Sens et complexité(s) : (pro)positions épistémologiques

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Dans le cadre de l'activité interprétative située (en tant que cours d'action), il s'agit de faire despropositions épistémologiques relevant du concept de complexité tensive et participiative du sens quipermettrait de reposer la problématique du discret et du continu dans l'optique d'une rhétorique généralisée quiserait partie prenante d'une théorie sémantique/sémiotique. Signalons toutefois que c'est un long travailsémantique de fond préalable sur des figures de rhétorique (métaphore, hypallage, syllepse/antanaclase,oxymore, métonymie notamment) qui a fait émerger ces réflexions : in fine, on indiquera dans descompléments bibliographiques les articles consacrés à ces études – la plupart sur Texto – qui ici serontévoquées de façon synthétique et pour illustrer un propos de type plutôt conceptuel.

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  • Texto ! janvier 2011, vol. XVI, n1

    Sens et complexit(s) : (pro)positions pistmologiques

    Michel BALLABRIGA

    CPST (LARA)/Universit de Toulouse Le Mirail

    Actes du colloque Lhomme smiotique, Namur, 19-21 avril 2010

    Remarque : les parenthses du titre signifient (i) une possible ouverture de la notion de complexit vers des types et modes de complexit construire. Il n'est pas sr d'ailleurs que le point de vue prsent ici soit unifi. (ii) que l'on espre que les rflexions prsentes, labores dans une zone identitaire, passeront en zone proximale pour la recherche.

    c'est la peur et la logique qui tablissent des frontires (in Sonate d'Automne d'I. Bergman)

    une pense est une chose aussi relle qu'un boulet de canon (J. Joubert, Maximes et autres penses)

    Dans le cadre de l'activit interprtative situe (en tant que cours d'action), il s'agit de faire des propositions pistmologiques relevant du concept de complexit tensive et participiative du sens qui permettrait de reposer la problmatique du discret et du continu dans l'optique d'une rhtorique gnralise qui serait partie prenante d'une thorie smantique/smiotique. Signalons toutefois que c'est un long travail smantique de fond pralable sur des figures de rhtorique (mtaphore, hypallage, syllepse/antanaclase, oxymore, mtonymie notamment) qui a fait merger ces rflexions : in fine, on indiquera dans des complments bibliographiques les articles consacrs ces tudes la plupart sur Texto qui ici seront voques de faon synthtique et pour illustrer un propos de type plutt conceptuel.

    1. Un air du temps (lignes pistmologiques)

    La problmatique de la complexit on laissera de ct les usages mdiatiques plutt valorisants de

    complexit, complexe, souvent synonymes rels de confusion ou complication est de plus en plus prsente dans l'horizon pistmologique de chercheurs de diverses disciplines et semble s'opposer une forme rigide du structuralisme et ses dichotomies.

    La smiotique du discours est aux prises depuis longtemps, dans la gestion du continu et du discontinu, avec la problmatique du passage d'un niveau l'autre du systme en rsolvant les solutions de continuit, avec la question des conversions de niveaux et le recours aux interfaces, aux phases de dcomposition/intgration suivant en cela Benveniste sur l'opposition forme/sens (cf. Pratiques smiotiques de J. Fontanille, pour un tat actuel)[1]. On reste toutefois, semble-t-il, dans un modle hirarchique et binariste.

    1 Le colloque de Libreville prvu du 17 au 19 mars 2010 avait pour titre : Penser le complexe. Intelligences smiotiques et dynamiques africaines

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    J.P. Durafour (Universit de Tbingen), in Colloque d'Aix, sept. 2007, sur Coseriu, prne un nouvel

    esprit scientifique pour une pistmologie autre des sciences de la culture, s'appuyant sur la complexit, les relations dialectiques entre des couples traditionnellement opposs (global/local, discret/continu), la causalit bi-oriente. Ce travail qui conjoint plusieurs rfrences disciplinaires philosophie, psychologie, biologie met en annexe, notamment, des textes clairants de F. Varela (CNRS, neurosciences cognitives)[2] : Donc, ce nest pas seulement la matire qui fait merger la vie, cest aussi la vie qui va contraindre la matire. Cest cette notion de boucle qui fait que le local et le global ne sont pas sparables. Le global va contraindre et mme dfinir les agents locaux et en mme temps, les agents locaux sont les seuls responsables de lmergence de la totalit [...] Ici, on met le doigt sur une double boucle [...] Lerreur de beaucoup, dans les milieux de lauto-organisation, est de ne conserver quun seul sens, lascendant, et doublier le sens descendant. Selon J. P. Durafour, d'aprs le rsum de l'intervention au colloque Coseriu de Cluj-Napoca de 2009, ce nouveau ralisme scientifique repose sur lpistmologie relativiste/relationniste de linteraction constituante inalinable entre sujet et objet [...] cest dans ce monde de lentrelacs de lobjectif et du subjectif [...] que sorigine le paradigme nouveau de la pense complexe dans les tudes du sens et de sa gense que Eugenio Coseriu promut en fait le premier en linguistique ds les annes 60 par sa thorie unitaire du langage compris comme une activit cratrice autonome de parler (energeia) [...]. J.P. Durafour en appelle une nouvelle alliance pistmologique entre les sciences du langage (vivant culturel) et la biologie (vivant naturel) soulignant le rejet actuel commun par ces deux sciences, en raison de son simplisme, de la notion de code, linguistique et gntique, comme principe absolu de lexplication scientifique de la formation du sens biologique et du sens langagier et se proposant de faire un retour philosophique, pistmologique et thorique sur la notion cosrienne emblmatique denergeia, une notion reste sibylline quant son mode opratoire, ses mcanismes complexes et la forme singulire de causalit [...] : les touts intuitivement et prsomptivement constitus/anticips par la conscience sont ncessaires la production de ce qui les produit ou encore [...] principe selon lequel la partie est la fois cause et effet du tout . On notera la formulation paradoxale dans ce rseau qui lie circularit (et absence d'origine absolue), nergie (et l'aveu du caractre sibyllin du mode opratoire de cette notion), continuisme.

    Patrick Tort (philosophe, linguiste, pistmologue, historien des sciences biologiques et humaines, in L'Effet Darwin, 2008, que nous citons assez longuement), soutient que ... tout discontinuisme vritable est ncessairement la marque d'une approche non scientifique : la vision thologique et crationniste du vivant est discontinuiste parce qu'elle dcrte une sparation de nature entre le non-vivant et le vivant, entre les formes du vivant, entre le corps et l'me, le matriel et le spirituel, l'instinct et l'intelligence, le crateur et le cr etc. et il note aussi un paradoxe dans son domaine :

    Ce paradoxe peut se formuler ainsi : la slection naturelle, principe directeur de l'volution impliquant l'limination des moins aptes dans la lutte pour la vie, slectionne dans l'humanit une forme de vie sociale dont la marche vers la civilisation tend exclure de plus en plus, travers le jeu li de la morale et des institutions, les comportements liminatoires. En termes simplifis, la slection naturelle slectionne la civilisation qui s'oppose la slection naturelle. Comment rsoudre cette apparente difficult? [...] Par le biais des instincts sociaux, la slection naturelle, sans saut ni rupture, a ainsi slectionn son contraire, soit : un ensemble norm, et en extension, de comportements sociaux anti-liminatoires [...] ainsi, corrlativement, qu'une thique anti-slectionniste (P. Tort in Dictionnaire du darwinisme et de l'volution, cit dans l'Effet Darwin).

    La figure [illustrant l'effet rversif de l'volution], cette figure aux proprits tranges et droutantes est celle de l'anneau de Mbius. Ce ruban ou anneau de Mbius sert faire comprendre l'opration rversive [...] Si l'on nomme nature et civilisation les deux faces initialement opposes, on constate que l'on passe ici de l'une l'autre sans saut ni rupture (il ne saurait y en avoir dans une gnalogie). Le continuisme darwinien en anthropologie n'est pas simple, mais rversif. Le mouvement

    nature culture ne produit pas de rupture, mais un effet de rupture , car on est tout de mme, pass de l'autre ct [...] avec de l'oppos, l'anneau fait du continu [...] reprsentation de la gense progressive et sans saut d'une ralit partir d'une ralit diffrente, voire antagonique [...] boucle torse qui est en chacun de ses points effectue par sa propre torsion, sans que l'on puisse assigner cette dernire la

    2 Entretien de F. Varela Autopoese et mergence paru en 2002 dans le livre de Rda Benkirane intitul La Complexit, vertiges et promesses, Le Pommier

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    moindre dlimitation d'origine. L'anneau de Mbius n'est pas le lieu d'une torsion ponctuelle. Dans l'anneau de Mbius, c'est la torsion elle-mme qui constitue le lieu .

    La ncessit d'un dveloppement graduel est un rquisit du continuisme moniste[3]de Darwin et exclut qu'un caractre dvelopp chez l'homme soit dpourvu de tout primordium dans la srie de ses anctres. Entre les facults humaines et les bauches animales dont elles drivent par le jeu des avantages slectifs, il ne peut y avoir, suivant la formule consacre, qu'une diffrence de degr, et non de nature[4] [...] une variation apparue et transmise n'est pas une discontinuit : elle est ce qui construit un continuum intgrant la transformation. Le ruban de Mbius [...] permet de penser [...] le fait d'une transformation continue [...] la slection naturelle, qu'il faut alors considrer non plus seulement comme le moteur de l'volution, mais comme un mcanisme en volution, se soumet dans ce processus sa propre action en en liminant tendanciellement une forme archaque d'elle-mme au profit d'une forme nouvelle et globalement plus avantageuse, cet avantage accru prenant appui dsormais sur les sentiments sociaux [solidarit, altruisme, morale, rationalit] [...] et faisant entrer en rgression tous les anciens traits qui s'y opposent, sans pouvoir toutefois exclure de l'actualisation permanente de cette tendance le phnomne imprvisible du retour (au bestial, au sauvage, au barbare) [...] la vraie problmatique de Darwin, c'est en ralit l'illusion de la rupture maintenue par le vieux dualisme qui domine encore la philosophie comme il domine la mtaphysique. De mme, la vraie problmatique de Darwin, ce n'est pas la transcendance de la morale, mais la fabrique de l'illusion de sa transcendance[5], qui toutefois agit dans la ralit comme un effet rel et rellement civilisateur [...] La slection, inversant progressivement son fonctionnement, slectionne prsent des comportements anti-slectifs, sans qu'il y ait au sein de ce processus ni antinomie profonde, ni rupture effective. Par la voie des instincts sociaux et de leur intgration affective et rationnelle dans la structuration des rapports intra-communautaires, la slection naturelle slectionne ainsi la civilisation, qui s'oppose la slection naturelle[6] [...] on sera fond [...] requrir le vritable mcanisme capable de produire un tel effet dans la ralit, et ce mcanisme obira soit au modle de la variation continue [...], soit au modle plus global [...] de la divergence slectionne et du dprissement de l'ancienne forme [cf. arborescences] [...] Si l'on veut extraire de ce phnomne le schma dialectique qui en exprime la structure, on dira qu' l'intrieur mme de l'instinct existait dj une forme de lui-mme l'instinct social capable, sous certaines conditions, de renverser ses caractristiques dominantes jusqu' inverser le sens de ses manifestations.

    Le magazine Philosophie, n 35, dcembre 2009/janvier 2010, avec des contributions de diverses disciplines, consacre un dossier ce domaine problmatique[7].

    Deux catgories sont en fait prsentes et interroges animalit/humanit et nature/culture dont on ne peut prjuger qu'elles se recouvrent (ni qu'elles ne se recouvrent pas).

    La premire, traite soit selon la discrtion soit selon la continuit, met aux prises les tenants d'une discontinuit de l'volution (humanisme classique : vocables mtaphysiques homme comme miracle, radicale htrognit entre l'ordre de la nature et l'ordre de la culture) et les tenants d'un naturalisme continuiste insistant sur le processus volutif (simple diffrence de degr entre l'animal et nous).

    Ces deux positions partagent le mme prsuppos dichotomique quantit vs qualit que ce soit pour absolutiser nergiquement la qualit humaine ( radicale htrognit ) ou pour la noyer dans un

    3 Ce terme est rvlateur 4 Il conviendrait de revenir sur cette formule consacre , par une forme de doxa, et dualiste justement : degr/quantit vs nature/qualit : deux positions dialectiser. L'astrophysique nous l'apprend : des quantits diffrentes de matire donnent des corps clestes de qualits diffrentes. L'affirmation c'est une diffrence de degr et non de nature doit tre souvent revue; on a en fait un continu seuil ( dialectiser) o une diffrence de quantit va entraner une diffrence de qualit (ce n'est donc pas quantit vs qualit, mais une qualit x associe (et entrane par) une quantit x qui va s'opposer une qualit y associe (et entrane par) une quantit y; elles vont de pair et la qualit participe de la quantit mme si cette dernire fait moins sentir sa prsence du fait de la nouveaut qualitative. Le continuisme voqu ici repose sur des degrs et non sur la complexit semble-t-il, or la graduation relve du complexe mon sens. 5 L aussi ce couple immanence/transcendance est dialectiser vs perspective ontologisante qui entrane le constat d'illusion cf. aussi les zones anthropiques. 6 Oui, mais pourquoi? Que gagne le social, notamment en protgeant les faibles, handicaps etc. Ce point relve-t-il vraiment d'une cohrence naturaliste volutive? Ne lui chappe-t-il pas dans une certaine mesure? Il y a encore un certain scientisme chez Tort avec ses risques possibles et possiblement graves sous des dehors angliques d'une forme de naturalisation malgr tout. 7 En couverture, annonce du dossier : L'tonnante dcouverte Le singe descend de l'homme la question de l'origine relance.

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    continu fluent atone ( simple diffrence de degr ) ; d'un ct, les modifications quantitatives (naturelles) ne font rien l'affaire, de l'autre elles sont toutes-puissantes et/mais ne permettent pas de dmarquer prcisment l'humain : ainsi il n'y a donc pas de paliers susceptibles de cerner le moment du basculement vers l'humain , selon Marc Groenen, spcialiste du palolithique, professeur de prhistoire et de philosophie des sciences de l'homme l'Universit Libre de Bruxelles; Nous sommes le rsultat d'une accumulation de petites diffrences... Il n'y a pas un vnement unique qui nous ouvre une exception humaine. Il faut s'y rsoudre : l'origine est grise et lente , d'aprs Pascal Engel, professeur de philosophie contemporaine et directeur du dpartement de philosophie l'universit de Genve.

    Il convient de noter la justesse de certaines remarques o se retrouvent certains palontologues et philosophes : avec le problme des origines (de l'homme), on touche la difficile question du basculement de l'animalit vers l'humanit, et cette question des origines est difficile cerner, sauf la considrer en termes de finalit et ds que l'on parle d'exception, c'est l'ancienne pense tlologique [sciences des fins humaines] qui revient ... Cela est important car, en dehors d'une pense de type tlologique (et mtaphysique) qui lie origine et finalit (deux notions troitement dpendantes), la dtermination d'une origine, qui est lie une conceptualisation, ne pourra s'tablir que par convention (arbitraire humain).

    Certaines formulations tentent de dialectiser l'aporie : plus, c'est quelquefois diffrent reprend Yves Coppens, paloanthropologue, professeur honoraire au Collge de France dcouvreur de Lucy; cette formulation suggre l'existence d'un seuil critique partir duquel un accroissement quantitatif peut produire un changement qualitatif, et dont le moment est indiscernable. Il y a l en fait deux questions : (i) celle de la transformation qualitative dont le moment ne peut tre qu'indcelable (ou qui n'est pas pertinent) tant qu'on prtend le rapporter, dans une sorte de ralisme, l'ordre de la nature (dont l'volution est continuiste), sorte de substance en volution o l'homme va tablir des frontires formelles/conceptuelles et arbitraires (en fonction notamment de nouvelles dcouvertes scientifiques)[8]; la nature, dans son volution et pour ce qui concerne l'origine, ne nous dira pas Ecce Homo peut-elle d'ailleurs dire quelque chose? mais l'homme pourra y trouver des lments dont il s'autorisera pour, dans un certain cadre rationnel argument, arguer d'un dbut de l'humanit conventionnellement, et prudemment eu gard de d'ventuelles dcouvertes ultrieures : c'est peut-tre cette convention, relevant de la culture, qu'ont en vue certains philosophes qui parlent de radicale htrognit[9], mais ils ont le tort, mon sens, d'hypostasier celle-ci (l'humanit, la culture) en effectuant en mme temps une rupture entre nature et culture et en retrouvant forcment la question de l'origine un autre niveau, et en s'en dbarrassant[10]; (ii) les rapports quantit/qualit ne sont pas des rapports oppositifs, mais relvent de la complexit[11], en ce sens qu'il n'y a pas de quantit sans qualit, que la qualit (dans certains domaines du moins) est une variable lie [cf. note supra], qu'on ne passe pas, par accroissement, d'une quantit une qualit simplement, mais d'un complexe quantit n et qualit x un autre complexe quantit n+1 et qualit y; la formulation plus, c'est quelquefois diffrent est insuffisante mon avis, elle aussi sparant sa faon des notions qui sont lies. Mais la constitution visible d'un seuil est affaire de convention humaine raisonne (ce qui n'est pas faon de dnigrer, au contraire...) et d'une forme de libert (avec des ajustements par rapport d'anciennes erreurs ou errements, inhrents cette libert).

    La notion de culture prise comme critre dfinitoire de la spcificit humaine, entre elle aussi dans ce mouvement complexe. Notamment pour Marc Groenen, Tout le dfi de la prhistoire est l : saisir le phnomne humain au-del de tout naturalisme et de tout essentialisme . Il prcisait antrieurement dans notre culture, l'humain se donne l'horizon d'un couple de concepts qui sont ceux de la nature

    8 La notion d'humanit est en grande partie une construction humaine et un enjeu (l'histoire montre qu'elle varie : les Indiens d'Amrique, les Noirs etc.; notre rapport aux animaux relve aussi d'une conception de l'humain). 9 cf. passage nigmatique de l'animalit l'humanit , soit l'hominisation comme entre en culture - Notre espce n'a donc jamais connu l'tat de nature... Plus aucune causalit naturelle ne s'impose comme condition suffisante de l'hominisation , Robert Legros, professeur de philosophie l'universit de Caen. 10 C'est dans la culture, ou ce que la phnomnologie appelle un monde, que l'humanit d'Homo trouve son origine, et non dans la nature. Quant l'origine de la culture, elle est par principe voue demeurer une question sans rponse. (Robert Legros) 11 Cette question de la complexit est probablement lie aussi celle de la diversit buissonnante - cf. Groenen, homo comme genre et non comme espce dans les temps anciens.

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    (labore au XVIIme sicle) et de la culture (XIXme sicle)... En somme, le monde humain prcde les lments (comptences techniques ou naturelles) sur lesquels il s'taie... Je dirais donc que la culture est la fois ce qui nous spcifie et ce qui nous ouvre aux autres. . La question des origines nous renvoie donc ici des formulations paradoxales intressantes (prcder/tayer; spcifier/ouvrir) qui peuvent militer pour une complexit (dynamisante); la question ne se simplifie pas si l'on considre avec Peter Singer (professeur de biothique Princeton, New Jersey) que de nombreuses autres dcouvertes montrant la prsence de culture chez les animaux [ont t faites depuis] ; que la culture est la fois ce qui nous spcifie et nous ouvre aux autres est une fort belle formule qui devrait prsider aux relations entre cultures humaines mais aussi au regard humain que l'on peut poser sur le non-humain qui est pris aussi dans des relations d'apprentissage, des formes de culture.

    Toutes ces rflexions et notamment celle, ingnieusement[12]mtaphorise, de P. Tort affichent des positions anti-dichotomiques sensibles la question de la complexit, mais souvent traite en terme de continuit; or continuisme (cf. plus bas) n'est pas complexit, mme s'il en est partie prenante; c'est la question du passage qui fait problme (en lien avec l'energeia); il convient peut-tre pour ne pas en rester encore du binarisme, ft-il continu, de rattacher la dynamique du continu ce qu'on pourrait appeler la tension inclusive (en lien avec les notions de formes/fonds/passages et forces), de prvoir dans cette continuit rversive les passages de la nature la culture et aussi de la culture la nature (cf. rle de l'avant et de l'aprs, d'un processus donc, et de la mmoire) mais du fait, mon sens, d'une complexit tensive, d'une complexification transitive ou rflchie cf. plus bas des termes nature et culture, qui pourrait rendre compte d'une dynamique continuiste.

    Les rflexions prcdentes qui rejoignent en partie les miennes relvent de domaines (une certaine philosophie du langage, l'anthropologie, via la biologie etc.) qui ne relvent pas de ma comptence mais qui doivent tre dans notre horizon. Mes positions concernent la question du sens (smiotique/smantique), li la complexit que je dois dfinir plus prcisment et par un biais rhtorique dans les performances discursives/textuelles en relation avec des questionnements thoriques/pistmologiques (en lien avec le niveau mthodologique). Mais auparavant...

    Une certaine conception de la scientificit (rationalit), ainsi que les concepts et mthodes qui vont

    avec, en ont longtemps impos aux disciplines qui traitent de la culture au point que certaines de ces dernires se sont constitues (ou ont tent de se constituer) sur leur modle (ex. de la phonologie, notamment, science pilote dans cette tendance). D'autres, comme la smantique (textuelle notamment), ont pu faire tat d'une thorisation et d'une mthodologie rigoureuses, mais l'ouverture du jeu interprtatif (et non plus strictement dmonstratif), mme fond en mthode, a pu donner le sentiment, erron, d'une rationalit affaiblie (avec la question de la subjectivit par exemple[13].

    Or, il ne s'agit pas de se calquer sur ces modles scientifiques dominants, ni d'accepter d'tre cantonn (par ces modles) une forme affaiblie de la rationalit (un avatar de la logique). C'est une rationalit spcifique qu'il s'agit de promouvoir, pour les sciences humaines et sociales en gnral peut-tre, dans un effort pistmologique pour la constitution d'un autre paradigme rationnel qui semble crucial, particulirement pour l'interprtation de textes (ici, verbaux et non verbaux) touchant au sens de la vie (et cela fait beaucoup de productions smiotiques!), des productions culturelles humaines (vs textes de spcialits, textes techniques etc.).

    La question est d'autant plus importante actuellement que les modles et dmarches scientifiques - pour ne pas dire scientistes et technoscientifiques - et fortement axiologiss/idologiss comme des vidences rationnelles, tendent au monopole descriptif/analytique mettant en pril la question mme de la culture, son existence indissociable de ses modes spcifiques de perception et d'interprtation.

    Certaines interrogations pistmologiques tendent rorganiser les formes de la rationalit, en faire surgir d'autres ou soumettre l'examen des valeurs rationnelles indiscutes; l se formule la question de l'vidence rationnelle qui peut tre reconduite au pr-jug et aussi celles des vidences ontologiques/ontiques/althiques[14].... Dans cette qute, le paradoxe peut apparatre comme un

    12 et de l'utilit d'un intrt pluridisciplinaire vs monodisciplinarit pour identifier des rquisits pistmologiques communs, l'air du temps, les nouveaux paradigmes et leurs formulations spcifiques suivant les disciplines. 13 qu'il faudrait d'ailleurs rexaminer dans le cas des sciences dures ; l n'est pas le point pour l'instant. 14 Pour la relation entre l'vident et le cohrent, cf. le plaisant pome de J. Tardieu le bon citoyen de l'univers in Le Fleuve cach,

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    adjuvant heuristique de l'pistmologie. En outre et comme horizon d'interrogation se pose la question des rapports entre forme de doxa et pistmologie, entre pistmologie et idologie.

    2. Vers la complexit : dichotomies et (versus) complexit participative

    De quelques dichotomies et des problmes qu'elles posent : Les termes simulacre voire impression rfrentielle, pralablement dnomme d'ailleurs illusion

    rfrentielle, prsupposent une vrit/ralit inaccessible[15], une ontologie donc indpendante de la reprsentation, or que pouvons-nous percevoir/savoir en dehors d'une reprsentation? Le terme de simulacre devient donc assez problmatique... ainsi que la notion, trop simple, de reflet d'une ralit par le langage; cette ralit ou plutt ce rfrent est de toute faon de l'ordre de la reprsentation et le rapport langage-rfrent un rapport entre reprsentations - et ce rfrent comme reprsentation soit existe socialement soit est constituer, d'o l'importance du texte, littraire notamment[16]. La question sculaire des figures de rhtorique comme rvlation ou comme voile (perspectives qu'il convient de ne pas opposer mais de complexifier) est soumise ce ralisme dichotomique.

    Sans entrer dans le dtail[17], les couples fiction, artifice/rel et jeu/srieux sont entrans dans cette problmatique et il convient de faire une place aux reprsentations fictionnelles dans la construction de ralits sociales, comme les questions d'identit etc. souvent naturalises; F. Rastier dans Arts et Sciences du Texte (p. 216) conclut aprs examen serr de corpus sentimentaux : [...] le monde sentimental n'est-il pas li sa reprsentation ? [...] les sentiments, en tant que formes culturelles, varient selon les poques et les socits [...] Bref, une culture transforme les affects en sentiments ; cela peut se rattacher aussi le rle de la fictionnalisation, de l'artifice, dans la littrature de tmoignage : R. Anthelme dans L'espce humaine (Tel, Gallimard, 1957/2007, p. 317-318) crit : les histoires que les types racontent [celles que les prisonniers des camps racontent aux librateurs] sont toutes vraies. Mais il faut beaucoup d'artifice pour faire passer une parcelle de vrit, et, dans ces histoires, il n'y a pas cet artifice qui a raison de la ncessaire incrdulit. Ici, il faudrait tout croire, mais la vrit peut tre plus lassante entendre qu'une fabulation etc. (je souligne). C'est cette tension participative, complexe, que pointe Jean-Pierre Fewou-Ngouloure[18] qui avance la notion d'expression rfrentielle dans cette phrase : [Encore qu'] avec certains romans africains, considrs comme srieux, leur inscription dans le rel est souvent plus saillante lorsqu'ils investissent l'univers ludique et fantastique (p. 68) ou encore dans cette belle formulation, en apparence paradoxale, voquant l'inscription de l'oeuvre au plus prs des proccupations sociales, et ce malgr l'loignement que constitue la parabole [19]. Du coup est remis en question le rle de la fictionnalisation littraire; celle-ci est bien sr en lien avec l'immanentisme (notion de clture et de sparation, mthodologique ou idologique). L'immanentisme strict (indpendance) et la thorie du reflet (fonction ancillaire du roman) sont des ples, peut-tre intenables d'ailleurs, qui admettent bien des intermdiaires - et l'autonomie du niveau smiotique n'est pas son indpendance par rapport au contexte. On a l la possibilit de rcuser le textualisme et le sociologisme purs dans la perspective littraire notamment. Libre au sociologue d'user d'un roman comme d'un document

    1968, NRF, Posie/Gallimard. 15 ou alors il faut privilgier un type de discours, le plus vrai (scientifique par ex. et encore...), pour pjorer les autres types ou prtendre les y conformer le plus possible dans une sorte de perversion pistmologique. 16 Pas seulement : cf. dans les situations de tension sociale ou politique, les reprsentations smiotiques que l'on veut faire passer pour principe de ralit alors qu'il s'agit d'un consensus! 17 cf. sur cette question Pourquoi la fiction ? de Jean-Marie Schaeffer, ditions du Seuil, 1999. 18J ean-Pierre Fewou-Ngouloure, Le point de vue rfrentiel : exemple de romans africains d'expression franaise, thse soutenue le 26 juin 2009 l'universit de Toulouse-Le Mirail 19 Reste savoir si ce malgr n'est pas aussi un cause de , dans un complexe de concession et d'implication; il y a de toute faon ici un problme d'argumentation ( relier la composante dialogique) lucider. On touverait un paradoxe analogue dans la dfinition de l'image par Reverdy, chre A. Breton : Plus les rapports des deux ralits rapproches seront lointains et justes, plus l'image sera forte etc . (Nord-Sud, mars 1918); pour l'interprtation de Breton cf. Manifestes du surralisme, 1963, Ides/Gallimard p. 31 o le texte de Reverdy est cit. Ou cet autre paradoxe chez Breton : ... il m'est arriv de le dcouvrir [cet objet que A.B. cherchait], unique sans doute parmi d'autres objets fabriqus. C'tait lui de toute vidence, bien qu'il diffrt en tout de mes prvisions (L'Amour Fou, Gallimard/Folio, 1976, p. 21)

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    sociologique avec ses objectifs disciplinaires propres. Mais du point de vue des sciences du langage et tant donn l'objet roman, un genre littraire donc, il sera mieux servi par les disciplines du texte.

    Le recours l'entour[20] permet de lorgner , justement, vers l'anthropologie et la smiotique des cultures; cette notion est emprunte Rastier et peut voquer une sortie propre et asymptotique de l'immanentisme mais qui en serait en fait le prolongement, encourageant la fdration critique de certaines disciplines des sciences du langage (smiotique/smantique notamment) vers une smiotique des cultures. En outre, il s'agit d'envisager la problmatique l'aune de la gradualit et du continu qui tisse notamment la relation de la fiction au rfrent , avec une typologie quadripartie (et non plus binaire, ft-elle continue). Ainsi, en relation avec la problmatique fiction/ralit, nous trouvons celle de jeu/srieux qui peut se complexifier, selon Schaeffer, en termes complexes : fiction ludique vs fiction srieuse. La question aussi de l'objectivit vs subjectivit (avec quadripartition) gagnerait aussi tre envisage dans cette construction hypothtique. De l d'autres axes problmatiques dcoulent...

    Au final, le langage au sens large devient le milieu o nous vivons selon F. Rastier; certes, mais en prise sur une forme de ralit (culturelle, et ce mot est immense); il s'agit ici aussi et surtout de ne pas effectuer de dissociation : et ici se pose la question des continus seuil et donc de la dialectique et de l'opposition au dualisme strict - et aussi au monisme. On peut dire que la ralit est de l'ordre de l'tre et non du connatre mais, supposer que l'on admette ce rquisit ontologique, (i) de quelle ralit parle-t-on? (le singulier, qui argumente sa faon, l'hypostasie alors qu'il conviendrait de faire des distinctions et de pluraliser), (ii) il convient, dans la perspective largement partage du devenir et de la transformation de faire une place l' ontogense du sens (vs ontologie).

    On peut probablement aborder aussi de cette faon (smantiquement et rhtoriquement) les zones anthropiques[21]. Ces zones anthropiques de base (identitaire, proximal et distal) articulables probablement sur des plans/registres nombreux et varis sont dfinies par des frontires (empirique et transcendante). Mais (i) ces frontires doivent pouvoir tre mobiles en mme temps que (ii) ces zones sont susceptibles de transpositions, dans une dynamique volutive et complexifiante de (re)configurations. Zones et frontires dfinissent peut-tre une structuration psychique humaine importante : elles ne doivent ni tre abolies ni figes, ce qui revient n'adopter ni le point de vue des tenants d'une nature humaine rigide, ni celui des partisans d'une pure mallabilit de l'humain, mais il convient (i) de dialectiser plutt ces positions eu gard aux diffrents contextes qui se prsentent (diachroniques et synchroniques) et dans cette dialectique la question des valeurs (de leur volution) est galement centrale et (ii) de considrer qu'un aspect important de la nature humaine est peut-tre dans cette possibilit, ad libitum mais relativement contrle, de dplacement des frontires et de reconfiguration des zones, en prvoyant des moments de stabilit.

    La question des frontires, au sens large, fait retour sur celle des dichotomies franches fonctionnant comme modes cognitifs et comportementaux, celle, par exemple, qui discrimine le ncessaire et le superflu. Cette catgorie concerne au premier chef les biens de consommation mais rejoint en partie la vieille question de la negatio vs privatio . Le superflu, chose trs ncessaire,/a runi l'un et l'autre hmisphre (Le Mondain, Voltaire). On voit ce que cet apparent paradoxe, ou sophisme, a donn dans la socit dite de consommation qui, dans son esprit ( distinguer des usages qui peuvent tre faits), vise en fait rabattre le superflu sur le ncessaire - le besoin, et en fait nier la notion de superflu et abandonner la dialectique fondamentale du besoin et du dsir, de la vie et de la survie. Or, (i) cette polarit est ncessaire, (ii) elle est plus importante fonctionnellement que substantiellement, (iii) elle n'a quelque pertinence semble-t-il qu' un stade relativement avanc d'volution (le superflu, semble-t-il, ne saurait exister en situation de stricte survie, quoi peut s'apparenter, mutatis mutandis, l'idologie consumriste actuelle), (iv) la relation entre ces termes, si elle peut tre perue comme discrte (dichotomique) dans certaines situations et certains moments[22], tend plutt vers la gradualit et la raison d'une relation graduelle (plus/moins) rside mon sens dans l'inclusion variable d'un terme dans l'autre, avec des schmas de gradience, d'o la valeur heuristique d'tablir a priori entre ces termes (et beaucoup d'autres catgories), des relations rflexives et transitives : le ncessaire (du) ncessaire, le superflu (du) superflu,

    20 Rastier prfre parler d entour, jugeant le terme rfrent trop quivoque. 21 cf. article de Rastier Anthropologie linguistique et smiotique des cultures dans Une Introduction aux sciences de la culture, (dir. F. Rastier et S. Bouquet) 22 C'est--dire du fait de certains contextes contraignants et non de celui d'une conception fixiste de la nature humaine.

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    le superflu (du) ncessaire, le ncessaire (du) superflu et on ne confondra pas l'absence d'un terme qui renvoie sa prsence autrement/ailleurs (cf. dialogique, possible, irrel...) et son inexistence pure et simple qui renvoie une situation prive de sens (parce que monopolaire). Il est probable que les gradations deviennent plus nuances, plus affines et la frontire plus tnue, plus poreuse, mais celle-ci doit tre toujours perceptible et fonctionnelle.

    Tout cela doit pouvoir se dire aussi de bien d'autres catgories (imaginaire/rel, l'opposition rentable et non-rentable, objet de tant de discussions actuelles etc.) et notamment de la catgorie nature/culture dont les termes ne s'opposent pas mais sont en interaction volutive pour dfinir l'humain (avec les questions rcurrentes de la barbarie, de l'inhumain, du non-humain qui sont autant d'enjeux interprtatifs et argumentatifs sur l'inclusion dans/l'exclusion de la dfinition de l'humain de certains comportements).

    Le couple negatio/privatio, probablement dialectiser aussi pour ne pas en rester une distribution tanche du possible et de l'impossible ou des jeux contradictoires, perd beaucoup de sa pertinence, dans une perspective absolue du moins, puisqu'il prsuppose une nature humaine immuable dont la connaissance permettrait de trancher entre ce que l'homme n'a pas et quoi il peut/doit prtendre (privatio) et ce que l'homme n'a pas et quoi il ne saurait aspirer (negatio), par essence. Et les inconditionnels des nouvelles technologies, quelles qu'elles soient, ont beau jeu de faire fi de cette distinction qui prsuppose une nature humaine dtermine (dterminable); et certes, bien des choses sont possibles actuellement l'homme qui ne l'taient pas nagure, mais surtout par le truchement de la technique et de ses objets ; si l'idologie mtaphysique de la negatio/privatio nous fige[23], une certaine idologie technologique fait des artefacts techniques des prolongements (au mieux), des parties (au pire) de l'homme, quand l'homme ne devient pas une partie de l'objet[24] et tend rendre caduques certaines problmatiques, effacer des frontires, mouvantes certes, mais qui sont constitutives de l'humain, fonctionnellement et non substantiellement. Et l'volution ne consiste pas remplacer une idologie qui maintient des frontires fixistes par une autre qui tend les effacer, mais dialectiser les oppositions, notamment par le jeu, toujours contextualis, de la quadripartition ( fonctionnement inclusif) voque. Cette position milite pour une matrise relative des affaires humaines, s'opposant (i) un fixisme rigide d'une nature non modifiable et bloquant l'volution (puissance de la nature vs relative impuissance de l'homme), (ii) une pure mallabilit (puissance de l'homme vs relative impuissance de la nature) qui peut conduire une volution incontrlable et ce sont ces deux positions qui s'affrontent bien souvent aujourd'hui sans vritable effort pour les dialectiser.

    Cette question des frontires pose aussi, de faon complmentaire, la question spcifique des limites, donc des (possibilits de) passages. Il y a thoriquement une infinit de nombres entre deux nombres, si bien que le passage de 1 2 peut faire problme thoriquement (cf. Znon sur un problme analogue). Le coup de force mathmatique, parfaitement logique, consiste poser une galit entre 1, 999999... ( l'infini) et 2 puisqu'on ne saurait rien intercaler. Les galits sont des ingalits infiniment petites disait Leibniz cit par Y.-M. Visetti[25]; on nglige donc les diffrences infinitsimales.

    Sur d'autres plans que celui des nombres, on peut rver sur ces abmes infinitsimaux qui n'en finissent pas de rapprocher et de sparer deux entits discrtes, sur la question des limites. Le franchissement de ces gouffres interstitiels qui peut tre mis au compte d'une nergie (dite inexplicable) n'est pas sans faire penser aux phnomnes d'attraction, de capillarit dans le temps comme dans l'espace. Ainsi du passage d'aujourd'hui demain (discrtiss mais en fait transmus du fait de cette nergie qui prend en charge le passage pour lequel la mtrique est impuissante ou paradoxale cf. Znon). Il n'y aurait pas de continu sans nergie (ou force?), mais non plus sans rmanence.[26]

    A la mort de Camus, Simone de Beauvoir aurait dit en substance que lorsque un homme meurt, meurent aussi un enfant, un adolescent, un jeune homme etc.; cette diversit conjointe de deuils nous interroge. D'abord sur la non pertinence (et le danger) de l'absolutisation de la discrtisation/segmentation (il le faut bien toutefois...) des phases-aspects (deux dnominations non

    23 et peut entraner, par application au champ politico-social, des drives faisant passer de la privatio pour de la negatio. 24 Publicit vue : et si vous ne faisiez qu'un avec votre voiture? 25 Le continu en smantique : une question de formes in Texto, Dits et indits, 2004. 26 cf. l'nergie et le cintisme passant de G. Guillaume, tributaire semble-t-il des notions de puissance et d'acte, qui problmatisent autrement la question de la prsence et de l'absence.

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    quivalentes) d'un processus (inchoatif, duratif, terminatif) et sur la valeur/force de la rmanence : dans un objet lanc, l'inchoatif est toujours dans le duratif du processus et le garantit. Le terminatif n'advient que lorsque l'inchoatif cesse d'agir[27]. Cette faon de voir les choses qui prend le parti des transitions insensibles et des commencements indcelables rend peut-tre non pertinente certaines questions (dont le parangon est celle de la poule et de l'uf) poses dans la perspective d'une origine absolue et permet peut-tre d'viter de se poser le problme de l'origine, du moins de faon ontologique et non relative.

    Dans ce cheminement qui est un complexe d'pistm et d'esthsie, aprs l'vocation d'aperus

    pistmologiques et problmatiques d'une rationalit autre, avec ses formes d'objectivit, d'objectivation spcifiques, quels dveloppements, conceptuels et descriptifs, sont possibles en smantique, quelles pistes mthodologiques pour l'interprtation des performances smiotiques, verbales en premier lieu, vu mon champ d'intrt/comptence?

    Il s'agit, via la communication et la signification participatives, de problmatiser la notion de complexit qui est lie, mon sens, celle de continuit, dpendant elle-mme de gradiences tensives. Mais il ne s'agit pas de passer simplement du discret au continu - outre que des phases de discrtion/stabilisation sont ncessaires dans la dynamique productrice/interprtative. On est sur le terrain de la complexit, dont le continu est une consquence, et peut-tre faut-il envisager des relations d'inclusion rciproque de termes catgoriels avec des proportions variables induisant des effets tensifs sur un continu seuil. Cette complexit, qui se fonde sur la participation, peut sans doute se dployer divers niveaux et plans[28], sur bien des catgories et elle se dynamise probablement via des structures de mdiation qui rarticulent les termes qui sont en opposition/association; mais l aussi toutefois un prudent relativisme historique, culturel et mthodologique s'impose.

    3. Complexit conceptuelle en linguistique, smantique, smiotique

    Les couples Sa/S et Contenu/Expression (E/C) :

    L'adoption prfrentielle du second couple (en smiotique et en smantique) (i) signalerait un passage de la problmatique du signe celle du texte o les units, de longueur variable, sont construire (par l'interprtation); (ii) mais la perspective de la smiose, qui runit les plans E et C , prsuppose leur sparation/sparabilit - alors que leur association serait de fait quand la smiose est stabilise, dj faite; (iii) on peut penser que cette distinction en deux couples n'est peut-tre pas tant une question de problmatiques diffrentes, de dimensions des units ou d'aspectualisation de la relation (smiose) entre les membres du couple qu'une question de niveaux[29].

    Quelle que soit la taille des units, on peut garder les notions de Sa/S , mais il faut probablement se garder de la tentation de la sparabilit, ft-elle corrige par l'affirmation saussurienne de

    27 Une plaisanterie srieuse : Rien de ce qui est fini n'est jamais compltement achev tant que tout ce qui est commenc n'est pas totalement termin , Pierre Dac, Drle de guerre, choix, prface et commentaires de Jacques Pessis, coll. omnibus 2008, p. 12. Ainsi aussi de la vie qui est aussi passage cf. P. Quignard, les Ombres errantes, la source qui est prsente tout au long du ruisseau (passe et proche). Tout est origine et l'origine est partout. L'astrophysique des frres Bogdanov et la physique de Planck rejoignent Lewis Caroll. 28 En principe l'ensemble des notions de la smantique interprtative : smes, isotopies, actance dialectique et dialogique, zones anthropiques; mise en relation avec pratiques sociales/discours/genre/texte; paliers et composantes de la textualit; contenu et expression; entour; esthsie; modes gntique, hermneutique, mimtique; ordres hermneutique, paradigmatique, syntagmatique; praxologie; niveaux ou sphres smiotique, physique, reprsentationnelle. 29 Plus prcisment, l'crit, l'oral etc. sont des supports de la manifestation et ce sont ces supports qui sont susceptibles de faire jouer le couple expression/contenu : jeux expressifs visuels et/ou acoustiques sur la typodisposition, les caractres, l'intonation, corrler diversement des effets de contenu et relier, le cas chant - vu la gratuit possible de ces jeux - aux effets signifis par le niveau linguistique. Je reste dans le verbal pour cette conception du couple expression/contenu, mais on doit pouvoir transposer au non verbal. Sur cette rflexion, existe un document de travail ceci n'est pas un signe , paratre.

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    l'indissociabilit. On doit reprendre les leons de Benveniste[30] : L'esprit ne contient pas de formes vides, de concepts innomms , et la dnomination mtalinguistique du sme n'chappe pas cette loi linguistique; cette affirmation va au-del de l'indissociabilit ou de la ncessit du rapport Sa/S, car elle fait passer d'une conception duelle du signe une conception duale qu'on pourrait illustrer par la formulation du signe que l'on trouve dans Ecrits de Linguistique Gnrale de Saussure, selon des notes de Constantin IIIme cours certes, mais la formulation est assez surprenante pour sentir l'authenticit[31] : le concept devient une qualit de la substance acoustique comme la sonorit devient une qualit de la substance conceptuelle ; le signe est ainsi pris dans la structure de l'hypallage[32]. Le recours mtaphorique au ruban de Mbius[33], comportant un seul plan avec torsion-retournement et suggestion de parcours, introduirait une dynamique alors que la figure de l'hypallage, telle quelle, est plutt statique - l'analogon de la feuille de papier avec recto/verso pose encore plus de problmes. Ce ruban n'est pas plus trange que la feuille de papier de Saussure[34]; cela peut bien sr choquer, mais aussi nourrir bien des rflexions. On est dj dans une perspective participiale pour Sa/S[35].

    Considrons le fait d'apprendre le sens d'un mot inconnu : on est au dpart en face d'un pur signifiant, je veux dire par l que le signifi est absent pour nous pour l'instant mais on sait qu'il existe, ce qui amne bien sr ne pas confondre absence et inexistence et concevoir l'absence comme un mode de prsence et on voit que c'est la question du discret et du continu qui commence se manifester et qui devra tre reprise en partie sur de nouveaux frais. A ce stade, le signifiant est opaque et le signifi concentr et cach . A la fin du processus, par une sorte de retournement, le signifiant devient transparent - un autre mode du cach[36] et le signifi dploy et manifeste et on peut avoir l'impression de n'avoir affaire qu' lui seul, l'impression seulement prsence et absence, modes de prsence, se sont inverses. Cela permettrait aussi de dialectiser les notions de contenant et de contenu affectes habituellement et respectivement au signifiant et au signifi, en voyant bien que l'inversion possible renvoie aux sens diffrents de contenir : (i) inclure et (ii) retenir[37]. Il y a bien sr des tats intermdiaires dans ce continu, corrler aux divers modes de prsence des deux faces . Ce sont peut-tre des lieux d'lection du travail potique, associant obscurit et transparence, reflet etc.. Sa et S sont des faons d'tre/d'apparatre du signe qui est, dans ces deux aspects - l est l'important une chose mentale (cf. Saussure) et non un compos de concret et d'abstrait selon une pistmologie/idologie dualiste millnaire, partout prsente en tous domaines, entranant diverses dichotomies, et difficilement rformable vu son statut d'vidence justement. Le signe serait donc une grandeur complexe, de taille variable, dont les aspects sont corrls dans une relation participative/continue (gradients) et non discrte/oppose. Ce qui impulse la dynamique interne Sa-S c'est le dsir d'interprter lato sensu, l'interprtation - au sens large d'affectation de sens - pouvant rsider dans la (re)connaissance ou la donation de sens.

    La catgorie : s1 vs s2 :

    Ce choix de la participation engage reconsidrer la relation, oppositive-discrte notamment, de bien

    des catgories. Le structuralisme nous a bien habitus la vrit que des deux termes d'une paire

    30 Problmes de Linguistique Gnrale, Nature du signe linguistique , p. 51 31 Je renvoie la remarquable thse de Mme Rossitza Milenkova-Kyheng, soutenue en novembre 2007, sous la direction de F. Rastier : Les points de vue en linguistique ou comment interprter le corpus saussurien enjeux thoriques et applications. 32 Peut-tre faudra-t-il considrer le rle des figures de rhtorique dans la construction d'units/concepts thoriques ainsi que d'units textuelles. 33 Dj chez J. Lacan et illustr par M. Escher. 34 Pour l'trange, l'vident et le paradoxe cf. Valry : Toute chose qui est, si elle n'tait, serait normment improbable Cahiers, tome 1, p. 533). 35 Cette problmatique permet-elle de repenser la relation plastique et iconique peut-tre l'aune de la complexit inclusive/gradue plutt que par niveaux spars? 36 Le cach est ce qu'on ne voit pas, soit parce que des objets opacifiants s'interposent entre l'objet cach et l'observateur soit parce que, transparent et non visible, il s'interpose entre l'observateur et d'autres objets. Le transparent comme mode du cach... (cf. les Grands Transparents de Breton in Manifestes, fin). 37 Le verre contient (i) le liquide le contenant entoure le contenu; la Terre contient (ii) l'atmosphre : dans ce dernier cas, le contenu entoure le contenant. Cette observation nous a t faite par le Pr. Bertrand Chapuis, mdecin psychiatre Toulouse. Les rflexions de cet article doivent aussi beaucoup aux changes avec ce professeur que je tiens remercier ici.

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    catgorielle l'un ne se pense pas sans l'autre ; mais on est l au niveau conceptuel; il s'agit d'oser cette affirmation - plus vidente dans d'autres parties du monde que l'Occident - sur un plan existentiel pour faire sens vivant, dynamique. Le sens ne nat que de la diffrence, de l'opposition, mais il faut peut-tre en venir la conception d'une opposition participative : une fois dfinies les relations oppositives/diffrentielles de s1 et de s2, la formulation s1 vs s2 dans les systme, pourrait peut-tre cder le pas, dans les processus, s1 inclus dans s2 (ou l'inverse, formes de complexit minimale) avec des prolongements plus complexes; s1 vs s2 simplement, et dont les termes sont rpartis, renvoie des formes de manichisme distributionnel - structuraliste si on veut - qui peuvent par ailleurs faire sens (ou du moins comme phases); s1 (ou s2) tout seul n'a pas de sens; s1 inclus dans s2 (ou l'inverse) fait dj sens[38].

    Cette inclusion, o le degr de concentration du terme inclus est variable, donne sens chacun des termes sparment (puisqu'il est dual) et aussi leur contraste (vs) qui est un contraste de termes duaux (en relation chiasmatique) ainsi que l'image d'une transformation rendue possible notamment par les jeux tensifs entre terme inclus (plus ou moins concentr) et terme incluant; d'o un possible mouvement dialectique et nergtique base de tension et de concentration (celle-ci assurant probablement celle-l et le mouvement qui en peut dcouler) et inversant les positions - ou les transposant ailleurs, autrement, cf. plans, niveaux, zones. Ce type de participation pourrait rendre compte du discret et du continu. C'est ce que j'entends par complexit, et celle-ci repose sur du DANS - avec degrs variables de concentration, et non sur du ET juxtaposant [39] - cf. l'absence de valeur qui se mue (retournement) en contre-valeur chez Breton (l'Amour Fou p. 151 un lieu entre tous banal et hostile en raison de cette banalit mme ); l'absence n'est pas l'inexistence, elle est une force.

    La sublimation est un aspect de la question; l'artiste/crateur saisit en fait - dans le processus, existentiellement , et non simplement de faon conceptuelle, dans le systme - la nature participative des contraires, notamment, qui permet cette transformation; dans le film Amadeus de M. Forman, les cris de rage de la femme, le comble de la non-musique, se transforment en virtuoses vocalises, et c'est bien l'acm du cri brutal et discordant que se produit l'inversion en vocalises mlodieuses, le retournement.

    Des potes illustres s'taient partag depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine potique. Il m'a paru plaisant, et d'autant plus agrable que la tche tait plus difficile, d'extraire la beaut du Mal. Ce livre, essentiellement inutile et absolument innocent, n'a pas t fait dans un autre but que de me divertir et d'exercer mon got passionn de l'obstacle (p. 305-306 des Projets de prfaces aux Fleurs du Mal, de C. Baudelaire, dition de poche, 1972).

    Sur un seul point de ce paragraphe, on voit qu'il ne s'agit pas proprement parler de transformer le mal en beau - selon une certaine conception alchimique, de type narratif, o on passerait, sans rsidu, du ngatif au positif, du plomb l'or dans une lecture matrielle et non philosophale, ni d'inverser les valeurs - cf. les caricatures de l'poque romantique le laid c'est le beau , caricature de Grandville, mais d'voquer cette complexit, d'o extraire qui signifie bien que le beau est (notamment) dans le mal... Dialectique encore et apparat le rle de la mmoire dans ce processus qui retient tous les stades avec variabilit du degr de prsence.

    La smiotique (cole de Paris), pour la perception de la signification - et de figures de rhtorique entre autres, distingue quatre modalits (Virtualis, Actualis, Potentialis, Ralis, ou modes d'existence dsormais VAPR), couples selon des parcours dans des genres de monte (mergence/apparition) et de descente (dclin/disparition) associant chaque fois un terme de la monte et un terme de la descente,

    chaque terme tant la dnomination d'un premier parcours entre ces modalits[40]; par ex. V A

    38 La raison d'une relation graduelle (plus/moins i.e. pourquoi cela varie), me semble-t-il, rside dans l'inclusion variable (schma de gradience) d'un terme dans l'autre. Ici comparaison est faire avec les concepts smiotiques de l'intensit et de l'extensit, de types de corrlation et d'arcs tensifs; il semble que ces concepts jouent sur un seul axe quantitatif (+/-), alors que je me rfre plutt aux notions de concentration/diffusion//dense/rare. Problmatiques communes mais solutions diffrentes? 39 cf. terme complexe en smiotique standard - aux parcours aportiques, et les amnagements/variations proposs dans ma thse prvoyant l'association simultane de et.. et et ni...ni , ce qui tait une tape modulant affirmation et ngation, mais non dynamique : in Smiotique du surralisme Andr Breton ou la cohrence, 1995, Presses Universitaires du Mirail, coll. Champs du Signe (notamment le chapitre 1 La conciliation des contraires dans le surralisme). 40 cf. Tension et signification et Smiotique du discours (cf. bibliographie).

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    (mergence) et R P (dclin) : c'est la distorsion, cas des tropes vivants o sont en concurrence une forme actualise (contenu figurant et peru la faucille dans l'hugolienne faucille d'or ) et forme potentialise (contenu reconstitu, conceptuel ou paraphrastique la /lune/). On a bien ici la prise en compte d'une forme de complexit : corrlation d'un parcours de monte et d'un parcours de descente affectant respectivement deux units de signification et c'est la globalit de cette corrlation qui fait sens. Il y a toutefois une certaine hirarchie ontologique (et axiologique?) des degrs/modes, qui se retrouve dans les dnominations de monte et de descente.

    Quels que soient les efforts pour passer d'une problmatique du discret une problmatique du continu plus porteuse pistmologiquement[41], les dichotomies/discrtisations demeurent, dans l'analyse mme des faits de signification (vs la dialectique voque plus haut qui semble d'un autre niveau), mme si le grain est plus fin (cf. VAPR qui sont des moments discrtiss) : ainsi de l'opposition sensible/intelligible qui recouvre ici le couple peru/conu en ce qui concerne la coexistence de significations dans certaines figures de rhtorique. Il est dit qu'une signification est perue et l'autre conue. Mais la signification non textualise (cf. le in absentia de la tradition), celle qui est dite conue, relve bien de la perception, mme si celle-ci est induite par l'autre signification et son contexte lato sensu. D'ailleurs on pourrait dire rebours que la signification dite perue est aussi interprte/conceptualise - de faon certes rapide souvent, mais interprte tout de mme. L'interprtation, plus ou moins mdiate, est toujours l et les rapports sensible/intelligible ou peru/conu sont de nature participative (et gradue) et non discrte. En fait, le degr peru (ainsi nomm parce qu'il est manifest) est aussi conu[42] et le degr conu (ainsi nomm parce qu'il n'est pas manifest) est aussi peru (via le contexte, la conjecture interprtative). Ce lien entre les aspects peru et conu (ou sensible et intelligible) est un corollaire de l'indissociabilit Sa/S[43] pour chacune des grandeurs - manifeste ou non, mais dans ce dernier cas elle est infre, tort ou raison peu importe.

    On pourrait recourir au schma de la gradience, avec des ples jamais nuls, du fait du prsuppos de la relation participative de deux grandeurs[44], relation toute de dynamisme si bien que l'on peut voquer, pour ces grandeurs, la possibilit, diffrente de l'inclusion rciproque (plutt statique et logiquement triviale), de s'inclure tour de rle. En gros, dans ma perspective, il n'y a pas une grandeur (degr) perue et une grandeur conue, mais deux grandeurs perues-conues, et peut-tre une inversion dans le parcours de ces aspects d'une grandeur l'autre : (i) du peru au conu, (ii) du conu au peru (chiasme), tant entendu que le terme a quo est toujours prsent dans le terme ad quem - ce n'est pas un simple passage et c'est d l'effet de gradience. Textualise ou non, chaque grandeur est tributaire de ce parcours smiosique de premier niveau du peru au conu, ou inversement et peut-tre vaudrait-il mieux substituer signifiant/signifi peru/conu en gardant les parcours (i) et (ii).

    Dans une situation narrative simple, pour revenir dans le fief premier de la smiotique, une situation initiale dite de manque (Sujet disjoint de Objet) est en fait complexe et c'est cette complexit qui peut impulser et contrler le programme; car le manque est la fois sinon il n'y a pas manque, une sparation de l'objet (vide objectal) et une tension dsirante vers l'objet (plein subjectal); peut-tre la relation l'objet peut tre considre comme relevant de l'extensit et la relation au dsir comme relevant de l'intensit. Dans la qute narrative, extensit et intensit sont corrles (d'o la notion de complexit), bien mieux qu'associes, et sont gradues. Et ce qui est gradu c'est la prsence (de l'objet et du dsir). Plus prcisment, la catgorie rgissante semble tre celle de la PRSENCE (prsence vs absence) : cette catgorie, si on la maintient telle quelle, peut tre continue et le second terme (absence) est une

    41 et pourquoi, pistmologiquement parlant, faudrait-il passer de l'une l'autre, quitter l'une pour l'autre, au lieu de considrer, dialectiquement, discret et continu comme des phases en interaction et se succdant indfiniment dans les transformations du sens vivant de mouvements et de haltes? 42 De mon point de vue je simplifie dans ce dveloppement - cette manifestation physique renvoie un signe de premire vidence, grce cette manifestation qui le reprsente explicitement, mais qui est mental (Sa et S). 43 Ce lien rend compte aussi de l'activit interprtative prise dans ce va-et-vient indfini entre perception et conception. 44 cf. les notions hjelmsleviennes de extense/intense et C. Zilberberg Le double conditionnement tensif et rhtorique des structures lmentaires de la signification in Transversalit du sens/Parcours smiotiques (sous la direction de J. Alonso, D. Bertrand, M. Costantini et S. Dambrine) Essais et Savoirs, Presses Universitaires de Vincennes, 2007.

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    modalit de la PRSENCE (et non une inexistence hic et nunc)[45]. Il vaudrait mieux donc parler de modalits de la prsence [46].

    Les modes de prsence, ressortissant plutt la phnomnologie, ne relvent pas de la mme perspective

    que les modes d'existence (VAPR) de la smiotique, qui renvoient plutt une forme d'ontologie[47] (peut-on, en outre, dialectiser cette dichotomie?). Ces modes de prsence sont tous deux rels puisqu'ils participent au/du processus de signification/interprtation quel que soit son thos, potique, ludique... Et la force ou le poids de la seconde grandeur sont peut-tre proportionnels au degr de mdiatet : que l'on songe aux textes nigmatiques - dont les connexions symboliques (rle de l'absence), chargs du poids des possibles interprtatifs (motifs, profils...[48]).

    4. Complexit rhtorico-smantique et la question des units

    La complexit, ainsi bauche, (i) serait prise dans un rseau conceptuel, (ii) serait constitutive d'units

    smantiques, rhtoriques pour en rester mes travaux actuels. (i) rseau : le sens interactif et non hirarchique de cette notion/concept devrait contrebalancer la

    prsentation un peu en vrac de ses lments : complexit, degrs de prsence, continu, participial, extensit/intensit (enrichies par dense, rare//compact, diffus), tension, dynamisme, transformations diverses[49]. L'activit interprtative prise dans ce rseau, apparat, quelque niveau que ce soit, comme une mdiation c'est la question de la tiercit et probablement d'une forme de transcendance[50] intgre ici au cours d'action interprtatif (et non d'un intermdiaire ou d'une interface) guidant, via des interprtants divers, le passage d'une donne-source (r)interprter une donne-cible (r)interprte[51]. Mais ce qui rend possible cette mdiation relve peut-tre de cette perception de phnomnes de tension qui se fondent eux-mmes sur de la complexit...

    (ii) La complexit serait constituante d'units smantiques textuelles et guiderait donc leur perception/identification, l'interprtation ainsi guide acqurant son tour une vigueur complexifiante. On pourrait envisager le sens comme un phnomne relevant de la complexit dans une smantique/rhtorique gnralise.

    Ce rle prsum de la complexit va renvoyer la problmatique de l'unit et notamment la question de la minimalit, de mise dans la distinctivit en phonologie et en smantique componentielle, et qui doit tre resitue. Remarque : L'interprtation, dont relve la simple lecture, fait partie du texte (de la textualisation, de la textualit) ; il convient dans cette perspective de distinguer l'objet-texte physique, comme objet du monde, de l'objet-texte lire/interprter et qui de ce fait rclame, pour advenir, la participation d'un sujet interprte; la ncessit de ce lien sujet-objet est encore plus forte dans ce cas-l o on ne verse absolument pas dans l'accusation d'idalisme, laquelle pourrait tre porte si on soutenait la mme position dans le cas de l'objet physique (et encore... mais ce n'est pas mon propos). La part de la

    45 Je vois les artes du soleil A travers l'aubpine de la pluie J'entends se dchirer le linge humain comme une grande feuille Sous l'ongle de l'absence et de la prsence qui sont de connivence (A. Breton, Vigilance in Le revolver cheveux blancs, Pomes, Gallimard 1948, p. 91) 46 Au niveau de l'nonciation cf. la thse de J.P. Fewou-Ngouloure on note souvent la prsence d'un actant de l'nonciation qui n'est pas forcment dsign par un je, mais par des choix lexicaux etc. qui ne sont pas ceux des personnages, et qui est ainsi mis en scne (indirectement : il est alors la fois prsent et absent) comme une voix parmi d'autres; se pose aussi ainsi la question du clivage nonc/nonciation pour, au moins, le problmatiser . 47 Les modes d'existence VAPR sont peut-tre envisageables aprs, en terme de vridiction, de communication etc.. 48 Cadiot P. et Visetti Y.-M., 2001, Pour une thorie des formes smantiques motifs, profils et thmes, Formes smiotiques, PUF. 49 ou, suivant F. Rastier, mtamorphismes, en y incluant les mromorphismes jouant sur les solidarits d'chelle, pour les formes smantiques selon les composantes et les transpositions pour les fonds selon les isotopies, squences, tons, rythmes... 50 relative; complexification dialectique ici aussi de la dichotomie transcendance/immanence. 51 Sur cette question, cf. aussi les zones anthropiques et le rle, mdiateur, du distal notamment.

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    conjecture interprtative est fonction semble-t-il de l'objet lui-mme et des comptences du sujet tous deux engags dans la situation interprtative ( affiner selon genres et discours)[52].

    Ce que j'ai en vue c'est, dans l'tablissement d'units (smantiques) textuelles, une dmarche/perception double (fonde sur l'analyse) qui distinguerait A et B tout en les associant comme une unit (unit possiblement temporaire), cette distinction-association tant gage de sens relevant de la complexit. Dans la connexion effectue, on n'a pas une simple relation stabilise (une jonction) entre deux grandeurs (troitement juxtaposes) mais une mta-grandeur complexe dont les lments initialement spars et qui continuent de garder leurs contours en leur union se prsentent successivement notre perception mais dans une variabilit de la prsence et c'est cette complexit avec inclusions successives et ses effets de dploiement/concentration corrls et gradus qui est la source d'une nergie tensive pouvant rendre compte de ces passages qui n'oublient rien. Inclusions ou effets de figure/fond[53]sont deux faons conciliables de reprsenter ces phnomnes : la forme/figure n'est pas seulement quelque chose qui se dtache du fond, elle fait partie du fond, avec possible inversion; l aussi on a un continu catgoriel participatif. Mon point de vue sur la complexit rejoint cela en partie.

    La complexit ainsi entendue est liaison, entre A et B, qui peuvent reprsenter diffrentes variables[54].

    Les rflexions rhtoriques qui suivent sont menes dans le cadre de l'aire de la posie et des figures vivantes. Il convient d'valuer si elles sont gnralisables ou non, dans le cadre d'autres aires, genres, champs, les genres tant lis des pratiques diffrentes.

    La prolifration des figures de rhtorique, de leurs dnominations et de leurs statuts spcifiques, (i)

    tient peut-tre pour une bonne part la persistance de structures conceptuelles (rfres des modles ontologiques) (ii) est en lien avec les thories du signe et du rapport des signes entre eux dans l'nonc ralis (et de leur rapport aux rfrents).

    Il semble qu'il faille tenir compte de trois facteurs (au moins) dans diffrentes figures et qu'on puisse envisager, du point de vue de la smantique interprtative, une certaine gnralisation avec la ncessit toutefois de typologiser les fonctionnements et les effets selon les genres - ainsi qu'une interprtation globale (unifiante) et graduelle de ces figures sur cette triple base :

    (i) la notion de proprit smique (ou casuelle, cf. plus loin), qui semble centrale ce point renvoie la

    typologie smique : type (gnrique/spcifique) et statut (inhrent/affrent) smiques identification casuelle (cf. isotopie, thmatique, dialectique, dialogique).

    (ii) la notion de transfert smique ou casuel, mais de transfert participatif[55], relevant de la complexit, en lien avec les images/concepts de sympathie et d'empathie smantiques.

    (iii) la nature de la relation entre les units (deux par exemple) concernes par ce transfert. On peut ici recourir aux notions de classes smantiques afin de juger de la plus ou moins grande distance des

    52 Un mdecin, dont je n'ai pas retenu le nom, chercheur en neurosciences, interview sur France Culture le 02/04/10 12h30 distinguait l'information de la connaissance, celle-l tant prsente par le mdecin comme un fait objectif alors que celle-ci est une construction, une appropriation, toujours dpendante de la subjectivit (i.e. de la consistance d'un sujet partenaire du processus) et ne pouvant exister sans cette participation subjective. Certes, et il est heureux qu'un neuroscientifique rejoigne cette problmatique et crucial de dnoncer cette destruction d'un processus cognitif complexe d'objectivit et de subjectivit (la connaissance) mais il faut aussi voir que l'information elle-mme, dans son principe, est prise dans cette problmatique sujet/objet (sujet producteur et/ou interprte) que l'on tend occulter : On vous dit quelquefois : Ceci est un fait. Inclinez-vous devant le fait. C'est dire Croyez. Croyez, car l'homme n'est pas intervenu disait P. Valry, (cit par le Petit Robert fait ). C'est aussi la question du croyable et du crdible; en outre, actuellement, cet cartement de la subjectivit (au sens de ple du processus de construction cognitive) tend gagner, au-del de l'information pure et simple , ce qui est de l'ordre de la connaissance. On est alors clairement dans de la non-complexit. 53 Visetti Y.-M. art. cit. 54 Un mouvement inverse complmentaire?, de d-liaison, peut s'observer, dans des figures telles que l'hendiadyn, figure de pense selon H. Morier. On notera aussi que l'hendiadyn opre une d-hirarchisation associant deux units pralablement subordonnes. 55 La notion de transfert participatif permettrait, elle, de problmatiser, au moins partiellement, le statut de la complexit qui permet de faire retour sur l'identification des units rhtorico-smantiques. Partiellement, car ici semble-t-il on en reste au seul niveau de la composante thmatique et il faudrait envisager cette complexit dans le jeu des composantes (notamment thmatique/dialogique du fait de l'assomption ou non de telle prdication non pertinente selon les normes admises).

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    units relies. Ce dernier point est particulirement important je laisse pour l'instant les effets dus aux seuls jeux dimensionnels : personnification etc. en ce que, li aux deux autres, il permet peut-tre d'entrevoir une continuit seuille entre certaines figures que l'on ne rapproche pas habituellement.

    Il y a des liens de prsupposition entre les classes (iii) et les smes (i) et ces notions relvent d'une certaine tradition, mais refonde en smantique textuelle; la notion (ii) de transfert qui s'inspire de l'affrence est plus originale[56].

    Pour la mtaphore (je n'entre pas dans les distinctions typologiques cf. bibliographie in fine), l'unit est dans, a minima, le couple compar/comparant - ce dernier textualis ou non, c'est--dire reconstruit par l'interprtation qui fait partie de la textualisation ouverte - et non dans le seul comparant (pour la figure) ou le seul compar (par substitution simplifiante, pour le sens). Mais l'unit rhtorique peut tre plus vaste : dans Pasteurs et troupeaux in Contemplations de V. Hugo, le ptre promontoire [57], gardien des moutons de la mer, rpond l'image de la jeune bergre menant son troupeau sur la falaise [58]. Mais cette inversion est surtout porte par la mtaphore en miroir qui vient runir ces deux passages en une unit complexe aux composants antithtiques qui se font mutuellement valoir. Si la complexit smantique rend compte, mon sens, de l'unit significative textuelle, on a l une unit textuelle ralise fort longue (v. 19-46) fonde sur des rapports rhtoriques. Ce qui repose la question du local et du global, concepts volutifs dans/du fait de l'interprtation textuelle et, donc, concepts non strictement objectifs/matriels ni absolus[59], dans la mesure o le local peut tre un global : l'opposition signe/texte est non pertinente de ce point de vue. De faon plus prcise, les mtaphores crent des units complexes et jouent sur la complexit de chaque terme, via un traitement analogue par quadripartition des oppositions identit/altrit[60]et unit/multiplicit. C'est le transfert participatif (corollaire de l'affrence) qui cautionne cette complexit : transfert rciproque (ou vide sympathie) dans un cas (lune/faucille, proprits communes ) et un transfert participatif simple et plus ais admettre dans le second cas (toile/tigre empathie, dans l'toile qui rauquait son nom indniable de R. Char)[61]et, l aussi, il y a constitution d'une unit duale (avec, en principe, non manifestation textuelle du comparant reconstructible linguistiquement partir du foyer mtaphorique). Le transfert dans le premier cas serait discutable dans la mesure o la proprit semble commune (de faon inhrente en quelque sorte), le pote se bornant constater cette parent smique; toutefois, ces units, gnralement, appartiennent deux domaines distincts dont aucune pratique, sinon telle pratique smiotique potique (ft-elle pisodique), ne semble justifier le rapprochement : la forme de la lune fait sens en priorit dans le domaine de l'astronomie et la forme de la faucille dans celui de l'agriculture (dans des socits fortes spcialisations cloisonnes). C'est videmment le couple invention/dcouverte (encore une dichotomie !) qui est entran dans cette problmatique de la complexit dialectisante (quadripartition l aussi en principe) et reprsentable dans un schma de gradience. De ce fait, l'activit potique invente autant qu'elle dcouvre cette parent que probablement la culture a rendue vidente et banale, ce qui ne fut sans doute pas le cas lors de la trouvaille imaginative mais l aussi des seuils sont prvoir quant la plus ou moins grande vidence des rapprochements en fonction de la distance des domaines et aussi des rapprochements qui ont pu tre effectus dans la tradition etc.; l'esprit potique opre donc ces rapprochements, les invente donc mais en fonction souvent d'une base existante mais plus ou moins accessible la perception (c'est l'aspect dcouverte). Il conviendrait ici de tirer parti,

    56 I. Tamba-Mecz parle dj de transfert in Le sens figur, 1981, PUF. 57 qui est dj une unit complexe participative. 58 Grald Antoine in Le Langage, Encyclopdie de la Pliade, 1968, p. 479, (cit par Henri Morier, Dictionnaire de Potique et de Rhtorique, PUF, 1981, p. 685). 59 la totalit elle est objectivable parce que purement matrielle. 60 cf. P. Verlaine, dans Mon rve familier ( Je fais souvent ce rve trange et pntrant ) in Pomes saturniens, voquant le rve rcurrent d'une femme Et qui n'est, chaque fois, ni tout fait la mme Ni tout fait une autre La mmet (l'ipsit ?) de l'objet se continue dans ces jeux complexes de l'identit et de l'altrit (cf. motifs, profils et thmes). Dans cette intrication du mme et de l'autre, le dcalage semble servir l'affirmation d'une identit vivante et dynamique, avec aussi les jeux de l'trange et du familier (l'trange du familier, le familier de l'trange...); rapprocher de constatations scientifiques faites sur les reconstructions dcales de la mmoire : c'est la vie en fait qui manquerait au retour de la pure identit. 61 Au final, la relation smantique lune-faucille ne se distingue gure de la relation tigre-toile, si ce n'est par le statut inhrent ou affrent de la proprit partage, mais l'inhrence est une affrence invtre...

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    notamment, d'un jeu surraliste majeur et bien surprenant dans ses rsultats, L'un dans l'autre, afin de ne pas fonder cette description sur des a priori ontologiques et des ides corollaires de convenance, justesse etc., le pote se bornant alors explorer la combinatoire du systme[62]. Cela aboutit la constitution d'une unit complexe[63], mais aussi nouvelle et o il peut tre difficile d'tablir un rapport ferme de dominance et de hirarchie (ces concepts renvoyant une forme de discrtisation des lments de la figure et sans doute valables en tant qu'tapes du processus rhtorico-smantique de la configuration d'une unit duale et/ou selon les genres). Prcisons que si la mtaphore dnominative (lune-faucille) parat bien souvent relier des domaines (via les units runies), il semble que dans la mtaphore prdicative (tigre-toile) ce ne soit pas forcment des domaines qui soient relis (ou des units appartenant des domaines prcis/reprables ex. de rauquait outre le jeu des dimensions, anim/inanim ici dans tigre/toile). Une certaine parent avec l'hypallage (du fait du transfert) se dessine pour la mtaphore, en particulier pour la prdicative que l'on peut rapprocher de l'hypallage simple; pour la mtaphore dnominative classique , le suppos transfert rciproque s'apparente la double hypallage mais le fait qu'il s'agit de proprits similaires (plutt qu'identiques) obnubile l'opration. Toutefois le transfert redevient visible dans des mtaphores plus fortement dpendantes, pour leur interprtation, du contexte (explicite ou expliciter dans l'interprtation on voit donc qu'il y a des instances de motivation, plus ou moins mdiates); c'est le cas du ptre promontoire et de la bergre tour Eiffel o le contexte, proche ou plus lointain, permet d'affrer depuis le comparant tout ce qui a trait la /pastoralit/ sur le compar sans que celui-ci ne perde ses caractristiques inhrentes. On a donc un transfert participatif (i.e. que le comparant ne perd pas les proprits qu'il transfre) qui est simple et la constitution d'une unit complexe, ce que suggre l'absence de lien syntaxique entre les deux substantifs; de plus, la disposition tactique met en saillance perceptive le comparant dans le parcours. Les deux constituants de la figure renvoient des ensembles (mer/prairie qui borde la mer chez Hugo et campagne/ville chez Apollinaire), qui, quelle que soit leur proximit (physique ou perue), relvent de pratiques qui n'ont pas grand chose voir entre elles, la diffrence de l'hypallage semble-t-il.

    Pour suggrer ce continu seuil des figures, j'voquerai brivement et sommairement d'autres figures (pour les prcisions analytiques et thoriques cf. bibliographie pour l'ensemble de ce dveloppement rhtorique final).

    La syllepse/antanaclase : ces figures peuvent tre traites dans le cadre d'oprations de dissimilation; ainsi de un pre en punissant, madame, est toujours pre ; nous avons certes deux smes affrents socialement norms diffrents (le pre /ducateur/ et le pre /bienveillant/), mais il s'agit d'une mme catgorie diffracte sur l'ensemble du vers qui constitue l'unit rhtorique complexe (cf. antanaclasis, rpercussion, rfraction de la lumire/son, diffraction) avec des effets fond/figure; l'analyse des vers de Racine ( Brl de plus de feux que je n'en allumai / Je souffre tous les maux que j'ai faits devant Troie ) permet bien de dissimiler les maux / feux de l'amour de ceux de la guerre, mais un autre niveau se joue l'assimilation complexifiante des domaines de l'amour et de la guerre, qui sont d'ailleurs mis en comparaison ( Brl de plus de feux...). Nous avons un phnomne analogue celui de la mtaphore, mais alors que pour celle-ci la base est smique (ressemblance ou analogie construite de contenu), il y a ici un rle majeur dvolu l'expression, avec une similarit de signifiant pour faire vite; disons, dans une perspective de tiercit dialectisante, que les mtaphores se fonderaient plutt sur des motifs et les syllepses/antanaclases sur des formants. D'autres exemples, cits par la tradition[64] mettent plutt en jeu les dimensions. Ainsi de Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon coeur ou Galate m'est plus douce que le miel du mont Hybla o des entits (coeur/jour//Galate/miel) sont runies (effet de taxme) sur la base d'une /puret/ ou d'une /douceur/ qui en devient gnrique et qui est spcifie par les

    62 cf. note supra sur l'image chez P. Reverdy. On peroit le caractre paradoxal et complexe de la justesse et de l'loignement qui font la valeur l'image potique. Peut-tre que la justesse est affaire prive ou idiolectale et l'loignement affaire sociale ou sociolectale. Dans un ordre d'ides semblable (nonciation et rhtorique), l'hyperbole a voir avec le rel subjectif, ou l'objectif du subjectif; le littralement indice de sens figur hyperbolique signale l'exagration objective/dnotative pour la tradition logico-grammaticale, mais cette exagration fait bien voir et sentir les choses d'un point de vue subjectif. 63 Il faudrait peut-tre revoir dans une perspective critique les notions de dominance et de hirarchie entre compar/comparant, non exemptes d'un point de vue dualiste (mais cela dpend peut-tre des genres) oppos la perception d'une unit complexe (l'effet de saillance peut-il tre assimil un effet de hirarchie? A voir...). 64 Ces exemples ne sont pas forcment vidents, comme figures, pour des lecteurs actuels, ce qui engage problmatiser (l'volution de) la perception des figures suivant les poques et les outils descriptifs.

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    (degrs des) substantifs (coeur et Galate comme parangons respectivement de la puret et de la douceur); mais via ces entits ce sont des dimensions normalement opposes qui sont rapproches (physique/moral et anim/inanim) et dans une gradation de type continuiste suggrant une assimilation de types diffrents de douceurs/purets, assimilation qui s'oppose aux dichotomies reues. L aussi, il y a quelque chose d'analogue la mtaphore, mais ici le trait (rendu) commun est lexicalis et c'est un valuatif (dimension).

    L'hypallage peut tre simple (Ce marchand accoud sur son comptoir avide de V. Hugo) ou

    double ( Comme un cheval sans fin dans un labour aigri de R. Char). La notion de transfert (smique), simple ou double, y est l'oeuvre (sans prjudice de diverses autres affrences possibles, notamment dimensionnelles). Dans l'hypallage lexicale simple, on a bien affaire un transfert participatif : la source, le marchand, conserve ce trait qu'elle propage sur la cible, le comptoir; le fait de parler de transfert simplement (dans un sens obvie) fait que l'on en reste la surface manifeste du texte et qu'on rduit la porte (son importance aussi bien que son tendue) de la figure. Admettons que si Hugo dit que le comptoir est avide, c'est parce que le marchand l'est (via une reprsentation doxale) et cette prsence manifeste de cette proprit affrente contextuelle pour le comptoir renvoie la prsence non manifeste de cette proprit affrente socialement pour le marchand : l'unit smantico-rhtorique est complexe, comprenant le marchand et son comptoir. Le point de vue logico-grammatical fond sur la prsence/absence discrte de signes et leur rpartition fonctionnelle constate, en se rfrant la doxa, un dplacement lexical, d'o la dfinition de l'hypallage comme figure consistant attribuer un mot de la phrase ce qui convenait un autre mot de la mme phrase [65]; on s'achemine donc vers une solution normative du rtablissement de l'ordre normal des mots : avide se trouve joint comptoir et il ne saurait se trouver ailleurs, en tant que mot occupant une place dfinie et discrte, or cet emploi est contraire la doxa qu'il faut rtablir; on y verra donc une faon de parler assez audacieuse, au mieux, ou ridicule (l'ornement d'un dj-l et non une cration) : dplacement donc qui serait corriger selon un point de vue normatif qui mle (i) la doxa, (ii) un point de vue uniquement lexical, (iii) dont dcoule le point de vue discret (ou qui en dcoule) affectant (iv) la prsence/absence tel endroit des units tout cela est en interaction dans l'interprtation normative (et esthtisante/ornementale). En fait, la figure est en lien avec la formulation doxale : il ne s'agit dans les cas examins, et c'est une faon esthsique propre (qui n'est peut-tre pas gnralisable), ni de dtruire la doxa, ni de la rtablir purement et simplement, mais de crer un sens complexe associant, cette fois-ci, doxa et anti-doxa. Il en va de mme pour l'hypallage double avec, dans ce cas un transfert symtrique et intgration de la version doxale. Tout cela a bien sr voir avec la question des fonds et des formes, l'inversion en miroir etc. Malgr les apparences de dissociation (dplacement ou permutation), l'hypallage revient bien tablir un point commun entre les units concernes (de l'importance de l'affrence dans ce lien participatif). Un point commun ou deux points communs : l'hypallage s'apparente la mtaphore, mais on remarquera que, du moins dans les exemples examins, les units ainsi soudes smantiquement et rhtoriquement appartiennent au mme taxme (le marchand et son comptoir : domaine commerce le cheval et le champ labourer : domaine agriculture). Cette faon de voir les choses (symtrie axiale) donne peut-tre un autre poids la convocation de la figure du chiasme dans l'hypallage. Il s'agit bien ici de rversibilit (et non de simple change qui primerait la situation antrieure) qui fait pice une certaine irrversibilit qui est l'une des caractristiques de l'entropie.

    Avec l'oxymore, on franchit un seuil : la complexit est porte au cur de telle unit (l'autre dans le

    mme, le multiple dans l'un, cette fois-ci), qui semble de base, par des prdications simultanes et contradictoires ( toffe clatante fltrie de Verlaine, cf. bibliographie) qui associent le mme et l'autre, l'un et le multiple (avec des jeux fond/forme). Ce franchissement de seuil fait que l'on passe d'une complexit synthtique (interfigurale) une complexit analytique ou intrafigurale[66]. Baudelaire, dans le

    65 Dictionnaire de linguistique, 1973, Larousse, de J. Dubois et alii, o est cit l'exemple de Hugo, mais c'est aussi la dfinition de bien des rhtoriciens. 66 Il conviendrait d'examiner : (i) le statut de la contradiction, eu gard notamment au jeu des composantes, des dimensions; (ii) l'ethos de cette contradiction cf. genres : conflictuelle critique ou signant une complexit assume et donc (iii) revoir la distinction entre oxymore et antithse qui seraient ainsi reconfigurs/rinterprts selon des critres smantiques et

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    pome XXIII des Fleurs du Mal, dcrit de faon juxtapose les qualits antithtiques de la femme, maman d'un ct, et putain (surtout) de l'autre, et le pome se clt par ce vers qui dsigne la femme fangeuse grandeur, sublime ignominie o l'troite syntaxe de l'oxymore redoubl montre que l'on a affaire une unit significative doublement complexe et participative. Cela permet aussi de repenser la problmatique du global et du local qui ne doit pas s'entendre que dans un sens extensif (quantitatif); le vers de Baudelaire est une localit complexe, une reformulation dynamique de chute[67]et un peu dcale de tout le pome. L aussi, le rapport local/global est de type participatif, avec les effets de concentration/diffusion nergtiques .

    La mtonymie[68]pourrait renvoyer des cas de transfert casuel participatif : violoniste comprend le

    trait /violon/, mais violon qui lexicalise ce trait, peut recevoir les traits /humain/ et /ergatif/ ( au lieu de /instrumental/ F. Rastier). L'affrence s'est alors propage de l'instrumental l'ergatif. Ce type d'affrence rend compte de phnomnes gnralement classs sous la rubrique mtonymie. Mais, l'auteur voque ici un changement de cas dans une expression mtonymique lexicalise et qui est peu tropique ( le premier violon a t trs applaudi ) ; donc la substitution casuelle ne pose pas de problme. En revanche, des expressions plus originales peuvent autoriser l'affrence et le cumul casuels[69], dans une sorte de syncrtisme ( l'image de ce qui se passe dans les affrences smiques stricto sensu dans les exemples que nous avons vus) : P. Fontanier (op.cit. in bibliographie p. 86) cite Delille Le char n'coute plus ni la voix ni le frein et voit une mtonymie dans char , cration aussi nouvelle que hardie du pote , certes, mais qui restaure une cohrence uniformisante par un glissement dnominatif : le char est pris pour les chevaux du char, pour l'attelage ; cela peut et doit se discuter depuis une nouvelle thorie, sans prjuger de son adquation cet exemple prcis, qui est simple illustration ici; de mon point de vue, le char conserve (du point de vue de la reprsentation doxale de l'affaire et dans une saillance sans doute affaiblie), outre ses valeurs smiques /objet/, /inanim/ notamment, sa valeur casuelle /instrument/ (pour la course) et il acquiert (dans une saillance plus forte), via l'affrence gnre par coute le cas /ergatif/ ou autre mais diffrent de /instrumental/, plus le trait /anim/. Je renvoie au fonctionnement de l'hypallage et la reprsentation doxale demeure un autre niveau de complexit, comme dans les autres cas examins, ne serait-ce que comme ncessaire faire-valoir de la figure[70] On peut peut-tre rendre compte ainsi des diffrences entre mtonymies[71] vives et lexicalises : celles-l conservent la mmoire smique et/ou casuelle dans leur fonctionnement (ex. de Delille); celles-ci crasent le parcours[72] dont l'aspect terminatif se solidifie; c'est l'exemple de violon qui, dans la pratique d'orchestre, n'est plus senti comme figure; seule une tude diachronique - ou l'tonnement du mlomane nophyte peut restituer une pertinence au processus : d'ailleurs, F. Rastier parle bien en ce cas-l de /ergatif/ (au lieu [73] de /instrumental/) : on est bien dans la substitution effe