche«entrée»duclavierdel’ordinateur.Jeremyétaitunadepte

desjeuxderôleenligne.Lemoniteurs’allumasurl’écrandeveilleàl’effigiedeWorldofWarcraft.Lesystèmed’exploitationinvitaitàentrerunmotdepasse.

–N’ypensemêmepas,ledissuadaNikki.Ilestparanopourtoutcequitoucheàsonordinateuretilenconnaîtdixfoispluseninformatiquequetoietmoiréunis.

Dommage.Ceverroulesprivaitd’unesourcevitaled’informations.Sebastianserésignaàsuivreleconseildesonex-femmeetrenonçaàpénétrerdanslesentraillesdelamachine.IlrepéranéanmoinsundisquedurexternereliéauPC.Peut-êtrequelepériphérique,lui,n’étaitpasprotégé.

–Tuasunordinateurportable?Onpourraitessayerdelebrancher.–Jevaislechercher.Pendantl’absencedeNikki,ilregardalemurdufond,surlequelJeremyavaittaguéune«fresque»

mystique et colorée dans laquelle un Christ bienveillant flottait au milieu d’un ciel bleu et vert. Ils’approchadelacomposition,inspectalesbombesdepeintureposéesàmêmelesol.Malgrélafenêtreouverte,uneforteodeurdesolvantflottaitencoredansl’air.Legraffavaitétéréalisérécemment.

–Ilatournémystique?demanda-t-iltandisqueNikkilerejoignaitdanslachambre.–Pasquejesache.Moi,jetrouveçatrèsbeau.–Tuessérieuse?L’amourt’aveugle…Elleluitenditsonordinateurportableenluilançantunregardnoir.–Ilm’apeut-êtreaveugléelorsquejet’airencontré,mais…–Mais?Nikkirenonçaàl’affrontement.Ilyavaitplusurgent.Sebastians’emparadunotebook,yconnectaledisqueduretenexploralecontenu.Lepériphérique

débordait de films et de fichiersmusicaux téléchargés sur Internet.Apparemment, Jeremy était un fanacharnéd’ungroupederock,TheShooters.Sebastianvisionnaquelquessecondesdelacaptationd’undeleursconcerts:dugaragerockunpeubourrin,pâleimitationdesStrokesoudesLibertines.

–Tuconnaiscettedaube?–C’estungroupedeBrooklynautoproduit,précisaNikki.Jeremylessuitsouventenconcert.Misère…pensa-t-ilenécoutantlesparoles.En parcourant les autres fichiers, il découvrit des dizaines de séries télé dont il n’avait jamais

entenduparler,ainsiquedesfilmsauxtitresassezexplicitestruffésdefuck,boobsetautresMILF.Paracquitdeconscience, il lançal’undesfichiers.Uneinfirmièreplantureuseapparutà l’écranet

dégrafalangoureusementsablouseavantdeprodiguerunecaressebucco-génitaleàsondrôledepatient.–Bon,çasuffit!s’indignaNikki.C’estabject,cetruc!–Paslapeined’enfaireunemaladie,tempéraSebastian.

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–Çanetegênepasquetonfilsmateduporno!–Non,etpourtouttedire,çamerassure.–Çaterassure!– Avec ses fringues androgynes et son air efféminé, je commençais vraiment àme demander s’il

n’étaitpashomo.Elleledévisagea,l’airoutré.–Tupensesvraimentcequetudis?Ilneréponditpas.Elleinsista:–Mêmes’ilétaitgay,jenevoispasoùseraitleproblème!–Puisqu’ilnel’estpas,ledébatestclos.–Côtéouvertured’esprit,jevoisquetuestoujourscoincéauXIXesiècle.C’estconsternant.Ilsegardabiend’entrerdanscettediscussion.Malgrétout,ellel’accabladereproches:–Nonseulementtueshomophobe,maisenplus,tucautionnescegenredefilmsetl’imagedégradante

delafemmequ’ilsvéhiculent.–Jenesuispashomophobeetjenecautionneriendutout,sedéfenditSebastian,battantprudemment

enretraite.Il ouvrit le premier tiroir du bureau. L’intérieur était colonisé par des dizaines de dragées

multicoloreséchappéesd’unpaquetgrandformatdeM&M’s.Aumilieudessucreries,iltrouvalacartedevisited’untatoueurdeWilliamsburgagraféeaudessind’undragonencoreaustaded’ébauche.

–Unprojetdetatouage.Décidément,ilachoisideneriennousépargner.Ildoitexisterquelquepartune liste secrète que les ados se refilent entre eux.Une compilationde toutes les âneries possibles etimaginablesàfairepourcontrarierleursparents.

Nikkiinterrompitsesrecherchespoursepenchersurlecompartimentcoulissant:–Tuasvu?demanda-t-elleenmontrantunpaquetdepréservatifsencoresouscellophane.–Ilaunecopine,tonpetitprotégé?–Pasàmaconnaissance.Sebastianrepensabrièvementàlaplaquettedecontraceptifsqu’ilavaittrouvéedeuxheuresplustôt

danslachambredeCamille.Pilulespourl’une,capotespourl’autre:qu’illeveuilleounon,sesenfantsgrandissaient. S’agissant de Jeremy, il y voyait un motif de satisfaction. Concernant sa fille, cetteévolutionleterrifiait.Ilsedemandaits’ildevaitévoquercetépisodeavecNikki,lorsqu’iltombasurunjointàmoitiéfumé.

–Leshit,çamedérangeplusqueleporno!Tuétaisaucourantqu’ilfumaitcettemerde?Absorbéeparl’explorationdelacommode,ellesecontentadehausserlesépaules.–Jet’aiposéunequestion!–Attends!Viensvoirça.Ensoulevantunepiledesweat-shirts,elleétaittombéesuruntéléphone.–Jeremyneseraitjamaispartisanssonportable,affirma-t-elle.Elle tendit l’appareil à Sebastian.En faisant glisser le combiné hors de son étui, il découvrit une

cartedecréditcoincéeentrelapochetteetlecellulaire.Ilneseraitjamaispartisanscettecartedecréditnonplus…pensèrent-ilsenéchangeantunregard

grave.

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Une odeur de romarin et de fleurs sauvages parfumait l’air.Une brise vivifiante faisait frémir lesplansdelavandeet lesarbustes.Reconvertienpotagerbio, le toitdel’ancienneusineoffraitdesvuessurprenantessurl’EastRiver,lalignedegratte-cieldeManhattanetlastatuedelaLiberté.

Nerveuse, Nikki s’était réfugiée sur la plate-forme pour fumer une cigarette. Appuyée contre unecheminéeenbrique,elleregardaitSebastiandéambuleraumilieudesjardinièresenteckoùpoussaientpotirons,courgettes,aubergines,artichautsetherbesaromatiques.

–Tum’enfilesune?demanda-t-ilenlarejoignant.Ildesserrasacravateetouvritsachemisepourdécollerlepatchdenicotinefixésursonomoplate.–Jenepensepasquecesoitconseillé.Il ignora la recommandationdesonex-femme,allumasaclopeet tiraune longueboufféede tabac

avantdesemasser lespaupières.Tenailléparuneinquiétudesourde, il fitmentalement lepointsurcequeluiavaitapprislafouilledelachambredesonfils.Jeremyavaitmentiendemandantàpasserlanuitchez son copain Simon alors qu’il savait que celui-ci était en voyage d’études. Puis il était parti enemportantsonsacàdosetsonpasseport,cequilaissaitsupposerunvoyagelointain,peut-êtremêmeenavion.Enfin,iln’avaitprisavecluinisontéléphonenilacartedecréditqueluiprêtaitsamère:lesdeux«mouchards » grâce auxquels n’importe quel service de police aurait pu tracer ses déplacements etremontersapiste…

–Nonseulementilafugué,maisilestbiendécidéàcequ’onneleretrouvepas.–Quelleraisonaurait-ileud’agircommeça?demandaNikki.– Il a fait une nouvelle connerie, c’est évident. Sans doute quelque chose de grave, lui répondit

Sebastian.LesyeuxdeNikkis’embuèrentetunebouleseformadanssagorge.Unepeurlancinante,deplusen

plusvive,s’étaitinstalléedanssonventre.Intelligentetdébrouillard,sonfilsétaitaussibeaucouptropnaïfetlunaire.Qu’ilvoleneluiplaisaitpas.Qu’ilaitdisparulaterrifiait!

Pourlapremièrefoisdesavie,elleregrettaitdel’avoirélevéenlelaissantsiindépendant,mettantaupremierplanlesvaleursdegénérosité,detoléranceetd’ouvertureauxautres.Sebastiann’avaitpastort.Lemonded’aujourd’huiétait tropbrutaletdangereuxpour les rêveurset les idéalistes.Commentpouvait-onysurvivresansunebonnedosedecynisme,deroublardiseetdedureté?

Sebastian prit une nouvelle bouffée de cigarette qu’il exhala dans l’air cristallin.Derrière lui, unconduitd’aérationronronnaitcommeunchat.Sonangoissecontrastaitavecl’atmosphèrepaisiblequisedégageaitmalgrétoutdecedécorcontemporain.

Perchéau-dessusdesmaisons,àbonnedistancedeManhattan,ondominaitlebruitetl’agitationdelaville.Unecolonied’abeilles,presséedefairesesdernièresprovisionsavantl’hiver,bourdonnaitautour

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d’une ruche. Filtrés par les arbustes, les rayons du soleil coloraient d’une lumière blonde une petiteciternedeboisprisedansunearmaturerouillée.

–Parle-moiunpeudesfréquentationsdeJeremy.Nikkiécrasasonmégotdansunejarrerempliedeterre.–Iltraînetoujoursaveclesdeuxmêmesgarçons.–LefameuxSimon…devinaSebastian.–…etThomas,sonmeilleurcopain.–Tul’asinterrogé?–Jeluiailaisséunmessage,maisilnem’apasrappelée.–Alors,qu’est-cequ’onattend?–Onpeutlecoinceràlasortiedulycée,décidaNikkienregardantsamontre.D’un même pas, ils abandonnèrent leur poste d’observation pour rejoindre le parcours dallé qui

serpentait entre les plantations.Avant de quitter le toit, Sebastian désigna une petite cahute tendue debâchesnoires.

–Qu’est-cequetuentreposeslà-dedans?–Rien,répondit-elleunpeutroprapidement.Enfin,seulementdesoutils.Il la dévisagea avec méfiance. Il n’avait pas oublié l’inflexion particulière que prenait sa voix

lorsqu’ellementait.Etc’étaitlecas.Ilécarta lespansde toileet jetauncoupd’œildans la tente.À l’abrides regards,unedizainede

plants de cannabis poussaient dans des pots en terre. L’abri était équipé d’unmatériel perfectionné :rangées de lampes au sodium, systèmes de climatisation et d’arrosage automatique, sacs d’engrais etproduitshorticolesderniercri.

–Tuestotalementirresponsable!s’énerva-t-il.–C’estbon!Tunevaspasfaireundramepourunpeud’herbe.–Unpeud’herbe?C’estdeladroguequetufaispousser!–Ehbien,tudevraisessayerunpetitpétardparfois,çatedétendrait!Loindegoûterletraitd’humour,Sebastianredoubladecolère.–Nemedispasqueturevendscettemerde,Nikki?Ellerelativisa:–Jenerevendsriendutout.C’estuniquementpourmaconsommationpersonnelle.Herbe100%bio,

pureproductionartisanale.Bienplussainequelarésinequerefourguentlesdealers.–C’est…del’inconscience.Tupourraisallerentôle.–Pourquoi,tuasl’intentiondemedénoncer?–Ettonbellâtre,là,Santos?Jecroyaisqu’ilbossaitàlabrigadedesstups.–Ilsontautrechoseàfaire,crois-moi.–EtJeremy?EtCamille?–Lesenfantsneviennentjamaisici.–Netefouspasdemoi!cria-t-ilenpointantdudoigtunpanneaudebasketflambantneufqu’onavait

récemmentaccrochéaugrillage.Ellehaussalesépaulesensoupirant.–Tum’emmerdes!Ildétournaleregard,pritunelongueinspirationdansl’espoirderecouvrersoncalme,maislacolère

montait en lui comme une vague, charriant des souvenirs douloureux, ravivant des blessures malcicatrisées, lui rappelant de ne pas oublier le vrai visage deNikki : celui d’une femme qui ne seraitjamaisfiableetàquiilnedevaitjamaisfaireconfiance.

Dansunaccèsdefureur,illasaisitàlagorgeetlaplaquacontreuneétagèremétallique.–Si,deprèsoudeloin,tuasmêlémonfilsàtestrafics,jetebriserai,tucomprends?

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Ilresserrasaprise,enfonçantsesdeuxpoucespourluicomprimerlesvoiesrespiratoires.–Tucomprends?répéta-t-il.Ellesuffoquaitetneputrienrépondre.Dépasséparlacolèreetleressentiment,ilaccentuaencoresa

pression.–Jure-moiqueladisparitiondeJeremyn’arienàvoiravecteshistoiresdedope!AlorsqueSebastiancherchaitàlamaintenirsoussadomination,ilsentitsesjambessedérobersous

l’effetd’unbalayage.Grâceàuneprised’autodéfense,Nikkisedégagea.Aveclavitessedel’éclair,elles’emparad’unsécateurrouillépourlepointersurletorsedesonex-mari.

–Avise-toiencoredeleverlamainsurmoietjetedémolis,tupiges?

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9

La South Brooklyn Community High School était un grand bâtiment de brique brune donnant surConover Street. C’était l’heure du déjeuner, mais au vu du nombre important de food trucks quistationnaient devant l’établissement, on devinait que la nourriture de la cantine ne devait pas êtrefameuse.

Avec méfiance, Sebastian s’approcha de l’un de ces « camions gourmets » qui, depuis quelquesannées,sillonnaientlavillepourrassasierlesNew-Yorkais.Chaquecamionavaitsaspécialité:hotdogsauhomard,tacos,dim-sum,falafels…Obsédéparl’hygiène,Sebastianévitaitgénéralementcegenrederéjouissances,maisiln’avaitrienavalédepuislaveilleetdesborborygmesgrondaientdouloureusementdanssonventre.

–Jetedéconseillelesspécialitésd’AmériqueduSud,prévintNikki.Pardéfi,ilignoracettemiseengardeetcommandauneportiondeceviche,unplatpéruvienàbasede

poissoncrumariné.–Àquoiilressemble,ceThomas?demanda-t-ilalorsquelaclocheretentissaitpourannoncerlafin

descoursetqu’unflotd’élèvessedéversaitsurletrottoir.–Jeteferaisigne,répondit-elleenplissantlesyeuxpournepasraterlasortiedel’adolescent.Sebastianpayasacommandeetgoûtasonpoisson.Ilenavalaunebouchée.Lamarinadepimentéelui

brûlaaussitôtlatrachée,luiarrachantunegrimace.–Jet’avaisprévenu,soupiraNikki.Pourapaiserlefeuquienflammaitsagorge,ildescenditleverreentierdehorchataqueluiproposa

levendeur.Lelaitvégétalmarronnasseavaitungoûtécœurantdevanillequiluidonnaunhaut-le-cœur.–Levoilà!s’exclamaNikkiendésignantunjeunehommedanslafoule.–C’estlequel?Leboutonneuxoulapetitetêteàclaques?–Tumelaissesparler,d’accord?–Onverra…Jean slim, lunettes Wayfarer, veste noire étriquée, air désinvolte, tignasse savamment décoiffée,

chemiseblancheouvertesuruntorsefluet:Thomasprenaitgrandsoindesonapparence.Chaquematin,ildevait passer des heures dans sa salle de bains, affinant par petites touches son image de rockeurjuvénile.

Nikkilerattrapadevantleterraindebasketgrillagé.–Hé!Thomas!–Hello,m’dame,lança-t-ilenchassantunemècherebelledesonvisage.–Tun’aspasréponduàmesmessages.–Ouais,j’aipastropeuletemps,là.–AucunsignedeJeremy?–Non.Jenel’aiplusvudepuisvendredi.

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–Pasdemails,pasd’appels,pasdetextos?–Rien.Sebastianregardal’adolescentplusattentivement.Iln’aimaitniletonnil’alluredecepetitmerdeux

quiportaitdesbaguesgothiques,deschapeletsdenacreetdesbracelets.Ilmasquatoutefoissonhostilitépourdemander:

–Tun’asaucuneidéed’oùilpourraitêtre?ThomassetournaversNikki.–C’estqui,celui-là?–Jesuislepape,espècedepetitcon!L’adoeutunmouvementderecul,maissefitunpeuplusbavard:–Cesdernierstemps,onsevoyaitmoins.Jerem’séchaittouteslesrépétitionsdenotregroupe.–Pourquoi?–Ilpréféraitjoueraupoker.–Vraiment?s’inquiétaNikki.–Jepensequ’ilavaitbesoindefric.Jecroisqu’ilamêmerevendusabasseetpasséuneannoncesur

eBaypourcédersacaméranumérique.–Dufricpourquoifaire?demandaNikki.–Chaispas.Bon,jedoisyallermaintenant.MaisSebastianempoignal’adolescentparl’épaule.–Passivite.Avecquijouait-ilaupoker?–Chaispas.DesgarssurInternet…–Etenlive?–FaudraitdemanderàSimon,esquiva-t-il.–Simonestenvoyaged’études.Tulesaistrèsbien,précisaNikki.Sebastianlesecouaunpeu.–Bon,accouche!–Hé,z’avezpasledroitdemetoucher!Jeconnaismesdroits!Nikkiessayadecalmersonex-mari,maisSebastianperdaitpatience.Cepuceauarrogantcommençait

àluitapersurlesystème.–AvecquiJeremyjouait-ilaupoker?–Desmecsunpeubizarres,desrounders…–C’est-à-dire?–Desgarsquisquattentlestablesdecashgameenquêtedegainsfaciles,expliquaThomas.–Ilsrecherchentdesjoueursmoinsexpérimentéspourlesplumer,c’estça?–Oui,confirmal’ado.Jeremyadoraitjoueraupigeonpourlespiéger.Ils’estfaitpasmaldethunes

commeça.–Àcombiensemontaientlesmises?– Holà, pas grand-chose. On n’est pas à Vegas. Ces types jouent pour payer leurs factures et

rembourserleurscrédits.Nikki et Sebastian se regardèrent avec inquiétude. Tout sentait mauvais dans cette histoire : des

cerclesdejeuillégauximpliquantdesmineurs,unefugue,desdettespotentielles…–Çasepassaitoù,cegenredeparties?–DansdesbarsminablesdeBushwick.–Tuasdesadresses?–Non.Moi,çamebranchaitpastrop.Sebastianl’auraitvolontierssecouéunpeuplus,maisNikkil’endissuada:cettefois,lejeunehomme

semblaitdirelavérité.

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–Bon,là,jemebarre.Enplus,j’aitropladalle!–Unedernièrechose,Thomas.Est-cequeJeremyaunecopine?–Biensûr!Nikkimarquasonétonnement.–Tuconnaissonnom?–C’estunefemmeplusâgée.–Vraiment?–Uneveuve.Sebastianfronçalessourcils.–Ont’ademandésonnom.–Laveuvepoignet!répondit-ilenpartantd’ungrandéclatderire.Nikkisoupira.Sebastianattrapal’adolescentparlecoletletiraàlui.–Tumesaoulesavectesblaguesàdeuxballes.Ilaunecopine,ouiounon?–Lasemainedernière,ilm’aditqu’ilavaitrencontréunefillesurInternet.UneBrésilienne,jecrois.

Ilm’amontré des photos, une vraie bombasse,mais, àmon avis, c’était de la frime. Jerem’ n’auraitjamaisétécapabledechoperunenanapareille.

SebastianlibéraThomasdesonemprise.Ilsnetireraientriendeplusdel’adolescent.–Tum’appellessituapprendsquelquechosedenouveau?demandaNikki.–Comptezsurmoi,m’dame,assura-t-ilens’éloignant.Sebastiansemassales tempes.Ceblanc-becl’avaitépuisé.Savoix,sonlangage,sadégaine.Tout

l’avaitindisposé.– Quel guignol, ce gosse, soupira-t-il. À l’avenir, je crois qu’on devrait mieux surveiller les

fréquentationsdenotrefils.–Pourça,ilfaudraitd’abordleretrouver,marmonnaNikki.

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10

Ilstraversèrentlaruepourrejoindrelevieuxside-cardeNikki.UneantiqueBMWsérie2,toutdroitsortiedesannées1960.

Elleluitenditlecasquequ’ilavaitportéàl’aller.–Etmaintenant?Nikkiavaitlevisagefermé.L’hypothèsedelafuguedeJeremyseprécisait.Pourtrouverdel’argent,

il avait vendu sa guitare etmis sa caméra aux enchères. Il avait fui en prenant toutes les précautionsnécessairespournepasêtreretrouvé.Etsurtout,ilavaittroisjoursd’avancesureux.

–S’ilestparticommeça,c’estqu’ilavaitpeur,constata-t-elle.Trèspeur.Sebastianécartalesbrasensigned’impuissance.–Maispeurdequoi?Etpourquoines’est-ilpasconfiéànous?–Parcequetun’espasprécisémentunmodèledecompréhension.Ileutuneidée:–EtCamille?Peut-êtrea-t-ellereçudesnouvellesdesonfrère?LevisagedeNikkis’éclaira.C’étaitunepisteàcreuser.Silesjumeauxnesevoyaientpassouvent,

ilsdonnaientl’impressiondes’êtrerapprochéscesderniersmois.–Tuessaiesdel’appeler?–Moi?s’étonna-t-elle.–Jepensequec’estmieux.Jet’expliquerai…PendantqueNikki composait lenumérode sa fille,Sebastian téléphonaà sonbureau. Joseph, son

chefd’atelier,luiavaitlaissédeuxmessagescoupsurcoupluidemandantdelecontacterd’urgence.–Onadegrossoucis,Sebastian.Farasioaessayédetejoindreplusieursfoisetilsseplaignentque

tuignoresleursappels.–J’aieuunempêchement.Unsouciinattendu.–Écoute,ilssontpassésàl’atelieràl’improviste.Ilsontvuquetunetravaillaispas.Ilsveulentune

confirmationde tapartavant13heures.Unengagementcommequoi turendras tonévaluationavantcesoir.

–Sinon?–Sinon,ilsconfierontl’expertiseàFurstenberg.Sebastianpoussaunsoupir.Cematin,ilavaitouvertlerobinetàemmerdesetnesavaitpluscomment

lerefermer.Ilévalualepluscalmementpossiblelasituation.Grâceàsacommission,laventeduCarloBergonzipouvaitluirapporterjusqu’à150000dollars.Unesommequ’ilavaitdéjàbudgétéeetdontilavait besoin pour maintenir son entreprise à flot. Mais au-delà du préjudice financier, la perte duBergonziauraituneportéesymboliqueredoutable.Lemondeduviolonétaitunpetitmilieu.Toutsesavaittrèsvite.

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CetteventeétaitunévénementdeprestigedontFurstenberg,songrandconcurrent,nemanqueraitpasd’amplifierl’échopourtournerlachoseàsonavantage.

SebastiannedécouvraitpaslaLune.Celafaisaitplusdevingtansqu’ilcollaboraitavecdesartistes:des êtres capricieux, tourmentés, perclus de doutes. Des interprètes aussi instables que géniaux. Desmusiciensàl’egosurdimensionnéquimettaientunpointd’honneuràtravailleraveclemeilleurluthier.Etlemeilleur,c’était lui!Enmoinsdedeuxdécennies, ilavaitfaitdeLarabee&Son la lutherie laplusréputée des États-Unis. Plus qu’une habileté, on lui reconnaissait un véritable don, une ouïeexceptionnelle et une empathie sincère envers ses clients, qui lui permettaient de leur proposer desinstrumentsparfaitementadaptésàleurpersonnalitéetàleurjeu.Danslestestsàl’aveugle,sesviolonsbattaient régulièrement les Stradivari et lesGuarneri. Consécration suprême, son nom était devenu unlabel d’excellence. Désormais, les interprètes venaient dans son atelier pour acheter un « Larabee ».Grâce à cette renommée, il avait pour clients la dizaine de stars incontournables qui régnaient sur leroyaume du violon. Des vedettes qu’il avait réussi à convaincre parce que, lentement, l’idée s’étaitimposée qu’il était le plus compétent pour prendre soin de leur instrument ou leur en fabriquer unnouveau.Maiscettepositionétaitfragile.Ellereposaitautantsurunsavoir-faireobjectifquesuruneffetdemode,unjusteéquilibreentrelacommunicationetleboucheàoreilleflatteur,maistoujoursversatile.Plus que jamais, en cette période de crise, Furstenberg et d’autres lutheries célèbres restaient enembuscade,guettantlemoindrefauxpas.Ilétaitdoncexcluqu’ilperdececontrat.Findudébat.

–Rappelle-lesdemapart,demanda-t-ilàJoseph.–C’estàtoiqu’ilsveulentparler.–Dis-leurquejelescontactedanstroisquartsd’heure.Letempsderentreraubureau.Ilsaurontleur

expertiseavantcesoir.IlraccrochaenmêmetempsqueNikki.–Camillen’apasrépondu,expliqua-t-elle.Je luiai laisséunmessage.Pourquoi tunevoulaispas

l’appelertoi-même?Aulieuderépondreàlaquestion,illaprévint:–Écoute,Nikki,jevaisdevoirrepasseraubureau.Ellelefixaavecstupéfaction.–Repasseraubureau?Tonfilsadisparuetturetournestravailler!–Jecrèved’inquiétude,maisjenesuispasflic.Ilfaudraitmenerdes…–JevaisappelerSantos,lecoupa-t-elle.Luiaumoinssauracommentagir.Aussitôtdit,aussitôtfait.Ellecomposalenumérodesonamantetluiracontadanslesgrandeslignes

l’histoiredeladisparitiondeJeremy.Sebastian la regardait, impavide. Elle cherchait à le provoquer, mais ça ne marchait pas. Que

pouvait-il faire?Dansquelledirectioncreuser?Incapabledeprendreunedécision, ilsesentaitaussiangoisséqu’impuissant.

Àcestade,l’interventiondelapolicelesoulageait.Ilsn’avaientd’ailleursquetroptardéàprévenirlesautorités.

Enattendant lafindelaconversation, ils’assità laplacedusinge1,enfila lecasqueencuir–quin’étaitsûrementpasauxnormes–etrabattitlagrossepairedelunettesd’aviateur.Ilsesentaitaccablé,dépassépar lesévénements.Qu’est-cequ’il foutait là,dans lepanierd’unebécanebizarroïde,affubléd’un accoutrement ridicule ?Parquel engrenage infernal toute savie semblait-elle subitementpartir àvau-l’eau?Pourquois’était-ilvu infligerces« retrouvailles»avecsonex-femme?Pourquoisonfilsenchaînait-il connerie surconnerie?Pourquoi sa filledequinzeans semettait-elleen têtedecoucheravecdesgarçons?Pourquoisasituationprofessionnellemenaçait-elledes’effondrer?

Nikki raccrocha et le rejoignit sans mot dire. Elle enfourcha la moto, mit les gaz, fit vrombir lemoteur avant de partir en trombe vers les docks. Visage balayé par le vent, fesses et dents serrées,

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Sebastians’agrippaitàsonsiège.Ilavaitoubliésonimperméableàl’appartementetgrelottaitdanssoncostumeélégant,maisléger.Contrairementàsonex-femme,ilétaitplutôtcasanier.Pasaventurierpourunsou, il préférait le confort cossu de sa Jaguar au supplice de ce tape-cul. D’autant qu’elle semblaitprendreunmalinplaisiràaccélérerchaquefoisqu’unnid-de-pouleseprésentaitsurletrajet.

Ilsarrivèrentenfindevantl’ancienneusinequiabritaitl’appartementdeNikki.–Jemonteavectoicherchermonpardessus,prévint-ilens’extirpantdubaquet.J’yailaissélesclés

demavoiture.–Tufaiscequetuveux,répondit-ellesansleregarder.Moi,jevaisattendreSantos.Illasuivitdansl’escalier.Arrivéeenhautdesmarches,elleouvritlaportemétalliquequipermettait

d’accéderauloftetpoussauncridestupeurenpénétrantdansl’appartement.

1.Encompétition,nomdonnéaupassagerd’unside-car,celui-cifaisantdesacrobatiespourmaintenirl’équilibredelamoto.

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11

Canapé éventré,meubles renversés, étagères dévastées. Le salon était dans un état qui ne laissaitaucundoute:enleurabsence,l’appartementavaitétésaccagé.

Lecœurbattant,Nikkis’avançapourconstaterlesdégâts.Toutétaitsensdessusdessous.Téléviseurarrachédumur,tableauxjetésausol,tiroirsretournés,feuillesdepapierdisperséesauxquatrecoinsdelapièce.

Elletremblait,choquéedevoirsonintimitéprofanée,sonintérieurmisàsac.–Qu’ont-ilsemporté?demandaSebastian.–Difficileàdire.Pasmonordinateurportable,entoutcas.Ilestsurlebardelacuisine.Étrange.Surl’unedesraresétagèresencoredebout,ilremarquaunejolieboîtemarquetée.–Çaadelavaleur,ça?–Biensûr,cesontmesbijoux.Il ouvrit la caissette. Elle contenait entre autres les bagues et les bracelets qu’il lui avait offerts

autrefois.DescréationshorsdeprixdechezTiffany.–Quelvoleurestassezstupidepournepass’emparerd’unordinateuretd’uneboîteàbijouxposés

enévidence?–Chut!ordonna-t-elleenposantledoigtsursabouche.Ilsetutsanscomprendre,jusqu’àcequ’ilsentendentuncraquement.Ilyavaitencorequelqu’undans

l’appartement!D’unsignede lamain,elle luidemandadenepasbougeretemprunta lesmarchesmétalliquesqui

menaientàl’étage.Lecouloirdesservaitd’abordsaproprechambre.Vide.PuiscelledeJeremy.Troptard.Lafenêtreàguillotinequidonnaitsurlacouravaitvoléenéclats.Nikkisepenchapourapercevoir

unesilhouetteépaissequis’enfuyaitpar l’escalierdesecoursenfonte.Elleenjambalafenêtrepour laprendreenchasse…

–Laissetomber,ladissuadaSebastianenlaretenantparlebras.Ilestprobablementarmé.Elleserésignaetpassad’unechambreàl’autre.Leoulescambrioleursavaientcommencéàfouiller

lamaisondefondencomble.Atterréeparlavisiondesesaffaireséparpilléessurlesol,elleneputqueconstater:

–Ilsnesontpasvenuspourvoler,maispourtrouverquelquechosedeprécis.Sebastian s’intéressa de plus près à la chambre de Jeremy : à première vue, rien n’avait disparu.

Machinalement,ilredressalestoursdesordinateursunpeubancales.Ilyavaitenluiquelquechosedemaladif,àlalimitedutroubleobsessionnel:uneangoisseprofondedudésordre,unetendancemaniaque

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àlapropreté.Ilrelevalevéloàpignonfixe,remitd’aplombuneétagèrequimenaçaitdes’écrouleretrassemblalescartesàjouertombéessurleparquet.Enreprenantlamallettedepokerenaluminium,ileutunmouvement de surprise. Les jetons en céramique étaient soudés entre eux, chaque pile formant unesortedetubecreuxetcirculaire.Ilinspectal’intérieur:dessachetsenplastiqueétaientcoincésdanslesconduits.Iltirasurl’unedespochettes.Elleétaitbourréedepoudreblanche.

Non,c’estsurréaliste…Affolé,ilretournalesdeuxgainesencéramiquepourétalersurlelitunedizainedepetitsemballages

transparents.Delacocaïne!Ilneparvenaitpasàycroire.–Merde,lâchaNikkienentrantdanslachambre.Ilsseregardèrent,médusés.–C’estçaquelesvoleurscherchaient.Ilyenaaumoinsunkilo!MaisSebastianrefusaittoujoursd’ycroire.–C’esttropgrospourêtrevrai.C’estpeut-être…unjeuderôleouuneblague.Nikkisecoualatêteetesquissaunemouedubitative.Ellefitunepetiteentailledansl’undessachets

etgoûtaunpeudepoudre.Lasaveuramèreetpiquanteprovoquaunesensationd’engourdissementdelalangue.

–C’estdelacoke,Sebastian.C’estcertain.–Maiscomment…Saphrasefutinterrompueparletintementjoyeuxd’uncarillon.Quelqu’unsonnaitàlaporte.–Santos!s’exclama-t-elle.Lastupeuretl’effarementselisaientsurleursvisages.Pourlapremièrefoisdepuisdesannées,ilsse

sentirent unis par un lien puissant : protéger leur fils. Leurs cœurs battaient à l’unisson. Mêmespalpitations,mêmesueur,mêmevertige.

Lecarillonretentitunedeuxièmefois.Leflics’impatientait.L’heuren’étaitplusauxatermoiements.Illeurfallaitprendreunedécision,etvite.Jeremyétaitsous

lecoupd’unemiseàl’épreuve.S’ilparaissaitsuicidairedevouloircacherleurdécouverteàlapolice,avouerqueleurfilsdissimulaitunkilodecocaïnedanssachambresignifiaitlecondamneràunelonguepeinedeprison.Hypothéquersesétudesetsonavenir.Plombersonentréedanslavie.Leplongerdansl’enferd’uncentrededétention.

–Ilfaut…commença-t-il.–…fairedisparaîtrecettedope,termina-t-elle.L’union,dernierrempartcontreledanger.Rassuréd’êtreen terraind’entente,Sebastians’emparadeplusieurssachetsdecokepour les jeter

dans les toilettesde la salledebainsquiprolongeait la chambre.Nikki luiprêtamain-forte,projetantdanslacuvettel’autremoitiédela«cargaison».

Troisièmesonnerieducarillon.–Valuiouvrir.Jeterejoins!Elleacquiesça.Tandisqu’elledescendaitl’escalierverslesalon,iltiraunepremièrefoislachasse.

L’eaupeinaitàdissoudre lacocaïne.Loindedisparaîtredans les tréfondsde la tuyauterie, lessachetsbouchèrentlacanalisation.Sebastianréitéralamanœuvre,sansplusdesuccès.Complètementpaniqué,ilregardal’eaublanchâtreremonterinexorablementverslalunettedestoilettesetmenacerdedéborder.

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–Tuasmisletemps!reprochaSantos.Jecommençaisàm’inquiéter.–Jenet’aipasentendu,mentitNikki.Elles’effaçapourlelaisserentrer,maisils’arrêtanetendécouvrantl’appartementdévasté.–Ques’est-ilpassé?Unetornadeatraversétonsalon?Prise au dépourvu, elle ne sut que répondre. Elle sentit son cœur s’accélérer tandis que de fines

gouttesdetranspirationperlaientsursonfront.–Je…jefaisaisunpeudeménage,c’esttout.–Tutefousdemoi?Sérieusement,Nikki?Elleperdaitpied.Vul’étatdel’appartement,elleneréussiraitpasàleconvaincre.–Tum’expliques?fit-il,pressant.Enprovenancedel’escalier,lavoixpersuasivedeSebastiansonnacommeunedélivrance:–Ons’estdisputés,çaarrive,non?Hébété,Santos se retournapour découvrir le nouveauvenu.Surjouant le rôle de l’ex-mari jaloux,

Sebastians’étaitcomposéunvisageagressif.–Vousappelezçaunedispute?ditleflicenmontrantdudoigtlesalonsaccagé.Gênée,Nikkilesprésental’unàl’autre.Les deux hommes se saluèrent d’un bref hochement de tête. Sebastian essaya de masquer son

étonnement,mais,envérité,ilétaitunpeusurprisparl’apparencedeSantos.L’autreledépassaitd’unetête.Métisse,bienbâti,lestraitsfins,iln’avaitrienduflicbourrinetbrutal.Soncostumebientaillé–quidevaitcoûterlamoitiédesapaiemensuelle–,sacoupedecheveuxnette,sonrasageimpeccableluidonnaientunealluresoignéequiinspiraitconfiance.

– Il n’y a plus une seconde à perdre, déclara-t-il en fixant les deux parents. Je ne veux pas vousinquiéter,maistroisjourssansnouvellesd’unado,çacommenceàfairebeaucoup.

Ildéboutonnamachinalementsavesteenpoursuivantd’untondocte:–Lesaffairesdedisparitionsontgéréesparlesautoritéslocales,saufsil’enquêtedépasseleslimites

d’unseulÉtatoulorsqu’ils’agitdeladisparitiond’unmineur.Danscecas,c’estleFBIquiintervientparl’intermédiaireduCARD,leChildAbductionRapidDeployment.J’aiuncontactlà-bas.Jel’aiappelépour lui signaler la disparition de Jeremy. Ils nous attendent à leur QG àMidtown, dans le MetlifeBuilding.

–OK,ontesuit,décidaNikki.–Moi,jeprendsmavoiture,tempéraSebastian.–C’eststupide:j’aimonvéhiculedeservice,onéviteralesembouteillagesgrâceaugyrophare.Sebastianjetaunbrefcoupd’œilàNikki.–Onterejointtouslesdeuxlà-bas,Lorenzo.–Trèsbonneidée!ironisa-t-il.Perdonsencoredavantagedetemps!

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Comprenantqu’ilneparviendraitpasàlesfairechangerd’avis,ilsedirigeaverslaporte.–C’estvotregamin,aprèstout!dit-ilenclaquantlebattant.La sortie du flic ne fit retomber ni la tension ni la confusion.Restés seuls,Nikki et Sebastian se

retrouvèrentfaceàleurshésitations.Tétanisésparlapeurdeprendrelamauvaisedécision,ilsavaientdumalàanalyserlesinformationsqu’ilsavaientmisesaujour:lafuguedeJeremy,songoûtpourlepoker,ladécouvertedeladrogue…

Par réflexe, ils remontèrent dans la chambre de leur fils. In extremis, Sebastian était parvenu àdéboucherlestoilettesaveclemanched’unbalai-brosse.Siàprésenttoutetracededrogueavaitdisparu,celanereléguaitpaspourautantl’épisodeaurangdemauvaisrêve.

À la recherched’un indice, il examinaplus attentivement lamallette en aluminiumet son contenu.Aucun double fond, aucune inscription particulière, ni sur les cartes à jouer ni sur les faux jetons encéramique.L’intérieurduboîtierétaitrevêtud’unedoublureenmoussealvéoléegarnied’unepoche.Ilypassalamain.Vide…àl’exceptiond’unsous-verreencarton.Aurecto,unepublicitépourunemarquedebière;auverso,ledessind’unelamerecourbée,enseignestyliséed’undébitdeboisson.

BarLeBoomerang17FrederickStreet–BushwickPropriétaire:DrakeDecker

Iltenditlesous-bockàNikki.–Tuconnaiscetendroit?Ellesecoualatête.Ilinsista:–C’estsansdoutelàqu’iljouaitaupoker,non?Ilcherchasonregard,maisill’avaitperdu.Trèspâle,grelottante,lesyeuxbrillantsfigésdanslevide,Nikkisemblaitavoirlâchéprise.–Nikki!cria-t-il.Ellesortitbrusquementdelachambre.Illarattrapadansl’escalieretlasuivitdanslasalledebains

oùelleavalaitunebarretted’anxiolytiques.Illapritfermementparl’épaule.–Ressaisis-toi,s’ilteplaît.Ils’efforçadeluiexposersonpland’unevoixcalme:– Voilà ce que nous allons faire. Tu vas décrocher le panier du side-car, puis tu iras en moto à

Manhattan.Leplusvitepossible.IlfautquetuinterceptesCamilleàlasortiedesonécole.Ilregardasamontre.–Elletermineà14heures.Situparsmaintenant,tupourrasyêtreàtemps.Iln’yaqu’endeux-roues

quec’estjouable.–Pourquoit’inquiètes-tupourelle?–Écoute,jenesaispascequefaisaitcettecokedanslachambredeJeremy,maislestypesàquielle

appartenaitveulentlarécupérer,c’estévident.–Ilssaventquinoussommes.–Oui, ilsconnaissenttonadresseetsansdoutelamienne.Noussommesdonctousendanger: toi,

moi,JeremyetCamille.J’espèreavoirtort,maisautantnepasprendrederisques.Paradoxalement,laverbalisationdecettenouvellemenacesemblalaragaillardir.–Oùveux-tuquejelaconduise?–Àlagare.TulametsdansuntrainpourEastHamptonettul’envoies…–…cheztamère,devina-t-elle.–Là-bas,elleseraensécurité.

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13

Lebâtimentdel’écoleSt.JeanBaptisteressemblaitàuntemplegrec.Parfaitementsymétrique,lafaçadedemarbregrisétaitornéedefrontonstriangulairesetdecolonnes

doriquesfinementsculptées.Scientia potestas est1 : gravée dans la pierre, la devise de l’établissement s’étalait fièrement des

deuxcôtésd’unescaliermonumentaldonnantaulycéedesalluresdesanctuaire.Cettefroideurminéraleétaitatténuéepar lechantdesoiseauxet les rayonsdesoleilqui filtraiententre lesfeuillagesorangés.Aristocratique,lelieurespiraitlecalme,lacultureetlaconnaissance.Difficiledecroirequel’onétaiten plein cœur de Manhattan, à seulement quelques pâtés de maisons des attractions bruyantes etpopulairesdeTimesSquare.

Pourtant,enquelquessecondes,cettequiétudemonacalesetroubla.Uneélèvedescenditlapremièrelesmarchesduperron.Puis,parpetitsgroupes,desjeunesfilless’éparpillèrentsurletrottoir.

Les rireset lescris fusaient.Malgré leuruniformed’écolièreet leurcolClaudine, lesdiscussionsroulaientsurdessujetsmoinspolicés:çaparlaitgarçons,sorties,shopping,régime,TwitteretFacebook.

Adossée contre la selle de sa moto, Nikki plissa les yeux, cherchant à repérer la silhouette deCamille au milieu de ces bataillons féminins. Elle capta malgré elle des bribes de conversation.Remarquesfugitivesd’unegénérationquin’étaitplus lasienne.«Je lekiffe trop,Stephen!»,«J’suisgraveinlove!»,«Commeellecraint,laprofdesocio»,«Çafaitiech’!»,«J’suistropvénère!»…

Enfin,elleaperçutsafilleavecsoulagement.–Qu’est-cequetufaisici,maman?demandaCamilleenécarquillantlesyeux.J’aivuquetum’avais

laisséunmessage.–Jen’aipasbeaucoupdetempspourt’expliquer,chérie.Tun’aspaseudenouvellesdeJeremyces

derniersjours?–Non,assura-t-elle.Nikkilamitaucourantdeladisparitiondesonfrère,mais,pournepasl’effrayer,nementionnanile

saccagedel’appartementniladécouvertedeladrogue.–Enattendantlafindecettehistoire,papaaimeraitquetuaillespasserquelquesjourscheztagrand-

mère.–Maisçavapas!J’aipleindecontrôles,cettesemaine!Etpuis j’aiprévudessortiesavecmes

copines.Nikkitentadesemontrerconvaincante.–Écoute,Camille.Jeneseraispaslàsijenepensaispasquetuétaisendanger.–Maisendangerdequoi?Monfrèreafuguéetalors?C’estpaslapremièrefois.Nikkisoupiraenregardantsamontre.IlyavaituntrainpourEastHamptondansmoinsd’unedemi-

heure,maisc’étaitledernieravant17h30.–Enfileça!ordonna-t-elleentendantuncasqueàsafille.

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–Mais…–Iln’yapasde«mais».Jesuistamère.Sijetedisdefairequelquechose,tulefais,c’esttout!Et

sansdiscuter.–Ondiraitpapa!seplaignitCamilleens’installantsurlaselleàl’arrièredelamoto.–Etnem’insultepas,s’ilteplaît!Nikki enfourcha son engin et quitta l’UpperEastSide.Elle se laissa glisser le longdeLexington,

s’enfonçantàtraverslescanyonsdeverreetdebéton,roulantaussivitequ’ellelepouvaittoutenrestantconcentréesursaconduite.

Surtoutnepasavoird’accident.Pasmaintenant…À cause du divorce, elle avait toujours eu des relations lointaines avec Camille. Elle l’aimait

profondément,maisellen’avaitpaseul’occasiondetisseravecelleunevraiecomplicité.Lafautebiensûr aux conditionsde séparation absurdesque lui avait imposéesSebastian.Mais aussi à caused’unebarrièreplusinsidieuse.L’honnêtetél’obligeaiteneffetàadmettrequ’ellenourrissaituncomplexefaceàsafille.Camilleétaitunejeunefillebrillante,éprisedecultureclassique.Trèsjeune,elleavaitdévorédes centaines de livres, vu la plupart des films phare. De ce côté-là, Sebastian l’avait parfaitementélevée.Grâceàlui,elleévoluaitdansunmilieuprivilégié.Ill’emmenaitauthéâtre,àdesconcerts,àdesexpositions…

Camilleétaitunebonnegamine,plutôthumbleetpascondescendante,maisNikkisesentaitsouventdépasséelorsque,audétourd’uneconversation,elles’aventuraitsurleterraindelaculture«savante».Une mère à la traîne. Une mère inférieure. Comme chaque fois qu’elle pensait à ça, les larmes luimontèrentauxyeux,maisellefitdeseffortspourgardersonchagrinàdistance.

Àplein régime,elledépassaGrandCentral, lançauncoupd’œildans son rétroavantdedéboîterpourdoubleruncamiondepompiers.

Tournis, vitesse, sensation d’écrasement. Elle aimait cette ville autant qu’elle la détestait. Sonfoisonnementetsonmouvementperpétuellaprenaientàlagorgeetl’étourdissaient.

Minuscule,coincéeentrelesparoisverticalesetlestranchéesgéométriques,lamotofonçait.Sirèneshurlantes,pollutionplanante,taxissurexcités,klaxons,éclatsdevoix.Nikki rétrograda, prit un large virage pour rejoindre la 39e, puis se fondit dans la circulation de

FashionAvenue.Les imagessesuccédaientdevant sesyeux : fouleagglutinée,bitumefissuré,chariotscabossésdesvendeursdehotdogs,refletsmétalliquesdesbuildings,pairesdejambesfuseléesaffichéesengrosplansurunefaçade.

DébouchantsurPennsylvaniaPlaza,elleréussitàintercalersamotoentredeuxvoitures.NewYorkétaitunenferpourlesdeux-roues:leschausséesétaientdéfoncéesetonn’avaitledroitde

segarernullepart.–Terminus,toutlemondedescend!Camillesautasurletrottoiretl’aidaàcadenasserlaBMW.14h24.Letrainpartaitdansdixminutes.–Dépêche-toi,chérie.Ellestraversèrentlarueaumilieudelacirculationpours’engouffrerdansl’immeublesansgrâcequi

abritaitPennStation.À en croire les photos d’époque affichées dans le hall, la gare la plus fréquentée des États-Unis

occupaitautrefoisunbâtimentgrandioseornédecolonnesengranitrose.Coifféed’uneverrière,sasalledespasperdusavaitlatailled’unecathédraleavecgargouilles,vitrauxetstatuesdemarbre.Maiscetâged’orétaitdepuislongtempsrévolu.Souslapressiondespromoteursetdel’industriedel’entertainment,onavaitdémolilebâtimentaudébutdesannées1960pouryconstruireuncomplexesansâmedebureaux,d’hôtelsetdesallesdespectacle.

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NikkietCamillejouèrentdescoudespoursefrayeruncheminjusqu’auguichet.–UnallersimplepourEastHampton,s’ilvousplaît.L’employée, une femme aux allures de bouddha,mit un temps infini pour éditer le ticket. La gare

bourdonnait.PointnévralgiqueducorridorreliantWashingtonàBoston,PennStationdesservaitaussidenombreusesgaresduNewJerseyetdeLongIsland.

–24dollars.Letrainpartdanssixminutes.NikkirécupérasamonnaieetpritCamilleparlamainpourl’entraînerausous-sol,oùsetrouvaient

lesvoiesferrées.Dans les escaliers, les gens se bousculaient. Promiscuité étouffante. Cris d’enfants. Épaules qui

s’entrechoquent.Coupsdevalisedanslesgenoux.Odeursdetranspiration.–Quainuméro12,c’estparlà!Nikkitiraitsafilleparlamain.Ellesremontèrentencourantjusqu’àlaramecorrespondante.«Départdanstroisminutes»,annonçalecontrôleur.–Tunousappellesdèsquetuesarrivée,d’accord?Camilleacquiesçad’unmouvementdetête.Ensepenchantpourembrassersafille,Nikkiremarquasonembarras.–Tumecachesquelquechose,n’est-cepas?Àla foiscontrariéed’êtrepriseenfauteetsoulagéedesedélivrerd’unfardeau,Camille finitpar

confesser:–C’estàproposdeJeremy.Ilm’avaitfaitpromettredenepast’enparler,mais…–Tul’asvurécemment?devinaNikki.–Oui.Ilestvenumecherchersamedi,àmidi,àlasortiedemoncoursdetennis.Samedi,ilyatroisjours…–Ilsemblaittrèsinquiet,continuaCamille.Trèspresséaussi.Ilavaitdesennuis,c’estévident.–Ilt’aexpliquélesquels?–Ilm’ajusteditqu’ilavaitbesoind’argent.–Tuluienasdonné?–Commejen’avaispasgrand-chosesurmoi,ilm’aaccompagnéeàlamaison.–Tonpèren’étaitpaslà?–Non,ildéjeunaitaurestaurantavecNatalia.Le train allait fermer ses portes. Les derniers voyageurs couraient pourmonter dans les wagons.

Presséeparsamère,Camillepoursuivit:–J’aidonnéàJeremyles200dollarsquej’avaisdansmachambre,mais,commeçaneluisuffisait

pas,ilavouluouvrirlecoffre-fortdepapa.–Tuconnaislecode?–Facile:c’estnotredatedenaissance!Unsignalsonoreannonçaledépartimminent.–Ilyavait5000dollarsenliquide,précisalajeunefilleensautantdanslarame.Jeremym’apromis

qu’illesremettraitavantquepapanes’enaperçoive.Restéesurlequai,NikkiaffichaitunvisagelividequiinquiétaCamille.–Tucroisqu’illuiestarrivéquelquechose,maman?Lesportesserefermèrentsursaquestion.

1.«Savoir,c’estpouvoir.»

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14

Letempss’étaitcouvert.Brusquement.Enquelquesminutes,lecielavaitétéfrottéàlaminedeplombetdesnuagescharbonneuxs’étaient

empilés,bouchantl’horizon.SurlaBrooklyn-QueensExpress,lesvoituresroulaientpare-chocscontrepare-chocs.Enroutevers

l’adresse indiquée par Santos, Sebastian traçaitmentalement une ligne de partage entre ce qu’il allaitrévélerauFBIetcequ’ilpréféraittaire.Lechoixétaitdifficile.Depuisqu’ilavaitreprissavoiture,iltentait vainement de reconstituer un puzzle auquel il manquait trop de pièces. Comme une souffranceaiguë, une question lancinante le tourmentait : pourquoi Jeremy cachait-il un kilo de cocaïne dans sachambre?Àcette interrogation, ilne trouvaitqu’uneréponse :parcequ’il l’avaitvolé.Sansdouteaupatrondecebar,LeBoomerang.Puis,dépassépar songeste etprisdepanique, il avait certainementfuguépouréchapperaudealer.

Maiscommentavait-ilpubasculerdanscecauchemar?Sonfilsn’étaitpasunimbécile.Sesrécentsdémêlés avec la justice ne concernaient qu’un petit larcin et une dégradation anodine. Rien quis’apparentedeprèsoudeloinàdelagrandedélinquance.

Subitement, lacirculationdevintplus fluide.Lavoieexpressplongeadansun long tunnelavantderessortiràcielouvertàl’extrémitédesquaisdel’EastRiver.

LetéléphonedeSebastianvibradanssapoche.C’étaitJoseph.–Jesuisdésolé,expliqualechefd’atelier,maisnousavonsperdulecontrat.C’estFurstenbergqui

expertiseraleBergonzi.Sebastianacceptalasentencesanssourciller.Àprésent,toutcelaluiparaissaitdérisoire.Ilprofita

qu’ilavaitJosephenlignepourluidemanderabruptement:–Tuasuneidéedecombiencoûteunkilodecocaïne?–Pardon?Tuplaisantes?Qu’est-cequit’arrive?–C’estunelonguehistoire.Jet’expliquerai.Alors?–Jen’ensaisabsolumentrien,avouaJoseph.Moi,jecarbureplutôtausinglemaltvingtansd’âge…–Jen’aipasletempsdeplaisanter,Joseph.–OK…Çadoitdépendredelaqualité,del’origine…–Ça,jepouvaisledevinertoutseul.TupourraisfaireunerecherchesurInternet?–Attends,jemeconnecteàGoogle.Çayest.Jetapequoi?–Démerde-toi,maisfaisvite.Téléphone greffé à l’oreille, Sebastian entra dans une zone en travaux. Chargé de réguler la

circulation,unouvrierluifitsignedeprendreunedéviation.Unviragebrusquequiledéportaverslesudoùunnouvelembouteillagebloquaitl’accèsàlabretelledesortie.

–J’aitrouvéunarticlequipeutt’aider,repritJosephaprèsquelquesinstants.Écouteça:«Quatre-vingt-dix kilos de cocaïne, d’une valeur estimée à 5,2 millions de dollars, ont été saisis dans un

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parkingdeWashingtonHeights.»Sebastianselançadansunerègledetrois:–Siquatre-vingt-dixkilosvalent5,2millions,unkilovaut…–…unpeumoinsde60000dollars,complétaJoseph.Tupeuxm’expliquermainte…–Plustard,Joseph.Jedoisraccrocher.Jeteremercie.Une lueur d’espoir brilla dans l’œil de Sebastian. Il avait un plan. Cette somme était certes

importante, mais pas excessive. En tout cas, il pouvait se la procurer rapidement en liquide. Voicicommentilallaitprocéder:ilserendraitdanscebar,LeBoomerang,etproposeraitàceDrakeDeckerundeal«qu’ilnepourraitpasrefuser»:illuirembourseraitl’intégralitédelavaleurdeladrogueenajoutant une commission de 40 000 dollars pour compenser le dérangement et la promesse d’oublierl’existencedeJeremy.

« L’argent est la seule puissance qu’on ne discute jamais », avait-on coutume de répéter dans safamille.Unecitationquesongrand-pèreavaitdûprendredansunlivrepourenfaireunesortedemantra,unedevisefamilialequiorientaitlaviedesLarabeedepuisdesdécennies.Pendantlongtemps,Sebastianavaitméprisécettefaçondepenser,mais,aujourd’hui, ils’yaccrochaitàsontour.Maintenant, ilavaitpleinement confiance en l’avenir. Les choses allaient s’arranger. Il paierait le dealer pour éloigner ledangerdesa famille.Une fois lamenacesupprimée, il retrouverait son filset reprendraitenmainsonéducationetsesfréquentations.Iln’étaitpastroptard.Finalement,cetépisodeseraitpeut-êtresalutaire.

Voilà.Sadécisionétaitprise.Iln’yavaitplusuneminuteàperdre.Il arriva devant l’échangeur qui desservait les rampes du Manhattan Bridge, mais, au lieu de

s’engagersurlepont,ilfitdemi-tourpourrevenirsurBrooklyn.EtmitlecapsurLeBoomerang.

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–Dégagetacaisse,connard!L’insulte frappa Sebastian alors qu’il dépassait un groupe de sans-abri qui fouillaient dans les

poubellesduPizzaHutdeFrederickStreet.Tétantleurcanettedebièreplanquéedansunsacenkraft,ilsmarquaientleurterritoireeninvectivantlespassantsetlesconducteursquilesregardaientdetropprès.

–Facederat!Ungobeletpleins’écrasasurlepare-brise.Sebastianremontasavitreetactionnalesessuie-glaces.Charmant…Ilmettaitlespiedsdanscettepartiedelavillepourlapremièrefois.Etsansdouteaussiladernière,

espérait-il.Des parfums de cuisine portoricaine flottaient dans l’air graisseux. Des rythmes caribéens

s’échappaient des fenêtres.Des drapeaux dominicains ornaient le perron desmaisons.Nul ne pouvaitignorer bien longtemps que Bushwick était un fief latino. Tentaculaire, le quartier s’étendait sur desdizainesdeblocsetavaitgardéuncôtérugueux.LescoloniesdebobosquiavaientinvestiWilliamsburgn’avaient pas encore déferlé sur le secteur. Ici, pas de jeunes friqués, d’artistes à la mode ou derestaurantsbio,maisunesuccessiond’entrepôts,demaisonsauxtoitsdetôle,d’immeublesenbrique,demurscouvertsdegraffitisetdeterrainsvaguesenvahisdemauvaisesherbes.

L’avenueétaitlargeetpresquedéserte.SebastianrepéraLeBoomerang,maispréféragarerlaJaguardans une ruelle parallèle. Il verrouilla sa voiture et regagna Frederick Street alors que les premièresgouttesdepluiecommençaientàtomber,rendantBushwickgrisettriste.

Le Boomerang n’avait rien d’un lounge cosy et branché. C’était un rade de banlieue, sinistre etcrade,quiservaitduwhiskypremierprixetdessandwichesaupaindeviandeà2dollars.Scotchéeaurideaudefer,unepancarteindiquaitqueledébitdeboissonn’ouvraitsesportesqu’àpartirde17heures.Pourtant, le voletmétallique était ouvert aux trois quarts, permettant d’accéder à la porte d’entrée del’établissement.

Sebastiantoquacontrelavitrefuméealorsquelapluies’intensifiait.Pasderéponse.S’enhardissant,ilremontacomplètementlagrilleetessayad’ouvrirlaporte.Ellenerésistapas.Trempépar l’averse, il hésitauncourtmoment.L’endroit était sinistre et lapièceplongéedans la

pénombre.Finalement,ilsedécidaàentrerenprenantsoinderefermerderrièreluipournepasrisquerd’êtrerepérépardespassants.

–Ilyaquelqu’un?demanda-t-ilenavançantprudemment.Aprèsseulementquelquespasdanslapièce,ilportalamainàsabouche.Unrelentinfectl’avaitpris

àlagorgeetluiretournaitl’estomac.Deseffluvesferrugineux,uneodeurobsédante,violente…Celledusang.

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Ilfuttentédefuir,maisdominasapeur.Ilreculacontrelemur,cherchaàtâtonsuninterrupteur.Lorsquelalumièreglauqueserépanditdanslapièce,ilfutsaisid’effroi.Lebarétait repeintà l’hémoglobine.Leparquetmaculéde tachesnoiresetcollantes.Lesmursde

briqueaspergésdemélassepourpre.Lesboiseriessouillées.Leséclaboussuresavaientatteintjusqu’auxétagèresquidébordaientdebouteillesderrièrelecomptoir.

Unvéritablecarnage.Aufonddelapièce,unhommegisaitdansunemaredesang.DrakeDecker?LecœurdeSebastianbonditdanssapoitrine,horsdecontrôle.Malgrélapaniqueetl’écœurement,il

avançaverslecadavre.Couchésurledos,uncorpsénormeetmutilésevidaitdesonsang.Lebillardsurlequelsetrouvaitladépouilleressemblaitàunautel,unetableliturgiqueélevéepourunobscursacrifice.Lemortétaituncolossechauveetmoustachudontlepoidsdépassaitallégrementlequintal.Bedonnant,poilu, il avait l’allure de certains membres desBears, une branche de la communauté homosexuelleaffichantunevirilitébienassumée.Autrefoiscouleurkaki,sonpantalondetoileétaitimbibédesangnoir.De sa chemise à carreaux, largement ouverte sur son torse et son ventre, débordaient des viscères.Intestins,foie,estomacs’étaientamalgaméspourformerunebouilliepoisseuseetvisqueuse.

Sebastian ne put résister davantage. Mains sur les genoux, il vomit la bile âcre et jaunâtre quiremontaitdesonestomacvide.Ilrestaquelquessecondesdanscetteposition.Trempédesueur,levisagebrûlant.Enapnée.

Ilsurmontapourtantsonaffolement.Unportefeuilledépassaitdelapochedelachemise.Sebastianparvintàextrairel’étuiencuiretvérifialepermisdeconduire:ils’agissaitbiendeDrakeDecker.

Alors qu’il cherchait à remettre le portefeuille en place, le corps de Drake fut parcouru d’uneconvulsion.

Sebastiansursauta.Lesangbourdonnaitcontresestempes.Ultimecontractionpostmortem?Ilsepenchaverslevisagesanguinolent.Le«cadavre»ouvritbrutalementlesyeux.Sebastianreculaetétouffauncri.Etmerde!Drakeétaitpeut-êtreàl’articledelamort,maislesouffledesarespirationsemêlaitaumincefilet

desangquis’échappaitdesabouche.Quefaire?Panique.Étourdissement.Sensationd’étouffement.Ilsortitsonportableetcomposalenumérod’appeld’urgence.Ilrefusadedéclinersonidentité,mais

réclamauneambulanceàl’adressedu17,FrederickStreet.IlraccrochaetsefitviolencepourregarderdenouveaulevisageetlecorpsdeDrake.Visiblement,

onavaittorturéleBearsansluiépargneraucunsupplice.Lesangavait transpercéledrapdelainequirecouvraitlaplaqued’ardoisedubillard.Lesbordscapitonnésfaisaientofficederigolesquidrainaientdesflotsd’hémoglobinejusquedanslespochesdelatable.Àprésent,l’hommeétaitbienmort.

Un reflux acide fulgurant lui brûla l’œsophage. Sebastian avait la bouche sèche. Ses jambesflageolaient.Lesidéessebrouillaientdanssonesprit.

Ilfallaitqu’ilsedépêchedequitterleslieux.Ilréfléchiraitplustard.Envérifiantqu’iln’abandonnaitrien derrière lui, il repéra sur le comptoir une bouteille de bourbon posée à côté d’un verre àmoitiéplein.Unzested’orangeetdeuxgroscubesdeglaceflottaientdanslewhisky.Ils’arrêtasurcedernierdétail.Quiavaitbudansceverre?Sansdoutele«boucher»quiavaittorturéDrake.Maissilesglaçonsn’avaientpasfondu,celasignifiaitquel’agresseurvenaitàpeinedequitterleslieux.

Voirequ’ilétaittoujoursdanslapièce…

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Alorsqu’ilseruaitverslaporte,ilentendituncraquement.Ilsefigea.EtsiJeremyétaitprisonnierdececloaque?

Ilseretournaetaperçutuneombreglisserderrièreunparaventlaqué.Surgissantderrièrelespanneauxdebois,uncolosseseprécipitasurlui.Peau cuivrée, carrure épaisse, visage tatoué comme un guerrier maori, il tenait dans la main un

couteaudecombatàlameàdoubletranchant.Tétanisé,Sebastianrestaclouésurplace.Ilnelevamêmepaslesbraspourseprotégerlorsquelalames’abattitsurlui.

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16

–Lâcheça!hurlaNikkienfaisantirruptiondanslapièce.Stupéfait,lecolossesuspenditsongeste.Profitantdesasurprise,NikkifonditsurleMaoripourlui

asseneruncoupdepiedretournéquipercutaleflancdugéant,maisneledéséquilibrapaspourautant.Letueurrepritsesespritsimmédiatement.Cesdeuxadversairesnel’effrayaientpasoutremesure.Àenjugerparlesouriresadiquequidéformaitsonvisage,l’arrivéedelajeunefemmeapportaitmêmedupiquantàl’affrontement.

Sebastian avait profité de la diversion pour se réfugier au fond de la salle. Pas par manque decourage,plutôtparincapacitéàgérercegenredesituation.Jamaisdesavieilnes’étaitbattu.Jamaisiln’avaitdonnénireçulemoindrecoupdepoing.

Seule,Nikki faisait face.D’unmouvement souple, elle esquivaun coupde couteau, puis un autre.Décalage,petitsaut,virevolte,feintedecorps.Ellemobilisaittoutcequ’elleavaitapprisenboxedanssasalledesport.Maislecolossenefrapperaitpasdanslevideindéfiniment.

Ilfallaitledésarmercoûtequecoûte.Faireabstractiondel’odeurdusang.Oublierleclimatdemortquirégnaitdanslapièce.Nepenser

qu’àJeremy.Jen’aipasledroitdemouriravantd’avoirretrouvémonfils.Elle s’empara d’une queue de billard posée contre la table. Ce n’était pas aussi efficace qu’un

couteau, mais ça la rendait plus difficile à atteindre. Armée de cette tige de bois, elle balaya l’air,enchaînant avec agilité plusieurs attaques dont l’une gifla leMaori.Vexé, il poussa un grognement decolèreet,considérantquelejeuavaitassezduré,portasoudainunlargecoupdepoignardcirculairequibrisa lacannedebillarden sonmilieu.Désarçonnée,Nikki luibalança lesdeuxmorceauxdeboisauvisage.Illesrepoussad’ungestedubras.

VoyantNikki en difficulté, Sebastian se sentit porté par une force nouvelle. Il saisit un extincteuraccrochéaumuretarrachal’anneaupourlibérerlegazdelacartouche.

–Prendsçadanslagueule!cria-t-ilenlibérantlamoussecarboniqueàlatêtedel’agresseur.Surpris, le criminel se protégea les yeux sans lâcher son arme. Tirant profit de son aveuglement,

Nikki luienvoyauncoupdepiedà l’entrejambetandisqueSebastianlefrappaitdetoutesarageavecl’extincteur.

Un de ses coups toucha le tatoué en pleine tête, décuplant sa colère. Il se dégagea et projeta soncouteau en direction deNikki. Elle l’évita de justesse. L’arme blanchemanqua sa cible et termina sacourseenricochantcontrelemur.

Oubliantsaterreurdesefaireécharper,Sebastianfutsoudainsaisid’unsentimentd’euphorie.Avecunecertaineinconscience,ildécidad’attaquerfrontalementleMaori,maisglissadansunemaredesang.Ilsereleva,fermasonpoingpourtenteruncrochet.Troptard:undirectmagistrallefitvalserderrièrelecomptoir. Pour amortir sa chute, il chercha à se rattraper à l’étagère du bar, entraînant avec lui les

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bouteilles et le large miroir qui se fracassèrent dans un grand bruit de verre brisé. Assommé par laviolenceduchoc,ilrestaautapis,incapabledeserelever.

Retrouvantde sa superbeetdécidéàen finir auplusvite, legéant saisitNikkià lagorgepour labasculersurlatabledebillard.Sescheveuxbaignaientdansuneflaquedesangpoisseux.Ellepoussauncrid’horreurenseretrouvantàquelquescentimètresducadavredeDrake.

LeMaoriluimartelalevisagedesespoings.Uncoup,deuxcoups,troiscoups.Souslesassauts,Nikkiperdaitpeuàpeuconnaissance.Dansunultimeeffort,elletenditlebraspour

empoignerlepremierobjetvenu.Laqueuedebillardcassée.Épuisée, ellemit toutes ses forces dans un dernier geste de survie. Pointue comme une flèche, la

moitiédecanneatteignit levisageducolosse,glissantduhautdesonfront jusqu’ausourcil.Lapointedéchiralachairets’enfonçadansl’orbite,crevantleglobeoculairedansunbruitsourd.

Souslecoupdeladouleur,lecyclopepoussaunhurlementatroceetlâchasaproie.Ilretiralatigeeffiléedesonœiletsemitàtituberentournantsurlui-même.

SadernièrevisionfutcelledeSebastianqui,arméd’unmorceaudemiroirbrisé,avançaitverslui.Brillantcommeunelame,affilécommeunglaive,leboutdeverreluitranchalacarotide.

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17

–Nikki!Ilfautpartir!L’airétaitlourd,irrespirable.L’artèreduMaori,quis’étaitaffaléaupiedducomptoir,pissaitlesangparsaccades,déversantdes

litresd’hémoglobine,achevantdetransformerlebarenabattoirsordide.L’antreinquiétantd’undépeceurfouoùreposaientdeuxcarcassesenattented’équarrissage.

Dehors, la pluie cognait contre les vitres. Le vent soufflait fort, mais pas assez pour couvrir lehurlementdelasirènedel’ambulancequiremontaitlarue.

–Lève-toi,exhortaSebastian.Lessecoursarriventetlesflicsserontlàd’uneminuteàl’autre.IlaidaNikkiàsemettredeboutetlapritparlataille.–Ildoityavoirunesortiederrière.Paruneporteaufonddubar,illaconduisitdansl’arrière-courquidonnaitsurlaruelle.Émergeant

del’enfer,ilsaccueillirentlecontactavecl’airpuretlapluieruisselantecommeunebénédiction.Aprèscequ’ilsavaientsubi,ilsauraienteubesoind’unedouchesansfinpourselaverdusangquis’incrustaitdansleurchair.

SebastianentraînaNikkidanslaJaguar,mitlecontactetdémarraentrombependantqueleséclairsbleutésdesgyrophareséclaboussaientlegrislugubredeBushwick.

Ils roulèrent suffisamment longtemps pour être hors de danger. Puis Sebastian s’arrêta devant unepalissadedechantier,dansuneruedésertedeBedfordStuyvesant.

Ilcoupalecontact.L’habitacledelavoitureétaitcernéparunépaisrideaudepluie.–Bordel,qu’est-cequetufoutaislà!hurlaNikki,auborddelacrisedenerfs.Onétaitconvenusde

seretrouverchezlesflics!–Calme-toi,jet’ensupplie!J’aicrupouvoirarrangerleschosestoutseul.Jemesuistrompé…Mais

ettoi,commentas-tusu…–Jevoulaismefaireuneidéedecetendroitavantd’êtrecuisinéeparlesagentsduCARD.J’aiplutôt

bienfait,non?Nikkitremblaitdetoussesmembres.–C’étaientqui,cesmecs?–Lebarbu,c’estDrakeDecker.Lemonstretatoué,jen’ensaisrien.Elleabaissalepare-soleiletseregardadanslemiroir.Sonvisageétaittuméfié,sesvêtementsétaient

déchirésetsescheveuxcollésparlesangséché.–CommentJeremys’est-ilfourrédansuncauchemarpareil?demanda-t-elle,lavoixétranglée.Alorsqu’ellefermaitlesyeux,unbarrageenelleserompit.Unevaguedéferladanssoncorpsetelle

éclataensanglots.Sebastianposaunemainsursonépaulepourlaréconforter,maisellelerepoussa.Il soupira et se massa les paupières. Sa tête était lourde. Accablé par une migraine intense, il

frissonnaitluiaussidanssachemisetrempée.Ilnepouvaitpascroirequ’ilvenaitdetuerunhommeenlui

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tranchantlagorge.Commentavait-ilpuselaisserbroyeraussiviteparcetengrenage?Il s’était réveillé ce matin, dans le confort cossu de sa maison. Un soleil rassurant inondait sa

chambre.Àprésent,ilavaitdusangsurlesmains,setrouvaitauxportesdelaprisonetn’avaitaucunenouvelledesonfils.

Malgrélesmauxdetêtequiluivrillaientlecrâneetluidonnaientlanausée,ilessayademettredel’ordre dans ses pensées. Son cerveau brassait un flot d’images : ses retrouvailles avec Nikki, ladécouvertedeladrogue,lecadavremutilédeDecker,laviolencebestialeduMaori,lemorceaudeverreaffiléqu’illuiavaitplantédanslagorge…

Letonnerregrondaetl’averseredoublad’intensité.Noyéesousunepluiediluvienne,lavoitureétaitsecouéeparleventcommeunecoqueaumilieudelatempête.Avecsamanche,Sebastianessuyalabuéequis’étaitforméecontrelavitre.Onn’yvoyaitpasàtroismètres.

–Onnepeutpluscachercequel’onsaitàlapolice,constata-t-ilensetournantverssonex-femme.Nikkisecoualatête.–Onvientde tuerquelqu’un!Ona franchi lepointdenon-retour. Iln’estpasquestionderévéler

quoiquecesoit!–Nikki,ledangerquipèsesurJeremyestplusgrandquecequel’oncraignait.Elledégagealesmèchesquicachaientsonvisage.–Lesflicsnenousaiderontpas,Sebastian.Netefaispasd’illusions.Ilsvontseretrouveravecdeux

cadavressurlesbrasetilsaurontbesoind’uncoupable.–C’étaitdelalégitimedéfense!–Çaseradifficileàprouver,crois-moi.Etlapresseseraraviedesepayerunnotable.Ilconsidéral’argument.Aufonddelui,ilsavaitqu’ellen’avaitpastort.Cequis’étaitpassédansle

bar avant leur arrivée n’était pas un simple règlement de comptes entre dealers.C’était une véritableboucherie.Etmêmes’ilsnesavaientpasencorequelrôleavaittenuJeremydanscebourbier,ilétaitclairque lesproblèmesvenaientdechangerdenature. Ilsnecraignaientplus seulementdevoir leur fils sefairearrêteroujeterenprison.Ilsredoutaientsurtoutdeleretrouvermort…

Leurstéléphonessonnèrentenmêmetemps.PartitadeBachpourlui;riffdeJimiHendrixpourelle.Nikkiregardasonécran:c’étaitSantosquidevaits’impatienterausiègeduCARD,lacelluleduFBI.Ellechoisitd’ignorerl’appel.Elleluidonneraitdesnouvelles,maisplustard.

Ellejetauncoupd’œilsurlecellulairedeSebastian.Lepréfixeindiquaitunappelinternational.Ilfronçalessourcilspourluisignifierqu’ilneconnaissaitpascenuméro,mais,aprèsquelquessecondesd’hésitation,ilchoisitdedécrocherenmettantlehaut-parleur.

–MonsieurLarabee?demandaunevoixmasculinedotéed’unaccentétranger.–Lui-même.–Monpetitdoigtmeditquevousaimeriezavoirdesnouvellesdevotrefils.Sebastiansentitunebouleseformerdanssagorge.–Quiêtes-vous?Qu’avez-vousfaitde…–Bonfilm,monsieurLarabee!lecoupalavoixavantderaccrocher.Abasourdis,ilsseregardèrentensilence,aussiinquietsquemédusés.Untintementcristallinlesfitsursauter.Unmailvenaitd’arriversurletéléphonedeNikki.Adressedel’expéditeurinconnue.Elleouvritle

message:ilétaitvide,àl’exceptiond’unepiècejointequimitunlongmomentàsecharger.–C’estunevidéo,constata-t-elle.Entremblant,elleappuyasurleboutondelecture.D’instinct,samaincherchal’avant-brasdeSebastianpourseraccrocheràquelquechose.Lefilmselança.Elles’attendaitaupire.

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Dehors,lapluietorrentiellecontinuaitàcrépitersurletoitdelavoiture.

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LacelluleduFBIspécialiséedanslesdisparitionsdemineursavaitinstallésesbureauxau56eétagedu Metlife Building, un gratte-ciel gigantesque qui écrasait Park Avenue de sa structure massive etanguleuse.

Trépignant d’impatience, Lorenzo Santos s’agitait dans le fauteuil de la salle d’attente, un longcouloirdechromeetdeverrequisurplombaitl’estdeManhattan.

Le lieutenant duNew York PoliceDepartment regarda nerveusement samontre. Il attendait Nikkidepuisplusd’uneheure.Avait-ellerenoncéàvenirdéclarerladisparitiondesonfils?Pourquoi?Soncomportementn’étaitpaslogique.Àcaused’elle,ilallaitpasserpourunidiotauxyeuxdesoncollègueduFBIauprèsdequiilavaitsollicitécerendez-vousd’urgence.

SantossortitsontéléphoneetlaissaunnouveaumessageàNikki.C’étaitsatroisièmetentative,maiselle filtrait manifestement ses appels. Cela le mit en rage. Il était certain que tout était la faute deSebastianLarabee,cetex-maridontilnevoyaitpasd’unbonœillaréapparition.

Bordel!Ilétaithorsdequestionqu’ilperdeNikki!Depuissixmois,ilenétaittombédésespérémentamoureux.Ilguettaitsesmoindresfaitsetgestes,traquaitsespensées,essayaitd’interpréterchacunedesesparoles.Enpermanencesurlequi-vive,ilvivaitdésormaisdanslemanqueetlapeur.Cettefemmedégageaitunmagnétismequil’avaittransforméenmisérablejunkiedel’amour.

Santossentitunepousséed’angoisseaucreuxdesonestomac.Ilavaitchaud,iltranspirait.Nikkinesuscitaitpasunamoursereinetapaisant,maisplutôtunepassion fiévreusequi le rendait

fou,totalementaccroàsapeau,àsonodeur,àsonregard.Commelapiredesdrogues,elleprovoquaitladépendance dure et la souffrance. Faible et sans caractère quand il s’agissait d’elle, il avait laissé lepiègeserefermersurlui.Àprésent,ilétaittroptardpourrevenirenarrière.

Assailliparl’inquiétudeetlacolère,ilselevapours’approcherdelafenêtre.Silapièceétaitfroideetimpersonnelle,lavueétaitenvoûtante.Dansuneffetdeperspectivesesuccédaientlaflèched’acieretlesaiglesstylisésduChryslerBuilding,lescâblesdupontdeWilliamsburg,lesembarcationsglissantsurl’EastRiver,puis,trèsloin,lestoitsanonymesduQueensquis’étendaientàpertedevue.

Leflicpoussaunsoupirdouloureux. Ilaurait tantvoulusedésintoxiquerdecettefemme.PourquoiNikkiluifaisait-elleceteffet-là?Pourquoielle?Qu’avait-elledeplusquelesautres?

Comme souvent, il essaya de se raisonner,mais il savait que c’était peine perdue et que l’on nepouvaitpasrationalisercequitenaitdel’envoûtement.Indomptableetinsoumise,Nikkiavaituneflammeaufonddesyeuxquidisait:«Jeseraitoujourslibre.Jamaisjenet’appartiendrai.»Uneflammequilerendaitdingue.

Ilplissalesyeux.Lapluieavaitcessé.Lecielétaittraversédenuagesbleus.Danscedébutdenuitélectrique,leslumièresdelavilles’allumaientlesunesaprèslesautres.Àdeuxcentsmètresau-dessusdusol,NewYorkparaissaitvideetapaisée,paquebotimmobilebaignantdansunhaloirréel.

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Santosserralepoingetleposacontrelavitre.Iln’étaitnisentimentalniromantique.IlavaitréussiàsefairetrèsviteuneplaceauseinduNYPD.

Dévoré d’ambition, il connaissait le terrain, il tenait son quartier et avait déjà résolu des affaires depremierplan,n’hésitantpasàalleraucontactdesvoyouspourseconstruireunsolideréseaud’indics.LesStupsétaientundépartementdifficileetrisqué,maisilavaitlecuirsuffisammentépaispournavigueraumilieudecettefaunepeurecommandable.Commentuntypetelqueluiavait-ilpuselaisserhapperparla passion ? Il n’était pas du genre à se complaire dans les lamentations,mais il était bien forcé dereconnaîtrequ’ilvivaitaujourd’huiavec lapeurauventre.LahantisedeperdreNikkioupire :qu’unautrehommelaluiprenne.

Lasonneriedesontéléphonelefitsursauter.Faussejoie.Cen’étaitqueMazzantini,sonadjoint.–Santos,dit-ilendécrochant.Couverte par le hurlement de la sirène et le bourdonnement de la circulation, la voix de son

subordonnéétaitpresqueinaudible.–Onauneurgence,lieutenant:undoublehomicideàBushwick.Jesuisenroute.Undoublehomicide…L’instinctdeflicdeSantosrepritimmédiatementledessus.–Àquelleadresse?–LeBoomerang,unbardeFrederickStreet.–LebardeDrakeDecker?–D’aprèslesambulanciers,c’estunevéritableboucherie.–Jevousrejoins.Il raccrocha, sortit dans le couloir et appela un ascenseur pour rejoindre le garage souterrain et

récupérersonvéhiculedeservice.17h30.Une heure cauchemardesque pour quitter Manhattan en voiture. Pour s’extraire de la circulation,

Santosfittournersongyrophareetmitenroutelasirène.UnionSquare,GreenwichVillage,LittleItaly.DeuxcadavreschezDrakeDecker…Depuisqu’iltravaillaitàBushwick,Santosavaitdéjàserré«GrizzlyDrake»plusieursfois,maisle

tenancierduBoomerangn’étaitpasungrosdealer.Danslastructurepyramidaledutraficdedrogue,iln’apparaissaitpascommeundonneurd’ordres.C’étaitplutôtunfournisseurprudentetunpeulâchequijouaitfréquemmentlesindicspourlesflics.

Cedébutdemystèreoccupaunmomentl’espritdeSantos,maisilnesepassapaslongtempsavantque levisagedeNikkine reviennehanter sespensées. Il consultadu regard l’écrande soncellulaire.Toujoursaucunenouvelle.

Tirailléparl’angoisse,iltraversaleBrooklynBridge,latêteassailliedequestions.Oùétait-elleàprésent?Avecqui?Ilbrûlaitdelesavoir.

Biensûr,ildevaitseconcentrersursonenquête,mais,enarrivantdel’autrecôtédupont,ildécidaquelesdeuxmacchabéespouvaientbienattendreetmitlecapsurRedHook,lequartieroùvivaitNikki.

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Brooklyn.De retourdans l’appartementdévasté,Nikki etSebastian s’installèrentdans la cuisine, derrière le

comptoir en bois sur lequel était posé l’ordinateur. Nikki mit l’appareil sous tension et lança samessagerie pour récupérer la vidéo. À la terreur des premiers visionnages avaient succédé lesinterrogationset la recherched’indicespour tenterdedécrypter le film.Maiscetteopérationétait trèsincertainesurl’écranminiatured’untéléphone.

Nikkitransféral’enregistrementversunlogicieldestinéautraitementdelavidéonumérique.– Où as-tu appris à faire ça ? demanda Sebastian, surpris de la découvrir aussi à l’aise avec

l’informatique.–JefaisduthéâtreamateuravecunetroupedeWilliamsburg,expliqua-t-elle.Jefilmedesséquences

pourlesintégrerdansnosspectacles.Sebastian hocha la tête. Il connaissait cette nouvelle tendance et n’avait jamais été convaincu par

l’utilisationducinémasurunescènethéâtrale,maiscen’étaitpaslemomentd’ouvrircedébat.Nikkilançalavidéoenpleinécran.Enversiondix-septpouces,l’imageétaitexagérémentpixélisée.

Elleajustalataillejusqu’àobtenirunequalitéexploitable.Dépourvudeson,lefilmétaitpiqué,unpeuverdâtre,striédanslalargeur.Ilémanaitvisiblementd’unecaméradesurveillance.

Une nouvelle fois, ils regardèrent la vidéo à vitesse normale. Le film durait moins de quarantesecondes,maislabrièvetédelascènenelarendaitpasmoinsdouloureuse.Lacaméraétaitfixe,placéeenhauteurpoursurveillerlequaid’unestationdemétrooudetraindebanlieue.L’enregistrementdébutaitpar l’entréeengared’unerame.Lesportesautomatiquesàpeineouvertes,unjeunegarçon–Jeremy–quittaitlewagonpours’enfuirencourantsurlequai.Onlevoyaitjouerdescoudespours’extrairedelafouleavantd’êtreprisenchassepardeuxhommes.Lacourse-poursuitenecouvraitqu’unetrentainedemètres et s’achevait au niveau des escaliers par un violent plaquage au sol. Au cours des dernièressecondes,onapercevaitl’undesagresseurs,levisagedéforméparunsourireinquiétant,prendreletempsdeseretournerpourregarderfixementl’objectif.

Puisunécrandeneigeinterrompaitbrusquementl’enregistrement.Unecouléed’angoisseglaça les reinsdeNikki,maiselleessayade teniràdistancesesémotions,

conditionsinequanonpouravoirunechancedefaireparlerlefilm.–Tupensesquec’estoù?demanda-t-elle.Sebastiansegrattalatête.–Aucuneidée.Çapeutêtren’importeoù.–Bon,jevaisrelancerlaséquenceauralentietsinécessaireonferaduplanparplanpourcollecter

lemaximumd’indices.Ilhochalatêteetseconcentra.

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ÀpeineNikkiavait-elleremisl’enregistrementqueSebastianpointal’indexversl’écran.Ilyavaituneindicationdedateportéeenbasàdroitedel’image.

–Le13octobre,lut-ilenplissantlesyeux.–C’étaithier…Lepremierplanmontraitlaramedemétroquis’immobilisaitàquai.Elleappuyasur«pause»pour

figerlascèneetobserverplusattentivementlewagon.–Tupeuxzoomer?Elles’exécuta.Apparemment,c’étaitunmodèledemétroassezancienauxramesblancetvertjade

muniesdepoignéeschromées.–Ilyaunlogo,là!Enbasduwagon.À l’aidedu trackpad, elle isola la zone puis fit unemise au point. L’emblème était flou,mais on

distinguaitclairementunvisagestylisétournéversleciel.–Çateditquelquechose?demanda-t-il.Ellefitnondelatêtepuisseravisa:–Enfin,jenecroispas…Ellerelançalavidéo.Lesportess’ouvraientsurunadolescentvêtud’unblousonTeddyenlaineeten

cuir.Nikki figea à nouveau l’image pour l’agrandir. Le jeune homme avait la tête baissée et le visage

masquéparunecasquettedebaseballdesMets.–Onn’estmêmepassûrsqu’ils’agissevraimentdeJeremy,constata-t-il.Ellebalayal’objection:–J’ensuiscertaine.C’estsonallure,c’estsacasquette,cesontsesvêtements.Dubitatif, Sebastian se pencha sur l’écran. L’ado portait un jean slim, un tee-shirt, une paire de

Converse.Commetouslesadolescentsdumonde…–Crois-enmoninstinctmaternel,appuyaNikki.Pourapporterunepreuvedecequ’elleaffirmait,Nikkidécoupal’imagepourfaireapparaîtreenson

centreletee-shirtdugamin.Ellenettoyal’agrandissementdumieuxqu’elleleput.Enlettresrougessurfond noir, l’inscription THE SHOOTERS floquée sur le maillot de coton apparut progressivement surl’écran.

–LegroupederockfétichedeJeremy!s’exclamaSebastian.Nikkiapprouvad’unmouvementsilencieuxdelatêteavantdepoursuivrelevisionnage.Dansledésordreetlaconfusion,Jeremys’élançaithorsduwagon,fendantlafoulepouréchapperà

ses poursuivants. Enfin, les deux hommes surgirent dans le champ de la caméra. Ils provenaient sansdouted’unwagonattenant,maisonnelesvoyaitquededos.

Lesyeuxcollésàl’écran,ilsrepassèrentlaséquenceplusieursfois,mais,àcausedel’affluenceetdel’éloignement,lascènemanquaitdenetteté.

Puisvintlepassagelepluséprouvant:celuiaucoursduquelleurfilsétaitviolemmentplaquéausol,enboutdequai,justeavantd’atteindrel’escalierdesortie.Lescinqdernièressecondesétaientlesplusmarquantes:aprèsavoirfauchéJeremy,l’undesdeuxagresseursseretournait,cherchantlacaméradesyeuxavantdeluiadresserunsouriremoqueur.

–Cesalopardsaitqu’ilestfilmé!explosaSebastian.Ilnousnargue!Nikkiisolalevisageetfit touteslesmanipulationspossiblespourlerendreplusnet.Letypeavait

unedégainehallucinante:mouesardonique,barbebroussailleuse,cheveuxlongsetgras,lunettesfumées,bonnetdeskienfoncéjusqu’auxoreilles.Unefoislesréglageseffectués,ellelançauneimpressionhautedéfinitionsurdupapierphoto.Enattendantquelamachinecracheletirage,Sebastians’interrogea:

–Quelestlebutdenousfaireparvenirça?Iln’yapasd’instructions,pasdedemandederançon.Cen’estpaslogique.

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–Peut-êtrequeçaviendraplustard.Ilrécupéraleportraitdanslebacdel’imprimanteetscrutalevisage,cherchantundétailquipourrait

le mettre sur la piste de l’identité de l’agresseur. L’homme semblait grimé. Le connaissait-il ?Probablementpas,maisilétaitimpossibledel’affirmertantl’imageétaitfloue,déformantunvisagelui-mêmemasquépardeslunettes,unbonnetetunebarbeàl’allurefactice.

Nikkilançalefilmunenouvellefois.–Concentrons-noussurlelieuetledécor.Ilfautàtoutprixquel’onsachequelestcetendroit.Sebastiandécidad’oublierlesvisagesetlesmouvementspourrecentrersonattentionsurlagare.Il

s’agissait d’une station souterraine, à voûte elliptique, desservie par deux voies. Les parois étaienttapisséesdepetitscarreauxdefaïenceblancheetdepanneauxpublicitaires.

–Tupeuxzoomersurcetteaffiche?Nikkis’exécuta.Ils’agissaitd’unposterrosefuchsiaannonçantlacomédiemusicaleMyFairLady.

Eneffectuantlamiseaupoint,elleparvintàdéchiffrer:–Châtelet.ThéâtremusicaldeParis.Sebastianrestasansvoix.Paris…–Qu’est-cequeJeremyseraitalléfaireenFrance?C’estsurréaliste.Etpourtant…Ilsesouvenaitàprésentoùilavaitvulesymboleduvisagetournéversleciel:lorsdesonseulet

unique voyage à Paris, dix-sept ans plus tôt. Il ouvrit une nouvelle fenêtre sur l’ordinateur, lança lenavigateurInternet,tapa«métroparis»surGoogleetendeuxclicsseretrouvasurlesitedelaRATP.

–Lelogoquiapparaîtsurleswagonsestbienceluidestransportsparisiens.–Jevaisidentifierlastation,assuraNikkienpointantdanslefonddel’écranunpanneaubleuoùse

découpaitenlettresblancheslenomdel’arrêtdemétro.L’opérationpritplusieursminutes.Lenomdelastation– longet«compliqué»–n’apparaissaità

l’écranquequelquescentièmesdesecondeetdefaçontrèspartielle.AprèsderapidesrecherchessurleNet,ilsarrivèrentàlaconclusionqu’ils’agissaitprobablementde«Barbès-Rochechouart».

Unestationdunorddelacapitale.Sebastianétaitdeplusenplustroublé.Parquelcircuitcettevidéoavait-ellepuleurparvenir?Entre

lescouloirsetlesquaisdemétro,leréseauparisiendevidéosurveillancedevaitdéployercommeàNewYorkdesmilliersdecaméras.Maiscesimagesn’étaientpasenaccèslibre.LescamérasétaientreliéesàdesPCdesécuritéquinetransmettaientnormalementlesbandesqu’auxservicesdepolice,danslecadrestrictd’uneréquisitionjudiciaire.

–Essaieencoredecomposerlenuméro,suggéraNikki.Ellefaisaitallusionàlasériedechiffresquis’étaitaffichéesurl’écrandutéléphonejusteavantque

lavoixnelesmenace:«Monpetitdoigtmeditquevousaimeriezavoirdesnouvellesdevotrefils.»Ilsavaientrappelédanslavoiturejusteaprèsladécouvertedelavidéo,maissanssuccès.Cettefoispourtant,cefutdifférent.Aprèstroissonneries,quelqu’undécrochaetlançad’unevoixenjouée:–LaLangueauchat,bonjour!Sebastian ne possédait que quelques rudiments de français. Après maintes explications de son

interlocuteur,ilfinitparcomprendrequeLaLangueauchatétaituncafédu4earrondissementparisien.Son correspondant, un simple bistrotier, était totalement étranger à cette histoire. Quelqu’un avait

certainement passé le coup de fil depuis son établissement une heure plus tôt, ce qui provoqual’incompréhensiondubonhommeetlacolèredeSebastian.

–Ilssemoquentdenous!Ilsjouentavecnous!–Entoutcas,touteslespistesmènentàParis,constataNikki.

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Elleregardasamontreavantdedemander:–Tuastonpasseportsurtoi?Sebastianacquiesça,maisvoyantoùellevoulaitenvenir,préféralamettreengarde:–NemedispasquetucomptesalleràParisaujourd’hui?–C’estlaseulechoseàfaire.Toi,turéfléchisbeaucoup,maistunefaisrien!–Attends,tunecroispasqu’onbrûlelesétapes,là?Onnesaitpasquisontcesgensetonnesaitpas

ce qu’ils veulent.En agissant exactement comme ils l’attendent de nous, on se jette dans la gueule duloup.

Maiselleétaitdécidée:–Tufaiscommetuveux,Sebastian,maismoi,jepars.Ilsepritlatêtedanslesmains.Lasituationluiéchappait.Ilsavaittrèsbienqu’ilneparviendraitpas

àraisonnerNikki.Qu’il lasuiveounon,ellenerenonceraitpasàcevoyage.Etquelleautre initiativeavait-ilàluiproposer?

–J’achètenosbillets,capitula-t-ilenseconnectantausitedeDeltaAirlines.Elleleremerciad’unsignedetêteetmontadanssachambrepourpréparerunevaliseenvitesse.

VEUILLEZVALIDERVOSCOORDONNÉESBANCAIRES.

Encettepériodecreuse,Sebastiann’eutaucunmalà trouverdeuxplacessur levolde21h50. Ilpayaenligne,imprimalesreçusetlescartesd’embarquement.Ils’apprêtaitàrejoindreNikkilorsqueletintementguilleretducarillonlefittressaillir.Machinalement,ilrabattitl’écranduportable,puis,àpasdeloup,serapprochadelaported’entréeetregardaàtraverslejudas.

Santos.Ilnemanquaitplusquelui!Sansbruit,ilrécupéralesbilletsetmontaàl’étagepourretrouverNikki.Ellefourraitdesvêtements

dansungrandsacdesport.Ilarticulasilencieusement«San-tos»et,ledoigtsurlabouche,luifitsignedesonautremaindelesuivredanslachambredeJeremy.

Alors qu’il l’entraînait vers la fenêtre, elle s’arrêta soudain et fit demi-tour vers le bureau pourattraperlebaladeurdesonfils:uniPodrougequ’ellerangeadanssonsac.

Sebastianlevalesyeuxauciel.–Quoi?J’ailaphobiedel’avion!Sijenepeuxpasécouterdelamusique,jevaisavoirunecrise

depanique.–Dépêche-toi!lapressa-t-il.Ellelerejoignitetl’aidaàfairecoulisserlechâssisdelafenêtreàguillotine.Ilsortitlepremieretluitenditlamainpourl’aideràattraperl’échelleenfonte.Puisilss’enfuirentdanslanuit.

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–Nikki,ouvre-moi!Santostambourinaitcontrelaportemétalliquequigardaitl’entréeduloft.–Jesaisquetueslà!Exaspéré,ilabattitviolemmentsonpoingcontrelasurfaceenacier,maisneréussitqu’àsefairemal.Etmerde!Ensixmoisderelation,Nikkin’avaitjamaisacceptédeluidonnerunjeudeclés.Pourouvrircettemuraille,ilfaudraitunbélier…Il redescendit au rez-de-chaussée et fit le tour de l’immeuble. Comme il l’avait deviné, les deux

derniers étages étaient encore éclairés. Il monta par l’escalier de secours pour accéder aux fenêtreslorsqu’ilvitquel’uned’ellesétaitrestéeouverte.IlseglissadanslachambredeJeremy.

–Nikki?Ildébouchadanslecouloir,parcourutlespiècesl’uneaprèsl’autre.L’appartementétaitvide,mais

dévasté.CetabrutideLarabeel’avaitbienmenéenbateauenparlantdedispute!Ilessayadecomprendrecequiavaitpusepasser.Uncambriolage,sansdoute,maispourquoiNikki

aurait-ellecherchéàleluicacher?Sonportablevibradans sapoche.Mazzantini s’impatientait.Santosavait conscienceque le temps

pressaitetqu’ildevaitserendred’urgencesurlascènedecrimeduBoomerang,maisdécidad’ignorerl’appeldesonadjoint.

Sanstropsavoircequ’ilcherchait,Santoscommençaparfureterdanslachambredel’adolescent,selaissantguiderparsoninstinctd’enquêteur.Visiblement,onavaitpassélapièceaupeignefin.Celaavait-ilquelquechoseàvoiravecsasupposéedisparition?Ilexaminalamallettedepokerposéesurlelit,nefutpaslongàdécouvrirlesfauxjetonsdecéramiqueet,sanssedouterdeleurusageexact,compritqu’ily avait une piste à creuser.En arrivant dans la salle de bains, il s’étonnamoins du désordre que destracesdepasetdel’eauautourdelacuvettedestoilettes.Ilsepenchaenavantetremarquadesrésidusdepoudreblanchesurlalunette.

Ilétaitàpeuprèscertainquecen’étaitpasdudétergent.Delacocaïne…Par acquit de conscience, il préleva le reliquat avec un coton-tige qu’il glissa dans l’une des

pochettesenplastiquequ’ilavaittoujourssurlui.Bienquecelaparûtinvraisemblable,ilétaitconvaincuquel’analyseconfirmeraitsonintuition.Pressé par le temps, il s’accorda encore cinq minutes pour poursuivre sa « perquisition ». Il

descenditàl’étageinférieur,inspectalesalon,ouvritquelquestiroirsetscrutalesétagères.Alorsqu’ils’apprêtait à quitter lamaison, il remarqua l’ordinateur portable deNikki posé sur le comptoir de lacuisine.Ils’approchaetsouleval’écrandunotebookquis’allumasurlesiteWebdeDeltaAirlines.Ilpassad’uneapplicationàl’autre,découvrantsurundocumentPDFdeuxbilletsd’avion.

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Ilpoussaunjuronetprojetal’ordinateurcontrelemur.

Nikkietsonex-mariavaientprévudes’envolercesoirpourParis…

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Lanuitétaittombée.La Jaguar quitta la voie express pour rejoindre le terminal 3 de l’aéroport JFK. Elle passa les

portiquesd’entréeduparking«longuedurée»etsuivitlarampehélicoïdalequis’enfonçaitsousterre,desservantlessixniveauxduparcdestationnement.

–Ilfautabsolumentquetuchangesdevêtements,affirmaSebastianensegarantenmarchearrière.Ils avaient quitté lamaison dans la précipitation sans avoir pris le temps de se doucher ni de se

changer.Nikkiconsidéraseshabits:ilsétaientdéchirésettachésdesang.Elleregardasonrefletdanslerétroviseur.Sonvisageétaitmarquéparlescoups,salèvrefendillée,sescheveuxtoujourscollés.

–Situtebaladescommeçadansleterminal,ilnesepasserapastroisminutesavantquelesflicsnenoustombentdessus.

Elle attrapa le sac de sport posé sur la banquette arrière, se changea rapidement, enfila en secontorsionnant un bas de survêtement, un sweat-shirt à capuche, une paire de baskets, et noua sescheveux.Puis ils prirent l’ascenseur jusqu’à la zone des départs, passant sans encombre les contrôlesd’identitéetlesportiquesdesécuritéquimenaientauxportesd’embarquement.

Alors qu’ils pénétraient dans l’avion, le téléphone de Sebastian vibra. C’était Camille. Elle étaitencoredansletrainquilaconduisaitàLongIslanddanslamaisondesagrand-mère.Commesouvent,leLongIslandRailroadavaitduretard,maiselleétaitd’humeurjoyeuseetsurtoutnesemblaitplusfâchéecontrelui.

–JesuisimpatientequeMamiemefassegrillerdeschâtaignesdanslacheminée!s’enthousiasma-t-elle.

Heureux d’entendre sa fille de bonne humeur, Sebastian esquissa un léger sourire. Pendant unefractiondeseconde,ilserappelalesjoursheureux,lorsquelesjumeauxétaientenfantsetqueNikkietluiles emmenaient cueillir des châtaignes dans les forêts du Maine : les promenades au grand air, lecraquementdel’écorcequel’onincise,lachaleurdesbraisesdelacheminée,letintementmétalliquedelapoêletrouée,l’odeursavoureusequiremplissaitlapièce,lesdoigtsnoircis,lacraintedélicieusedesebrûleraumomentd’éplucherlesfruitsrôtis…

–VousavezdesnouvellesdeJeremy?LaquestiondeCamilleleramenaàlaréalité.–Onvaleretrouver,chérie,net’inquiètepas.–Tuesavecmaman?–Oui,jetelapasse.Sebastian tendit le combiné à son ex-femme et avança dans l’allée centrale de l’Airbus.Arrivé à

leursplaces,ilrangealeursacdanslecoffreàbagagesavantdes’asseoir.–Tun’oubliespasdenousprévenirsituaslamoindrenouvelledetonfrère,rappelaNikkiàsafille.–Maisvousêtesoù,aujuste?demandaCamille.

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–Euh…dansunavion,bafouilla-t-elle.–Touslesdeux?Pouralleroù?Malàl’aise,Nikkis’empressademettreuntermeàlaconversation.–Jedoistelaisser,chérie.Onvadécoller.Jet’aime.–Maismaman…Nikkiraccrochaetrenditsonappareilàsonex-mariavantdeseglisser jusqu’àsaplaceàcôtédu

hublot.Sebastianlaregardas’enfoncerdanssonsiègeetsecramponneràsesaccoudoirs.Àl’époquedeleur

mariage déjà, elle était anxieuse lorsqu’elle prenait l’avion. Avec le temps, les choses ne s’étaientvisiblementpasarrangées.

Contractée, lesmuscles tétanisés, Nikki scrutait les hôtesses, les stewards, et détaillait les autresvoyageurs.Àtraverslehublot,elleobserva,méfiante,lesavitailleurs,lesbagagistesetlescentainesdelumières qui balisaient les voies de circulation. Le moindre bruit, le moindre comportement suspectrenforçaitsonimaginationquiélaboraitmilleetunscénarioscatastrophes.

Sebastianessayadelaraisonner:–L’avionestlemoyendetransportleplussûrau…–Épargne-moitesdiscours!lerabroua-t-elleenserecroquevillantdanssonfauteuil.Elle soupiraet ferma lesyeux.Elleployait sous lepoidsde la fatigueaccumulée,dustress,de la

peur de savoir son fils en danger, de tout ce qu’ils avaient vécu ces dernières heures. Elle aurait eubesoindecourirvingtkilomètresoudesedéfoulerencognantdansunsacdesable.Pasd’êtreconfrontéeàl’unedesespiresphobies.

Son souffle était court, sa gorge sèche.Elle n’avait bien sûr pas eu le temps d’emporter son tubed’anxiolytiques.Poursedéconnecterduréel,ellecoiffalesécouteursdubaladeurdesonfilsetselaissaporterparlamusique,reprenantpeuàpeulecontrôledesarespiration.

Ellecommençaitàsedétendrelorsquel’hôtesseluidemandad’éteindresoniPod.Nikkiobtempérademauvaisegrâce.Titanesque,démesuré,l’énormeA380arrivaendébutdepisteetmarquaunepauseavantdeprendre

sonélan.–Décollageimminent,prévintlecommandant.Lepilotemitlesgazetlelong-courrier,avalantlebéton,fitvibrerlapistedetoutsonpoids.Nikkisesentaitballottée,secouée,auborddel’apoplexie.Fairevolerunappareildecinqcentstonnesneluiavaitjamaisparunaturel.Sansêtreclaustrophobe,

ellenesupportaitpasd’êtreligotéesurunsiège,privéedetoutmouvementpendantseptouhuitheures.Uneanxiétéquipouvaitrapidementsechangerenangoisse,voireenpanique.

Par-dessustout,dèsqu’ellepénétraitdansunavion,elleavaitl’impressiond’abdiquertouteliberté,den’avoirplusaucuncontrôledelasituation.Alorsquelavieluiavaitapprisànecompterquesurelle-même,ellenesupportaitpasdes’enremettreàunpiloteinconnuetinvisible.

Arrivéenboutdepiste,lemonstredeferarrachadifficilementsalourdecarcassedelaterreferme.Oppressée,fébrile,Nikkigigotasursonsiègejusqu’àcequel’avionatteignelesquinzemillepieds.Dèsquecelafutautorisé,ellerallumalebaladeuretsepelotonnasousunecouverture.Dixminutesplustard,contretouteattente,elledormaitàpoingsfermés.

Lorsqu’ilfutcertainqueNikkiétaitendormie,Sebastiansetournaverselle,éteignitlalumièredesonplafonnier,remontalacouvertureetbaissalaclimatisationpournepasqu’elleprennefroid.

Malgrélui, ilrestaplusieursminutesàl’observerdanssonsommeil.Ellesemblaitsifragile,alorsque,l’après-midimême,elledéfendaitavecvaillanceleurvie.Unstewardluiproposaquelquechoseàboire. Il descendit d’un trait sa vodka on the rocks et en commanda une deuxième. Ses yeux étaient

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brûlantsdefatigue,unedouleursourdeetcontinueirradiaitlehautdesanuque,luidonnantl’impressiond’avoirl’arrièredelatêtecompressédansunétau.

Il semassa les tempes pour soulager la douleur.Dans la cacophonie et le chaos de son esprit, ilessayadetrouverunsensàl’absurditédecettesituation.

Versquelsdangersétaient-ilsentraindevoler?Quelennemicombattaient-ils?Pourquelleraisonenvoulait-on autant à Jeremy ? Pourquoi avaient-ils commis la folie de ne pas demander l’aide de lapolice?Commentcettehistoirepourrait-elleseterminerautrementqu’enprison?

Lesdouzedernièresheuresavaientétélespluséprouvantesdesavie.Lesplusinattenduesaussi.Luiqui avait toujours planifié son existence jusque dans les moindres détails, luttant sans cesse pouréradiquerl’imprévuets’employantavecuneobsessionmaniaqueàsemaintenirdanslesrailsd’unevierassurante,seretrouvaitplongédansl’inconnu.

Cet après-midi, il avait découvert un cadavre éviscéré, s’était battu dans unemare de sang, avaittranchélagorged’uncolossemesurantdeuxfoissataille…Etcesoir,ilétaitenrouteversl’Europeavecunefemmequ’ilavaitpourtantjuréderayeràjamaisdesavie.

Il retira ses chaussures, ferma les yeux,mais il était trop agité pour s’endormir.Dans sa tête, lesimagesducarnagesebousculaient,s’entrechoquantaveccellesdelavidéodel’agressiondeJeremy.Peuàpeupourtant,sousl’effetdelafatigueetduronronnementdel’avion,unedoucelangueurcommençaàl’anesthésier,l’obligeantàbaissersagarde.Àforced’essayerdecomprendrelesensdecettejournée,lefildesespenséesl’amenaaujouroùilavaitvuNikkipourlapremièrefois.

Unerencontre-collisionquiavaittenuàpeudechose.C’étaitilyadix-septans.Un24décembre.ÀNewYork.ÀquelquesheuresdeNoël…

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SebastianDix-septansplustôt…

Pourquoinem’ysuis-jepasprisavant?DeBroadwayàla7eAvenue,Macy’soccupetoutunpâtédemaisons.Ence24décembre,le«plus

grand magasin du monde » est bondé. La neige qui tombe dru depuis le début de l’après-midi n’adissuadénilesNew-Yorkaisnilestouristesdevenirfaireleursderniersachatsavantleréveillon.Danslehall,devantunimmensesapin,unechoralereprenddeschantsdeNoël,tandisqueclientsetbadaudss’agglutinent dans les Escalator avant de s’éparpiller entre les dix étages de la vénérable institution.Vêtements, produits de beauté, montres, bijoux, livres, jouets : dans ce temple de la consommation,chacunpoursuitsaquête.

Qu’est-cequejefouslà?Ungaminsurexcitémebouscule,unegrand-mèrem’écraselepied,lafoulemedonneletournis.Je

n’auraispasdûm’aventurersurcesterreshostiles.Jesuistentéderebrousserchemin,maisilmeparaîtdifficiled’arriverauréveillonfamilialsansavoirtrouvéuncadeaupourmamère.J’hésite.Uncarrédesoie,peut-être?Maisn’est-cepascequejeluiavaisdéjàoffertl’andernier?Unsacàmain?Ilssonthorsdeprix.Unparfum,alors?Maislequelchoisir?

Pour mon père, c’est moins compliqué. Nous avons une sorte d’accord tacite mutuellementavantageux : les années paires, je lui offre une boîte de cigares, les années impaires, il a droit à unebouteilledecognac.

Je soupire, regarde autour demoi, un peu perdu aumilieu de tous ces gens décidés. J’étouffe unjuron:unevendeusemaladroitevientdem’aspergeravecunparfumféminin!Cettefois,monseuildetoléranceestatteint.J’attrapelepremierflaconquimetombesouslamainetmedirigeverslacaisselaplusproche.

Danslafiled’attente,jem’essuielevisageenmaudissantl’employéequimefaitempesterlacocotte.–53dollars,monsieur.Alorsquejesorsmonportefeuillepourrégler,j’aperçoisunesilhouettelongiligneàquelquesmètres

de moi. Une belle fille à la démarche assurée s’apprête à quitter l’espace réservé aux cosmétiques.Nonchalammentdrapéedansunecapeenlaine,ellearboreuneallureféminineetsexy:béretgris,jupecourtetrèsmoulante,cuissardesàtalonshauts,sacàmainfashion.

–Monsieur?Tandisque jecherchemes lunettesdevuedans lapochedemaveste, lacaissièremeramèneà la

réalité.Je tendsmacartedecrédit toutennequittantpasdesyeuxlabelle inconnuepourlavoir…sefairealpaguerparunvigile!Talkie-walkieàlamain,l’hommeennoirluidemandefermementd’ouvrirsacape.Elles’insurge,gesticule,maisunetroussedemaquillagecamoufléesoussonmanteautombeparmégardesurlesol,trahissantsonvol.

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Levigilel’empoignefermementparlebrasetappelledurenfortparradio.Jerécupèremonachatetmerapproched’elle.Jeremarquesestachesderousseur,sesyeuxverts,sa

pairedelongsgantsencuir.D’ordinaire,jenemeretournepassurlesfemmes:Manhattangrouilledefilles sublimes, et puis je ne crois pas au coup de foudre. Mais là, c’est différent. C’est un de cesmoments étranges qu’on a tous connus une fois. L’impression confuse d’avoir rendez-vous.Un instantrare.

J’aitroissecondespourmedécideretnepaslaisserpassermachance.C’estmaintenantoujamais.J’ouvrelabouchesanssavoircequejevaisdire.Lesmotssortenttoutseuls,commetélécommandés:

–Alors,Madison,tutecroisencorechezlesbouseux!dis-jeenluibalançantuncoupdecoudedanslescôtes.

EllemeregardecommesijedébarquaisdeJupiter.Jemetourneverslevigile.–C’estmacousine,Madison.EllevientduKentucky.Jeregardelatrousseàmaquillage.–C’esttoutcequetuastrouvépourlecadeaudetanteBeth?Tunet’espasfoulée,mavieille!D’untoncompliceaugardien:–ÀpartWalmart,elleneconnaîtpasgrand-chose.Ellepensequelescaissessetrouventtoujoursau

rez-de-chaussée.Pasunmomentilnemecroit,maisunespritdefêterègnedanslemagasinetiln’avisiblementpas

enviedes’embêter.Jeproposedepayermoi-mêmelemaquillageetd’oublierl’incident.Puisjelanceàlajeunefemme:

–Tumerembourserasplustard,Madison!–C’estbon,c’estbon,marmonnelevigiled’untonlas.D’un sourire, je le remercie de sa compréhension et le suis jusqu’à la caisse. Je règle l’achat en

vitesse,mais,lorsquejemeretourne,labelleinconnueadisparu.

*

Jeprendsl’Escalatoràcontresens,dévalelesmarchesquatreàquatre,traverselerayondesjouetsetbousculequelquesmarmotsavantdemeretrouversurla34eRue.Ilneigeàgrosflocons.

Paroùest-ellepartie?Àdroite?Àgauche?Unechancesurdeux.Jedécidedeprendreàgauche.Jen’aipaseuletempsdemettremeslunettes,je

suismyopecommeunetaupe,jenelaretrouveraijamais,c’estsûr.Glissantcommeunepatinoire,lebitumecommenceàgivrer.Avecmonmanteauetmespaquets,j’ai

dumalàcourir.Malgrélacirculation,jemedéportesurlachausséepouréviterlafoule,maislefluxdesvoituresmefaitrapidementregrettercette idée.D’unsaut, je tentederejoindrele trottoir,mais jesuisemporté par mon élan et pars en glissade incontrôlée sur le sol.Ma chute n’est freinée que par unepassantequejepercuteviolemment.

–Jesuisdésolé,dis-jeenmerelevant.Enmeremettantdebout,jecherchemeslunettesdanslapochedemonmanteau.Jeleschausseet…C’estelle!–Encorevous?râle-t-elleenseredressant.Vousêtesmaladedefoncercommeçadanslesgens!–Hé!Ho!Vouspourriezmeremercierquandmême!Jevousaisortiedupétrin!–Jenevousairiendemandé.Etpuis,est-cequej’aiunetêteàvenirduKentucky?Quel toupet ! Les brasm’en tombent. Elle frissonne. Je la regarde se frotter les épaules avec les

mains.–Bon,ongèle.Àundecesjours,dit-elleens’éloignant.

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–Attendez!Onpourraitpeut-êtreallerboireunverre?– J’aimonmétro à prendre, grimace-t-elle en désignant de la tête l’entrée de la station d’Herald

Squaredel’autrecôtédelarue.–Allez!UnverredebonvinauBryantParkCafe.C’estjusteàcôtéetçavousréchauffera.Unemoueévasivesedessinesursonvisage.–Mouais,d’accord.Maisnevousemballezpas,vousn’êtespasdutoutmongenre…

*

LeBryantParkCafeestsituéderrièrel’immeubleBeaux-ArtsdelabibliothèquedeNewYork.Enété,leparcestunepetiteoasisdeverdureaumilieudesgratte-cieldeMidtown.Unefouled’étudiantsetde travailleursduquartierviennenty faireunepausepourécouterunconcertouune lecturepublique,jouerauxéchecsoudégusterunhotdog.Maisencettefind’après-midid’hiver,lepaysageressembleàunestationdeski.Àtraverslavitredelaverrière,ondistinguelespassants,emmitouflésdansd’épaissesparkas,quiavancentdifficilementdanslaneigecommedesEsquimauxsurlabanquise.

–Avantquevousnemeposiezlaquestion,jem’appelleNikki.–SebastianLarabee.Enchanté.Le café est plein à craquer. Par chance, nous avons hérité d’une petite table qui donne sur la

patinoire.–Ilestunpeupiquant,cevin,non?demande-t-elleenreposantsonverre.–Piquant?C’estungruaud-larose1982!–Trèsbien!Nevousvexezpas…–Voussavezcombienilcoûte?EtquellenoteilaobtenuedansleGuideParker?–Nonetjem’enfichepasmal.Jedevraisletrouverbonseulementparcequ’ilestcher?Jesecouelatêteetchangedesujet:–Vousfaitesquoipourleréveillon?Ellemerépondd’untondétaché:–Avec des copains, on squatte un vieil immeuble près des docks.On va boire des coups, fumer

quelquesjoints,sedéfoncer.Siçavousditd’yfaireuntour…–Mesaouleravecdessquatteurs?Nonmerci.–Tantpispourvous.Onnepeutpasfumerici,n’est-cepas?–Jenecroispas,non…–Dommage.–Qu’est-cequevousfaitesdanslavie?Vousêtesétudiante?–Jeprendsdescoursdethéâtreetjefaisdesphotospouruneagencedemannequins.Etvous?–Jesuisluthier.–Vraiment?–Jefabriqueetjeréparedesviolons.–Oui,merci!Jesaiscequ’estunluthier,figurez-vous!Vousmeprenezpourqui?Uneattardéedu

Kentucky?Ellereprendunegorgéedesaint-julien.–Finalement,iln’estpassimauvais,cevin.C’estpourqui,ceparfum?Votrecopine?–Pourmamère.–Lapauvre!Demandez-moiconseil,laprochainefois.Vouséviterezlesfautesdegoût.–C’estça,jevaisdemanderdesconseilsàunevoleuse.–Toutdesuitelesgrandsmots!–Sérieusement,çavousarrivesouventcegenredechapardage?

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–Vousconnaissezleprixd’unrougeàlèvres?Faites-moiconfiance:lesvoleursnesontpasceuxquel’oncroit,affirme-t-ellesanssedégonfler.

–Vouspourriezavoirdegrosennuis.–Maisc’estpourçaquec’estexcitant!dit-elleenmontrantsonsac.J’ouvredegrandsyeux:lefourre-toutdébordedeproduitsdebeautédontelleaconsciencieusement

découpélescodes-barres.Jesecouelatête.–Jenecomprendspas.Vousnegagnezpasvotrevie?–Enfait,çan’arienàvoiravecl’argent.Çavientcommeça:uneenvieirrépressibledevoler,une

pulsionincontrôlable.–Vousêtesmalade.–Kleptomane,toutauplus.Ellehausselesépaulespuisreprend:–Vousdevriezessayer.Laprisederisque,l’adrénaline.C’esttrèsjouissif.–J’ailuquelquepartquelespsychologuesconsidéraientlakleptomaniecommeunmoyendepallier

uneviesexuellepeusatisfaisante.Amusée,ellebalaiel’argument:–Psychologiedebazar.Decepointdevue,vousfaitesfausseroute,monvieux.Dans son sac, aumilieu des boîtes de cosmétiques, je distingue un vieux poche corné et annoté :

L’Amourauxtempsducholéra,deGabrielGarcíaMárquez.–C’estmonromanpréféré,dis-jesincèrement.–Moiaussi,j’adorecelivre!Pendantquelquesminutes,noustrouvonsenfinunterraind’entente,cettefilleétrangeetmoi-même.

Maisellenelaissepascetétatdegrâces’installer.–Etvous,cesoir,quelprogramme?– Noël est une fête familiale. Je prends le train dans une heure pour rejoindre mes parents et

réveillonneraveceuxdansleurmaisondesHamptons.–Waouh,lefun!pouffe-t-elle.Vousallezmettrevoschaussonsdevantlesapinetpréparerunetasse

delaitchaudaupèreNoël?Ellemeregardeavecunpetitairmutinetunsourireespiègleavantdelancerunenouvellesaillie:–Vousnevoulezpasdéboutonnerlecoldevotrechemise?Çam’angoisse,lesgensquifermentle

dernierbouton.Jesoupireetlèvelesyeuxauciel.–Etvotrecoiffure,là,çanevapasdutout!reprend-elle.C’esttropsage,tropfigé.Quelennui!Ellepasselamaindansmescheveuxetlesébouriffe.Jemerecule,maisellen’enapasfini:–Etvotregilet!Personnenevousaprévenuqu’onn’étaitplusen1930?Pourquoipasunemontreà

gousset,tantqu’onyest!Cettefois,c’enesttrop:–Écoutez,sijevousdéplaistantqueça,riennevousobligeàrester!Elleterminesonverredevinetselève.–Vousavezraison.Jevousavaisprévenuquecen’étaitpasunebonneidée.–C’estça,remettezvotrecapedeBatmanettirez-vous!Jedétestelesgensdevotreespèce.–Oh,vousn’avezencorerienvu,lance-t-ellemystérieusement.Elleboutonnesonmanteauetquittelecafé.Àtraverslaverrière, je laregardeallumerunecigarette,entireruneboufféeetmefaireunultime

clind’œilavantdedisparaître.

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Jeresteencoreunmomentàmatable,terminelentementmonverredebordeauxenrepensantàcequivientdesepasser.Jedéboutonneledernierboutondemachemise,ébouriffemescheveux,ouvrecegiletquimecorsète.C’estvraiquejerespiremieux.

Jedemandel’addition,fouilledansmavestepourtrouverdequoirégler.Puisdansmonmanteau.Étrange…Saisiparl’inquiétude,jeretournemespochesdanstouslessensavantdemerendreàl’évidence.Cettepestem’avolémonportefeuille!

*

UpperEastSide3heuresdumatinUnbruitstridentmetiredemonsommeil.J’ouvrelesyeux,regardel’heure.Quelqu’unestentrainde

passersesnerfssurlasonnettedelaported’entrée.J’attrapemeslunettessurlatabledechevetetsorsdemachambre.Lamaisonestvideetfroide.Àcauseduvoldemonportefeuillequej’aivouludéclarer,j’ailoupémontrainpourLongIslandetj’aidûpasserlasoiréeseulàManhattan.

Qui peut bien se pointer au beau milieu de la nuit ? J’ouvre la porte. Ma voleuse se tient sousl’auvent,unebouteilled’alcoolàlamain.

–Maisc’estqu’ilestsexyavecsonpetitpyjama!menargue-t-elle.Sonhaleineempestelavodka.–Qu’est-cequevousfoutez là?Vousavezunsacréculotdevouspointer iciaprèsm’avoirpiqué

monportefeuille!D’ungesteassurédelamain,ellesecréeunpassageet investit l’appartement, titubant légèrement.

Desfloconsneigeuxsontaccrochésàsescheveux.Oùa-t-elletraînéparcefroid?Elletraverselesalonetmerendmonportefeuilleavantdes’écroulersurlecanapé.– Je voulais acheter votre vin, le château «machin truc »,mais je n’ai trouvé que ça, dit-elle en

agitantsabouteilledevodkadéjàbienentamée.Jem’éclipseunmomentàl’étageetreviensavecuneservietteetunecouverture.Tandisquej’essaie

d’allumerunfeu,ellesesèchelescheveuxets’enrouledansleplaidavantdevenirmerejoindredevantlacheminée.

Deboutàcôtédemoi,elletendunemainversmonvisageeteffleuremajoueavecsesdoigts.Jemerelèvedoucement.Sesyeuxbrillentd’uneflammeétrangeetfascinante.Ellem’entouredesesbras.

–Arrêtez,vousêtessaoule!–Justement,profitez-en,meprovoque-t-elle.Ellesemetsurlapointedespiedsetapprochesabouchedelamienne.Lapièceestplongéedansla

pénombre.Le feu commence à prendre dans le foyer, diffusant une lumière fragile et tremblotante. Je sens

l’odeur de sa peau. Elle s’est débarrassée de sa cape et je vois sa poitrine qui se soulève sous sonchemisier.Malgrél’excitation,jenesuispasàl’aiseetj’opposeuneultimerésistance:

–Vousnesavezpascequevousfaites.–Tum’emmerdesavec tesscrupules ! lâche-t-elleenm’embrassantavecfougueavantdemefaire

basculersurlesofa.Projetéesauplafondcommedesombreschinoises,nosdeux silhouettes se fondentpourn’en faire

plusqu’une.

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Lorsque j’ouvre un œil le lendemain, j’ai la tête lourde, les paupières collées et un sale goûtmétalliquedanslabouche.Nikkiadisparusanslaisserd’adresse.Jemelèveetmetraînejusqu’àlabaievitrée. La neige continue de tomber, transformant peu à peu New York en ville fantôme. J’ouvre lafenêtre. Il fait un froid glacial. Le vent fait s’envoler les cendres dans la cheminée. Un manqueinsupportablemenouel’estomac.Hébété,jeramasselabouteilledevodka.

Vide.Enreprenantmesesprits, jedécouvreune inscription tracéeaurougeà lèvressur lemiroirLouis-

Philippedusalon.Uneantiquitédoréeàlafeuillequemamèreapayéeunefortunelorsd’uneventeauxenchères. Jecherchemes lunettes,maisne les trouvepas. Jeme rapprochede laglaceetdécouvre lemessage:

«Lesseulsmomentsimportantsd’uneviesontceuxdontonsesouvient1.»

1.D’aprèsJeanRenoir.

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Deuxièmepartie

Seulscontretous

« Les femmes tombent amoureuses quand elles commencent à vousconnaître.Pour les hommes, c’est exactement l’inverse : quand ils finissent parvousconnaître,ilssontprêtsàvousquitter.»

JamesSALTER,AmericanExpress

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22

CRIMESCENE–DONOTCROSSDélimitant le périmètre de sécurité, le long ruban jaune claquait au vent dans la lumière des

gyrophares.Badge à lamain, Santos se fraya un chemin aumilieu des badauds et des uniformes pourrejoindresonadjoint.

–Vousallezvoir,lieutenant,c’estuncarnage!prévintMazzantiniensoulevantlabandeplastifiéequiprotégeaitlascènedecrime.

Dèsqu’ilpénétradanslebar,leflicfutsaisiparlespectaclequis’imposaàlui.Lesyeuxrévulsés, labouchefigéed’effroi,DrakeDeckerreposait lestripesàl’airsurla tablede

billard.Àmoinsd’unmètre,surleparquet,gisaitunautrecadavre:unhommemassifàlagueulecuivréeettatouéedontonavaittranchélagorgeavecunlongmorceaudeverre.

–C’estqui,celui-là?demanda-t-ilens’agenouillantau-dessusducorps.–Aucuneidée,réponditMazzantini.Jel’aifouillé,maisonn’atrouvéniportefeuillenipapiers.Par

contre,ilportaitcettelameglisséedansunfourreaudecheville.Santosexaminalesactransparentqueluitendaitsonadjoint.Ilcontenaitunpetitcouteauaumanche

enébèneetàlalameacérée.–Ilnes’enestpasservi,affirmaMazzantini,maisonafaituneautredécouverte.Santos considéra la nouvelle pièce à conviction : unKA-BAR, le couteau de combat de l’armée

américaine,aumanchelargehabilléderondellesdecuir.UnelameenacierdeplusdequinzecentimètresquiavaitdûserviràtruciderDrakeDecker.

Santosfronçalessourcils.Vulapositiondescorps,ilyavaiteuaumoinsuntroisièmehommeaveceuxdanslapièce.

–Tum’asditquequelqu’unavaitappeléle911?–Oui.J’attendsderécupérerl’enregistrement.L’appelaétépassédepuisunportable.Onestentrain

deletracer.Çaneserapaslong.– OK, dit-il en se relevant. Demande à Cruz deme faire des clichés aussi nets que possible du

tatouage que le type porte au visage.Dis-lui également de photographier le petit couteau.Dès que tureçois les images, tume lesbalancesparmail. Je lesmontrerai àReynoldsdu3eprecinct. Il y a uneanthropologuedansleurservicequipourrapeut-êtrenousaider.

–Trèsbien,lieutenant,jem’enoccupe.Avant de sortir du bar, Santos jeta un dernier coup d’œil circulaire à la pièce. Combinaisons

blanches, gants en latex, visages masqués, les techniciens de la Scientifique s’affairaient en silence.Armésdelampesfluorescentes,depinceauxetdepoudre,ilscollectaienttouslesindicespossiblesavantdelesplacersousscellés.

–Ilyadesempreintespartout,lieutenant,luilançaCruz,leresponsabledel’unité.

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–Ycomprissurlemorceaudeverre?–Oui,etégalementsurl’extincteur.Ellessontfraîchesetnettes.Duboulotd’amateur.Siletypeest

fiché,onaurasonidentitédansquelquesheures.

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23

LevolDeltaAirlinesseposaàCharles-de-Gaulleà11heuresdumatinsousunsoleiléclatant.Àbout de forces, Sebastian et Nikki avaient dormi pendant presque tout le trajet. Quelques heures desommeilbienvenuesqui leurpermettaientd’aborder cettenouvelle journée avec les idéesplus clairesquelaveille.

Ilsquittèrentl’avionparlapasserelletélescopiqueetpatientèrentdanslaqueuepouraccomplirlesformalitésdouanières.

–Parquoicommence-t-on?demandaNikkienrallumantsonportable.–Peut-êtreparaller à la stationBarbès. Interrogerdesgens, essayerdecomprendred’oùvient le

filmdecettecaméradesurveillance…C’estnotreseulepiste,non?Elleacquiesçaensilenceetprésentasonpasseportaupolicier.Puis ils dépassèrent les tapis à bagages et débarquèrent dans le terminal. Une foule se massait

derrièrelesbarrières:famillespresséesderevoirl’undesleurs,amoureuximpatientsderetrouverleurmoitié,chauffeursagitant leurpancarte.AlorsqueSebastiansedirigeaitverslafiledestaxis,Nikkileretintparlamanche.

–Regardeça!Au milieu de la foule, vêtu d’un impeccable costume trois-pièces, un chauffeur à l’allure sévère

arboraitunécriteau:

Mr&MrsLARABEE

Ilssedévisagèrent,hébétés.Personnenesavaitqu’ilsétaientàParis…SauflesravisseursdeJeremy.Semettantd’accordd’unsignedetête,ilsdécidèrentdeseprésenter.Unepistepourretrouverleur

filspeut-être?Lechauffeurlesaccueillitd’unevoixchaudeàl’accentoxfordien.–Madame,monsieur,bienvenueàParis,jem’appelleSpencer.Sivousvoulezbienmesuivre.–Attendez,c’estquoi,cecirque?Onvaoùcommeça?s’inquiétaSebastian.Stoïque,maisd’unairunpeuhautain,Spencersortitunefeuilledepapierdesapocheintérieure.Illa

dépliaetchaussadeslunettesenécaille.– J’ai ordre de prendre en charge M. et Mme Sebastian Larabee. Vol Delta de 11 heures en

provenancedeNewYork.C’estbienvous?Ilsacquiescèrent,médusés.–Quiaréservécettevoiture?demandaNikki.–Ça,madame, jene lesaispas. Il faudraitdemanderausecrétariatdeLuxuryCab.Toutceque je

peuxvousdire,c’estquelaréservationaétéconfirméecematinmêmeauprèsdenotreentreprise.–Etoùêtes-vouscensénousconduire?

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–ÀMontmartre,monsieur.AuGrandHôtel de la Butte, ce qui est, si vousme le permettez, unexcellentchoixpourunséjourromantique.

Sebastianledévisagea,larageauventre.Jenesuispaslàpourunséjourromantique.Jesuisicipourretrouvermonfils!D’ungestedelamain,Nikkilecalma.Lechauffeurn’étaitprobablementqu’unpiondansunplanqui

ledépassaitetdontilignoraitjusqu’àl’existence.Mieuxvalaitprendrelerisquedelesuivresansfaired’histoireetvoiroùcelalesmènerait.

C’estdoncavecrésignationetméfiancequ’ilsluiemboîtèrentlepas.

LaMercedesfilaitsurl’autorouteduNord.Spenceravaitréglésaradiosurunefréquencedemusiqueclassiqueethochaitlatêteaurythmedes

QuatreSaisonsdeVivaldi.À l’arrièrede lavoiture,SebastianetNikki regardaient lespanneauxquiégrenaient leur itinéraire

verslacapitale:Tremblay-en-France,Garges-lès-Gonesse,LeBlanc-Mesnil,leStadedeFrance…Ilsn’étaientpasrevenusàParisdepuisdix-septans.Lessouvenirsdecevoyagesebousculaientdans

leurtête,maisl’inquiétudelesempêchaitdes’yabandonner.LavoituredépassaleboulevardpériphériqueetpritàdroitesurlesboulevardsdesMaréchauxavant

d’arriver dans le vieuxMontmartre. Rue Caulaincourt et avenue Junot, les arbres avaient revêtu leurparured’automne,tapissantlestrottoirsdefeuillesauxcouleursdefeu.

Spencer s’engagea dans une impasse bordée demaisons ombragées.Après avoir dépassé un hautportailenferforgé,lavoitures’enfonçadansunjardinsauvageetluxuriant,véritableîlotchampêtreaucœurde la capitale.Laberlinearrivadevant l’hôtel :unegrandebâtisseblancheaux lignes sobresetélégantes.

–Madame,monsieur, je vous souhaite un excellent séjour, leur dit le chauffeur en déposant leursbagagessurleperron.

Toujours sur leurs gardes,Nikki etSebastianpénétrèrent dans le hall duvaste bâtiment.Le swingrétrod’untriodejazzlesaccueillit.L’endroitétaitchaleureuxetintime,àl’imaged’uneluxueusepensiondefamilledécoréeavecsoin.LesformesépuréesetgéométriquesdumobilierArtdécorappelaientlesannées 1920 et 1930 : fauteuil club, buffet en sycomore, lampe LeCorbusier, console en bois laqué,panneauxmarquetésd’ivoireetdenacre.

Il n’y avait personne à la réception. À gauche de l’entrée, on devinait un salon privé qui seprolongeait en bibliothèque invitant à la lecture. À droite, un long comptoir en acajou semblait faireofficedebaràcocktail.

Destalonsclaquèrentsurlecarrelage.Ilsfirentvoltefaced’unmêmemouvementpourdécouvrirlasilhouetteélégantedelamaîtressedeslieuxquisedessinaitdansl’embrasuredelasalleàmanger.

–MonsieuretmadameLarabee,jeprésume?Nousvousattendions.BienvenueauGrandHôteldelaButte,dit-elledansunanglaisàl’accentparfait.

Cheveuxcoupésà lagarçonne,poitrineplate, silhouetteandrogyne, robe tubulaire lamées’arrêtantauxgenoux:ellesemblaitsortird’unromandeFrancisScottFitzgerald.

Ellepassaderrièrelecomptoiretcommençalesformalitésd’enregistrement.–Attendez,fitSebastian.Excusez-moi,maiscommentnousconnaissez-vous?–Nousn’avonsquecinqchambres,monsieur,etl’hôtelestcomplet.Vousêteslesderniersarrivés.–Savez-vousquiaréservénotrechambre?Lafemmeportaàsabouchelefume-cigaretted’ambrequ’elletenaitentrelemajeuretl’index.Elle

aspirauneboufféeavantderépondresurletondel’évidence:–Maisc’estvous-même,monsieurLarabee!–Moi-même?

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Elleconsultasonregistresurl’ordinateur.–LaréservationaétéfaiteilyaunesemainesurnotresiteInternet.–Lachambreadéjàétépayée?–Absolument.RégléelejourmêmedelaréservationavecuneMastercardaunomdeM.Sebastian

Larabee.Incrédule,Sebastiansepenchasurl’écran.Lesréférencesdelatransactionlaissaientapparaîtreune

partiedesnumérosdelacartedepaiement.Aucundoutepossible:soncompteavaitétépiraté.Dépité,ilregardasonex-femme.Àqueljeuperversjouaientceuxquilesavaientattirésici?–Unproblème?–Pasdutout,réponditSebastian.–Alors,jevousinviteàrejoindrevotrechambre,lanuméro5,audernierétage.

Dansl’étroitascenseurquidesservaitleschambres,Nikkiappuyasurleboutondudernierétage.–Silaréservationdated’unesemaine,çasignifiequel’enlèvementdeJeremyétaitplanifiédepuis

longtemps.Sebastianacquiesça:– À l’évidence. Mais pourquoi ont-ils pris le risque de pirater mon compte pour réserver cette

chambre?– Peut-être pour nous réclamer une rançon, hasarda-t-elle. En infiltrant tes comptes, ils savent

exactementquelestlemontantdetafortuneetcombienilspeuventtedemander.Arrivésàl’étage,ilspoussèrentlaportedeleurchambreetdécouvrirentunesuiteimmenseauhaut

plafondmansardé.–Ilsauraientpuchoisirplusmoche!observaNikkipourdésamorcersonangoisse.Litkingsize,baignoiresurpiedsdanslasalledebains,mursauxtonalitéspastel.Décoréeavecgoût,

la pièce dégageait un charme bucolique, reproduisant le décor d’un atelier d’artiste bohème : parquetbrut,mezzanine,grandmiroirovale,petiteterrassedonnantsurlejardin.

Lalumièresurtoutétaitextraordinaire.Àpeinefiltréeparlelierreetlesbranches,elleréchauffaitlapièce.Onavaitdumalàcroirequ’onétaitàl’hôtel.Onavaitplutôtl’impressionquedesamisraffinésvousavaientprêtéleurrefugesecretpourdesvacances.

Ilssortirenttouslesdeuxsurlaterrassequisurplombaitlejardinetoffraitunevuegrandiosesurlesmonumentsparisiens.Onentendaitlechantdesoiseauxetlebruissementduventdanslesbranches.

Mais ni Sebastian ni Nikki ne se laissèrent subjuguer par la ville qui s’étendait à leurs pieds.Étonnante,cettedouceurautomnalenecalmaitpasleurinquiétude.

–Etmaintenant?demandaSebastian.–Jenesaispas.S’ilsnousontfaitvenirici,c’estqu’ilsontl’intentiondenouscontacter,non?En quête d’un éventuel message, ils vérifièrent leurs portables, appelèrent la réception puis

fouillèrentlachambre.Sanssuccès.Auboutd’unedemi-heure,l’attentedevintinsupportable.–JevaisàBarbès,décidaSebastianenattrapantsaveste.–Jet’accompagne.Horsdequestionquejepoireautedanscettechambre!–Non.Tul’asdittoi-même:ilyatoutesleschancespourqu’ilscherchentànousjoindreici.–Nousétionsconvenusdenepasnousséparer!plaida-t-elle.MaisSebastianavaitdéjàpassélaporte.

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24

NewYorkCommissariatdu87eprecinctSantos récupéra songobeletdans ledistributeur automatique.Le soleil n’était pas encore levé sur

Brooklyn,maislelieutenantenétaitdéjààsontroisièmecafé.Unefoisdeplus,lanuitavaitétéagitée:cambriolages,violencesconjugales,magasinsmisà sac,prostituées interpellées…Depuisdixans, lesmédiasdonnaienttoujoursdeNewYorkl’imaged’unevillepacifiéeetsécurisée.C’étaitsansdoutevraiaucœurdeManhattan,maisçal’étaitmoinsdanssabanlieue.

Par manque de place dans les cellules, le couloir où se trouvait le distributeur de boissonsressemblaitàuncentrederéfugiés:prévenusmenottésauxbancsmétalliques,témoinsserréscommedessardinessurdesbanquetteséventrées,plaignantsenroulésdansdescouvertures.Lecorridorétaitéclairépardesnéonsblafardsetgrésillants.Çasentaitmauvais,çahurlait.Toutlemondeétaittendu,àcran.

Santosquittacecloaquepourseréfugierdanssonbureau.Ildétestaitcecommissariatsale,bruyant,etn’avaitpasl’intentiond’yterminersacarrière.Sonespacedetravailétaitàl’avenant:unpetitbureauexigu,peufonctionneletmalisoléavecvuesurunecourettesordide.Ilbutunegorgéedecafélavasseetcroquadansundonutrassisqu’ileutdumalàavaler.

Aprèsavoirjetélapâtisseriedanslacorbeille,ildécrochasontéléphonepourappelerlelaboratoirequi s’occupaitdesanalyses toxicologiques.Le laborantinvalida son intuition : lapoudre trouvéechezNikkiétaitbiende lacocaïne. Ilmitcedossierdecôtéetprofitaqu’ilétaiten lignepourdemanderàparleràHansTinker.

Aufildesannées,Santosavaitsuseconstituerunréseauimpressionnant.Danslesdifférentsservicesde la nébuleuse et tentaculaireNYPD, nombreux étaient ceux qui lui étaient redevables d’un coup demain.Chez lui,c’étaitunesecondenature :chaquefoisqu’ilpouvaitaideruncollègue, il le faisait.Àcourt terme, cela paraissait désintéressé, mais venait toujours un moment où il avait l’occasion derécolterlesfruitsdesoninvestissement.

–Tinker,j’écoute.HansTinker, le directeur adjoint des services de police scientifique, était peut-être son contact le

plusintéressant.Deuxansplustôt,auhasardd’uncontrôle,lesgarsdeSantosavaientserrélefilsaînédeTinker, alors en pleine crise d’adolescence, avec une quantité déraisonnable de shit. Visiblement, lefistonnesecontentaitpasdecrapoterdanssachambre,maisdevaitaussidealerpoursescopains.Santosavaitfermélesyeuxetclassél’affaire.Depuis,Tinkerluivouaitunereconnaissanceinfinie.

–Salut,Hans.Tuasdunouveausurmondoublehomicide?–Onavance,maisçavaêtrelong.Ilyaunmilliond’empreintessurcettescènedecrimeetilfaut

fairelesanalysesgénétiques.

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–Jecomprends,maisj’aibesoindefaçonurgentedeconnaîtrelesempreintesprésentessurleKA-BAR,lemorceaudeverreaffiléetlaqueuedebillard.

–Celles-ci,jelesai.Jetefaisparvenirunrapportdansdeuxheures.–Non,paslapeine!Balance-moilesdonnéesbrutesparmail.Jeveuxlesconfronteràl’IAFISle

plusvitepossible.Son ordinateur portable sous le bras, Mazzantini toqua contre la vitre et passa une tête dans

l’embrasuredelaporte.Santosluifitsigned’approcher.L’adjointattenditquesonpatronaitraccrochépourluiannoncer:

–Onadunouveau,lieutenant.J’aipurécupérerl’appelpasséau911.Écoutezça.Ilouvritsonnotebooketlançalefichieraudio.L’enregistrementétaitbref.Onyentendaitunhomme,

visiblementpaniqué,refusantdedonnersonidentité,maisréclamantd’urgenceuneambulanceàl’adresseduBoomerang.

«Ilyaunhommeàl’agonie!Ilestlardédecoupsdecouteau!Venezvite!Venezvite!»–Bizarrequ’iln’évoquequ’unseulcorps,non?demandaMazzantini.Santosneréponditpas.Oùavait-ildéjàentenducettevoix?–On a tracé l’appel, continua son adjoint. Le téléphone appartient à SebastianLarabee.Un riche

luthierhabitantl’UpperEastSide.J’aivérifiésoncasier.Ilestblanccommeneige.Enfinpresque:uneseulecondamnationpourrébellionàagentaprèsuncontrôledepolicelorsd’unexcèsdevitessequandletypeétaitencoreàl’université.Àmonavis,ilnesaitmêmepasqu’ilestfiché.

LevisagedeSantossedécomposa.–J’envoieuneéquipepourl’appréhender,patron?Santosacquiesçaensilence.IlsavaitqueSebastianétaitàParis,maisilavaitbesoindetempspour

réfléchir.–OK,allez-y,ordonna-t-ilenfermantlaportederrièreMazzantini.Lesyeuxdanslevague,ilsepostadevantlafenêtre.Cetterévélationlelaissaitabasourdi.Quevenait

faireSebastianLarabeeaumilieudel’affaireDrakeDecker?Lesifflementbrefnotifiantl’arrivéed’uncourrierélectroniquelesortitdesaréflexion.Ils’installa

devantsonécranetconsultasamessagerie.C’étaitlemaildeTinkerconcernantlesrelevésd’empreintesdigitales.

LestechniciensdelaScientifiqueavaientbienfait leurboulot.Pourchaquepièceàconviction,lesdactylogrammesétaientnets,prêtsàêtreutilisés.Santoslesenregistrasursondisqueduretseconnectaaufichierintégréetautomatisédesempreintesdigitales.LesenquêteursdelapolicedeNewYorkavaientunaccèsdirectauxbasesdedonnéesduFBI,enparticulierlefameuxIAFIS:unemined’orrépertoriantplusdesoixante-dixmillionsdepersonnesfichées,arrêtéesoucondamnéessurleterritoireaméricain.Ilcommençaparlesempreintestrouvéessurlecouteaudecombat.L’algorithmesemitenroute,balayantlabasededonnéesàunevitessesupersonique.

MATCHNOTFOUND1

Premiercoupdansl’eau.Il poursuivit avec le dactylogramme trouvé sur le longmorceau de verre ensanglanté, l’arme qui,

selontoute logique,avaitservià tuer le« tatoué».Cettefois,Santoseutplusdechance.Moinsd’uneseconde plus tard, le programme délivra une réponse. Les empreintes étaient celles de… SebastianLarabee.Dans la foulée, il lança lacomparaisonaveccelles relevéessur lacannedebillard.Presqueinstantanément, l’écran se figea sur la photo d’une jeune femme. Lesmains tremblantes, Santos lançal’impressiondelafiche:

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Nom:NikovskiPrénom:NikkiNéele24août1970àDetroit(Michigan)DivorcéedeM.SebastianLarabee

Danslesannées1990,Nikkiavaitétéarrêtéeàplusieursreprisespourdifférentsvols,ivressesurlavoie publique et possession de stupéfiants. Si elle n’avait jamais été incarcérée, elle avait payé demultiples amendes et effectué plusieurs dizaines d’heures de travaux d’intérêt général. Sa dernièreinfractionremontaità1999.Depuis,elles’étaittenuetranquille.

Santossentitsonrythmecardiaques’emballer.DansquellehistoireNikkiest-ellealléesefourrer?Vusondossier,toutelafauteallaitêtrereportéesurelle.Heureusement,ilavaitlescartesenmain.

En manœuvrant astucieusement, il pourrait peut-être même récupérer la femme qu’il aimait et sedébarrasserunefoispourtoutesdeLarabee.

LaissantdecôtécequipouvaitincriminerNikki,ilrassemblaavecsointouteslespreuvesàchargecontreSebastian:l’appeltéléphoniqueau911,lesempreintessurl’armeducrime,lebilletd’avionpourParisquicaractérisaitledélitdefuite.

Le dossier était solide. Assez, peut-être, pour convaincre un juge de lancer dans l’urgence unecommission rogatoire internationale. Pour mettre de l’huile sur le feu, il allait distiller quelquesinformationsdansdesorganesdepressebienchoisis.UnnotableenfuiteàParisaprèsunassassinatdansuntripot:lesmédiasallaientadorer.LesLarabeeétaientunevieillefamillenew-yorkaiserespectable,mais, en cette période de crise, les tenants du pouvoir économique n’étaient plus intouchables. Aucontraire.Depuisplusd’unan,lemouvementdesIndignéscriaitsacolèrecontreWallStreet.Àplusieursreprises,descentainesdemanifestantsavaientbloquélepontdeBrooklyn.L’exaspérationdelaclassemoyennegrandissaitetsepropageaitàtraverslepays.

Lestempschangeaient.Lespuissantsd’hierneseraientpasceuxdedemain.

Deplus,SebastianLarabeen’étaitpasunfugitifaguerri.Dèsquesonarrestationseraitordonnée,ilseferaitcueillircommeunbleu…

1.Pasdecorrespondance.

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Paris18earrondissementSebastianquittal’hôtelàpiedetdescenditl’avenueJunotendirectiondelaplacePecqueur.Encette

finoctobre,l’étéjouaitlesprolongations.Auxterrassesdescafés,touristesetMontmartroisoffraientleurvisageetleursbrasnusauxrayonsdusoleil.

Insensible à cette quiétude, Sebastian ne pensait qu’à son fils. La mise en scène champêtre etromantique de l’hôtel avait achevé de le déstabiliser. Plus il s’enfonçait dans l’inconnu, plus il étaitpersuadéqu’undangerredoutablelesguettait,Nikkietlui.Unemenaceoppressantedontiln’arrivaitpasàprendrelamesure.Plusieursfois,ilseretournapourvérifierqu’iln’étaitpassuivi.Enapparence,cen’étaitpaslecas,maiscommentenêtrecertain?

Sur la place, il s’arrêta à un distributeur de billets pour y retirer des espèces. SaBlackCard luipermitd’obtenir2000euros, lemaximumque leDABacceptade luidélivrer. Il rangeasonargentetpoussajusqu’àlastationLamarck-Caulaincourt,qu’ilavaitrepéréeenvenantdel’aéroport.

Encadrée par deux escaliers typiques de Montmartre, l’entrée du métro lui rappela le film LeFabuleuxDestind’AméliePoulainqu’ilavaitvuenDVDavecCamille.Ilachetauncarnetdeticketsetchercha sur le plan la station Barbès-Rochechouart. Située au croisement des 9e, 10e et 18earrondissements, elle n’était qu’à quelques arrêts. Pressé, il délaissa l’ascenseur et s’engouffra dansl’escalierencolimaçonquis’enfonçaitverslesquaisàplusdevingt-cinqmètresdeprofondeur.Ilpritlapremière rame en direction de Mairie-d’Issy, laissa passer deux stations puis, à Pigalle, attrapa laligne2avantdedescendreàBarbès-Rochechouart.

Lastationdanslaquelleavaitétéenlevésonfils…Sur le quai, Sebastian suivit le flux des voyageurs jusqu’au guichet.Après avoir patienté dans la

queueplusieursminutes,ilinterrogeal’employéeàtraversl’hygiaphone,luimontrantd’abordunephotodeJeremypuislefilmdesonagressionqu’ilavaitdupliquésursontéléphoneportable.

–Jenepeuxrienfairepourvous,monsieur,adressez-vousàlapolice.Ilinsista,maisilyavaittropdebruitetbeaucoupdemondedanslafiled’attente.Laguichetièren’y

mettaitpasdelamauvaisevolonté,maiselleparlaittrèsmall’anglais,necomprenaitpasvraimentcequeSebastianattendaitd’elleet lanervositédesgensqui s’impatientaient lacontaminait.Enbaragouinant,elleparvintàluifairecomprendreque,cesderniersjours,iln’yavaitpaseudesignalementd’agressionendehorsdestraditionnelsvolsàl’arraché:

–Noagression,sir!Noagression!répétait-elle.Conscient qu’il n’en tirerait rien de plus, Sebastian la remercia avant de quitter la station par les

Escalator.

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Barbès…Dèsqu’ilfutdanslarue,SebastiandécouvritunParisquin’étaitpasceluidesclichés.Ici,pasde

passantsenbérettrimbalantleurbaguettesouslebras,pasdefromagerieoudeboulangerietraditionnelleàchaquecoinderue.Cen’étaitpasnonplusleParisdelatourEiffeloudel’Arcdetriomphe,maisunParismultiethnique,rugueuxetcoloréquiluirappelalemelting-potnew-yorkais.

Sur le trottoir, un type le dépassad’unpeu tropprès, un autre le bouscula et il sentit unemain lefrôler.

Unpickpocket!Alorsqu’ilreculaitpouréviterqu’onneluifasselespoches,unvendeuràlasauvettel’abordaenlui

proposantdespaquetsdeclopes.«Marlboro!Marlboro!Troiseuros!Troiseuros!»Il fit quelquespaspour sedégager et traversa la rue,mais c’était lemêmecirquede l’autre côté.

L’endroitgrouillaitderevendeursdecigarettesdecontrebande.«Legend!Marlboro!Troiseuros!Troiseuros!»Etpaslemoindrepolicieràl’horizon…Ilavisaunkiosqueà journauxsous lescolonnesde ferdumétroaérien.Ànouveau, il sortitdesa

pochelaphotodesonfilspourlaprésenteraucommerçant.–My name is Sebastian Larabee. I amAmerican. This is a picture ofmy son, Jeremy.Hewas

kidnappedheretwodaysago.Haveyouheardanythingabouthim?Originaired’AfriqueduNord,lekiosquiertenaitboutiqueaucarrefourBarbès-Rochechouartdepuis

plusdetrenteans.Véritablemémoireduquartier,ilavaitapprisl’anglaisaucontactdestouristesetavaitlaparolefacile.

–Non,jen’aipasentenduparlerdecettehistoire.–Areyousure?Lookatthevideo,lepria-t-ilenluiprésentantsontéléphoneoùétaitstockélefilm

del’agressiondeJeremy.Levendeurdejournauxessuyalesverresdeseslunettesavecl’undespansdesachemiseavantde

lesajustersursonnez.–Jenevoispasgrand-chose,selamenta-t-il.L’écranestvraimentpetit.–Regardezencoreunefois,please.La foule était dense.L’atmosphère électriqueet bruyante.Sebastian se fit plusieurs foisbousculer.

Entassée sur la portion de trottoir à la sortie dumétro, la nuée de vendeurs à la sauvette squattait lemacadamdevantlekiosque.«Marlboro!Marlboro!Troiseuros!Troiseuros!»Leurrefraindonnaitmalàlatête.

–Désolé,çanemeditrien,ditlekiosquierenrestituantletéléphone.Maislaissez-moivotrenuméro.Je demanderai àKarim,mon employé, s’il a entendu parler de quelque chose. C’est lui qui a fait lafermeturedelaboutiquelundi.

Pourleremercier,Sebastiansortitsaliassedebilletsetluitendit50euros,maisl’hommeavaitsafierté.

–Rangezvosbiffetons,monsieur.Etnetraînezpasici,conseilla-t-ilendésignantdumentonlafauneinterlopequirôdaitautourdukiosque.

Sebastianluitenditsacartedevisitesurlaquelleilavaitsoulignésonnumérodeportableetinscritleprénometl’âgedesonfils.

–Sil’agressionaétéfilmée,repritlevendeur,labrigadedesréseauxferrésdoitêtresurlecoup.–Ilyauncommissariatàproximité?Lekiosquierfitunemoue.–IlyaceluidelaGoutte-d’Oràdeuxcentsmètres,maiscen’estpasl’endroitleplusaccueillantde

lacapitale…

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Sebastianleremerciaunenouvellefoisd’unhochementdetête.Pasquestiond’allervoir lapolicepour l’instant. Il s’apprêtaità rentrerà l’hôtel lorsqu’ileutune

autreidée.«Legend!Legend!Troiseuros!»AubasdesEscalatordumétro,lesvendeursàlasauvettedevaientfairelepieddegruetouslesjours

pendant de longues heures. Quel meilleur poste d’observation pour tout connaître des arcanes de lastation?C’étaitprobablementchezeuxplutôtquechezlesflicsqu’ilyavaitdesinformationsàglaner!

D’unpasdécidé,Sebastian se fonditdans la cohueaumilieudesusagers réguliers etdequelquestouristeségarésenpèlerinageversMontmartre.

«Marlboro!Troiseuros!»Toujoursenmouvement,lesflasheursdenicotineouvraientleurblousonàlavoléepourexhiberleurs

cartouches demauvais tabac. Sans être agressifs, ils savaient se faire pressants. Leur nombre surtout,ainsiqueleurritournellesansfindonnaientenviedes’extraireauplusvitedececloaque,maisSebastians’accrochaàsonintuition.

«Marlboro!Troiseuros!»IlsortitdesapochelaphotodeJeremyqu’ilbrandit.Çadevenaitunehabitude!–Haveyouseenthisboy?Haveyouseenthisboy?–Casse-toi,mec.Laisse-nousbosser!Sans se décourager, Sebastian parcourut méthodiquement le trottoir du carrefour Barbès-

Rochechouart, présentant la photo de son fils à chaque revendeur. Il était sur le point de renoncerlorsqu’ilentenditunevoixmurmurerderrièrelui:

–ThisisJeremy,isn’tit?

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Sebastianseretournaverslavoixquil’interpellait.–ThisisJeremy,isn’tit?–Yes!That’smyson!Haveyouseenhim?demanda-t-ilpleind’espoir.L’hommequi lui faisait face détonnait parmi les vendeurs à la sauvette.Chemise propre, veste de

costume, coupe de cheveux dégagée, chaussures usées, mais cirées. Malgré la galère de son job, ils’appliquaitàconserveruneapparenceirréprochable.

–MynameisYoussef,seprésenta-t-il.I’mfromTunisia.–Haveyouseenmyson?–Yes.Ithinkso.Twodaysago…–Where?LeTunisienlançadesregardsméfiantsautourdelui.–Jenepeuxpasvousparlermaintenant,poursuivit-iltoujoursenanglais.–S’ilvousplaît!C’estimportant.Enarabe,Yousseflançaunebordéed’insultesàdeuxdeses«collègues»quileregardaientd’unpeu

tropprès.–Écoutez…hésita-t-il.Allezm’attendreauFeràcheval.C’estunpetitcafédelarueBelhomme,à

centmètres,justederrièrel’immeubledeTati.Jevousyretrouvedansunquartd’heure.–D’accord,merci!Merci!Sebastianreprenaitenfinespoir. Ilavaiteuraisondes’entêter!Cettefois, il tenaitquelquechose.

Unevraiepiste.Il traversalaruepourrejoindreleboulevardBarbèset longealafaçaded’unimmensemagasinau

logovichyrose:Tati.L’enseignepionnièreenharddiscountanimaitlequartierdepuisplusdecinquanteans.Enquêtedebonnesaffaires,lesclientsfouillaientdansdesbacsenplastiquealignéssurletrottoir.Robes,pantalons,chemises,sacs,lingerie,pyjamas,ballons,jouets…Lespanièresdébordaientdetoutetderien:finsdesérie,déstockage,invendusou«affairesdusiècle».

Del’autrecôtédutrottoir,d’autresvendeursàlasauvetteavaientinstalléleursétals,proposantcettefoisdefauxsacsVuittonetduparfumcontrefait.

Sebastian poursuivit sa route rue Bervic pour rejoindre la rue Belhomme. Barbès était intense etvivant. La foule dense, les échanges bruyants, mais dépaysants. Les images, le dynamisme, l’étatd’ébullition permanente du quartier déroutaient l’Américain. Même les styles architecturauxcohabitaient:dansunseulpâtédemaisons,lesfaçadeshaussmanniennesvoisinaientaveclesimmeublesenpierrecalcaireetleshabitationsdelogementssociaux.

Enfin,ilarrivadevantlecafédontluiavaitparléYoussef.Unbistrotàladevantureétroite,coincéentreuneboutiquederobesdemariéebasdegammeetunsalondecoiffureafricain.Lebarétaitvide.Uneforteodeurdegingembre,decannelleetdelégumesbouillisimprégnaitlasalle.

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Sebastians’assitàl’unedestablesprèsdelafenêtreetcommandauncafé.IlhésitaàappelerNikki.Ilavaittrèsenviedeluifairepartdesadécouverte,maisdécidad’attendred’ensavoirplusavantdeluicauserunefaussejoie.Ilbutd’untraitsonespresso,regardasamontrepuisserongeanerveusementlesongles, trouvant le temps long. Placardée contre la fenêtre, une affichette proposait les services d’unmarabout.

DocteurJean-ClaudeCérémoniededésenvoûtementSoumissiondesépouxvolages

Retourdéfinitifdel’êtreaiméauseindesafamille

Voilàquimeseraitbienutile,pensa-t-ilironiquementalorsqueYoussefentraitdanslebistrot.–Jen’aipasbeaucoupdetemps,prévintleTunisienens’asseyantenfacedelui.–Mercid’êtrevenu,ditSebastianenposantsur la table laphotodeJeremy.Vousêtescertainque

vousavezvumonfils?Youssefexaminaleclichéavecattention.–Jesuiscatégorique.C’estlejeuneAméricaindequinzeouseizeansquidisaits’appelerJeremy.Je

l’aivuavant-hiersoirchezMounir,l’undenos«banquiers».–Unbanquier?Youssefbutunegorgéeducaféqu’ilavaitcommandé.–Plusieurscentainesdepaquetsdetabacdecontrebandesontrevenduschaquejouraucarrefourde

Barbès-Rochechouart, expliqua-t-il. Le trafic de tabac est structuré comme celui de la drogue. Desgrossistes achètent leurmarchandise à des fournisseurs chinois. Lematin, ils apportent leur stock surplaceetleplanquentn’importeoù:dansdespoubelles,desrecoins,descachessurlesétals,descoffresdevoituresgaréesdansdesendroitsstratégiques.Ànousensuitedevendrelescartouchesdecigarettesdanslarue.

–Etles«banquiers»?–Cesontceuxquirécoltentlecash.–MaisquefaisaitJeremychezceMounir?–Jenesaispas,maisiln’avaitpasl’aird’êtreretenucontresongré.–Oùhabite-t-il?–RueCaplat.–C’estloind’ici?–Pasvraiment.–Onpeuts’yrendreàpied?–Oui,maisjevousarrêtetoutdesuite.Mounirn’estpascommodeet…–S’ilvousplaît,conduisez-moiàsonadresse!J’irailuiparlerseul.–Cen’estpasunebonneidée,jevousdis!Visiblement,leTunisienétaitterrifié.Peurdeperdreson«emploi»?Desemettreàdosunefaune

peurecommandable?Sebastianessayadelemettreenconfiance.–Vousêtesuntypebien,Youssef.Conduisez-moichezMounir.Jedoisretrouvermonfils.–OK,capitula-t-il.

IlssortirentducafépourregagnerBarbèsparlaruedeSophia.Ilétait2heuresdel’après-midietle

soleil était à son zénith. Toujours en effervescence, le boulevard grouillait de monde. Jeunes, vieux,bobos…Certainesfemmesétaientvoilées,d’autresenjupette.

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–Oùavez-vousapprisàparleranglais,Youssef?–Àl’universitédeTunis.Jevenaisd’yterminerunmasterlittératureetcivilisationanglaiseslorsque

j’aidûfuirmonpaysilyasixmois.–JecroyaisqueleschosesallaientmieuxenTunisie…Youssefsecoualatête.–LachutedeBenAlietlarévolutiondeJasminn’ontpascréédesemploisd’uncoupdebaguette

magique,expliqua-t-ilamèrement.Lasituationrestedifficile.Mêmeavecundiplôme,lesjeunesontpeudeperspectives.J’aipréférétentermachanceici,enFrance.

–Vousavezdespapiers?Ilsecoualatête.–Aucundenousn’ena.NoussommestousarrivésparLampedusaauprintempsdernier.Jecherche

unemploiqualifié,maiscen’estpasfacilesansdocumentsadministratifs.Jen’ensuispastrèsfier,maislespetitstrafics,c’esttoutcequej’aitrouvé.Ici,c’estlerègnedeladébrouille,c’estchacunpoursoi.Tudoistrouvertaplaceentrelevolàlatire,ledealdecannabis,lereceldeportables,lesfauxpapiers,laventedeclopes…

–Etlapolice?LeTunisienricana:–Poursedonnerbonneconscience,lesflicsfontunedescentetouslesdixjours.Turestesunenuiten

gardeàvue,tupaiesuneamendeet,lelendemain,tuesderetoursurlepavé.

Youssefmarchaitvite,pressédes’acquitterdesatâche.SebastianpeinaitàsuivrelerythmeimposéparleTunisien.Plusilavançait,plusils’inquiétait.Tout

celan’était-ilpastropbeaupourêtrevrai?Pourquelleraisonsonfilsserait-ilvenuseperdredansleQGd’unobscurtrafiquantdecigarettesàsixmillekilomètresdeNewYork?

Alorsqu’ilsarrivaientsuruneplacetteensoleillée,sonaccompagnateurl’entraînaàl’écartdansuneruelleétroiteetombragéequipartaitversleboulevarddelaChapelle.

–Jesuisdésolé,s’excusaYoussefentirantuncouteaudesapoche.–Mais…LeTunisiensifflaentresesdents.Instantanément,deuxhommessurgirentderrièreSebastian.–Jevousavaispourtantmisengardetoutàl’heure:ici,c’estchacunpoursoi.L’Américainouvritlabouche,maisuncoupdepoingvigoureuxluiécrasalefoie.Iltentaderiposter;

Yousseflepritdevitesse:uncrochetl’atteignitenpleinvisageetl’envoyaausol.LesdeuxcomplicesduMaghrébinlerelevèrentpourmieuxleceinturer.Commençaalorsunvéritable

passageà tabac :coupsdecoudeaucreuxde l’estomac,voléesdecoupsdepiedetdegifles, injures.Incapabledeseprotéger,Sebastianfermalesyeuxetencaissalescoupsquipleuvaientsansrépit.Unedérouillée qu’il vécut comme une expiation, un pénible chemin de croix. Cette raclée, c’était sa ViaDolorosa…

Ils’étaitfaitavoircommeunbleu.Enexhibantsesbilletsavectantd’arrogance,iln’avaiteuquecequ’ilméritait.Bienentendu, leTunisienn’avait jamaiscroisé Jeremy. Il avaitdûentendre sonprénomlorsqueSebastian l’avait évoquéendiscutant avec levendeurde journauxdevant lekiosque.Làoù ilavaiteul’imprudencedesortirsonportefeuille…Youssefavaitprofitédesacrédulitéetlui,Sebastian,n’avaitpasd’excuses.Iln’avaitfaitpreuved’aucunsang-froid,d’aucuneréflexion.Ils’étaitbenoîtementjetédanslagueuleduloup!Avecsaliassedebillets,soncostumeetsonaircond’Américain,ilétaitleparfaitpigeondel’histoire.

Aprèsl’avoirtabasséetdépouillé,Yousseffitunsigneàsescomplices.D’unmêmemouvement,lesdeuxhommesdemainlâchèrentleurproieavantdes’enfuirencourant.

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L’arcadeéclatée,leslèvrestuméfiées,lespaupièresboursouflées,Sebastianpeinaitàreprendresesesprits.Ilessayad’ouvrirunœil.Ildistinguaitobscurémentlebrouhahadelafouleet,plusloin,leflotininterrompudesvoituressurleboulevard.Ilsemitdeboutavecdifficulté.

Aveclamanchedesaveste,ilessuyalesfiletsdesangquicoulaientdesaboucheetdesonnez.On lui avait tout pris. Son portefeuille, son argent, son téléphone, son passeport, sa ceinture, ses

chaussures.Mêmelamontredecollectionqu’iltenaitdesongrand-père.Deslarmesd’humiliationetdedépitluimontèrentauxyeux.Qu’allait-ilraconteràNikki?Comment

avait-il pu être aussi crédule ? Et malgré toute sa volonté, avait-il réellement en lui les ressourcesnécessairespourretrouversonfils?

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Laterrassesurplombaitlejardindel’hôtel.Appuyée à la balustrade, Nikki essayait de calmer son inquiétude en s’abandonnant au murmure

apaisant de la fontaine en vieux marbre. Un écrin végétal, touffu et verdoyant, entourait la demeure.Traversant le terrain,deuxrangéesdecyprèsévoquaientunpaysage toscan.Despiedsdevigneviergeaux couleurs automnalesgrimpaient le longdumur, disputant l’espace àdes lianesde jasmindont lesfleursblanchesrépandaientuneodeurentêtantequimontaitjusqu’àlachambre.

Minée par un sentiment d’impuissance, Nikki tournait en rond depuis le départ de Sebastian. End’autres circonstances, elle aurait goûté la poésie et la quiétude du lieu,mais l’angoisse la dévorait,crispantetcontractantsesmuscles,étouffantsoncœurdanssapoitrine.

Incapabledesedétendre,elleregagnal’intérieurdelachambreetentrepritdesefairecoulerunbain.Pendant que l’eau montait dans la baignoire, emplissant la chambre de vapeur légère, Nikki

s’approchaduvieilélectrophoneposéaucentred’uneétagèreenboisblanchi.C’étaituntourne-disquevalise,typiquedesannées1960,avecuncouvercledétachablequifaisaitofficedehaut-parleur.Rangéesurlestablettes,unecollectiondevieuxvinylesregroupaitunecinquantainede33tours.Nikkifitdéfilerrapidementlespochettesquinecontenaientquedesalbumscultes:Highway61deDylan,ZiggyStardustdeBowie,TheDarkSideoftheMoondesPinkFloyd,TheVelvetUnderground&Nico…

EllearrêtasonchoixsurAftermath,l’undesbonsalbumsdutempsoùlesStonesétaientencorelesStones.Ellemitlagalettesurleplateauetposalatêtedelecturesurlemicrosillon.Dèslespremièressecondes,lesriffsdemarimbaetlalignedebassed’UndermyThumbfirentvibrerlapièce.OndisaitqueMickJaggeravaitécritcettechansonpourréglersescomptesaveclemannequinChrissieShrimptonavec qui il sortait alors. À l’époque, les féministes n’avaient pas aimé les paroles qui comparaientsuccessivementlafemmeàun«chienfrétillant»puisàun«chatsiamois».

Nikki,elle, trouvait lemorceaupluscomplexe. Ilparlaitde la recherchededominationauseinducouple,dudésirderevanchelorsquel’amoursechangeenhaine.

Elleseplantadevantlegrandmiroirovaleenferforgéetsedéshabillaentièrement.Ellescrutasonrefletsanscomplaisance.

Venududehors,unrayondesoleilcaressasanuque.Ellefermalesyeuxquelquessecondesetoffritsonvisageàlalumière,sentantsapeauquis’animaitsousl’effetdelachaleur.Aveclesannées,legalbedesasilhouettes’étaitarrondi,maisgrâceausportqu’ellepratiquaitintensivement,soncorpsétaitrestéetonique. Elle avait des seins encore hauts, une taille fine etmusclée, des jambes de chasseresse, desmolletsfermes.

Danslavoluptédumoment,elleretrouvaconfianceenelle.Àl’électiondeMissCougar,tugardestoutesteschances,MrsRobinson…Ellefermalerobinetetseglissadanslebainchaudenfrémissant.Commeellelefaisaitjadis,elle

bloquasarespirationetplongealatêtedansl’eau.Autrefois,ellepouvaittenirprèsdedeuxminutesen

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apnée.Untempssuspenduqu’elleutilisaitpourmettresesidéesauclair.Dixsecondes…Cedésirderesterjeuneluipourrissaitlavie.Desannéesqu’elles’épuisaitàvouloirserassurersur

sacapacitéàséduire.Lavérité,c’étaitqu’ellenes’encroyaitcapablequeparsonphysique.Elleplaisaitauxhommesparcequ’elleétait«bandante».C’est soncorpsqu’ils remarquaient toujoursenpremier,jamaissoncharme,jamaissonintelligence,sonhumourousaculture…

Vingtsecondes…Mais sa jeunesse s’en allait.Lesmagazines féminins avaient beau titrer : «Quarante ans, c’est le

nouveautrenteans!»,toutça,c’étaitdelablague.L’époquevoulaitdusangneuf,delajeunesse,delachair toujoursplusfraîche.Déjà,dans larue,ellesentaitque leshommesneseretournaientplusaussifréquemmentsursonpassage.Unmoisplustôt,dansuneboutiquedeGreenwich,elleavaitétéflattéedel’attentionqueluiportait levendeur,un jeunemeccharmantetbienfoutu,avantdecomprendrequecen’étaitpasellequ’ildraguait,mais…Camille.

Trentesecondes…Elleavaitdumalàsel’avouer,maiselleavaitétéémuederevoirSebastian.Ilétaittoujoursaussi

invivable,obtus,injuste,coincédanssescertitudes,maiselleétaitrassuréedel’avoiràsescôtéspourtraversercetteépreuve.

Quarantesecondes…Lorsqu’ils étaient mariés, elle ne s’était jamais sentie à la hauteur. Persuadée que leur amour ne

reposaitquesurunmalentendu–tôtoutard,Sebastianfiniraitparserendrecomptedesonerreuretlaverraittellequ’elleétaitvraiment–,elleavaitvécudanslapeurd’êtrequittée.

Cinquantesecondes…Leur rupture lui semblaitmême tellement inéluctablequ’elle avait pris les devants,multipliant les

amants,s’engageantdansunespiraledestructriceetabsurdequiavaitfiniparfaireexploserleurcouple,validant ainsi sa plus grande crainte, mais lui apportant aussi un soulagement paradoxal : à présentqu’ellel’avaitperdu,ellenecraignaitplusdeleperdre.

Uneminute…Le compte à rebours défilait. La vie lui glissait entre les doigts. Dans deux ou trois ans, Jeremy

partiraitétudierenCalifornie.Elleresteraitseule.Seule.Seule.Seule.Toujourscettepeurpaniqued’êtreabandonnée.D’oùvenaitcetteblessure?Del’enfance?Deplusloin?Ellepréféraitnepasypenser.

Uneminutedix…Un frisson la saisit et elle sentit un tremblement au bas de son ventre. À présent, elle manquait

d’oxygène. Le refrain de la chanson des Stones lui parvenait déformé, agrémenté d’un… riff de JimiHendrix!

Montéléphone!Ellesortitbrusquementlatêtedel’eauetattrapasonportable.C’étaitSantos.Depuislaveille,illui

avaitlaissénombredemessagestouràtourrageursetamoureux.Dansl’affolementcauséparlesderniersévénements,elleavaitpréférénepasluirépondre.

Ellehésita.Cesderniers temps,Santosse révélaitêtreunpetitamideplusenplusétouffant,maisc’étaitaussiunbonflic.Ets’ilavaitdécouvertunepisteconcernantladisparitiondeJeremy?

–Oui?fit-elle,essoufflée.–Nikki?Enfin!Çafaitdesheuresquej’essaiedetejoindre.Àquoitujoues,bonsang?–J’étaisoccupée,Lorenzo.–Qu’est-cequetufousàParis?–Commentsais-tuoùjemetrouve?–Jesuispassécheztoi.Jesuistombésurlesbilletsd’avion.

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–Maisdequeldroitt’es-tupermis?– Heureusement que c’était moi et pas un autre flic, s’agaça-t-il. Parce que j’ai aussi trouvé la

cocaïnedanslasalledebains!Mortifiée,ellegardaunsilenceprudent.Illapoussadanssesretranchements.–Réveille-toi,ma vieille ! Il y a tes empreintes et celles de ton ex-mari sur une scène de crime

sordide.Tuesdanslamerdejusqu’aucou!–Nousn’ysommespourrien!sedéfendit-elle.DrakeDeckerétaitdéjàmortànotrearrivée.Quantà

l’autre,c’étaitdelalégitimedéfense.–Maisqu’est-cequetufaisaisdanscetrouàrats?–J’essayaisderetrouvermonfils!Écoute,jet’expliqueraitoutdèsquejelepourrai.Tun’aspasde

nouvellesdeJeremy?–Non,maisjesuisleseulàpouvoirt’aider.–Comment?–Jepeux tenterderalentir l’enquêtesur lesmeurtresdeDecker,àconditionque turentresàNew

Yorkleplusvitepossible.–…–D’accord,Nikki?–D’accord,Lorenzo.–EtnetelaissepasinfluencerparSebastian,menaça-t-il.Ellemarquaunepause.Ilfitdeseffortspourseradoucir.–Tu…tumemanques,chérie.Jeferaitoutpourteprotéger.Jet’aime.Pendantplusieurssecondes,Santosattenditun«moiaussi»queNikkifutincapabled’articuler.Unsignalsonorel’avertitd’unappelsimultané.Elleenprofitapourmettrefinàlaconversation.–Jedoistelaisser.J’aiunautreappelsurlaligne.Jetedonnedesnouvellesbientôt.EllepritsonnouvelinterlocuteursanslaisseràSantosletempsd’émettrelamoindreprotestation.–Allô?–MadameLarabee?–Speaking.– Ici laCompagnie des croisières parisiennes, annonça une voix en anglais. Je vous appelle pour

confirmervotresoirée.–Quellesoirée?–Votreréservationpourundîner«excellence»cesoirà20h30surnotrebateauL’Amiral.–Euh…vousêtescertainedenepasfaireerreur?–NousavonsuneréservationaunomdeM.etMmeLarabeecontractéeilyaunesemaine,précisa

l’hôtesse.Dois-jecomprendrequevousyrenoncez?–Non,nousyserons,assuraNikki.20h30,dites-vous?Àquelendroitalieul’embarquement?–Aupontdel’Alma,dansle8earrondissement.Unetenuedecocktailestsouhaitable.–Trèsbien,acquiesçaNikkiennotantmentalementlesindications.Elle raccrocha. La confusion la plus totale régnait dans son esprit. Le désordre. Le chaos. Que

signifiaitcenouveaurendez-vous?Était-celà,aupontdel’Alma,qu’onallaitenfinprendrecontactaveceux?Etpeut-êtreleurrendreJeremy…

Ellefermalesyeuxetplongeadenouveaulatêtesousl’eau.Pouryvoirplusclair,elleauraitaimépouvoirréinitialisersonespritàlamanièred’unordinateur.

ToucheReset.Ctrl-Alt-Suppr.Son cerveau était bombardé de pensées négatives, d’images d’horreurs tout droit sorties d’un

cauchemar.Lentement,elleapprivoisasapeurenseconcentrantcommeellel’avaitapprisenséancede

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méditation.Peuàpeu,sesmusclessedétendirent.L’apnéeluifaisaitdubien.Lecontactdel’eauchaudesur sa peau était un cocon protecteur. Le manque d’oxygène jouait comme un filtre, effaçant de saconsciencetoutcequilapolluait.

Enfin,ilnerestaplusqu’uneimage.Unvieuxsouvenirlongtempsrefoulé.Unecapsuleprisonnièredutemps,unfilmamateurdélavéquilaprojetadix-septansenarrière.

AumomentdesadeuxièmerencontreavecSebastian.Auprintemps1996.ÀParis…

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NikkiDix-septansplustôt…

JardindesTuileriesParisPrintemps1996–Onfaitunedernièreprise,lesfilles!Enplace.Attention…Çatourne!Devant le palais du Louvre, un bataillon de mannequins effectue pour la dixième fois une

scénographiesophistiquée.Pourcettepublicité,lamaisondehautecoutureamislesmoyens:réalisateurderenom,costumessomptueux,décorsgrandioses,pléthoredefigurantesencadrantlastarchoisieparlamarquepourdevenirsonicône.

Jem’appelleNikkiNikovski,j’aivingt-cinqansetjesuisl’unedecesfilles.Paslesupermodeldupremier plan, non. Seulement l’une de ces anonymes sans grade qui défilent au quatrième rang.Noussommesaumilieudesannées1990.Unepoignéedetop-modèles–Claudia,CindyouNaomi–ontréussiàdevenirdesstarsetamassentconsciencieusementdesfortunes.Maisjenevispassurlamêmeplanète.JoyceCooper,monagent,n’ad’ailleurspasprisdegantspourmelefaireremarquer :«Tupeuxdéjàt’estimerheureused’êtreduvoyageàParis.»

Mavien’arienducontedeféespipeauqueserinentlesmannequinsvedettesdanslesmagazines.Jen’aipasétérepéréeàquatorzeanssuruneplageoudansuncentrecommercialparunphotographedel’agenceElitequipassait«parhasard»dansmonbledduMichigan.Non,j’aicommencélemannequinatsurletard,àvingtans,enarrivantàNewYork.Vousnem’avezjamaisvueencouverturedeElleoudeVogue,et,sijedéfileparfoissurlespodiums,cen’estquepourdescouturiersdesecondrang.

Jusqu’àquandmoncorpsva-t-iltenir?J’ai mal aux pieds et au dos. J’ai l’impression que mes os menacent de se briser, mais je me

concentrepourfairebonnefigure.J’aiapprisàfigermonsourire,àmettreenvaleurmesjambesgalbéesetmapoitrine,àadopterunedémarche légèrementchaloupée,àplacerdanschacundemesgestesunegrâcedesylphide.

Mais ce soir, la sylphide est épuisée. Je suis arrivée par avion cematin et je repars demain. Pasvraimentdesvacances!Lesderniersmoisontétédifficiles.Monbooksouslamain,j’aipassél’hiveràcourirlescastings.TraindebanlieuepourManhattanà6heuresdumatin,shootingsdansdesstudiosmalchauffés, tournage lowcost pour des pubs bas de gamme.Chaque jourme confronte un peu plus à ceconstatimplacable:jenesuisplusassezjeune.JenepossèdepascettepetiteétincellequimepermettraitdedevenirChristyTurlingtonouKateMoss.Etsurtout,jevieillis.Déjà.

–Coupez!crieleréalisateur.OK,c’estbon,lesfilles!Vouspouvezallerfairelafête!Parisvousappartient!

Tuparles!

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Laproductionadressédeslogessousdestentes.Lalumièredecettefind’après-midiestbelle,maisil fait un froid de canard. Alors que je me démaquille dans un courant d’air, une stagiaire de JoyceCooperm’interpelle:

–Désolée,Nikki,iln’yavaitplusdeplaceauRoyalOpéra.Onadûtechangerd’hôtel.Elleme tend une feuille de papier sur laquelle est imprimée l’adresse d’un établissement du 13e

arrondissement.–Tutefousdemoi?Vousn’avezpas trouvéencoreplus loin?Pourquoipasenbanlieuetantque

vousyêtes!Elleécartelesbrasensigned’impuissance.–Désolée.C’estlesvacancesscolaires.Toutestcomplet.Je soupire, change de chaussures et de vêtements. L’ambiance est électrique. Les filles sont

surexcitées:ilyaunefêteorganiséedanslesjardinsduRitz.LagerfeldetGallianoyseront.Quandj’arrivesurplace,monnomnefigurepassurlalistemagiquedesinvitées.–Tuviensprendreunverreavecnous,Nikki?medemandeundesphotographesdeplateau.Ilestaccompagnéd’uncopain,uncameramanquimereluquedepuislematin.Pasuneseconde jen’aienviedesuivreces tocards,mais jene leurdispasnon.Troppeurdeme

retrouverseule.Tropbesoindemesentirdésirée,fût-cepardesgensquejeméprise.Je les suis dans un bar de la rue d’Alger. Nous enchaînons des shots de « kamikaze », cocktail

sournoisàbasedevodka,deCointreauetdecitronvert.L’alcoolmeréchauffe,medétendetmemonteviteàlatête.

Je ris, je blague, je fais bonne figure. Je déteste pourtant ces photographes pervers, prédateurs dechair fraîche. Je connais leurs techniques : saouler les filles, leur donner un peu de coke, revenirinlassablementàlacharge,profiterdeleurfatigue,deleursolitude,deleurdésarroi.You’reawesome!Sosexy!Soglamorous…Ilsmevoientcommeuneproiefacileetjenefaisrienpourlesdétromper.Jecarbureàça:àlaflammedansleregardquejesuscitechezleshommes,mêmedesbourrinscommecesdeux-là.Telunvampire,jemenourrisdeleurdésir.

Du monde de la mode, je ne vois plus ni le glamour ni les paillettes. Désormais, tout n’estqu’épuisement, lassitude,compétition. J’aicomprisque jen’étaisqu’une image,une femme jetable,unproduitprochedesadatedepéremption.

Lestypesserapprochent,mefrôlent,leursgestessefontplusosés.Pendantunmoment,ilsimaginentquejevaislessuivredansleurprojetdeplanàtrois.

Lesoirtombe.Jeregardeleslumièresquis’allumentjusqu’aumomentoùlesmecssefontvraimenttroppressants.Jemelèved’unbond,tantqu’ilmeresteunpeudelucidité.Jequittelecaféentraînantmavalise.J’entendsdesinsultesdansmondos:allumeuse,pétasse…Businessasusual.

DanslaruedeRivoli,impossibledehéleruntaxi.Jemerabatssurlemétro.StationPalais-Royal.Après un coup d’œil au plan affiché sur le quai, je prends une rame etme laisse porter le long desstationsdelaligne7:Pont-Neuf,Châtelet…Jussieu…LesGobelins…

Il faitnuit lorsque j’arriveplaced’Italie. Jepensequemonhôtelestproche,maisen réalité ilmeresteencorede longuesminutesdemarche. Ilcommenceàpleuvoir. Jedemandemonchemin,maisonm’envoiepromenerparceque jeneparlepas français.Drôledepays…Je remonte la rueBobillotentirantmavalisedontlesrouessesontbloquées.Ilpleutdeplusenplus.

Cesoir,jemesensfanéeetvulnérable.Seulecommejamais.Lapluieruissellelelongdemoncorpsettoutsefissureenmoi.Jepenseàl’avenir.Enai-jeseulementun?Jen’aipasunsouvaillant.Encinqansdemétier,jen’aipasmisundollardecôté.Lafauteàunsystèmeorganisépourvousmaintenirdansunétatdedépendance.Lesagencesdemannequinssonttrèsfortesàcepetitjeuetsouventjenetravaillequepourrembourserleurcommissionetlesfraisdevoyage.

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Engrimpantsurletrottoir,jecasseundemestalonsetc’estenclopinant,meschaussuresàlamainetmadignitéenberne,quej’arriveenfinàlaButte-aux-Cailles.

Jen’ai jamaisentenduparlerdecequartierquidomineParis.Àcetteépoque, l’endroit ressembleencoreàunpetitvillagehorsdutemps.Ici,pasdegrandesavenuesoud’immeubleshaussmanniens,maisdepetitesruespavéesetdesmaisonsprovinciales.J’ai l’impressiond’êtreAlice, tombée«de l’autrecôtédumiroir».

Situé rue desCinq-Diamants,mon hôtel est un vieil immeuble étroit à la façade un peu délabrée.Exténuée,trempée,jedébarquedanslehallmiteuxettendsàlalogeusel’imprimédemaréservation.

– Chambre 21, mademoiselle. Votre cousin est arrivé il y a une heure, m’annonce-t-elle sans medonnermaclé.

–Mycousin?Whatareyoutalkingabout?Je ne connais que quelques mots de français, elle ne parle pas l’anglais, même si une affichette

affirme le contraire. Au bout de cinq minutes de baragouinage, je comprends confusément qu’unAméricainaprispossessiondemachambreuneheureauparavantenseprésentantcommemoncousin.Jelui réclame une autre chambre, elle me répond que l’hôtel est complet. Je lui demande d’appeler lapolice,ellemeditquel’hommeadéjàréglélachambre.

Quesignifiecettehistoiredefous?Enfureur,jeprendsl’escalierenlaissantmavaliseaumilieudupassageetmonteaudeuxièmeétage

pourtambourinercontrelaportedelachambre21.Pasderéponse.Sansmedémonter,jesorsdanslarueetcontournel’hôtelparlapetiteimpassepavée.Jerepèrela

fenêtredelachambredel’usurpateuretybalanceunescarpin.Jeratemacible,maisj’aiunedeuxièmemunition.Cette fois,ma chaussure s’écrase contre la vitre.Quelques secondes s’écoulent avant qu’unhommeouvreenfinlescroiséesetypasseunetête.

–C’estvousquifaitesceraffut?seplaint-il.Jen’arrivepasàycroire.C’est…SebastianLarabee,leluthiercoincédeManhattan.J’aidumalà

contenirmacolère.–Qu’est-cequevousfichezdansmachambre?–J’essayaisd’ydormir,figurez-vous.Enfin…avantquevousnefassieztoutceboucan.–Vousallezmefaireleplaisirdedéguerpir!–Jenecroispas,non,répondit-ilavecflegme.–Sérieusement,pourquoiêtes-vousàParis?–Jesuisvenupourvousvoir.–Pourmevoir?Maisenquelhonneur?Etcommentm’avez-vousretrouvée?–J’aimenémapetiteenquête.Jesoupire.Bon,cemecestdingue.Ildoitfaireunefixationsurmoi.Cen’estpaslapremièrefoisque

jecroiseundétraqué.Pourtant,celui-làavaitl’airnormal,gentil,doux…J’essaiedeprendreunairdétaché:–Qu’attendez-vousdemoi,aujuste?–Desexcuses.–Ahbon?Etpourquoi?–D’abord,pourm’avoirvolémonportefeuille,ilyatroismois.–Maisjevousl’airendu!C’étaitunjeu.Unmoyendeconnaîtrevotreadresse.–Ilauraitsuffidemelademander,jevousauraismêmepeut-êtreinvitée!–Oui,maisçaauraitétémoinsdrôle.Un lampadaire éclaire les pavésmouillés de l’impasse. Sebastian Larabeeme toise de son beau

sourire.

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–Ensuite,jevousreprochedevousêtreenfuiesansm’avoirlaissévotreadresse.Jesecouelatête.–Labelleaffaire!–Onaquandmêmecouchéensemble,ilmesemble.–Etalors?Jecoucheavectoutlemonde,dis-jepourleprovoquer.–Ehbien,cesoir,vouscoucherezdehors,tranche-t-ilenrefermantlafenêtre.Ilfaitnuitetfroid.Jesuisfourbue,maissurprise.Entoutcas, jen’aipas l’intentiondemelaisser

traiterainsiparcemalotru.–Trèsbien,vousl’aurezvoulu!Ilyaunconteneurenplastiqueàl’angledelaruelle.Malgrélafatigue,jemontesurlapoubelleet

grimpelelongduconduitdelagouttière.Enéquilibresurunbacàfleurs,jemarqueunepauseaupremierétageavantdereprendremonascension.Levisagetenduversleciel,jevoisSebastiansedécomposeràtraverslavitre.Lesyeuxgrandsouverts,ilmeregardeavecaffolement.

–Vousallezvousbriserlecou!hurle-t-ilenouvrantbrusquementlafenêtre.Surprise,j’esquisseunmouvementdereculquimefaitperdrel’équilibre.Alorsquemesappuisse

dérobent,jemerattrapeinextremisàlamainqu’ilmetend.–Vousêtesinconsciente!m’engueule-t-ilenmehissantsurlereborddelafenêtre.Unefoishorsdedanger,jel’agrippeparlecolpuisluimartèleletorsedecoupsdepoing.–C’estmoiquisuisinconsciente,espècedemalade?Vousavezfaillimetuer!Surprisparmavirulence,ilsedégagetantbienquemal.Furieuse,j’empoignesavaliseouverteau

pieddulitetprendsdel’élanpourlaprojeterparlafenêtre.Ilmecoupedansmonmouvement,m’entouredesesbras.

–Calmez-vous!implore-t-il.Sonvisageestàquelquescentimètresdumien.Ilaunregardfrancethonnête.Ildégageunehumanité

qui le rend rassurant. Il sentbon.Uneodeurd’eaudeColognequedevaientutiliser leshommesde lagénérationdeCaryGrant.

Jeme sens soudain très excitée. Je luimords la lèvre, le pousse sur lematelas et lui arrache lesboutonsdesachemise.

*

Lelendemainmatin.Lasonneriedu téléphonemeréveilleensursaut.Lanuitaétécourte.Lesyeuxpleinsdesommeil,

j’attrapelecombinéetmeredressecontrel’oreiller.Auboutdufil,lalogeusejargonnequelquesphrasesenanglais.Jeclignelespaupières.Unelumièredoucefiltreàtraverslesrideauxdedentelledecettechambre

minuscule.Tandisquejereprendsmesesprits,j’entrouvredupiedlaportedelasalledebains.Personne…SebastianLarabeem’aurait-ilabandonnée?Jedemandeàlapropriétairederépéterdistinctement.–Yourcousiniswaitingforyouatthecoffeeshopjustaroundthecorner.Mon«cousin»m’attenddanslecaféducoindelarue.Ehbien,ilpeuttoujoursattendre.Jemelèved’unbond,prendsunedoucheexpressetrassemblemesaffaires.Jedescendsl’escalier,

récupèremavalisequiestrestéedanslehall.Jecroiselalogeusederrièresoncomptoirpuispasseunetêtedanslarue.Lecaféestàunecentainedemètresàgauche.Jeparsàdroiteendirectiondumétro.J’aiparcouruvingtmètreslorsquelapropriétairemerattrape.

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–Ithinkyourcousinkeptyourpassport…medit-elle,l’airdenepasytoucher.

*

Épargnéparlamodernité,lecaféLeFeuverredonnel’impressiond’avoirététéléportédepuislesannées1950:comptoirenzinc,nappevichy,banquettedemoleskine,tablesenFormica.Accrochéeaumur, l’ardoiserappelle lesplatsproposés laveille :saucissonpistaché,piedsdeporc,andouillettedeTroyes.

Lorsquejedébarqueenfuriedansletroquet,j’aperçoisSebastianattabléaufonddel’établissement.Jemeplantedevantluietlemenace:

–Vousallezmerendremonpasseport!– Bonjour, Nikki. Moi aussi, j’espère que tu as bien dormi, me dit-il en me tendant ma pièce

d’identité.Assieds-toi,jet’enprie.J’aiprislalibertédecommanderpourtoi.Affamée,jecapituledevantleplantureuxpetitdéjeuner:caféaulait,croissants,tartines,confitures.

Jeprendsunegorgéedecaféetdépliemaserviettepourdécouvrirunpaquetentouréd’unruban.–Qu’est-cequec’estqueça?–Uncadeau.Jelèvelesyeuxauciel.–Vousn’avezpasàmefairedecadeauparcequ’onacouchédeuxfoisensemble…C’estquoivotre

nom,déjà?–Ouvre-le.J’espèrequeçavateplaire.Inutiledet’inquiéter,cen’estpasunebaguedefiançailles.Je déchire le papier en soupirant. C’est un livre. Une édition limitée de L’Amour aux temps du

choléra.Illustrée,superbementreliéeetsignéedelamaindeGabrielGarcíaMárquez.Jesecouelatête,maisjesuistouchéeparl’intention.J’ailachairdepoule.C’estlapremièrefois

qu’unhommem’offreun livre.Jesens les larmesquimontent,mais je les refoule.Cegesteme toucheplusquejenelevoudrais.

–Àquoijoues-tuexactement?dis-jeenrepoussantleroman.Çadoitcoûterunefortune.Jenepeuxpasl’accepter.

–Pourquoi?–Onneseconnaîtpas.–Onpeutapprendreàseconnaître.Jetournelatête.Uncoupledepetitsvieuxtraverselaruesansquel’onsachetrèsbienlequelsertde

béquilleàl’autre.–Qu’est-cequetuasentête?Juvénileettéméraire,Sebastianselanceaveccandeur:–Depuisquatremois,jemeréveilletouslesmatinsavectonimagedanslatête.Jepenseàtoitoutle

temps.Plusriend’autrenecompte…Jeleregarde,consternée.Jecomprendsquecen’estpasdubaratinetqu’ilycroitvraiment.Pourquoi

cemecest-ilsinaïf?Siattachant?Jemelèvepourpartir,maisilmeretientparlebras.–Laisse-moivingt-quatreheurespourteconvaincre.–Meconvaincredequoi?–Qu’onestfaitsl’unpourl’autre.Jemerassoisetluiprendslamain.–Écoute,Sebastian,tuesgentilettufaistrèsbienl’amour.Jesuisflattéequetuaieseuuncoupde

cœurpourmoietjetrouvetrèsromanesquequetuaiesfaitcevoyagepourmeretrouver…–Mais?

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– Mais soyons réalistes, nous n’avons aucune chance de parvenir à construire quelque choseensemble.Jenecroispasàlafabledelabergèrequiépouseleprincecharmantet…

–Tuseraissexyenbergère.–Soissérieux,s’ilteplaît!Nousn’avonsrienencommun:tuesunWASPintello,tesparentssont

millionnaires, tuvisdansunemaisonde troiscentsmètrescarréset tu fréquentes legratinde l’UpperEastSide…

–Etalors?mecoupe-t-il.–Etalors?Jenesaispascequetuprojettessurmoi,maisjenesuispascellequetuimagines.Iln’y

arienquetupuissesvraimentaimerchezmoi.–Tunechargespasunpeulabarque,là?–Non.Jesuisinstable,infidèleetégoïste.Tuneparviendraspasàmetransformerengentillepetite

femmeattentiveetattentionnée.Etjenetomberaijamaisamoureusedetoi.–Donne-moivingt-quatreheures,demande-t-il.Vingt-quatreheuresjustetoi,moietParis.Jesecouelatête.–Jet’auraiprévenu.Ilsouritcommeunenfant.Jesuispersuadéequ’ilvaselasserrapidement.Jene saispasencoreque jeviensde rencontrer l’amour.Le seul, levrai, l’incendiaire.Celuiqui

vous donne tout avant de tout vous reprendre. Celui qui illumine une vie avant de la dévaster pourtoujours.

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28

Hors d’haleine et dégoulinant de sueur, Sebastian débarqua dans le hall duGrandHôtel sous leregardmédusé de l’hôtesse.Avec son nez ensanglanté, pieds nus et sa veste déchirée, il détonnait aumilieuduvestibuleimmaculé.

–Quevousest-ilarrivé,monsieurLarabee?–J’aieu…unaccident.Inquiète,elledécrochasoncombiné.–Jetéléphoneàunmédecin.–Cen’estpaslapeine.–Vraiment?–Jevaisbien,jevousassure,ajouta-t-ilplusfermement.–Commevousvoudrez. Jevaisvous trouverdescompressesetde l’alcool.Sivousdésirezautre

chose,faites-le-moisavoir.–Jevousremercie.Malgrésonessoufflementetsesabdominauxmeurtris,ilpréféramonteràpiedplutôtqued’attendre

l’ascenseur.Lorsqu’il entra dans la chambre, elle était vide.LesRollingStones jouaient à plein volume,mais

Nikkiavaitdisparu.Ilpassadanslasalledebainsettrouvasonex-femmeallongéedanslabaignoire,latêtesousl’eau,lesyeuxclos.

Affolé,illasortitdelàenlatirantparlescheveux.Surprise,ellepoussaunhurlement.–Hé!Maisçanevapas,espècedesauvage!Tuasfaillimescalper!dit-elleencachantsapoitrine.–J’aicruquetutenoyais!Tujouesàquoi,bonsang?Lapetitesirène,cen’estplusdetonâge!Alorsqu’elleluilançaitunregardnoir,elleaperçutlesblessuresquimarquaientsonvisage.–Tut’esbattu?s’inquiéta-t-elle.–Onm’abattusembleplusapproprié,répondit-il,dépité.–Retourne-toi,jevaissortirdelabaignoire.Etn’enprofitepaspourterincerl’œil!–Jet’aidéjàvuenue,jetesignale.–Oui,dansuneautrevie.Tournant la tête, il lui tenditunpeignoir.Ellesedrapadans lasortiedebainetnouauneserviette

autourdesatête.–Assieds-toi,jevaistesoigner.Alorsqu’ellenettoyaitlesplaiesavecdel’eausavonneuse,illuiracontasamésaventureàBarbès.À

son tour, elle lui fit part des deux coups de fil qu’elle avait reçus : celui de Santos et celui plusénigmatiquedelaCompagniedescroisièresparisiennes.

–Aïe!cria-t-iltandisqu’elleappliquaitunantiseptiquesursescoupures.–Arrêtedefairetachochotte!J’aihorreurdeça!

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–Maisçabrûle!–Mouais,çapicotelorsqu’onatroisouquatreans,maistuesadulte,jecrois.Ilcherchaitunerepartiemordante,lorsqu’ilsentendirentfrapper.–Garçond’étage,lançaunevoixàtraverslaporte.Nikkifitunpaspoursortirdelasalledebains,maisillaretintparlamanchedesonpeignoir.–Tunevastoutdemêmepasouvrirdanscettetenue?–Quoi,cettetenue?–Tuesàmoitiénue!Ellelevalesyeuxauciel.–Décidément,tun’aspaschangé,luireprocha-t-ilenallantouvrir.–Toinonplus!cria-t-elleenclaquantlaportedelasalledebains.Un groom arborant un calot rouge et un costume à boutons dorés apparut. Fluet, il disparaissait

presque sousunamoncellementdepaquetsportant lagriffedegrandes enseignesde luxe :YvesSaintLaurent,ChristianDior,Zegna,JimmyChoo…

–Onvientdelivrercespaquetsàvotreintention,monsieur.–Ildoityavoirerreur,nousn’avonsriencommandé.–Jemepermetsd’insister,monsieur:lalivraisonestbienàvotrenom.Dubitatif,Sebastians’écartapour luipermettrededéposersessacsdans lachambre.Alorsque le

groom s’éclipsait déjà, Sebastian fouilla dans sa poche à la recherche d’un pourboire avant de serappelerqu’onl’avaitdépouillé.Nikkiarrivaàlarescousseentendantaugarçonunbilletde5dollars,avantderefermerlaporte.

–Tuasfaitlesboutiques,chéri?semoqua-t-elleendécouvrantlespaquets.Pousséparlacuriosité,ill’aidaàdéballerlesaffairessurlelit.Ilyavaitentoutsixgrandssacsqui

contenaientdeshabitsdesoirée:uncostume,unerobe,unepaired’escarpins…–Là,jenecomprendspaslemessage.–Une tenue féminine,une tenuemasculine, remarquaNikkiensesouvenantdeceque luiavaitdit

l’hôtessedelaCompagniedescroisièresparisiennesàproposdelanécessitéd’êtreentenuedesoirée.–Maispourquoivoudraient-ilsquel’onportejustementcesfringues?–Ellessontpeut-êtreéquipéesd’unmouchard?Unémetteurquileurpermettraitdenoustracer…Ilconsidéra l’argument. Il tenait la route.C’étaitmêmeuneévidence. Ilprit auhasard lavestede

costumeetcommençaàlapalper,maisc’étaitpeineperdue:aujourd’hui,cetyped’appareildevaitêtremicroscopique.Etpuis,pourquoichercheràs’endébarrassers’ildevait lesmettreencontactaveclesravisseursdeleurfils?

–Jecroisqu’ilnenousresteplusqu’ànoushabiller,fitNikki.Sebastianacquiesça.Ilpassad’abordsousladouche,restantunbrefmomentsouslejetbrûlant,sesavonnantdehauten

bascommepourdécapersoncorpsdel’expériencehumiliantedeBarbès.Puisilentrepritd’enfilerleshabitsneufs.Ils’ysentittoutdesuiteàl’aise.Lachemiseblancheétaità

satailleetbiencoupée,lecostumeclassique,maischic,lacravatestricte,leschaussuresdequalité,maissansexcentricité.Desvêtementsqu’ilauraitpuchoisirlui-même.

Lorsqu’il revint dans la chambre, le soir tombait déjà. Dans la lumière déclinante, il aperçut lasilhouette de Nikki dans une longue robe rouge profondément échancrée dans le dos et offrant undécolletévertigineuxbordédeperles.

–Tupeuxm’aider,s’ilteplaît?En silence, il passa derrière elle et, comme il l’avait fait pendant des années, s’appliqua à nouer

autourd’unbijoudiscretlesfinesbretelles.L’effleurementdesdoigtsdeSebastiansursesépaulesdonnaàNikkilachairdepoule.Commehypnotisé,Sebastianpeinaitàdétachersonregardduveloutépâledela

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peaudesonex-femme.Subitement,ilposalamainsursonomoplate,esquissantundébutdecaresse.Illevalesyeuxverslemiroirovalequiluirenvoyal’imaged’unecouverturedemagazine.Danslereflet,leurcouplefaisaitillusion.

Nikkiouvritlabouchepourdirequelquechose,maisuncoupdeventrefermaviolemmentlafenêtre.Lecharmes’étaitrompu.

Pourchassersontrouble,ellesedégageaetenfilalapaired’escarpinsquicomplétaitsatenue.Pourretrouverunecontenance,Sebastianglissalesmainsdanssespoches.Ilyavaituneétiquettecartonnéedanscellededroite.Illaretirapourlamettreàlapoubelle,maisarrêtasongesteauderniermoment.

–Regardeça!Cen’étaitpasuneétiquette.Maisunboutdepapierpliéenquatre.Unticketdeconsigne.DelagareduNord.

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29

19earrondissement.PeuconnudesParisiens,lequartierd’Amériqueabritaitautrefoislescarrièresexploitantdugypseet

des roches siliceuses. Il tenait son nomd’une croyance selon laquelle la « pierre à plâtre » que l’onextrayait du chantier aurait servi à la constructionde la statue de laLiberté et de laMaison-Blanche.C’étaitfaux,maislalégendeétaitbelle.

Pendant lesTrenteGlorieuses, lamajeure partie du faubourg avait été rasée pour faire place à la«modernité».Desbarresd’immeublesdéprimantesetdestourshideusesdéfiguraientàprésentlenorddel’anciennecommunedeBelleville.CoincéeentreleparcdesButtes-Chaumontetlepériphérique,larue deMouzaïa était le dernier vestige d’une époque révolue. Sur plus de trois centsmètres, l’artèredesservaitdesimpassespavéesbordéesderéverbèresetflanquéesdemaisonnettesavecleursjardinets.

Au23bisdecetterue,dansunepetitemaisondebriqueàlafaçaderouge,letéléphonesonnadanslevidepourlatroisièmefoisenmoinsdedixminutes.

ConstanceLagrangeétaitpourtantlà,allongéeaucreuxd’unfauteuilBallon,danssonsalon.Maislademi-bouteilledewhiskyqu’elleavaitingurgitéependantlanuitlamaintenaitdansunétatd’ébriétéquilacoupaitdumonde.

Troismoisauparavant, le jourdeses trente-septans,Constanceavaitappris troisnouvelles :deuxbonnesetunemauvaise.

Enarrivantautravail,lematindece25juillet,sonsupérieurhiérarchique,lecommandantSorbier,luiavaitannoncésapromotionaugradedecapitainedepolicedanslaprestigieuseBrigadenationalederecherchedesfugitifs.

Àmidi,elleavaitreçuuncoupdefildesonbanquierluifaisantsavoirquesademandedeprêtvenaitd’être acceptée, lui permettant enfin d’accéder à son projet immobilier : l’achat de lamaison de sesrêves,ruedeMouzaïa,danslequartierqu’elleaimaittant.

Constances’étaitditalorsquec’étaitsonjourdechance.Maisenfind’après-midi,sonmédecinluiavaitapprisquelescannerqu’ellevenaitdepasseravaitrévéléunetumeuraucerveau.Unglioblastomedestade4.Lepiredescancers.Agressif,invasifetinopérable.Onluiavaitdonnéquatremois.

Ànouveau,letéléphonevibrasurleparquet.Cettefois,lasonneriesefrayaunchemindanssonmauvaissommeil,peuplédesombresimagesde

cellulescancéreuses.Constanceouvritlesyeuxetessuyalesgouttesdesueurquiperlaientsursonfront.Ellerestaprostréeplusieursminutes,auborddelanausée,attendantunenouvellesonneriepourtendrelamainverslesol.Elleregardalenuméroquis’affichaitsurl’écran.C’étaitceluideSorbier,sonancienpatron.Elledécrocha,maislelaissaparler:

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–Qu’est-cequevousfoutez,Lagrange?l’engueula-t-il.Çafaitunedemi-heurequej’essaiedevousjoindre!

–Jevousrappellequejevousairemismadémission,patron,fit-elleensefrottantlesyeux.–Qu’est-cequisepasse?Vousavezpicolé?Vouspuezl’alcoolàpleinnez!–Neditespasn’importequoi.Onestautéléphone…–Peuimporte.VousêtessaoulecommeunPolonaisetçasesentd’ici!–Bon,vousvoulezquoi?demanda-t-elleenselevantdifficilement.–OndoitexécuteruneCRI1émiseparlesautoritésnew-yorkaises.J’aideuxRicainsàcoffrersans

tarder.Unhommeetsonex-femme.C’estdulourd:affairededrogue,doublemeurtre,délitdefuite…–Pourquoilejugen’a-t-ilpassaisilaPJdeParis?–Jen’ensaisfoutrementrienetjem’enbalance.Toutcequejesais,c’estquec’estànousdefairele

job.Constancesecoualatête.–C’estàvous.Moi,jenefaispluspartieduservice.– Bon, ça suffit, Lagrange, s’énerva le commandant. Vous m’emmerdez avec vos histoires de

démission.Vousavezdesproblèmesperso?Trèsbien:jevousailaisséetranquillequinzejours,maisàprésentarrêtezvosconneries!

Constancesoupira.Pendantuneseconde,ellehésitaàtoutluidéballer:lecancerquiluibouffaitlecerveau,lesquelquessemainesquiluirestaientàvivre,l’approchedelamortquilaterrifiait.Maiselley renonça. Sorbier était sonmentor, un des derniers grands flics « à l’ancienne », un de ceux qu’onadmire.Ellen’acceptaitpas l’idéed’attirersapitiéoude lemettremalà l’aise.Elle-mêmed’ailleursn’avaitaucuneenviedepleurerdanssesbras.

–Envoyezquelqu’und’autre.PourquoipaslelieutenantBotsaris?–Pasquestion!Voussaveztrèsbienquec’esttoujoursdélicataveclesÉtats-Unis.Jeneveuxpasde

problèmes avec l’ambassade. Vous me retrouvez ce couple et vous me le coffrez avant demain,d’accord?

–Jevousaiditnon!Sorbierfitcommes’iln’avaitrienentendu.–J’ai transféré ledossieràBotsaris,mais jeveuxquecesoitvousquisupervisiezl’opération.Je

vousenvoieunecopiesurvotretéléphone.–Allezvousfairefoutre!criaConstanceenraccrochant.

Elle se traîna jusqu’à la salle de bains pour vomir dans la cuvette un filet de bile.Depuis quand

n’avait-elleplusmangé?Plusdevingt-quatreheuresentoutcas.Laveilleausoir,elleavaitnoyésapeurdansl’alcool,prenantsoindenerienavalerpourressentirl’ivressedèslespremiersverres.Une«bitureexpress»quil’avaitenvoyéeaupaysdesrêvespendantquinzeheures.

Lesalonbaignaitdanslabellelumièreautomnaledelafind’après-midi.Constanceavaitemménagédans la maison trois semaines plus tôt, mais n’avait déballé aucune de ses affaires. Scellés par desbandesadhésives,lescartonsdedéménagements’entassaientçàetlàdanslespiècesvides.

Àquoibondésormais?Dansl’undesplacards,elletrouvaunpaquetentamédeGranola.Elleattrapalesbiscuits,s’assitsur

letabouretdupetitbardelacuisineetfituneffortpourengrignoterquelques-uns.Commenttuerletempsenattendantqueletempsnoustue?Dequiétaitcetteformuledéjà?Sartre?Beauvoir?Aragon?Lamémoireluifaisaitdéfaut.C’était

çad’ailleursquil’avaitpousséeàconsulter.Elleavaitbieneud’abordquelquessignesannonciateurs:des nausées, des vomissements, desmaux de tête,mais qui n’en souffre jamais ? Son hygiène de vien’étaitpasirréprochableetellenes’étaitpasinquiétée.Progressivement,elleavaiteudesabsences,des

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pertes demémoire qui revenaient régulièrement jusqu’à la handicaper dans son travail. Elle devenaitimpulsive, aussi, perdant peu à peu lamaîtrise de ses émotions. Puis les vertiges étaient apparus, ladécidantàallerconsulterunspécialiste.

Lediagnosticavaitétéaussirapidequebrutal.Surlecomptoirenboistrônaitunépaisdossiermédical.Compilationcruedesamaladie.Constance

l’ouvritpour la énième fois et regardaaveceffroi l’imagede soncerveaupasséaux rayonsX.Sur lescanner, onvoyait distinctement la tumeur énorme et les zonesdeprolifération cancéreusequi avaientenvahilapartiegauchedulobefrontal.Lescausesdecettemaladieétaientflouesetpersonnenepouvaitdire pourquoi lemécanisme de division cellulaire devenait subitement chaotique et semait la pagailledanssoncrâne.

Livide,ellereposalescandansledossier,enfilasoncuiretsortitdanslejardin.Il faisaitencorebon.Unlégervent fraisbruissaitdans lesfeuillages.Elleremonta la fermeturede

sonblouson,s’assitsurunechaiseetcroisalespiedssurlavieilletableenteckdéfraîchie.Elleseroulaunecigaretteenregardantlafaçadecolorée.Avecsamarquiseenferforgéquisurmontaitleperron,labâtisseavaitdesalluresdemaisondepoupée.

Constance sentit que les larmes montaient. Elle aimait tellement ce jardin avec son figuier, sonabricotier, sa haie de lilas, ses plants de forsythias et ses branches de glycine. Dès les premièressecondes de sa visite avec l’agent immobilier, avantmême d’entrer dans lamaison, elle avait su quec’était iciqu’ellevoulaitvivre…etpeut-êtreun jouryéleverunenfant.Elleen ferait son refuge,uneenclavepréservéedelapollution,dubétonetdelafoliedeshommes.

Dévastéepar l’injusticede lasituation,elleéclataensanglots.Elleavaitbeausedireque lamortétaitinéluctableetqu’ellefaisaitpartiedelavie,impossibledenepascraquersouslatrouille.

Passitôt,putain!Pasmaintenant…Elles’étouffaaveclafuméedesacigarette.Elleallaitmourirtouteseule.Commeunchienerrant.Sanspersonnepourluitenirlamain.La situation lui semblait surréaliste.On ne l’avaitmême pas hospitalisée.On lui avait juste dit :

«C’estfini.Iln’yarienàfaire.Nichimioniradiothérapie.»Simplementdesmédicamentsantidouleuretlapropositiondel’hospitaliser.Elleavaitréponduqu’elleétaitprêteàsebattre,maisonluiavaitfaitcomprendre que le combat était perdu d’avance. « C’est uniquement une question de semaines,mademoiselle.»

Pronosticsansappel.Aucuneperspectivederémission.

Unmatin,quinzejoursplustôt,elles’étaitréveilléeàdemiparalysée.Savueétaitbasseettrouble,

sa gorge nouée. Elle avait compris qu’elle ne pourrait plus donner le change à son travail et avaitprésentésadémission.

Ce jour-là, elle avait vraiment su ce qu’était la peur. Depuis, son état alternait. Parfois,l’engourdissement était total et elle ne pouvait plus coordonner ses mouvements ; d’autres fois, laparalysieétaitmoinsprégnante,luioffrantunrépitqu’ellesavaitillusoire.

Sonportablevibraàl’arrivéed’unerafaledemails.Sorbiern’étaitpasdécidéàlalaissertranquille.IlpersistaitàvouloirluienvoyerledossierdesdeuxAméricains.Presquemalgréelle,Constanceouvritles pièces jointes et commença à lire les documents. Le fugitif s’appelait Sebastian Larabee. Son ex-femme,NikkiNikovski.Ellepassaunquartd’heureplongéedanslecompterendudeleurcavaleavantdebrusquement lever les yeuxde son téléphone.Commeprise en faute.N’avait-elle pasdes chosesplus

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importantesàfaire?Nepouvait-ellepasprofiterdupeudetempsqu’illuirestaitpourmettreenordresesaffaires,revoirunedernièrefoissesprochesouméditersurlesensdelavie?

Bullshit!Commebeaucoupdeflics,elleétaitaccroàsonboulot.Fondamentalement,lamaladienechangeait

rienàl’affaire.Elleavaitbesoind’unedernièredosed’adrénaline.Surtout,ellecherchaitundérivatifàlapeurquilacernaitdetoutesparts.

Elleécrasasacigaretteetrentrad’unpasdécidédanslamaison.Dansuntiroir,ellerécupéral’armede service qu’elle n’avait pas encore rendue, le Sig-Sauer réglementaire de la Police nationale. Encaressantlacrosseenpolymèredupistoletsemi-automatique,elleretrouvadessensationsfamilièresetrassurantes.Ellerangeal’armedanssonholster,embarquaunchargeursupplémentaireetsortitdanslarue.

Elleavaitrendusavoituredefonction,maisilluirestaitsoncoupéRCZ.Lepetitbolideauxcourbeslimpideset au toit endoublebosseavait engloutiunebonnepartiede l’héritagede sagrand-mère.Ens’installant au volant, Constance eut une ultime hésitation. Était-elle capable de mener une dernièreenquête ? Allait-elle tenir le coup ou s’effondrer cent mètres plus loin, rattrapée par la fatigue et laparalysie ? Elle ferma les yeux quelques secondes et respira profondément. Puis elle fit rugirles200chevauxetsesdoutessedissipèrent.

1.Commissionrogatoireinternationale.

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Lacirculationétaitfluide.Auvolantdesoncoupé,ConstanceLagrangefilaitversMontmartre.Elle venait d’avoir Botsaris au téléphone. Le lieutenant ne l’avait pas attendue pour commencer

l’enquête. D’après ses informations, on avait utilisé la carte bancaire de Sebastian Larabee en débutd’après-mididansundistributeurautomatiquedelaplacePecqueur.

Constanceconnaissaitl’endroit:unsquareombragéentrel’avenueJunotetleLapinAgile.ÀdeuxpasduMontmartretouristique.

Drôled’endroitpoursecacher,pensa-t-elleendépassantunscooter.Oùs’étaientréfugiésl’Américainetsonex-femme?Uneplanque?Unsquat?Unhôtel,plutôt…EllerappelaBotsarispours’assurerqu’ilavaitlancéunavisderechercheauprèsdescompagniesde

taxisetdesloueursdevoitures.C’étaitbienlecas,maislesréponsesn’arrivaientqu’aucompte-gouttes.–J’attendségalementlesimagesdescamérasdesurveillancedeRoissy.ConstanceraccrochaetentrasurleGPSdesoniPhonelescoordonnéesdelaplacePecqueurpour

obtenirlalistedeshôtelsàproximité.Ilyenavaittroppourlesfaireunparun.Elledécidanéanmoinsdetenterquelquechose.LeRelaisMontmartre,situérueConstance.Commesonprénom…Ellecroyaitauxsignes,auxcoïncidences,àlasynchronicitéetauxconcoursdecirconstances.Là, ce serait trop beau tout de même… songea-t-elle en se garant en double file devant

l’établissement.Effectivement, ilnefallaitpasrêver :ellesortitde l’hôteldixminutesplus tardenayant faitchou

blanc. Dans la foulée, elle poussa jusqu’au Timhotel de la place Goudeau. L’endroit lui paraissaitsusceptibledeplaireàdesAméricains.Nouveléchec.Tropévident.

Alorsqu’elles’apprêtaitàrepartir,ellereçutunappeldeBotsaris.–Écouteça!UnchauffeurdeLuxuryCabaffirmeavoirchargélesLarabeeàl’aéroportcematinpour

lesconduireauGrandHôteldelaButte.C’estàcôtédelaplacePecqueur.Çacolleparfaitement!–Net’enflammepastroptôt,Botsaris.–J’envoieuneéquipesurplace,capitaine?–Non,laisse-moifaire.Jevaisenrepérage.Jetetiensaucourant.Constancefitdemi-tourrueDurantinetrejoignitlarueLepicpuisl’avenueJunot.Elles’engageadans

la petite impasse qui menait à l’hôtel. Le portail en fer forgé était ouvert : des jardiniers sortaient.Constanceenprofitapourpénétrerdans lapropriété sansavoirà signaler saprésence.LecoupéRCZempruntalecheminquitraversaitlejardinavantdesegarerdevantl’imposantebâtisseblanche.

Engrimpantlesmarches,Constancefouilladanslapochedesonblousonpourmettrelamainsursacartedepolice.Sonsésame.

–CapitaineLagrange,Brigadenationalederecherchedesfugitifs,seprésenta-t-elleàlaréception.

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L’hôtelièren’étaitpasbavarde.Ilfallutlamenacerpourenfinobtenirquelquesrenseignements.Oui,Sebastian Larabee et sa femme avaient bien séjourné dans son établissement, mais ils avaient quittél’hôteluneheureplustôt.

–Vousprétendezqu’ilsavaientréservécettechambreilyaunesemaine?–Parfaitement.Parl’intermédiairedenotresiteInternet.Constancedemandaàvoirleurchambre.Tandisqu’onlaconduisaitdanslasuite,elleseditquecet

élément ne cadrait pas avec ce qu’elle avait pu lire du dossier. Une réservation impliquait unepréméditation,or lesdétailsde l’enquêteaméricaine laissaiententendreque lesLarabeeavaientquittéNewYorkdanslaplusgrandeprécipitation.

En pénétrant dans la vaste pièce mansardée, la jeune flic admira sa décoration splendide etrecherchée.Aucunhommeneluioffriraitjamaisdeweek-enddansunendroitpareil…

Maisl’enquêtricereprittrèsviteledessussurlafemme.Danslasalledebains,elledécouvritunechemise puis une veste tachée de sang et, dans le salon, un bagage ainsi que des sacs de shopping àl’effigiedesplusgrandesmarques.

Deplusenplusétrange…CommesilesLarabeeétaientdavantageenlunedemielqu’encavale.–Commentétaient-ilshabilléslorsqu’ilssontpartis?–Jenem’ensouviensplus,réponditl’hôtelière.–Vousvousfoutezdemoi?–Ilsportaientdeshabitsdesoirée.–Etvousn’avezaucuneidéedel’endroitoùilsontpualler?–Jel’ignorecomplètement.Constance se frotta les paupières. Cette femme mentait, elle en était certaine. Pour lui délier la

langue,elleauraiteubesoindeplusdetemps;or,justement,c’étaitcequiluimanquait.RestaitlaméthodeDirtyHarry…N’avait-ellepastoujourssecrètementrêvédepouvoirlamettreen

pratique?C’étaitmaintenantoujamais.ElletirabrusquementleSig-Sauerdesonétui,attrapalafemmeparlecouetluipointalecanonde

l’armecontrelatempe.–Oùsont-ilsallés?hurla-t-elle.Terrorisée,lalogeusefermalesyeux.Samâchoiretremblait.–Ilsm’ont…ilsm’ontdemandéunplan,hoqueta-t-elle.–Pouralleroù?–ÀlagareduNord…Etensuiteaupontdel’Alma,jecrois.–Pourquoilepontdel’Alma?–Jenesuispassûre…Ilsparlaientd’undînersurunbateau.Jecroisqu’ilsavaientuneréservation

pourcesoir.Constance relâcha sa pression et quitta la chambre. Dans l’escalier, elle appela Botsaris. Cette

histoiredebateauetdedîner-croisièresurlaSeinelalaissaitperplexe.Enrevanche,ilfallaitabsolumentempêcherlesLarabeedeprendreletrain.LagareduNordpermettaitfacilementdegagnerl’Angleterre,laBelgiqueetlesPays-Bas.

Elletombasurlerépondeurdesonadjointetluilaissaunmessage:–AppellelesgarsdeParis-Nord.Diffuse-leurlesignalementdesLarabeeetdonnedesordrespour

qu’on renforce la surveillance des trains au départ pour l’étranger. Trouve-moi également quellecompagniedebateauxa sonponton aupontde l’Almaet vérifie s’ils ontune réservationquipourraitcorrespondreauxdeuxAméricains.Grouille-toi!

Lorsqu’elleregagnasavoiture,elleaperçutlapatronnedel’hôtelquilaregardaitdepuislafenêtredelachambre.Elleavaitreprissesespritsetluilança,furieuse:

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–Necroyezpasquel’affaireenresteralà!Jevaisprévenirvotrehiérarchieet jeporteraiplaintecontrevous.C’estvotredernièreenquête,capitaine!

Ça,jelesaisdéjà…songeaConstanceens’installantauvolant.

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Lemouvement,toujours.Surtoutnepasstagner,nepashésiter,nepass’arrêter.Perchéesursestalons,enrobedesoirée,Nikkidétonnaitdansl’ambianceélectriquedelagaredu

Nord.Dès le parvis, la densité de la foule les avait saisis.D’emblée, ils avaient eu l’impressiond’être

emportésparunevaguehumaine.Desentirbattrelepoulsdelastation.Defairepartied’unflux.D’êtreingérésetdigérésparunventreimmenseetgargouillant.

Son ticket de consigne à la main, Sebastian avait du mal à se repérer. SNCF, RATP, Eurostar,Thalys…Lagareétaituneplate-formetentaculairequibrassaitunefaunebigarrée:travailleursregagnantleur banlieue, touristes paumés, hommes d’affaires pressés, bandes de « jeunes » squattant devant lesvitrines,SDF,policiersenpatrouille…

Ilsmirentuntempsfouàlocaliserlebureaudesconsignesautomatiques,qu’ilstrouvèrentfinalementau premier niveau du sous-sol, coincé entre le début d’un quai et l’enseigne d’un loueur de voitures.C’était un local un peu glauque, sans fenêtre, à l’éclairage pisseux. Une pièce labyrinthique, tout enlongueur,quidégageaituneodeurdevestiairesmalaérés.

Endéambulant entre les coffresgrisâtres, ils gardaient unœil sur les trois numéros inscrits sur leticket.Lepremier indiquait l’emplacementde lacolonne, ledeuxième,celuiducasieret ledernier, lacombinaisonpourouvrirl’armoired’acier.

–C’estcelui-là!s’écriaNikki.Sebastiancomposalescinqchiffressurleclaviermétallique.Il tiralaporteducasieretregardaà

l’intérieur,pleind’appréhension.

Lecoffrecontenaitunsacàdosentoilebleupâle,ornéd’unlogo«ChuckTaylor».–C’estceluideJeremy!Jelereconnais!s’exclamaNikki.Elleouvritlesac:ilétaitvide.Elleleretournadanstouslessens,sanssuccès.–Ilyaunepocheintérieure,non?Elleacquiesça.Danssaprécipitation,ellen’avaitpasremarquéladoublureennyloncousueaudos

dusac.Ultimechance.Lesdoigtstremblants,elletirasurlafermetureéclairpourydécouvrir…–Uneclé?Elleexaminal’objetscintillantavantdeletendreàSebastian.C’étaitbienuneclémétalliqueàlatige

forée.Maisqu’ouvrait-elle?Ilseurentunmomentdedécouragement.L’impressionpénibledesefairebalader.Encoreetencore.

Chaquefoisqu’ilspensaienttenirunepiste,ellesedérobait.Chaquefoisqu’ilsespéraienttoucheraubut,ilss’enéloignaient.

Maisleurabattementfutdecourtedurée.

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Nikkirepritledessuslapremière.– Il ne faut pas perdre de temps ici, jeta-t-elle en regardant l’horlogemurale. Si nous sommes en

retardaupontdel’Alma,lapénichenenousattendrapas.

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Depuis trois quarts d’heure, Constance Lagrange parcourait les quais de la gare du Nord encompagnied’ungrouped’agentsdelabrigadedesréseauxferrés.

Lasurveillancede la stationavait été renforcée,mais lesLarabee restaient introuvables.Peut-êtreavaient-ilssimplementrenoncéàleurvoyageenraisondelaprésencepolicière.

Àmoinsqu’ilsn’aientjamaiseul’intentiondeprendreletrain.LeportabledeConstancevibra.C’étaitBotsaris.– Je sais où ils vont, affirma son adjoint. Ils ont une réservation à 20 h 30 sur un bateau de la

Compagniedescroisièresparisiennes.–Tutefousdemoi?–Jenemepermettraispas,capitaine.– Et ça ne t’étonne pas plus que ça ? Si tu étais en cavale à Paris, tu n’aurais pas d’autres

préoccupationsquedetemettresurtontrenteetunetd’allerdînersurunepéniche?–C’estsûr.–Resteenligne.Constance s’excusa auprèsdes flicsde laBRFen leurdemandantde restervigilants et sedirigea

versleparking.–Botsaris?demanda-t-elleenreprenantlaconversation.–Oui,capitaine.–Tumerejoinssurlesquaisdupontdel’Alma.–Jeviensavecuneéquipe?–Non,onvalescueillirendouceur.Justetoietmoi.Constancebouclasaceintureenjetantuncoupd’œilàl’horlogedesontableaudebord.–C’estunpeutardpourlesintercepteravantledépart,non?–JepeuxdemanderàlaCompagniequ’elleleretarde.–Non,silessuspectsconstatentquelebateauaduretard,ilsrisquentdeprendrepeuretdenousfiler

entrelesdoigts.–Jeprévienslabrigadefluvialeàtouthasard?–Tuneprévienspersonneettum’attends,compris?

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Letaxidescenditl’avenueMontaigneetdéposaNikkietSebastianàhauteurdupontdel’Alma.Lanuitétait tombée,mais il faisaitencorechaud.AprèsBarbèset lagareduNord,SebastianéprouvaunvraisoulagementenretrouvantunParisplusrassurant:celui,familier,desbordsdeSeineetdelatourEiffelilluminée.

Àpied,ilsrejoignirentlesbergesdelarivedroitequifilaientverslepontdesInvalides.Abritépardehautsmarronniers,leportdelaConférenceétaitlerepairedesnavettesfluvialesdelaCompagniedescroisièresparisiennes.

Lespremièresembarcationsqu’ilscroisèrentsur leurcheminrégurgitaientdesgrappesdetouristesverslesrangéesdebusdestour-opérateurs.Ilslesdépassèrentrapidementpourrejoindrelequairéservéauxbateaux-restaurants.

–Jecroisquec’estlà,lançaNikkienpointantdudoigtungrandnaviredeverreàdoublepont.Ilsseprésentèrentà l’embarcadèredeL’Amiraloù ilsdonnèrent leursnomsàunehôtessequi leur

souhaitalabienvenueetleurremitundépliantcartonné.–Ledépartestimminent,précisa-t-elleenlesescortantjusqu’àleurtable.Bardé de grandes baies vitrées latérales, le pont intérieur accueillait une petite centaine de tables

dans une atmosphère romantique. Lumière tamisée, plafond scintillant, parquet sombre, photophores àflamme vacillante glissés entre les couverts : tout avait été pensé pour créer une ambiance intimiste,jusqu’àladispositiondeschaisesquiobligeaitlescouplesàs’asseoircôteàcôte.Unefoisinstallésenborduredelaverrière,NikkietSebastianfurentunmomenttroublésparcetteproximité.Sebastianbaissales yeux, parcourant le menu qui promettait « une cuisine inventive aux saveurs subtiles brillammentcomposéeparnotrechefaveclesproduitslesplusfrais».

Tuparles…– Bienvenue, madame, monsieur, les salua une serveuse arborant une volumineuse coiffure afro

entortilléedansunfoulard.ElledébouchalabouteilledeclairettedeDieposéedansleseauremplideglaceetleurservitdeux

coupesavantdeproposerdeprendreleurcommande.Sebastian survola la carte avec condescendance. Cette situation devenait totalement ridicule. Par

politesse,Nikkifit l’effortdeconsulter lemenuetchoisitpourdeux.Laserveuseentraleurcommandesursonterminalélectroniqueetleursouhaitaunebonnesoirée.

Le bateau était plein. Beaucoup d’Américains, d’Asiatiques et de Français venus de province.Certainsfêtaientvisiblementleurlunedemiel,d’autres,leuranniversairedemariage,heureuxd’êtrelà.Devanteux,uncoupledeBostonetleursdeuxenfantséchangeaientdesplaisanteriessuruntoncomplice.Derrière,uncoupledeJaponaissechuchotaitdesmotsd’amouràl’oreille.

–Jemeursdesoif!soufflaNikkiendescendantd’untraitsacoupedevinpétillant.Elleseresservitdanslafoulée.

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–Cen’estpasduchampagne,maisc’estagréable!Soudain,lemoteurtournaplusvite,faisantvrombirlespropulseurs.Unelégèreodeurdefioulmonta

dufleuveetlebateauquittalepontdel’Alma,unenuéed’oiseauxblancsdanssonsillage.Nikki colla son visage contre la paroi de verre. En ce début de soirée, les embarcations étaient

nombreusessurlaSeine:bargesdefretvoguantaurasdel’eau,vedettesrapides,Zodiacdelabrigadefluvialeoudespompiers.DevantlesjardinsduTrocadéro,lebateaudépassaunpetitportdontlesbergesétaientprotégéespardesplatanesetdespeupliers.Certainsplaisanciersquidînaientsurlepontdeleurpénichelevèrentleurverreendirectiondespassagersdesbateaux-mouchesqui,pourlaplupart,rendirentunsigneamical.

–Madame,monsieur,voicivotreentrée:unfoiegraslandaisetsaconfituredefiguesdeProvence.D’abord dédaigneux, Sebastian engloutit le foie gras en quelques bouchées. Il n’avait rien avalé

depuisl’infâmepoissoncrumarinéachetélaveilledevantlelycéedeJeremy.Nikkinefutpasenreste.Lepaingrillé avait beau être froid et la portionde salademinuscule, elle dévora les toasts à pleinesdentspourapaiserlesgargouillisdesonestomacetvidasonverredebordeaux.

–Neboispastroptoutdemême,s’inquiéta-t-ilenconstatantqu’elleentamaitsonquatrièmeverredelasoirée.

–Toujoursaussirabat-joie,àcequejevois…–Oserai-jeterappelerqu’onestàlarecherchedenotrefilsetquel’onauneénigmeàrésoudre?Nikkilevalesyeuxauciel,maissortitmalgrétoutdesonsaclacléqu’ilsavaientrécupéréedansla

consigne. Ils la scrutèrent sous toutes les coutures. Elle n’avait rien de remarquable. L’inscription«ABUSSecurity»étaitgravéesurl’anneau.C’étaitleseuletmaigreindicedontilsdisposaient.

Sebastianpoussaunlongsoupir.Cesjeuxdepistelefatiguaient.Enlemaintenantsouspression,cesénigmesl’empêchaientdeseposeretdeprendredurecul.Enquelquesheures, ilavaitsombrédanslaparanoïa : il dévisageait chaque serveur, chaque passager comme un kidnappeur potentiel et tout luiparaissaitsuspect.

–Jevaisfaireunerecherche,décidaNikkiensortantsontéléphone.Si on avait volé le portable de Sebastian, son ex-femme avait toujours le sien. Elle lança le

navigateurInternetet tapa«ABUSSecurity»dansGoogle.Lespremièrespagesrenvoyèrent toutesaumêmesiteInternet.ABUSétaitunemarqueallemandespécialiséedanslasécurité,produisantnotammentdescadenas,desantivols,desserruresetdessystèmesdevidéosurveillance.

MaisquelrapportentrecettecléetcettecroisièresurlaSeine?

–Souriezpourlaphoto!Smileforthecamera!LächelnfürdieKamera! !Armé de son appareil, le photographe officiel de la compagnie passait de table en table,

immortalisantlescouplesdetoutesnationalités.Sebastianrefusabiensûrdeselaisserprendre,maisle«paparazzi»polyglotteinsistait:–Youmakesuchabeautifulcouple!Ilsoupiraet,pournepasfairedescandale,acceptadeposeràcôtédesonex-femme,esquissantun

sourirecrispé.–Cheese!demandalephotographe.Vatefairefoutre…pensatrèsfortSebastian.–Thankyou!Bebacksoon,promit-ilalorsquelaserveusedébarrassaitlesassiettes.LescolonnadesmétalliquesdumétroaériendeBir-Hakeimsedétachaientdanslanuit.Surlebateau,l’ambianceseréchauffaitdoucement.Unimmensecomptoirdeboiscouraitaucentre

du pont inférieur, entourant une piste surélevée sur laquelle un violoniste, un pianiste et un clone deMichaelBubléreprenaientquelquesstandards:LesFeuillesmortes,FlyMetotheMoon,MonamantdeSaint-Jean,TheGoodLife…

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Les touristes fredonnaient gentiment tandis queL’Amiral abordait à présent les rives de l’île auxCygnes.Encastrédanschaquetable,unécranfaisaitofficedevidéoguide,délivrantdesinformationsetdes anecdotes sur chaque monument devant lequel passait le bateau. Nikki régla le sous-titrage pourdisposerdelaversionanglaise.

«ÀLAPROUEDEL’ÎLEAUXCYGNESSEDRESSELACÉLÈBRERÉPLIQUEDELASTATUEDELALIBERTÉNEW-YORKAISE. QUATRE FOIS PLUS PETITE QUE SA COUSINE, LA STATUE REGARDE VERS LES ÉTATS-UNIS ETSYMBOLISEL’AMITIÉFRANCO-AMÉRICAINE…»

Arrivéauboutdel’îleartificielle,lebateaus’immobilisaquelquesminutes,permettantauxpassagersdemitraillerlepointdevueavantdefairedemi-touretderepartirlelongdelarivegauche.

Sebastianseservitunverredevin.–Cen’estpasungruaud-larose,maisilestbonquandmême,concéda-t-ilàNikki.Elle lui sourit, amusée.Malgré lui, il se laissait peuàpeugagnerpar l’ambiancebonenfant et la

beautédupaysage.LebateaulongeadoucementleportdeSuffrenetceluidelaBourdonnais.Ensemble,ilsdessinaient

deux arcs, créant une large anse qui avançait sur l’eau. Les manèges et un espace de promenades’étendaientjusqu’aupieddelatourEiffel.Mêmelesplusblaséscommeluinepouvaients’empêcherdetrouverl’endroitféérique.Lanourritureétaitmédiocre,lecroonerinsupportable,maislamagiedeParisagissait,plusfortequetout.

Ilrepritunegorgéedebordeauxenregardantlafamillebostoniennedontlatableprécédaitlaleur.C’était un couple d’à peuprès leur âge, entre quarante et quarante-cinq ans.Leurs deux enfants d’unequinzained’annéesluirappelaientCamilleetJeremy.Enlaissanttraînerl’oreille,Sebastiancompritquelepèreétaitmédecinetque lamèreenseignait lamusiquedansunconservatoire. Ilsoffraient tous lesquatre l’image d’une famille unie : embrassades, tapes sur l’épaule, plaisanteries qui fusent,émerveillementpartagédevantlesmonuments.

Çaauraitpuêtrenous,pensaSebastianavec tristesse.Pourquoicertainsparviennent-ilsà trouvercettesérénitéalorsqued’autress’engluentdanslesconflits?LecomportementetlecaractèredeNikkiétaient-ils seuls responsables de l’échec de leur famille ou lui-même n’avait-il pas sa part dans cenaufrage?

Nikkicroisaleregardbrillantdesonex-marietdevinaàquoiilsongeait.–Çanetefaitquandmêmepaspenserànous?–Àuneversiondenousquin’auraitpasdivorcé…Nikkiprécisa,commesielleréfléchissaitàvoixhaute:–Cenesontpasnosdifférencesquiontposéproblème,c’estlafaçondontnouslesavonsgérées:

notre incapacité ànous entendre sur l’éducationdes enfants, ton refusquenousprenions ensemble lesdécisionsconcernantleuravenir,cettehainequetuasdéveloppéecontremoi…

–Attends,nerenversepaslesrôles,s’ilteplaît!Tuveuxquejeterappellecequiaprécipiténotreséparation?

Elleleregarda,sidéréequ’ilremettecettehistoiresurletapis,maisilpoursuivit,delahargnedanslavoix:

–Tuas«oublié»d’allerchercherlesenfantsàl’écoleparcequetuétaisentraindetefairesauterpartonamantàl’autreboutdeBrooklyn!

–Arrêteavecça!ordonna-t-elle.–Non,jen’arrêteraipas!cria-t-il.Parcequec’estlavérité!Netevoyantpasarriver,Camilleet

Jeremyontdécidéderentreràpiedàlamaison.Ettutesouviensdecequis’estpasséensuite?–Tuesvraimentdéloyal…–DeuxjoursdecomapourCamillequis’estfaitrenverserparuntaxi!

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Emportéparsonélan,Sebastiannes’arrêtaitplus:–Et lorsque tum’as rejoint à l’hôpital, tupuais l’alcool !C’est unmiraclequeCamille s’en soit

sortiesansséquelle.Partafaute,elleestpasséeàdeuxdoigtsdelamortetça,jenetelepardonneraijamais!

Nikkiselevabrusquement.Ilfallaitmettreuntermeàcetteconversation.C’étaitplusqu’ellen’enpouvaitsupporter.Encore sous le coup de la colère, Sebastian n’esquissa pas lemoindre geste pour la retenir. Il la

regardaquitterlatableetprendrel’escalierpours’éclipserverslepontsupérieur.

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LecoupéRCZdescenditlarampequimenaitauportdelaConférence.ConstancesegaraàcôtédelavoituresérigraphiéedeBotsaris.Appuyécontrelecapot,lejeunelieutenantétaitentraindefumerunecigarette.–Tu n’as rien trouvé de plus voyant ? lui reprochaConstance. Pourquoi pas les gyrophares et la

sirène,tantquetuyes?–Nevousénervezpas,patron,j’aiattenduquelebateausoitpartipourgarermacaisse.Constanceregardasamontre.20h55.–Onestcertainsqu’ilssontsurlebateau?–Oui.Leshôtessesm’ontconfirméquelaréservationavaitbienétéhonorée.–Ilsontpeut-êtreenvoyédescomplices.Est-onbiensûrsquecesonteux?Botsaris avait l’habitude de l’exigence de Lagrange. Il sortit de son blouson deux photographies.

Deuxcapturesd’écrandufilmprisparlacaméradesurveillancequ’iltenditàsasupérieure.Constanceplissalesyeux.C’étaientbienlesLarabee.Robedesoiréepourelleetcostumesombre

pourlui:deuxgravuresdemode.–Bellefemme,n’est-cepas?remarquaBotsarisendésignantNikki.Perduedanssespensées,laflicneréponditpas.Quelquechosenecadraitpasdanscetteenquête,et

elleétaitimpatientedesavoirquoi.–Jemesuisrenseigné,ajoutalelieutenant.Lacroisièredurepresquedeuxheures,maislebateaufait

unehalteàmi-parcours.Sitoutvabien,onlescueillerad’iciàunedemi-heure.Constancefermalesyeuxetsemassalespaupières.Jusqu’àprésent,elleavaittenulecoup,maisune

migrainesoudaineluivrillaitlecrâne.–Çava,capitaine?Elleouvritlesyeuxetacquiesçadelatête.–Àvraidire,aubureau,ons’inquièteunpeupourvous,avoualeflic.–Jetedisqueçava!lerabroua-t-elleenluipiquantunecigarette.Maistousdeuxsavaientqu’ellementait.

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Levents’était levésur lepontàcielouvertquioffraitauxvoyageursunevueà360degréssur laSeine.

Le visage fermé, Nikki fumait, accoudée au bastingage, le regard fixé au loin sur la majesté etl’exubérancedupontAlexandre-III.L’arche,surchargéedestatuesetdedorures,enjambaitlaSeined’unseultenant.

Sebastian la rejoignit.Elle sentit sa présencederrière sondos,mais devinaqu’il n’était pas venus’excuser.

–L’accident qu’a subiCamille estma faute, reconnut-elle sans se retourner,mais n’oublie pas lecontexte de l’époque.Notre couple était à la dérive, on se disputait tout le temps, tu neme regardaisplus…

–Rienn’excusetoncomportement,lacoupa-t-il.–Ettoi,toncomportement,tuletrouvesexcusable?explosa-t-elle.Seséclatsdevoixattirèrentlesregardsdespersonnesprésentessurlepont.Uncouplequisedispute

offresouventunspectacledivertissant…Nikkidéveloppaaveclamêmeagressivité:–Après ledivorce, tum’asexpulséede taviealorsquenotrecoupleaurait trèsbienpuperdurer,

assurémentpasentantqu’amants,non,maisaumoinsentantqueparents.–Arrêtetonjargondepsy:onestuncoupleouonnel’estpas.–Jenesuispasd’accord.Onauraitpuresterenbonstermes.Beaucoupdegensyarrivent.–Enbonstermes?Tutefousdemoi?Elle se tourna vers lui. Dans son regard, derrière la fatigue et la colère, brillait encore un zeste

d’amour.–Ilyaeudetrèsbeauxmomentsdansnotrehistoire,insista-t-elle.–Etbeaucoupdechosesdouloureusesaussi,rétorqua-t-il.–Maisreconnaisquetunet’espascomportéenadulteresponsablelorsdenotreséparation.–C’estvraimentl’hôpitalquisefoutdelacharité…luirépliquasèchementSebastian.Nikkimontaaufront:–Jecroisquetunemesurespasencoretrèsbienlaportéedetesactes.Tuasséparénosjumeaux!Tu

m’asenlevémafilleettut’escoupédetonfils!C’estignoble!–Maistuasacceptécetaccord,Nikki.–Parcequej’yaiétécontrainteetforcée!Avectonarmadad’avocatsettesmillionsdedollars,tu

auraisfiniparobtenirlagardedesdeuxenfants.Ellelaissapasserquelquessecondes,puisdécidadeluiassenerquelquechosequ’elleavaittoujours

tu.

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–Aufond, tun’as jamaisvraimentvoulu lagardedeJeremy,n’est-cepas?demanda-t-elleàvoixbasse.

Sebastiandemeurasilencieux.–Pourquoirejettes-tutonfils?insista-t-elletandisqueleslarmesluimontaientauxyeux.C’estun

garçongentil,sensibleetfragile.Ilesttoujoursenattented’uncomplimentoud’unemarqued’intérêtdetapart,maisriennevientjamais…

Sebastianencaissalesreprochesqu’ilsavaitjustifiés.MaisNikkivoulaitcomprendre:–Pourquoin’as-tujamaischerchéàleconnaître?Ilhésitaunmoment,puisserésigna:–Parcequec’esttropdur.–Qu’est-cequiesttropdur?–Ilteressembletrop.Ilatesexpressions,tonrire,tonregard,tafaçondeparler.Lorsquejelevois,

c’esttoiquejevois.Etc’estinsupportable,avoua-t-ilendétournantlesyeux.Nikkines’attendaitpasàça.Hébétée,elleréussitàarticuler:–Tuasprivilégiétonamour-propreaudétrimentdel’amourdetonfils?–J’aifaitmapartduboulotavecCamille,insista-t-il.Elleestmature,intelligenteetbienélevée.–Tuveuxlavérité,Sebastian?dit-elleleslarmesauxyeux.Camilleestunebombeàretardement.Tu

l’asmaintenuesoustoncontrôlejusqu’àprésent,maisçanevapasdurer.Etlorsqu’ellevaserebeller,turisquesdet’enmordrelesdoigts.

Sebastiansesouvintdelaboîtedepilulesqu’ilavaittrouvéedanslachambredesafille.Radouci,ils’approchapourl’entourerdesesbras.

– Tu as raison,Nikki. Je t’en prie, ne nous disputons pas. Restons soudés dans cette épreuve. Jechangerai mon comportement avec Jeremy et tu pourras voir Camille autant que tu le voudras. Je teprometsqueleschosess’arrangeront.

–Non,c’esttroptard.Lemalestfait.C’estirréparable,désormais.–Non,rienn’estirréparable,affirma-t-ilavecforce.AlorsquelebateaupassaitsouslesarchesdupontdesArtsetduPont-Neuf,ilsrestèrentuninstant

danslesbrasl’undel’autre.Puischacunrepritsesdistances.

LebateaulongeaitlesbergesauniveaudesstandsdesbouquinistesduquaiSaint-Michel.Surl’îlede

laCité,onapercevaitlaConciergerieet,àl’extrémité,lasilhouettegothiquedeNotre-Dame.Plusloin,lessomptueuxhôtelsparticuliersdel’îleSaint-Louissedétachaientdanslanuitclaire.

–Essayonsdéjàderésoudrelemystèredecetteclé,proposaNikkiaprèsavoirécrasésatroisièmecigarette. Il y a forcémentun indicequ’on adû louper.Cettemise en scènedoit avoir un sens. Il fauttrouvercequecetteclépeutouvrir…

Ensemble,ilsparcoururentlepontsupérieurdelongenlarge,cherchantsanssuccèsuneserrureouuncadenas.Leventsoufflaitfort,rendantlanuitplusfroide.CommeNikkifrissonnait,Sebastianentourasesépaulesdesaveste.Ellerefusaunepremièrefois,maisilinsistaetellefinitparselaisserfaire.

–Regarde!cria-t-ilsoudainendésignantlarangéedeboîtesmétalliquesquiabritaientlesgiletsdesauvetage.

Ilyavaitunedemi-douzainedecoffres,chacunprotégéparuncadenas.Nerveusement,ilsessayèrentdeglisserleurclédanstouteslesserrures,maisaucunenesedébloqua.

Etmerde…Découragée, Nikki alluma une nouvelle cigarette qu’ils se partagèrent en silence, penchés sur le

garde-corps de la plate-forme. Les berges étaient noires demonde, offrant, comme une succession devignettes, de petites « Seine de vie » : dans une ambiance festive, des familles pique-niquaient, des

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amoureuxsebécotaient,uncoupleplusâgédansaitauborddel’eaucommedansunfilmdeWoodyAllen.Plusloin,deszonardszonaient,desgroupesdecopinespouffaientenadressantdesdoigtsd’honneurauxpassagers,unpunkàchienfumaitunjointlongcommelebras.Beaucoupd’alcoolpartout:litrons,packsdebière,vodka.

–Viens,rentrons,murmura-t-elle.J’aifroid.Ilsregagnèrentlepontinférieur.Dans le salon, l’ambiance battait son plein. Timide au début du repas, l’assistance reprenait

maintenantleschansonsàpleinevoix.Untouristeaméricainvenaitmêmedefairesademandeenmariageens’agenouillantdevantsafiancée.

Nikki etSebastian retrouvèrent leur table.On leur avait servi le plat principal.Dans l’assiette deSebastian, un filet de bœuf froid côtoyait une béarnaise figée. Dans celle de Nikki, deux misérablesgambas se battaient en duel sur une galette de risotto. Alors qu’ils picoraient quelques bouchées denourrituremalréchauffée,unviolonistes’approchad’euxet joua lespremièresmesuresdeL’Hymneàl’amour.Cettefois,Sebastianlefitdéguerpirsansménagement.

–Ressers-moiduvin,demandaNikki.–Arrêtedeboire,tuvasêtresaoule.Etnotrebouteilleestvide.–Etalors,sij’aienvied’êtreivre!C’estmonaffaire!C’estmamanièreàmoidefairefaceàcequi

nousarrive.Nikki se leva et parcourut du regard les différentes tables à la recherche d’une bouteille. Elle en

trouvauneàpeineentaméesurunedesserteprèsdubaretlarapportaàsaplace.Elleseversaunnouveauverresousleregardconsternédesonex-mari.Dépité, Sebastian détourna la tête vers la paroi vitrée.Nouvelle ponctuation dans la croisière, le

bateau arrivait devant le tablier d’acier du pont Charles-de-Gaulle. Plus moderne que les édificesprécédents,ilressemblaitàuneailed’avionprêteàfendreleciel.Bientôt,lenavireéclairalesbergesdesespuissantsprojecteurs,révélantainsiunemisèreinattendue:encontrebasdupont,denombreuxSDFavaientinstalléleurbarda,leurtente,leurbrasero.Un«spectacle»quimitmalàl’aiselespassagersetternit l’ambiancejusque-làenjouée.Celafaisaitéchoaufameux«syndromedeParis».Chaqueannée,lesambassadesrapatriaientainsidesdizainesdetouristesdéstabilisés,jusqu’às’enrendremalades,parledécalageentrelavisionidéaleduParisqu’onleurvendaitdanslesfilmsetcelleplusrugueusedelaréalitédelacapitale.Surlebateau,cetroubleneduraguère.Lenavirerepritsacourseverslestoursdeverredela«grandebibliothèque»,avantdefairedemi-tourauniveaudeBercypourrevenirrivedroite,vers le Paris historique des cartes postales et des dépliants touristiques. Lamusique se fit alors plusentraînanteetlemalaisesedissipacomplètement.

Nouvellegorgéedevin.Enapparence,l’alcoolbrouillaitl’espritdeNikki,maisilexacerbaitaussisasensibilité.Elleétait

persuadéed’avoirlaissépasserquelquechose,uneévidence.Ellen’essayaitmêmeplusdeseconcentrer.Cen’étaitpasuneanalyserationnellequil’aideraitàretrouverJeremy,maisplutôtsoninstinctmaternel.Danscegenredesituation,l’intelligencedesémotionsestplusefficacequelalogiqueetlaraison.

Loindechercheràbridersessentiments,elleleurouvritlesvannes.Ellelaissaleslarmesaffleureretlesimagessebousculerdanssatête.Leprésent,lepassésemélangeaient.Ilfallaitcependantqu’elletrouvelalimite,labonnepositionducurseur.Nepasselaissersubmergerparl’émotivité,maisl’utiliserdefaçonconstructivepourencapterlemessage.

Fiévreuse,elleregardaparlabaie.Toutsemêlaitdanssonesprit jusqu’àlanausée.Lessouvenirstourbillonnaient,sedéformaient,s’amalgamaientjusqu’àseconfondre.

Lamusiqueétaitforte.Autourd’elle,lesgensbattaientlamesure.Surlapistededanse,lepersonnelsechargeaitdésormaisdel’animation.Serveursetserveuseslevaientlajambesurunairrusse.

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Kalinkakalinkakalinkamaya…Ellebutunenouvellegorgéedevin.Malgré lachaleurde lapièce,Nikkigrelottait.Combinéàun

éclairagestroboscopique,lerefrainluidonnaitmalàlatête.Kalinkakalinkakalinkamaya…Lebateau revenait vers son point de départ.À travers les vitres, elle distingua les balcons et les

mascarons du Pont-Neuf, puis la silhouette du pont des Arts se profila à l’horizon. Elle regarda lesgrillagesde lapasserelle. Ilsbrillaientdemille feux.Elleplissa lesyeuxetaperçutdesdizaines,descentaines,desmilliersdecadenasaccrochéstoutlelongdupont.

–Jesaiscequ’ouvrelaclé!s’écria-t-elle.ElledésignaàSebastianlevidéoguideencastrédanslatable.Ensepenchantsurlepetitécran,ils

lurentl’anecdoteserapportantaumonument:

«ÀL’IMAGEDUPONTPIETRAÀVÉRONEOUDUPONTLUZHKOVÀMOSCOU,LEPONTDESARTSESTDEVENUDEPUISQUELQUESANNÉESUNLIEUDEPRÉDILECTIONPOURLESAMOUREUXQUIVIENNENTYACCROCHERUN“CADENASD’AMOUR”,SYMBOLED’UNEUNIONINDÉFECTIBLE.DÉSORMAISBIENRODÉ,LERITUELESTTOUJOURSLEMÊME:LECOUPLEATTACHESONCADENASAUGRILLAGEAVANTDEJETERPAR-DESSUSL’ÉPAULELACLÉDANSLASEINEETDESCELLERLEURAMOURPARUNBAISER.»

–Ilfautqu’ondescende!Ilsserenseignèrentauprèsd’unmaîtred’hôtel.Lebateaumarqueraitunehalteaupontdel’Almadans

moinsdecinqminutes.Gagnés par l’excitation, Nikki et Sebastian se rapprochèrent de la balustrade pour emprunter la

passerelledèsquelebateauaccosterait.L’Amiral dépassa la façade du Louvre, le port des Champs-Élysées, avant de s’arrêter à son

embarcadère,aupontdel’Alma.Alorsqu’ilsseprécipitaientpourdébarquer,Nikkiattrapasonex-mariparlamanche.–Attends!Ilyadesflics!Sebastianregardasurlequai.Unefemmeenblousondecuiretunjeunetypeàladémarcheassurée

s’apprêtaientàmonteràbord.–Tucrois?–C’estdesflics,jetedis!Regarde.Deloin,ilaperçutune307sérigraphiéeauxcouleursdelaPolicenationale.Sebastiancroisaleregarddelajeunefemme.Lesdeuxflicscomprirentqu’onlesavaitrepérésetse

ruèrentsurlapasserelle.NikkietSebastianrebroussèrentchemin.Avantderejoindrelepontsupérieur,Sebastianattrapasur

unetableuncouteauquiavaitcertainementserviàtrancherunfiletdebœuftropcuit.

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Encroisant leregarddeSebastian,ConstanceLagrangesutquel’Américain lesavait repérés.Ellesortitsonpistoletetlepointaenl’air,brasrepliécontresoncorps.

–Pasdecoupdefeuintempestif!ordonna-t-elleàBotsarisenarrivantdanslesalonderéception.Àlavuedesarmesà feu,certainsvoyageurspoussèrentdescrisdepanique.Déboulanten trombe

danslasallederestaurant,lesdeuxflicsrenversèrentplusieurstablessurleurpassage.Avecl’avaldeConstance, Botsaris se précipita le premier dans l’escalier qui menait au pont supérieur, mais il futincapabled’ouvrirlaporteenmétal.

–Ilsontcoincél’ouverture!s’exclamalelieutenant.Constancebattitenretraite.Elleavait repéréunautreaccèsà l’arrièredubateau :uneéchellequi

grimpait sur le pont. Elle fut sur la plate-forme en moins de trois secondes. De loin, elle distinguaLarabee qui s’était introduit dans la timonerie par une porte à double battant. Armé d’un couteau, ilmenaçaitlepilotepourleconvaincrederemettrelesgaz.Ellefitquelquespaspourserapprocher,maisattenditdesentirlaprésencedeBotsarisdanssondospourmettreenjouelefugitif.

–Plusungeste!cria-t-elleaumomentoùlebateauprenaitdelavitesse.Laflicperditl’équilibre,maisserattrapaàl’épauledesonadjoint.Elleplissalesyeux.L’Américain

étaitmaintenantmontésurlepostedepilotageetcherchaitàpersuadersonex-femmedel’yrejoindre.–Accroche-toiàmoi,Nikki!–Non,jenevaispasyarriver!–Onn’apaslechoix,chérie!Constancelevitattrapersafemmeparlamainetlahisserdeforcesurlapetitecabinesurélevée.Laflicrépétasasommationsanslemoindrerésultat.Ellel’avaitdanssalignedemire,maishésitait

àtirer.Que cherchaient-ils à faire ? Le pont d’Iéna était encore loin. Le bateau abordait la passerelle

Debilly,unpontpiétonenarcquitraversaitlaSeinedepuisl’avenuedeNew-Yorkjusqu’auquaiBranly.Ilsnevontquandmêmepass’yaccrocher?Lapasserellen’étaitpastrèshaute,maissuffisammentpourrendrelamanœuvresinonimpossible,du

moins périlleuse, surtout à cette vitesse. Constance pensa aux films de son enfance dans lesquels onvoyaitBelmondoeffectuerdescascades spectaculairesdansParis.MaisSebastianLarabeen’étaitpasBelmondo.C’étaitunluthierdel’UpperEastSidequijouaitaugolfledimanchematin.

–Jepeuxluitirerdanslesjambes,capitaine,proposaBotsaris.–Paslapeine.Ilsneparviendrontjamaisàs’accrocher.Lepontesttrophautetlebateauvatropvite.

Ilsvontjustesefoutreàl’eau.AppellelaFluviale,quaiSaint-Bernard.Demande-leurdenousenvoyerdurenfortpourlesrepêcher!

Lebateauavançaitinexorablementverslescontoursilluminésdelapasserelle.Àpartlespylônesenmaçonnerie ancrés près des berges, le pont n’était que structure d’acier et platelage en bois ambré.

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Comme la tourEiffel, l’ouvrage faisait partiede cesprototypesmétalliques construits à l’oréeduXXesiècle.Conçusinitialementpourêtreprovisoires,ilsavaientfinipartraverserlesiècle.

Àl’instinct,Sebastians’élançaetbonditpours’accrocheràlacharpente.Nikkijetaseschaussuresàtalonsetsautaàsasuite,s’agrippantàlatailledesonex-mari.Doubletimingimpeccable.

Lachanceinsolentedudébutant…D’un bond, Constance grimpa sur le toit du poste de pilotage,mais la partie était déjà jouée. Le

bateauavaitdépassélepontetvoguaitverslesjardinsduTrocadéro.Derage,elle lâchaunjuronenregardantdeloinlesdeuxsilhouettesquisehissaientsur le tablier

suspendudelapasserelle.

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Main dans la main, Nikki et Sebastian couraient à perdre haleine sur la voie express de la rivegauche.Àtravers leflotdesvoitures, ilssefaufilèrentdanslecouloirprivéqui longeait lemuséedesArtspremiersetdébouchèrentsurlaruedel’Université.

–Jettetonportableettoutcequipourraitservirànousrepérer!ordonnaSebastian.Danssacourse,Nikkisedélestadeson téléphone.Elleboitait.Lorsde leurfuitepérilleusesur la

péniche,lebasdesarobes’étaitdéchiréetsonpieddroitavaitheurtélarambardemétallique.Quefaire?Oùaller?Ils reprirent leur souffle sous un porche de l’avenue Rapp. La police aux trousses, ils étaient

désormaisdans lapeaudefugitifs.Parunmiraculeuxconcoursdecirconstances, ilsavaientéchappéàune arrestation programmée, mais combien de temps encore réussiraient-ils à rester maîtres de leursmouvements?

Àprésent,ilfallaitqu’ilsgagnentlepontdesArtspourmettrelamainsurcemystérieuxcadenas.Ilsnedevaientdoncpass’éloignerdelaSeine,toutenprenantd’énormesprécautions.

Délaissant le métro et les grandes artères du 7e arrondissement, ils se perdirent dans les ruessecondaires, rebroussant chemin à l’apparition du moindre uniforme, changeant de trottoir à chaqueattroupementsuspect,sibienqu’ilsmirentprèsd’uneheureavantderejoindreleurdestination.

Malgrélasaison,unparfumd’étéflottaitsurlepontdesArts.Entièrementpiétonne,lapasserellemétalliqueoffraitunpointdevueexceptionnel:d’unseulregard,

onpouvaitembrasserlesarchesduPont-Neuf,lesquareduVert-GalantetlestoursblanchesdeNotre-Dame.

NikkietSebastians’avancèrentprudemmentsurlapasserelle.Ilfaisaitencorechaud.Étonnammentchaudmêmepourlami-octobre.Enrobecourte,poloouvestelégère,denombreuxjeunesgenss’étaientregroupésenpetitscercles,assisàmêmelesolpourpique-niquerenrefaisantlemondeouenchantantautour d’une guitare. L’ambiance était cosmopolite et les « repas » populaires : chips, sandwiches,pouletsrôtis,barreschocolatées.

Scène inimaginable aux États-Unis1, l’alcool était consommé ouvertement et en grande quantité.Blonde,rousse,brune,rouge,rosé,blanc…Detrèsjeunesgens–dontcertainsn’étaientsansdoutepasmajeurs–descendaientàunevitessehallucinantedescanettesdebièreetdesverresdevinàrépétition.L’atmosphèreétaitmalgrétoutbonenfant.

Accrochésauxrambardes,les«cadenasd’amour»couraientdesdeuxcôtés,surtoutelalongueurdupont.Combienyenavait-il?Deuxmille?Troismille?

–Onn’yarriverajamais…sedésolaNikkientirantlaclédesonsac.

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Sebastian s’agenouilla au pied du parapet. La plupart des cadenas étaient marqués au feutreindélébileougravésdirectementdanslemétal.Leplussouvent,deuxinitialesoudeuxnomssuivisd’unedate:

T+L-14oct2011Elliott&Ilena-21octobre

Intérieurement,Sebastiansourit.Enelles-mêmes,cespromessesd’amouréternelétaientrespectables.Ainsi cadenassés, les cœurs des amants semblaient immuablement scellés. Mais sur ces milliers desermentssolennels,combientraverseraientréellementl’épreuvedutemps?

À son tour, Nikki s’agenouilla pour examiner les love locks. Il y en avait de toutes les tailles.Certainspeints,d’autresenformedecœur,ornésd’inscriptionsattendues:

Jet’aime/Tiamo/Tequiero…

D’autresprônaientdesformesd’amourmoinsconventionnelles:

B+F+A

Voirecarrément«libertines»:

John+Kim+Diane+Christine

Ounostalgiques:

Letempspasse,maislessouvenirsrestent…

Ouplusvenimeuses:

SolangeScordeloestunegrossepute.

–Neperdonspasdetemps!serepritSebastian.Ilssepartagèrentletravail.Enamont,Sebastianrepéraitlescadenasportantl’inscriptionABUSet

lessignalaitensuiteàNikkiquiessayaitdelesouvriraveclaclé.Ellenotaquetouteslesdatesétaientrécentes,signeque,pourpréserverlegrillage,lamairieoulapréfecturedevaitdécouperlescadenasàintervallesréguliers.

Maisleurpetitmanègeétaitsuspectetattiraitlesregards.Sansparlerducôtéfastidieuxdelatâche.ABUS –ABUS –ABUS –ABUS…Cette entreprise allemande dont ils n’avaient jamais entendu

parlerauparavantcannibalisaitapparemmentlemarchédescadenas:presqueunsurdeuxportaitlelogodel’enseigne!

– Même en y passant la nuit, on n’en viendra pas à bout, se lamenta Sebastian alors que deuxpoliciersentenuearrivaientsurlepont.

–Attention!Ilseurentunmêmemouvementderecul,mais,àpremièrevue,lesdeuxagentsenuniformen’étaient

là que pour rappeler aux fêtards qu’un décret préfectoral interdisait la consommation d’alcool sur lapasserelle.Feignantlabonnefoi,lesjeunesrangèrentlesbouteillesdansleurssacsavantdelesressortirdèsquelesflicseurenttournélestalons.

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Lespoliciersn’étaientpasdupes,maisilsn’avaientsansdoutenilesmoyensnilesinstructionsdefaire respecter strictement la loi. Ils s’inquiétèrent davantage de l’état de santé d’un saoulard quimenaçaitdesejeteràl’eau.Ilsdiscutèrentaveclui,essayantdeleraisonner,maisl’ivrognelesinsultaetcommençaàsemontrerviolent.L’undesagentsserésolutàappelerdesrenfortsparradio.

–Dansdeuxminutes,lapasserellevagrouillerdeflics,s’inquiétaSebastian.Ilfautqu’onparte.–Pasavantd’avoirtrouvé!–Tuesunevraietêtedemule!Unefoisentôle,onserabienavancés!– Attends, j’ai une idée ! Contente-toi de repérer les cadenas « personnalisés » : ceux avec une

touchedepeinture,unrubanouunsignedistinctif.–Pourquoi?–Jesuispersuadéequ’onnousalaisséunindice.Ilssemirenttouslesdeuxàl’ouvrage.Certainscadenasétaientcustomisésauxcouleursd’uneéquipe

defoot–«VivaBarcelona!VivaMessi!»–,d’unmouvementpolitique–«YesWeCan»–oud’unepréférencesexuelle–ledrapeaumulticoloregayfriendly.

–Viensvoirça!Àmi-hauteur,àl’unedesextrémitésdupont,uncadenasdegrandetailleportaitdeuxautocollants:

l’unreprésentantunviolon,l’autreornédufameuxlogoILoveNewYorkquihabillaittantdetee-shirts.Difficiledefaireplusclair.Nikkitournalaclé.Lecadenass’ouvrit.Elle voulut l’examiner à la lumière des réverbères, mais, déjà, les agents envahissaient le pont.

SebastiantiraNikkiparlebras:–Partonsd’ici,vite!

1.AuxÉtats-Unis,lavented’alcoolestinterditeauxmineursetsaconsommationinterditedansleslieuxpublics.

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LEMONDEFASCINANTDUTATOUAGEMAORICoincédanssonbureausansfenêtre,LorenzoSantosreposalelivredanslequelils’étaitplongéune

bonnepartiedel’après-midi.Il avait appris une foule de choses intéressantes, mais aucune susceptible de faire avancer son

enquête.Frustré,ilsefrottalespaupièresetrejoignitlecouloirpours’offrirunsodaaudistributeur.

OUTOFORDER1

Manquaitplusqueça…Encolère,ilabattitsonpoingsurlamachinedontlapancartesemblaitlenarguer.Ya-t-ilencoreuneseulechosequifonctionnecorrectementdanscepays?Pour se calmer, Santos sortit dans l’arrière-cour avec l’intention d’enquiller quelques paniers. Le

soir tombaitdoucementsurBrooklyn.Àtravers legrillage, il regardalesoleilquisecouchaitdansuncielrougeoyant.Ilattrapaleballondebasketettentadeloinunpremiertir.Leballontouchalecerclemétallique,hésitaunmomentpuisretombadumauvaiscôté.

Décidément,pasdeveine…Son enquête aussi piétinait.Malgré l’aide de la police scientifique, il n’avançait guère. En fin de

matinée, il avait pourtant reçu un rapport détaillé, rédigé par un expert en éclaboussures de sang. Lespécialiste y interprétait la scène de crime de façon très pertinente, reconstituant avec précision ledéroulédel’affrontement.DrakeDeckeravaitététuéenpremier,éviscéréparle«Maori»dontonavaitretrouvé les empreintes sur le couteau de combat. LeMaori était mort ensuite, trucidé par SebastianLarabeeavecunmorceaudeverre.QuantauxempreintesdeNikki,ellesavaientétérelevéesàplusieursendroits,etnotammentsurlaqueuedebillardquiavaitcrevél’œildugéantavantsamort.

Maiscetenchaînementnedisaitriendesmotivationsdesprotagonistes,nidel’identitédu«troisièmehomme».Le typene figurait suraucunebasededonnéespolicière.Plus le tempspassait,plusSantosétait persuadé qu’en dépit de son tatouage l’homme n’était pas polynésien. Le policier avait sollicitél’aide deKerenWhite, l’anthropologue duNYPD qui travaillait au sein du 3eprecinct,mais elle nel’avaitpasencorerappelé.Commeilattendaitbeaucoupdel’identificationdecetatouage,ilavaitessayédemenersespropresrecherches,sansrésultat.

À présent, Santos enchaînait les paniers, retrouvant peu à peu confiance en lui, se libérant de latensiondanslaquelleleplongeaitcetteenquête.

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Plusieursfoisdanssacarrière,ilavaiteudesintuitionsàproposd’uneaffaireenfaisantunfootingouen jouant aubasket.Enplein effort, certains éléments trouvaient un éclairagenouveau, des faits enapparenceisolésseconnectaientdefaçonlimpide.Pourquoipascettefois-ci?

Leflicessayadoncdeconsidérerlesévénementssousunangleneuf.Et si la clé du mystère tenait moins dans l’identité duMaori que dans la personnalité de Drake

Decker?Quesavait-ilvraimentdupropriétaireduBoomerang?Drakeétaitunepetitefrappedontlafamille

était ancrée dans la criminalité depuis aumoins deux générations : son père, Cyrius, tirait perpète àRickersIsland,tandisquesonfrèrecadet,Memphis,étaitenfuitedepuiscinqanspouréchapperàunelourdepeinedeprisondansuneaffairedestupéfiants.Deckertouchaitluiaussiàlacameetsonbarétaituntripotplusoumoinsclandestin,maislesflicsducoinavaienttoujoursfermélesyeuxsursesactivités,carDrakelesarrosaitdesesbonstuyaux.

MaisquellienentrecetaigrefinetlesLarabee?Jeremypeut-être…SantosconnaissaitlefilsdeNikki.Legaminnel’appréciaitguèreetl’animositéétaitréciproque.Il tiraundernierpanieret revintdanssonbureau,décidéà tenterunerecherchecroisée.Dansson

ordinateur, il entra les deux noms et lança le programme. Au bout de quelques secondes, le logicieldélivralerésultat.

Ilyavaituneoccurrence!Elle remontait àmoins d’unmois, le samedi de la première semained’octobre.Ce soir-là,Drake

avaitétéconduitauposteaprèsqu’undesesclients s’étaitplaintd’avoirété tabasséetmenacéd’unearme.Onl’avaitrelâchérapidementsansreteniraucunechargecontrelui.

Quant à Jeremy, il avait été conduit au commissariat pour le vol d’un jeu vidéo dans une galeriemarchande.

Encroisant lesdeux rapportsdepolice,onconstataitqueDrakeet l’adolescent avaientpartagé lamêmecellulependantquatorzeminutes.

Était-celapremièrefoisqu’ilssecroisaient?sedemandaleflic.Santos acquit soudain la conviction que le nœud dumystère résidait dans ce petit quart d’heure.

Quelque chose s’était passé ce soir-là entre Decker et Jeremy. Une conversation ? Un pacte ? Unaffrontement?

Quelque chose de suffisamment important en tout cas pour mettre en branle un enchaînement decirconstancesquiaboutiraittroissemainesplustardàladécouvertededeuxcadavresgisantdansunbaindesang.

1.Enpanne.

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39

–Jenepeuxpluscontinuer. J’ai tropmal ! seplaignitNikkiens’asseyant sur le trottoirde la rueMornay.

Sebastians’agenouillaprèsd’elle.–Jecroisquej’aiuneentorse,sedésola-t-elleenmassantsacheville.Ilexaminal’articulation.Elleétaitgonfléeetunelégèreecchymosecommençaitàsedessiner.Sila

douleur avait été supportable pendant deux heures, elle devenait si aiguë qu’elle empêchait à présentNikkidemettreunpieddevantl’autre.

–Courage,onyestpresque.Ilfautqu’onsetrouveunabripourlanuit.–Sais-tuseulementoùtunousemmènes?Vexé,illuidemandasielleavaitunplan.–Non,admit-elle.–Alors,fais-moiconfiance.Il lui tendit lamain pour l’aider à se relever, lui offrit son bras, et ils avancèrent clopin-clopant

jusqu’auboulevardBourdon.–OnestencoreenborddeSeine?s’étonna-t-elle.–Presque,répondit-il.Ils traversèrent la ruepour se retrouver le longd’unquaienpierreblanche.Nikki sepencha.Une

longuepromenadedeplusdecinqcentsmètrescouraitlelongdel’eau.–Onestoù,exactement?–Auportdeplaisancedel’Arsenal.EntrelecanalSaint-MartinetlaSeine.–Ettusorscetendroitdetonchapeau,commeça?– J’ai lu un article dans lemagazine touristique qui se trouvait dans l’avion. J’ai retenu son nom

parcequec’estaussiceluid’uneéquipedefootballanglaisequesupporteCamille.–Tuasunbateauamarré?l’asticota-t-elle.–Non,maisonpeutentrouverun.Enfin,saufsituastropmalpourescaladercettebarrière…Elle le regarda et ne put s’empêcher d’esquisser un sourire malgré la gravité de la situation.

Lorsqu’ilsétaienttouslesdeuxdanscetétatd’esprit,ellesesentaitinvincible.Lagrilledevaitmesurerunmètrecinquante.Unelargepancarteenboisrappelaitquel’accèsauport

était interdit aupublicde23heuresà6heuresdumatinetqu’ungardienet sonchieneffectuaientdesrondestoutelanuit.

–Tupensesquec’estquelleracedechien?Plutôtcanicheoupitbull?s’amusa-t-elleens’agrippantauportail.

Elle franchit le portillon avec difficulté et il la suivit sur les quais. Étonnamment calme, le sitecomptaitplusd’unecentainedepostesd’amarragecomprenantdesembarcationsdetoutestailles,depuis

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laboathouse la plus luxueuse jusqu’auvieux rafiot à rafraîchir.Ladispositiondes navires rappela àNikkilescanauxd’Amsterdamqu’elleavaitdécouvertslorsqu’elleétaitmannequin.

Ilsparcoururentlequai,scrutantattentivementlesbateaux.–Bon, je te rappellequ’onn’estpas làpourfaireuneacquisition,s’impatientaSebastian.Onveut

justedormirquelquesheures.–Celui-cin’apasl’airmal,non?–Tropluxueux.Jetepariequ’ilestéquipéd’unealarme.–Celui-là,alors.Elledésignaunpetittjalk,une«pénichehollandaise»longued’unedouzainedemètres,àlacoque

étroiteetàlaproueenparfaitarcdecercle.Sebastian plissa les yeux. Toutes les embarcations alentour semblaient désertes.On distinguait un

panneau«Àvendre»placardésurlavitredubateau.Effectivement,celui-cisemblaitparfait.Sebastiansautasurlepontet,avecuneaisancequisidéraNikki,balançaunviolentcoupdepiedquifitexploserlaporteenboisdelatimonerie.

–Ondiraitquetuasfaitçatoutetavie,constata-t-elleenlerejoignant.J’aidumalàcroirequ’ilyadeuxjourstubichonnaisencoredesviolonsdanstonatelier…

–Onn’estplusàçaprès,non?Jedoisêtrerecherchépourmeurtresurdeuxcontinents,sanscompterundélitdefuite,uneaffairedetraficdedrogue,l’agressiond’uncapitainedebateau-mouche…

–C’estça,onestBonnieandClyde!semoqua-t-elleenpénétrantdanslabarque.Delatimonerie,onaccédaitausalonorganiséautourdedeuxbanquettes.Letjalkétaituneancienne

pénichedefretreconvertieenbateaudeplaisance.Ladécorationintérieureétaitsommaire,maisplutôtaccueillante à condition d’aimer le style « vieux loup demer » : drapeaux de corsaire,maquettes denaviresenbouteille,lampesàpétrole,cordages…

Dusalon,ilsgagnèrentlecouchagedelacabinearrière.Aprèsavoirinspectélapropretédesdraps,Nikkiselaissatombersurlelit.Visiblement,sonentorseluifaisaitsouffrirlemartyre.Sebastianempiladeuxoreillersaupieddelacouchetteetl’aidaàmaintenirsachevillesurélevée.

–Jereviens.Àl’avantdubateau, ildécouvritunepetitecuisineéquipée, isoléeparuneporteàclaire-voie.Par

chance, le réfrigérateur fonctionnait. Ilvida lesdeuxbacsàglaçonsdansunsacenplastiqueavantderevenirdanslachambrette.

–C’estfroid!criaNikkialorsqu’ilappliquaitlaglacesurlazoneendolorie.–Arrêtedefairetachochotte!Çavaréduirel’enflure.Presqueinstantanément,laglacesoulageaeneffetladouleur.Nikkiprofitadecerépitpourattraper

sonsacetensortirlelovelock.–Examinonscecadenasplusattentivement.Le boîtiermétallique n’avait rien de particulier hormis les autocollants et deux séries de chiffres

gravéesl’unesousl’autre.

48540622012

–Jen’enpeuxplusdecesénigmesàlaDaVinciCode!s’énervaSebastian.– Après tout, c’est peut-être Dan Brown qui a enlevé Jeremy ! plaisanta Nikki pour détendre

l’atmosphère.Nikkiétaitcommeça.Elleavaitvolontiersrecoursàl’humourpoursurmonterlessituationslesplus

graves. C’était chez elle une seconde nature. Mais Sebastian n’était pas d’humeur. Il la foudroya duregardavantdeproposer:

–Pourquoipasunnumérodetéléphone?

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– Avec le préfixe 48 ? Çam’étonnerait. En tout cas, ça ne correspond ni aux États-Unis ni à laFrance.

–Jenesaispassil’informationestremontéejusqu’àtoi,maisilyad’autrespaysdanslemonde.Emportéparsonélan,ilsortitdanslesalon.Aumilieudufatras,iltrouvaunannuairetéléphonique

poussiéreuxqu’ilrapportadanslachambre.–48correspondàl’indicatifinternationaldelaPologne,lut-il.Nikkifutimmédiatementgagnéeparl’excitationetl’inquiétude.LaPologne:sonpaysd’origine…–Ilfautqu’onessaied’appelerlenuméro!Maiscommentprocéder?Sebastians’étaitfaitvolersontéléphone,Nikkivenaitdesedébarrasser

dusienpournepasêtrerepérée.–Ilmerestemacartedecrédit,remarqua-t-elleenagitantlepetitrectangleplastifié.Sesyeuxétaientbrillantsdefatigue.SebastianposalamainsurlefrontdeNikki.Elleétaitbrûlante

defièvre.–Onessaierad’appelerdemainmatindepuisunecabinepublique,décida-t-il.Àprésent,tudoiste

reposer.Il fit undétourpar la salledebains, attrapauneboîted’Ibuprofen et endonnaunegélule àNikki

tandisqu’elles’endormaitenmarmonnant.Puisilmitenmarchelepetitchauffaged’appointposéaupieddulitetéteignitlalumière,avantdes’éclipserparlesportesbattantes.

Lefrigoétaitvide,àl’exceptiond’unpackdeyaourtspérimésetd’unedizainedebouteillesdeMortSubite.Sebastiandécapsulaunebièreetsortitlaboiresurlepont.

Leportétaitsilencieux.Intemporel.Uneenclaveretranchéeàquelquescentainesdemètresseulementde l’agitationde laplacede laBastille.Sebastians’assitpar terre, ledosappuyécontre leboisde lacoque.Ilallongeasesjambes,pritunegorgéeetreposalecadenasdanslesacdeNikki.Ilytrouvaunpaquetdecigarettes.Ilenallumauneetprofitadel’occasionpourfouillerdansleportefeuilledesonex-femme.Commeils’yattendait,ilensortitunephotorécentedeleursenfants.CamilleetJeremyétaientdesjumeauxdizygotes.Bienquenéslemêmejour,difficilederepérerunairdefamilletantCamilleétaituneLarabee et JeremyunNikovski.C’était frappant.Camille ne ressemblait pas à samère.Elle étaitjolie,mais avecunebouille plus ronde, des fossettes, unnez retroussé et des traits doux. Jeremy, lui,avaithéritédel’ascendancepolonaisedeNikki.Unebeautéfroide,commeinaccessible,uncorpsélancé,descheveuxraides,unnezbiendessiné,desyeuxtrèsclairs.Uneressemblancequis’étaitaffirméeavecl’âgeetquimettaitSebastianmalàl’aise.

Il tira une longue bouffée de sa cigarette en se remémorant ce que lui avait reprochéNikki deuxheuresplustôt.Avait-ilégoïstementprivilégiésonamour-propreaudétrimentdel’amourdesesenfants?Sansdouteleschosesn’étaient-ellespasaussitranchées,maisellesn’étaientpasfausses.

Toutescesannées,obnubiléparsespropresblessures,ilavaitcherchéinconsciemmentàsevengerdeNikki.Animéparlarancune,ilavaitdésirélapunir,luifairepayerl’échecdeleurcouplepuisleurséparation.Maisc’estàsesenfantsqu’ilavaitsansdoutefaitleplusdemal.Cettevolontédeséparerdefaçon étanche l’éducation des jumeaux était absurde et irresponsable. Certes, il ne le découvrait pasaujourd’hui,mais,jusque-là,ils’étaittoujourstrouvédebonnesraisonspourjustifiersoncomportement.

À la lumièrede la lune,Sebastian fixait intensément laphotodeson fils.Leur relationétait floue,distante,minéeparune fouledemalentendus. Il l’aimaitbiensûr,maisd’unamourunpeuabstraitquimanquaitdechaleuretdecomplicité.

C’était en grande partie sa faute. Il n’avait jamais porté sur son fils un regard bienveillant. Il lecomparait sans cesse à Camille et la compétition n’était jamais à l’avantage de Jeremy. Trop vite, ill’avaitconsidéréavecméfiance.Unpeucommeunecauseperdued’avance.Mêmesicelan’avaitaucun

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sens, il s’imaginait que Jeremy ne pouvait que le décevoir puisque samère, à qui il ressemblait tant,l’avaitdéçuavantlui.

Cesdernierstemps,lorsqu’ilssevoyaient,ilsnepartageaientplusrien.Sebastiantraînaitparfoissonfilsàuneexpositionouàunrécitaldeviolon,maisc’étaitpourmieuxsedésolerdesonmanqued’intérêtpourcessorties.Cequiétaitinjustepuisqu’iln’avaitpasvraimentprisletempsdel’intéresseràl’artouàlamusiqueclassique.

En fouillant sa chambre avec Nikki, il avait été surpris de découvrir les rayonnages de livresconsacrésauseptièmeart.Sansdouteparpeurdesessarcasmes,Jeremyneluiavaitjamaisparlédesondésird’intégreruneécoledecinéma,nidesonprojetdedevenirréalisateur.C’estvraiqu’iln’avaitpassuluidonnerconfiancedansseschoix…

SebastianterminasabouteilleenobservantdeloinlacolonnedelaBastillequibrillaitdanslanuit.Était-ilencoretempsderattrapersesmaladressesetseserreurs?Derenouerundialogueavecson

fils?Peut-être,mais,pourcela,ilfallaitd’abordqu’illeretrouve.Ilallumauneautrecigaretteavecsonmégotetpritladécisiondenepasattendrelelendemainpour

explorer la piste du numéro de téléphone polonais.Après s’être assuré queNikki s’était endormie, ils’emparaducadenasetlemitdanssapoche.

Puisilquittalebateauensautantsurlequai.

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Reste-t-il encore une cabine téléphonique à Paris ? se demanda Sebastian en remontant leboulevardquisurplombaitleport.

Il crutd’aborden sabonneétoile en apercevant la silhouetted’aluminiumetdeverre typiquedescabinesdelacapitale,maissajoiefutdecourtedurée.L’habitacleétaitvandaliséetlecombinéarraché.

IlarrivaplacedelaBastille,maisnes’yattardapas:deuxcarsdeCRSstationnaientdevantl’Opéra.IlrepéraunenouvellecabineaudébutdelarueduFaubourg-Saint-Antoine,mais,làencore,elleétait

inutilisable.UnSDFavaitprissesquartiersàl’intérieuretdormaitsousdescouverturesetdescartons.Sebastiancontinuasaquêteendescendantlarueendirectiondumétro.JusteavantlastationLedru-

Rollin,iltrouvaenfinunappareilenétatdemarche.IlinséralacartebancairedeNikkietcomposalenumérogravésurlecadenas:

48540622012

«Bonjour.Orangevousinformequelenumérodemandén’estpasattribué.»Il réfléchitquelquessecondeset lut les indicationsaffichéesdans lacabine.S’ilvoulaitappelerà

l’étranger,ildevaitd’abordcomposerle00suividel’indicatifdupays.Ilessayadoncànouveau:

0048540622012

«Bonjour.Orangevousinformequelenumérodemandén’estpasattribué.»Ilsavaientfaitfausseroute.Encroyantreconnaîtrel’indicatifpolonais,ilss’étaientenflammés,mais

l’inscriptionn’étaitpasunnumérodetéléphone.C’étaitautrechose.Maisquoi?Enretirantlacartedelafente,Sebastianeutlatentationd’appelerCamille.Ilétait1heuredumatinà

Paris,soit19heuressurlacôteEst.Ilhésita.AprèslemeurtredeDrakeetduMaori,onavaitmanifestementlancéunmandatderecherchecontre

lui.Ilyavaitdoncdeschancesqueletéléphonedesafillesoitsurécoute.Maispeut-êtrepasceluidesamère à lui. Il soupira. De toute façon, les flics savaient déjà qu’ils étaient en France. Pourraient-ilslocaliser la cabine ? Peut-être, puisqu’il avait utilisé une carte de crédit. Sûrement,même.Mais celaprendraitdutemps.D’icilà,Nikkietluiauraientdéjàquittéleportdel’Arsenal.

IldécidadoncdetenterlecoupetcomposalenumérodesamèredanslesHamptons.Elleréponditàladeuxièmesonnerie.

–Maisoùes-tu,Sebastian?Lapoliceestvenuem’interrogercetaprès-midiet…–Net’inquiètepas,maman.

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–Biensûrquejem’inquiète!Pourquoidisent-ilsquetuastuécesdeuxpersonnes?–C’estcompliqué…–C’estencoreàcausedeNikki,n’est-cepas?Jen’aijamaisaimécettefemme,tulesais!Dansquoi

t’a-t-elleencoreentraîné?–Onparleradeçaunautrejour,situveuxbien…–EtCamille?Oùest-elle?Lapolicelarechercheelleaussi.Sebastian sentit une bouffée d’angoisse le submerger. Il eut dumal à desserrer la mâchoire pour

demander:–Camille,maiselleestcheztoi,non?Elleaprisletrainhieraprès-midipourteretrouver!Des palpitations violentes oppressaient son cœur.Avantmême qu’elle n’ouvre la bouche, il avait

devinélaréponsedesamère:–Non,Sebastian.Camillen’estpasavecmoi.Ellen’estjamaisvenuemevoir.

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Troisièmepartie

LesmystèresdeParis

«Letemps, il lesaitdésormais,neguéritrien.Letempsn’estqu’unefenêtreparlaquelleonpeutvoirseserreurs,carcesontsemble-t-illesseuleschosesdontonsesouvientclairement.»

R.J.ELLORY,Vendetta

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7heuresdumatin.Latempératures’étaitrafraîchie.Àl’angledelaruedesLilasetdelaruedeMouzaïa,lepetitbarvenaitdeleversonrideaudefer.

Les chaises étaient encore sur les tables, lamachine à café se réveillait difficilement et le chauffagepeinaitàrépandresachaleurdanslasalle.Tony,lepatron,étouffaunbâillementavantd’apporterlepetitdéjeuneràsaclientelaplusmatinale.

–Voilàpourvous,cap’taine.Installéesurunebanquettedevantsonordinateurportable,Constanceleremerciad’unsignedetête.Pourseréchauffer,lajeuneflicposasesdoigtssurlesbordsdesatasse.Vexéeparsonéchec,elleavaitpassélanuitplongéedansledossierdesLarabeeavecenfondsonore

les grésillements des fréquences radio de la police. Pendant des heures, elle avait épluché tous lesdocuments en sa possession, en quête d’un indice qui l’aiderait à remonter la piste du coupled’Américains. Elle n’avait rien trouvé, et ses collègues n’avaient pas été plus efficaces : malgré ladiffusiondeleursignalement,lesdeuxNew-Yorkaisn’avaientétérepérésnullepart.

Sorbier,sonpatron,l’avaitappeléeauxaurorespourluipasserunsacrésavon.Elleavaitacceptélaréprimande sans broncher. Samaladie n’excusait pas tout. Sur ce coup, elle était impardonnable.Elledont les états de service étaient irréprochables avait péché par excès de confiance, sous-estimant sonadversaire comme la plus naïve des débutantes. Drôle de façon d’inaugurer ses galons de capitaine.Larabeeet sonex-femmeavaient certeseude la chance,mais ils avaient faitpreuved’initiativeetdesang-froid.Desqualitésdontelleavaitcruellementmanqué.

Constanceétaitlaseulefemmedel’équiperéduited’enquêteursdelaBNRF,laBrigadenationalederecherchedes fugitifs.Souventcomparéeauxmarshalsaméricains,cetteunitéd’élite, spécialistede latraquedescriminelsencavale,étaituniqueenEurope.

Issue de la PJ, Constance était une flic chevronnée. Elle s’était démenée des années durant pourintégrer ce service.Sonmétier était sa raisondevivre.Elley avait brillamment réussi, apportant descontributions déterminantes à l’arrestation de plusieurs fugitifs « célèbres » recherchés pour descondamnationslourdesoudesévasionsspectaculaires.DesFrançaispourlaplupart,maiségalementdesétrangerssouslecoupdemandatsd’arrêtinternationaux.Ellepritunelonguegorgéedecafé,morditdansuncroissantet se remitau travail.Elleavaitperdu lapremièremanche,maiselleétaitbiendécidéeàremporterlasuivante.

Branchéesur laconnexionWi-FideTony,Constanceglanaquelques informationscomplémentairessurInternet.LenomdeSebastianLarabeeétaitassezprésentsurlaToile.Danssondomaine,c’étaitunevéritablestar.EllecliquasurunlienquilarenvoyaauportraitqueleNewYorkTimesavaitfaitdeluideuxansplustôt.Lepapierétaittitré:«L’hommeauxmainsd’or».Dotéd’uneoreillehorsducommunet d’un savoir-faire remarquable, le luthier était, d’après l’article, capable de fabriquer des violons

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exceptionnelsqui,lorsdestestsàl’aveugle,battaientlesstradivariussurleurpropreterrain.Lesproposde Larabee étaient passionnants, truffés de détails insolites sur l’histoire de la lutherie et la relationpassionnellequiunissaitcertainsviolonistesàleurinstrument.Plusieursclichésillustraientl’article.OnyvoyaitLarabeeposantdanssonatelier,vêtudefaçontrèsélégante.Enregardantlesphotos,onavaitdumalàl’imaginerdansunbarsordidedeBrooklynentraind’égorgeruntrafiquantdedrogue…

Constance réprima un bâillement et fit quelques exercices d’étirement. Jusqu’à présent, elle étaitparvenueàmaintenirlafatigueetlaparalysieàdistance.Tantqu’elleétait«branchée»sursonenquête,ellesesentaitprotégée,maisilfallaitqu’elles’accroche,qu’ellerestesouspression,qu’elleavance.

Ellefermalesyeuxpourmieuxseconcentrer.OùLarabeeetsonex-femmeavaient-ilspassélanuit?Ilsavaientlapoliceauxtrousses,finileconfortdeshôtelsdeluxeetlesdînerssurlespéniches.Tôtoutard,ilsseraientrattrapés.Tôtoutard,ilsmanqueraientd’argent,d’aide,decontacts.Lacavale,c’étaitl’enfer,surtoutpourdesgensquin’étaientpasdescriminelsendurcis.Entempsnormal,Constanceneseseraitpasinquiétée.Commeunearaignée,illuiauraitsuffidetissersesfilsetdeguetterl’erreur.Leflairet la chance étaient importants, mais c’étaient surtout la patience et l’abnégation qui permettaient derésoudrecetyped’affaires.Doncletemps.Lemeilleuralliédeceuxquitraquaientlesfugitifs.Maisletempsétaitjustementcequiluimanquait.Etilfallaitqu’ellelescoinceaujourd’hui.

Enthéorie,laBNRFpouvaitsolliciterlacoopérationdesautresservicesdepoliceetdegendarmeriepourmettreenplacetrèsrapidementdesécoutes,procéderàdesfilaturesetavoirunaccèsimmédiatàtouslesélémentsrelatifsàl’enquête.Maislesdossiersinternationauxétaientplusdifficilesàtraiter.Lesinformationstransmisespar lepaysd’origineétaientsouventparcellairesetn’arrivaientqu’aucompte-gouttes.

En consultant le dossier, elle remarqua que les investigations new-yorkaises avaient étéprincipalementmenées par le lieutenantLorenzoSantos du 87eprecinct de Brooklyn. Elle regarda samontre.Ilétait2heuresdumatinàNewYork.TroptardpourappelerSantos.Àmoinsque…

Elledécidade tenter sachance, contacta le standardducommissariat etdemanda,dansunanglaisquasiparfait,lepostedulieutenant:

–Santos,réponditunebellevoixgrave.Coupdebol.À peine Constance avait-elle décliné son grade que l’officier new-yorkais lui demandait des

nouvellesdesonenquête.Lemecétaitdelamêmeracequ’elle:unchasseurquinevivaitqueparsonmétier.IlsedésolalorsqueConstanceluiexpliquaquelesLarabeeétaientencoreenfuiteetluiposaunemultitudedequestionssurl’avancéedesesrecherches.Constanceenprofitapourluiexposerl’objetdesa démarche.Elle aurait aimé consulter les derniers relevés de téléphone et de comptes bancaires deSebastianLarabee.

–Cespiècessontenmapossession,confirmaSantos.Faites-moiunedemandeofficielle,jevouslestransmettrai.

–C’estmaintenantqu’ilmelesfaut!insista-t-elle.Pourledécider,elleluidonnal’adressedesaboîtemail,maisilraccrochasansrienpromettre.Lajeunecapitaineeutjusteletempsdeterminersaviennoiserieetdecommanderunautrecaféqu’un

tintementmélodieuxluisignalaitl’arrivéed’unnouveaucourrierélectronique.Santosn’avaitpasperdudetemps.–Tuasuneimprimante,Tony?demanda-t-elleentéléchargeantlesdonnées.

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–Nikki,réveille-toi!–Hum…–Jet’ailaisséedormirlepluspossible,maisilfautquenouspartions.Sebastiansouleval’undessabordscoulissantsquiprotégeaientlacabinedelalumièredujour.– Il commence à y avoir beaucoup demonde sur le quai, la pressa-t-il. Tiens, je t’ai trouvé des

vêtementsderechange.Nikkiémergeabrutalementdesonsommeil.Ellesemitdeboutetesquissaquelquespas.–Tonentorsevamieux?s’inquiéta-t-il.Elleacquiesçadelatête.Sachevilleavaitdésenflé.Siladouleurétaitencoreprésente,elleétaitde

nouveausupportable.–Commentt’es-tuprocuréça?demanda-t-elleendécouvrantleshabitspliéssurlachaise.–Jelesaipiquéssurlepontd’unbateau.Ets’ilteplaît,nemedispasquecen’estpastatailleou

quelacouleurneteconvientpas!Elle enfila le jean brut, le pull à col roulé et la paire de baskets.Effectivement, rien ne lui allait

vraiment.Ellesemorditlalangue,maisneputs’empêcherdes’exclamer:–Tumevoisvraimentporterdu42?– Il n’y avait pas trop le choix ! s’exaspéra-t-il. Excuse-moi de ne pas être passé par l’avenue

Montaigne!Ill’attrapaparlamainetl’entraînahorsdelapéniche.L’airétaitsecetfrais.Leciellimpidequibrillaitd’unbleuvifleurrappelaceluideManhattan.–Arrêtedemetirerparlebras!–Il fautqu’ons’éloigneauplusvite.Cettenuit, j’aiutilisé tacartebancairepour téléphoner.Mon

appelapeut-êtreétérepéré.Alorsqu’ilsparcouraientlarueSaint-Antoine,illuiracontasesinvestigationsnocturnes:lafausse

pistedunumérodetéléphonepolonais,etsurtoutladisparitiondeCamillequin’étaitjamaisarrivéechezsagrand-mère.

Lorsqu’elle apprit la disparitionde sa fille,Nikki eut une crisedepanique. Incapablede respirernormalement,ellefigeasacourseenpleinmilieudutrottoir.L’undesesbrasseraidit,samainsecrispa.Desgouttesdesueurperlèrentsursonfrontavantdedégoulinerlelongdesoncou.Unebouleseformaitdanssagorge,menaçantdel’étoufferetprovoquantunesuccessiondepalpitationsquilafirentsuffoquer.

–Jet’ensupplie,necraquepasmaintenant,l’imploraSebastian.Respire,Nikki.Calme-toi.Maisrienn’yfaisait.Emportéeparlacrisedespasmophilie,secouéepardeshoquetsdeplusenplus

violents,Nikkimenaçaitdes’effondrerenpleinerue.Sebastianabattitalorssadernièrecarte.Illasaisitfermementparlesépaules.

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– Regarde-moi, Nikki. Calme-toi. Je sais à quoi correspondent les chiffres sur le cadenas. Tucomprends?J’aitrouvéàquoicorrespondentleschiffres!

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Nikkiayantbesoindereprendredesforces,ilss’étaientinstallés,unpeuimprudemment,danslasalled’uncafédelarueVieille-du-Temple.EnpleincœurduMarais,l’endroitétaitdéjàbienanimémalgrél’heurematinale.

SebastiancomptauneparunelesquelquespiècesdemonnaiequecontenaitleportefeuilledeNikki.Hier soir, elle avait changé 50 dollars à la gare du Nord, mais ils lui avaient servi à payer le taxijusqu’aupontdel’Alma.Pourtoutefortune,ilneleurrestaitplusàprésentque6malheureuxeuros.Toutjustesuffisantpoursepartageruncaféaulaitetunetartinebeurrée.

–Tuasdequoiécrire?Nikkifouilladanssonsacettrouvaunstylo-plumeaucorpsfuselé,incrustédefineslamesdenacre.

Sebastianreconnutl’undesesancienscadeaux,maiss’abstintdetouteremarque.Sur lanappe enpapier, il recopia lesdeux sériesde chiffres tellesqu’elles seprésentaient sur le

cadenas.

48540622012

–J’auraisdûypenserplustôt,regrettaSebastian.C’étaitpourtantévident.–Qu’est-cequiétaitévident?–Degrés,minutes,secondes…scanda-t-il.–Bon,tuarrêtesdeprendretesairsmystérieuxettum’expliques!–Ils’agitsimplementdecoordonnéesgéographiquesexpriméesensystèmesexagésimal…–Çat’amusedejouerauprofesseur?–…autrementdit,lalatitudeetlalongitude,termina-t-ilencomplétantsonschéma.

Latitude:N485406Longitude:E22012

Elledigéral’informationetposalaquestionquis’imposait:–Etàquellieucorrespondentcescoordonnées?–Ça,jen’ensaisrien,reconnut-il,soudainunpeurefroidi.IlfaudraitlesrentrerdansunGPS.Ellelaissapasserquelquessecondespuisproposa:–Tutesenscapabledevolerunevoiture?Ilhaussalesépaules.–Jecroisqu’onn’apaslechoix.Ilsterminèrentleurcaféaulaitjusqu’àladernièregoutteetquittèrentlabanquette.

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En traversant la salle pour sortir du bar, Sebastian remarqua une table vide sur laquelle un clientavaitabandonnésonjournal.Leclichéenpremièrepageattirasonattention.Ildéplialequotidien,lapeurau ventre. Sa photo faisait la Une du Parisien ! Un vidéaste amateur avait dû filmer la scène du«détournement»dubateau-mouche.Sebastianfixaitl’imagedu«malfaiteur»commes’ils’agissaitd’unautre.C’était pourtant bien lui, arméd’un couteau, quimenaçait le capitainedunavire.La légendedujournalnelaissaitd’ailleursaucundoute:

TERREURSURLASEINE!Unesoiréeidylliqueatournéhiersoiraucauchemar lorsqu’uncoupledefugitifsaméricainsaprisenotage lecapitained’unepénichesur laquelledînaientdeuxcentspersonnes.(Photosettémoignagesenpage3.)

–Quisait,peut-êtrequ’unjouronenrigolera,glissaNikki.– Je crains que ce ne soit pas avant très longtemps. On est à la recherche de nos deux enfants,

maintenant.

IlsmarchaientsurletrottoirdelaruedeRivoli,endirectiondelaplacedel’Hôtel-de-Ville.–Bon,jeprendslecommandementdesopérations!lançaNikki.–Pourquoi?Tuesunespécialisteduvoldevoiture?–Non,maismoiaussijeveuxavoirmaphotodansLeParisien.Ilssepostèrentdevantlepassagepiétonsquimenaitaubâtimentdelamairiedu4earrondissement.

Ilslaissèrentpasserplusieursfeux.Nikkiguettaitlaproieparfaite.Quiseprésentaenlapersonned’unquinquagénairelégèrementdégarnietenrobé,auvolantd’uneberlineallemandederniermodèle.

–Tumelaissesfaire,maistutetiensprêtàagir.Lefeuétaitrougepourlesautomobilistes.Nikkipritunairdégagé,puisavançadequelquesmètres

surlesclousavantdetournersubitementlatêteversleconducteur.Sonbeauvisages’éclairaalorsd’unelumièreaussisoudainequ’inattendue.

–Hello!lança-t-elleàl’hommeenluifaisantunsignedelamain.Ilfronçalégèrementlessourcils,seretournapourêtrecertainquec’étaitbienluiqu’oninterpellaitet

coupalesondesonautoradio.Elleavançaversluietsepostaauniveaudelaportière.–Ididn’texpecttorunintoyouhere1!fit-elleenleregardantdanslesyeux.L’hommebaissalavitre,persuadéd’êtreprispourunautre.–Ithinkyouhavemistakenmeforsomeoneelse2…–Oh,don’tbesilly!Youmeanyoudon’trememberme3?Lefeupassaauvert.L’hommehésita.Quelqu’unklaxonnaderrièrelui.Ilavaitdumalàdétachersesyeuxdecettejeune

femmequileregardaitcommeundieudel’Olympe.Depuisquandneluiavait-onplusjetéceregard?Sebastian observait la scène de loin. Il savait que Nikki avait ce don. Il suffisait qu’elle arrive

quelque part pour que tout lemonde se retourne sur son passage. Elle rendait les femmes jalouses etdéstabilisaitleshommes.Commeça,sansriendire,sansrienfaire.Unmouvementàpeineperceptibledelatête,quelquespaillettesdanslesyeux,undébutd’étincellequipermettaientaux«chasseurs»decroirequ’ilsavaienttoutesleurschances.

–Attendez,jemegareunpeuplusloin,décidaleconducteur.Nikki lui adressa un sourire de connivence,mais, dès que la voiture s’avança, elle fit un signe à

Sebastianquivoulaitdire:«Àprésent,àtoidejouer!»

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Plusfacileàdirequ’àfaire…pensa-t-ilenserapprochantdelaberlinequivenaitdesegarerdansunpetitrenfoncementpavédelaplaceBaudoyer.L’hommesortitdesavoitureetlaverrouillad’unclic.Sebastianseruasurluietlebousculaviolemmentpourlefairetrébucher.

–Pardon,monsieur,dit-ilensepenchantpours’emparerdesclés.IldéverrouillalesportièresetlaissaNikkis’installerauvolant.–Montevite!cria-t-elle.Sebastianrestaitfigé,inquietdelapuissanceducoupportéàcetinconnudontleseultortavaitétéde

croiserleurrouteaumauvaisendroit,aumauvaismoment.–Jesuisvraimentconfus,s’excusa-t-ilencoreenvérifiantqu’ilnel’avaitpasassommé.Croyezbien

quec’estuncasd’urgenceetquenousprendronsbiensoindevotre…–Maistutegrouilles!hurlaNikki.Ilouvritlaportièreets’assitàcôtéd’elleaumomentoùellemettaitlesgazavantdetournerruedes

Archives.

Tandis qu’ils traversaient le 4e arrondissement, Sebastian alluma le navigateur GPS. Après unerapidepriseenmaindel’appareil,ilentralescoordonnéesfigurantsurlecadenas:

Latitude:N485406Longitude:E22012

PuisbasculadusystèmesexagésimalverslesystèmeGPS.Pourvuquejenemesoispastrompé,pria-t-ilalorsquelelogicieldigéraitlesdonnées.Toutenregardantlaroute,Nikkijetaitdefréquentscoupsd’œilàl’écran.Rapidement,unpointde

destinationclignota,bientôtsuivid’uneadresse:34bis,rueLécuyeràSaint-Ouen!Ils furent soudain gagnés par l’excitation. L’endroit était tout proche. À six ou sept kilomètres

seulementd’aprèslenavigateur!NikkiaccéléraenquittantlaplacedelaRépublique.Versquelnouveaupérillesconduisait-on?

1.«C’estincroyabledeterevoirici!»

2.«Jecroisquevousmeconfondezavec…»

3.«Tuplaisantes?Nemedispasquetunetesouvienspasdemoi!»

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–Tony,unautredoubleespresso,lançaConstance.–Vousenavezdéjàbutrois,capitaine…–Etalors?Tunevaspast’enplaindre!Àmoiseule,jereprésentelamoitiéduchiffred’affairesde

cetétablissement!–Cen’estpasfaux,admitlebistrotier.–Etapporte-moiunebriocheausucreaussi.–Désolé,jen’aiquedescroissants.–Ilssontrassis,tescroissants,alorstuvastesortirlesdoigtsdu…– OK, OK, capitaine… Pas la peine d’être vulgaire. Je vais vous acheter une brioche à la

boulangerie.–Rapporte-moiaussiunpainauxraisinstantquetuyes.Etprends-moilejournal.Tonyenfilasavesteetsacasquetteensoupirant.–Riend’autre,madamelamarquise?–Tuneveuxpasremonterlechauffage?Onselesgèleici.Alorsqu’ils’exécutait,Constancepassaderrièrelecomptoiravecsonordinateursouslebras.–Jetegardelaboutique.–Vousallezvousensortirtouteseuleencasd’affluxdeclients?doutaTony.Ellelevalesyeuxdesonécranetbalayalasalleduregard.–Àpartmoi,tuvoisbeaucoupdepersonnesdanscecafé?Vexé,Tonyesquissaunemouecontrariéeetpartitsansdemandersonreste.Restéeseule,ConstancechangeadestationderadiopourécouterlejournaldeFranceInfo.Àlafin

duflash,lajournalisteévoquabrièvementlatentativedeprised’otages,laveilleausoir,surunepénichedelaCompagniedescroisièresparisiennes.

«Considéréscomme trèsdangereux, lesdeux fugitifs sontactivement recherchéspar les forcesdepolice.»

Constances’activait,eneffet.Elleavait impriméleslistingsqueluiavaitenvoyésLorenzoSantos,sonhomologuedelapolicenew-yorkaise.Arméed’unsurligneuretd’unstylo,ellepointaitetannotaitlesappelstéléphoniquesdeLarabeeetlesmouvementsdefondsquiluiparaissaientsuspects.

ElleeutconfirmationdecequeluiavaitditlalogeuseduGrandHôteldelaButte.Apparemment,SebastianLarabeeyavaitbienréservéunesuiteunesemaineplustôt.Maisétait-cevraimentluiquiavaiteffectuélevirement?Rienn’étaitplusfacilequedepiraterlesnumérosinscritssurunecartebancaire.N’importequidanssonentourageauraitpuréaliser l’opération.Maisdansquelbut?ConstanceauraitaiméavoiraccèsauxrelevésbancairesetauxappelsdeNikkiNikovski,maisSantosneluiavaittransmisquedesdocuments se rapportantàLarabee.Enunsens, cen’étaitpasanormal,puisquec’était luiquiétaitviséparlemandatd’arrêt.

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Elle porta la tasse à sa bouche pour boire son café avant qu’il ne refroidisse, mais la reposabrusquement. Une ligne du relevé bancaire de Sebastian venait d’attirer son attention. Un virementPayPal daté de la semaine dernière. Une somme de 2 500 euros au profit du luthier. Elle tournafrénétiquement les pages du listing. Santos avait fait le travail jusqu’au bout : grâce au numéro detransaction,ilétaitparvenuàremonteràl’originedupaiement.Unebanquefrançaise,uneagencedelaBNPdeSaint-Ouenquiavaitversélesfondspourlecomptedesonclient:lalibrairieDesFantômesetdesAnges.

ConstancetapalenomdelabouquineriesurGooglemap.Situéeau34bis,rueLécuyeràSaint-Ouen,c’étaitunelibrairiespécialiséedanslareventedelivresraresetd’occasion.

D’un mouvement sec, elle referma son ordinateur, rassembla ses papiers, fourra le tout dans sasacocheetsortitentrombeducafé.

Tantpispourlabriocheausucre…

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LaberlinemontrasespremierssignesdefaiblesseauniveaudelaportedeClignancourt.AlorsqueNikki et Sebastian s’engageaient sur les boulevards des Maréchaux, les clignotants de la voitures’allumèrentsubitement.Nikkiessayasanssuccèsdeleséteindre.

–Laqualitéallemande,cen’estpluscequec’était,ironisaSebastianpourdétendrel’atmosphère.Presséed’arriver,Nikkiaccéléra,plongeantsouslepontduboulevardpériphériquepourdéboucher

danslesruesdeSaint-Ouen.Ilsroulaientàprésentdanslapartiesudducélèbremarchéauxpuces,maisleparadisdeschineursne

s’animaitqueleweek-endetencetteheurematinaleaucundespetitsentrepôtsdefripesetdemeublesn’étaitencoreouvert.GardantunœilsurlenavigateurGPS,NikkiempruntalarueFabrequilongeaitlepériphérique extérieur. Alors que la voiture dépassait les rideaux de fer tagués des échoppes,l’avertisseursonoresebloquasoudainetsemitàretentiràtue-tête.

–Qu’est-cequisepasse?s’inquiéta-t-elle.– La bagnole doit être équipée d’un tracker, suggéra Sebastian. J’ai un système de protection

identiquesurlaJaguar.Encasdevol,unémetteurradioactiveàdistanceleklaxonetleswarnings.–Onn’avaitpasbesoindeça!Toutlemondeseretourne!–Sanscompterquel’alarmevacommuniquerlapositionduvéhiculeauxforcesdel’ordre!Cen’est

paslemomentdesefairech…Nikkifreinabrusquementetmontasurletrottoir.Ilsabandonnèrentlavoiturequicontinuaitàhurler

etparcoururentprèsd’unkilomètreàpiedavantderejoindrelarueLécuyer.

À leur grand étonnement, le numéro 34 bis correspondait à l’adresse d’une… librairie. DesFantômes et des Anges était en effet l’annexe parisienne d’une bouquinerie américaine. Sebastian etNikkipoussèrentlaportedelaboutiqueavecunmélangedeméfianceetdecuriosité.

Sitôt l’entrée franchie, l’odeur si particulière des vieux livres les projeta dans une autre époque :celledelaGénérationperdueetdelaBeatGeneration.Delarue,lalibrairiedonnaitl’impressiond’êtreétroite,mais,unefoisàl’intérieur,onvoyaitquesesrayonnagesformaientunegrandebibliothèquequicouraitsurplusieursdizainesdemètres.

Leslivresenvahissaienttout.Surdeuxétages,desmilliersdevolumesdetoutestaillestapissaientlesmurs.Serréssurdesétagèresenboissombre,empilésencolonnesjusqu’auplafondouexposéssurdesprésentoirs,lesouvragesgrappillaientlemoindreespacedisponible.

Unparfumdepaind’épice,decannelleetdethéflottaitdansl’air.Lesilencen’étaittroubléqueparun air lointain de jazz. Sebastian s’approcha des rayonnages et les parcourut des yeux : ErnestHemingway, Scott Fitzgerald, JackKerouac, AllenGinsberg,WilliamBurroughs,mais aussi Dickens,Dostoïevski,VargasLlosa…Leclassementobéissait-ilàunelogiqueoun’était-ilrégiqueparlaloidu

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chaos ? L’endroit en tout cas avait une âme. Une atmosphère qui lui rappelait un peu son atelier delutherie.Mêmerecueillement,mêmesensationdetempssuspendu,debulleprotectrice.

–Ilyaquelqu’un?demandaNikkiens’avançant.Au fond du rez-de-chaussée, un espace avait été aménagé en cabinet de curiosités, qui rappelait

l’ambiancedesrécitsdeLovecraft,PoeouConanDoyle.Surquelquesmètrescarrés,unherbier,unjeud’échecssculpté,diversanimauxempaillés,unemomieetsonmasquemortuaire,desestampesérotiqueset une collection de fossiles essayaient de seménager une place aumilieu des ouvrages reliés.Nikkigratta la têted’unchatsiamoisquis’étiraitdansunfauteuildéfoncé.Gagnéepar l’atmosphèredu lieu,ellecaressalestouchesenébèneetenivoirejaunid’unvieuxpiano.Onétaitdansuneautreépoque,loind’Internet,destablettesnumériquesetdesebooksàprixdiscount.Unendroitproched’unmusée,maisquin’avaitmalheureusementaucun lienavec ladisparitiondeJeremy.À l’évidence, ilsavaient fait fausseroute.

Soudain,leplanchercraquaàl’étage.NikkietSebastianlevèrentlesyeuxdansunmêmemouvement.Uncoupe-papieràlamain,unvieuxlibrairedescenditl’escalierbranlantquimenaitausalondelecture.

–Jepeuxvousaider?demanda-t-ild’untonbourru.Stature impressionnante,cheveux roux,visagecrayeux : lebonhommedégageaitune impressionde

puissance,etsonallured’ogrelefaisaitressembleràunvieilacteurshakespearien.–Nousavonsdûfaireerreur,s’excusaSebastiandansunfrançaismaladroit.–Vousêtesaméricains?demandal’hommedesavoixrauque.Ilchaussaseslunettespourdévisagersesvisiteurs.–Maisjevousconnais!s’exclama-t-il.SebastiansongeatoutdesuiteàsonportraitàlaUneduParisien.Prudent,ilreculad’unpasetincita

Nikkiàfairedemême.Avecunevivacitéfélinequicontrastaitavecsonpoids,levieilhommebonditderrièresoncomptoir

etfouilladansuntiroirpourensortirunephotographie.–C’estvous,non?demanda-t-ilentendantleclichéàSebastian.Cen’étaitpasl’articledujournal,maisunephotounpeufanéedeluietdeNikki,prisedepuisles

jardinsdesTuileriesaveclemuséed’Orsayenarrière-plan.Ilretournal’imageetreconnutauversosapropreécriture:Paris,QuaidesTuileries,printemps1996.LeclichédataitdeleurpremiervoyageenFrance.Àcetteépoque,ilsétaientjeunes,amoureux,souriants,etlaviesemblaitleurtendrelesbras.

–Oùavez-voustrouvécettephoto?l’interrogeaNikki.–Ehbien,dansleroman!–Quelroman?– Celui que j’ai acheté sur Internet il y a quelques jours, expliqua-t-il en se dirigeant vers un

présentoirvitré.Suspendusàseslèvres,NikkietSebastianluiemboîtèrentlepas.–Unetrèsbonneaffaire,continua-t-il.Unvendeurmel’aproposéàmêmepaslamoitiédesavaleur.Avec précaution, il souleva la protection de verre avant de se saisir d’un volume à l’élégante

couvertureroseetnoir.–Une édition limitée deL’Amour aux temps du choléra deGabrielGarcíaMárquez. Signée par

l’auteur.Iln’enexistequetroiscentcinquanteexemplairesdanslemonde.Incrédule,Sebastianexaminal’ouvrage.C’étaitlecadeauqu’ilavaitfaitàNikki,aprèsleurnuitdans

lepetithôteldelaButte-aux-Cailles.Aprèsleurdivorce,ilnes’étaitpasmontrétrèsbeaujoueur.Prisd’unbesoindereniersonamour,ilavaitrécupérélelivrequisemonnayaitàplusieursmilliersdedollarssur les sites de vente en ligne. Mais comment l’ouvrage pouvait-il se retrouver dans cette librairiepuisqu’illegardaitchezlui,àManhattan,protégédanssoncoffre-fort?

–Quivousarevenducelivre?

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–Un certain Sebastian Larabee, précisa le libraire après avoir tiré un carnet de la poche de soncardigan.Dumoins,c’estcequemonvendeurm’aaffirmédanssonmail.

–C’estimpossible:Larabee,c’estmoi,etjenevousairienvendu!–Sic’estlecas,quelqu’unausurpévotreidentité,maisjenepeuxrienfairepourvous.Consternés, Nikki et Sebastian échangèrent un regard abattu. Quel était le sens de cette nouvelle

énigme?Versquellepistedevaient-ilss’orienteràprésent?Nikkiattrapauneloupesurlecomptoiretexaminalaphotoplusattentivement.Lesoleilsecouchaitdansuncielpourpre.Surlafaçadedumuséed’Orsay,ondistinguaitlesdeuxgrandeshorlogesquiindiquaient6heuresetdemie.Uneheure,unlieu:lejardindesTuileriesà18h30.C’étaitpeut-êtreunnouveaurendez-vous…

ElleouvritlabouchepourfairepartdesesremarquesàSebastian,maisquelqu’unpoussalaportedelalibrairie.Ilslevèrentlatêteverslenouvelentrant.C’étaitunejeunefemmeblondevêtued’unjeanetd’unblousondecuir.

Laflicquiavaitcherchéàlesarrêterlaveillesurlapéniche…

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DesFantômesetdesAnges.Drôle de nom pour une librairie, pensaConstance en poussant la lourde porte en ferronnerie.À

peineavait-ellemisunpieddanslaboutiquequ’ellefutfrappéeparlesmursdelivresqui,dèsl’entrée,bâtissaient un fascinant labyrinthe de la connaissance.Elle leva la tête en direction des rayonnages etaperçutungroupedetroispersonnes.Unvieilhommecorpulentauvisagemangépard’épaisseslunettesenécaillediscutaitprèsducomptoiravecuncoupledeclients.Ilséchangèrentunregard.Elleeutàpeineletempsdelesreconnaîtrequelecoupleprenaitlafuite.

C’étaientlesLarabee!Ellesortitsonarmedesonétuiets’élançaà leurpoursuite.La librairies’étendaiten longueursur

plus d’unevingtainedemètres.Pour couvrir leur échappée, les deuxAméricains renversaient tout surleurpassage:étagères,présentoirs,bibelots,lampes,échelles,armoiresderangement.Lajeuneflicsautapar-dessusuncanapé,maisneputéviterletabouretenboismassifqueNikkilançadanssadirection.Inextremis,ellecouvritsonvisagedesoncoudepouréviterleprojectile.Lesiègeheurtaviolemmentsonavant-brasetluifitlâchersonarmedansuncridedouleur.

Lasalope!ragea-t-elleenramassantsonSig-Sauer.Aufonddumagasin,uneportedébouchaitsurunecouretteprolongéed’unjardinenfriche.Àlasuite

desLarabee,ConstanceescaladalemuretquidonnaitsurlarueJules-Vallès.Là,ellerepritconfiance:elletenaitlesfuyardsdanssalignedemire.

–Onnebougeplus!hurla-t-elle.CommelesAméricainsignoraientsasommation,elletiraenl’airpourleseffrayer,sansaucuneffet.

Le soleil était déjà haut dans le ciel.Éblouie, elle plaça samain envisière au-dessus de son front etaperçut la formemouvanteducouplequi tournait à l’anglede la rue.Constance reprit sa course,biendécidéeàarrêterlesLarabeepartouslesmoyens.

Horsd’haleine,ellepénétral’armeaupoingdanslegaragePellissierquifaisaitl’angleaveclaruePaul-Bert. Ouvert sur le trottoir, le hangar abritait une dizaine de tuk-tuk. Depuis quelquesmois, cestricycles àmoteur, typiquesde l’Inde et de laThaïlande, semultipliaient dans les ruesde la capitale,amusant touristes et certains Parisiens. Rangées les unes à côté des autres, les voiturettes exotiquesattendaientunerévision,unpleindecarburantouuneréparation.

–Sortezdelà!criaConstanceens’avançantlentement,ledoigtcrispésurladétente.Pluselleprogressait,pluslalumièrefaiblissait,plongeantl’entrepôtdansl’obscurité.Elletrébucha

surunecaisseàoutilsetfaillitperdrel’équilibre.Soudain,unbruitdemoteurdemobyletteluifittournerlatête.Ellebraquasonarmeversl’engin,maisletuk-tukfonçaitdroitsurelle.Elleroulaparterreetserelevad’unbond.Lafemmes’étaitinstalléeauvolantetmettaitlesgaz!Cettefois,Constancesepassadesommation.Elletiradanslepare-brisequivolaenéclats,sanspourautantstopperletriporteur.Elleessayadeleprendreenchassesurunevingtainedemètres,mais,àpied,latraqueétaitperdued’avance.

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Etmerde!Elleavaitgarésavoituredevantlavitrinedelalibrairie.Elleseruaverssoncoupé,seglissasurle

siège en cuir et démarra en trombe. Sur une petite distance, elle remonta l’artère en contresens pourrejoindrelaruePaul-Bert.

AucunetracedesLarabee.Calme-toi…Une main cramponnée au volant, l’autre posée sur le boîtier de vitesses, elle s’engagea dans le

passagesouterrainperpendiculaireaupériphérique.Lecoupésortitdutunnelàviveallurepourrejoindrele18earrondissement.

Dans la longue ligne droite de la rue Binet, Constance prit encore de la vitesse et aperçut avecsoulagement le tuk-tuk.Lorsqu’elle s’engageasur leboulevardOrnano,elle savaitqu’elleavait fait leplusdur :elleconduisaitunbolidetandisquelamotocyclettedesLarabeese traînaità lavitessed’unmollusqueanémié.Iln’yavaitpasphoto!

Elle crispa les mains sur le volant et se concentra sur la route. La circulation était fluide et leboulevard avait la largeur des grandes artères haussmanniennes. Constance accéléra pour se porter àhauteur du tuk-tuk. L’engin ressemblait à un scooter avec à l’arrière une banquette protégée par unecapote.NikkiétaitjuchéesurlesiègeavanttandisqueSebastians’accrochaitautoitdelacarriole.

Gardetonsang-froid…Elledépassaletricyclepourluicouperbrusquementlaroute,maisNikkiévitalaqueuedepoisson

ensedéportantdanslecouloirdebus.Constancelâchaunjuronenredressantsavoiture.Ellecomblarapidementladistancequilaséparait

dutriporteur,mais lesLarabeegrillèrent lefeuducarrefourde laplaceAlbert-Kahn.Pournepasêtresemée,elleforçalepassage,provoquantfreinagesbrusquesetconcertdeklaxons.

Ellerattrapaletuk-tukaudébutdelarueHemel.L’artèreétaitplusétroite,àsensunique,maissurtoutla circulation y était hachée par plusieurs zones de travaux. Barrières, clôtures grillagées, feuxtemporaires, séparateurs de voies, échafaudages, filets de ravalement : tout se liguait pour ralentir laprogressionduRCZ.

Engluéedansletrafic,Constanceenrageadenepasavoirdesirèneoudegyrophare.Ellebloquasonklaxonet roulasur le trottoirpours’extraired’undébutd’embouteillage.Lesouvriersqui travaillaientsurl’undeschantiersl’invectivèrent,maisellecontinuaàslalomer,mobilisantlapuissancedesoncoupépourremonterlarue.ElleenvisageadedécrochersontéléphonepourdemanderàBotsarisdeluienvoyerdesrenforts,maiselleyrenonça.Saconduitesportiveexigeaittoutesonattention.

Letuk-tuksefaufilaitentrelesvéhiculesavecagilité,maisilmanquaitderepriseetlafaiblessedesonaccélérationnepouvaitluipermettred’échapperaucoupé.Ànouveau,Constanceréussitàseporteràla hauteur du tricycle.Elle croyait tenir les fugitifs lorsqu’elle remarqua la silhouette deSebastian entraindedémonterlacapotedetoileetdemétal.

Ilnevaquandmêmepas…AlorsqueConstanceprenaitconsciencedudanger,Larabeelâchale toitdécapotablesursonpare-

brise.Attention!Unejeunefemmepoussantunlandaus’étaitengagéesurlepassagepiétonpourtraverser.Constance

nelavitqu’auderniermoment.Elleécrasalapédaledefreinetbraquadetoutessesforces,n’évitantlapoussette que d’extrême justesse. La voiture fut déportée etmordit lourdement le trottoir. La lame dupare-chocssedétachad’uncôté,contraignantConstanceàpilerencatastrophe.Ellesortitsurlebitume,retiralacapotedutuk-tukcoincéedanssesessuie-glacesetd’uncoupdepiedarrachalafixationdupare-chocspourpouvoirrepartir.

Décidément,lesLarabeeavaientdelaressource…

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Maiscetterésistancelastimulait.Unesortedejeuduchatetdelasourisdontellesortiraitforcémentvictorieuse : avec sa vitesse de pointe de trente kilomètres/heure, le triporteur ne pourrait pas fuirindéfiniment.Piedauplancher,Constancerevintdanslesillageduscooter.Alorsquelesdeuxvéhiculesdébouchaient sur la rueCustine, leRCZpercuta l’arrièrede lavoiturette à l’instantprécisoù le traintouristiquedeMontmartrearrivaitsursadroite.Nikkiperditlecontrôledutuk-tukquiàsontouremboutitl’undeswagonnetsduconvoi.Constances’arrêtaaumilieudelarueetbondithorsducoupé.

Ellesortitsonpistoletdelapochedesonblouson,joignitlesmainsautourdelacrosseetpointalecanonendirectiondutriporteur.

–Sortezduvéhiculeenmettantlesmainssurlatête!cria-t-elle.

Cettefois,ellelestenait.

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–Faitesvite!ordonnaConstance.Lesbrastendus,elleagrippaitàdeuxmainslacrossedesonSig-Sauer.ElletenaitSebastianLarabee

etsonex-femmedanssalignedetir.Ellejetaunrapidecoupd’œilcirculairepourévaluerlasituation.Àpremière vue, il n’y avait pas d’enfants dans le train.La collision avait été spectaculaire,mais

aucun des passagers n’était resté au sol.Un Japonais se plaignait de l’épaule, une femme se tenait legenou,unadosemassaitlescervicales.

Silesblessuresétaientlégères,lastupéfactionfigeaittouslesvisages.Plusdepeurquedemal.LeregarddeConstanceoscillait,passantdesLarabeeàlascènedel’accident.Aprèsl’effetdesidération,lechoccommençaitàsedissiper.Culturenumériqueoblige,dèsqueles

gens reprenaient leurs esprits, ils dégainaient leur téléphone portable pour appeler les secours, leurfamilleoupourfilmerlascène.

Ces réflexes arrangeaient Constance : dans moins d’une minute, elle aurait les renforts qu’elleattendait.

S’approchantdesesprisonniers, la jeuneflicsortitunepairedemenottesdelapochedesonjean.Cettefois,ellenelaisseraitpaslesLarabees’échapper.Aumoindremouvement,ellesepromitdeleurlogeruneballedanslesjambes.

Elleouvrit labouchepourrenouvelersasommation,maissamâchoiresefigea.Sesbrastendussemirentsoudainàtrembleretsesjambessedérobèrentsouselle.

Non…Lapousséedestressconsécutiveàlapoursuiteprovoquaitunenouvellecrise…Elleessayadedéglutiretpritappuicontrelaportièreduvéhiculepournepass’effondrer.Elleavait

le souffle coupé,unebarre invisible écrasait sapoitrineetdegrossesgouttesde sueur trempaient sonvisage.Sanslâchersonarme,elles’essuyalefrontaveclamanchedesonblousonetluttapournepasperdrepied.Àprésent,unenauséebrutaleluiretournaitl’estomac,sesoreillesbourdonnaient,savisionsetroublait.

Ellefitunultimeeffortpours’accrocheràsonpistolet,maislemondeautourd’ellevacilla.Puistoutdevintnoiretelles’évanouit.

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SouthBrooklynQuartierdeRedHook6heuresdumatinLorenzoSantossegaralelongdutrottoirdevantlafaçadeenbriquerougedel’immeubledeNikki.Il

éteignitlemoteuretattrapaunecigarettedanslapochedesaveste.Illacoinçaentreseslèvres,l’alluma,puis ferma les yeux en tirant une première bouffée. Le goût âcre du tabac brûlé inonda sa gorge, luiapportantunapaisementquinedurapas.Nerveux,il inhalaunenouvelleboufféedenicotine,leregardfixésurlebriquet-tempêteenorblancqueluiavaitoffertNikki.Ilsoupesal’élégantboîtierrectangulaireornédesesinitialesetparéd’unbelhabillageencuird’alligator.Puis,lesyeuxdanslevague,ilbattitlebriquetplusieursfois,s’enivrantdusonmétalliquelibéréàchaqueouvertureduchapeauguilloché.

Queluiarrivait-il?Ilavaitencorepasséunenuitblancheàsonbureau,prostré,dévorépar l’imagede la femmequ’il

aimait et qu’il imaginait dans les bras d’un autre. Il n’avait plus eu de nouvelles d’elle depuis vingt-quatreheuresetcelaledévastait.Sapassionleconsumait,emportanttoutsursonpassage.Unemaladied’amourqui lerendaitfouet ledétruisaitàpetitfeu.Ilavaitconsciencequecettefemmeétait toxique,quesoninfluencesursacarrièreetsursonexistencerisquaitdeluiêtrefatale,maisilétaitprisaupiège,terrassé,incapabledefairemachinearrière.

Il tira sur sa cigarette jusqu’au filtre, jeta lemégotpar la fenêtre, puis sortit de laFordCrownets’engouffradansl’ancienneusinereconvertieenlofts.

Ilmontalesmarchesjusqu’àl’avant-dernierétageetouvritlaportecoupe-feuavecletrousseauqu’ilavaitrécupérélorsdesadernièrevisite.

Cettenuit,ilavaiteuunerévélation:s’ilvoulaitgarderunechancederécupérerNikki,ilfallaitqu’ilretrouve son fils. Il devait réussir là où Sebastian Larabee était visiblement en train d’échouer. S’ilparvenaitàsauverJeremy,Nikkiluienseraitéternellementreconnaissante.

Lejourn’étaitpasencorelevé.Ilentradanslesalonetappuyasurl’interrupteur.L’appartementétaitglacial.Pourseréchauffer,ilsepréparauncafé,allumaunenouvellecigaretteetmontaàl’étage.Pendantunquartd’heure,ilfouilladefondencomblelachambredugamin,àlarecherched’unindice,maisnetrouvariendevraimentutile, sauf le téléphoneportableque legosseavait laissésursonbureau. Ilnel’avait pas remarqué la première fois,mais, à présent, la chose lui semblait singulière. Il connaissaitsuffisamment l’attachementmaladif des ados à leur Smartphone pour s’étonner de cet oubli. Il prit enmain l’appareil et profita de l’absence de mot de passe pour naviguer de longues minutes entre lesdifférentes applications de jeux avant d’y trouver quelque chose de plus intéressant : un programmefaisant fonction de dictaphone.Curieux, il consulta les archives de l’application pour y découvrir unesériedefichiersnumérotésqui,dansleurintitulé,portaientunnomrécurrent:

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DrMarionCrane1DrMarionCrane2

(…)DrMarionCrane10

Santos fronça les sourcils. Ce nom ne lui était pas inconnu. Il lança le premier enregistrement etcomprit de quoi il s’agissait. Lorsque Jeremy avait comparu au tribunal, le juge avait assorti sacondamnation d’une obligation de suivi psychologique.Marion Crane était la psy qui l’avait pris encharge.Etlegaminavaitenregistrésesséances!

Mais dans quel but ? Était-ce un enregistrement pirate ou cela faisait-il partie d’un processusthérapeutique?

Peuimporte,aprèstout,pensaleflicenhaussantlesépaules.Danslapositionduvoyeur,ilécoutasansvergogneles«bandes»danslesquellesl’adolescentdévoilaitsonintimitéfamiliale.

DocteurCrane:Tuveuxbienmeparlerdetesparents,Jeremy?Jeremy:Mamèreestgéniale.Elleesttoujoursdebonnehumeur,optimisteetrassurante.Mêmelorsqu’elleadessoucis,ellenemelemontrepas.Ellefaitdes blagues, elle est drôle. Elle traite tout par l’humour. Déjà, quand onétaitenfants,avecmasœur,ellenousdéguisaitenpersonnagesdecontesetellemontaitdesspectaclespournousamuser.Docteur Crane : Elle est compréhensive, donc ? Tu peux lui parler de tesproblèmes?Jeremy:Ouais,elleesttrèscool.C’estuneartiste,quelqu’unquirespecteta liberté. Elle me laisse sortir, elle me fait confiance. Elle connaît mesmeilleurspotes.Jeluifaisécoutermescomposdeguitare.Elles’intéresseàmapassionpourlecinéma…DocteurCrane:Encemoment,elleaunhommedanssavie?Jeremy:Ouais,unflic.Unmecplusjeunequ’elle.Santos,ys’appelle.Uneespècedebabouin…DocteurCrane:Tunel’aimespasbeaucoup,ondirait?Jeremy:Z’êtesperspicace…DocteurCrane:Pourquoi?Jeremy : Parce qu’à côté de mon père c’est un minable. Et de toute façon,cetterelationnedurerapas.DocteurCrane:Commentpeux-tuenêtrecertain?Jeremy : Parce qu’elle change de mec tous les six mois. Faut que vouscompreniezquelquechose,Doc:mamèreestbelle.Vraimenttrèsbelle.Elleaunesortedemagnétismequiaffolelesmecs.Oùqu’elleaille,çanemanquejamais : les hommes lui tournent autour avec, dans le regard, une lueur dechasseur. J’sais pas pourquoi, les mecs deviennent dingues. Un peu comme leloupdeTexAvery:lalanguependante,lesyeuxquisortentdesorbites,vousvoyezletruc,quoi…DocteurCrane:Etçategêne?Jeremy : C’est elle que ça gêne. Enfin, c’est ce qu’elle prétend. Moi, jepensequec’estplusambigu.Paslapeined’êtrepsypourcomprendrequ’elleenabesoinpourserassurer.Jepensequec’estaussipourçaquemonpèrel’aquittée…DocteurCrane:Parlonsdetonpèrejustement…Jeremy : Pas compliqué : c’est le contraire de ma mère. Sérieux, rigide,rationnel. Il aime l’ordre, la prévision. On ne se marre pas beaucoup aveclui,ça,c’estsûr…DocteurCrane:Tut’entendsbienaveclui?Jeremy:Pasvraiment.D’abordparcequ’onsevoitpeuàcausedudivorce.Etpuis,jepensequ’ilespéraitquejetravaillemieuxàl’école.Quejesoiscomme Camille. Lui, il est très cultivé. Il connaît tout sur tout : lapolitique,l’histoire,l’économie.D’ailleurs,masœurlesurnommeWikipédia…

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DocteurCrane:Çatefaitdelapeinedeledécevoir?Jeremy:Pastrop.Enfin,unpeu…DocteurCrane:Toi,tut’intéressesàsontravail?Jeremy : Il est considéré comme l’un des plus grands luthiers du monde. Ilfabrique des violons qui sonnent comme des stradivarius et ça, quand même,c’estlaclasse.Ilgagnebeaucoupdethunes,maisjepensequ’enfaitiln’enarienàfoutre,nidesviolonsnidel’argent.DocteurCrane:Jenecomprendspas.Jeremy:Jepensequemonpèren’enarienàfoutrederien.Jepensequesonhistoire d’amour avec ma mère est la seule chose qui l’ait vraiment faitkiffer dans la vie. Elle lui apportait la fantaisie qui manquait à sonexistence. Depuis qu’ils se sont quittés, c’est comme s’il vivait à nouveaudansunmondeennoiretblanc…Docteur Crane : Pourtant, il partage sa vie avec une autre femme, n’est-cepas?Jeremy:Ouais,Natalia,unedanseusedeballet.Unvraisacd’os.Illavoitpar-cipar-là,maisilsn’habitentpasensembleetjenepensepasquecesoitdanssesprojets.Docteur Crane : Quelle est la dernière fois où tu t’es senti proche de tonpère?Jeremy:J’saisplus…DocteurCrane:Faisuneffort,s’ilteplaît.Jeremy : L’été de mes sept ans, peut-être… On était allés visiter certainsparcsnationauxenfamille:Yosemite,Yellowstone,leGrandCanyon…Legrandtrip,quoi.OnavoyagéàtraverstouslesÉtats-Unis.C’étaientlesdernièresvacancesavantledivorce.DocteurCrane:Tutesouviensd’unépisodeparticulier?Jeremy:Ouais…Unmatin,onétaitalléspêcherrienquetouslesdeuxetilm’a raconté sa rencontre avec ma mère. Pourquoi il était tombé amoureuxd’elle,commentill’avaitrejointeàParisetcommentilavaitsusefaireaimer d’elle. Je me souviens qu’il m’avait dit cette phrase : « Lorsque tuaimesvraimentquelqu’un,aucuneforteressen’estimprenable.»Çasonnebien,maisjenesuispascertainquecesoitvrai.DocteurCrane:Onpeutparlerdudivorcedetesparents?Pourtoi,çaaétédifficile à vivre, n’est-ce pas ? J’ai vu sur ton dossier scolaire que tuavaiseudesdifficultésàapprendreàlireetquetusouffraisdedyslexie…Jeremy:Ouais,ledivorce,çam’afaitmorfler.Jen’arrivaispasàcroirequeleurséparationdurerait.Jepensaisqu’avecletempschacunferaitunpasversl’autreetqu’ilsseremettraientensemble.Maisçanemarchepascommeça. Plus le temps passe, plus les gens s’éloignent, et plus ça devientdifficilederenouerdesliens.DocteurCrane:Sitesparentsontdivorcé,c’estparcequ’ilsn’étaientplusheureuxensemble.Jeremy : Ça, c’est des conneries ! Vous croyez qu’ils sont plus heureuxmaintenant?Mamèrebouffedespilulesetmonpèreesttristecommeuneportedeprison.Laseulepersonnequisavaitlefairerire,c’étaitmamère.Ilyapleindephotosd’avantleurdivorceoùonlesvoitriretouslesdeux.Chaquefoisquejeregardecesclichés,j’aileslarmesauxyeux.Avant,onétaitunevraiefamille.Unie,soudée.Riennepouvaitnousatteindre…DocteurCrane:Tusaisquec’estunphénomèneclassique?Jeremy:Quoi?Docteur Crane : Que les enfants de divorcés idéalisent le couple formé parleursparents.Jeremy:…Docteur Crane : Tu n’es pas Cupidon, Jeremy. Tu ne dois pas entretenirl’espoirdelesvoirànouveauensemble.Tudoistireruntraitsurlepasséetaccepterlaréalitétellequ’elleest.Jeremy:…

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DocteurCrane:Tucomprendscequejetedis?Tunedoispasintervenirdanslaviedecoupledetesparents.Tunepeuxpaslesréunirdenouveau.Jeremy:Maissicen’estpasmoiquilefais,quilefera?

La question de l’adolescent resta en suspens. À cet instant, la sonnerie du téléphone de Santosretentit, sortant brutalement le flic de l’intimité de la séance de psychanalyse. Il regarda son écran.L’indicatifétaitceluid’unpostedelaNYPD.

–Santos,dit-ilendécrochantl’appareil.–KerenWhite,j’espèrequejenevousréveillepas,lieutenant.L’anthropologuedu3eprecinct.Enfin…–J’aidebonnesnouvellespourvous,reprit-elle.Le flic sentit une poussée d’adrénaline.Déjà, il avait quitté la chambre et descendait lesmarches

pourrejoindrelerez-de-chaussée.–Vraiment?–Jecroisquej’aiidentifiél’originedutatouagedevotrecadavre.–Vousêtesaucommissariat?Jevousrejoins,affirma-t-ilenrefermantlaporteduloftderrièrelui.

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LorsqueConstancerepritconnaissance,elleeutlasurprisedeseretrouver…danssonproprelit.Ellen’avaitplusnichaussures,niblouson,niholster.Onavaittirélesrideauxdelachambre,maisla

porteétaitrestéeentrouverte.Entendantl’oreille,elleperçutdesvoixquichuchotaientdanslesalon.Quil’avaitramenéechezelle?Botsaris?LeSAMU?Lespompiers?

Elledéglutitavecpeine.Elleavait la languepâteuse,ungoûtdepapiermâchédans labouche, lesmembresankylosésetlesoufflecourt.Unedouleurlancinanteetaiguëbattaitdanssatempedroite.Elleregardal’heuresurleradioréveil:midi.Elleétaitrestéeinconscienteplusdedeuxheures…

Elle essaya de se lever, mais le côté droit de son corps était lourd, parcouru de douleurs et defourmillements.Soudain,elleréalisaqu’elleétaitmenottéeàlatêtedesonlit!

Révoltée,ellesedébattit,maiscelaneservitqu’àalerterses«ravisseurs».–Calmdown!ditNikkienentrantdanslachambre,unverred’eauàlamain.–Whatthefuckareyoudoinginmyhouse1!hurlaConstance.–Nousn’avionspasd’autreendroitoùaller.Constanceseredressasursonoreillerpourreprendresarespiration.–Commentavez-voussuoùj’habitais?–Nousavonstrouvéunformulairedesuividecourrierdansvotreportefeuille.Apparemment,vous

avezdéménagédepuispeudetemps.Joliebaraque,d’ailleurs…La jeune flic défia l’Américaine du regard. Elle avait à peu près son âge. Même visage fin et

anguleux,mêmeregardclair,mêmescernessouslesyeuxquitrahissaientlestressetlafatigue.–Écoutez,jecrainsdenepasbiencomprendrevosmotivations.Sijenedonnepasdenouvellestrès

rapidement,mescollèguesserontlàd’uneminuteàl’autre.Lamaisonseracernée…–Jenecroispas,lacoupaSebastianenentrantàsontourdanslachambre.Constancedécouvritamèrementqu’iltenaitsouslebrassondossiermédical.–Vousn’aviezpasledroitdefouillerdansmesaffaires!serévolta-t-elle.–Jesuisnavrédevoussavoirmalade,maisjesuisàpeuprèscertainquevousn’étiezpasenmission

officielle,répondit-ilcalmement.–Vousvousfourrezledoigtdansl’œil.– Vraiment ? Depuis quand les flics conduisent-ils leur véhicule personnel pour procéder à une

interpellation?Constancerestasilencieuse.Sebastianenfonçaleclou:–Depuisquanduncapitainedepolicepart-ilseuleninterventionsansuneéquipepourl’épauler?–Encemoment,onadesproblèmesd’effectifsdansleservice,répondit-elle,bravache.–Oh, j’oubliais…J’aiaussi trouvé lacopiedevotre lettrededémissiondansundossierdevotre

ordinateur.

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Constanceencaissacederniercoup.Lagorgesèche,elleacceptademauvaisegrâceleverred’eauqueluitendaitNikki.Avecsamainlibre,ellesefrottalespaupières,sedésolantdevoirlasituationluiéchappertotalement.

–Nousavonsbesoindevotreaide,avouaNikki.–Monaide?Maisqu’attendez-vousdemoi?Quejevousprêtemain-fortepourquitterleterritoire?–Non,corrigeaSebastian.Quevousnousaidiezàretrouvernosenfants.

Il fallut plus d’une heure à Nikki et Sebastian pour détailler à Constance l’enchaînement des

événementsquiavaientbouleverséleurviecesderniersjours.Installéstouslestroisautourdelatabledelacuisine,ilsavaientbudeuxthéièresdegyokuroetvidéunpaquetdegalettesSaint-Michel.

Absorbéeparlerécitducouple,Constanceavaitprisdesnotespendanttouteladuréedudebriefing,noircissantunedizainedepagesd’uncahierd’écolier.

BienqueSebastianeûtmenottésonpiedàsachaise,ellesentaitbienquelerapportdeforcepenchaitdésormais en sa faveur. Les deux Américains étaient non seulement empêtrés dans une histoiresusceptibledelesenvoyerderrièrelesbarreauxpourlerestedeleurvie,maissurtoutdésespérésparladisparitiondeleursjumeaux.

Lorsque Nikki termina son compte rendu, la jeune flic prit une longue inspiration. L’histoire desLarabeeétaitabracadabrante,maisleurdétresseétaitpalpable.Ellesemassalanuqueetconstataquesamigraines’étaitestompée,quesanauséeavaitdisparuetquesoncorpsavaitreprisdesforces.Lesvertusmagiquesdel’enquête…

– Si vous voulez vraiment que je fasse quelque chose pour vous, il faut d’abord que vous medétachiez!ordonna-t-elleavecautorité.Ensuite,ilfaudraitquej’analyselefilmdel’enlèvementdevotrefils.

Sebastianobtempéraetdébarrassalajeunefemmedesesmenottes.Pendantcetemps,Nikkiouvraitl’ordinateurdeConstanceetseconnectaitàsapropreboîtemailpourrapatrierlefilmsurledisquedur.

–Voilàcequenousavonsreçu,dit-elleenlançantl’enregistrement.Constancevisionnaunepremièrefoislefilmdequarantesecondes,puislerelançadanslafouléeen

figeantlesimagesstratégiques.NikkietSebastiannefixaientpasl’écran,maislevisagedecelleenquiilsplaçaientdésormaisleurs

derniersespoirs.Concentrée,Constancefitdéfilerdenouveaul’enregistrementauralentiavantdetrancher:–Toutça,c’estdubidon!–Commentça?fitSebastian.Constanceprécisasapensée:–Cefilmestunmontage.Entoutcas,iln’apasététournéàlastationBarbès.–Pourtant…protestaNikki.Constancelevalamainpourl’interrompre.– Lorsque je suis arrivée à Paris, j’ai habité pendant quatre ans dans une chambre de bonne, rue

Ambroise-Paré,enfacedel’hôpitalLariboisière.Jeprenais lemétroàBarbès-Rochechouartaumoinsdeuxfoisparjour.

–Et?Laflicappuyasur«pause»pourfixerl’image.–DeuxlignespassentparBarbès,expliqua-t-elle.Lan°2,dontlastationàcetendroitestaérienne,et

lan°4quiestsouterraine.Avecsonstylo,ellepointal’écrantoutenpoursuivantsadémonstration:–Surcefilm,lastationn’estvisiblementpasàcielouvert.Ilnepeutdoncs’agirquedelaligne4…–Onestd’accord,acquiesçaSebastian.

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–Orlastationdelaligne4estconnuepourêtreàlafoisinclinéeetsurtoutencourbeprononcéeauniveaudesquais,cequiesttrèsinhabituel.

–Cen’estpaslecasici,admitNikki.Sebastianrapprochasonvisagedel’écran.SonexcursionàBarbèsetsarencontremalheureuseavec

les trafiquantsde cigarettes lui avaient laissédes souvenirsdouloureux,mais il ne se rappelait pas laconfigurationexactedelastation.

Constanceouvritsonlogicieldemessagerie.–Ilyaunmoyenimparabledesavoiroùcefilmaététourné,affirma-t-elleencommençantàrédiger

unmail.Elleexpliquaqu’ellevoulaitenvoyerlavidéoàsoncollègue,lecommissaireMaréchal,quidirigeait

la sous-direction régionale de la police des transports, l’administrationqui chapeautait la brigadedesréseauxferrés.

–FranckMaréchalconnaîtlemétroparisiencommesapoche.Jesuiscertainequ’ilsauradequellestationils’agit.

–Attention,pasd’entourloupe!menaçaSebastianensepenchantsursonépaule.Nousn’avonsplusrien à perdre.N’essayez pas de nous doubler, sinon…Et d’ailleurs, il y a à peine trois heures, vouscherchiezànousarrêter.Pourquoiseriez-voussubitementprêteànousaider?

Constancehaussalesépaulesetcliquasurl’icôned’envoi.–Parceque jecroisàvotrehistoire.Etsoyonsréalistes :vousn’avezplusvraimentd’autrechoix

quedemefaireconfiance…

1.«Qu’est-cequevousfoutezchezmoi?»

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Constanceenchaînaitcigarettesurcigaretteenrelisantsesnotes.Commeunétudiantsursesfiches,elle surlignait, entourait, réécrivait, dessinait des schémas fléchés pour stimuler sa réflexion et fairesurgirl’étincelle.

Dans son esprit, une piste se dessinait progressivement jusqu’à devenir une quasi-évidence. Lasonnerie de son téléphone l’empêcha de poursuivre. Elle regarda son écran : c’était le commissaireMaréchal.

Elle décrocha, puis brancha le haut-parleur pour permettre à Nikki et à Sebastian de suivre laconversation.LavoixcharmeuseetassuréedeMaréchalrésonnadanslapièce:

–Hello,Constance.–Salut,Franck.–Tut’esenfindécidéeàacceptermoninvitationàdîner?–Oui,jeseraistrèsheureusederencontrerenfintonépouseettesenfants.–Euh,non…enfin,tusaistrèsbiencequejeveuxdire…Constancesecoualatête.MaréchalavaitétésoninstructeuràCannes-Écluse1.Uneliaisonlesavait

unis peu après la fin de sa formation. Une relation passionnelle et destructrice. Chaque fois qu’ellemenaçaitderompre,Franckjuraitqu’ilallaitseséparerdesafemme.Ellel’avaitcrupendantdeuxans,puis,lasséed’attendre,ellel’avaitquitté.

Mais Franck était resté accro. Il ne se passait pas sixmois sans qu’il tente à nouveau sa chance,mêmesijusqu’àprésenttoutessestentativesétaientrestéesvaines.

–Écoute,Franck,jen’aipastropletempsdebadiner,là.–S’ilteplaît,Constance,laisse-moiune…Ellelecoupad’untonsec:–Venons-en aux faits, tu veux bien ? Le film que je t’ai envoyé ne provient pas des caméras de

surveillancedeBarbès,n’est-cepas?Maréchalpoussaunsoupirdedéceptionavantderépondred’untonplusprofessionnel:–Tuasraison.Dèsquej’aivutesimages,j’aidevinéqu’ellesavaientététournéesdansunestation

«fantôme».–Unestationfantôme?–Peudegenslesavent,maisleréseaudumétrocomptequelquesarrêtsquinefigurentpassurles

plans,expliquaMaréchal. Il s’agit souventdestations ferméespendant laSecondeGuerremondialeetjamaisrouvertesdepuis.Tusavaisparexemplequ’ilexistaitunestationpileau-dessousduChamp-de-Mars?

–Non,admitConstance.–Envisionnantplusieurs fois les séquences, j’en ai concluque ta station correspondait au«quai

mort»delaportedesLilas.

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–Qu’est-cequetuappellesunquaimort?–Surlaligne11,àlastationPorte-des-Lilas,ilexisteunquaiferméàlacirculationdepuis1939.Il

sertparfoispourlaformationdesagentsdeconduiteoupourtesterdenouvellesrames,maisilaccueillesurtoutlesprisesdevuesdefilmsoudepublicitéscenséssedéroulerdanslemétroparisien.

–Tuessérieux?– Absolument. Au fil du temps, c’est même devenu un véritable studio de cinéma. Il suffit aux

décorateurs de changer l’habillage et la plaque de la station pour recréer n’importe quel quai den’importequelleépoque.C’estlàqueJeunetatournédesscènesd’AméliePoulainetquelesfrèresCoenontréaliséleurcourt-métragesurParis…

Constancesentitl’excitationlagagner.–Tuescertainquemonpetitfilmaététournélà-bas?–D’autantpluscertainquej’aienvoyétonfichierauresponsablecinémadelaRATPetqu’ilmel’a

confirmé.Rapide,intelligent,efficace:Franckétaitpeut-êtreunmufle,maisc’étaitunsacrébonflic…–D’ailleurs,letypesesouvientparfaitementdutournagepuisqu’ildateduweek-enddernier,précisa

Maréchal. Pendant deux jours, le quai était mis à disposition des élèves d’une école de cinéma : leConservatoirelibreducinémafrançais.

–Euxaussi,tulesasappelés?suggéraConstance.– Bien sûr. Et j’aimême réussi à identifier l’auteur de ta vidéo,mais, pour connaître le nom du

loustic,ilfaudrad’abordquetuacceptesdedîneravecmoi.–C’estduchantage!s’insurgea-t-elle.–Çam’enatoutl’air,admit-il.Lorsqu’onveutvraimentquelquechose,touslesmoyenssontbons,

non?–Danscecas,tupeuxallertefairefoutre.Jetrouverailerenseignementmoi-même.–Commetuvoudras,majolie…Elles’apprêtaitàraccrocherlorsqueSebastianluisecouabrutalementl’épauleetarticulaensilence:

«Acceptez!»Nikkiappuyalademandedesonex-mari,tapotantlecadrandesamontresouslenezdeConstance.

–OK,Franck,soupira-t-elle,j’acceptededîneravectoi.–Tumelepromets?–Promis,juré,craché,ajouta-t-elle.Satisfait,Maréchallivralesrésultatsdesonenquête:–LadirectriceduConservatoirem’aditquesonécolerecevaitactuellementdesétudiantsaméricains

dans le cadre d’un échange scolaire. Des élèves d’un établissement new-yorkais auquel l’école estjumelée.

–Etc’estl’undecesétudiantsaméricainsquiaréalisécefilm?– Oui. Un court-métrage dans le cadre d’un travail d’hommage à Alfred Hitchcock intitulé

Les39Secondes.Uneallusionaux39Marches…–Merci,monsieurleprofesseur,jeconnaismesclassiques…Tuaslenomdecetétudiant?–Ils’appelleSimon.SimonTurner.IlesthébergéàlaCitéinternationaleuniversitaire,maissituas

l’intentiondel’interroger,jeteconseilledetedépêcher:ilrepartendébutdesoiréepourlesÉtats-Unis.Dèsqu’elleentenditlenomdugamin,Nikkisemorditlalèvrepournepascrier.Constanceraccrochaetsetournaverselle.–Vousleconnaissez?–Biensûr!SimonTurnerestlemeilleuramideJeremy!Lecoudesurlatable,lementondanslamaindroite,Constancedemeurauncourtmomentenposture

deréflexion,avantd’affirmer:

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–Jecroisqu’ilfautvousrendreàl’évidence.Votrefilsasimulésonenlèvement.

1.VilledeSeine-et-Marneabritantl’Écolenationalesupérieuredesofficiersdepolice.

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–Foutaises!s’exclamaSebastian,exaspéré.Constancesetournaversl’Américain.–Réfléchissez…Quipouvaitavoiraccèsfacilementàvotrecartedecréditetàvotrecoffre-fort?

Quiconnaîtparfaitementvotretailledecostume?Le luthier secoua la tête, incapable d’admettre l’évidence. Constance poursuivit le feu de ses

questions,dévisageantalternativementNikkietsonex-mari:–Qui était aucourantdevotrepremiervoyage romantiqueàParis ?Qui connaissait suffisamment

votredéterminationetvotreperspicacitépoursavoirquevousn’hésiteriezpasàprendreunavionpourvous rendre en France et que vous réussiriez à décoder l’énigme du pont des Arts et le mystère ducadenas?

LevisagedeNikkisedécomposa.–CamilleetJeremy…admit-elle.Maispourquoiauraient-ilsfaitça?Constance tourna la têtevers la fenêtre.Son regardseperditdans le lointain, savoixse fitmoins

affirmée:–Mesparentsont divorcé lorsque j’avais quatorze ans, se souvint-elle.Ça apeut-être été la pire

périodedemavie:undéchirementprofond,unbouleversementdetoutceenquoijecroyais…Lentement,elleallumaunecigaretteetinhalaunelonguebouffée,avantdepoursuivre:–Jepensequelaplupartdesenfantsdedivorcésnourrissentlesecretespoirderevoirunjourleur

pèreetleurmèreensembleet…Refusantcettehypothèse,Sebastianlacoupabrutalement:– Votre délire ne tient pas debout. Vous oubliez la cocaïne, l’appartement dévasté, le meurtre de

DrakeDecker!Sansparlerducolosseàmoitiédinguequiacherchéànoustuer!–C’estvrai,mathéorien’expliquepastout,admitlapolicière.

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–Entrezdonc,lieutenant,l’invitaKerenWhiteenlevantlesyeuxdesondossier.Santospoussalaportedubureaudel’anthropologuejudiciaire.Lajeunefemmequittasonpostede

travailpourmettreunecapsuledanslamachineàcaféposéesuruneétagère.–Unespresso?–Pourquoipas,répondit-ilenregardantlesclichésmacabresquitapissaientlesmurs.Desvisages tuméfiéset tailladés,descorps lacérés, couturés,desbouchesdéforméespardescris

d’horreur…Santosdétournalatêtedecesmonstruositésetdétaillalajeunefemmependantqu’ellepréparaitles

deux cafés.Avec sa jupe serrée, ses petites lunettes rondes, son air strict et son chignon haut,KerenWhite ressemblait à une institutrice à l’ancienne. Bien que surnommée Miss Skeleton, elle faisaitfantasmerbeaucoupdesescollègues.AuseindelaNYPD,elleavaitpourmissiond’identifierlesresteshumains–ossements,dents,corpscalcinésouendécomposition–trouvéssurdesscènesdecrime.Unetâchecomplexe :conscientsdesprogrèsde lapolicescientifique, lesassassinsétaientdeplusenplusnombreuxàmutilerleursvictimesàl’extrêmepourempêchertouteidentification.

–J’aiuneautopsiedansdixminutes,prévint-elleenconsultantsamontre.–Allezdroitaubut,approuvaleflicens’asseyant.KerenWhiteéteignitleslumières.Lejourcommençaitàselever,maislecielgrisetbasgardaitla

pièce dans la pénombre. L’anthropologue appuya sur le bouton d’une télécommande pourmettre soustensionunécranplatOLEDaccrochéaumur.

D’un clic, elle lança un diaporama qui présentait les clichés de l’autopsie du géant maori queSebastianLarabeeavaitégorgédanslebardeDrakeDecker.

Allongéesurunetableeninox,souslalumièrecruedesprojecteurs,lamassedechaircuivréeavaitquelquechosederépugnant,maisSantosenavaitvud’autres. Ilplissa lesyeuxets’étonnadunombreimpressionnant de tatouages qui recouvraient le corps de la victime.Loin de se limiter au visage, lesdessinscannibalisaienttoutlecorps:desspiralessurlescuisses,unmotiftribaldémesurésurledos,desrayonsetdesarabesquessurletorse.

Deboutdevantl’écran,Kerencommençasonexplication:–Àcausedesmarquesetdesentaillessurlevisage,j’aid’abordpensé,commevous,quelavictime

avaitdesoriginespolynésiennes.–Maiscen’estpaslecas…–Non:lesmotifssontressemblants,maisnecorrespondentpastoutàfaitauxcodestrèsstrictsdes

Polynésiens.Jepensequel’onestplutôtenprésenced’unelogiquedegang.Santos connaissait le rituel : dans les gangs originaires d’Amérique centrale, le tatouage révélait

l’appartenanced’unindividuàl’und’entreeuxetl’attachementsymboliquequileliaitaugroupepourlavie.

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KerenWhitepointalatélécommandeversl’écranoùs’affichaitunenouvellesériedeclichés.–CesphotosontétéprisesdansdesprisonsdeCalifornie.Cesdétenusappartiennentàdesgangs

différents,maison retrouvechaque fois lamême logique :quand lesmembrescommettentunnouveauméfaitpourleurcommunauté,ilsgagnentledroitd’ajouteruntatouage.Uneétoilesurunbrasindiqueparexemplequevous avez tuéunepersonne, lamêmeétoile sur le front signifie quevous en avez tué aumoinsdeux…

–Lecorpsdevientunesortedecurriculumvitaeducrime,constataSantos.L’anthropologueapprouvadelatêteavantdereveniràunagrandissementd’untatouagedelavictime.–Onretrouvecheznotre«ami»lesymboledel’étoilerougeàcinqbranches.Letatouageadûêtre

siprofondqu’ilsembleenrelief.–Vousl’avezanalysé?–Trèsprécisément.L’instrumentemployépoureffectuercetyped’incisionestsansdouteuncouteau

traditionnelàlamecourte.Maisleplusintéressantestl’étudedupigmentinjectédanslapeau.Jepensequ’il s’agit d’une forme très particulière de suie, issue de la gomme d’un arbre que l’on trouveprincipalementausudduBrésil:lepinduParaná.

Kerenattenditquelquessecondesavantdepasseràd’autresclichés:–J’aitrouvécesphotosdedétenusdelaprisonbrésiliennedeRioBranco.Santos se leva pour se rapprocher de l’écran et retrouva sur les corps des prisonniers lesmêmes

formes que sur celui du «Maori » : mêmes arabesques torturées,mêmes saillies qui se tordaient enhélice.

Kerencontinua:–Cesdétenusontunpointcommun:ilsappartiennenttousaucarteldeladroguedesSeringueiros,

basédanslarégiondel’Acre,unpetitÉtatamazonienauxconfinsduPérouetdelaBolivie.–LesSeringueiros?–C’était lenomdonnéautrefoisauxouvrierschargésderécolter le latex.L’Acreenétait l’undes

plusgrandsproducteurs.Jesupposequelenomestresté.L’anthropologue éteignit l’écran et ralluma les lumières. Santos avait plusieurs questions qui lui

brûlaientlalangue,maisMissSkeletonlecongédiasansprendredegants:–Maintenant,c’estàvousdejouer,lieutenant!dit-elleensortantavecluidanslecouloir.

Santosseretrouvasurleseuildel’immeubleducommissariatd’EricssonPlace.Àprésent,lesoleil

brillaitdansuncielclairetéclaboussaitlestrottoirsdeCanalStreet.SonnéparlesrévélationsdeKerenWhite,leflicéprouvalebesoinderéfléchiretserenditdansleStarbucksquijouxtaitlecommissariat.Ilcommandauneboissonchaudeets’installaàunetableenruminantsespensées.

LecarteldesSeringueiros…IlavaitbeautravaillerauxStupsdepuisdixans,iln’enavaitjamaisentenduparler.Riend’étonnant

en soi : sonboulot quotidien consistait davantage à coffrer les trafiquants locauxqu’à démanteler desréseaux internationaux. Il ouvrit son ordinateur portable et le connecta au réseau Wi-Fi del’établissement.UnerechercherapidelemenasurlesiteInternetduLosAngelesTimes.Lecartelyétaitévoquédansunarticledatantdumoisdernier.

LACHUTEDUCARTELDESSERINGUEIROS

Au terme de deux années d’enquête, les autorités brésiliennes viennent dedémanteler un cartel de trafiquants de drogue basé dans l’État amazonien del’Acre,danslarégionlaplusoccidentaledupays.

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Organisé sur le modèle colombien, le cartel des Seringueiros étendait sesramificationsdansprèsdevingtÉtatsdelaFédération.EnprovenancedeBolivie,la cocaïne entrait auBrésil par avionavantd’alimenterpar la route lesgrandesvillesdupays.Aujourd’huienprison,Pablo«Imperador»Cardozadirigeaitcetempiremafieuxàla tête d’une armée demercenaires soupçonnés d’avoir exécuté avec une rareviolenceunecinquantained’opposants.Implantéde longuedatedans l’Étatde l’Acre, legangdesSeringueiros y faisaitentrerchaqueannéeplusdecinquantetonnesdecocaïnegrâceàplusieurspistesd’atterrissageclandestinesdisséminéesàtraverslajungleamazonienne.Dans un ballet incessant, les bimoteurs des narcotrafiquants y convoyaient desmilliersdekilosdecocaïnepure,quiétaitensuitecoupéeetacheminéevers lesgrandesmétropolespourfournirunefoulededealersopérantnotammentàRioetàSãoPaulo.Pourasseoirsonpouvoir,lecarteldePabloCardozaavaittisséaufildutempsunvasteréseaudecorruptionetdeblanchimentd’argentimpliquantdescentainesde personnes, parmi lesquelles des parlementaires, des chefs d’entreprises, desmaires, des juges et même plusieurs commissaires de la police civile accusésd’avoir classé de nombreuses enquêtes sur les meurtres commis parl’organisationmafieuse.Plusieursvaguesd’arrestationsontdéjàeulieuàtraverslepaysetd’autressontencoreàprévoir.

Santospritletempsderechercherd’autresinformationspourcomplétercequ’ilvenaitd’apprendredansl’article.

Quefaireàprésent?Gagné par la fièvre de l’enquête, il essaya de rassembler ses idées. Il était évident que jamais il

n’obtiendrait l’autorisation de sa hiérarchie pour partir enquêter auBrésil. Il y avait trop d’obstaclesadministratifs et diplomatiques. En théorie, il pouvait contacter ses homologues brésiliens et leurtransmettreunrapport,maisilsavaitquecettedémarchen’aboutiraitàriendeconcret.

Frustré, il se renseigna néanmoins sur le site de plusieurs compagnies aériennes. Rio Branco, lacapitale de l’État de l’Acre, n’était pas la porte à côté. De plus, l’endroit était particulièrementmaldesservi:aumoinstroisescalesenpartantdeNewYork!Levoyageétaitcertescher,maispasexcessif:prèsde1800dollarsenpassantparunecompagnielowcost.Unesommequ’ilavaitsursoncompte.

Iln’hésitapaslongtemps.L’image de Nikki s’imposa de nouveau à son esprit. Comme téléguidé par une force extérieure,

Santosrepritsavoiture,s’arrêtaàsonappartementpourrassemblerquelquesaffairesetmit lecapsurl’aéroport.

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ConstancebaissalavitredesavoiturepourprésentersacartetricoloreaugardienenfactiondevantlaFondationdesÉtats-Unis.

–CapitaineLagrange,BNRF,veuillezouvrirleportail,s’ilvousplaît.Situéedans le14e arrondissement, la résidenced’étudiants faisait face auparcMontsouris et à la

nouvelle station du tramway desMaréchaux. Constance gara son coupé devant l’imposant édifice debrique ocre et de pierre blanche.AvecNikki et Sebastian dans son sillage, elle investit le hall où setrouvaitlaréceptionetexigealenumérodechambredeSimonTurner.

Munidurenseignement, le triomontaaucinquièmeétageoccupéparuneenfiladedepetitsateliersd’artiste et de chambres insonorisées réservées respectivement aux étudiants en arts plastiques et auxmusiciens.

Constancepoussa laportede l’ateliersansprendrelapeinedefrapper.Coiffuresophistiquée, tee-shirt trendy, pantalon cigarette et sneakers vintage : un jeune homme d’à peine vingt ans essayait defermeruneénormevaliseposéesurunlitdéfait.Épaiscommeunharicot,ilportaitunpiercingausourcil.Saminceuretlafinessedesestraitsluidonnaientuneallureandrogyneetapprêtée.

–Tuveuxuncoupdemain,beaugosse?demandaConstanceenprésentantsoninsigne.Enuneseconde,l’étudiantperditcontenance.Sonvisageblêmitpuisseliquéfia.–Je…jesuiscitoyenaméricain!bredouilla-t-iltandisquelajeunefemmel’empoignaitparlebras.–C’est un dialogue de film, ça,mon grand !Dans la réalité, ça fait cliché, remarqua-t-elle en le

forçantàs’asseoirsurlachaisedubureau.Lorsqu’ilaperçutlesLarabeederrièrel’officier,Simons’exclama:–J’vousjurequej’aicherchéàdissuaderJeremy,madame!lança-t-ilàl’intentiondeNikki.Sebastians’approchaàsontourdugaminetl’agrippafermementparl’épaule:–OK,fiston,ontecroit.Calme-toietraconte-noustoutdepuisledébut,d’accord?L’étudiantdéroulasaconfessionenbafouillant.CommeConstancel’avaitdeviné,Jeremyavaitbien

manœuvrépourréunirsesdeuxparentsmalgréeux.– Il était persuadé que vos sentiments renaîtraient si vous passiez plusieurs jours tous les deux,

expliquaSimon.Ilypensaitdepuisplusieursannées.Dernièrement,c’étaitmêmedevenuuneobsession.Dèsqu’ilestparvenuà ralliersasœuràsacause, il s’estmisenquêted’unplanpourvousobligeràpartirensemblepourParis.

Stupéfait,Sebastianécoutaitlesproposdujeunehommesansréussiràlesprendreausérieux.–Leseulmoyendevousfairebaisserlagarde,c’étaitdevousconvaincrequ’undevosenfantsétait

engranddanger,poursuivitSimon.C’estcommeçaqu’ilaeul’idéedesimulersonenlèvement.Ils’arrêtaquelquessecondespourreprendresarespiration.–Continue!lepressaNikki.

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–Jeremyamisàprofitsapassionpourlecinéma:pourvouscontraindredefaireéquipedanslebutde le sauver, il a élaboré un véritable scénario avec des indices, des fausses pistes et desrebondissements.

Constanceenchaîna:–Ettoi,quelétaittonrôle?–MonstageàParisétaitprévudelonguedate.Jeremyenaprofitépourmedemanderderéaliserun

court-métragequimettraitenscènesonagressionetsonenlèvementdanslemétro.–C’esttoiquinousasenvoyélefilm?demandaSebastian.Lejeunehommeconfirmad’unsignedetête,puisprécisa:–Maiscen’estpasJeremyquel’onvoitsurl’enregistrement.C’estJulian,undemespotes.Ilaune

petiteressemblanceavecvotrefils,mais,surtout,ilportesesfringues:sacasquette,sonblousonetsontee-shirtdesShooters.Vousvousêtesfaitavoir,n’est-cepas?

–Çat’amuse,enplus,espèced’abruti?s’énervaSebastianensecouantviolemmentSimon.Excédé,ilessayaderemonterlefilchronologiquedesévénements:–C’esttoiquinousasappelésdepuiscebar,LaLangueauchat?–Oui.C’étaituneidéedeCamille.Plutôtdrôle,non?–Etensuite?s’impatientaConstance.–J’aisuiviàlalettrelesinstructionsdeJeremy:j’aidéposésonsacàdosdansuneconsignedela

gare duNord, j’ai accroché le cadenas sur le pont desArts et j’ai livré à votre hôtel les habits queCamillem’avaitdemandéd’acheter.

Sebastiansortitdesesgonds:–Camillen’apaspuparticiperàcettepitrerie!Simonhaussalesépaules:– Et pourtant… Quand vous étiez encore à New York, c’est elle qui a subtilisé votre carte de

paiementpourréserverl’hôteldeMontmartreetledînerenbateausurlaSeine.–C’estfaux!–C’estlavérité!rétorqualegamin.Etlelivre,chezlebouquiniste:d’aprèsvous,quil’avolédans

votrecoffre-fortpourlerevendresureBay?Devantlespreuvesquis’accumulaient,Sebastiansombradansunestupeurmuette.Trèscalme,Nikki

posalamainsurlebrasdeSimon:–Commentdevaitseterminercejeudepiste?–Vousaveztrouvélaphoto,n’est-cepas?Ellehochalatête:–C’étaitladernièrepiècedupuzzle?–C’estça:unrendez-vousdanslesjardinsdesTuileries.CamilleetJeremyavaientprévudevousy

retrouvercesoirà18h30pourvousavouerlavérité,mais…Cherchantsesmots,Simonmarquaunepause.–Maisquoi?lebrusquaConstance.–IlsnesontpasvenusàPariscommeprévu,s’effraya-t-il.Çafaitpresqueunesemainequejen’ai

pasdenouvellesdeJeremy,etleportabledeCamillesonnedanslevidedepuisdeuxjours.Tremblantdecolère,Sebastianpointaunindexmenaçant:–Jetepréviens,sic’estencoreundetesmensonges…–C’estlavérité,jevousjure!–Maisladrogueetlesmeurtres,çanefaisaitpaspartiedetonputaindeplan?explosa-t-il.LestraitsdeSimonsedécomposèrent:–Quelledrogue?Quelsmeurtres?demanda-t-il,soudainpaniqué.

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Ivrederage,SebastianattrapaSimonparlecoletlesoulevadesachaise.–Ilyavaitunkilodecokedanslachambredemonfils!Nemedispasquetun’étaispasaucourant!–Çavapas!NiJeremynimoinetouchonsàlacocaïne!–Entoutcas,c’estbientoiquil’incitaisàjoueraupoker!–Etalors?C’estpasuncrime!–Monfilsn’aquequinzeans,petitconnard!hurla-t-ilenleplaquantcontrelemur.Simontremblaitdetoussesmembres.Sestraitscrispésdéformaientsonvisage.Redoutantuncoupde

poing,ilfermalesyeuxetlevalesbrasencroix.–TuauraisdûleprotégeraulieudeletraînerchezDrakeDecker!poursuivitSebastian.Simonouvritlespaupièresetbalbutia:–De…Decker?LemecduBoomerang?Jeremyn’apaseubesoindemoipourl’approcher!Ill’a

rencontrédansunecelluleducommissariatdeBushwicklorsquelesflicsl’ontcoincépourlevold’unjeuvidéo!

Ébranléparcetterévélation,SebastianlâchaSimon.Nikkipritlerelais:–Tuveuxdirequec’estDeckerquiaproposéàJeremydevenirjoueraupokerdanssonbar?– Oui, et ce gros porc s’en est bien mordu les doigts : Jeremy et moi, on lui a raflé plus

de5000dollars.Etàlaloyale!Simonavaitreprisunpeud’assurance.Ilréajustasontee-shirtenpoursuivant:–Deckern’apassupportél’humiliation.Commeilrefusaitdenouspayer,onadécidédecambrioler

sonappartementpourluipiquerlamallettedanslaquelleilplanquaitsonfric.Lamallettemétalliquedepoker…NikkietSebastianseregardèrentavecstupéfaction.Enuninstant,ilscomprirentquec’étaitlevolde

cettemallettequiétaitàl’originedudésastre.–Ilyavaitprèsd’unkilodecamedanscettemallette!s’écriaSebastian.Simonouvritdesyeuxronds.–Maisnon…–Planquédanslespilesdejetons,précisaNikki.–Ça,onn’ensavaitrien!sedéfenditlejeunehomme.Nous,onvoulaitseulementrécupérerl’argent

queDrakenousdevait.Constance avait gardé le silence pendant tout l’échange, essayant mentalement de reconstituer

l’enchaînementdesévénements.Peuàpeu,lespiècesdupuzzlesemettaientenplace,maisquelquechoselachiffonnait.

–Dis-moi,Simon,àquandremontelevoldelamallette?Legaminréfléchit:

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–C’étaitjusteavantquejenepartepourlaFrance,ilyaunequinzainedejours.–EtJeremyettoi,vousn’avezpaseupeurqueDeckerveuillesevengerlorsqu’ilserendraitcompte

duvol?Ilhaussalesépaules:–Aucunechance:àpartnosprénoms,ilneconnaissaitriendenous.Ninosnomsninosadresses.Il

yadeuxmillionsetdemid’habitantsàBrooklyn,voussavez!s’exclama-t-ilaveccondescendance.Constanceignoralaremarque:– Tu m’as dit que Decker vous devait 5 000 dollars, mais combien y avait-il d’argent dans la

mallette?– Un peu plus, admit Simon, mais pas tellement. Peut-être 7 000 dollars qu’on s’est partagés au

prorata de nos gains. On n’était pas mécontents de ce petit bonus, d’ailleurs : Jeremy avait besoind’argentpourfinancersonplanetpour…

Ils’arrêtaaumilieudesaphrase.–Pourquoi?insistaConstance.Unpeuembarrassé,Simonbaissalesyeux:–AvantdevousretrouveràParis,ilvoulaitpasserquelquesjoursauBrésil…LeBrésil…Nikki et Sebastian échangèrent un nouveau regard inquiet. Deux jours plus tôt, lorsqu’ils avaient

interrogéThomas, à la sortie de son lycée, l’adolescent avait évoqué devant eux uneBrésilienne queJeremyaffirmaitavoirrencontréesurInternet.

–C’estcequ’ilm’aditaussi,confirmaSimon.IlpassaitsesnuitsàtchateravecunebelleCarioca.Elleétaitentréeencontactavecluiparl’intermédiairedelapageFacebookdesShooters.

–Legroupederock?Attends,çanetientpasdebout,tontruc,affirmaNikki.LesShooters,cen’estpasColdplay:ilsjouentdansdespetitessallesàmoitiévides,desclubsunpeupaumés.CommentunefilledeRiodeJaneiropourrait-elleêtrefandecegroupeobscur?

Simoneutungestevague:–Aujourd’hui,grâceàInternet…Sebastianpoussaunlongsoupir.Malgrésonagacement,ildemandasanscrier:–Ettoi,cettefille,tulaconnais?–Elles’appelleFlavia.D’aprèslesphotos,elleestchaudecommelabraise.–Tuasdesphotos?–Oui,JeremyenapostéplusieurssurFacebook,expliqua-t-ilensortantl’ordinateurdesonsac.Il se connecta enWi-Fi sur le site du réseau social, entra ses paramètres puis, en quelques clics,

rassembla surunepageunedizainede clichésd’une fillemagnifique.Uneblondeau regard clair, auxformescapiteusesetàlapeaulégèrementhâlée.

Constance,NikkietSebastians’agglutinèrentautourde l’écran,détaillant la jeuneBrésilienneà labeautétropparfaite:visagedepoupéeBarbie,taillefine,poitrineavenante,longuechevelureondulée.Surlesphotos,onpouvaitvoirlapin-updansdifférentesposes:Flaviaàlaplage,Flaviafaitdusurf,Flavia boit un cocktail, Flavia joue au beach-volley avec ses copines, Flavia en bikini sur le sablechaud…

–Qu’est-cequetusaisd’autresurcettefille?–Jecroisqu’elletravailledansunbaràcocktailsuruneplage.Jeremym’aditqu’elleavaitcraqué

surluietqu’ellel’avaitinvitéàpasserquelquesjourschezelle.Sebastian secoua la tête.Quel âge avait cette beauté blonde ?Vingt ans ?Vingt-deux ?Comment

croirequecettefilleaitputomberamoureusedesonfilsdequinzeans?–Cetteplage,c’estoù,exactement?demandaNikki.Constancetapotal’écran:

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–Ipanema,affirma-t-elle.Ellezoomasur l’imagepourmettreaucentrede l’écranunpaysagedehautescollines,derrière la

meretl’étenduedesable.–Cesmontagnesjumelles,cesontles«DeuxFrères».C’estlàquesecouchelesoleilàlafindela

journée,expliqualajeuneflic.J’ysuisalléeenvacancesilyaquelquesannées.Enmanipulantlaphoto,elleparvintàisolerlenomdubaroùtravaillaitFlaviagrâceàl’inscription

ornantlesparasols.L’endroits’appelaitleCachaça.Ellelenotasursoncarnet.–EtCamille?demandaNikki.Simonsecoualatête.–EnvoyantqueJeremynedonnaitpasdenouvelles,elles’estinquiétéeetelleavoululerejoindreà

Rio.Maisjevousl’aidit:depuisqu’elleestauBrésil,impossibledel’avoirauboutdufil…Dans l’espritdeSebastian, ledépit semêlait à l’abattement. Il imaginait sesdeuxenfants,perdus,

sansargent,danscettevilletentaculaireetviolente.Unemainseposasursonépaule.–PartonspourRio!proposaNikki.MaisConstances’opposaaussitôtàcetteidée:– Je crains que ce ne soit pas possible. Je vous rappelle que vous êtes des fugitifs visés par une

commission rogatoire internationale. Votre signalement est diffusé partout. Vous ne tiendriez pas dixminutesàRoissy…

–Peut-êtrepouvez-vousnousaider,imploraNikki,auborddeslarmes.Ils’agitdenosenfants!Constance soupira et tourna la tête vers la fenêtre. Elle se projeta vingt-quatre heures plus tôt,

lorsqu’elle avait reçu le dossier desLarabee sur son téléphone portable.En parcourant les premièrespages, elle n’avait pas pensé un seul instant que cette enquête, en apparence banale, prendrait un touraussi singulier. Elle devait bien admettre cependant qu’il n’avait pas fallu longtemps pour qu’elleressentedelacompassionetdel’empathiepourcecoupleinsoliteetleursdrôlesd’enfants.Elleavaitcruà leurhistoire et avait essayéde les aider jusqu’aubout,mais elle seheurtait àprésent àunobstacleinfranchissable.

–Jesuisdésolée,maisjenevoisaucunmoyendevousfairequitterlepays,s’excusa-t-elleenfuyantleregarddeNikki.

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–Bienvenueàbord,madameLagrange.Bienvenueàbord,monsieurBotsaris.Nikki et Sebastian récupérèrent leur carte d’embarquement et suivirent la charmante hôtesse de la

TAM1jusqu’àleurssiègesenclasseaffaires.Sebastianluilaissasaveste,maisgardaavecluilesdeuxprécieuxpasseportsqueluiavaientremisConstanceetsonadjoint.

– Incroyable que ça ait marché, souffla-t-il en regardant la photo sur le document d’identité deNicolasBotsaris.Cegarsaaumoinsquinzeansdemoinsquemoi!

–Jeveuxbiencroirequetunefassespastonâge,renchéritNikki,maisc’estvraiquelestypesdupostedecontrôlen’étaientpastrèszélés.

Avec appréhension, elle regarda par le hublot les balises qui brillaient dans la nuit. Il pleuvait àversesurParis.Lapluiedétrempaitlespistes,floquantl’asphaltedefibreslumineusesetargentées.Untemps de chien qui n’était pas fait pour calmer sa phobie de l’avion. Elle fouilla dans la trousse detoilettemiseàladispositiondespassagersettrouvaunmasquedesommeil.Ellel’appliquasursesyeux,brancha lecasquede l’iPodqu’elleavaitprisdans lachambredeson filsetchaussa lesécouteursenespéranttrouverlesommeilleplusrapidementpossible.

Dominersapeur.Économisersesforces.Elle savaitque lapartiequ’ilsauraientà jouerauBrésilneseraitpas facile. Ilsavaientperdudu

tempsàParis.S’ilsvoulaientavoirunechancederetrouverleursenfants,ilsallaientdevoiragirvite.Bercéeparlamusique,Nikkiselaissadoucementenvahirparlesommeil,sombrantpeuàpeudans

unétatsecond,mélangederêvesetderéminiscences.Àplusieursreprises,unemêmesensationrevintàlacharge.Lesouvenirpresqueréeldesonaccouchement.Lapremièrefoisqu’elleavaitétéséparéedesesenfants,quecelienfusionnelavaitétérompuaprèsdesmoisdeplénitudeàlessentirbougerdanssonventre.

LeBoeing777avait décollédepuisplusdedeuxheures et survolait àprésent le sudduPortugal.Sebastiantenditàl’hôtessesonplateau-repaspourqu’ellel’endébarrasse.

Ilsetortillasursonsiège.Ilauraitbienaimédormir,maisilétaittropnerveuxpouryparvenir.Pourtromperl’ennui,ilouvritleguidetouristiquequeluiavaitdonnéConstanceetenparcourutlespremièreslignes:

Mégapolededouzemillionsd’habitants,RiodeJaneiroestcélèbredanslemondeentier pour son carnaval, ses plages de sable fin et songoût de la fête.Mais ladeuxième plus grande ville du Brésil est aussi gangrenée par la violence et lacriminalité.Avecprèsdecinqmillehomicidesenregistrésl’annéedernière,l’État

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deRiorestel’undesendroitslesplusdangereuxaumonde.Sontauxd’homicide,trentefoissupérieuràceluidelaFrance,est…

Un frisson le saisit.Tropangoissépar cette entrée enmatière, il arrêta sa lecture aumilieud’unephraseetreposalelivredanslefiletdevantlui.

Paslemomentdecéderàlapanique.SespenséesdérivèrentrapidementversConstanceLagrange.Dansleurmalheur,Nikkietluiavaient

euunesacréechancedelacroiser.Sanselle,ilsseraientcertainemententraindedormirenprison.Elleleuravaitpayélesbilletsd’avion,fournidespapiers,del’argentetuntéléphone.

L’injusticequifrappaitcettefemmel’avaitbouleversé.Foudroyéeparlamaladiealorsqu’elleétaitsi jeune et si vive. D’après ce qu’il avait cru comprendre en parcourant son dossier médical et endiscutantavecelle,lesdésétaientjetés.Maisl’issueétait-elleàcepointgravéedanslemarbre?Danssavie, ilavaitplusieursfoiscroisédesgensqui,enmenantuncombatacharnécontre lamort,avaientréussi à déjouer les pronostics des médecins. À New York, un cancérologue réputé, le Dr GarrettGoodrich,avaitguérisamèred’unetumeur.Celaneserviraitpeut-êtreàrien,maisilsepromitdetoutfairepouraiderConstanceàlerencontrer.

En pensant à son fils, il éprouva un sentiment contrasté de colère et d’admiration. Colère devantl’inconsciencedel’adolescentquil’avaitconduitàsemettrelui-mêmeendangeretàentraînersasœurdanscettehistoire.Maisaussiunevéritableémotion.LefaitqueJeremyenvienneàmettreenscènesonenlèvement pour les réunir lui et Nikki révélait la souffrance muette qu’il avait endurée depuis leurséparation. Presquemalgré lui, Sebastian ne pouvait s’empêcher d’être fier de la ténacité de son fils.Jeremyl’avaitsurpris,bluffé,impressionné.

Sebastianfermalesyeux.Ensongeantauxtroisjoursquivenaientdes’écouler,ilfutsaisidevertige.Savieavaitbasculéenquelquesheures,sortantdesesrails,échappantà toutcontrôle.Soixante-douzeheuresd’inquiétudeetd’angoisse,maisaussid’exaltation.

Carc’étaitindéniableetJeremyl’avaitcompris:avecNikki,ilsesentaitvivant.Mi-ange,mi-démon,elledégageaitunevitalitéetuneespièglerieunpeuadolescentecombinéesàunmagnétismeanimalquiletroublaitprofondément.Hantésparledangerquiplanaitsurleursenfants,ilsavaientréussiàsurmonterleurs différends pour faire équipe. Malgré le passé, leurs caractères inconciliables et leursprédispositionsauconflit.Certes, ilsnesavaient toujourspasseparlerautrementqu’ensedisputantetchacunruminaitencoresesrancœurs,mais,commeaupremierjourdeleurrelation,ilyavaitentreeuxunealchimie,uncocktailexplosifdecomplicitéetdesensualité.

AvecNikki,lavieprenaitl’allured’unescrewballcomedy:ilétaitCaryGrant,elleétaitKatharineHepburn.Ildevaitserendreàl’évidence:iln’avaitrientantaiméquerireavecelle,sechamailleravecelle,discuteravecelle.Ellerendaitlequotidienricheetintense,allumantlapetiteétincellequifaisaitleseldelavie.

Sebastianpoussaunsoupirets’enfonçadanssonsiège.Unealerteclignotaitcependantdanssatêtecommeunrappelàl’ordre.S’ilvoulaitavoirunechancederetrouversesenfants,ilnedevaitsurtoutpasretomberamoureuxdesonex-femme.

CarsiNikkiétaitsonprincipalallié,elleétaitaussisonprincipalennemi.

1.Laplusgrandecompagnieaérienned’Amériquelatine.

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Quatrièmepartie

TheGirlfromIpanema

« Il existe toujours entre deux êtres, si unis soient-ils, un abîme, surlequell’amour[…]nepeutquejeterunefragilepasserelle.»

HermannHESSE

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–Táxi!Táxi!Umtáxiparalevá-loaoseuhotel!Ambiance électrique, bourdonnement confus, longues files d’attentepour récupérer sesbagagesou

franchirladouane:l’immenseaéroportGaleãobaignaitdanslachaleurmoiteetpesanted’uneétuve.–Táxi!Táxi!Umtáxiparalevá-loaoseuhotel!Lesvisageschiffonnéspar lafatigue,NikkietSebastiandépassèrent lahordedechauffeursdetaxi

quiapostrophaientlestouristesàleurarrivéedanslehalletsedirigèrentverslesstandsdesloueursdevoitures.LabrèveescaleprévueàSãoPaulos’étaitéternisée.Pouruneobscureraisond’encombrementdespistes,leurvolétaitrepartiavecplusdedeuxheuresetdemiederetardpouratterrirà11h30.

–Jevaischangerunpeud’argentpendantquetut’occupesduvéhicule,proposa-t-elle.Acquiesçantàcetterépartitiondestâches,Sebastianpritplacedanslafiled’attenteetsortitlepermis

deconduiredeBotsaris.Lorsquevintsontour,ilhésitasurlechoixdumodèle.Leurenquêteallait-ellelimiter leurs déplacements à la ville ou les mènerait-elle sur des terrains plus cahoteux ? Dansl’incertitude,iloptapourunLandRovercompactqu’ilrécupérasurunparkingécrasédesoleil.

Dégoulinantdesueur,ilenlevasavesteets’installaauvolantpendantqueNikkiécoutaitsur«son»téléphoneportablelemessagelaisséparConstance.

Commeconvenu,lajeuneflicleuravaitréservéunechambred’hôteldanslequartierd’Ipanema,àproximitédelaplageoùtravaillaitFlavia.Ellecontinuaitàenquêterdesoncôtéetleursouhaitaitbonnechance.

Épuisés par leur voyage, ils roulèrent en silence, suivant les panneaux autoroutiers (Zona Sul –Centro–Copacabana)quibalisaientletrajetverslesuddepuisl’IlhadoGovernadorjusqu’aucentre-ville.

Sebastians’essuyalefrontetsefrottalesyeux.Lecielétaitbas,lourd,huileux,l’atmosphèrepolluéeet étouffante brouillait sa vision et piquait ses paupières. À travers les vitres teintées, le paysageapparaissaitflou,saturédecouleursorangées,commeuneimagegraisseuseaugrainépais.

Aprèsseulementquelqueskilomètres,ilsseretrouvèrentencalminésdanslesbouchons.Résignés,ilsregardèrentparlafenêtrelepanoramaquilesentourait.Bordantlavoierapide,desmilliersdemaisonsdebriques’étendaientàpertedevue.Desconstructionsdedeuxétagesauxtoits-terrassesparcourusdecordesàlinge.Leshabitationsdonnaientl’impressiondesechevaucher,des’enchevêtrerjusqu’àformerdesgrappesdelogementssuperposésdansunéquilibreprécaire.Labyrinthique,chaotique,gigantesque:la favela fragmentait le paysage, brisant et tordant les perspectives, craquelant l’horizon pour le faireressembleràuncollagecubisteauxtonsocre,rouillés,roussis.

Peu à peu, le tissuurbain se transforma.Les lotissements populaires cédèrent la place à des sitesindustriels. Tous les cent mètres, de grandes affiches annonçaient la prochaine Coupe de monde defootball et les Jeuxolympiquesde2016.Tendueverscesdeuxcompétitions sportives, lavilleentièresemblaitêtreentravaux.Derrièrelesgrillagesdesterrainsvagues,deschantierscolossauxredessinaient

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lepaysage:lesbulldozersdétruisaientlesmursencoredebout,lespelleteusesretournaientlaterre,lescamions-bennesselivraientàunballetininterrompu.

Puislavoituretraversalaforêtdegratte-cielduquartierdesaffairesavantd’aborderlazonesuddelavilleoùétaientsitués lamajoritédesgrandshôtelsetdescentrescommerciaux.Lacapitalecariocaretrouvaitalorsdesairsattendusdecartepostale:celled’unecidademaravilhosabaignéeparlamer,maiscernéeparlescollinesetlesmontagnes.

Autermedesonparcours,leLandRovers’engageasurlefrontdemer,longeantauralentilafameuseAvenidaVieiraSouto.

–C’estici!lançaNikkiendésignantunpetitimmeubleàl’étonnantefaçadedeverre,deboisetdemarbre.

Ilslaissèrentleur4X4auvoiturieretpénétrèrentdanslabâtisse.Àl’imageduquartier,l’hôtelétaitchicetsophistiqué,décoréavecgoûtpardumobilierdesannées1950et1960quidonnaitl’impressiond’évoluerdansunépisodedeMadMen.

Lelobbydégageaitdebonnesondes:briquesanglaises,musiquedouce,parquet,canapéscapitonnés,bibliothèque old school. Nerveux, ils s’accoudèrent au comptoir – taillé dans un tronc d’arbred’Amazonie–ets’enregistrèrentsouslesnomsdeConstanceLagrangeetdeNicolasBotsaris.

NikkietSebastiannerestèrentdanslachambrequeletempsdeserafraîchiretd’apercevoir,depuisleurbalcon,leressacviolentdesvaguesquisebrisaientsurlaplage.Labrochuredel’hôtelaffirmaitquele nom d’Ipanema venait d’un dialecte amérindien signifiant les « eaux dangereuses ». Un présagetroublantauquelilsdécidèrentdenepasaccordertropd’importance.C’estbiendécidésàretrouverla«filled’Ipanema»qu’ilquittèrentleurchambre.

Dès qu’ils mirent un pied dehors, ils furent happés de nouveau par la chaleur, l’odeur des gazd’échappement et le bruit de la circulation. Un flot incessant de joggeurs, de skateurs et de cyclistesdisputait le trottoir aux piétons. Le quartier concentrait un nombre important de boutiques de luxe, desallesdemusculationetdecliniquesdechirurgieesthétique.

Nikki etSebastian traversèrent la ruepour rejoindre la longuepromenadebordéedepalmiers quilongeait la plage. L’esplanade était le domaine des vendeurs ambulants qui battaient le bitume etrivalisaientd’astucespourcapterl’attentionduchaland.Chargésdeglacières,debidonsmétalliques,ouinstallésdirectementdansdescahutes,ilsproposaientdel’eaudenoixdecoco,dumaté,despastèques,desbiscuitsdorésaufour,descocadascaraméliséesetcroustillantes,ainsiquedesbrochettesdebœufdontleseffluvespimentésserépandaientsurtoutel’avenue.

Lecoupled’Américainsempruntaunpetitescaliermaçonnéquimenaitàlaplage.Pluschicquesavoisine Copacabana, Ipanema s’étendait le long d’une bande de trois kilomètres de sable blanc à laréverbération brûlante et aveuglante. À l’heure du déjeuner, l’endroit était bondé. L’océan scintillait,vibrait sous lapuissancede lahoulequi abattait sur laplagedesvagues furieuses et irisées.Nikki etSebastianabandonnèrentl’espaceprivatifetleservicedeplagequeleurhôtelmettaitàladispositiondesclients.Ilsprogressèrentavec,enlignedemire,lebaroùtravaillaitFlavia.

Tous les sept centsmètres, la plage était jalonnéed’unehaute tour de surveillance : unponto quiservait de point de repère et de rendez-vous aux baigneurs. Orné d’un drapeau arc-en-ciel, leponto 8 était apparemment le lieu de rencontre des homosexuels.Nikki et Sebastian le dépassèrent etpoursuivirent leur avancée. Les embruns leur parvenaient de l’océan. Au loin, ils reconnurent lasilhouette des îlesCagarras qui brillaient demille feux, ainsi que lesmontagnes jumelles des «DeuxFrères»qu’ilsavaientrepéréessurlaphotodeSimon.

Ilscontinuèrentàarpenterl’étenduedesable,sefaufilantentrelesjoueursdefootballetdebeach-volley.Laplageétaitanimée,elleressemblaitàunpodiumdedéfilédelingerieoudecostumesdebain.Ipanemadébordaitdesensualité.Unevraietensionérotiqueplanaitdansl’air.Gracilesetélancées,les

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baigneusesarboraientleurspoitrinesrefaitesetsedéhanchaientdansdesbikinisminusculessousl’œildesurfeursauxcorpssculptésrecouvertsd’huilebronzante.

NikkietSebastianarrivèrentauniveauduponto9,visiblementlecoinleplussélectdelaplage,lieuderalliementdelajeunessedoréedeRio.

–Bon,résumaNikki,onveutretrouverunebelleblondeàmoitiénuequis’appelleFlaviaetquisertdescocktailsdansunbarappelé…

–LeCachaça,soufflaSebastianendésignantunepailloteluxueuse.Ils se dirigèrent vers le débit de boissons. LeCachaça était un beach bar design réservé à une

clientèlefortunéeenparéogrifféetlunettesmouchesquidégustaitdesmojitosà60réauxenécoutantdesremixdebossanova.Ilsdévisagèrentlesserveusesuneàune:ellesavaienttouteslemêmeprofil:vingtans,taillemannequin,minishort,décolletéexplosif…

–Hello,mynameisBetina.MayIhelpyou?leurdemandal’unedecescréatures.–Nousrecherchonsunejeunefemme,expliquaNikki,unecertaineFlavia…–Flavia?Oui,elletravailleici,maiselleestabsenteaujourd’hui.–Voussavezoùellehabite?–Non,maisjepeuxmerenseigner.Elleappelal’unedesescollègues,uneautrepoupéeBarbie:blonde,yeuxclairs,sourirecristallin.–JevousprésenteCristina.EllehabitedanslemêmequartierqueFlavia.La jeune Brésilienne les salua.Malgré sa beauté, il y avait en elle quelque chose de triste et de

fragile.Unesylphidegracieuse,maisdévitalisée.–Flavian’estplusvenuetravaillerdepuistroisjours,leurapprit-elle.–Voussavezpourquoi?–Non.D’habitude,nousdescendonsensemble lorsquenousavons lesmêmeshoraires.Maisence

momentellen’estpluschezelle.–Oùvit-elle?Elledésignalescollinesd’unsignevaguedelamain.–Chezsesparents,àlaRocinha.–Vousavezcherchéàluitéléphoner?–Oui,maisjen’aieuquesonrépondeur.NikkisortitunephotodeJeremydesonportefeuille.–Vousavezdéjàvucegarçon?demanda-t-elleenmontrantlecliché.Cristinasecoualatête.–Non,maisvoussavez,avecFlavia,lesgarçons,çava,çavient…–Vouspourrieznousdonnersonadresse?Nousaimerionsposerquelquesquestionsàsesparents.LajeuneBrésiliennegrimaça:–LaRocinhan’estpasunendroitpourlestouristes!Vousnepouvezpasvousyrendreseuls.Sebastianinsista,maisseheurtaaumêmerefus.–Peut-êtrepouvez-vousnousyconduire,alors?proposaNikki.Cetteperspectiven’enchantaitguèrelaserveuse:–C’estimpossible,jecommenceàpeinemonservice.–S’ilvousplaît,Cristina!Nousvousdédommageronspourvotrejournée.SiFlaviaestvotreamie,

vousdevezl’aider!L’argumentfitmouche.Visiblement,Cristinaéprouvaitundébutdeculpabilité.–Bon,attendez.Ellepartitdemanderl’autorisationàceluiquidevaitêtresonpatron:unjeunehommeaumaillotprès

ducorpsquibuvaitdescaïpirinhasavecuneclientededeuxfoissonâge.–C’estd’accord,acquiesça-t-elleenrevenant.Vousavezunevoiture?

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LeLandRoverétaitlourd,maiss’élevaitavecsouplessesurlarouteenlacetquimenaitàlafavela.AuvolantduSUV,SebastiansuivaitàlalettrelesindicationsdeCristina.Assisesurlabanquettearrière,la jeuneCarioca lesavaitguidésdepuis laplage, leurfaisantd’abord traverser les luxueuxcomplexesrésidentielsdelazonesudavantdelesentraînersurl’EstradadaGávea,unerouteétroitequiserpentaitàflancdecoteau,seulevoied’accèsàlaplusgrandefaveladeRio.

Commelaplupartdesquartierspopulaires,laRocinhaétaitconstruitesurlesmorros,lesimmensescollines qui surplombaient la ville. Nikki se pencha à sa portière pour apercevoir les milliersd’habitations accrochées auxversants.Un enchevêtrement demaisonnettes qui bouchaient l’horizondeleursbriquesocreetdonnaientl’impressiondepouvoirs’effondreràtoutinstant.

Au fur et àmesure qu’ils quittaient l’asphalte1 pour se rapprocher des collines, le paradoxe leursautait aux yeux : c’était dans les favelas que l’on avait les plus belles vues sur la ville. Difficilesd’accès, cesnidsd’aigleoffraientuneexpositionpanoramique sur lesplagesdeLeblonetd’Ipanema,mais aussi une position dominante de citadelle. Un point d’observation idéal sur la ville basse quiexpliquaitquelesnarcotrafiquantsenaientfaitleurquartiergénéral.

Sebastianrétrograda.Lesportesdelafavelan’étaientplustrèsloin,maisunvirageendoubleépingleàcheveux,commeungouletd’étranglement,bloquaitlacirculation.Seulesdevieillesmobylettesetdesmotos-taxispétaradantesparvenaientàs’extrairedutrafic.

–Leplussimpleestdes’arrêterici,conseillaCristina.Sebastiangaralavoituresurlebas-côté.Puislegroupeabandonnaletout-terrainetparcourutàpied

lacentainedemètresquilesséparaientdel’entréedelaRocinha.

Aupremierabord, la favelan’avait riende l’imagemisérabledécritedans lesguides touristiques.AlorsqueNikkietSebastians’étaientpréparésàpénétrerdansuncoupe-gorge,ilsseretrouvaientdansun quartier populaire et bon enfant. Les rues étaient propres et lesmaisons bétonnées, reliées à l’eaucourante, à l’électricité et aux chaînes câblées.Certains petits immeublesmontant jusqu’à trois étagesétaient certes recouverts degraffitis,mais ils étaient colorés et apportaient une touchedegaieté et debonnehumeur.

– À Rio, plus d’un Carioca sur cinq est un favelado, expliqua Cristina. La plupart des gens quihabitenticisontdestravailleurshonnêtes:desnourrices,desfemmesdeménage,deschauffeursdebus,desinfirmières,etmêmedesprofesseurs…

Nikki et Sebastian reconnurent les odeurs d’épices, de brochettes et de maïs qu’ils avaientdécouvertessurlaplage.Entrelangueuretlégerbouillonnement,l’ambianceétaitplutôtsereine.Dubailefunk2écoutéà tue-têtes’échappaitdeshabitations.Dans larueprincipale,desgamins tapaientdansunballon en se prenant pour Neymar. Attablés à des terrasses, des hommes de tout âge sirotaient des

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bouteillesdeBambergPilsenpendantquedesfemmes,parfoistrèsjeunes,s’occupaientdeleurbébéoujacassaient,accoudéesauxfenêtres.

–L’armée et la police ont fait une descente dernièrement, s’excusaCristina alors qu’ils passaientdevantuneimmensefresquebarioléecribléed’impactsdeballes.

Puisilsquittèrentlesaxesprincipauxpours’enfoncerdansundédaled’artèrespentuesetétroites.Unlabyrinthe de ruelles escarpées qui se resserraient en escaliers. Progressivement, l’ambiance setransformaetlafavelaapparutsousunaspectmoinsséduisant.Désormais,lesmaisonsressemblaientàdes embarcations colmatées après un naufrage ; les ordures s’amoncelaient devant les portes et lesenchevêtrements de câbles électriques pendaient au-dessus de leur tête, révélant des branchementsanarchiques. Un peu inquiets, Nikki et Sebastian peinaient à s’extraire de lamasse de gamins qui sepressaientautourd’euxpourdemanderl’aumône.

Àprésent,lesruesn’avaientplusdenom,lesmaisonsplusdenuméro.Lesombresmenaçantesdesbâtissesplanaientsurleségoutsàcielouvert.Del’eaucroupissaitdanslesrecoins,attirantdesnuéesdemoustiques.

–Lamunicipalitésecontentetropsouventdeneramasserlespoubellesquedanslesruesprincipales,expliquaCristina.

Guidépar la jeuneserveuse, le triopressa lepas, faisantdéguerpir les rats sur sonpassage.Cinqminutesplus tard, ilsdébouchèrent surunautreversantde la colline abritantdesmaisons encoreplusdécaties.

–C’estici,dit-elleentoquantcontrelavitred’unappartementdontlafaçadetombaitendécrépitude.Aprèsunecourteattente,unevieillefemmeaudosvoûtéleurouvritlaporte.–C’estlamèredeFlavia,leurappritCristina.Malgrélachaleur,elleétaitenveloppéedansunchâleépais.–Bomdia,SenhoraFontana.VocêjáviuFlavia?–Olá,Cristina,lasalualavieilleavantderépondreàsaquestionenrestantdansl’entrebâillement.CristinasetournaverslesLarabeepourtraduire:–MmeFontanan’aplusdenouvellesdesafilledepuisdeuxjourset…La jeune femme n’eut pas le temps de finir sa phrase que, déjà, l’autre reprenait la parole. Ne

comprenantpasunmotdeportugais,NikkietSebastianenfurentréduitsàassisterenspectateurspassifsàlaconversationdesdeuxBrésiliennes.

Commentcette femmepeut-elleavoirunefilledevingtans? sedemandaitNikkienobservant lavieilleCarioca.Creusépardesridesprofondes,sonvisageétaitburiné,déformépar l’inquiétudeet lemanquedesommeil.Onluidonnaitfacilementsoixante-dixans.Entrecoupéedegémissementsplaintifs,salogorrhéeétaitinsupportable.

Cristinafutobligéedel’interromprepourexpliquer:–Elleditqu’endébutdesemaine,FlaviaahébergédanssamaisonunjeuneAméricainetsasœur…Nikkiouvritsonportefeuillepourluitendreunephotodesjumeaux.–Elessãoosúnicos!Elessãoosúnicos!lesreconnut-elle.Sebastiansentitsoncœurs’accélérer.Jamaisilsn’avaientétéaussiprèsdubut…–Oùsont-ilsallés?labrusqua-t-il.Cristinapoursuivit:–Avant-hier,deshommesarmésontdébarquéchezelleaupetitmatin.IlsontenlevéFlaviaetvos

deuxenfants.–Deshommes?Maisquelshommes?–OsSeringueiros!crialavieille.OsSeringueiros!NikkietSebastianpressèrentCristinaduregard.–Les…lesSeringueiros,bredouilla-t-elle.Jenesaispasdequiils’agit.

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Les cris avaient attiré le voisinage.Pendues aux fenêtres, les cancanières avaient abandonné leurstelenovelaspourserégalerduspectacledelarue.Autourdelamaison,deshommesauxregardspesantsécartaientlesenfantspourappréhenderlasituation.

Cristinaéchangeaencorequelquesmotsaveclavieille.–ElleacceptedenousmontrerlachambredeFlavia,annonça-t-elle.Ilparaîtquevosenfantsyont

laissédesaffaires.Nerveux,NikkietSebastian suivirent la femmedans samasure.L’intérieurdu logementétait aussi

peuconfortablequel’extérieurlelaissaitprésager.Assembléesàlahâte,desplanchesdecontreplaquétenaient lieu de cloison. La chambre de Flavia n’était qu’une pièce commune flanquée de deux litssuperposés. Sur l’un des matelas, Sebastian reconnut le sac de voyage en cuir caramel que Camilleutilisaitdanssesdéplacements.Fébrile, ilse jetasur le fourre-toutetenretourna lecontenu :un jean,deuxpulls,dessous-vêtements,unetroussedetoilette.Riendeparticulier,saufpeut-être…letéléphoneportable de sa fille. Il essaya d’allumer l’appareil, mais la batterie était à plat et le chargeur avaitdisparu.Frustré,ilglissaleportabledanssapochepourl’examinerplustard.Entoutcas,ilstenaientunepiste.Avantd’êtrekidnappésparcesmystérieuxSeringueiros,CamilleetJeremyétaientdoncbienvenusiciaveclajeuneBrésilienne…

Lavieille femme avait recommencé ses jérémiades.Elle criait, pleurait, hoquetait, prenaitDieu àtémoin, levait le poing. La jeune serveuse incita le couple à sortir. Dehors, les esprits s’échauffaientaussi.Desvoisinstotalementétrangersàl’affaires’étaientrapprochésetprenaientunplaisirmanifesteàmettrede l’huile sur le feu.Unepetite foulegrondaitdevant lamaison.La tensiondevenaitpalpable ;l’hostilitégrandissait.Ilsn’étaientvisiblementpluslesbienvenusdanscequartier.

Soudain,lavieillelesapostrophadirectement.–Elleditquec’estàcausedevosenfantsqueFlaviaaétéenlevée,traduitCristina.Ellevousaccuse

d’avoirattirélemalheursursamaison.Leclimats’envenimait:unfaveladounpeuéméchébousculaNikki,etSebastianévitadepeuunseau

d’épluchureslancéd’unefenêtre.–Jevaisessayerdelescalmer.Partez!Jerentreraiparmespropresmoyens.–Merci,Cristina,mais…–Partez!répéta-t-elle.Jecroisquevousn’avezpasconsciencedudanger…D’unsignedetête,NikkietSebastianserésignèrentàquitterlajeuneCariocasouslesinjuresetles

menaces.Ilsrebroussèrentcheminaupasdecourse,s’efforçantderetrouverleurroutedanslelacisderuellesétroitesetescarpéesquiirriguaientlafavela.

Lorsqu’ilsatteignirentlevirageendoubleépingleoùilss’étaientgarés,leurspoursuivantss’étaientdécouragés.Maisleurvoitureavaitdisparu.

1.ÀRio,onopposeparfoisschématiquementl’«asphalte»–lesquartiersprochesdelameroùviventlespopulationsaisées–etles«morros»,lescollinesauxquelles

s’accrochentlesfavelas.

2.Mélangederapetdefunkauxparolescrues,typiquedesquartierspopulairesdeRio.

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Lachaleur,lapoussière,lafatigue,lapeur.Nikki et Sebastianmarchèrent pendant plus d’une heure avant de trouver un chauffeur de taxi qui

profitade leurdésarroiet leurextorquaunecourseà200 réauxpour les ramenerà l’hôtel.Lorsqu’ilspoussèrentenfinlaportedeleurchambre,ilsétaientfourbusetruisselantsdesueur.

PendantqueNikkiprenaitunedouche,Sebastianappelalaréceptionetdemandaqu’onluiapporteuncâblepourrechargerletéléphonedeCamille.Legarçond’étagearrivacinqminutesplustard.Sebastianbranchaleportablesursecteur,mais,labatterieétantàplat,ilfallaitquelquesminutesavantdepouvoirl’utiliser.

Ilserongealesonglesenpatientantetbaissalesoufflepolairedelaclimatisation.Puisilrepritleportableenmainpourytaperlecodesecretensefélicitantdeleconnaître:sesmoisd’indiscrétionetd’espionnageenvers sa fille trouvaient aujourd’hui tout leur sens.Soudain, ilgrimaçaen ressentantunélancementauniveauduthorax.Lalonguemarchepourreveniràl’hôtelavaitréveillésesblessures.Ilétaitcabossé,perclusdedouleurs,avaitledoscasséetlanuqueraide.SescôtesgardaientlesouvenirdescoupsdepoingdeYoussefetdesessbires.Illevalesyeuxetaperçutsonrefletdanslemiroiravecune certaine répulsion. Barbe hirsute, cheveux collés par la sueur, pupilles brillant d’une mauvaiseflamme.Sachemiseétaitmoite,collante,jaunieparlatranspiration.Ilfuitsonimageetpoussalaporteàbattantsdelasalledebains.

Une serviette nouée autour de la poitrine, Nikki sortait de la douche. Humides et emmêlés, sescheveuxtombaientsursesépaulescommedelongueslianesenlacées.Ellefrissonna.Sebastiananticipaunebordéedereproches:«Hé!Tegênepas!»,«Tuauraispufrapper!»,«Faiscommecheztoi!».Aulieudeça,ellefitunpasversluietlefixaintensément.

Ses yeux vert absinthe miroitaient comme des flaques de pétrole. La vapeur d’eau soulignait lablancheur lactée de son visage piqué de discrètes taches de rousseur qui s’éparpillaient comme unetraînéedepoussièresd’étoile.

D’unmouvementbrusque,SebastianlasaisitparlecouetplaquasabouchecontrelasiennedansunélanquifitglisserlaserviettedeNikkiausol,laissantapparaîtresoncorpsnu.

Nikkin’opposaaucunerésistanceets’abandonnaàcebaisersauvage.UneondededésirmontaenSebastian,brûlantsonventrecommeunemorsure.Alorsque leurssoufflessemêlaient, il retrouvait legoûtdelabouchedesafemmeetlafraîcheurmentholéedesapeau.Lepassérattrapaitleprésent.Dessensationsanciennesfaisaientdenouveausurface,libérantenluiunefouledesouvenirscontradictoiresquicrépitaientcommedesflashes.

Chacuns’accrochaità l’autredanscecorpsàcorpsprécipité,cette luttebrutaleoù le réconfortseheurtaitàlapeur,l’ancrageàlafuite.Leursmusclessetendaient,leurscœurscognaient.Prisdevertige,ilsbravaient les interdits,dénouant les liensqui,depuisdesannées, lesmaintenaientprisonniersde lafrustrationetdelarancœur.Peuàpeu,ilslâchaientprise,perdantlecontrôle,roulantvers…

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Clair,argentin,presquemélodieux:lesonpénétraleurcorps,rompantbrusquementleurétreinte.LeportabledeCamille!Lebruitannonçantlaréceptiond’unSMSlesramenabrutalementàlaréalité.Ils reprirent leurs esprits en toute hâte. Sebastian reboutonna sa chemise et Nikki ramassa sa

serviette.Ilsseruèrentdanslachambreets’agenouillèrentautourdutéléphone.Surl’écran,unepastillenotifiait l’arrivéededeuxcourriers.Deuxphotosenvoyéesparmessageriequisechargèrent lentementsurl’écran.

DeuxgrosplansdeCamilleetJeremy,ligotésetbâillonnés.Enprovenancedumêmenuméro,untroisièmemessages’affichasubitement:

Voulez-vousrevoirvosenfantsvivants?

Enétatde choc, ils échangèrentun regard terrifié.Avantqu’ilsn’aient eu le tempsde formuler lamoindreréponse,unnouveauSMSlesmitsouspression:

Ouiounon?

Nikkis’emparaducellulaireetrépondit:

Oui

Laconversationvirtuellesepoursuivit:

Danscecas, rendez-vousà3heuresdumatin,auportdecommercedeManaus,auniveaude lacitélacustre.Venezaveclacarte.Seuls.Neprévenezpersonne.Sinon…

–Lacarte?Quellecarte?Àquoifont-ilsallusion,là?s’écriaSebastian.Nikkipianotasurleclavier:

Quellecarte?

La réponse se fit attendre. Longtemps. Trop longtemps. Figés par la peur, Nikki et Sebastian setenaientimmobilesdanslalumièreirréellequibaignaitlachambre.Lesoirtombait;leciel,laplage,lesimmeubles se fondaient dans une symphonie de couleurs parcourant toutes les nuances, du rose pâlejusqu’aurougecramoisi.Nikkilesrelançaauboutdedeuxminutes:

Dequellecarteparlez-vous?

Les secondes se dilatèrent. Le souffle suspendu, ils guettaient une réponse qui n’arriva jamais.Bientôt, une clameur soudaine monta de la plage : comme chaque soir, touristes et Cariocasapplaudissaientà tout rompre lorsque le soleil secouchaitderrière les«DeuxFrères».Unecoutumesingulièrepourremercierl’astredefeuaprèsunebellejournée.

Exaspéré, Sebastian essaya d’appeler le numéro qui sonna dans le vide. Visiblement, ils étaientcenséssavoirquelquechosequ’ilsignoraient.Ilréfléchitàhautevoix:

–Maisdequoiparlent-ils?Unecarteàpuce?Unecartebancaire?Unecartegéographique?Unecartepostale?

Déjà,NikkiavaitdépliésurlelitleplanduBrésilquel’hôtelmettaitàladispositiondesesclients.Avec un feutre, elle marqua d’une croix le point de rendez-vous que leur avaient indiqué les

ravisseurs.Manausestlaplusgrandevilled’Amazonie,unezoneurbaineaumilieudelaplusvasteforêtdumondeàplusdetroismillekilomètresdeRio.

Sebastianconsultal’horlogemurale.Ilétaitdéjàpresque20heures.Commentpouvaient-ilsserendreàManausavant3heuresdumatin?

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Il appela néanmoins la réception pour demander les horaires des vols entre Rio et la capitaleamazonienne.

Aprèsquelquesminutesd’attente,leconciergeluiannonçaqueleprochaindépartétaitprogramméà22h38.

Sanshésiter,ilsréservèrentdeuxbilletsetcommandèrentuntaxipourgagnerl’aéroport.

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« Boa noite senhoras e senhores. Ici votre commandant de bord, José Luís Machado. Je suisheureuxdevousaccueilliràborddecetAirbusA320àdestinationdeManaus.Notretempsdevolestaujourd’huiestiméà4heureset15minutes.L’embarquementestàprésentterminé.Initialementprévuà22h38,notredécollageseradifféréd’unetrentainedeminutesenraisond’un…»

Nikki soupira et regarda à travers le hublot. En prévision des prochaines compétitions sportivesinternationales,leterminalréservéauxvolsdomestiquesétaitenpleinstravaux.Surlapiste,unedizainedegros-porteursauroulagefaisaientlaqueuesurlestaxiwaysenattendantuncréneaudedécollage.

Mueparunréflexepavlovien,Nikkifermalesyeuxetchaussasesécouteurs.C’étaitlatroisièmefoisqu’elleprenaitl’avionentroisjourset,loinderefluer,sonangoissemontaitd’uncranàchaquevoyage.Elleaugmentalevolumedubaladeurpourselaisserenvahirparlamusique.Unchaoseffrayantrégnaitdanssonesprit.Souslecoupdel’épuisementphysiqueetmental,soncerveauétaitassaillid’imagesetdesensationsquisetélescopaient:lesouvenirencoreàvifdesabrèveétreinteavecSebastian,ledangerinconnuquiplanaitsurleursenfants,lacraintedecequilesattendaitenAmazonie.

Alorsquel’aviontardaitàdécoller,Nikkiouvritlesyeux,troubléeparlamusiquequidéferlaitdansson casque. Elle connaissait ce morceau… Un cocktail d’électro et de hip-hop brésilien. C’était lamusiquequ’elleavaitentenduedanslafavela!Lebailefunkcariocaquis’échappaitdesfenêtres.Delamusiquebrésilienne…Ellefitdéfilerlestitres:unpatchworkdesamba,debossa,desremixdereggae,des titres rappés en portugais. Cet iPod n’était pas celui de son fils ! Pourquoi ne l’avait-elle pasremarquéavant?

Excitée,elleretirasesécouteursetutilisalamolettecliquablepournaviguerdanslesdossiersquecontenait l’appareil :Musique, Vidéos, Photos, Jeux, Contacts…Rien de notable. Jusqu’à ce qu’elleouvreundernierdossiercontenantunfichierPDFassezvolumineux.

–Jecroisquej’aidécouvertquelquechose!dit-elleenmontrantsatrouvailleàSebastian.Ilregardalebaladeur,maislefichierétaitillisiblesurleminusculeécran.–Ilfaudraitqu’onlebranchesurunordinateur,affirma-t-il.Ildétachasaceintureetremontadanslecouloirdel’avionjusqu’àtrouverunhommed’affairesqui

pianotait sur son notebook. Il arriva à le convaincre de lui prêter son appareil et un câble pendantquelquesminutes.De retourà saplace, ilbrancha l’iPodsur l’ordinateurportable. Il repéra le fichierPDFsurlebureauetcliquapourl’ouvrir.

Lespremièresphotosétaientstupéfiantes.Onyvoyaitlacarcassed’unmonoplanàhélicesnoyédanslavégétationamazonienne.L’avions’étaitmanifestementécraséenpleinejungle.Sebastianfitdéfilerlesimages.Sansdouteprisavecuntéléphoneportable,lesclichésn’étaientpasdetrèsbonnequalité,maissuffisammentnetspourqu’ilreconnaisselebimoteuràstructuremétalliquecommeétantunDouglasDC-3équipédeturbopropulseurs.Enfant,ilavaitassembléplusieursmaquettesducélèbreavion.Emblème

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delaSecondeGuerremondiale,l’oiseaudeferavaitmarquél’histoiredel’aviation.Ilavaittransportédes troupessur tous les fronts (l’Indochine, l’AfriqueduNord, leViêtnam…)avantd’être« recyclé»dans le civil. Robuste, rustique et facile d’entretien, il avait été produit à plus de dixmille unités etcontinuaitàvolerenAmériqueduSud,enAfriqueetenAsie.

Suite au crash, le nez de l’avion et l’aileron arrière étaient très endommagés. L’atterrissage forcéavait fait voler en éclats le pare-brise. Les ailes en porte-à-faux s’étaient fracassées et les pales deshélicesétaientbloquéesparunenchevêtrementdelianes.Seullefuselagecentral–auflancpercéd’unegrandeporteàdeuxbattants–étaitpresqueintact.

La photo suivante était macabre. On y voyait les cadavres du pilote et du copilote. Leurscombinaisonsétaientnoiresdesangetleursvisagesdansunétatdedécompositionavancé.

Sebastiancliquapourfaireapparaître lasuite.L’avionétaitenconfigurationcargo.Àlaplacedessiègespassagers,descaissesenboisétaientempiléeslesunessurlesautresetdescoffresmétalliquesouverts contenaientdes armesdegros calibre,des fusilsd’assaut etdesgrenades.Mais surtout…unecargaison hallucinante de cocaïne. Des centaines de paquets rectangulaires recouverts de plastiquetransparentetdebandesadhésives.Combienencomptait-on?Quatrecents?Cinqcentskilos?C’étaitdifficileàestimer,maislavaleurduchargementdevaits’éleveràdesdizainesdemillionsdedollars.

Les images suivantes étaient encore plus explicites. L’auteur des clichés s’était photographié lui-mêmeentendantsontéléphoneàboutdebras.C’étaitungrandéchalasd’unetrentained’annéesarborantuneépaissecrinièrededreadlocks.L’euphorieselisaitsursonvisageémacié,ruisselantdetranspirationet dévoré par une barbe de plusieurs jours. Ses yeux étaient brillants, injectés de sang, ses pupillesdilatées.À l’évidence, il avaitdûs’offrirplusieurs railsdecocaïne.Desécouteurs sur lesoreilles, ilportaitungrossacàdosetunegourdedecampeurclipséeàlaceinturedesonbermuda.Visiblement,iln’étaitpastombéparhasardsurlacarcassedel’avion.

– Notre décollage est imminent, monsieur. Veuillez attacher votre ceinture et éteindre votreordinateur.

Sebastianlevalesyeuxetadressaunhochementdetêteàl’hôtessequilerappelaitàl’ordre.Dans l’urgence, il continua à faire défiler le document pour connaître la fin de l’histoire. Les

dernièrespagescomprenaientunecartesatellitedelaforêtamazonienne,unrelevédecoordonnéesGPSainsiquedesindicationsdétailléesetunitinéraireprécispermettantderetrouverlebimoteur.

Unevéritablecarteautrésor…–Voilàlafameusecartequ’ilsnousontdemandéd’apporter!C’estçaqu’ilsrecherchentdepuisle

début!Nikkiavaitdéjàcompris.Presséeparletemps,ellesortitsontéléphoneetpritplusieursclichésde

l’écrand’ordinateur:l’avion,lacarte,l’étrangebonhommeàlacoiffurerasta.–Qu’est-cequetufais?– Il faut que j’envoie ces informations à Constance. Elle parviendra peut-être à identifier les

trafiquants.L’avionempruntaitmaintenantlavoiedecirculationpourrejoindrelapiste.Trèsremontée,l’hôtesse

repassaàleurniveauetleurenjoignitd’untoncassantd’éteindreleurtéléphone.Avantdes’exécuter,Nikkisélectionnarapidementlesphotosqu’ellevenaitdeprendreetlesenvoya

enpiècesjointesvial’adressedesamessagerieélectronique.Aumomentdecompléterlechampdudestinataire,elleprofitadecequeSebastianparlementaitavec

l’agentdebordpourajouteràl’adresseélectroniquedeConstancecelledeLorenzoSantos.

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Ilétaitplusde21heureslorsquel’aviondeLorenzoSantosseposasurlapistedupetitaéroportdeRioBranco. Il lui avait fallu plus de trente heures pour rejoindre la capitale de l’État de l’Acre.Unvoyageéprouvantrythmépardeuxescales–SãoPauloetBrasília–surlesiègeétroitd’unecompagnielowcost,assisaumilieudepassagersbraillards.

Devant le tapis roulant, il se frotta lespaupièresenmaugréantcontre lechefdecabinequi l’avaitobligéàmettresavaliseensoute.Enattendant sonbagage, il rallumason téléphonepourconsulter samessagerieetconstataqu’ilavaitunmaildeNikki.

Lecorpsdumessageétaitvide.Pasd’objet,pasde texted’explication.Justeunepetitedizainedephotographies.Aufuretàmesurequelesimagessechargeaientsurleterminal,Santossentaitl’excitationle gagner. Il étudia chaque cliché. Tout n’était pas clair, mais peu à peu quelques pièces du puzzles’assemblaientdanssonesprit,validantcertainesdeses intuitions.Commeilavaiteuraisondesuivrel’instinctquil’avaitconduitauBrésil!

Ilserenditcomptequesesmainstremblaientlégèrement.L’exaltation,lafièvre,ledanger,lapeur…Lecocktailpréféréduflic.Ilessayad’appelerNikki,maistombasursonrépondeur.Ill’auraitparié.Cemailétaitunappelau

secours.Iln’attenditmêmepasderécupérersavalise.Déjà,ilcherchaitcommentserendreauterminaldeshélicoptères.Leventavaitenfintourné.Cettenuit,ilallaitfaired’unepierredeuxcoups:résoudrelaplusgrandeaffairedesacarrièreetregagnerl’amourdelafemmequ’ilaimait.

Aumêmemoment,àParis,ConstanceLagranges’acharnait.Elletravaillaitdepuislematin,essayantdemobilisertoutessesressourcespouraiderlesLarabee.ElleavaitrécupérésurlapageFacebookdeSimonlesphotosdeFlaviaqu’elleavaitenvoyéesàsescontactsdanslesdifférentsservicesdepoliceetelleavaitobtenudesinformationssidérantes.

Ses yeux étaient secs. Elle battit plusieurs fois des paupières pour chasser les picotements, lotquotidiendes travailleurssurécran.Elle jetauncoupd’œilà l’horlogenumériquedesonordinateur :3heuresdumatin.Elledécidades’accorderunepauseetse levapouraller jusqu’àlacuisineoùellepréparaune tartinedepaindemieetdeNutella.Ellesavourasacollationfaceau jardin, retrouvantàchaquebouchéelessaveursdel’enfance.Labrisedelafinoctobrecaressaitsonvisage.Ellefermalesyeuxetressentitunepaixintérieureinattendue,commesielleétaitparvenueàselibérerdesacolère,às’affranchirde la terreurde lamort.Elle sentait le frémissementduventqui s’engouffrait à travers lafenêtre,leparfumsucrédescaméliasd’automne.Habitéeparcetteétrangesérénité,ellevivaitl’instantprésent avec une intensité inhabituelle. C’était peut-être absurde, mais toute peur l’avait abandonnée,commesilafinn’étaitplusinéluctable.

Untintementmétalliquesignalal’arrivéed’unnouveaucourrierélectronique.

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Constanceouvritlesyeuxetretournadevantl’écrandesonordinateur.C’était un mail de Nikki ! Elle cliqua pour ouvrir les pièces jointes, qui s’affichèrent presque

instantanément.Desphotosd’unecarcassed’avionquis’étaitécraséenpleinejungle,unecargaisondeM-16etdeAK-47,descentainesdekilosdecocaïne,uncampeurbienallumé,unecarted’Amazonie…

Durant les trois heures qui suivirent,Constance ne leva pas la tête de son écran.Elle envoya desdizainesdemailsàtoutsonréseaupouressayerdefaireparlerlesphotos.Ilétaitpresque6h30dumatinlorsquesontéléphonesonna.

C’étaitNikki.

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Unîlotdebétonenpleincœurdel’Amazonie.La ville deManaus s’étendait au nord-ouest duBrésil, déployant sesmétastases urbaines au plus

profonddelajungle.Après plus de quatre heures de vol, Nikki et Sebastian débarquèrent dans le hall d’arrivée de

l’aéroport. Ils ignorèrent lameute des chauffeurs de taxi illégaux qui abordaient les clients potentielsdanslasalledelivraisondesbagagesets’adressèrentauguichetdescompagniesofficiellespourobteniruncouponderéservation.

Ilpleuvait.Ensortantduterminal,ilsfurentsaisisàlagorgeparlachaleurtropicaleetmoite.L’airétaitsaleet

saturé d’humidité. L’eau de pluie se mélangeait à la poussière, aux vapeurs souillées et aux résidushuileux,rendantl’atmosphèreirrespirable.Ilsremontèrentlafiledestaxisetprésentèrentleurcouponàl’employédelacompagnie,quilesorientaversuneMercedes240Drepeinteenrougeetvert.Lavoitureàlamodeàlafindesannées1970.

L’habitaclesentaitl’aigreetlerenfermé.Uneodeurinfected’œufpourri,desoufreetdevomi.Ilssehâtèrent de baisser la vitre avant demontrer leur itinéraire au chauffeur, un jeunemétis aux cheveuxraidesetauxdentsgâtéesvêtudumaillotjauneetvertdelaSeleção1.Àlaradio,uneMacarena saucebrésilienne.Insupportable,assourdissante.

NikkiallumasontéléphoneetessayadejoindrelaFrancetandisqueSebastiandemandaitfermementauchauffeurdebaisserlevolumedesamusique.Aprèsquelquesessaisinfructueuxpourobtenirlaligne,Constancedécrochaenfin.Nikkilamitaucourantdelasituationenquelquesmots.

–Jesuisalléeàlapêcheauxrenseignementsetj’aidemauvaisesnouvelles,annonçalajeuneflic.– Nous avons très peu de temps, prévint Nikki en branchant le haut-parleur pour permettre à

Sebastiandeprofiterdelaconversation.–Alors,écoutez-moiattentivement.J’aienvoyélesphotosdeFlaviaàtoutmoncarnetd’adresses.Il

y a quelques heures, j’ai reçu un appel d’un demes collègues de l’OCRTIS, l’Office central pour larépressiondutraficillicitedesstupéfiants.Ilareconnulajeunefemmesurlesphotos.Ellenes’appellepasFlavia. Il s’agitdeSophiaCardoza,aussiconnuesous lenomde«BarbieNarco».C’est la filleuniquedePabloCardoza,unpuissantbaronbrésiliendeladrogue,lechefducarteldesSeringueiros.

NikkietSebastianéchangèrentunregardaffolé.LesSeringueiros…IlsavaientdéjàentenducenomàRio.

– Depuis un mois, Pablo Cardoza dort dans une prison fédérale de haute sécurité, poursuivitConstance. Officiellement, le cartel a été démantelé lors d’un gigantesque coup de filetmené par lesautoritésbrésiliennes,mais la fameuse«Flavia»ambitionnemanifestementde reprendre les rênesde

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l’empiredesonpère.Sonboulotdeserveusesur laplaged’Ipaneman’estqu’unecouverture.Ellen’ajamaisvécudanslesfavelas…VotrepéripleàtraverslaRocinhan’étaitqu’unemiseenscène.

Malgré l’odeur,Nikki remonta la fenêtrepourcouvrir lebruitde laville.Lachaleurétaitpesante.L’humiditéetlapollutioncontaminaienttout.Lesgratte-cielsanscharmealternaientavecdesmonumentsplus anciens, vestiges du fastueux passé de la ville, lorsque la capitale de l’Amazonie dominait laproductionmondialedecaoutchouc.Mêmeenpleinenuit,lesruesétaientencoreanimées,grouillantesetbruyantes.

–Etl’avion?demanda-t-elle.–J’aimontré lesphotosduDC-3àmoncollèguede l’OCRTIS.Pour lui, iln’yaaucundoute : le

bimoteur appartient au cartel et la cargaison de drogue proviendrait de Bolivie. Probablement entrequatrecentsetcinqcentskilosdecocaïnepurepourunevaleurde50millionsdedollars.Lecargoadûavoiruneavarieavantdes’écraseraumilieude la jungle, ilyadeuxou trois semaines.Depuiscettedate, Flavia et lesmembres du cartel qui ont réussi à échapper aux arrestations doivent le rechercheractivement.

–C’estsicompliquéderetrouverunaviondecettetaille?demandaSebastian.– EnAmazonie, oui. Suivant où il s’écrase, il peut être impossible de le repérer. La plupart des

endroitssontsi reculésqu’iln’yani routeniaccès, rien.L’avionnedevaitpasposséderdebalisededétresse.J’aifaitdesrecherches:l’annéedernière,lesmilitairesbrésiliensontmisplusd’unmoispourlocaliser un Cessna de la Croix-Rouge qui s’était crashé dans la jungle. Et encore, c’est une tribuindiennequilesamissurlapiste.

LaFrançaiselaissapasserquelquessecondesavantdecontinuer:–Maisleplussurprenant,c’estl’identitédel’hommequiatrouvél’avion…–Jenecomprendspas.–Lesphotosdubimoteurontétéprisesavecuntéléphoneportable,expliquaConstance.D’aprèsson

attiraildecamping,visiblesurcertainsclichés,onpourraitcroireàunrandonneurtombésurl’épaveparhasard.Jecroisaucontrairequ’illacherchaitetqu’iladoublélestypesducartel.Jepenseégalementqu’ilétaitseul,carlesphotossurlesquellesilfigureontétéfaitesàboutdebras.Commeilportaituntee-shirtavecledrapeauaméricain,j’aipariéqu’iln’étaitpasbrésilienetj’aiconsultéàtouthasardlesbasesdedonnéesd’Interpol.Tenez-vousbien:letypeestrecherchéparlapolicenew-yorkaisedepuiscinq ans. Il a quitté Brooklyn après avoir été condamné à une lourde peine de prison. Son nom estMemphisDecker:c’estlefrèredeDrakeDecker,letenancierduBoomerang…

NikkietSebastianencaissèrentl’informationavecstupéfaction.Depuisqu’ilsavaientquittélazonedel’aéroport,lechauffeurpoursuivaitlamêmeroute:l’AvenidaConstantinoNery,uneespècedeStriplocalqui reliait lenord-ouestdeManaus auport enpassantpar le centrehistorique.Brusquement, ilsquittèrent l’avenue par une bretelle autoroutière pour déboucher sur une enfilade de débarcadèresdesservisparuneroutegoudronnée.DominantleseauxnoiresduRioNegro,l’immenseportdeManauss’étendaitàpertedevue.

–Le type qui a découvert leDC-3 était le frère deDrakeDecker ?Vous en êtes sûre ? demandaSebastian.

–Certaine, confirmaConstance. Il a transféré les photos et la carte sur son iPod avant d’envoyerl’appareilàsonfrèreàNewYork.EtDraken’arientrouvédemieuxquedeleconserverdanslamallettedepokerqueluiavoléeJeremy…

–EtvoussavezoùsetrouveceMemphisDecker,aujourd’hui?demandaNikki.–Oui, au cimetière. Son cadavre a été retrouvédans le parkingde la gare routière deCoari, une

petite ville en bordure de l’Amazone. D’après le rapport de police, son corps portait des traces detorturesetdemutilations.

–LeshommesdeFlavia?

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–C’estévident.Sansdouteont-ilsessayédeluiextorquerlalocalisationexactedel’avion.Le taxidépassa lespremièresembarcations :desbateauxgigantesquessur lepontdesquelsétaient

suspendusdescentainesdehamacsmulticolores.Puisiltraversalazonedévolueauxcargosenpartancepour les principales escales du bassin amazonien – Belém, Iquitos, Boa Vista ou Santarém – avantd’arriverdevantuneimmensehalleenacier.Sousunecharpentemétalliquemonumentale, lesétalsdescommerçants débordaient de poissons, de plantesmédicinales, de carcasses de bœufs, de peaux et defruits tropicaux. L’air était dense et saturé de manioc. Coloré, anarchique, ce « Rungis amazonien »bourdonnaitd’animation.Danslaconfusion,desdizainesdepêcheursravitaillaientlesétals,déchargeantdescrustacésencorefrétillants.

Alorsqueletaxicontinuaitlelongdesquaisrouillés,Sebastiansefrottalespaupières,essayantdereconstituer l’enchaînement des événements. Après avoir tuéMemphis, les hommes du cartel avaientenvoyél’undesleurs–sansdoutelefameux«Maori»–pourprendrecontactavecDrakeDecker.Souslamenace,Drakeavaitdûavouers’êtrefaitvolerlebaladeurparungaminappeléJeremy.Maiscommel’avaitpréciséSimon,Drakeneconnaissaitnilenomnil’adressedeJeremy.LesseulesinformationsàsadispositionétaientsonprénometsapassionpourlesShooters,dontilportaitsouventletee-shirt.Etc’estpar l’intermédiairede lapageFacebookdugroupederockqueFlaviaavait réussià remonter lapistejusqu’àJeremypourleséduiredansl’espoirdelefairevenirauBrésilavecl’iPod…

Unplandingue.Unemachinationperverseetmachiavélique.–Aqui é a cidade à beira do lago, prévint le chauffeur alors que les hangars et les conteneurs

laissaientplacepeuàpeuàdeshabitationssauvages.Lacitélacustreétaitunesortedefavelaauborddel’eaunoire.Unbidonvillesurpilotisconstituéde

masuresenboisavecdes toitsen tôleondulée.Uncloaquedebouegrasseetcollantedans laquelle lavoituremenaçaitdes’embourberàtoutinstant.

–Jedoisraccrocher,Constance.Mercipourvotreaide.–N’allezpasàcerendez-vous,Nikki!C’estdelafolie!Vousnesavezpasdequoisontcapables

ceshommes…–Jen’aipaslechoix,Constance,ilsdétiennentmesenfants!Laflicmarquaunecourtepauseavantdeprévenirgravement:– Si vous leur donnez les coordonnées de l’emplacement de l’avion, ils vous exécuteront dans la

minute,vousetvosenfants.C’estunecertitude.Refusantd’enécouterdavantage,Nikkiraccrocha.Sansciller,ellecoulaunregardverssonex-mari.

Cettefois,ilsavaientbienconsciencedejouerladernièremanched’unepartiequ’ilsnepouvaientpasgagner.

Le chauffeur arrêta la voiture, empocha le prix de la course et s’empressa de faire demi-tour,abandonnant ses passagers aumilieu d’un paysage de désolation.Nikki et Sebastian restèrent un longmomentseuls,debout,prisonniersdelapeur.Danslanuitnoire,lecrachinetlebrouillardimprégnaientces terres dévastées pour les transformer en un immense bourbier cerné de broussailles. À 3 heuresprécises,deuxénormesHummerdébouchèrentdanslanuitetseportèrentàleurniveau.Aveuglésparlalumière des phares, ils s’écartèrent pour éviter d’être écrasés par les monstrueux tout-terrain. Lesvéhiculess’immobilisèrent,gardantleurmoteurallumé.

Les portières s’ouvrirent. Cinglés dans des uniformes de camouflage, harnachés de cartouchières,fusils d’assaut IMBEL en bandoulière, trois hommes lourdement armés jaillirent dans la nuit. Desguérillerosreconvertisennarcotrafiquants.

Sans ménagement, ils extirpèrent Camille et Jeremy d’un des 4X4 et les tinrent en joue, mainsattachéesdansledos,boucheentravéeparduchatterton.

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En apercevant leurs enfants, Nikki et Sebastian sentirent leurs ventres se nouer. Leurs cœurss’emballèrent.Auboutdel’enfer,ilsavaientfiniparretrouverCamilleetJeremy.

Vivants.Maispourcombiendetempsencore?UnejeunefemmeblondeetminceclaquaenfinlaporteduHummeretsepostatriomphalementdansla

lumièredesphares.SophiaCardoza,alias«BarbieNarco».Flavia.

1.Équipenationaledefootball.

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Magnétique,féline,finecommeunelame.LasilhouetteeffiléedeFlaviasedécoupaitdanslabruineetlalumièrecruedespharesdes4×4.Des

vaguesblondesondulaientsursesépaulesetdesrefletsirisésscintillaientdanssonregard.–Vousavezquelquechosequim’appartient!cria-t-elleàtraverslanuit.Plantésàdixmètresd’elle,NikkietSebastianrestaientimmobilesetsilencieux.L’éclatd’unpistolet

automatique brilla entre lesmains de laBrésilienne. Elle attrapaCamille par la chevelure et posa lecanonduGlocksursatempe.

–Allez!Donnez-moicettefoutuecarte!Sebastian s’approcha d’un pas, cherchant sa fille du regard pour la rassurer. Il voyait son visage,

blancdeterreur,marbrédemèchesplaquéesparlevent.Affolé,ilpressasonex-femmeàvoixbasse:–Remets-luil’iPod,Nikki.Unebourrasquemêléedepluiebalayaleshautesherbesdutalus.–Soyezraisonnables,s’impatientaFlavia.LacarteetdansdeuxminutesvousrepartezauxÉtats-Unis

avecvosenfants!La proposition était séduisante, mais mensongère. L’avertissement de Constance résonnait encore

dans la tête deNikki : « Si vous leur donnez les coordonnées de l’emplacement de l’avion, ils vousexécuterontdanslaminute,vousetvosenfants.C’estunecertitude.»

Ilfallaitgagnerdutemps,coûtequecoûte.–Jenel’aiplus!criaNikki.Unsilencemédusé.–Commentça,vousnel’avezplus?–Jem’ensuisdébarrassée.–Pourquoiauriez-vouspriscerisque?demandaFlavia.–Unefoisquejevousauraisdonnélacarte,quelintérêtauriez-vouseuànousmaintenirenvie?Les traits de Flavia se figèrent en unmasque glacé. D’unmouvement de tête, elle ordonna à ses

hommes de fouiller les Américains. Aussitôt, les trois guérilleros se jetèrent sur leurs prisonniers,retournantleurspoches,palpantleursvêtementssansrientrouver.

– Jeconnais l’emplacementexactde l’épave !affirmaNikkienessayantdedissimuler sapeur. Jesuislaseuleàpouvoirvousyconduire!

Flavia hésita. Dans les plans qu’elle avait échafaudés, elle n’avait pas prévu de s’encombrerd’otages,maisavait-ellevraimentlechoix?Ilyadeuxsemaines,elleavaitcruquelatorturedélieraitlalanguedeMemphisDecker,maisl’Américainétaitmortsansrévélerlescoordonnéesdel’avion.Àcausedececontretemps,ellesetrouvaitàprésentdosaumur.Elleregardasamontreenessayantdegardersoncalme.Lecompteàreboursarrivaitbientôtàsonterme.ChaqueheureperdueaugmentaitleschancesdevoirlesforcesdepoliceretrouverleDC-3avantelle.

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–Leva-los!cria-t-elleàseshommes.Dansunmêmemouvement,lesguérillerospoussèrentlesLarabeeetleursenfantsverslesvéhicules.

Sans ménagement, Nikki et Sebastian furent projetés à l’arrière d’un des 4X4 tandis que Jeremy etCamilleétaientséquestrésdansl’autre.Puislesdeuxtout-terrainquittèrentleportaussivitequ’ilsétaientarrivés.

Ils roulèrentvers l’estpendantunedemi-heure.Leconvoi traversait lanuit,empruntantdesartèresdésertesavantde s’enfoncerdansuncheminde terreboueux.Le sentier longeaitun lacencaisséet seprolongeait jusqu’à une vaste étendue de terre où stationnait un imposant Black Hawk. Lesnarcotrafiquantsetleursotagesétaientattendus.Àpeineavaient-ilsposélepiedausolquedéjàlepilotedel’hélicoptèremettaitenroutelaturbine.Souslamenacedesfusilsd’assaut,lafamilleLarabeemontaàborddel’appareil,suivieparFlaviaetseshommes.

Lajeunefemmecoiffauncasqueets’installaàlaplaceducopilote.–Tiramos!ordonna-t-elle.Lepiloteacquiesçadelatête.IlorientaleBlackHawkfaceauventettirasurlepascollectifpourle

faire décoller. Flavia attendit que l’hélicoptère ait trouvé sa vitesse de croisière pour se tourner versNikki.

–Oùva-t-on?demanda-t-ellefermement.–D’abord,endirectiondeTefé.Flavia la fixa d’un regard profond qui s’efforçait de paraître calme,mais la lueur intense de ses

pupillestrahissaitl’impatienceetl’exaspération.Nikkinedonnapasdavantaged’informations.Pendanttoute la durée du vol Rio-Manaus, elle avait étudiéminutieusement la carte et l’itinéraire quimenaitjusqu’à la carcassede l’avionbourréede cocaïne.Mentalement, elle avait fractionné la trajectoire enautantdebalisesqu’ellecomptaitégrenerlepluslentementpossible.

Àl’arrièredel’appareil,Sebastiann’avaitaucuncontactavecsesenfants.Lestroisgorilless’étaientinstallésdefaçonàconstituerunesortedeparaventquiempêchaittoutregardettoutecommunication.

C’estpendantladeuxièmeheuredevolqueSebastianressentitlespremierssymptômes.Unepousséedefièvre,desnausées,desdouleursarticulairesauniveaudesjambes.Ilavaitl’échineglacée,lanuqueraideetdesmauxdetête.

Une grippe tropicale ? Il pensa aux moustiques qui l’avaient dévoré dans la favela. Ils étaientvecteursdedengue,maisletempsd’incubationluisemblaitunpeucourt.L’avionalors?Dansl’appareilquilesconduisaitdeParisàRio,ilsesouvenaitd’unpassagermalenpointassisjustedevantlui.Letypeavait passé tout le voyage à frissonner sous des couvertures. Peut-être lui avait-il transmis unesaloperie…

Cen’estpourtantpaslemomentd’êtremalade.Maisilnepouvaitriencontrelamontéedefièvre.Ilserecroquevillasurlui-mêmeensefrictionnant

lescôtespourseréchaufferetenpriantpourquesonétatnes’aggravepas.

Tefé était à plus de cinq cents kilomètres deManaus.Unedistanceque l’hélicoptère parcourut enmoinsde troisheures,survolantunemerd’arbres,uneétenduesombre infiniequisaturait lechampdevision.Pendanttoutletrajet,FlaviaimposaàNikkideresterdanslepostedepilotagepoursuivresurl’écranlaprogressionduBlackHawk.

–Etmaintenant?demandalanarcotrafiquantealorsquelesoleilselevaitdansuncielroseetbleu.Nikkirelevalamanchedesonpull.Commeuneadolescente,elleavaitinscritaustylosursonavant-

brasunesériedechiffresetdelettres:

S4321

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W644830

ElleavaitbienretenulaleçondeSebastianpourexprimerlescoordonnéesgéographiquesd’unpoint.Latitudeetlongitude.Degrés,minutesetsecondes.

Flaviaplissalesyeuxetdemandaaupiloted’entrerlesdonnéesdanslesystèmedenavigation.LeBlackHawkvolaencorependantunedemi-heureavantdeseposerdansunepetiteclairièreau

milieudelaforêt.Tout le monde descendit de l’hélicoptère dans la précipitation. Les guérilleros s’équipèrent de

machettes,degourdesetdelourdssacsàdos.Ilsattachèrentpar-devantlespoignetsdechaquemembredelafamilleàl’aidedemenottesserre-flexenplastique,leuraccrochèrentunegourdeàlaceinture,etlegroupes’enfonçadanslaforêtvierge.

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–Çava,papa?s’inquiétaJeremy.Sebastian réponditd’unclind’œil rassurant,maisson filsne futpasdupe.Sonpèreétaitennage,

tremblantdefièvre,lecouetlevisagerecouvertsdeplaquesrouges.Ils crapahutaient depuis deux heures. Armés chacun d’unemachette, deux guérilleros ouvraient le

passagetandisqueletroisièmetenaitenjouelesprisonniers.NikkifermaitlamarchesouslamenacedeFlavia.ElleavaitcommuniquéàlajeunenarcodenouvellescoordonnéesimmédiatemententréesdansunrécepteurGPSportatif.ElleprofitaitdesaproximitéavecFlaviapourjeterdenombreuxcoupsd’œilaurécepteuretsuivreainsilaprogressiondugroupeàl’écran.D’aprèslacartequ’elleavaitétudiéedansl’avion,denombreuxkilomètreslesséparaientencoredelacarcasseduDC-3.

Àprésent,ilsétaientloindetoutecivilisation,perdusdansunlabyrinthedenseetvégétal.Ledangerétait partout. Il fallait éviter les troncs, les racines, les trous d’eau. Échapper aux serpents et auxtarentules. Endurer la fatigue, la chaleur, les hordes demoustiques qui attaquaientmême à travers lesvêtements.

Plus ils progressaient, plus la végétation se faisait hostile, épaisse, collante. Comme dans unemarmitedantesque, la forêt frémissait, bouillonnait, bruissait demille souffles.L’air était saturéd’uneodeurtiédasseoùpalpitaientdesparfumsoppressantsdeterrefermentée.

Alorsqu’ilstraversaientuntunneldebranchages,unebrusqueaversetropicales’abattitsurlajungle,mais Flavia refusa de s’arrêter. La pluie dura vingt minutes, gorgeant le sol d’eau et rendant leurprogressionplusdifficileencore.

Ils firent une pause à midi, après cinq heures de marche. Sebastian vacilla et crut qu’il allaits’évanouir.L’humiditésaturait tout.Combinéeà lafièvre,elle lefaisaitsuffoquer.Ilavaitbutoutesoneauetmouraitdesoif.Camilles’enaperçutetluitenditsagourde,maisillarefusa.

Ils’appuyacontreuntronc,puislevalatêtepourregarderlacimedesarbresquiculminaientàplusde quarante mètres. Dans son délire, les trouées de ciel lui paraissaient apaisantes. Des lambeauxlointainsdeparadis…

Soudain,ilsentitunevivedémangeaison:unecoloniedefourmisrougesgrimpaitlelongdesonbras,s’infiltrant dans lamanche de sa chemise. Il essaya de s’en débarrasser en se frottant à l’arbre ; lesminusculesinsectess’écrasaientsouslapressionenunliquideérubescent.

Undesgardesducorpsseportaàsonniveauetlevasoncoupe-coupe.Sebastian,prisdepanique,serecroquevillasurlui-même.L’hommeabattitsalamecontrel’arbreetindiquaàSebastiand’engoûterlasève.Letroncsaignaitunliquideblancetvisqueuxquiavaitungoûtdelaitvégétalprochedelanoixdecoco.Legorillecoupaseslienspourluipermettrederemplirsagourde.

Ilsmarchèrentencoreuneheureavantd’atteindrelepointqueMemphisDeckeravaitindiquésurlacarte.

Rien.

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Riendeparticulieràcetendroit.Justeunenchevêtrementvégétal.Desnuancesdevertquisemultipliaientàl’infini.–Vocêachaqueeusouumidiota!criaFlavia.–Ildevraityavoirunerivière!sedéfenditNikki.Inquiète, l’Américaine vérifia les coordonnées sur l’écran duGPS. Le récepteur haute sensibilité

fonctionnaitmêmesouslesarbres.Unvoyantindiquaitquelaréceptionsatelliteétaitbonne.D’oùvenaitleproblème,alors?

Elle scruta lepaysagequi l’entourait.Desoiseauxbleusauplumage fourni jacassaientcommedesperroquets.Ungroupedeparesseuxcherchaitdesbranchesensoleilléespoursécherleurtoisonaprèslapluie. Soudain,Nikki pointa un troncmarqué d’une flèche. Pour retrouver son chemin,Memphis avaittaillél’arbreàlamachette!Flaviaordonnaaugroupedechangerdedirection.Ilsmarchèrentencoreunedizainedeminutesavantdedébouchersuruncoursd’eauboueux.

Malgrélasaisonsèche,leniveaudelarivièren’étaitpassuffisammentbaspourpouvoirlatraverseràpied.Ilslongèrentlecoursd’eauenremontantverslenordtoutenguettantlescaïmansimmobilesquiflottaient,alanguis,àlasurface.Bienquelesbergessoientbroussailleuses,leterrainétaitbeaucoupplusdégagéquecequ’ilsavaientconnujusqu’ici,cequifacilitaleurprogressionjusqu’àunpontsuspendu.

Degrosseslianesétaientattachéesentreellesdansunentrelacsarriméauxbranchesdesarbres.Quiavait construit ce pont ?Memphis ?C’était peu probable, car l’ouvrage avait dû demander du temps.Peut-êtredesIndiens.

Flaviafutlapremièreàs’élancersurletablierdelapasserelle,puis,touràtour,lesautresmembresdugroupe la franchirent prudemment.Lepont vacillait à unebonnedizainedemètres au-dessusde larivière. À chaque passage, le fragile édifice craquait davantage, menaçant de s’effondrer. Après cetobstacle,ilsmarchèrentencoreplusd’uneheure,s’enfonçantànouveaudanslaforêtd’émeraudejusqu’àatteindreunenouvelletrouéedelumière,undesraresendroitsdelajunglesuffisammentdécouvertspourpermettreauxrayonsdusoleilderéchaufferlesol.

–C’estici!annonçaNikki.D’aprèslacarte,lacarcasseduDC-3setrouveàmoinsdetroiscentsmètresdelaclairièreenremontantverslenord-est.

–Sigaaseta!crial’undesguérillerosendésignantunnouvelarbregravéd’uneflèche.–Vamoscomcuidado!recommandaFlaviaensortantsonGlock.Ilparaissaitpeuprobablequelelieusoittruffédepoliciers,mais,depuisl’arrestationdesonpère,

elle vivait dans la paranoïa.Elle prit la tête du cortège, recommandant la plus grandeprudence à seshommes.

Sebastianeutdeladifficultéàfairelesquelquesmètresrestants.Ilavaitlesyeuxcollantsetsaignaitdu nez. Secoué de tremblements, proche du malaise, il transpirait par tous les pores. Cette fois, lamigrainequiluivrillaitlecrâneluifitlâcherprise.Auborddelarupture,iltombaàgenoux.

–Levante-se!hurlal’undeshommesenseportantàsahauteur.Sebastianessuyalasueursursonvisageetserelevaavecpeine.Il but quelquesgorgées à sagourde, cherchant du regardNikki et ses deux enfants.Les images se

brouillaient,mais il putdistinguer lesmembresde sa famille serrés lesunscontre les autres, toujourssouslamenacedesgardesducorpsdeFlavia.

AlorsqueJeremyadressaitunpetitsigneàsonpère,ilfutéblouiparunéclatdelumière.Unobjet,àmoitiéenfouisouslesbroussailles,brillaitdemillefeux.Discrètement,l’adolescentleramassamalgrésesdeuxpoignetsentravés.C’étaitunbriquet-tempêteenorblancgainédecuir.Enexaminantleboîtier,ilremarqualesinitialesL.S.entrelacéessurlechapeauargenté.

LorenzoSantos…

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C’était le briquet que samère avait offert à Santos ! Il le glissa dans sa poche en se demandantcommentilavaitpuatterrirenpleinejungle.

Puis le groupe reprit sa marche en avant, se coulant dans le sentier que Memphis Decker avaitsommairementdégagéquelquessemainesplustôt.

Au bout de dix minutes de marche, Flavia donna un nouveau coup de machette puis écarta unedernièrebranche.

Lacarcassedel’avions’étendaitdevanteux.Énorme,saisissante,effroyable.

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Ilsavancèrentprudemment.Long de plus de vingt mètres, le corps argenté du DC-3 brillait sous la végétation. Le train

d’atterrissage avait sauté sous la violence du choc et le cockpit s’était fracassé contre un gros tronccouchéquiavaitécrasélapointesouslegouvernail.Sonfuselagebombéétaitcabossé,sesflancstrouéspar une dizaine de hublots qui avaient volé en éclats.Quant à la voilure, elle s’était brisée des deuxcôtés,décapitantlesdeuxflèchesd’acier.L’avionn’étaitplusqu’unevieillecarcassebientôtrongéeparlacorrosion.

Saufquecettecarcassecontenait50millionsdedollars.

Ladrogue,enfin…Unsouriremâtinéde soulagement illumina levisagedeFlavia.Tout enelle sedétendit.Elle était

enfinparvenueàretrouverlacocaïne.Lesmillionsqu’elletireraitdelaventedelacargaisonallaientluipermettrederessusciterlecarteldesSeringueiros!Ellen’avaitpasfaittoutçapourl’argent,maispoursauverl’honneurdesafamille.Sonpère,PabloCardoza,nel’avaitjamaispriseausérieux.Ilnejuraitqueparsesdeuximbécilesdefrèresquipasseraientpourtantlafindeleurvieenprison.Elleseuleavaitétéassezmalignepouréchapperàlapolice.Elleseuleavaitétéassezintelligentepourretrouverl’avion.Sonpèreétaitsouventsurnommél’Imperador.Désormais,ceseraitelle,l’Imperatrizdeladrogue!Etsonempires’étendraitdeRioàBuenosAiresenpassantparCaracasetBogotá…

Deuxcoupsde feuclaquèrentdans le silencemoitede la jungle, sortantbrutalementFlaviadesesrêvesdegrandeur.Sansqu’ilsaientpuesquisserlemoindregeste,lesdeuxguérillerosquiouvraientlamarches’écroulèrentausol,atteintsd’uneballeenpleinetête.Planquédanslacarcassedubimoteur,unsniperlesajustait,utilisantl’undeshublotscommemeurtrière!Unetroisièmeballefenditl’air,frôlantlajeuneBrésiliennequisejetaausolpours’emparerdufusil-mitrailleurd’undesmembresducommando.LesLarabeeplongèrentàleurtouràterre,roulantdanslavégétationetserecroquevillantpouréviteruneballeperdue.

Larépliquefutd’uneviolenceinouïe.Flaviaetsongardeducorpsarrosèrentlebimoteur,noyantlefuselage de leurs tirs croisés. Des gerbes de flammes et d’étincelles jaillirent des fusils. Les ballessifflaientdetouslescôtés,ricochantcontrelacarlinguedansunfracasétourdissant.

Puislesilencesuccédaautonnerre.–Eumateiele1!affirmalesoldat.Flaviaétaitdubitative.Sûrdelui,leguérilleroseruaimprudemmentpourenjamberlaportelatérale

quiperçaitlefuselage.Aprèsquelquessecondes,ilenressortitréjouietpleind’entrain:–Eleestamorto!annonça-t-iltriomphalement.Ledoigtsurladétente,FlaviaavaitregroupélafamilleLarabeequ’elletenaitdansleviseurdeson

IMBEL.

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–Matá-los2!ordonna-t-elleàsonhommedemain.–Todososquatro3?–Sim,seapresse4!dit-elleenpénétrantàsontourdanslacarlingue.Leguérillerotiraunearmedepoingdesonétuietl’alimentad’unnouveauchargeur.Visiblement,ce

n’étaitpaslapremièrefoisqu’ilexécutaitcegenredebesogne.Sanstrembler,ilimposaàsesprisonniersdesemettreàgenouxcôteàcôtedanslesbroussailles.

Sebastian,Nikki,Camille,Jeremy…IlposalecanonfroidcontrelanuquedeJeremy.Terrorisé,l’adolescenttranspiraitàgrossesgouttes

et tremblait convulsivement. Sa bouche se déforma. Écrasé par la culpabilité, épouvanté par lesconséquencesdesesactes,ilfonditenlarmes.Ilavaitcherchéàréunirsesparents,maissonidéalismenaïfavaitbasculédansl’horreur.Àcausedelui,sasœur,sonpèreetsamèreallaientmourir.

Lessanglotss’étouffèrentdanssagorge.–Pardon,hoqueta-t-ilaumomentoùletueurposaitledoigtsurladétente.

1.«Jel’aitué!»

2.«Tue-les!»

3.«Touslesquatre?»

4.«Oui,dépêche-toi!»

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Flavia s’avança dans la carlingue de l’avion.Le tunnel sentait la poudre, l’humus, l’essence et lamort.

Ellenaviguaitentrelescaissesdecocaïne,sefrayantunpassagedanslecorridorjusqu’aucorpsdeSantos.Leflicétaitcriblédeballes.Unfiletdesangnoiretépaiss’écoulaitdesabouche.Flaviaregardafroidement la dépouille en se demandant qui était cet homme et comment il avait pu retrouverl’emplacement du DC-3 avant elle. Elle s’accroupit et surmonta sa répugnance pour fouiller dans lapocheintérieuredelavestedumort.Elleycherchaitunportefeuille,maiselletombasurunétuidecuircontenantuninsignedelapolicedeNewYork.

Inquiète,elleallaitsereleverlorsqu’elleaperçutlebraceletmétalliquequienserraitlepoignetdroitduflic.

Desmenottes?…Troptard.Dansunderniereffort,SantosouvritlesyeuxetattrapalepoignetdeFlaviapourleglisser

dansledeuxièmebraceletqu’ilrefermadansunclic.Prise au piège, paniquée, la jeune Brésilienne essaya vainement de se libérer, mais elle était

dorénavantenchaînée.–Aurélio!Salva-me1!hurla-t-ellepourappeleràl’aidesonhommedemain.Lescrisde«BarbieNarco»suspendirentlegesteduguérillero.Alorsqu’ils’apprêtaitàexécuter

Jeremy, il releva son arme et abandonna ses prisonniers pour se précipiter à l’intérieur de l’avion. Iltraversal’habitacledubimoteuretseportaauniveaudeFlavia.

–Melivre2!haleta-t-elle.Auréliocompritaussitôtlepartiqu’ilpouvaittirerdelasituation.Sesyeuxbrillèrentd’uneflamme

folle. Tout pouvait lui appartenir ! La drogue et les millions de dollars, le pouvoir et le respect.L’excitationd’uneviedébarrasséedetoutecontrainte…

IllevalecanonduGlocketleposasurlefrontdeFlavia.–Sintomuito3,murmura-t-ilavantdefairefeu.

La violence de la détonation couvrit le bruit de la porte à double battant queSebastian venait de

refermersurlefuselage.IlseretournaversNikkiet,d’unsignedetête,luidemandademettreleursenfantsàl’abri.Alors,ilallumalebriquet-tempêtedeSantosetleprojetaàtraversl’undeshublots.Les rafales tirées par les fusils d’assaut avaient criblé le fuselage et percé le réservoir principal.

Baignant dans l’essence, le bimoteur s’embrasa, tel un bûcher dont les flammesmontèrent rapidementjusqu’auxdernièresbranchesdesarbres.

Puisilexplosa.Commeunebombe.

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1.«Aurélio!Sauve-moi!»

2.«Délivre-moi!»

3.«Jesuisdésolé.»

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Deuxansplustard

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Toutavaitcommencédanslesang.Toutfiniraitdanslesang.

Lescris.Laviolence.Lapeur.Ladouleur.

La séance de torture durait déjà depuis plusieurs heures,mais le temps se dilatait, abolissant les

repèrescommedansundélirefiévreux.Épuisée,tendue,haletante,Nikkiouvritlesyeuxetfituneffortpourreprendresonsouffle.Allongée

sur le dos, elle sentait la chaleur oppressante qui courait sur sa peau, les pulsations de son cœur quicognaitdanssapoitrine,lasueurquibaignaitsonvisage.

Lesangpalpitaitdanssestempes,compressantsoncrâneettroublantsavision.Danslalumièrecruedes néons, elle distinguait, par bribes, des images effrayantes : seringues, instruments métalliques,tortionnairesmasquésquis’affairaientdansunballetsilencieuxenéchangeantdesregardsentendus.

Unenouvellelamedefondsoulevasonventre.Auborddelasuffocation,elleétouffaunhurlement.Elleauraiteubesoinderépitetd’oxygène,mais,àprésent,ilfallaitallerjusqu’aubout.Elles’accrochaauxaccoudoirsensedemandantcommentelleavaittenulechoclapremièrefois,dix-septansplustôt.Àcôtéd’elle,Sebastianprononçaquelquesmotsderéconfort,maisellenelesentenditpas.

Lapochedeseauxserompit,puislerythmedescontractionss’accélérapourdevenirplusintense.Legynécologuestoppalaperfusiond’ocytociqueetposalesmainssursonventre.Lasage-femmel’aidaàreprendrehaleine,luirappelantdebloquersarespirationalorsquelacontractionarrivait.Nikkilaissapasser la douleur, puis poussa de toutes ses forces. Progressivement, l’obstétricien dégagea la tête dubébépuis,lentement,lesépaulesetleresteducorps.

Alorsquelenouveau-népoussaitsespremierscris,Sebastianaffichaunlargesourireetserralamaindesafemme.

LemédecinjetaunœilaumonitoringpourcontrôlerlerythmedesbattementsducœurdeNikki.Puisilsepenchapourvérifierquelejumeauseprésentaitbienlatêteenbasetsepréparapourla

secondenaissance.

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Merci

àIngrid,poursesidées,sonimplicationetsonsoutien.

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DUMÊMEAUTEURchezXOÉditions

Etaprès…,2004Sauve-moi,2005Seras-tulà?,2006Parcequejet’aime,2007Jerevienstechercher,2008Queserais-jesanstoi?,2009LaFilledepapier,2010L’Appeldel’ange,2011

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©XOÉditions,2012EAN:978-2-84563-577-7

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