Séminaire « Regroupement des acteurs des classes relais » - Les difficultés psychologiques des...

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Les difficultés psychologiques des adolescents Philippe JEAMMET, psychiatre, chef du service de Psychiatrie de l'adolescent et du jeune adulte, Institut mutualiste, Montsouris Je suis heureux de cette invitation car je suis persuadé qu'il ne peut y avoir développement de la personnalité sans éducation. C'est donc un drame de voir un certain nombre de jeunes privés des moyens qui leur permettraient de s'enrichir. Selon moi, l'ensemble de la psychopathologie s'explique par le sabotage d'une partie de ses potentialités. Le sujet attaque une partie de ses potentialités, voire la totalité. Toutefois, bien souvent cette attaque cache son contraire. En effet, c'est lorsque le sujet attend beaucoup qu'il est le plus déçu et qu'il est tenté de se saboter à défaut de réussir. Cette capacité de sabotage est particulièrement aiguë au moment de l'adolescence. Dans une récente étude du CFES, nous constatons que presque 90 % des jeunes de 10 à 11 ans sont satisfaits d'eux-mêmes et de leur famille. En revanche, à 15 ans, cette proportion chute de 20 % sans qu'il ne se produise de changements majeurs ou de traumatismes. Le seul fait de la puberté suffit à renverser le positif en négatif. La maladie, quant à elle, est présente lorsqu'un comportement de sabotage devient une contrainte répétitive dans laquelle le sujet s'enferme. Face à ce risque, il est important que les jeunes soient entourés de personnes différentes dans la mesure où cette différence autorise une forme de choix et de liberté. Néanmoins, il est également nécessaire que cette différence respecte une certaine cohérence. Or il me semble que nous assistons à un affolement des adultes, générateur d'angoisse chez l'adolescent. Plus ces jeunes ont le sentiment que l'adulte est mal, plus ils vont avoir tendance à le harceler. Par conséquent, nous devons - psychanalyste, juge ou éducateur - apprendre à travailler ensemble avec nos différences. Il est possible d'identifier deux grands axes de développement : pour se construire, il est nécessaire de se nourrir des autres. Il n'est pas possible de se créer sans apport. Le modèle somatique s'applique également sur le plan psychique. Toutefois, l'apport de savoir ne se fait pas sur le même modèle que celui de l'ordinateur. Chez l'homme, le plaisir reste central et il faut donc se nourrir avec un certain plaisir. pour être soi, il faut parvenir à se différencier des autres, en particulier dans une société qui s'est fortement individualisée. Ce paradoxe me semble être au centre des difficultés rencontrées par l'éducation : nous avons besoin de nous nourrir des autres tout en étant différent. C'est un paradoxe c'est-à-dire une fausse contradiction car nous ne nous situons pas au même niveau de logique. En effet, nous allons nous

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Séminaire « Regroupement des acteurs des classes relais » - Les difficultés psychologiques des adolescents - Éduscol

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  • Les difficults psychologiques des adolescents

    Philippe JEAMMET, psychiatre, chef du service de Psychiatrie de l'adolescent et dujeune adulte, Institut mutualiste, Montsouris

    Je suis heureux de cette invitation car je suis persuad qu'il ne peut y avoir dveloppement de lapersonnalit sans ducation. C'est donc un drame de voir un certain nombre de jeunes privs desmoyens qui leur permettraient de s'enrichir. Selon moi, l'ensemble de la psychopathologie s'expliquepar le sabotage d'une partie de ses potentialits. Le sujet attaque une partie de ses potentialits, voire latotalit. Toutefois, bien souvent cette attaque cache son contraire. En effet, c'est lorsque le sujet attendbeaucoup qu'il est le plus du et qu'il est tent de se saboter dfaut de russir. Cette capacit desabotage est particulirement aigu au moment de l'adolescence. Dans une rcente tude du CFES,nous constatons que presque 90 % des jeunes de 10 11 ans sont satisfaits d'eux-mmes et de leurfamille. En revanche, 15 ans, cette proportion chute de 20 % sans qu'il ne se produise de changementsmajeurs ou de traumatismes. Le seul fait de la pubert suffit renverser le positif en ngatif. Lamaladie, quant elle, est prsente lorsqu'un comportement de sabotage devient une contrainterptitive dans laquelle le sujet s'enferme. Face ce risque, il est important que les jeunes soiententours de personnes diffrentes dans la mesure o cette diffrence autorise une forme de choix et delibert. Nanmoins, il est galement ncessaire que cette diffrence respecte une certaine cohrence. Oril me semble que nous assistons un affolement des adultes, gnrateur d'angoisse chez l'adolescent.Plus ces jeunes ont le sentiment que l'adulte est mal, plus ils vont avoir tendance le harceler. Parconsquent, nous devons - psychanalyste, juge ou ducateur - apprendre travailler ensemble avec nosdiffrences.

    Il est possible d'identifier deux grands axes de dveloppement :

    pour se construire, il est ncessaire de se nourrir des autres. Il n'est pas possible de se crer sansapport. Le modle somatique s'applique galement sur le plan psychique. Toutefois, l'apport desavoir ne se fait pas sur le mme modle que celui de l'ordinateur. Chez l'homme, le plaisir restecentral et il faut donc se nourrir avec un certain plaisir.pour tre soi, il faut parvenir se diffrencier des autres, en particulier dans une socit qui s'estfortement individualise.

    Ce paradoxe me semble tre au centre des difficults rencontres par l'ducation : nous avons besoinde nous nourrir des autres tout en tant diffrent. C'est un paradoxe c'est--dire une faussecontradiction car nous ne nous situons pas au mme niveau de logique. En effet, nous allons nous

  • nourrir d'un apport. En intgrant cet apport, nous allons nous transformer en " nous".

    Cependant, nous pouvons avoir le sentiment que plus nous avons besoin des autres, moins nouspouvons nous permettre de recevoir. C'est au moment de l'adolescence que cette situation est la plusdifficile grer.

    Premier principe du dveloppement

    Plus nous avons besoin des autres, plus nous ressentons ce besoin comme une menace sur notreidentit ou notre autonomie. Ce principe n'est pas propre l'individu. Il est aussi applicable auxnations. En effet, si celles-ci sont dans l'inscurit, elles auront des difficults s'ouvrir l'change.C'est ce sentiment de menace qui va parasiter les relations familiales ainsi que les relations scolaires.

    Le besoin des autres, au moment de l'adolescence, va se sexualiser. Ce jeune a le sentiment que cebesoin va le pntrer et menacer son identit. Cette peur de l'invasion s'exprime par le langage utilischez ces jeunes en dsarroi. L'expression " il me prend la tte " signifie que l'adolescent ne se sent plusmatre de son territoire. Or la personne qui prend la tte est galement celle dont on attend quelquechose. En effet, cette personne est souvent soit un modle identificatoire, soit un contre-modleidentificatoire.

    Le besoin des autres et le besoin de se complter devient alors perscutoire. C'est particulirement vraiau moment de l'adolescence lorsque toute relation revt un caractre sexuel. L'une des rponsesqu'apportent ces jeunes est la violence. La violence devient alors comme l'un des derniers moyens poursauvegarder des frontires et une identit. La violence devient une faon de rtablir le sujet dans sesdroits.

    Le premier principe de dveloppement, qui peut s'noncer comme un paradoxe est que ce dont j'aibesoin, c'est--dire cette force des adultes qui me manque, menace mon autonomie naissante.

    Pour illustrer mon propos, je vous citerai l'exemple d'un individu amoureux. La personne amoureusedlgue une partie de soi l'autre. Plus la relation est passionnelle, plus c'est une part de soi qui estprojete vers l'autre. Si une soire a t prvue pour fter l'anniversaire de la rencontre du couple etque l'un des deux membres du couple arrive en retard, il me semble que la dception estproportionnelle l'attente. La personne attendait de cette soire qu'elle soit un moment fort et voilque l'autre la gche. La dception peut tre telle que cette personne ne sait plus si elle souhaite encorel'arrive de l'tre aim. En effet, lorsque la dception est trop forte, elle tue jusqu'au dsir de l'autre,non pas parce que le dsir tait faible mais parce qu'il tait trop important et dpendant de l'extrieur.Au moment de l'adolescence, ceux qui demandent le moins sont souvent ceux qui attendent le plus.Ceux qui affirment qu'ils ne s'intressent rien pensent ainsi se protger de la dception. Cette attitudedmontre la force du ngatif et le pouvoir que donne le refus.

    A l'adolescence, il existe une fascination toxicomaniaque du pouvoir de dire non. Si l'adolescent affirme

  • qu'il n'est pas intress par le fait d'avoir le baccalaurat, alors tout le monde s'intresse lui.Comment est-il possible de rsister l'envie de possder ce pouvoir lorsque l'on se sent aussi mal ?Lorsque l'adolescent veut russir et tre aim, alors il dpend des autres. Si au contraire l'adolescentaffirme qu'il se moque des autres, alors il se sent matre chez lui. Si l'anorexique ne mange pas, c'estqu'elle ne pense qu' la nourriture. Or elle a besoin d'autre chose que de nourriture matrielle. Il luimanque une scurit, une force. A l'inverse, si l'adolescent affirme qu'il est plus fort que son envie alorsil en devient matre.

    Deuxime principe du dveloppement

    Le besoin d'exercer une emprise sur le monde est proportionnel au degr d'inscurit. Plus vous tes enscurit, plus vous pouvez tre ouvert l'change, la diffrence et la relativit. Plus vous vous sentezen danger, plus vous vous rigidifiez. La rigidit est le corollaire de l'inscurit. Le pouvoir de mettre enchec l'autre fait triompher l'individu qui se sent en inscurit. Si nous ne dtenons pas le pouvoir deplaire, nous pouvons toujours dtenir le pouvoir de faire du mal. Au moment de l'adolescence, nousassistons de nombreux comportements d'autodestruction. Ces comportements les protgent d'unrisque suicidaire. Bien souvent ces conduites masochistes les conduisent porter le malheur sur eux.Or, dans le malheur, ils ont le sentiment d'exister. Ils ont le sentiment d'tre matre du malheur alorsque le plaisir leur chappe.

    Le sentiment de scurit se cre dans les premires annes de la vie. Un environnement adapt auxbesoins du bb est un environnement qui ne lui fait pas sentir trop tt ni trop vite quel point il estdpendant.

    Le bb apprend attendre. Il est en mesure d'attendre car il sait que la rponse satisfaisante sesbesoins va arriver. Si ses repres sont bouleverss, par exemple si sa mre lui fait attendre son biberonou si elle le nourrit avant qu'il ne rclame pas, alors cet enfant se retrouve devant un mondeincomprhensible. Il n'existe plus de liens entre ses besoins et les rponses du monde. Cette situationcre des enfants hyper vigilants. Ils vont trs vite tre dans l'obligation de limiter ce qui leur appartientet ce qui appartient aux autres. Ceci se traduit le plus souvent par l'apparition de troublespsychosomatiques chez l'enfant.

    Au contraire, lorsqu'il y a une adaptation, un sentiment de scurit se cre. C'est alors au moment dessparations que l'on constate quelles sont les diffrences. Il existe trois types de rponses lasparation.

    Certains enfants remplacent leur mre par le plaisir de " fonctionner ", c'est--dire qu'ils vontapprendre sucer leur pouce ou s'inventer des histoires. L'homme a, contrairement l'animal, unecapacit dvelopper son appareil psychique. Celui-ci constitue son espace de libert. Toutefois, pours'vader dans la rverie, l'individu doit avoir une tranquillit suffisante. L'appareil psychique est ainsiun facteur de protection et de scurit interne. Cependant, le plaisir de fonctionner est li la qualit

  • du lien cr avec ses parents ; il est tout entier nourri de la qualit du plaisir avec les autres. Toutefois,l'enfant doit parvenir se nourrir de ce dont il dpend, sans savoir quel point il en dpend.

    Certains enfants en inscurit hurlent. Plus nous avons une scurit interne, plus nous avons unelibert intrieure, plus nous pouvons utiliser l'appareil psychique. Plus nous sommes en inscurit,plus nous faisons appel au monde perceptivo-moteur. Il ne faut pas que la mre se substitue l'enfant.Il faut qu'elle le scurise. Le danger pour tout ducateur est de se substituer l'enfant en souhaitanttrop bien faire. L'enfant peut alors sentir que ce n'est pas lui qu'on s'adresse mais quelqu'un d'autre.C'est le cas lorsque la mre raconte une histoire son enfant pendant une heure, non pas pour lescuriser mais pour rendre des comptes sa propre mre qui n'en faisait pas autant. Lorsque l'enfantse sent dpendant, il a tendance vouloir rendre, en miroir, l'autre dpendant. L'enfant va alorsadopter un comportement capricieux ou adopter des conduites d'opposition. Les adolescents sonttoujours prs de leurs parents pour mieux s'en plaindre. Un autre de ces comportements est, surtoutchez les garons, la paresse. Ils se sentent en inscurit : seuls, ils ne se sentent pas bien ; avecquelqu'un, ils se sentent prisonniers et lorsque l'on souhaite s'occuper d'eux, ils ressentent notreprsence comme une intrusion. Pour sortir cet adolescent de son inertie, il faut l'intervention d'unetierce personne. Lorsque la situation de dpendance envahit, il faut introduire un effet tiers. Lesparents doivent accepter que leur enfant ait besoin de quelqu'un d'autre et se nourrisse d'une personneautre que celle dont il est le plus dpendant.

    Lorsque l'adolescent est en inscurit, il considre qu'il ne possde rien. Il a besoin des autres mais ilprend ce besoin comme un envahissement. Dans ce contexte, il prfre bien souvent adopter uneattitude d'opposition. Si le succs ne se matrise jamais, il est toujours possible de russir dans l'chec.

    Quelles sont les solutions possibles ?

    Premirement, il faut montrer au sujet qu'il possde plus de comptences qu'il ne le croit. La dmarcheconsiste partir des capacits des enfants pour construire quelque chose. Avant d'aller plus loin, il estncessaire de valoriser les acquis de ces enfants. Or le paradoxe est que ce qui est ncessaire pour lesmotiver les menace. Ainsi, pour les motiver, il faut au pralable crer un lien. Ces adolescents ont tousau fond d'eux un enfant perdu et angoiss. Plus ces jeunes sont fragiles, plus il y a un court-circuit deleur appareil psychique qui n'a rien voir avec leur intelligence mais avec leur scurit interne. Ilsn'ont pas la capacit d'attendre alors que l'attente est ncessaire l'apprentissage. Notre travail est defaire retrouver ses enfants une certaine scurit.

    Il faut qu'ils retrouvent leur capacit faire confiance eux-mmes et aux autres, capacit qui ne peuts'acqurir que dans le partage de plaisir. C'est parce que l'on a confiance que l'on peut attendre. Si onest menac constamment par un danger imaginaire, on ne peut pas attendre.

    Pour approcher des sujets hyper-ractifs, il faut passer par des mdiations. Ces mdiations doiventutiliser les capacits des individus, mme si ces capacits sont minimales. Les adolescents en difficult

  • ont organis leur cognition sur un mode distordu et n'arrivent pas adopter le mode defonctionnement d'autrui.

    Les confronter sans arrt des lectures ou des raisonnements qui les renvoient leursincomptences, c'est comme demander un aveugle de voir. La plupart du temps, ils ne parviennentpas saisir le raisonnement d'intriorisation ou d'empathie. Ils sont dans l'expulsion.

    S'il est essentiel de reconnatre les comptences de ces jeunes, il est galement ncessaire de faire unapprentissage des limites. Plus ces enfants sont en inscurit, plus il est ncessaire d'agir en miroir. Lapersonne qui a un espace intrieur de scurit et a intrioris des modles de fonctionnement peutaccepter les limites sans que l'on ait lui en expliquer le sens. Pour un adolescent qui ne possde pascette profondeur, il est essentiel d'expliquer les rgles les plus lmentaires de l'empathie. Si nousutilisons des prsupposs que nous pensons partager avec lui, alors il aura le sentiment qu'il n'est pasreconnu pour ce qu'il est et que nous pointons ses infriorits. Il ressentira cette situation comme unemenace sur son identit. Il utilisera alors le passage l'acte comme recours car il n'a pas les capacitsd'agir autrement.

    Dbats

    Question de la salleComment expliquez-vous que les jeunes soient de plus en plus nombreux se trouver en difficult ?Par ailleurs, pourquoi rencontrons-nous davantage de garons dans les classes relais que de filles ?

    Philippe JEAMMETPlus une socit est ouverte aux changements et la performance individuelle, plus les difficults sontvisibles. Il est, en effet, plus facile d'tre protg dans une socit qui propose des " prt--penser ".Dans les socits o les enfants reproduisaient le mtier de leur pre, les problmes taient moinsaigus. Les individus taient dans une situation de soumission. Une socit organise protge lenarcissisme. Dans notre socit contemporaine, nous demandons aux enfants de choisir ce qu'ilssouhaitent faire et nous leur demandons de bien le faire. Ce type d'exigence remet en question notrescurit intrieure. Par ailleurs, il est trs difficile de savoir exactement de ce que l'on souhaite fairelorsque le champ d'action est trs vaste. La contrainte peut devenir une libert. Subir un certainnombre de contraintes permet de se raliser et de se sentir libre tandis qu'tre toujours confront sapropre responsabilit est puisant. Dans une socit librale, il existe une forte sollicitation dunarcissisme, c'est--dire de la scurit intrieure et de l'image de soi. Cette sollicitation est d'autantplus forte que cette mme socit exige des individus qu'ils soient performants. Plus la socit estperformante, plus nous nous apercevons qu'un certain nombre d'individus ne suivent pas.

    Par ailleurs, on parle trop souvent de ces adolescents en difficult en utilisant le terme de " pauvrespetits ". Nous essayons trop frquemment de chercher la cause de leur mal. Or n'oublions pas que cesjeunes possdent galement de grandes capacits. Certes, ils ne disposent pas d'une base arrire de

  • scurit et s'exposent aux problmes sans dfense, ni recul. Toutefois, je pense que nous avons tortd'infantiliser ces adolescents. Il est essentiel de les traiter en sujet et de leur apprendre utiliser leursforces et leurs outils.

    Le fait qu'il y ait une grande majorit de garons dans ces classes s'explique par des raisons la foisbiologique et culturelle. Les garons s'expriment davantage sur le terrain de la violence envers lesautres tandis que les filles ont tendance s'attaquer elles-mmes et en particulier leurs corps. De plus,la paresse, en particulier la paresse scolaire, est plutt spcifique aux garons. L'intriorisation etl'apprentissage des connaissances impliquent une certaine passivit et un certain recul.

    Les filles ont un meilleur lien avec la passivit. Or, sans passivit, on ne peut pas recevoir. Les garonsont davantage tendance se braquer dans la rigidit par peur d'tre passif. C'est une des raisons pourlesquelles les garons tendent ragir bruyamment. Ils ont peur d'tre effmin s'ils se montrentpassifs.

    Serge BOIMAREEffectivement, nous voyons souvent chez ces garons violents l'ide que l'accs la pense et au savoirpourrait les fminiser. Ces adolescents considrent alors que les exercices tels que la lecture etl'criture sont rservs aux filles. Ils ont l'impression qu'ils vont perdre quelque chose en acceptant cetemps de l'apprentissage.

    " Ce dont j'ai besoin est ce qui me menace ". Cette affirmation de Philippe Jeammet me fait revoir lafaon dont on aborde les exercices avec les enfants des classes relais. Souvent, les inquitudes de cesjeunes sont des inquitudes lies l'abandon. Je crois que nous devons trouver de nouveaux modes demdiation en tenant compte de ce concept.

    Question de la salleVous avez longuement voqu la place du tiers et son importance dans la mdiation avec le jeune. Entant qu'enseignant, quelles pistes pourriez-vous nous donner pour introduire du tiers avec nos lves ?

    Philippe JEAMMETLa dfinition du tiers dpend du sujet lui-mme. Nous pouvons considrer que telle personne sera enmesure de jouer le rle de tiers dans la relation mais nous ne pouvons tre certains qu'une relation dece type s'instaurera entre le jeune et cette personne. Je suis trs rserve par rapport la rfrence laloi. La loi fait tiers pour ceux qui ont dj cette notion. L'vocation d'une loi n'est qu'un arbitrairesupplmentaire des adultes par rapport ces jeunes qui ont souvent vcu dans l'arbitraire affectif de lapart des adultes. Ces enfants vivent souvent dans une dpendance l'gard du dsir des adultes. Larfrence la loi est perue comme une toute puissance arbitraire de l'adulte. Je pense que nousdevons davantage nous concentrer sur un travail portant sur les limites. Pourquoi la limite est-elle unfacteur de sauvegarde de la libert ? Il est ncessaire d'accompagner et d'assurer un apprentissage deslimites en s'efforant de diffrencier ce qui est interdire, voire sanctionner, et ce qui est humilier. Il est

  • trs facile de glisser d'une situation l'autre. Nous pouvons dire au jeune qu'il a commis une erreur. Enrevanche, il est essentiel de ne pas porter de jugement de valeur sur la personne.

    Il faut se demander ce qui va " faire tiers " pour le sujet. Il y a un effet tiers lorsqu'il rencontre unediffrence. Ces adolescents ont tendance considrer tous les adultes de la mme manire. Dans cesconditions, la possibilit d'changer et de se nourrir n'existe plus. Il est important que ces enfantspuissent diffrencier le monde des adultes. Les enseignants doivent crer un effet de surprise qui ouvre des diffrences. Par ailleurs, le tiers se perd dans la rptition et peut perdre son effet mobilisateur.Je suis donc en faveur d'une revalorisation de la vie quotidienne. C'est dans les actions de la viequotidienne que le jeu des diffrences acquiert une valeur structurante. Lorsque nous nous trouvonsdevant une situation de blocage, introduisons quelque chose de nouveau. Dmontrons pourquoi lapense donne de la libert et non pas de la passivit.

    Question de la salleNous abordons peu la situation de l'adolescent en difficult au sein d'une classe. Nous avons lesentiment que le groupe a envie la fois d'tre la place du jeune qui est en conflit avec l'adulte - ils servoltent ainsi par procuration - et de le rejeter. Chaque groupe ne porte-t-il pas en lui l'chec ? Laconstruction de l'un ne passe-t-elle pas par la destruction de l'autre ?

    Philippe JEAMMETCertes, j'ai pris le parti d'adopter une approche individuelle. Toutefois, d'autres approches sontgalement valables. L'insertion parmi ses pairs est essentielle pour les jeunes. Dans les fratries,lorsqu'une personne commence se valoriser, les autres membres de la fratrie ont tendance sedvaloriser. Dans le groupe, nous courons le risque que les situations se figent avec des individus qui seralisent, tandis que d'autres restent en situation d'chec. Ces derniers choisissent parfois de se sortirde cette situation en faisant de leur chec un triomphe. Ce type de comportement est dramatique et cesjeunes deviennent, sans s'en rendre compte, prisonniers d'une situation fige et d'un mouvementngatif de protection et de sauvegarde de leur identit et de leurs valeurs.

    Soyons attentifs ne pas dvaloriser les uns par rapport aux autres. Il est ncessaire d'effectuer desrotations au sein du groupe afin que la situation ne se fige pas.

    Question de la salleQuelle que soit la mthode pdagogique utilise, la prsence d'un intervenant extrieur agit-ellepositivement ?

    Philippe JEAMMETUne intervention extrieure peut faire la diffrence. Cependant, il me semble que la gnralisation demthodes exprimentales perd en efficience. L'important est d'tre attentif ce que la mthode apportedes rsultats concrets. Il faut que les enfants deviennent conscients qu'ils apprennent quelque chose.

  • Le tiers peut certes avoir un effet mobilisateur, redonner le plaisir d'apprendre, dlivrer le professeurd'un rapport trop direct qui risque de tourner au rapport de force. Toutefois, il faut garder l'espritqu'il est ncessaire d'atteindre certains objectifs, les lves devant mesurer quel point ils ontprogress. Il est essentiel de ne pas rester dans une situation indtermine. Il faut que ces jeunespuissent se raccrocher des points concrets de valorisation.

    Question de la salleSelon vous, comment les enseignants peuvent-ils faire la diffrence entre une crise d'adolescence et destroubles pathologiques plus graves ?

    Philippe JEAMMETIl y a toujours eu dans nos socits entre 15 et 20 % de jeunes en difficult. Aujourd'hui, nous nousposons d'autres questions car le monde des adultes a chang. Nous vivons dans une socit o il y aune ncessit de co-cration. Notre rle est de crer ensemble par le biais d'changes rguliers. Nousnous devons de crer des ouvertures pour que la situation ne reste pas dans une impasse.

    La pathologie se dfinit comme l'enfermement dans des comportements rptitifs produisant un effetnfaste sur l'individu. Ces comportements rptitifs peuvent tre d'origine biologique, hrditaire,sociale ou psychologique. Certains jeunes problme possdent des troubles graves de la personnalit.Il serait certes ncessaire de mieux apprendre reconnatre ces troubles. En changeant desconnaissances et en se faisant confiance, il est possible de dceler les cas pathologiques.

    Question de la salleSi les classes relais doivent avoir pour objectifs d'aider les jeunes retrouver une image positive d'eux-mmes, de leur redonner courage pour affronter l'autre, comment situer notre rle d'enseignant auregard des contenus didactiques spcifiques ?

    Philippe JEAMMETJ'ai insist sur le fait que vous deviez dmontrer ces jeunes qu'ils taient capables de parvenir obtenir des rsultats concrets. Il faut qu'ils se rendent compte qu'ils peuvent acqurir desconnaissances aussi modestes soient elles. Je crois que ce point ne peut pas se dissocier de latechnique. Il faut galement que vous teniez compte de la ralit de la difficult de ces sujets. Il existedes situations trs diffrentes d'une classe l'autre. Il est ncessaire de trouver quels sont les moyens mettre en uvre pour que ces enfants puissent devenir performants dans une technique donn comptetenu de leur handicap. Si vous ne prenez pas en compte ces handicaps, ils risquent de se retrouverrapidement en situation d'infriorit ds lors qu'ils reprendront un cursus normal. Il nous incombed'approfondir les mthodes et les modes d'apprentissage pour donner ces enfants le plaisird'apprendre. Ils doivent prendre conscience qu'ils possdent des capacits qu'ils peuvent renforcer,mme si ces capacits sont atypiques par rapport aux capacits habituelles.

    Question de la salle

  • Les quipes pdagogiques des classes relais et des classes d'origine ne sont gnralement pas d'accordsur le profil que prsente l'lve. Nous avons tendance prsenter un lve qui possde descomptences et des qualits l'quipe de l'cole antrieure alors qu'elle a tendance ne pas reconnatreson ancien lve. L'enseignant de l'cole d'origine peroit parfois notre valorisation du travail de sonex-lve comme une atteinte son propre travail. Comment surmonter cette difficult ?

    Philippe JEAMMETEn tant que psychiatre, je peux rencontrer ce mme type de difficult. C'est la raison pour laquelle il nesuffit pas de signaler des capacits de l'lve mais de les dmontrer de faon concrte.

    Il ne faut pas utiliser les vocables " mieux " et " moins bien " ; il faut penser autrement. A un momentdonn, il faut apporter une ouverture des individus qui se trouvent en situation de blocage sinon nousrisquons de nous trouver dans un rapport de force. Pour en sortir, il est ncessaire de se donner untemps de parole et d'changes. Il faut qu'une comprhension s'instaure entre les enseignants. Nousdevons concevoir le problme en termes de diffrences et non de hirarchie. Il est galement bon de serappeler que l'ducation s'tire dans le temps bien que nous devions agir dans une dure limite. Ilexiste une double contrainte : celle d'apporter l'ouverture rapidement et celle d'assurer une continuitsuffisante. Certains lves relveront de cas pathologiques et devront tre adresss dans des centresspcialiss. D'autres auront simplement des capacits cognitives diffrentes de celles des autres. Nousne pouvons donc plus calquer un modle d'ducation unique et standardis. Nous devons affiner nosmthodes et ne pas nous satisfaire d'un modle qui est performant pour 80 % des lves. Il faudra tirerles consquences de cette situation. Il me semble que vous tes les pionniers vous diriger dans cettevoie.

    Actes des sminaires interacadmiques 2001-2002 Regroupement des acteurs des classes relais

    Mis jour le 12 mai 2011