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J..P. ÀfiG.NAN Laboratoire central des ponûs e,t chaussées 58, bd Lefèbwe 75732 Paris Cedex 75 IVDLR : Les discussions sur cet article sohf acceptées jusqu'au'1"'mars 2t06. Le rôle de l'expérience dans la pratique de la geotechnique L'importance de l'expérience comme référence majeure pour les études géotechniques a été affirmée par tous les grands ingénieurs qui ont dû concevoir des projets ou analyser des accidents d'origine géotechnique. Cette conférence rappelle certaines de ces déclarations historiques puis analyse, pour les grandes catégories d'ouvrages géotechniques, les principes, données ou raisonnements qui sont issus de l'expérience et comment on pourrait les transmettre aux générations futures. l'ql IE l= lul l.sl The role of experience in geotechnical engineering practice The importance of experience as a major reference for geotechnical studies was expressed by all the leading engineers who had to design structures or analyse accidents from geotechnical origin. This paper recalis some of these historic papers then analyses, for each broad type of geotechnical structures the principles, data or ways of reasoning which come from experience and how they could be transmitted to the next generations. | +r, I(J tfo IL | {r, lul l-o t< 59 REVUE FRANçAISE DE GEOTECHNIQUE N' 112 3e trimestre 2005

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J..P. ÀfiG.NANLaboratoire central

des ponûs e,t chaussées58, bd Lefèbwe

75732 Paris Cedex 75

IVDLR : Les discussions surcet article sohf acceptéesjusqu'au'1"'mars 2t06.

Le rôle de l'expériencedans la pratiquede la geotechnique

L'importance de l'expérience comme référence majeurepour les études géotechniques a été affirmée par tous lesgrands ingénieurs qui ont dû concevoir des projets ouanalyser des accidents d'origine géotechnique. Cetteconférence rappelle certaines de ces déclarationshistoriques puis analyse, pour les grandes catégoriesd'ouvrages géotechniques, les principes, données ouraisonnements qui sont issus de l'expérience et commenton pourrait les transmettre aux générations futures.

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The role of experiencein geotechnical engineering practice

The importance of experience as a major reference forgeotechnical studies was expressed by all the leading engineerswho had to design structures or analyse accidents fromgeotechnical origin. This paper recalis some of these historicpapers then analyses, for each broad type of geotechnicalstructures the principles, data or ways of reasoning which comefrom experience and how they could be transmitted to the nextgenerations.

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59REVUE FRANçAISE DE GEOTECHNIQUE

N' 1123e trimestre 2005

Elntroduction

Les actes de congrès et de colloques, comme lesrevues de géotechnique et même la plupart desmanuels d'enseignement donnent beaucoup d'infor-mations sur le comportement des sols, les méthodes decalcul et les méthodes de mesure. Ils expliquent beau-coup plus rarement à quoi ressemblent les ouvragesgéotechniques, quels problèmes attend f ingénieurdans les études de conception de ces ouvrages, com-ment on les aborde et on les résout, en général dans undélai imposé et avec des moyens limités. En fait, ils par-lent peu de l'expérience, qui est l'autre pilier de la géo-technique et s'acquiert progressivement dans la vieprofessionnelle. C'est l'importance de l'expérience quiconstitue le thème central dans cette conférence.

Dire que l'expérience joue un rôle majeur en géo-technique n'est pas une nouveauté. Si l'on cherche unpeu dans des ouvrages publiés au xxe siècle, onretrouve l'affirmation de f importance de l'observationet de la prééminence de l'expérience. La section 2 decette conférence regroupe quelques-uns de ces textes,dont il me semble que la méditation reste utile.

Dans les sections suivantes, la nature et la place del'expérience sont analysées, tant au plan général quedans différents domaines de la géotechnique (pro-blèmes d'ouwages en teme, de fondations, de soutène-ments ou de pentes). On y voit que l'activité des géo-techniciens s'appuie sur de nombreux outils de calcul,mais que la conception des ouwages, l'évaluation desaléas et l'expertise des incidents ou accidents d'originegéotechnique sortent en partie du domaine de l'analysedéductive et mathématique pour utiliser des principes,des données et des raisonnements qui sont directementissus de l'expérience.

Nous verrons enfin comment la référence à l'expé-rience pourrait être formalisée dans l'enseignement dela géotechnique.

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Quelques extraits d'ouvragesclassiques

Les citations regroupées ici ne traduisent pas devolonté d'exhaustivité. Les livres cités avaient pour euxd'être présents dans mes souvenirs ou dans ma biblio-thèque. J'y ai retrouvé des idées qui, avec parfoisquelques corrections d'époque, sont celles que je vou-drais défendre ici.

Armand Mayer, dont je me souviens encore de laprésence assidue aux réunions du Comité français demécanique des sols dans les premières années de macarrière, à publié en 1939 un petit (de format) ouvragede 204 pages dans la collection a Section du GénieCivil > chez Armand Colin, sous Ie titre de Sols et fon-dations. L'avant-propos nous éclaire sur les pensées etobjectifs de l'auteur:

rc L'objet de ce petit ouvrage est d'indiquer au lec-teur de quelle manière on peut aujourd'hui, er se pla-çant au point de vue du constructeur, envisager lesétudes de terrain et la préparation d'un projet de fon-dations. Nous avons cherché à montrer de quellemanière un certain nombre d'observateurs et de tech-

niciens avaient essayé de combler le fossé qui séparait,jusqu'à très récemment, la géologie des travauxpublics, en complétant la reconnaissance des terrainstelle qu'elie résulte des études géologiques, par lamesure de leurs caractéristiques mécaniques, qui,seules, importent au constructeur. Après avoir indiquéla façon dont étaient exécutées les mesures, nous avonscherché à montrer comment on pouvait en utiliser lesrésultats. Nous nous sommes, à cet égard, soigneuse-ment gardés de l'appiication des méthodes de I'analysemathématique, dont le caractère rigoureux et imper-turbable ne sert souvent qu'à dissimuler I'imprécisionde l'hypothèse sur laqueile elle se fonde. Nous avonsessayé, toutes les fois que nous l'avons pu, de partir desdonnées de l'expérience pour en déduire plutôt l'alluredes phénomènes que des conclusions générales pré-cises, impossibles à formuler dans ce domaine. Nousavons d'ailleurs indiqué, à l'occasion de l'examen dequelques problèmes particuliers, l'écart considérableconstaté entre les résultats expérimentaux et certainesdéductions obtenues par le calcul et le plus générale-ment admises.

<La mécanique des sols n'en est pas encore à aspi-rer à la précision mathématique et tout notre effort àtendu à la vérification des hypothèses qui pourraientêtre prises dans l'avenir comme base d'une étude plusserrée. Dans certains cas, des résultats sont atteints.Dans d'autres, les essais sont en cours. D'autres foisenfin, l'hétérogénéité des sols fait craindre qu'il ne soitjamais possible de dépasser le stade de la connaissancequalitative. C'est d'ailleurs, il faut le reconnaître, ce quifait f intérêt et le caractère nassionnant de cette étude.Chaque problème est un ias particulier qui doit êtreétudié en soi-même, indépendamment de tous ceux quiont pu être résolus antérieurement.

< L'application brutale d'une formule générale neremplacera jamais l'observation directe et le raisonne-ment particulier; une solution ne vaudra que pour lecas qui aura été I'occasion de sa mise au point et touteextrapolation devra être précédée des vérificationsindispensables. Ces observations, ces vérificationss'effectuent pour une part sur le terrain, pour une autreau laboratoire. Avant d'indiquer les méthodes que l'ony applique, qu'il nous soit permis de remercier ici tousceux qui nous ont permis de réaliser le premier labora-toire français d'étude du sol et des fondations et en par-ticulier, MM. Lasalle et Caloni, président et déléguégénéral des Laboratoires du bâtiment et des travauxpublics, ainsi que tous ceux, en particulier M. CharlesGrangeç qui y ont collaboré avec nous depuis sa fon-dation et l'ont amené à son deoré de déveloonementactuel. >

En 1949, Caquot et Kerisel publient un Traité demécanique des soJs, présenté comme la deuxième édi-tion du iiwe antérieur O'a. Caquot intitulé Équi)ibre desmassrfs à frottement interne. Stabilité des terres pulvé-rulentes et cohérentes (1934). La lecture de Ia préface nedonne pas Ia même impression que celle du texte deMayer. J'ai gardé tout de même des extraits de cettepréface, car elle me semble typique de l'autre regardsur }a géotechnique, considérée comme une branchede la mécanique.

<La mécanique des sols concerne I'application desIois de la mécanique et de l'hydraulique aux problèmesqui se posent à propos de i'étude des sols de fondation;elle constitue donc un chanitre de la résistance des

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matériaux, spécialement applicable aux matériauxconstitutifs de l'écorce terrestre que l'on trouve dansles zones où l'Ingénieur et l'Architecte sont amenés àconstruire des ouvrages de génie civil ou des bâti-ments. [...]

< Les problèmes de ce genre se sont posés àl'homme depuis la plus haute antiquité, aussi bien àI'homme primitif pour fonder sur pilotis ses premièrescités lacustres qu'aux bâtisseurs des cathédrales.

(Au xvlle siècle, la mécanique des sols est étudiéepour la première fois et la plus importante contributionfut apportée par la France et en particulier par Ies ingé-nieurs militaires du Roi; plus de la moitié des traitéspubliés dans Ie monde sur la matière avant 1850 éma-nent de Français. L'essai de Coulomb de 1773, présentéà lAcadémie royale des sciences à Paris [...] est le traitéfondamental, suM par de nombreuses études énonçantpour Ia première fois la loi de base correcte, qui vadéterminer toutes les méthodes scientifioues d'investi-gation.

<Dans les dernières années, cette science s'est sur-tout développée grâce aux recherches dans ies pays oùIa médiocrité du terrain de fondation posait des pro-blèmes essentiels à l'activité des Ingénieurs et Archi-tectes. C'est ce qui explique la contribution importanteapportée par les écoles hollandaise et viennoise. Qu'ils'agisse des sols alluvionnaires des Pays-Bas ou de lavallée du Danube,les problèmes difficiles de fondationsdans ces deux régions appellent des études scienti-fiques pour les édifices à construire. [...]

< Lorsque i'on construit un pont, par exemple, ontravaille en utilisant des matériaux manufacturés ethomogènes dont les propriétés mécaniques sont bienconnues et néanmoins I'on admet dans Ie calcui descoefficients de sécurité qui ne sont jamais inférieurs à 2.

Il n'en est pas de même dans Ia mécanique des sols: lesformations géologiques et les propriétés des sols defondation varient d'un point à l'autre et sont souventcomplexes. En raison de ces circonstances, Ies coeffi-cients de sécurité réels étaient autrefois souvent bieninférieurs aux précédents, comme dans d'autres casbeaucoup plus élevés. La science du sol permetaujourd'hui de sortir de cette incertitude.

< Certains ont voulu apercevoir dans la mécaniquedes sols deux écoles, l'une théorique, l'autre expéri-mentale. Il n'en est plus de même aujourd'hui oùl'expérience fournit à la théorie les bases correctes, lesdéductions mathématiques qui en résultent étantensuite vérifiées par l'expérience.

<Les noms des Français Coulomb, Poincelet, Pois-son, Darcy, Boussinesq et Résai dominent les étudesthéoriques de la mécanique des sols; mais ainsi que Ienote un savant anglais, M. Golder, qui vient de faireune étude comparative des laboratoires des sols dansles différentes nations européennes, les études expéri-mentales dans notre pays n'ont pas suivi Ie mêmerythme.

<Les laboratoires en service auiourd'hui comblentcette lacune. [...]

< Rompant délibérément avec les méthodes semi-empiriques usuelles de calcul des tassements quiconsistent à rechercher d'abord les composantes verti-caies des contraintes agissantes, nous les avons calcu-lées d'après l'intégralité du tenseur par la formule deBoussinesq. [...]

<Nous montrons d'ailleurs que tout phénomène de

mécanique des sols exige l'examen séparé des deuxtenseurs solide et liquide: la courbe intrinsèque quiapparaît dans un essai rapide ne correspond à aucuneréaiité physique. [...J >

C'est un bel exemple de confiance dans l'approchefrançaise des siècles précédents, où le comportementde Ia nature doit par principe découler de quelques loisde base, déjà connues à l'époque.

Les réflexions de K. Terzaghi considèrent la géo-technique d'un point de vue qui est certainement plusproche de celui d'A. Mayer que de celui de Caquot etKerisel. J'ai retenu quelques courts passages du liweintitulé From theory to practice in soil mechanics. Selec-tions from the writings of Karl Terzaghi (préparé par L.Bjerrum et al. par publié en 1960 par John Wiley andSons, trois ans avant son décès) et d'un article récentde R.E. Goodman intituié <Kar] Terzaghi's legacy inGeotechnical Engineering > et publié dans le numérod'octobre 2002 du magazine Geo-Strata de l'ASCE.R.E. Goodman est, par ailleurs, l'auteur d'un liwe inti-tulé Karl Tenaghi, the engineer as artist.

R.E.Goodman écrit:< Karl Terzaghi (1883-1963) fut ]e premier à élaborer

une mécanique des sols complète, avec la publicationde Erdbaumechanik en 1,925. Sa formulation du prin-cipe des contraintes effectives et de son influence surle calcu] des tassements, Ia résistance, la perméabilité etl'érosion des sols sont sa contribution la plus prodi-gieuse. Mais Terzaghi a aussi eu un rôle de pionnierpour un grand nombre de méthodes et de procéduresde reconnaissance, d'analyse, d'essai, d'instrumenta-tion et de pratiques qui définissent le champ que nousappelons maintenant géotechnique.

< Parmi les publications, rapports et conférences deTerzaghi, on trouve des contributions stimulantes surun domaine très large, incluant: Ies méthodes de clas-sification des sols et des roches, les phénomènes decapillarité dans les sols, la théorie et l'observation de laconsolidation et du tassement, i'érosion interne et saprévention, la conception et la construction des bar-rages en terre, en enrochements et en béton sur toustypes de fondations, les ancrages dans le sol pour lesponts suspendus, la mesure en place et en iaboratoiredes pressions interstitielles et des propriétés des sols,l'utilisation des réseaux d'écoulement en deux et troisdimensions, la conception des puits de drainage et destunnels, la conception des ouwages fluviaux et mari-times pour résister à l'érosion, les variations de la pres-sion des terres sur les murs et les rideaux, Ia construc-tion dans les zones de pergélisol, Ies fondations surpieux, l'amélioration des sols par compactage, par bat-tage de pieux, par injection et incorporation de géotex-tiles, les tunnels dans les sols et les roches, Ia géoiogiede f ingénieur, la formation et l'effondrement desentonnoirs karstiques, Ies affaissements régionaux dusaux pompages pétroliers et les glissements de terrain.i...1

< Bien qu'il ait été un grand éducateur, Terzaghidéveloppa progressivement une suspicion enversI'éducation formelle, dont il pensait qu'elle pouvait obs-curcir I'observation des nouveaux phénomènes. Ilexprimait la plus grande admiration pour les autodi-dactes qui apprenaient en ouwant leurs yeux et leursesprits. [...]

< Lorsque l'on passe en revue l'étendue de sescontributions et sa maîtrise du domaine, il est intéres-sant d'examiner la formation et les intérêts de Terzaghi,

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ainsi que sa philosophie et ses méthodes de travail. Sonéducation combinait la rigueur et la formation militaireautrichiennes avec une passion pour I'observation dessciences naturelles et la contemplation de la beauté dela nature. Ses intérêts étaient très variés: la construc-tion, Ia géologie, les mathématiques, Ia philosophie etl'éthique, l'architecture, Ies fleurs, Ia natation, laconversation, les voyages, Ia littérature, la musique,l'art, les femmes, les hommes et l'écriture. [...]

<Les objectifs de Terzaghi t...1 changèrent brutale-ment vers I'âge de 43 ans (1926). Pendant sa vied'homme jeune, il avait cherché à développer uneméthodologie d'analyse rationnelle, analytique ouempirique, qui tienne compte des contraintes géolo-giques, pour Ie calcul des ouwages fondés sur les sols(et, dans une moindre mesure, les roches). A l'âge mûr,ayant atteint ce premier objectif, il poursuivit avec pas-sion sa pratique de l'ingénierie pour tester et tempérerIes méthodes émergentes par les réalités physiques.Dans cette démarche, il fut de plus en plus préoccupépar Ia difficulté d'en savoir assez sur la morphologie etIes propriétés du site pour fixer la conception du projetavant le début de la construction. Cette préoccupationl'entraîna encore plus vers l'observation de la réponsedu soi et de l'ouwage pendant Ia construction afin d'ali-menter une révision permanente des projets, ce qui fitde lui, avec son collaborateur Ralph Peck" un partisanet un praticien de Ia "méthode observationnelle". Mal-gré les contributions considérables de Terzaghi auxprogrès de la théorie de Ia mécanique des sols, ilconseillait pour cette raison avec insistance à la profes-sion de rester en contact avec le comportement des solsréels dans la pratique de Ia géotechnique. [...J

<Karl Terzaghi fut un ingénieur remarquable et pas-sionné. Comme il le dit lui-même: "Toutes les modestesréalisations que j'ai à mon crédit peuvent être décritespar une formule simple... Guidé par le bon sens et desobservations fortuites, j'ai reconnu les points faiblesdes procédures traditionnelles et j'ai essayé de lesrendre moins faibles. Parfois i'ai échoué mais en oéné-ralj'ai réussi". >

Dans les æuvres écrites de Terzaghi, Ies discoursd'ouverture des Congrès de mécanique des sols deCambridge (États-Unis), en 1936, et de Londres, en1957, illustrent les remarques précédentes. En 1936, K.Terzaghi termine son discours par ces phrases:

<r [...] la fonction de cette conférence est simple. Elleconsiste essentiellement à établir des contacts person-nels entre ceux qui sont intéressés par Ia mécaniquedes sols du point de vue de Ia théorie ou de la pratiqueet de stimuler les échanges d'expérience. Bien qu'ellesoit apparue il y a moins de 25 ans, la mécanique dessols est déjà assez vieille pour avoir acquis la modestiequi naît de I'expérience. Nous savons aujourd'hui querien d'utile ne peut être accompli dans cette disciplinesans Ia coopération intelligente et patiente de l'ingé-nieur praticien sur le terrain. Certaines des contribu-tions les plus importantes à ce congrès sont le résultatdirect d'une telle coopération. Pour cette raison, noussommes très heureux d'accueillir parmi les participantsdu congrès un grand nombre de dirigeants remar-quables et d'ingénieurs expérimentés du monde de laconstruction. Comme ces hommes doivent leur succèset leur position professionnelle à leur capacité de dis-tinguer la réalité de ia fiction, je suis sûr qu'ils vontapprécier nos sentiments envers Ia sagesse des

manuels à demi cuits et nous aider à descendre vers lesfaits tangibles. >

Dans son allocution de 1957 , il déclare :

( [...] Cette conclusion me conduit au dernier sujetde mon discours, qui est la façon de transmettre effica-cement ces connaissances et ces visions nouvelles à lagénération suivante. Pour répondre à cette question,nous devons examiner les pré-requis des activités artis-tiques au sens le plus large du terme.

< Pour pratiquer un art avec succès, il faut posséder}a capacité, attribuée à Théodore Roosevelt, de "penseravec ses hanches". En d'autres termes, il faut êtrecapable d'arriver à des conclusions correctes sans pas-ser par un raisonnement logique. [...]

< Le même processus de développement peut êtreretrouvé dans la vie de quasiment tout lngénieur qui aacquis une réputation justifiée de < jugement sain >.

Lorsqu'il était étudiant, il travaillait avec sa tête enallant aussi loin que le raisonnement logique pouvaitl'emmener. Au début de sa vie professionnelle, la partieutile de ce qu'il avait appris est progressivement entréedans son subconscient et il a pu alors aborder sansgrand risque des problèmes d'ingénierie qui ne pou-vaient être résolus par des procédures rationnelles, cequ'il ne pouvait faire plus tôt. Les étudiants qui obser-vent un tel ingénieur en action peuvent en déduire quele temps qu'ils doivent passer à absorber de la théorieest du temps perdu, mais cette conclusion serait erro-née. L'ingénieur qu'ils observent n'aurait jamais atteintun tel niveau de perfection s'il n'avait d'abord appris etcomplètement dig éré chacun des nodules d'informa-tion qui ont une utilité directe pour ses activités profes-sionnelles. Les détails des théories peuvent sortir de samémoire, mais leur essence devient de plus en plusactive au fil des ans. Pour cette raison, le secret d'uneéducation professionnelle efficace réside dans l'affir-mation permanente de ce qui mérite d'être absorbé etensuite digéré, et sur les incertitudes qui sont inévita-blement associées à l'application des théories mathé-matiques aux problèmes d'ingéniérie. >

Je ne saurais enfin assez recommander à tous lesingénieurs, et notamment à ceux qui consacrent leurvie à la géotechnique, de lire l'ouvrage préparé parJ. Dunnicliff et D.U. Deere et publié en 1984 par JohnWiley and Sons sous le titre Judgement in geotechnicalengineering. The professional legacy of Ralph B. Peck.

La question de la place de l'expérience parmi lesoutils des ingénieurs géotechniciens est donc débattuedepuis longtemps, mais elle reste d'actualité.

EQu'est-ce que l'exp érience

L'expérience peut être définie de différentes façons :

elle peut recouwir les capacités qu'acquiert l'ingénieurdans sa vie professionnelle, à la fois par l'observation,l'analyse de problèmes variés et la réflexion, ou ce qu'ila appris après la fin de sa formation. Cette expérienceest implicitement une expérience individuelle.

Mais on peut aussi définir l'expérience ( en creux )par rapport à une idée citée plus haut, qui est quel'approche scientifique utilise les mathématiques pour

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déduire de lois physiques simples (et déjà connues) lescomportements des massifs de sols que l'on valide pard'autres études expérimentales. L'expérience est alorstout ce qui, dans l'activité des ingénieurs, ne répondpas à cette définition. Il ne faut pas en déduire queI'expérience est dans ce cas tout ce qui est a non scien-tifique r : elle est aussi scientifique que la constructionde modèles, mais selon une autre logique.

En géotechnique, la liste des connaissances et desoutils issus de l'expérience est longue. Elle comprend àla fois les règles de gestion de la sécurité des ouwages,l'appréciation des écarts entre les résultats de calculset Ia réalité, certaines méthodes de calcul, les règlespratiques de programmation et d'interprétation desreconnaissances géotechniques, les dimensions cou-rantes ou optimales des ouwages, la connaissance desaléas et l'évaluation des risques. L'expérience est alorsà la fois individuelle et collective et résulte en grandepartie de l'activité de grands laboratoires, centres derecherche ou bureaux d'ingénierie comme ont pu l'être,en France, les services techniques d'EDF, Ie Centreexpérimental du bâtiment et des travaux publics(CEBTP) et les services techniques du ministère desTravaux publics, puis de l'Equipement: Service tech-nique des routes et autoroutes (SETRA), conjointementavec le Laboratoire central des ponts et chaussées(LCPC) et le réseau des laboratoires régionaux desponts et chaussées puis des centres d'études tech-niques de l'équipement (CETE), Centre d'étude des tun-nels (CETu), Centre d'études techniques maritimes etfluviales (CETMEF). Beaucoup de pays ont créé desorganismes aux fonctions comparables, TRRL et BREau Royaume-Uni, BASI et BAW en Allemagne, CEDEXen Espagne, LNEC au Portugal, les instituts géotech-niques suédois, norvégien et danois, GeoDelft auxPays-Bas, le Laboratoire géotechnique de l'État, le CRRet le CSTC en Belgique... La liste est longue, mais tra-duit assez bien l'importance accordée à la maîtrise desconnaissances et techniques de la géotechnique parl'action collective, associant la pratique de la géotech-nique et la recherche appliquée, souvent avec des outilsde calcul mais toujours avec des démarches appuyéessur l'expérimentation et l'observation de la nature etdes ouvrages.

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Exemples

WG,ënéralités

Le rôle majeur de l'expérience dans la pratique dela géotechnique est lié aux limites de la modélisationdu comportement des sols, des roches et des ouwages.

La démarche de conception des ouwages manufac-turés du génie civil et du bâtiment s'est structuréeautour de l'étude séparée de la fabrication et des pro-priétés et des matériaux, d'une part, et du calcul,d'autre part, l'incertitude provenant pour l'essentiel descharges : le modèle géométrique est fixé d'abord; lecomportement des matériaux est connu et l'on peutspécifier les valeurs des paramètres; le modèle de cal-cul fait le reste, avec quelques < garde-fous > issus de lapratique (règles de ferraillage, de soudure, etc.).

La géotechnique s'est développée dans un autre

univers : la nature des matériaux n'est pas connue apûori et ils peuvent avoir des propriétés très diffé-rentes, il existe de nombreux modèles de calcul, maisqui sont parfois adaptés à un seul type d'ouvrage etparfois à un seul type de sol; les techniques deconstruction peuvent modifier sensiblement l'interac-tion des sols et des ouvrages. Si les procédures deconception des structures et des fondations pouvaientêtre jugés aussi empiriques au cours du xtx" siècle, lepassage au calcul mécanique est intervenu beaucoupplus vite pour les structures que pour les fondations.Terzaghi (1951) rapporte qu'à la fin du xxu siècle laconception des fondations s'appuyait sur une étudesommaire d'identification des matériaux et qu'on asso-ciait à chaque type de matériau une charge admissible,sans considération pour Ies tassements. Il fallut denombreux accidents pour que les ingénieurs se ren-dent compte que d'autres facteurs entraient encompte, et notamment la déformabilité, donc l'état dessols.

Les développements de Ia géotechnique ont étéfaits pour I'essentiel à I'occasion d'études de grandsouvrages ou d'expertises de catastrophes, avecquelques périodes de restructuration des connais-sances, comme celle de Terzaghi dans les années 1920,le développement de la mécanique des roches dans lesannées 1950 ou de la mécanioue des sols non saturésdans les années 1980. Ils ont en général produitd'abord des méthodes de prévision simplifiées, caléessur l'expérience, avec des paramètres issus deméthodes d'essai rustiques, qui ont été perfectionnéespar la suite. Les perfectionnements des essais, commedes méthodes de calcul ont été faits dans les labora-toires ou centres de recherche, parallèlement aux acti-vités d'études et d'expertise des ingénieurs. IIs ont par-fois duré de iongues années et se sont spécialisés surdes objectifs autonomes, sur lesquels on a accumulébeaucoup d'outils et de connaissances, alors que lesingénieurs pouvaient avoir d'autres besoins, qu'ils ontcherché à résoudre d'autres façons.

Par exemple, on a consacré beaucoup de travail àl'étude en laboratoire des propriétés mécaniques desargiles reconstituées et des sables purs et au dévelop-pement de théories puis de modèles numériques pourreprésenter Ieurs déformations et leur rupture. Mais Iesingénieurs devaient répondre pendant ce temps à desquestions sur la stabilité et les déformations de solsréels qui sont rarement des argiles ou des sables purset que l'on a souvent du mal à prélever pour les appor-ter dans les laboratoires d'essais. Les essais en place,dont aucun n'a de théorie pour rattacher ses résultatsau comportement des ouwages, sont un exemple desoutils dont l'utilisation est avant tout justifiée par l'expé-rience et le calage de formules de calcui sur le compor-tement observé d'ouvrages en vraie grandeur ou demodèles réduits. Beaucoup de règles de conception oude calcul de la géotechnique sont issues d'une teiledémarche. Elles constituent I'essentiel de l'exoériencecollective de la profession géotechnique.

L'expérience individuelle différencie pour sa part lacapacité des ingénieurs à < inventer > le modèle géo-technique du site à partir de I'information disponible,à détecter rapidement les facteurs explicatifs d'un acci-dent, à deviner Ies dimensions optimales d'un ouwageou les incertitudes qui peuvent rendre un projet risqué.

Nous évoquerons ces deux types d'expérience dansles exemples qui suivent.

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rckxpértence etle calcul des fondations

Le calcul moderne des fondations nrofondes reDosedans la majorité des pays sur les résultats d'essais enplace (pénétromètre statique ou dynamique, SPI pres-siomètre), qui sont reliés au frottement latéral et à Iarésistance de pointe des pieux par des relations empi-riques, tenant compte de la nature des sols et du moded'exécution des pieux. La modélisation numérique aune place dans les calculs d'interaction avec d'autresstructures. Le calcul des moments de flexion dans lespieux utilise en général un modèle de poutre sur appuicontinu ou des distributions forfaitaires de nressionsde contact. Toutes ces procédures comportenl des par-ties empiriques qui appartiennent à l'expérience coilec-tive d'un organisme ou d'un pays.

Le calcul des fondations superficielles est dans unesituation différente, puisqu'il existe des soiutions théo-riques fondées sur l'analyse des équilibres Iimites ousur I'analyse limite (qui tient compte des conditionsimposées aux déformations et pas seuiement de l'équi-libre des contraintes), et utilisant les paramètres c et qintroduits du temps de Coulomb (xr,rn" siècle). Le calculdes fondations superficielles à partir des essais en placeest aussi pratiqué.

Les limitations des méthodes d'analyse mathéma-tiques ou numériques sont liées d'une part à la variabi-Iité des sols naturels et de leurs propriétés physiqueset mécaniques, et d'autre part à l'absence de Ia défor-mabilité des sols dans l'analyse de stabilité (à part lecaractère associé de la loi d'écoulement plastique, quine corespond que rarement aux données expérimen-tales).

Les calculs de tassements s'effectuent soit par desméthodes simplifiées utilisant les composantes verti-cales des contraintes, soit par des calculs en élémentsfinis.

Les fondations profondes s'appuient donc plutôt surl'expérience collective et les fondations superficiellessur des procédures d'analyse mécanique ieliées à lamécanique des milieux continus, renvoyant sur le choixdes paramètres, c'est-à-dire le modèle géotechnique dusite avec les incertitudes que l'expérience personnelleaide à apprécier.

rct expërience et les tâtudesde pentes naturelles

Les études de stabilité de pentes s'effectuent en pra-tique par analyse de mécanismes de glissement polen-tiel sur des surfaces de rupture. Les calculs se font pardes méthodes numériques suivant des procéduiesvariées. Le principal problème est de déterminer lespropriétés de résistance du soi. Pour les massifs homo-gènes et les glissements de faibles dimensions,quelques essais de laboratoire peuvent fournir des don-nées fiables. Mais Ie problème reste complexe pour lesgrands glissements de versants, dont les terrains (solset roches) échappent parfois à toute mesure directe.Lorsqu'un glissement s'est déjà produit, les paramètrespeuvent être estimés par une analyse des conditionsd'équilibre de la masse instable. La progressivité desmouvements vient compliquer cette analyse. L'évolu-

tion des glissements au cours du temps échappe géné-ralement au calcul et les méthodes de prévisions'appuient souvent sur des corrélations avec desmesures hydrauliques (précipitations, niveau des eauxsouterraines...). Globalement, le domaine des études depentes comporte donc d'une part un champ classiqueoù l'on peut utiliser des outils validés par l'expériencecollective et d'autre part un champ moins bien connuoù l'expérience indMduelle a un plus grand rôle.

rctapérience et les travaux de terrassements

Les études de terrassements cherchent à nrévoirl'emploi dans les remblais des matériaux extrâits desdéblais en cours de chantier. La variabilité des terrains,que i'on ne peut complètement caractériser pendant lesreconnaissances géotechniques, gêne la prévision desmouvements de terres pendant la période de prépara-tion des projets. Les études de compactage s'appuientle plus souvent sur des essais de compactibilité de typeProctor, que I'on effectue sur les différents types dematériaux rencontrés. La cadence des grands chantiersconduit à privilégier des spécifications d'utilisation desmatériaux en remblais qui fixent les conditions de com-pactage en fonction de la nature et de l'humidité desterrains extraits des déblais. Ces spécifications sont dudomaine de l'expérience collective. Mais Ia définitiondes terrains que l'on trouvera dans un déblai dépendbeaucoup plus de l'expérience personnelle du géoiech-nicien chargé de l'étude.

rctexpérience et les constructionssur sols compressibles

Une réflexion détaillée sur l'apport de l'expériencedans ce domaine de Ia géotechnique a été présentéepar l'auteur au 13" Congrès régional africain de méca-nique et de géotechnique (Magnan, 2003c). Du point devue de la < démarche scientifique > de résolution desproblèmes de géotechnique, avec des modèles de cal-cul construits sur des lois physiques reconnues, Ie cal-cul du comportement des massifs de sols argileuxpourrait constituer, comme l'analyse de Ia stabilité desfondations superficielles, un champ idéal. On disposede programmes de calculs tridimensionnels en élé-ments finis, les sols peuvent être prélevés et transportésjusqu'aux laboratoires pour y subir des essais ædomé-triques et triaxiaux. De nombreuses expérimentationsont été réalisées pour valider les modèles et on peutconsidérer que l'on dispose d'outils pour faire les pro-jets. Mais la pratique montre que cela ne suffit pasencore: des ruptures de remblais viennent rappelerpériodiquement qu'il faut rester prudent et il est fré-quent que les prévisions de tassements soient fausses.Ceia montre déjà que l'utilisation de ces outils néces-site une certaine expertise de la pafi des ingénieurs res-ponsables des projets et des travaux. Mais quand onanalyse de plus près les outils de ces ingénieurs, ondécouvre que beaucoup d'outils sont issus d'unedémarche dtobservation directe de la nature et ne sontpas réductibles aux méthodes de calcul issues de lamécanique des milieux continus. On peut citer parexemple la relation de proportionnalité des déplace-

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ments latéraux et des tassements sous les remblais oules ordres de grandeur des parties des déformationsassociées à la compressibilité ædométrique et aufluage, ou bien encore le fait que la stabilité à courtterme implique la stabilité à long terme du même rem-blai.

De façon plus générale, cet exemple comme les pré-cédents suggère qu'il y a dans la pratique de la géo-technique le niveau des outils de prévision, qui reposesur des analyses mécaniques ou sur l'expérience col-lective, et le niveau de l'élaboration du modèle géo-technique, où l'expérience collective prépare des outilsmais ]'expérience personnelle des ingénieurs reste unfacteur essentiel. Si l'on cherche à comprendre quellefut la particularité des grands ingénieurs qui ont mar-qué la géotechnique, c'est probablement dans leurcapacité à comprendre la nature et son interaction avecle fonctionnement des ouvrages et à trouver desmodèles d'analyse adaptés qu'on pourra trouver laréponse.

Wtexp,érience et les travaux de soutènement

Les études de soutènements ont des caractéris-tiques proches des études de fondations. Les théoriesde la poussée et de la butée sont parentes des théoriesde la portance des sols et elles ont les mêmes possibili-tés et les mêmes limitations : des outils connus à basethéorique, peu d'intérêt pour les déformations, uneinteraction forte avec le calcul des structures qui a faitutiliser des modèles d'interaction locale (de type coeffi-cient de réaction) .La détermination des paramètres derésistance des sols est parfois complexe, notammentquand les matériaux en contact avec le soutènementsont des remblais compactés. L'expérience garde unrôle important dans le choix des modèles géotech-niques et dans la conception générale des ouvrages.

EEnseigner ou trans mettr e l'exp érience

La transmission des outils de la géotechnique d'unegénération à la suivante est une préoccupation impor-tante pour la profession géotechnique dans sonensemble mais aussi pour ses clients. La formation desgéotechniciens ne se limite pas à l'enseignement de lareprésentation des sols et des roches et des méthodesde calcul. Il me paraît tout d'abord important de com-biner l'apprentissage conjoint de la mécanique des solset de la mécanique des roches, selon les væux expri-més par Pierre Habib dans le discours de clôture duS5rmposium international d'Athènes sur les sols indu-rés et les roches tendres en 1997 . De la même façon, lesgéotechniciens me paraissent devoir connaître lesmodes de fonctionnement et les règles générales de laconception des structures en béton armé et en acier, ou

les lois générales de l'hydraulique à surface libre. Onpeut enseigner aussi les conclusions des études expéri-mentales et des observations qui aboutissent à la for-mation de l'expertise que j'ai qualifiée plus haut de col-lective. Mais ce ne sont que les préambules de latransmission de l'expérience.

Pour sa part, Ia transmission de l'expérience indivi-duelle pourrait utilement bénéficier de livres qui ras-sembleraient des descriptions de projets, avec lesmodes de raisonnement de géotechniciens spécialistes,ou donneraient des recommandations pourla concep-tion des ouvrages, la définition des modèles géotech-niques, ou la façon d'aborder les expertises. Ce genrede littérature est pratiquement absent de nos librairies.

Mais la transmission de l'expérience individuellepasse tout de même d'abord par une relation person-nelle de type ( maître à élève > entre un géotechnicienexpérimenté et un géotechnicien en début de carrière.Une relation qui s'établisse autour de projets réels, deplus en plus complexes. Peut-on organiser cette trans-mission dans les établissements d'enseignement supé-rieur ? Faut-il attendre le début de la vie professionnelleet l'organiser dans un bureau d'étude ou une entre-prise, ou dans un cadre professionnel collectif ? Ceschoix dépendent de beaucoup de facteurs et doiventêtre adaptés aux conditions locales. Mais il faut quecette transmission d'expérience soit organisée.

EConclusion

Cette réflexion sur le rôle de l'expérience dans lapratique de la géotechnique complète des travauxrécents sur la nature de l'activité des géotechniciens(< L'organisation du travail en géotechnique: dévelop-pement, normalisation et artisanat>, Magnan, 2001),sur la place de la géotechnique dans l'organisation desprojets et des travaux (Magnan, 2003a) et sur la placedes normes dans la pratique de la géotechnique(Magnan, 2003b). La profession géotechnique setrouve, comme sans doute à d'autres occasions dansson histoire, à un carrefour où elle doit intégrer lesinfluences du développement des ordinateurs et desméthodes de calcul numérique, les effets directs et indi-rects de la tendance de la société à généraliser à toutesles activités une approche normative qui s'accommodemal du besoin d'expérience et de compétence artisa-nale dans toutes les activités qui touchent à la nature,de la place croissance de recherches qui veulent déve-lopper la part déductive de la mécanique des sols et desroches aux dépens des domaines régis par l'expérience,mais souvent sans connaître l'importance réelle del'expérience et la valeur des modes de connaissancenon déductifs pour la gestion des systèmes complexes.

Je suis convaincu que la géotechnique ne peut êtrepratiquée que sur un mode artisanal, pour étudier desouwages qui restent uniques. La transmission de l'expé-rience collective et individuelle en est la condition.

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