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Sarah et ses chirurgiens

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© Éditions HORVATH - 1996 95, rue Vendôme - 69006 LYON

ISBN: 2 7171 0982 X

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Claude-Régis MICHEL

Sarah

et ses chirurgiens

roman

HORVATH

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A Alain, mon ami disparu

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— Tu sais jouer du piano ? — Je ne sais pas. Je n'ai jamais essayé. — Non mais, dis donc Christian, il est toujours comme ça, ton

copain Marc ? De la repartie au deuxième degré... C'est à replacer du genre : tu sais faire l'amour ? tu sais parler anglais ?

Ce commentaire était de Martine, entourée de ses admirateurs habi- tuels, Gérard et Jean-Jacques, tous deux en deuxième année de méde- cine, et Jean-Paul, futur juriste.

Marc savourait ce succès inattendu et Christian ne savait pas trop s'il devait se féliciter d'avoir emmené ce soir-là au cercle Mermoz ce copain de fraîche date, ou regretté d'avoir introduit un concurrent.

Leur amitié datait de quelques jours. Christian et Marc venaient de commencer leurs études de médecine. C'était à Lyon, en octobre 45, à la sortie de la guerre. Le choix de ce métier s'était fait, pour l'un par tradition, pour l'autre par vocation.

Tradition pour Christian, fils de médecin généraliste à Villefranche- sur-Saône. Il avait beaucoup hésité avant de faire ce choix. Il connais- sait bien le métier pour en avoir vécu pendant sa jeunesse les dures réa- lités : sonnerie presque ininterrompue du téléphone, appels de nuit, consultations interminables ; il lui fallait souvent, au retour du lycée, se frayer un chemin au milieu des patients debout dans le vestibule pour atteindre sa chambre. Il trouvait parfois sur son lit un bébé exposé sous la lampe à ultraviolets que sa jeune maman en lunettes noires berçait doucement. Il devait alors se réfugier dans la chambre de sa sœur Hélène, au deuxième étage de cette petite maison 1900 proche du centre-ville et pourtant déjà à la campagne. Sous sa fenêtre, il pouvait lire le panneau « route des vins », et au loin, admirer les collines du

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Beaujolais aux lignes douces, aux vignes bien alignées, «bien pei- gnées » disait son père.

Ce dernier était un homme heureux car il aimait son métier et la

chasse. Les clients savaient bien à quoi s'en tenir lorsqu'on leur conseillait d'appeler un confrère : «le docteur était débordé», c'était toujours début octobre, après les vendanges, lors des premiers passages de grives. Il l'emmenait en général le jeudi après-midi : Christian rabattait, annonçait, ramassait l'oiseau encore chaud et palpitant, le tenant dans sa main avec un mélange de compassion et de bonheur.

— Il est meilleur que mon épagneul, disait le père Turard, viti- culteur-éleveur à Villiers-Morgon, et chez lequel le docteur était un invité permanent. Ça fera un bon fusil et un bon docteur.

Est-ce cette affirmation répétée qui le décida ? Il prit cette résolu- tion. Quand il s'en ouvrit à son père, en mangeant la grive au bout du fusil, le soir même, celui-ci ne le découragea pas.

— Tu pouvais faire mieux, je crois. Mais c'est bien ainsi. Surtout, de grâce, ne fais pas comme moi. Passe le concours d'internat, et si tu le peux, fais une spécialité, puis carrière dans les hôpitaux. Tu vas en baver quelques années, mais ça vaut la peine. Tu sais, après cinquante ans, les visites de nuit, les escaliers à grimper ou la recherche de la ferme perdue, c'est dur, jusqu'à ce que ça devienne impossible. Je fini- rai sans doute médecin de la Sécu.

Christian retint le conseil et rentra en médecine comme on entre

dans les ordres, bien décidé à sacrifier ses premières années sur l'autel de la réussite. En fait, il découvrit très vite que le P.C.B. était d'un niveau facile pour un bachelier Math élém. Les cours donnés à la fac de Science lui laissaient de grandes journées de liberté et beaucoup de temps pour la fête. Il suffisait de passer le pont de l'Université, ou un peu plus haut celui de la Guillotière, pour être au cœur de la ville, place Gailleton, rue de la Ré où la terrasse du Tonneau accueillait tous les soirs ces étudiants un peu affamés mais gais. Car la vie était gaie, après ces quatre ans de peur et de privations. Christian était en harmonie avec l'époque. Il aimait rire et surtout faire rire. Il réussissait très bien car il avait hérité de son père un esprit vif et une répartie rapide. C'était, pensait-il, ses meilleures armes avec les filles.

— Une femme qui rit est une femme qui t'appartient, lui avait dit son père, et il l'avait cru aussitôt, bien décidé à le vérifier. Ce serait son système de séduction, pensait-il en s'observant dans la glace. Il se trou- vait physiquement moyen, sans plus, et pas assez sûr de lui. Il était un peu myope et portait des lunettes, ce qui, à tort, le complexait car, fines

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et dorées, perchées sur un nez légèrement aquilin, elles signaient sa condition d'intellectuel. Il en jouait parfois car il savait qu'en les quit- tant, il offrait alors un regard flou dont il devinait le charme.

Il rencontra Marc lors de la première séance de travaux pratiques du deuxième semestre. Leurs noms de famille presque identiques, à une voyelle près, les avaient fait porter sur la même liste, à la même table de biochimie. Il n'éprouva pas tout d'abord une grande sympathie pour lui. Marc était du genre beau garçon, plutôt grand, le cheveu abondant et long. Son visage plutôt carré, la pommette haute, les sourcils épais, exprimait l'énergie. Il parlait beaucoup, désireux de s'affirmer d'em- blée comme le leader de ce groupe de huit, de séduire la jeune étu- diante assez mignonne, serrée de près par ses deux voisins. Il s'encou- rageait dans ses propos par les éclairs admiratifs qu'il recherchait dans le regard des autres.

— Y a t-il un fils d'ouvrier à cette table ? Non, j 'en suis sûr, sauf moi... Ah, je connais mieux le cambouis que le violet de gentiane... Et toi, c'est comment ? Marie-Claude, comme les prunes ? Avec des nénés pareils et un tel valseur tu n'auras pas de soucis à l'oral. Et il s'esclaf- fait. Il agaçait plutôt Christian qui, au fond, n'aimait pas cette exubé- rance. Cela dura plusieurs semaines et, chaque fois, Marc renouvelait son numéro. Christian le repéra un soir traversant le pont et, après quelque hésitation, accéléra le pas pour se trouver à ses côtés. A sa sur- prise, Marc l'accueillit chaleureusement :

— Ah, c'est toi. Comment déjà ? — Christian.

— Moi, Marc. Tu es d'où ?

— De Villefranche. Toi, je peux te dire que tu es de Saint-Etienne. — Ah bon, comment tu sais ça ? — Ton accent. Dis-moi, alors, ton père est ouvrier ? — Si on veut, oui. En fait, il est armurier et a une petite affaire à

cinq ou six. Mais j 'aime bien en rajouter. Ça marche. Tu as vu pour la fille ? L'affaire est dans le sac.

— Ah bon. Tu es du genre rapide. — Tu sais, à Saint-Etienne, les filles n'attendent pas trop pour la

chose. Sais-tu pourquoi ? Parce que le concerto en sol mineur... Ah, ah...

Christian rit à ce mauvais calembour qu'il entendait pour la pre- mière fois, ce qui enchanta Marc.

— Tu vas croûter ? Où ça ?

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— Au cercle Mermoz, rue Emile-Zola. Je t'emmène. Tu verras, c'est un peu léger, mais pas cher et sympa.

Ils arrivèrent en avance dans ce vieil appartement au premier étage d'un immeuble ancien, assez sombre. Marc fut immédiatement ébloui

par l'existence d'un bar et la présence d'un piano, symboles de son émancipation : il avait bien quitté le lycée, la famille, et la guerre était finie.

Marc et Christian restèrent longtemps en tête-à-tête, se racontant leur vie et se posant mille questions :

— Pourquoi fais-tu médecine ? Que penses-tu de la fac ? Tu as vu, il y a au moins vingt filles dans l'amphi. Faut-il se débrouiller pour aller déjà à l'hosto ? Faut-il aller au cours des prosecteurs ?

Christian découvrit très vite que derrière son côté grande gueule, Marc était un timide, un peu perdu dans ce nouvel univers dans lequel il s'embarquait sans trop savoir...

— Ça va te faire rire, mais moi, j 'ai la vocation, j 'aime bien m'oc- cuper des autres, expliquait Marc.

— Un peu boy-scout ? — Un peu, oui. En fait, j 'aime qu'on m'aime. Je ne sais pas trop si

je suis généreux et dévoué ou si je recherche simplement la reconnais- sance des autres pour me rassurer.

— Tu seras souvent déçu. — Pas trop, j'espère. Je ferai le vrai métier, médecin de campagne,

probablement dans la Haute-Bique. — Ecoute, Marc, tu n'en sais rien. Moi, je te le dis : dès l'année

prochaine, il faut préparer l'internat. — C'est quoi ? — Incroyable, ta question. C'est un concours pour être nommé

interne des hôpitaux. Là, tu es casé, et si tu veux être patron, tu conti- nues.

— Mais dis donc, tu vois si loin, toi ? Comment sais-tu tout ça... — Par mon père, il est médecin et m'a tout expliqué. Allez, c'est ta

chance. Si tu veux, on bosse ensemble déjà cette année. — D'accord, mais cette année est peinarde. Avant d'entrer au sémi-

naire, comme tu me l'annonces, j'aimerais bien m'occuper un peu de la chose.

— La chose ? Ah, je vois. Mais tu ne penses qu'à ça ! Je vais te pré- senter plein de filles. Tiens, Martine, « viens que je te présente Casa- nova ».

Il interpellait au bar une brune qui l'observait d'un regard amusé.

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— Marc, je te présente Martine, étudiante à Dentaire. — Dis donc, répliqua Martine, vous étiez en conférence secrète ?

Salut Christian. Marc ? j'ai cru comprendre. Bonjour et bienvenue. On fera plus ample connaissance à table, mais prenons vite les places qui restent.

Le repas fut rapide et bruyant. Marc fit un premier succès en distri- buant un stock de tickets de pain échangé quelques jours avant contre une boîte de cartouches. Christian avait son public et buvait beaucoup. Marc attendait son heure et l'affaire du piano lui tomba du ciel.

On dansait ici presque tous les soirs, mais tout dépendait de la pré- sence de Jean, le seul pianiste ; étudiant un peu attardé de l'école de tis- sage, il jouait les yeux fermés « sentimental jurney » ou « chatanouga tchou, tchou ».

— Merci, merci à tous. Enchanter vos soirées reste ma principale préoccupation. Comme vous le savez suivant la fière devise de l'école : « sois naturel et rayonne ».

Ce soir-là, il était en retard, mais, à son arrivée, tous remarquèrent son excitation.

— Chers amis, demain soir, c'est la fermeture... à ne pas manquer. Rendez-vous ici vers 21 h. Bien évidemment, l'annonce ne s'adresse qu'aux amis de sexe masculin.

Marc, un peu éberlué, se tourna vers Christian : — La fermeture de quoi ? — Mais enfin, tu vis où? La fermeture des bordels, bien sûr.

Marthe Richard, ça ne te dit rien ? — Non, mais je viendrai demain.

Le lendemain soir, Jean était très affairé : — Alors j'ai tout organisé. On va tous aux Glycines rue Mercière,

je connais la patronne. Elle nous attend et va nous faire un prix de gros. On se compte ? Jean-Pierre, Gérard, moi-même, Charlie. Avec toi, Christian et ton pote, ça va faire six, c'est bon. Tu pourras dire plus tard comme le grognard de l'Empereur : j 'y étais !

Et là-dessus il se remit au piano et s'accompagna pour chanter : « Le bordel a fermé ses volets, joyeux triolet, y'a plus moyen qu'on baise. »

La petite troupe en goguette se préparait dans la joie et l'alcool. Il n'y avait pas grand choix au bar en cette année de restriction... une

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bouteille de Chartreuse verte. « C'est un peu sirupeux mais ça chauffe quand même. » Christian et Marc se resservirent plusieurs fois car il fallait se donner du courage. Le Cercle était à quelques pas de cette rue connue dans la ville pour sa spécialité. Les Glycines était le nom d'une maison close, établie en rez-de-chaussée et premier étage, les fenêtres décorées de vitraux aux couleurs sombres, mêlant les fruits exotiques au ruissellement mauve des grappes de glycines. Dès l'entrée une assez violente odeur mêlant l'encens et le patchouli leur monta un peu à la tête, aggravée par les bruits, les rires, les cris, les chansons. Madame Simone était bien là pour les accueillir :

— Salut mon petit Jean. Ils sont bien jolis tes amis, un peu jeunets. On ne ferme pas dans la tristesse, tu vois. On est même débordées. Combien êtes-vous ? Six ? Allez, tarif étudiant. Deux cents francs par tête, si j'ose dire, avec une bouteille de mousseux. Lisette vous prend dans quelques minutes.

Christian et Marc n'étaient pas très à l'aise et découvraient, éber- lués, ces filles à la peau blanche, en guêpière, bustier, porte-jarretelles, qui allaient et venaient d'une table à l'autre, s'asseyaient sur leurs genoux, les embrassaient dans l'oreille en leur promettant le bonheur.

Il fallut bien monter. Lisette, en kimono, les accueillit gentiment : « Je vous prends les uns après les autres. Vous vous dépoilez là dans l'alcôve et je vous appelle. Allez à qui le tour ? »

Jean passa le premier et ressortit quelques minutes après, l'air épa- noui : « C'est rapide mais bien. Une vrai pro. »

Christian et Marc restèrent les deux derniers et s'encourageaient mutuellement.

— Tu as déjà fait l'amour, toi ? — Euh, presque, en réalité pas vraiment. De toute façon vas-y

Christian, je préfère passer le dernier. Christian franchit la porte en croisant Gérard qui lui fit un énorme

clin d'œil : « Vas-y petit ». Lisette l'évalua d'un regard attendri : « Puceau ? De toute façon une

petite toilette est nécessaire et réglementaire. Je m'occupe de toi. » L'eau froide, le savon un peu rugueux, eurent raison de ses dernières prétentions. Rien n'y fit. Lisette, compatissante, le rassurait : « Tu sais ça arrive souvent, surtout la première fois. C'est dommage qu'on ferme, je t'aurais fait un avoir. J'appelle ton copain. Pendant ce temps peut-être que ça va revenir. »

Mais quand elle ouvrit la porte, la pièce était vide. Marc s'était éclipsé.

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I I

Marc et Christian se souvenaient très bien de cette soirée et en par- laient souvent vingt ans après, lors de leur déjeuner du mardi.

C'était une habitude sacrée : ce jour-là, ils se retrouvaient et leur place était réservée et défendue jalousement par Mme Annette, la patronne de ce bouchon lyonnais, très couru à midi par les hommes pressés et connaisseurs. Le bœuf était d'une tendreté inégalable et les frites « maison » : un plat si simple et si dévoyé peut devenir un mets royal entre les mains de Mme Annette : « D'abord choisir ses pommes de terre, disait-elle, puis surtout les passer deux fois à la Végétaline. »

C'était le seul jour où Marc et Christian respectaient férocement leur horaire, bousculant un peu le dernier consultant ou reportant le courrier à plus tard. Ils n'opéraient ni l'un ni l'autre ce jour-là, sauf urgence. Il fallait traverser le comptoir au rez-de-chaussée pour monter le petit escalier de bois assez raide et trouver enfin leur place habituelle, face- à-face sur une petite table carrée, dans l'angle de cette salle au plafond bas, enfumée et bruyante.

La mésaventure des Glycines et ce secret partagé les avaient rappro- chés. Tous deux n'avaient eu de cesse de se prouver leurs possibilités. Ils furent d'ailleurs vite rassurés et se racontaient leurs performances. C'était leur récréation lors des longues soirées passées ensemble pour préparer l'externat puis l'internat. Ils furent reçus la même année dans un rang très voisin. La vie commune et la préparation des concours les avaient si souvent réunis qu'ils étaient indissociables dans l'esprit des gens et qu'un certain mimétisme les faisait parler de la même façon, voire même un peu se ressembler. Pourtant à trente-huit ans Christian avait perdu quelques cheveux et accentué son profil aiguisé alors que Marc gardait une crinière abondante mais avait pris un peu de volume.

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Ils avaient pu en vingt ans s'évaluer, se mesurer puis s'apprécier au point de tout partager mais sans égoïsme puisqu'ils avaient vraiment formé un clan de quelques copains inconditionnels.

L'ambition de Christian avait déteint sur Marc puis l'avait aspiré. Les hasards des choix et des semestres ne les avaient séparés que dans leur spécialisation. Marc sera gynécologue et Christian orthopé- diste. Tous deux préparaient les concours dont les règles étaient bien définies. Ils applaudirent et s'enthousiasmèrent pour le retour du Général aux affaires en 1958, sans savoir alors que les bouleverse- ments politiques allaient, entre autres, réformer la carrière médicale, supprimer les concours, instituer le plein temps hospitalier et les lais- ser ainsi en route ou tout au moins sans connaître l'avenir, à quelques pas de l'arrivée.

En fait la politique n'avait été qu'une diversion passagère, leur choix ultérieur correspondant généralement à leur aspiration profonde : Christian restera dans les hôpitaux et sera nommé agrégé. Marc, plus pressé et désireux de réussite sociale restera dans le privé.

Ils évoquaient parfois deux épisodes de leur vie commune, plutôt pour en rire en se demandant alors si leur brouille avait été réelle ou si elle n'était, inconsciemment, qu'une façon de se priver l'un de l'autre pour s'offrir le bonheur de la réconciliation.

Cette brouille avait duré six mois. L'« affaire », se rappelait Chris- tian, avait éclaté lors d'un week-end de novembre dans les années 55. Les grands-parents de Christian avaient laissé à la famille leur belle vieille maison, presque en plein village, à Fareins en bord de Saône. Mais ses parents ne l'utilisaient guère : pourquoi déménager l'été à quelques kilomètres et entretenir une toiture dégradée et réparer des murs envahis de salpêtre ? Elle était d'ailleurs mise en vente depuis plus d'un an. Christian détenait les clés et souvent les week-ends invi- tait la bande. Chacun y arrivait avec son moyen personnel : vélomo- teur, autocar, sauf Gérard déjà installé en clientèle et propriétaire d'une Rosengart.

C'était un bonheur de découvrir le soir la grande façade inondée de soleil couchant avec ses larges portes-fenêtres donnant de plain-pied sur une pelouse devenue prairie allant jusqu'à la Saône : la limite était floue entre les dernières herbes hautes et les premiers roseaux. Les gre- nouilles vous sautaient alors entre les jambes et le soir les crapauds y faisaient concert. Dès l'arrivée il fallait aérer les chambres, ouvrir les

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lits et installer le pick-up : la musique faisait partie du rituel et les disques n'avaient pas changé depuis des années car tous cultivaient la nostalgie des années passées : on écoutait Petite Fleur ou La vie en rose avec recueillement. Ce soir-là ils étaient tous arrivés sauf Gérard, annoncé en retard. Les filles s'affairaient à la cuisine mais restaient

limitées dans leurs ambitions par l'équipement assez sommaire ou hors d'usage. La cave, par contre, avait été quelque temps une réserve de trésors, miraculeusement préservée mais non illimitée. On sut que la source était tarie lorsque Christian ouvrit la dernière bouteille de blanc couverte de poussière : « Goûte-moi ça. Je le trouve passé, un peu aigre. » Le liquide coulait goutte à goutte, il fallut secouer la bouteille pour voir tomber, à la stupéfaction des goûteurs, les haricots verts mis en conserve dans du vinaigre, souvenir de l'occupation. Mais il restait du vieux marc égrappé en quantité suffisante pour tenir.

Pour la première fois ce soir-là Christian avait amené sa sœur Hélène :

— Il faut la distraire, son fiancé est parti avant-hier au service mili- taire. Elle joue déjà les veuves de guerre.

Hélène souriait tristement mais ne pouvait s'empêcher de rire aux plaisanteries de Marc sur le prestige de l'uniforme, la tradition des états-majors privilégiant la défense :

« Attaquons, attaquons, comme la lune. » résumait leur stratégie, expliquait-il.

Le repas fut joyeux malgré les accrochages habituels : — Christian tu pourrais aider et te lever au moins une fois. — Mais Martine tu t'occupes de Jacques qui ne remue que ses

maxillaires. Moi je suis tout seul, comme un petit oiseau tombé du nid. — Dis donc Gigi ton gratin est somptueux. — Oui, j 'ai du mérite avec Jean-Jacques sur les bretelles qui m'ac-

cable de conseils et goûte sans arrêt. Christian observait le manège de Marc qui serrait de près Hélène sa

voisine, lui parlait à l'oreille, la faisant pouffer tout en lui remplissant régulièrement son verre.

Puis on poussa la table, mit la musique, les accouplements se firent tandis que la lumière diminuait : le slow devait se danser pratiquement sur place et dans l'obscurité.

Christian sortit prendre l'air et vit alors surgir les phares de la Rosengart : c'était Gérard. Surprise, il avait amené une fille.

— Tiens c'est toi Christian, je te présente Sarah. Sarah. Christian.

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— Bonjour. Je suis un peu gênée mais Gérard m'a vraiment kidnap- pée pour m'amener ici.

— Comme il a bien fait. Entrez vite.

Dans l'obscurité il avait seulement remarqué sa petite voix claire et nette, un peu coupante. Dans la lumière de la porte il put découvrir le personnage. « Un joli petit lot » aurait dit Jérôme. Brune aux yeux clairs, un peu du type kabyle mais coiffée à l'Aiglon suivant la mode apportée alors par Ingrid Bergman. L'expertise dura quelques secondes. Elle fit semblant de ne pas s'en apercevoir et interpella Gérard :

— Tu as prévu de me nourrir au moins ? — En fait non... Christian tu es chez toi, je te confie le problème.

Jean-Jacques a dû organiser un petit poker, non ?, et je suis attendu. — Sarah, je peux vous appeler Sarah ? Je vous emmène à la cuisine.

Tous ces morfals ont bien dû laisser quelque chose. Il s'affairait au milieu d'une cuisine dévastée où s'accumulaient les

assiettes sales et les verres à moitié vides.

— Asseyez-vous là. Le gratin réchauffe. Le reste va suivre. Remar- quez la qualité du service. J'ai fait l'Ecole Hôtelière de Lausanne.

— C'est vrai ?

— Non mais qu'importe. A propos et vous que faites-vous dans la vie ?

— Je suis en première année de droit. Très bon le gratin, dit-elle la bouche pleine. Et à côté que se passe-t-il ?

— Ça danse ou plutôt ça coince. Voulez-vous qu'on y aille ? — Minute. Je mange et il y a sûrement de l'ail dans le gratin. C'est

pas l'idéal pour la câlinette. Parlez-moi pendant que je me nourris, comme ça je ne vous interromperai pas.

— D'accord, mais de quoi ? — N'importe, de tout, de votre boulot, de vos copains, de vos

copines. — Bien alors voilà. Je suis chirurgien orthopédiste, c'est-à-dire que

je fais la chirurgie des os et des articulations à l'hôpital où j'ai fini mon internat il y a un an.

Et Christian raconta sa vie, le boulot, le noyau de copains, Jean-Pierre, Jean-Jacques, Gérard, Jérôme, Antoine et surtout Marc, qui faisait de la gynéco car il aimait les femmes. Mais séducteur, bavard, il n'avait pas le temps de finir ses phrases parce que sa pensée allait trop vite.

— Tous célibataires ?

— Tous mais hétéros et romantiques.

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— Il a surtout l'idée d'être professeur de clinique, succéder à son patron, ce qui est normal.

— Mais il est bien d'accord sur la nécessité d'une réforme.

— Tu sais les réformes, il faut y aller sur la pointe des pieds. Regarde comme la réforme Debré a perturbé toute ta génération. Pen- sez aux suivants, ceux qui arrivent et qui voient changer les règles du jeu tous les deux ans. Vous feriez mieux de vous occuper à améliorer ce qui ne marche pas.

— Quoi par exemple ? — Tiens, l'urgence, problème non résolu. Notre voisine a attendu

quatre heures à la garde l'autre soir pour qu'on recouse la fesse de son petit, qui a passé la nuit sur une couchette.

— Je sais, je sais et pourtant chacun y met du sien. Mais il n'y a pas de solution idéale et ça partout dans le monde. C'est un peu le pro- blème des autoroutes le premier août. Mais nous nous en occupons. Il y a un groupe qui planche là-dessus avec aussi un dentiste et même un vétérinaire. Il nous a raconté un coup marrant : ils ont créé SOS Véto. Il y a quelques jours un paysan tire sa vache par une corde, puis l'at- tache à un camion garé dans une carrière pour satisfaire un besoin. Quand il revient, panique, la vache avait avalé trois pains de dynamite sur la plate-forme du camion. Ça doit avoir un goût salé et elles ado- rent. Alors il a appelé le véto de garde qui ne savait trop quoi faire... « Surtout ne fumez pas à côté d'elle. » C'est tout ce qu'il a trouvé à dire.

— Et alors ?

— Eh bien il ne s'est rien passé, paraît-il. Juste une petite diarrhée et quelques gaz, non explosifs.

— Bon je suis rassurée pour toi car je te voyais mal passer des soi- rées dites de travail sans quelques gaudrioles.

De son côté, Christian organisait sa campagne. Le vote au CSU devait intervenir début décembre, ce qui lui laissait un mois pour réali- ser son tour de France. Il vivait l'enfer des rendez-vous à prendre avec ses collègues.

« Mais enfin, pensait-il, comment les malades arrivent-ils à nous voir en consultation quand on découvre le parcours du combattant pour obtenir un rendez-vous ? Téléphone occupé, ou le numéro a changé, quatrième symphonie sur un disque interminable, ne quittez pas, nous cherchons votre correspondant... Pour finalement avoir une secrétaire qui n'est qu'une remplaçante et qui précise que le Professeur est en congrès et passera seulement vendredi de 9 à 11 dans son service. »

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Sa première visite, à Montpellier, fut une épreuve : route intermi- nable pour arriver dans une ville aux rues inextricables, saturées par une succession de bouchons. Il gara sur le trottoir devant la fac pour être à l'heure puis attendit longtemps, encore ruisselant, l'arrivée de Ruig. C'était un homme jovial, un peu rouge de teint, qui le fit asseoir en face de lui et l'accueillit en roulant les « r ».

— Votre visite me touche beaucoup. Il ne fallait pas vous déranger, mais enfin c'est bien, conservons les traditions. Alors ce vieux Grou- mat s'en va. Comme le temps passe. Nous étions du même concours d'agrégation. Il faut dire que j 'ai eu la chance d'être nommé très jeune. Je ne sais trop ce que je ferai. Vous savez votre concurrent de Lyon a toujours été un ami. Vous êtes plus jeune mais indiscutablement plus connu que lui. Laissez-moi votre exposé de titre. Merci. Magnifique. Vous savez je connais tous vos travaux et les apprécie, bien que je ne partage pas toujours les mêmes points de vue que l'école lyonnaise. Mais c'est du sérieux, du solide. Ah ! quel problème de devoir ainsi choisir entre deux collègues au mérite équivalent. Ah ! je regrette sou- vent de devoir siéger au CSU. Si mes collègues ne m'y avaient pas poussé... Enfin... Je vais voir. Considérez que vous avez de fortes chances, je dis bien de fortes chances, d'avoir ma voix.

Christian trouva bien évidemment un papier bleu sur son pare-brise mais estima le coût acceptable pour la voix de Ruig. Mais l'aurait-il ? « De fortes chances » se répétait-il au volant en roulant les « r ». Et il recommença le pari du feu vert trois carrefours de suite sans succès bien net.

Il arriva par miracle à obtenir un rendez-vous avec ses collègues parisiens bloqués sur deux jours : l 'un était à sept heures le matin, l'autre à huit heures le soir, le troisième à midi le lendemain. Il était

ravi de pouvoir aller entre-temps flâner dans la grande ville et surtout disposer d'une soirée pour aller chez Sarah. Il laissa un message sur son répondeur. Elle le rappela le soir même d'une voix joyeuse : « Tu seras là vers neuf heures ? Parfait. C'est mon heure. Je t'attends rue

Mazarine. Que préfères-tu, resto ou dîner chez moi ? Chez moi, d'ac- cord, on sera plus tranquilles. »

Christian choisit un hôtel tout proche pour pouvoir rentrer à pied le soir et éviter la chasse au taxi. Prouvost le reçut très rapidement mais fut très clair : « Pour moi il n 'y pas de problème. Je vote exclusivement en fonction de la valeur du candidat et de son niveau international, je dis bien international. C'est votre cas. Non, non ne me laissez pas votre exposé de titre. Je le connais parfaitement. Vous savez, ça fait tout de

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même plaisir de constater que même en province il y a des gens remar- quables. »

A sept heures trente Christian était sur le trottoir, assez euphorique avec la perspective d'une grande journée libre devant lui, ce qui ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps. Il prit le métro, descendit au Marais et s'attabla à une terrasse Place des Vosges. Les gens passaient d'un pas rapide. De toute évidence pressés ou stressés sans prêter attention à la beauté du lieu. Heureusement quelques touristes flâ- naient, prenaient des photos et donnaient l'idée d'un certain bonheur. Dès l'ouverture Christian visita pour la deuxième fois la maison de Victor Hugo puis se rendit à pied au Musée de la Chasse d'où il sortit un peu déçu. Le temps se brouilla pendant le déjeuner, pris rapidement dans un de ces innombrables restaurants qui, à midi, accueillent le flot des employés qui travaillent dans le quartier. Il admira une fois de plus la rapidité du service et l'agilité des serveurs à se faufiler dans la cohue et qui prennent la commande en quelques secondes, vous servent et vous débarrassent aussi vite. Il fit un saut au Grand Palais mais fut

découragé par la file d'attente. « Je pourrai dire que j 'ai essayé. » pensa-t-il pour se donner bonne

conscience. Il flâna un peu aux Tuileries puis remonta les Champs-Ely- sées à pied, chaque fois ébloui par cette perspective mais un peu désolé de constater que les banques et compagnies d'assurances consolidaient leur conquête du terrain. La pluie commença en petites gouttes irrégu- lières pour tourner au déluge et Christian se réfugia dans un des grands cinémas de l'avenue. C'était la semaine Charlie Chaplin et il revit pour la quatrième fois La ruée vers l'or avec autant de plaisir que la pre- mière. Il rit beaucoup et lorsque la lumière revint, applaudit comme toute la salle.

« Ce n'est quand même pas fréquent d'applaudir au cinéma, pensa- t-il, mais que ce film vieillit bien. Ce doit être ça le génie. »

En se retrouvant dehors sur le trottoir mouillé, la nuit tombée, il reconnut cet état d'âme fait du retour brusque à la réalité et du senti- ment de mauvaise conscience qu'il avait oublié depuis longtemps, lorsque, étudiant, à quelques-uns, il faisait le marathon des films de la semaine, enchaînant d'une salle à l'autre pour battre le record du groupe. Il tua le temps en prenant un crème dans un grand café, s'amu- sant à observer les arrivées par la grande porte à tambour, cherchant à deviner à quelle table ce garçon ou cette jeune fille qui surgissait et observait la salle, était attendu pour un rendez-vous amical ou amou- reux. L'heure passait et il se décida à partir pour la Pitié-Salpêtrière,

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régla, sortit, oubliant sa serviette, revint la récupérer puis s'engouffra dans le métro bondé. Il retrouva cette odeur si particulière qui pour lui était l'exclusivité de Paris.

« Mais nous aurons, pensa-t-il, peut-être un jour nous aussi le métro, même en province comme l 'a dit si finement Prouvost. »

Il était en avance mais Marquant l'attendait, seul dans son bureau, évoluant dans un nuage opaque de fumée, planté devant un négato- scope posé sur son bureau et jonché de diapositives.

— Entrez, entrez, cher ami. Comme vous voyez je prépare ma confé- rence des prochaines Journées. Vous serez des nôtres, j'espère. Mais quelle épreuve de se trouver devant trois à quatre cents diapos à classer. Chaque fois c'est la même chose. Je deviens enragé et je fume un paquet de cigarettes. Finalement je préfère cent fois opérer. La salle d'opération est un havre de paix où, en plus, on ne peut pas vous téléphoner. Que je plains nos collègues médecins... Bon. Votre visite est la bienvenue, mais j'imagine quelles difficultés vous avez eues pour vous libérer. Remar- quez qu'en l'occurrence, un petit séjour à Paris garde ses charmes. Quand je pense que, dans votre situation il y a quelques années, j'avais dû me rendre à Nice, Rennes et Bordeaux. Remarquez que j'avais été très bien accueilli, mais les soirées sont longues en province... Revenons à cette affaire. Je pense être le plus âgé et à ce titre probablement le pré- sident de notre section. Donc vous ne perdez pas votre temps en étant ici. Mais dans ma position j 'ai en quelque sorte un devoir de réserve. En plus, je me crois une vocation de conciliateur, de rassembleur en quelque sorte. Les divisions, les querelles d'école nous ont fait trop de mal. Je cherche toujours à obtenir une élection à l'unanimité, c'est clair et telle- ment plus gratifiant pour l'élu. Il doit exister en quelque sorte un consen- sus, et cela je m'efforce de l'obtenir avant le vote. On s'arrange, on convainc, quitte à prendre des engagements pour l'avenir.

A vous de jouer. Si comme je l'espère vous avez les voix des autres collègues, c'est clair, vous avez la mienne.

L'entretien se prolongea, soutenu par une bouteille de whisky que Marquant conservait dans un frigidaire dissimulé derrière quelques couvertures de traités scientifiques.

En sortant, Christian ressentait une certaine euphorie et c'est le cœur léger qu'il sauta dans un taxi pour se rendre chez Sarah. Il se fit arrêter brièvement en route pour acheter quelques fleurs. Il hésita, car les roses rouges lui semblaient déplacées, presque de mauvais goût si l 'on se réfère au langage des fleurs. Un gros bouquet « de jardin » lui sem- bla convenir.

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Sarah l'accueillit par des cris de joie: «Des fleurs ! Mais tu es devenu fabuleux. Ce doit être le 2 bouquet depuis que nous nous connaissons. Le premier je m'en souviens, à la clinique pour la nais- sance de Philippe. »

Christian constata qu'il y avait des fleurs partout dans son petit stu- dio si bien décoré et meublé. Il lui en fit la remarque.

— Oui, dit-elle, j 'adore les fleurs, tu le sais... Non en fait tu ne le sais pas et Jean m'en fait livrer très régulièrement. Mais tu vois les tiennes sont différentes, plus rustiques et j'espère qu'elles dureront plus longtemps. Apéritif ? Non car tu sens un peu le whisky... Vrai ou faux ? Mais tu sais j 'aime bien ce parfum un peu amer.

Sarah s'agitait du frigidaire au placard à bouteilles et finalement ser- vit deux verres. Elle allait et venait et Christian retrouvait ses gestes gracieux de danseuse, d'autant que sa jupe en soie rouge plissée, éva- sée, s'ouvrait comme un abat-jour dans ses virevoltes, et retombait en plis lourds et réguliers dès qu'elle s'immobilisait.

— Viens t'asseoir, dit-elle en tapant le coussin à côté d'elle. Com- mençons par nous débarrasser du seul problème de cette soirée, celui de Philippe. C'est évident, il n'apprécie pas beaucoup Jean et je le vois mal vivre avec nous. Serais-tu d'accord pour le prendre avec toi ?

— Bien sûr. Et je pense qu'il serait d'accord lui aussi. La difficulté, peut-être, c'est mon mode de vie. Je suis finalement assez peu chez moi et qu'en faire les week-ends ? Il déteste la chasse.

— Oui mais il adore tes copains, ta bande. Si ton appartement est vide, c'est peut-être mieux. Il sera chez lui avec l'impression d'être libre. Il pourra amener des copines sans te gêner. Remarque que dans ce domaine je ne sais pas trop où il en est.

— Moi pas davantage... mais je suis sûr qu'il est hétéro. Ce sera l'occasion d'en parler, tu sais, entre hommes.

— Oui je sais... entre hommes, vous êtes bien et vous êtes même épatants. Toi et Marc, toi Marc et Gérard Jean-Jacques et compagnie. C'est étonnant ce côté bidasses que vous cultivez tous. Tu vois, j 'aime bien mes amies mais je m'imagine mal ne voir qu'elles et me passer des hommes, je veux dire parler, discuter avec eux. Oh je sais bien que ce n'est pas toujours passionnant, la bagnole, la chasse ou la fesse mais ça change des enfants ou des bonnes. Et pourtant je nous crois aussi, si ce n'est plus, intelligentes que vous, les hommes.

— C'est curieux toutes les femmes féministes militantes MLF

disent ça et en même temps ne fréquentent que les hommes et ne sont bien qu'avec eux.

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— Mais je ne suis pas féministe du tout. Je suis ravie d'être femme et enchantée de parler ce soir en tête-à-tête avec un homme, qui plus est mon ancien mari, que je peux observer et que je trouve plutôt mieux que quand je l 'ai connu : mûri, sûr de lui et de sa réus- site.

— Ça, c'est toi qui le dis. Et puis je tenais à te le dire : je sais bien que je te dois beaucoup dans ce que tu appelles ma réussite.

— Bravo. Tu avais préparé cette phrase et je l'enregistre parce qu'elle est tellement rare. Les hommes de ton âge n'attribuent leur suc- cès qu'à leurs qualités exceptionnelles. Ils en veulent les attributs, tu sais, signes extérieurs de réussite, échangent leur 2 CV pour une BMW... et souvent leur femme pour...

— Reconnais que ce n'est pas mon cas, d'ailleurs je n'ai jamais trouvé mieux que ma première voiture.

— C'est gentiment dit et je te crois, mais tu as été un peu négligent pour l'entretien et les révisions.

Le téléphone sonna. Sarah décrocha très vite et Christian comprit que l'appel venait de Jean. Il fit mine de se lever mais Sarah lui fit signe de ne pas bouger et raccrocha après quelques phrases, parmi les- quelles il releva plusieurs fois le mot chéri. Au lieu de l'agacer, cela l'amusa plutôt et même le rassura car il détestait cet adjectif à tout faire, voire à tout cacher, revenant incongru dans les dialogues des couples qui se déchirent : « Chéri, vous êtes un pauvre con, etc. » « Venant de vous chérie ce jugement me rassure. »

— Il t'appelle tous les soirs ? — Oui tout au moins les soirs où nous ne sortons pas ensemble. — Je vois : les fleurs, le téléphone, c'est sûr que je ne peux pas riva-

liser.

— Pourquoi voudrais-tu rivaliser ? — Pour te reconquérir. Christian s'étonna lui-même de cette réponse. — Ah bon, en voilà une nouvelle, dit Sarah en arrêtant son geste. Elle déposa le plat sur le milieu de la table et les joues un peu rouges

regarda Christian par dessous, la tête penchée un peu en avant. — Je n'aurais pas dû te servir un deuxième whisky, ni à moi non

plus d'ailleurs. Tu m'as eue comme ça la première fois. L'alcool nous rend tendres, ça je le sais et puis le lendemain migraine, gueule de bois et déprime.

— Pas forcément. Pour moi l'alcool est un révélateur et lève mes

inhibitions, à dose modérée bien sûr. Tout ce que j 'a i fait de bien, les

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meilleurs moments de ma vie, c'est ainsi, c'était toujours avec un cer- tain taux d'alcoolémie.

— Ça il est certain que quand tu m'as demandé de t'épouser, puis quand tu m'as fait deux enfants, tu n'étais pas vraiment à jeun. Mais j'espère que tu ne bois pas le matin avant d'opérer tout de même.

— Non, ça n 'a rien à voir. C'est de la technique, du boulot. Moi je te parle du reste : de l'art, de l'imagination, de l'amour.

— « Ecris dans l'ivresse, relis-toi à jeun. » C'est Gide qui a dit ça je crois.

— Alors il est dommage qu'il se soit relu. — Ça ne fait rien, si tu m'écris ce soir, je t'en prie, relis-toi demain.

Parlons de choses sérieuses : tu es bien à Paris pour un truc du genre élections ou promotion, comment dit-on ?

— On dit les deux. La promotion par élection. — Et alors ?

— Alors je n'en sais trop rien. J'ai encore deux collègues à visiter qui, en principe, me sont acquis. En résumé, ils votent tous pour moi sauf s'ils votent pour l'autre. C'est comme Marc.

— Ah oui. Où en est-il ?

— Il réagit bizarrement à son histoire de procès. Il veut refaire le monde et s'embarque en politique. Tu le connais : il est plein d'idées et de convictions. Il m'a téléphoné avant-hier tout excité car le secrétaire pour le Rhône de son mouvement a démissionné pour raisons de santé. Il est candidat, avec l'appui de Paris et il est persuadé de son destin national.

— Et Marie-Laure ? — Marie-Laure ? Tu la connais : « Si c'est le bonheur de Marc. »

Mais heureusement elle a les pieds sur terre, gère bien son cabinet, limite les dégâts et lui sauve une partie de sa clientèle au cas où. Il a de la chance, lui, tiens redonne-moi un coup de Volnay pour que je sup- porte ma condition.

— Je ne devrais pas mais, après tout, ça me rajeunit de te voir un peu éméché et allumé. C'est ainsi que tu redeviens toi. Chacun son genre. Toi ce n'est ni les fleurs, ni le téléphone. Ce que j'aimais en toi, c'était ta nature, ton amour de la fête et ton entourage de copains. Mais alors quel égo-altruisme, ah pour plaire et séduire, tu te mettais en quatre pour eux et tu payais au bistrot pour faire généreux alors que je n'avais pas trois sous pour m'acheter une robe.

— Mais tu n'en avais pas besoin. Tu étais naturellement belle et élégante.

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— Merci du compliment mais tu sais que pour une femme ça compte. Surtout que les femmes des copains installés étaient sapées comme des princesses.

— Ah bon. Moi je n'ai jamais fait la différence. — Toi peut-être pas, mais moi, si vraiment. — Mais j'ai changé, tu sais je remarque tout. J'adore la façon dont

tu t'habilles. Quand je serai professeur de clinique puis président du congrès, il me faudra une femme comme toi pour les réceptions, l'or- ganisation des festivités...

— En somme pour te valoriser. — Un peu oui mais en fait te valoriser, toi, qui seras finalement la

vedette... — Ah parce que c'est de moi qu'il s'agit ? dit-elle en riant. Arrête

de boire et pense à demain. — Demain sans toi, je le sais déjà, sera une journée morne et

longue, comme toutes celles qui suivront. — Dis donc, tu as bien passé plus de dix ans de journées longues et

mornes sans que l'on ne t'ait vu dépérir. Je crois savoir que tu as même vécu quelques journées et nuits brèves et flamboyantes.

— Parce que, sans le savoir, j'étais paumé, tu sais comme un petit oiseau tombé du nid.

— Oui, oui, je connais le coup du petit oiseau. Tu me l'as fait autre- fois. Mais depuis tu es devenu un gros zoiseau, avec de belles plumes, et si ton ramage se rapporte à ton plumage...

— Mais mon nid est vide. — Tu vas avoir Philippe. — Voilà justement. Philippe et Agnès reviennent à la maison et,

ô bonheur, retrouvent Papa et Maman. — C'est bien, c'est moral mais ce n'est pas très romantique ton pro-

gramme : retour au foyer de la femme prodigue pour élever ses enfants et présider les congrès.

— Non tu as raison, je ne suis pas très bon pour le marketing, tu le sais bien. En fait ce que je n'ose pas te dire... Attends je prends le coup du curé, je finis le Volnay et j'y suis.

— Je t'en prie, garde ton secret jusqu'à demain. Je ne me doute de rien. Rentre vite te coucher. Demain sera un autre jour et toi un autre homme.

Elle le raccompagna jusqu'à la porte. — Ton hôtel est loin ? — A deux pas.

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— Un peu de marche dans la fraîcheur du soir te fera beaucoup de bien. Tu sais, malgré tes dérapages, c'était une très bonne soirée. Oui vraiment je te le jure.

— Je pourrai t'appeler ? — Oui bien sûr mais pas tout de suite et puis surtout, à jeun.

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X X

Marie-Laure pestait au volant de sa voiture, bloquée dans un embou- teillage infernal, interdisant l'accès de la place Bellecour. Elle avait accepté d'aller chez Camaret prendre une revue médicale dont Chris- tian avait un besoin urgent, et que Marc lui remettrait demain, mardi à midi chez Annette. Elle avait tout simplement oublié que c'était le soir du 8 décembre. L'agitation commençait, la foule déferlait car le spec- tacle en valait la peine. C'était la nuit de l'action de grâces à Marie, renouvelée chaque année depuis plusieurs siècles, en reconnaissance du miracle : la peste s'était arrêtée alors aux portes de la ville. Tous les Lyonnais, chrétiens, païens ou athées, tous, allumaient dans la nuit tombante une myriade de bougies-lumignons posés à leurs fenêtres. La ville était en fête et devenait encore plus belle : les monuments illumi- nés, les ponts éclairés qui sur la Saône encadraient la colline de Four- vière ruisselant de lumières. Toutes ces petites flammes se réfléchis- saient dans le miroir de la Saône au cours paisible, paraissant s'accrocher puis se multiplier au gré des vaguelettes.

« Est-ce encore une fête religieuse ? » se demandait Marie-Laure en voyant passer un flot serré de jeunesse débraillée, dansant au bruit des transistors ou assiégeant des marchands de frites et de merguez, dont l'odeur n'était sûrement pas celle de l'encens. Les klaxons de voitures se mêlaient au vacarme. Les piétons, comprimés, tambourinaient sur sa carrosserie. Marie-Laure commençait à paniquer. Elle dut garer en catastrophe sur le quai et, maudissant la peste, la fête et la mission de Christian, abandonna sa voiture, erra plus d'une heure, emportée par le courant humain. Elle marcha longtemps avant de retrouver le calme relatif. Que faire, téléphoner à Marc ? Inutile, il était à la réunion du comité, réunion justement où se décidait son élection au secrétariat de

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je-ne-sais-trop-quoi... Elle finit par trouver un taxi place Morand et dut user de tout son charme, assorti d'un gros paquet de billets pour le déci- der à braver l'aventure. Arrivée tard à Saint-Cyr, elle constata que Marc n'était pas encore là. Les maisons voisines étaient aussi illuminées, même la mairie, pourtant laïque et républicaine. Elle ne voulut pas être en reste et passer pour impie dans ce village bien pensant. Elle alluma patiemment ses lumignons, huit pour chaque fenêtre du premier étage, en se brûlant souvent les doigts ou en pestant contre la petite brise sour- noise qui soufflait la flamme au moment de retourner le verre coloré.

« Eh bien, j'irai demain matin récupérer ma voiture, ou ce qu'il en reste, prendre la revue et je porterai le tout à midi chez Annette. En l'occurrence, je peux bien braver les interdits. »

Exténuée, elle remonta dans sa chambre, prit un bain, puis regarda longuement par la fenêtre la ville illuminée.

« Que tout cela est beau, dans le silence. » pensa-t-elle. Puis elle murmura à voix basse : « Marie, sois sympa, rend à Marc la joie de vivre et l'amour de son métier. » Puis elle s'endormit et n'entendit pas Marc rentrer assez tard, ni repartir très tôt le lendemain. Pourtant le mardi, pensa-t-elle en se réveillant, il n'a pas d'intervention.

Marc et Christian arrivèrent presque en même temps chez Annette, s'assirent face à face et d'une même voix :

— Alors ?

— Alors quoi ? dit Marc. C'était bien hier le CSU et le vote. Alors ? — Et toi, rétorqua Christian, c'était bien hier l'assemblée générale

des apparatchiks et ton élection de maréchal ? — Eh bien moi, au CSU, j 'ai été battu, baisé. — Eh bien moi, au comité, j 'ai été baisé, battu. Ils se regardèrent interloqués et éclatèrent de rire. Annette surgit : — Vous êtes bien si gais, les docteurs, qu'arrive-t-il ? — Eh bien ma chère Annette vous avez devant vous le président

et le secrétaire général d'une nouvelle association intitulée : SOS hommes battus, et ils sombrèrent tous les deux dans un long fou rire.

— Comment cela se fait-il pour toi, dit Marc, je croyais que c'était dans la poche ?

— J'ai tout de même eu une voix, une sur six. Ça a dû embêter le Président, tu sais l'homme de l'unanimité. C'est un vote secret, ce qui permettra à chacun lorsque je le reverrai de me jurer qu'il a voté pour moi. Et toi ?

— Moi, à peu près la même chanson. Le représentant de Paris a fait un speech de présentation de ma candidature si fabuleux qu'il

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m'a assassiné. Je crois que les autres ont pensé : mais si ce type est si bien, si intelligent, actif, désintéressé, il va tous nous bouffer. » Mon concurrent n'est pas un superman mais comme il l 'a bien dit, c 'est un homme de terrain... et qui n'était pas parachuté, lui. Ça m'a permis de dire à la fin de mon petit mot de félicitations au loyal concurrent que j'étais content d'avoir un parachute, car vraiment je tombais de haut. En fait tu sais je me suis réveillé ce matin ravi et j 'étais à sept heures à la clinique. Je pétais le feu et j 'a i retrouvé mon meilleur. D'ailleurs j 'ai rempli mon programme pour une semaine. Et toi, pas trop déçu ?

— Non, comme me l 'a dit Groumat ce matin, «c 'es t mieux ainsi. Vous êtes encore trop jeune et les deux tueurs du mot jeunesse, ce sont pouvoir et ambition. Ça viendra bien assez tôt. La robe rouge va beau- coup mieux aux cheveux blancs. » Il n 'a sans doute pas tort.

Et puis, il y a des choses plus importantes. Ma campagne m 'a fait voyager, je suis allé à Paris...

— Et tu as revu Sarah ?

— Oui j 'ai revu Sarah... sublime, merveilleuse, désirable, intelli- gente.

— Et alors ?

— Alors je lui ai fait la cour. J'avais un peu bu, je crois et alors tu me connais.

— Oui je redoute un peu. — Eh bien pas du tout. Le lendemain je lui ai téléphoné et suis

tombé sur un répondeur. Alors je lui ai dit que j'étais à jeun, que je l'ai- mais.

— Elle t 'a rappelé ? — Non mais c'est bon signe. — Ah bon ? Pourquoi ? — Parce que je la connais. Si c'était non, elle m'aurait rappelé le

soir même. Sarah ne laisse jamais traîner les affaires. Alors depuis, je téléphone tous les soirs à la même heure, quand je suis sûr qu'elle n'est pas là et je laisse le même message, amélioré. J'ai même enre- gistré un morceau du disque d'Aznavour, tu sais : « Sarah, Sarah, si tu reviens. »

— Mais quelle idée ! — Géniale, tu veux dire, elle adore Aznavour. Et puis mercredi der-

nier je lui ai fait envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception par notre pote Curien, tu sais, l'huissier. Du style constat : « Nous, huissier de justice, nous sommes rendus au domicile de notre

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client. Avons constaté l'état des lieux : délabrement de l'environne-

ment par absence d'entretien, tristesse poignante du requérant dont témoigne le polochon imprégné de larmes, etc., etc. et terminé par un commandement du genre : « Faisons toute réserve sur issue fatale en l'absence d'une réponse par lettre recommandée sous les trois jours. »

— Et puis? — Et puis, j'avais l'avis dans ma boîte ce matin et je suis passé à la

poste. — Et alors ? Ecoute arrête de faire durer le plaisir : dis-moi la fin, la

lettre ?

— La voilà, dit Christian en la sortant de sa poche. Je ne l'ai pas ouverte car tu connais la légende : jamais deux sans trois et je voulais qu'une main chanceuse, heureuse l'ouvre et me la lise, et ce n'est pas notre cas à tous les deux. On va demander à Mme Annette.

A ce moment, surgit Marie-Laure qu'ils n'avaient pas vue. — Toi ici... mais c'est comme au Jockey Club, les femmes sont

interdites.

— Oui, bien, espèces de sales types, merci pour la course en ville un 8 décembre. Tiens Christian voilà ta revue et surtout ne me dis pas merci.

— Non, non, Marie-Laure reste. Mme Annette un couvert de plus et un pot. Tu es l'archange tombé du ciel. Tout ce que tu touches devient de l'or. Voilà. Prends cette lettre. Ouvre-la. Tu la lis et moi je lis sur ton visage.

Marie-Laure, un peu étonnée, se saisit de la lettre, glisse un couteau et l'ouvre. Elle lit sans bouger un sourcil, marque un silence et avec le plus grand sérieux d'une voix grave demande :

— Dis donc Christian, ce remariage, ce sera une grande fête ou dans l'intimité ?

Il fallut quelques secondes à Christian et Marc pour réaliser. Ce der- nier poussa un « houah » de triomphe, les deux bras levés en « V ». Christian, lui, restait silencieux et semblait se recueillir, les yeux fer- més pour savourer l'instant.

— Alors, reprit Marie-Laure, la réponse à ma question ? — Ça... c'est à Sarah de décider. Qu'en penses-tu Marc ? — Je pense comme toi, par habitude. C'est à Sarah de décider. — Je vois, dit Marie-Laure, ... ainsi va se reconstituer la Triplette

magique « Sarah et ses chirurgiens »... et moi là-dedans ? — Toi ? Mais au fond Marie-Laure, c'est bien à toi et Marc que je

dois ce « happy end »...

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— Oh, en partie seulement. Nous n'avons pas eu à vous présenter l'un à l'autre. Je suis follement heureuse, mais je te le dis : je ne me sens responsable ni du passé... ni de l'avenir.

— Pas responsable, mais indispensable, répliqua Christian. En somme... fin du deuxième épisode... affaire à suivre. J'appelle Sarah d'urgence...

Ils se levèrent tous les trois et ensemble éclatèrent de rire...

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