Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe …...En dernier lieu, si les attaques dont...

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Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale Rapport à la demande de Monsieur Édouard PHILIPPE Premier Ministre Établi par Raphaël GAUVAIN Député de Saône-et-Loire Parlementaire en mission (LO144) Claire D’URSO Inspectrice de la Justice Alain DAMAIS Inspecteur des Finances Avec l’assistance de Samira JEMAI Collaboratrice au Groupe LaREM - 26 JUIN 2019 -

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RétablirlasouverainetédelaFranceetdel’Europe

etprotégernosentreprisesdesloisetmesuresàportéeextraterritoriale

RapportàlademandedeMonsieurÉdouardPHILIPPE

PremierMinistre

Établipar

RaphaëlGAUVAINDéputédeSaône-et-Loire

Parlementaireenmission(LO144)

ClaireD’URSOInspectricedelaJustice

AlainDAMAISInspecteurdesFinances

Avecl’assistancedeSamiraJEMAI

CollaboratriceauGroupeLaREM

-26JUIN2019-

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S YNTHE S E

LesÉtats-Unisd’Amériqueontentraînélemondedansl’èreduprotectionnismejudiciaire.Alorsque la règle de droit a, de tout temps, servi d’instrument de régulation, elle est devenueaujourd’huiunearmededestructiondanslaguerreéconomiquequemènentlesÉtats-Uniscontrelerestedumonde,ycompriscontreleursalliéstraditionnelsenEurope.

Les sixmois d’investigations et d’auditions réalisées par lamission ont permis de dresser unconstat largement partagé par les interlocuteurs rencontrés: les entreprises françaises nedisposent pas aujourd’hui des outils juridiques efficaces pour se défendre contre lesactions judiciaires extraterritoriales engagées à leur encontre, que ce soit par desconcurrents ou par des autorités étrangères. Elles sont dans une situation de très grandevulnérabilité, les autorités françaises donnant depuis de longues années le sentiment de lapassivitéetl’impressiond’avoirrenoncé.

Depuis la findes années90, on a assisté àuneproliférationde lois àportée extraterritoriale,essentiellement d’origine américaine, permettant aux autorités de la 1ère puissance mondialed’enquêter,depoursuivreetdecondamner,surdesfondementsdivers(corruption,blanchimentd’argent,sanctionsinternationales,etc.),lespratiquescommercialesd’entreprisesoud’individusdumondeentier.

Cesloissesontajoutéesàdesprocédurescivilesetpénalesinternestrèsintrusives(«discovery»)ou exerçant une forte pression sur les personnes mises en cause (transactions pénales) quipermettaientdéjàd’obtenirhorsdetoutmécanismed’entraide,etdonchorsdetoutcontrôledesautoritésfrançaises,unequantitéimportantededonnéesrelativesànosentreprises.

Le bilan des 20 dernières années est édifiant : plusieurs dizaines de milliards de dollarsd’amendes ont été réclamées à des entreprises françaises, européennes, sud-américaines etasiatiques,aumotifqueleurspratiquescommerciales,leursclientsoucertainsdeleurspaiementsne respectaientpas ledroit américain, alorsmêmequ’aucunede cespratiquesn’avait de liendirectavecleterritoiredesÉtats-Uniset/ouquecesentreprisesseconformaientaudroitdeleurpays(s’agissantdessanctionsinternationales).

Lesexemplessont légionsetontfait lestitresdelapresseinternationale:BNPParibas,HSBC,Commerzbank,CréditAgricole,StandardChartered,ING,BankofTokyo,RoyalBankofScotland,Siemens,Alstom,Télia,BAE,Total,CréditSuisseetdemain,peut-être,Airbus,Areva,etc.

Cette longue série d’entreprises non américaines condamnées aux États-Unis pour des faitscommisunpeupartoutdanslemondesaufauxÉtats-Unis,pourraitprêteràsourires’iln’yavaitpascinqproblèmesfondamentauxenjeu:

® Cesenquêtes,poursuitesetcondamnationssontcontestableseuégardauxcritèresdecompétence des autorités américaines, qui violent la souveraineté des pays dont cesentreprisessontressortissantes;

® Les sanctions prononcées sont disproportionnées et menacent la pérennité dessociétésétrangèresvisées,etsemblentavoirpourbutpremierdelesfragiliserdanslacompétitioninternationale;

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® Lesenquêtessontconduitessouslecontrôledesprocureursaméricains,eux-mêmesplacés sous l’autorité directe du pouvoir exécutif, alors même que la procéduretransactionnelle(utiliséedanslaquasi-totalitédescas)placel’entrepriseétrangèremiseencause dans une position totalement asymétrique, échappant à tout contrôle du jugeaméricain,avecunepressionconstanteexercéeafind’obtenirlemaximumd’élémentsdel’entrepriseetladénonciationdespersonnesresponsables;

® Lesconventionsd’entraidejudiciaireetlesrèglesdelacoopérationadministrativesontsystématiquementcontournées;

® Surtout, les poursuites engagées semblent être motivées économiquement et lescibles choisies à dessein. Les grandes entreprises américaines sont, pour la plupart,épargnéesdetoutepoursuiteetseulesdegrandesentrepriseseuropéennesetasiatiques,enconcurrencedirecteavecdesentreprisesaméricaines,sontvisées.

Lesentreprisesfrançaisessontprisesenotageparcesprocéduresaméricaines,coincéesentrelemarteauetl’enclumedansunprocessusde«négociation»defaçade,aggravéparunchantageàl’accèsaumarchéaméricain:infine,ellesn’ontd’autrechoixquedes’autoincriminerenpayantdessommesastronomiquesauTrésoraméricain.

Cesattaquescontredesentreprisesfrançaisessontparfoisfacilitéesparnospropresfaiblesses,particulièrementparleretardprisparlaFrancedanslaluttecontrelacorruptioninternationaledepuisledébutdesannées2000.Àcetégard,lacréationduParquetNationalFinancier(PNF)en2014, la loi Sapin 2 en 2016 puis la circulaire sur les procéduresmiroir en 2017 ont permisquelques avancées, encore insuffisantes, pour rétablir notre souveraineté judiciaire. Mais lavulnérabilitédesentreprisesfrançaisesfaceauxactionsextraterritorialesd’autoritésétrangèresresteintacte.

Cettevulnérabilitéestdueengrandepartieauxlacunesdenotredroit.LaFranceesttoutd’abordunedesraresgrandespuissanceséconomiquesànepasprotégerlaconfidentialitédesavis juridiques en entreprise: cette lacune fragilise nos entreprises et contribue à faire de laFrance une cible de choix et un terrain de chasse privilégié pour les autorités judiciairesétrangères,notammentlesautoritésaméricaines.

Ensuite,laloidite«deblocage»de1968,quiestenréalitéuneloid’aiguillageetd’orientationdesrequêtes étrangères vers les canaux normaux de la coopération internationale, n’a jamais étésérieusementetsystématiquementmiseenœuvre.Elles’avèreaujourd’huidatéeetinsuffisantepour contraindre les autorités étrangères à respecter les traités d’entraide et les accords decoopération internationale pour obtenir des documents ou/et des informations sur nosentreprises.

En outre, une étape supplémentaire dans cet affrontement multidimensionnel vient d’êtrefranchierécemmentpar l’entréeenvigueurdu«CloudAct»enmars2018:cette loi fournit lapossibilité aux autorités judiciaires américaines d’obtenir des fournisseurs de stockage dedonnéesnumériques (quisont tousaméricains), sur labased’unsimple«warrant»d’un jugeaméricain,touteslesdonnéesnonpersonnellesdespersonnesmoralesdetoutenationalitéquelquesoitlelieuoùcesdonnéessonthébergées.Le«CloudAct»organiseainsiunaccèsillimitédesautorités judiciaires américaines aux données des personnes morales, rendant obsolètes etinutileslesTraitésd’entraidejudiciaire.

Ilfautêtrelucideetnepasfairepreuvedenaïveté.Ceconstatdevulnérabilités’inscritdansuncontextepolitiqueoù les risquesdedivergences juridiquesentre lesÉtats-Uniset l’Europesemblent s’accroître en matière de sanctions économiques unilatérales. Les procéduresjudiciairespourviolationdessanctionsinternationalesn’ontàcetégardrienàvoiraveclecombatéthique qui était mis en avant s’agissant des enquêtes anticorruptions: elles ne sont que leprolongement d’une action politiquedu gouvernement, au seul service du pouvoir exécutifaméricainet,enpassant,desentreprisesaméricaines.

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Aveclessanctionséconomiquesunilatérales,aucunetransactionfinancièreoucommercialen’estaujourd’hui à l’abri des actions de l’appareil judiciaire américain.De fait, cela empêche nosentreprisesdecommercerlibrement.

Jusqu’ici,l’impactdessanctionséconomiquesaméricainesestrestélimitécomptetenudesciblesvisées, relativementmarginales dans l’économiemondiale (Iran, Soudan, Somalie, Venezuela,Cuba, Corée duNord). Demain en revanche, les États-Unis risquent de prendre des sanctionséconomiquesdurescontrelaRussie(oud’autrespays),quineserontpeut-êtrepasreprisesparlaFranceetl’Europe,accentuantainsilesdivergencesentrelesdeuxcontinentset,parvoiedeconséquence,lesrisquesdecontentieuxpournosentreprises.

Toutécartentresanctionsaméricainesetsanctionseuropéennescréeainsipourlesentrepriseseuropéennesunrisquejuridiquemajeur.Unegrandebanquefrançaiseaétécondamnée,ilya5ans,à9Md$d’amendespourdestransactionsavecl’Iran,leSoudanetCuba:onfrémitàl’idéedece que pourraient être les sanctions encourues par des sociétés européennes pour destransactionsd’unvolumenécessairementd’unautreordreaveclaRussie.

En dernier lieu, si les attaques dont sont victimes les entreprises françaises proviennentaujourd’hui,pourl’essentieldesÉtats-Unis,toutindiquequed’autrespayspourraientsedoteràl’avenirdeloisàportéeextraterritorialeleurpermettantd’agirdelamêmefaçon:laChine,l’Inde,laRussiepourraientbienfigurerdanscetteliste.

Cettemultiplicationdes risques accroît l’urgenced’une action ambitieusedes pouvoirspublics. Il est impératif que la France élabore une stratégie pour contenir les assauts del’extraterritorialité judiciaire lui permettant de réaffirmer sa souveraineté et de protéger sesentreprisesetlesmillionsd’emploisquiendépendent.

À cette fin, la mission propose un ensemble cohérent de trois mesures systémiquesindissociables, accompagné de six recommandations complémentaires, afin de: doter laFrancedesinstrumentsjuridiquesquiluimanquent;assurerlebonfonctionnementdesoutilsexistants;promouvoirl’adoptiondemesuresefficacesauniveaueuropéen.

® Enpremierlieu,laprotectiondelaconfidentialitédesavisjuridiquesenentrepriseparlacréationd’unstatutd’avocatenentreprisedotédeladéontologiedel’avocat.Cettemesure-laplusefficaced’unpointdevuetechnique,carelleutiliseledroitaméricainpours’enprotéger - viendra comblerunedes lacunes les plus criantesdudroit français. Elleconfèrera aux entreprises françaises le même niveau de protection que celui dontbénéficientleursprincipalesconcurrentes.

® Deuxautresrecommandationsviendrontutilementcompléterledispositif:- la modernisation de la loi de 1968, dite «loi de blocage», qui permettra d’en

augmenter l’efficacité, par une série de mesures autour du triptyque: déclaration(créationd’unmécanismeobligatoired’alerteenamont), accompagnement (miseenplaced’unaccompagnementdesentreprisesparuneadministrationdédiée,leSISSE)etsanction(augmentationdelasanctionprévueencasdeviolationdelaloi);

- l’adoptiond’uneloiprotégeantlesentreprisesfrançaisescontrelatransmissionparleshébergeurs de leurs données numériques nonpersonnelles aux autorités judiciairesétrangères: une extension du RGPD aux données des personnes morales, quipermettradesanctionnerleshébergeursdedonnéesnumériquesquitransmettraientaux autorités étrangères des données non personnelles relatives à des personnesmoralesfrançaisesendehorsdescanauxdel’entraideadministrativeoujudiciaire.

® Cinqautresrecommandations,quipermettrontdecomblercertaineslacunes,d’améliorerl’efficacitédenosprotectionscontrelesmesuresextraterritorialesetquiinciterontl’Europeàagirdeconcertsurcesujet:

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- l’élaboration d’une doctrine nationale partagée sur les secrets à protéger, et àdestination de l’ensemble des administrations qui contribue à la coopérationinternationalequ’ellesoitjudiciaireouadministrative,afind’éviteràl’avenirquedesinformations sensibles relevant des intérêts économiques essentiels puissent êtretransmisesàdesautoritésétrangèresetêtreutiliséescontrenosentreprises;

- rendre la politique pénale française plus lisible pour renforcer l’utilisation de laconvention judiciaire d’intérêt public (CJIP), afin de pouvoir poursuivre plusefficacementlesinfractionséconomiquesetfinancièresenFrance;

- saisirpouravislaCourInternationaledeJusticeafindefixerl’étatdudroitinternationalsurl’extraterritorialité;

- lanceruneinitiativefrançaiseàl’OCDEpourfixerdesrèglescommunesenmatièredeloisetmesuresàeffetextraterritorial,permettantdemieuxenrégulerl’usageetd’éviterleprotectionnismejudiciaire;

- élaborer une proposition française à nos partenaires de l’Union européenne pourrenforcer les outils européens de protection des entreprises européennes face auxdemandesdesautoritésadministrativesetjudiciairesétrangères.

Enfin, lamission propose que le Parlement lance unemission visant à renforcer les outils etmoyensdédiésà la luttecontre les infractionséconomiqueset financières,notamment la luttecontre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commercialesinternationales.

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1. LESENTREPRISESFRANÇAISESSONTPARTICULIEREMENTVULNERABLESFACEALA MONTEE EN PUISSANCE DES LOIS ET MESURES A PORTEEEXTRATERRITORIALE,NOTAMMENTD’ORIGINEAMERICAINE..................................11 1.1. Endroitinternationalpublic,lathéoriedescompétencesdevraitlimiterles

compétencesextraterritorialesdesÉtats:forceestdeconstaterquecesprincipessontbafouésmettantenpérilleséchangesinternationaux...............................................11 1.1.1. LesloisàportéeextraterritorialeauxquelleslaFranceestconfrontéeviolent

lesprincipesgénérauxdudroitinternationalpublic................................................11 1.1.2. L’extraterritorialité,quis’estdéveloppéeenparallèleàlamondialisation,est

devenueundangerpourleséchangesmondiaux........................................................12 1.2. Depuislafindesannées90,onassisteàuneproliférationdeloisàportée

extraterritoriale,notammentd’origineaméricaine...............................................................13 1.2.1. L’interprétationlargedeleurcompétenceparlesautoritésaméricainesleur

confèrelacapacitéd’interférersurl’ensembledelavieéconomiquemondiale...........................................................................................................................................................14

1.2.2. Lesenquêtesenmatièredecorruptionactived’agentspublicsétrangersontlongtempsconstituél’élémentcentraldel’actionextraterritorialeduDoJ....16

1.2.3. Lalogiquedesanctionsinternationalesunilatéralesàl’encontredepaysourégimesjugésindésirabless’estconsidérablementdéveloppéeetsembleêtreamenéeàsedévelopperplusencore.................................................................................20

1.2.4. Raffinementultimedel’extraterritorialitéaméricaine,lesÉtats-Unisontrécemmentadoptéle«CloudAct»,quipermetauxautoritésaméricainesdecollecterlesdonnéesd’entreprisescibles,oùquecelles-cisoientstockéesdanslemonde,ens’affranchissantdesrèglesdelacoopérationjudiciaireinternationale.............................................................................................................................28

1.3. LedroitinternedecertainsÉtatsenmatièred’obtentiondepreuves,notammentledroitaméricain,permetencontournantlacoopérationinternationale,untransfertmassifetincontrôlédesdonnéesdesentreprisesfrançaises...........................................33 1.3.1. Uneprocédurejudiciaireintrusivefacilitantuntransfertmassifdesdonnées

desentreprises,endehorsdesmécanismesd’entraide.............................................33 1.3.2. Lesentreprisesfrançaisessontparticulièrementdémuniesenmatièrepénale,

danslecadredesprocédurestransactionnellesconduitesparleDOJ...............36 1.3.3. Enmatièrecivile,laprocédurede«discovery»conduitàuntransfertmassif

d’élémentsrelatifsauxentreprises....................................................................................37 1.3.4. Cesfaiblessessontaccentuéesparl’absencedecontrôleparlesautorités

françaisesdesélémentstransmisdanslecadredel’entraide...............................39 1.4. Cettevulnérabilitéenmatièrecivileetpénaleestfortementaggravée,enFrance,

parl’absencedeprotectiondelaconfidentialitédesavisjuridiquesdesjuristesd’entreprises...........................................................................................................................................45 1.4.1. Lesjuristesd’entreprisefrançaissontsoumisausecretprofessionnel,mais

leursavisjuridiquesnesontpasprotégés......................................................................45 1.4.2. Auseindesgrandespuissanceséconomiques,laFranceestaujourd’huiundes

seulsetrarespaysoùlesavisjuridiquesdesjuristesenentreprisenesontpasprotégés.........................................................................................................................................46

1.4.3. Enoutre,enFrance,lesecretprofessionneldesavocatsn’estplus«généraletabsolu»,cequiyaffaiblitd’autantpluslaprotectiondesavisjuridiques.......49

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1.4.4. Autotal,lesentreprisesfrançaisesseretrouventdansunesituationdegrandevulnérabilitéàl’égarddesprocéduresadministrativesetjudiciairesextraterritoriales.......................................................................................................................50

1.5. Àcejour,laréponsedelaFranceauxenquêtesextraterritorialesquiremettentencausesasouverainetén’estpasàlahauteur............................................................................51 1.5.1. Laloide1968estuneloiancienne,insuffisante,malappliquéeetsouvent

écartée,quidoitd’urgenceêtremodernisée.................................................................51 1.5.2. Cesdernièresannées,desprogrèslimités,uniquementdanslescasoùles

enquêtesextraterritorialesvisentdesfaitsdecorruption,ontétéréaliséspermettantderecouvrerunepartiedenotresouverainetéjudiciaire..............53

2. L’ABUSDELOISETMESURESAPORTEEEXTRATERRITORIALEESTUNEMENACEPOUR L’ORDRE ECONOMIQUE MONDIAL ET UN ELEMENT DE CONCURRENCEDELOYALE,DONTILCONVIENTDEPROTEGEREFFICACEMENTLESENTREPRISESFRANÇAISESETEUROPEENNES..............................................................................................55 2.1. Propositionn°1:protégerlesavisjuridiquesinternesdesentreprises......................56

2.1.1. Ilestdevenuurgentd’agiretd’installerenFrancel’avocatenentreprise:ilenvadelacompétitivitédel’économiefrançaisecommedeladéfensedesentreprisesfrançaisesfaceauxmesuresàportéeextraterritoriale...................57

2.1.2. Lamissionaécartéplusieurstypesderéponsesquiauraientétépossibles,maispeuefficacesvoirecontre-productives.................................................................58

2.1.3. Lamissionpréconisedonclasolutiondel’avocatsalariéenentreprise,dotéd’unstatutetd’unsecretprofessionneladaptés.........................................................59

2.1.4. Quelimpactdelaréforme?..................................................................................................62 2.2. Propositionn°2:actualiser,moderniseretrenforcercertainsaspectsdelaloi

n°68-678du26juillet1968relativeàlacommunicationdesdocumentsetrenseignementsd'ordreéconomique,commercial,industriel,financieroutechniqueàdespersonnesphysiquesoumoralesétrangères..........................................67 2.2.1. S’assurerqu’unservicedel’Étatestbiendésignépourtraiterdel’obligation

dedéclarationprévueàl’article2(leSISSE)etintroduireunesanctiondesmanquementsàl’obligationdedéclaration..................................................................68

2.2.2. Aggraverlasanctionprévueàl’article3delaloide1968,sanctionperçuecommetropsymboliqueetdontlemontantdérisoirenuitàlacrédibilitédudispositif........................................................................................................................................69

2.2.3. Aménagerunparcoursd’accompagnementdel’entreprisedéclaranteparleservicerécipiendairedeladéclaration(leSISSE)......................................................69

2.2.4. Créerdesrèglesspécifiquesencadrantl’exerciceenFrancedu«monitoring»d’uneentreprisefrançaiselorsqu’ilestdécidéparunjugementétranger......70

2.2.5. S’assurerquelaloide1968nes’opposepasàlabonnecoopérationinternationaledesautoritésfrançaisesavecleurshomologuesàl’étrangerniàlamiseenœuvredesconventionssignéesparlaFrance.....................................71

2.3. Propositionn°3:créerunesanctionadministrativedestinéeàsanctionnerlatransmissiond’informationsetdedonnéesnumériquesdepersonnesmoralespardesfournisseursdeservicesdecommunicationsélectroniquesàdesautoritésjudiciairesouadministrativesétrangèresrelativesàdespersonnesphysiquesoumoralesfrançaisesourésidentenFrance..................................................................................72 2.3.1. Uneinterdictiondetransmettrelesdonnéesdespersonnesmoralesàdes

autoritésétrangèressanspasserparl’entraide..........................................................73 2.3.2. Unesanctionadministrativedissuasive..........................................................................73 2.3.3. Uneautoritéadministrativecompétente:l’AutoritédeRégulationdes

CommunicationsÉlectroniquesetdesPostes(ARCEP)............................................73

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2.4. Propositionn°4:élaborerunedoctrinenationalerelativeaux«intérêtséconomiquesessentielsdelaFrance»(telsqu’énoncésdansl’article1erdelaloide68),etpréciserlesmodalitésducontrôledelatransmissiondespiècesenmatièred’entraidejudiciairepénale,civileetadministrative............................................................75 2.4.1. Unedoctrineclairerelativeauxintérêtsessentielsprotégéspermettraaux

différentesadministrationsconcernéesd’utiliserunréférentielcommund’identificationdesdocumentsprotégésdanslamiseenœuvredeleursprérogativesdecoopérationinternationale.................................................................75

2.4.2. Ilconviendrad’élaborercettedoctrineenassociantl’ensembledesadministrationsconcernées,ycomprislesautoritésadministrativesindépendantes.............................................................................................................................76

2.5. Propositionn°5:assurerunemeilleurelisibilitédelapolitiquepénaleduparquetenmatièredemiseenœuvredelaconventionjudiciaired’intérêtpublic(CJIP)....77

2.6. Propositionsn°6et7:renforcerlemultilatéralismesurl’extraterritorialitépardeuxinitiativesfrançaisesauprèsdelaCourInternationaledeJustice(CIJ)etdel’OrganisationpourlaCoopérationetleDéveloppementÉconomique(OCDE).......78 2.6.1. Propositionn°6:saisirpouravislaCourInternationaledeJusticeafinde

fixerl’étatdudroitinternationalsurl’extraterritorialité......................................78 2.6.2. Propositionn°7:lanceruneréflexionauniveaudel’OCDEsurlesloisàeffet

extraterritorial...........................................................................................................................79 2.7. Propositionn°8:renforcerlesoutilseuropéensdeprotectiondesentreprises

européennesfaceauxdemandesdesautoritésoujuridictionshorsUEenélaborantunepropositionfrançaisederévisionduRèglementeuropéendeblocage,afind’enmodifierlechampetd’étendreàl’échelledel’Unioneuropéennelaprotectionofferteparlaloifrançaisede1968...............................................................................................80 2.7.1. Renforcerl’effectivitéetl’impactdescontre-mesuresauxsanctions

unilatéralesprévuesparletexte........................................................................................81 2.7.2. Étendreauniveaueuropéenlesmesuresdeprotectiondesintérêts

économiquesessentiels,telsqu’ilsfigurentdanslaloifrançaisedeblocagede1968.................................................................................................................................................82

2.7.3. TravailleraurenforcementdesmécanismesdecoordinationentreÉtatsmembresdanslamiseenœuvredessanctionseuropéennesetréfléchiràlacréationd’unbureaueuropéendecontrôledesactifsétrangers(«OFACeuropéen»)....................................................................................................................................82

2.8. Propositionn°9:Demanderunrapportparlementairevisantàrenforcerlesoutilsetmoyensdédiésàlaluttecontrelesinfractionséconomiquesetfinancières,notammentlaluttecontrelacorruptiond’agentspublicsétrangers............................83

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1. Les entreprises françaises sont particulièrement vulnérables face à lamontée en puissance des lois et mesures à portée extraterritoriale,notammentd’origineaméricaine

1.1. Endroitinternationalpublic,lathéoriedescompétencesdevraitlimiterlescompétences extraterritoriales des États: force est de constater que cesprincipessontbafouésmettantenpérilleséchangesinternationaux

1.1.1. Les loisàportéeextraterritorialeauxquelles laFranceestconfrontéeviolent lesprincipesgénérauxdudroitinternationalpublic

Lasouverainetécaractérisel’ÉtatendroitinternationaldepuisquelesTraitésdeWestphaliedu24 octobre 1648 en ont posé le principe. Ces Traités ont établi les principes directeurs desrelations internationales que sont la reconnaissance de la souveraineté des États et de leursfrontières, formantunterritoiresur lesquels lesPrincesexercent,entoute indépendance, leurpleinesouveraineté.

L’extraterritorialitéestpardéfinitionuneatteinteàlasouverainetédesÉtats.Lasouverainetéserattacheàunterritoire,etcomprenddeuxtypesdecompétences:

- lacompétencenormative,quiestlepouvoird’édicterdesnormesetdelesappliqueràdessituationsdonnées,autraversnotammentdedécisionsadministrativesoudejugements;

- lacompétenceopérationnelle,quiestlepouvoirdemettreenœuvrelesnormes(saisiededocuments,arrestations).

Ces deux compétences ne s’exercent pas sans limites: elles sont encadrées par le droitinternationalquidéfinitdescritèresquipermettentleurexercice.Cescritèressontdeplusieursnatures:

- le rattachement territorial, qu’il s’agisse de la localisation d’une personne ou d’uneactivité;

- lerattachementpersonnel(ouliendenationalité),qu’ils’agissedel’auteurd’uneaction(compétence personnelle active), ou de celui qui la subit (compétence personnellepassive);

- le rattachement matériel, prenant en considération l’objet de la norme (Intérêtsfondamentauxdel’Étattelquelasécuriténationale,l’organisation,lefonctionnement,ladéfense des services publics opérant à l’étranger, et la protection des intérêts de lacommunautéinternationale).

Laconcurrenceentreplusieurscompétencesnormativesd’unepart,etopérationnellesd’autrepart, soulèvedesdifficultésdenaturedifférente.Enmatièrenormative,elleestsusceptibledesusciter des comportements distincts ou d’imposer des obligations cumulatives, voirecontradictoires, au sujet de droit de nature à favoriser un «forum shopping1». En matièreopérationnelle, elle apparaît inconcevable dans la mesure où l’exercice de cette compétencesupposequel’Étatencausedisposed’uneautoritéetd’unepuissancesurunterritoiredonné.

1Leforumshopping(ouélectiondejuridiction)estunepratiquededroitinternationalprivéquiconsisteàsaisirlajuridiction la plus susceptible de donner raisons à ses propres intérêts. En raison de la diversité des règles decompétences internationale,unplaignantpeutsaisir les tribunauxd'unpaysoù il saitqueson litigesera jugéplusfavorablement.

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12.

Aux termes du droit international public, un État est libre d’établir une compétenceextraterritorialesousréserved’unenormededroitinternationall’interdisantexplicitement.Dansl’affaireduLotus,laCourpermanentedeJusticeafixéleprincipeselonlequel«toutcequel’onpeutdemanderàunÉtat,c’estdenepasdépasserleslimitesqueledroitinternationaltraceàsacompétence: en deçà de ces limites, le titre à la juridiction qu’il exerce se trouve dans sasouveraineté2».

Sienmatièredecompétencenormative,l’extraterritorialitéestpossiblesousréservederespecterles critères de rattachement, en matière de compétence opérationnelle en revanche,l’extraterritorialité est impossible, car elle viole les principes d’intégrité territoriale etd’indépendancedesÉtatsénoncésparleparagraphe4del’article2delaChartedesNationsUnies.

Ilressortdecesprincipesexposésetdesproblèmesidentifiésàcestade:

® qu’en matière de compétence normative la difficulté tient au caractère ténu, voireinexistant,des liensderattachementauterritoireentrelesfaitstraitéset lacompétenceexercée;

® qu’enmatièrede compétenceopérationnelle, la difficulté tient à l’atteinte grave ànotresouverainetéqueconstituelarecherchededocuments,informationsetautresélémentsdepreuvesetrouvantsurnotreterritoireetrelevantdenotrecompétence,horstoutaccordoumécanismed’entraide.

1.1.2. L’extraterritorialité, qui s’est développée en parallèle à la mondialisation, estdevenueundangerpourleséchangesmondiaux

Les développements technologiques récents et la mondialisation de l’économie limitent lacapacité des États à protéger leurs intérêts nationaux, sur la base des principes régissant lacompétence,endroitinternationalpublic:lafigureduterritoireestenpartiedépasséeparcequenombre d’activités déployées à l’échellemondiale ne sont plus appréhendables en termes deterritorialité3.

Danscecontexte,riend’étonnantàcequ’enl’absenced’harmonisationinternationaledesnormes,lesdroitsetlespratiquesinternesàportéeextraterritorialesesoientdéveloppéssousl’impulsiondes principales puissances économiques, à commencer par les États-Unis, mais aussi l’Unioneuropéenneet,plusrécemment,laChine.

LesÉtats-Unisprésententcependantdesspécificitésenlamatière:ils«disposentdudoubleatoutde l’antériorité enmatière de projection internationale de la puissance économique et d’uneculturede l’applicationde la loi(«Enforcement»)serviepardesmoyensetune infrastructurejuridiqueetmatériellesanséquivalent4».

Lesloisaméricainesàportéeextraterritorialesontnombreusesetanciennes:ellessontmisesenœuvrepardesautoritésforméesàl’intelligenceéconomique,auseindesquellesexisteunegrandefluiditédans la circulationde l’informationetqui travaillent enpartenariat, au seinde«Taskforces»adhoc,rassemblant,selonlesenquêtes,lesdifférentsservicesintéressés:«SecuritiesandExchange Commission» (SEC),«Office of Foreign Asset control» (OFAC), «Federal Bureau ofInvestigation»(FBI)et«InternalRevenueService»(IRS).

Cettemiseenœuvreestd’autantplusefficacequ’elles’appuiesurunejusticenégociée,enmatièrepénale,entrelesautoritésdepoursuiteetlapersonnemiseencauseetunerecherchedelapreuvetrèsintrusiveenmatièrecivileetcommerciale.

2CourpermanentedeJustice,7septembre1927,SérieA,n°10,p.18.3Droitinternationalpublic,RaphaëlleRivière,7èmeédition2017.4LaurentCohenTanugi,«L’applicationextraterritorialedudroitaméricain,ferdelancedelarégulationéconomiqueinternationale?»Tempsréel,lescahiers,décembre2014.

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13.

Ainsi qu’il sera plus longuement développé (cf. infra 1.3), cette justice négociée échappe aucontrôlejuridictionnel,cequiestd’autantplusregrettablequelesjuridictionsaméricainesenontgénéralement une conception plus restrictive notamment en ce qui concerne les critères decompétence.

Enfin,laspécificitédesloisextraterritorialesaméricainestientégalementàlaplacedesÉtats-Unisdansl’économiemondiale,quiendécuplelaportéeetl’impact.C’estnotammentlecasenmatièrededonnéesnumériques,lesgrandshébergeursdedonnéesétantdesentreprisesaméricaines.

Lesloisetmesuresàportéeextraterritorialeposentplusieursdifficultés:

- ellessontcrééesetmisesenœuvreendehorsdetoutcadrejuridiquepartagé,négociéetacceptéparlacommunautédesÉtats;

- ellesmultiplientlesrisquesdeconflitdecompétenceentreÉtats;

- ellescréentunrisqued’insécurité juridiqueélevépour lesentreprisescommepour lescitoyens;

- elles peuvent être instrumentalisées à des fins politiques et conduire à des actionsarbitrairescontrairesauxprincipesdel’Étatdedroit;

- elles permettent le transfert de données sensibles mettant en péril les intérêtséconomiquesessentielsdesÉtats;

- ellestendentàinstaurer,autantqu’ellesensontlereflet,unordremondialrégitpardesrapportsdeforce.

Pourtoutescesraisons,ilapparaîturgentquelacommunautéinternationalereprennelavoiedumultilatéralismeetdel’édictiondenormesinternationalesdansuncadrenégociéetpartagé.Danscecontexte,ilparaîtindispensablepourlaFrancedesedoterdesoutilsjuridiquesluipermettantdeprotégersesintérêtsfondamentauxetsesentreprises.

1.2. Depuis la findes années90, onassiste àuneproliférationde lois àportéeextraterritoriale,notammentd’origineaméricaine

Depuislafindesannées90,lesÉtats-Unisontinitiéunmouvementcroissantd’édictiondenormesàportéeextraterritoriale,quis’appliquentàdesnon-résidentsetnon-nationauxpourdesactionsn’ayantaucun lienderattachementà leur territoire,ouun lienderattachementextrêmementfaibleauregarddudroitinternationalpublic.

Cette activité normativenouvelle s’est ajoutée aux effets déjà extraterritoriauxdeprocéduresjudiciairesaméricainesexistantes,notammentsurleplancivil,domainedanslequellestribunauxaméricains ont traditionnellement cherché à imposer au reste du monde la pratique de la«discovery». Cette procédure permet à l’égard d’une partie étrangère de transférer desinformationsquipeuventêtreprotégéesoupotentiellementconfidentielles,sanspasserpar lemécanismedel’entraideetparconséquent,horsdetoutcontrôledesautoritéscompétentes,cedernierreposantexclusivementsurlejugeaméricain.

L’édiction de normes à portée extraterritoriale a été particulièrement sensible dans troisdomainesprincipaux:

- (i)lesrégimesdesanctionsinternationales(quisesontmultipliésdepuisleslois«Helms-Burton»et«d’Amato-Kennedy»de1996,cf.infra);

- (ii) la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactionscommercialesinternationalesavecle«ForeignCorruptPracticesAct»(FCPA),promulguéen1977,maismodifiéen1988puis,surtout,en1998;et

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14.

- (iii) l’application de la fiscalité personnelle américaine aux citoyens américains non-résidentsavecle«ForeignAccountTaxComplianceAct»(FATCA)du18mars2010(entréenvigueuren20145).

D’autresdomainesontégalementététouchésparcetteorientation:laluttecontreleblanchimentd’argentet le financementdu terrorisme(le«PatriotAct»du26octobre2001), la régulationfinancière et comptable (Loi «Sarbanes-Oxley» de 2002), le contrôle des exportations/réexportationsdebiensd’origineaméricaine,etc.

Aujourd’hui,unnouvelaspect,explicitementextraterritorial,s’ajouteàcesaxeshistoriques:lasaisiededonnéesnumériquesà l’étranger,via le«ClarifyingLawfulOverseasUseofDataAct»(«CloudAct»)de2018(cf.infra1.2.4).

CesloisàeffetextraterritorialontcontribuéàélargirtoujoursplusavantladéfinitionduchampdelacompétencenormativeetopérationnelledesÉtats-Unis,soitdemanièreexplicite,soit,plussubtilement,enpermettantauxautoritésaméricaines,notammentauDépartementdelaJustice(DoJ),depoursuivreauxÉtats-Unisdespersonnesphysiquesoumoralesétrangèressuspectéesd’avoir commis telle ou telle infraction (corruption, violation de sanctions internationales ouautres),alorsmêmequelesfaitsonteulieuendehorsduterritoiredesÉtats-Unisetquelelienderattachemententrel’infractionetleterritoireaméricainapparaîtextrêmementcontestable.

Cela a entraîné une application extraterritoriale de la loi américaine dans de très nombreuxdomainesde lavieéconomiqueet financière, soumettant lesentreprisesdumondeentierauxenquêtesdesautoritésetàleurssanctions.Cemouvementsuscitel’indignationenFrancedepuisdenombreusesannées6,etaétédénoncéavecvigueurparunrapportdel’Assembléenationaledu5octobre20167.

1.2.1. L’interprétation large de leur compétence par les autorités américaines leurconfèrelacapacitéd’interférersurl’ensembledelavieéconomiquemondiale

La forcedes lois américaines relativesaux infractionséconomiqueset financières résidedansl’introductiondecritèresdecompétenceauxcontoursflous,etdansl’interprétationextrêmementlargedecescritères.L’accumulationhistoriqued’interprétationsvariéesenlamatièread’abordtrouvésasourcedanslecombatquesesonthistoriquementlivrélesautoritésfédéralesd’uncôtéetlesautoritésdesÉtatsfédérésdel’autre,poursepartagerlacompétencedanslapoursuitedesinfractionséconomiquesetfinancières.Demultiplesloisetjurisprudencesontpeuàpeuaccrulacompétencedesautoritésfédérales,mêmesilemouvementn’ajamaisétéuniforme.

Demanièregénérale,laloifédéraleaméricainerequièreunlienderattachemententrel’infractionet le territoire des États-Unis pour donner compétence aux juridictions américaines pourpoursuivre et juger d’une infraction. Cependant le type de lien requis n’est généralement pasdéfiniparlaloietlesautoritésaméricainespeuventainsil’interpréteràloisir,sanslimitation,lecaractérisantdemanièresdiversesetvariées,l’adapteraugrédescirconstancesdel’affaire.

Mêmelorsquele lienderattachementestprécisdansla loi(c’estgénéralementlecasdanslesrégimes de sanctions internationales), il est interprété de manière large par les autoritésaméricaines,quimultiplientlescritèreslecaractérisant.

5 Pour plus d’information: voir le Rapport d’information parlementaire relative à l’assujettissement à la fiscalitéaméricainedesFrançaisnésauxÉtats-Unis,AssembléeNationale,MM.MarcLEFURetLaurentSAINT-MARTIN,15mai2019.6Voirparexemple:Ledroitnouvellearmedeguerreéconomique,commentlesEtats-Unisdéstabilisentlesentrepriseseuropéennes,AliLaïdi,ActesSud,2019.7Rapportd’informationde laCommissiondesaffairesétrangèresetde laCommissiondes financesde l’AssembléeNationalesurl’extraterritorialitédelalégislationaméricaine-Rapport«Lellouche-Berger»(2016).

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15.

Àtitred’exemple,maintesfoisévoqué,uncritèresouventretenuparlesautoritésaméricainespourcaractériserlelienderattachementauterritoiredesÉtats-Unisestceluidel’utilisationdusystème financier américain, voire de l’utilisation du dollar dans la/les transaction(s)incriminée(s):laseuleutilisationdudollarpeutcaractériserunlienrattachementauterritoireaméricainetparvoiedeconséquencedonnercompétenceauxautoritésjudiciairesaméricainespourpoursuivrelesinfractions(decorruptionnotamment,maispasuniquement)s’yrattachant.

Demême, toute société pouvant être considérée comme un «Issuer» (un émetteur, cf. infra)d’actions,detitres,oud’obligations,auxÉtats-Unis,relèveradelacompétencedesautoritésdepoursuiteaméricaines(enl’espècelaSEC)poursesactesainsiqueceuxdesesfiliales,mêmeendehorsdesÉtats-Unisetmêmes’ils sontcommispardespersonnesquinesontni citoyennesaméricaines,nirésidentesauxÉtats-Unis

C’estainsiqueleDoJetd’autresautoritésfédéralesaméricainesinterprètentlaloi.Rienn’indiquequ’ils l’interprètentcorrectement:cependant,commeonleverraplus loin,étantdonnéquelaquasi-totalité des poursuites en matière économique et financière se termine par un accordnégociéentrel’autoritédepoursuiteetlapartiepoursuivie,laquestiondelacompétencen’estenréalitéjamaistranchéeparlesCoursfédérales.

Onpeut le regretter, car les Cours fédérales ont une interprétation restrictive des critères decompétence. La Cour suprême a en effet, considéré, dans un arrêt de principe, «Morisson v.NationalAustraliaBank» du24 juin20108, que l’extraterritorialiténe seprésumaitpas etnepouvaitrésulterqued’unedispositionexpressedelaloi.

Autotal,ilapparaîtquel’interprétationlargeetmouvantequ’ellesfontdeleurcompétenceconfèreauxautorités fédéralesaméricaines,notammentauDoJouà laSEC,unegrandelibertéd’action:ellespeuventintervenirdanspresquetouteslestransactionscommercialesoufinancières internationales en vertu de critères de rattachement à leur territoire aussicontestables que l’utilisation d’emails transitant sur des serveurs américains, le stockage dedonnéessurdesserveursaméricains,oul’utilisationdudollardanslatransaction.

Lesrisquesliésàunecompétencelargedesautoritésdepoursuiteaméricainessont fortementaggravésparlestatutduDoJ,quin’estpas,loins’enfaut,uneautoritédepoursuiteindépendanteetqui,enoutre,nemènesesenquêtesqu’àcharge,envuedeconclureun«deal».

Enoutre,latrèsgrandeproximitéquiexistetraditionnellementauxÉtats-Unisentrelesmilieuxéconomiques et les autorités fédérales, est encore accentuée dans le cas du DoJ par les trèsnombreuses passerelles, très utilisées par les «lawyers», qui existent entre le monde desentreprises,les«privatepractice»(cabinets),lemondepolitique,lesservicesderenseignementetl’appareiljudiciaire(lesprocureurssontdes«lawyers»commelesautres,occupantunemploitemporaire,parnature,quiontvocationàretournersoitencabinet,soitenentreprise):cettecollusion organique, quasi-institutionnelle, renforce les doutes voire les craintes d’uneinstrumentalisation des procédures judiciaires américaines à des fins économiques oucommerciales.

Comptetenudesconditionsactuellesdelavieéconomiqueinternationale,onpeutconclure,sansrisquedesetromper,qu’aucunetransactioncommercialeoufinancièreréaliséedanslemonden’estcomplètementàl’abridelacompétencedesautoritésdepoursuiteaméricaines.

8Morissonv.NationalAustraliaBankLtd,561U.S.247(2010).

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16.

1.2.2. Les enquêtes en matière de corruption active d’agents publics étrangers ontlongtempsconstituél’élémentcentraldel’actionextraterritorialeduDoJ

LorsqueleCongrèsdesÉtats-Unisaratifiélaconventiondel’OrganisationpourlaCoopérationetDéveloppementÉconomique(OCDE)du17décembre1997deluttecontrelacorruptiond’agentspublicsétrangersdanslestransactionscommercialesinternationales,ilasaisicetteopportunitépour réviser la loi «FCPA» et élargir le champde compétenceduDoJ et de la Securities andExchangeCommission(SEC)pourpoursuivrelesfaitsdecorruptiond’agentspublicsétrangers,enyincluant(i)lesétrangersquicommettentdesactesàl’étranger«whileintheterritoryoftheUnitedStates»,c’est-à-direalorsqu’ilssont«présentssurleterritoireaméricain»,et(ii)d’autres«basesalternativesdedéfinitiondelacompétence»,quirattachentàlacompétenceaméricainedesfaitscommisàl’étrangerparlescitoyensaméricainset,plusgénéralementpardespersonnesqui sont considérées comme des «domestic concern», c’est-à-dire des personnes «d’intérêtdomestique».

Cesdeuxnotionssontàl’originedel’interprétationlargequelesautoritésaméricainesfontdeleurproprecompétence,quivarieaugrédescritèresd’interprétationpeuprévisiblesutilisésparleDoJ.

1.2.2.1. UneinterprétationlargeparleDoJdesaproprecompétence

Le«FCPA»couvretroiscatégoriesdepersonnes:

- les«émetteurs»ausensdudroitcommercialaméricain,àsavoirtoutes lessociétésetentités juridiques de toutes sortes qui émettent ou commercialisent des actions ouobligationsauxÉtats-Unisetleursreprésentants,dirigeants,cadres(«officers»),etc.(15USC§78dd-1);

- lespersonnes«d’intérêtdomestique»,àsavoirlescitoyensetrésidentsaméricains,lessociétésettoutesentitésjuridiquescrééesouorganiséesselonlesloisdesÉtats-UnisetdeleursÉtats,territoiresetdépendances,ainsiqueleursreprésentants,dirigeants,cadres(«officers»),etc.(15USC§78dd-2);

- les personnes physiques ou morales étrangères, qui ne sont ni des émetteurs ni despersonnes d’intérêt domestique, mais qui se trouvent directement ou via unagent/représentantsurleterritoiredesÉtats-Unis(15USC§78dd-3).

C’est principalement sur la base de cette troisième catégorie de personnes que s’opèrent lesinterprétationslesplusextensivesdulienderattachemententredesfaitsdecorruptionactivecommishorsdesÉtats-Unisetle«territoireaméricain»ausensdu«FCPA».

En effet, les personnes utilisant des moyens relevant du commerce inter-Etats («interstatecommerce»),telsletéléphoneoul’e-mail,sontsoumisesparcebiaisauxdispositionsduFCPA:pourcefaire,ilsuffitd’avoireffectuéunappeltéléphoniqueouenvoyéune-mailendirectionouàtraversleterritoiredesÉtats-Unis(parexemple,une-mailayanttransitésurunserveursituésurleterritoireaméricain)pourêtreconsidérécommeétantprésentsurleterritoireaméricain.Laquasi-totalitédesfournisseursdeservicesdecommunicationélectroniqueétantaméricaineetayant des serveurs aux États-Unis sur lesquels transitent les «e-mails» envoyés à travers lemonde,lacompétencedesautoritésaméricainespeutdoncêtredéduitedelaseuleutilisationdecesservices.

Lesmargesd’interprétationoffertesparcetexteontpermisauxautoritésaméricainesd’utiliserle«FCPA»pourpoursuivredesentreprisesnonaméricainespourdesfaitsdecorruptionn’ayantaucunlienavecleterritoiredesÉtats-Unisetcommispardespersonnesn’ayantpaslacitoyennetéaméricaine,niétantrésidentauxÉtats-Unis.

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17.

Lefaitquecettedéfinitionlargedelacompétencedesautoritésaméricainesrésultenonpasd’unedéfinitionlégaleclaire,maisd’uneinterprétation,aucasparcas,mouvante, instableetsurtoutimprévisible,detextesflousauxdispositionsvariables,expliquelefaitquelaplupartdesautoritésaméricainesrencontréesparlamissionréfutentlecaractèreextraterritorialdesloisaméricainesengénéral,ycomprisdu«FCPA».

Surcepoint,lesautoritésdepoursuite(DoJnotamment)semblentavoiruneconceptionbeaucoupplus large de leur compétence que celle que leur octroient les juridictions américaines,notamment les Cours fédérales. Ces dernières ont traditionnellement une interprétationbeaucoupplusstrictede lacompétenceterritorialedesautoritésdepoursuite9.Cependant, lesargumentsrelatifsàlacompétencedesautoritésaméricainessonttrèsrarementévoquésdevantles Cours fédérales, car les poursuites en matière de corruption internationale suivent unparcours transactionnel (menant à un «accord»), qui permet au DoJ d’invoquer uneinterprétation très largeetarbitrairedesaproprecompétence, sansqu’il soitsoumisàaucuncontrôledujuge.

1.2.2.2. Un cadre juridique «informel» permettant au DoJ d’interpréterarbitrairementlaloiaméricaine

L’interprétationlargedelacompétenceduDoJaétéfavoriséeparl’étenduedesespouvoirsdanslecadredelamiseenœuvreduFCPA.Eneffet,leDoJest,aveclaSEC,l’organeexécutifappliquantlesdispositionsduFCPA.C’estluiquimènel’enquêtesurl’ensembledesaffairesdecorruptiond’agentspublicsétrangersdanslestransactionscommercialesinternationales,etquidécideounondepoursuivretelleoutelleentreprise.

LeDoJestuneautoritéadministrativeetnonjuridictionnelle,quiconduitdesenquêtesdanslecadredeprocédurestransactionnelles.LeDoJ initiesystématiquementsesprocéduresparunenégociation«informelle»avec lapartiemiseencause,négociationquiestparfoisqualifiéede«discussion amicale» par les cabinets d’avocats coutumiers de ces procédures, et ce qu’ilentreprendàcetitresedéroulehorsdetoutcadreprocéduraletcontrôlejudiciaire,sansgarantieenmatièredeprotectiondesdroitsdeladéfense.

Cettenégociationapourbutd’aboutiràunaccord,dans lequel l’entrepriseva reconnaîtreuncertain nombre de faits («Statement of facts»), payer une lourde amende aux autorités depoursuitesconcernéesenéchanged’unarrêtoud’unabandonpuretsimpledespoursuites.Lepaiement de l’amende pourra être assorti demesures contraignant l’entreprise pour l’avenir,notammentunprocessusde«monitoring10»(cf.infra).

L’undesargumentsdéployésparleDoJlorsdecesdiscussionsinformellesestprécisémentlapeurdujugeetd’unjugementdéfinitifencasdeprocédurejudiciaire,aumotifqu’elleseraitpluslongueet surtout plus coûteuse in fine pour l’entreprise: l’entreprise sera définitivement exclue dumarchéaméricain,cequipermetdefaireplanerunemenacelétalesurlesentreprisesviséesetlesincitedoncfortementàaccepterlanégociationsanscontesterlacompétenceduDoJ.Ilexerceunchantagetrèsdirectàl’encontredel’entrepriseetdesesdirigeants,etjoueunesortedejeudepokermenteur,quiluipermetd’asseoirsacompétencemêmelorsqu’elleestfragile.

Ladiscussioninformellesedérouleà lamargeducadre juridiquenormal: ils’agitd’unrapport de force violent et déséquilibré entre les autorités américaines et l’entreprise,souventdépendantepoursasurviedesonaccèsaumarchéaméricain.

9Voirnotammentl’arrêtdu24aout2018delaCourd’appelfédéralenew-yorkaiseconcernantM.LawrenceHoskins,citoyen britannique, ancien salarié d’Alstom. Ce dernier a contesté avec succès devant les tribunaux américain lacompétenceuniverselledesÉtats-Unisenmatièredecorruptioninternationale.Cf.LeMondeIdée,24octobre2018«Unebrèchedanslasuprématiejuridiqueaméricaine»,FélixdeBelloyetRalphMoughanie.10Lemonitoringestl'anglicismedutermesurveillance,etdéfinitlamesured'uneactivité(humaine,économique,etc.).

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18.

Cecadreinformelvisenotammentàcontraindrelesentreprisesàrenonceràfairevaloir leursdroitsetàseprévaloiréventuellementdelaloideblocagequileurpermetdenepascommuniqueràdesautoritésétrangèresdesdocumentsstratégiquespouvantporteratteinteàlasouverainetéouauxintérêtséconomiquesessentielsdeleurpaysd’origine.

LamissionaauditionnéàplusieursreprisesunanciencadredirigeantduGroupeAlstomquinousaconfirmélecaractèrearbitrairedudéroulédel’enquêteconduiteparleDoj:

- lechampdel’infractionn’estpasprécisé;

- lapersonnemiseencausen’apasaccèsaudossier;

- desconditionsd’incarcérationindignes;

- uneenquêteconduiteexclusivementàcharge;et,

- unchantagepermanentàunecondamnationpénalelourde.

Le fait estquecemodeopératoireproduitdes résultats spectaculaires: à ce jouretdepuis laratificationdelaconventiondel’OCDEparlesÉtats-Unisen1999,touteslesentreprisesviséespardespoursuitesduDoJautitreduFCPAontacceptéinfineunaccord.

1.2.2.3. Des sanctions élevées pesant principalement sur des entreprises nonaméricaines

Les sanctionspouvant résulterde ces «négociations informelles» sontdonc inclusesdansun«accord»,quipermetd’éviteràl’entreprised’êtrepoursuiviedevantdestribunauxaméricains.Ilyaplusieurstypesd’accordspossibles:

- le«Non-ProsecutionAgreement»(NPA);

- le«DeferredProsecutionAgreement»(DPA);

- le«GuiltyPlea».

LemontantdessanctionsdécidéesparleDoJrésultedesnégociationsavecl’entreprisemiseencause.LeDoJneprendpasuniquementencomptelesfaitsdecorruptionallégués,maiségalementd’autresélémentspropresàdiminueroualourdirlapeine,telsque:

- l’autodénonciationdel’entreprise:c’estcequefontlaplupartdesentreprisesaméricainespouréviterdepayerdesamendestroplourdes;

- lacoopérationdel’entreprisesuiteàsamiseencause;

- l’existenced’unsystèmeorganisédepréventiondelacorruptionauseindel’entreprise;

- l’enrichissementrésultantdecettecorruption;

- letempspasséparleDoJsurl’affaire.

Ainsi, l’articulationde cesdifférentsparamètres apour conséquencequ’uneentreprisequi seretrouvemiseencauseparleDoJestfortementincitéeàcoopérerpleinementàl’enquêtepuisquelemontantfinaldesasanctionendépendlargement.

L’examendes principales sanctions prononcées par leDoJ au titre du FCPA ces dix dernièresannées (cf. Tableau1 infra)montre que ce dernier a fait unusage extensif de sa compétenceextraterritorialeautitreduFCPA.S’ilnefaitaucundoutequ’ilutilisesesprérogativescommeunmoyendeluttecontrelacorruptiondanslecommerceinternational,onpeutnéanmoinsseposerlaquestiondesavoirs’ilnelesutilisepasaussicommearmeéconomique,voirecommeunearmedeguerrecommerciale.

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19.

Eneffet,ladéfinitiontrèslargedelacompétencedesautoritésaméricainesdanslapoursuitedesfaitsdecorruptiond’agentspublicsétrangersquiaétéretenueparleDoJ(etlaSEC)aouvertlavoieàdetrèsnombreusespoursuitesd’entreprisesétrangèrespourdesfaitscommisendehorsduterritoireaméricain,pardespersonnesquin’étaientpasdescitoyensaméricains.Ainsi,entre2008et2017,26entreprisesontétécondamnéesautitreduFCPAàunmontanttotalcombinéd’amendes supérieur à 100M$ par le Doj et la SEC: sur ces 26 entreprises, 21 étaient nonaméricaines(dont14Européennes).

Tableau1:ListedesentreprisescondamnéesautitreduFCPAentre2008et2018(amendes>100M$,parordredécroissant)

N° Entreprise Pays Année Montanttotal(enM$)1 Siemens Allemagne 2008 8002 Alstom France 2014 7723 Telia Suède 2017 691,64 KBR/Halliburton États-Unis 2009 5795 TevaPharmaceutical Israël 2016 5196 OCH-ZIFFCXapitalMngt États-Unis 2016 4127 BAE Royaume-Uni 2010 4008 Total France 2013 398,29 Vimpelcom Pays-Bas 2016 397,510 Alcoa États-Unis 2014 38411 ENI/SNAMPROGETTI Italie 2010 36512 Technip France 2010 33813 SociétéGénérale France 2018 29314 Panasonic Japon 2018 28015 JPMorganChase États-Unis 2016 26416 Odebrecht/Braskem Brésil 2017 26017 SBMOffshore Pays-Bas 2017 23818 JGCCorporation Japon 2011 218,819 Embraer Brésil 2016 205,520 Daimler Allemagne 2010 18521 Petrobras Brésil 2018 170,622 Rolls-Royce Royaume-Uni 2017 17023 Weatherford Suisse 2013 152,624 Alcatel France 2010 13825 AvonProducts États-Unis 2014 13526 KeppelOffshore&Marine Singapour 2017 105Source:CabinetIkarian,2018

Ilest frappantdeconstaterquecesprocédures informellesconcluespardesaccordstouchentd’abordetavanttoutdesentreprisesnonaméricaines:letableaun°1montrequ’enmatièredelutte contre la corruption d’agents publics étrangers, les autorités américaines utilisent leurspouvoirspourviserenprioritédesentreprisesnonaméricainesetassezsouventeuropéennes.

Onconstateainsique:

- les entreprises européennes sont les premières cibles des autorités judiciairesaméricaines,avec14entrepriseseuropéennesetseulement5entreprisesaméricainessurles26entreprisescondamnéesauxpluslourdessanctionsentre2008et2018;

- les entreprises européennes portent également l’essentiel du poids des amendesprononcéesparleDojetlaSECentre2008et2018(5,339Md$suruntotalde8,872Md$,soit60,17%dumontanttotaldesamendesprononcées).

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20.

Outre la prépondérance des entreprises européennes dans ce tableau, on note égalementl’absence totale, à ce jour, d’entreprises d’origine chinoise et russe, ce qui ne manque pasd’interrogersurlesciblesretenuesparlesautoritésaméricainesetlesmotivationssous-jacentesàceschoix.

Ces chiffres, et notamment la part ultra-prépondéranted’entreprisesnon américainesdans letotaldesentreprisespoursuivies(77%),montrentquelesentreprisesnonaméricainessemblentbeaucoupplusfréquemmentviséesparleDoJquelesentreprisesaméricaines.

Ceschiffreslaissentplanerundoutesérieuxsurl’impartialitédesautoritésdepoursuiteaméricainesetjustifientlesinterprétationsdecettesituationtendantàydécelerlessignesd’unemobilisationvoired’uneinstrumentalisationdel’appareiljudiciaireaméricainauxfinsdeguerreéconomiqueetcommerciale,enparticuliercontrel’Europe11.

1.2.3. Lalogiquedesanctionsinternationalesunilatéralesàl’encontredepaysourégimesjugésindésirabless’estconsidérablementdéveloppéeetsembleêtreamenéeàsedévelopperplusencore

Les lois «Helms-Burton» et «d’Amato-Kennedy» de 1996 ont ouvert une nouvelle périodehistoriquedansledéveloppementdessanctionsinternationalesunilatéralesprisesparlesÉtats-Unisàl’encontredepersonnes,paysourégimesconsidéréscommeennemisdesÉtats-Unis.

Depuiscettedate,lesÉtats-Unissesontlancésdansunecourseenavantenlamatièremarquéenotammentparlessanctionsprisessuiteauxattentatsdu11septembre2001,dontlesuccèsaétéune sourced’inspirationquiprospère toujoursaujourd’hui.Les sanctions internationales sontdevenuesunoutilutilisécourammentdelapolitiqueétrangèredesÉtats-Unis.

1.2.3.1. Les États-Unis mettent en œuvre de manière effective 30 programmes desanctionsinternationalesetl’OFACprendchaqueannéeunnombreimportantdesanctionscivilesauxmontantsélevés

Au1erdécembre2018,l’OFAC12applique30régimes/programmesactifsdesanctionsàl’encontred’àpeuprèsautantdepays,régimesoutypesd’organisationsàtraverslemonde.

Ces régimes, d’une grande sophistication, sont mis en œuvre par l’OFAC et constammentactualisésoumodifiésaugrédesévolutionspolitiques:commeentémoignentlesdernièresdatesd’actualisationdecesrégimes/programmes(cf.Tableau2, infra), il s’agitbiendeprogrammesactifs,effectivementmisenœuvreparl’OFAC.

Tableau2:Lesrégimesdesanctionsactifs,appliquésparl’OFACau1erdécembre2018

Programmesdesanctionsinternationales DernièremodificationBalkans-RelatedSanctions 03/02/2017BelarusSanctions 24/10/2018BurundiSanctions 02/06/2016CounteringAmerica’sAdversariesThroughSanctionsActof2017(CAATSA) 08/11/2018CentralAfricanRepublicSanctions 13/12/2017CounterNarcoticsTraffickingSanctions 18/10/2018

11VoiràcesujetlesconclusionsdurapportLellouche-Bergerde2016(citésupra),pages131etsuivants.12L'OfficeofForeignAssetsControl(OFAC)estunorganismedecontrôlefinancier,dépendantduDépartementduTrésor des États-Unis. Ce bureau de contrôle des actifs étrangers est chargé de l'application des sanctionsinternationalesaméricainesdansledomainefinancier.L’OFACemploieenviron200personnesetaunbudgetdeplusde30millionsdedollars (parcomparaison,enFrance, les sanctionssont suiviesparcinqpersonnesà ladirectiongénéraleduTrésor).

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Programmesdesanctionsinternationales DernièremodificationCounterTerrorismSanctions 20/11/2018CubaSanctions 09/02/2018Cyber-relatedSanctions 28/11/2018DemocraticRepublicoftheCongo-RelatedSanctions 14/11/2018ForeignInterferenceinaUnitedStatesElectionSanctions 12/09/2018GlobalMagnitskySanctions 15/11/2018IranSanctions 08/11/2018Iraq-RelatedSanctions 27/12/2017Lebanon-RelatedSanctions 30/07/2010LibyaSanctions 19/11/2018MagnitskySanctions 20/12/2017Nicaragua-RelatedSanctions 27/11/2018Non-ProliferationSanctions 03/08/2018NorthKoreaSanctions 19/11/2018RoughDiamondTradeControls 18/06/2018SomaliaSanctions 19/07/2018SudanandDarfurSanctions 28/06/2018SouthSudan-relatedSanctions 06/09/2017SyriaSanctions 20/11/2018TransnationalCriminalOrganizations 02/10/2018Ukraine/Russia-RelatedSanctions 07/12/2018Venezuela-RelatedSanctions 01/11/2018Yemen-RelatedSanctions 14/04/2015ZimbabweSanctions 12/04/2017Source:USTreasury,1erdécembre2018

Cet écheveau de sanctions internationales est d’une complexité extraordinaire. Il a conduit àl’émergenced’unevéritableindustrieduconseiletdelacompliance13,spécialiséeenlamatièreetproduisantdemultipleslogicielspermettantauxpremiersconcernés,àsavoirlesentreprisesdumonde entier, faisant des affaires auxÉtats-Unis et/ouutilisant le dollar dans leurs échangesmondiaux-autantdiretouteslesentreprisesycomprislesgrossesPME-,deseteniraucourantdedernièresévolutionsetdemettreenœuvresansfaillel’ensembledesmesuresprévues.

Lacompliancetotaleestdemise,carlessanctionspourlescontrevenantssontnombreusesetlesmontants concernés élevés, notamment à l’initiative de l’OFAC (qui prononce des sanctionsciviles).

Tableau3:Nombre,montanttotaletmontantmoyendessanctionscivilesprononcéesparl’OFAC(2010-2018)

Année Nombredesanctionsprononcées Montanttotal(en$) Montantmoyen(en$)2010 27 200735996 74346672011 21 91650055 43642882012 16 1139158727 711974202013 27 137075560 50768732014* 22 1205225807 547829912015 15 599705997 399804002016 9 21609315 24010352017 16 119527845 74704902018** 5 60963487 12192697

Source:USTreasury,*Dont964M$pourBNPParibas,**chiffresau1erdécembre2018

13Lacomplianceestunanglicismedésignantuneactionouuneprocédureparlaquelleonseconformeauxexigencesetauxrecommandationsofficielles.

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Cessanctionscivilesdel’OFACsontdanslaplupartdescascomplétéspardessanctionspénales,négociées par leDoJ et/ou d’autres départements ou autorités ayant un intérêt à poursuivre,notammentlesautoritésjudiciaireslocales,lesrégulateursbancaires,la«FederalReserve»,etc.

Forceestdeconstaterquelespénalitéslesplusélevéesinfligéespourviolationsdesrégimesdesanctionsinternationalesl’ontétéàl’encontred’établissementsbancaires,tousnonaméricains:ainsi,dans ladécennieécoulée,seulestroistransactionspénalesontdépassé1Md$,sanctionsinfligéesàtroisétablissementsbancaireseuropéens(cf.tableau4,infra).

Tableau4:Pénalitéscivilesetpénaleslesplusimportantesinfligéespourviolationdessanctionsinternationalesdepuis2010.

Banquesanctionnée Nationalité Date Montanttotal(M$) MontantOFAC(M$)BNPParibasSA France 30/06/2014 8900 964HSBCHoldingsplc Royaume-Uni 11/12/2012 1900 375CommerzbankAG Allemagne 12/03/2015 1500 259Source:MissionIGF

1.2.3.2. Lesrégimesdesanctions internationalescontiennentd’aborddessanctionsprimaires,quinesontpasextraterritoriales,maisbénéficientlàaussid’uneinterprétation large de la définition de la compétence des autoritésaméricaines

Lessanctionsprimairess’appliquentd’abordetavanttoutauxpersonnesphysiquesetmoralesou acteurs économiques américains, et ne sont donc pas considérées comme des sanctionsextraterritoriales.Encasd’infractionàlaréglementation,cespersonnespeuventfairel’objetdepoursuitesciviles(définiesetprononcéesparl’OFAC)et/oupénales(définiesouprononcéesparuntribunalou,encasd’accordtransactionnel,parleDoJ).

Enpratiquecependant,l’assujettissementauxsanctionsprimairespeuttoucherdespersonnesouentités qui ne se pensent pas américaines, mais qui le sont au regard des critèresd’assujettissement utilisés par l’OFAC. Pour cette dernière, toute transaction économique,commercialeoufinancièreestassujettieàlarèglementationaméricaineenmatièredesanctionsinternationalesdèsqu’elleremplitaumoinsunedestroisconditionssuivantes:

- l’utilisation du système financier américain, définie comme la réalisation d’unetransactionvers oupar le système financier américain, incluant la réalisationde touteopérationdecompensationendollar;

- l’implicationd’unepersonnephysiqueoumoraleaméricaine, notion largement etdifféremmentdéfiniedanschaquerégimedesanctions,maisrecouvrantengénéral:lescitoyens américains et les étrangers résidents aux États-Unis; toute personne qui setrouveprésenteauxÉtats-Unis»;lessociétésdedroitaméricain;lesfilialesoubranchesétrangèresd’unesociétédedroitaméricain;et,touteentitéorganiséequiestdétenueoucontrôléeparuncitoyenourésidentdesÉtats-Unisouunesociétédedroitaméricain;

- lecommerced’unbiend’origineaméricaine,notionlàaussilargementetdifféremmentdéfinie selon les régimes et à laquelle n’échappent que les biens qui ont étésubstantiellement transformés en bien d’origine étrangère en dehors du territoireaméricain,ouquisont incorporésàunbiend’origineétrangère,produitendehorsdesÉtats-Unissilavaleurdubienaméricainincorporéreprésentemoinsde10%delavaleurtotaledubienaprèsincorporationdubienaméricain.

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Ces trois critères caractérisent le «US Nexus», élément nécessaire et suffisant pour justifierl’applicabilité des sanctions primaires et la compétence des autorités américaines pourpoursuivrelesinfractionsconcernées.Àluiseul,l’utilisationdusystèmefinancieraméricain,quipeut être déduit de la seule utilisation du dollar dans une transaction constitue un puissantvecteurd’assujettissementàlarèglementationaméricainecomptetenudupoidsprépondérantdudollardansleséchangesmondiaux(plusdelamoitiédeséchangesmondiauxsefontendollar).

Au total, l’interprétation large de ces trois critères, notamment celui du recours au systèmefinancier américain, étend considérablement l’assujettissement d’entités non américaines auxrégimes/programmes de sanctions primaires et leurs confèrent ainsi une portée de factoextraterritoriale.

1.2.3.3. Les régimes de sanctions comportent également des sanctions secondairesappliquéesexplicitementdemanièreextraterritorialequiinduisentdeseffetséconomiquesmajeurs

Les sanctions secondaires sont prévues pour punir des individus ou entités juridiques denationalité américaine ou autres, qui aident ou ont des échanges ou font commerce avec desindividusouentitésvisées,sansquelelieudeceséchangesentamelacompétencedel’OFAC,doncoùqu’ilsseproduisentdanslemonde.Ellessontdoncd’applicationpurementextraterritorialeetvisent à empêcher quiconque (en le menaçant d’une sanction) de commercer avec unepersonne/entitéviséeparlessanctions.

Cessanctionsnesontpasnouvelles:dèslesannées90,plusieurstextesontprévudessanctionssecondaires,notammentleslois«Helms-Burton»(surCuba)et«d’Amato-Kennedy»(surl’Iranetla Lybie) de 1996. Plus récemment, on en trouve notamment dans les sanctions contre l’Iran(«Comprehensive Iran Sanctions Accountability and Divestment Act», «Iranian FinancialTransactionRegulations»et«NationalDefenseAuthorizationAct»)etdanslessanctionsprisesensoutienàl’Ukraine(«UkraineFreedomSupportAct»).

Ces dispositions prévoient que les institutions financières non américaines qui effectuent destransactions financièresavec lespersonnes/entitésviséespar lessanctionssontsoumisesauxsanctionsprévuesparcestextes.

En dépit de la crainte légitime qu’inspirent ces sanctions secondaires au sein des institutionsfinancières du monde entier, on constate néanmoins que l’OFAC utilise avec parcimonie sespouvoirsdesanctionsenlamatière:lamissionn’aidentifiéquequatreutilisationsdesdispositifsdesanctionssecondairesdepuis2012,toutd’abordàl’encontre:

- d’unebanquechinoise,«Kunlun»,sanctionnéecivilementparl’OFACpourviolationdessanctionscontrel’Iran;

- d’une banque irakienne, «Efaf Islamic Bank», sanctionnée civilement par l’OFAC pourviolationdesanctionssecondairesàl’encontredel’Iran;

Cesdeuxbanquessesontvuessanctionnéesparunedécision leurs interdisantd’ouvriroudemainteniruncomptedecorrespondanceouuncomptedepassage(avecobligationdefermerleséventuels comptes existants), les privant ainsi de tout accès aumarché financier et bancaireaméricain.

Plusrécemment,dessanctionssecondairesontétéprisesàl’encontred’entitésetdepersonnesrussesetchinoisespourviolationdel’embargocontrelaCoréeduNord:

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- le29juin2017,la«BankofDandong»s’estvueinterdiretouteopérationbancaireavecdes entreprises basées aux États-Unis, l’entreprise «Dalian Global Unity Shipping Co.»s’est vue interdire toute transaction commerciale avec des entreprises et des citoyensaméricainsetdeuxcitoyenschinois(SunWeiandLiHingRi)dontlesavoirsontétégeléset qui se sont vus interdire toute transaction avec des individus ou des entreprisesaméricaines(baselégale:«Section311duPatriotAct»,«ExecutiveOrder13382»relatifà laproliférationdesarmesdedestructionmassiveet«ExecutiveOrder13722»relatifentreautresauxrevenusdelaCoréeduNordissusducharbonainsiquesesindustriesdansl’énergieetdanslesservicesfinanciers);

- le 23 août 2017, les États-Unis ont annoncé de nouvelles sanctions à l’égard de dixentreprises russeset chinoisesainsiqu’à l’encontrede six individusaccusésd’aider laCoréeduNorddanssonprogrammed’armementnucléaire:troisentrepriseschinoisesd’importations de charbon sont sanctionnées et trois individus russes et deux firmesrusses basées à Singapour sont sanctionnés pour leur implication dansl’approvisionnement de la Corée du Nord en pétrole (base légale:«Executive Order13382»et«ExecutiveOrder13722»).

Autotal,onconstatedoncunecertaineparcimonie,voireretenue,dansl’utilisationdessanctionssecondairespar lesautoritésaméricaines.Néanmoins, lamenacequ’elles représententet leurpotentieldedestruction/dommageéconomiquedemeurent intacts: lessociétésviséespardessanctionssecondairesaméricainessevoientrefusertoutaccèsaumarchéaméricain,cequiselonla localisation géographique de l’activité concernée, peut signifier la mort économique de lasociété.

1.2.3.4. Lessourcesdedivergencesentre lessanctionseuropéenneset lessanctionsaméricainessontd’oresetdéjàmultiplesettendentàaugmenter

1.2.3.4.1. L’unilatéralisme américain en matière de sanctions internationales semble croîtreindépendammentdelacouleurpolitiquedel’administrationaméricaine.

IlestressorticlairementdesauditionsdelamissionàWashington,quelecaractèreunilatéraldessanctions internationales est vu de manière positive tant chez les Démocrates que lesRépublicains: l’outil des sanctions exerce un pouvoir d’attraction fort chez les élus des deuxcampsetestaujourd’huiconsidérécommeunoutilnormaldelaconduitedelapolitiqueétrangèredesÉtats-Unis.

Certes, l’actuelle administration ajoute au tableau un élément perturbateur supplémentaire,incarnéparladiplomatiejugéeimpulsiveetsurtoutimprévisibleduPrésidentDonaldTrump.CederniersemblefairepeudecasdesintérêtsdesalliéshistoriquesdesÉtats-Unis,notammentlespays européens. Cependant, au-delà de cette actualité récente, les Américains semblent avoircessédeprendreencomptelesintérêtsdespayseuropéensdansl’élaborationdeleursdécisionsenmatièredesanctionsinternationalesdepuisquelquetemps.

Dans le cas des sanctions contre l’Iran, l’Europe se retrouve prise en étau, coincée entre sonalliancestratégiquehistoriqueavecÉtats-Unisd’uncôtéetsesintérêtséconomiquesbiencomprisdel’autre.Ceconflitd’intérêtsdemeureàcejourrelativementpeuembarrassantcomptetenudupoidséconomiquefaibledel’Iran.Ilpourraitenêtretoutautrementsiladivergenced’orientationstratégiqueportaitsurd’autrespays,parexemplelaRussie.

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1.2.3.4.2. Les risques de divergences stratégiques entre l’Europe et les États-Unis au sujet de lapolitiquedesanctionsinternationalesn’ontjamaisétéaussigrands

Leconflitd’intérêtsentrel’EuropeetlesÉtats-UnispourraiteneffetéclateraugrandjourencasdesanctionséconomiquesdegrandeenvergurecontrelaRussie,dontlepoidséconomiquedansleséchangeset investissementscroisésdespayseuropéensestd’unetoutautredimension: laRussiereprésenteeneffetenviron6%deséchangescommerciauxdel’Unioneuropéenne(UE),mais 8% des importations de l’UE, en raison du poids important des importations de gaz ethydrocarbures.

Àcetégard,lasituationestd’autantplusinquiétantequ’ilsemblequelavolontéd’imposerdenouvellessanctionscontrelaRussiesoitpartagéeparl’ensembleduspectrepolitiqueaméricain, à la fois pour des considérations de politique étrangère (annexion de la Crimée,manœuvreshostilescontrel’Ukraine,affaireSkripal,etc.),maisaussienraisond’objectifsdepurepolitiqueintérieure:ilsembleeneffetquenombredeReprésentantsDémocratessoienttentésd’utiliser l’arme de nouvelles sanctions unilatérales contre la Russie dans le but de nuire auPrésident Donald Trump, pris dans la controverse sur le soutien de la Russie dont il auraitbénéficiédanssacampagneélectoralede2016.

Aussi, les risques de divergences entre les mesures adoptées par les États-Unis et celles quipourraientrecueillirl’adhésiondel’UEn’ontjamaisétéaussigrands:ilressortdesauditionsdelamissionquedessanctionsdrastiquescontrelaRussiesontàl’étudeauCongrèsdesÉtats-Unisetquedesdécisionspourraientêtreprisestrèsprochainement.

Demême,lapossibilitédenouvellessanctionscontrelaRussieémanantdel’AdministrationetnonduCongrès,surlabasedespouvoirsquiluisontconférésparlesprogrammesdesanctionexistants, est également forte: l’Administration Trump pourrait en effet être tentée soit dedevancer les sanctions probables du Congrès, soit de les accompagner afin de démontrer sadétermination (élément de la démonstration politique de son innocence dans l’affaire del’ingérenceRussedansl’électiondenovembre2016).

Autotal,lerisqueestélevépourl’Europeetlesentrepriseseuropéennesdedevenirlesvictimescollatéralesd’unconflitquine trouveraitpassasourcedansdesconsidérationsgéopolitiques,maisplutôtdesimplepolitiquepoliticienned’ordredomestiquepropreauxÉtats-Unis.

1.2.3.4.3. L’Europen’aaujourd’huipaslesmoyensjuridiquesderéagirdemanièreefficaceàdessanctionsinternationalesprisesparlesÉtats-Unisquiiraientàl’encontredesesintérêts.

Suiteauxlois«Helms-Burton»et«d’Amato-Kennedy»en1996,l’UnioneuropéenneaadoptéleRèglement(CE)n°2271/96duConseildu22novembre1996«portantprotectioncontreleseffetsdel’applicationextraterritorialed’unelégislationadoptéeparunpaystiers,ainsiquedesactionsfondéessurelleouendécoulant»,pluscommunémentappeléloideblocage.

Ce texte demeure à ce jour le seul outil juridique dont l’Europe dispose pour se protéger etprotégersesentreprisescontrelesconséquenceséconomiques,commercialesetfinancièresdel’utilisationparunÉtattiersdel’armedessanctionsinternationalescontreunautreÉtat.

Laloideblocageapourobjectifdecontrecarrerleseffetsdessanctionsextraterritorialesdepaystiers sur les personnes physiques (résidentes ou ressortissantes de l’Union) et les personnesmoralesconstituéesensociétédansl’Unioneuropéenne.Sonprincipeestquelesopérateursdel’Unionontobligationdenepasseconformeràtoute«législationextraterritorialeconcernée»(c’est-à-direviséedansl’annexeduRèglement),niauxdécisions,jugementsousentencesfondéessurcelle-ci,quelsqu’ilssoient,souspeinedesanctions(déterminéesparlesÉtatsmembres,maisquidoiventêtreefficaces,proportionnéesetdissuasives(article9).

Ainsi,laloideblocage:

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- interdit aux opérateurs de l’Union européenne de se conformer, directement ouindirectement,activementouparomissiondélibéréeauxprescriptionset interdictionsfondées directement ou indirectement sur les législations extraterritorialesconcernées(article5,1);

- annulel’effetdansl’Uniondetoutedécisionétrangère,ycomprislesdécisionsdejusticeetlessentencesarbitrales,fondéesurlalégislationextraterritorialeconcernéeetsurlesactesadoptésenvertucelle-ci(article4);

- permet auxopérateursde l’Uniond’être indemniséspour toutdommagedécoulantdel’applicationdelalégislationextraterritorialeconcernéeparlespersonnesphysiquesoumoralesoulesentitésayantcauséledommage(article6);

- ouvreledroitauxopérateursdel’Uniondedemanderl’autorisationdeseconformeràlalégislationextraterritorialeconcernéeendemandantunedérogation,danslescasoùlenon-respect de cette législation léserait gravement leurs intérêts ou ceux de l’Union(article5,2).

Letexteeuropéenaétéactualisé le7août2018afinderépondreà ladécisionunilatéraledesÉtats-Unisdu8mai2018d’imposerànouveaudessanctionsextraterritorialesà l’encontredel’Iransuiteàleurretraitdupland’actionglobalcommun(JCPOA)concluen2015entrel’Irand’unepart et la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les États-Unis et l’Unioneuropéenned’autrepart.Ainsi,ontétéajoutéesàl’annexedelaloideblocageetdoncàlalistedeslégislationsextraterritorialesconcernées,leslégislationssuivantes:

- «IranSanctionsActof1996»;

- «IranFreedomandCounter-ProliferationActof2012»;

- «NationalDefenseAuthorizationActforFiscalyear2012»;

- «IranThreatReductionandSyriaHumanRightsActof2012»;

- «IranianTransactionsandSanctionsRegulations».

Le Règlement européen a le mérite d’exister et fournit une base juridique européenne àl’indemnisationdesvictimeseuropéennescollatéralesdemesuresdesanctionsextraterritorialesvoire à la prise de contre-mesures pour faire échec à ces sanctions. Cependant, force est deconstater que ce Règlement n’a quasiment jamais été concrètement mis en œuvre par unquelconqueÉtatmembre.

Il ressort en effetdes entretiens conduitspar lamissionque la seule etunique invocationduRèglementdeblocages’estproduiteenAutriche,enavril2007,àl’occasiondelafermeturedecomptes bancaires cubains par la banque autrichienneBAWAGPSK: leministèredes affairesétrangèresautrichienalancédespoursuitesadministrativesàl’encontredeBAWAGenraisondela fermeture par cette dernière d’une centaine de comptes bancaires ouverts par des clientscubains, en application des sanctions américaines contre Cuba, sanctions concernées par leRèglement de blocage européen. La banque BAWAG recherchait, en l’espèce, à se mettre enconformitéaveclaloiaméricaineafindepouvoiraccueillirunfondsd’investissementaméricain(lefondsCerberus)parmisesactionnaires.Laprocédureadministrativen’afinalementpasétépoursuivie,labanqueBAWAGayantdécidé,débutmai2007,derouvrirlescomptesbancairesdesesclientsCubainssuiteà l’obtentionparCerberusd’unedérogation luipermettantd’investirdanslabanqueBAWAGmêmesicelle-cisetrouvaitensituationdeviolationdessanctionscontreCuba.

Undoutepersistedoncsurl’efficacitéduRèglementdeblocageetlapossibilitéréelledelemettreenœuvre,notammentdanssadimensiond’indemnisation.Selonletexte,unesociétéeuropéenne pourrait, en théorie, se faire indemniser de toute amende qu’elle paierait oudommagequ’ellesubiraitaprèssacondamnation(parexempleauxÉtats-Unis)pourviolationdesanctionsextraterritorialesconcernéesparleRèglementeuropéen.

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- Doit-onenconclurequ’unesociétéeuropéennepourraitobtenirunedécisiondejusticeenEuropecondamnant l’Étataméricainà l’indemniseràhauteurde l’amendequ’elleaurait eu à payer aux États-Unis ou du dommage qu’elle aurait subi sur le marchéaméricain?Laplupartdesjuristesrencontrésparlamissionémettentdesérieuxdoutesquantàlafaisabilitéetausuccèsd’unetellerequêteenindemnisation.

- Commentpourrait-onassurerenEuropelerecouvrementd’unecondamnationinfligéeau Gouvernement des États-Unis pour un dommage que sa politique de sanctionsextraterritorialeauraitcauséàuneentrepriseeuropéenne?Ilsemblepeuréalistedemettreenœuvre,pourcefaire,uneventeforcéedebiensappartenantauGouvernementdes États-Unis, et une condamnation de la sorte semble devoir rester purementthéorique.

Cesdoutesmettentenlumièrel’absence,àcejour,demesure(s)auniveaueuropéenquipermette(nt)deprotégerdemanière fiable lesentrepriseseuropéennesdesmesuresàportéeextraterritorialeprisespardesÉtatstiers,aupremierrangdesquelslesÉtats-Unis.

Il apparaît urgent et nécessaire de renforcer le dispositif européen. Les auditions conduites àBruxellesontpermisdeconstaterquepeudepayss’exprimentsurcesujet,etquelaCommissionsembledansl’attentedepropositionsdesÉtatsmembres.Aussi,lamissionpréconisel’élaborationd’unepropositionfrançaisequipourraitêtreprésentéeànospartenairesdel’Unioneuropéenneàl’occasiondel’installationdunouveauParlementetdelanouvelleCommission,afinquecesdeuxinstitutionspuissentinscrirecesujetàleuragendaetl’intégrerparmileursprioritéspourleurnouveaumandat(cf.2.7).

1.2.3.4.4. Lessolutionsenvisagéesaujourd’huiauniveaueuropéenpourcontournerl’utilisationdudollarseronteffectivesàlongterme:l’exempled’INSTEX

Dès l’annoncedurétablissementdessanctionsaméricainesà l’encontrede l’Iranenmai2018,l’Unioneuropéenneatravailléàlaconstitutiond’unmécanismedetrocamélioréviaun«specialpurposevehicle»(SPV),permettantdepoursuivredeséchangescommerciauxavecl’Iran,àl’abridessanctionsaméricaines.

Le31janvier2019,laFrance,leRoyaume-Unietl’Allemagne(GroupeE3)ontannoncélacréationde ce nouvel instrument dénommé INSTEX («Instrument for Supporting Trade Exchanges»)conformémentàleurengagementdepréserverl’accorddeViennedu14juin2015surlenucléaireiranien adopté par le Conseil de sécurité des Nations-Unies par sa résolution n°2231 (JointComprehensivePlanofAction/Pland’actioncommun).

Cevéhiculespécialestdestinéàfaciliterlestransactionscommercialeslégitimesentrelesacteurséconomiques européens et l’Iran. INSTEX crée unmécanisme de paiement qui permettraauxentrepriseseuropéennesdefaireducommerceavecl’Iransansêtreaffectéesparlessanctionsaméricaines.Ilaétévoulupourcontrerpolitiquementetcommercialementlaréimpositiondessanctionsfinancièresaméricainesextraterritorialessurl’Iran,ettémoigned’unevolontédel’UEdesedoterd’uninstrumentdesouverainetééconomique.

Dansunpremiertemps,cemécanisme,quin’apasencoreétémisenœuvre,permettral’échangedemédicamentsetd’aliments,nonsanctionnésparlesÉtats-Unis,entrel’Iranetl’Europe.Cetteinstitutionseraconstituéed’entreprisesetd’institutionseuropéennesprêtesàtraiteravecl’Iran.

Àladatedecerapport,cemécanismeestencoreencoursdemiseenplace,aussilamissionasimplementveilléàcequesesrecommandationssoientcompatiblesaveccetteinitiative,etviennentlacompléter.

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1.2.4. Raffinement ultime de l’extraterritorialité américaine, les États-Unis ontrécemment adopté le «Cloud Act», qui permet aux autorités américaines decollecterlesdonnéesd’entreprisescibles,oùquecelles-cisoientstockéesdanslemonde,ens’affranchissantdesrèglesdelacoopérationjudiciaireinternationale

Le«ClaryfyingLawfulOverseasUseofDataAct»(«CloudAct»)aétépromulguéparlePrésidentDonald Trump le 26 mars 2018: il permet aux autorités américaines d’obtenir, dans leursenquêtespénales,desdonnéesstockéespardesentreprisesaméricainesendehorsdesÉtats-Unissans passer par une demande d’entraide et en s’affranchissant des règles de la coopérationjudiciaireinternationale.

Le «Cloud Act» modifie la loi «Stored Communications Act» (SCA) de 1986, qui traite de laprotection de la confidentialité des données de communication, traitées ou stockées par desfournisseursdeservicedecommunication.

Cetteloiapporteuneclarificationdel’étatdudroitaméricainsurunsujetdepremièreimportancepourlesentreprisesmondiales,celles-ciayantouétantencoursdemigrationdeleursdonnéessur le Cloud14. Compte tenu de l’état actuel du marché mondial du stockage de donnéesnumériques,dominétrèslargementpardesacteursaméricains(marchédétenuàhauteurde65%parAmazon,15%parMicrosoftet5%parGoogle), lamodificationduSCAparle«CloudAct»concerne,defait,l’ensembledesacteursdel’économiemondiale.

1.2.4.1. Le«CloudAct»répondàunevolontédeconféreruneportéeextraterritorialeauSCA

Le«CloudAct»trouvesonoriginedanslavolontédel’Administrationaméricainedesécuriserjuridiquement les demandes de données numériques faites aux opérateurs américains(notammenttouslesGAFAM15)pardesautoritésdepoursuitesaméricainesquandcesdonnéessontstockéessurdesserveurssituésàl’étranger.

Eneffet,alorsqueleproblèmedel’applicationdesdispositionsduSCAnes’étaitpasposépendantdesannées,lestockagededonnéespardesopérateursaméricainsétantprincipalementréalisédansdes«datacenter»situésauxÉtats-Unis,lamiseenplaceprogressivedeserveursendehorsdesÉtats-Unisparlesprincipauxfournisseursdeservicesnumériquesabouleversécetéquilibre.

Concrètement,lebesoindesécuriserjuridiquementcesdemandesestnédurefusdeMicrosoftdecommuniquerauxautoritésaméricainesdesdonnéesstockéesdansun«datacenter»enIrlande,dansuneenquêterelativeàuntraficdestupéfiants,aumotifquelesdonnéesdemandéesétaientcelles d’une personne de nationalité irlandaise et qu’elles étaient stockées en Irlande: le SCAn’ayant pas de portée extraterritoriale, Microsoft considérait que les autorités américainesn’avaientpasdebaselégalepourenfairelademande.

LaCourd’appeldeNewYork, le14juillet2017,adonnéraisonàMicrosoft,enconcluantque,comptetenudel’absenceensonseindedispositiond’extraterritorialitéexplicite,leSCAdevaitêtrelucommeétantlimitéauterritoirenationaletqu’enconséquenceleGouvernementaméricainne pouvait unilatéralement contraindreMicrosoft à lui donner accès à des données stockéesexclusivement en dehors des États-Unis et devait dès lors faire appel aux traités d’assistancejudiciairemutuelle,unsimplemandatdeperquisitionn’étantpassuffisant16.

14LetermeCloud(nuageenanglais)recouvrel'ensembledessolutionsdestockagedistant.Lesdonnéesinformatiques,au lieud'être stockées àproximités surdesdisquesdurs, sontdisponibles surdes serveursde stockagesdistants,appelésDatacenter,etaccessiblesparinternet.15GAFAMestl'acronymedesgéantsduWeb:Google,Apple,Facebook,AmazonetMicrosoft.16Étude de Théodore Christakis (Décembre 2017) : USA v. MICROSOFT : Quel impact ? – Statut des données,souveraineténumériqueetpreuvesdanslesnuages.

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29.

Aussi,sansattendreladécisiondelaCourSuprême,leGouvernementaméricainafaitadopter,viauncavalierlégislatifadoptésansdiscussionetinclusdanslaloidefinancespour2018,le«CloudAct»,quiprévoit,danslesenquêtesrelativesàun«seriouscrime»,undroitdecommunicationaubénéficedesautoritésaméricainesdesdonnéesrecherchéessansconsidérationdu lieuoùcesdonnéessontstockées.Cetteobligationpèse,àtitreprincipal,surtouteslessociétésaméricainesetcellesqu’ellescontrôlent.

1.2.4.2. Les fournisseurs de services numériques américains et leurs filiales aurontl’obligationderépondreauxdemandesdetransmissiondedonnéesémanantdesautoritésdepoursuiteaméricainesdèslorsqu’ellesenquêterontsurdes«seriouscrime»,sanségardpourledroitdulieuoùlesdonnéessontstockées

Lechampd’applicationdu«CloudAct»estvaste,àlafoisencequiconcernelessociétésviséesparunedemandededonnées,lesinfractionspourlesquellesunedemandededonnéespeutêtrefaiteetlesdonnéesconcernées.

1.2.4.2.1. Lessociétésvisées

Larédactiondu§2713du«CloudAct»estassezgénéraleetvise:

- les«providersofelectroniccommunicationsservicesorremotecomputingservices»,c’est-à-direlesopérateursdecommunicationsélectroniquesdontl’offred’accèswifipublics,ainsiquelesopérateursde«cloudcomputing»;

- les données qui sont situées ou stockées en dehors desÉtats-Unis et qui sont «in thecustody, control, or possession of communications-service providers that are subject tojurisdictionoftheUnitedStates».

Les sociétés pouvant faire l’objet d’une demande selon le «Cloud Act» sont donc touslesfournisseursdeservicesdecommunicationsélectroniques(lesopérateursdecommunicationsélectroniques et les fournisseurs d’accès à un service de communication),mais aussi tous lesprestataires d’informatique en nuage et les fournisseurs d’accès à un service informatique àdistance.TouslesGAFAMetautresacteursaméricainsdusecteursontdoncconcernésaupremierchef.

Les États-Unis semblent ainsi considérerquedès lors que les données sont accessiblesdepuis leur territoire, le fait qu’elles soient stockées en dehors des États-Unis sur leterritoired’unautreÉtatsouverainn’estpasunobstacle,carellessetrouventsituées«àportéed’unsimpleclic»:renversantlalogiquedelacompétenceterritoriale,laquestionn’estpasoùsetrouventlesdonnées,maisd’oùellessontaccessibles.

Engénéral,cessociétésdevrontdoncnormalementreleverdelajuridictiondesÉtats-Unispourrecevoirdesdemandesautitredu«CloudAct».

Cependant, ces dispositions ne font pas nécessairement obstacle à ce que des sociétés nonaméricaines soient considérées comme soumises aux dispositions du «Cloud Act» par lesjuridictionsfédérales.Eneffet,enfaisantréférenceauxprestataires«subjecttothejurisdictionoftheUnitedStates»,le«CloudAct»n’exclutpasquesoientconcernéeslessociétésnonaméricainesayant une filiale aux États-Unis, voire même celles qui ont des activités ciblant le marchéaméricain:

- s’agissantdespremières, lefaitpourunesociéténonaméricained’avoirunefilialeauxÉtats-UnispeutconduireàuneanalysedelaCourconsidérantquelafilialeauxÉtats-Unisalecontrôlesurlesdonnéesetestdoncsoumiseauxdispositionsdu«CloudAct»;

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30.

- s’agissantdessecondes,seloncertains juristesrencontréspar lamission, le faitqu’uneentreprisenonaméricaineoffredepuisl'étrangerdesservicesélectroniquesciblésverslemarchéaméricain(parexempleenayantrecoursàdelapublicitésurdessitesaméricains)pourrait avoir pour conséquence que les autorités américaines la considèrent commeétant«withintheUnitedStates».

1.2.4.2.2. Lesinfractionsvisées

Le«CloudAct»danssasection2visel’objectifpolitiqueduGouvernementaméricaindeprotégerla«publicsafety»etdecombattreles«seriouscrime,includingterrorism».Dansson§2523,ilviseégalementlanotionde«threatofdeathorseriousbodilyharmtoanyperson».

La notion de «serious crime» est cependant peu claire et mouvante. Il en existe quelquesdéfinitions,dontuneàl’article37duCodedesRèglesFédérales(«UnitedStatesCodeofFederalRegulations»),quiladéfinitcomme«Anycriminaloffenceclassifiedasafelonyunderthelawsofthe United States, any state or any foreign country where the crime occured», c’est-à-dire enpratiquetouteslesinfractionspassiblesd’unepeined’emprisonnementsupérieureàunan.

S’ajoute à cette analyse, le fait que la notion de «serious crime» n’apparaît dans le texte ques’agissantdesdemandesdecommunicationadresséesauxÉtats-Unis:ilyadoncundoutequantàl’applicabilitédecettenotionauxdemandesadresséesparlesÉtats-Unis,quipourraienttoutàfaitnepasêtrelimitéesàcettenotiondéjàlargeetnereleverquedelanotionde«publicsafety»,encoreplusvaste,largeetimprécise.

Autotal,quoiqu’ilensoit,lechampdesinfractionsconcernéesesttrèsvasteetcomprendsansaucun doute l’ensemble des infractions de nature économique, commerciale et financièresusceptiblesd’affecterlesentreprisesfrançaises.

1.2.4.2.3. Lesdonnéesconcernées

Les données susceptibles d’être concernées par une demande des autorités Fédérales sur lefondement du «Cloud Act» sont de tous les types: des contenus, e-mails, des documentsélectroniques,desmétadonnées,etc.

Lesdonnéesàcaractèrepersonneldespersonnesphysiques,commelesdonnéesdespersonnesmoralessontconcernées.

S’agissantdesdonnéespersonnellesdespersonnesphysiques,le«CloudAct»sembleentrerenconflitdirectaveclesdispositionsduRèglementGénéralsurlaProtectiondesDonnées(RGPD17)de l’Unioneuropéenne, cedernierprévoyanteneffet à l’article48que«Toutedécisiond’unejuridiction ou d’une autorité administrative d’un pays tiers exigeant d’un responsable dutraitementoud’unsous-traitantqu’iltransfèreoudivulguedesdonnéesàcaractèrepersonnelnepeutêtrereconnueourendueexécutoiredequelquemanièrequecesoitqu’àlaconditionqu’ellesoitfondéesurunaccordinternational,telqu’untraitéd’entraidejudiciaire,envigueurentrelepaystiersdemandeuretl’UnionouunÉtatmembre,sanspréjudiced’autresmotifsdetransfertenvertuduprésentchapitre».

17Lerèglementno2016/679ditRèglementGénéralsurlaProtectiondesDonnées(RGPD)estunrèglementdel'UnionEuropéennequiconstitueletextederéférenceenmatièredeprotectiondesdonnéesàcaractèrepersonnel.Ilrenforceet unifie la protection des données pour les individus au sein de l'Union Européenne. Après quatre années denégociationslégislatives,ilaétédéfinitivementadoptéparleParlementEuropéenle14avril2016,etsesdispositionssontdirectementapplicablesdansl'ensembledes28Étatsmembresdel'UnionEuropéenneàcompterdu25mai2018.EnFrance,laLoin°2018-493du20juin2018relativeàlaprotectiondesdonnéespersonnellesadapteaudroitdel’UnionEuropéennelaloide1978relativeàl’informatique,auxfichiersetauxlibertés,ettransposelenouveaucadrejuridiqueeuropéen(lerèglement2016/679etladirective2016/680).

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31.

1.2.4.2.4. Lecaractèreexplicitementextraterritorialdu«CloudAct»

Larédactiondu§2713«Requiredpreservationanddisclosureofcommunicationsandrecords»esttoutàfaitclairesurlesujet:

«Aproviderofelectroniccommunicationserviceorremotecomputingserviceshallcomplywiththeobligations of this chapter to preserve, backup, or disclose the contents of a wire or electroniccommunicationandanyrecordorotherinformationpertainingtoacustomerorsubscriberwithinsuchprovider’spossession,custody,orcontrol,regardlessofwhethersuchcommunication,record,orotherinformationislocatedwithinoroutsideoftheUnitedStates.»

Laloiaméricaineindiquedoncexplicitementquelalocalisationphysiquedesdonnéesn’estpasunélémentpertinentlorsqu’unjugeaméricainémetunmandatdeperquisition.

1.2.4.3. Les garde-fous sont peu nombreux: la nécessité d’un «warrant» et laperspectived’unaccordbilatéral

1.2.4.3.1. Lesgarde-fousprocédurauxsontlimitésauxdispositionsclassiquesdudroitcommundesenquêtespénales:l’obtentiond’un«warrant»oud’un«courtorder»

Laprocédurequelesautoritésaméricainesdevrontsuivrepourobtenirlesdonnéesrecherchéesestcelledudroitcommundesenquêtespénales:ellesdevrontobtenird’unjugeunmandatdeperquisition,un«warrant»,ouun«courtorder».

Cesprocédures sontdéjà cellesenvigueurdans le«SCA»quin’estpasmodifié sur cepoint:l’extraterritorialité du «SCA» réalisé par le «Cloud Act» ne s’est donc accompagné d’aucunegarantieprocéduralesupplémentaire:lesdonnéesstockéesendehorsdesÉtats-Unissontdoncsoumisesaudroitcommundesenquêtespénalesaméricaines.

1.2.4.3.2. Laperspectived’unaccordbilatéralasymétrique

Sile«CloudAct»estd’applicationdirecteetimmédiate(iladéjàcommencéàêtreappliquéparles autorités américaines depuis le printemps dernier), il contient des provisions spécifiquesréservéesauxÉtatsetauxfournisseursdeservicesnumériquesressortissantsd’ÉtatsquiaurontsignéunaccordbilatéralaveclesÉtats-Unis,un«executiveagreement».

Poursignerunaccordbilatéral,l’Étatcandidatdoitêtreun«qualifyingforeigngovernment»etfourniruncertainniveaudegarantiedelaprotectiondelavieprivéeetderespectdel’Étatdedroit (notamment principe de non-discrimination, respect des droits de l’Homme, protectioncontre les interceptions arbitraires, droit à un procès équitable, prohibition des arrestationsarbitraires,prohibitiondelatorture,etc.).

LesautoritésdesÉtatssignatairesd’un«executiveagreement»,accordbilatéral,aveclesÉtats-Unis,pourrontsolliciterlatransmissiond’informationsdétenuespardesprestatairesaméricainsets’affranchirdesrègles(etdesdélaisinduits)destraitésd’entraidepénale.

Pourlesfournisseursdeservicesnumériquesressortissantsd’unÉtatsignataired’un«executiveagreement»,leseulbénéficetiréd’unaccordbilatéralseradepouvoircontesterdeleurpropreinitiative,dansles14jours,devantlesjuridictionsaméricaineslalégitimitéd’unedemandedesautoritésaméricainessicettedemandeapourconséquencedecontraindrelefournisseuràviolersaloidomestiqueetàs’exposeràunemenaceréelledesanctiondanssonpays.Encorefaudra-t-il que les intérêts des États-Unis ne soient pas atteints par ce recours, ni que l’informationrecherchéesoitessentielleàl’enquête.Autantdirequelesavantagessontpeunombreux.

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32.

1.2.4.4. En attendant la conclusion d’un accord bilatéral équilibré, il convient deprotégerlesentreprisesfrançaises

Àcejour,aucunÉtatn’aencoreconclud’accordbilatéralaveclesÉtats-Unis.SeulleRoyaume-Uniaentamédesnégociations.Auniveaudel’Unioneuropéenne,desdiscussionsontétéengagéespoursavoirsil’Unionentantquetelleallaitaffirmersacompétencepourconclureun«executiveagreement» avec lesÉtats-Unis: unepropositiondemandat à laCommission est en coursdepréparation.Cependant,ilconvientdesoulignerqu’àcejourlesÉtats-Unissemblentopposésàconclureunaccordavecl’Unioneuropéenne,privilégiantlamultiplicationd’accordsbilatéraux.

Ilfautrappelerqueleprojetderèglement«E-evidence»,relatifàl’accèsauxpreuvesnumériquesenmatièrepénale,prévoitdesdispositionséquivalentesàcellesdu«CloudAct»avecuneportéeextraterritorialeexplicite(propositionprésentéeparlaCommissionle17avril2018):ceprojet,encoreencoursdediscussionentre instancesde l’Union,permettraenpratiqueauxautoritésfrançaises de récupérer directement auprès des opérateurs fournissant des services sur leterritoiredel’Uniontouteslesdonnéesstockéesparcesopérateurssansconsidérationdulieudestockage de ces données ni du lieu du siège social de ces opérateurs. L’accès se fera via desinjonctions européennes de production ou de conservation adressées directement par lesautoritésnationalesauxopérateursetassortiesdesanctionspécuniaires.

Dans ce domaine de la recherche et de l’acquisition de la preuve numérique, si essentiel auxautoritésdepoliceetdejustice,ilsembleclairquel’idéalseraitd’aboutiràunaccordéquilibréaveclesÉtats-Unispermettant:

- auxautoritésjudiciairesdesdeuxcôtésdel’Atlantiquedecollecteretdes’échangerdansdesdélaiscourtstouteslesdonnéespertinentespourlesuccèsdeleursenquêtes;

- de faire respecterdechaquecôté, les règlesnécessaireset légitimesdeprotectiondesdonnées numériques, notamment les données personnelles des personnes physiques,ainsiquelesdonnéesnonpersonnellesdespersonnesmoralesprotégéesparunsecretprofessionnelouuneautrerègledeconfidentialité;

- d’assurer que les canaux d’échanges et de transmissions de données sont équitables,symétriquesetfonctionnentaveclamêmeefficacitédanslesdeuxsens.

Si un accord global pouvait être conclu avec les États-Unis dans ce domaine, un grandprogrès serait réalisé dans l’adaptation de nos lois et mécanismes d’échangesd’informationsaveclesréalitésdel’enquêteau21èmesiècle.

Cependant,lasituationactuelleestéloignéedecetobjectifidéal.Àcejour,le«CloudAct»apparaîtd’abord comme une étape supplémentaire de l’unilatéralisme extraterritorial américain: ilinstaure un système de collecte de données au profit des autorités américaines sans égardd’aucune sorte envers la nationalité des personnes concernées ni envers la localisationgéographiquedesdonnées,et ignoranttotalement lasouverainetédesÉtatset l’applicationdeleursrèglesdedroit.

Si le«CloudAct»peut semblerêtreuneébauchede réponseauxdifficultésde la coopérationjudiciaireenmatièrederecherchedelapreuvenumérique,ilorganisenéanmoinsunsystèmedecollecte des données numériques au profit unique des autorités judiciaires et agencesadministratives des États-Unis, les affranchissant totalement des règles de la coopérationinternationale,del’entraidepénaleouadministrative.

Autotal,dansl’attented’unaccordbilatéral(perspectiveassezhypothétiqueàcejourou,àtoutle moins, lointaine), il est urgent et de la plus haute importance de prendre des mesurespermettantdeprotégerlesdonnéesnonpersonnellesdespersonnesmoralesfrançaisescontreles conséquences potentiellement très graves d’un siphonnage de leurs données à des finsd’enquêtespénalesauxÉtats-Unisquinerespecteraientpaslesrèglesdelacoopérationjudiciaireinternationale(cf.2.3).

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33.

1.3. Le droit interne de certains États en matière d’obtention de preuves,notamment le droit américain, permet en contournant la coopérationinternationale,untransfertmassifetincontrôlédesdonnéesdesentreprisesfrançaises

1.3.1. Uneprocédurejudiciaire intrusivefacilitantuntransfertmassifdesdonnéesdesentreprises,endehorsdesmécanismesd’entraide

Lesprocéduresderecueildesélémentsdepreuve,enmatièrepénale,commeenmatièrecivileetcommerciale dans les États de «Common Law18», aboutissent à une véritable injonction decommuniquerpesantsurlespersonnesmisesencauseaupénal,commesurlespartiesauciviletaucommercial,quelquesoitlelieuoùsesituentlesélémentscommuniqués.

Lespreuvestransmisesparlesintéresséssontainsi«rapatriées»,notammentsurleterritoireaméricain,parlespersonnesmisesencauseetlesparties,elles-mêmes,échappantcefaisantauxconventionsd’entraideexclusivementapplicablesauxÉtatsetnonauxpersonnesprivées19.

Outre,quelatransmissionvolontairedecesélémentsestsouventdepurefaçade20,elleaboutit,àraisonducontournementdesmécanismesd’entraide,àuneabsence totaledecontrôlepar lesautoritésfrançaisesd’élémentsaussistratégiquesque:

- enmatièrepénale,lacompétencedel’autoritérequérante,labaselégaledelapoursuite,la légalité de la mesure d’instruction au regard du droit de l’autorité requérante,l’existenced’unrisqued’atteinteàlasouveraineté,àlasécurité,àl’ordrepublicouauxintérêtsessentielsdel’État,laconfidentialitéoul’utilisationdansd’autresprocéduresdesélémentstransmis21;

- etenmatièrecivileetcommerciale, la légalitéde lamesured’instructionauregarddudroitdel’autoritérequérante, l’existenced’uneinstanceencoursoufuturejustifiant lerecueildespreuves,lelienentrelesélémentssollicitésetl’instanceencoursouàvenir,les risquesd’atteinteà la souverainetéouà la sécuritéde l’Étatet lacompatibilitédesélémentsrequisavecnotredroitinterne22.

Enpratique,unemasseconsidérablededocumentsestsusceptibled’êtretransmisedelasorteauxautoritésaméricaines23.

18LaCommonlawestunsystèmejuridique,issududroitanglaisetimplantédansdenombreusesanciennescoloniesbritanniquesoù ilaperduré,dont lesrèglessontprincipalementédictéespar les tribunauxau furetàmesuredesdécisionsindividuelles.Lajurisprudenceestainsilaprincipalesourcedudroitetlarègleduprécédentobligelesjugesàsuivrelesdécisionsprisesantérieurementparlestribunaux.19Article1er3duTraitéd’entraidejudiciairepénaleentrelaFranceetlesÉtats-Unisd’Amériquedu10décembre1998-article 2 1) de l’accord entre l’Union Européenne et les États-Unis d’Amérique en matière d’entraide judiciaire -ConventiondeLaHayesurl’obtentiondespreuvesàl’étrangerenmatièrecivileetcommercialedu18mars1970.20Cf.paragraphes1.3.1.1.et1.3.1.2.21Article1er1.,4.1.b)etc),6b),10.1.,14.2.et14.3duTraitéd’entraidejudiciaireenmatièrepénaleentrelaFranceetlesÉtats-Unisd’Amériqueendatedu10décembre1998. 22Articles1,3,12b)et21delaConventiondeLaHayedu18mars1970relativeàl’obtentiondespreuvesàl’étrangerenmatièrecivileetcommerciale.23Dansl’affaireSiemens,leDOJaindiquéqueplusde100millionsdedocumentsavaientétécollectés(UnitedStatesofAmericav.SiemensAktiengesellschaft,Department’ssentencingmemorandum,12décembre2008,P.3)–Leconseilexterned’Alcatel-Lucentacollectéplusde2millionsdedocumentsdont200000ontététransmisaugouvernement(United States of America v. Alcatel Lucent S.A., Government’s memorandum in support of the proposed pleaagreementsanddeferredprosecutionagreement,23mai2011,p13).

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34.

Laloideblocage(cf.1.5.1)prévoituneobligationpourtoutepersonned'informersansdélaileministrecompétentlorsqu'ellesetrouvesaisied’unedemandedecommunicationdepiècesenvued’uneprocédureadministrativeoujudiciaireoudanslecadredecelle-ci24.

Cetteobligationn’est cependantpas respectée, et lamission s’est trouvéedans l’impossibilitéd’évaluer le volume des demandes de pièces formées directement auprès des entreprisesfrançaisesdanslecadredeprocéduresjudiciairesétrangères,notammentaméricaines.

Lefaiblenombrededemandesd’entraideémanantdesautoritésaméricaines,enmatièrepénale,commeenmatièrecivile,sembletoutefoisindiquerqu’unnombreconsidérabledepièces sont adressées directement par les entreprises. Les auditions de nombreusesentreprises, cabinets d’avocats et juristes d’entreprises conduites par la mission ont en effetpermisdeconfirmerquecestransmissionssontnombreuses,particulièrementautraversdelaprocédurecivileditede«pre-trialdiscovery».

Tableau5:EntraidepénaleentrelaFranceetlesÉtats-Unis(2014-2018)

Demandesd’entraidejudiciairepénale 2014 2015 2016 2017 2018Demandesfrançaises 55 61 73 64 61Demandesaméricaines 32 39 54 51 40Source:DirectiondesaffairescriminellesetdesGrâces

Tableau6:Entraidecivile:demandesd'obtentiondepreuves(OP)(2014-2018)

Année Demandesd'OP dontÉtats-Unis

dontchapitre1CRI25TGI26

dontchapitre2autoritéconsulaire

commissaire

Refusd'exécutionOPÉtats-Unis

2014 305 12 7 3 22015 341 16 5 5 62016 340 15 7 8 aucun2017 250 14 3 11 aucun2018 272 16 10 6 aucunSource:DirectiondesaffairescivilesetduSceau

Ilconvientd’ajouterquececontournementdescanauxdel’entraideenmatièrecivileestparfaitementadmispar la jurisprudenceaméricaine,quine reconnaitpasde caractèrecontraignantàlaConventiondelaHaye.

La Cour suprême des États-Unis a considéré en 1987, dans un arrêt Aerospatiale27, que laConventiondeLaHayedu18mars1970relativeàl’obtentiondespreuvesàl’étrangerenmatièrecivile et commerciale28 n’interdisait pas à une autorité américaine de continuer à utiliser sespropres procédures d’obtention des preuves à l’étranger et non nécessairement celles de laConvention,selonuneappréciationd’opportunitéaucasparcas.

24Article2delaloin°68-678du26juillet1968relativeàlacommunicationdedocumentsetrenseignementsd'ordreéconomique,commercial,industriel,financieroutechniqueàdespersonnesphysiquesoumoralesétrangères.25CommissionRogatoireInternational(CRI).26TribunaldeGrandeInstance(TGI).27USSupremeCourt,Aerospatialev.USDistrictCourtfortheSoutherndistrictofIowa,482US522(RC88.559n.Dyer).28RatifiéeparlesÉtats-UnisetlaFrance.

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35.

La Cour suprême a fondé sa décision sur le libellé de la Convention indiquant que les États«peuvent» et non doivent recourir à une commission rogatoire, interprétée à l’aune de sonpréambuleénonçantquelaConventioncherche«àaméliorerlesystèmeactueldescommissionsrogatoires;àétendrelesmoyensdeprocéderauxactesd’instruction,enconférantauxconsulsdesdroitsplusétendusetenadoptant,danscertaineslimites,leprincipeducommissaire;etenmêmetemps,àmaintenirtouteslespratiquesplusfavorablesetmoinsrestrictivesexistantesquirésultent dudroit interne, des règles internesdeprocédure et des conventions bilatérales oumultilatérales.»

La Conférence de la Haye du droit international privé de décembre 2008 sur le caractèreobligatoireounondelaConventionaconclu,àpartird’unquestionnaireadresséauxÉtatspartis,qu’ilexisteunedivergencesurcepoint:lesÉtatsdetraditioncivilisteconsidérantquelespreuvessises à l’étrangerne sauraient être obtenuesquepar le biais de la Convention et les États deCommonLawconsidérantqu’ilsnesontpastenusderecouriràlaConventionetpeuventutiliserd’autresmoyenspourobtenirdespreuvesdansunautreÉtatparti29.

Ce contournementdesmécanismesd’entraide est amenéà s’amplifierdans ledomainepénal,puisquel’adoptionrécentedu«CloudAct»permetdésormaisauxautoritésaméricainesdesaisirdes données numériques hébergées à l’étranger, via les fournisseurs de services decommunications électroniques américains ou situés aux États-Unis, soit via des tiers à laprocédure.

Enfin,cecontournementestd’autantplusproblématique,quelesautoritésfrançaisesrecourent,quantàelles,auxmécanismesd’entraidelorsqu’ellessollicitentlacommunicationd’élémentsdepreuvesetrouvantàl’étranger.Or,lesexigencesdudroitaméricainentermesdepreuvesliéesàlaconditiondela«probablecause»30rendentextrêmementdifficilel’obtentiondepreuvesdanslecadred’unedemanded’entraidepénale.

Il ressort des auditions conduites par la mission à Washington, que les autorités judiciairesfrançaises réussissent rarement à satisfaire ce critère qui, pour la majorité des demandesd’entraidepénale,constitueunpréalableindispensableàl’exécutiondemesuresd’investigationcoercitives(perquisitions,saisiededonnéesélectroniques…)31.

Autotal, ledroit internedesÉtats-Uniscontribueainsi,toutà lafois,àfaciliterl’obtentiondespreuvesàl’étrangerparleursautoritésetàlecompliquersurleurterritoirepourunÉtatétranger.

29ConférencedeLaHayededroitinternationalprivé:LecaractèreobligatoireounondelaConventionsurlespreuves,documentpréliminairen°10,décembre2008.30La«probablecause»estundesprincipeslesplusimportantsenprocédurepénaleaméricaine.Ilimpliqued'avoirdesinformationsraisonnablementfiablespourjustifierqu'uneinfractionaétécommise,fiabilitéquirequiertpourêtreétablielaréuniondeplusieurscritères:-lafiabilitédelasource:silasourceestunepersonnequiadéjàétécondamnéeouestanonyme,letémoignageseramoinsfortquesilasourceestuncitoyenordinaire,-unliendirectentrelasourceetlacommissiondel'infractionoulesélémentsdepreuve:lesinformationsdelasourcedoiventrésulterd’untémoignagepersonneletdirectetnondeproposrapportésparuntiersayantdesinformationssurl'infraction.Lasourcedoitavoirvuouentendulacommissiondel'infraction.Adéfaut,lesinformationsdoiventêtresuffisamment corroborées par une enquête indépendante afin qu'une cour américainepuisse en conclure qu'il estprobablequelesinformationssoientexactes.31Bilandel’entraidepénaleentrelaFranceetlesÉtats-Unisdresséle9novembre2018.

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36.

1.3.2. Lesentreprisesfrançaisessontparticulièrementdémuniesenmatièrepénale,danslecadredesprocédurestransactionnellesconduitesparleDOJ

Ainsiqu’ilaétédéjàétéexposé, lesentreprisesfaisant l’objetd’uneenquêtepourdélinquanceéconomiqueauxÉtats-Unis expérimentent, depuisplusieursdécennies, une justicenégociée32.L’entreprisesuspectéesevoitproposerdecoopéreraveclesautoritésgouvernementalesetdefairepratiquer,àsesfrais,uneenquêteinternepardesavocatsextérieursàl’entreprise,quiserontassistésd’expertsentraitementdedonnéesélectroniques.

Dèslorsquecettecoopérationaétéacceptéeparsonclient,l’avocatnepeutserendrecompliced’undétournementdecelle-ci,souspeinedesevoiraccusédecomplicitéd’obstructionàlaJustice.Àl’ouverturedelaprocédure,cesenquêtesnesontlimitéesnidansleurobjet,nidansletemps,nidans l’espace, lesautoritésaméricainespouvantà toutmoment lesétendreàd’autres faits,allongerlapériodeconcernéeous’intéresseràdesactivitésmenéesdansd’autresÉtats.

Cette procédure ne revêt en outre, aucun caractère contradictoire dans la mesure où latransmissiondesélémentsenpossessiondesautoritésgouvernementalesresteàladiscrétiondeces dernières et est le plus souvent partielle. Ainsi que le souligne Antoine Garapon, «cetteconceptiondelalibertélimitecettedernièreàlafacultédefairedeschoixrationnels,auxdépensdelalibertédes’opposer,des’affirmercontrelesystèmeoudecontesterl’interprétationdelaloi33».

Lacontributiondesentreprisesàl’enquêteestd’autantplusactivequelaperspectiveduprocèsesteffrayanteàplusd’untitre:elleimpliqueunetemporalitéetunepublicitéincompatiblesavecla vie des affaires, représente un coût important et comporte un risque élevé en termes desanctions, que ce soit pour la personnemorale (une condamnation pénale définitive pourraitengendrerunretraitde l’immatriculationoude la licence,ouune interdictiond’exerceroudecommercer, etc.) ou les personnes physiques concernées (peine d’emprisonnementnotamment)34.

Elle est également favorisée par la clémence dont bénéficient les personnes participantactivementetdebonnefoiaurecueildesélémentsdepreuveetàl’identificationdespersonnesresponsables35.

Ilrésultedesauditionsdelamissionquelaconjugaisondel’ensembledecesélémentsdepressionconduitimmanquablementlesentreprisesfrançaisesàcoopéreretàtransmettreauxautoritésaméricainesl’ensembledesélémentsd’informationoudepreuvessollicités,ycomprislorsqu’ilssetrouventenFrance.

Auxtermesdel’enquête,l’entrepriseneplaidepascoupable,ellereconnaitlesfaitsets’engageàne jamais les contester, non plus que la procédure, y compris dans toute autre procéduresubséquente,qu’ellesoitaméricaineouétrangère.

Sielleestpoursuivieàraisondesmêmesfaits,elleestdoncprivéedudroitdesedéfendre,saufàprendre le risque d’une rupture de l’accord. La situation est d’autant plus périlleuse que leprocureurdisposedupouvoirdiscrétionnaired’apprécierlarupturedel’accordetdedéciderdepoursuites pénales, en conséquence de cette rupture. «L’entreprise se trouve empêchée enquelquesortedediresavéritédudossier»36.

32Lespremièrestransactionsemblématiquessemblentavoirétéconcluesen1992et1993.33AntoineGarapon,Dealsdejustice:Lemarchédel’obéissancemondialisée,édition2016.34 30 ans pour l’ancien Président de Taylor Bean and Whitaker, 110 ans pour l’ancien dirigeant de StanfordInternationalBank(DiscoursdeLannyBreuer,représentantduDOJ,du13septembre2012.35Doj-Principle9-28.700ofFederalProsecutionOfBusinessOrganisation.36AntoineGarapon,Dealsdejustice:Lemarchédel’obéissancemondialisée,édition2016.

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37.

Si la transaction aboutit, un accordestpassé avec les autorités gouvernementales aux termesduquel:

- l’entreprise s’engage à payer une importante amende, voire à mettre en œuvre unprocessusdemiseenconformité,souslecontrôled’unmoniteuretrenonceàseprévaloirdelaprescriptionetàcontesterlesdécisionsdugouvernementsicedernierestimaitquel’entreprisen’apasrespectésesengagements37;

- leprocureurrenonceàpoursuivrel’intéressé38oususpendlespoursuites39,enattentedel’accomplissementdesobligationsrésultantdelatransactionpénale.

Ilconvientdesoulignerqu’àaucunmomentdecetteprocédureunjugenecontrôlelacompétencedesautoritésdepoursuite,silaoulesinfractionsencausesontconstituéesouencorelarégularitédelaprocédure.

LaCoursuprêmedesÉtats-Unisad’ailleursindiquéquele«compromisestaucœurduprocessusde transaction»40; le juge en charge de l’homologation de la transaction pénale vérifie parconséquentuniquementsicelle-ciestadéquate,justeetraisonnable.Cettehomologationprendlaforme d’un «consent judgement» ou d’un «judicial decree», qui confère à ces transactionsl’autoritéattachéeàtoutedécisiondejustice.

Unefoislatransactionconclue,lesinformationsrelativesàl’entreprisecontinuentenoutred’êtreadressées aux autorités gouvernementales étrangères par le moniteur. En effet, les accordstransactionnels conduisent souvent les entreprises à accepter en leur sein et pour l’avenir laprésence, potentiellement sur notre territoire national, d’un moniteur. Le moniteur est unepersonne(quipeutêtreenréalitéuneéquipedeplusieursdizainesdepersonnes)mandatéeparl’autorité étrangère, lui rapportant directement, qui aura accès à toute l’activité et à tous lessecrets de l’entreprise pendant la duréede sonmandat (qui peut être fixée à denombreusesannées)etévalueral’actiondel’entreprisedemanièrerégulière.

1.3.3. En matière civile, la procédure de «discovery» conduit à un transfert massifd’élémentsrelatifsauxentreprises

Lerapportàl’AssembléenationaledeM.AlainMayoud41surleprojetdeloiayantaboutien1980à la révision de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 éclaire la problématique. L’intention dulégislateur était en effet, de protéger les entreprises françaises appelées à répondre auxinterminablesquestionnairesd’avocatsétrangerscherchantàaccumulerdespreuvesàl’encontredesditesentreprises,souventconcurrentesdecellesquecesavocatsreprésentent,autraversdelaprocédureditede«discovery».

Enmatièrecivileetcommerciale,laprocédurede«discovery»auxÉtats-Unispermetd’accéderauxélémentsenpossessiondelapartieadverse,oudetiersàlaprocédure42.

Si,enFrancecommedanslaplupartdesautrespayseuropéens,lacollectedespreuvesauciviletaucommercial,estplacéesouslecontrôled’unjugeetresteempreintedelamaximelatine«Nemoteneturederecontrase43»quiexonèrelespartiesdel’obligationdeproduiredespiècesquileursontdéfavorables.

37DeferredProsecutionAgreementssouscritsparSiemens(15décembre2008)ouTotal(23mai2013).38Non-ProsecutionAgreement.39DeferredProsecutionAgreement.40UnitedStatesv.ArmourandCo,402U.S.673,681,91S.Cr1752,1757(1971).41LerapportdeM.A.Mayoud-Ass.nat.n°1814.42PeterHay,LawoftheUnitedStates,Introductionaudroitaméricain,3émeedition,2010.43Personnen’esttenudeproduireunepiècecontresoi.

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38.

Teln’estpaslecasenCommonLaw.Chacunaledevoirdefournirlesinformationsdontildispose,quellesqu’ensoientlalocalisationetlaforme,etdecoopérer44.Lajurisprudenceaméricainen’adèslorscesséderenforcerlecaractèrecoercitifdela«discovery»,notammenteninterprétantlesilenceopposéparunepartiecommelareconnaissancedesfaitsallégués.

Àdéfautdecoopération,ledemandeurpeutsaisirlejugeafinquecelui-cisanctionnelerefusdesesoumettreauxdemandesdeproductiondetémoignagesoudedocuments45,cedernierpouvantprononcer,auxtermesdesrèglesfédéralesdeprocédurecivile:

- dessanctionspécuniaires(paiementdesfraisexposésparl’autrepartie);

- dessanctionsayantuneincidencesurl’issuedulitige(faitsalléguésconsidéréscommeétablis,interdictionfaiteaudéfendeurdeplaidersurunepartiedulitige,voirejugementpardéfaut);

- des sanctions sur le fondement du «contempt of court» (équivalent de l’outrage àmagistrat),àsavoiraumoinsuneamende,voiredespeinesd’emprisonnement.

LasociétéToutélectriqueaainsiétécondamnéeparlaCourd’appeldeCalifornieen200246à25millionsdedollarspouravoir invoquétroptardivementlaConventiondeLaHayedu18mars1970surl’obtentiondespreuvesàl’étrangerenmatièrecivileetcommerciale,pours’opposeràuneprocédurede«discovery»47.

Durant cette phase de collecte de preuves, le juge américain ne joue qu’un rôle subsidiaire,exclusivementpunitif,encasderefusopposéauxdemandesd’informations48.Afindetenterdelimiter la pêche aux informations éloignées du litige49 qu’est susceptible de générer un telsystème,lespartiessontappeléesendébutdeprocédureàidentifiertouteslespreuvesenleurpossessionquisontenrapportaveclesfaitscontestés50.

Àcetégard,lechampdel’enquêtesetrouvelimitéparlesprincipesposésparlaRègle26(b)(1)des«FederalRulesOfCivilProcedure»(F.R.C.P.)quiprotègentlesinformationsconfidentiellesetposentunprincipedeproportionnalitédesélémentsdepreuveau regard,de l’importancedel’affaire,dessommesencause,del’accèsdespartiesauxinformationsnécessaires,desmoyensdontdisposentlesparties,del’utilitédespreuves,etdel’équilibreentrelachargeinduiteparlarecherched’unepreuveetlesbénéficessusceptiblesd’enrésulter.

Lapartiedéfaillantepeutdanslecadredelaprocédurede«discovery»fairevaloirl’impossibilitédans laquelle elle se trouve de produire les éléments demandés. En ce cas, le juge émet un«protective order», c’est-à-dire une ordonnance par laquelle il légitime le refus de la partierequiseetlimitel’étenduedesonobligationdecommunicationouenfixelesmodalités.Lejugerendsadécisionsurlabased’un«balancingtest»(balancedesintérêts),enconsidérationdescritèresénoncésdanslaRègle26(b)(1)desF.R.C.P,précitées.

44FederalRulesofCivilProcedure(F.R.C.P.)ouRèglesfédéralesdeprocedurecivileaméricaines,n°26(DutytoDisclose;GeneralProvisionsGoverningDiscovery)etn°34(ProducingDocuments,ÉlectronicallyStoredInformation,andTangibleThings,orEnteringontoLand,forInspectionandOtherPurposes).45Article37desFederalRulesofCivilProcedure.46Am.HomeAssuranceCo.v.SociétécommercialToutélectrique,104Cal.Rptr2d406,409(Cal.Ct.App.2002).47Décretn°75-250du9avr.1975portantpublicationdelaconventionsurl’obtentiondespreuvesàl’étrangerenmatièrecivileoucommerciale,ouverteàlasignatureàLaHayele18mars1970,signéeparlaFrancele24août1972,JO17avr.1975pp.3980-3985.48Règlesn°37desF.R.C.P.américaines(“Failuretomakedisclosuresortocooperateindiscovery;sanctions”).49«Fishingexpedition»quiconsiste,sansvéritableélémentdepreuve,àalleràlapêcheauxdocumentsetinformations,envued’uneplainteoud’uneactionenjustice,dontonignoreencorel’objetprécis.50FederalRulesofCivilProcedures(F.R.C.P.)26(a).

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39.

Laprocédurede«discovery»,àl’identiquedelaprocéduretransactionnellepénale,créeparconséquent,lesconditionsd’unetransmissionvolontaireparlesentreprisesdespiècesréclamées,ycomprislorsquecelles-cisetrouventàl’étranger;l’obligationdeproductiondesélémentsdepreuvepesantsurlespartiesnedépendantenriendulieuoùsesituentlespiècessousleurcontrôle.

Cetransfertdirectetmassifd’élémentsd’informationetdepreuveparlesentreprisesfrançaises,horsducontrôlequepermettraitunedemanded’entraide,estd’autantplusproblématiquequecesdernièressetrouventparticulièrementfragiliséesdanslamesureoùlesavisdeleursservicesjuridiquesnebénéficientpasdelaconfidentialitédansnotredroitinterne.

1.3.4. Cesfaiblessessontaccentuéesparl’absencedecontrôleparlesautoritésfrançaisesdesélémentstransmisdanslecadredel’entraide

L’ouverturedesmarchés,lamondialisationcroissantedel’économieetlesprogrèsimportantsdumultilatéralismeenmatièrede luttecontre lacriminalitéet le terrorisme(notammentdans lafouléedelaconclusiondenombreusesconventionsdel’ONUoudel’OCDEàlafindesannées90)ontenclenchéunmouvementlent,maisprofondd’améliorationdelacoopérationinternationaleenmatièrejudiciaire:nombredetraitésetconventionsinternationalesrappellentquelesÉtatspartiss’accordent«mutuellementàl’entraidejudiciairelapluslargepossible».

CeprincipedepleinecoopérationaeuunimpactfortdanslesÉtatsmonistestelsquelaFrance où les traités priment sur le droit interne51. L’objectif légitime de ce principe acependantfaitperdreunpeudevuelanécessitédeveilleràcequelacoopérationneportepasatteinteàlasouverainetédel’Étatetcefaisant,àlaprotectiondescitoyensetdesentreprises:lamissionaainsipuobserverquelescircuitsdecetteveillen’étaientpasorganisésetlesintérêtsàprotégerpasclairementdéfinis.

Cettelacuneestd’autantplusgraveetlavigilanceenmatièred’atteinteàlasouverainetédel’Étatd’autant plus indispensable que les États se livrent aujourd’hui une guerre économique etcommerciale de plus en plus ouverte (notamment depuis l’arrivée de Donald Trump à laPrésidencedesÉtats-Unis),etquelesprocéduresjudiciairessemblentdeplusenplusutiliséescomme une arme dans cet affrontement. En outre, la preuve devenant majoritairementnumérique, les éléments transmis via les canaux d’entraide deviennent de plus en plusvolumineuxetcefaisant,demoinsenmoinscontrôlables.

1.3.4.1. Lefaiblecontrôledesdocumentstransmisdans lesdemandesd’entraideenmatièrepénale

Enmatièred’entraidepénale, laFranceet lesÉtats-Unisd’Amériquesont liéspardemultiplesconventionsettraitésbilatérauxcommemultilatéraux52.Enoutre,depuisle1erfévrier2010,lesÉtats-UnisetlaFrancesontégalementliésparlesaccordsdecoopérationjudiciaireentrel'UnioneuropéenneetlesÉtats-Unisenmatièred'extraditionetd'entraidejudiciairepénale,cesaccordsn’ayantpasvocationàsesubstituerauxaccordsbilatérauxexistants,maisàlescompléter.

51Laconceptionmonistereposesurl'idéequeledroitinternationaletledroitinterneconstituentunseuletmêmeensembledans lequel lesdeux typesderèglesserontsubordonnés l'un a l'autre.A l’inverse,pour les tenantsde laconception dualiste en vigueur aux États-Unis, le droit interne et le droit international constituent deux systèmesjuridiqueségaux,indépendantsetséparés.LavaleurpropredudroitinterneestindépendantedesaconformiteauDroitInternational.52LeTraitéd’entraidejudiciaireenmatièrepénaledu10décembre1998,leTraitéd’extraditiondu23avril1996,laConventiondesNationsUniescontreletraficillicitedestupéfiantsetdesubstancespsychotropesdu19décembre1988,laConventiondesNationsUniescontrelacriminalitétransnationaleorganiséedu15novembre2000,laConvention

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40.

Le flux de l’entraide entre la France et les États-Unis est demoyenne intensité et légèrementdéséquilibré,laFranceadressantdavantagededemandesquelesautoritésaméricaines.

Outrelefaitquelecircuitdel’entraideestpeuutiliséparlesautoritésaméricaines,ilrésultedeséchangesdelamissionaveclaDirectiondesAffairesCriminellesetdesGrâces(DACG)que,defaçongénérale,lesautoritésaméricainesonttendanceàsolliciterdirectementlacommunicationdesélémentsrecherchésparla/lessociété(s)concernéeset,enparallèle,formentunedemanded’entraide,cequileurpermetd’identifierprécisémentlesélémentsdontellesontbesoinetderégulariserlaprocédure.Autrecaractéristiquedesdemandesd’entraideaméricaines,ellesvisentgénéralementàobtenirlaremisedevolumesimportantsdedocumentsinternesauxentreprisesmisesencause53.

S’agissant plus spécifiquement des demandes en matière d’infractions économiques etfinancières, formées dans des procédures mettant en cause des sociétés et établissementsbancairesfrançais,neufdemandesd’entraideontétérecenséesauBureaudel’EntraidePénaleInternationale(BEPI)cescinqdernièresannées54,relativesàsixaffairesdistinctes.

Troistypesd’infractionssontprincipalementconcernésparlesdemandes:

- laviolationdesanctionséconomiquesimposéesparlesÉtats-Unis55;- lesinfractionscommisessurlesmarchés56;- lacorruptioninternationale57.

LeBEPIaadmisauprèsde lamissionavoir longtemps transmisdenombreuxélémentsdanslecadredel’entraidepénale,sansvéritablementexaminernifiltrerleurcontenu.Plusrécemment cependant,des refusd’exécutionontétéopposésauxautoritésaméricaines sur lefondementdelacontrariétéàl’ordrepublic,motifprévuparl’article6delaconventiond’entraidebilatérale58ouceluid’atteinteauxintérêtsfondamentauxdelaNation,figurantàl’article694-4duCodedeProcédurePénale(CPP)59.

desNationsUniescontrelacorruptiondu31octobre2003etlaConventiondel'O.C.D.E.surlaluttecontrelacorruptiond'agentspublicsétrangersdanslestransactionscommercialesinternationalesdu21novembre1997.53Desdizaines,voiredescentainesdemilliersdedocumentsétantsusceptiblesd’êtreconcernés,auxdiresdelaDACG.54BureaudelaDirectiondesAffairesCriminellesetdesGrâces(DACG)duMinistèredelaJustice.55 Quatre demandes sont parvenues auBEPI, dans le cadre de deux dossiers visant des établissements bancaires,relativesàdesinvestigationsmenéesnotammentdeschefsdefraudeélectronique,fraudebancaireetdeviolationdelalégislationaméricainerelativeauxsanctionséconomiques.Lesfaitsreprochésauxbanquesconcernéesétaientd’avoir-pardiversmoyensestimésfrauduleux-éludélesfiltresetrestrictionsmisenplaceparl’OFACvisantàcontrôleret,lecas échéant, bloquer des transactions impliquant des organisations terroristes ou interdites ou des virements desommesenprovenanceouversdesÉtatsfaisantl’objetdesanctionsdontleSoudan,l’Iran,laCoréeduNord,Cuba,leMyanmaretlaLibye.56LaprocédurediteLibor/Euriboradonnélieuàladélivranceauxautoritésfrançaisesdedeuxdemandesd’entraidepénale(venantcomplétertroisprécédentesdemandesreçuesen2012et2013)visantdesétablissementsbancairesetportantsuruneententeilliciteintervenuesurlesmarchésdutauxinterbancaireoffertàLondres(Libor)etdutauxinterbancaireeuropéen(Euribor).57 Trois sociétés françaises sont ou ont été concernées par trois demandes d’entraide délivrées par les autoritésaméricainesdansdesprocéduressuiviespourcorruption,suiteàl’obtentiondecontratsàl’étranger,aprèsversementdepotsdevin.58Article6-Refusdel’entraide1.L’Étatrequispeutrefuserl’entraidejudiciaires’ilconsidère:a)Quel’infractionàlaquelleserapportelademandeestuneinfractionpolitiqueouuneinfractionconnexeàuneinfractionpolitique,ou;b)Quel’exécutiondelademanderisquedeporteratteinteàsasouveraineté,àsasécurité,àsonordrepublicouàd’autresintérêtsessentiels.2.Avantderejeterunedemanded’entraidejudiciaire,l’autoritécentraledel’Étatrequisconsultel’autoritécentraledel’Étatrequérantafind’examinersiellepeutaccorderl’entraideenimposantlesconditionsqu’ellejugenécessaires.3.Sil’entraideestrefusée,l’autoritécentraledel’Étatrequisinformel’autoritécentraledel’Étatrequérantdesmotifsdecerefus.59Article694-4duCPP:«Sil'exécutiond'unedemanded'entraideémanantd'uneautoritéjudiciaireétrangèreestdenatureàporteratteinteàl'ordrepublicouauxintérêtsessentielsdelaNation,leprocureurdelaRépubliquesaiside

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41.

Cesrefusd’exécutionsontintervenusdanslesdeuxdossiersOFACprécités.

Dans le cadre de la première procédure, une première demande d’entraide des autoritésaméricaines visait à l’obtention de documents relatifs à dix thématiques différentes, outrel’audition, en présence de procureurs et agents américains, de dix-neuf personnes physiques(salariés ou anciens salariés de l’établissement concerné), dont l’identification préalable étaitrequise. La demande d’entraide complémentaire tendait à l’audition de dix personnessupplémentaires.

Danslasecondeprocédure,lapremièredemanded’entraidetendaitàl’obtentiondedocumentsrelatifs à onze thématiques différentes, outre l’audition, en présence de procureurs et agentsaméricains, de dix-sept personnes physiques (salariés ou anciens salariés de l’établissementconcerné),dont l’identificationpréalableétaitrequise.Lademanded’entraidecomplémentairevisaitàlatransmissiondedocumentscomplémentairesrépondantàneufthématiquesdifférentes.

L’analysedecesdemandesparleBEPIapermisd’identifierplusieursdifficultés.Toutd’abord,cesdemandesétaientparticulièrementextensivesetportaientsurdetrèsnombreuxdocuments.

Ensuite,ilapparaissaitquedeséchangesdirectsentrelesétablissementsbancairesconcernésetlesautoritésaméricainess’étaientpréalablementproduits,encontrariétéavecl’article1bisdelaloin°68-678du26juillet1968,dite«loideblocage».

Enfin,ils’avéraitquelesfaitsencauseavaientétéprincipalementcommisdepuislaFrance,pardes personnes physiques ou morales principalement de nationalité française, alors que lesrégimes de sanctions applicables en France et aux États-Unis étaient très différents et que laprescriptiondesfaitsendroitfrançaispouvaitsembleracquise.

Auregardde l’ensembledeceséléments, il aétédécidéque l’exécutiondesquatredemandesd’entraidereçuesdanscesdossiersétaitsusceptibledeporteratteinteànotreordrepublic,cequiajustifiélanotificationd’unrefusd’exécutionsurlefondementdel’article6b)duTraitébilatéralfranco-américaind’entraidejudiciaireenmatièrepénale.

Ladifficultédemeure cependant, au regardde lamassedespièces sollicitées (principalementnumériques)àl’occasiondesdemandesd’entraidepénale,queleBEPIn’estpasencapacitédecontrôlerlademande,d’autantquelesursisàexécutiondesdemandesd’entraidepénaleesttrèsencadréparlaconventionbilatérale60.

Auregarddecettedifficulté,laDACGadéfiniunprotocoledetraitementdesdemandesd’entraidepénale en matière de délinquance économique et financière, dans les affaires sensibles oucomplexes,quiafaitl’objetd’unedépêcheduGardedesSceaux,ministredelaJustice,enjanvier201761.

Cette dépêche permet de sensibiliser les procureurs au risque potentiel que représentent lesdemandesd’entraidepourlesintérêtséconomiquesdelaFranceetlesinciteà:

- signalercesdemandesauBEPIauxfinsd’orientationversleserviceleplusapproprié(Parquetnationalfinancier,parquetterritorialementcompétent,juged’instruction);

cettedemandeouavisédecettedemandeenapplicationdutroisièmealinéadel'article694-1latransmetauprocureurgénéralquidétermine,s'ilyalieu,d'ensaisirleministredelajusticeetdonne,lecaséchéant,avisdecettetransmissionaujuged'instruction.S'ilestsaisi,leministredelajusticeinformel'autoritérequérante,lecaséchéant,decequ'ilnepeutêtredonnésuite,totalementoupartiellement,àsademande.Cetteinformationestnotifiéeàl'autoritéjudiciaireconcernéeetfaitobstacleàl'exécutiondelademanded'entraideouauretourdespiècesd'exécution.»60Article7-Reportdel’exécution:Sil’Étatrequisconsidèrequel’exécutiond’unedemandegêneraituneenquêteouune procédure pénale en cours dans cet État, il peut, après consultation entre les autorités centrales, surseoir àl’exécution,ycomprisdifférerlatransmission,ousubordonnerl’exécutionauxconditionsqu’iljugenécessaires.Sil’Étatrequérantacceptel’entraidesousréservedecesconditions,ildoitalorss’yconformer.61DépêchedugardedesSceaux,ministredelaJusticedu9janvier2017-Luttecontreladélinquanceéconomiqueetfinancièrecomplexe-traitementdesdemandesd’entraidepénaleétrangèressensiblesvisantdespersonnesmoralesouphysiquesfrançaises.

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42.

- contrôlerlesélémentsjuridiques(compétencedel’autoritérequérante,prescriptiondel’infraction,incriminationdesfaitsenFrance)etàexaminerlesmotifsd’ordrepublicquipourraientêtreopposéàlademande,enconcertationaveclesautoritésaméricainesetenassociant,lecaséchéant,l’AutoritédesMarchésFinanciers(AMF)oul’AutoritédeContrôlePrudentieletdeRésolution(ACPR);

- ouvrir, si possible, des enquêtes ditesmiroir permettant de se saisir des faits pourlesquels les autorités françaises ont une compétence légitime et de contrôler lesélémentstransmis.

Ilconvientcependantdesoulignerquelesenquêtesmiroirnepeuventêtreouvertesquepourautantquenotredroitinterneréprimeégalementlesfaitsvisésparlaprocédureétrangère,ortellen’estpastoujourslecasenmatièredesanctionsinternationales,dontbeaucoupsontprisesdemanièreàlafoisunilatéraleetisoléeparlesÉtats-Unis.

Enoutre,pourêtreeffectif,cecontrôledesélémentstransmisrequiertquelesautoritésjudiciairesen charge de l’exécution des demandes d’entraide soient sensibilisées aux intérêts que l’Étatsouhaite voir protéger, sachent auprès de qui s’adresser en cas d’interrogation à ce sujet etdisposentdesmoyenshumains,maiségalementmatériels,permettantd’analyserlesdonnées.

Àcetégard,lamissionapuconstaterquelesautoritésjudiciaires,nonseulementnedisposaientpasdesmoyensadaptésà lasensibilitéetà lacomplexitédecettetâche,maisétaientsouventdémunies lorsqu’elles se trouvaient confrontées à la question de l’atteinte aux intérêtséconomiquesessentielsdel’État.

Lescompétencesentourantlesmagistratsenchargedeladélinquancefinancièresonteneffet,insuffisantes,voireinexistantesdanscertainsressorts,alorsquedespayscommelesÉtats-UnisoulaSuèdeontdéveloppédeséquipesspécialiséesautourdesautoritésjudiciaires.

L’OfficeCentraldeLuttecontrelaCorruptionetlesInfractionsFinancièresetFiscales(OCLIFF),crééen2013,deparsacompétencenationale,suit341enquêtesavecuneffectifde90personnesetnedisposepasd’outilssuffisantsenmatièred’analysedesdonnées,cequilecontraintàsous-traitercertainesanalyses,notammentauprèsd’Europol.

Enfin,afindedétecterleséventuellesatteintesauxintérêtséconomiquesessentielsdel’État,lesautorités judiciaires réclamentun référent, clairement identifiéet l’élaborationd’unedoctrinerelativeauxintérêtsprotégés.Ilpeutêtreégalementsoulignéquel’autoritécentraleenchargedel’entraide pénale se trouve tout aussi démunie, en l’absence de traitement interministériel del’intelligenceéconomiqueetdedoctrine,enlamatière.

1.3.4.2. L’absence quasi totale de contrôle dans l’entraide en matière civile etcommerciale

LaConventiondeLaHayesurl’obtentiondespreuvesàl’étrangerenmatièrecivileetcommercialedu18mars1870-quiaremplacélesconventionsde1905et1954etinspirélesdispositionsdedroitcommun,d’applicationsubsidiaire,introduitesen1975dansleCodedeProcédureCivile62(CPC)-avisé,d’unepart,àfaciliterl’entraideenréduisantlenombredesintermédiairesetenrendantobligatoirel’exécutiondesdemandes,etd’autrepartàjeterunpontentrelessystèmesd’obtentiondespreuvesdedroitciviletde«CommonLaw».

Elleprévoiteneffet,àcôtédelacommissionrogatoireconfiéeàunjuge,lerecoursauxagentsdiplomatiquesetconsulairesouàdescommissaires,desortequelapremièrevoien’estplusqu’unmoyenparmid’autres63.

62Articles735etsuivantsduCPC.63Droitinternationalprivé,BernardAudit,Traité,LGDJ.

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43.

TroistypesdeprocéduressontàladispositiondesautoritésdechaqueÉtatparti:

- lacommissionrogatoire(adresséeparlajuridictionrequéranteàl’autoritécentraledel’Étatoùelledoitêtreexécutée);

- l’obtentiondepreuvespardesagentsdiplomatiquesouconsulaires(quipeuvent,sanscontrainte,surleterritoired’unautreÉtatprocéderàtoutacted’instructionconcernantuneprocédureengagéedevantuntribunaldel’Étatqu’ilsreprésentent,aveccettelimitequ’une autorisationde l’État de résidence est nécessaire lorsque sont concernés sesressortissantsouceuxd’unpaystiers);

- l’obtentiondepreuvesparcommissaire(permettantàtoutepersonnedésignéecommecommissaire de procéder, sans contrainte, à tout acte d’instruction concernant uneprocédure engagée devant un tribunal d’un État parti – en France, une autorisationpréalabledel’autoritécentraleestnécessaire).

Ilconvientenoutredepréciserquelesarticles747-1et747-2duCPC,introduitsparledécretn°2017-892du6mai2017,permettentdésormaisàunejuridictionétrangèrededemander,surle fondement de la Convention de La Haye, à l’autorité centrale française l’autorisationd’auditionner, elle-même, un témoin ayant son domicile en France, notamment parvidéoconférence,etcesanscontrainte.

L'article 23 de la Convention permet aux États partis de déclarer qu'ils n'exécuteront pas lescommissionsrogatoiresayantpourobjetlaprocédurede«pre-trialdiscoveryofdocuments».Lesdifférencesdeprocéduresonteneffet,àl’originedelaprincipaledifficultéàlaquelles’estheurtéelaConvention,lesprocéduresd’instructionpréalabledespaysdeCommonLaw-aupremierrangdesquelslesÉtats-Unis-laissantauxpartieslesoinderéunirlespreuvesetsecaractérisantparunchampd’investigationlarge,ayantparfoisunlienéloignéavecl’objetdulitige.

LaplupartdesÉtatspartisonteffectuécettedéclaration.Aprèsavoirémis laréserveprévueàl'article23,laFrancel'amodifiéaveceffetàcompterdu19janvier1987:laréservenes'appliqueplus «lorsque les documents demandés sont limitativement énumérés dans la commissionrogatoireetontunliendirectetprécisavecl'objetdulitige».

La Cour d’appel de Paris a interprété cette dernière exigence de façon relativement largepuisqu’elleaestiméquel’énumérationdesdocumentsétaitlimitativedèslorsquecesderniersétaient identifiés avecundegré raisonnablede spécificité en fonctiond’un certainnombredecritèrestelsqueleurdate, leurnature,leurauteuretquelacommunicationdespiècespouvaitvalablement être demandée pour une période excédant celle des faits sur lesquels portait leprocèsetcorrespondantàl’opérationlitigieuse64.

Enpratique,dufaitmêmedel’existencedelaprocédurede«discovery»,lavoiedel’entraidecivileetcommercialeestpeuutiliséepar lespaysdeCommonLawetplusparticulièrement,par lesÉtats-Unis65.Lorsqu’elleestutilisée,laDirectiondesAffairesCivilesetduSceau(DACS)aindiquéque le contrôle effectué par l’autorité centrale consistait principalement, en la vérification durespectdes termesde laConventiondeLaHaye,soit laprésencedes indicationsrequisesauxtermesdel’article3.

64Courd’appeldeParis,18septembre2003.65Entre2014et2018,entre3et10demandesontétéforméesparlesautoritésaméricaines.

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44.

Lesenjeuxdesouverainetéapparaissentleplussouvent,aumomentdestémoignagesoudelacommunicationdespièces.L’article743duCodedeprocédurecivilead’ailleursconfiéaujugecommislapossibilitéderefuserl’exécutiond’unecommissionrogatoires’ilestimequ’elleestdenature à porter atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de l’État. Le juge se trouveparticulièrement démuni pour apprécier une telle atteinte, en l’absence de doctrine établieaisémentaccessibleetderéférentdésignéauseindel’administrationpourl’éclairersurlesujet.LaDACSad’ailleursindiquéqu’enpratique,lesseulsrefusopposésparlesjuridictionsétaientliésau non-respect des formalités prévues par la Convention de LaHaye ou à l’atteinte au secretmédical.

S’agissantde l’exécutionpar lesautoritésconsulairesoudiplomatiqueset lescommissaires, lecontrôle apparaît inexistant. L’audition d’avocats habituellement désignés en qualité decommissairesapermisdeconfirmercepoint.Ilpourraitêtreobjectéqu’encasderisqued’atteinteà la souveraineté ou à la sécurité de l’État, les parties peuvent refuser de témoigner ou detransmettre certaines pièces, puisque l’exécution de la demande d’entraide par les autoritésconsulaires,diplomatiquesetlescommissairesnepeutsefairequ’avecleurconsentement,cesautoritésnedisposantpasdelacontrainte.

La réalité de la procédure de «discovery» est que les parties sont soumises à une véritableinjonctionde transmettre les élémentsdepreuve sollicités et que touteopposition fait l’objetd’unedemandede«protectiveorder»,tranchéeparlejugesaisidel’affaireaufond.

1.3.4.3. Uncontrôletrèssuperficieldesinformationstransmisesenmatièred’entraideadministrative

L’AutoritédesMarchésFinanciers(AMF)estlaprincipaleautoritéadministrativeindépendanteintervenant dans le domaine de l’entraide administrative internationale. Elle le fait dans sesdomainesdecompétence(abusdemarché,délitd’initié,etc.),enutilisant l’accordmultilatéralconclu dans le cadre de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs (OICV66)commebased’échanged’informations.

Le«MemorendumofUnderstanding»(MOU)del’OICV,concluen2002,sertdebaselégalepourl’échanged’informationsentreplusd’unecentained’autoritésdecontrôledesmarchésfinanciersdanslemonde.

LaSecuritiesandExchangeCommission(SEC67)estundes interlocuteursprincipauxde l’AMFdanscedomaine.Unaccordbilatéral,complétantleMOU,aétésignéaveclaSEC.Lechampdesinformationsdemandéespar la SECpeut être très largenotamment lorsque ses demandes sefondent sur des suspicions d’abus de marché (notion très vaste dans son contenu et soninterprétation).

Il ressortdesauditionsde lamissionque l’AMF,dansseséchangesavec laSEC,necontrôle lecontenudesinformationstransmisesquedanslamesureoùcelles-cipourraientconstitueruneatteinteà lasouverainetéetà lasécuritéde l’État,etqu’endehorsdecetteexception(dont lechampd’applicationestextrêmementétroit),l’AMFn’opèreàcejouraucunfiltresurlecontenudesinformationstransmises.

66 L’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV, IOSCO en anglais) est une organisationinternationalecrééeen1983quiregroupelesrégulateursdesprincipalesboursesdanslemonde.67LaU.S.SecuritiesandExchangeCommissionestl'organismefédéralaméricainderéglementationetdecontrôledesmarchés financiers.C'estenquelquesorte legendarmede laBourseaméricain,aux fonctionssimilairesàcellesdel’AutoritédesMarchésFinanciers(AMF)enFrance.

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45.

CeséchangesaveclaSEC,quisonttoutàfaitnécessairesàlabonnerégulationetsupervisiondesacteursdesmarchésfinanciersdesdeuxcôtésdel’Atlantique,représententnéanmoinsunrisquenonnégligeablepourlesentreprisesfrançaisesenraisondel’utilisationàd’autresfinsquelaSECpeutfairedesinformationsrécoltées.Eneffet,ladoublecasquettedelaSEC(quiestuneautoritédesupervisiontoutautantqu’unprocureuranticorruption)luipermetd’utiliserlesinformationsrecueilliessurlefondementdel’abusdemarchéauxfinsdelamiseenœuvreduFCPA.

L’AMF a indiqué à la mission qu’elle précisait dans ses transmissions que les informationsdemandéesnepouvaientêtreutiliséesàd’autresfins,maisareconnuqu’aucuncontrôleeffectifdurespectdecetteclausen’étaitréaliséenpratique.

Aussi, sans remettre en cause le caractère indispensable et légitime de ces échangesd’informations avec ses homologues à travers le monde, ni l’indépendance de l’AMF en tantqu’autorité administrative, il apparait important de l’associer à l’élaboration d’une doctrinenationaleenmatièredeprotectiondesintérêtséconomiquesessentielsdelaFrance,etdeveilleràcequ’ellelametteeffectivementenœuvre.

1.4. Cette vulnérabilité en matière civile et pénale est fortement aggravée, enFrance,par l’absencedeprotectionde laconfidentialitédesavis juridiquesdesjuristesd’entreprises

Lesentreprisesévoluentdansunmondeéconomiqueglobalisé,danslequelellesontunbesoincroissantd’avis juridiquespour lesopérationsqu’elles réalisentquotidiennement:quecesoitpour traiter d’opérations stratégiques ou d’opérations commerciales banales, le besoind’expertisejuridiqueestprésentauquotidien.

Cebesoincroissantd’avisjuridiquesposelaquestiondeleurconfidentialitéetdeleurprotectionvis-à-vis des tiers, des concurrents comme des autorités. À cet égard, la France connaît unesituationsingulièreenEuropeetauseindespaysmembresdel’OCDEengénéral:elleestundesrarespaysànepasprotégerdutoutlaconfidentialitédesavisjuridiquesémispardesjuristesenentreprise, que ces juristes soient d’anciens avocats devenus salariés et qui se sont omis dubarreau,oudes juristesenentreprise,diplômésendroitn’ayant jamaisaccéderaubarreauniexercélaprofessiond’avocat.

C’estainsique:

- les juristesd’entreprise françaissontsoumisausecretprofessionnel,mais leursavisjuridiquesnesontpasprotégés;

- auseindesgrandespuissanceséconomiques,laFranceestaujourd’huiundesseulspaysoùlesavisjuridiquesdesjuristesenentreprisenesontpasprotégés;

- enoutre,enFrance,lesecretprofessionneldesavocatsn’estplusgénéraletabsolu,cequiyaffaiblitd’autantpluslaprotectiondesavisjuridiques;

- au total, les entreprises françaises se retrouvent dans une situation de grandevulnérabilitéàl’égarddesprocéduresadministrativesetjudiciairesextraterritoriales.

1.4.1. Lesjuristesd’entreprisefrançaissontsoumisausecretprofessionnel,mais leursavisjuridiquesnesontpasprotégés

Actuellement, lesjuristesd’entreprisesontdansunesituationdegrandevulnérabilitéfaceauxdemandesd’informationsoudepiècesprovenantdepartiesétrangères(aucivil)oud’autoritésétrangères (enquêtes administratives/pénales) qui mettraient en œuvre des lois à portéeextraterritoriale. Les avis juridiques qu’ils produisent ne bénéficient d’aucune protection enFrance et ne se voient donc accorder aucune protection par les autorités étrangères dans lesprocéduresaméricaines.

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Cette absence de protection place les juristes français et, plus généralement, les entreprisesfrançaises dans une situation asymétrique défavorable par rapport à leurs homologues de laplupartdesgrandspayspartenaireséconomiquesdelaFrance.

Eneffet,laplupartdenosprincipauxpartenaires(auseincommehorsdel’Unioneuropéenne),accordent une forme de protection de la confidentialité des avis juridiques des juristesd’entrepriseoudesavocatsenentreprise,similaireouéquivalenteàcelledontbénéficientlesavisjuridiquesdesavocatsextérieursàl’entreprise.

EnFrance,lesjuristesd’entreprisesont,commelesavocats,soumisausecretprofessionnelsurlefondementdesarticles55et58delaloidu31décembre1971.

Cetteobligationpourlesjuristesd’entreprisederespecterlesecretprofessionnelaétérappeléeàplusieursreprisesparlaCourdeCassation,notammentdansunarrêtdu18novembre2009:«[…]envertudel’article55delaloidu31décembre1971,toutepersonneautoriséeàdonnerdesconsultationsjuridiquesetrédigerdesactessousseingprivéesttenueausecretprofessionnel;selonl’article58decettemêmeloi,figurentparmilespersonnesviséesàl’article55lesjuristesd’entrepriseexerçantleursfonctionsenexécutiond’uncontratdetravailauseind’uneentrepriseoud’ungrouped’entreprises[…].».

Cependant,ilrésultedel’article66-5delaloidu31décembre1971quelesecretprofessionnelauniquementvocationàprotégerlesdocumentss’inscrivantdanslecadredelarelationavocat-client,àl’exclusiondetoutdocumentémanantd’unjuristed’entreprise.

Lesjuristesd’entreprisefrançaisseretrouventdoncdansunesituationparadoxale,danslaquelle ils sont contraints de respecter le secret professionnel aumême titre que lesavocats alors même que les avis juridiques qu’ils rédigent ne bénéficient pas de laprotectiondusecretprofessionnel,contrairementàceuxdesavocats.

1.4.2. Auseindesgrandespuissanceséconomiques,laFranceestaujourd’huiundesseulsetrarespaysoùlesavisjuridiquesdesjuristesenentreprisenesontpasprotégés

L’absencedeprotectiondelaconfidentialitédesavisjuridiquescontrastefortementavecledroitquiprévautchez laquasi-totalitédenosprincipauxpartenaireséconomiques.Lamissions’estfocalisée sur les principales puissances économiques, partenaires les plus importants de laFrance: les six autres paysmembres du G7, auxquels on a ajouté l’Espagne, les Pays-Bas, laBelgiqueetl’AfriqueduSud(cf.infra,tableaun°7).

Dans laplupartde cespays, les avis juridiques en entreprise sontprotégésparune formedeconfidentialitéopposableàl’ensembledesautoritésadministrativesetjudiciaires,àcommencerpar lesÉtats-Uniset leRoyaume-Uniainsiquetouslesautrespaysanglo-saxonsde«CommonLaw»oudeculturejuridiqueproche(notammentl’AfriqueduSud,l’Australie,leCanada,HongKong,laNouvelle-Zélande,Singapouretbeaucoupd’autresencoredanslesCaraïbes,dansl’OcéanindienetdanslePacifique).

Danslespaysde«CommonLaw»,iln’existeaucunedistinctionentreavocatsencabinetetavocatsenentreprise,tousétantprotégésdelamêmefaçonparle«legalprivilege»(cf.infra,encadrén°1)dans ces deux dimensions («attorney-client privilege» et «work-product privilege») pourl’ensembledeleursavisetconsultationsjuridiquescommuniquésàleursclients(clientsexternespourunavocatencabinet,clientsinternesàl’entreprisepourles«in-houselawyer»): lesavisjuridiquesdes«in-houselawyers»sontprotégésdetoutesaisieetdiffusiondansdesprocédurespénales,administrativesetciviles,commeceuxdesavocatsexternes.

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Encadré1:Le«legalprivilege»,histoireetcaractéristiques

Le«legalprivilege»estundroit,permettantdesoustrairecertainescommunicationsconfidentiellesdenaturejuridique,écritesouorales,àl’obligationd’êtreproduitesenjustice.Ildatedel’affaire«DuchessofKingston»jugéeen1776,àl’occasiondelaquelleilaétéindiquéquele«legalprivilege»trouvesasourcedanslerespectduprincipeselonlequelleclientd’unjuristedoitavoiraccèssansentraveàlaJustice.Depuiscettedate,ilestconsidéréparlestribunauxanglaiscommeundroitfondamentaletunprincipeessentielàlasauvegardedesvaleursdejustice.L’arrêt «Baker v. Campbell» (1983) rappelle que le «legal privilege» a pour objectif de créer unenvironnementetunrapportdeconfiancedanslecadreduqueldesconseilsjuridiquesserontdonnésetreçusconfidentiellement,objectifconformeàl’idéaldejusticeetgaged’unesociétélibre.LaChambredesLordsadéfinien1996le«legalprivilege»commeune«conditionfondamentalesurlaquellereposel’administration de la justice», puis en 2002 comme un «corollaire nécessaire au droit de chaquepersonned’obtenirdesconseilsjuridiquesprovenantdepersonnesqualifiées[…].Untelconseilnepeutêtreobtenudefaçonefficaceàmoinsqueleclientsoumettetouslesfaitsàsonconseilsansavoirpeurqu’ilspuissentêtreultérieurementdivulguésetutilisésàsonencontre».Enpratique,ilfonctionnecommeunerègled’exclusiondepreuve:entoutesmatières,nileclientnisonavocatnepeuventêtrecontraintsdeproduireenjusticedesdocumentssoumisau«legalprivilege».Endroitfédéralaméricain,le«legalprivilege»,établiparlaloi,confèreuncaractèreconfidentielauxcommunicationsentreunavocat et son client, opposableauxautorités requérant leurproduction, ycomprisdanslesenquêtesetprocédurespénales.Ilprotègedelamêmemanièrelescommunicationsdesavocatsin-houseetcellesdesavocatsexternesàl’entreprise.

Iln’existepasauxÉtats-Unisdestatutspécifiquedel’avocatenentreprise.Les«attorneys»quiexercentenentreprisesontintégrésdansdessociétéstraditionnelles(industrie,service…),etsontdénommés«in-housecounsel».Ilstravaillentgénéralement,auseindel’entreprise,toutenrestantinscritsàunbarreau,desortequ’ilssont soumis aux mêmes obligations déontologiques et statutaires que leurs confrères libéraux. Laprofessiond’avocatauxÉtats-Uniss’apparentedavantageàunegrandeprofessiondudroitregroupantaussi bien des juristes d’entreprise que des avocats en cabinet, modèle assez différent du modèlefrançais,encorediviséparprofessionetstatut,enfonctiondelaspécialitéqueleprofessionneldudroitachoisid’exercer.

Laprotections’appliqueauxcommunicationsoralesetécritescomportantuneanalysejuridiqueoulasollicitant.Ilestnécessaire,parailleurs,pourquelacommunicationsoitprotégée,qu’elleaitétéfaitepar le client en pensant qu’elle serait confidentielle. Bien entendu, la protection ne s’étend pas auxcommunications du client sollicitant un avis ou une analyse juridique relatives à la manière decommettreuneinfraction(«fraud-crimeexception»).

Le«legalprivilege»estparconséquent,unerègledepreuvequipermetàceluiquienbénéficiederefuserdeproduiredesélémentsdemandésparl’autoritéjudiciaireoutouteautrepersonne.Laprotectionnetombequesileclient(etnonl’avocat)yrenonce,ousisonobjetestrévéléparuntiersauquellaprotectionnes’appliquepas.

Au-delà des pays de «Common Law», de nombreux autres pays développés, de culture ettraditionsjuridiquesdifférentes,ycomprisdespayseuropéensdeculturejuridiquededroitcivil,ontprogressivementadaptéoumodifiéleurdroitdefaçonàassureràleursjuristesd’entreprisedesconditionsdetravail leurpermettantd’exercerleurscompétencesdansunenvironnementsécurisé,enprotégeantlaconfidentialitédesavisjuridiquesenentreprise.Cefaisant,ilsleurontégalementpermisdebénéficierdeconditionséquivalentesàcellesdeleursconcurrentsdanslemondeanglo-saxon,ou,àtoutlemoinss’enrapprochant.

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48.

Tableau7:RèglesdeconfidentialitédesavisjuridiquesapplicablesauxavocatsenentreprisesdanslesprincipauxpayspartenairesdelaFrance

Pays

Avocatenentreprise(O/N)

Secretopposableaucivil(O/N)

Secretopposableauxautoritésadministratives

(O/N)

Secretopposableaupénal(O/N)

Afriquedusud Oui Oui Oui OuiAllemagne Oui Oui Oui/Non* NonBelgique Oui** Oui Oui* OuiCanada Oui Oui Oui OuiEspagne Oui Oui Oui* OuiÉtats-Unis Oui Oui Oui OuiFrance Non Non Non NonItalie Oui Oui Oui* OuiJapon Oui Oui Oui OuiPays-Bas Oui Oui Oui* OuiRoyaume-Uni Oui Oui Oui* OuiSource:Mission,MagistratsdeliaisonetnoteDAEI(janvier2019)*Pourlespaysmembresdel’Unioneuropéenne,laconfidentialitédesavisjuridiquesdesavocatsoujuristesenentrepriseestécartéedanslecontextedesenquêtesdelaCommissioneuropéennepourlerespectdudroiteuropéendelaconcurrence.**LaBelgiqueacrééen2011unstatutspécifiquedejuristed’entreprise,professionàpartentière,distinctedecelled’avocat,maisdontlesavisjuridiquesbénéficientd’uneconfidentialitéprotégéeaucivil,danslesprocéduresadministrativesetaupénal.

EnEurope,cefutnotammentlecasdel’Espagne,del’Italie,desPays-Bas,oùunstatutd’avocatenentrepriseaétéaménagéetoùlaconfidentialitédesavisjuridiquesdesavocatsenentrepriseaétéprotégée.EnBelgique,uneprofessionspécifiquedejuristed’entrepriseaétécréée:lesjuristesd’entreprisebelgesdisposentd’uneprotectiontotaledelaconfidentialitédeleursavisjuridiques,aucivil,danslesprocéduresadministrativesetdanslesenquêtespénales.Seulel’Allemagnen’apas conféré une protection complète à la confidentialité des avis juridiques des avocats enentreprise,endépitd’uneloirécente(2015)quin’apastraitéleproblèmedanssonentièreté.

Dansl’Unioneuropéenne,seulledomainedudroitdelaconcurrenceéchappeàlaprotectiondesavisjuridiquesdesjuristesouavocatsenentreprise:parsonarrêtdu14septembre2010,n°C-550/07, «AkzoNobel Chemicals Ltd c/Commission européenne», laCourde Justicede l’Unioneuropéenne (CJUE) a décidé que dans le domaine du droit européen de la concurrence leséchangesauseind’uneentrepriseavecunavocatinternenebénéficientpasdelaconfidentialitédescommunicationsentreunavocatetsonclient.

Horsd’Europeégalement,denombreuxpayssesontmisauniveaudesÉtats-Unisenconférantune protection à la confidentialité des avis juridiques des avocats en entreprise: c’est le cas,notamment,auJaponoùlesrèglesdeconfidentialitéapplicablesauxavocatsexerçantencabinetsontégalementapplicablesauxavocatsexerçantenentreprise.

Au total, les juristes d’entreprise français ne disposent pas des mêmes armes que leurshomologuesdansd’autrespays.Ilsseretrouventdansunesituationtrèsdéfavorable(cf. infra)danslaquelleleursavisjuridiquesnebénéficientd’aucuneprotection,alorsquelesavisémisparlaquasi-totalitédeleurshomologuesàl’étranger(qu’ilssoientavocatsenentrepriseoujuristesd’entreprise) sontprotégéspardes règlesde confidentialité strictes, applicables tantdans lesprocéduresciviles,qu’administrativesetpénales.

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49.

1.4.3. En outre, en France, le secret professionnel des avocats n’est plus «général etabsolu»,cequiyaffaiblitd’autantpluslaprotectiondesavisjuridiques

Dernieraspectdelavulnérabilitédesentreprisesfrançaisessurcesujet,laprotectionofferteparlesecretprofessionnel,supposéàtortêtre«généraleetabsolue»,estenréalitéassezlimitéeencequiconcernelesavisjuridiquesdesavocats.

Si les avis juridiques des avocats en cabinet demeurent protégés à ce jour dans le cadre desprocédures civiles68, cette protection, en revanche, a été à plusieurs reprises entamée par lajurisprudencedelaChambrecriminelledelaCourdecassation.

Ces arrêts considèrent que les pouvoirs de saisie dedocumentsdes agents de l’autorité de laconcurrencetrouventleurlimite«dansleprincipedelalibredéfensequicommandederespecterlaconfidentialitédescorrespondancesentreunavocatetsonclientetliéesàl’exercicedesdroitsdeladéfense69».Demême,laChambrecriminelle,statuantdanslecadred’unesaisiejudiciaireréaliséeaucoursd’uneenquêtepréliminaireconsidèreque«siauxtermesdel’article66-5delaloidu31décembre1971,lespièceséchangéesentrel’avocatetsonclientsontcouvertesparlesecretprofessionnel[ellespeuventnéanmoinsêtresaisies…]lorsqueleurcontenuestétrangeràl’exercice des droits de la défense ou lorsqu’elles sont de nature à établir la preuve de laparticipationdel’avocatàuneinfraction70».

LaChambrecriminelledelaCourdecassationaainsidéveloppé,enmatièrepénale,uneinterprétation très restrictive du secret professionnel des avocats le cantonnant àl’exercicedesdroitsdeladéfensedansuneprocédurejudiciaire71.

Cettejurisprudences’estétablieendépitdedeuxréformeslégislativesen1993(loin°93-2du4janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale) puis en 1997, pourtant parfaitementexplicitessurledomainecouvertparlesecretprofessionnel:«Entoutesmatières,quecesoitdansledomaineduconseiloudansceluideladéfense,lesconsultationsadresséesparunavocatàsonclientoudestinéesàcelui-ci,lescorrespondanceséchangéesentreleclientetsonavocat,entrel'avocatetsesconfrères, lesnotesd'entretienet,plusgénéralement,touteslespiècesdudossiersontcouvertesparlesecretprofessionnel72.»

Ces jurisprudences contra legem de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (encontradiction avec la jurisprudence de la chambre civile de la même Cour) ont de faitconsidérablementaffaiblilesecretprofessionneldesavocatsenFrance.

Onpeutd’ailleurs s’interroger sur la compatibilité de ces jurisprudences avec l’article8de laConventioneuropéennedesDroitsdel’Homme73(CEDH),etledernierarrêtdeCourcondamnantla France pour violation du secret professionnel de l’avocat: «le contenu des documentsinterceptésparlepolicierimportepeudèslorsque,quellequ’ensoitlafinalité,lescorrespondancesentreunavocatetsonclientportentsurdessujetsdenatureconfidentielleetprivée74».

68Lachambrecommercialejugeeneffetquetouteslescorrespondancesentrel’avocatetsonclientsontcouvertesparlesecretprofessionnel,qu’ellessoientéchangéesdanslecadredesdroitsdeladéfenseoud’unconseil.Al’inverse,lachambrecriminelle limite laprotectiondusecretprofessionnelde l’avocatauseulcasde l’exercicedesdroitsde ladéfense.69Crim.,24avril2013.70Crim.,4octobre2016.71DernièreillustrationparCrim.,22mars2016,quivalidedesécoutesditesà«filetdérivant».72Loin°97-308du7avril1997portantréformedecertainesprofessionsjudiciairesetjuridiques,etmodifiantl’article66-5delaloino71-1130du31décembre1971.73Article8CEDHsurleDroitaurespectdelavieprivéeetfamiliale:«Toutepersonneadroitaurespectdesavieprivéeetfamiliale,desondomicileetdesacorrespondance.»74ArrêtCEDH«LaurentcontreFrance»,24mai2018.

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50.

Encadré2:Secretprofessionnelet«legalprivilege»

Lesecretprofessionnelprotègelesrelationsdel’avocatavecsonclient.Longtempsconsidéréparlesavocatscomme«absolu,généraletillimité»,iladepuisvusaportéeréduiteconsidérablement.Enmatièrededéfensed’unclientdansuneprocédure,c’estunevéritableboîtenoire.L’applicationd’unprincipegénéraldudroitquiveutquetoutepersonnetrouveunconfidentquigarderalesecretabsolusurlesrévélationsquiluisontconfiées.Pourreprendrelacélèbreformuledel’avocatEmileGarçon,«lebonfonctionnementdelasociéteveutquelemaladevoieunmédecin,leplaideurundéfenseur,lecatholiqueun confesseur.Mais ni lemédecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leurmission si lesconfidencesquileursontfaitesn’entaientassuréesd’unsecretinviolable».Lanotionde«legalprivilege»désigneàl’inverseledroitd’unclientayantreçuunavisjuridiqued’un avocat de refuser de le produire dans le cadre d’une procédure civile, pénale ouadministrative.Contrairementau secretprofessionnel, cen’estpasuneboîtenoire, c’estuneprotectiondelaproductionintellectuelledel’avocatetdesescommunicationsjuridiquesavecsonclient.Sadéfinitioneststrictementencadrée,limitéeàlaseuleréflexionjuridique(àl’exclusiondesfaitsetdelaparticipationàuneinfractiondansleconseilprodiguépar l’avocat).Danslespaysanglo-saxons, iltrouvesonfondementdansl’intérêtpublic,permettantainsidegarantirlalibreréflexionentreunavocatetsonclientsanscourirlerisqued’uneauto-incrimination.

1.4.4. Au total, les entreprises françaises se retrouvent dans une situation de grandevulnérabilité à l’égard des procédures administratives et judiciairesextraterritoriales

Lavulnérabilitéde laFranceetde ses entreprises, découlantde l’absencedeprotectionde laconfidentialitédesavisjuridiquesenentrepriserevêtplusieursdimensions:

® lesavisjuridiquesdesjuristesd’entreprisefrançaisnesontpasprotégésdesdemandesdepiècesdanslesprocéduresciviles(«discovery»)pouvantémanerdeconcurrentsétrangersdontlesavissontprotégésdansleurpays(présencedu«legalprivilege»oustatutspécialdes juristes d’entreprise), ce qui met les entreprises françaises dans une situationconcurrentielle particulièrement inégale et défavorable, et les rend vulnérables à desmanœuvresd’entreprisesétrangèresàlarecherched’informationsconfidentiellessurleursconcurrentsfrançais;

® lesavisjuridiquesécritspardesjuristesd’entreprisefrançaisnesontpasprotégésencasd’enquêtes pénales ou administratives, et sont donc accessibles non seulement auxautoritésfrançaises,mais,parvoiedeconséquence,auxautoritésétrangèresconduisantdesenquêtesàportéeextraterritoriale.

Enconséquencedequoi:

® l’absencedeprotectiondesavisjuridiquesémisparlesjuristesenentrepriseenFranceapour effet de dissuader les entreprises françaises de solliciter des avis écrits de leurspropresservicesjuridiques;

® l’absence de protection des avis juridiques fait de la France une cible privilégiée desautoritésadministrativesetjudiciairesétrangères,quiyvoientunefacilitésupplémentaireà poursuivre les entreprises françaises plutôt que leurs concurrentes étrangères : cettefaiblesseimportantepeutexpliquerenpartiel’appétitdesautoritésjudiciairesaméricainesàpoursuivredesentreprisesfrançaisespourdifférentsmotifs(sanctionsinternationales,corruption,etc.)etpourraitavoirdesconséquenceséconomiquesimportantesetnégativespourlaFrancesil’arsenaldesanctionsunilatéralesaméricainesdevaitsedévelopperplusavantàl’avenir;

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51.

® lesdirecteursjuridiquesfrançaisdegrandsgroupesfrançaissontfragiliséseninterneparle faitque leurspropresécritssontmoinsbienprotégésqueceuxde leurssubordonnésaméricains, Britanniques ou autres bénéficiant du «legal privilege» ou d’une formesimilairedeprotection,cequilesamènentàêtreexclusdecertaineschainesdediscussionentreleurssubordonnés;

® lesgrandesentreprisesfrançaisessontdecefaitfortementincitéesà:

- soitrecruterdesdirecteursjuridiquesnonfrançaisauprofitd’avocatsaméricainsoubritanniques,ouautresbénéficiantdelaprotectiondu«legalprivilege»;

- soit à délocaliser à l’étranger tout ou une partie de leurs directions juridiques«Groupe»,afindefairebénéficierleursservicesjuridiquesdelaprotectiondesavisjuridiquesquin’existepasenFrance.

Àcetégard, lamissionnepeutquemettreengardedevant lesrisquesdedélocalisationmassivedesdirectionsjuridiquesdesgrandsgroupesfrançaisquipourraientrésulterdel’inaction:lamissionaétéinforméequ’unegrandeentreprisefrançaisedusecteurdel’énergieadéjà, récemment, délocalisé à Bruxelles sa direction juridique «Groupe», d’autres décisionssimilaires pourraient suivre mettant potentiellement en cause plusieurs dizaines de milliersd’emploisàhautevaleurajoutéeenFrancedanslesprochainesannées.

Enoutre,l’absencedeprotectiondesavisjuridiquesaégalementdesconséquencessystémiquessurlaplacedesjuristesdanslesgrandessociétésfrançaiseset,parvoiedeconséquence,surlaplacedudroitdansleschoixéconomiquesfaitsparleurmanagement:lesnombreusesauditionsréaliséespar lamissionconvergentsur lavertuqu’ilyauraitàprotéger lesavis juridiquesenentreprise,etàcontribuerainsiàvaloriserlaplacedudroitetdesjuristesenentrepriseenFrance.

Cettevalorisationinduitedudroitestperçue,cheznosinterlocuteursfrançaisetétrangers,commeunmoyend’orienterl’actiondumanagementdesentreprisesversunemeilleureconnaissance,uneplusgrandepriseencompteet,infine,unplusgrandrespectdelarèglededroit.

1.5. À ce jour, la réponse de la France aux enquêtes extraterritoriales quiremettentencausesasouverainetén’estpasàlahauteur

1.5.1. Laloide1968estuneloiancienne,insuffisante,malappliquéeetsouventécartée,quidoitd’urgenceêtremodernisée

Laloin°68-678du26juillet1968relativeàlacommunicationdesdocumentsetrenseignementsd'ordreéconomique,commercial,industriel,financieroutechniqueàdespersonnesphysiquesoumoralesétrangères,moderniséeen1980,estunélémentàpartdansnotrearsenaljuridique.

Longtempsdécriée,ellefutmême,untemps,considéréeparcertains,àtort,commeétanttombéeendésuétude.

Malencontreusementsurnommée«loideblocage»,ellen’estpourtantenaucunemanièreuneloidenon-coopération,niuneloiprohibantlacoopérationinternationale,maisaucontraireuneloivisant à faire respecter les règles normales de la coopération administrative et judiciaire, telqu’ellesdécoulentdestraités,desconventionsinternationalesetdesaccordsinternationauxdecoopération internationaleetd’échangesd’informationssignéspar laFranceetsesprincipauxpartenaires:c’estuneloid’aiguillagequiapourbutderéorienterlesdemandesdecoopérationinternationaleversleurscanauxdetraitementnormaux.

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Forceestdeconstaterqu’ellearetrouvédepuisunpeuplusdedixansuneactualiténouvelle.Nonseulement,lapremièrecondamnationprononcéesursonfondementestintervenueen2007,maisla multiplication des demandes d’informations, adressées directement à des entreprisesfrançaisespardesautoritésjudiciairesouadministrativesétrangèresluiarenduunepartiedesonlustreetdesonutilité.

Sonefficacitédemeurecependanttrèslimitéeàcejour,pourplusieursraisonsnotamment:

- laquasi-absencededécisiondejusticelamettantenœuvre(uneseuleen50ans75);- la trop grande faiblesse des sanctions encourues (une sanction de 18 000€ est

considéréecommedérisoireauxÉtats-Unis);- l’absencedemiseenœuvreeffectivedel’obligationdedéclarationprévueàl’article2;- l’absencedepolitiquepénaleoud’orientationsclairesduMinistèredelaJusticepourla

miseenœuvredelaloi.

Cesfaiblessesstructurellesentamentsoncréditàl’étrangeretenconséquencelaloide1968estsouvent écartée par les juridictions étrangères: concrètement, les entreprises françaises nepeuventvalablementsouleverl’impossibilitédecommuniquerdesinformationsdemandéesparune autorité étrangère au motif qu’elles y sont empêchées par la loi de 1968, les autoritésaméricaines considérant qu’en raison de l’absence de mise en œuvre et de la faiblesse dessanctionsencourueslaloineconstituepasunemenaceréellepourl’entreprise.Danscescas,sil’entreprise refuse de coopérer au nom de l’obstacle que représente la loi, elle risque d’êtresanctionnée, à tout le moins, pour «Contempt of Court» et de subir d’autres sanctionsadditionnellessubséquentes.

Enmatière civile, il existe néanmoins des décisions de justice aux États-Unis, qui ont pris encomptelaloide1968etreconnuqu’ellepouvaitconstituerpourl’entrepriseuneexcuselégitimeànepasdonnerdroitàunedemanded’informations:parexemple,unedécisionrécentedu21février2014«inreactivisionBlizzardInc»,delaDelawareChanceryCourt,dontlesdécisionssonttrèssuivies,afaitpartiellementdroitauxargumentsfondéssurlaloifrançaisedeblocage.

MettantenbalancelescritèresdelajurisprudenceAérospatiale76,laCourindiquequ’ellerefusede«procéderparlaseulevoiedelaConventiondeLaHayepourexigerdeVivendiSA,défendeur,ladivulgationdesinformations[etqu’elle]…n’estpasnonplusprêteàmettreenpérillecalendrierde laprocédureenacceptant laConventiondeLaHayecommesolutiondepremierrecours».Toutefois,elleadmetque«lespartiesprocèdentselonlesdeuxrègles,celledecetteCour[soitlaprocédure de «discovery»] et celle de la Convention de La Haye [soit la procédure de lacommissionrogatoireinternationale]».

LaconciliationconsisteàimpartirdesdélaisàVivendiSA:cinqjourspourtransmettreàl’autoritéfrançaiseunedemandedecommissionrogatoireinternationaleettrente-troisjourspourobtenirlacommunicationdesdocuments,l’entrepriseétantinvitéeàdéployer«debonnefoi»deseffortspours’assurerdel’assistancerequisedesautoritésfrançaises.Àdéfaut,laCourannoncequ’elleappliquera la jurisprudenceAérospatiale et infligera les sanctions habituelles en cas de refusd’obtempéreràunedemandede«discovery».

Onvoit,àtraverscettedécision,quelaloiactuelleestreconnuemêmesisaportéeutileestlimitéeàdonnerdesdélaisderéponseàl’entreprise.D’autresdécisionspeuventautoriseruneentreprisefrançaiseànepascommuniquercertainesinformations.

75RevuedesSociétés2008p.882:Premièreapplicationpénaledelaloideblocagede1968.NotesousCourdecassation(Crim.)12décembre2007.76Voirsupra,arrêtAerospatialedelaCoursuprêmedesÉtats-Unisen1987,quiaconsidéréquelaConventiondeLaHayen’interdisaitpasàuneautoritéaméricainedecontinueràutilisersespropresprocéduresd’obtentiondespreuvesàl’étranger.

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Autotal,laprotectionofferteparlaloide1968,telqu’elleestactuellementrédigée,n’estjamaispleineetentière:néanmoinsellepeutaider,danscertainscas,àdonnerunrépitàl’entreprisefrançaiseouàobligerl’autoritéétrangèreàreformulersademande.

Enmatièrepénale,leconstatestlemême.L’efficacitédelaloide1968serad’autantplusgrandequ’il existe une alternative crédible pour l’autorité étrangère d’obtenir les informationsdemandées(soitparunevoierapideetefficaceutilisantlescanauxdel’entraidejudiciaire,soitviauneenquêtemiroir).Àcetégard,lapratiquedesenquêtesmiroir-enmatièredecorruptiondepuisjanvier2017-acontribuéàoffrirunealternativecrédibleàlademandedirecteetdoncàrenforcerledispositifd’orientationoud’aiguillagedesdemandesdesautoritésétrangères77.

1.5.2. Cesdernièresannées,desprogrèslimités,uniquementdanslescasoùlesenquêtesextraterritoriales visent des faits de corruption, ont été réalisés permettant derecouvrerunepartiedenotresouverainetéjudiciaire

1.5.2.1. Enmatièredeluttecontrelacorruption,différentsélémentsconvergentsontpermis d’éviter de laisser les autorités étrangères traiter de faits decorruptioncommispardesentreprisesfrançaises

Depuis cinq ans, trois réformes sont venues renforcées l’arsenal français de lutte contre lacorruption:lacréationduPNFen2014,laloiSapin278(quiaintroduitlescontrôlesdeconformitéenmatièredeluttecontrelacorruption,ainsiquelaConventionJudiciaired’IntérêtPublic79),etlesenquêtesmiroirdepuisladépêchedugardedesSceauxdejanvier2017.

Ledéveloppementdesprocéduresétrangèresconcernant lesentreprises françaisesa,eneffet,longtempsrenvoyéà l’incapacitédenosautoritésàenquêtersurces infractions,complexesetoccultesparnature,etàlessanctionnerdansdesdélaisraisonnables80.

Lenombrederelaxes,ordonnancesdenon-lieuetclassementssanssuiteavaitd’ailleursmarquéuneaugmentationnotableenFrance,passantd’untotaldedouzeenoctobre2012,àtrente-et-unenoctobre2014(dontonzenouvellesdécisionsaubénéficedepersonnesmorales)81.

LaloiSapin2aainsifacilitélesinvestigationsenmatièredecorruption,notammentvialacréationdelaCJIP,enpermettantledéveloppementd’enquêtesinternesàl’entreprise,effectuéespardesavocats,souslecontrôleduprocureurdelaRépublique.Cefaisant,elleadonnélapossibilitéauxautoritésfrançaisesd’ouvrirplusaisémentdesenquêtesmiroir,lorsquedesautoritésétrangèress’intéressentàdesfaitscommispardesentreprisesfrançaises.

77Cf.supra:dépêcheduGardedesSceauxdu9janvier2017,quisensibiliselesProcureursaurisquepotentielquereprésententlesdemandesd’entraided’autoritésjudiciaireétrangèreetlesincite,sipossible,àouvrirdesenquêtesdites«miroir»permettantdesesaisirdesfaits.78Loin°2016-1691du9décembre2016relativeàlatransparence,àlaluttecontrelacorruptionetàlamodernisationdelavieéconomique,communémentappeléeLoiSapin2.79LaConventionJudiciaired'IntérêtPublic(CJIP)estunmodealternatifderèglementdespoursuitesrégitparl’article41-1-2duCodedeprocédurepénale.LaCJIPestréservéeauxpersonnesmoralespouruncertainnombred'infractionsditedeprobité,c'est-à-direenmatièredecorruption,detraficd'influence,defraudefiscale,deblanchimentdesditesinfractionsainsiqueleursinfractionsconnexes.Encequiconcernelespersonnesphysiques,celles-cinesontpasprisesencomptedanslecadredelaconclusiond'uneCJIP.80Laduréemoyennedesenquêtesenmatièredecorruptiontransnationaleàpartirdudernieractedélictueuxesteneffet,de7,3ansetvaenaugmentant,puisqu’elleétaitde2ans,en1999.81Rapportdel’OCDEsurlesuividelaFranceenphase3(2014).

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L’ouverturedecesenquêtesmiroirapermisauxautoritésfrançaisesd’avoiraccèsauxélémentsdétenusparlesautoritésétrangèresetégalementdecontrôlerlesinformationstransmisesàcesautorités. Cela a favorisé la coopération entre équipes d’enquêtes franco-américaines, et ainsipermisderétablirnotresouveraineté.

LaCJIPrécemmentconcluedansl’affaireSociétéGénérale82,parlaquellelabanqueaacceptédeverser500millionsd’euroséquitablement répartis entre leTrésor français et sonhomologueaméricain,illustrebienlesprogrèsréalisésenlamatière.

1.5.2.2. En revanche, pour les autres sujets, seules les formes traditionnelles decoopérationinternationaledemeurentdisponibles,avecdesrèglesquinesontpasadaptéesautraitementdesprocéduresextraterritorialesactuelles

LaCJIPneconcernantqu’unchamptrèslimitéd’infractions83,ellenepourrapasêtreutiliséeendenombreusesmatières,notammentletraitementdesinfractionsauxsanctionsinternationalesunilatérales imposéespar certainspays, à commencerpar lesÉtats-Unisd’Amérique.Dans cedomaine, les autorités françaises ne pourront pas se saisir des faits et, par conséquent, co-contrôlerl’évolutiondelaprocédureétrangèreetlesélémentsquiluisonttransmis.

En l’état actuel de notre droit (découlant notamment du Traité d’entraide judiciaire franco-américain),lesautoritésjudiciairesaméricainesseraientendroitderéclamerdelaFranceunecoopérationpourenquêtersurdesinfractionscommisespardessociétésfrançaisesauxsanctionsunilatéralesimposéesparlesÉtats-Unisàcertainspays,alorsmêmequelaFrancen’auraitpasprisdesanctionssimilaires.

Lesautoritésfrançaisesnepourraientrefusercettecoopérationqu’aumotifdel’atteinteànotresouveraineté, clause opposable en principemême si cela risquerait fort de ressembler à uneinterprétationlargedelanotionquelesAméricainsseraientendroitdecritiquer.Endehorsdel’invocation de cette clause, la France serait tenue de répondre positivement à une demanded’entraidejudiciaire.

Onvoitbien ici les limitesdenotresystèmededéfense,notammentsur lesujetdessanctionsinternationalesaméricaines, sujetenvoiededéveloppementrapidequipourraitconcernerdemanièremassivenonplusseulementdespaysmarginauxsurlascèneéconomiquemondiale,maisdespaysdepremierplan,partenaireséconomiquesimportantsdelaFrance,telsquelaRussieoulaChine.LaRussiefaitdéjàl’objetdesanctionseuropéennesetaméricaines,maisd’ampleurassezlimitée et/ou visant essentiellement des individus ou entités expressément nommés, mais ilressortdesauditionsdelamissionàWashingtonquedessanctionséconomiquesdeplusgrandeenvergurepourraientêtreprisesprochainementàsonencontre.

Les procédures étrangères en ce domaine, visant les entreprises françaises, risquent parconséquentdesedévelopper,sansquelesautoritésfrançaisesaientlesmoyensdes’yopposer.

82ConventionJudiciaired’IntérêtPublic(CJIP)conclueentrelePNFetlaSociétéGénérale,24mai2018.83Corruption,traficd’influenceetblanchimentdecertainesinfractionsdefraudefiscaleetinfractionsconnexes.

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2. L’abusdeloisetmesuresàportéeextraterritorialeestunemenacepourl’ordreéconomiquemondialetunélémentdeconcurrencedéloyale,dontil convient de protéger efficacement les entreprises françaises eteuropéennes

À ce jour, les entreprises françaises sont seules et isolées face aux autorités étrangères,notammentaméricaines.

Idéalement,l’Unioneuropéenneconstitueraitleniveaulepluspertinentpourérigerdesmesuresdeprotectionefficacescontre lesmanœuvrespotentiellementabusivesd’autoritésétrangères.Néanmoins, par souci de réalisme et afin de répondre à l’urgence de protéger les entreprisesfrançaises,lamissionformuledespropositionsrelevantdelacompétencenationale,considérantqu’ilrevientàlaFrancedeprendrel’initiativeetdeporterensuitelemessageauniveaudel’Union.

À cette fin, la mission propose un ensemble cohérent de trois mesures systémiquesindissociables, accompagné de six recommandations complémentaires, afin de: doter laFrancedesinstrumentsjuridiquesquiluimanquent;assurerlebonfonctionnementdesoutilsexistants;et,promouvoirl’adoptiondemesuresefficacesauniveaueuropéen.

® Lapremièrerecommandation,laplusimportantesurlefondetlaplusefficaced’unpointdevuetechnique,carelleutiliseledroitaméricainpours’enprotéger,estàprendredetouteurgence:laprotectiondelaconfidentialitédesavisjuridiquesenentreprise,opposableentoutes matières (civil, pénal, administratif), par la création d’un statut d’avocat enentreprise doté de la déontologie de l’avocat et d’un droit à la protection de ses avisjuridiques.Cettemesurevientcomblerunelacunedudroitfrançaissansremettreencausenotrecapacitéàpoursuivrelesinfractionsetàcoopérerauniveauinternational,permettantseulementdemettre lesentreprises françaisesaumêmeniveaudeprotectionque leursprincipalesconcurrentesétrangères.

® Deuxautresrecommandationsd’ordresystémiqueégalement:- lamodernisationdelaloide1968,dite«loideblocage»,quipermettrad’enaugmenter

l’effectivité,parlebiaisdelacréationd’unmécanismeobligatoired’alerteenamont,parlamiseenplaced’unaccompagnementdesentreprisesparuneadministrationdédiée(leSISSE84)etparuneaugmentationdelasanctionprévueencasdeviolation;

- unenouvelleloi,protégeantlesdonnéesnonpersonnellesdesentreprisesfrançaises,quiseraunesorted’extensionduRGPDeuropéenauxdonnéesdespersonnesmoraleset qui permettra de sanctionner les hébergeurs de données numériques quitransmettraientauxautoritésétrangèresdesdonnéesnonpersonnellesrelativesàdespersonnesmorales françaises en dehors des canaux de l’entraide administrative oujudiciaire.

® Cinqautresrecommandationsquipermettrontdecomblercertaineslacunes,d’améliorerl’efficacitédenosprotectionscontrelesmesuresextraterritorialesetquiinciterontl’Europeàagirdeconcertsurcesujet:- l’élaborationd’unedoctrinenationalepartagéesurlessecretsàprotéger,àdestination

de l’ensembledesadministrations,y compris cellesqui contribuentà la coopérationinternationalequ’ellesoitjudiciaireouadministrative,afind’éviteràl’avenirquedesinformations sensibles relevant des intérêts économiques essentiels puissent êtretransmisesàdesautoritésétrangèresetêtreutiliséescontrenosentreprises;

- rendre la politique pénale française plus lisible pour renforcer l’utilisation de laConvention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP), afin de pouvoir plus efficacementpoursuivreenFrancelesinfractionsdecorruptiondanslestransactionscommercialesinternationales;

84Servicedel'InformationStratégiqueetdelaSécuritéÉconomiques(SISSE)

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- saisirpouravislaCourinternationaledejusticeafindefixerl’étatdudroitinternationalsurl’extraterritorialité;

- lanceruneinitiativefrançaiseàl’OCDEpourfixerdesrèglesmultilatéralesdepartagedecompétenceentreautoritésnationales,permettantdemieuxencadrer l’usagedesloisàeffetextraterritorialetd’éviterleprotectionnismejudiciaire;

- élaborer une proposition française à nos partenaires de l’Union européenne pourrenforcer les outils européens de protection des entreprises européennes face auxdemandesdesautoritésadministrativesetjudiciairesétrangères(horsUnion).

Enfin, lamission propose que le Parlement lance unemission visant à renforcer les outils etmoyensdédiésà la luttecontre les infractionséconomiqueset financières,notamment la luttecontrelacorruptiond’agentspublicsétrangers.

2.1. Propositionn°1:protégerlesavisjuridiquesinternesdesentreprises

Ilressortclairementdesauditionsdelamission,notammentdesauditionsdenombreuxcabinetsd’avocats français et étrangers, que la première et principale faiblesse des entreprisesfrançaises face aux procédures à portée extraterritoriale réside dans l’absence deprotectiondelaconfidentialitédesavisjuridiquesdesjuristesenentreprise.

Cettefaiblesseestpropreaudroitfrançais:laFranceesteneffetundesraresgrandspaysdanslemondedéveloppéànepasprotégerlaconfidentialitédesavis juridiquesenentreprise.Celaplace la France et ses entreprises dans une situation de concurrence asymétrique avec leursprincipauxpartenaireséconomiquesetconcurrents85.

Cette faiblesse a des conséquences aussi bien au civil86 qu’au pénal ou dans les procéduresadministratives. Un procureur américain, dans ses enquêtes pénales contre une sociétéaméricaine,anglaise,japonaise,ouautre,nepourranidemanderlacommunicationniutiliserlesavisjuridiqueséchangésdanscettesociétéentresesjuristesinternes(avocatsou«lawyer»)etles responsables opérationnels (au sens large, pas nécessairement le top management): enrevanche,ilpourralefairedanssesenquêtespénalescontreunesociétéfrançaise.

Cette asymétrie fait de la France une cible privilégiée des autorités étrangères (notammentaméricaines)etc’estainsiquedenombreusessociétésfrançaises,industriellesoufinancières,sesontfaitsanctionnerparlajusticeaméricainecesdernièresannées:ellessesontvuescontraintesdecommuniquerauxautoritésaméricainesdesdocuments,notammentdesavisjuridiques,quin’auraientpasétécommunicablespar leursconcurrentesaméricaines,britanniquesouautres,fournissantainsidesarmesparticulièrementefficacesauxprocureursdansla«négociation».

Cettedifférencedetraitementestd’autantplusintolérabledanslecontexteactueloùlamenacedenouvellessanctionsaméricainesrendantlerisquedeprocédurespénalesaméricainescontredesentreprisesfrançaisesplusélevéesquejamais.

Aussi,ilesturgentderétablirl’équilibreetdecomblerefficacementetcomplètementcettelacunejuridique de notre droit pour protéger les entreprises françaises des actions judiciaires quipourraientêtrelancéesàleurencontrepardesautoritésouconcurrentsétrangers:ilconvientdeconférerauxentreprisesfrançaiseslemêmeniveaudeprotectiondeleursavisjuridiquesinternesqueceluidontdisposentleursprincipauxconcurrents.

85Laconfidentialitédesjuristesd’entreprises,Juristed’EntrepriseMagazine,Numérospécial,19septembre2013.Etnotamment:«Remarquessurlesdifficultésd’applicationdel’attorneyclientprivilegeauxjuristesinternesenFrance»,positiondeFlorenceG’Sell,Professeur,UniversitédeBretagneOccidentale.86Voirparexemple:Courdecassationdu3novembre2016(Cass.1re3nov.2016,N°15-20-495).L’affaireTechnicolor,Juristed’entreprisemobilisez-vous!parJean-CharlesSavouré,Présidentd'honneurdel'AFJE.

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Ilnes’agitnullementdecréeruneboîtenoireauseindel’entrepriseenprotégeantindumentdes informationsqui seraientnécessairesà l’établissementde lavérité: les faitsdemeurerontaccessiblesauxservicesenquêteurs,commec’est lecasauxÉtats-UnisouauRoyaume-Uni,demêmequetouslesdocumentsétablisdanslebutdecommettreuneinfraction(commec’estlecasaujourd’huipournosavocats,etcommec’est lecasdanslespaysde«CommonLaw»:«crimefraudexception»).

La protection des avis juridiques est limitée aux consultations juridiques, et non auxdiscussions d'affaires. Il s’agit ainsi uniquement de protéger la réflexion juridique interne àl’entreprise, qui doit être libre et ne pas servir de base à une incrimination pénale future, nifragiliserl’entreprisedansunlitigeciviloucommercial.Plusgénéralement,lesavisjuridiquesnedoiventpasconduireàuneauto-incrimination(principeprotégéparl’article6delaConventioneuropéennedesdroitsdel’Homme)etl’avocat,aucœurdel’entreprise,doitplusquejamaisêtre«un acteur essentiel de la pratique universelle du droit» (article 6.1 du Règlement IntérieurNationaldelaprofessiond’avocat-RIN).

2.1.1. Ilestdevenuurgentd’agiretd’installerenFrancel’avocatenentreprise:ilenvadela compétitivité de l’économie française comme de la défense des entreprisesfrançaisesfaceauxmesuresàportéeextraterritoriale

Ainsiqu’illeseradéveloppépluslonguement(cf.2.1.2),lameilleuremanièredeprotégerefficacementlesavisjuridiquesécritsenentreprisefaceauxprocéduresextraterritorialesconsisteàintroduirel’avocatsalariédansl’entreprise,carseuleuneprotectiondel’avisjuridiqueattachéeàunavocatserareconnueparlesautoritésaméricaines.

Laquestiondel’instaurationdel’avocatenentrepriseetdelaprotectiondesesavisjuridiquesontététraitéesàdemultiplesreprisesdepuistrenteans,sousdesanglesdifférents,sansjamaisavoirététranchéesdemanièresatisfaisante.Denombreuxrapports87etdifférentsprojetsdeloi(dont ledernieren2015)ontpréconisédifférentes solutions, allantde la créationd’un statutparticulierauxjuristesd’entrepriseàl’importationpureetsimpledel’avocatenentrepriseavectoutessesrèglesetsonsecretprofessionnel.

Siaucunedessolutionspromuesparcesdifférentsrapportsn’aabouti,touslestravauxentreprissurcettequestiondepuisplusdetrenteanss’accordentsurunpoint:lasituationactuellen’estplustenable,nipourlesprofessionnelsconcernés,quinepeuventplustravaillersereinement,nipourlesentreprisesfrançaises,dontlacompétitivitéestgrandementaffectée,nipourlaFrance,quiestdevenueunecibledechoixpourlesactionsetmesuresàportéeextraterritorialedesesconcurrentset/ouadversairessurlascèneinternationale.

Au-delàdusujetcentraldesrisquesliésauxprocéduresextraterritoriales,notammentd’origineaméricaine,etdesrisquespluscroissantsencoredeleurdéveloppementdanslefutursurlesujetdessanctionsinternationales(cf.risquesdesanctionsadditionnellescontrelaRussie),ilexisteégalementdenombreusesautresraisonsquiconduisentàintroduireenfinl’avocatenentreprise,notamment:

- lebesoindesentreprises françaisesdevoir leurs juristeset lesavis juridiquesqu’ilsémettentprotégésparuneformedeconfidentialitéquileurpermettedesemettreauniveaudeleursconcurrentesetdebénéficierdeconditionsdeconcurrenceloyaleaveclesentreprisesétrangèresquibénéficient,pourlaplupart,decetteprotection;

87OnpeutciternotammentlesrapportsdeMM.DanielSoulezLarivière(1988),BernardduGranrut(1996),Jean-MarcVaraut(1998),HenriNallet(1999),MarcGuillaume(2006),Jean-MichelDarrois(2009),MichelPrada(2011),RichardFerrand(2014)etKamiHaeri(2017).

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- lesdifficultésauxquelles sont confrontés les juristesd’entreprise françaisdans leursrapports et échanges avec leurs homologues étrangers, comme avec leurs collèguesétrangersauseinmêmedesentreprisesfrançaises,enraisondel’absencedeprotectiondeleursavisjuridiques;

- lesrisquescroissantsdedélocalisationdesservicesjuridiquesdesgrandesentreprisesfrançaises ou étrangères établies en France vers des pays où la protection des avisjuridiquesestmieuxgarantie,notammentenEuropeoùl’essentieldenospartenairesontintroduituneformedeprotectiondelaconfidentialitédesavisjuridiques;

- lebesoinintrinsèquedeprotégerlesavisjuridiquesécritsenentreprisequipermettentuneévaluationexhaustivedesrisquesjuridiquesliésàtelleoutelleopérationetunediscussioninternelibreauseindel’entreprisesurcesrisques,sansquedetellesnotespuissentêtreultérieurementutiliséescontrel’entreprisedansuneprocédurejudiciaire,civilecommepénale,enFrancecommeàl’étranger;

- la nécessité d’encourager la diffusion du droit dans l’entreprise, alorsmême que larégulationdelaviedesaffairesrecourtdemanièrecroissanteaudroit,appeléàirriguerl’ensembledesdomainesdelaviedel’entreprise,vianotammentlesprogrammesdeconformité;

- l’absence de débouchés professionnels pour les jeunes avocats, les difficultés demobilitéprofessionnelleauxquellesilssontconfrontésetlapaupérisationcroissantedela professiond’avocat rappellent également l’urgenced’une réformequi permettraitnotamment d’élever la place du droit dans l’entreprise et, par voie de conséquence,d’irriguer l’ensemble des professions juridiques, au premier rang desquelles laprofessiond’avocatd’unedemandededroitrenouveléeetamplifiée.

2.1.2. Lamissionaécartéplusieurstypesderéponsesquiauraientétépossibles,maispeuefficacesvoirecontre-productives

Entermesd’organisationglobalede laréforme,quatresolutions, inadaptées,excessivesouinappropriées,nousparaissentdevoirêtreécartées:

® L’importationpureetsimpledustatutd’avocatlibéraldansl’entreprise,avectoutessescaractéristiquesactuelles,soitenautorisantl’avocatlibéralàexercerenentreprise,soiten créant un nouveau statut spécifique de salarié protégé, ce qui, dans les deux cas,provoqueraitunrejettrèsfortdelaréformeparlesemployeurspotentielsetdoncàsonéchec.

® L’organisationd’unenouvelleprofessionréglementéedejuristed’entreprise,dotéed’uneconfidentialitéspécifique,solutionadoptéeenBelgiqueilyaunedizained’années,dontlebilanestmitigé,quidéboucheraitsurunenouvellefragmentationdesprofessionsjuridiquesetquirisqueraitenoutredenepasconférerauxavis juridiques laprotectionrecherchée.Eneffet,lavaleurdelaconfidentialitéaccordéeauxavisjuridiquesdesjuristesd’entreprisebelgesn’aencorejamaisététestée,àlaconnaissancedesauteursdecerapport,devantlesautoritésaméricaines:comptetenudufaitquelesjuristesd’entreprisenesontpasdesavocatsinscritsaubarreau(commeles«lawyer»),ilexisteunrisqueimportantqueles autorités américaines ne les reconnaissent pas «dignes» de bénéficier du «legalprivilege» qui existe aux États-Unis et est reconnu par les juridictions et autoritésaméricaineslorsqu’ilexisteailleurs.

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® LacouverturepartielledesavisjuridiquesdesavocatsenentrepriseparundroitàlaprotectionquineseraitopposableenFrancequedansuneprocédurecivile.Unetelleréformeseraittotalementinefficacepourcontrerlesprocéduresextraterritorialespénalesaméricaines. Les autorités américaines n’appliquent en effet pas le droit du for dansl’appréciation de la confidentialité88. Dès lors, elles considéreraient qu’aucuneconfidentialiténeleurestopposable.Onpeutmêmes’interrogersurlefaitqu’unteldroitàlaprotection, limitédanssonchamp,seraitprisenconsidérationparlejugeaméricainycomprisaucivil.

® L’institution d’un filtre, au niveau de la Chancellerie, qui sélectionnerait lesdocumentsetinformationsquipeuventêtrecommuniquésauxautoritésétrangèresdans le cadre des demandes d’entraide, alors même que ces documents resteraientaccessiblessansrestrictionaucuneauxenquêteursfrançais.Unetellemesureseraitsansaucundoutefortmalreçue,àjustetitre,parnosprincipauxpartenaires.EllerisqueraitdedonnerdelaFrancel’image,trèsnégative,d’unpaysnon-coopératifappliquantundoublestandardàunmêmedocumentselonl’originedudemandeuretpourraitêtreinterprétéecommeuneviolationdenosengagements internationaux (avec les risquesqu’ilyauraitpour laFrancede se faire sanctionnerpardifférentesorganisations internationales, telsl’OCDE ou le GAFI89); en outre, un tel filtre risquerait de placer l’entreprise françaisepoursuivie aux États-Unis en risque juridique dans lamesure où elle s’exposerait à dessanctionspour«ContemptofCourt».

Parailleurs,entermesdemiseenœuvredelaréforme,lamissionécarteégalementlasolutionpréconisée par l’Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE), de conférerautomatiquementlestatutd’avocatenentrepriseàtouslesjuristesyexerçantdepuisaumoinsdeuxansquireviendraitàpriverl’entreprisedesalibertédedécisionderecruter,ounon,descollaborateursayantunstatutd’avocat.

2.1.3. Lamissionpréconisedonclasolutiondel’avocatsalariéenentreprise,dotéd’unstatutetd’unsecretprofessionneladaptés

Afin d’éviter les écueils mentionnés au paragraphe précédent, tout en traitant au fond et demanièreefficace leproblèmeposé, lamissionpréconised’introduiredans ledroit françaisdesrèglesquiexistentd’oresetdéjàcheznosprincipauxpartenaireséconomiquesetquin’ontjamaissuscité de problèmepour ces pays au regardde leurs engagements internationauxni dans laconduitedeleursenquêtespénales:laprotectiondesavisjuridiquesinternesauxentreprisesvial’introductiondel’avocatsalariéenentreprise,dotéd’unstatutadaptéetd’undroitàlaprotectiondesavisjuridiquesproduitsenentreprise.

Lesconsultationsmenéesparlamissionluiontpermisderencontrerl’ensembledesinstancesreprésentativesdelaprofession,ainsiqu’unpaneltrèslarged’avocatsenactivité,exerçanttantàParisqu’enprovince.Ellesluiontégalementpermisderencontrerlesinstancesreprésentativesdesjuristesenentreprise,ainsiquedesmagistratsinstructeursetdesenquêteurs.Enoutre,lamission a rencontré plusieurs associations professionnelles représentant les entreprises, àcommencerparleMouvementdesentreprisesdeFrance(MEDEF).

Au termede ses consultations, etdans leprolongementdesprécédents rapports et tentativeslégislatives,lescontoursdelaréformeproposéeparlamissionsontlessuivants:

88Envocabulairejuridique,lefor(dulatinforum,placepubliquesurlaquellesiégeaitletribunal)désigneletribunalquiaétésaisid'uneaffaire,etdoncconcrètement,lelieuoùuneaffaireestjugée.Ledroitdufor(oulexfori)estlaloiquidoitêtreappliquéeàunesituationdéterminéeestlaloidulieuoùlajuridictionaétésaisie.89LeGrouped'actionfinancière(GAFI)estunorganismeintergouvernementaldeluttecontreleblanchimentd'argentetlefinancementduterrorisme.

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- l’avocat en entreprise sera inscrit au barreau sur une liste ad hocet soumis auxobligationsdéontologiquesgarantesdesonindépendanceetdesonintégrité;

- salariéde l’entreprise, ilenserauncollaborateurnormal, sansstatutdérogatoireaudroitdutravail;

- ilréserveral’exclusivitédesesprestationsàsonentreprise;- iln’aurapaslacapacitédeplaiderdevantlestribunaux;- ilbénéficierad’undroitàlaprotectiondesesavisjuridiques,opposableauxtiersetaux

autoritésadministrativesetjudiciaires,danslaproductiondesesavisjuridiquesetlapréparationdesprocéduresjudiciaires.

2.1.3.1. L’avocatenentrepriseserainscritaubarreausurunelisteadhocetsoumisaux obligations déontologiques garantes de son indépendance et de sonintégrité

L’avocatenentreprisedevraêtreinscritaubarreau,surunelisteadhocdulieudusiègesocialdel’entrepriseoudel’exécutionducontratdutravail.Soninscriptionaubarreauseralegagedesonintégritéetdesonindépendance.

L’avocat en entreprise sera tenu de respecter les principes déontologiques et éthiques de laprofessiond’avocat,dontlamissionfondamentaleestdeservirlajusticeetsonclient,c’est-à-direl’entreprise/personnemorale (et non pas ses dirigeants). Il sera tenu au respect d’un secretprofessionneladapté,appelé«droitàlaprotection»(cf.infra).

Lefaitquel’avocatenentreprisesoitinscritaubarreauetsoitdoncpleinementconsidérécommeun avocat permettra de garantir la reconnaissance de la réforme et notamment du droit à laprotectiondesavisjuridiquesparlescoursétrangères,notammentaméricaines.

2.1.3.2. Salarié de l’entreprise, il en sera un collaborateur normal, sans statutdérogatoireaudroitdutravail

L’avocat en entreprise seraun salariédedroit communde l’entreprise, un collaborateur sansautre spécificité que son appartenance au barreau. Son contrat de travail sera soumis auxdispositionsdudroitdutravailcommetoutautresalarié.

Iln’aurapasdestatutparticulierninepourraêtreconsidéréenaucunemanièrecommeunsalariéprotégé:ilserasoumisauxmêmesmodalitésderecrutement,dedisciplineetdelicenciementquelesautressalariésdedroitcommunde l’entreprise.Cestatutdedroitcommunpermettraunebonneappropriationdelaréformeparlesentreprises.

Pour les questions relatives aux règles déontologiques, l’avocat en entreprise relèvera de lacompétence du bâtonnier auquel il est rattaché dans le respect des principes essentiels de laprofession,etnotammentduprinciped’indépendance(cf.infra,2.1.4.5).

2.1.3.3. Ilréserveral’exclusivitédesesprestationsàsonentreprise

Afind’assurerleserviceloyaletefficacedesonentreprise,l’avocatenentreprisedevraréserverl’exclusivitédesesprestationsd’avocatàsonentreprise.

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2.1.3.4. Iln’aurapaslacapacitédeplaiderdevantlestribunaux

Afin de limiter les craintes d’une partie de la profession d’avocat et de parer les risques deconcurrencedontpourraient,enthéorie,souffrircertainscabinetsd’avocats,notammentdanslesvillesmoyennesdeprovince,etafindeprivilégierunesolutiond’équilibrepermettantdefaciliterl’acceptationdelaréforme,lamissionproposed’interdireexplicitementàl’avocatenentreprisedeplaiderdevantlestribunaux.

CetteinterdictionvautdevanttouteslesjuridictionsdeFrancesansaucuneexception.

2.1.3.5. Ilbénéficierad’un«droità laprotectiondesesavis juridiques»,opposableauxtiersetauxautoritésadministrativesetjudiciaires,danslaproductiondesesavisjuridiquesetlapréparationdesprocéduresjudiciaires

La mission propose de créer un «droit à la protection des avis juridiques de l’avocat enentreprise»quibénéficieraàtouslesavisjuridiquesdesavocatssalariésenentreprise.Ilseraainsidistinctdel’actuelsecretprofessionneldesavocatslibéraux(cf.supra1.4.3.Encadré2:Secretprofessionnelet«legalprivilege»).Eneffet, lamissionconsidèrequ’ilneseraitpasconcevabled’appliquerauxavocatssalariésenentreprisel’actuelsecretprofessionnel,carlanaturedecequiestprotégéestdifférente:

® s’agissantdesavocatslibérauxencabinet,c’estl’avocatdanstoutcequ’ilaccomplitetdansseséchangesavecsonclientquiestprotégé(protectioninpersonam);

® s’agissant des avocats en entreprise, c’est uniquement l’avis juridique et/ou lescommunicationsjuridiquesdel’avocatavecsonclientinternequisontprotégés(protectioninrem).

Ledroitàlaprotectiondesavisjuridiquesdel’avocatenentreprisedevraainsifairel’objetd’unedéfinitionstrictementlimitéeàlaréflexionjuridique,afind’évitertoutabus.Ilporteraainsisur:

® l’ensemble des communications orales, écrites et électroniques de l’avocat avec ses«clients»internesàl’entreprise(c’est-à-diretouslescadresdel’entreprisequiontbesoind’avisjuridiquesdansl’exercicedeleursfonctions);et,

® consistantenuneprestationintellectuellepersonnaliséetendant,surunequestionposée,àlafournitured’unavisoud’unconseilfondésurl’applicationd’unerèglededroitenvuenotamment d’une éventuelle prise de décision, y compris les consultations juridiquesconcernantlapréparationoulaconduitedeladéfensedel’entreprisedansuneprocédurejudiciaire(actuelleouéventuelle).

Ledroitàlaprotectiondesavisjuridiquesdel’avocatenentrepriseseraopposable:auxtiers;etauxautoritésadministrativesetjudiciairesdansl’exercicedeleursenquêtes,etdanstouteslesprocéduresjudiciaires,civiles,commerciales,socialesetpénales,sauflorsquel‘avocatcommetouparticipeàlacommissionoufacilitelacommissiondel’infraction.

Ledroitàlaprotectiondesavisjuridiquesdel’avocatenentreprisedevraainsiêtreaccompagnéparlamiseenplacederèglesdeprocédurepermettantsamiseenœuvreetsonrespecteffectif,enappréciantaucasparcaslesélémentsquidoiventêtreprotégés.

Encasdeperquisitiondansl’entreprise,etparextensiondelaprocédureprévueàl’article56-1duCodedeprocédurepénalepour les perquisitionsdans le cabinet d'un avocat, le bâtonnierterritorialement compétent devra être présent pour donner éventuellement son avis sur lesdocuments juridiques de l’avocat en entreprise que les enquêteurs souhaiteraient saisir (ilapporterasaréponsequantàlanaturedudocument:est-ceounonunavisjuridiqueprotégéparledroitàlaprotection?).Encasdecontestation,lesdocumentsdevrontêtremissousscellésdansl’attentequeleJugedesLibertésetdelaDétention(JLD)seprononce(enveillantdansl’intervalleàcequelesenquêteursnepuissentpasprendreconnaissancedesdocuments).

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Pour faciliter les opérations de perquisition, il pourrait également être fait obligation àl’entreprised’identifieraupréalablelesavisjuridiques,etd’indiquerlesraisonss’opposantàlacommunication/saisiedudocumentavecégalementl’obligationdecommuniquerauxenquêteursun résumé des documents dont elle refuse la communication/saisie au titre du droit à laprotection.Unesanctionpénaledissuasivepourraitégalementêtremiseenplaceafind’évitertoutabus.

Aucivil,lejugesaisidel’affaireseracompétentpourtrancherledifférendencasdecontestationentre les parties sur la nature d’un document considéré par l’une des parties commeun avisjuridiquebénéficiantdelaprotection.

Enfin,ilconviendrad’assurerlabonnearticulationdudroitàlaprotectiondesavisjuridiquesdel’avocatenentrepriseaveclesautrestypesdesecretexistants,notammentlesecretdesaffaires90.Àcetégard,l’informationfaisantl’objetd’unavisjuridiquedel’avocatenentreprisenedevraitpas enprincipe releverdu régimedu secretdes affaires, la réflexion juridiquen’ayantpasdevaleurcommercialeausensdel’articleL-151-1duCodedecommerce91.Entoutétatdecause,laLoidevras’assurerdelaprééminencedudroitspécialdesavisjuridiques,commec’estd’ailleurslecasdanstous lespayseuropéensquionttransposé ladirective«secretdesaffaires»etquiconnaissentégalementledroitspécialdu«legalprivilege»sousdiversesformes92.

2.1.4. Quelimpactdelaréforme?

Le droit à la protection de l’avocat en entreprise protègera donc la confidentialité des avisjuridiquesqu’ilproduira,àl’instardu«legalprivilege»despaysde«CommonLaw».Commedanscespays,laconfidentialitéseraopposabledanstouteprocédurecivile,maisaussiauxautoritésadministrativesoujudiciairesdanslecadredeleursenquêtes,ycomprispénales.

2.1.4.1. Quelimpactaucivil?

Laréformedel’avocatenentreprisepermettraderétablirentotalitél’équilibredesforcesdansun litigecivilentreuneentreprise françaiseetuneentrepriseétrangèrebénéficiantdu«legalprivilege»oud’uneautreformedeprotectiondelaconfidentialitédesesavisjuridiques.

À ce jour en effet, on l’a vu, les entreprises françaises se retrouvent dans une situationparticulièrementdésavantageusedanslaquelleellessontcontraintesdedévoilerl’ensembledeleurs pièces constitutives de preuve, y compris la totalité des avis juridiques écrits par leursjuristes d’entreprise, alors que leurs concurrentes, anglo-saxonnes notamment, peuvent seprévaloirdelaconfidentialitédecesavisjuridiquespournepaslescommuniquer.

Laréformerétabliradoncl’équilibredesforcesenprésence,danstousleslitigescivils.

90La loidu30 juillet2018(Directiveeuropéennedu8 juin2016)a instituéuneprotectiondessavoir-faireetdesinformationscommercialesnondivulguées,pluscommunémentappelésecretdesaffaires.Cedernierestunsecretdefaible intensité, non opposable aux autorités administratives et judiciaires, qui couvre une quantité très vaste dedocuments,detoustypesetdetoutenature,financière,commerciale,stratégique,intellectuelleoujuridique.91ArticleL.151-1duCodedecommerce:«Estprotégéeautitredusecretdesaffairestouteinformationrépondantauxcritères suivants : 1°Ellen'est pas, en elle-mêmeoudans la configuration et l'assemblage exactsde ses éléments,généralementconnueouaisémentaccessiblepourlespersonnesfamilièresdecetyped'informationsenraisondeleursecteurd'activité;2°Ellerevêtunevaleurcommerciale,effectiveoupotentielle,dufaitdesoncaractèresecret;3°Ellefaitl'objetdelapartdesondétenteurlégitimedemesuresdeprotectionraisonnables,comptetenudescirconstances,pourenconserverlecaractèresecret.»92Enapplicationduprincipeselonlequelledroitspécialdérogeaudroitgénéral:enl’espèce,ledroitspécialapplicableauxavisjuridiquesdesavocatsenentreprisedérogeraaudroitplusgénéraldusecretdesaffaires(quiconcerneunnombrelargementsupérieurdedocumentsdetoutenatureetd’auteurstrèsvariés).

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2.1.4.2. QuelimpactsurlesenquêtesadministrativesetpénalesenFrance?

S’agissantdesenquêtesadministrativesetpénalesconduitesenFrance,cetteréformen’aura,enpratique, qu’un impact limité sur leur déroulé. En effet, comme évoquépar les interlocuteursrencontrés par la mission, ce n’est pas dans les avis juridiques qu’on trouve des preuves deculpabilité.

Toutd’abord,laréformen’empêcheranullementlamanifestationdelavérité.

- L’établissement des faits n’en seranullement empêché, car les faits ne sont pascouvertsparledroitàlaprotectionetdemeurerontpleinementaccessiblesauxservicesenquêteurs,commec’estlecasdanslespaysquiconnaissentdéjàle«legalprivilege»(États-UnisouRoyaume-Uni,notamment).

- De même, le droit à la protection de l’avis juridique n’empêchera pasl’établissementdel’intentionnalité93,quidoitêtredéduitedefaitspositifs,d’actionspositiveset non d’une simple connaissance du caractère illégal d’un acte. Cetteconnaissance (par le biais d’une analyse juridique) n’établit pas l’intentionnalité decommettreuneinfraction:ledroitpénalfrançaisprévoitquel’intentionnalitédoitêtredéduited’unfaisceaud’indicespermettantd’établirquelapersonnequiaparticipéàuneactionillégaleyaparticipéactivement.Ilenressortquelaprotectionaccordéeauxanalyses juridiques des avocats en entreprises n’aura, en bonne logique, aucuneincidence sur l’établissement de l’intentionnalité, telle que prévu par le code deprocédurepénale.

Enoutre,touslesavisjuridiquesneserontpascouvertsparledroitàlaprotection:touslesavisjuridiquesétablisdanslebutdecommettreuneinfraction,d’enconseilleroud’enfaciliterlacommissionneserontpascouvertsparlaprotection,commec’estdéjàlecasaujourd’huipourlesavocats exerçant en cabinet et comme c’est le cas également dans les pays de «CommonLaw»pourlesavisjuridiquesenvertuduprincipede«crimefraudexception».

Au total, la réforme ne permettra en aucun cas de constituer une boîte noire au sein del’entreprise.L’appréciation de ce nouveau droit à la protection se fera au cas par cas, sous lecontrôle du juge. Aussi, il modifiera que de manière limitée les modalités de l’enquête: ellen’empêchera nullement le recueil matériel des preuves ni le succès des enquêtes pénales ouadministratives.

L’introductiondecedroitàlaprotectiondesavisjuridiquesauranéanmoinsunimpactsurledéroulédel’enquête,etlanécessitéd’aménagementdelaprocédurepénalecommec’estle cas pour l’ensemble des droits protégés.En pratique, ellemodifiera nécessairement lesroutinesethabitudesbienancréesdesservicesd’enquêtes.

Pourlimiterlescraintesd’unallongementdesdélaisdeprocédure,etplusgénéralementd’uneatteinte à l’efficacité des investigations, il conviendra d’accompagner cette réforme d’uneaugmentation appropriée des moyens matériels et humains consacrés à la lutte contre ladélinquanceéconomiqueetfinancière94.

Plus généralement, la mission a recueilli de nombreuses propositions sur la lutte contre ladélinquance économique et financière, et demande à ce qu’elles soient expertisées dans lesmeilleursdélaisparunrapportparlementaire(cf.2.8).

93Selonl’article121-3duCodepénal,iln'yapointdecrimeoudedélitsansintentiondelecommettre.L'intention(oudol)peutêtredéfiniesimplementcommelavolontédel'auteurdesfaitsdelescommettre,enconnaissancedecausedeleurcaractèreinfractionneletdeleursconséquenceséventuelles.94 Notamment en terme informatique, de formation des équipes ou/et de financement avec la possibilité d’unegénéralisationdelapratiquedufondsdeconcoursutiliséenmatièredestupéfiants(fondsdelaMILDECA,ancienneMILDT).

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2.1.4.3. Quelimpactsurlesenquêtesadministrativesetpénalesextraterritoriales?

Sil’impactdomestiquedelaréformeseralimité,ilressortenrevanchedesauditionsdelamission,notammentdescabinetsd’avocatsaméricainsrencontrésauxÉtats-Unis,qu’elleauraunimpactsystémique important sur les enquêtes extraterritoriales et permettra d’accroitresubstantiellement les moyens de défense des entreprises françaises dans ces enquêtesextraterritoriales.

2.1.4.3.1. Toutd’abord,ledroitàlaprotectiondesavisjuridiquesdesavocatsenentrepriseserareconnu par les juridictions américainesdès lors qu’un certain nombre de conditionsserontrespectées.

Eneffet,lesCoursaméricainessontsouverainesdansl’appréciationdelaprotectionattachéeàcertaines communications ou documents95 et utilisent le «touching base test»dans ladéterminationdudroitapplicableauxcommunicationsd’unavocatétrangeravecsonclientauxÉtats-Unis ou à l’étranger (qu’il s’agisse d’un avocat interne ou externe, car il n’y a pas dedistinctiondelasorteauxÉtats-Unis):

- si lacommunication«touchesbase»avec lesÉtats-Unis, le«legalprivilege»américains’appliquera(àcondition,bienentendu,que lapersonneconcernéesoitbienunavocatinscrit au barreau – ce qui exclut en France les juristes d’entreprise qui ne sont pasavocats);

- si lacommunicationne«touche»pas lesÉtats-Unisetestréaliséeà l’étranger,c’est le«legalprivilege»dupaysconcerné,s’ilexiste,quis’appliqueradevantlacouraméricaine.

S’agissantde lamiseenœuvredecesprincipes, ilressortdesauditionsde lamissionavec lesdifférentscabinetsd’avocats(françaisetaméricains)rencontrésquelejugeaméricainvérifierasystématiquement que l’auteur de la communication/avis juridique est bien membre d’unbarreau.Ilvérifieraégalement,avantd’accepterl’opposabilitéduprivilègeauxÉtats-Unis,quelaprotectionofferteàlacommunication/avisdanslepaysdel’avocatconcernéestbienopposableégalementauxautoritésdemêmenature.

Aussi, en conclusion, on peut estimer sans risque que le droit à la protection de l’avocat enentreprise sera pris en compte par les Cours américaines dès lors qu’un certain nombre deconditionsserontrespectées:

- ledroità laprotectiondevraêtreattachéàunavocatinscritaubarreau (conditionindispensable,le«legalprivilege»nepeuteneffetêtrereconnuques’ilestattachéàun«lawyer,memberoftheBar»);

- ledroitàlaprotectiondevraavoirdescaractéristiquesaussiprochesquepossibledu«legalprivilege»américain,notammentdanssonopposabilitéauxtiersetauxautoritésadministrativeset judiciaires, fautedequoi ilrisqueraitdenepasêtrereconnupar lescoursaméricaines.

Sitoutescesconditionssontrespectées, l’introductiondel’avocatenentreprisepermettraauxentreprises françaises d’opposer le droit à la protection des avis juridiques dans toutes lesdemandesdecommunicationdepiècesformuléesparlesautoritésdepaysquireconnaissentle«legalprivilege»,notammentlesautoritésaméricaines.

95Cf.FederalRulesofEvidencen°501:“…theprivilegeofawitness,[or]person…shallbegovernedbytheprinciplesofthecommonlawastheymaybeinterpretedbythecourtsoftheUnitedStatesinthelightofreasonandexperiences.”

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2.1.4.3.2. Contrairementàcertainesidéesreçues,l’opposabilitédu«legalprivilege»estpleinementrespectéeauxÉtats-Unisets’estvuconfortéepardenouvellesdirectivesduDoJen2008et2015

Ilestparfoisévoquédespratiquesanciennesdesprocureursaméricainsselonlesquellesle«legalprivilege»seraitfréquemmentlevésuiteauxpressionsexercéessurlesmisencause:certainsendéduisentqu’ilneseraitdoncpasutiled’introduirecetteréformeenFrance.

Cesidéesreçues,erronéesbienentendu,omettentdeuxélémentsd’importancemajeure,dontlamissionapus’informerlorsdesesauditionsauprèsdesreprésentantsduDoJainsiquedenombreuxcabinetsd’avocatstantàParisqu’àWashington:

- la forcedeceprincipedans la culture juridiqueaméricaine (etplus largementde«CommonLaw»), rappeléàdenombreusesreprisespar leDoJdansses«PrinciplesofFederalProsecutionofBusinessOrganizations»,notammentenaoût2008dansleprincipen°9-28.710:«Theattorney-clientprivilegeandtheattorneyworkproductprotectionserveanextremelyimportantfunctionintheAmericainlegalsystem.Theattorney-clientprivilegeisoneoftheoldestandmostsacrosanctprivilegesunderthelaw:itspurposeistoencouragefull and frank communication between attorneys and their clients, and thereby promotebroaderpublicinterestsintheobservanceoflawandadministrationofjustice.»;

- l’interdictionformellequiest faiteauxprocureurs,depuis2008,dedemanderlalevée («waiver») du «legal privilege» dans les enquêtes pénales ouadministratives:«Prosecutorsshouldnotaskforsuchwaiversandaredirectednottodoso».Cetteinterdictioncontenuedanslacirculairen°9-28.710d’août2008(cf.supra)aétérenforcéeplusavantparlacirculairen°9-28.750denovembre2015quiinvitelesavocatsquiseraientsoumisàdetellesdemandesdelesdénoncerauprèsdel’AttorneyGeneralauxfinsdesanctionsdisciplinaires:«TheDepartmentunderscoresitscommitmenttoattorneypracticesthatareconsistentwithDepartmentpolicieslikethosesetforthhereinconcerningcooperation credit and due respect for the attorney-client privilege and work productprotection. Counsel for corporations who believe that prosecutors are violating suchguidanceareencouragedtoraisetheirconcernswithsupervisors,includingtheappropriateUnitedStatesAttorneyorAssistantAttorneyGeneral.Likeanyotherallegationofattorneymisconduct, such allegations are subject to potential investigation through establishedmechanisms.»

2.1.4.3.3. Cette opposabilité aura des conséquences importantes et représentera un moyen dedéfensepuissantpourlesentreprisesfrançaisesdanscertainspays.

Eneffet,comptetenudelanaturemêmedelaprocédureutilisée,parexemple,auxÉtats-Unis,quin’est qu’une «négociation informelle» asymétrique, parfois particulièrement violente, devantconduireàun«accord»(cf.supra1.2et1.3),lesautoritésd’enquêtesaméricainesnerecherchentpasàétablirdesfaits,maisd’abordetavanttoutàfairepressionsurlapartiepoursuivie.Ellesutilisentpourcefairetouslesélémentspouvantconstituerunfaisceaud’indices.Enoutre,commelesautoritésaméricainesontnécessairementunaccèsassezlimitéàl’entreprisefrançaiseetauxdocumentsensapossession(distance,impossibilitédeperquisitionneràvolonté,etc.),ellesontunetendancebiennaturelleàsurexploitertoutdocumentqu’ellesontpuseprocurer.

Dans un tel contexte,unavis juridiqueproduit par le service juridiqued’une entreprisefrançaise,aunevaleurrelativepour lesenquêteursextraterritoriauxbiensupérieureàcelle qu’il pourrait avoir dans une enquête domestique et peut constituer une armeredoutablepourunprocureurextraterritorialcontrel’entreprise,etparconséquentaffaiblirl’argumentationdecettedernièreetsapositiondanslanégociationinformelle.

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Aussi, donner à l’entreprise française la faculté d’opposer le droit à la protection de ses avisjuridiques (réplique parfaite du «legal privilege» anglo-saxon) lui fournira ainsi un moyenjuridique efficace de faire respecter ses droits, notamment ses droits de la défense, dans lesprocédures extraterritoriales à l’étranger et lui permettra d’échapper en partie à la pressionterrible exercée par les procureurs dans le cadre des poursuites ou plutôt «négociationsinformelles»àl’américaine,commepeuventlefairelesentreprisesaméricaineselles-mêmes(etcellesdetouslespaysayantadoptéle«legalprivilege»sousuneformeousousuneautre).

Àcetégard,ilressortdesauditionsquelemontantrecorddesamendesprononcéesdanscertainesaffairesestdirectementliéàlacommunicationauxprocureursaméricainsdesavisdesservicesjuridiquesdesentreprisesfrançaises.Autotal,cetteréformecontribueraàrétablirl’équilibredesforces,aujourd’huitrèsdéfavorableauxentreprisesfrançaises.

2.1.4.4. Quelimpactsurlatransparencedesentreprises?

Ilexistedepuisdenombreusesannéesunmouvementgénéraldetransparencedesentreprises.Enmatièredecorruptionnotamment,lesentreprisessontdésormaissoumisesdepuislaloiSapin2 à des exigences légales de conformité très fortes avec la mise en œuvre d’actions desensibilisationetdeformationdesmanagersetcollaborateurs,d’établissementdecartographiedesrisquesouencoredemiseenœuvredecontrôleetd’alerteinterne.

Enaucuncas,l’introductiondudroitàlaprotectiondesavisjuridiquesetl’institutiondel’avocatenentreprisenereviennentsurcemouvementirréversibleversunemeilleuregouvernancedesentreprises.Bienau contraire, il ressort très clairementdes auditionsde lamissionque cetteréformefavorisera-dansleprolongementdelaloiSapin2-àlafoislaplacedudroitdanslesdécisionsmanagérialesetlaconformitédesentreprisesfrançaisesàlarèglededroit,etaurainfineuneffetvertueux.

Eneffet,laprotectiondelaconfidentialitédesavisjuridiquesvaimmanquablementfavoriserlaréflexion juridique au sein de l’entreprise et créer un champ de confiance qui permettra dedétecterenamontdeséventuelsfaits/comportementsdenatureàenfreindrelesloisetbonnespratiques.Encela,ellenes’opposerapasàlatransparence,maisaucontraire,lacomplètera.

2.1.4.5. Quelimpactsurl’indépendancedesavocats?

Certainsopposantsàl’introductiondel’avocatenentrepriseontavancé,àl’occasiondetentativesderéformeantérieures,l’argumentselonlequellestatutd’avocatenentrepriseseraituneatteinteàsonindépendance,alorsmêmequeceprincipeestaufondementdel’exerciceetdusermentdel’avocat96. Pour ces opposants, envisager qu’un avocat soit lié par un contrat de travail à uneentrepriseestinconcevable,carlecontratdetravail,danssadéfinitionmême,impliqueunliendesubordination.

À la lumière des investigations de lamission, cette oppositionde principe semble néanmoinsrelever de l’ordre du symbolique et devrait pouvoir être aisément surmontée. Il est en effetcommunémentadmisquelanotiond’indépendanceestdivisible.Cequicaractérisel’exercicedelaprofession,c’estl’indépendanceintellectuelleoutechnique.Ilendécoulequel’exercicedelaprofessiond’avocatn’estpasincompatibleaveclesalariat,etlasubordinationjuridiquequis’ensuit,quiimpacteuniquementlesconditionsdetravailetnonl’exercicedesonart.Ilyalieudenepasconfondrecesdeuxnotions97.

96«Jejure,commeavocat,d'exercermesfonctionsavecdignité,conscience,indépendance,probitéethumanité».97 Voirpage17du rapportdeMarcGuillaumesur « le rapprochement entre lesprofessionsd’avocat etde juristed’entreprise»,2004.

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67.

D’ailleurs,lesalariatdel’avocat,autrefoisjugéimpossibleparlaprofession,estdésormaisbieninstalledepuis1991,sansquelaquestiondel’indépendancen’yfasseobstacle.Danslecadredelaréformeproposée,lapréservationdel’indépendancetechniqueetdel’éthiqueprofessionnelleseragarantieparunencadrementcontractueld’ordrepublic,avecnotammentuncontrôleeffectifduBâtonniersurlesquestionsdéontologiques.

Enfin,l’applicationduprincipedel’indépendancedel’avocatestd’oresetdéjàtouterelative.Ilfautainsisoulignerqu’enpratiqueilexistedéjàchezlesavocatslibérauxunevraiedépendanceéconomique envers certains de leurs clients, notamment lorsqu’un client représente une partsignificative de l’activité ou lorsque la clientèle est principalement institutionnelle et que lemontant des honoraires leur est impose. Il en est de même pour les avocats collaborateurslibéraux98,quisontdefaitdansunesituationdesubordinationenversleurs«patron»(l’avocatassocié) et perçoivent une rémunération sous forme de rétrocessions d’honoraires, quis’apparententfortementàdusalariatdéguisé.

Il en résulte que la réforme proposée n’est pas incompatible avec le respect du principed’indépendance de l’avocat. Cette réforme, loin d’affaiblir une profession confrontée a denombreux défis99, offrira de nouvelles perspectives de mobilité professionnelle aux 70.000avocatsenexercice.

En outre, le nouveau droit à la protection ne bénéficiera évidemment pas exclusivement auxentreprises,maisàl’ensembledesclientsdesavocatsexerçantencabinet.Laréformeproposéeconduira ainsi incontestablement à l’affermissement du rôle et de la place de l’avocat, et aurenforcementdenotreÉtatdedroit.

2.2. Propositionn°2:actualiser,moderniseretrenforcercertainsaspectsdelaloin°68-678du26 juillet1968relativeà lacommunicationdesdocumentsetrenseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier outechniqueàdespersonnesphysiquesoumoralesétrangères

IlconvientdedoterlaFranced’unelégislationluipermettantdefairefacedemanièreeffectiveauxmanœuvrespotentiellementabusivesd’autoritésétrangèresquidemandentdirectementdesinformations aux entreprises françaises sans passer par les canaux de la coopérationinternationale, prévus par les Traités, conventions ou accords multilatéraux et/ou bilatérauxconclusparlaFrance.

Il convient également de doter les entreprises françaises qui font face à des demandesd’informations sensibles ou confidentielles par des autorités ou parties étrangères d’outilsjuridiquesetdemoyensdedéfenseleurpermettantderemplirleursobligationsenveillantàceque leurs droits, découlant là aussi des Traités, conventions ou accords multilatéraux et/oubilatéraux,soientscrupuleusementrespectés.

Àceteffet,lamissionproposed’actualiser,moderniseretrenforcercertainsaspectsdelaloin°68-678du26 juillet1968 relativeà la communicationdesdocumentset renseignementsd'ordreéconomique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques oumoralesétrangères.

9829%desavocats,principalementdesjeunes,exercentaujourd’huicommecollaborateurs.Source:ConseilNationaldesBarreaux(CNB).99VoirRapportdeKamiHAERIsurl’avenirdelaprofessiond’avocat,2017:«Laprofessionestconfrontéeaujourd’huiàlasommedetouslesdéfis:morositeéconomique,paupérisationd’unepartiedesoneffectif,concurrencemondialisée,intelligenceartificielle,apparitiond’une sous-traitancedeplusenplus sophistiquée, transformationdecertainsde sessavoir-faireencommodités.Elleestconcurrencéeàsesfrontièrespard’autresprofessions,maiségalementpardenouvellespropositionsetdenouvellesoffres, formuléespardesentreprisessouventplusaudacieuses,parfoismoinsscrupuleuses.C’estdoncversuneconduiteduchangementqu’ilfautdésormaisconcentrernosefforts.»

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68.

Dans le but de la rendre pleinement effective et de parer certaines critiques, la loi de 1968nécessiteaujourd’huiquelquesajustements,notammentdanssixdirections:

- s’assurer qu’un service de l’État est bien désigné pour traiter de l’obligation dedéclaration prévue à l’article 2 (le SISSE) et introduire une sanction pénale dumanquementàl’obligationdedéclaration;

- augmenter la sanctionpénale prévue à l’article 3 de la loi de 1968, sanctionperçuecomme trop symbolique etdont lemontantdérisoirenuitparfois à la crédibilitédudispositif;

- aménagerunvéritableparcoursd’accompagnementde l’entreprisedéclarantepar leservicerécipiendairedeladéclaration(leSISSE);

- créer des règles spécifiques encadrant l’exercice en France du monitoring d’uneentreprisefrançaiselorsqu’ilestdécidéparunjugementétranger;

- s’assurerquelaloide1968nes’opposepasàlabonnecoopérationinternationaledesautorités françaises avec leurs homologues à l’étranger ni à la mise en œuvre desconventionssignéesparlaFrance;

- enfin,ilseraitbon,pourunemeilleurereconnaissancedecetteloi,delacodifierdansleCodepénal.

2.2.1. S’assurer qu’un service de l’État est bien désigné pour traiter de l’obligation dedéclaration prévue à l’article 2 (le SISSE) et introduire une sanction desmanquementsàl’obligationdedéclaration

Àcejour,l’article2delaloide1968précitéedispose:«lespersonnesviséesauxarticles1eret1erbis sont tenuesd’informersansdélai leministrecompétent lorsqu’ellesse trouventsaisiesdetoutedemandeconcernantdetellescommunications.»Lesauditionsde lamissionontpermisd’identifierdeuxproblèmesdanslamiseenœuvredecetteobligation:

- aucunservicedel’Étatnecentralisedemanièreeffectiveninetraitelesinformationsreçuesdesentreprisessurlefondementdel’article2;

- lemanquementàl’obligationd’informationprévueàl’article2n’estpassanctionné.

Surlepremierpoint,leministèredesAffairesétrangèresaétéchargédelamiseenœuvredecettedisposition.Cependant,àcejour,aucunservicedel’Étatn’aétéclairementmandatépourrecevoir,collecterettraiterlessignalementseffectuéssurlefondementdel’article2.

Leministère desAffaires étrangères ne semble plus considérer que cettemission soit de sonressort.Parailleurs,ilressortdesauditionsdelamissionquelesentreprisesconcernéesseraientfavorables à ce qu’un service administratif de l’État ressortissant de la sphère économique etfinancièresoitmandatéàceteffet,avecensusunemissiond’accompagnementdesentreprisesvisées(cf.infra).

Lamissionproposeque le Servicede l’InformationStratégiqueetde laSécuritéÉconomiques(SISSE),relevantduministredel’Économie,soitdésignépardécretcommel’autoritéchargéederecevoirettraitercesinformations.

Dans la loi de 1968 précitée, un article 2 bis nouveau pourrait être créé, avec la rédactionsuivante:

«Unserviceàcompétencenationalereçoit,analyseettraitelessignalementseffectuésenvertudel’article2delaprésenteloi.Ilestcomposéd'agentsspécialementhabilitésparleministrechargédel'économie.Lesconditionsdecettehabilitationainsiquel'organisationetlesmodalitésdefonctionnementdeceservicesontdéfiniespardécret.»

Surlesecondpoint,unesanctiondudéfautderespectdel’obligationd’informationpourraitêtrecréée,viaunarticle2ternouveaudelaloide1968précitée,aveclarédactionsuivante:

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69.

«Le manquement à l’obligation d’information prévue à l’article 2 de la présente loi estsanctionnéd’unemprisonnementde6moisetd’uneamendede50000eurosoudel’unedecesdeuxpeinesseulement.»

Pourassurerlebontraitementdesdéclarationsreçuesdesentreprisessollicitées,leSISSEdevrasetransformeràlafoisentermesdeprofilsdesespersonnels,maisaussientermesd’ouvertureauxautresadministrationsconcernées.Ildevranotammentprévoirde:

- créerunecelluleensonseinchargéedutraitementdecesdossiers;- recruterlespersonnelsayantunprofiladaptéàlaréalisationdecegenredemission;- se positionner comme l’animateur d’un réseau interministériel, faisant appel de

manière systématique, proactive et coopérative à l’expertise des ministères etadministrationstechniquescompétents(Justice,Intérieur,Défense,Énergie,DGTrésor,DGE,etc.)pourtraiter,aucasparcas,demanièreefficacelesdossiersreçus.

2.2.2. Aggraverlasanctionprévueàl’article3delaloide1968,sanctionperçuecommetropsymboliqueetdontlemontantdérisoirenuitàlacrédibilitédudispositif

Lessanctionsprévuesàl’article3pourlemanquementauxinterdictionsdesarticles1eret1erbisdelaloide1968précitéesontunanimementconsidéréescommeinsuffisantes.Lequantumdepeine(6moisdeprison)etlemontantmaximumdelasanctionfinancièreencourue(18000eurosd’amende)apparaissentdérisoiresauregarddesréalitéséconomiquesetdesenjeux(chiffrésàplusieurscentainesdemillionsd’euros,voireplusieursmilliards)auxquelssontconfrontéeslesentreprises françaises qui font l’objet de demandes d’informations ou de transmission dedocumentsdelapartd’autoritésadministrativesoujudiciairesétrangères.

Lecaractèredérisoiredessanctionsencouruesaétésignaléàlamissionpardenombreuxjuristesoucabinetsd’avocatscommeundesélémentsqui,aujourd’hui,nuità lacrédibilitédela loide1968auxyeuxdes autorités étrangères, notamment américaines. En effet, cesdernièrespouranalyserlalégitimitédel’excuselégalequepourraitinvoquerl’entreprisefrançaisequirefusedefairedroitàunedemanded’informationoudetransmissiondedocuments,examinentlaréalitédelasanctionencourueparl’entreprisedanssonproprepaysavecdeuxcritèresprincipaux:lemontantdelasanctionetsoncaractèreeffectif(lessanctionsdéjàprononcéesdanslepassé).

Il est donc nécessaire de revoir les sanctions encourues pourmanquement aux interdictionsprévuesauxarticles1eret1erbisdelaloide1968précitée.Lamissionproposederéviserl’article3,aveclarédactionsuivante:

«Sanspréjudicedespeinespluslourdesprévuesparlaloi,touteinfractionauxdispositionsdesarticles1eret1erbisdelaprésenteloiserapunied’unemprisonnementde2ansetd’uneamendede2millionsd’eurosoudel’unedecesdeuxpeinesseulement.»

Comptetenudel’article131-38duCodepénal,lapeineencourueparlespersonnesmoralesseraégaleauquintupledel’amendeprévue,soit10millionsd’euros.

2.2.3. Aménagerunparcoursd’accompagnementdel’entreprisedéclaranteparleservicerécipiendairedeladéclaration(leSISSE)

Lesauditionsdelamissionontpermisdemettreenlumièrelebesoinqu’éprouventlesentreprisesfrançaisesd’êtreaccompagnéespar l’Étatetdepouvoirbénéficierdesonsoutienet/oudesesconseils lorsqu’elles sont sollicitées directement par une autorité administrative ou judiciaireétrangère,ouparunepartieétrangèredanslecadred’uneprocédurecivile.

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70.

Afind’êtreenmesurederépondreàcebesoind’accompagnement,ilsemblenécessairedemettreenplaceunmécanismededialogueentre ces entreprises etun servicede l’État spécialementmandatéetéquipépourcettemission.

Lamissionproposedemandaterpourcefaire,lemêmeserviceadministratifqueceluichargéderecevoir les déclarations en provenance des entreprises, à savoir le SISSE du ministère del’Économie.Danscerôle,lafonctionduSISSEconsisteraità:

- discuteravecl’entreprisedelasituationetl’éclairersurlesrisquesencourus;- évaluer laportéedes informationsconfidentiellessusceptiblesd’êtredemandéespar

l’autoritéoulapartieétrangère;- rappeleràl’entrepriselesdispositionsdelaloifrançaise(loide1968notamment)et

engagerundialogueavecellesurlaconduiteàtenir.

IlconviendraitégalementdeprévoirlapossibilitépourleSISSEdecommuniqueravecl’autoritéoulapartieétrangèredemandantlesinformationssusmentionnées,auxfinsdeluirappeler:

- les termes de la loi de 1968 (notamment les sanctions pénales encourues parl’entreprisefrançaiseencasdecommunicationd’informationsentrantdanslechampdelaloidecoopération);

- lesrèglessuiviesenmatièrededemanded’informationsetlescanauxappropriésqu’elledoitutiliseràcettefin(entraidecivilesurlefondementdelaConventiondeLaHaye,entraidepénale,demandedecoopérationàuneautoritéadministrative).

2.2.4. Créerdesrèglesspécifiquesencadrantl’exerciceenFrancedu«monitoring»d’uneentreprisefrançaiselorsqu’ilestdécidéparunjugementétranger

Actuellement,laloide1968neprotègepaslesélémentstransmisparuneentreprisefrançaiseouuncabinetdeconsultantextérieurdanslecadred’un«monitoring»ordonnédansunedécisiondejusticeétrangère,laloide1968nes’intéressantqu’auxdocumentsourenseignementstendantàlaconstitutiondepreuves,envuedeprocéduresjudiciairesouadministratives100.

Aussi,afindeparer lesrisquesdeviolationde lasouverainetéfrançaiseopéréepar lamiseenplaceenFrancedemoniteursnomméspardesautoritésjudiciairesouadministrativesétrangèreset travaillant à leur service, il convient de prévoir une disposition législative nouvelle etspécifique.

L’idéegénérale consisterait à associerpleinement et systématiquementuneautorité françaisecompétenteàlamiseenplaced’unmonitoringenFrancesuiteàunedécisionadministrativeoujudiciaire étrangère. L’autorité française compétente devra être l’homologue, en France, del’autoritéétrangère.Elledevradèslors:

- participeràladéfinitionduchampcouvertparcemonitoring;- participerauchoixdumoniteuretdescabinetsdeconsultantsayantàparticiperaux

investigations:- êtredestinatairede tous lesdocumentset rapportsdumoniteur,aumême titreque

l’autoritéétrangère.

Fautederespectdecesconditions,lesmoniteursmandatésenFranceparuneautoritéétrangèreserontpassiblesdessanctionsprévuesàl’article3delaloide1968modifiée.

100Article1bis:Sousréservedestraitésouaccordsinternationauxetdesloisetrèglementsenvigueur,ilestinterditàtoutepersonnededemander,derechercheroudecommuniquer,parécrit,oralementousoustouteautreforme,desdocuments ou renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique tendant à laconstitutiondepreuvesenvuedeprocéduresjudiciairesouadministrativesétrangèresoudanslecadredecelles-ci.

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71.

Demême,unprocessusd’agrémentoud’homologationdescabinetsd’expertsetdeconsultantsintervenant dans lesmécanismes de «monitoring» portant sur des entreprises ayant reçu laqualificationd’Opérateurd’ImportanceVitale (OIV101)pourraitêtreutilementcréé,de façonàvérifiersurlabasedecritèresobjectifsàlafoisl’honorabilité,ledéroulédecarrièreetl’absencedeconflitd’intérêtsdesindividusconcernéscommeducabinetdontilsrelèvent.Cettevérificationpourraitfaireappelauxcompétencesdesservicesfrançaisderenseignement,notammentdelaDirection Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI). Cette mesure devrait égalementnécessairements’appliquerauxenquêtesinternesdiligentéespardesautoritésétrangères.

2.2.5. S’assurerquelaloide1968nes’opposepasàlabonnecoopérationinternationaledesautoritésfrançaisesavecleurshomologuesàl’étrangerniàlamiseenœuvredesconventionssignéesparlaFrance

Lesauditionsdelamissionontpermisderecenserdeuxtypesd’inquiétudes:

- l’inquiétude exprimée par les services de l’OCDE, pointant du doigt l’image parfoisnégativedelaloide1968etlacrainteexpriméedanslepasséparlegroupedel’OCDEsur lacorruptionactived’agentspublicsétrangersquesesdispositionspuissentêtreutiliséespourcontournerlalettredelaconvention;

- l’inquiétudeexpriméeparl’AutoritédesMarchésFinanciers(AMF)queles«accords»visésauxarticles1eret1erbisnecouvrentpaslesaccordsconclusparl’AMFavecseshomologues sur la base du «memorandum of understanding» de l’OrganisationInternationaledesCommissionsdeValeurs(OICV).

Lesmembresdelamissionpensentquecesinquiétudessontexagérées.Cependant,afindes’assurersansl’ombred’undoutequelaloide1968précitéenepuissepasêtreinterprétée,àtort,comme créant des obstacles indus ou illégitimes à la bonne coopération internationale desautoritésfrançaisesavecleurshomologuesétrangères,niàlamiseenœuvredesdispositionsdelaconventiondel’OCDEde1997,ilpourraitêtreapportédeuxprécisionsautexteactuel:

- viserexplicitementlaconventionOCDEdansles«traités»mentionnésàl’article1eretàl’article1erbisdelaloi;

- etviserexplicitementlesaccordsbilatérauxconclusentreautoritésderégulation(ACPRetl’AMFnotamment).

L’article1erpourraitêtreintroduitparlesmotssuivants:

«Sousréservedestraités,conventions,notammentlaconventiondel’OCDEsurlacorruptiond’agentspublicsétrangersdans les transactionscommerciales internationales,etaccordsinternationaux, notamment les accords conclus par l’Autorité de contrôle prudentielle etl’Autoritédesmarchésfinanciersenapplicationdel’articleL632-7duCodemonétaireetfinancier,ilestinterdit[…].»

Etl’article1erbispourraitêtreintroduitparlesmotssuivants:

«Sousréservedestraités,conventions,notammentlaconventiondel’OCDEsurlacorruptiond’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, et accordsinternationaux, notamment les accords conclus par l’Autorité de contrôle prudentielle etl’Autorité desmarchés financiers en application de l’article L 632-7 du Codemonétaire etfinancier,etdesloisetrèglementsenvigueur,ilestinterdit[…].»

101Unopérateurd'importancevitale(OIV)est,auregarddel’articlesR.1332-1duCodedelaDéfense,uneorganisationidentifiéeparl'Étatcommeayantdesactivitésindispensablespourlepays.

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72.

2.3. Propositionn°3:créerunesanctionadministrativedestinéeàsanctionnerlatransmissiond’informationsetdedonnéesnumériquesdepersonnesmoralespar des fournisseurs de services de communications électroniques à desautoritésjudiciairesouadministrativesétrangèresrelativesàdespersonnesphysiquesoumoralesfrançaisesourésidentenFrance

La menace que pose le «Cloud Act» sur la protection de la confidentialité des données nonpersonnelles des personnes morales françaises est particulièrement lourde. En effet,contrairement aux données personnelles, qui sont protégées par le RGPD, les données despersonnesmoralesnesontpasprotégéesdemanièreefficaceetspécifique.

Certes,onpeutconsidérerquelaloide1968s’appliqued’oresetdéjààlatransmissiondedonnéesnumériquesnonpersonnelles relatives àdespersonnesmorales françaises àdes autoritésouentitésétrangères.Mais,letexten’estpasexpliciteenlamatière,cequipourraitfairepeserunrisquesurlalégalitédelasanctionpénaleprévue,quielle-mêmen’estnisuffisante,nicrédible,nidissuasive pour les entités potentiellement concernées (les grands hébergeurs de donnéesnumériques,lesGAFAMnotamment).

Àcejour,lesdonnéesnumériquesdespersonnesmoralesfrançaisesnesontpasprotégéescontreleur transmission par les hébergeurs de données numériques à des autorités étrangères sanspasser par les canaux de la coopération administrative ou judiciaire: il n’y a donc aucuneprotectioneffectivecontrele«CloudAct».

Entoutétatdecause,lasanctionprévueparlaloide1968n’estpassuffisammentdissuasivepourlesfournisseursdeservicesconcernés(mêmerenforcéecommeproposédanslapropositionn°2).

Aussi,lamissionproposedecréerundispositifspécifiquecomprenant:

® uneinterdictiondetransmettrelesdonnéeshorsentraidejudiciaireouadministrative;® unesanctionadministrativedissuasive;® uneautoritécompétente.

Cette protection conférée aux données des personnes morales ne contreviendrait pas aumouvementplusgénéralde«datasharingbusinesstogovernment»,quis’inscritdansunelogiquedepartagededonnéesàdesfinsd’intérêtgénéral.

Cette proposition doit être envisagée en conjonction avec d’autres outils, à l’initiative desentreprises, permettant de mieux protéger les données sensibles des personnes morales: lagénéralisationducryptagedesdonnéesparaîtàcetégardunepisteprometteusequ’ilconvientdepromouvoirauprèsdesentreprisesfrançaises,mêmesilesprogrèsdel’informatiquequantiquepourraient,dansunfuturproche,apporterdeslimitesàsonefficacité.

Demême, lamissionconsidèrequecettepropositionnenousépargnepaslebesoind’uneréflexionapprofondieetàhautniveausurlanécessitédecréerlesconditionspourquedesacteursfrançaiset/oueuropéensdustockagededonnéesnumériquespuissentémerger.

L’échecdestentativesinitiéesaudébutdeladécenniedecréerunCloudsouverainnedoitpasnous amener à renoncer à l’objectif fondamental de favoriser par tous les moyens possiblesl’émergenced’acteursfrançaisoueuropéensdetaillepertinentedanscedomaine.Unemissionparlementairesurlesujetseraitprobablementunbonaiguillondelaréflexionàcetégard.

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73.

2.3.1. Uneinterdictiondetransmettrelesdonnéesdespersonnesmoralesàdesautoritésétrangèressanspasserparl’entraide

Surlemodèledelaloide1968,lamissionproposedecréerparlaloiuneinterdictionpourtoutfournisseur de services de stockage de données ou fournisseur de services de traitement dedonnéesdetransmettredesdonnéesnumériquesrelativesàdespersonnesmoralesfrançaisesdirectementàdesautoritésétrangères,enréponseàunedemande,unedécisionadministrativeou une décision de justice ou spontanément, sans passer par les canaux de la coopérationadministrativeoujudiciaireet/ousansyavoirétéautoriséparlesautoritésadministrativesoujudiciairesfrançaisescompétentes.

Cettemesureestune formed’extensiondesdispositionsduRGPDauxdonnéesdespersonnesmorales.LamissionapuconstaterlorsdesavisiteauxÉtats-Unisàquelpointl’impactduRGPDsemblefort,àlafoisauprèsdesopérateursdemarchéaméricainsqu’auprèsdel’administration.

2.3.2. Unesanctionadministrativedissuasive

La mission propose de sanctionner les contrevenants à l’interdiction prévue ci-dessus d’unesanction administrative d’un montant maximal de 20 millions d’euros, ou dans le cas d’uneentreprise, de 4% du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’entreprise à son exerciceprécédent,lemontantleplusélevéétantretenu.

Cettesanctionestsimilaireàcelleprévueàl’article83-5duRGPD.

Cettesanctiondevraprendreencomptedifférentscritèresd’appréciation,telsque:

- ledommagecauséàl’économie;- lanaturedesinformationstransmises;- lagravitéetlafréquencedelaviolation;- lesantécédents.

2.3.3. Une autorité administrative compétente: l’Autorité de Régulation desCommunicationsÉlectroniquesetdesPostes(ARCEP)

Lamissionaexaminélesdifférentespossibilitésd’attributiondecettenouvellecompétenceàuneAutorité Administrative Indépendante (AAI), qui soit dotée des organes et des procédurespermettant le respect des principes d’un procès équitable. La Commission Nationale del'Informatique et des Libertés (CNIL) et l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmesd'Information(ANSSI)ontétéenvisagéesetécartées:

® laCNIL,enraisond’unecultureetd’unmandathistoriquementcentrésurlaprotectiondesdonnéespersonnellesdespersonnesphysiques;

® l’ANSSI, en raison de l’absence complète à ce stade de pouvoir de sanction dans sescompétences.

Aussi,lamissionproposedeconfiercettenouvellemissionàl’ARCEP,quiaétécrééele5janvier 1997, sous le nom d’Autorité de Régulation des Télécoms (ART), pour accompagnerl’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications, l’émergence de nouveauxacteurs et le déploiement de la téléphoniemobile, de l’internet fixe etmobile, des nouveauxréseauxfixes(fibreoptique)etmobiles(2G,3G,puis4G).Lelégislateureuropéenaimposél’interventiond’uneautoritéadministrative,indépendantedesentreprisescommeduGouvernement,pourassurerlebondéveloppementdecesréseaux.

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74.

L’ARCEPs’estainsivuconfierdenouvellesmissions:aménagementnumériquedesterritoiresen2004, régulation du secteur postal en 2005, protection de la neutralité en 2015, loi pour uneRépubliquenumériqueen2016.

L’ARCEPconçoitsamissioncommeétantcelled’un«arbitreetunexpertneutre,architecteetgardien des réseaux d’échanges en France.» Elle est d’ores et déjà dotée d’un pouvoir deréglementation (elle définit la règlementation applicable aux opérateurs), d’édiction de droitsouple,d’attribution(parexempledefréquences),decontrôle(parexempledufinancementetdelafournitureduserviceuniversel),maisaussid’unpouvoird’enquête,derèglementdesdifférendsetdesanction.

L’ARCEPestuneAAIquiassurelarégulationdessecteursdescommunicationsélectroniquesetdespostes,aunomdel’État,maisentouteindépendanceparrapportaupouvoirpolitiqueetauxacteurs économiques. L’ARCEP est composée d’un collège de sept membres, nommés pardifférentes autorités politiques, en raison de leur qualification économique, juridique ettechnique,danslesdomainesdescommunicationsélectroniques,despostesetdel'économiedesterritoires:

® Le Président de la République nomme le président de l’ARCEP ainsi que deux autresmembres.

® Le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat nomment chacun deuxmembres.

Lesmembresducollègesontdésignéspoursixansetdisposentd’unmandatquin’estnirévocablenirenouvelable.Ilssontégalementsoumisàunrégimed’incompatibilitédesfonctionsetàdesobligations déontologiques. Les services de l’ARCEP (170 agents) assistent le collège dansl’exercicedesesmissions.Troisformationsducollègesontprévuesparlaloi:® Laformationplénièrecomprendlesseptmembresducollège.Elledélibèresurl’ensemble

desdécisionsetavis,àl’exceptiondesdécisionspourlesquelleslaloiaexpressémentprévuquel’uneoul’autredesautresformationsdel’Autoritéétaitcompétente.

® Laformationderèglementdesdifférends,depoursuiteetd’instruction(dite«RDPI»),estcomposéedequatredesseptmembresdel’Autorité,dontleprésident.Ellestatuesurlesdécisionsenmatièred’enquêteetderèglementdesdifférends,ainsiquesurlesdécisionsayanttraitàl’exercicedespoursuitesdanslecadredelaprocéduredesanction.

® La formation restreinte comprend les trois membres les plus récemment nommés àl'exceptionduPrésident.Elledélibèresurlesdécisionsdesanctionoudenon-sanction.

Aujourd’huilaprocéduredesanctiondel’ARCEPaunevocationréparatricepourlefutur:l’ARCEPprocède en deux étapes, en premier lieu une mise en demeure accompagnée de mesurescorrectrices àmettre enœuvre dans un délai raisonnable, puis, en second lieu, des sanctionsadministratives,dontpeuontétéprononcéesàcestade.

Bienévidemment,lacompétencenouvellequiseraitconféréeàl’ARCEPnécessiteraitlamiseenplace d’une procédure spécifique, différente de la procédure actuelle, ainsi qu’unemontée encompétence non négligeable de ses personnels (une petite dizaine de recrutements serontprobablementàprévoir).

Comptetenudesesprérogativesactuelles,l’autosaisineseranécessairementtrèslimitée,aussiilconviendradeprévoirdesmodalitésdesaisinede l’ARCEPpardespartiesouadministrationsextérieures:(i)uneentreprisevictime,ou(ii)uneautoritéadministrativeoujudiciaire(commeleSISSE,l’ANSSI,unparquet,uneautoritécentraledecoopérationinternationaleouuneautoritéadministrativetellel’AMFouautre).

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75.

Ilconviendraégalementdeprévoiruneprescriptionspécifique,pluslonguequelaprescriptionactuelle de trois ans et/ou au point de départ adapté, en raison de la probabilité forte d’unedécouvertedetelsfaitspostérieurementaudéroulementd’uneprocédurejudiciaireauxÉtats-Unis.

Autotal,l’ARCEPsemblel’autoritéadministrativeidoineàlaquelleconfiercettenouvellemission:elleestdotéeà la foisde l’expertisetechnique,de lacultureprofessionnelleetdesprocéduresinternes lui permettant de prendre en charge cette nouvelle mission et ces nouvellesresponsabilités et compétences, sans que cela nuise d’une quelconque manière àl’accomplissementdesesmissionsactuelles.

2.4. Proposition n°4: élaborer une doctrine nationale relative aux «intérêtséconomiquesessentielsdelaFrance»(telsqu’énoncésdansl’article1erdelaloide68),etpréciserlesmodalitésducontrôledelatransmissiondespiècesenmatièred’entraidejudiciairepénale,civileetadministrative.

Lamissionproposedelancer,sousl’égideduSISSE,destravauxinterministérielsvisantàélaborerune doctrine nationale relative aux intérêts protégés par la loi de 1968, notamment dans sesarticles1eret1erbis.Ilconviendranotammentquecestravauxpermettentdedéfinirlechampd’applicationdelanotion«d’intérêtséconomiquesessentiels».

La mission souligne l’urgence à traiter ce sujet et suggère que ces travaux soient conduitsrapidementafind’aboutiràl’élaborationd’undocumentfinaliséavantlafindel’année2019.

2.4.1. Une doctrine claire relative aux intérêts essentiels protégés permettra auxdifférentes administrations concernées d’utiliser un référentiel commund’identification des documents protégés dans la mise en œuvre de leursprérogativesdecoopérationinternationale

Ilressortdesauditionsdelamissionquelesautoritésenchargedelacoopérationinternationalesontpeuavertiesdusujetdelatransmissiondedocumentsoudonnéesconfidentiellesdenatureéconomiqueou financière, de ses implications et de ses conséquencespour les entreprises etl’économiefrançaise.

Denombreusesadministrationsrencontrées,ycomprisauseindel’appareiljudiciaire,ontsemblépeuaufaitdecesujet,incertainesquantàl’étatdudroitvoireontémisdesdoutessurleurrôleetcompétenceenlamatière.

La mission redoute que de nombreux circuits de coopération internationale soient à ce jourinsuffisammentsécurisésvoirepassécurisésdutout.

De fait, la mission constate qu’il n’existe pas à ce jour de document de référence partagépermettant aux différents acteurs de la coopération internationale, qu’elle soit judiciaire ouadministrative,d’appliquerlesmêmescritèreslorsqu’ilssélectionnentlesdocumentsquidoiventêtreprotégésaunomdelaprotectiondesintérêtsessentielsdelaFrance.

De fait, denombreusesadministrations, y compris les servicesd’entraide judiciaire (l’autoritécentraleenmatièred’entraidepénaleetcivile),maisaussilesservicesetautoritésadministrativesayant des compétences en matière de coopération internationale (l’Autorité des marchésfinanciersnotamment)n’opèrentpasdesélectionapprofondiedanslesdocumentstransmisauxautoritésétrangères:aumieux,seulslesélémentssusceptiblesdereleverdelasécuriténationale,deladéfensenationale,voiredelaprotectiondel’ordrepublicsontfiltrésdanslesréponsesauxdemandesd’entraide,avantenvoiauxautoritésétrangères.

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76.

De nombreux interlocuteurs de la mission nous ont néanmoins informés que les filtres,notammentqualitatifs,surlesdonnéesdemandéesnesontpasréalisésdemanièresystématiqueavant transmission, notamment lorsque les demandes d’entraide judiciaire ou d’assistanceadministrativeimpliquentletransfertd’unvolumeimportantdedonnéesnumériques.

Il convient de noter à cet égard que la plupart des autorités administratives ou judiciairesrencontrées ont informé la mission qu’elles ne sont pas dotées des outils technologiquespermettantdepasseraufiltredesvolumesimportantsdedonnéesnumériques.Ilconviendraitdecomblercemanquederessourcestechniquesdemanièreurgente.

Autotal,cettedoctrinedevrapermettrededéfiniraussiprécisémentquepossible:

- lechampdesintérêtsprotégésparlaloide1968etparlestraitésd’entraide,notammentparl’article1erdelaloide1968;

- lechampd’applicationdelanotion«d’intérêtséconomiquesessentiels»;- le champ des informations qui peuvent/doivent être transmises sans difficulté à un

régulateurétrangerdansl’exercicedesesprérogatives;- enfin, elle devra permettre de donner un sens précis et partagé aux mots

«souverainetéet[…]sécurité»del’article12delaConventiondeLaHaye:l’utilisationdecesmotifslégitimesderefusd’exécuterunecommissionrogatoireenmatièreciviledoit être sécurisée juridiquement, rester conforme à la Convention et permettre deprotégerdemanièreeffectivelesdifférentssecretslégitimes(notammentlesecretdeladéfensenationale,maisaussilessecretsprofessionnels).

Outrel’élaborationdecettedoctrine,ilconviendraégalementdeprévoir,danslestextesrégissantlesprocéduresdecoopérationinternationaledesautoritésconcernées(quecesoientlesautoritéscentralesdecoopérationinternationaleduministèredelaJustice,aupénalcommeaucivil,etlesautoritésadministrativesdanslecadredeleurmissiondecoopérationinternationale),quecesautorités devront demander un avis préalable au SISSE avant transmission de tout élémentd’information susceptible de «porter atteinte à la souveraineté à la sécurité, aux intérêtséconomiquesessentielsdelaFranceouàl’ordrepublic».

2.4.2. Ilconviendrad’élaborercettedoctrineenassociantl’ensembledesadministrationsconcernées,ycomprislesautoritésadministrativesindépendantes

LamissionproposequeleSISSEsoitlemaîtred’œuvredel’élaborationdecettedoctrinenationale.Il devra pour ce faire, conduire un travail de concertation interministérielle et inter-administrationstrèsapprofondi.Ilesteneffetincontournableetnécessairedebienassocieràcestravauxàlafoislesprincipauxministèrescompétents(ÉconomieetFinances,ComptesPublics,Justice, Affaires étrangères, Intérieur, Défense), mais aussi l’ensemble des AAI concernées,notammentl’AMFetl’AutoritédelaConcurrence.

Labonneassociationdetouteslesautoritéscompétentesestlaconditiond’unemeilleurepriseencompte par toutes les administrations de l’impératif de protection des informationsconfidentiellesdesentreprisesfrançaises.Lestravauxd’élaborationdeladoctrinepermettrontégalement d’identifier les besoins éventuels de modification de la législation française,notammentlesrèglesapplicablesauxdifférentesAAI.

LeSISSEdevraconsulterlesorganisationsinternationalesenchargedelamiseenœuvreet/oudusuividesdifférentesconventionsinternationalesdontlaFranceestpartie(OCDE,LaHaye).Unefoisélaborée, ladoctrinenationaledevraêtrevalidéepararrêtéconjointdesministresdel’Économie,delaJusticeetdesAffairesétrangères.

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77.

2.5. Proposition n°5: assurer unemeilleure lisibilité de la politique pénale duparquet enmatièredemise enœuvrede la convention judiciaired’intérêtpublic(CJIP)

Laloin°2016-1691du9décembre2016relativeàlatransparence,àlaluttecontrelacorruptionetàlamodernisationdelavieéconomiqueafacilitélapoursuite,enFrance,lesfaitsdecorruptionetdetraficd’influence.EncréantlaConventionJudiciaired’IntérêtPublic(CJIP),ellepermet,eneffet,auxautoritésjudiciairesfrançaisesd’instruireetdesanctionnercesfaitsdefaçoneffectiveetrapide,ensedispensantd'uneenquêtecomplexe, longueetaléatoire,quiaboutissait leplussouventàdetrèsfaiblesettardivescondamnations102.Cenouvelarsenallégislatifdoitpermettrede voir les infractions de corruption commises par les entreprises françaises traitées plusaisément par nos autorités judiciaires, et non plus seulement par les autorités américaines,commecefutlecasaucoursdeladernièredécennie.

Ilressortnéanmoinsdesauditionsdelamissionqu’unemeilleurelisibilitédudispositifpermettraitd’enaugmenterl’usageetl’effectivité.

La loi du9décembre2016 a fait l’objet d’une circulaire endatedu31 janvier 2018qui s’estconcentrée sur la négociation de la sanction, à savoir, l’amende et le programme demise enconformité,etn’apasabordélevoletfacilitationdel’enquête.

Cetteapprochecentréesurlasanctionaconduitàencadrerstrictementlerecoursà laCJIP, lacirculaireindiquantquel’opportunitédelamiseenœuvred’uneCJIPestappréciéeauregarddesantécédents,de larévélationvolontairedes faitsetdudegrédecoopérationavec lesautoritésjudiciaires.CetteorientationapourconséquencedelimiterlerecoursàlaCJIP,contrairementàl’espritquiavaitprésidéàl’élaborationdelaloi103.

Parailleurs,laculturedelatransactionaveclesautoritésjudiciairesn’étantpasencoreancréeenFrance,commeellepeutl’êtredanslespaysdeCommonLaw,l’effectivitédelaCJIP,nécessiteunemeilleurelisibilitédecetteprocédurepourlesentreprises.Ceprocessusrepose,eneffet,surlaconfianceréciproquedespartiesetlaparticipationactivedesentreprisesàl’enquête.

Dans lemêmetemps, ilconvientque lesentreprisessoientéclairéessur ledéroulementet lesconséquences possibles de cette procédure. Cette prévisibilité participe nécessairement aucaractèreattractifdelaprocédurepourlesentreprises,notammentpourcellesquisouhaiteraientdénoncerdesfaits(parexemple,àl’occasiond’unchangementdedirection).Àcetégard,

- aucuneinformationn’estfournieauxentreprisessurlesmodalitésdel’enquête,leursobligationsdanslecadredecetteenquête,lasanctiondecesobligations,saduréeouencoresoncoût;

- aucuneindicationnonplusn’estdonnéesurlesissuespossiblesdecetteenquête,pourelles-mêmescommepourleursdirigeantsetcollaborateurs,notammententermesdesanction,d’indemnisationdesvictimesouencoredemonitoring;

- enfin, la prise en compte de la dénonciation des faits par les entreprises ou de leurcontributionactiveetdebonnefoiauxenquêtes,danslafixationdel’amende,n’estpasprécisée.

Lamiseenplaced’unetelleinformationapparaitindispensablepourassurerunepleineeffectivitédelaCJIP.

Aussi,lamissionproposequ’unecirculaireduGardedesSceauxsoitrédigéeetrenduepubliquesurlaCJIPavecdeuxmessagesprincipaux:

102Publicationdudécretd’applicationn°2017-660concernantlaCJIPle27avril2017.103RapportsdelaCommissiondesLoisdel’AssembléeNationaleetduSénat.

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78.

® Un message à destination des procureurs, leur demandant d’utiliser plussystématiquement l’outil de la CJIP, qui permet à la fois de faciliter les enquêtes, desanctionner rapidement les faits délictueux et le cas échéant, d’indemniser tout aussirapidementlesvictimes,etclarifiantlesmodalitésdel’enquêteencasdeCJIP,notammentlerecourspossibleàuneenquêteinterne.

® Unmessage,àdestinationdesentreprises,visantàassurerunemeilleurelisibilitédelaCJIPentermesdeprocédure,decritèrespermettantdedéterminerl’ampleurdelasanction(par exemple prise en compte de la dénonciation des faits par l’entreprise ou de lacontribution active et de bonne foi à l’enquête) et d’incidences sur le traitement, enparallèle,delasituationdudirigeant(notammentlescritèresprisencomptepourdéciderdespoursuiteséventuellescontrelesdirigeants).

2.6. Propositionsn°6et7:renforcer lemultilatéralismesur l’extraterritorialitépardeuxinitiativesfrançaisesauprèsdelaCourInternationaledeJustice(CIJ)et de l’Organisation pour la Coopération et leDéveloppement Économique(OCDE)

Ledéveloppementdesloisetdesprocéduresàportéeextraterritorialesplacelesentreprisesdansuneinsécuritéjuridiqueenmultipliantlesconflitsdeloietlerisquededécisionscontradictoiresàleurégard.Ilprésenteenoutre,uncoûtcertainpourlesentreprisesetl’économie.Lathéoriedescompétences,quiencadrecetunilatéralisme,atteintseslimitesfaceàlaguerreéconomiquequeselivrentlesÉtats.

Euégardàl’oppositiondevuesdesÉtatssurlesujetetauxbesoinsderégulationdel’économiemondiale,ilconvientdetraitercesquestionsauniveaumultilatéral,nonseulementafinderendreeffectifslesmécanismesderèglementdesconflitsexistants,lorsqu’ilssontprévusparlestraités,maisaussid’apporteruneréponsejuridiqueauxquestionsrestantensuspens.

2.6.1. Propositionn°6:saisirpouravislaCourInternationaledeJusticeafindefixerl’étatdudroitinternationalsurl’extraterritorialité

Laréintroductiondetouteslessanctionsaméricainesàl’égarddel’Iran,quiavaientétélevéesoususpenduesdanslecadredelamiseenœuvredupland’actionglobalcommun(«JCPOA»),àlasuitedelasortiecomplètedesÉtats-Unis,poseunevéritablequestionsurleslimitesdel’usagedecetoutildiplomatiquequitendàserépandre.

Lasanctionsecondairerésultantdurétablissementdecessanctions,consisteeneffet,àinterdireles échanges commerciaux avec les États tiers qui commercent avec l’Iran ou le soutiennent,contrevenantainsiauprincipedenon-interventiondanslesaffairesintérieuresdesÉtats.

Lerétablissementdecessanctionsn’apasdonné lieucependant,àunesaisinede l’OrganedeRèglementdesDifférends(ORD)de l’OrganisationMondialeduCommerce(OMC),commecelaavaitétélecas,en1996,aumomentdeslois«Helms-Burton»et«d’Amato-Kennedy».

Ilestpeuprobablequ’unevolontépolitiquedel’Unioneuropéennesurlesujetpuisseémerger,euégardàladivisiondesÉtatsmembresenlamatièreetaufaitquel’ORDnes’estjamaisprononcéetquesadécisionseraitparconséquent,susceptibledefragilisersespropresrégimesdesanctions(Russie,Crimée,Venezuela,Syrienotamment).Enoutre,ilyauraitunrisquenonnégligeablequel’ORDvalidelessanctionsunilatéralesaunomdelaprotectiondelasécuriténationale,quelesÉtats-Unisnemanqueraientpasd’invoquer.Aussi,lapistedel’OMCnesemblepasprometteuse.

Néanmoins,afinquecetteabsencederéactionnepuissevaloiracquiescement,detellessanctionsétantsusceptiblesdedéclencherdescontremesuresdumêmetype,ilapparaitsouhaitabledefixerl’étatdudroitauniveauinternational.

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79.

Laquestionde la conformitédecessanctionséconomiquesaudroit internationalesteneffet,complexe,carlafrontièreestparfoisdifficileàtracerentrelamesureliciteetlamesureillicite,quidépendentreautres,dutitredecompétenceutilisé,notammentdel’exceptionrelativeàlasécuriténationaleetdel’ampleurdel’effetextraterritorial.

LaCIJapparaitl’instancelaplusadaptée,deparsonautoritéetlaportéedesesdécisionsetavispourfixerl’étatdudroitinternationalsurcepoint.

Ellepourraitêtresaisie,pouravis,surlabasedel'article96delaChartedesNationsUniesetduChapitreIVduStatutde laCour.Cetteprocédureconsultative,quin’estpasouverteauxÉtats,maisauxseulesorganisations internationales(l'Assembléegénérale, leConseildesécuritédesNationsUnies,maisaussitoutorganedel’ONUettouteinstitutionspécialiséequiyauraientétéautorisésparl'Assembléegénérale-Article96,§2)seraitinitiéeparl’Assembléegénérale.

Auxtermesdel'article96précité,l'Assembléegénéralepeuteneffet,interrogerlaCoursur«toutequestionjuridique»,tandisquelesautresorganeshabilitésnepeuventlasaisirquede«questionsjuridiquesquiseposeraientdanslecadredeleuractivité».

Lademanded'avisrésulted'unerésolutiondel'Assemblée,adoptéeàlamajoritésimple104.

Lesavisconsultatifsrendusjusqu'iciparlaCourontportéaussibiensurdes«pointsdedroit»,quesurdesquestionsenrapportavecunecontroverseinterétatique.

Sil’avisconsultatifdelaCIJnepossèdepasdeforceobligatoire,ils'imposegénéralementenraisondesonautoritémoraleetpermetd’arrêterl’étatdudroitenvigueur.Cettesaisineseraitd’autantplus utile qu’à ce jour, la CIJ n’a jamais été saisie, dans le cadre de son office consultatif, dequestionsrelativesauxrégimesdesanctionsetquelesdécisionsrenduesparlaCourdanslecadred’affaires contentieuses ne fournissent pas d’indications utiles sur la question del’extraterritorialitédessanctions.

Enoutre,ellepermettraitdesécuriserjuridiquement,d’éventuellescontremesures,enréactionauxrégimesdesanctions. Ilpeutêtre soulignéque lesprojetsde résolutionportantdemanded’avis à la Cour sont généralement accueillis favorablement par unemajorité de l’Assembléegénérale,l’ensembledesprojetsderésolutionmisauvoteayantétéadoptéscesdernièresannées.S’agissantd’unactepolitiquefort,lesÉtatsassociésàcettesaisinedelaCIJaurontnéanmoins,uneimportancemajeure.

2.6.2. Proposition n°7: lancer une réflexion au niveau de l’OCDE sur les lois à effetextraterritorial

L’extraterritorialité qui se développe demanière unilatérale soulève des questions juridiquesmajeures,auxquellesiln’apasétéapportédesolutionàcejour.

Ellecréedesconflitsdecompétence,elleaboutitaucontournementdestraitésd’entraideoudesaccords de coopération internationale, elle exacerbe les difficultés résultant de la coexistenced’Étatsdetraditionsjuridiquesdifférentes,elleempêchelareconnaissancemutuelledesdécisionsde justice et fait perdre toute effectivité à la règle non bis in idem, elle porte atteinte à lasouveraineté des États, y compris en matière de compétence opérationnelle et aux donnéespersonnellesdeleurscitoyensetentreprises.Bref,ellecréedudésordreetdesconflitsauniveauinternational,etdevientunobstacleàlacroissance.

En l’absencedecoordinationdesÉtats sur les réponsesàapporterà cette«guerre» juridico-économique,lescitoyenscommelesentreprisessetrouventsoumisàlaloiduplusfortetlesÉtatsmenacésdansleurstabilitééconomique.

104Article18delaChartedesNationsUnies:seuleslesquestionsimportantesexigeantlamajoritédesdeuxtiers.

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80.

La mission propose que la France porte le débat sur l’extraterritorialité, son étendue et sesconséquences, auniveaude l’OCDE. L’OCDEest en effetuneorganisationqui aprouvé, par lepassé,sacapacitéàcréerduconsensussurlessujetsdegouvernanceinternationale,enlienavecsamission fondamentale de promouvoir les politiques améliorant le bien-être économique etsocialdanslemonde.

Lamaîtrisequ’aacquisl’OCDEdesquestionsdeluttecontrelacorruption,contrelespratiquesfiscalesdommageables,deluttecontreleblanchimentdecapitaux(vialeGAFI),d’élaborationdestandards internationalement reconnus dans de nombreux domaines économiques, et sonexpertiseéconomique,juridique,sociale,fontdecetteinstitutionl’enceinteidoinedanslaquellepourraitseforgerunconsensussurlesprincipesquipermettaientdemettrefinàcettecoursesanslimitesàl’arbitraireextraterritorial.Lacompositiondel’OCDE,constituéede«like-mindedcountries», semble présenter un terrain plutôt favorable sur lequel un consensus pourrait seforger.

La France pourrait proposer à l’OCDE d’élaborer des recommandations qui traiteraient,notamment,dessujetssuivants:

- leslimitesàapporteràl’extraterritorialitéunilatérale;- lesmodalitésderèglementdesconflitsdecompétence;- la coopération internationale entre autorités de poursuite et les mécanismes

d’entraide;- lareconnaissancemutuelledesdécisionsdejusticeet/oud’autoritésadministratives.

2.7. Propositionn°8:renforcerlesoutilseuropéensdeprotectiondesentrepriseseuropéennes face aux demandes des autorités ou juridictions hors UEenélaborantunepropositionfrançaisederévisionduRèglementeuropéendeblocage, afin d’en modifier le champ et d’étendre à l’échelle de l’Unioneuropéennelaprotectionofferteparlaloifrançaisede1968

Lamissionestconvaincuequelesoutilsproposésdanssonrapportpourprotégerlesentreprisesfrançaisesserontefficaces.Elleestcertainenéanmoinsquecetteefficaciténeseraniabsolue,nisansdéfaut.

Au-delà de ces mesures nationales, la mission est persuadée que le seul moyen d’accroîtrel’efficacitédenossystèmesdedéfensecontreleseffetsdesmesuresextraterritorialesestdelesmettreenœuvreauniveaueuropéenetnonplusseulementauniveaunational,niveaulimitéetinsuffisammentpertinent,pardéfinitions’agissantd’entreprisesmultinationales.

L’Europeaunrôletrèsimportantàjouerenmatièredeprotectiondesentrepriseseuropéennescontre les mesures extraterritoriales venant de pays non membres de l’Union européenne.Aujourd’hui,lesmesuresauxquellesnosentreprisessontconfrontéessontd’origineaméricaine.Quels que soient les reproches que l’on peut adresser aux États-Unis et quelle que soitl’instrumentalisation dont est l’objet le droit américain à des fins purement économiques, lesÉtats-Unis sont et demeurent un État de droit: quelle sera la situation demain si des Étatstotalitairesouautoritaires,danslesquelsl’Étatdedroitestinexistantoupeurespecté,commelaChineoulaRussie,enviennentàprendredesmesuresextraterritorialesvisantnosentreprises?

Danscecontexte,ilparaîturgentdedoterl’Unioneuropéenne,seulniveaupertinentdeprotectiondenosentreprisesfaceaurestedumonde,desoutilsluipermettantd’agirdemanièreeffective.Aussi la mission propose que la France élabore une proposition ambitieuse de réforme duprincipaloutileuropéenexistantàcejour,àsavoirlerèglementde1996.

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81.

Cettepropositiondoitallerdans troisdirections: renforcer l’effectivitéet l’impactdescontre-mesuresauxsanctionsunilatéralesprévuesparletexte;étendreauniveaueuropéenlesmesuresdeprotectiondesdocumentset intérêtséconomiquesessentiels, telsqu’ils figurentdans la loifrançaisedeblocagede1968;et,renforcerlesmécanismesdecoordinationentreÉtatsmembresdanslaperspectived’établirun«OFACeuropéen».

2.7.1. Renforcer l’effectivité et l’impact des contre-mesures aux sanctions unilatéralesprévuesparletexte

LeRèglementdel’Unioneuropéennen°2271/96dit«deblocage»,quiviseàannulerleseffets,dansl'UE,desdécisionsetlégislationsétrangères,nepermetpasdanssonétatactueld’offriruneprotectionsuffisanteànosopérateurséconomiquesfaceàl’extraterritorialitédudroitaméricain.Seuleunerévisionprofondedecetextepermettraderépondreàl’objectifrecherché.

2.7.1.1. Renforcerlemécanismed’indemnisationprévuàl’article6durèglementafinde pouvoir indemniser les entreprises ayant été sanctionnées parl’administrationaméricainesurlefondementdesanctionsextraterritoriales.

La procédure d’indemnisation aujourd’hui prévue par le règlement de 1996 est largementinopérante. L’article 6 du règlement prévoit que toute personne européenne visée par dessanctions extraterritoriales prévues par les lois annexées au règlement a le droit de se faireindemniserdevantlesjuridictionsdesÉtatsmembres.

Lerisquefinancierrestenéanmoinsintégralementportéparl’entreprisetantquecelle-cin’apaseugaindecausedevantlestribunauxeuropéens,limitantgrandementlaportéedudispositif.Afindepalliercettesituation,lamiseenplaced’unmécanismed’indemnisation,adossésurlebudgeteuropéen,pourraitêtresoutenue105.

Dèslorsqu’uneentrepriseseraitsanctionnéeparlesÉtats-Unissurlefondementdedispositionsextraterritoriales, cette dernière se verrait indemnisée par l’Union européenne. Afin decompenserlasommeverséesubieautitredecetteindemnisation,laCommissionpourraitalorsprocéderàunesaisied’actifs(biensmobiliers,immobiliers,comptes,etc.)desÉtats-Unissurleterritoiredel’Unionnoncouvertsparl’immunitédiplomatique(lesbienssouverainsnesontpastouscouvertspar les immunitésdiplomatiques),sousréservecependantque lesTribunauxneconsidèrentpasquel’immunitédejuridictionconstitueunobstacleàcetteactionrécursoire.

Sil’objectifestavanttoutdedissuaderlesÉtats-Unisdepoursuivrenosopérateurs,lemécanismerenforcésedevraitd’êtresuffisammentopérationneletcrédible,làoùleRèglementde1996nel’est pas dans sa rédaction actuelle, cette saisie de biens américains en Europe étant déjàexplicitementprévuedansleRèglementde1996.

2.7.1.2. Revoir les critères (évoqués à l’article 5, second alinéa) sur lesquels laCommission se fonde pour autoriser une entreprise européenne à seconformeràlalégislationaméricainedefaçonàintroduireplusdeflexibilité.

DesopérateurssouhaitantmaintenirdesopérationsenIran,enveillantàleurconformitéaveclessanctions américaines, se trouvent dans une situation où ils pourraient contrevenir à larèglementationeuropéenne.Celaincitefinalementcesentreprisesàdescomportementsde«de-risking», se désengageant encore davantage du marché iranien du fait de l’entrave quereprésententcesdispositions.

105InstitutJacquesDelors:L’Europefaceauxsanctionsaméricaines,quellesouveraineté?Octobre2018.

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82.

LescritèresdéjàdéfinisparlaCommissiondanslerèglementd’exécution(UE)2018/1101delaCommission106devraientêtrerevusafindelaisserplusdelibertéauxentreprisesquantàleurschoixcommerciaux.Pourraitêtreimaginéeunenouvellegrilledecritèresliésplusdirectementausecteurd’activitédesentreprisesviséespardessanctionsaméricaines,àleurexpositionauxÉtats-Unisouencoreautypedesanctionsquileursontinfligées.Lapisted’autorisationsgénéralespourcertainssecteursd’activité(notammentlesbanques)devraitêtreenvisagée.

2.7.1.3. Accompagneretsoutenirlesentrepriseseuropéennesdansleurdialogueavecles autorités américaines en cas de procédure américaine fondée sur unesanctionextraterritoriale.

Les États-Unis s’appuient sur le «Office of Foreign Assets Control» (OFAC), service du Trésoraméricainchargédel’applicationdessanctionsetdeladélivrancedeslicences,pourétablirunrapportdeforcequileurestfavorable.

Dèslors,afinderééquilibrerledialogueaveclesÉtats-Unis,laprésenced’unreprésentantdelaCommissionouducomitédelalégislationextraterritoriale(dontlacréationestprévueàl’article8durèglement)pourraitêtrerecherchéeentantqueconditionpréalableàtoutediscussionaveclesautoritésaméricaines.

2.7.2. Étendreauniveaueuropéenlesmesuresdeprotectiondesintérêtséconomiquesessentiels,telsqu’ilsfigurentdanslaloifrançaisedeblocagede1968

LeRèglementeuropéende1996devraitvoirsonchampetsonobjetcomplétéafind’enfaireuninstrument de blocage au vrai sens du terme. Aujourd’hui le règlement européen est plus uninstrumentdecontre-mesure,qu’uninstrumentdeblocage.

Ilsembleimpératifd’enfaireuntextejuridiquepermettantd’offrirunebaselégaleuniforme,auniveaudel’Unioneuropéenne,visantàempêchertouteautoritéétrangèreàl’Unioneuropéenneàdemanderdirectementdesdocuments et informations àune entrepriseouunopérateurdel’Unionsanspasserparlescanauxdelacoopérationjudiciaireouadministrativeinternationale.

Aussi, la mission propose que la France demande à ses partenaires de l’Union européenned’instaurerauniveaudel’Unionuneloideblocageàl’encontredetoutedemanded’uneautoritéétrangère, c’est-à-dire d’un pays non membre de l’Union européenne, qui s’adresseraitdirectementàunepersonnephysiqueoumoraleressortissantedel’Union.

Lechampdes informationsetdocumentsàprotégerpourraitrecouvrir lechampactuellementretenuparlaloide1968.

2.7.3. TravailleraurenforcementdesmécanismesdecoordinationentreÉtatsmembresdans lamiseenœuvredes sanctionseuropéenneset réfléchirà la créationd’unbureaueuropéendecontrôledesactifsétrangers(«OFACeuropéen»).

L’objectifseraitderassemblerlesmembresdel’Unionafindepermettreundialogueéquilibréaveclesautoritésaméricaines.Àcettefin,lacréationd’unOFACeuropéen,demanièreprogressiveetsanstransfertdecompétenceàcourtterme,seraitutilepourcréerlesconditionsd’undialogueentre l’UE et l’OFAC américain, renforcer l’équilibre des forces en présence et conforter lacrédibilitéeuropéennevis-à-visdesÉtats-Unis.

106https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32018R1101&from=EN

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LaFrancepourrait alorsproposerde confier àune structure européenneunique lesmissionssuivantes:

® Consoliderlacoordinationenmatièredemiseenœuvredessanctionsetd’interprétationdelaréglementationenvigueur.LesmissionsdugroupeRELEXSanctionspourraientainsiêtrerenforcéespours’assurerque lesÉtatsmembrespartagentetpromeuvent lamêmedoctrine(enparticulierenpubliantdavantagedelignesdirectricesencequiconcernelamiseenœuvredessanctions).

® Assurerlesconditionsd’undialogueplusrobusteavecl’OFAC,enfaisantdecettestructurelepointdecontactaveclesautoritésaméricaines,mêmes’ilrestenécessairedepréserverlesprérogativesdesÉtatsmembresauxcôtésdecelui-ci.

® Assisteretprotégerlesentrepriseseuropéennesfrappéespardessanctionsillicitesdepaystiers,notammentlorsquedesprocéduresjudiciairessontengagéesàleurencontre.

® Mettreenplace,auniveaueuropéen,uneautoritéchargéedeveilleraurespectparlesÉtatsmembres des obligations relatives à lamise enœuvre des sanctions édictées au niveaueuropéen.

Àpluslongterme,ilconviendradejeterlesbasesd’uneréformeplusprofonde,quireposeraitsurdevéritablestransfertsdecompétencesàl’OFACeuropéen,afinderenforcerlepoidseuropéendansledialogueaveclesÉtats-Unis,notreforcedefrappeetnotrecrédibilité.

2.8. Propositionn°9:Demanderunrapportparlementairevisantàrenforcerlesoutils et moyens dédiés à la lutte contre les infractions économiques etfinancières, notamment la lutte contre la corruption d’agents publicsétrangers

L’OCDEinsisterégulièrementsurladuréedesenquêtesenFranceenmatièredecorruptionetparconséquent,lasanctiontardivedecesinfractions(laduréemoyennedesenquêtesenmatièredecorruption transnationale à partir du dernier acte délictueux est en effet, de 7,3 ans et va enaugmentant,puisqu’elleétaitdedeuxans,en1999107).

Lenombrederelaxes,ordonnancesdenon-lieuetclassementssanssuiteaparailleursmarquéuneaugmentationnotableenFrance,passantd’untotaldedouzeenoctobre2012,à31enoctobre2014(dontonzenouvellesdécisionsaubénéficedepersonnesmorales).Silaloidu9décembre2016 a facilité les investigations enmatièrede corruption en créant la CJIP, enpermettant ledéveloppementd’enquêtesinternesàl’entrepriseeffectuéespardesavocats,souslecontrôleduprocureurdelaRépublique,cesnouvellesmodalitésd’enquêtesn’ontpasencoredonnélapleinemesuredeleurpotentiel.

Danslecadredesauditions,lamissionarecueillidenombreusespropositionsdemesuresvisantàrenforcerlesoutilsetmoyensdédiésàlaluttecontrelesinfractionséconomiquesetfinancières,notammentlaluttecontrelacorruptiond’agentpublicétranger.Aussi,lamissiondemandequecespropositionssoientexpertiséesdanslesmeilleursdélaisparunemissionparlementaire,afindepouvoiralimenterunepropositiondeloitraitantdel’ensembledessujetsdurapport.

En premier lieu, lamission parlementaire, s’agissant de l’efficacité desmécanismes designalementdesinfractionsenmatièredecorruption,pourraits’intéresser:

® auxmécanismesdedétectionetdesignalementpar lesservicesd’enquête, lesagentsdufisc,lepersonneldesambassades,lescellulesderenseignementsfinanciers,lesorganismeschargés de la passation des marchés publics et les autorités de la concurrence et lacoordinationdecesservices;

107RapportOCDEprécité.

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® maisaussiàl’applicationdumécanismeditde«clémence»envigueurenmatièrededroitdelaconcurrence108.Demême,ilpourraitêtreétudierl’opportunitéd’étendrel’exemptionetlaréductiondepeineprévueparl’article132-78duCodepénal109.

Ensuite,ilrésultedesauditionsdesmagistrats,commedesenquêteursqu’euégardauxenjeuxéconomiques,lesmoyensallouésàlaluttecontrelacorruptionmériteraientd’êtreadaptésàlatechnicitéetàlacomplexitédecesinvestigations,quirequièrentdescompétencesetdesoutilsinformatiquesspécifiques,deparlanatureetlamassedesdonnéesàanalyser.

Lamissionparlementairepourrautilementexpertiserplusavantlesrécentesrecommandationspertinentes du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assembléenationale110ainsiquecellesdelaCourdescomptessurlesujet111,etnotammentlanécessitéd’uneplusgrandespécialisationdesjugesetenquêteursdevanttraitercetyped’affaire.

Elle pourra également s’intéresser à la généralisationde la pratiquedu fondsde concours enmatièredestupéfiant,quipermetenpratiquederenforcer l'actiondesservicesprovenantdessaisiesetcondamnations112.

Parailleurs,lerapportparlementairepourraitseconcentrersurlesréformesàréalisercequipermettraientdedonnersapleineefficienceàlaCJIP,etnotamment:

- l’effectivité de la poursuite des infractions de corruption et de trafic d’influencecommisesàl’étrangerpardesentreprisesétrangères113;

- l’opportunité d’en élargir son champ d’application à d’autres infractions: lors demultiples auditions, il a notamment été évoqué les infractions de blanchiment decapitauxprovenantdesinfractionsdecorruptionoudetraficd’influence, lesabusdebienssociauxoulespratiquescommercialestrompeuses;

- le bilan des enquêtes internes et à l’opportunité d’encadrer cette procédure: ilconviendranotammentd’aborderàcetégardlesquestionsrelativesàlamiseenœuvrede la CJIP, notamment les conditions de désignation de l’enquêteur interne àl’entreprise, les obligations de cet enquêteur et celles de l’entreprise, en coursd’enquête, la sanction de ces obligations, les pouvoirs du procureur en charge ducontrôlede l’enquête, le statutdesdocumentset informations recueillis au coursdel’enquête,etplusgénéralementlaquestiondel’autoritédelachosejugéedelaCJIPetdusortréservéauxpersonnesphysiques.

108Lesprogrammesdeclémencesontunoutildontdisposentlesautoritésdelaconcurrencepourfaciliterlesconduitesdesenquêtesetlarecherchedepreuvedesinfractionsenmatièred’ententeetdecartels.Ilsconsistentenuneimmunitéou une réduction des amendes infligées aux entreprises dénonçant et apportant les preuves d'une entente entreentreprises.109Pour toutepersonneayantcommisou tentédecommettreundélit, si,ayantaverti l'autoritéadministrativeoujudiciaire,elleapermis«d'éviterlaréalisationdel'infractionet,lecaséchéant,d'identifierlesautresauteursoucomplices(…)defairecesserl’infraction,d’éviterqu’elleneproduiseundommageoud’identifierlesautresauteursoucomplices».110Rapportdelamissiond’évaluationdelaluttecontreladélinquancefinancière,AssembléeNationale,28mars2019.111Voirinfraréférésurmoyensconsacrésàlaluttecontreladélinquanceéconomiqueetfinancière,Courdescomptes,12décembre2018(S2018-3520).112Missioninterministérielledeluttecontrelesdroguesetlesconduitesaddictives(MILDECA).113Laloidu9décembre2016étendl’applicationdelaloipénalefrançaiseauxinfractionsdecorruptionetdetraficd’influence commises à l’étranger par des personnes « résidant habituellement ou exerçant tout ou partie de [leur]activitééconomiquesurleterritoirefrançais»,etsupprimel’exigencededoubleincrimination.

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Enfin, le rapport parlementaire pourra utilement faire des propositions surl’aménagementdes conditionsd’engagementde la responsabilitépénaledespersonnesmorales.Lesconditionsd’engagementdelaresponsabilitépénaledespersonnesmorales-fixéesdemanière restrictivepar l’article121-2alinéa1duCodepénal - compliquent lespoursuitescontre les entreprises, dans la mesure où leurs organes ou représentants sont rarement ensituationdecommettreeux-mêmeslesinfractions,lesdécisionsétantlaplupartdutemps,prisespardespersonnesnontitulairesdedélégationsdepouvoir114.

Ainsi,dansunjugementdu30août2017,letribunalcorrectionneldeParisarelaxéunesociété,tout en constatant l’existencede faits avérésde corruption, aumotif que les actes frauduleuxn’avaientpasétécommisparunorganeouunreprésentantdelasociété.Eneffet,lespersonnesmisesencauseétaientdessalariésd’autresentitésdugroupeetnondelasociété,nebénéficiantdoncpasd’unedélégationdepouvoirdelasociété.Leconstatdel’inadaptationdesconditionsd’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales en matière de grandedélinquanceéconomiqueetfinancièreadéjàétéfaitparleparquetnationalfinancierdanslecadredelamissionparlementaireportantsurl’évaluationdesloisdu6décembre2013115.

Cettedifficultéàengagerlaresponsabilitépénaledespersonnesmoralesconstitueunargumentpourlesautoritésétrangèresayantuneconceptionextensivedeleurcompétenceterritorialeetcréé,defait,uneinégalitéaudétrimentdespetitesetmoyennesentreprises.EllemetégalementlaFranceendéfautparrapportàlaRecommandationdel’OCDEdu26novembre2009visantàrenforcer la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactionscommercialesinternationales.

114Deuxconditionsdoiventêtreréuniespourpouvoirrechercher laresponsabilitépénaled’unepersonnemorale:l’infractiondoitavoirétécommiseparunorganeouunreprésentantdelapersonnemoraleetl’infractiondoitavoirétécommisepourlecomptedelapersonnemorale.Crim.,11avr.2012,n°10-86.974.etCrim.,19juin2013,n°12-82.827.115Rapportd’informationdu8février2017présentéparlesdéputésMazetieretWarsmann,pages21etsuivantes.

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ANNEXEI

Lettredemission

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ANNEXEII

Listedespersonnesrencontrées

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1. AVOCATS1.1 ConseilNationaldesBarreaux

XavierAUTAIN,PrésidentdelaCommissionCommunicationInstitutionnelleLouisBernardBUCHMAN,PrésidentdelaCommissiondesAffairesEuropéennesetInternationalesThomasCHARAT,PrésidentdelaCommissionDroitetEntrepriseLaurenceDUPUIS,Juriste

1.2 BarreaudeParisMarie-AimeePEYRON,MmeleBâtonnierenexerciceNathalieATTIAS,MCOSolenneBRUGERE,MCOFredericSICARD,AncienBâtonnier,MCOBeatriceBRUGES-REIX,MCO,DelegueeduBâtonnierauxAffairesPubliquesJulienAUBIGNAT,ResponsabledesAffairesPubliquesduBarreaudeParis

1.3 ConférencedesBâtonniersPhilippeLEGOFF,BâtonnieretSecrétaireGénéral

1.4 ConférenceInternationaledesBarreauxBernardVATIER,AncienBâtonnierdeParis,SecrétaireGénéral,AvocatcabinetVATIERDelphineJAAFAR,Avocat

1.5 SyndicatsavocatsRoySPITZ,PrésidentdelaConfédérationnationaledesavocatsBertrandCOUDERC,MembrededroitdubureauduSyndicatdesAvocatsdeFrance,AvocatspécialisteenDroitduDommageCorporel,ALCIAT-JURISAminataNIAKATE,PrésidentedelaFédérationnationaledesUnionsdeJeunesAvocatsJean-BaptisteBLANC,PremierVice-présidentdelaFédérationnationaledesUnionsdeJeunesAvocats

1.6 AvocatsJeanCASTELAIN,Avocat,ancienBâtonnierJeanMichelDARROIS,Avocat,DarroisVilleyMaillotBrochierKamiHAERI,Avocat,QuinnEmanuelJean-GeorgesBETTO,AvocatcabinetBETTOSERAGLINI,MembreduConseildel’OrdreCatherineSAINT-GENIEST,AvocatCabinetJeantetDavidGORDON-KRIEF,Avocat,CabinetUGGC,PrésidentduGroupedesprofessionslibéralesduConseiléconomiquesocialetenvironnementalHuguesCALVETAvocatassocieduCabinetBredinPratPaulineBOUSSIN,ChargéedeDéveloppementCabinetBETTOSERAGLINIDanielSCHIMMEL,Avocat,CabinetFOLEYHOAGLLPVeronicaJENNINGS,Avocate,Partner,CabinetFOLEYHOAGLLP(àWashington)JohnP.MARSTON,Partner,CabinetFOLEYHOAGLLP(àWashington)RebeccaGEROME,Avocate,Associate,CabinetFOLEYHOAGLLP(àWashington)

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ThomasROUHETTE,AvocatalaCour,HoganLovellsElaBARDA,AvocatalaCour,HoganLovellsAlexanderBLUMROSEN,AvocatauxBarreauxdeParisetdeNew-York-KABPierreSERVANSCHREIBER,AvocatLaurentCOHEN-TANUGI,AvocatauxBarreauxdeParisetdeNewYork-CabinetLaurentCohen-TanugiAvocatsAnnY.DU,CollaboratriceauCabinetLaurentCohen-TanugiAvocats,membreduBarreaudeCalifornieChristopheINGRAIN,Avocat,CabinetDarroisVilleyMaillotBrochierXavierPHILIPPS,Collaborateur,cabinetDarroisVilleyMaillotBrochierSilvestreTANDEAUDEMARSAC,AvocatauBarreaudeParisNathalieMEYERFABRE,Avocat-CabinetMEYERFABREAVOCATSFelixDEBELLOY,Avocat,CabinetBOKENStéphaneDENAVACELLE,AvocatauBarreaudeParisStephenDREYFUSS,Avocat,AncienPrésidentdel’UnionInternationaledesAvocatsDominiquePERBEN,AvocatauBarreaudeParis,AncienGardedesSceauxLouisDEGAULLE,AvocatalaCour,CabinetDEGAULLEFLEURANCENoëlleLenoir,Kramer,AvocateParisColineBAHARET-DASSANT,AvocatalaCourDominiqueBORDE,AssocieCabinetPaulHastingNadiaKRIBECHE,AvocateChristophePETTITI,AvocatCharles-HenriBOERINGER,AvocatàlaCour,CabinetCliffordChanceThibaudD'ALES,Avocat,CabinetCliffordChanceThomasBAUDESSON,AvocatàlaCour,CabinetCliffordChanceDanielSOULEZLARIVIERE,AvocatauBarreaudeParis,CabinetSOULEZLARIVIEREAstridMIGNONCOLOMBET,Avocat,cabinetSOULEZLARIVIEREWinstonMAXWELL,Avocat,CabinetHoganLOVELLSVincentNIORE,AvocatalaCour,CabinetNIOREBernardCAZENEUVE,Avocat,CabinetAugustDebouzy,AncienPremierMinistreEmmanuelleMIGNON,AvocatauBarreaudeParis,AssociéeCabinetAugustDebouzyBenjaminVANGEVER,AvocatauBarreaudeParis2. MONDEDEL’ENTREPRISE

2.1 MEDEF

JoëlleSIMON,DirectriceGénéraleAdjointeenchargedesAffairesjuridiques,ÉthiquesetdeGouvernancedesentreprisesArmandSUICMEZ,ChargedeMission,DirectiondesAffairesPubliquesChristineLEPAGE,DirectricedesAffairesInternationalesCatherineDORGNAC,Chargéedeprojet,MoyenOrient,ProjetManagerRodolpheBARON,ChargedemissionDirectiondesAffairesInternationales

2.2 AFEP

FrançoisSOULMAGNON,DirecteurGénéraldel'AFEPStéphanieROBERT,Directricedel'AFEPOdileDEBROSSES,DirectricedesAffairesjuridiquesdel'AFEP

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2.3 FédérationBancaireFrançaiseMarie-AnneBARBAT-LAYANI,DirectriceGénéraledelaFBF

2.4 Associationdejuristesd’entreprises2.4.1 AssociationFrançaisedesJuristesd'entreprise-AFJE

StéphanieFOUGOU,Présidentedel’AFJEMarcMOSSE,Vice-Présidentdel’AFJEHerve DELLANOY, Directeur Juridique RALLYE (Holding de Casino et Go Sport - Présidentd'Honneurdel'AFJEetPrésidentduConseilNationalduDroit)

2.4.2 AssociationNationaledesJuristesdeBanque(ANJB)MarcDeLAPEROUSE,HSBCJean-LouisGUILLOTAlainGOURIO,FBFEmmanuelJOUFFIN,LaBanquePostaleLaurenceWYNAENDTS,HSBC

2.4.3 CercleMontesquieuNicolasGUERIN,SecrétaireGénéralduGroupeOrangeBorisSTOYKOV,MembreduConseild'Administration,DirecteurjuridiqueAffichesParisiennes

2.5 Dirigeantsd’entreprise,directeursjuridique&directeursconformitéXavierHUBERT,DirecteurEthics,ComplianceandPrivacyEngieJean-BaptisteCARPENTIER,DirecteurdelaConformiteVEOLIAFabienBUHLER,Présidentdel'entrepriseDEVEXPORTAurélienHAMELLE,DirecteurjuridiquedugroupeTOTALMarie-LaureDEFONTAINES,CheffeduDépartementSanctionsÉconomiquesetContrôledesExportationsDirectionTOTALSébastienTHIERRY,SecrétaireGénéralREXELPhilippeCADUC,PrésidentDirecteurGénéraldechezADITEmmanuelPITRONVice-présidentséniorinformation,synthèseetanalysedesrisquesduGroupeADIT,enchargedesquestionsdecomplianceRaphaëlDECORMIS,Vice-présidentInnovationLabs,GemaltoClaireCHALVIDANT,Directricedesrelationsinstitutionnelles,OrangeCédricPRÉVOST,DirecteurMarketingServicesManagésetSécuritéCloudPierrePETILLAULT,DirecteuradjointdesaffairespubliquesClaireCHALVIDANT,DirectricedesrelationsinstitutionnellesFrançois-XavierVELAZQUEZ,Directeurjuridique,BouyguesÉnergies&ServicesMarcMOSSE,DirecteurJuridiqueMicrosoftFranceAdrienCADIEUX,DirecteurjuridiqueetsecrétairegénéraldeTechnicolorSophieLEMENAHEZE,JuristechezTechnicolorAlbanFERAUD,MarchédesAffairesréglementairesetstratégiededéveloppementdesaffairesetoffresdumarchéIDEMIAPascalBELMIN,Vice-Président,AIRBUSGérardMOISSELIN,Préfet,ConseillerduPrésidentd’AIRBUSpourlesaffairessécuritésetrégionales,DirectiondesaffairespubliquesFranceFrédéricPIERUCCI,GérantdelasociétéIKARIAN,expertenconformitéanticorruption,anciencadresupérieurd’ALSTOM

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3. UNIVERSITAIRES

PierreBERLIOZ,ProfesseurdeDroit-DirecteurEFBMathiasAUDIT,ProfesseurdeDroitFlorenceG'SELL,ProfesseurdeDroitprivéAlainPELLET,JuristeetprofesseurdedroitinternationaléconomiqueTheodore CHRISTAKIS, Professeur de Droit international a la faculte de Droit de Grenoble,Directeurducentred'étudessurlasécuriteinternationalesetlescoopérationseuropéennesRegisBISMUTH,ProfesseurdesUniversités,SciencesPo,ÉcoledeDroitHerve ASCENSIO, Professeur a l'Universite Paris 1 Pantheon-Sorbonne - Directeur deDépartementdesmastersdedroitinternational,européenetcompareAlinaMIRON,Professeurededroitinternational-Co-directriceduMaster2Droitinternationaleteuropéen4. ADMINISTRATIONSCENTRALESETCABINETSMINISTERIELS

4.1 Ministèredel'Europeetdesaffairesétrangères(MEAE)

FrançoisALABRUNE,DirecteurdesaffairesjuridiquesPierreBOUSSAROQUE,Jurisconsulteadjoint,ConseillerdesaffairesétrangèresDiegoCOLAS,Sous-directeur,Directeuradjoint,ConseillerdesaffairesétrangèresBriceFODDA,Conseillerrelationsextérieuresdel'UnioneuropéenneAnne-Laure DESJONQUERES, Sous-directrice du Droit de l'Union européenne et du droitinternationaléconomiqueEstherDEMOUSTIER,Chargéedemission,maîtredesrequêtesauConseild'ÉtatDelphineHOURNAUPOUEZAT,Sous-directriceduDroitinternationalpublicLudovicLEGRAND

4.2 Ministèredel'économieetdesfinancesetMinistèredel’Actionetdescomptespublics

4.2.1 CabinetduMinistredel’économieetdesfinances,M.BrunoleMaire

ThomasREVIAL,DirecteurAdjointduCabinetEléonorePEYRAT,ConseillèreAffairesEuropéennesetInternationalesJulietteOURY,ConseillèreAffairesEuropéennesetInternationales

4.2.2 CabinetduMinistredel’Actionetdescomptespublics,M.GéraldDarmaninFlorianCOLAS,ConseillerduMinistreManonPERRIERE,ConseillèrejuridiqueduMinistre

4.2.3 CabinetduSecrétaired'ÉtatchargéduNumérique,M.MounirMahjoubiAymerilHOANG,DirecteurdecabinetCaroleVACHET,ConseillèreduMinistre

4.2.4 ServicesduMinistèredel’économieetdesfinancesThomasCOURBE,DirecteurGénéraldesEntreprisesGuillaumeCHABERT,ChefdeServicedesaffairesmultilatéralesetdudéveloppement,DGTrésor

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ClaireCHEREMETINSKI,CheffeduServicedesaffairesbilatéralesetdel'internationalisationdesentreprises,DGTrésorJoffrey CELESTIN-URBAIN, Chef du Service de l’information stratégique et de la sécuritééconomiques(SISSE)PhilippeLOREC,ChefdedépartementconformitésetComplianceduSISSEYasminaMOUBACHIR,ConseillèrejuridiqueduSISSETheo SIPROUDHIS, Service des affairesmultilatérales et duDéveloppement de laDGTrésor -BureauMulticom3AliceNAVARRO,ServicedesaffairesmultilatéralesetduDéveloppement,DGTrésorSébastienRASPILLER,Financementdel’économie,DGTrésorLaureBÉDIER,Directricedesaffairesjuridiquesdesministèreséconomiquesetfinanciers

4.3 Ministèredelajustice4.3.1 CabinetdelaGardedesSceaux,MmeNicoleBelloubet

EricTHIERS,ConseillerspécialenchargedesquestionsconstitutionnellesAuréliaSCHAFF,Conseillèrechargéedel’EuropeetdesrelationsinternationalesJérômeSIMON,ConseillerchargédelapolitiquepénaleNailBOURICHA,Conseillerchargédelaprospectiveetdel’attractivitédudroit

4.3.2 Directiondesaffairescivilesetdusceau(DACS)

ThomasANDRIEU,DirecteurChristelle HILPERT, Chef du Bureau du droit de l'Union, du droit international prive et del'entraidecivileNicolas CASTELL, Rédacteur bureau du Droit de l'Union, du droit international prive et del'entraidecivileCamille BLANCO, Membre du Bureau du droit de l'Union, du droit international prive et del'entraidecivileMaguyFULLANA,ChefdubureaududroitetdeladéontologiedesprofessionsAurelieBAUDON,Adjointeauchefdubureaududroitcommercialgénéral

4.3.3 DirectiondesAffairesCriminelleetdesGrâces(DACG)

IsabelleMINGUET,Sous-directriceCelineGUILLET,CheffedebureauJacquesMARTINON,ChefdemissionSophieLACOTE,Adjointecheffedebureau

4.4 Ministèredel’intérieur(DirectionGénéraledelaSécuritéIntérieur)NicolasLERNER,DirecteurGénéraldelaDGSIJean-PhilippeCOUTURE,Sous-directeurdelaprotectionéconomiquedupatrimoinescientifique,contrôleurgénéraldelaPolicenationale

4.5 Elysée(CoordinationnationaleduRenseignementetdelaluttecontreleterrorisme)PierreDEBOUSQUET,Préfet,CoordonnateurnationaldurenseignementetdelaluttecontreleterrorismeGrégoryBELHOSTE,ConseillerauprèsducoordonnateurnationaldurenseignementetdelaluttecontreleterrorismeJean-JulienXAVIERROLAI

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AgnèsDELETANG,ConseillerauprèsducoordonnateurnationaldurenseignementetdelaluttecontreleterrorismeAntoineMERCIER,ConseillerauprèsducoordonnateurnationaldurenseignementetdelaluttecontreleterrorismeJulienDAVET,ConseillerauprèsducoordonnateurnationaldurenseignementetdelaluttecontreleterrorismeJean-FrançoisGAYRAUD,ConseillerauprèsducoordonnateurnationaldurenseignementetdelaluttecontreleterrorismeFabienneDUTHE,Conseillerauprèsducoordonnateurnationaldurenseignementetdelaluttecontreleterrorisme

4.6 Autresadministrationscentrales

4.6.1 AgenceNationaledeSécuritédesSystèmesd’Information(ANSSI)

GuillaumePOUPARD,DirecteurGénéralYvesVERHOEVEN,Sous-directeurStratégieJean-BaptisteDEMAISON,delaSous-directionstratégieVincentSTRUBEL,Sous-directeurexpertise

4.6.2 Autoritéderégulationdescommunicationsélectroniquesetdespostes(ARCEP)

SébastienSORIANO,PrésidentAgateROSSETTI,Cheffedel’unité«Infrastructuresetréseauxouverts»LoïcDUFLOT,Directeur«InternetetUtilisateurs»

4.6.3 AgenceFrançaiseAnticorruption(AFA)CharlesDUCHAINE,DirecteurGeraldBEGRANGER,DirecteurAdjoint

4.6.4 CommissionnationaleInformatiqueetLiberté(CNIL)JeanLESSI,SecrétairegénéraldelaCNILTiphaineHAVEL,Conseillèrepourlesquestionsinstitutionnellesetparlementaires4. AUTORITESD’ENQUETES

4.1 AutoritédesMarchésFinanciers(AMF)

BenoitDEJUVIGNY,SecrétaireGénéralOlivierBOULON,AdjointalaDirectricedelaDirectiondesaffairesjuridiquesFrédéricPELESE,DirecteurAdjointaladirectiondelarégulationetdesaffairesinternationalesMaximeGALLAND,DirecteurdelaDivisionExpertisejuridiqueetinternationaleauseindelaDirectiondesenquêtesetdescontrôles

4.2 AutoritedelaConcurrenceIsabelleDESILVA,PrésidenteMathiasPIGEAT,DirecteurdecabinetetdesaffairesinternationalesStanislasMARTIN,RapporteurGénéral

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4.3 AssociationFrançaisedesMagistratsinstructeurs(AFMI)PascalGASTINEAU,Président

4.4 MagistratsetenquêteursRenaudVANRUYMBEKE,CoordonnateurduPôlefinancierdel'instructionauTGIdeParisCaroleCHAMPALAUNE,ConseillèrealaChambrecommerciale-CourdecassationElianeHOULETTE,ProcureurenationalefinancierJeanMarcTOUBLANC,Vice-ProcureurnationalfinancierThomasDERICOLFIS,Directeurdel'OfficeCentraldeluttecontrelaCorruptionetlesinfractionsfinancièresetfiscalesGuillaumeDAIEFF,1erVice-procureuraNanterre,Chefdelasectionéconomique,financièreetcommercialeParquetduTGIdeNanterre(ancienjuged'instructionaupôlefinancierduTGIdeParis)NicolasMICHON,Jugeàla9émechambreduTGIdeParis5. AUTRESORGANISATIONSETASSOCIATIONS5.1 InstitutdeshautesétudessurlaJustice

AntoineGARAPON,Secrétairegénéral

5.2 OrganisationpourlaCoopérationetleDéveloppementEconomique(OCDE)NicolaBONUCCI,DirecteurdesaffairesjuridiquesPatrickMOULETTE,Chefdeladivisionanticorruption

5.3 AlliancepourlaConfianceNumériqueJean-PierreQUEMARD,PrésidentYoannKASSIANIDES,DélégueGénéral

5.4 TransparencyInternationalFranceMarc-AndreFEFFER,PrésidentLaurenceFABRE,ResponsableduprogrammesecteurpriveNicoleOTTO,ResponsableduprogrammeLanceursd'Alerte

5.5 InstitutJacquesDelorsPascalLAMY,Présidentd'honneurdel'InstitutJacquesDelorsFaridFATAH,InstitutJacquesDelors,Avocat6. PERSONNALITESQUALIFIES

6.1 Parlementaires

OlivierMARLEIX,Députéd’Eure-et-Loir,2èmecirconscriptionGuillaumeKASBARIAN,Députed’Eure-et-Loir,1èrecirconscriptionJacquesMAIRE,DéputedesHautsdeSeine,8èmecirconscription

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PhilippeBONNECARRERE,SénateurduTarn,Avocatdeprofession

6.2 AutresGuyCANIVET,PrésidentduHautComitéJuridiquedelaPlaceFinancièredeParis,ancienmembreduConseilConstitutionnelMichelPRADA,PrésidentduConseildenormalisationdescomptespublics,CNOCPAlainJUILLET,Présidentdel'Académiedel'IntelligenceÉconomiqueAliLaïdi,JournalisteCharlesMOYNOT,AncienconseillerpénaldeJeanJacquesUrvoasGillesARATHOON,ConseillerDivisiondusecrétariatde la commissiondesAffairesétrangèresdel’Assembléenationale(RédacteurdurapportLellouche/Berge)7. AUTORITESETRANGERES7.1 Unioneuropéenne7.1.1 Représentationpermanenteauprèsdel’Unioneuropéenne(RP)

BérangèreTRAVARD,ConseillèreàlaReprésentationpermanentedelaFrancePaulineDUBARRY,ConseillèreàlaReprésentationpermanentedelaFranceMichèleNISSENSAGEOT,ConseillèreAsieduservicedepolitiquecommercialedelareprésentationpermanentedelaFranceauprèsdel’unioneuropéenne

7.1.2 CommissioneuropéenneStéphaneCHARDON,Coordinateur,ContrôledesExportationsstratégiques,DGcommerce,Jean-CharlesVANEECKHAUTE,Chefdel’UnitésurlesquestionsstratégiquesdepolitiqueextérieureDragomirLLIEV,Responsablepolitiqueauseindel’UnitésurlesquestionsstratégiquesdepolitiqueextérieureAlejandroCAINZOS,ConseillerpolitiqueauprèsdusecrétariatgénéraladjointHildeHARDEMAN,DirectriceduservicedesinstrumentsdepolitiqueétrangèreIsabellePERIGNON,Cheffedel’unitédudroitpénalprocédural,DirectiongénéraledelajusticeetdesconsommateursShirinHERMANNS,MembreduservicedepolitiqueétrangèredelacommissioneuropéenneAriane COMBALWEISS, Assistante en communication du service de politique étrangère de lacommissioneuropéenneDavidGeer,ChefdeladivisionrèglementationdessanctionsPierreARANAUDLOTTON,Membredeladivisionréglementationdessanctions

7.1.3 ConseileuropéenHubertLEGAL,DirecteurgénéralduservicejuridiqueduConseil

7.2 États-Unisd’Amérique7.2.1 AmbassadedeFranceauxÉtats-Unis

GérardARAUD,AmbassadeurdeFranceauxÉtats-UnisNathalieBROADHURTS,MinistreConseillerRenaudLASSUS,MinistreConseilleretchefduServiceéconomiquerégional

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Marie-LaurenceNAVARRI,MagistratedeliaisonauxÉtats-UnisMarcTHUILLIER,Conseillercommercialetjuridique

7.2.2 SecuritiesandExchangeCommission(SEC)CharlesCAIN,Chief,ForeignCorruptPracticesActUnitTracyPRICE,DeputyChief,ForeignCorruptPracticesActUnitKurtGRESENZ,SeniorAssistantDirector,OfficeofInternationalAffairsZ.ScottBIRDWELL,AssistantDirector,OfficeofInternationalAffairsPaulGUMAGAY,SeniorSpecialCounsel,OfficeofInternationalAffairsNatashaKADEN,SeniorSpecialCounsel,OfficeofInternationalAffairsCarlosCOSTA-RODRIGUES,SeniorCounsel,OfficeofInternationalAffairs`

7.2.3 DepartmentofJustice(DOJ)AndrewFINCH,PrincipalDeputyAssistantAttorneyGeneral–AntitrustdivisionDanielKAHN,ProcureurenchefduFCPAPeterAXELROD,U.SDepartmentofJustice/CriminalDivisionBruceSWARTZ,DeputyAssistantAttorneyGeneral,CriminalDivisionBradWIEGMANN,DeputyAssistantAttorneyGeneral,NationalSecurityDivisionDylanCORS,AttorneyAdvisor,NationalSecurityDivisionRianeHARPER,TrialAttorney,ComputerCrimeandIntellectualPropertySectionU.SDepartmentofJusticeCriminalDivision–OfficeofInternationalAffairsCraigW.CONRATH,TrialAttorney,litigationIIISectionDohaMEKKI,CounseltotheAssistantAttorneyGeneralBenFITZPATRICK,SeniorCounsel,CriminalDivision,ComputerCrimeandIntellectualPropertySection

7.2.4 USDepartmentoftheTreasuryMichaelLIEBERMANSezanehSEYMOURKatherineBRADBURY

7.2.5 DepartmentofCommerce,EllenS.HOUSE,OfficeofEuropeanCountryAffairs,U.SDepartmentofCommerce,InternationalTradeAdministrationAndrewFLAVIN,PolicyAdvisor

7.2.6 PersonnalitésqualifiéesDanielL.GLASER,PrincipalFinancialwithFinancialIntegrityNetwork(FIN),ancienAssistantSecretaryforTerroristFinancingandFinancialCrimeoftheUSDepartmentoftheTreasury’sOfficeofTerrorismandFinancialIntelligence(2011-2017)JenniferDASKAL,Professeur,spécialisteduCloudAct,AssociateProfessor,WashingtonCollegeofLawGregoryT.NOJEIM,SeniorCounsel&DirectorofFreedom,CenterforDemocracy&TechnologyManaAZARMI,PolicyCounsel,CenterforDemocracy&TechnologyVeronicaJENNINGS,Partner,Cabinetd’avocatsFoleyHoagJohnP.MARSTON,Partner,Cabinetd’avocatsFoleyHoagRebeccaGEROME,Associate,Cabinetd’avocatsFoleyHoag

Page 102: Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe …...En dernier lieu, si les attaques dont sont victimes les entreprises françaises proviennent aujourd’hui, pour l’essentiel