Sales fouteurs de merde

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SALES FOUTEURS DE MERDE PORTRAITS DE TRAVAILLEURS

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Combien de fois n’a-t-on pas entendu, à l’occasion d’arrêts de travail ou de grèves, « Vous êtes des sales fouteurs de merde ! ». Pourtant, le syndicaliste négocie 99 % de son temps. Il tente de trouver des solutions, de proposer des alternatives. Il fait son boulot : défendre le travailleur et son emploi et veiller aux respects des droits de ceux qui l’ont perdu. Avec cette édition, nous avons voulu vous présenter quelques travailleurs-délégués FGTB, à travers leur activité professionnelle, mais aussi dans un aspect de leur vie privée. Ces délégués, des gens comme vous, qui se mobilisent chaque jour pour rencontrer les besoins ou problèmes que vous vivez au sein de votre organisation ou entreprise.

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SaleS fouteurSde merdePortraits de travailleurs

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Rédigé en collaboration avec Olivier Bailly et Gérald de Hemptinne - Photos : Loïc Delvaux

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§ Avant-propos 5

§ 1. Linda 7

§ 2. Kenneth 11

§ 3. Rosita 15

§ 4. Yalda 19

§ 5. Jean-Marie 23

§ 6. Robert 27

§ 7. Fred 31

§ 8. Régine 35

§ 9. Cosimo 39

§ 10. Martine 43

Table des matières

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Avant-propos

Combien de fois n’a-t-on pas entendu, à l’occasion d’arrêts de travail ou de grèves, « Vous êtes des sales fouteurs de merde ! ».

Le syndicaliste négocie 99 % de son temps. Il tente de trouver des solutions, de proposer des alternatives. Il fait son boulot : défendre le travailleur et son emploi et veiller aux respects des droits de ceux qui l’ont perdu. Et ils sont malheureusement de plus en plus nombreux dans le cas en période de crise.

Il arrive qu’après avoir épuisé toutes les possibilités de dialogue, le monde du travail ne soit toujours pas entendu.

Les représentants des travailleurs doivent alors établir un rapport de force et mettre la pression sur le gouvernement et/ou sur les employeurs pour défendre leurs affiliés, vous : travailleur, pensionné, personne handicapée, travailleur sans emploi. Et la FGTB le fait avec détermination, parce qu’il n’est pas juste que les travailleurs paient seuls les dégâts d’une crise dont ils ne sont pas responsables.

Avec cette édition, nous avons voulu vous présenter quelques travailleurs-délégués FGTB, à travers leur activité professionnelle, mais aussi dans un aspect de leur vie privée. Ces délégués, des gens comme vous, qui se mobilisent chaque jour pour rencontrer les besoins ou problèmes que vous vivez au sein de votre organisation ou entreprise.

La FGTB défend vos droits et vos intérêts. Elle travaille aussi à une société plus juste et plus solidaire, où chacun a sa place.

Anne DEMELENNESecrétaire générale

Rudy DE LEEUWPrésident

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Au chevet des soins à domicile

« Aujourd’hui, on vit plus vieux. On reste plus longtemps chez soi », constate Linda qui, jour après jour côtoie nos aînés par le biais de son travail de technicienne de surface. Si les gens restent davantage chez eux qu’avant, c’est parce que la plupart des personnes souhaitent demeurer dans un environnement qui leur a toujours été familier aussi longtemps que possible. C’est aussi parce que dans

les maisons de retraite et les maisons de repos et de soins, les places sont chères. Et la tendance ne fera que s’accentuer car la population vieillit. Moins de places sont disponibles dans les institutions spécialisées et le personnel soignant est en nombre insuffisant. Il faut dire que le métier d’infirmier, d’aide soignant ou d’aide ménagère est peu valorisé, souvent médiocrement payé. La tâche est lourde physiquement et il arrive que

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Linda

§ Linda, la militante

Coupe-vent, casse-croûte, chaussures de marche. Ce ne sont pas les outils de travail habituels de Linda Verheggen mais nécessité fait loi ! En ce deux décembre, exceptionnellement, la place de cette Beverenoise n’est pas parmi les bénéficiaires du « Regenboog » (l’Arc en ciel), un service d’aide et de soins à domicile de la région anversoise. Elle s’est levée tôt, a embarqué dans le train pour Bruxelles. Terminus à la Gare du Nord, pour une journée de manifestation « contre l’austérité ».

Linda n’a pas hésité. À l’heure où les partis politiques préparent une série de coupes dans les budgets de l’État, « c’est à la capitale qu’il faut être pour défendre notre avenir. Notre avenir à tous ! »

À 52 ans, cette technicienne de surface a déjà un bon bout de carrière derrière elle. Elle déborde d’énergie et elle aime son métier, mais le poids des années se fait parfois ressentir. « Je n’ai pas ménagé ma peine. Je voudrais un jour pouvoir profiter de la vie », dit-elle sobrement. Elle a quand-même pu se rendre à la manifestation le cœur léger : « Les gens chez qui on travaille (souvent des personnes âgées) ont des enfants. Ils nous soutiennent. »

En préparant la journée, Linda n’avait qu’un souhait : « Que les rues de la ville soient rouges. » Du haut des escaliers de la Gare du Nord, elle a une vue plongeante sur la foule qui s’est mise en route. Le syndicat est très largement représenté. C’est bon signe ! Il y a des sifflets, des manifestants costumés, de la musique. Les marcheurs sont inquiets pour l’avenir mais pas question de sombrer dans la déprime.

Les militants se sont regroupés par secteur, par entreprise. « Comme nous travaillons chez les gens, à domicile, nous ne nous voyons pas souvent entre collègues. Alors ce genre de rassemblement est un bon moment pour se retrouver et parler des problèmes que nous rencontrons au travail », explique Linda. Elle a quelques heures pour le faire : sur tout le parcours, des milliers de gens se serrent les coudes.

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des personnes esseulées réclament plus que juste quelques soins ou un coup de balai. Le « secteur » a donc besoin d’investissement, en respect, mais aussi en moyens financiers. Toute une série de métiers sont indispensables au maintien de ce pan de notre État.

Que ferons nous demain si, démotivés par de mauvaises conditions de travail, les gardes à domiciles, les aides aux

tâches ménagères vont voir ailleurs s’il y a moyen de gagner plus dignement sa vie ? Que ferons-nous si nous ne trouvons plus personne pour aider nos parents, nos proches à vieillir sereinement ?

Dûment refinancé, ce secteur devrait offrir un accueil, public, de qualité et accessible à tous. La façon dont on anticipe le vieillissement de la population traduit aussi un choix de société.

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§ Linda, côté jardin

Linda souffle, et pas qu’un peu : après des heures de boulot, il est grand temps de se vider la tête et de se remplir les poumons de l’air vif qui balaye les champs enneigés à l’ouest d’Anvers. Et franchement, du souffle, il en faut : Cossy et Farouk, un berger et un golden retriever ont de l’énergie à revendre. Il s’agit de les retenir.

Linda n’est pas seule : Guido, son compagnon, est là. Dans la vie, l’un est la base de l’autre. Guido était un pilier du syndicat aux chantiers navals Boelwerf, puis chez Ford Tractor. La fin de Boelwerf (l’orgueil du Waasland) et le sort des travailleurs a laissé chez lui une blessure qui n’en finit pas de cicatriser… Depuis qu’il est à la prépension, Guido a épousé la cause de Linda. Elle se présente aux élections sociales. Au secrétariat, sur internet, au téléphone, son homme est partout. Il est une équipe de campagne électorale à lui tout seul. « Dans un couple, lorsqu’un des deux veut s’investir pour le syndicat, l’autre doit être à 100 % derrière », dit-il.

Il faut du temps pour que les champs absorbent le quotidien. Mais les mots qui rappellent le boulot, les tensions, finissent pas se perdre dans le vent. Les chiens sont heureux. Après le syndicat, ils sont la passion du couple. « À cause d’eux, nous ne partons jamais loin de la maison », dit Linda, sans regrets. Ils ont participé à des épreuves canines mais, lorsqu’au fil du temps, l’esprit de compétition l’a emporté sur la bonne ambiance, ils se sont retirés. Plusieurs générations de chiens se sont déjà succédé dans la petite maison de Beveren. Linda et Guido leur ont installé une confortable niche. Leurs chiens sont comme des coqs en pâte. Dans un coin du jardin ils ont enterré les cendres de ceux qui sont morts mais qu’ils n’oublient pas.

Le nez rouge, les pommettes gercées, il est temps de se réchauffer. Café et tarte pour clôturer l’après-midi. Sur la tasse chaude, les doigts engourdis se détendent. Et la discussion reprend. Le syndicat n’est jamais loin de chez Linda et Guido. Mais Cossy et Farouk veillent. Pour faire du bien à leurs maîtres, ils les forcent à aller souffler de temps à autre dans les champs.

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Métal, pays à bas salaires…

La restructuration annoncée par la direction du groupe Bekaert était destinée, disait-elle, à faire face à l’effondrement du marché, provoqué par la baisse des ventes et par la concurrence des pays à bas salaires, dont la Chine. Sur les 1.250 emplois menacés, 609 furent finalement perdus. Le site de production d’Aalter, le lieu même où le fil de découpe pour panneaux photovoltaïques est né, n’est

plus qu’une fraction de ce qu’il a été. Les travailleurs qui se sont investis pour Bekaert des années durant sont amers : « Nous avons exporté notre savoir-faire. Et voilà que la Chine inonde le monde de matériel bon marché. Ils gagnent gros. L’usine de Bekaert en Slovaquie est également bénéficiaire. Nous, ici, on a tout donné. On nous a tout pris. Et à l’heure où tout le monde parle d’énergie renouvelable, dans ce pays, on réduit les subsides pour les panneaux solaires ».

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Kenneth

§ Kenneth, le militant

« Il y a le Kenneth d’avant février et celui d’après février. La direction me l’a aussi dit : je me suis endurci », dit Kenneth en soupirant. Le silence se fait dans le local syndical. Le délégué semble goûter cet instant de paix. Il n’y en a pas eu beaucoup depuis le début de 2012. Depuis que Bekaert a annoncé un vaste plan de restructuration. À Aalter, 200 personnes ont perdu leur emploi sur-le-champ, 170 ont obtenu une prolongation d’un an de leur contrat. Seuls 103 emplois sont maintenus. Une catastrophe.

Kenneth a passé des mois éprouvants. Le 2 février, il a appris que 80 % de Bekaert Aalter (qui fabrique des fils et clôtures métalliques) allait être fermé. La décision était sans appel. « On n’en croyait pas nos oreilles. Jusqu’alors, nous n’avions eu que des informations rassurantes de la direction : nous avions un savoir-faire irremplaçable. Pourquoi s’en faire ?, nous disaient-ils. Et soudain la bombe est tombée. Dans un premier temps, j’ai été si dégoûté par les dirigeants que j’ai refusé de m’assoir à la table de négociation. Mais impossible de faire autrement : il faut bien parvenir à un plan social. Alors on s’y est mis. On a fait tout ce qu’on pouvait. »

« Il faut être partout : aux réunions, auprès des équipes qui travaillent le weekend, aux sessions d’information, … Votre vie privée est réduite à néant », témoigne Kenneth. Sa compagne et sa fille Lara (trois ans et demi) on dû se passer de lui. « Pourtant, c’est elles qui m’ont soutenu, qui m’ont donné la force de poursuivre le boulot. Et j’ai tenu bon, je suis retourné au front pour soutenir les autres à mon tour. »

Kenneth est encore un bleu à l’ABVV-FGTB. « L’année dernière, le délégué a entamé un parcours d’employé. C’est moi qui l’ai remplacé chez les ouvriers. Je n’avais que 25 ans. La restructuration nous est tombée dessus alors que je n’avais qu’un an d’expérience. J’ai appris mon rôle au fur et à mesure, sans m’en rendre vraiment compte, chemin faisant. »

La tempête est passée. S’agit-il d’un calme provisoire ? Ce à quoi Kenneth aspire aujourd’hui, c’est de travailler, tout simplement. « Je veux avoir à nouveau une clé entre les mains, ne penser qu’à mon boulot, rien d’autre. »

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Alors, que pouvons-nous faire pour résister à la concurrence des pays à bas salaires ? En appeler aux organisations internationales et plaider pour des salaires décents et des conditions de travail dignes pour les travailleurs de ces pays. L’Union européenne doit évoluer vers une plus grande solidarité salariale. Il faut obtenir des mesures empêchant les employeurs de jouer la concurrence entre les travailleurs de pays différents. Nous sommes au XXIème siècle, nous ne

pouvons tout de même pas accepter que le bien-être des uns signifie la ruine des autres ?

En plus de cela, il faut investir. Partout on nous dit que la Belgique doit devenir une économie basée sur le savoir. Il s’agit d’investir dans l’avenir.

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§ Kenneth, côté jardin

« Avant 19 heures, il y a Bumba et K3 à la télé. Après, place à la musique que j’aime. Metallica, Manowar, … », dit Kenneth, les yeux qui brillent. Dans un coin du salon, la guitare Ibanez et l’ampli Fender attendent de donner de la voix. « Mon rêve, c’est de jouer vraiment bien de la guitare. Mais il faut du temps, idéalement une heure ou deux tous les jours, au moins. Et ces derniers mois, j’ai eu peu de temps… »

L’été, Kenneth parcourt les festivals. Graspop à Dessel est un de ses préférés : « c’est un genre unique, un public incomparable composé de gens de tous les âges qui apprécient la même ambiance. C’est un fabuleux moment de détente. Il y a des gens qui pratiquent la boxe ou le sport. Moi, c’est les festivals, le crowdsurfing et les wall of death. Je m’éclate et je soigne mon côté rebelle. Je pense que parfois il est bon de n’en faire qu’à sa tête ! »

Le mieux, c’est quand son frère ou des amis l’accompagnent. « C’est toujours plus amusant en groupe. La musique reste le motif principal. Et la première chose que je fais dès que je rentre d’un concert, c’est jouer de la guitare. »

Une fois, par défi, Kenneth s’est produit en public. « Je me suis exercé un mois durant, j’avais les doigts tout bleus », se souvient-il. Les spectateurs ont apprécié le spectacle… « Je pensais que le stress serait trop fort mais, grâce aux formations syndicales, ça a été plutôt bien. Et puis, le bassiste m’a dit une star du rock ne peut pas se permettre de stresser. Je m’en souviens à chaque fois que je dois prendre la parole devant une assemblée syndicale. »

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Travail régulier et pouvoir d’achat

Travail flexible, contrats à temps partiel, recours aux travailleurs intérimaires sans régularisation de leurs contrats après les trois mois réglementaires. Voilà quelques exemples de problèmes récurrents dans le secteur de l’horeca et des services de l’alimentation. En réalité, nous assistons à une véritable dérégulation du marché du

travail. Résultat : de nombreux travailleurs de ce pays vivent aux marges du seuil de pauvreté, même lorsqu’ils ont un emploi.

Dans ce secteur également, les contrats de travail à durée indéterminée devraient devenir la règle. Quant aux conditions de travail flexible, elles devraient faire l’objet d’une négociation collective afin de limiter le plus possible les abus qui se répandent.

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Rosita

§ Rosita, la militante

« Je parcours la région autour de Gand avec ma camionnette. Le long de ma route, dans les entreprises, je remplis les automates de cannettes de boisson, de friandises et de café. Tous les lundis et jeudis, je refais le plein de provisions au stock. C’est un boulot pour lequel il faut être très indépendant : on bosse seul et les responsabilités sont conséquentes. On est rappelé à l’ordre au moindre souci », raconte Rosita.

À 43 ans, Rosita élève sa fille seule, « ce qui signifie travailler dur pour gagner ma vie et pour offrir un avenir à ma fille Nathalie. Cela signifie aussi ne jamais tomber malade car il n’est pas possible de joindre les deux bouts en vivant de la sécurité sociale ». Rosita aime évoquer l’exemple de son père, un ancien ouvrier du port, lui aussi impliqué dans la vie syndicale. « Il a été un bon père pour moi. À mon tour, je tente d’être une bonne mère pour ma fille. »

C’est une ancienne collègue qui a appris à Rosita « qu’il faut s’investir pour les gens. Il y en a trop qui n’osent pas se défendre, qui redoutent de perdre leur emploi. Alors moi, je leur parle, je leur dis qu’ils peuvent s’adresser à leur déléguée, à moi en l’occurrence, en cas de problème. Je suis là pour eux, je ne dois avoir peur de rien ».

La déléguée n’hésite pas, si nécessaire, à frapper à la porte de la direction, à prendre la défense de ses collègues. Toujours aimable, elle est également décidée. « Je le fais parce que je crois que je le fais bien mais aussi parce que l’idée qu’on puisse abuser des gens me révolte. Ceci dit, en tant que déléguée, j’estime que je dois entendre toutes les versions d’un problème, y compris celle de la direction. Un employeur doit savoir reconnaître ses torts. La même chose vaut pour un travailleur. Et ça non plus, je n’ai pas peur d’en parler. »

Le travail, sa fille, ses responsabilités syndicales, … La vie de Rosita est bien remplie. « Mais heureusement, je ne suis pas seule : notre centrale est fantastique, il y a là des gens toujours prêts à aider, on peut toujours compter sur eux. » Rosita n’adore pas les manifestations mais de temps en temps, pas moyen de faire autrement pour se faire entendre. Et puis « défendre une cause, monter au créneau pour les travailleurs, pour l’avenir de ses enfants, c’est pas beau ? »

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Autre combat : l’allongement des préavis. Il arrive trop souvent que les employeurs embauchent ou licencient de façon tout à fait arbitraire. L’harmonisation des statuts entre ouvriers et employés est urgente dans le secteur afin d’éliminer les nombreuses discriminations.

Ces dernières années, la crise a mis pas mal de gens en difficulté. Il faut tout

faire pour éviter qu’ils ne tombent dans la pauvreté. Pour Rosita, le système belge d’indexation des salaires doit être maintenu de même que la liberté de négocier une norme indicative (ndlr : pour pouvoir rediscuter d’une éventuelle augmentation des salaires).

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§ Rosita, côté jardin

« Les loisirs ?... ». Lorsqu’il reste du temps pour se détendre, Rosita va nager ou passer un moment avec ses amis. Il lui arrive de s’offrir un jour à la côte, avec son père. Mais le summum du bonheur, c’est de voir un film ! « Ma grand-mère ne pouvait pas se passer de télévision, rien que le bruit de la télé suffisait à la rendre heureuse. Moi aussi je suis une fana du petit écran. Et un bon film, il n’y a rien qui surclasse ça ! Mais attention, il faut qu’il y ait une vraie histoire, et pour certains films, ça vaut la peine d’aller au cinéma, pour Le Seigneur des anneaux par exemple, ou pour des films en 3D ! » Sa fille Nathalie aussi aime le cinéma. Ces derniers temps, elle y va surtout avec son copain…

Rosita aime les classiques, les sorties récentes, les films d’horreur, les comédies romantiques. « J’adore le cinéma. Il représente quelques heures de détente, où on oublie tout le reste. Plus de soucis, plus de travail, même plus de syndicat. »

À Gand, nous nous rendons au Decascoop. C’est dans ce cinéma que Rosita a fait ses premiers pas dans le monde du travail. À l’époque, il s’agissait d’un job d’étudiante. Après le boulot, pour trois fois rien, elle avait le droit de s’installer dans la salle obscure. « Le premier film que j’ai vu seule est Le Lagon bleu. J’y suis retournée sans cesse un mois durant, jusqu’à ce que je connaisse toutes les répliques par cœur. » En entrant dans le cinéma, Rosita salue la dame à la caisse. « Il me reste beaucoup d’amis ici, de l’époque où j’y travaillais », commente-t-elle.

Robert Pattinson, qui tient un des rôles principaux dans Twilight, est l’un de ses acteurs favoris. Rosita ira bientôt voir le dernier film de la série avec une amie. Les vampires, elles les préfèrent à l’écran.

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Une vocation, pas une punition

Un accord fédéral sur les soins de santé dépassé, le manque criant de personnel, la diminution du pouvoir d’achat des travailleurs, l’environnement professionnel et les conditions de travail qui se détériorent rendent une carrière dans les soins de santé de moins en mois attrayante pour les jeunes.

Pour de nombreuses personnes, travailler dans ce secteur est, à la base, une vocation. Elles sont prêtes à donner le meilleur d’elles-mêmes pour les plus faibles de la société, les malades, les personnes âgées, les handicapés,… Ne serait-il pas normal qu’elles soient reconnues et rétribuées pour cette fonction cruciale ?

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Yalda

§ Yalda, la militante

Yalda ne sait plus où donner de la tête : « Je travaille dans un grand hôpital qui emploie plus de 8.000 personnes. Ces dernières années, je suis de plus en plus sollicitée. Les gens savent que je ne lâche pas le morceau avant d’avoir trouvé une solution aux problèmes, donc ils se tournent vers moi. Et des problèmes, il y en a, surtout parmi les travailleurs les moins formés. »

Il y a six ans, des collègues du département administratif ont demandé à Yalda de représenter le syndicat dans l’hôpital. Yalda incarne la douceur, son sourire est chaleureux. Mais elle n’a pas froid aux yeux, elle n’abandonne jamais et elle est franche. Elle s’investit pour les autres. « C’est de famille. Je suis comme mon frère et ma sœur. On nous a appris à ne jamais renoncer ».

Yalda a donc accepté la demande de ses collègues et est devenue déléguée. Elle siège également au comité d’entreprise, au comité pour la prévention et la protection au travail et dans un certain nombre de groupes de travail. « J’ai une vie bien remplie, et je suis également mère de deux enfants. Heureusement, mon mari Patrick, qui est infirmier spécialisé en cardiologie dans cet hôpital, aide beaucoup. Pour le reste, nous répartissons au mieux toutes les tâches. »

Comment y parvient-elle ? Yalda ne considère pas les choses sous cet angle. « C’est un choix, une question de responsabilités que l’on prend. Il est indispensable que les gens sachent qu’ils peuvent s’adresser à quelqu’un, une personne qui s’investit pour eux. »

L’action de Yalda ne s’arrête pas aux portes de l’hôpital où elle travaille. Il y a peu, elle arpentait le trottoir en compagnie d’autres militants, devant le ministère des Affaires sociales. Il s’agissait de « maintenir la pression » car « nous ne sommes pas entendus ». Le secteur des soins de santé stagne depuis des années : il y a trop peu de personnel, trop peu de moyens, des journées trop longues, beaucoup de pression. Quel comble dans un environnement consacré aux soins ! Le patient en pâtit aussi. Lors des réunions au ministère, au travail et entre syndicalistes, Yalda tente de mettre les situations tendues que vivent ses collègues à l’ordre du jour, pour amorcer un changement. Petit à petit, elle veut parvenir à un environnement de travail plus sain à l’hôpital, à des conditions de travail plus équitables dans les soins de santé. Si nécessaire, elle retournera à Bruxelles, jusqu’à ce que la ministre ait entendu les travailleurs.

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Il n’en est rien. Les salaires n’évoluent plus depuis des années, la pression au travail est énorme et il reste peu de temps pour la famille et la détente.

La situation est particulièrement tendue au niveau des soins que nous apportons aux aînés et le vieillissement de la population ne fera qu’empirer les choses. Durant les week-end, certains services

dans les hôpitaux tournent avec un personnel très réduit. Ce n’est rassurant pour personne.

Pour éviter que ceux qui ont besoin de soins soient de plus en plus livrés à leur sort, il faut coûte que coûte assurer au personnel des hôpitaux et des maisons de soins des conditions de travail décentes.

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§ Yalda, côté jardin

« Nous sommes des gens comme les autres, nous avons besoin de nous détendre de temps en temps. Et lorsqu’on s’investit beaucoup pour les autres, il faut par moment savoir prendre soin de soi. » Lorsque le travail est fini, s’il ne faut pas conduire les enfants au solfège, au cours de piano ou au basket, Yalda aime se balader, à vélo ou à pied, avec sa famille. La promenade en plein air, dans la nature, est une bonne occasion pour reprendre le fil, de se retrouver, de parler du boulot, de l’école, …

S’il lui reste un peu de temps, Yalda se précipite au fitness. Avant, elle y allait souvent. Aujourd’hui, c’est plus difficile. Mais quel bonheur lorsque c’est possible ! Dans la salle, elle évacue les soucis quotidiens, elle se vide la tête. Une ou deux heures durant, elle ne s’occupe de rien d’autre que d’elle-même, elle lâche prise.

« Il arrive que Patrick et moi prenions un petit jour de congé », explique Yalda. « D’abord nous conduisons les enfants à l’école puis nous prenons sans nous presser un petit déjeuner gourmand. Ensuite, nous allons au sauna. Bain de chaleur, jacuzzi, nager. Ça fait un bien fou. Lorsque c’est possible, les grands-parents se chargent des enfants, ce qui nous permet de prolonger un peu et de faire encore un petit restaurant avant de rentrer. Nous apprécions beaucoup ces journées de détente. Elles sont indispensables à notre équilibre. Les enfants savent que nous sommes engagés. Ils sont fiers de nous et des responsabilités que nous avons prises. Ils comprennent bien que de temps à autre, nous devions souffler et ils sont heureux de ces moments que nous consacrons à nous-mêmes ».

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En finir avec le dumping social

Les sociétés de transport n’hésitent pas à abuser de la règlementation européenne. Selon la directive sur le détachement des travailleurs, un travailleur détaché doit être payé selon les règles du pays où il est employé. Mais la directive est si floue que de nombreux chauffeurs de l’Europe de l’Est sont employés pour un tiers du

salaire de leurs collègues d’Europe de l’Ouest, tout en vivant séparés de leurs familles des semaines durant. Ensuite, ils ont droit à quelques jours de répit puis ils reprennent la route. Nous nous retrouvons sans emploi et on subit d’énormes pressions. Il faut, pour commencer, réformer la directive sur le détachement des travailleurs afin d’éviter les abus.

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Jean-Marie

§ Jean-Marie, le militant

Des camionneurs belges, néerlandais, français, luxembourgeois, allemands, … sont rassemblés au Heysel. Ils en ont marre de subir le dumping social qui sévit dans le transport et ils le font savoir. Jean-Marie, 56 ans, délégué depuis 13 ans, est là aussi. « En tant que délégué, je m’occupe de tas de problèmes : de la sécurité, des différends avec la direction, du paiement d’arriérés de salaire, … En fait, c’est un boulot à plein temps. Heureusement qu’il y a une bonne équipe syndicale pour nous soutenir », soupire-t-il. Ses traits tirés en disent long sur les difficultés actuelles dans sa profession.

Les camionneurs protestent contre la concurrence déloyale que leurs propres employeurs leur imposent en embauchant des chauffeurs d’Europe de l’Est. Ces hommes, parce qu’ils n’ont pas le choix, prennent la route pour des salaires de misère et acceptent des conditions de travail indignes. « Ils travaillent pour un salaire de 400 à 500 euros par mois. Alors les sociétés de transport nous trouvent trop chers. On nous rend la vie impossible pour que nous quittions la profession et pour nous remplacer par des chauffeurs polonais et slovaques », explique Jean-Marie.

L’homme se lève à 4h30. Une heure plus tard, il est au travail. Généralement, il charge puis décharge son camion à Anvers ou à Gand. « À 14h00, je suis de retour mais on me renvoie à la maison sous prétexte qu’il n’y a plus de chargements. En réalité, le travail a été confié à des chauffeurs de l’Est, une façon de ne pas avoir à nous payer. Un membre de la direction m’a déclaré qu’un chauffeur qui gagne plus de 1.800 euros par mois vit au-dessus de son niveau. »

« Ce n’est pas l’économie de marché qui pose problème, peste Jean-Marie. C’est l’absence de règles qui pose problème. Nous ne sommes pas ici pour réclamer une hausse de nos salaires, nous ne demandons que des salaires égaux pour un travail équivalent en Europe. Pour nous, chauffeurs de l’Ouest, la vie est dure mais pour un Roumain qui ne gagne que quelques centaines d’euros et travaille sans interruption des semaines durant, ce n’est pas une vie non plus. » Voilà pourquoi Jean-Marie est à Bruxelles aujourd’hui. Même si ça signifie encore un jour sans salaire.

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Ensuite, il faut veiller au respect des règles de cabotage (les camions doivent obligatoirement retourner dans leur pays d’inscription entre le déchargement d’un fret et le chargement d’un nouveau fret). Enfin, il faut s’attaquer au problème de la disparité des salaires et exiger l’instauration d’un salaire minimum au niveau européen.

L’Europe a permis la libre circulation des biens, des services et des personnes. Mais l’ouverture des frontières sans harmonisation sociale et fiscale génère trop d’inégalités. Les sociétés de transport de l’Europe de l’Est (souvent, elles n’ont chez nous qu’une boîte postale) envahissent le marché. Les chauffeurs de l’Europe de l’Ouest, donc nous, en payons les frais.

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§ Jean-Marie, côté jardin

« Je sépare facilement travail et vie privée », dit Jean-Marie. « Sur le terrain, je m’apaise. Je ne pense plus rien à d’autre qu’à la balle ». Le terrain, c’est un golf, non loin de Gand. Et en effet, Jean-Marie semble entièrement absorbé par son « swing ». Les soucis n’ont plus prise sur lui.

Équipé de ses « clubs », Jean-Marie traverse de superbes paysages. Il revient à lui et retrouve une forme d’équilibre dans les dunes ou les bois, entre deux « holes ». Un parcours complet lui prend plusieurs heures, il marche près de huit kilomètres. Lorsqu’il rentre, il a rechargé ses batteries.

Le plaisir ne serait pas complet sans amis. Il y a par exemple ceux du groupe « Les Boulets » : des amateurs français et belges qui s’affrontent chaque année en équipes nationales lors d’une rencontre amicale. Pour l’instant, la coupe est entre les mains des Français. À l’issue du parcours, les compères mangent ensemble. « Comme la troisième mi-temps, nous prenons l’après-golf très au sérieux », confie Jean-Marie avec un grand sourire.

« On y rencontre toutes sortes de gens. Des chefs d’entreprise et des syndicalistes. J’ai par exemple joué avec un Français du syndicat CGT. Au golf, peu importe qui vous êtes, quel travail vous faites. On ne parle pas de travail sur le terrain. »

Parfois, le golf entraîne Jean-Marie à l’étranger. « France, Allemagne, Pays-Bas, … L’année prochaine, nous irons en Grande-Bretagne. Là, c’est un sport très commun. Il y a des tas de pubs qui disposent de leur propre petit parcours. Chacun y est le bienvenu. »

D’un mouvement souple, Jean-Marie envoie la petite balle blanche dans les airs. Elle tombe quelque 150 mètres plus loin, dans le gazon, en direction de l’autoroute. Un camion bleu traverse le paysage. « Tiens, un véhicule de notre entreprise », dit Jean-Marie. « Conduit par un collègue polonais », ajoute-t-il.

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Un acier vert et social

Dans le bassin liégeois, les usines Cokerill forment une haie d’honneur de métal aux flots de la Meuse depuis deux siècles. Acteur phare de la révolution industrielle, les entreprises Cockerill furent aussi le théâtre des combats syndicaux. De la révolte ouvrière de 1886 aux luttes pour contrer l’arrêt de la phase à chaud en mai

2009, en passant par la grève générale de 1936, les ouvriers et syndicats de la sidérurgie ont défendu les acquis sociaux. Aujourd’hui, malgré un acier de plus en plus en proie aux concentrations de capitaux et aux jeux spéculatifs, la FGTB cherche un avenir à la sidérurgie. « Nous participons au développement d’une sidérurgie de plus en plus propre, explique

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Robert

§ Robert, le militant

Place communale à Seraing, il est 10h49. La mobilisation citoyenne est prévue pour 10h et pourtant la foule afflue encore. Robert est à quelques mètres des orateurs, sur les marches de l’Hôtel de ville.

- « Tu vas prendre la parole ? »

- « Non. Je n’ai plus de voix. »

Vissée sur le front, la casquette floquée « Robert » masque difficilement son regard bleu. Robert est délégué syndical depuis 1997 et président de la délégation métallos FGTB depuis trois mois. Sacré baptême du feu.

Début du mois, ArcelorMittal a annoncé la fin de la phase à chaud liégeoise. Six cents emplois menacés. Et la crainte que la phase à froid suive avec des milliers d’emplois perdus dans la région. [N.D.L.R. : entre-temps, la crainte s’est avérée. Une moitié de la phase à froid a été condamnée entraînant la perte de 1.200 emplois directs et des milliers d’emplois indirects dans la région liégeoise]

« Tous ensemble ! Tous ensemble », on se croirait dans un stade. La foule a affublé d’une chasuble rouge la statue de Cockerill qui trône sur la place.

Pour Robert : « Nous sommes déjà victimes, on n’a plus rien à perdre. Il y a eu une onde de choc à l’annonce mais on est vite retombé sur nos pattes. On est dans le couloir de la mort. Il y a un mois, les patrons félicitaient le personnel pour leur productivité. Aujourd’hui, ils les virent. Le problème ce sont les outils, pas les travailleurs. » Des travailleurs de France, d’Allemagne, de Grande Bretagne sont venus soutenir les Liégeois et leur témoigner leur solidarité. L’Europe syndicale de la métallurgie craint des fermetures en cascade. Personne n’est à l’abri.

La manifestation se termine. Robert multiplie les accolades. Il connaît tout le monde. Les syndicalistes d’Interbrew lui témoignent un soutien indéfectible : « Appelle-nous. Même la nuit. On est tous très sensibles à ce qui vous arrive. » Robert est un rassembleur, un leader de terrain. Il sait que l’image du syndicat a été écornée. Trop de grèves, sans communication pour expliquer les mobilisations. Mais le vent tourne. « Maintenant c’est le patron qui arrête l’outil ! Les combats changent. On a pris des coups, maintenant on travaille en réseau. »

La discussion s’achève avec les Français de la CGT, autour d’un verre de l’amitié.

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Georges Jespers, président du groupe syndical d’ArcelorMittal en Europe. Les nouvelles technologies par exemple sur le revêtement sous vide mis au point à Liège feront en sorte qu’il y ait des produits de peinture avec moins de rejets, moins de consommation d’énergie. Les usines réduisent leurs émanations polluantes. Des aciéries électriques pourraient

voir le jour vers 2020 ». De quoi parler d’acier propre ? « Le secteur pollue, c’est indéniable et nous en sommes conscients. » Et de plaider la patience. « Aujourd’hui, supprimer l’acier chez nous voudrait dire le produire sur d’autres continents, avec des performances qualitatives et environnementales moindres. »

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§ Robert, côté jardin

Il habite dans un quartier populaire jadis dévolu aux mineurs, sur les hauteurs de Seraing.

Le principe de Robert à la maison, c’est comme au boulot : « seul, on n’est rien ».

Alors à 51 ans, il agrandit encore l’équipe. Ilona (8 ans) et Théo (2 ans et demi) accueilleront bientôt Anna. Céline, la compagne de Robert, est d’origine macédonienne grecque. Ce qui explique les noms. Elle connaît bien son compagnon. Sa gestion du stress ? Il reste calme. Il se referme. Robert parle peu de lui, de ses cicatrices, ses douleurs. L’éternel silence des hommes. Sa maman récemment décédée habitait dans le coin, à deux pas de chez lui. Il la voyait parfois arpenter la rue. Il lui arrive encore de scruter le trottoir, se surprenant à la chercher sur le pas de la porte.

Clochette, le bichon blanc d’Ilona, aboie. Luc est de passage. Le frère. Le double. Jamais bien loin de Robert. Avec lui, Robert monte réparer un toit : « On est les meilleurs à nous deux. On décompresse, on fait le vide », Robert tente l’escalade (sans doigts, une déformation de naissance). Robert parcourt 120 kilomètres à vélo et ils sont tellement biens qu’ils ne parlent pas boulot (mais ça, Céline n’en croit pas un mot). Au mois d’août, pendant quatre jours, ils louent un gîte avec des amis, des ouvriers prépensionnés, un ami luxembourgeois, des amis syndicalistes. Robert est toujours en mouvement.

Et bientôt, Robert déménagera. Après l’arrivée d’Anna. Avant le froid. Entre les vélos et les toits.

Mais toujours en équipe.

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Conduire jusqu’à l’usure ?

Les conducteurs des TEC – Namur ont participé à la grève générale lancée par le front commun syndical contre les mesures d’austérité du gouvernement Di Rupo. L’accord du gouvernement belge, fait payer le déficit public aux travailleurs

et aux allocataires sociaux. Parmi les mesures qui fâchent, la réforme des pensions qui amènera tous les travailleurs à travailler un peu plus longtemps.

Pour Fred, cela signifierait conduire son bus jusque 65 ans, car il n’y a pas beaucoup de postes où un senior pourrait

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Fred

§ Fred, le militant

Il est près de quatre heures du matin. La nuit enveloppe le dépôt de Flawinne. Des bus attendent des conducteurs qui n’arrivent pas. Les travailleurs ont décidé un arrêt de travail. Un petit groupe de personnes se rassemble autour de tentes. Les bâches rouges et vertes sont déjà tendues sur les grilles. On prépare le café, on installe un barbecue, on discute.

Cela fait un an que Frédéric est délégué. Cela fait dix ans qu’il est conducteur de bus au TEC. Dix ans que tout se complique. La circulation de plus en plus dense, les gens de plus en plus difficiles. Le centre ville, c’est une autre mentalité. Il y a maintenant les zones de rencontre, les slaloms entre les camionnettes qui déchargent. « Je travaille ! » qu’ils hurlent. Fred n’en croit pas ses oreilles. « Et moi, je suis un car de touristes !? ». C’est beaucoup de stress, 40 heures par semaine, mais il préfère l’animation à un bus vide.

C’est le premier jour où il fait vraiment froid. Des palettes alimentent un feu salvateur. Avec le lever du soleil, les grévistes arrivent. Tout le monde se fait la bise. Tout le monde a rejoint le mouvement. Parmi les conducteurs de bus, des ingénieurs civils ou agronomes.

Le délégué tunisien a apporté des merguez. Elles proviennent d’une boucherie hallal, avenue des Combattants. « Délicieux li poulet” se marrent les collègues.

Malgré la grève, malgré les perspectives aussi glaciales que le temps, les conducteurs sont contents de se retrouver. « C’est un métier solitaire » explique Fred, scrutant les saucisses qui explosent sur la grille. « Moi, en tant que nouveau délégué, j’essaie de remotiver les troupes. »

C’est le premier jour de neige.

- « Tu te vois chauffeur toute ta vie ? »

- « Ca dépend jusqu’à quel âge. »

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être quelque peu préservé. Son collègue Jean, gagne sans prime et sans week-end, 1350 euros net après 14 années de travail. Depuis 2009, les salaires ne sont plus indexés du % supplémentaire. L’emploi est préservé, mais le service est réduit. “Des parcours sont supprimés, explique Johan Lambert, permanent

syndical du secteur. Les TEC économisent sur les kilomètres. Alors qu’on prône les transports en commun, on réduit leurs perspectives. On ne sait plus développer quelque chose, on est dans un syndicat défensif. On limite la casse.

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§ Fred, côté jardin

- « Et là, il fait combien ? En kilos et taille je veux dire ? »

- « Oula oula ! C’est pas moi qui tiens les comptes… »

Il y a d’abord le lever. Fred est en congé. Son seul jour de la semaine de Carnaval. Il s’occupe de Clément, dix mois. A pied d’œuvre dès huit heures, le papa est prêt. Exceptionnellement, Clément se réveille à dix heures. Comment font-ils pour sentir les jours où l’on pourrait faire grasse mat’ ?

Fred a beau faire partie des papas modernes, l’aide mémoire d’Emilie est utile pour ne pas foirer les soins. Muco-Rhinathiol, Thymoseptime traînent sur la table. Aérosol matin et soir pour faire taire la respiration qui siffle comme un train de nuit dans le Far West. Une semaine auparavant, Clément était monté à 40 de fièvre. Panique dans la maison et direction hôpital. Une méningite ? Une tuberculose? Le paludisme fulgurant ? Une dent. A peu de chose près, Fred et Emilie rataient leur Saint-Valentin. C’eût été dommage, parce que des restos, des cinémas, des sorties concert, ils n’en font plus trop.

Fred est un papa heureux. Il a toujours voulu avoir des enfants.

Clément a de grands yeux et sa sœur Manon a trois ans et demi. Il y a un toboggan rouge et jaune qui les attend dans le jardin. Et un peu plus loin, une maison miniature. C’est encore un peu trop tôt pour le gamin mais il fouinera dans le jardin, c’est sûr. Un « curieux de nature » décortique son père. Un archéologue en puissance ? « Moi j’étais pas trop doué pour les études. Je m’en mords un peu les doigts. Alors on l’encouragera mais je ne déciderai rien pour lui. A lui de voir. » Fred sait déjà que l’autorité, on la perd quand on en abuse. « Etre parent, c’est comme être syndicaliste, il faut savoir négocier. »

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Des salaires enfin dignes

Régine travaille dans une entreprise agréée titres-services. Elle y a un contrat de 32 heures, ceci afin que la société ait plus de personnel et gère ainsi plus facilement les absences. Nettoyage,

couture, cuisine, petites courses, elles font tout. Enfin « ils » font tout, parce qu’il y a aussi quelques hommes.

La revendication la plus importante du secteur est salariale. Alberta travaille depuis 8 ans dans une même boîte à

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Régine

§ Régine, la militante

Le groupe se réunit au siège de la FGTB Charleroi pour une action surprise. Il est 7h30, il y a du monde. Des femmes, des aînés, des jeunes, des gens en cravate, d’autres en keffieh.

Le cortège se met ensuite en route à 8h30 direction une grosse banque. La marée rouge rejoint les verts et les bleus pour une action en front commun syndical.

« On n’irait pas à l’avant ? » demande Régine. Ses amies, syndicalistes dans les titres-services, la suivent. Elles ne sont pas nombreuses dans le secteur à faire grève. Certaines ont peur de perdre leur emploi. Et puis faire grève, c’est perdre de l’argent. Les femmes seules avec enfants, elles font comment ?

« Bon, c’est pas tout ça mais on va se mettre à l’avant » décide Régine. Ça démarre vite. La foule syndiquée fond sur les portes de la banque. On se trouve dans l’accueil. Les employés au guichet s’esquivent. Les portes vers les bureaux sont déjà verrouillées.

A 9h13, alors que la plupart des syndicalistes attendent la suite des événements, Régine contourne le bâtiment avec un petit groupe. Une autre entrée clients existe. Des militants sont déjà passés mais la porte s’est refermée sur eux. De part et d’autre du sas sécurisé, il y a des militants et des employés. La porte s’ouvre pour faire rentrer les employés. Les manifestants en profitent.

On monte les escaliers. « Oh purée ! » Régine reprend son souffle au troisième étage. Les employés regardent médusés les militants se promener sur les plateaux de travail. L’un d’eux plaisante par mail avec ses collègues : « nous sommes pris en otage ! », et chacun reprend ensuite son travail comme si de rien n’était.

On redescend au premier étage. Le plateau est quasi vide. Cet étage vide s’explique par une restructuration raconte une ancienne. C’est une gestion structurelle répond un employé, l’espace sert de zone tampon pour accueillir des travailleurs en cas de travaux. Un vaste espace en paysager avec du chauffage et de l’éclairage, des dizaines de bureaux, une centaine de chaises. Un symbole de voir des militants occuper ce plateau vide. Régine discute avec ses amis quand Sébastien, le coordinateur de l’action, surgit : « On s’en va ». Tout le monde se met en route et sort. Dans le calme. Des policiers viennent d’arriver.

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temps plein. Elle gagne 1.400 euros par mois avec 11,85 euros de l’heure. Quand elle a commencé, elle gagnait 9,28 euros/heure. Les frais de déplacement sont pris en charge pour l’aller, mais pas pour le retour. Et elle a des trajets de Charleroi jusque Waterloo.

Et ça, Régine n’est pas d’accord. Elle est devenue déléguée pour défendre ses collègues. Elle travaillait auparavant dans une société de nettoyage qui a fermé pour cause de fraude. Il n’y avait pas de syndicat, les filles ne savaient pas se défendre. Ça a été le déclencheur.

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§ Régine, côté jardin

Rue des Carabiniers, il est 18h25, un panneau donne le ton : « JJJCR Ecole de judo, Salvatore Bugh & Do ». Comme pour les fournisseurs de la Cour, le panneau précise « fondée en 1962 ».

A la droite de la cour recouverte de gravier, la salle d’arts martiaux du village jouxte la bibliothèque du village. Alex y est professeur de Juji Tsu depuis trois ans. Ceinture noire. Cynthia, Jason et Priscilla entament leur première année. Leurs premiers mois même. Ceinture blanche. C’est d’abord Priscilla (10 ans) qui a débuté, suivie des deux grands, les jumeaux de 14 ans (mais ils ne se ressemblent pas). Avant ils ne faisaient pas de sport. « Faut les faire bouger » dit Régine. Elle vient souvent les voir. « J’aime bien les regarder. C’est logique non ? Ce sont mes enfants. » Sur ce, Cynthia accourt vers sa maman pour qu’elle resserre sa ceinture blanche. Une mère poule Régine.

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Même en prison, revenir à une qualité de travail

La réunion à laquelle prenait part Cosimo avait pour objectif de discuter des conséquences financières du maintien de 393 postes de gardien de prison. Nous sommes début 2012. Le climat est tendu

et les syndicats menacent de faire grève. Ils dénoncent une situation de plus en plus explosive dans les établissements pénitenciers avec un taux moyen de surpopulation de 20,2 % (en 2011), des bâtiments vétustes et inadaptés, un contexte de travail de plus en plus insécurisant. De moins en moins d’argent

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Cosimo

§ Cosimo, le militant

Cosimo se trouve au premier étage du ministère de la Justice, boulevard de Waterloo à Bruxelles. Une tablée hors proportion s’apprête à entamer des négociations ardues. Plus de quarante personnes, syndicalistes, experts, cabinettards, traducteurs, … Tous s’apprêtent à vivre une matinée studieuse mais aussi tendue.

Dix minutes plus tard, Cosimo s’allume un cigarillo sur le trottoir du boulevard. Tous les syndicalistes ont quitté la salle. Ils veulent des documents consolidés pour tous les secteurs de la justice, pour s’assurer que la sécurité des agents pénitenciers ne se concrétise pas sur le dos d’autres secteurs. On leur avait promis, ils ne les ont pas eus. Il n’y a pas de négociation possible.

Cosimo aime défendre des emplois, des conditions de travail. Tout en restant un militant de base. Il est d’ailleurs toujours surveillant pénitencier à Forest. Aujourd’hui, il reçoit le résultat des élections sociales. Il doute. Parce qu’on doute toujours : « A quel point ai-je déçu ? Les gens peuvent être ingrats. Si tu ne parviens pas à aider un collègue, tes neuf dernières bonnes interventions ne comptent plus. La base nous critique et il faut se battre avec la direction. Entre le marteau et l’enclume, nous n’avons jamais une place confortable. » Et pourtant ce n’est pas pour l’argent…

« J’ai 150 euros de frais de GSM d’appels syndicaux et c’est moi qui paie. Le lundi de Pâques, mon permanent d’Andenne m’a appelé. J’étais en famille, en train de faire un barbecue. J’ai planté mes proches un jour férié. Pourtant, on me prend pour un menteur si je dis que je ne gagne rien en étant délégué. On ne conçoit pas que ce soit par conviction. » Son téléphone sonne. Il obtient la première place à Forest suite aux élections sociales. Les collègues ont reconnu son travail : il est désormais élu délégué principal.

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et de plus en plus de détenus. « La prison de Forest accueille des internés, mais nous n’avons pas de formation pour les gérer. Ce sont des « patients », pas de des détenus ! »

Alors gardien de prison, un métier de fou ? Non. Cosimo reconnaît les

avantages. Avec les prestations, les pauses, les nocturnes, les jours fériés, un surveillant peut gagner 1.700/1.800 euros par mois, le tout avec une trentaine de jours de congés. Ce n’est pas négligeable. Mais il y a un prix à payer : c’est un métier dangereux.

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§ Cosimo, côté jardin

On discute ? On discute.

Ce sera forcément dans un resto sicilien. Cheveux noirs courts en bataille, le teint halé, le look calabrais, Cosimo porte ses 49 ans comme un crooner. La classe sans l’effervescence continue de mains qui parlent. Ce surveillant de prison est posé.

Il a grandi sur les hauteurs de Liège. Son père recevait sa paie le vendredi et revenait délesté de la moitié le samedi soir. Fin de semaine, le petit Cosimo filait demander du lait au voisin.

Petit, il allait à l’épicerie Biondi, un « saint cet homme-là ». Il notait dans son calepin ce que les familles de mineurs lui achetaient et elles le payaient chaque semaine. Cosimo se souvient des baraques à lapins à l’arrière, du terril jadis noir aujourd’hui vert, des WC au fond du jardin, et de l’odeur des lilas en fleurs. Les souvenirs reviennent. Enfant, sa maman lui mettait des crampons aux chaussures en hiver pour affronter la pente de la rue, aussi rude que le froid.

Quarante ans plus tard, Cosimo pose à l’entrée de la mine, là où il a si souvent attendu la remontée de son père. Le terrain est occupé par une pelouse verte impeccable. Le Golf de Liège. C’est de là que son père est ressorti une jambe broyée par un wagonnet.

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De meilleures conditions de travail

Au delà des accompagnements individuels, Martine s’engage en délégation syndicale dans les Conseil d’entreprise et Comité pour la prévention et la protection au

travail (CPPT). Au niveau national, Martine estime « très important de conserver l’acquis. L’enjeu principal n’est pas l’argent car C&A paie mieux que la plupart des concurrents. Le souci de Martine est

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Martine

§ Martine, la militante

Martine amène un cas particulier chez Elodie la juriste.

Il y est question de contrat IFA PME, d’un activa win win, de conditions particulières : une jeune travailleuse cesse de travailler le 30 juin suite à une succession de contrats, de deux ans de travail, d’un stage d’attente de 12 mois au lieu de 9. Les voies administratives paraissent insondables.

Au final, a-t-elle droit aux allocs d’insertion ? Oui !

Martine essaie de démêler les fils. C’est une grande partie de son rôle de syndicaliste, qu’elle a endossé il y a douze ans, au sein de l’entreprise C&A. De ses années de militance, elle a retiré un crédo : « Le tout, c’est de ne jamais foncer. » « Il ne faut pas exiger mais argumenter. Je suis contente quand j’apporte un contrat à durée indéterminée à une travailleuse. On fait de plus en plus dans le social. Beaucoup de travailleuses sont à mi-temps non choisi, mères seules, elles rament. J’ai même étudié les « chèques mazout » pour que les filles dans les conditions puissent l’obtenir via le CPAS. »

Martine consacre 12 heures de visite des filiales sur le mois. De Tournai à Verviers, les travailleuses posent des questions et Martine tente d’y répondre, d’améliorer le sort de chacune. Le sien ne progressera plus. Elle gagne entre 1.300 et 1.450 euros par mois. Après 20 ans, l’ancienneté est plafonnée. « Des promos, je n’en aurai plus jamais. J’ai longtemps été perçue comme la pomme pourrie du panier par la direction. Depuis peu, un autre gérant est en place, il a une autre vision. Je suis devenue un bon élément. » Et pour une fois, les filles sont d’accord avec la direction.

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de faire passer les contrats ‘B’ (signés après 1999) vers les ‘A’, qui bénéficient de meilleures conditions et d’avantages extra légaux.

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§ Martine, côté jardin

A la Citadelle de Namur. Le froid fige l’horizon, la brume laisse enfin place à un ciel laiteux que tente en vain de percer le soleil. En bas, la ville reste plongée dans l’ouate matinale.

Soyons francs. Elle n’a pas couru. Pas cette fois-ci. Elle sortait d’une opération, elle était convalescente. Alors elle a joué le jeu, enfilé son sweat fuschia assorti à ses baskets, puis a posé pour nous.

Martine adore le sport. C’est fondamental pour elle. Bien plus que l’expulsion d’un trop plein d’énergie, ces moments d’activité physique sont ses seuls instants sans stress. Elle recherche le vide. Martine fait deux fois par semaine du Power Plate. C’est une gym cardio. Une demi heure de pratique et on est épuisé comme si on avait couru une heure trente.

Avant la course et le Power Plate, elle s’était essayée au Thaï Bo, de la boxe musicale. Elle a aussi joué au mini foot. Fautes comprises parce que, paraît-il, les filles sont plus vaches. Avec la venue de Clara, Martine avait dû changer son fusil d’épaule. Parce qu’avant, Martine a été footballeuse à Namèche. Elle a passé douze ans en short sur les terrains d’herbe. Comme au syndicat, elle jouait en équipe. Comme au syndicat, elle était en défense.

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Toute reprise ou reproduction totale ou partielle du texte de cette brochure n’est autorisée que moyennant mention explicite des sources. Editeur responsable : Rudy De Leeuw © avril 2013

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D/2013/1262/11 - 13/1433