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SÉMANTIQUE ET TRADUCTION. PROBLÈMES DE POLYSÉMIE ET SYNONYMIE À TRAVERS LES TRADUCTIONS GRÈCQUES DES MISÉRABLES DE VICTOR HUGO Lundi 11 septembre 2006 14 heures En Sorbonne Amphithéâtre Michelet Esc. A 46, rue Saint-Jacques Paris 5e Mme Anthoula RONTOGIANNI GEROVASILIS soutient sa thèse de doctorat : Sémantique et traduction. Problèmes de polysémie et synonymie à travers lestraductions grècques des Misérables de Victor Hugo En présence du Jury : Mme SIMEONIDOU-CHRISTIDOU (Grèce) M. SOUTET (Paris 4) Mme TABAKI-IONA M. TONNET (Paris 4) Résumés Les problèmes de la sémantique sont au centre de la présente recherche : Les Misérables constituent le corpus à partir duquel nous avons tiré nos exemples. Ce choix est justifié tant par l’intérêt que Victor Hugo lui-même porte à la langue et aux manifestations langagières, que par le retentissement mondial immédiat de son œuvre. Un premier chapitre est consacré à des questions générales de traductologie, que Hugo a, d’ailleurs, abordées lui-même dans le cadre de sa réflexion sur la langue, les dictionnaires et la traduction. Paru pour la première fois en Grèce l’année même de sa publication en France (1862), le roman de Hugo a connu plusieurs traductions jusqu’à aujourd’hui et chacune d’entre elles reflète l’état de la langue à son époque : l’étude comparée de l’original et de ses versions grecques permet un examen des problèmes de sémantique de deux langues, dans une perspective aussi bien synchronique que diachronique. Focalisée sur la polysémie et la synonymie, deux phénomènes capitaux de la sémantique, la comparaison entre les propositions des différents dictionnaires et celles des traducteurs littéraires s’est avérée fructueuse tant en matière du lexème polysémique que pour les synonymes. Ayant ainsi examiné les causes des difficultés qui surgissent lors de la quête d’un équivalent sémantique pour rendre en grec, d’une part, une unité polysémique et, de l’autre, une proximité synonymique, nous avons tenté, par leur confrontation interlinguistique, de contribuer à l’élucidation des problèmes sémantiques inhérents à toute langue naturelle. This thesis examines problems of semantics through a corpus of translations of Victor Hugo’s Les Misérables. This choice was inspired by Hugo’s own interest in language and linguistic manifestations, as well as by the immediate international resonance of his work. The first part looks into theoretical issues related to translation which Hugo himself addressed, in the context of his reflection on language, dictionaries and the practice of translation. The first Greek translation of Les Misérables appeared in Greece the very year of its first publication in France (1862). Since then, it has been translated several times, and each translation gives us the possibility to explore the Greek language at a particular instance of time. The comparative study of the original French text and its Greek translations allows an examination of problems of semantics in both languages, in both a diachronic and a synchronic perspective. Focusing on polysemy and synonymy, two of the most fundamental phenomena in semantics, the comparative examination of definitions offered by different dictionaries and of the choices of literary

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SÉMANTIQUE ET TRADUCTION. PROBLÈMES DE POLYSÉMIE ET SYNONYMIE À TRAVERS LES TRADUCTIONS GRÈCQUES DES MISÉRABLES DE VICTOR HUGOLundi 11 septembre 2006 14 heures En Sorbonne Amphithéâtre Michelet Esc. A 46, rue Saint-Jacques Paris 5e

 Mme Anthoula RONTOGIANNI GEROVASILIS soutient sa thèse de doctorat :

 Sémantique et traduction. Problèmes de polysémie et synonymie à travers lestraductions grècques des

Misérables de Victor Hugo

En présence du Jury :

Mme SIMEONIDOU-CHRISTIDOU (Grèce) M. SOUTET (Paris 4) Mme TABAKI-IONA M. TONNET (Paris 4)

Résumés

Les problèmes de la sémantique sont au centre de la présente recherche : Les Misérables constituent le corpus à partir duquel nous avons tiré nos exemples. Ce choix est justifié tant par l’intérêt que Victor Hugo lui-même porte à la langue et aux manifestations langagières, que par le retentissement mondial immédiat de son œuvre. Un premier chapitre est consacré à des questions générales de traductologie, que Hugo a, d’ailleurs, abordées lui-même dans le cadre de sa réflexion sur la langue, les dictionnaires et la traduction. Paru pour la première fois en Grèce l’année même de sa publication en France (1862), le roman de Hugo a connu plusieurs traductions jusqu’à aujourd’hui et chacune d’entre elles reflète l’état de la langue à son époque : l’étude comparée de l’original et de ses versions grecques permet un examen des problèmes de sémantique de deux langues, dans une perspective aussi bien synchronique que diachronique. Focalisée sur la polysémie et la synonymie, deux phénomènes capitaux de la sémantique, la comparaison entre les propositions des différents dictionnaires et celles des traducteurs littéraires s’est avérée fructueuse tant en matière du lexème polysémique que pour les synonymes. Ayant ainsi examiné les causes des difficultés qui surgissent lors de la quête d’un équivalent sémantique pour rendre en grec, d’une part, une unité polysémique et, de l’autre, une proximité synonymique, nous avons tenté, par leur confrontation interlinguistique, de contribuer à l’élucidation des problèmes sémantiques inhérents à toute langue naturelle.

This thesis examines problems of semantics through a corpus of translations of Victor Hugo’s Les Misérables. This choice was inspired by Hugo’s own interest in language and linguistic manifestations, as well as by the immediate international resonance of his work. The first part looks into theoretical issues related to translation which Hugo himself addressed, in the context of his reflection on language, dictionaries and the practice of translation. The first Greek translation of Les Misérables appeared in Greece the very year of its first publication in France (1862). Since then, it has been translated several times, and each translation gives us the possibility to explore the Greek language at a particular instance of time. The comparative study of the original French text and its Greek translations allows an examination of problems of semantics in both languages, in both a diachronic and a synchronic perspective. Focusing on polysemy and synonymy, two of the most fundamental phenomena in semantics, the comparative examination of definitions offered by different dictionaries and of the choices of literary translators, yielded interesting insights at the level of the polysemic lexeme, as well as at the level of synonyms. The study of the causes of difficulties that arise in the translators’ search for semantic equivalents in order to render polysemic unity, on the one hand, and synonymic proximity, on the other, from French into Greek proved particularly interesting : through this interlingual confrontation, this thesis attempts to shed light on semantic problems inherent in any natural language.

Position de thèse

Les problèmes de sémantique et de lexicologie constituent notre intérêt premier, et ce depuis la maîtrise. L’approche théorique et technique des emprunts lexicaux français dans la langue grecque fut pour nous aussi bien une initiation à la linguistique contrastive du grec et du français qu’une stimulation pour approfondir dans cette direction. C’est ainsi que problèmes de la lexicographie bilingue sont venus s’ajouter au champ de notre étude. Si les problèmes de sémantique sont inhérents à toute langue naturelle, ils dissimulent une double difficulté pour qui veut les transposer d’un système linguistique à l’autre. Lapolysémie et la synonymie ne préoccupent pas seulement les sémanticiens mais aussi les lexicographes, aussi bien de langue que bilingues, et les traducteurs. Nous avons choisi de puiser les exemples de notre corpus dans une œuvre littéraire en tenant compte de l’usage qu’un auteur sait faire de la langue. Victor Hugo prétendait être l’homme qui savait le mieux le français ; ses écrits théoriques, quoiqu’ils ne soient pas aussi connus du large public que La Réponse à un acte d’accusation, constituent une preuve inébranlable de sa conviction. Son roman, Les Misérables, marque une

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étape dans la littérature du XIXe siècle, en France, mais aussi dans le monde entier, sa traduction effectuée dès la parution en est la preuve. En Grèce, l’énorme succès qui suivit la traduction du roman est certainement lié à l’envergure de son premier traducteur, mais aussi à d’autres facteurs d’importance égale. Outre la préférence marquée que le public grec accordait au roman populaire et aux traductions de la littérature française en général, il faut mentionner la renommée d’Hugo en Grèce due aux rapports qu’il entretenait avec le peuple insurgé alors contre le joug de l’envahisseur turc. Grand admirateur de l’antiquité grecque et historien soucieux de l’évolution du genre humain, il ne manque pas d’établir des rapports, et ceci à maintes reprises, entre la Grèce et la France, qualifiant la première de berceau de la civilisation, et voyant dans la seconde sa digne héritière. Avant même d’écrire Les Orientales, Hugo défend à maintes reprises le droit du peuple grec à la liberté, et ceci aussi bien en France qu’à l’étranger. L’importance qu’il accorde à la langue et aux manifestations langagières s’entrevoit à travers toute sa création romanesque. Dans Les Misérables, notamment, de nombreux passages témoignent de cette intention de l’auteur d’attirer l’attention du lecteur sur le pouvoir du langage. Hugo s’intéresse aux dictionnaires et aux traductions également ; il a lui-même préfacé la traduction que son fils avait faite de l’œuvre de Shakespeare. A l’occasion de cet événement, il nous fait part de ses interrogations concernant la pratique de la traduction et ses problèmes. Même s’il ne fut jamais traducteur lui-même, ce témoignage est pour nous d’une importance majeure, d’autant plus qu’à la fin de son développement Hugo exprime ouvertement le désir que ses œuvres soient traduites. Nous retrouvons d’ailleurs dans son texte des points communs avec plusieurs théoriciens de la traduction, antérieurs ou même postérieurs. Si l’accueil que lui réserva la Grèce peut être qualifié de chaleureux, la réception des Misérables fut pour le moins grandiose. Ceci est dû en grande partie aussi à son premier traducteur, Ioannis Isidoridis Skylitsis dont les traductions ont fait date dans l’histoire de la littérature grecque du XIXe siècle. C’est grâce à lui que la première traduction paraît simultanément à la publication du roman en France. Depuis les traducteurs des Misérables se sont multipliés. La possibilité de comparer les traductions, aussi bien sur le plan littéraire que dictionnairique, s’est avérée particulièrement fructueuse. De cette étude du vocabulaire hugolien nous tirons des renseignements utiles concernant le lexique français et l’évolution de la langue grecque qui fut très rapide depuis la fin du XIXe siècle. La valeur diachronique de la recherche est compensée par la perspective synchronique représentée par la confrontation des textes et dictionnaires anciens avec d’autres qui nous sont contemporains. C’est aussi la valeur du texte original qui est mise en relief puisque, malgré ses retraductions multiples, elle reste inchangée au fil du temps. Dans les deux dernières parties nous tâchons de démontrer à quel point la comparaison des différentestraductions d’un lexème polysémique et d’un bon nombre de mots qui sont parasynonymes entre eux est révélatrice pour le linguiste. Polysémie et synonymie constituent le centre d’intérêt de l’étude de la correspondance entre forme et sens, problématique centrale de toute étude de la langue. Les linguistes tentent des approches différentes de ces deux phénomènes, mécaniquement analogues, qu’ils soumettent à l’examen plus général de l’homonymie et de la paraphrase. Les postulats divergent selon la théorie linguistique adoptée, et cela entraîne des définitions ainsi que des solutions distinctes d’une école à l’autre. La connexion entre les théories tient d’une part au fait qu’il s’agit d’une étude centrée sur une unité de langue plutôt que du discours et, d’autre part, à l’identité du mécanisme homonymie-polysémie et synonymie-paraphrase. Cette analogie dans leur mécanisme devient perceptible par la définition de ces deux phénomènes, qui s’énonce en chiasme : un morphème lexical est déclaré polysémique si à un seul signifiant s’attache une pluralité (au moins deux) de signifiés ; inversement, il y a rapport de synonymie lorsqu’à un signifié s’attache une pluralité de signifiants. Une tentative de dissociation de l’homonymie et de la polysémie consiste en l’examen étymologique du lexème en question. Dans le cas où un mot dérive de deux racines étymologiques différentes, le lexicographe sépare leurs définitions en deux articles de dictionnaire distincts. Les lexicographes, qui ont pour but de fournir un cadre définitoire au lexème, ont souvent recours au rendement lexicographique de l’analyse sémique, et par conséquent, à la définition hyperonymique, notamment pour résoudre des problèmes liés à la polysémielexicale. Nous signalons, indicativement, cette méthode de levée de polysémie, considérée comme une des plus efficaces. En guise d’exemple, nous suivons de près un exemple depolysémie verbale du lexème porter que nous adaptons à partir d’exemples précis tirés de notre roman. Les traductions principales du verbe porter constituent à leur tour des lexèmes polysémiques grecs. Une analyse sémique appliquée cette fois-ci au verbe grec φέρω nous révèle des points communs avec son équivalent français qui sont d’un très grand intérêt. Mais ce qui attire davantage notre attention est certainement la grande multitude de verbes sémantiquement très différents entre eux qui peuvent être employés pour rendre porter en grec. Les équivalents grecs qui correspondent à la traduction du verbe porter sont nombreux et à l’inverse ils ne se traduisent pas toujours en français par porter. Notamment quand ces équivalents grecs sont eux-mêmes polysémiques, les possibilités de traduction se multiplient et l’enjeu linguistique de la traduction se renouvelle constamment. Ayant présenté les définitions des dictionnaires de langue aussi bien grecs que français, nous opposons aux traductions littéraires, celles des dictionnaires bilingues. La différence dans l’étendue des articles de dictionnaire est considérable et n’est que partiellement justifiée du fait que tous les contextes possibles ne peuvent rentrer dans les dictionnaires. La mise en situation du lexème, par le biais d’exemples précis tirés de notre roman, enrichit le répertoire de traductions possibles, d’autant plus lorsque celles-ci sont relevées dans les textes des quatre traducteurs différents. Les traductions littéraires du lexème verbal porter, d’une part valident les propositions des dictionnaires bilingues, par la grande répétition des verbes « φέρνω », « φέρω », « φορώ » et « κρατώ », et d’autre part, elles les enrichissent par des lexèmes nouveaux, qui ne peuvent survenir que lorsque le verbe en question est rencontré dans un contexte précis. Ainsi, à la liste des traductions du lexème verbal porter, s’ajoutent d’autres verbes, mais aussi des expressions, des locutions et divers emplois métaphoriques, dont un dictionnaire ne saurait rendre compte. En ce qui concerne la synonymie, le problème de base est lié à l’affirmation de la plupart des linguistes qu’il n’existe pas dans le langage de vrais synonymes, interchangeables dans tous leurs emplois.

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Tous les linguistes sont pourtant d’accord quant à la délimitation de la notion de synonymie malgré la divergence dans la dénomination de ses différents types. Qu’il s’agisse d’une synonymie absolue, complète, partielle, approximative ou d’une parasynonymie, le phénomène existe et s’offre à des études aussi minutieuses que divergentes ou même parfois contradictoires. La levée de synonymie suit la démarche inverse de celle de polysémie. Alors que pour cette dernière nous avons eu recours à l’analyse sémique qui relève de la méthode sémasiologique, la méthode onomasiologique privilégie l’étude de la synonymie puisqu’elle part du signifié pour discerner les variétés synchroniques et les variations diachroniques du signifiant. C’est donc à partir d’un champ lexical précis que nous nous sommes lancée à l’étude de la synonymie. Le champ lexical de la misère ne peut qu’être vaste dans une œuvre comme Les Misérables. La notion de champ lexical impliquant que les lexèmes constitutifs appartiennent à une même partie de discours, nous avons choisi de nous centrer sur les adjectifs, d’une part parce qu’ils abondent dans le texte et d’autre part, à cause d’un certain nombre de complications qui surgissent lors du traitement lexicographique de l’adjectif. Nous avons organisé notre champ autour de l’archisémème « état affectif négatif ». Par cet archisémème nous n’entendons pas seulement l’état en soi, ou celui qui éprouve un état affectif négatif, mais aussi ce ou celui qui peut le susciter. Le nombre d’adjectifs étant assez important, nous avons été obligée de nous restreindre à certains d’entre eux, que nous avons choisis suivant le critère de la fréquence de leur apparition. Ainsi, dans notre tableau figurent les adjectifs qui se répètent le plus dans notre roman. Nous présentons ci-dessous rangés par ordre alphabétique les adjectifs qui s’organisent autour de l’archisémème donné : « abject, abominable, affreux, difforme, fétide, hideux, horrible, ignoble, immonde, infâme, infect, laid, malpropre, malsain, mauvais, méchant, mesquin, minable, odieux, sinistre, sordide, terrible, vénéneux, venimeux, vil, vilain ». La synonymie de la grande majorité de nos adjectifs s’organise autour d’un nombre limité de traits pertinents. Ainsi, pour le domaine moral, la plupart des adjectifs dénotent l’idée du mal et de la méchanceté, de la bassesse et de la dégradation morale, mais aussi de la haine, de l’aversion et de l’horreur. Le danger et la mauvaise qualité sont des traits communs puisqu’ils se trouvent aussi bien dans le domaine moral que dans celui des sens. Les traits autour desquels se rassemblent la plupart des adjectifs dans le domaine des sens, sont ceux de la laideur, de la saleté, du sentiment de répulsion et de dégoût, de la douleur et de la terreur. Le contexte ainsi que le support de chacun de ces vingt-six adjectifs étant différents, nous avons relevé, aussi bien dans nos dictionnaires bilingues que dans nos traductions littéraires, deux cent dix-sept traductionsgrecques. La possibilité de classement de nos adjectifs à partir de traits distinctifs communs constitue la preuve que ces adjectifs entretiennent des rapports d’équivalence entre eux, et peuvent par conséquent être considérés comme synonymes. Les dictionnaires de langue, aussi bien français que grecs, nous ont été d’une très grande utilité. Leurs définitions nous ont aidé à distinguer les différentes nuances de sens qu’un adjectif peut revêtir. Ces nuances sont concrétisées par le biais d’exemples précis qui ont contribué à faire le rapprochement avec les exemples tirés de notre corpus. La mise en parallèle d’adjectifs différents met en relief les similitudes qui surgissent lors de la confrontation de leurs définitions et qui constituent les traits distinctifs communs. Nous observons en effet que, dans les dictionnaires, les mêmes termes se retrouvent en tant que définitions ou synonymes d’autres termes, réalisant de la sorte les conditions nécessaires pour l’existence de la synonymie. Les synonymes proposés par les dictionnaires de langue renforcent notre argument et rendent notre hypothèse plus ferme. Le même phénomène s’observe dans les traductions de nos dictionnaires bilingues, où les mêmes termes grecs servent de traduction à deux ou plusieurs mots français. Cela représente un argument supplémentaire en faveur de la synonymie. Comme les mots acquièrent un sens différent selon le contexte dans lequel ils se trouvent insérés, de la même manière, leurs traductions changent et s’adaptent, elles aussi, aux besoins du contexte. Cette influence du contexte a pour conséquence que les traductions littéraires d’un terme soient, le plus souvent, plus nombreuses que celles que nous trouvons dans les dictionnaires. Ainsi, les traductions littéraires de nos adjectifs prennent souvent un sens différent de celui qui leur est attribué par les dictionnaires bilingues. Les traductionslittéraires servant de modèle aux traductions lexicographiques, contribuent à leur enrichissement par des exemples clairs et concis, et donnent matière à de multiples et intéressantes études. Le Trésor de la langue française nous a fourni des données utiles et nécessaires pour l’étude de la synonymie. Les ressemblances entre les définitions des différents adjectifs sont attestées par la juxtaposition des synonymes. En ce qui concerne les dictionnaires bilingues, nous observons que, inversement à l’hétérogénéité sémantique dont font preuve les différentes traductions du lexème polysémique, la synonymie présente une homogénéité dans les traductions des termes différents. Les synonymes sont insérés dans des contextes spécifiques qui constituent les exemples de notre corpus. Cette ouverture du champ d’étude de la synonymie en dehors du strict cadre lexicographique, nous a permis d’effectuer des comparaisons fructueuses. Auxtraductions des dictionnaires bilingues viennent s’en ajouter d’autres qui découlent de l’insertion du synonyme dans des contextes particuliers et différents. Il est rare, voire exceptionnel, que les traducteurs se limitent aux propositions des dictionnaires. Bien qu’un terme ne soit pas mentionné dans les dictionnaires, son emploi par plusieurs traducteurs en fait un choix valable. Au cours de l’analyse de nos exemples, nous avons constaté que, dans la plupart des cas et indépendamment du traducteur, un même adjectif grec peut servir de traduction à un ou plusieurs adjectifs français. Le but de l’exercice auquel nous nous sommes livrée dans notre troisième partie, est de mettre en valeur l’argument que latraduction peut contribuer à l’élucidation des paramètres qui déterminent l’existence de la synonymie. La persistance avec laquelle les linguistes affirment constamment l’importance du contexte lorsqu’il s’agit de l’étude de la synonymie, a contribué à ce que notre étude, initialement centrée sur l’adjectif seul, se détache du strict cadre du terme isolé de son contexte, afin de se diriger vers la phrase dans laquelle chacun de nos adjectifs se trouve actualisé. Ainsi, nous avons eu la possibilité, d’une part, de voir comment les mêmes adjectifs fonctionnent dans des environnements différents, et d’autre part, de comparer les degrés dans les rapports d’équivalence que ces termes entretiennent avec leurs synonymes. Très sommairement présenté, cet exposé de méthodes de délimitation du sens d’un mot par

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ses traductions possibles ne vise qu’à atteindre le but que nous nous sommes fixé dès le début : expliciter le mécanisme latent qui sous-tend, pendant l’activité traduisante, le choix d’un terme au détriment d’un autre qui lui est synonyme. Les unités synonymiques trouvent ainsi dans la langue-cible leurs équivalents sémantiques les plus proches. Enfin, nous ne saurions prétendre avoir étudié exhaustivement le champ synonymique de la misère sans avoir fait allusion à ce que l’auteur lui-même appelle « la langue de la misère » en se référant à l’argot. Il va sans dire que l’étude de la traductiondes expressions argotiques sous l’angle des rapports de synonymie que ceux-ci entretiennent avec leurs équivalents de la langue courante et des variations en niveaux de langue, constitue à elle seule un sujet de thèse. La misère étant le noyau autour duquel s’organisent tous ces éléments qui pourront faire l’objet d’une étude à venir, nous avons limité notre recherche de la traduction de la synonymie autour de l’archisémème état affectif négatif. La thématique du roman ne pouvant être autre que celle annoncée par le titre lui-même, la synonymie fait preuve de la richesse du vocabulaire français quant à la désignation de ce domaine, mais aussi de la façon dont la langue grecque répond à de telles exigences par le biais de la traduction. Si le dictionnaire est un outil indispensable pour le traducteur, les traductions littéraires sont à leur tour un moyen de rapprochement de deux langues, mais aussi de l’étude de l’une et de l’autre. L’étude du vocabulaire d’un auteur s’avère toujours révélatrice d’un matériel riche et inépuisable qui peut être employé pour l’élucidation de divers problèmes linguistiques. Les différentes traductions d’une même œuvre décèlent des perspectives latentes d’une langue que seule l’étude interlinguistique pourrait contribuer à mettre à jour ; elles peuvent en même temps fournir le matériau nécessaire et servir de base de données pour la confection ou l’enrichissement des dictionnaires bilingues. Ayant ainsi sondé les causes des difficultés qui surgissent lors de la quête d’un équivalent sémantique pour rendre en grec d’une part une unité polysémique et de l’autre une proximité synonymique, nous avons tenté de contribuer à l’élucidation des problèmes sémantiques inhérents à toute langue naturelle, par leur confrontation interlinguistique.