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Sentiment national et nationalisme en France de 1848 à la veille de la

Première Guerre mondiale

Introduction

Le terme nation est ancien et renvoie au verbe latin nascor, naître. Il a toujours désigné une

communauté humaine. Il existait donc déjà sous l'Ancien Régime (Mazarin crée ainsi un Collège

des Quatre-Nations, aujourd'hui devenu l'Institut de France). Mais la Révolution française a exalté

la Nation en armes. Elle a lié en France l'idée de nation à celle de République. La France est

considérée comme le premier Etat-nation d'Europe, dont l'exemple inspira le « printemps des

nationalités » dans l'Europe de 1848.

Problématique :

-Comment peut-on expliquer dans ce contexte l'apparition du nationalisme en France ? (Le

nationalisme étant « essentiellement un principe qui exige que l'unité politique et l'unité nationale se

recouvrent » selon E. Gellner, historien du nationalisme qui a montré la dimension idéologique de

ce terme).

-Comment le nationalisme s'est-il défini par rapport au sentiment national ? Ce dernier se distingue-

t-il du patriotisme ? Selon quelles modalités le sentiment national s'édifia-t-il et permit-il en 1914

l'Union sacrée, dans laquelle R. Rémond et J.-J. Becker voient une forme d'achèvement ?

-Le nationalisme s'est-il vraiment constitué en idéologie ? Comment a-t-il évolué par rapport au legs

de la Révolution française ? Au militarisme ? À l'antiparlementarisme ?

Plan chronologique, 2 tournants :

-1870, avec le traumatisme de la défaite face à une Allemagne en cours d'unification. Ce conflit

sonne le glas d'une conception romantique de la question nationale1.

-Le début des années 1890. Après la crise boulangiste et l'échec d'un « nationalisme de revanche »,

apparaissent les prémisses d'un « néo-nationalisme » ou nationalisme d'exclusion, selon la

terminologie de M. Becker.

I. 1848-1870

1/ L'idée de nation

La première réflexion sur la nationalité (terme utilisé comme un synonyme de nation jusque 1850

env.) fut menée par Mme de Staël en 1798.

la Révolution avait brisé la conception traditionnelle de la nation, à savoir un ensemble de sujets

liés à la personne du roi, détenteur de la souveraineté politique. Elle a abouti à l'élaboration d'une

autre idée de la nation. La nation est désormais le peuple lié par une défense de l'intérêt commun

contre les intérêts particuliers. La Nation en armes doit défendre la démocratie contre la monarchie

et les privilèges.

La Révolution ne retenait pas de critère linguistique pour l'appartenance nationale. L'essentiel

était la possession de la citoyenneté française.

Mme de Staël reprit l'assimilation faite par la Révolution entre nation, État et peuple. Afin d'éviter

les dérives révolutionnaires, elle proposait d'éduquer la société, afin de faire accepter les valeurs

démocratiques et républicaines2.

1 En 1848, la fiction des nationalités est romantique. Louis-Napoléon Bonaparte aussi, d'ailleurs.

2 Mme de Staël considère le protestantisme comme la seule religion développant l'esprit critique. Son idéal : de grands

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En 1848, la nation est un terme de gauche, qui renvoie au passé révolutionnaire. C'est parce qu'il

le revendique à sa manière que Louis-Philippe peut ainsi s'appuyer sur la garde nationale. Mais les

républicains modérés sont liés au journal Le National, qui fournit en 1848 l'essentiel du premier

Gouvernement provisoire.

2/ 1848 et le sentiment national

L'allégresse qui présida à la chute de la monarchie de Juillet amena les Français à connaître en

février 1848 un moment de communion nationale.

Lamartine permit aux cours européennes de ne pas exporter la révolution, mais l'Europe connut,

comme en 1830, un nouveau « printemps des nationalités ». Les causes de l'Italie et de la Pologne

recueillirent en France un certain succès et sont à l'origine de manifestations importantes en 1848 et

1849.

1848 représente un autre tournant essentiel dans l'histoire du sentiment national. L'instauration

définitive du suffrage universel scelle les liens entre la nation et la République. La remise en cause

du suffrage universel à laquelle procède le Parti de l'ordre en restreignant le corps civique par la loi

du 31 mai 1850 fut ressentie comme une mesure réactionnaire.

L'habileté du président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, fut de réclamer le

rétablissement du suffrage universel et de revendiquer « la gloire nationale » qui, pour Guizot, était

un des éléments constitutifs du bonapartisme.

Le coup d'État du 2 décembre 1851 fut plutôt bien accueilli en France, à l'exception des régions

les plus républicaines de la province. Le Prince-Président avait rétabli le suffrage universel et

prétendait incarner la volonté de la nation, consultée par le biais des plébiscites et des élections

législatives.

3/ Le Second Empire

L'héritage napoléonien joua un rôle considérable dans l'affirmation du sentiment national.

Napoléon III évoqua souvent le thème de la grandeur nationale, dont il s'estimait le dépositaire, tout

en affirmant son hostilité à toute guerre offensive (« L'Empire c'est la paix »). Il rejoignait en cela le

pacifisme de l'opinion française qui s'opposa à la loi Niel de 1868 sur le service militaire, où elle

voyait un alourdissement inutile des charges militaires en temps de paix. L'opinion accepta pourtant

avec résignation les guerres du Second Empire. La guerre d'Italie de 1859 était liée au principe des

nationalités que l'Empereur voulait reprendre à son compte afin d'en faire le principe structurant de

la nouvelle Europe3.

L'opposition revendiquait aussi le thème de la nation. La gauche républicaine, mais aussi la droite

orléaniste. Ainsi, le discours sur les libertés nécessaires, prononcé par Thiers en 1864, comportait-il

une exaltation du rôle du Corps législatif et par conséquent de la représentation nationale.

À la fin du Second Empire, l'opinion oscillait entre un pacifisme latent et l'acceptation de l'idée

de la défense nationale. Ces hésitations apparurent dans l'été 1870 quand la France déclara la guerre

à la Prusse qu'elle avait aidée en 1865-66 au nom du principe des nationalités.

La majorité des Parisiens fut gagnée par le bellicisme. « La déclaration de guerre française à la

Prusse est bien vécue sur le mode émotionnel d'un retour pur est simple de la Révolution et des

guerres de la Révolution » (S. Audoin-Rouzeau). Les provinciaux étaient d'emblée plus réservés,

notamment dans les campagnes, avant que l'Empire ne réussît à susciter un embryon d' « Union

propriétaires protestants éduquant le peuple. Albert de Broglie a, dans une certaine mesure, voulu appliquer les

idéaux de sa grand-mère, qu'il admirait. D'où une certaine vérité dans cette accusation de Gambetta : « vous n'êtes

pas un homme de votre temps. »

3 Mazzini, le révolutionnaire italien qui avait chassé le pape, souhaitait recomposer l'Europe sur une base nationale. Il

envisageait une douzaine d'Etats-nations en Europe, réunis en un ensemble économiquement viable.

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sacrée » au début du mois d'août 18704. Les plus farouches opposants à l'Empire et à la guerre

finirent, comme Thiers, par voter les crédits de guerre. Seule une partie du clergé catholique

(inquiet du retrait de la garnison française de Rome au début d'août 1870 : ne restaient à Rome que

les zouaves pontificaux) et l'extrême gauche ne participaient pas à ce mouvement d'adhésion à la

guerre.

II. De 1870 au début des années 1890

1/ La défaite de 1870 et ses conséquences

La défaite de Sedan fut un traumatisme pour :

-les militaires, qui avaient fait preuve de détermination (l'idée de revanche naquit dans les milieux

d'officiers vaincus et internés en Allemagne5) ;

-les civils, auprès desquels l'Empire perdit toute légitimité.

Mais le nouveau régime reprend l'héritage révolutionnaire. Le Gouvernement provisoire s'intitule

Gouvernement de la Défense nationale.

La Commune se proposait de défendre Paris, au nom du patriotisme (ce qui n'excluait pas les

influences internationales). Paris avait ainsi voté contre la paix en élisant en février 1871 des

députés républicains et bellicistes. Gambetta incarne désormais la défense de la nation (et l'idée de

revanche) et dirige le camp républicain, dont les membres acceptent la conscription, qu'ils

refusaient en 1868.

La droite, élue en février 1871 sur le thème de la paix, accepte le traité de Francfort. Elle était de

plus traditionnellement hostile à :

-l'armée, qui faisait reposer sur le monde rural le fardeau de la conscription ;

-aux aventures militaires.

Mais Thiers sut préparer la libération du territoire grâce au succès de l'émission des emprunts

destinés à payer l'indemnité exigée par Bismarck. La perte de l'Alsace-Lorraine avait créé en effet

une volonté de revanche chez les Français. Gambetta est le premier homme politique à utiliser en

février 1871 le terme de revanche.

L'idée de revanche bouleverse le paysage politique français de 3 manières :

En amenant un renouveau de la réflexion sur l'idée de nation. Les Français refusent la

conception allemande proposée par Herder, selon lequel la nation serait un être vivant qui

grandirait de l'intérieur grâce à l'action inconsciente d'une force supérieure, le Volksgeist, se

manifestant par des signes extérieurs comme la langue. Renan définit en 1882 la nation

comme un « plébiscite de tous les jours » (Qu'est-ce qu'une nation ?). Il insistait sur

l'adhésion consciente et volontaire à la communauté nationale et justifiait ainsi l'irrédentisme

des Alsaciens-Lorrains.

En favorisant le militarisme. L'écrasement de la Commune a rassuré la bourgeoisie. Les

revues militaires, à partir de celle de Longchamp (juin 1871), furent des succès.

En faisant de l'idée nationale une référence idéologique. Pour Gambetta, la France se définit

par son identité nationale. Le cléricalisme était conçu par lui comme une force étrangère.

Pour Jules Ferry, l'école devait cimenté l'unité nationale. Pour Eric Hobsbawm, l'usage de la langue

nationale6 lie la petite bourgeoisie et les classes montantes au sein de l'État (mais la coexistence du

français et des langues locales n'avait d'ordinaire pas de conséquences politiques. Ainsi Mistral, qui

influença Maurras, était-il félibre et patriote). C'est l'époque de « la fin des terroirs » (E. Weber).

4 Cf A. Corbin, Le village des cannibales : en août 1870, un noble au physique ingrat a été mangé par des paysans,

persuadés qu'il était un espion prussien.

5 De nombreux officiers français ont été emprisonnés en Allemagne en 1870, même si le phénomène n'a pas atteint

l'ampleur qu'il atteindra en 1940. Albert de Mun lit, en captivité, les œuvres de Mgr von Ketteler, archevêque de

Mayence, et découvre ainsi les principes du catholicisme social.

6 Les langues régionales, basque et breton, était également pourchassées parce qu'elles étaient les langues de la

prédication catholique.

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Pour Ferry, le colonialisme permettait de restaurer la puissance nationale. Il se distinguait des

positivistes, s'opposait aux radicaux et à Déroulède (président de la Ligue des Patriotes depuis

1885) qui déclarait : « Vous me donnez 20 servantes, quand il me manque 2 sœurs ».

Progressivement pourtant, l'idée de revanche s'estompa dans la réalité. Il n'en resta qu'un mythe

auquel tenait l'opinion publique (cf Rémy de Gourmont et son article Le joujou Patriotisme).

2/ La crise boulangiste

La droite orléaniste devint antiparlementaire après l'affaire Wilson. L'exaltation de l'armée allait

de pair avec une condamnation du Parlement, qui symbolisait la corruption et la discorde.

Le boulangisme réalisa la fusion:

du césarisme (thème bonapartiste de l'appel au peuple),

des frustrations sociales et politiques (Boulanger était appelé « le grand dégoût collecteur »)

; se rallièrent à Boulanger des radicaux comme des monarchistes.

Le boulangisme amena l'émergence du nationalisme, qui reprenait à son compte l'idée de

revanche, abandonnée en pratique par les mouvements républicains.

Un comité national (plutôt radical) soutenait Boulanger. Les boulangistes devaient se présenter

aux élections de 1889 sur les listes du Parti national. S'agit-il d'une résurgence du bonapartisme (R.

Rémond) ou d'un proto-fascisme (Z. Sternhell) ?

III. Du début des années 1890 à 1914

1/ Le glissement à droite du nationalisme

Barrès, qui avait été élu député boulangiste de Nancy en 1889, imposa le terme nationalisme dans

son article du Figaro de juillet 1892.

Avec lui, le nationalisme se liait au culte des morts et du sol, mais restait républicain.

Barrès oscilla entre l'antiparlementarisme et son exercice de la fonction de député (qu'il exerce de

1889 à sa mort, soit 34 ans).

Le patriotisme resta alors plutôt une valeur de gauche avec un sens purement défensif. Il se

conciliait avec un attachement à la paix, selon la terminologie du sacro-saint modèle républicain de

M. Berstein et Mme Rudelle.

2/ L'affaire Dreyfus

Le Ralliement altéra les sentiments religieux d'une partie de la droite, qui vit dans l'armée l'arche

sainte de la France. Déroulède aida au succès de cette vague militariste. Le nationalisme rompit

alors ses liens avec le camp des défenseurs de la République, dont il souhaitait la chute. Le

nationalisme devint alors « une affaire de politique intérieure » (J.-J. Becker, qui parle d'un néo-

nationalisme des années 1890).

Le nationalisme empreint de xénophobie et d'antisémitisme se renforça avec l'affaire Dreyfus. Il

explique :

la création de la Ligue de la Patrie française en 1898 ;

la conquête en 1900 , par les nationalistes, du conseil municipal de Paris7.

Avec Maurras, le nationalisme se liait à la cause monarchiste. Le nationalisme intégral exaltait la

grandeur du pays et refusait les valeurs de 1789 ainsi que le libéralisme (condamnation des Quatre

États confédérés : les Juifs, les Protestants, les métèques et les francs-maçons ; rejet des 3 R, censés

venir d'Allemagne : Réforme, Révolution et Romantisme).

7 Resté à droite jusqu'à l'élection de B. Delanoë en 2001

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3/ Le nationalisme à la veille de la Première Guerre mondiale

Péguy se rallia au nationalisme, dans le contexte :

du combisme, qu'il considère comme une dégénérescence du dreyfusisme,

des crises marocaines.

Son nationalisme était imprégné de catholicisme (cf son exaltation de Jeanne d'Arc, béatifiée en

1909).

Avec Poincaré, le camp républicain ramenait le nationalisme dans son camp. L'élection de

Poincaré en 1913 (dont s'est ému l'ambassadeur d'Allemagne à Paris) avait une signification nette.

Le vote de la loi de trois ans était aussi très révélateur. Jaurès tentait encore de concilier

internationalisme et patriotisme, car il croyait à la nation. Pour Jaurès, « la nation est le cadre et le

support de la culture, parce qu'elle l'est de la langue et des œuvres produites dans la langue » (M.

Agulhon). Mais l'essentiel était de tout faire pour sauver la paix. Jaurès avait dit : « un peu

d'internationalisme éloigne de la Patrie, beaucoup d'internationalisme y ramène ». Il veut faire de la

Patrie la chose de tous et non des seules classes dirigeantes. D'où son attachement à l'idée d'une

armée de citoyens (1910 L'armée nouvelle).

Il serait donc inexact de parler d'une France majoritairement nationaliste à la veille de la Première

Guerre mondiale. Pour M. Becker, « le pays était profondément équilibré dans le patriotisme », qui

pouvait se concilier avec un attachement à la paix.

C'est par surprise que la guerre éclata et toucha un pays qui fut d'abord plus conterné

qu'enthousiaste (et fut ensuite résolu, mais pas plus enthousiaste pour 2 sous. Les scènes de liesse

qui ont accompagné le départ des soldats ont été filmées parce que rares...).

Conclusion

La réussite de l'Union sacrée et de la mobilisation montre la résolution des Français à défendre

leur pays. Le thème de la défense nationale fut repris, à la mort de Jaurès, par la SFIO et la CGT, au

nom de la Révolution française.

Le sentiment national était donc prédominant et dépassait les clivages politiques, notamment

parqués par l'ancrage à droite du nationalisme.

J.-J. Becker et S. Audoin-Rouzeau, La France, la Nation, la Guerre 1850-1920

Une petite note en passant : les femmes et les salons :

L'affaire Dreyfus a coupé en deux un monde jusque là très lié, qui se rencontrait dans les salons, tel

celui de Julie Adam (amie de Gambetta), ou celui d'Anna de Noailles (poétesse qui a eu une liaison

avec Barrès) : ainsi Blum était-il persuadé que Barrès prendrait la défense de Dreyfus ; apprendre le

contraire a été le plus grand choc de sa vie, paraît-il.

Le salon d'Anna de Noailles : salon politique de centre gauche. Là se rencontrent pendant plusieurs

années Jaurès et Barrès, ce qui explique largement la présence du second aux funérailles du premier.

Clemenceau a aussi été un habitué de ce salon.