Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure...

97

Transcript of Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure...

Page 1: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper
Page 2: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Résumé :

Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper des deux enfants de la défunte. Elle aurait aimé les prendre avec elle mais, en tant qu’assistante sociale, elle savait qu’elle n’en avait pas le droit. Aussi les avait-elle placés dans une famille d’accueil en attendant d’arriver à joindre Stephen Prescott, leur oncle. Finalement, au bout de trois semaines, elle avait fini par le localiser en Amérique du Sud. Or si, mis au courant de l’affaire, il avait immédiatement accepté d’assumer la garde des enfants, Marcy doutait qu’il soit en mesure de leur offrir la stabilité et l’attention dont ils avaient besoin. Et une seule conversation avec ce monsieur lui avait suffi pour deviner qu’il n’était pas du genre à accepter les conseils qu’elle avait pourtant bien l’intention de lui donner, dès qu’elle le rencontrerait... Une rencontre qui s’annonçait houleuse !

Page 3: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

1

Marcy écarta le combiné de son oreille, ce qui n’empêcha pas l’âpre voix masculine de lui vriller le tympan.

— Comment ! C’est arrivé il y a trois semaines, et vous ne jugez bon de m’en informer que maintenant !

— Croyez que nous en sommes navrés, monsieur Prescott. Il nous a été extrêmement difficile de...

— Ma propre sœur! C’est impensable...La voix était terriblement accusatrice. Marcy n’aurait pas dû s’étonner de la réaction

de Stephen Prescott ; Diane lui avait mentionné le caractère impétueux de son frère. Diane... Comme chaque fois qu’elle pensait à son amie, elle sentit sa gorge se serrer. Car Diane, la radieuse Diane, était morte, ainsi que David, son mari.

— La Californie est-elle un Etat si arriéré qu’il vous faille trois semaines pour communiquer un simple message ! reprit Stephen Prescott.

Narguant les kilomètres, les ondes de sa colère atteignaient Marcy de plein fouet. Elle-même eut du mal à garder son calme.

Combien de coups de téléphone avait-elle passés en Equateur, en Bolivie, en Colombie, jusqu’à ce qu’enfin, dans un coin perdu du Pérou, une voix impersonnelle lui réponde que M. Prescott travaillait sur le site, mais qu’on pouvait le joindre par radio?

Marcy n’avait pas laissé de message, seulement son numéro de téléphone, et elle avait demandé que Stephen Prescott la rappelle de toute urgence.

— Ne savez-vous pas à quel point il est difficile de vous joindre? Nous avons essayé des jours durant et...

— Il fallait y mettre de la meilleure volonté! hurla la voix au bout du fil.— Vous n’êtes pas raisonnable, monsieur Prescott.— C’est le comble! Vous m’apprenez que ma sœur s’est noyée il y a trois semaines

et vous voudriez que je...En entendant sa voix se briser, Marcy sentit la confusion l’envahir. Le pauvre homme

avait toutes les raisons d’être bouleversé.— Je suis navrée d’avoir à vous apprendre une nouvelle aussi triste, reprit-elle, et je

vous prie encore une fois de m’excuser pour ce retard. Je puis pourtant vous assurer que nous avons fait notre possible.

— Je comprends. Je ne voulais pas me montrer brutal, c’est seulement que...

Page 4: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Je sais. Le choc a été rude. Je voudrais...— Êtes-vous certaine de l’information? Tous les deux?Stephen Prescott parlait maintenant d’une voix si étouffée que Marcy devait tendre

l’oreille pour saisir le sens de ses paroles.— Certaine.— Comment est-ce arrivé ?Aussi succinctement qu’elle le put, Marcy lui raconta le naufrage du bateau sur

Sacramento River et l’échec des secours. L’évocation du drame lui fit monter les larmes aux yeux, et elle se félicita que la porte de son bureau soit fermée. On lui avait si souvent conseillé de ne pas s’impliquer personnellement! Pourtant, comment aurait-elle pu réagir de manière professionnelle à la mort des Nelson ? Elle les aimait comme des membres de sa propre famille. Ils avaient fait connaissance à Los Angeles, alors qu’ils habitaient le même immeuble. Et lorsque Marcy avait été mutée à Auburn, les Nelson avaient décidé que cette ville tranquille serait l’endroit idéal pour élever leurs enfants et permettre à David d’écrire en paix ses romans policiers. Et à présent, Marcy ressentait un désespoir égal à celui du frère de Diane. — J’aurais dû être là, répétait-il comme un leitmotiv. Regrettait-il ses six années d’absence? se demanda Marcy. — C’est un accident, dit-elle d’une voix réconfortante. Vous n’auriez rien pu faire... Elle hésita. Il n’avait pas mentionné les enfants. — Nous nous préoccupons maintenant du sort des petits. — Les petits..., répéta-t-il, comme s’il avait oublié leur existence. — Eh bien, Davey et Ginger, dit Marcy, un sanglot dans la voix. Il... il faut prendre une décision à leur sujet. — Mon Dieu ! les enfants. Ils doivent être... Comment vont-ils ? — Bien. Nous... — Où sont-ils? Avec vous? — Non. Marcy aurait souhaité par-dessus tout se les voir confier, mais la loi n’autorisait pas les arrangements à l’amiable. — Nous les avons temporairement placés chez M. et Mme... — Nous? — Le Bureau d’aide à l’Enfance en détresse où je travaille. On nous a donné tout pouvoir jusqu’à ce que nous vous localisions. Existe-t-il d’autres parents avec qui nous pourrions prendre contact ? — Non. — Vous êtes leur seule famille?

Page 5: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Oui. — Dans ce cas... Marcy marqua une légère hésitation. Ça faisait beaucoup pour un seul homme. — Désirez-vous... euh, assumerez-vous la charge de vos neveux? — Naturellement. Il n’avait pas tergiversé, ce qui ne rassura nullement Marcy. Une pareille décision ne se prend pas à la légère, et il existait d’autres solutions. — J’arrive par le premier avion, reprit Prescott. A quelle adresse puis-je prendre les enfants? « Prendre les enfants?» S’imaginait-il qu’il s’agissait de vulgaires colis? — Il y a des formalités à remplir, monsieur Prescott. Avant de les emmener, il faut attendre que le tribunal vous en confie la garde. — Hmm. Eh bien, faites le nécessaire, je vous prie. Où puis-je trouver mes neveux? — Prenez contact avec moi dès votre arrivée. Elle lui donna son nom et l’adresse du Bureau. — Merci, mademoiselle Wilson. Et à bientôt. Après avoir raccroché, Marcy laissa sa main s’attarder sur le téléphone. Son esprit était en déroute, et il lui fallut un certain temps avant de se reprendre et de jeter quelques notes sur son bloc. « 18 septembre. Pris contact avec Stephen Prescott, frère de la mère décédée. Seul parent vivant. Désire assumer la respons... » Marcy s’arrêta net d’écrire. Comment aurait-il pu désirer prendre en charge des enfants qu’il n’avait jamais vus? Et comment pourrait-il matériellement s’occuper d’eux alors qu’il ne cessait de voyager? Elle songea à sa réponse précipitée, évidemment dictée par l’émotion et le sens du devoir. Seulement, d’après ce que Marcy savait de lui, Stephen Prescott n’aimait guère les contraintes. Si elle lui faisait entrevoir une meilleure solution pour les enfants, il n’émettrait certainement aucune objection.

Marcy biffa sa dernière phrase et écrivit à la place : « Viens d’ici à quelques jours afin de discuter des modalités de la garde. »

Après tout, ce n’était pas exactement un mensonge. Il faudrait étudier la personnalité de Prescott, avant d’envisager de lui confier ses neveux et... Marcy interrompit le cours de ses réflexions. Elle n’ignorait pas que la proche parenté avait toujours la priorité dans ce genre de cas. Si Prescott désirait vraiment élever les enfants et s’il en avait les moyens financiers, sa demande aboutirait.

Or Marcy savait de source sûre que l’argent n’était pas un problème pour Stephen Prescott. Elle se souvenait parfaitement du chèque qu’il avait envoyé à sa sœur, quelques années plus tôt.

C’était par une de ces soirées encore douces de l’été finissant. Marcy et Diane, installées sur la terrasse de cette dernière, grignotaient du fromage tout en buvant du vin

Page 6: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

pendant que les enfants jouaient sur la pelouse. Au détour de la conversation, Diane avait parlé de son frère, et avait montré à Marcy le chèque qu’elle avait reçu de Stephen.

— 5000 dollars rien que pour ton anniversaire ! s’était étonnée Marcy.— Que veux-tu, c’est mon grand frère. II est prêt à m’offrir tout ce que je peux

désirer, hormis lui-même.Le rire de Diane sonnait faux.— Je suppose qu’il s’imagine que David va incessamment me plaquer, avait-elle

ajouté. Alors, il me gratifie de petits à-côtés.— « De petits à-côtés » ! Tu en as de bonnes !— Tu sais, Stephen a toujours été généreux; même quand il n’avait pas grand-chose

à offrir. Je me souviendrai toute ma vie qu’un jour, il m’a donné l’argent nécessaire à l’achat d’une veste rouge.

Le visage de Diane avait pris une expression rêveuse tandis qu’elle expliquait à son amie que, enfants, son frère et elle ne disposaient que de peu d’argent. Leur mère était morte quand Diane avait deux ans, et leur père, un représentant de commerce, se ruinait en frais de garde.

— Je m’en souviens comme si c’était hier, avait raconté Diane. C’était en septembre. J’avais douze ans, c’était l’époque de la rentrée des classes. Tu sais combien les filles sont soucieuses de leur apparence à cet âge. Pour ne pas échapper à la règle, je désirais avec passion une veste rouge entrevue dans une vitrine. Stephen avait quinze ans; il avait passé son été à jouer les Caddie sur les terrains de golf afin de mettre suffisamment d’argent de côté pour l’achat d’une voiture. Eh bien, le croiras-tu, il m’a donné une partie de ses économies pour que je m’achète la fameuse veste.

La voix de Diane s’était éteinte et ses yeux s’étaient remplis de larmes. Dans le silence qui s’était ensuivi, on n’entendit plus que le cliquetis de la machine à écrire de David et les cris des enfants.

— C’était héroïque de sa part, avait murmuré Marcy.— Seulement, le lendemain, il quittait la maison sans prévenir. Impossible de

retrouver sa trace. Oh ! Marcy, tu ne peux savoir ce que j’ai enduré. Je n’ai jamais connu ma mère, et papa était tout le temps absent ; aussi Stephen représentait-il tout pour moi, et quand il est parti... j’ai détesté ma veste rouge. J’ai dû la porter deux hivers, mais à chaque instant, je la maudissais tout comme je maudissais Stephen.

— Pourtant, ce chèque... Il a bien fallu que tu le revoies.— Dix ans plus tard. En fait, après deux ans d’absence, mandats et cadeaux ont

commencé à affluer. Et puis, il s’est mis à téléphoner, toujours d’un endroit différent. A la mort de papa, il est revenu et m’a proposé de vivre avec lui. Seulement, c’était trop tard, tu comprends. Je n’avais plus besoin de lui, j’avais David. Et tu ne devineras jamais ce qui s’est produit...

Diane avait posé son verre de vin et avait regardé Marcy d’un air grave.— Je n’avais pas vu mon frère depuis dix ans, et nous nous sommes querellés

comme jamais. Et tout ça, parce que je lui apprenais que j’allais épouser David. Cela ne

Page 7: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

dépasse-t-il pas l’entendement?— David lui déplaisait?— Il ne le connaissait même pas. Il a prétendu que j’étais idiote de me lier à un type

qui me laisserait probablement tomber au bout de six mois. Je lui ai rétorqué que, pour ce qui était d’abandonner les gens, il en savait certainement long sur la question.

Diane avait avalé une gorgée de vin et soupiré.— Stephen était hors de lui. Il ne cessait de répéter que j’étais trop jeune pour

comprendre la vie. Cependant, j’aimais trop David pour écouter un mot de ce que racontait mon frère. A la fin, il m'a crié: «Très bien, gâche ta vie en épousant ce type ! II te fera une ribambelle d’enfants et te brisera le cœur! » Là-dessus, j’ai répliqué que je plaignais sa future femme; à quoi il a rétorqué de ne pas m’inquiéter de ça, qu’il ne se marierait jamais.

— Il aurait pourtant dû être content pour toi...— Eh bien, c’est tout le contraire qui s’est produit, avait répliqué Diane. Plus tard,

revenu à de meilleurs sentiments, il s’est toutefois excusé. Et puis nous avons repris la routine des cartes postales et des chèques.

Diane agitait celui qu’elle tenait dans sa main.— C’est terrible, tu sais. Je ne l’ai pas revu depuis six ans, et il me manque toujours

autant...Et à présent, dans la solitude de son bureau, Marcy se remémorait la tristesse de la voix

de Diane. Bien sûr, Stephen expédiait de l’argent à sa sœur, mais l’argent n’est pas tout. Elle songea à Davey et Ginger qui, plus que jamais, avaient besoin d’amour et d’une écoute de tous les instants. Toutes choses que Stephen Prescott ne serait certainement pas en mesure de leur offrir.

« Si seulement j’avais été présente le jour de l’accident », se répéta Marcy en posant son stylo. Pourtant, tout au fond d’elle-même, elle savait que ça n’aurait rien changé. Au regard de la loi, elle n’était qu’une étrangère pour eux, et jamais on ne les lui aurait confiés.

Quoi qu’il en soit, elle se trouvait à Reno ce jour-là avec Tom Jenkins et n’avait regagné son domicile que bien après minuit. Ce ne fut donc que le lendemain matin qu’elle avait appris la tragédie de la bouche d’un voisin. Il lui avait expliqué que deux agents de police s’étaient présentés la veille au soir au domicile des Nelson. Mise au courant du drame qui venait de se dérouler, Kim, l’adolescente qui gardait les enfants, s’était affolée. Les agents avaient donc immédiatement appelé le Bureau d’aide à l’Enfance. Après le départ des petits, des scellés avaient été posés sur la porte de l’appartement.

Marcy s’était alors précipitée au Bureau où elle travaillait en tant qu’assistante sociale et avait couru chez Jo Stanford, sa directrice et amie, qui avait eu toutes les peines du monde à la raisonner.

— Tu es mieux placée que quiconque pour savoir qu’on ne peut te confier les enfants, Marcy. Je sais que tu t’occupais fréquemment d’eux en l’absence de leurs

Page 8: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

parents, mais là, c’est différent. Tu n’es pas membre de leur famille.— Dans ces conditions, confie-moi au moins leur dossier.— Impossible. Tu es trop impliquée dans l’affaire.— Enfin, Jo, réfléchis ! Ces gosses viennent de perdre leurs parents. Ils ont besoin de

moi, pas d’une étrangère!— Très bien, avait concédé Jo à contrecœur. Il se trouve justement que je suis à court

de personnel. Et puis ta tâche se bornera à retrouver leur plus proche parent.Plus tard dans la matinée, Marcy était allée voir les enfants qu’on avait placés chez M.

et Mme Jones, un couple chaleureux qui avait en charge deux autres enfants, un bébé et un petit garçon de l’âge de Davey, nommé Troy. En apercevant Marcy, Ginger avait couru se jeter dans ses bras.

— Marcy ! Où est ma maman?Marcy l’avait serrée très fort contre elle et avait regardé Davey, assis bien sagement,

trop sagement. Son cœur s’était serré de pitié. Elle les avait emmenés au parc et là, près de la mare aux canards, leur avait expliqué que papa et maman étaient allés dans un endroit appelé paradis. Davey n’avait rien dit, cependant, l’expression de son regard le faisait paraître beaucoup plus que ses cinq ans. Ginger, qui n’avait pas trois ans, s’était mise à pleurer. Si sa maman partait, qui allait s’occuper d’elle?

Marcy avait failli éclater à son tour en sanglots quand Davey avait déclaré d’un ton protecteur:

— Ne pleure pas, Ginger. Je veillerai sur toi.Marcy avait étreint dans un même geste les deux enfants et leur avait affirmé que tout

s’arrangerait. Mais au fond de son cœur, elle n’en était pas si sûre.Afin de procéder aux recherches du frère de Diane, Marcy avait dû pénétrer, en

compagnie d’un homme de loi, dans l’appartement placé sous scellés. Une immense tristesse l’avait envahie à la vue du train de Davey gisant abandonné sur le tapis, des roses qui s’effeuillaient dans un vase, de tous les témoignages enfin d’une paisible existence familiale brutalement interrompue. Elle aurait aimé remettre un peu d’ordre dans l’appartement, mais elle n’était autorisée qu’à faire des recherches dans les papiers des Nelson.

L’agent littéraire de David confirma que ce dernier n’avait pas de famille. Du frère de Diane, impossible de trouver la trace. Marcy s’entêta; elle se souvenait fort bien du chèque. Finalement, elle découvrit une carte postale en provenance de Hongkong, ainsi qu’une courte lettre sur papier à en-tête de la compagnie pétrolifère Semco dont le siège se trouvait à New York. Là, elle obtint de parler à la secrétaire de Stephen Prescott qui l’informa qu’il se trouvait en Amérique du Sud.

Durant cette période, entre ses multiples et infructueux coups de téléphone, Marcy passa le plus clair de son temps libre avec les enfants, les entourant de son affection et essayant d’amener de timides sourires sur leurs petits visages. Elle les emmenait souvent en promenade et se réjouissait lorsque les gens les prenaient pour ses propres enfants.

— C’est parce qu’ils te ressemblent, avait dit un jour Jo. Surtout Ginger. Elle a tes

Page 9: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

fossettes et les mêmes yeux hésitant entre le bleu et le vert.Et il est vrai qu’il existait entre Ginger et Marcy un air de ressemblance. Seule, la

couleur de leurs cheveux différait. Les boucles de Ginger étaient blondes tandis que les cheveux de Marcy optaient pour un ton chaud de cuivre brûlé.

— Elle a le même aspect fragile que toi, avait poursuivi Jo, et probablement tout aussi trompeur. Comme toi, sous ses airs de poupée, elle doit cacher un indomptable entêtement.

— Je ne suis pas entêtée, avait protesté Marcy.La comparaison la remplissait pourtant d’aise. Elle avait toujours été proche de Davey

et de Ginger, et maintenant que leurs parents avaient disparu, elle se berçait de l’illusion qu’ils pourraient devenir siens.

Cependant, lorsqu’elle avait mentionné cette éventualité à Jo, celle-ci était tombée des nues.

— Tu es folle, Marcy. Ils ne sont pas adoptables.— Je le sais bien. Seulement, suppose que leur oncle ne veuille pas d’eux... Ne me

regarde pas comme ça, Jo, s’il te plaît. D’après ce que Diane m’a rapporté de lui, il...— Je connais ton opinion sur la question, coupa Jo. Seulement, il est leur plus proche

parent, et jusqu’à ce que nous en sachions davantage sur ses intentions, nous ne pouvons rien envisager. Essaie d’être réaliste. Tu sais que les bureaux de placement rechignent à taire adopter 'des enfants à des célibataires. Et puis, tu n’as pas les moyens d’élever deux enfants. Tu n’arrives déjà pas à t’en sortir toute seule!

Par cette remarque, Jo faisait allusion, non seulement au salaire relativement modeste de Marcy, mais encore à ses talents de gestionnaire plus que douteux. Deux fois au cours des six derniers mois, elle avait dû demander une avance.

— Tu devrais plutôt songer à te marier et à fonder un foyer, avait repris Jo. Voyons, il y a Gerald... Mais tant qu’à faire, mieux vaudrait ce banquier, tu sais, Tom Jenkins. Pourquoi ne tentes-tu pas ta chance auprès de lui ? Ça résoudrait tous tes problèmes.

Marcy s’était contentée de sourire. Tom Jenkins lui avait déjà proposé de l’épouser. Elle l’aimait beaucoup mais pas du genre d’amour que nécessite le mariage. Non, elle ne se marierait certainement pas dans le seul but de se voir confier Ginger et Davey.

Puis elle avait songé à Jennifer, sa sœur. Mariée et jouissant de revenus confortables, cette dernière avait récemment évoqué son intention d’adopter un enfant. Ce serait la solution idéale, s’était dit Marcy. Dès que Jo avait eu regagné son bureau, elle avait appelé sa sœur. L’idée d’une adoption avait toutefois paru nettement moins l’enthousiasmer que précédemment. Marcy avait raccroché avec un vague sentiment de malaise. Ça ressemblait si peu à Jenny de se montrer apathique. Et pourquoi avait-elle ainsi changé d’avis? Marcy avait conclu qu’elle devrait lui rendre visite dès que possible.

A partir de ce moment, Marcy avait été bien obligée de suivre les conseils de Jo et de considérer l’affaire avec plus de détachement. Patiemment, elle avait attendu de recevoir des nouvelles de Stephen Prescott.

Page 10: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Et maintenant, cet instant était arrivé.Un coup fut frappé à la porte et, sans attendre de réponse, Gerald Sims pénétra dans le

bureau. C’était un homme robuste et blond dont le nez s’ornait d’un semis de taches de rousseur. Il arborait son sourire du vendredi soir.

— Que dirais-tu d’un dîner à Folsom? Le Gaslight donne un nouveau spectacle dont j’ai entendu dire le plus grand bien.

— Désolée, Gerald. Pas ce soir. J’ai promis aux petits Nelson de passer les prendre.— Encore! Quelle passionnante soirée en perspective.— Ce sera très gai. Nous allons au cirque. Veux-tu nous accompagner?— Merci bien ! répondit Gerald, ajoutant qu’après avoir travaillé avec des enfants

toute la semaine, il préférait passer son week-end en compagnie d’adultes.Sur le chemin du retour, Marcy réfléchissait à la remarque de Gerald. S’il n’appréciait

pas la compagnie des enfants, pourquoi ne se faisait-il pas muter dans un autre service?Marcy gara sa Volkswagen sur le parking de l’ensemble Woodside. Vivre dans un

appartement possédant une cheminée et des poutres apparentes faisait partie de ses extravagances. Les immeubles de l’ensemble, de taille modeste, s’élevaient dans un superbe décor de grands arbres dont les feuilles se teintaient en cette saison d’or et de pourpre. Marcy se hâta vers les marches qui menaient à son appartement. Il lui fallait se dépêcher de se changer pour pouvoir passer retirer de l’argent au distributeur, avant d’aller chercher les enfants. Mentalement, elle supputait la somme qui lui serait nécessaire. Trois entrées... non, quatre. Car elle avait également invité Troy qui sortait si rarement. Elle se demanda ce qui lui resterait pour vivre quand elle aurait payé la traite de sa voiture...

Puis elle se secoua. Allons, il serait bien assez temps d’y songer le lendemain!En début de semaine, Marcy se trouva surchargée de travail. Le jeune Braxton ne se

plaisait pas chez les Einory, et l’on devait envisager un autre placement. Le mardi, on leur amena deux enfants victimes de sévices auxquels il fallait trouver immédiatement un foyer. Les dossiers s’empilaient sur le bureau de Marcy, si bien qu’elle resta travailler bien après que les autres furent partis. En maugréant, elle cherchait dans le bureau d’Anita le dossier Braxton qui avait justement disparu de. sa pile quand une voix la fit sursauter. Sous le choc, elle bouscula les dossiers qui s’éparpillèrent sur le sol.

Un désastre! Exactement ce qu’il fallait pour couronner cette lamentable journée. Exaspérée, Marcy se tourna vers l’intrus.

— Je vous prie de m’excuser, dit l’homme, s’agenouillant afin de ramasser les documents épars.

— N’y touchez pas ! cria Marcy.Il se redressa, la dominant de toute sa taille. Les cheveux bruns, les yeux sombres, il

dégageait une vitalité telle qu’il semblait apporter avec lui l’air pur des grands espaces.— Je voulais vous aider, fit-il en désignant les dossiers, mais...Sous son regard amusé, Marcy rougit.

Page 11: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— C’est que... ces dossiers sont confidentiels.— Ah ! je vois. Dans ce cas, je vous promets de ne même pas y jeter un coup d’œil !Il lui adressa un sourire complice et s’accroupit.— Je les ramasse, vous les classerez.Machinalement, Marcy s’agenouilla et prit les dossiers qu’il lui tendait. Brown...

Jones... Johnson. Non, celui-ci concernait Thomas... Les noms flottaient sous ses yeux, et dans son esprit régnait la plus extrême confusion.

Elle maudissait Anita dont le sens de l’ordre laissait parfois à désirer quand elle se sentit rougir. Il s’agissait bien de ça ! Ce n’étaient pas les dossiers mélangés qui la déconcertaient, mais bien plutôt quelque chose dans le sourire de cet homme qui la rendait étrangement nerveuse. Et puis, cette mèche de cheveux tombant sans cesse sur ses yeux lui rappelait quelqu’un. Qui était-il? Le nouvel avocat que l’on attendait? Hmm, peu probable. En dépit de son complet bien taillé, il avait tout de l’homme habitué à vivre au grand air. En contraste avec la blancheur du papier, ses mains paraissaient très brunes. Et si fortes, comme burinées par le travail.

Finalement, Marcy reposa les dossiers sur le classeur en espérant avoir tout remis en ordre. Puis elle se tourna vers le nouvel arrivant.

— Merci de votre aide. Et maintenant, que puis-je pour vous?Il fouilla dans sa poche dont il tira un papier.— Je cherche le Bureau d’aide à l’Enfance.— C’est bien ici.Après tout, c’était peut-être le nouvel avocat... En tout cas, Marcy l’espérait de tout

son cœur.Comme il souriait, fascinée, Marcy observa l’extraordinaire façon dont son visage

s’éclairait et les petites rides qui se formaient au coin de ses yeux.— Je cherche Marcy Wilson, déclara-t-il.— C’est moi.Il lui tendit la main.— Stephen Prescott. Je viens chercher les enfants Nelson.

Page 12: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

2

Marcy le fixa, interdite. Lui, Stephen Prescott? Elle s’était attendue à... Eh bien, à quoi? Elle n’aurait su préciser, mais certainement pas à ce bel homme bronzé au sourire si engageant.

— Comme vous le voyez, je suis venu aussi vite que j’ai pu, dit-il. Maintenant, j’ai besoin de vos conseils, mademoiselle Wilson. Où puis-je prendre les enfants?

Marcy retomba durement sur terre.— Vous ne pouvez pas les prendre ! s’écria-t-elle.Elle eut un sourire d’excuse.— Enfin, je veux dire, pas tout de suite. Mais je suis heureuse de vous rencontrer,

monsieur Prescott. Nous al tendions votre arrivée avec impatience. Si vous voulez me suivre jusqu’à mon bureau, nous avons à parler.

Tandis qu’ils marchaient le long du couloir, Marcy se félicita d’avoir enfilé le matin ce tailleur noir qui lui allait particulièrement bien. Puis elle s’étonna. En quoi lui importait de plaire ou non à Stephen Prescott? Et pourquoi était-elle si troublée? Elle inspira profondément et tenta de se composer une contenance, avant de pénétrer dans son bureau. Là, elle désigna un siège à son hôte et s'assit. Elle eut conscience du regard acéré qu’il posait sur elle comme elle consultait sa montre.

Il était près de 6 heures.— Veuillez m’excuser, je vous prie. Un coup de fil à passer.

La secrétaire du Dr Jackson, qu’elle devait rencontrer ce soir au sujet du petit Braxton, accepta de remettre son rendez-vous au lendemain matin. Après avoir raccroché, Marcy se tourna vers Stephen Prescott. — J’ai atterri cet après-midi à Sacramento, expliqua-t-il, et j’ai dû y louer une voiture car il n’existait pas d’autres moyens de transport. — Nous sommes assez isolés ici, à Auburn, concéda Marcy. Elle réfléchissait, essayant de concentrer son attention sur les raisons de sa venue. Ginger et Davey pourraient-ils être heureux avec cet homme? Elle se rappela les paroles de Diane : « Je regrette tellement mon frère d’avant la veste rouge. » — Je vous présente mes condoléances, dit-elle. Ce deuil est si cruel pour vous. — Merci. C’est encore plus difficile pour les enfants, j’imagine. C’est pourquoi je suis venu tout de suite. — Combien de temps avez-vous prévu de rester?

Page 13: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— J’ai une réunion à New York après-demain. Marcy frémit. S’imaginait-il vraiment qu’à l’issue de ces deux jours, il pourrait emmener les enfants? — Ça ne nous laisse guère de temps, répliqua-t-elle sèchement. Pourrais-je voir vos papiers d’identité? Comme il se rembrunissait, Marcy expliqua d’un air d’excuse : — C’est le règlement. Je ne doute pas que vous soyez bien Stephen Prescott, pourtant il me faut des preuves pour engager la procédure. Il lui tendit son permis de conduire. — Vous vivez en Angleterre? interrogea Marcy, constatant que le document y avait été délivré. — Non. Je... Mais au lieu de poursuivre, il demanda : — Satisfaite? — Oui. — Je peux donc voir les enfants? Marcy consulta de nouveau sa montre. — Il est un peu tard. Stephen Prescott se leva brusquement et passa une main nerveuse dans ses cheveux. — Écoutez, mademoiselle Wilson, vous n’avez pris contact avec moi que trois semaines après l’accident, en revanche, je me suis présenté dès que vous m’avez demandé de venir chercher les enfants. — Je ne vous ai jamais demandé une chose pareille! — Bien sûr que si. Vous avez dit... — Je vous ai demandé si vous acceptiez d’en assumer la responsabilité. — Ça revient au même. — Pas du tout ! Marcy joignit les mains et s’efforça de parler d’un ton calme. — Rappelez-vous, je vous ai parlé au téléphone de formalités à remplir. — Très bien. Donnez-moi ces papiers que je les signe. Elle hocha la tête. — Ce n’est pas si simple, monsieur Prescott. Écoutez, nous discuterons de tout ceci demain. Il est tard; nos bureaux sont habituellement fermés à cette heure. — Désolé, dit-il, de nouveau souriant. Décidément, il y avait dans son sourire quelque chose qui la touchait infiniment. — C’est que, vous comprenez, je m’inquiète pour les enfants. Je ne voudrais pas

Page 14: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

qu’ils se croient abandonnés. — Ils ont été placés dans une excellente famille, répliqua Marcy. M. et Mme Jones sont des gens chaleureux et ouverts. — Je n’en doute pas, mais je tiens quand même à ce qu’ils sachent que je suis là et qu’ils ne seront pas contraints de vivre avec des étrangers. A part elle, Marcy se demanda qui plus que lui pourrait leur sembler étranger. — Je comprends votre impatience, dit-elle néanmoins. Vous ne les avez jamais vus, je crois. — Non. Je voyage beaucoup, vous savez. — Dans ce cas, mieux vaudrait leur laisser le temps de s’habituer à vous. Je pourrais vous accompagner demain chez les Jones et vous présenter à eux. Marcy marqua une légère hésitation, avant de reprendre : — Ils me connaissent bien. J’étais intime avec leurs parents. Stephen Prescott la considéra avec un regain d’intérêt. — Vous connaissiez Diane? Que savez-vous de l’accident? Racontez-moi, je vous prie. Elle recommença donc son histoire, avec davantage de détails. Quand elle eut terminé, les yeux de Stephen avaient la même expression lointaine que ceux de Davey apprenant la disparition de sa maman. — Où logez-vous? demanda-t-elle doucement. — A l’Aubum Inn. — Je pourrais passer vous prendre vers 10 h 30. Nous irions voir les enfants puis nous reviendrions ici discuter de votre souhait d’en obtenir la garde légale. — Je ne vois pas matière à discussion, répliqua-t-il, plantant son regard dans celui de Marcy. Elle se leva, mettant ainsi fin à la conversation. — Nous reparlerons demain de tout ceci, monsieur Prescott. Il se leva à son tour. — Une minute! Qu’entendez-vous par «garde légale » ? — C’est que, comme la mort tragique de leurs parents laissait ces enfants sans famille, ils ont été placés sous tutelle judiciaire. Temporairement, naturellement, ajouta-t-elle devant l’expression menaçante de son interlocuteur. C’est la loi, personne n’y échappe. On m’a confié leur affaire.

— Leur affaire?— Pour qu’on vous accorde la garde des enfants, vous devez offrir certaines

garanties. Mais il ne s’agit que d’une question de pure routine.— Épargnez-moi ce jargon juridique, voulez-vous, mademoiselle.

Page 15: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Il se pencha vers elle, une lueur mauvaise dans le regard.— Il s’agit des enfants de ma sœur! Dieu sait si l’aurais préféré qu’elle puisse les

élever elle-même. Cependant, puisqu’elle n’est plus là, c’est à moi de le faire. Et ce ne sont certainement pas vos magistrats qui m’en empêcheront !

— Personne ne songe à vous mettre des bâtons dans les roues, monsieur Prescott. En réalité, mon rôle est de vous aider, et je ne saurais trop vous conseiller de vous assurer les services d’un avocat.

— Que ferais-je d’un avocat! s’exclama-t-il, levant les mains dans un geste plein d’exaspération. Vous savez pertinemment que je suis l’oncle des enfants puisque c’est vous qui avez conduit les recherches.

— Bien sûr, monsieur Prescott, et vous avez la priorité sur quiconque désirerait les adopter. Cependant, en l’absence de tout vœu expressément exprimé par les patents, la décision revient à la justice. Si vous ne tenez pas à prendre un avocat, libre à vous.

Marcy regarda sa montre.— Il est vraiment très tard, reprit-elle. A demain donc. 10 h 30.Stephen Prescott haussa les épaules et répéta sans conviction :— A demain.Quand la porte se referma sur lui, Marcy se laissa aller contre le dossier de son

fauteuil. Elle avait éhontément menti en prétendant vouloir l’aider dans ses démarches pour obtenir la garde des enfants, car ses projets vis-à-vis de Ginger et de Davey excluaient leur oncle. La porte s’ouvrit et, levant les yeux, elle le vit qui revenait sur ses pas. — Je voulais vous demander... — Oui ? — Diane était-elle heureuse? — Très heureuse, affirma Marcy. Je n’ai jamais rencontré famille plus unie. Le beau visage de Stephen Prescott exprima un vif soulagement. — Merci, mademoiselle Wilson. Elle regarda la porte se refermer. Il se souciait réellement de Diane! Même s’il ne l’avait pas vue depuis dix ans. Sans doute se préoccupait-il également du sort des enfants? Mais serait-il pour autant capable de les élever correctement? « Il faut progresser d’un pas à la fois », se dit Marcy. Lors de l’entrevue du lendemain, elle étudierait aussi bien les réactions des enfants que celles de Stephen. Et elle agirait en toute honnêteté, s’efforçant de prendre la décision la meilleure pour leur bien à tous.

Ce soir-là, Marcy décida de dîner au Sutton. La cuisine n’était pas son fort, et elle se rendait généralement au restaurant une ou deux fois par semaine. En chemin, elle

Page 16: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

rencontra Gerald Sims. — Mon rayon de soleil ! s’écria-t-il en l’apercevant. Décidément, c’est mon jour de chance ! Que dirais-tu de partager un châteaubriand avec moi ? — Seulement si nous partageons aussi l’addition. Gerald ne roulait pas plus sur l’or qu’elle-même, et il avait de surcroît la charge d’un père mal portant. — Rien à redire à ça, ma chère. Je cours à la ruine ! En riant, ils pénétrèrent dans la vaste salle au haut plafond doté de poutres de chêne. Un âtre circulaire dispensait la chaleur et la gaieté d’un feu de bois.

Ma Sutton, la patronne, les accueillit cordialement. Comme Gerald échangeait des plaisanteries avec elle, Marcy jeta un regard dans la salle et fut toute surprise de découvrir Stephen Prescott attablé près d’une fenêtre.

— C’est l’oncle des petits Nelson, expliqua-t-elle à Gerald. Il arrive d’Amérique du Sud.

— Excellente initiative. Ça te rendra un peu plus disponible.Marcy ne releva pas. Elle dévisageait Stephen Prescott qui regardait par la fenêtre. Il

semblait si triste et si solitaire que Marcy fut assaillie par la culpabilité. A aucun moment, elle ne s’était mise à la place de cet homme blessé. Elle se rappela son anxiété lorsqu’il avait demandé : « Était-elle heureuse? »

Et, à présent, il se retrouvait avec la charge de deux petits enfants. Et bien qu’il n’y ait guère de place pour eux dans sa vie, pas un instant il n’avait reculé devant ses responsabilités.

— Si nous proposions à M. Prescott de se joindre à nous? suggéra-t-elle impulsivement à Gerald.

Quoiqu’un peu surpris, ce dernier accepta. En les voyant approcher de sa table, Stephen se leva. Marcy fit les présentations, et les deux hommes échangèrent une poignée de main.

— Voudriez-vous nous faire le plaisir de partager notre table? demanda-t-elle.Stephen regarda Gerald.— Je ne voudrais pas me montrer importun...— Pas du tout! assura Gerald. Et puis, ce n’est guère amusant de dîner seul.Bientôt, tous trois se trouvaient donc réunis autour de la même table. Au début, la

conversation demeura plutôt guindée. Gerald fit allusion au deuil de Stephen et lui présenta ses condoléances. Cependant, devant le chagrin qu'exprimaient les traits du frère de Diane, Marcy se hâta de changer de conversation.

— Nous avons découvert M. Prescott au Pérou, expliqua-t-elle.— Oh! s’exclama Gerald. Et qu’y faisiez-vous?— De la prospection pétrolière. Je visite ainsi les quatre coins du monde. La semaine

dernière, je me trouvais en Arabie Saoudite.Il parlait avec le naturel d’un homme accoutumé aux grands voyages. Pour sa part,

Page 17: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Marcy se demandait comment, dans ces conditions, il pourvoirait à l’éducation de deux jeunes enfants.

— Ce doit être une existence exaltante ! déclara Gerald.— Assez, répondit Prescott, adressant un sourire éblouissant à la serveuse qui

déposait devant lui une assiette de salade verte.« Idiote! se morigéna Marcy. Tu vois bien qu’il dispense ce sourire à n’importe qui! »

Mécontente d’elle-même, la jeune femme plongea le nez dans sa salade. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire, à qui Stephen souriait? Elle ferait mieux de s’intéresser à la conversation. Prescott expliquait que la Semco, une compagnie relativement récente, prospectait des régions où de plus grosses n’avaient pas encore osé se risquer.

— L’existence doit y être rude, souligna Gerald.— Eh bien, on y trouve peu d’hôtels de luxe, plaisanta Stephen.« Et encore moins d’écoles », ajouta Marcy pour elle-même.— Vous aimez cette existence? demanda-t-elle.— Beaucoup. J’aime la liberté, les grands espaces, et j’apprécie de ne pas me sentir

oppressé par la foule.— J’aurais du mal à supporter ça, fit Gerald. Moi, j’aime les lumières et l’agitation.— On a des compensations, dit Prescott. Le sentiment de communier avec la nature,

par exemple. Qui n’a jamais admiré la splendeur d’un astre pourpre glissant derrière les Andes n’a jamais vu de coucher de soleil... Il s’interrompit, confus de sa véhémence. — Enfin, bref, j’aime cette vie, serpents mis à part. — Des serpents ! s’exclama Marcy. — Oui. Pas plus tard que la semaine dernière, une vipère est tranquillement sortie de la botte que je m’apprêtais à enfiler. — Bon sang! Et quelle a été votre réaction? interrogea Gerald. — Je ne me suis pas vraiment montré à la hauteur! J’ai jeté la botte à travers la tente et me suis réfugié sur mon lit ! Gerald éclata de rire. — Ne vous gênez pas, allez! fit Prescott. Tout le monde rit de moi en découvrant que je suis mort de peur devant ces animaux ! — Et avec raison ! intervint Marcy. La morsure de certains peut être mortelle! Il n’allait tout de même pas emmener les enfants dans des contrées où sévissaient des serpents venimeux ? — En voyez-vous souvent? — Assez, oui. Mais c’est étrange... Stephen se pencha vers Marcy.

Page 18: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Savez-vous que certains collègues, qui sont dans le métier depuis vingt ans, n’en ont jamais aperçu? Et moi, l’en ai croisé neuf cette année! Le mois dernier, au Kenya, j’ai ramassé une brassée de branches pour le feu, et juste sur le dessus se trouvait une vipère. Inutile de vous dire que j’ai tout laissé tomber et que je me suis nilui à toutes jambes ! Je supporte les créatures à deux ou quatre pattes, mais je déteste les serpents. On ne peut pas leur faire confiance... Il hocha la tête. — ... C’est comme pour les femmes. Il avait marmonné les dernières paroles, si bien que Marcy douta avoir bien entendu. — Eh bien, reprit Stephen Prescott, se levant, il me semble que je vous ai assez ennuyés avec mes histoires. Je vous remercie de m’avoir invité à partager votre table; seulement, la journée a été longue, et il serait préférable que je me retire. Très heureux de vous avoir rencontré, monsieur Sims. A demain, mademoiselle Wilson.

— Bonsoir, murmura Marcy, submergée par un flot d’émotions contradictoires.Stephen Prescott l’attirait infiniment. De plus, rares étaient les hommes à avouer leurs

peurs. Mais pourquoi cette comparaison entre les femmes et les serpents? Ce n’était guère flatteur. A moins qu’elle n’ait tout simplement mal entendu...

— Il est plutôt sympathique, dit Gerald.A contrecœur, Marcy reporta son attention sur lui.— Hmm ? Oh ! oui, tu as raison.— Termine ton repas, lui conseilla-t-il. Tu n’as pas mangé la moitié du contenu de

ton assiette.— Je n’ai plus faim, avoua-t-elle.A la caisse, Ma Sutton leur apprit que le « charmant jeune homme » avait réglé la

totalité de l’addition.« C’est vrai, il est charmant », pensa Marcy. Cependant, elle ne devait pas perdre de

vue les intérêts de Ginger et de Davey. Pouvait-on raisonnablement leur demander de partager l’existence d’un célibataire toujours sur les routes et fréquentant les coins les plus dangereux de la planète?

Page 19: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

3

Le lendemain matin, Marcy se présenta dès 9 heures au cabinet du Dr Jackson. Il n’arriva malheureusement qu’à 9 h 30 et dut immédiatement repartir à cause d’un rendez-vous au tribunal. Marcy ne put donc pas lui expliquer que le caractère hostile et vindicatif de Jimmy dissimulait en l'ait le désarroi d’un enfant solitaire qui...

— Pour l’amour de Dieu, Marcy, ce médecin est psychiatre ! s’écria Jo quand Marcy la rejoignit un peu plus lard. Je suppose qu’il sait de quoi il parle! Tu ne peux aplanir toutes les difficultés de ces enfants, tu sais. Pour apprendre la vie, il est parfois nécessaire qu’un enfant trébuche en chemin. Quoi qu’il en soit, tu ferais mieux de le dépêcher: Stephen Prescott t’attend depuis une heure dans ton bureau.

— C’est idiot ! Je lui avais fixé rendez-vous à 10 h 30 à son hôtel.— Il s’est pourtant mis dans tous ses états quand je lui ai appris que tu étais

absente...Stephen Prescott arpentait nerveusement le bureau de Marcy. Il aurait donné cher pour

savoir où était passée cette Mlle Wilson, si pressée la veille de quitter son bureau pour retrouver son petit ami ! Il n’avait pas insisté, non. Il s’était seulement présenté plus tôt ce matin afin de régler au plus vite les détails de l’affaire. Il avait hâte de prendre les enfants et de quitter Aubum. Déjà qu’il avait dû reporter au lendemain son rendez-vous new-yorkais... S’il ne voulait pas se mettre en retard, il lui faudrait attraper le premier avion au départ de Sacramemo...

Mais où était-elle donc passée?Et cette chaleur invraisemblable ! Ils ignoraient donc jusqu’à l’air conditionné dans ce

patelin?D’un geste brusque, il ôta sa veste qu’il jeta sur le dossier d’une chaise et desserra son

nœud de cravate. Puis, les mains dans les poches, il étudia les dessins punaisés au mur. Les trois ours, une maison avec une cheminée d’où s’échappait de la fumée, une tache jaune qui devait représenter un chat. Des dessins d’enfants. Il songea à ses neveux, et une boule se forma dans sa gorge. A quoi ressemblaient-ils? Gribouillaient-ils de tels dessins?

Diane... Une muette prière monta du fond de son cœur. « Pardonne-moi, sœurette. Mme Mason t’aimait bien; je savais qu’elle s’occuperait de toi. Il fallait que je parte, tu comprends, il le fallait absolument. Je sais que tu n’as jamais compris, mais ce que j’ai fait, je l’ai fait aussi pour toi. Maintenant, je te promets que tes enfants ne manqueront jamais de rien. Ils seront heureux, Diane. Je te le promets. »

— Bonjour ! Vous admirez ma galerie de tableaux ?Stephen se tourna vers Marcy, et un sourire lui monta aux lèvres. Elle paraissait si

fraîche et sereine, éblouissante dans sa robe verte qui teintait ses grands yeux bleus de la

Page 20: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

même nuance. Sa chevelure, qui paraissait sculptée dans le cuivre, encadrait un visage piquant et creusé de fossettes.

Stephen se raidit. Il connaissait ce genre de femmes. Elle avait probablement passé des heures ce matin à se pomponner devant son miroir. Et maintenant qu’elle était enfin arrivée, elle s’amusait à lui faire perdre son temps en bavardages inutiles. — Ce sont les œuvres d’enfants dont les chemins ont croisé le mien, poursuivit Marcy. Elle s’interrompit en voyant le regard acéré qu’il posait sur elle. — Désolée de vous avoir fait attendre, dit-elle encore. Je pensais que vous aviez compris que j’étais occupée ce matin. — Écoutez, je suis pressé. J’aimerais pouvoir partir avec les enfants demain par le premier avion. — Impossible. — Pourquoi ? — Je vous l’ai déjà expliqué, répondit Marcy, s’efforçant de contenir son irritation. Votre affaire doit passer devant le tribunal. — Comme si j’avais le temps d’attendre! — Partez demain si vous voulez, vous n’emmènerez pas vos neveux. — Je ne vois pas qui pourrait m’en empêcher! rétorqua Stephen Prescott avec un regard si menaçant que Marcy tressaillit. Sa voix demeura pourtant ferme quand elle expliqua : — Je vous avais prévenu qu’il existait des formalités à remplir. Il leva les mains en signe d’exaspération. — Écoutez, je suis accouru dès que possible ! Vous n'allez pas maintenant me faire perdre mon temps. « Quel homme impossible ! » se disait Marcy. Comment avait-elle pu le trouver charmant? — Nous allons nous rendre chez les Jones ; je vous ai arrangé une entrevue avec vos neveux. — Je ne veux pas d’une entrevue ! Je veux les emmener. Marcy contint difficilement sa colère. — Il me semblait que nous avions décidé de leur laisser le temps de faire votre connaissance? — Vous avez décidé. Pourquoi tergiverser? Ils finiront bien par me connaître puisqu’ils doivent vivre avec moi. — Ce n’est pas si sûr, ne put s’empêcher de jeter Marcy. — Ce qui signifie?

Page 21: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Marcy prit une profonde inspiration. — Ce qui signifie que pour qu’on vous confie les enfants, il vous faut remplir certaines conditions. Vous devrez répondre à des questions et fournir des références. — Très bien. Mais sachez que je pars gagnant. — Disons que vous avez de bonnes chances de gagner. — Pas du tout ! Je suis leur seule famille, ça me donne , des droits sur eux, tout de même! — Je ne le nie pas. — Donnez-moi donc vos paperasses qu’on en finisse avec tout ça. — Vous pouvez toujours signer, vous n’obtiendrez pas aussi facilement l’autorisation de les emmener. — C’est ce que nous verrons. — C’est tout vu ! s’écria Marcy, tirant avec exaspération un dossier d’un tiroir et se retenant pour ne pas le lui jeter à la tête. — Si vous voulez bien remplir ceci... Stephen Prescott gratifia Marcy d’un regard aigu et sortit un stylo de sa poche de poitrine. Puis il s’installa sur un coin du bureau. Mains croisées, Marcy attendait. Quand il eut terminé, elle prit un formulaire. — Nom? — Pardon? — Il me faut votre identité complète. — Stephen Alan Prescott. — Age? — Trente-deux ans. — Profession? — Vice-président de la compagnie pétrolière Semco. Lorsque Marcy fut venue à bout du questionnaire, elle se renversa sur son siège. Durant un instant, ils se dévisagèrent puis il détourna abruptement le regard.

— Voici ma requête, dit-il, poussant le dossier vers Marcy.Elle s’en empara et le parcourut des yeux. A la rubrique : « motifs de la demande », il

avait inscrit : « Ils n’ont plus que moi sur terre. Je désire m’occuper d’eux. »— Êtes -vous satisfaite à présent? interrogea-t-il d’un ton dépourvu de douceur.— Oui, mais il me faut encore des références.— Voici toute une liste de personnes avec leurs numéros de téléphone. Alors, si vous

voulez bien les appeler, qu’on en finisse avec cette comédie.— Nous ne pouvons procéder sur simple coup de téléphone, monsieur Prescott. Nous

Page 22: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

allons expédier des questionnaires à ces personnes. Seuls ceux dûment remplis et signés pourront vous servir de recommandation.

Stephen se frappa le front du plat de la main.— Je n’y crois pas ! Vous allez écrire partout pour voir confirmer ce que je viens de

vous dire?— C’est le règlement, monsieur Prescott. Croyez bien que je ne fais que mon métier.— Le règlement ! Dites plutôt que vous n’avez aucune envie de me confier les

enfants !Il se leva si brusquement que sa chaise tomba avec fracas à terre. Marcy le considéra

avec un léger sentiment de malaise. Se pouvait-il qu’il lise dans ses pensées? Non, il était exact qu’elle éprouvait personnellement quelque réticence à confier Davey et Ginger à un homme plutôt emporté et qui semblait les considérer comme des paquets, mais, d’un autre côté, elle ne faisait qu’appliquer le règlement.

— Cette décision n’est pas de mon ressort, dit-elle sèchement.— Vous semblez pourtant drôlement concernée ! Dire que j’ai traversé tout un

continent pour qu’on me demande de remplir des paperasses !— J’en suis désolée, répliqua Marcy d’une voix toute professionnelle. Bien, voyons

ceci. Tout d’abord, je suis au regret de vous préciser qu’une boîte postale n’a jamais tenu lieu de domicile légal. — Eh bien, je loue une suite au Waldorf, cependant, je suis si rarement à New York que j’ai cru préférable de vous laisser un moyen plus sûr de me joindre. — Je vois. Ainsi donc, le Waldorf est votre résidence principale? Il acquiesça de la tête. — Combien de chambres comprend cette suite? — Qu’est-ce que ça peut vous faire? — Nous devons nous assurer que les enfants seront convenablement logés. Un de nos agents ira inspecter les lieux et décidera si nous pouvons ou non vous donner l’agrément. — C’est incroyable! Vraiment incroyable! Il paraissait si sincèrement offusqué que l’animosité de Marcy tomba d’un seul coup. Moins d’une semaine auparavant, il ignorait tout de ce genre de situation. — Ces précautions vous paraissent peut-être futiles, mais vous devez bien comprendre que, pour le bien des enfants, nous ne pouvons agir dans la précipitation. — Si je menais mes affaires de cette manière, jamais je ne m’en serais sorti ! dit-il, tapotant nerveusement du bout des doigts la surface du bureau. — La différence, c’est qu’il ne s’agit pas d’affaires mais de vies humaines ! Avez-vous seulement réfléchi au bouleversement que l’arrivée de vos neveux allait produire dans votre existence? — Épargnez-moi vos homélies. Je connais les enfants !

Page 23: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Avez-vous songé qu’ils ont besoin de stabilité, qu’ils doivent habiter près d’une école et... — Je veillerai à tout ceci. — Comment le pourriez-vous? Il la dévisagea, le visage fermé. — Ça, jeune dame, ce sont mes affaires! — Erreur, cher monsieur! Ce sont les miennes! Vous n’avez pas encore compris que nous ne plaçons pas d’enfants sans nous assurer que les mesures nécessaires pour leur garantir une existence équilibrée sont prises? — Pour quelle raison, à votre avis, suis-je ici ? — Qui prendra soin d’eux quand vous serez au Pérou ? — Vous imaginez-vous qu’il n’y aucun enfant dans ce pays? — Parce que vous comptez les emmener avec vous? — Je ne sais pas encore. — C’est pourtant le genre de détails que nous aimerions connaître, avant d’appuyer votre demande. — Je me demande bien ce que le Pérou vient faire là-dedans ! s’écria soudain Stephen en se levant. Il esquissa quelques pas avant de se tourner vers Marcy. — J’ignore quand j’aurai la possibilité de revenir, et voilà que vous refusez de me confier tout de suite les enfants. Ne pourrais-je en avoir la garde temporaire en attendant que vous démêliez vos histoires? — Non, dit avec force Marcy. Vous pouvez leur rendre visite tant que vous voudrez, mais pas les emmener. Et surtout pas en dehors de l’Etat. — J’aimerais m’entretenir avec votre supérieur. — Comme vous voudrez. Marcy décrocha le téléphone pour appeler Jo à la rescousse. En l’attendant, un silence pesant s’établit dans la pièce. Quand enfin, elle se présenta, Marcy fît pivoter son fauteuil vers la fenêtre, marquant ainsi sa volonté de s'abstraire de la conversation. — Je suis Mme Stanford. Vous vouliez me voir? Stephen se sentit tout à coup presque intimidé par cette femme très grande qui le considérait à travers les verres de ses lunettes. — Stephen Prescott, l’oncle des petits Nelson. J’étais en conversation avec Mlle Wilson...Il hésita. Marcy ne daignait toujours pas se tourner vers eux.— ... mais nous nous enlisons. Elle me traque dans mes retranchements, et je suppose

que je devrais lui en être reconnaissant...

Page 24: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Un nouveau coup d’œil vers le dos obtus de Marcy.— Je veux bien remplir tous les papiers imaginables, seulement il faut que je puisse

repartir demain avec les enfants. Je ne peux vraiment pas me permettre de prendre des vacances, vous comprenez?— Je comprends votre point de vue, monsieur Prescott. Asseyez-vous, je vous prie et

reprenons les choses calmement.Cette fois, ce fut Jo qui considéra le dos de Marcy, avant de revenir à son interlocuteur.— Mlle Wilson ne vous a-t-elle pas expliqué que nous devons respecter la procédure

normale?— Je lui ai communiqué toutes les adresses possibles et imaginables de relations. Il

suffirait d’un coup de téléphone pour s’assurer de ma bonne moralité, mais elle s’y refuse ! De toute façon, la seule référence qui compte, c’est que je sois leur oncle, non?— Par vraiment. Il est d’autres considérations que nous devons prendre en compte.Stephen s’agita sur sa chaise.— Je ne comprends pas, vraiment ! Je suis accouru au premier coup de téléphone; je

pensais que vous aviez décidé de me confier mes neveux.Avec une impatience non dissimulée, il écouta la directrice lui répéter les propos que

Marcy lui avait déjà tenus. Tout au long de ce petit discours, il demeura silencieux et buté. Enfin, il exhala un long soupir de frustration. — ... cela ne dépend pas de nous, disait Jo, mais de l’Etat de Californie. Il s’agit de

protection de l’enfance.Il se leva et repoussa brusquement sa chaise. — L’Etat de Californie, hein? Il doit bien exister un moyen de tourner la loi. Je vais

appeler mon avocat. D’ailleurs, je connais le gouverneur. Marcy fit pivoter son fauteuil et se leva, faisant tressaillir les deux autres. — Monsieur Prescott, commença-t-elle, j’ai toutes les raisons de croire que vous aimiez votre sœur et que vous êtes prêt à reporter cet amour sur ses enfants... — C’est vrai, répondit-il, fixant Marcy. — Il se trouve que je les aime aussi, monsieur Prescott. Énormément. La voix de Marcy se brisa, et il vit des larmes briller dans ses yeux. — Et pour rien au monde je ne supporterais de vous voir les traumatiser davantage! Abasourdi, Stephen s’écria : — Mais je n’ai jamais eu l’intention de... je voulais seulement... — Vous voulez emmener ces enfants Dieu sait où ! s’exclama Marcy. Les emmener ! Vous n’avez que ce mot à la bouche. Tout ce qui vous importe, c’est votre travail. Vous vous souciez bien de savoir comment s’opérera pour eux la transition ! — Mais je...

Page 25: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Avez-vous une idée de ce qu’ils ont enduré quand un policier est venu leur apprendre la mort de leurs parents? La pauvre Ginger ne comprenait même pas le sens de ces paroles ! Quand je suis arrivée, elle croyait encore qu’on l’emmènerait rejoindre sa mère. Des larmes jaillirent des yeux de Marcy. Stephen tira un mouchoir de sa poche et le lui tendit. Elle le refusa, préférant en prendre un dans la boîte qui se trouvait sur son bureau. — Bien sûr que je comprends. C’est pour ça que je suis venu aussi vite que possible. Marcy ne sembla pas l’entendre. — Et comment croyez-vous qu’ils ont réagi quand une femme inconnue s’est présentée pour les emmener chez elle? Et maintenant qu’ils commencent tant bien que mal à s’adapter, vous voudriez les déraciner de nouveau! Vous, qu’ils n’ont jamais vu de leur vie! Si vraiment vous tenez à eux, vous devriez réfléchir à tout ça! La voix de Marcy s’éteignit misérablement.

4

Stephen n’en revenait pas : cette fille était sur le point d’éclater en sanglots! Comme s’il n’était qu’un pervers s’apprêtant à enlever les enfants au lieu d’un oncle attentionné! Ne pouvait-elle pas comprendre qu’il était venu justement parce qu’ils avaient besoin de lui? — Écoutez, je... Il s’interrompit. Après tout, ça lui ferait du bien de pleurer. Elle luttait toutefois contre les larmes et tourna vers lui un regard noyé. — Je suis désolée. Je n’aurais pas dû vous parler ainsi. Je voudrais seulement faciliter les choses à Davey et Ginger. Je voudrais... Elle se détourna, et il devina un chagrin aussi réel et profond que le sien. L’idée de la prendre dans ses bras afin de la réconforter lui traversa l’esprit. — Le mieux pour vous, monsieur Prescott, serait de faire d’abord la connaissance des enfants, intervint Jo. La voix de la directrice prit Stephen au dépourvu. Il avait complètement oublié sa présence.

Page 26: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Oui, dit-il, je le suppose. — Nous apprécions votre venue, vous savez, et nous ferons de notre mieux pour accélérer les choses. Elle parlait vite, sans marquer de pause, et il comprit qu’elle voulait laisser à Marcy le temps de se ressaisir. — Maintenant... Elle ôta ses lunettes et sourit. — ... je sais que vous êtes impatient de rencontrer les enfants. Et puisque Mlle Wilson vous a arrangé une entrevue, vous pourriez vous mettre en route. — Bonne idée, dit-il. Mais il avait l’étrange impression que Marcy ne souhaitait plus lui faire rencontrer ses neveux. — Allons-y, dit-elle pourtant. Sans le regarder, elle prit son sac et se dirigea vers la porte. Après avoir rapidement remercié Jo, Stephen la suivit. Durant le trajet, Marcy demeura silencieuse, ne sortant de son mutisme que pour lui indiquer la direction. Il avait préféré prendre sa voiture plutôt que de devoir se sentir à l'étroit dans la Volkswagen de la jeune femme. Ses nerfs à vif n’y auraient pas résisté. Il jeta à Marcy un coup d’œil à la dérobée. Ses yeux étaient secs, mais elle demeurait sombre. Plus rien à voir avec la créature pimpante et pleine d’allant qui l’avait introduit dans son bureau ce matin. Il se prit à regretter sa gaieté. — Il ne faut pas vous ronger les sangs au sujet des enfants, mademoiselle Wilson, dit-il. Je prendrai bien soin d’eux. J’aimais Diane, vous savez... — Je sais, dit-elle d’un ton détaché. — Je ne suis sans doute pas le meilleur candidat à la paternité, mais j’ai de la bonne volonté. Elle ne répondit pas et son silence irrita Stephen. — Excusez-moi de vous avoir un peu bousculée, reprit-il. Je ne peux pas remettre mon rendez-vous new-yorkais. — Je comprends. Du diable si elle comprenait! Elle l’avait déjà catalogué : un homme d’affaires pressé et soucieux de caser les enfants entre deux rendez-vous. Pourtant, il avait déjà repoussé deux fois cette entrevue! Et il s’agissait d’une affaire importante qu’il ne pouvait se permettre de négliger plus longtemps.

— Puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement, je partirai demain pour New York et reviendrai dès que j’en aurai la possibilité.

Il se rendait compte qu’il lâchait du terrain, et cette constatation l’agaçait prodigieusement. Le moyen pourtant de faire autrement?

Page 27: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Je suis navrée de vous causer un tel dérangement.Croyant deviner le sarcasme, il lui jeta un rapide coup d’œil qui ne lui apprit rien car

elle s’obstinait à regarder au-dehors.Ils traversaient maintenant un lotissement de modestes pavillons, certains repeints à

neuf avec des pelouses soigneusement entretenues, d’autres présentant un aspect presque misérable.

— Pourquoi avoir choisi pareil environnement? demanda-t-il, remarquant deux carcasses de voitures devant un portail.

— J’ai surtout choisi les gens, répliqua-t-elle sans s’émouvoir. C’est ici, au bout de la rue.

Subitement, Stephen se sentit devenir nerveux. Il ne serait jamais qu’un étranger pour les enfants de Diane. A présent, il regrettait amèrement de ne pas s’être fait connaître d’eux plus tôt. Si seulement il était venu leur rendre visite quand Diane était de ce monde. Il aurait tellement aimé qu’à présent ils se réjouissent de sa venue.

— Vous pouvez vous garer, dit Marcy, indiquant une maison d’aspect engageant.Les stigmates de la pauvreté n’en demeuraient pas moins présents. A quoi s’attendait-il

donc? Les gens ne s'occupent des enfants des autres que parce qu’eux-mêmes sont dans le besoin. Qui mieux que lui pouvait le savoir? Fébrilement, il porta la main à son nœud de cravate et le desserra imperceptiblement tandis que le douloureux souvenir refaisait surface.

Il avait huit ans à l’époque. Leur père n’ayant pu engager une personne de confiance pour venir vivre avec eux, on les avait confiés aux Cookson. Maintenant encore, Stephen entendait résonner à ses oreilles la voix criarde de Mme Cookson, et il croyait sentir sa poigne d’acier se refermer sur son épaule tandis qu’elle se penchait sur lui et le dévisageait durement.

— Ne t’avise surtout pas de raconter à M. Cookson que ton père est venu aujourd’hui, tu m’entends?

C’étaient les jours où leur père apportait l’argent de la pension. Chez les Cookson, l’argent était un perpétuel sujet de disputes. Stephen en avait par-dessus la tête de vivre dans cette ambiance; il songeait à prendre Diane par la main et à s’enfuir jusqu’à ce que cessent ces sordides criailleries. Us ne se préoccupaient jamais de Diane ou de lui ; ils ne se rappelaient leur existence que lorsque leur père leur laissait de l’argent pour s’acheter une paire de tennis neuves ou tout autre objet de leur choix...

— Bonjour, mademoiselle Wilson !Une femme à l’expression tourmentée se tenait sur le seuil de la maison, un bébé dans

les bras. Stephen regarda avidement derrière elle, mais il n’y avait pas trace d’autres enfants.

— Bonjour, madame Jones. Comment va ma petite Tina? s’enquit Marcy, caressant la joue du bébé. Souffre-t-elle encore des dents ?

— Ça va mieux depuis que je me suis procuré ce gel dentaire.Tout en parlant, Mme Jones jeta un regard de biais en direction de Stephen.

Page 28: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Madame Jones, je vous présente Stephen Prescott, l’oncle de Ginger et de Davey, dit Marcy.

Mme Jones tendit une main usée par les travaux ménagers.— Oh ! les pauvres chéris. Je suis bien contente que vous soyez venu.— Merci, répliqua Stephen. Ça fait plaisir de constater que ma présence réjouit au

moins quelqu’un, ajouta-t-il, évitant le regard de Marcy.Légèrement déconcertée par sa réaction, Mme Jones les invita à s’asseoir.— Je vais chercher les enfants, dit-elle.— Ne soyez pas ridicule! s’écria Marcy quand la brave femme eut tourné les talons.

Naturellement que je suis contente que vous soyez là! C’est juste que je vous préférerais plus... plus...

— Plus sensible?— Oui. Enfin, non. Je ne sais pas.— Vous ne m’appréciez guère, constata Stephen.A cet instant, une toute petite fille fit irruption dans la pièce et courut se jeter si vite

dans les bras de Marcy que Stephen n’entraperçut qu’un nuage de boucles blondes et une salopette rouge souillée de terre. Il regarda la fillette se blottir contre l’épaule de Marcy et frissonna d’appréhension. Elle semblait si petite, si fragile. Traînant les pieds, le garçon arriva peu après et s’assit sur une chaise faisant face au groupe. Il tenait un bateau dans ses mains serrées, comme s’il puisait dans ce contact un réconfort. Son regard circonspect alla de Marcy à Stephen.

Une sourde douleur traversa ce dernier. C’était le fils de Diane, sans l’ombre d’un doute. Il reconnaissait la chevelure sombre et les yeux noirs, le dessin de la bouche et le regard pénétrant. Jusque dans le jean qui glissait sur ses hanches et le lacet défait de l’une de ses chaussures, il retrouvait sa sœur.

— Marcy, fit Ginger d’une voix plaintive, Davey et Troy veulent pas que je joue avec eux.

— Elle ne peut pas grimper dans notre cabane dans l'arbre, se défendit Davey. Elle est trop petite.

— Je suis pas trop petite ! s’exclama Ginger.Comme elle repoussait en arrière ses boucles, Stephen put constater qu’elle était très

jolie, quoique sans ressemblance avec Diane. — Je t’ai dit que nous allions fabriquer des marches, Ginger! Après, tu pourras venir avec nous. D’accord? — D’accord, fit du bout des lèvres la petite. Elle se tourna vers Marcy. — T’as apporté Lili Ann? — Et mon camion ? renchérit Davey. Troy et moi, on a creusé un tunnel et...

Page 29: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Une minute ! dit Marcy. Je vous ai déjà expliqué que je ne pouvais pas entrer dans la maison. Mais Stephen le peut, lui. Stephen est votre oncle, vous vous souvenez? Je vous ai annoncé sa visite. Les deux enfants tournèrent leur regard vers lui ; celui de Ginger scrutateur, celui de Davey toujours méfiant. « Je dois me montrer prudent », pensa Stephen, prenant le parti de rester immobile sur sa chaise. — Bonjour! dit-il, et il sourit. Marcy avait oublié que son sourire pouvait être empreint d’un tel naturel et d’une telle chaleur. D’une telle vulnérabilité aussi. A travers son sourire transparaissait son anxiété, et elle espéra que les enfants seraient aussi touchés qu’elle-même de le voir dans cet état. — C’est quoi, un oncle? s’enquit Ginger. — C’est le frère de ta maman. — Je vous aime énormément et je voudrais que vous veniez vivre avec moi, dit Stephen, se laissant lentement glisser de son siège pour s’accroupir près de Ginger. — Ça te plairait de venir chez moi ? — Je verrai maman? Surprenant le regard de pure panique que lui jetait Stephen, Marcy décida de répondre à sa place. — Non, chérie. C’est impossible. Ça n’empêche pas que Stephen t’aime beaucoup, comme t’aimaient maman et papa. Il remercia Marcy d’un sourire, avant de se tourner vers Ginger. — Nous... nous pourrions faire plein de choses tous les trois, reprit-il, cherchant à inclure Davey dans leurs projets. Nous nous amuserions bien. — Est-ce que je pourrai avoir un poney? demanda abruptement Ginger. Je suis montée une fois au pas et j’ai pas eu peur! Hein, Marcy? — En effet, approuva la jeune femme. — Tu vois bien ! Moi, j’adore les poneys. — Je m’en souviendrai, dit Stephen en riant. Davey sauta à bas de sa chaise et approcha de son oncle. — As-tu des chevaux chez toi ? — Euh, non... mais... — Alors, j’irai pas. Je crois qu’on ferait mieux de rester ici, Ginger. Marcy regarda Stephen. Il paraissait consterné. — Mais je suis votre oncle! Et je veux... Marcy lui toucha légèrement le bras. — Réfléchissez à la proposition de votre oncle, les enfants. Nous en reparlerons plus tard. Dites-lui au revoir, maintenant.

Page 30: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Est-ce que nous pouvons aller chez toi, Marcy? demanda Ginger. — Pas maintenant, chérie. Peut-être ce week-end. Allons, viens me donner un gros baiser. La petite fille noua ses bras autour du cou de Marcy et l’embrassa avec chaleur. Puis elle se détourna afin d'accorder la même faveur à Stephen. Cependant, surpris par la violence de l’attaque, celui-ci tomba en arrière, ce qui fit beaucoup rire la petite fille. — Tu ferais bien de prévenir quand tu te jettes sur les gens ! fit-il, se relevant en riant à son tour. Les adieux de Davey furent beaucoup plus réservés. Tenant toujours maladroitement son bateau, il offrit sa joue au baiser de Marcy puis tendit cérémonieusement la main à Stephen. Marcy, qui voulait parler à Troy, suivit les enfants jusqu’à leur chambre. Pensif, Stephen les regarda s’éloigner. Jusqu’à présent, il désignait ses neveux sous le nom générique « les enfants ». Or, il s’apercevait qu’au lieu de former une entité, ils étaient, tout au contraire, deux individus bien distincts. Ginger ouverte, exubérante, Davey posé et secret. « On ferait mieux de rester ici, Ginger », avait dit le petit garçon. A ce souvenir, un vent de panique souffla sur Stephen. Qu’adviendrait-il s’ils refusaient de venir avec lui ? La voix de Marcy rompit le cours de ses pensées. — Je suis prête ! annonça-t-elle. — Merci de votre visite, monsieur Prescott, dit Mme Jones, le bébé toujours sur les bras. J’espère que vous reviendrez nous voir bientôt. — Naturellement, répondit Stephen. Ils se dirigeaient vers la voiture quand Ginger parut sur le seuil. — N’oublie pas Lili Ann ! cria-t-elle à Marcy. — Je n’oublierai pas. — Qui est Lili Ann? demanda Stephen comme ils s’installaient dans la voiture. — La poupée que Ginger a reçu à Noël dernier. Nous n’avons pu sortir aucun objet de l’appartement. Irez-vous cet après-midi? — Oui, je dois passer prendre les clés chez le shérif Olsey. L’idée d’accompagner Stephen pour lui soutenir le moral effleura Marcy, mais songeant à l’appartement abandonné, elle renonça. — Dans ce cas, si vous pouviez me rapporter cette poupée. Elle la lui décrivit, ainsi que le camion de Davey. — Très bien, je les chercherai, répondit-il, l’esprit manifestement ailleurs. — Mademoiselle Wilson, dit-il soudain, les enfants ont-ils un pouvoir de décision? Je veux dire : peuvent-ils refuser de vivre avec moi?

— Oh ! je vois. Eh bien, ils n’ont pas leur mot à dire. Jusqu’à l’âge de cinq ans, tout

Page 31: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

au moins, nous estimons qu’ils ne sont pas capables de prendre une décision qui engage leur avenir à long terme.

— Tant mieux ! Elle rit.

— Craignez-vous de ne pouvoir concurrencer la maison Jones? Vous n’avez peut-être pas d’arbre dans votre suite?

— Non. Et pas de poney non plus, répondit-il tristement. J’ai l’impression que pour Ginger, les décrets de son frère sont parole d’évangile...

— Voyons, vous les avez si peu vus. Laissez-leur le temps de s’habituer à vous. J’avais pensé que nous pourrions les emmener déjeuner quelque part, mais il était trop tard.

— Je me suis montré odieux ce matin, n’est-ce pas ?— Plutôt.Stephen se tourna vivement vers Marcy pour s’apercevoir qu’elle souriait.— A cause de moi, vous n’avez pas déjeuné.— Ça peut s’arranger. Il y a un self près du Bureau, le service y est rapide.

Tout en patientant dans la file d’attente, Marcy se demandait pourquoi elle se sentait si bien avec Stephen. Le matin même, elle l’aurait volontiers battu, mais à présent, elle le trouvait extrêmement sympathique. Peut-être à cause de sa réaction vis-à-vis des enfants? Il semblait réellement tenir à eux et se torturait à l’idée que son amour ne soit pas payé de retour.

— Je suis désolé de m’être aussi mal comporté, dit-il en s’asseyant en face d’elle quand ils eurent obtenu leurs plateaux. Vous comprenez, il y a eu malentendu. En accourant, je me figurais trouver des enfants effondrés, et je m’aperçois qu’ils sont en pleine forme.

— Les enfants ont une manière bien à eux de surmonter les difficultés. Ils réagissent presque toujours mieux que les adultes.

— C’est ce que je constate. Ils paraissent presque... heureux.— Il faut remercier Sarah Jones pour ça. Elle a l’art de mettre ses pensionnaires à

l’aise et sait les réconforter. C’est pourquoi nous faisons appel à ses services en cas d’urgence.

— En cas d’urgence?— Oui. Lorsque, par exemple, un enfant doit être ôté à son foyer dans des

circonstances généralement dramatiques.Sous le regard aigu de Stephen, Marcy avala une gorgée de Coca-Cola et mordit dans

son sandwich.

Page 32: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Vous vous sentez très concernée par le sort de vos protégés, fit-il remarquer.— C’est mon métier, répliqua-t-elle, légèrement embarrassée.— Le bébé est-il celui de Mme Jones?Du bout de sa paille, Marcy jouait avec le glaçon de son verre. Elle ne pouvait évoquer

sans malaise le jour où on leur avait amené Tina avec ses yeux terrorisés, trop grands pour son fin visage, son ventre ballonné et ses membres marqués de traces de coups. Heureusement pour elle, un voisin avait alerté les services de protection de l’enfance. Et à présent, les parents ayant signé les papiers indiquant leur volonté de se décharger de l’enfant, elle était adoptable. Bientôt, certainement, elle sortirait du système.

— Le système? Vous avez déjà utilisé cette expression tout à l’heure. Qu’est-ce que ça signifie?

— Le système des familles d’accueil.— Hmm. Si vous sélectionnez aussi soigneusement les parents nourriciers que les

oncles tuteurs, les enfants ne risquent pas grand-chose !Marcy le dévisagea, essayant de déterminer s’il plaisantait, mais son expression était

indéchiffrable. — C’est notre but, dit-elle mais, bien sûr, les choses ne sont pas toujours aussi simples.

Il y avait en effet tant d’enfants misérables et si peu de bons foyers prêts à les accueillir. Si on lui avait laissé les coudées franches, que de réformes n’aurait-elle pas introduites! Cependant, elle n’avait pas envie de discuter ce point avec Stephen. D’ailleurs, il était presque 2 heures. Elle se levait pour prendre congé quand il lui saisit avidement le poignet.

— Croyez-vous que je puisse avoir des ennuis? demanda-t-il d’un ton passionné. Se pourrait-il qu’on m’empêche de prendre mes petits?

Ses petits. Il pensait déjà à eux comme dépendant de lui. Marcy s’en félicita. Allons, il était temps d’être honnête avec lui. Davey et Ginger n’entreraient pas dans le système, pas tant qu’ils auraient un oncle possédant à la fois les moyens de les élever et la volonté de le faire.

— Vous ne rencontrerez pas de réels problèmes, répondit-elle, baissant les yeux vers la main de Stephen qui emprisonnait toujours la sienne. Seulement je pense qu’il serait préférable dans votre situation de réfléchir au problème, de manière que, lorsque vous vous retrouverez devant le juge, ses questions ne vous prennent pas au dépourvu.

— Très bien, je suivrai votre conseil.Il hésita avant d’ajouter :— Merci, et veuillez accepter mes excuses pour ce matin.— C’est déjà fait.Il sourit, accentuant sa pression sur la main de Marcy.— Alors, amis?

Page 33: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Amis.

Avant d’obtenir les clés de l’appartement de sa sœur, Stephen dut appeler son avocat new-yorkais qui prit lui-même contact avec un avocat de la région. Ensuite, il se rendit au tribunal où on le déclara officiellement administrateur temporaire des biens de Diane, la décision définitive restant suspendue à une enquête. Après quoi, le shérif Olsey lui remit les clés.

Grâce aux indications de ce dernier, Stephen trouva sans difficulté l’ensemble Woodside. Ce qui le frappa tout d’abord, ce fut la beauté de l’environnement. Le silence n’était troublé que par le chant des oiseaux et le crissement de ses chaussures sur les gravillons de l’allée. Curieux, d’ailleurs, ce silence; Stephen devait reconnaître que l’agencement des bâtiments était particulièrement bien étudié. En tout cas, l’impression de se trouver immergé en pleine nature était très agréable. Il se rappela les lettres de Diane. « L’endroit est tranquille et paisible. Excellent pour les enfants. »

Il gravit les cinq marches menant à la passerelle de bois qui desservait les appartements et chercha le numéro 212. L’ayant trouvé, le cœur battant, il tourna la clé dans la serrure et poussa la porte. Il se trouvait dans une salle de séjour vaste et lumineuse. Installé sur un confortable canapé, un ours en peluche fixait sur les choses son regard de verre. Un magazine était resté ouvert sur la table basse et, dans un vase, des roses fanées achevaient de s’effeuiller. Il imagina Diane arrangeant le bouquet tout en fredonnant gaiement selon son habitude, totalement ignorante du terrible destin qui l’attendait...

Le silence lui pesait. Il fit un pas, mais l’épais tapis amortit le bruit. Son pied heurta toutefois un objet. Il s’agissait d’un train couché sur le flanc qu’il ramassa et déposa avec précaution sur la table.

Par les portes coulissantes de la baie vitrée, on accédait à une véranda sous laquelle se trouvaient disposés des meubles d’extérieur. Avec un curieux sentiment d’irréalité, Stephen poursuivit sa visite. Avec ses quatre pièces, l’appartement était spacieux. L’une des plus petites avait été convertie en bureau pour David. Des étagères pleines de livres tapissaient les murs. Près de la table de travail, une pile d’ouvrages tous signés David Nelson. On ne pouvait nier que l’homme soit prolifique, et talentueux aussi. Diane et les enfants avaient vécu dans l’aisance, ce dont Stephen se réjouit profondément.

Sur le bureau, se trouvait une machine à écrire dans laquelle était engagée une feuille de papier à moitié tapée; à côté, une tasse de café vide et une photo de Diane. Stephen la prit et la contempla longuement, avant de la reposer avec un tendre respect. En sortant, il prit garde d’enjamber un puzzle de Donald. Il imagina l’un des enfants jouant sur le tapis pendant que son père tapait à la machine.

« Merci, David. Je ne te connaîtrai jamais, mais je l'estime parce que je vois que tu as rendu Diane et les enfants heureux. Votre appartement respire la sérénité et la joie de vivre... »

Soudain, il se rappela qu’il avait pour mission de rapporter une poupée nommée Lili

Page 34: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Ann. Il fouilla alors ce qui était manifestement la chambre de Ginger, inutilement. Dans le coffre à jouets, sur les étagères et sous le lit, il découvrit des tas de poupées, mais aucune dont le signalement ressemblât à celui de Lili Ann.

Il s’attarda dans la chambre des parents qui lui semblait avoir conservé un peu de l’âme de Diane. Dans l’air flottait son parfum, un déshabillé rose gisait sur le lit défait, et il buta sur une mule abandonnée au milieu du passage. La vue de cette chaussure fit remonter en lui le souvenir depuis longtemps exorcisé de sa mère riant aux éclats tout en expédiant à travers sa chambre des chaussures qu’elle ne parvenait pas à assortir. Elle attendait un « oncle ». Il y avait eu beaucoup d’« oncles » dans leur vie.

« Stevie chéri, tu voudras bien aider Mary à s’occuper de ta petite sœur? Je ne serai pas longtemps absente. Allons, viens me donner un gros baiser! »

Et il étreignait passionnément sa mère, humant son parfum, puis il comptait les minutes jusqu’à son retour. Et elle revenait, souriante et gaie, toute prête à partager avec eux des jeux idiots ou à chanter d’absurdes chansons. Elle n’avait pas besoin de demander à Stephen de cacher l’existence des «oncles» à son père; jamais il n’aurait eu l’idée d’en parler. Pas même quand elle s’était enfuie avec l’un d’eux.

Il n’avait pas protesté quand leur père leur avait expliqué qu’elle était morte; pourtant, tout au fond de lui-même, il savait que c’était faux. Longtemps, il avait espéré son retour, mais en vain.

Et aujourd’hui, la chambre de Diane avec son aimable désordre, lui rappelait sa mère disparue. Il voulut palper le vaporeux déshabillé, et en le soulevant, il découvrit Lili Ann.

Il imaginait sans peine cette dernière matinée. Ginger, traînant sa poupée derrière elle, qui rejoignait sa mère dans son lit, ainsi qu’il le faisait enfant. Diane avait serré sa fille contre elle. Et dans cette atmosphère de chaude tendresse, l’enfant s’épanouissait. Sans doute croyait-elle que ce bonheur durerait éternellement. Qui pourrait imaginer qu’un jour nous quitteront ceux qu’on aime?

La mère de Ginger n’avait pas eu le choix; celle de Stephen, si. Et cette idée douloureuse le hantait depuis qu’elle était partie.

Et soudain, il n’y put plus tenir et s’effondra en larmes sur le lit. De gros sanglots le secouaient. Et il ne savait plus s’il pleurait la perte de Diane ou celle de sa propre mère.

Page 35: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

5

Son dernier relevé de compte lui ayant appris que si elle voulait manger jusqu’à sa prochaine paye, elle ferait bien d’éviter le Sutton, Marcy s’arrêta au supermarché sur le chemin du retour. Tout en poussant son Caddie au milieu des piles de légumes, elle se demandait où pouvait bien être passé son argent.

Il y avait eu l’achat de chaussures dont elle n’avait pas vraiment besoin, mais auxquelles elle n’avait pas pu résister, deux ou trois communications longue distance. Quoi encore? Les entrées pour le cirque, mais ça ne représentait pas une grosse somme. Ah, et puis l’acquisition de la calculatrice de poche qu’elle comptait offrir à Jimmy Braxton pour son anniversaire. Il mourait d’envie »l'en posséder une, et elle savait le budget des Emory trop serré pour qu’ils en envisagent l’achat.

« Marcy Wilson, si tu veux survivre dans ce métier, il le faut impérativement dresser une barrière entre vie professionnelle et vie privée! répétait la voix de Jo aux oreilles de Marcy. Tu dois, en sortant du bureau, oublier ces enfants et leurs problèmes et penser à quelque chose de plaisant pour changer. »

Quelque chose de plaisant? Le souvenir de Stephen Precscott s’imposa à Marcy. Oui, elle l’appréciait vraiment. Qui eût cru ce matin à 10 heures qu’elle pourrait proférer pareille opinion? Cependant, de l’avoir vu si maladroit avec les enfants, si peu sûr de lui et si anxieux de leur plaire, lui était allé droit au cœur.

L’anxiété, voilà ce qui l'avait rendu si désagréable ce matin. Et que racontait-elle à son sujet avant même de le connaître? «Stephen Prescott ne supporte pas les contraintes. » Eh bien, c’était faux. Et ce n’était pas uniquement le sens du devoir qui le poussait à s’occuper de ses neveux; il désirait vraiment les élever, même s’il n’avait pas la moindre idée de ce que représentait un tel engagement.

Si Marcy ne s’était pas fait autant de souci pour les enfants, la situation aurait été presque risible. Cependant, Davey paraissait tellement inquiet, et Ginger croyait avec une telle ferveur au retour de sa mère... Et ils allaient se trouver transplantés dans un nouvel environnement et contraints de vivre avec un oncle qui ne connaissait rien aux enfants.

Si seulement elle avait pu les adopter. Ou bien Jennifer. Malheureusement, cette dernière semblait traverser une bien mauvaise passe. « Il faut que nous parlions », décida brusquement Marcy. Elle rendrait visite à sa sœur le dimanche suivant, et emmènerait Davey et Ginger avec elle.

Elle avait déposé ses sacs de provisions par terre devant sa porte et cherchait ses clés quand elle vit Stephen Prescott sortir de l’appartement voisin.

— Bonjour, dit-elle.

Page 36: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Il ne parut pas l’entendre.— Bonjour! répéta-t-elle, plus fort.— Oh! bonjour...Comme il paraissait triste, désemparé. Marcy aurait voulu pouvoir le réconforter,

cependant, il passa devant elle sans s’arrêter. Impulsivement, elle le saisit par la manche de sa chemise.

— Ne voudriez-vous pas m’aider à rentrer mes provisions? demanda-t-elle. Sans attendre de réponse, elle lui tendit un sac. — J’ai déjà eu toutes les peines du monde à les apporter jusqu’ici ! Entrez, invita-t-elle, s’effaçant pour le laisser passer. Comme il ne bougeait pas, elle réitéra son invitation. Il parut alors se ressaisir et, comme un automate, pénétra dans l’appartement. Il était blême; assurément, il avait un problème. Elle lui prit le sac des mains et le fit asseoir. — Vous semblez fatigué. Il ne répondit pas. Un peu inquiète, elle se rendit à la cuisine et chercha dans les placards ce qu’elle pourrait lui offrir à boire. Il restait du cognac que Tom avait apporté quelques semaines plus tôt et qui ferait parfaitement l'affaire. Elle en remplit un verre qu’elle lui apporta. — Oh! merci, bredouilla-t-il, comme sortant d’un rêve. — Détendez-vous pendant que je range les courses, conseilla-t-elle. Tout en s’affairant, elle lui jetait de fréquents coups d'œil. Son attitude avait de quoi inquiéter: il demeurait assis, parfaitement immobile. De temps en temps, machinalement, il avalait une gorgée de cognac. U paraissait en état de choc et, s’il voulait se rendre à Sacramento ce soir, il lui faudrait d’abord se reprendre. Marcy s’approcha. — Que diriez-vous de partager mon dîner? Il ne répondit pas; exactement comme s’il ne l’avait pus entendue. Elle regagna la cuisine, puis commença à déballer les côtelettes d’agneau qu’elle avait achetées. Elle les mit à cuire sous le grill avec des herbes puis lava les pommes de terre qu’elle glissa dans le micro-ondes.

La sonnerie stridente du four fit sursauter Stephen. Où se trouvait-il ? Étonné, il regarda autour de lui et aperçut Marcy qui s’affairait dans la cuisine. Alors, peu à peu, il reprit contact avec la réalité. Depuis combien de temps était-il assis dans ce fauteuil ? Il considéra son verre vide. Oui, Marcy lui avait apporté du cognac, il s’en souvenait à présent. Et il se rappelait aussi ce qui l’avait placé dans cet état de stupeur...

Page 37: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Allons, il n’allait pas rester assis, prostré, à ressasser de mauvais souvenirs. Il était temps de prendre congé. Il se leva et se dirigea vers la cuisine.

Machinalement, il nota que la jeune femme avait échangé son tailleur contre un jean et une chemise et que, dans cette tenue, elle avait l’air d’une adolescente.

— Merci, dit-il, tendant à Marcy son verre vide. Je vous ferai signe dès mon retour.— Vous n’allez pas partir comme ça ! se récria Marcy. Le dîner est prêt.— Vous... m’invitez?Hochant la tête, elle versa du thé glacé dans deux verres.— Je vous ai invité et vous avez accepté! Tenez, rendez-vous utile.Elle lui tendit sets et serviettes de table qu’il contempla sans esquisser un geste.— Mais je... je ne peux pas rester. J’ai un avion à prendre.— Vous avez tout votre temps, voyons; il ne décolle pas avant demain matin. Où est

le problème?— Il n’y en a pas, finit par répondre Stephen.Il lui prit les sets des mains et les installa sur la table. Qu’est-ce qui le gênait? Était-ce

cette atmosphère d’intimité que Marcy avait l’art de créer autour d’elle? Il tenait à son indépendance, c’était peut-être là le problème. Car s’il avait déjà été proche de certaines femmes, il ne leur avait jamais permis de devenir intimes. Or, quelque chose chez cette femme l’émouvait et...

— Le dîner est prêt ! annonça-t-elle. Otez donc votre veste et votre cravate et installez-vous confortablement.

Il obéit, mais elle sentit qu’il restait sur ses gardes. « Je mus de votre côté ! » eut-elle envie de lui crier sans oser toutefois le faire.

Durant le repas, elle tenta de le distraire par des propos légers sur le temps, le dernier roman qu’elle avait lu, une pièce jouée la semaine précédente. Cependant, il ne répondait que par monosyllabes, et elle se rendait bien compte qu’il l’écoutait à peine. Découragée, elle cherchait un nouveau sujet de conversation, quand il dit, se rappelant ses bonnes manières :

— C’est très aimable à vous de m’avoir invité à dîner, mademoiselle Wilson. Le repas est excellent.

— Marcy, s’il vous plaît. Nous ne sommes plus au bureau.— Hmm. Eh bien, Marcy, savez-vous que j’ai pris tous mes repas en votre

compagnie depuis mon arrivée? Je ne puis m’empêcher de penser que je représente une charge pour vous. — Mais pas du tout ! s’écria Marcy, heureuse de voir naître l’ombre d’un sourire sur les lèvres de Stephen.

Soudain, pourtant, elle se rembrunit.— Cela signifie-t-il que vous n’avez pas déjeuné ce matin? Pas étonnant que vous

soyez d’aussi mauvaise humeur.

Page 38: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— C’est-à-dire que j’étais un peu... pressé, et...— Oui, vous étiez pressé de prendre les enfants et de quitter Aubum ! plaisanta-t-

elle. — Eh bien, oui. Je ne me figurais pas que ce serait si i compliqué. — Ce n’est pas compliqué. Tout ce que vous avez à faire, c’est...

— ... de chercher un lieu où les installer et une personne pour prendre soin d’eux, coupa-t-il un peu abruptement. Ça ne me paraît pas une tâche si aisée. Dans ma suite new-yorkaise, ils deviendraient vite claustrophobes, et puis ça prendra du temps pour trouver une gouvernante sérieuse et de bonnes écoles. J’ai bien une amie à qui je pourrais demander conseil, mais guère plus.

Bien sûr, il avait une « amie ». Marcy se demanda pourquoi cette pensée la déprimait tellement.

— Elle sera probablement heureuse de vous venir en aide. Sinon, à quoi serviraient les amis?

— Je ne sais pas... En réalité, c’est Brick, son mari, qui est mon ami et associé. C’est le président de la Semco. Et il m’a dernièrement appris qu’il venait de se séparer de Stell et qu’il avait déménagé.

Stephen fit la grimace en corrigeant :— Ou plutôt emménagé. Il s’est installé chez moi.— Je vois, fit Marcy, ridiculement soulagée.Si Brick savait pouvoir s’imposer chez son ami, c’est bien que personne n’y vivait,

n’est-ce pas?Et alors? «Un peu de détachement, que diable, Marcy ! » Cet homme ne devait pas

prendre trop d’importance dans sa vie. D’ici à quelques semaines, il ne serait plus qu’un souvenir.

— Ne vous tracassez pas inutilement, dit-elle. Et prenez votre temps pour réfléchir aux arrangements nécessaires. Non, laissez..., ajouta-t-elle comme il s’apprêtait à débarrasser. Je rangerai plus tard. Allez vous installer dans la salle de séjour. Je prépare le café et je vous rejoins.

Ce fut avec un véritable soulagement que Marcy échappa au regard de Stephen. Du moins, crut-elle y échapper, car il ne pouvait s’empêcher de tourner sans cesse la tête dans sa direction. Une chose le fascinait chez Marcy : sa tranquille assurance. Quoi qu’elle fasse, elle semblait toujours en accord avec elle-même. Le jean et la chemise lui allaient tout aussi bien que sa tenue sophistiquée du matin, et il se persuada qu’elle ne serait pas moins détendue accroupie auprès d’un feu de bois au plus profond d’une forêt péruvienne qu’elle ne l’était dans sa paisible cuisine.

Quand Marcy rejoignit Stephen, il paraissait profondément absorbé dans la contemplation d’un tableau représentant... à vrai dire, il se sentait dans l’incapacité de déterminer s’il s’agissait d’un homme chevauchant une bicyclette renversée, d’un cheval gisant sur le dos ou d’un chevalier en armure tombé de sa monture.

Page 39: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Un autre don de vos protégés? demanda-t-il. Marcy déposa son plateau sur la table basse et lui sourit. — Je vais vous surprendre, cher monsieur, mais ce que vous regardez là est un dessin original de Picasso. — De Picasso? répéta Stephen, la dévisageant avec un étonnement amusé. Puis, se retournant vers le tableau, il prit une pose moqueusement admirative. — Il me paraît tout à coup excellent! L’éclat de rire de Marcy lui réchauffa le cœur. Tout en buvant le café, elle lui expliqua que ces tableaux provenaient de son héritage. A la mort de son père, sa mère avait vendu la maison et partagé les objets de valeur entre ses trois enfants : Bill, officier dans l’U.S. Air Force stationné avec sa famille au Japon, Jennifer qui habitait Shingle Springs avec son mari, et elle-même; depuis, sa mère vivait dans une maison de retraite à Phoenix, d’où la famille était originaire. — Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça, conclut brusquement Marcy. Stephen savait, lui. Par son attitude, il avait poussé Marcy aux confidences. Sa sérénité l’intriguait, mais à présent, il comprenait qu’elle tirait son inébranlable confiance en elle d’une enfance protégée passée dans un foyer aisé et heureux, toutes choses qu’il n’avait pas connues et qu’il voulait offrir à Ginger et à Davey. Il se leva soudain. — Il faut que j’obtienne la garde des enfants ! Et le plus tôt possible ! — Que vous arrive-t-il? s’exclama Marcy. Il me semblait que nous étions d’accord. Stephen plongea les mains dans ses poches, faisant tinter des pièces de monnaie. — Vous ne comprenez pas? Ils ne savent rien de moi, et plus longtemps ils resteront chez les Jones, plus ce sera délicat pour moi de les apprivoiser. Marcy hocha la tête. — Je comprends. Cependant, ne voyez-vous pas qu’une bonne préparation rendra la transition plus facile à supporter? Qu'elle aille au diable avec son jargon bureaucratique! se dit Stephen, rempli d’amertume. — Bien sûr, je peux acheter une maison et engager une gouvernante; mais ça prendra une éternité! Dans son excitation, il ne cessait d’aller et venir du canapé à la cheminée. Soudain, il s’immobilisa. — J’imagine qu’il ne me reste plus qu’à les emmener dans ma suite new-yorkaise, dit-il, résigné. — Elle comporte deux pièces, m’avez-vous dit? Même en supposant que votre ami s’en aille, ça fait un peu juste. Stephen la considéra avec agacement. Il savait qu’elle avait raison.

Page 40: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Pourquoi ne pas prendre un plus grand appartement en attendant que vous trouviez la maison de vos rêves? suggéra-t-elle. — Oui, oui, bien sûr. Où pouvaient bien vivre les gens pourvus d’enfants à New York? se demandait-il. Brick était la seule personne; de sa connaissance à en avoir, et... — Stephen ! s’écria Marcy, bondissant sur ses pieds. Combien de temps passez-vous en moyenne à New York? — Je ne sais pas exactement. Peut-être un mois ou deux par an. — Dans ce cas, qu’est-ce qui vous empêche de vous installer ailleurs? Je veux dire temporairement. — Hmm, j’imagine que c’est possible, mais... — Pourquoi ne pas occuper l’appartement de Diane et de David? Ce serait... Elle se frappa la tempe du doigt. — Oh ! pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ! Ce serait l’idéal pour les enfants. En revenant à la maison, ils renoueraient avec un environnement familier. Il retrouveraient leurs chambres avec tous leurs jouets, leurs copains d’école. Ça leur faciliterait tellement les choses... Les pouces passés dans sa ceinture, Stephen fixait obstinément le sol. Emménager dans l’appartement de Diane était envisageable, cependant, il lui semblait qu’en agissant ainsi, il se laisserait manipuler. — En même temps, ça vous arrangerait de pouvoir me surveiller, n’est-ce pas? — Ne soyez pas ridicule! Ce n’est pas de surveillance dont vous avez besoin, mais d’un sérieux coup de main. Et ce genre de service rentre parfaitement dans mes attributions ! ajouta-t-elle en riant. — Votre boulot, c’est le brassage de paperasses et les subtilités administratives. S’occuper des enfants de Diane est le mien ! Les mains sur les hanches, elle le dévisagea. — Vous êtes injuste, Stephen! Vous savez très bien que je me préoccupe du bonheur de vos neveux. — Ce serait tellement pratique de les garder sous la main ! — Ce serait bien pratique pour vous aussi ! Cela, il ne pouvait le nier. Seulement, il lui déplaisait que Marcy s’imagine pouvoir régler ses affaires à sa pince, comme s’il était incapable de trouver lui-même des solutions ! D’un pas vif, il alla chercher sa veste sur le canapé. — Je vais y réfléchir, déclara-t-il. De toute façon, je profiterai quand même de mon séjour à New York pour chercher quelque chose. — Naturellement. Et si vous trouvez mieux... Sous la douceur du ton, il crut percevoir le sarcasme. Pourtant, quand il leva les yeux

Page 41: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

sur elle, Marcy souriait naturellement. — J’envisage d’aller rendre visite aux enfants ce week-end. Avez-vous trouvé Lili Ann? Au souvenir du cauchemar qu’il avait vécu dans la chambre de Diane, il se crispa. Jamais il n’y remettrait les pieds. — Oui, répondit-il, fouillant sa poche à la recherche des clés. Il les lui tendit. — Ça vous ennuierait d’aller la chercher? Elle est sur le lit de Diane. — Bien sûr que non. Je prendrai par la même occasion le camion de Davey. — Merci. Est-ce que... Il hésita. — Oui? — Les vêtements de Diane... et ceux de David également. Si vous pouviez trouver quelqu’un à qui les donner. — C’est très faisable. — Vous comprenez, ça m’a bouleversé de les retrouver, et je pense que pour les enfants également-enfin, si je décide de venir vivre à Woodside. Marcy le fixa intensément. — Je m’en occuperai, Stephen. — Merci. Je vous tiens au courant.

6

Marcy se retint de claquer la porte derrière Stephen. Quel individu impossible! Il reconnaissait lui-même n’avoir aucun endroit où faire vivre les enfants, mais quand elle lui proposait une solution, il la repoussait. Probablement, d’ailleurs, uniquement parce qu’elle venait d’elle.

Page 42: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Pourtant, il serait bien avisé de se montrer plus circonspect car ce sont les « bureaucrates » qui font la pluie et le beau temps ! En ce qui le concernait, du moins, il ferait mieux de se présenter avec un projet qui tienne la route !

Naturellement, l’idée de vivre à proximité de Ginger et de Davey plaisait à Marcy. Ainsi, elle pourrait continuer à les voir régulièrement et... « Du calme, Marcy. La décision revient à cet homme impossible, pas à toi. »

Ces exhortations au calme ne l’empêchèrent pas de s’agiter une bonne partie de la nuit. Le lendemain matin, elle téléphona à Gerald pour lui proposer une partie de tennis. Le sport lui procurait généralement une agréable détente.

— Je ne sais pas comment tu fais pour entretenir des relations amicales avec plusieurs hommes à la fois sans équivoque, lui avait dit Jo un jour.

Marcy avait répliqué que ce n’était pas compliqué, qu’il suffisait d’établir les règles dès le départ. En réalité. les choses n’étaient pas si simples. Pas quand l’une des parties s’avisait de s’attacher sérieusement. Ce qui était le cas de Tom, par exemple, qui commençait à montrer des signes évidents de possessivité. Avec Gerald, en revanche, pas de problème, puisqu’il se montrait aussi soucieux que Marcy de maintenir leur relation sur le plan de la simple amitié.

Ensuite, la routine familière reprit ses droits, et la journée s’écoula en rendez-vous, entretiens, rapports. Le mardi, Marcy alla chercher Jimmy Braxton à la sortie de son école et, devant un hamburger, lui offrit sa calculatrice, cadeau qui le ravit. Avec un certain mécontentement, Marcy constata qu’il portait un jean déchiré et que ses bras sortaient des manches de sa veste. Les Emory ne consacraient certainement pas à son habillement la part qui lui revenait, mais pouvait-on leur en vouloir alors qu’ils se débattaient dans des difficultés financières? Elle songea qu’il lui faudrait demander une allocation vestimentaire spéciale pour l’enfant.

Par ailleurs, cette famille d’accueil ne pouvait répondre aux immenses besoins affectifs de l’enfant qui se languissait d’une mère alcoolique mais affectueuse à qui on avait dû le retirer par manque de soins. Il fallait songer à lui trouver un foyer plus adapté, ce qui ne serait pas évident.

Le samedi, Tom Jenkins invita Marcy à dîner au restaurant puis à se rendre au concert. En fin de soirée, elle en savait plus qu’elle ne l’aurait souhaité sur les actions et les valeurs boursières.

La visite du dimanche à Jennifer tourna au désastre. Il plut toute la journée et les enfants durent rester confinés à l’intérieur. Ginger renversa du jus d’orange sur la nappe et, après que Davey eut déclaré les spaghettis « infects », elle refusa d’y toucher.

Jennifer passa la moitié de l’après-midi à inciter les enfants au calme, et l’autre à se plaindre auprès de Marcy de ce qu’Al, en dépit du mauvais temps, passait ses loisirs sur le terrain de golf.

Seulement, si elle se trouvait à la place d’Al, elle aussi braverait les intempéries pour ne pas rester à la maison, se disait Marcy. Qu’est-ce qui avait bien pu lui donner l’idée que Jennifer serait capable d’élever un enfant? Le vague malaise qu’elle avait d’abord éprouvé devant le comportement de sa sœur se muait à présent en véritable inquiétude.

Page 43: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Pourquoi, en l’espace de trois ans, la rieuse Jennifer s’était-elle métamorphosée en une femme aigrie? A cause de l’ennui d’une existence trop facile? Il faudrait qu’elles aient une petite conversation toutes les deux.

Le mercredi suivant, Marcy reçut un appel de New York. En reconnaissant la voix grave de Stephen Prescott, elle ressentit un pincement au cœur. Il voulait savoir si le fait de transférer sa résidence principale au 212 Wood-side, accélérerait la procédure. A quoi Marcy répondit que c’était fort probable.

A l’idée d’avoir les enfants à sa porte, une vague de joie la submergea. Enfin, elle supposait que c’était cette perspective qui la réjouissait tellement...

Stephen voulait également savoir si tout pourrait être réglé pour le prochain week-end.— Ça dépend des délais dans lesquels nous recevrons vos références, répondit

Marcy. Avez-vous songé à engager une personne de confiance pour s’occuper des enfants?

Il y eut un instant de silence avant que Marcy reprenne :— Mme Fisher, la femme de ménage du Bureau d'aide, m’a parlé d’une de ses sœurs

qui serait intéressée. Voulez-vous que je prenne contact avec elle?— Non, merci. Mon avocat est en relation avec une licence locale.« J’espère qu’il sait ce qu’il fait ! » pensa méchamment Marcy, avant de se rappeler

qu’elle devait rester en dehors de tout cela.— Parfait. Ainsi, je pourrai me concentrer sur la paperasse.Elle avait volontairement souligné le dernier mot, mais il ne releva pas.— Et..., reprit-il après un instant d’hésitation. Vous êtes-vous occupée des

vêtements?— Justement, Mme Fisher vient m’aider cet après-midi à les trier.— Merci, dit-il, soulagé. Je vous donne bien du tracas.— Ça me fait plaisir de vous rendre service, répliqua-t-elle.

Une pluie fine et maussade tombait sur Sacramento quand Stephen descendit d’avion le samedi soir.

En réalité, se disait-il, en route pour Aubum au volant de sa voiture de location, ce n’était pas la suggestion de Marcy qui l’avait incité à s’installer à Woodside. Pas le moins du monde. Simplement, il s’était rendu compte que, en l’absence de testament, il lui faudrait plus de temps que prévu pour mettre de l’ordre dans la succession de Diane et de David. Vraiment, Marcy n’avait rien à voir dans sa décision.

En approchant d’Aubum, il songeait toutefois qu’il aimerait la rencontrer afin de lui demander son avis. Après avoir longuement hésité, et sur les conseils du vendeur, il avait acheté un camion téléguidé pour Davey et un léopard en peluche pour Ginger. Seulement, Marcy connaissait mieux les enfants que quiconque, et elle saurait si ces

Page 44: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

jouets leur plairaient. Et puis, il se demandait s’il devait les leur offrir tout de suite, ou bien les réserver pour leur retour à la maison.

Il pleuvait toujours quand il atteignit Woodside, et il nota que l’air s’était considérablement rafraîchi. Puisqu’il devait de toute façon passer prendre ses clés chez Marcy, il en profiterait pour discuter avec elle. Les lumières étaient allumées dans son appartement, et des éclats de rire en provenaient. Stephen hésita un instant, avant de presser le bouton de la sonnette. Un homme grand, vêtu d’un complet sombre et le nez chaussé de lunettes à monture d’écaille, vint lui ouvrir la porte. — Oui? — Je suis Stephen Prescott. Je désirerais voir Mlle Wilson. — Qui est-ce, Tom? fit la voix de Marcy. Le dénommé Tom recula d’un pas et ouvrit grande la porte. Stephen vit alors Marcy, assise en tailleur près du feu; près d’elle, deux verres de vin et un plateau sur lequel se trouvaient empilés des sandwichs. En apercevant Stephen, elle se leva. Elle portait un pantalon d’intérieur bouffant de couleur rose et un chemisier de soie du même ton. — Oh! Stephen. Ainsi, vous êtes arrivé! Entrez et et fermez la porte, s’il vous plaît. Ses valises à la main, Stephen obtempéra. — Tom, je te présente Stephen Prescott. Il va habiter l'appartement d’à côté. Stephen, voici Tom Jenkins. Asseyez-vous, je vous prie. Voulez-vous un verre de vin ? Ou une boisson chaude, il fait si froid dehors. « Mais diablement bon, ici », songea Stephen. — Euh, non merci. Je passais simplement chercher les clés. Elles se trouvaient sur une commode. Marcy les prit et les tendit à Stephen. — Êtes-vous certain de ne pas vouloir dîner avec nous ? Il y a du fromage et du saucisson en quantité. — Non, merci. Bonsoir! Sur un vague signe de tête, il sortit précipitamment, suivi par le regard inquisiteur de l’homme au costume. Quand la porte se referma sur lui, il éprouva un désagréable sentiment de solitude. Curieux d’ailleurs, car habituellement il appréciait d’être seul.

Il essaya de se persuader que c’était parce qu’il n’avait pas eu l’opportunité de discuter des jouets avec Marcy. En outre, l’idée de pénétrer dans l’appartement des Nelson le faisait frissonner.

Le cœur serré d’appréhension, il poussa la porte et regarda autour de lui. Plus de jouets traînant, oubliés, par terre et sur le canapé, disparues les roses flétries. A la place, on avait disposé dans un vase des branchages aux couleurs automnales. Dans la chambre, le lit était fait. Il ne restait plus rien de Diane, et pourtant, Stephen ressentait la même tristesse que la semaine précédente, quand la chambre était remplie de sa présence.

Page 45: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

En tout cas, Marcy avait fait du bon travail. Il se promit d’aller la remercier dès le lendemain. Il pourrait l’inviter au restaurant et, l’après-midi, ils iraient ensemble rendre visite aux enfants.

Le dimanche matin, Stephen sifflotait sous la douche. Quand il fut prêt, il se hâta d’aller frapper à la porte de Marcy. En vain. Il se rendit dans le hall et à la buanderie. Personne. Il tourna un peu en rond, puis, comme elle n’était toujours pas rentrée à 11 heures, il prit le parti d’aller déjeuner chez Sutton et de visiter la petite ville.

En début d’après-midi, Marcy était toujours absente. Stephen ne tenait pas absolument à la voir, seulement il se trouvait que c’était la seule personne qu’il connût à Aubum. Et puis, il avait espéré qu’elle l’accompagnerait chez les Jones.

Sans doute devait-elle passer la journée avec un de ses amis, puisqu’il semblait qu’elle en eût plusieurs. Gerald, par exemple, ou bien l’homme au costume de la veille. Ce dernier avait probablement passé la nuit chez Marcy; ils étaient sortis ensemble ce matin et...

Ah ! mais, il n’avait pas besoin d’elle pour rendre visite à ses propres neveux !Chez les Jones, il trouva deux enfants plutôt réticents à venir vers lui. Ginger n’avança

que pour s’emparer du léopard qu’il lui tendait. Le cadeau parut du moins la réjouir car elle le serra passionnément contre son cœur.

— Il est doux, murmura-t-elle.— Dis merci, ordonna Davey.— Merci, dit-elle docilement. Où est Marcy? Pourquoi elle est pas venue?— C’est-à-dire que... euh, elle est très occupée. Voici pour toi, Davey.Stephen tendit au petit garçon une boîte que ce dernier prit sans enthousiasme. Il

remercia toutefois poliment.— Ouvre-la, voyons.En découvrant le camion, Davey s’anima un peu. Seulement il voulut montrer

immédiatement son cadeau à Troy. Aucun des deux enfants ne manifestant le désir de dîner en sa compagnie, Stephen rentra seul à Woodside. Il se demandait pourquoi il avait tant hâté son retour de New York.

Le lundi matin, en partant pour le Bureau d’aide à l'enfance, Marcy découvrit une enveloppe glissée sous sa porte. Elle contenait un bref mot de Stephen la remerciant de ses bons offices, ainsi qu’une somme d’argent destinée à dédommager la personne qui l’avait aidée.

Quand elle rentra en fin d’après-midi, Marcy sonna chez Stephen, mais il était sorti.

Page 46: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Ainsi que Marcy l’avait prévu, grâce aux excellentes références de Stephen et à l’appui qu’elle-même accorda à sa demande, le juge déclara bientôt Stephen Prescott tuteur légal des petits Nelson.

Durant cette période, Marcy trouva l’attitude de Stephen distante et conventionnelle. Bien sûr, les débuts de leur relation n’avaient pas été placés sous les meilleurs auspices, cependant, elle s’était montrée de bon conseil, et il avait fini par obtenir la garde des enfants.

Ce n’était pas qu’elle s’intéressât outre mesure aux faits et gestes de Stephen Prescott, mais enfin, c’était curieux. Ordinairement, elle entretenait de bons rapports avec les hommes.

« Trop bons, prétendait sa mère. Tu te comportes avec eux comme avec ton frère ! » Et quand Marcy lui demandait en quoi c’était fâcheux, elle répliquait que lorsque viendrait l’élu, il n’apprécierait peut-être pas d’être traité en camarade.

Quoi qu’il en soit, elle ne se formaliserait certainement pas de l’attitude de Stephen. Pas plus qu’elle ne se mêlerait de ses affaires. Bien qu’elle s’obstinât à penser qu’il avait tort de s’adresser à l’agence Alston pour trouver une baby-sitter. Sur ce point, elle ne manquerait pas de lui faire part de son opinion ! Pourquoi pas tout de suite, d’ailleurs? Résolument, Marcy jeta un sweat-shirt sur ses épaules, sortit de son appartement et alla sonner à la porte d’à côté.

— J’espère que je ne vous dérange pas, dit-elle à Stephen quand il vint ouvrir. Je voulais juste discuter d’un point avec vous.

— Entrez. Je suis en train d’empaqueter les manuscrits de David afin de les expédier à son agent littéraire. Il paraît qu’il a sous la main quelqu’un qui pourra y mettre de l’ordre, et que certains seront publiables. J’aimerais ajouter ces revenus à l’héritage des enfants.

Il la considéra avec anxiété.— Vous ne croyez pas que c’est ce que David aurait souhaité?— Si, bien sûr.— D’un autre côté, je suis content de pouvoir faire un peu de place dans ce bureau.

Je compte l’utiliser.— Oh?

— J’envisage de réduire au maximum mes déplacements afin de passer plus de temps avec les enfants. — C’est justement à ce sujet que... Il ne lui demandait certes pas son avis, mais elle le lui donnerait quand même. — Voilà : je ne pense pas que ce soit une bonne idée de s’adresser à l’agence Alston. — Ah oui ?Son intonation indiquait clairement qu’il lui conseillait de se mêler de ses affaires. Sans se laisser décourager, elle poursuivit :

Page 47: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Ce sont seulement des baby-sitters. Or, vous avez besoin d’une personne qui puisse également assumer les lâches matérielles. Je vous ai déjà parlé de la sœur de Mme Fisher... — Écoutez, j’ai déjà engagé une certaine Mme Johnson, chaudement recommandée par l’agence. Vous me pardonnerez d’accorder ma confiance à un organisme socialisé plutôt qu’à la sœur de Mme Untel ! — C’était juste une suggestion, dit Marcy. Et sur ces mots, elle sortit, très raide. Tant pis si elle était froissée, se dit Stephen. Elle n’avait qu’à se mêler de ses affaires. Il était d’ailleurs étonnant qu’elle trouve le temps de fouiner dans les siennes entre les heures qu’elle consacrait à ce type du bureau d’aide, à l’autre en costume et Dieu seul savait à combien d’autres. « Ça t’ennuie? » lui demanda une voix intérieure. Certainement pas. Seulement il n’aimait guère ces allées et venues. De toute façon, il avait toujours su que ce serait une erreur d’emménager à Woodside. « C’est quand même bien pratique, non ? » Très pratique. Surtout pour elle ! « Elle a bien travaillé. Tu pourras prendre les enfants dés demain. » C'était son métier; elle était payée pour ça. « Pas pour arranger l’appartement et le fleurir. » Ça ne lui donnait pas le droit de régenter sa vie. « Cela te donne-t-il celui de te conduire en goujat? » Oh ! assez ! Elle ne répondit pas à son coup de sonnette. Il savait pourtant qu’elle était là, comme l’indiquaient les craquements, grincements et bruits divers provenant de son appartement. Il tambourina à la porte. — Entrez! C’est ouvert. Elle avait disposé un mini-trampoline au beau milieu de la pièce et s’amusait à rebondir dessus comme un beau diable. En l’apercevant, elle dit simplement : — Oh ! c’est vous. Puis elle poursuivit tranquillement sa gymnastique. — Vous ne devriez pas laisser votre porte ouverte, fit-il remarquer. N’importe qui pourrait entrer. — C’est bien vrai, répliqua-t-elle sans cesser de rebondir. Impossible de ne pas saisir l’allusion ! — Je suis venu m’excuser, dit Stephen. Je n’aurais pas dû vous parler sur ce ton.

Page 48: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

C’est que les préparatifs nécessaires à l’arrivée des enfants me rendent un peu nerveux... Elle ne répondit pas et continua son manège. — Si vous restiez un instant tranquille. J’essaie de m’excuser, vous comprenez? — Ce n’est pas nécessaire, dit-elle, exécutant un tour complet sur elle-même. — Arrêtez ça et écoutez-moi ! — Dois-je supposer, dit-elle, légèrement essoufflée, que les gens ne sautent que lorsque vous l’ordonnez? — Parfaitement! s’exclama-t-il, la rattrapant à mi-course et la posant sans ménagement au sol. Et maintenant, vous allez m’écouter! Je désire vous inviter à dîner au restaurant ce soir. Je voudrais fêter l’arrivée des enfants. — Ça me navre de devoir repousser votre si gracieuse invitation, répliqua-t-elle, les yeux noircis par la colère, mais je suis invitée ailleurs. — Je l’aurais parié ! — Que voulez-vous dire? — Aucune importance!Stephen sortit en claquant la porte derrière lui.

7

Elle ne laisserait pas l’animosité de Stephen intervenir dans ses relations avec Ginger et Davey, avait décidé Marcy. Les enfants vivaient une période difficile, et si elle s’était réjouie qu’ils vivent à côté de chez elle, c’était bien pour pouvoir les aider à la traverser. Patiemment, elle leur avait expliqué que leur oncle les aimait beaucoup, et qu’il avait souhaité habiter leur ancien appartement de manière qu’ils conservent leurs habitudes.

Et, peu à peu, les enfants étaient retombés dans une routine familière. Marcy leur gardait sa porte ouverte ainsi qu’elle l’avait toujours fait, puzzles et albums de coloriage se trouvaient à leur place habituelle sur le buffet. Elle continuait aussi à les emmener en promenade sans que Stephen émette aucune objection.

En fait, trop anxieux de leur plaire, Stephen ne leur refusait rien. Et si parfois il essayait de faire valoir son autorité, il suffisait que Ginger fasse la moue en réclamant sa mère pour qu’il capitule immédiatement.

Page 49: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Cette attitude était d’autant plus déconcertante de la part d’un homme habitué à commander. Marcy en avait eu la preuve en l’entendant aboyer ses ordres au téléphone. Alors, pourquoi ne manifestait-il pas plus de tempérament vis-à-vis des enfants? Ignorait-il qu’ils avaient besoin de discipline? II les gâtait beaucoup trop, mais, naturellement, inutile de lui en parler puisqu’il n’en ferait, de toute façon, qu’à sa tête.

S’il ne montrait pas autant d’entêtement, Marcy l’aurait plaint. Car non seulement il s’efforçait de complaire à deux jeunes enfants, mais en plus, il devait tenir la maison. Lorsque, en fin d’après-midi, elle rentrait du travail, Marcy voyait partir Mme Johnson. Elle en conclut que cette dernière ne restait pas la nuit. De toute façon, même quand elle était là, Marcy la soupçonnait de participer le moins possible aux travaux ménagers. Ce dont elle eut confirmation un samedi après-midi.

Marcy se trouvait dans la buanderie, sortant ses torchons du sèche-linge, quand Stephen arriva porteur de deux paniers remplis de linge sale. Bien qu’il sifflotât un petit air engageant, il paraissait épuisé. En apercevant Marcy, il sourit.

— Marcy ! s’écria Davey, pourrons-nous aller au parc d’attractions demain, ou bien la banque n’a-t-elle toujours pas reçu d’argent?

— Euh... nous verrons, répliqua Marcy, jetant un rapide coup d’œil du côté de Stephen.

Pourvu qu’il n’ait rien entendu ! Occupé à trier le linge dont il remplissait deux machines, il n’avait pas bronché. Elle se hâta de détourner l’attention de Davey.

— Si tu m’aidais à plier les serviettes?Il fut tout de suite d’accord, mais se rebella en voyant sa sœur en prendre une.— Non, Ginger, tu es trop petite!— Je veux aider! pleurnicha Ginger.— Écoutez, les enfants, intervint Marcy, Ginger va commencer par un bout du tas, et

toi Davey par l’autre. Ainsi, vous aurez terminé deux fois plus vite.Si Marcy croyait s’en être tirée à bon compte avec Stephen, elle faisait erreur. Ainsi,

songeait-il, l’irréprochable Mlle Wilson avait des ennuis avec sa banque! L'irréprochable Mlle Wilson avait des faiblesses. Sans savoir pourquoi, l’idée le réjouissait.

— Pourquoi souriez-vous? demanda abruptement Marcy. Ça vous plaît donc tant de faire la lessive? — Oh ! Ça m’est déjà arrivé... — Pas depuis longtemps, je parie. — Vous savez, c’est comme de monter à bicyclette, ça ne se perd pas. Davey fonça droit sur eux. — Je veux... — On dit : « excusez-moi », reprit doucement Marcy. — ’scusez. Je veux de l’argent pour m’acheter des bonbons, Stephen.

Page 50: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Stephen mettait la main à sa poche quand Marcy intervint. — On dit : « Pourrais-je avoir de l’argent, s’il te plaît, Stephen »... — Est-ce que je peux? Dis, s’il te plaît! — Moi aussi, s’il te plaît ! fit Ginger. — Avez-vous dîné? demanda Marcy. Et comme les deux enfants secouaient négativement la tête : — Alors, la réponse est non. Saurais-tu compter les machines à laver, Davey? Davey hocha gravement la tête et s’éloigna, suivi de Ginger. Stephen jeta un regard mécontent à Marcy. — C’est à moi qu’ils demandaient des bonbons, il me semble ! — II fallait bien que quelqu’un refuse, répliqua Marcy sans s’émouvoir. Vous les gâtez beaucoup trop; et je crois que vous gâtez aussi Mme Johnson. Pourquoi ne se charge-t-elle pas de la lessive? — C’est le règlement de l’agence Alston, répondit Stephen, pinçant les lèvres. Elle ne s’occupe ni de la lessive, ni du ménage, ni des repas. Elle n’est censée s’occuper que des enfants. — Ça ne lui donne pas trop de mal. Ils passent la moitié de la journée à l’école, et elle s’en va à 17 heures! Reste-t-elle parfois la nuit? Stephen frotta ses mains où adhérait un peu de lessive. — A condition que je lui paie des heures supplémentaires. Ça encore, ça m’est égal; ce qui me gêne vraiment c’est de devoir lui préparer son petit déjeuner le matin. Devant l’air déconfit de Stephen, une furieuse envie de rire chatouilla Marcy. Heureusement, l’arrivée de Davey fit diversion. — J’ai compté dix machines, Marcy, hurla-t-il. — Moi aussi ! renchérit Ginger. — Formidable! Maintenant, écoutez-moi. Savez-vous sauter à cloche-pied? — Bien sûr, fit Davey. — Moi aussi ! clama Ginger. — Très bien. Comptez combien de fois vous pouvez ainsi sauter sur un pied. — Dites donc, dit-elle, se tournant vers Stephen, vous allez finir sur la paille. Parce que si vous menez vos affaires comme votre intérieur... — D’accord, d’accord. Mais j’ai toujours vécu à l’hôtel, je n’ai pas l’habitude des tâches ménagères! — Ça vous change, n’est-ce pas? — Je ne comprends pas le plaisir que vous éprouvez, à m'enfoncer. — Je n’ai pas prononcé une seule fois le fameux : «je vous l’avais bien dit! »

Page 51: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— C’est vrai. Vous ne l’avez pas dit. Stephen la regarda secouer avant de la plier une vaporeuse chemise de nuit de femme fatale. Curieux. En ce moment, dans son jean, elle ressemblait plutôt à une frêle adolescente. — Eh bien, je vous souhaite une bonne lessive, dit Marcy, ramassant son panier. — Hé! attendez. Son esprit vagabondait si bien qu’il avait failli oublier... — Seriez-vous assez aimable pour me présenter la soeur de Mme Untel, vous savez, la perle rare?

— Quinze fois, Marcy ! annonça Davey. J’ai sauté quinze fois!— Moi aussi ! dit Ginger.— C’est même pas vrai ! Elle ajuste sauté neuf fois!— C’est très bien, dit Marcy, posant son panier pour serrer les deux enfants dans ses

bras. Maintenant, essayez sur l’autre pied. Je vais voir ce que je peux faire pour vous, ajouta-t-elle à l’adresse de Stephen.

Déjà, elle s’éloignait.— Merci ! lui cria-t-il.Il détestait la voir partir. Sans doute parce qu’elle savait y faire avec les enfants. Ils ne

protestaient pas quand elle leur refusait quelque chose. Ils se contentaient de sauter, de compter et de rire. Voilà, avec Marcy, ils riaient. Elle savait comment les distraire; elle était si vivante, si chaleureuse. Oui, Marcy possédait quelque chose de particulier. Quelque chose d’attirant qui...

Bon sang ! Il ferait mieux de garder ses distances !

Mme Chisholm, la « perle rare » recrutée grâce aux bons soins de Marcy, méritait bien sa réputation. C’était une femme aux formes généreuses, maternelle mais énergique, qui reprit bien vite les enfants en main. A présent, la maison était parfaitement tenue. Étant mère elle-même, Mme Chisholm ne pouvait passer la nuit à Woodside, cependant, Nancy, sa fille aînée, accepta de se charger des enfants quand Stephen devrait se rendre à New York.

Entre Mme Chisholm et leur école, Davey et Ginger paraissaient heureux. Stephen n’avait pourtant pas abandonné l’idée d’une maison dans le Connecticut, ou bien au nord de l’Etat de New York, là où ses neveux pourraient enfin avoir leurs poneys, et où il serait beaucoup plus facile pour lui de suivre ses affaires.

***Un matin à 6 heures, Stephen fut brutalement tiré de son sommeil par Brick qui lui

apprit que sa présence était impérativement réclamée dans leur concession péruvienne. Stephen raccrocha avec un sentiment de malaise. Une semaine. Il devrait s’absenter

Page 52: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

toute une semaine !Il essaya de se reprendre. Mme Chisholm serait là la majeure partie de la journée, et

Nancy resterait pour la nuit. Après tout, ce ne serait pas la première fois que ça se produirait, et tout s’était bien passé lors de ses précédentes absences. Beaucoup plus courtes, évidemment. Mais il suffirait de demander à Marcy de veiller au grain.

Cependant, alors qu’il s’apprêtait à aller frapper à la porte d’à côté, il vit Marcy descendre l’escalier au bras de l’homme au costume et, tout à coup, il se sentit très seul. Comme s’il avait été abandonné de la terre entière. Puis il se reprit. « Elle peut bien aller au diable ! » pensa-t-il avec une sourde animosité. Après tout, il n’avait pas attendu après elle pour que tout marche comme sur des roulettes !

Le jeudi soir, Marcy rentrait de son travail quand elle entendit le téléphone sonner. Elle se hâta de décrocher. C’était Gerald qui appelait, complètement bouleversé. Il se trouvait à l’hôpital où son père venait d’être admis à la suite d’un malaise cardiaque. Marcy rejoignit Gerald aussi vite qu’elle le put et demeura à son côté jusqu’à ce que les médecins déclarent l’état de M. Sims stabilisé et conseillent à son fils de rentrer chez lui. On ne saurait neu de plus avant le lendemain, assurèrent-ils. Mieux valait donc qu’il se repose.

Marcy insista pour emmener Gerald chez elle. Elle lui prépara un dîner léger puis, le voyant à bout de forces en même temps que très angoissé, insista pour qu’il dorme à Woodside. Il finit par s’assoupir dans le lit de fortune qu'elle lui avait dressé sur le canapé.

Stephen n’aimait pas cela. Non, il n’aimait pas du tout se savoir éloigné des enfants pour une semaine entière. Il avait appelé la maison dès son arrivée au Pérou, et tout semblait bien se passer. Cependant, à cause de problèmes d’hélicoptère, il avait dû passer deux jours entiers sur le terrain, et il était presque 3 heures du matin quand, enfin, il put regagner la base. Ce qui signifiait minuit en Californie. Pourtant, comme il devait se remettre en route dès 6 heures le lendemain, mieux valait encore téléphoner maintenant. Le téléphone sonnait, sonnait. Nancy devait décidément être une grosse dormeuse. Enfin, on décrocha. Une petite voix ensommeillée lui répondit. — Davey ! C’est toi ? — Oui. — Où est Nancy? — Sais pas. Elle doit dormir. — Va immédiatement la réveiller, Davey, et dis-lui de venir. L’appréhension gagnait Stephen. Pourquoi cette fille n’avait-elle pas répondu, le

Page 53: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

téléphone se trouvait juste à côté de son lit? De nouveau la voix de Davey se fit entendre. — Où est Nancy? — Je ne sais pas. Elle n’est pas là. — Pas là! Qu’est-ce que ça signifie? As-tu bien regardé partout ? — Oui. Et j’ai appelé, appelé. Et Ginger s’est réveillée et elle pleure. Et Nancy n’est pas là! Cette fois, ce fut la panique qui s’abattit sur Stephen. Les enfants étaient seuls dans l’appartement! Il les avait réveillés et... — Écoute-moi bien, Davey, dit-il, s’exhortant au calme. Tu vas aller... Non ! Tu vas rester bien tranquillement avec Ginger. Compris? Je préviens Marcy. Elle vous rejoint tout de suite. Chez Marcy, on décrocha à la première sonnerie. — Oui, fit une voix masculine. — Suis-je bien chez Mlle Wilson? — Oui. Sims à l’appareil. Vous voulez me parler? — Moi? Euh, non. Pouvez-vous me la passer? — Bien sûr. Attendez un instant. Dieu soit loué, elle était là. Derrière le soulagement pointait pourtant une désagréable pensée qu’il se promit d’analyser plus tard. — Oui? — Marcy ! Je suis au Pérou et les enfants sont seuls dans l’appartement! — Quoi? — Nancy Chisholm devrait être avec eux ; mais Davey ne la trouve pas. Marcy, voudriez-vous... — J’y vais. — Je téléphone chez moi dans dix minutes. Quand Stephen appela son appartement, il obtint immédiatement Marcy au bout du fil. — Tout va bien, Stephen. Ne vous inquiétez pas, je dormirai ici jusqu’à votre retour. Un intense soulagement envahit Stephen. Avec Marcy, les enfants ne risquaient rien! Puis l’insidieuse petite pensée de tout à l’heure revint le taquiner. Ce soir, un homme se trouvait chez Marcy, et tous deux dormaient. « Et alors? Ça te dérange? » » Moi ? Pas le moins du monde ! » Nancy expliqua à Marcy qu’elle était sortie manger un hamburger avec son petit ami. Elle ne voyait pas où était le mal puisque les enfants dormaient. Marcy savait que Mme

Page 54: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Chisholm se montrerait certainement moins décontractée à ce sujet, aussi se contenta-t-elle de lui dire que pour une aussi longue période, il était préférable que ce soit elle qui dorme chez Stephen.

— Pauvre M. Prescott, avait soupiré Mme Chisholm, ces enfants le mènent par le bout du nez ! Vous savez ce qu’il lui faudrait? Une bonne épouse!

Marcy avait docilement acquiescé.— Des lettres de femmes, il en reçoit. Je le sais à cause du parfum ! Et il arrive aussi

qu’elles téléphonent ! Avez-vous vu la photographie qui se trouve sur la commode? Une vraie beauté, n’est-ce pas?

Oh oui, une vraie beauté cette femme avec ses cheveux blonds soigneusement ondulés et sa bouche entrouverte en une moue provocatrice. « A mon cher Stephen, avec tout mon amour. Trish », indiquait la dédicace. Eh bien, qu’il épouse cette Trish! Le seul point noir dans cette affaire, ce serait qu’une autre servirait de mère à Ginger et à Davey.

Bien que Mme Chisholm n’ait été engagée qu’à titre provisoire, Stephen la dédommagea largement lorsqu’on lui proposa une certaine Mme Evans, munie de références somptueuses et libre de charges familiales. Il transforma le bureau en chambre, et Mme Evans entra dans leur vie. Elle était parfaite, certes, mais manquait cruellement de la chaleur dont rayonnait Mme Chisholm.

— Vole Pierre... paie Paul ! chantonnait inlassablement Ginger.Assise par terre, elle essayait de démêler l’incroyable crinière de Lili Ann.— C’est une jolie chanson, constata Stephen, levant le nez de son journal.— C’est pas une chanson, rectifia Davey. C’est ce que nous répète tout le temps

Marcy. « Je ne peux pas jouer avec vous, il faut que j’aille voler Pierre pour payer Paul. » Mais tu sais, Stephen, elle ne vole pas vraiment.

— Oh?— Elle m’a expliqué. C’est juste qu’elle fait tourner son argent, dit Davey, agitant

théâtralement les bras.Après quoi, il retourna à son livre. Stephen, en revanche, ne put se replonger dans son

journal. Marcy avait des problèmes d’argent. Cette fois, ça ne l’amusait plus du tout. Elle travaillait dur et avait pourtant du mal à joindre les deux bouts. Ce n’était pas juste. Pourtant, elle ne faisait pas pitié. Elle s’habillait bien et irradiait santé et joie de vivre. Elle avait même refusé l’argent qu’il lui avait proposé en échange des soins aux enfants.

Normal, se dit-il. Marcy donnait, elle ne prenait pas. Marcy ne manquait jamais de lui rendre service, et lui, loin de lui proposer la réciproque, il l’évitait comme la peste. Il aurait tout de même pu l’inviter un soir à dîner. Quoique... il savait pourquoi il ne l’avait pas fait. Il avait peur de s’engager.

« Dîner avec une femme n’engage à rien ! »Ah bon? Dans ce cas...Stephen posa son journal et se dirigea vers la porte.

Page 55: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

8

Marcy faisait ses comptes quand Stephen entra pour l’inviter à dîner. Apparemment, elle en avait par-dessus la tête, car elle accepta avec empressement de sortir. Il l’emmena au Captain’s Table.

— J’aime cet endroit, dit-elle, examinant les lampes à pétrole disposées dans des niches, et l’antique carte du Nouveau Monde suspendue au mur. On a l’impression de se trouver sur un navire, appareillant pour une destination inconnue, vous ne trouvez pas?

— Euh, non. Moi, j’ai l’impression d’être sur un vieux bateau amarré sur les berges de Sacramento River et reconverti en restaurant de luxe.

— Quel manque d’imagination! s’écria-t-elle avec un regard apitoyé. Laissez-vous donc aller! Là... maintenant, ne sentez-vous pas le mouvement du bateau? On entend les vagues lécher la coque et, regardez! on aperçoit les feux d’un bâtiment qui nous croise.

Leur table se trouvant près d’une fenêtre, on distinguait en effet les lumières de bateaux naviguant sur la rivière.

— Allons, détendez-vous..., reprit Marcy. Vous voguez sur le Mississippi, sur un bateau à aubes flambant neuf! Vous venez de gagner gros au jeu et vous allez dîner avec...

— C’est drôle, dit Stephen, riant, j’ai toujours l’impression de me trouver sur un vieux bateau amarré...

— Quel rabat-joie ! Est-ce que ça vous aiderait à vous mettre dans l’ambiance si je me mettais au piano et chantais Old Man River?

Stephen éclata de rire. Quelle drôle de petite bonne femme qui s’amusait de tout. Elle imposait son autorité aux enfants par le jeu, et quant à ses problèmes d’argent... comment disait-elle déjà? Ah, oui : « Voler Pierre pour payer Paul. » Oui, la vie n’était qu’une vaste plaisanterie pour elle.

— Pourquoi souriez-vous ? Vous trouvez que je me donne en spectacle?— Pas du tout. Vous êtes merveilleuse.Stephen avait parlé sans réfléchir, pourtant la remarque traduisait fidèlement sa

pensée. Dans sa simple robe de soie lavande qui exaltait le bleu de ses yeux, elle était réellement une délicieuse apparition.

— Vous n’êtes pas si dépourvu d’imagination, après tout! Vous savez, j’ai lu un livre extraordinaire à ce propos. Il décrit une technique qui vous permet d’obtenir tout ce qu’on veut. Vous vous concentrez très fort et imaginez que c’est arrivé. Et ça arrive! Y

Page 56: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

croyez-vous?— Non.Enfant, il s’était si souvent persuadé que sa mère était revenue à la maison! La nuit, il

se figurait qu’elle allait entrer dans sa chambre, le prendre dans ses bras et le serrer très fort contre elle. Mais elle n’était jamais revenue.

— Non, répéta-t-il, je n’y crois pas.— Je ne suis pas très convaincue moi-même.Le serveur vint leur apporter leurs entrées.— Je suis contente d’être avec vous ici, dit-elle dans un sourire.— Oh?

— Oui. Parce que j’adore le homard et que je n’ai pas les moyens de m’en offrir!— Moi qui pensais que vous subissiez mon charme! Dites-moi, vous choisissez

toujours votre menu en fonction des moyens de votre compagnon? — Mon frère Bill m’a expliqué que c’était la plus élémentaire des politesses. Écoutez, pour ce qui est de votre charme, je ne peux pas trop dire, mais vous possédez un sourire adorable. — Merci, dit-il d’un air absent. Il pensait à l’homme au costume qui roulait en Mercedes. — Alors, vous choisissez... Il s’interrompit. Non, impossible de poser cette question. — La réponse est non, dit tranquillement Marcy. Je ne choisis pas mon compagnon en égard à l’importance de son compte en banque. J’aime aussi les hamburgers, vous savez. D’ailleurs, la variété est le sel de la vie. Ce homard est délicieux. Voulez-vous goûter? — Non! cria-t-il presque, furieux de ne pouvoir s’empêcher de la dévorer du regard. Ce dont il avait envie, c’était de l’embrasser et de la secouer pour qu’elle lui explique ce que fabriquait Gerald Sims, endormi chez elle en pleine nuit! Et puis, non! Il préférait ne pas savoir. — Ne me regardez pas comme ça. Je ne vous oblige pas à y goûter. Vous n’avez donc pas faim? — Euh... Il considéra son verre dont il faisait lentement tournoyer le contenu. — Je pensais à autre chose. — Hmm, je comprends. Il est vrai que vous avez pas mal de sujets de préoccupations. Votre nouvelle baby-sitter vous donne-t-elle satisfaction? — Oh, oui, naturellement, répondit-il, songeant à part lui que Mme Evans était bien le dernier de ses soucis. Je ne saurai jamais comment vous remercier de m’avoir dépanné

Page 57: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

l’autre nuit. — Heureusement que je me trouvais là. Je me sens aussi concernée que vous par le sort de ces enfants. — Je sais, mais je déteste l’idée de vous avoir dérangée si tardivement. Marcy haussa les épaules. — Aucune importance. — Et puis, vous n’étiez pas seule. L’homme qui m’a répondu semblait légèrement... contrarié. — Gerald? Oh! non. Simplement, il attendait un appel. — C’est donc une habitude qu’on lui téléphone chez vous en plein milieu de la nuit! s’exclama Stephen. Marcy posa sa fourchette et le dévisagea. — Vous voulez savoir si Gerald a l’habitude de passer lu nuit chez moi ? — Non, bien sûr que non ! Ça ne me regarde pas ! — En effet. Toutefois, je vais satisfaire votre curiosité : le père de Gerald venant d’être hospitalisé, il était bouleversé, et je préférais qu’il reste chez moi pour le cas on l’hôpital aurait de mauvaises nouvelles à lui annoncer. Il dormait sur mon canapé, si vous voulez tout savoir. Et naturellement, quand le téléphone a sonné à minuit, il a cru... — Je comprends. Sa confusion se doublait malgré tout de soulagement. — Désolé, je ne voulais pas me montrer indiscret... Marcy ne répondit pas. Elle paraissait mécontente. — Prendrez-vous un dessert? Du café? — Non, merci. Partons, je n’ai plus faim.Durant le trajet du retour, ni l’un ni l’autre ne se risqua à rompre un pesant silence. — Merci pour cette soirée, dit froidement Marcy, sortant ses clés de son sac. — Elle était excellente, dit-il. Dommage que mes propos vous aient choquée. Et ne prétendez pas que vous n’êtes pas fâchée! — Ce ne sont pas vos propos qui m’ont déplu, mais ce qu’ils sous-entendaient. A vous entendre, il ne peut être question de simple amitié entre un homme et une femme. — Bien sûr que si ! — Mais non ! Comme la plupart des hommes, vous jugez une femme sous l’angle de la séduction. — Vous trouvez ça injurieux? Jolie comme vous l’êtes? — Non, mais... — J’espère que vous ne trouverez pas mon geste injurieux non plus.

Page 58: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Et Stephen fit ce dont il avait rêvé toute la soirée : il attira Marcy contre lui. Durant un moment, il la tint juste blottie contre sa poitrine, son visage enfoui dans ses cheveux, humant avec délices son parfum. — Je ne voulais pas vous blesser..., chuchota-t-il. C’est seulement que... Non, il ne pouvait dire qu’il était jaloux! Il ne l’était pas ! Cependant, qu’elle était douce dans ses bras. Il embrassa légèrement ses tempes et ses paupières, puis il prit ses lèvres. Sa bouche était tendre et chaude sous la sienne, et il approfondit son baiser tandis qu’elle refermait ses bras sur lui. Une vague de désir le balaya. Il voulait cette femme, oh, comme il la voulait ! Cependant, du fond de sa conscience monta un avertissement. Ce qui se passait entre eux dépassait le cadre d’une simple attirance physique. Brusquement, Stephen lâcha Marcy et détourna le regard. — Je vous prie de m’excuser. Je n’aurais pas dû. Et il s’éloigna sans lui laisser le temps de protester. — Il vaut mieux que je rentre avant de commettre d’autres sottises..., marmonna-t-il entre ses dents. Bonsoir! Il rentra chez lui en se maudissant. Il avait toujours su que Marcy était une femme attachante, et il ne voulait surtout pas de femme attachante dans sa vie. On ne pouvait accorder sa confiance à une femme. Quand il regardait autour de lui, il ne voyait que séparation et malheur. Il s’était juré un jour de ne jamais tomber amoureux et, à aucun prix, il ne romprait son vœu.

Non. Il se contentait très bien de femmes qui, comme Trish, réchauffaient son lit mais pas son cœur.

9

Des hommes avaient déjà embrassé Marcy, naturellement; cependant, c’était la première fois que l’un d’eux s’en excusait. Adossée à la porte de son appartement, la jeune femme digérait mal son humiliation. C’était incroyable! Stephen l’avait pratiquement repoussée.

Page 59: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

« Regarde les choses en face, Marcy. Tu l’as contraint à t’embrasser en t’accrochant à lui d’une manière éhontée. »

Oh ! non.Marcy enfouit son visage brûlant dans ses mains. Tout lui avait paru si naturel ! Elle

s’était sentie si bien dans les bras de Stephen. Et la passion qu’elle avait cru deviner en lui avait balayé sa réserve. Elle s’était pressée contre lui... et il l’avait repoussée.

La honte fit soudain place à la colère. Après tout, c’était lui qui avait pris l’initiative de ce baiser! S’il croyait qu’elle allait passer la nuit à se morfondre, il se trompait d’adresse! Elle n’était pas Jennifer!

Jennifer avec qui elle avait récemment déjeuné et qui avait passé son temps à se lamenter sur leur couple. La situation paraissait grave, sa dépendance vis-à-vis d’Al la rendant extrêmement vulnérable. Eh bien, ça n’arriverait pas à Marcy; pas à elle. Stephen pouvait bien distribuer ses sourires et ses baisers tant qu’il voulait, elle s’en moquait. Pourtant, il l’avait repoussée. Il ne dispensait donc pas sa tendresse à tout le monde. Se gardait-il par hasard pour le grand amour? Pour cette fille blonde dans son cadre? Et même si cela était, quelle importance? Ignorant la douleur qui, à cette pensée, lui vrilla l’estomac, Marcy monta se coucher.

— Tu ne nous aimes plus, Marcy? — Bien sûr que si je vous aime, répondit Marcy, recevant Ginger dans ses bras. — Comment? Comment?C’était un vieux jeu qui faisait toujours rire les enfants. — A la folie ! cria Marcy, se laissant tomber à genoux auprès d’eux, légèrement essoufflée. Il faisait exceptionnellement doux pour ce début novembre, et Marcy en avait profité pour courir un peu. En revenant, elle était tombée sur Ginger et Davey qui jouaient dehors. — Pourquoi est-ce que tu ne joues plus avec nous, Marcy? demanda Ginger d’une petite voix plaintive. — Eh bien... vous êtes occupés à l’école et moi par mon travail... Elle ne pouvait tout de même avouer aux enfants qu'elle les évitait pour ne pas rencontrer leur oncle. — Ma maîtresse dit que c’est bientôt Thanksgiving. C'est vrai, Marcy? demanda Davey. — Plus qu’une semaine.

Page 60: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Et alors, nous irons à ’silomar? Ah oui, le colloque d’Asilomar. Marcy avait oublié, mais pas eux. Les enfants n’oublient jamais rien. — Tu avais promis de m’emmener, dit sévèrement Davey. — Moi aussi, fit Ginger en écho. — Il faudrait demander à votre oncle. — Justement, il est là! Demande-lui, Marcy! Demande-lui !

De son balcon, Stephen observait le petit groupe. Il avait tout de suite remarqué Marcy en pantalon de jogging et veste verte. La capuche en était tombée et le vent soulevait ses cheveux. Assise au milieu des feuilles tombées à terre, elle riait. A la voir ainsi, rayonnante, il sembla à Stephen que le jour prenait un éclat particulier.

Comme il l’enviait! Les enfants l’acceptaient avec une telle aisance. Avec lui, au contraire, ils restaient timides, empruntés, maladroits. Il essayait par tous les moyens de faire fondre leur retenue, cependant, aux questions qu’il posait à Davey, ce dernier répondait par monosyllabes puis allait s’enfermer dans sa chambre, suivi naturellement de Ginger qui imitait son frère en tout.

— Demande-lui ! Demande-lui ! entendit-il Davey hurler.Il descendit les rejoindre.— Me demander quoi? s’enquit-il, souriant bien qu’il désespérât de partager leur

camaraderie.Marcy leva avec réticence les yeux sur lui. Mais se souvenant de leur baiser et de la

manière dont il l’avait rejetée, elle rougit.— Marcy avait promis de nous emmener à ’silomar! s’écria Davey. Et maintenant,

elle dit qu’il faut qu’on te demande la permission. On peut y aller, Stephen? S’il te plaît !Marcy sentit l’irritation de Stephen.— Je ne vous ai jamais interdit de sortir avec Marcy, il me semble ! Elle peut vous

emmener où bon lui semble.La réponse satisfit les enfants qui se mirent à danser une gigue effrénée. Marcy se

sentit obligée d’expliquer qu’il s’agissait d’un voyage de cinq jours prévu depuis plusieurs mois.

— Venez donc déjeuner avec nous, vous m’expliquerez l’histoire pendant le repas. Mme Evans a préparé du chili, il y en a pour un régiment!

Marcy se joignit à eux. Parce que... eh bien, parce qu’elle avait une promesse à tenir. Et puis on ne s’éloigne pas de quelqu’un uniquement pour ne pas tomber amoureux de lui. En outre, elle avait faim. Devant un délicieux bol de chili bien pimenté, elle expliqua donc à Stephen en quoi consistait ce colloque destiné à répondre aux différentes questions que se posaient les familles d’accueil. Stephen l’écoutait avec un grand intérêt.

Page 61: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Ce stage est-il ouvert à tous? demanda-t-il soudain. — Oui, bien sûr. — Alors, je pense que ce serait une bonne idée pour moi d’y participer. Où puis-je m’inscrire? — Vous? s’exclama Marcy, abasourdie. — Pourquoi me regardez-vous de cette manière? Je pensais que vous auriez été la première à me féliciter de vouloir apprendre mon rôle de parent. Marcy n’avait jamais cru que Stephen irait au bout de son idée, et pourtant, quelques jours plus tard, ils s’entassaient tous les quatre dans la modeste Chevrolet de location que Stephen utilisait depuis son arrivée en Californie. — Je ne possède pas de voiture, expliqua-t-il à Marcy. En fait, je n’en ai jamais possédé. — C’est curieux. — Quand j’ai eu les moyens d’en acheter une, je me suis retrouvé dans des coins perdus où nous nous déplanons en hélicoptère, ou à New York où il est tellement plus simple de circuler en taxi. — Je vois. Un instant, elle contempla ses mains, si fermes sur le volant. — On dirait pourtant que vous avez fait ça toute votre vie. — J’ai beaucoup conduit quand j’étais dans la marine...

Il marqua une pause.— C’est drôle, reprit-il, je désirais si passionnément posséder une voiture mais ça ne

s’est pas fait.— Beaucoup d’adolescents sont dans la même situation, dit Marcy, attristée par

l’amertume de son expression.— C’est vrai.Marcy eut la soudaine impression qu’il tirait un rideau entre lui et son passé. Elle

savait si peu de choses de lui et désirait tellement en apprendre.— A quel âge êtes-vous entré dans la marine?— Seize ans.— Si jeune !— J’ai dû un peu tricher sur mon âge. Je désirais courir le monde, ajouta-t-il avec un

sourire ironique, et je n’ai jamais quitté la base.A ce moment éclata une querelle à l’arrière de la voiture parce que Ginger avait

déchiré la bande dessinée de Davey. Marcy distribua crayons de couleur et albums, et, peu à peu, le calme se rétablit.

Page 62: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Avez-vous tiré d’autres profits de votre séjour dans la marine que l’expérience de la conduite? demanda-t-elle alors.

— J’ai pu suivre des cours et j’ai finalement obtenu mon diplôme de fin d’études. Et puis, j’ai rencontré Brick dont le père était prospecteur pétrolier. Quand nous avons été libérés, nous nous sommes associés. Au début, nous avons trimé dur sur les sites. Puis nous avons goûté de la spéculation et enfin avons monté notre affaire. Nous avons eu pas mal de chance, je dois avouer, conclut-il.

— Vous pouvez être fier de vous ! dit chaleureusement Marcy.Une vague de tendresse la souleva envers cet homme capable de travailler dur sur un

chantier comme d’enfourner humblement des vêtements d’enfants dans une machine. Elle aurait volontiers posé sa tête sur son épaule et murmuré : « Vous êtes formidable! » Elle se rappela à temps que cet homme détestait une certaine forme d’intimité.

— C’est drôle, reprit Stephen, la tirant de son rêve éveillé, j’ai voyagé un peu partout dans le monde, mais très peu aux États-Unis. Je ne connais pas du tout la Californie.

— Vous aimerez! Quelqu’un, je crois que c’était Hemingway, a dit que c’était la plus belle région du inonde.

Le site du colloque impressionna Stephen. Il fallait dire que c’était une réussite architecturale. Les salles de réunions et les pavillons destinés aux participants se trouvaient disséminés parmi de grands arbres; des dunes sableuses menaient à de pittoresques plages ceinturées de rochers. Deux pavillons voisins leur ayant été attribués, Marcy et Ginger en partagèrent un, Stephen et Davey l'autre.

Comme ils étaient arrivés un jour en avance, ils en profitèrent pour faire un peu de tourisme le long des côtes battues par les vagues et surmontées de cyprès noueux dont le tronc se trouvait contraint par la violence des vents de pousser à l’horizontale vers l’intérieur des terres. De temps en temps, ils apercevaient de luxueuses villas nichées au cœur des collines.

Ils allèrent jusqu’à Monterey et déjeunèrent au Carrousel où les enfants se gavèrent de hot-dogs et de glaces et où Stephen déclara entre deux bouchées de tarte à la pêche surmontée de crème que c’était une honte de construire une ville de pacotille dans un site d’une telle beauté.

Il apprécia toutefois les immenses aquariums autour desquels on pouvait se promener et admirer les différents présentant de la faune sous-marine de Monterey Bay. Ils eurent la chance d’être présents à l’heure du repas, et manger se réjouit tout particulièrement du spectacle des otaries projetant leurs poissons en l’air pour les rattraper au vol. Pour sa part, Davey ne se lassait pas du simulateur de surf et il riait aux éclats chaque fois qu’une grosse vague se formait et déferlait sur lui.

Et puis commença le colloque proprement dit. Marcy dirigeait deux ateliers auquel Stephen assista assidûment. Le sérieux dont il fit montre ainsi que sa participation active la surprirent. « Décidément, se disait-elle, il prend vraiment à cœur son rôle. »

Le jour de Thanksgiving, après un bon déjeuner, tandis que les enfants participaient à des jeux organisés, les adultes se réunirent pour un après-midi de mondanités.

— Je n’ai aucun goût pour les papotages autour d’un verre, dit Stephen à Marcy.

Page 63: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Allons plutôt nous promener.Et sans attendre de réponse, il la prit par la main et l’entraîna vers les dunes.— J’ai l’impression de faire l’école buissonnière! s’esclaffa Marcy.Toutefois, la progression dans le sable n’était pas aisée, et elle serait tombée sans la

main secourable de Stephen.— On voit que tu n’as pas l’habitude de vivre à la dure! plaisanta-t-il en la tutoyant

naturellement.Et, dans un geste qui la surprit, il la souleva dans ses bras. Instinctivement, elle passa

les siens à son cou et se blottit contre lui, le cœur battant à tout rompre. Conséquence de l’effort, tenta-t-elle de se persuader. De même qu’elle exultait à cause du bon air qui vivifiait ses poumons.

— Nous y sommes, dit Stephen.Il la regardait fixement. Ses lèvres étaient toutes proches des siennes. Il allait

l’embrasser. Il...Il la remit doucement sur ses pieds, et Marcy en éprouva une amère déception.— Je parie que je te gagne à la course! dit-il, désignant un rocher qui émergeait à

quelque distance de là.C’était si bon de se libérer en courant des tensions accumulées. Stephen atteignit son

but avant Marcy, et il lui tendit la main pour l’aider à grimper. A part eux, la plage était déserte. Les rochers, le sable, le bruit monotone des vagues battant la plage les isolaient dans un monde à part.

— Cela ne vaut-il pas toutes les réunions du monde? demanda Stephen.— Mille fois !Ils parlèrent du colloque, des problèmes se posant aux familles d’accueil, du difficile

choix de ces dernières, et Marcy exposa avec passion ses projets de réforme d’un système qu’elle jugeait dépassé et inadéquat.

Stephen l’observait, fasciné. Ses yeux bleu-vert brillaient avec éclat, elle débordait d’amour pour ses protégés et de l’espoir de leur rendre la vie meilleure. Des fossettes se creusaient puis disparaissaient de ses joues ; et, soudain, n’y pouvant plus tenir, il se pencha sur elle et l’embrassa.

Marcy sentit la chaleur des bras de Stephen l'envelopper, et elle l’attira plus près.Le cri aigu d’une mouette sembla répondre à son gémissement de volupté. Elle aurait

voulu que jamais ce baiser ne s’arrête, aussi n’était-elle pas préparée à ce qu’il la lâche en déclarant :

— Nous devrions aller voir ce que font les enfants.Ce recul amena des larmes de frustration dans les yeux de Marcy. Cependant, Stephen

l’entraînait déjà en coulant vers les dunes.

Page 64: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

10

La salle de jeux était pleine d’enfants. Certains jouaient aux échecs, aux dominos ou au ping-pong tandis que d’autres discutaient et riaient par petits groupes. Marcy parcourut la pièce des yeux sans trouver Davey. Stephen le cherchait également.

— Ginger, où est ton frère? demanda-t-il à la petite fille.— 'sais pas.Un peu inquiets, Marcy et Stephen firent le tour de la salle sans découvrir l’enfant. Ils

interrogèrent l’une des animatrices.— Il était avec ce groupe il n’y a pas cinq minutes, répondit la jeune fille.Du doigt, elle désignait quelques garçons agglutinés autour d’un ordinateur de jeu. Ils

étaient sensiblement plus âgés que Davey, ce qui lui ressemblait assez car il essayait toujours de paraître plus que son âge.

Questionné, l’un des garçons indiqua la porte de derrière en déclarant vaguement que Davey était parti « par là ». Stephen et Marcy cherchèrent donc l’enfant dans les environs immédiats. Cependant, leurs appels demeurant vains, Marcy se sentit gagnée par la panique. Et s’il s’était perdu ou blessé? S’il avait été enlevé?

Tandis que Stephen poursuivait ses recherches, elle inspecta chaque pavillon. Sans succès. Quand elle rejoignit Stephen, il paraissait aussi anxieux qu’elle. — Je ne le trouve nulle part! Oh! Stephen, qu’a-t-il pu lui arriver? — Il ne lui est rien arrivé, affirma-t-il. Il joue dans un coin. Cette fois, ils s’enfoncèrent avant dans les bois, battant les buissons et hurlant le nom de l’enfant. Aucune réponse. Le crépuscule approchait, un vent frais se leva. — Ne devrions-nous pas donner l’alerte? suggéra Marcy. — Pas encore. Je suis sûr que nous allons le retrouver ! — Mais suppose qu’il se soit blessé et ne puisse plus bouger. — Il peut toujours entendre. Davey ! Davey ! Où es-tu? L’angoisse de Stephen transparaissait pourtant dans sa voix. — Je vais chercher des renforts, dit Marcy, le saisissant par sa manche. A plusieurs, nous pourrons chercher dans des directions différentes et... — Non. De voir tous ces gens convergeant vers lui l’affolerait. — L’affoler! Il est probable qu’il l’est déjà. Je n’arrive pas à croire à un tel

Page 65: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

entêtement! Tu refuses de l’aider par fierté, ajouta-t-elle, à bout d’anxiété. Tu ne veux pas que les gens sachent que tu n’es pas capable de surveiller ton propre neveu! Ça t’est bien égal qu’il lui soit arrivé malheur! As-tu songé qu’un pervers avait pu l’entraîner sur la plage et... — La plage ! cria Stephen. Et, se frayant un passage à travers les arbres, il s’élança comme un fou vers l’océan. Des images d’un petit corps ballotté par les vagues plein la tête, Marcy le suivit. — Davey ! Marcy perçut la note de soulagement dans la voix de Stephen. Quand elle atteignit la plage, elle aperçut une minuscule silhouette traînant un bâton dans le sable mouillé qui avançait sans se hâter dans leur direction. — Davey! cria de nouveau Stephen. Maintenant, c’était de la colère qui vibrait dans sa voix. Quand elle les rejoignit, Stephen avait pris Davey par les épaules et le secouait furieusement. Craignant qu’il ne blesse l’enfant, Marcy avança une main pour l’arrêter. Mais il reprit presque aussitôt possession de lui-même. — Que fabriquais-tu ici tout seul, jeune brigand? demanda-t-il avec sévérité. L’enfant leva sur Stephen un regard rempli de crainte. — Je... je jouais. — Oh ! Davey, s’écria Marcy, des larmes de soulagement coulant le long de ses joues. Nous te croyions perdu ! — Je n’étais... pas perdu, hoqueta l’enfant, sans quitter son oncle du regard. — Ne t’a-t-on pas défendu de sortir seul? reprit Stephen. Marcy voulut protester, dire que, pour quelqu’un qui prétendait ne pas vouloir affoler l’enfant, il y allait un peu fort. Elle se tut pourtant, devinant qu’il se passait entre Stephen et Davey quelque chose d’important. — Et maintenant, tu vas ouvrir grandes tes oreilles, bonhomme! Tu ne dois sous aucun prétexte t’éloigner sans permission de l’endroit où je te laisse. Tu m’entends : sous aucun prétexte. L’enfant hocha la tête. — Je suis responsable de toi, tu comprends. Et c’est à moi que tu dois demander la permission, pas à tes camarades ! Le regard de Davey était maintenant empreint de la même crainte respectueuse qu’elle y lisait quand il recevait une sévère réprimande de son père. — Et regarde-toi ! Tu es sorti sans veste et tes pieds sont trempés! Tu as marché dans l’eau? Stephen grondait encore, mais sa voix s’était adoucie. Il ôta sa veste et la posa sur les épaules du petit garçon. Puis soudain, il l’entoura de ses bras et le serra contre lui. — Je m’excuse d’avoir crié si fort, Davey. C’est que j’étais mort d’inquiétude.

Page 66: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Quand il souleva l’enfant, Marcy vit une larme briller dans ses yeux. Il s’éclaircit la gorge et dit d’une voix passablement enrouée : — Nous ferions mieux de rentrer. Tu vas prendre un bain chaud et nous ne reparlerons plus de cette histoire. D’accord ? — D’accord, dit Davey, le visage niché dans le cou de Stephen. Tandis qu’elle marchait derrière eux le long de la plage, Marcy s’émerveilla de la force du lien qui naissait entre ces deux êtres. — Stephen? murmura Davey. — Oui? — Ils se sont moqués de moi. Je ne veux plus jouer avec eux. — C’est pour cette raison que tu t'es enfui? Davey acquiesça d’un signe de tête. — Ils disaient que j’étais une fille parce que j’ai eu peur de ce chat. Un gros chat noir avec des yeux... Oh ! Il approchait de moi, et j’ai eu peur, et tout le monde riait. Je ne veux pas qu’ils se moquent de moi ! Marcy songea avec mécontentement à ces garçons plus âgés que Davey. Pas étonnant qu’ils aient eu l’air embarrassés quand on leur avait demandé s’ils savaient où il se trouvait. — Il ne faut jamais te laisser entraîner à faire ce que tu ne veux pas faire, dit tranquillement Stephen. Comme de partir tout seul à l’aventure. Tu sais comment je réagis quand les gens rient de moi? Je ris avec eux!

— Tu as peur des chats? demanda Davey avec intérêt.— Non, mais les serpents m’épouvantent!— Hmm, fit Davey, d’un ton qui sous-entendait que tout le monde avait peur des

serpents. J’en ai vu au zoo des gros qui peuvent vous étouffer en s’enroulant autour de vous.

— Moi, j’ai peur de tous les serpents, qu’ils soient dangereux ou non. Il y a quelques mois, à Mexico, un homme du campement a agité sous mon nez un serpent inoffensif. Je me suis mis à donner des coups de pied dans tous les sens ; j’ai expédié ma gamelle à un bout du camp et renversé celle d’un autre. On aurait dit un pantin désarticulé.

Davey éclata de rire.— Tu vois? Toi aussi tu te moques! Mais je ne suis pas parti, j’ai ri avec les autres et

dit : « D’accord, les gars, j’ai peur des serpents, mais tout le monde a peur de quelque chose ! »

Devant l’évidente volonté de Stephen de rassurer l’enfant et de lui redonner confiance en lui, Marcy se sentait fondre de gratitude. Jamais elle ne l’aurait cru capable d’une telle sollicitude. Comme elle lui pressait légèrement le bras, il se tourna vers elle et lui sourit.

— Tu es drôlement lourd, bonhomme, dit-il, posant Davey à terre. Donne la main à

Page 67: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Marcy, elle a besoin d’aide pour escalader ces dunes!Et se tenant tous les trois par la main, ils prirent le chemin du retour.Tout semblait soudain si simple.Au fond, se disait Stephen, il n’avait pas tiré énormément d’enseignement de ce

colloque à Asilomar. Pourtant, en se rappelant ce jour sur la plage, il ne pouvait que se féliciter d’y être allé car, depuis, Davey lui vouait une affection mêlée de respect.

Comme il aimait l’entendre rentrer de l’école en criant : « Stephen ! Stephen ! Devine ce qui s’est passé ! » ou bien : « Stephen ! est-ce que j'ai bien tracé mon 3 ? »

Et Ginger qui imitait toujours son frère s’était également considérablement rapprochée de lui.

Sur ces entrefaites, son agent immobilier de New York lui expédia des photos d’une maison campagnarde du Connecticut. Il comptait bien demander son avis à Marcy mais était d’ores et déjà persuadé avoir trouvé ce lui lui fallait.

Tout allait donc pour le mieux quand deux événements se produisirent. Tout d’abord, Mme Evans, la perle des gouvernantes, demanda la permission de quitter immédiatement son poste afin de rejoindre une parente malade. Résigné, Stephen lui paya son billet de retour et se remit en quête d’une baby-sitter. Mme Chisholm accepta de le dépanner temporairement. Comme sa sœur vivait désormais sous son toit, elle pouvait même assurer les gardes de nuit.

Stephen commençait à comprendre les difficultés n’avait pu rencontrer son père pour les élever; ce père, de surcroît ne possédait pas les mêmes moyens financiers que lui, ni une secrétaire diligente pour régler ses problèmes.

Ensuite, Stephen fut appelé de toute urgence à l’école où Ginger s’était blessée au bras en tombant d’un portique. On ne pouvait juger de la gravité du mal parce qu'elle refusait de laisser quiconque l’approcher.

Ne pouvait-on surveiller convenablement ces gosses? grommelait Stephen en roulant vers l’école. D’ailleurs, pourquoi se trouvaient-ils dehors? Il faisait trop froid pour les laisser jouer à l’extérieur! Pauvre petite Ginger... Soudain, une idée lui traversa l’esprit. Et si elle refusait aussi qu’il l’approche?

Ce fut pourtant tout le contraire qui se produisit, car lorsqu’elle aperçut Stephen, Ginger se précipita sur lui en hurlant : « J’ai mal, Stephen. J’ai mal ! »

On l’évacua sur l’hôpital, et il s’avéra qu’elle avait bel et bien le bras cassé. Sur le chemin du retour, en dépit du chagrin qu’il éprouvait devant la pauvre Ginger affligée d’un plâtre, Stephen ne pouvait contenir une certaine exaltation. C’était vers lui que la petite fille avait couru quand elle avait eu besoin d’aide. Vers lui !

Quelques jours plus tard, alors que les enfants jouaient dans la chambre de Davey après le dîner, Mme Chisholm s’attarda dans la cuisine avec Stephen.

— Je me demande ce que vous allez devenir avec ces enfants, monsieur Prescott.

Page 68: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Vous vous épuisez à vous occuper d’eux; vous n’avez même plus le temps de travailler. Si vous voulez mon avis, c’est une épouse qu’il vous faudrait.

— Quelle idée, madame Chisholm! Et d’abord, qui voudrait d’un vagabond comme moi?

— A voir la manière dont vous dilapidez votre argent, j’imagine que pas mal de femmes aimeraient faire leurs griffes sur vous !

— Hmm, croyez-vous cela enviable?— Allons bon ! Vous n’êtes tout de même pas comme tous ces gens qui ne jurent que

par le grand amour! Je ne vous parle pas sentiment, je dis que vous devriez vous marier.Tout en buvant son café, Stephen regardait la femme de ménage débarrasser le couvert.— Ah oui ? Et mariage et amour ne sont-ils pas censés aller de pair?— Si vous considérez la manière dont les couples se font et se défont de nos jours,

vous comprendrez vite qu’il n’en va pas ainsi. Je vous dis que devriez engager une femme.

— Engager une femme! Enfin, madame Chisholm, que voulez-vous dire par là?Stephen était habitué au franc-parler et aux idées farfelues de Mme Chisholm, mais

cette fois, elle dépassait les bornes.— Exactement ce que j’ai dit. Prendrez-vous une autre tasse de café?— Je vais me servir, dit Stephen en se levant. Écoutez, madame Chisholm, il me

paraît infiniment plus facile d’engager une baby-sitter qu’une épouse!— Vous croyez ça? Combien en avez-vous vu passer depuis deux mois que vous

avez la garde des enfants? Trois ! La vérité, monsieur Prescott, c’est qu’il vous faut davantage qu’une baby-sitter ou une aide ménagère. Vous n’avez même plus l’esprit assez libre pour travailler. Et songez qu’ils vont grandir et multiplier leurs activités. Élever des enfants représente une lourde charge, autant sur le plan matériel que moral.

— Je dois avouer qu’il y a du vrai dans ce que vous dites, répliqua Stephen en s’adossant au plan de travail pour boire son café. Cependant, qu’aurais-je à offrir en échange?

— La sécurité matérielle ! Et croyez-moi, de nos jours, c’est l’essentiel.— D’accord, admettons que je trouve une femme qui accepte de m’épouser sur ces

bases, comment se traite une telle affaire?— Comme toutes les autres. Vous établissez un contrat et le tour est joué. Vous

savez, autrefois, c’était ainsi que les choses se passaient et les mariages n’étaient pas plus malheureux pour ça. Il arrive d’ailleurs encore dans certaines parties du monde que des unions soient arrangées entre enfants pour des raisons de commodités matérielles.

— Et que se passe-t-il selon vous si l’un des partenaires tombe amoureux? demanda Stephen en souriant.

— Il faut qu’il soit bien entendu dès le départ que chacun conserve sa liberté. Tant que les termes du contrat sont respectés, où est le mal ?

Page 69: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Stephen, qui avalait une gorgée de café, faillit s’étrangler. Mme Chisholm leva les yeux de sa tâche et le considéra avec perplexité.

— Vous allez bien, monsieur Prescott?Stephen toussota et s’essuya les yeux.— Je vais bien, oui. Seulement, vous me stupéfiez, madame Chisholm. Vous,

partisane de l’amour libre? Qui l’eût cru ?— Vous pouvez plaisanter, allez. Je sais que j’ai raison, et vous le savez aussi!Quand il quitta la cuisine, Stephen riait encore. Une heure ou deux plus tard, Mme

Chisholm prit congé.— Réfléchissez à ce que je vous ai dit, monsieur Prescott, lui conseilla-t-elle.— J’y réfléchis, j’y réfléchis! dit Stephen en contenant à grand-peine un fou rire.Ginger se tenait sur ses genoux, Davey était perché sur l’accoudoir de son fauteuil. Les

deux enfants, en pyjama, attendaient leur rituelle histoire du soir.— Oh ! entrez, mademoiselle Wilson, fit la voix de la gouvernante, dans le hall. Je

partais justement.Marcy entra, un panier à la main. Vêtue d’un simple jean et d’un pull, elle était

ravissante. Et, tout à coup, les propos de Mme Chisholm résonnèrent avec une clarté significative aux oreilles de Stephen. S’il devait « engager » une femme, ce serait Marcy ! Puis il se reprit. Comment pouvait-il seulement songer à une chose pareille?

Devant le groupe formé par Stephen et les enfants, Marcy sentit son cœur se serrer. Us semblaient si unis. Elle aurait voulu... qu’aurait-elle voulu au juste?

— Qu’est-ce que c’est, Marcy? Qu’est-ce que c’est? demanda Ginger, sautant à bas des genoux de son oncle.

Alors seulement, Marcy remarqua le plâtre.— Ginger! Que t’est-il arrivé?— Je me suis cassé le bras en tombant. Le docteur a signé sur mon plâtre, tu voudras

bien signer aussi?— Bien sûr, chérie. J’espère que tu te montreras désormais plus prudente.Du panier provenait un faible miaulement qui intriguait au plus haut point les enfants.

Ginger courut au panier et l’ouvrit.— Marcy, c’est un chaton ! Où l’as-tu eu ? Est-ce que je peux le prendre?— Assieds-toi d’abord.Quand ce fut fait, Marcy plaça le petit chat sur les genoux de l’enfant.— Sois très douce, dit-elle en caressant la fourrure soyeuse.Du coin de l’œil, elle observait Davey. Lorsqu’on lui avait proposé ce chaton, elle avait

tout de suite pensé à lui. Peut-être qu’en s’attachant à un aussi petit animal, il parviendrait à vaincre sa peur des chats. Pour le moment, il paraissait intéressé, sans toutefois quitter le refuge du fauteuil de son oncle. Celui-ci l’encouragea à s’approcher

Page 70: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

du chat en allant lui-même s’accroupir à côté des autres. Davey le rejoignit. Ginger faisait danser une souris de caoutchouc sous le nez de l’animal.

— Arrête, Ginger! cria Davey. Ce n’est pas gentil. Viens, chaton, je vais te la donner.Marcy retint son souffle pendant que Davey prenait le jouet des mains de sa sœur et le

posait devant le chat, plus, prudemment, il avança un doigt vers la boule de poils grise. Marcy sentit se poser sur son bras la main de Stephen. Comme elle se tournait vers lui, il lui adressa un clin d’œil.

— Excellente idée, lui dit-il un peu plus tard, alors que les enfants avaient gagné leur lit.

— C’est ce qu’il m’a semblé. Dès que Davey sera habitué au chat, je le lui donnerai.— Hé ! une minute ! s’écria Stephen, voyant que Marcy s’apprêtait à repartir. Je

voudrais te montrer quelque chose.D’une enveloppe, il tira des photos qu’il étala devant eux sur le tapis.— C’est une maison située dans le Connecticut. J’envisage de l’acheter. Qu’en

penses-tu?— Oh! Stephen, elle est merveilleuse! Et tous ces grands arbres où Davey pourrait

grimper et construire des cabanes !— Elle comprend aussi une petite écurie. Les enfants pourraient avoir leurs poneys.— L’endroit me semble idéal.Ils discutèrent un moment de la maison, six pièces d’habitation, sur trois hectares de

terrain. Et tandis qu’elle confortait Stephen dans sa décision, Marcy sentait sa gorge se nouer et les larmes lui monter aux yeux. Jamais de sa vie elle n’avait ressenti un tel désarroi. Elle ne pouvait supporter l’idée de ne plus voir les enfants. Et de ne plus voir Stephen. Elle le regardait parler, elle voyait son sourire tendre et la façon dont ses paupières se plissaient, et l’idée d’être séparée de lui lui fendait le cœur. Serait-il possible qu’elle... l’aimât?

— ... aimerais-tu y vivre? demandait Stephen.— Oh! oui, naturellement. Tout le monde aimerait vivre dans un tel endroit.— Non, ce que je veux dire, c’est euh... Marcy, accepterais-tu de m’épouser?Stephen en demeura tout abasourdi. Avait-il réellement prononcé ces paroles?— Tu veux que... que...Le cœur de Marcy s’emplit d’une telle joie qu’elle le crut sur le point d’éclater.

Cependant, la voyant si bouleversée, Stephen se hâta d’ajouter :— Rassure-toi, ce ne serait pas un vrai mariage. Je te propose plutôt un emploi.

Un emploi? Mais n’avait-il pas parlé mariage? — L’idée peut à première vue paraître folle, pourtant, je crois qu’elle tient debout. C’est Mme Chisholm qui me l’a suggérée. Marcy l’écouta lui expliquer le plan de la femme de ménage. Et au fur et à mesure des

Page 71: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

explications, elle sentait son cœur se briser. — Ça tombe bien, disait Stephen, je ne crois pas à ces histoires d’amour rimant avec toujours. Nous serions tous les deux libres, tu n’aurais aucun compte à me rendre. — Je vois. On a les idées larges, n’est-ce pas? Marcy fut tout étonnée d’arriver à s’exprimer sans que sa voix tremble. — Nous serions toujours là pour les enfants, dit Stephen. — Pour les enfants, oui. — Légalement, tu serais ma femme, Marcy. Nous partagerions tout. « Tout sauf l’amour, naturellement », pensa-t-elle. — Alors, qu’en penses-tu? — Je pense que Mme Chisholm — que, entre parenthèses, je n’aurais jamais suspectée de nourrir des idées aussi avancées — a conçu là un plan audacieux. Et je pense que c’est très généreux de ta part d’y songer! Vraiment, un pareil sacrifice pour assurer le bonheur de Davey et de Ginger. Quelle noblesse! Parmi toutes tes connaissances, je suis sûre que tu dénicheras une femme heureuse de contracter un tel mariage. Tout ce que je peux te dire, c’est que ce ne sera pas moi ! Stephen bondit sur ses pieds. — Mais voyons, aucune femme n’aimera les enfants comme tu les aimes! Attends! ajouta-t-il en la voyant s’emparer du panier. Écoute-moi un instant... — J’en ai assez entendu ! Désolée, Stephen, je suis loin d’être aussi évoluée que Mme Chisholm. Et je n’ai pas l’esprit de sacrifice comme toi. Moi, je crois à l’amour éternel, et je ne me résoudrai jamais à faire un mariage de raison !

— Oh ! Marcy, ne dis pas ça. Ce ne serait pas... enfin, toi et moi nous entendons tellement bien...

Elle se rappela soudain la façon dont il l’avait embrassée et ce qu’elle avait ressenti. Submergée de honte et de désespoir, elle ramassa le panier du chat et, le serrant contre son cœur, courut se réfugier dans son appartement.

Page 72: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

11

Elle ne pleurerait pas; ça, non! Elle n’avait aucune raison pour ça. A genoux près de la cheminée, Marcy sortit le petit chat du panier et se mit à le caresser.

— Je crois que tu vas devoir te résigner à vivre avec moi, chaton, murmura-t-elle.Par son bavardage, elle essayait de dissiper la déception, le chagrin et la honte qui la

tenaillaient. La honte, oui, car Stephen n’aurait eu qu’à lui tendre les bras pour qu’elle s’y précipite.

— Je ne peux pourtant pas t’appeler éternellement « chaton ». Quel nom vais-je bien pouvoir te trouver?

Elle avait pensé laisser le soin du choix à Davey, mais à présent, elle savait qu’elle devait tirer un trait sur ses projets. « Oublie-les, Marcy. Il le faut. Bientôt, ils partiront. Et Stephen aussi. »

Stephen.Eh bien, oui, elle l’aimait. A présent, elle en était certaine. Et elle s’effarait d’avoir pu

tomber amoureuse d’un type assez insensible pour envisager « d’engager» une femme? Oh! quel être odieux, impossible! Quel idiot! Comment avait-il pu imaginer un seul instant qu’elle entrerait dans son jeu? La croyait-il si désireuse de se marier qu’elle saute sur la première demande venue ?

Marcy était tellement furieuse qu’elle songea à sortir courir jusqu’à épuisement dans le parc. Mais il faisait nuit. A la place, elle sortit le trampoline de son placard.

Stephen donna un coup de pied rageur dans une bûche, avant de replacer le pare-feu. Il avait sans doute mal présenté les choses. Tout de même, elle aurait pu l’écouter. Un tel mariage ne présenterait que des avantages pour elle dont la situation financière laissait tant à désirer. Si elle l’épousait, il s’occuperait d’elle. Elle aurait tout ce qu’elle voulait.

Mais que voulait-elle au juste? Ah oui. Elle voulait l’amour. La seule pensée du mot l’effraya. Jamais, même dans les plus ardents débordements de la passion, il ne l’avait prononcé. Et il s’en passait fort bien, merci ! Il ne tenait pas à souffrir.

Soudain, il s’immobilisa.D’autres avaient-ils murmuré des mots d’amour à Marcy? Ce Gerald, par exemple? Ou

bien Tom, l’homme au costume? « Des camarades », avait-elle prétendu, mais avec les femmes, pouvait-on jamais savoir?

Enfin, si ça lui plaisait de s’entendre raconter des fadaises, libre à elle. Pourtant, si elle

Page 73: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

l’épousait, pas de surprise, il serait fidèle à la parole donnée. Il fallait qu’il lui explique tout cela. Il tendit la main vers le téléphone puis suspendit son geste.

Non, il lui laisserait le temps de reprendre son sang-froid. Demain, il l’emmènerait déjeuner et lui démontrerait où se trouvait son bien.

Il faisait un temps épouvantable quand Stephen se gara le lendemain vers 11 heures devant les locaux du Bureau d’aide à l'enfance. Pourtant, malgré la pluie battante, le parapluie à la main et l’imperméable lui battant les jambes, Marcy s’apprêtait à sortir. Remontant le col de son pardessus, Stephen alla à sa rencontre. — Ça te dirait que nous allions déjeuner quelque part? — Pas le temps. Je dois transférer un enfant d’un foyer à un autre. — Dans ce cas, laisse-moi t’accompagner... — Je préfère prendre ma voiture. Comme elle s’évertuait à déverrouiller sa serrure sans lâcher son parapluie, il le lui prit des mains. Ensuite, quand elle se fut installée au volant, il fit le tour de la voiture et se glissa sur le siège du passager. — Quand tu fermes, pense aux quatre portes. N’importe qui peut monter dedans. — C’est ce que je constate, jeta-t-elle, acerbe. Et maintenant, si tu descendais et me laissais faire mon travail ? — Rien ne t’en empêche. Nous discuterons en chemin. — Si c’est la même discussion qu’hier, tu perds ton temps et me fais perdre le mien. Je suis déjà en retard. — Dans ce cas, démarre. Avec un cri de colère, Marcy appuya si brusquement sur la pédale d’accélérateur que Stephen se trouva plaqué contre son siège. — Un peu moins vite, s’il te plaît. C’est dangereux! — Attache ta ceinture si tu as peur! Sans ralentir, Marcy obliqua sur la bretelle qui menait à l’autoroute. — Oh, je suis prêt à risquer ma vie pour une petite conversation avec toi. Je sais que s’il m’arrive quelque chose, Davey et Ginger seront en bonnes mains au Bureau d’aide. Marcy daigna sourire et lever le pied. Prise dans les rafales de pluie et de vent, la petite Volkswagen n’en continuait pas moins de tanguer dangereusement. Héroïquement, Stephen parvint à s’abstenir de tout commentaire. Peu après, Marcy quittait l’autoroute et s’arrêtait devant un pavillon neuf.

— Puis-je t’aider? demanda Stephen.— Oui, tu passes sur le siège arrière. Angie et moi avons à parler.Angie était une petite fille d’environ huit ans, aux grands yeux inquiets dans un petit

visage pâle. Quand elles furent installées, Marcy entreprit de réconforter l’enfant.

Page 74: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

D’après la conversation, Stephen comprit qu’on avait dû la retirer à une mère qui la battait. Quand Marcy lui expliqua que là où elle allait, il y avait une fillette de son âge, des vaches et des poules, la petite se rasséréna un peu.

Tout en roulant vers la ferme, Marcy continua de parler à l’enfant. Quand ils arrivèrent, Stephen était lui-même au bord des larmes. Comment Marcy pouvait-elle supporter de rencontrer journellement de telles détresses?

— Ne craques-tu pas quelquefois? lui demanda-t-il comme elle regagnait la voiture. Ces situations dramatiques éternellement renouvelées...

— Il faut bien que quelqu’un s’en occupe, répondit laconiquement Marcy.Tandis qu’elle reprenait l’autoroute en sens inverse, Stephen revint à ses propres sujets

de préoccupation. Il avait bien l’intention, cette fois, de se montrer plus diplomate.— Je dois me rendre dans l’Est cette semaine, commença-t-il prudemment. Pour

visiter la maison dont je t’ai parlé et faire une offre. J’avais pensé que tu pourrais peut-être m’accompagner...

— Tu plaisantes ! Tu es assez grand pour prendre tout seul une décision !— Marcy, écoute-moi...Bon sang, qu’avait-il prévu de lui dire? Quoi que ce fût, cette conversation devait se

tenir dans le calme d’un restaurant et non dans une voiture ballottée par la tempête.— Tu n’as pas déjeuné, dit-il. Si nous nous arrêtions quelque part?

— Je n’ai pas le temps... A ce moment, la voiture fit une brusque embardée. Avec quelque difficulté, Marcy parvint à reprendre suffisamment de contrôle pour se garer sur un dégagement. — Je crois que j’ai un pneu crevé, annonça-t-elle. Dix minutes plus tard, Stephen dévissait sous la pluie le dernier boulon. — Pas étonnant, déclara-t-il, mécontent. Ton pneu est usé jusqu’à la ferraille. C’est même un miracle qu’il ait tenu jusqu’ici ! Veux-tu bien cesser de m’éborgner avec ton parapluie? — Je voulais seulement t’aider. — Alors, ôte-toi de mon chemin ! Marcy n’en continua pas moins à tenter de le protéger de la pluie. — C’est terrible! gémit-elle. Je savais que j’aurais dû les changer le mois dernier. — C’est le moins qu’on puisse dire ! Rentre donc dans la voiture. Inutile que nous soyons tous les deux trempés. — Je ne peux vraiment rien faire pour t’aider? D’un geste brusque, il les poussa, elle et son parapluie, à l’intérieur de la voiture. — Ah ! les femmes, explosa-t-il. « J’aurais dû les changer le mois dernier.» Tu parles! L’année dernière plutôt! Et cette déplorable manière de conduire... Elle aurait déjà pu se tuer une bonne centaine de fois !

Page 75: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Lorsque la réparation fut faite, il se glissa à l’intérieur du véhicule, à la place du conducteur. — Je ne te comprends pas, Marcy, maugréa-t-il. Tu sais pourtant combien il est dangereux de rouler avec des pneus usés! — Oui, bien sûr, répliqua-t-elle en se mordant la lèvre. Seulement, j’ai eu des imprévus. Naturellement! Encore ses problèmes d’argent. Décidément, cette fille ferait beaucoup mieux de se marier, elle avait bien besoin qu’on s’occupe d’elle. — Où vas-tu? demanda-t-elle comme Stephen quittait l’autoroute. — Au premier garage. Nous ne roulerons pas un kilomètre de plus avec ces pneus. — Ça peut attendre. Je m’en occuperai demain. — C’est ça. Tu me prends pour un idiot? — Enfin, Stephen, je ne veux pas te créer de soucis ! — Et moi, je ne veux pas que tu te tues ! — L’état de mes pneus ne te regarde pas ! — Il fallait me le dire plus tôt! Ça m’aurait évité de me tremper! — Tu sais très bien ce que je veux dire... Et puis, je préférerais aller chez Pete, à Aubum. J’ai confiance en lui. Pete la connaissait bien, se disait Marcy. Il lui ferait crédit d’un pneu sans difficulté. Cependant, Stephen entrait déjà dans une station-service. — Avez-vous des pneus de Volkswagen? demanda-t-il à l’employé qui approchait. Le cœur de Marcy fit un bond dans sa poitrine. Elle avait déjà utilisé tout le crédit de sa carte ; mais peut-être que sur son compte... Combien pouvait coûter un pneu? Elle se le demandait bien. — Nous en prendrons cinq, entendit-elle Stephen déclarer. Cinq! Elle se rua hors de la voiture. — Voyons, Stephen! Nous n’avons pas besoin de cinq... Avant qu’elle ait eu le temps de terminer sa phrase, Stephen lui fermait la bouche d’un baiser. — Mais si, chérie, nous avons bel et bien besoin de cinq pneus. Ah ! les femmes, ajouta-t-il se tournant vers le garagiste, elles se figurent entretenir une voiture parce qu’elles y mettent de l’essence! De sa poche, il tira une carte de crédit. — Mieux vaudrait par la même occasion faire le plein et vérifier le niveau d’huile. Prenez votre temps, nous déjeunerons en face. Viens, mon amour. Sur ces mots, prenant Marcy par le bras, Stephen l’entraîna hors de la station. — Stephen ! je ne veux pas de ces pneus ! Et... et... pourquoi m’avoir fait passer pour

Page 76: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

ta femme? — C’était le seul moyen de te faire taire. Installée devant une tasse de café bien chaud, Marcy sentait sa colère fondre. Les cheveux de Stephen dégoulinaient d’eau, ses vêtements étaient trempés, et pas une seconde il ne s’était plaint. Que serait-elle devenue s’il ne s’était pas trouvé là pour l’aider? — Je te remercie d’avoir changé ma roue, dit-elle, et pour tout le reste aussi... L’angoisse serrait le cœur de Marcy. Comment pourrait-elle jamais lui rembourser cette somme? En empruntant à Jennifer, peut-être... — ... je te rembourserai dès que possible. — N’y pense plus. J’aurais eu des cauchemars de te savoir circulant dans des conditions pareilles. N’empêche qu’elle le rembourserait, dût-elle se passer de manger ! Soudain, Stephen étendit le bras à travers la table et posa sa main sur la sienne. — As-tu réfléchi à ma proposition, Marcy? C’est une bonne affaire, tu sais. — Une bonne affaire? répéta-t-elle en lui retirant vivement sa main. C’était donc toujours sous cet angle qu’il envisageait le mariage ! — Parfaitement. Il avala une gorgée de café et reposa sa tasse. — Pour ma part, reprit-il, je n’aurais plus à me faire de souci pour Davey et Ginger; et toi, tu serais matériellement à l’abri.

— Inutile de revenir là-dessus, Stephen. Je ne veux même pas en discuter.— Ce serait tellement pratique...— Tais-toi. Ce n’est pas parce que tu as changé ma roue que je changerai d’avis !— Tu as besoin de quelqu’un pour veiller sur toi, Marcy. Et ne crois pas que

j’essaierai de m’ingérer dans tes affaires. Tu serais parfaitement libre. En outre, j’ai réfléchi à ce projet de foyer pour enfants dont tu m’avais parlé, disant que ce serait une meilleure alternative au placement en famille.

— Eh bien ?Étrange qu’il y ait prêté assez d’attention pour s’en souvenir...— Si tu m’épouses, tu ne seras plus obligée de travailler. Ça te laissera du temps

pour élaborer ton projet. Tu pourrais chercher des partenaires. Ma compagnie, par exemple, financerait certainement une partie du projet. Tu ferais plus en maniant le stylo qu’à courir partout avec ces enfants accrochés à tes jupes.

— Tu me donnes des idées, Stephen. Je ne sais pas pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt. Seulement je n’ai pas besoin d’épouser quelqu’un pour rédiger un projet.

— Pour le présenter, il est quand même préférable d’être libre de tes mouvements.

Page 77: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Stephen remercia la serveuse qui apportait leurs plats d’un sourire qui sembla lui aller droit au cœur. Le dépit qu’en éprouva Marcy la surprit. Il pouvait bien sourire à qui il voulait, elle n’était pas jalouse. Pourquoi l’aurait-elle été puisqu’elle n’était pas amoureuse de lui?

— Es-tu amoureuse, Marcy?Elle rougit.— Non, bien sûr que non, répondit-elle d’un ton un peu trop assuré.— Raison de plus pour m’épouser! Je t’éviterai ainsi des chagrins d’amour. Crois-

moi, Marcy, les histoires d’amour ne durent qu’un temps, et l’on n’en récolte que du chagrin.

12

Marcy se refusait à prêter attention aux arguments de Stephen, et elle fut bien soulagée quand ils reprirent la voiture pour rentrer à Aubum. Il la laissa avec réticence à la porte du bureau. Sa voix cajoleuse et persuasive n’en continua pas moins de résonner aux oreilles de Marcy, et son visage s’interposait entre ses dossiers et elle.

Marcy travailla donc peu et mal. En fin d’après-midi, elle décida qu’il lui fallait absolument rencontrer d’autres gens pour faire diversion.

Justement, il se trouva que Jo lui proposa de passer le week-end dans un chalet que son mari et elle possédaient en montagne, proposition que Marcy accepta avec empressement.

Quand elle rentra chez elle en fin de journée, elle appela Jennifer à qui elle comptait emprunter l’argent nécessaire au remboursement de sa dette. Sa sœur accepta, lui assurant que ça ne la gênait aucunement et qu’elle était au contraire bien contente de savoir les pneus enfin remplacés. Marcy garda toutefois de leur conversa-lion un certain malaise car sa sœur paraissait très déprimée.

Le soir, Tom l’emmena danser. Ils passèrent une excellente soirée, et lorsqu’elle l’invita pour le week-end, il déclara qu’il serait ravi de l’accompagner chez Jo.

Stephen entendit Marcy rentrer de son travail. Plus tard, on frappa à sa porte, et il la vit

Page 78: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

ressortir avec... il n’était pas très sûr, mais il lui semblait qu’il s’agissait bien de l’homme au costume.

« Chacun est libre d’agir comme il l’entend », se dit-il. Pas de liens, pas d’engagements. Il serra Ginger contre lui et poursuivit sa lecture du soir.

« La lune se reflétait sur la neige nouvellement tombée... »Ce serait tout de même bien que Marcy trouve un peu de temps à consacrer aux

enfants. Ils pourraient peut-être aller tous les quatre pique-niquer le lendemain.« ... et alors, j’entendis résonner sur le toit le piétinement léger des petits sabots... »Avec qui pouvait-elle bien être sortie? Il espéra qu’ils auraient un temps épouvantable.

Marcy passa un week-end de rêve en compagnie de ses amis et de Tom.Quant à Stephen, lorsqu’il se rendit compte que Marcy ne rentrerait pas, il se résigna à

emmener tout seul Davey et Ginger au Nut Tree. La promenade fut délicieuse, ainsi que le repas. Pourtant, Marcy lui manquait terriblement. Elle et les fossettes qui se creusaient dans ses joues quand elle riait.

Le mardi, Stephen téléphona deux fois au Bureau d’aide. Les deux fois, Marcy lui répondit qu’elle était trop occupée pour discuter, ce qui était par ailleurs exact. Elle se demanda combien de temps elle réussirait encore à l’éviter.

Aux environs de midi, elle reçut un coup de fil désespéré de Jennifer. Al l’avait quittée. Elle sanglotait au téléphone en affirmant qu’elle n’y survivrait pas. Marcy ne tergiversa pas. Elle prit un congé pour se rendre auprès d’elle.

Dans sa boîte aux lettres, elle trouva le chèque promis par sa sœur et décida de le déposer à sa banque en partant. Elle rédigea donc un chèque pour Stephen qu’elle mit dans une enveloppe avec un petit mot et glissa le tout sous sa porte. Ensuite, elle fit sa valise. Qu’allait devenir le chaton en son absence? Elle ne pouvait tout de même pas le confier à ses voisins d’à côté. Joint au téléphone, Gerald déclara qu’il le nourrirait très volontiers à condition qu’elle lui laisse les clés de son appartement.

Jennifer habitait à Shingle Springs un immeuble de grand standing. « Malheureusement, l’argent ne suffit pas à rendre les gens heureux », philosophait Marcy, roulant dans les allées soigneusement entretenues du parc. Elle trouva Jennifer assise en robe de chambre à la table de la cuisine, environnée de montagnes de vaisselle sale et de restes de nourriture, berçant dans ses mains un bol de café. Ses beaux cheveux pendaient lamentablement autour de son visage tout boursouflé par les larmes.

Elle se jeta dans les bras de Marcy qui la tint longtemps serrée contre elle en lui murmurant qu’il ne fallait pas se mettre dans des états pareils, que tout s’arrangerait.

Stephen lisait le mot de Marcy tout en pianotant du bout des doigts sur le manteau de la cheminée. « Je ne te remercierai jamais assez de m’avoir dépannée sous la pluie. Je

Page 79: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

tiens toutefois à te rembourser. Encore merci. » Elle l’évitait donc; voilà qui était clair. Oh! mais elle ne pourrait pas toujours fuir. Ce soir, il irait chez elle, déchirerait le chèque sous son nez et en jetterait les morceaux au feu.

Stephen attendit impatiemment son retour. Quand il entendit un bruit de pas se dirigeant vers son appartement, il sortit en toute hâte pour tomber sur Gerald qui ouvrait la porte. Stephen lui adressa un bref signe de tête, avant de rentrer chez lui. Plutôt mourir que de lui demander s’il savait où se trouvait Marcy! Mais pourquoi avait-il en sa possession la clé de son appartement?

— Je n’arrive pas à le croire, sanglotait Jennifer. Jamais je n’aurais pensé qu’Al me quitterait!

Marcy avait également du mal à croire à la réalité de cette rupture. Ils semblaient si heureux et si amoureux à l’époque de leur mariage. « L’amour ne dure jamais », avait prétendu Stephen. Marcy secoua la tête avec impatience. Elle ne voulait pas penser à lui.

— Et tu dis qu’il est parti comme ça, sans raison?— Enfin... pas exactement. Il est rentré un soir tard à la maison, et je l’ai agressé.

Alors, il a dit qu’il en avait par-dessus la tête de mes soupçons, il a jeté quelques vêtements dans un sac et il a pris la porte.

— Je trouve plutôt que ça ressemble à une querelle...— Non, Marcy. Je sentais venir cette crise depuis un moment.Jennifer se tassa un peu plus sur elle-même.— Tu comprends, reprit-elle, il passait de plus en plus de week-ends à l’extérieur, et

il rentrait si tard à la maison. Et puis il y avait ces après-midi entiers passés sur le terrain de golf... Tu sais comment se comportent les femmes avec Al. Elles s’agglutinent toutes autour de lui comme des mouches. Il est si vulnérable.

A part elle, Marcy songea qu’il était surtout parfaitement conscient de son charme. Exactement l’opposé de Stephen qui vous infligeait son paresseux et adorable sourire sans se rendre compte des ravages qu’il pouvait causer!

— ... cette divorcée qui a acheté la maison voisine, par exemple. Elle passe son temps à lui téléphoner, et quand elle ne l’appelle pas, il faut qu’elle parade en Bikini au bord de sa piscine. Oh! cette femme. Dès le début, j’ai deviné qu’elle avait des vues sur Al !

Marcy écoutait patiemment les récriminations de sa sœur. Elle savait Al légèrement infatué de lui-même, mais ne le croyait pas infidèle.

— Lève-toi, fit-elle soudain, et va prendre une douche. Je prépare le dîner.— Oh! Marcy, je n’ai pas faim.

Page 80: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Moi si. Va!Pendant que Jennifer se préparait, Marcy remit un peu d’ordre dans la cuisine. Bien

qu’elle essayât de se concentrer sur les problèmes matrimoniaux de sa sœur, l’image de Stephen revenait sans cesse la hanter et elle entendait ses sombres commentaires sur l’amour.

Seulement, il avait tort. Ce sont les gens qui changent; et un amour particulièrement fort peut résister à la routine du quotidien. Quant à un mariage sans tendresse, inutile de miser dessus, se dit-elle, espérant ainsi exorciser une fois pour toutes le souvenir de Stephen.

Finalement, Jennifer fit honneur au repas de fortune préparé par sa sœur. Sans pour autant lui épargner la longue litanie de ses lamentations.

— Son départ n’a fait que confirmer mes soupçons. Tu comprends, j’attendais cet instant depuis longtemps.

Les soupçons de Jennifer. Ce mot revenait sans cesse dans la conversation. Constituait-il par hasard le nœud du problème? Avait-elle fini par lasser Al en l’accusant d’imaginaires trahisons? Au fond d’elle-même, Jennifer n’avait pas cessé de se battre pour garder Al. Elle ne croyait pas vraiment à la réalité de son amour.

Marcy songea soudain à ce qu’elle avait lu sur la théorie de la visualisation. Tout en n’étant pas persuadée de son efficacité, elle se disait que ce pouvait être intéressant de réfléchir dessus. Par exemple : en visualisant le jour où Al la quitterait, Jennifer n’avait-elle pas provoqué la rupture? « Tout ce qu’on se représente se produira. » — ... il doit passer prendre ses affaires demain. Oh ! Marcy, tout est fini. Jamais il ne reviendra. — Si tu ne changes pas de comportement, c’est certain, riposta si sèchement Marcy que Jennifer tressaillit. — Ne dis pas ça, je t’en prie! — Alors, il faut que tu transformes tes représentations mentales ! Là-dessus, Marcy expliqua à sa sœur ce qu’elle connaissait de la théorie de la visualisation. Comme Jennifer demeurait sceptique, Marcy lui rétorqua qu’elle avait lu à ce sujet des témoignages étonnants. Jennifer était si abattue qu’elle finit par se raccrocher à ce mince espoir. — Commence par penser à quel point Al t’aime et combien vous êtes heureux ensemble. — Que je... mais... — Prends le contrôle de ton esprit, Jenny. C’est la clé de la méthode! Plus de pensées négatives. Tu sais qu’il t’aime et que vous êtes heureux. — Voyons, Marcy ! C’est faux. — Un petit effort, Jenny. Peu importe ce qui est; ce qui compte, c’est ce que tu te

Page 81: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

représentes ! Et dans ton esprit, il t’aime et vous êtes heureux. Al devait venir chercher ses affaires le lendemain soir. Cela donna une idée à Marcy. Sans perdre de temps, elle appela Tom pour l’inviter à dîner chez sa sœur et le pria d’amener un ami. Et le lendemain, quand Al pénétra dans l’appartement, tout abasourdi, il découvrit un joyeux groupe occupé à décorer un sapin de Noël en buvant des grogs bien chauds. Souriante, Jennifer vint vers lui. — Oh ! Al, j’avais oublié que tu venais. Tu as salué Marcy. Viens que je te présente Phil Glover, et puis Tom Jenkins que tu connais déjà.

Éberlué, Al salua les invités de sa femme.— Veux-tu boire un grog? proposa-t-elle.Elle était resplendissante dans son tailleur vert qui mettait en valeur sa carnation de

blonde, se disait Marcy. Al serait forcé de remarquer qu’il n’existait plus aucun point commun entre cette femme et l’épouse hystérique dont il venait de se séparer.

Stephen se sentait affreusement frustré. Impossible de joindre Marcy ! Au bureau, on lui avait expliqué qu’elle avait pris deux jours de congé. Pour quelle raison, il l’ignorait. Son absence ne pouvait plus mal tomber: il voulait lui demander conseil au sujet des cadeaux de Noël des enfants, et avoir également son avis définitif au sujet de la maison du Connecticut.

Gerald devait savoir où elle était passée, seulement il préférait se faire hacher en morceaux plutôt que de lui demander !

Le jeudi, son agent immobilier new-yorkais lui signala qu’une autre personne était intéressée par l’affaire et que s’il désirait toujours la maison, il fallait agir vite.

Le lendemain, il prenait le premier vol pour le Connecticut.

Page 82: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

13

Le lendemain soir, Al était de retour et, lorsque Marcy fit ses valises, le bonheur régnait au foyer de Jennifer.

— Je ne saurai jamais comment te remercier, dit cette dernière à sa sœur au moment du départ.

— N’y pense plus. Vous vous aimez, vous vous seriez de toute façon retrouvés.— Peut-être, mais je me sens très différente. Je crois que j’avais peur d’être

heureuse. Grâce à toi, je sais maintenant que j’en ai le droit.Jennifer avait une drôle de manière de présenter les choses, se disait Marcy sur le

chemin du retour. Elle comprenait toutefois ce que sa sœur voulait dire. Si sa méthode marchait aussi bien que ça, c’était vraiment miraculeux.

Peut-être aussi était-il fou de vouloir changer le cours des choses? Dans son cas, par exemple, il vaudrait certainement mieux tenter d’être heureuse avec les moyens du bord. Ce qu’elle se promit de faire désormais. Même si, durant son séjour à Shingle Springs, Marcy avait été si absorbée par les problèmes de sa sœur qu’elle en avait oublié les siens, au fond d’elle-même, régnaient tristesse et désolation. Sous son apparente sérénité, elle dissimulait un amer sentiment de perte.

C’était ridicule. On ne peut perdre ce qu’on n’a jamais possédé. Il fallait regarder la vérité en face : elle aimait un homme qui ne l’aimait pas. Un homme assez dépourvu de cœur pour vouloir lui imposer un mariage de convenances !

Pourtant, elle était heureuse avant la venue de Stephen Prescott. Elle le serait donc également sans lui, décida-t-elle.

Ce fut remplie de cette belle détermination qu’elle arriva à Aubum. Bien sûr, elle n’éviterait pas les enfants, et elle se montrerait aimable avec Stephen. Seulement, quoi qu’il arrive, elle aurait des pensées positives. Des pensées qui excluaient Stephen Prescott !

— Marcy ! cria Ginger, courant à sa rencontre. Où t’étais? Et où est le petit chat? Tu avais promis qu’on le nourrirait !

— J’ai dû m’absenter. Le petit chat est resté chez moi. Tu peux venir le voir.— Stephen est parti. Au... au ’neticut.— Ah bon? fit Marcy, dissimulant tant bien que mal sa déception.L’absence de Stephen lui causait une sensation de vide, et elle se rendit soudain

compte à quel point il lui manquait. Elle qui venait de prendre de si belles résolutions !

Page 83: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Nous allons déménager au ’neticut, tu sais. Et nous aurons des poneys !— C’est formidable!Ainsi, Stephen avait décidé d’acheter la maison. Ils vivraient là-bas, et elle resterait ici.« Garde le contrôle de tes pensées, Marcy ! Pense positif! »— Je vais acheter un sapin de Noël, dit-elle. Voudras-tu m’aider à le décorer?Ce fut avec enthousiasme que les enfants participèrent à la décoration de l’arbre.

Marcy alluma un bon feu de bois dans la cheminée et arrangea des compositions de branches dans les vases. Les murs s’ornèrent de guirlandes de feuillage et elle suspendit une couronne de houx à sa porte. Une atmosphère de fête baignait la maison, ne faisant pourtant que renforcer son impression de solitude. Cette nuit-là, Marcy rêva qu’elle courait dans le parc avoisinant. Et, au détour d’une allée, elle découvrait un gigantesque arbre de Noël décoré de clochettes dorées et de colombes blanches. Stephen se tenait sous le sapin; il lui tendait les bras en souriant. Elle s’y jetait et il l’embrassait avec passion tandis que leur parvenaient de joyeuses mélodies de Noël et que les clochettes de l’arbre se mettaient à tinter de plus en plus fort. Marcy s’éveilla. C’était le téléphone qui sonnait. Encore à moitié endormie, elle décrocha. — Mademoiselle Wilson ! cria une voix d’enfant dans l’appareil. Mademoiselle Wilson, c’est vous? Venez vite me chercher ! — Jimmy? Marcy s’assit dans son lit. — C’est Jimmy Braxton? — Oui, mademoiselle Wilson. Venez me chercher, s’il vous plaît. — Mais que... passe-moi Mme Emory ! — Elle n’est pas là. Je... je ne suis pas là-bas. — Où es-tu ? Marcy consulta son radio-réveil. Minuit et demi ! — Je ne sais pas exactement. Je... Une voix d’homme prit la relève. — Bonsoir, madame. Pete Turner à l’appareil. J’ai ramassé ce jeune garçon sur l’autoroute. — Sur l’autoroute! s’exclama Marcy. — Il faisait du stop. Mais je sais bien qu’un garçon de cet âge ne doit pas se trouver dehors la nuit. On rencontre parfois de drôles de gens. Alors, je l’ai fait monter dans mon camion. — Merci, oh ! merci, monsieur...

— Je voulais l’emmener au commissariat, mais il m’a supplié de n’en rien faire.

Page 84: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Moi, je ne veux pas lui causer d’ennuis. Il m’a dit que vous étiez du Bureau d’aide à l’Enfance et que vous vous occupiez de lui.

— C’est exact.— Que puis-je faire? Je ne veux pas le laisser seul ici. L’endroit n’est pas sûr.— Où êtes-vous?— Jake’s Place. Vous connaissez? Un relais routier sur l’autoroute 80.Marcy dit qu’elle connaissait et qu’elle se mettait immédiatement en route. A la hâte,

elle s’habilla. Mme Emory ne lui ayant pas signalé l’absence de Jimmy, il y avait toutes les chances qu’elle ne l’ait pas remarquée. En tout cas, Marcy l’espérait de tout son cœur. Jimmy avait déjà fugué, si cette récidive venait à la connaissance du juge, il pourrait se retrouver en maison de correction. Le pire qui puisse lui arriver, songeait-elle, car elle restait convaincue que dans un environnement adéquat, Jimmy s’assagirait.

Le problème était qu’il ne s’entendait pas avec les Emory. Elle le savait et se reprochait amèrement d’avoir négligé l’enfant à cause de ses problèmes personnels.

La nuit était glaciale, mais, Dieu merci, il ne pleuvait pas. Marcy traversa en courant le parking. Elle atteignait la Volkswagen quand elle se trouva aveuglée par les phares d’une voiture arrivant en sens inverse. Elle s’écarta pour la laisser passer, mais celle-ci s’arrêta et un homme en sortit.

Effrayée, Marcy fit demi-tour.— Marcy !En reconnaissant la voix de Stephen, elle s’immobilisa.— C’est toi ! Tu m’as fait peur.— Tant mieux. Peux-tu me dire ce que tu fabriques dehors à des heures pareilles?— Jimmy a fugué. Je vais le chercher.

— Maintenant? — C’est urgent, Stephen. Il faut vraiment que j’y aille. Sans hésiter, Stephen ouvrit grande sa portière. — Monte. Marcy ne protesta pas. — Jake’s Place, sur l’autoroute 80, lui jeta-t-elle en s’installant. Tout en roulant, elle lui expliqua la situation de Jimmy. Combien il souffrait d’avoir été retiré à une mère alcoolique quand elle avait disparu toute une semaine au cours d’une bringue. Et ses pérégrinations de foyer en foyer, son incapacité à s’adapter et sa précédente fugue. — Il n’est pas foncièrement mauvais, conclut-elle, mais je ne pense pas que les Emory le comprennent. Songeant à la détresse de Jimmy, Marcy dut lutter pour refouler ses larmes.

Page 85: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Ce qui arrive est ma faute. Je savais qu’il n’était pas heureux là-bas. Il a dû se sentir si seul. Stephen posa une main réconfortante sur la sienne. — Il n’est pas seul puisqu’il t’a appelée. Il sait pouvoir compter sur toi. — Je l’espère, murmura-t-elle d’un air de doute. Déjà on apercevait les lumières du relais routier. Stephen obliqua et se gara. — Viens, dit-il en lui caressant la joue du dos de la main. Allons voir ce que devient ce petit bougre. En tout cas, il est courageux pour sortir par une nuit pareille. Le restaurant était typique du genre : chaud, brillamment éclairé avec une odeur de saucisses et de café flottant dans l’air. Ils trouvèrent Jimmy attablé avec le camionneur, un homme court et trapu à l’expression joviale. Devant lui étaient posés un hamburger et une tasse de chocolat chaud. L’homme parut soulagé de les voir arriver. Après l’avoir chaleureusement remercié, Marcy se glissa sur la banquette à côté de Jimmy. Il leva vers elle un visage crispé.

— Pourquoi as-tu fait ça, Jimmy ? Mme Emory n’a pas essayé de t’en empêcher ?— J’ai attendu que tout le monde soit couché, et j’ai sauté par la fenêtre. Je ne veux

pas retourner là-bas, mademoiselle Wilson. Ils ne m’aiment pas!Marcy réfléchissait. Il fallait que, d’une manière ou d’une autre, Jimmy comprenne

qu’il ne devait pas agir ainsi, que son comportement risquait de lui attirer de gros ennuis. Cependant, elle devait aussi tenir compte des problèmes qu’il connaissait dans sa famille d’accueil. Elle se sentait partagée entre la nécessité de réprimander Jimmy et le désir de le réconforter.

— Pourquoi penses-tu qu’ils ne t’aiment pas?— Je ne sais pas. Je vous en prie, mademoiselle Wilson, ne m’obligez pas à y

retourner. Je sais qu’ils ne m’aiment pas.— Quelle importance?Le son inattendu de la voix de Stephen les fit tous les deux sursauter. Levant la tête, ils

virent Stephen debout à côté de la table, deux tasses de café à la main. Il en posa une devant Marcy, avant de s’asseoir en face d’eux.

— Tu vas rencontrer des tas de gens au cours de ta vie, dit-il à Jimmy. Et parmi eux, certains ne t’aimeront pas. L’essentiel, c’est que tu t’aimes, toi. Est-ce que tu t’aimes, Jimmy?

— Ben... que voulez-vous dire?Le jeune garçon paraissait déconcerté et passablement intimidé par cet étranger qui lui

posait des questions saugrenues. Enfin, il hocha lentement la tête.— Pourquoi t’aimes-tu, Jimmy?— Parce que je suis un bon joueur de foot.— Bien, très bien. Quoi encore?L’enfant finit par admettre qu’il était plutôt bon en classe, qu’il ne tapait pas les autres,

Page 86: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

sauf pour se défendre et qu’il rendait volontiers quelques services à M. Orr qui était handicapé.

— Tu m’as tout l’air d’un bon petit gars, Jimmy, conclut Stephen.Il but une gorgée de café et reposa sa tasse avant de reprendre :— Alors, comment se fait-il qu’un bon petit gars comme toi se comporte d’une

manière aussi absurde? Quelle idée de s’enfuir en plein milieu de la nuit pour aller nulle part !

— J’allais quelque part. Je voulais retrouver ma mère.— Sais-tu où elle habite?— Non. Mais je peux quand même la trouver. Et puis...Jimmy se mordit la lèvre. Toute sa physionomie exprimait maintenant la rébellion.— Et puis, Mme Emory m’a pris l’argent que Mlle Wilson m’avait donné pour

m’acheter des chaussures de foot.— Oh...— Tout le monde en a dans l’équipe, sauf moi. J’ai gagné cinq dollars en travaillant,

et Mlle Wilson m’a donné le reste. Seulement, il n’y avait pas ma taille au magasin. Alors Mme Emory a gardé mon argent en attendant. Je devais retourner chercher les chaussures hier. Seulement...

Jimmy s’interrompit, l’air penaud.— ... Tad et moi on jouait au ballon en revenant de l’école. Et il a atterri en plein

dans la fenêtre de M. Bur-ton. Il s’est précipité chez Mme Emory en criant qu’un carreau coûtait quinze dollars et qu’il fallait que quelqu’un paie. Alors, Mme Emory lui a donné mon argent.

— Était-ce injuste? demanda Stephen, plongeant son regard dans celui de Jimmy. Qui a lancé le ballon?

— Moi, admit Jimmy. Mais c’est Tad qui l’a manqué et...— Un instant. C’est bien toi qui as expédié ce ballon dans le carreau de M. Burton?

— Oui, mais... L’argent était pour les chaussures de foot. Mme Emory n’avait pas le droit de s’en servir pour rembourser M. Burton ! Elle n’arrêtait pas de dire que je devais endosser mes responsabilités. — Et elle avait raison. Il faut assumer les conséquences de ses actes. Même s’il s’agit d’un accident. C’est une des plus dures leçons de la vie, et plus vite tu l’apprendras, mieux ça vaudra. Le cœur de Marcy saignait pour Jimmy. Pauvre gosse ! Il n’avait vraiment pas de chance. Mais bien sûr, Stephen et Mme Emory avaient raison. Apprendre la responsabilité est plus important qu’une paire de chaussures de foot. — N’empêche. Je veux retrouver ma mère. Elle ne me traiterait jamais comme Mme Emory qui me fait travailler et n’arrête pas de me crier après ! Ma mère m’aime, elle. — Ce n’est pas sûr. Elle t’a abandonné, non?

Page 87: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Oh ! non. Là, Stephen dépassait les bornes. Pourquoi se montrer inutilement cruel? — Attends une minute, Stephen ! Stephen leva la main comme pour indiquer qu’il savait ce que Marcy allait dire. — Je peux parler avec toi, Jimmy, reprit-il, parce que, enfant, j’ai vécu la même chose que toi. — Non! C’est vrai? fit Jimmy, les yeux écarquillés par la stupeur. — Parfaitement. Moi aussi ma mère m’a abandonné. — Est-ce que... elle était malade? — Non. Un jour, elle est partie, comme ça, répondit-il avec amertume. Marcy demeura interdite. Elle croyait encore entendre Diane lui raconter que sa mère était morte quand elle avait deux ans et Stephen cinq. Puis elle comprit. A deux ans, un enfant croit ce qu’on lui raconte; à cinq, il est plus difficile de le berner. — Comment ça se fait qu’elle vous a laissé? interrogea Jimmy.

— Eh bien... c’est-à-dire que d’une certaine façon, elle était peut-être malade. J’ai longtemps cru qu’elle reviendrait.

Sans s’en rendre compte, Stephen laissait transparaître une telle détresse dans son regard que Marcy en fut bouleversée. Elle aurait aimé pouvoir tendre la main vers lui, le réconforter.

— Elle n’est jamais revenue? poursuivit l’enfant.— Non. Alors, tu comprends, je sais ce qu’est la solitude, moi aussi. Mon père me

laissait à la garde de différentes personnes, et, parmi elles, certaines ne m’aimaient pas.Jimmy hocha la tête.— Tu as dix ans, je crois...— Dix ans et deux mois.— Et deux mois, d’accord. Eh bien, Jimmy, il est temps que tu apprennes que la

seule personne sur qui tu peux véritablement compter, c’est toi, et à t’accommoder au mieux de toutes les situations.

— Peut-être. Mais à vous, on ne vous a jamais pris votre argent.— Tu crois ça? Un jour mon père m’a confisqué tout ce que j’avais gagné en

travaillant pendant les vacances. Mon vrai père, tu comprends?Jimmy poussa une exclamation horrifiée. Et soudain, Marcy se rappela l’histoire de la

veste rouge de Diane. « Stephen avait travaillé tout l’été, et il m’a donné de l’argent. Le lendemain, il était parti. »

« Oh ! Stephen, j’en souffre encore pour toi... »— Plus tard, reprit-il, j’ai compris que mon père avait été poussé par la nécessité.

Mais sur le coup, j’ai violemment réagi et j’ai quitté la maison.De nouveau, il regarda Jimmy droit dans les yeux.

Page 88: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— J’ai eu tort, déclara-t-il. C’est idiot de partir ainsi à l’aventure. J’avais quatre ans de plus que toi, mais j’étais tout aussi fou. Je suis parti sans un sou, sans endroit où aller et sans une Mlle Wilson à appeler.

Marcy écoutait Stephen raconter à Jimmy sa précaire existence d’adolescent sans foyer, vagabondant de lieu en lieu. Tout en sachant que Stephen choisissait sans doute les épisodes les plus propres à décourager Jimmy de suivre son exemple, Marcy demeurait horrifiée de ce qu’elle entendait. Du moment où il avait pénétré dans son bureau ce jour de septembre, elle s’était représenté Stephen sous les traits d’un homme fort, quasi invincible. Même quand il lui avait raconté sa fugue et son engagement dans la marine, elle l’imaginait sûr de lui, persuadé de pouvoir vaincre toutes les difficultés.

Maintenant, pourtant, alors qu’il revivait ses expériences les plus douloureuses pour le bien de Jimmy, une nouvelle lumière éclairait le personnage. Elle voyait maintenant l’enfant solitaire, désespéré par l’abandon de sa mère, l’adolescent attaqué par une bande de voyous, perpétuellement affamé et contraint de dormir sous les ponts.

Autant le récit terrifiait Jimmy, autant il éveillait la compassion de Marcy. Elle aurait voulu prendre Stephen dans ses bras, le serrer contre elle. Elle s’émerveillait en outre de ce qu’il soit devenu un être aussi sage et compatissant.

— N’importe quel foyer vaut mieux que pas du tout, expliquait-il. Il faut aussi que tu comprennes que les adultes ont leurs problèmes et qu’ils ne sont jamais parfaits. Profite donc plutôt de ce que tu as un toit pour apprendre tout ce qui peut te permettre de gagner un peu d’argent, comme tondre la pelouse ou laver les carreaux.

Marcy se demanda si Jimmy écoutait vraiment aussi attentivement qu’il en avait l’air, oubliant par moments de manger sa tarte aux pommes. Il semblait toutefois qu’il tirait un enseignement sérieux des propos de Stephen car il déclara un peu plus tard :

— Je vais rester chez les Emory, mademoiselle Wilson. On n’y est pas si mal; personne ne me frappe, et elle cuisine bien. Alors, tout en sachant que ce n’était guère raisonnable, Marcy décida de ramener Jimmy au domicile des Emory. Ils lui firent emprunter pour rentrer le même chemin qu’il avait utilisé pour sortir, et personne ne s’aperçut de son absence. — Pourquoi m’avoir empêchée de lui donner l’argent nécessaire à l’achat de ses chaussures de foot? demanda Marcy à Stephen durant le trajet du retour. Il en a tellement envie. — Peut-être, mais il faut qu’il apprenne à se débrouiller seul. Crois-moi, le monde ne sera pas tendre avec lui. « Après tout, se dit Marcy, il est possible que l’expérience soit le meilleur des maîtres. » Elle avait son diplôme d’assistante sociale, pourtant, jamais elle n’aurait pu se montrer aussi persuasive que Stephen. Et elle était infiniment reconnaissante à cet homme qui n’avait pas hésité à raviver de douloureux souvenirs pour aider un petit garçon à surmonter une crise. Au fond de son cœur, il y avait d’ailleurs plus que de la gratitude; c’était une véritable adoration qu’elle éprouvait pour le Stephen Prescott qu’elle avait découvert ce soir. Presque timidement, elle lui toucha le bras.

Page 89: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Heureusement que tu étais là, Stephen, murmura-t-elle. — Oui, fit-il, fronçant les sourcils. Ce n’est guère prudent de te balader ainsi toute seule la nuit ! — Je ne pensais pas à moi, mais à Jimmy. — Naturellement, tu ne penses jamais qu’aux autres! Qu’un enfant ait besoin de toi, et te voilà prête à affronter les pires dangers ! — Stephen... Ce que tu as fait pour Jimmy est formidable. Personne ne lui a jamais parlé comme tu l’as fait. Il haussa les épaules. — Malheureusement, les conseils ne suffisent pas... Ils demeurèrent silencieux le reste du trajet. Parvenue à sa porte, Marcy se tourna vers Stephen.

— Tu sais ce que je pense, Stephen ? Que tu es un être d’exception.Et, se soulevant sur la pointe des pieds, elle déposa un baiser sur sa joue. Le geste le

surprit tellement qu’il demeura sans réaction. Sans bruit, elle se glissa à l’intérieur de son appartement.

Marcy avait pris un tel retard dans son travail qu’il lui fut impossible d’aller voir Jimmy avant plusieurs jours. Dès qu’elle le put, elle téléphona à Mme Emory.

— Il est beaucoup plus agréable, lui confia cette dernière. Hier, il a même demandé à laver les carreaux. Incroyable, non?

Voulant s’assurer qu’il souhaitait réellement rester chez M. et Mme Emory, Marcy s’entretint également avec Jimmy.

— Ça va, déclara le jeune garçon. De toute façon, M. Prescott m’a expliqué que tous les foyers se valent. Il est venu me voir hier et m’a laissé son numéro de téléphone à New York. Il va donner l’ordre à ses employés de toujours lui passer mes appels ! Comme ça, si j’ai des problèmes, je pourrai toujours le joindre.

« Il faut laisser Jimmy se débrouiller seul. » N’était-ce pas ce qu’il avait dit?— Et il m’a demandé de lui écrire pour lui parler de mes études. Il a promis de

m’aider à aller à l’université.Quand Marcy reposa le combiné, son cœur débordait de gratitude. Elle ne se serait

jamais doutée que Stephen était si bon. Il avait davantage accompli en une nuit que le Bureau d’aide en trois ans.

Il était fondamentalement différent des hommes qu’elle avait connus. Brusque et insensible en apparence, mais au fond, tendre et attentionné comme personne. Les enfants de Diane pouvaient s’estimer heureux d’avoir un pareil oncle.

« Toi aussi, Marcy, tu peux t’estimer heureuse de le connaître. Et tu serais bien folle de le laisser échapper... »

Peut-être, mais de là à l’épouser... Marcy savait qu’elle ne supporterait pas de vivre à

Page 90: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

ses côtés sans qu’il l’aime véritablement. Et s’il se tournait vers une autre et la quittait?« Nous serions libres de mener des vies séparées », avait-il dit.Seulement Marcy voulait vivre avec lui, tout simplement.

Marcy rentra chez elle dans un étrange état d’excitation ; elle avait le pressentiment qu’un événement d’une importance capitale était sur le point de se produire.

Elle remplit le bol du chaton de lait tiède et se prépara une tasse de thé bien chaud qu’elle but en pensant à Stephen.

«Je ne crois pas aux histoires d’amour», avait-il déclaré. Cependant, les mots étaient-ils si importants? Stephen, qui prétendait ne pas croire à l’amour, déployait plus de tendresse que personne. Sans une seconde d’hésitation, il avait pris ses neveux sous sa protection et manifesté un affectueux intérêt à Jimmy qu’il connaissait à peine.

C’était vraiment un être digne d’être aimé.Mais l’aimait-elle?— Oh ! oui, oui ! je l’aime, s’écria-t-elle.A ses pieds, le chat jouait avec une balle de tennis trop grosse pour ses petites pattes.

Ce spectacle rappela à Marcy une citation d’un poète qui comptait parmi les préférées de son père : « Un homme ne doit jamais pouvoir étreindre tout ce qui se trouve à sa portée; sinon, à quoi servirait le paradis? »

LE chaton abandonna sa balle et manifesta la volonté de grimper sur le lit. Marcy le souleva et l’installa près d’elle ou il se mit à ronronner de contentement.

Bon, elle aimait Stephen; elle aimait tout de lui. Il était séduisant et bon, tendre et drôle. La femme qui l’épouserait aurait bien de la chance. Dire qu’elle aurait pu être cette femme. Il l’avait demandée en mariage, elle, Marcy Wilson, et personne d’autre!

Dommage qu’il ne se soit agi que d’un mariage de raison. N’empêche, Stephen ressentait quand même quelque chose pour elle ; Marcy en était certaine, surtout quand elle se rappelait la façon dont il l’avait embrassée...

Pour la repousser tout de suite après.Parce qu’il avait peur, tout simplement ! Dans un éclair, Marcy entrevit une des clés du

comportement de Stephen. Il fuyait comme la peste l’amour parce qu’il craignait d’être une fois encore trahi. Elle revit son expression de l’autre nuit, quand il avait raconté à Jimmy le départ de sa mère. Elle entendit l’amertume de sa voix lorsque, le jour de leur rencontre, il avait déclaré qu’on ne peut se fier davantage aux femmes qu’aux serpents.

Si l’on considérait que les traumatismes de l’enfance peuvent marquer l’âge adulte, cette défiance était compréhensible.

Sa mère l’avait abandonné, son père lui avait pris son argent. Pourtant, il n’en était pas devenu pour ça égoïste ou insensible. Non, il ne lui était resté de cette époque que la

Page 91: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

crainte de remettre son destin entre les mains d’autrui.Comme elle aurait aimé lui redonner la confiance qui lui faisait défaut. Qui sait, si elle

l’épousait, peut-être parviendrait-elle à lui réapprendre l’amour?Et presque inconsciemment, elle se mit à visualiser son avenir d’épouse de Stephen;

son sourire du matin, les promenades bras dessus, bras dessous dans la forêt, ses lèvres sur les siennes, l’étreinte vigoureuse de son corps...

La vision si nette lui laissa le souffle coupé. Puis la réalité reprit insidieusement ses droits. Allons, jamais Stephen ne l’aimerait comme elle l’aimait...

Cependant, plus forte que les doutes et les interrogations, la hantait l’idée que, si elle n’épousait pas Stephen, il disparaîtrait de sa vie. Idée intolérable. Plutôt risquer de souffrir que de le perdre définitivement.

D’avoir pris cette décision insuffla à Marcy un regain de vitalité. Elle ne songea plus qu’à courir dire à Stephen qu’elle avait changé d’avis et qu’elle envisageait sérieusement de lier son existence à la sienne. Se relevant d’un bond, elle enfila ses chaussures et courut sonner à la porte de Stephen.

La femme qui lui ouvrit était très belle, plus belle encore que son portrait qui trônait dans son cadre d’argent. « A mon cher Stephen. Avec tout mon amour. Trish. »

La longue chevelure couleur de blé, attachée par un ruban noir, dégageait un visage à l’ovale parfait, aux yeux noisette pailletés d’or, à la peau d’un ivoire sans défaut. Un long cou émergeait gracieusement du sweat de cachemire noir.

— Entrez ! dit-elle en souriant. Je parie que vous êtes Marcy.— Oui, répondit la jeune femme, d’un air contraint.Mme Chisholm, apparue derrière Trish, adressa à Marcy un clin d’œil entendu avant

de regagner la cuisine. L’apparition réitéra alors son invitation à entrer.Consciente que son jean délavé et son pull trop grand lui composaient une tenue

passablement négligée, Marcy suivit la ravissante créature.— Bonjour, Marcy ! C’est Trish ! Elle est belle, n’est-ce pas? cria Davey en se

précipitant vers elle.Devant le regard éperdu d’admiration qu’il posait sur Trish, Marcy eut envie de le

bousculer un peu. Elle se contenta pourtant d’agréer.— Tu veux du pop-corn, Marcy? proposa Ginger.— Nous venons d’en préparer une jatte, dit Trish, s’asseyant gracieusement sur le

tapis. Profitez-en !La lueur des flammes et l’éclairage du sapin exaltaient encore la beauté de ses traits

délicats et éclaboussaient d’or ses cheveux. Et Trish n’était pas seulement très belle, elle paraissait chez elle dans l’appartement de Stephen ! Marcy lui aurait volontiers déversé le contenu du bol de pop-corn sur la tête ! — Non, merci. Je ne fais que passer. — Prends-en un peu, Marcy ! pria Ginger. Ils sont tellement bons !

Page 92: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

A contrecœur, Marcy s’agenouilla près de l’enfant et-prit quelques grains qu’elle goûta sous son regard attentif. — N’est-ce pas que Trish les réussit bien? — Très bien. Comme s’il fallait un talent spécial pour faire éclater des grains de maïs ! — Marcy ! Regarde ce que Trish nous a apporté de New York ! Un puzzle du zoo; il y a des animaux partout ! Davey plaça précautionneusement une pièce manquante. — Elle va là, tu ne crois pas, Trish? Marcy se demandait où était Stephen, mais sans se résoudre à poser la question. Devant ces trois êtres réunis dans la quiétude de leur foyer, elle se sentait rejetée, exclue. — Je dois m’en aller, répéta-t-elle. — Non, attendez! s’exclama Trish. Stephen est juste sorti faire un tour. Vous vouliez le voir? — Euh... rien d’important. — En l’attendant, je puis vous proposer un verre de vin. — Non, merci. Je ne veux rien, assura Marcy, irritée par le sans-gêne de cette fille qui agissait en maîtresse de maison. Lui offrir le vin de Stephen ! Comment osait-elle? Puis Marcy éprouva une vague honte de cette animosité si peu dans sa nature. Elle se força à sourire. — Je suis heureuse de vous rencontrer enfin, Trish. Passez-vous un bon séjour? — Excellent. — Nous partons bientôt pour le ’neticut, déclara Ginger, très excitée. Et Trish vient avec nous!

Une sourde appréhension tenailla Marcy.— Et nous aurons nos poneys ! ajouta Davey, levant les yeux de son puzzle. Trish

nous apprendra à monter. N’est-ce pas, Trish?Cette fois, l’appréhension céda la place au désespoir. Stephen avait donc finalement

réussi à engager une épouse? Voilà, ce serait Trish qui vivrait avec Stephen et les enfants. Marcy aurait voulu se lever et fuir, mais une soudaine faiblesse la clouait à sa place.

Ginger décréta qu’elle appellerait son poney Bozo, à quoi Davey répliqua que c’était un drôle de nom pour un cheval. Le sien, ce serait King, ou Captain. Trish glissa à Marcy les photos deda propriété du Connecticut qu’elle se mit à commenter. Elle expliqua que l’écurie devrait être agrandie et indiqua l’endroit où l’on pourrait placer le paddock.

Tout le monde à présent semblait parler en même temps. Marcy répondait par oui et par non, souriait et s’exclamait sans rien comprendre de ce qui se disait. Enfin, elle trouva la force de se lever.

Page 93: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Voulez-vous que je transmette un message à Stephen ? proposa Trish.— Non, vraiment. C’est inutile.Au fond, se disait-elle, c’était préférable que les choses tournent ainsi. Pourtant,

lorsque, de retour chez elle, Marcy s’assit sur le canapé devant les braises éteintes, elle eut la sensation qu’un gouffre s’ouvrait devant elle, sans rien à quoi se raccrocher.

Elle essaya de nouveau de se persuader que c’était une chance d’être tombée sur Trish avant d’avoir commis l’irréparable, qu’elle n’aurait jamais pu être heureuse avec Stephen en l’aimant sans être payée de retour.

Seulement, sans Stephen, elle n’était pas heureuse non plus. Elle était même franchement malheureuse. Comment pourrait-elle supporter le vide qu’il laissait dans sa vie?

Soudain, elle releva la tête. Voilà qu’elle se comportait comme Jennifer. Non, elle ne se laisserait pas aller! Elle refusait de laisser sa vie entière graviter autour de celle de Stephen.

Bientôt Noël, l’époque des réjouissances. Elle pourrait le passer avec Gerald et son père autour d’un bon dîner, ou bien avec Jo et sa famille en montagne. Elle pourrait encore être heureuse. Après tout, elle avait de bons amis, un métier intéressant, un appartement agréable...

Le téléphone sonna. C’était Tom qui voulait la voir. Tout d’abord, elle refusa, prétextant la fatigue. Il insista pourtant. Il devait absolument lui parler.

Stephen reposa sa tasse et adressa à Trish un sourire légèrement crispé. Pourquoi ses amis n’arrivaient-ils pas? Il aimait bien Trish, et lorsqu’elle lui avait annoncé qu’elle avait l’occasion d’accompagner des amis à Aubum, il lui avait de grand cœur ouvert sa porte. Seulement, à présent... Il ne pouvait pourtant pas consulter sa montre.

— Quel délicieux dîner, Stephen !— Oui. Mme Chisholm est une excellente cuisinière.Ils devaient passer prendre Trish vers 20 heures. Quelle heure pouvait-il donc bien

être? Il fallait qu’il voie Marcy qu’il n’avait pas rencontrée depuis plusieurs jours : il avait à lui parler.

— Tu l’emmènes avec toi au Connecticut?— J’y compte bien ! Je...Il s’interrompit, se rendant brusquement compte que Trish parlait de Mme Chisholm et

non de Marcy.— Enfin, je veux dire : j’aimerais bien, mais elle a des attaches familiales.Mme Chisholm donnait leur bain aux enfants. Cependant, il fallait qu’elle reste ensuite,

et que Trish parte pour qu’il puisse courir chez Marcy !Trish alluma une cigarette et se resservit une tasse de café.

Page 94: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

— Tu en veux d’autre, Stephen? — Non, merci. Sur ces entrefaites, il se rendit compte qu’il n’était guère aimable et entreprit de questionner Trish sur sa carrière de mannequin. L’esprit plein de ses problèmes, Stephen l’écoutait d’une oreille distraite. Il se demandait s’il avait eu raison de faire cette offre pour la maison du Connecticut. Il n’avait pas eu le temps de s’assurer qu’il existait une bonne école non loin de l;V, et puis, il n’était pas certain que Marcy aime l’endroit. Elle s’était montrée si évasive l’autre jour. Oui, vraiment! Il fallait impérativement qu’il lui parle. — Mme Chisholm t’a-t-elle dit que ta petite voisine est passée tout à l’heure. — Marcy? Que voulait-elle? Trish haussa les épaules. — Elle a dit que c’était sans importance; mais moi, j’ai ma petite idée ! — Ce qui signifie? — Que comme nous toutes, elle est tombée sous le charme d’un certain Stephen Prescott. — Tu te trompes. Rien dans son comportement n’indique qu’elle s’intéresse à moi. Et puis Marcy ne ressemble à aucune autre. Trish leva un sourcil étonné. — Ah bon? Qu’a-t-elle donc de si particulier? — Elle est très... euh, très dévouée à son métier. Stephen cherchait désespérément ses mots. Il se refusait à partager avec Trish ce qui caractérisait Marcy. Heureusement, à cet instant, on sonna. Quel soulagement ! Les amis de Trish étaient enfin là! Ils ne restèrent pas longtemps. Dès que la porte se referma sur eux, Stephen courut prier Mme Chisholm de rester avec les enfants pendant qu’il s’absentait. Elle accepta et lui rappela d’acheter du lait pour le petit déjeuner.

Comme Stephen sortait de l’appartement, il aperçut Marcy qui quittait le sien en compagnie d’un ami. L’ignoble individu avait passé son bras autour des épaules de Marcy, et ils riaient en se dirigeant vers le parking. Stephen eut l’impression que ses tempes allaient éclater.

« Jaloux, vieux frère? »Absolument pas ! Seulement, c’était tout de même agaçant. Chaque fois qu’il avait

besoin de Marcy, elle était indisponible. Et puis, tous ces hommes qui tournaient sans cesse autour d’elle, ça le rendait malade. Quand ils seraient mariés...

S’ils se mariaient.L’espace d’un instant, Stephen éprouva un sentiment proche de la panique. Sentiment

bientôt remplacé toutefois par une farouche détermination. Non ! Quand ils seraient mariés. Peu importait le temps qu’il y mettrait, il finirait par la convaincre. Pas question

Page 95: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

de partir à New York en laissant Marcy derrière lui.Quelle audace avait ce type, tout de même ! Cette façon de tenir Marcy comme si elle

lui appartenait !Les poings serrés au fond de ses poches, Stephen s’apprêtait à regagner son

appartement quand il se souvint que Mme Chisholm lui avait demandé de rapporter du lait. Il se dirigea donc vers sa voiture et démarra avec une inhabituelle brusquerie.

Et la manière dont Marcy avait regardé son compagnon ! Elle qui prétendait n’être amoureuse de personne, quelle blague ! Ce gars devait être persuadé du contraire. Marcy était trop confiante, et trop généreuse. Certains pourraient en profiter.

Elle appelait ça «une simple amitié»; c’était en tout cas le terme qu’elle avait employé au sujet de Gerald. Gerald qui possédait la clé de son appartement et y dormait quand bon lui semblait ! Il y avait fort à parier que celui-ci du moins avait autre chose que l’amitié en tête!

Stephen conduisait si vite qu’il rata l’embranchement qui menait au supermarché. Il ralentit alors l'allure, tant la prochaine sortie. Au loin, il aperçut les lumières de Jake’s Place, et son cœur bondit au souvenir des instants qu’il y avait passés avec Marcy et Jimmy.

«Tu es exceptionnel », lui avait dit Marcy, et le regard qu’elle avait levé sur lui était rempli d’amour. Et Marcy croyait aux histoires d’amour...

Décidément, il était complètement idiot! Il se rendait compte seulement à présent qu’il ne voulait pas du tout parler avec Marcy ! Il mourait d’envie de la prendre dans ses bras, de la serrer à l’étouffer et de l’embrasser jusqu'à ce qu’elle demande grâce !

« Engager une épouse » ! De qui se moquait-il ? Sans vouloir se l’avouer, il était tombé amoureux fou de Marcy, oui ! Et maintenant, il voulait tout d’elle !

Marcy déposa une demi-douzaine de boîtes de pâtée pour chat dans le Caddie tout en songeant qu’elle aimait bien Tom et détestait l’idée de lui faire de la peine. Néanmoins, jamais elle ne l’aimerait comme il le méritait; ç’aurait été injuste de le laisser espérer. Elle avait donc repoussé sa demande en mariage. Il irait seul rejoindre sa famille à Sausalito pour Noël.

Noël. Que serait cette fête sans Stephen et les enfants ? Sans ses rêves aussi...

« Quelle idée de placer le lait tout au fond du magasin ! » maugréait Stephen. Tout allait mal. Mais aussi, pourquoi Marcy se trouvait-elle avec ce type au lieu d'être avec lui? Ce type qui ne pouvait aimer Marcy autant que lui l’aimait. Personne ne le pouvait.

Et Marcy l’aimait aussi. Il le savait.Dire qu’il l’aimait comme jamais il ne se serait cru capable de le faire et qu’elle

l’ignorait! Parce qu’il ne le lui avait jamais dit.

Page 96: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Mais il lui expliquerait ! Il faudrait qu’elle comprenne !

***

Marcy tendait la main vers une boîte de soupe quand une voix la fit sursauter. — Lâche ça, Marcy! J’ai à te parler! — Stephen! Que fais-tu là? — Tu m’entends? J’ai quelque chose à te dire! — Je ne veux pas savoir..., commença Marcy, puis elle se rendit compte qu’elle criait presque et attirait l’attention sur eux. Tu n’as pas besoin de me dire, reprit-elle plus doucement. L’entendre lui annoncer: «J’épouse Trish»? Non! C’était au-dessus de ses forces. Stephen la dévisagea d’un air surpris. — Il faut pourtant que tu saches, Marcy. Je... — Je sais déjà. — Impossible! Je l’ignorais moi-même il y a une heure ! — Les enfants m’ont mise au courant. Elle se mordit la lèvre. — ... je suis très contente pour toi. Elle détourna la tête. Pourvu qu’elle ne se mette pas à pleurer en plein magasin. — Ça m’est bien égal ce que les enfants t’ont raconté ! Une femme qui passait à côté d’eux les dévisagea avec sévérité. Stephen tira le chariot de Marcy à l’écart. — J’essaie de te dire que je t’aime et tu viens me rebattre les oreilles avec les babillages des enfants ! Avait-elle bien entendu? Elle recula d’un pas et bouscula par la même occasion une pile de boîtes de conserves qui s’écroula avec fracas. Tous les regards convergèrent sur eux. — Bon sang! fit Stephen, s’agenouillant pour réparer les dégâts. Marcy s’accroupit près de lui. — Qu’est-ce que tu as dit ? — Que tu me cassais les oreilles avec les babillages des enfants ! — Non, avant! — J’ai dit que je t’aimais, Marcy. Je veux t’épouser et que tu sois réellement ma femme. — Mais je croyais... Trish... Pourtant, quelle importance à présent?

Page 97: Résuméle-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/les...Résumé : Depuis que sa meilleure amie avait trouvé la mort dans un accident, Marcy s’était démenée pour s’occuper

Une boîte de tomates à la main, Stephen plongeait son regard dans le sien et lui jurait qu’il l’aimait. Et c’étaient les mots les plus doux qu’elle ait jamais entendus. Riant et pleurant à la fois, elle s’approcha de lui, prit son visage dans ses mains et l’embrassa. — On ferme, messieurs-dames ! La voix perça le mur de leur conscience. Ils levèrent la tête et virent deux employés et une caissière qui les considéraient avec un sourire amusé. — Laissez ces boîtes, dit un des employés. Nous les rangerons demain. Marcy entendait à peine. Elle ne pouvait songer qu’à une chose : son rêve devenait réalité. Stephen lui tendit les mains et l’aida à se redresser. Quand elle fut debout, il la prit dans ses bras. Dans le cœur de Marcy s’éleva le joyeux carillon des sonnailles de Noël. Des gens autour d’eux applaudirent. — Par ici, s’il vous plaît! pria un employé. La journée est finie ! Stephen et Marcy sourirent aux gens, puis s’éloignèrent, enlacés. La journée était peut-être finie, mais pour eux, c’était l’aube d’une vie nouvelle qui se levait.

Fin