Robert Brasillach - Les Sept couleurs

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    Robert BRASILLACH

    LES SEPT COULEURS

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    Tous ceux qui ont rflchi la technique du roman ont not l'extrme libert du genre, et sa facilit admettre toutes les formes.On a tenu pour des romans, au cours des sicles, des rcits, (les fragments de journaux intimes, des ensembles de lettres, despomes. des constructions purement idologiques comme Sraphita et Louis Lambert, des dialogues comme ceux qui furent lamode avant la guerre. Un monologue intrieur surraliste est peut-tre un roman, et une suite de documents mis bout bout (ainsi

    qu'on l'a fait par exemple pour la mort de Tolsto) peut passer pour une autre forme de cet art. Dans la plupart des romansd'ailleurs, rcit, dialogue (mme le dialogue transpos), essai ou maximes, documents, lettres. pages de journal, monologueintrieur, se mlent en une mme oeuvre, et les prospectus de Csar Birotteau, les lettres de Mme de Merteuil, le discoursd'Ulysse, font partie intgrante du genre romanesque. Il a paru que Von pouvait essayer au moins une fois de prsenter ces diverslments non plus confondus, mais dissocis autant quil se peut, et que chacune de ces formes pouvait mieux convenir quuneautre pour dcrire un pisode particulier, au cours du temps qui fuit.

    R. B.

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    I - RCIT

    Dans Rome o je naquis, ce malheureux visage

    Dun chevalier romain captiva le courage ;

    Il sappelait Svre

    CORNEILLE,Polyeucte (acte I, scne III)

    I

    LA LICENCE AU BOIS DE BOULOGNE

    Il est peine huit heures, il fait dj chaud sur le lac arrondi du Bois. Catherine regarde ramer son compagnon, qui pique, un peude travers, sur lle. Pas encore beaucoup de monde autour d'eux. D'une barque qu'ils croisent, deux jeunes gens lvent leurs ramespour saluer, Patrice leur rpond.

    - Noble coutume, dclare-t-il, que de passer sa licence au Bois. Vous tes gentille de m'avoir accompagn.

    Elle rit un peu embarrasse pourtant, un peu honteuse d'elle-mme. Sans doute est-ce la premire fois qu'elle ne dit pas la vrit ases parents. Elle n'a pas eu la peine de mentir, car on ne lui demande jamais rien, mais il est bien vrai qu'elle est partie ce matin,vers sept heures, comme si elle allait passer sa licence, et l'oral ne commence que cet aprs-midi, et elle est l, au Bois, avec ungaron qu'elle connat bien peu. C'est une relation d'examens : au bachot de premire, elle lui a gliss quelques citations, et il lui acorrig quelques contresens; en philosophie, l'anne suivante, il l'a empche de confondre les rgles de la morale provisoire deDescartes et les impratifs de Kant, mais, par contre, elle l'a dissuad d'employer la machine, d'Atwood pour mesurer la dilatationdes corps sous l'effet de la chaleur. Puis elle a vcu un an en Angleterre. Elle ne l'a pas revu jusqu' la semaine dernire o leshasards de l'ordre alphabtique les ont encore assis l'un prs de l'autre, et o il l'a aide, sans contrepartie cette fois, sedbrouiller au milieu de quelques phrases particulirement concises de Thucydide. Elle a accept de venir au Bois ce matin aveclui.

    - C'est mieux au mois de mars, dcide-t-il. Vous auriez d venir. Mais vous n'avez pas pass de certificat, en mars? Ni l'an dernier.- Non, c'est le premier.- Et vous commencez par le grec- Je serai dbarrasse.- Drle d'ide. Il est vrai que moi, je finis par le grec. En mars, j'ai pass philologie. Je suis venu tu moins sept matins au Bois.- C'est un voeu?- Non. J'ai des camarades qui sont internes Louis-le-Grand. C'est une vieille habitude. Au moment des licences, en mars enparticulier, ils dclarent au surveillant gnral qu'ils vont passer un examen. On ne vrifie jamais. On leur donne un petit djeunercompos d'omelette et de confitures, et on leur ouvre les portes sept heures et quart. Ils vont faire du canot au Bois. Les deuxque vous avez vus tout l'heure appartiennent cette race de candidats. En juin pourtant, ils sont plus rares, parce qu'ils ontvraiment des examens.

    Il se tut. Les grandes masses d'arbres de lle se dtachaient sur un ciel dj clatant, toutes riantes de jeunes oiseaux. Catherinetait assise devant lui, dans la grosse barque fond plat. Elle n'avait pas de chapeau, et ses cheveux bruns taient coups peu

    prs comme ceux d'un garon. Une mche barrait son front, qu'elle rejetait en arrire de temps autre. Elle portait une robe unie etdroite, qui dcouvrait ses genoux. Elle levait vers lui de grands yeux marrons, de grosses joues roses un rond enfantin

    - On aborderait, bien, reprit-il, mais c'est trs difficile ici. L-bas, il y a un coin. Je crois que c'est interdit d'ailleurs. Il faudra faireattention de ne pas glisser.- Nous pouvons rester l. Ce n'est pas la peine d'aborder.Il la regarda avec un certain mpris :- Vous n'aimez pas les les, alors ?- Mais si.- Non, vous ne devez pas les aimer. Moi, je ne peux pas voir une le sans avoir envie d'y aborder.

    Elle rit, secoua sa mche, ouvrit la bouche pour parler, pour raconter en dsordre sa vie avec ses frres et ses soeurs, le baquet debois qui tait son le quand elle avait six ans, les querelles de Peaux-Rouges. Mais comprendrait-il, ce garon insolent et inconnu

    qui ramait devant elle, en faisant bien attention de ne pas dranger son petit col dur haut d'un demi-centimtre, et son tonnantecravate en batik imprim, jaune et rose?

    - Quel ge avez-vous demanda-t-elle seulement.

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    - Vingt ans. Et vous ?- Dix-huit.

    Voici deux ans que Patrice est Paris, pour y prparer une htive licence qui sera sans doute termine cet aprs-midi. Il pense qu'l'automne il aura son service militaire accomplir, puis de plus graves dcisions, sans doute, prendre. Mais ces deux annes ontt les bienvenues. S'il en tait besoin, il pourrait expliquer cette petite fille assise devant lui comment il a vcu, lui, fils unique,lui, orphelin depuis l'ge de quinze ans, avec ce peu d'argent que lui consacre un oncle ngligent et sympathique. Serait-ellecapable de comprendre quel plaisir ironique il a toujours trouv la petite pension de famille de la rue Saint-Jacques, non loin duVal-de-Grce, qu'il n'a jamais voulu quitter ? Ses camarades prfrent plus de libert, les restaurants quatre francs cinquante, leshtel, du quartier latin. Mais il se plat chez les demoiselles Souris, au milieu d'une assemble bizarre o il est souvent le seuljeune homme, en tout cas le seul tudiant. De quelques figures passagres, il est probablement le seul avoir gard la mmoire, etcelles qui lui restent ne lui agrent pas moins. Quand il aura quitt Paris, il se souviendra toujours avec complaisance, sans doute,d'Auguste Pentecte, professeur de radiesthsie, de M. Snque horloger, de la vigoureuse Lontine Gorgiase, dont lesoccupations sont mal dfinies, de la servante naine qui se prnomme Thodore, et des deux vieilles filles effarouches etbesogneuses, qui sont les demoiselles Souris. Il a une chambre, dans cette maison, la plus belle et la plus petite, d'o il ne voitqu'un arbre en fleur, tout blanc au mois de mai, pouss par miracle au milieu de la cour pave. Et il aime cette cour mme, o lesoir il apporte parfois son phonographe, une chaise longue, devant la porte colonnes, pave glorieuse du dix-septime sicle.L'an prochain, il n'aura pas de peine songer qu'il a vcu l quelques mois baroques et merveilleux.

    Pour l'instant, il lui suffit de regarder ce ciel de juin, qui sent le tilleul et l'acacia, de frapper petits coups la plate surface du lac,

    de s'amuser l'ide qu'il promne cette jolie petite fille. Il n'a pas cherch grand-chose en l'invitant, l'autre matin, dans l'escalierobscur qui mne la salle Z. A peine arriv, il l'a reconnue, un peu grandie, les cheveux coups beaucoup plus courts. L'andernier, il n'avait mme pas pens elle. Mais cela l'amuse de donner un souvenir ses dix-huit ans lui, ses dix-sept ans. Elletait bien jeune, la premire fois, une enfant. Il se souvient pourtant de son visage un peu effray, l'oral, et de son sourire. Cest cause de ce souvenir qu'il lui a demand de l'accompagner au Bois, un matin, qu'il a mis sa plus belle cravate, et son completvieux-rose. Il laisse ses rames s'goutter doucement, la barque ne bouge pas, entre les deux des, ils sont seuls sur le lac, seuls aumonde. Peut-tre ne reverra-t-il plus jamais cette petite compagne d'un instant de sa jeunesse mais c'est sa jeunesse, justement, savingtime anne phmre, inscrite au ciel de huit heures du matin, dans le dcor d'arbres, d'oiseaux, d'eau et de vent lger.

    Ils se mettent parler, ils se racontent des histoires d'examens, de cours, de thtre. Elle n'a pas l'air de savoir que les Pitoffjouent une merveilleuse pice de Pirandello, elle n'a pas l'air, mme, de savoir qui sont les Pitoff. Il faut toute force qu'il fassecesser ce scandale. Mais il doit avouer qu'il ne sait pas danser le charleston.

    - C'est une danse ridicule.- Pas du tout, c'est trs amusant. Je vous apprendrai, vous verrez.

    Elle le lui a dit trs vite, et pourtant elle n'est pas trs sre de revoir ce garon presque inconnu. Ainsi changent-ils leurs jouets,les noms des acteurs, les noms des lieux de leurs joies et de leurs travaux. Il songe s'indigner quand elle lui dit qu'elle abeaucoup aim Rudolt Valentino. Ce n'est pas cela, le cinma, c'est un monde. Elle n'est jamais alle au Vieux Colombier, elle n'apas vu En rade de Cavalcanti, avec ses belles images de ports, et de rues troites o schent les linges, elle n'a mme pas vuVarits, ni Jazz, ni lesRapaces, elle ignore le cinma allemand, et le cinma sudois, et la Charrette fantme Il hausse lespaules devant le travail immense qui l'attend. Pourtant, il est tout prt l'entreprendre. Il la mnera au Vieux Colombier, luiexplique ce que sont les films de cinma pur, il la mnera au Cin-Latin, dans la petite salle bancs durs, au fond du quartierSainte Genevive, et aux Ursulines. Il n'est pas possible qu'elle reste plus longtemps dans une pareille ignorance. Elle l'coute, sabouche d'enfant un peu ouverte, avec un air d'application merveilleux.

    Elle reprend vite l'avantage parce qu'il n'a jamais voyag l'tranger. Elle a pass un an en Angleterre, elle lui parle de la petiteville o elle a vcu, de ses collines, de ses maisons dans le lierre, de ses pelouses, de ses jeux. Elle lui raconte qu'elle a dn Oxford, qu'un jeune Anglais l'a mene visiter les collges et la ville. Il est un peu jaloux, sans doute, non pas de l'Anglais, maisqu'elle ait vu tout cela, alors qu'il ne connat que quelques rares coins de France, et Paris. Il est vrai qu'il connat bien Paris, sesrues, ses villages intrieurs, qu'il sait faire se lever des quartiers les plus dshrits la posie qui leur est propre, de Vaugirard oude Belleville, aussi bien mme que des plus pauvres sous ce rapport, de Passy, de Saint-Lazare. Le soleil monte au-dessus del'horizon, et maintenant il claire en plein front Catherine, qui plisse les yeux, mais il ne s'en aperoit pas, elle ne s'en aperoit pasdavantage. Ils sont l, dans l'enchantement de ce matin d't, changeant leur jeunesse et leurs trsors. Ils n'ont pas aborder dansune le, puisque la voil leur le, cette barque lourde et peu prs ronde, o ils se lancent des mots sans importance, presque sansdouceur, o ils ont l'air de se disputer, d'accuser leurs diffrences, de mettre en parallle leurs vies, o ils ne disent rien deprofond, rien de secret, rien de confidentiel, o ils ignorent chacun de l'autre la famille, le pass, les rves, les ambitions, - mais oils s'unissent, vrai dire, par ce qui compte le plus, et qui est la lgret.

    Ils sautent sur la rive, vers dix heures, un peu tourdis, un peu ivres, et prts croire l'avenir.

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    II

    RIEN QUE LA VILLE

    Lorsqu'on demandait Catherine combien elle avait de frres et de soeurs, elle comptait sur ses doigts et s'embrouillait toujours unpeu, car elle avait horreur des chiffres. Sur le nombre, elle ne commettait pas d'erreurs : quatre soeurs et trois frres, cela se retientassez facilement. Mais les choses se compliquaient du fait que le prnom de Claude par exemple tait galement port par unefille et par un garon, et qu'il y avait un Paul et une Paule. Lorsque par-dessus le march, ces fantaisies de parents sansimagination il l'allait ajouter l'ge et les dates de naissance des enfants, il tait naturel qu'on se perdit un peu. Catherine savait engros qu'elle tait l'ane, que Monique tait sa soeur prfre, d'un an sa cadette, et que la dernire venue tait une petite fille dedix-huit mois, qu'elle aimait de tout son coeur, la petite Isabelle. Entre Isabelle et Monique s'tendait un no man's land de frres etde soeurs, rempli de cris et de pitinements dans les couloirs, qu'elle fuyait parfois avec pouvante, et que ses parentsconsidraient avec une srnit absolue, place depuis l'origine au-dessus de tous les vnements. Professeur dans un collge librepour n'avoir jamais voulu quitter Paris, la Bibliothque Nationale et les Archives, son pre avait renonc depuis fort longtemps faire fortune. Ils vivaient, et c'tait tout, et c'tait suffisant, et les soucis matriels n'avaient pas de place dans la maison. La vietait une succession de perptuels miracles allgrement accepts.

    - C'est dj suffisant de ne pas avoir d'argent, dclarait le pre de Catherine. Si, par-dessus le marche, il fallait se priver...

    On ne se privait donc pas, au sens particulier que l'on donnait ce terme dans la maison. C'est--dire qu'une robe neuve pour l'unedes filles paraissait une grande folie qu'il fallait accueillir avec joie et respect. Les enfants taient levs l'aide de boursesdiverses, le pre faisait des ditions classiques vingt-cinq sous, tout en continuant de travailler sa grande histoire de la Vieintellectuelle sous les Mrovingiens en plusieurs tomes, qu'il n'achverait peut-tre jamais, et la mre de Catherine, au milieu deses huit enfants, des rclamations de fournisseurs, des dettes, maintenait une bonne humeur inaltrable, un ordre sans cesserenaissant, une ingniosit naturelle, des fleurs sur les tables, des repas excellents, et une sorte de gnie bourgeois de la bohmeAussi, alors que beaucoup de ses amis et de ses amies frondaient volontiers leur famille, Catherine avait pour la siennel'admiration la plus sincre, et n'imaginait point qu'il pt y avoir au monde de lien de ferie plus parfait que cet appartement dequatre pices avec dpendances , rue des Fosss-Saint-Jacques, o le soir se dployaient pour dix personnes les lits et lesdivans, et que le sommeil emportait vers des rves chimriques comme un paquebot charg d'migrants miraculeux.

    - Je ne crains que deux choses, disait la mre de Catherine : le froid et les imbciles.

    Il faisait chaud dans la maison, toute l'anne, et les autres ennemis n'y avaient pas accs.

    Quelques jours aprs cet examen de licence et aprs la promenade au Bois, Patrice vint chercher Catherine, et dcouvrit sans tropd'tonnement cette demeure de l'extravagance et de la srnit. Les enfants se pendirent son cou, le dpouillrent de sa canne,car cette poque les tudiants portaient volontiers une canne, et poussrent autour de lui des cris de Sioux Il eut l'impressiond'enlever Catherine, et c'tait bien un enlvement. Ni l'un ni l'autre, pour l'instant, ne quittaient Paris, et ils avaient dcid decommencer leurs vacances.

    - Nous ferons comme si nous tions des trangers. Nous visiterons Paris avec un guide, nous photographierons la Tour Eiffel, etnous irons mme au Muse Grvin. Et vous me montrerez, avait-elle dit, tout ce que je ne connais pas. Seulement, nous nepourrons, pas aller au restaurant, parce que je n'ai pas d'argent. C'est ce qui manquera notre programme.

    Il lui avait promis pourtant de lui faire connatre quelques restaurants peut coteux, et, pour le premier soir, il l'emmena dner auBois. La laiterie d'Auteuil, dans les arbres de juin, offre ceux qui ont l'me bucolique, ses verres de lait, ses oeufs du jour; il lui jura que les poules allaient picorer dans le champ de course, et il lui montra, dans l'table modle, les vaches aux croupescaresses par la lune. Ils restrent l, presque seuls dans ce jardin souvent dsert, se laissant envahir par l'ombre.

    La mode littraire, cette poque nave, tait aux voyages, et l'vasion. Ils dcidaient ensemble de la suivre, de voyager dansParis, de s'vader en eux-mmes. C'est un jeu qui en vaut bien un autre, et dont ils se promettaient, avec juste ce qu'il faut d'ironie,d'avertir un jour la Nouvelle Revue franaise. Un peu pdants, un peu purils, ils attendaient avec espoir l'avenir, dans ce coinpresque dsert du Bois, comme ils l'auraient attendu l'ore d'une savane vierge, et, tudiants pauvres, ils jouissaient de cetteminute d'opulence et s'galaient aux couples somptueux qui, dans les livres, descendaient alors des Bugatti et des Hispano.

    Patrice lui dit quelques mots de lui-mme, et de sa vie, pour la premire fois. Il ne sait pas si la pension des demoiselles Sourisl'amusera, il le suppose pour tant depuis qu'il est entr dans sa maison. Son avenir, il est tonnamment nbuleux. L'an prochain,

    quand il aura fait son service militaire, il se retrouvera, sans un sou, sur le pav parisien, pourvu d'un titre sans clat et sans utilitMais qu'importe l'avenir son ge ? Il est si vaste, plein de promesses si belles. Elle-mme est plus raisonnable. Elle explique bienposment, avec sa petite voix sage, qu'elle a prfr apprendre le grec, parce que tout le monde sait plus ou moins l'anglais, et qu'ilest plus rare pour une femme d'avoir une licence classique. Ainsi aura-t-elle facilement un poste. C'est dans une fonction sre,

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    modeste et publique, qu'elle pourra, elle, attendre l'avenir. Mais ils n'ont besoin, ni l'un ni l'autre, de se hter. Ils sont l, dans cedcor de feuilles et de nuit, avec la douce odeur des vaches qui vient eux, les vertes de lait qui tidissent sur la table de fer. Ungaron et une fille de 1926, un peu navement fiers d'tre libres, provinciaux de Paris qui ont entendu parler des bars, descocktails, des drogues, et pour qui la suprme dpravation de l'esprit est encore d'avoir pu se procurer pour vingt francs lapremire dition de Charmes et de songer danser quelque danse ngre dans une maison de th pour dames anglaises. Il est arriv Patrice de connatre l'amiti des jeunes filles, amiti phmre, amiti superficielle, qui satisfait rarement tout son esprit et mmetout son coeur. A celle-l, il sent bien qu'il est prt tout pardonner, mme de ne pas connatre le cinma, de trop apprcier lejazz-band, de porter des robes-chemises vritablement trs courtes, et de croire que la peinture moderne n'est qu'une farce. Il sesent plein d'une indulgence sans limites, il lui prtera Poisson soluble et le Manifeste du Surrealisme, il lui enseignera qu'AristideBriand n'est qu'un bavard douteux et non le plerin de la paix, il remplacera patiemment sa jeune et charmante confusion d'esprit par la sienne propre. S'il en a le temps toutefois. Et il tire son long corps, il met au dossier de la chaise de fer ses belleschaussures neuves bouts trs pointus, il carte les bras, il regarde le ciel noir et constell : o sera-t-il l'anne prochaine ? Bah !rien n'est important, sinon d'amasser peu peu quelques images merveilleuses de la vie, et, dans les courbes et les boucles deschiffres de 1926, d'en fermer tant de plaisirs qu'on ne puisse plus songer, plus tard, ces seuls chiffres, sans un coup au coeur. Ilssont alls tous deux, mais sans se voir, l'Exposition des Arts Dcoratifs, ils discutent, ils se disputent, ils se rconcilient, pleinsd'une nave admiration pour l'architecture nue, le cubisme la porte de tous, les meubles de Ruhlmann et l'esthtique dpouille,pleins d'amour pour leur temps et pour leur jeunesse.

    Quelquefois, ce qui ennuie un peu Catherine, Patrice parle politique. Elle ne sait pas ce que c'est, sa famille ignore ces jeux, sonpre est parti pour la guerre, y a t bless, en est revenu sans rien comprendre et sans oublier les Mrovingiens. Patrice est sduit

    par la politique. Il n'appartient aucune ligne, mais il a toujours dans sa poche deux ou trois journaux, des amis communistes, desamis royalistes. Il parle avec quelque fougue de l'Italie qui le passionne, il cite des noms que Catherine retient par politesse. C'estle temps o l'on croit la rconciliation des peuples, la dmocratie universelle, la Rpublique allemande, l'art oratoire et laSocit des Nations, et beaucoup de garons de cet ge s'enthousiasment galement pour les rvolutions industrielles et pour lesconciles de professeurs, saluent les petites rpubliques de l'Europe Centrale. et brlent d'une fivre d'ailleurs lucrative. Patricen'est pas de ces garons : il les trouve sots de se passionner pour tant de vieilleries. Et puis, quelquefois, il se plaint :

    - Dire que nous tions trop jeunes pour comprendre ce qu'a t la rvolution russe, la guerre entre la Pologne et les Soviets,Mustapha Kmal, la marche sur Rome. Maintenant, nous vivons une poque plate, et ridicule. Vous trouvez que c'est intressant,vous ?

    Elle ne rpond pas, elle fait confiance la fertilit d'imagination de l'avenir. Il s'aperoit alors qu'il l'ennuie, il hausse les paulessans politesse, et il lui parle du th arabe la Mosque, du cinma, du phonographe.

    Ils ont donc quelques jours, en ces premires semaines de l't, qui sont eux. On mdit de Paris lt, qui a son charme, dans sonodeur d'essence et de tilleuls. Ils vont dans les piscines municipales, qui ne sont pas coteuses, et Patrice explique Catherine lescoutumes de la Butte-aux-Cailles. Un jour par semaine est rserv aux couples : on voit alors des garons chastes et sportifs laporte, qui attendent une jeune fille inconnue et lui demandent la permission d'entrer avec elle, de mme que l'on voit des garonschastes et affams attendre aussi une compagne envoye par le hasard pour pntrer dans les restaurants fminins o on peut, lesoir, se nourrir pour deux ou trois francs. Ils nagent tous deux, ni bien ni mal, l'honnte brasse que na gent cette poque ceux quiont appris seuls se tenir sur l'eau. Mais ils savent un peu mieux, ensuite, qui ils sont : lui un garon vraiment grand, mince de lataille, les bras vigoureux, les cuisses rondes, elle une fille aux paules carres, aux, hanches solides, la poitrine enfantine et drue.Puis ils courent prendre l'autobus K, ils descendent aux Gobelins pour boire un caf crme rue Pascal, dans un petit bistro italien.Patrice commence a lui donner sa manie, si commune son ge, celle des dcouvertes et des lieux magiques. Il leur semble quepersonne ne connat le caf de cette maison des boulevards, personne le pain aux saucisses chaudes de ce marchand de la rueMontmartre. Il l'emmne au restaurant russe, parce que le restaurant russe cote cinq ou six francs, mais aussi parce que c'est unlieu exquis, avec des tableaux au mur, des fleurs sur les tables, des nappes, un orchestre, des chanteurs, des serviteurs polis : quelluxe extraordinaire, pour cette somme, au lieu des rbarbatives organisations de la bienfaisance ! Le K'nam de la rue Royer-Collard est la Providence tide et nostalgique des tudiants de ce temps-l, pour bien des annes. Ainsi la jeunesse se cre-t-elleson empire, et donne-t-elle leur valeur aux plus simples lieux, aux plus simples noms qui deviennent tout coup symboles, aumme titre que le thtre, l'glise, le palais, le jardin.

    Pour lui, il commence beaucoup penser cette petite fille mystrieuse et sage. Il se laisse suivre par cette pense amicale. M.Auguste Pentecte, qui dsire faire de la radiesthsie une science universelle, a l'autre soir propos un jeu. Les joueurs mettront lamain sous la nappe, et le pendule devinera ceux qui sont amoureux et ceux qui ne le sont pas. Personne n'a accept le jeu, etchacun s'est moqu des autres, mais chacun a t ravi qu'on ne tentt point sur soi l'exprience.

    Il les trouve curieux, en lui-mme, ces premiers jours o un tre s'accroche un autre tre, aussi dlicatement que deux pis

    barbels que rapproche le vent. Il mne sa vie coutumire, il continue de donner des leons de franais, de latin, d'histoire, de toutce qu'on voudra, il continue de rencontrer au caf ses camarades et de jouer au bridge; et puis, il y a soudain une petite image quise forme au fond de sa prunelle. Il n'en souffre pas, il ne sait mme pas s'il en a du plaisir : elle surgit seulement de temps autre,et il lui sourit intrieurement. Il la retrouvera tout l'heure, bien entendu, la chose va de soi. Il n'aurait mme pas l'ide de s'en

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    tonner. Mais peu peu, il glisse hors de l'univers qui lui tait familier, il s'invente une plante d'vasion et de plaisir, quoicollaborent si naturellement toutes les feries de la ville.

    Le monde, autour de lui, s'accorde cette heure, le monde avec sa jungle, ses fleuves, ses mers, - je veux dire la ville, qui luisuffit, grise toujours, mme sous le ciel d't, inconnue jamais de ceux qui y vivent, village et nation la fois, avec ses petitegens, ses querelles mystrieuses, ses occupations bizarres, ses mtiers et ses religions inconnues, dans la ceinture lche de sarivire. Il a eu la chance de la connatre, de pouvoir s'y perdre et s'y retrouver, de ne jamais oublier dans les livres sa ralit et sadensit. Comme il y promenait l'an pass ses rves et ses projets et ses souvenirs, il y promne aujourd'hui son amiti nouvelle, etcette petite image de fille qui timbre soudain pour lui les plus fameux monuments.

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    III

    LA PENSION SOURIS

    Ce sont les derniers jours qu'il passe la pension Souris, et il s'amuse de la sentir si diffrente de ce qu'elle pourrait paratre aupremier abord. Emile et Lucie Singer ne sont que de bons employs de trente-deux ou trente-trois ans, avec un bb, l'amour de laT. S. F. qui commence ses ravages, le dsir de la maison de campagne. Il les a trouvs agaants jusqu'au jour o Lucie Singer, enveine de confidences, lui a montr un petit papier qu'elle garde toujours pli dans son sac.

    - C'est une lettre de ma mre. La dernire qu'elle m'ait crite. Elle tait morte depuis cinq ans.- Morte ?- C'est toute une histoire. J'ai rencontr, quand j'avais dix-huit ans, un homme dj g, au bord de la mer o j'tais alle avec monpre. C'tait en 1912. Je venais de perdre ma mre. Cet homme m'a expliqu qu'on pouvait communiquer avec les morts. Je nevoulais pas le croire. Je suis pourtant alle le retrouver dans sa chambre, tous les soirs. J'tais nave, vous savez, on aurait pucroire des choses. Mais il tait bien loin des mauvaises penses, le pauvre. Il m'apprenait rester immobile, ma main sur un papierblanc, toute prte crire, avec un crayon. Et quand j'tais rentre chez moi, je restais encore jusqu' deux, trois heures du matin.- Qu'est-ce que vous attendiez?- J'attendais que ma main crive toute seule, monsieur, avait-elle rpondu avec simplicit.

    Et le mari, toujours aussi rieur, mais sans l'ombre de scepticisme, avait hoch la tte :

    - Elle devenait compltement folle, vous savez. Mais quand on voit des choses pareilles, dame...- a a dur six mois. Le vieux monsieur m'avait dit que j'avais le don. Moi, je commenais tout de mme me dcourager. Etpuis, une nuit, ma main s'est mise crire toute seule. C'tait ma mre. Nous avons correspondu tous les jours. Je lui racontaistout. Quand je me suis marie, elle m'a dit que c'tait un bon mariage. Pas, mon gros chat? Mais mile n'a pas voulu que jecontinue.

    - Ah! pour a non, elle devenait dtraque, vous savez. Montre la lettre monsieur...- C'est celle qu'elle m'a crite la veille de mon mariage.

    Elle tendit la lettre Patrice, une lettre simple, gentille et tendre, pleine de conseils sans prtention. Patrice dut reconnatre quel'criture en tait entirement diffrente de l'criture habituelle de Lucie Singer.

    - Oh ! j'ai t bien folle! dit-elle tranquillement, en repliant son talisman.

    Elle le disait comme elle aurait dit quelle avait en la rougeole. Et ce mari qui on ne la faisait pas acceptait pourtant les transes desa femme, comme un fait historique auquel on ne pouvait rien. Patrice n'oublia jamais cette aisance devant le mystre.

    Lorsqu'il fermait ses volets, le matin (car il aimait dormir dans la douce lueur de la nuit), il voyait souvent arriver, dans la cour, lanaine Thodore.

    Il tait six heures ou six heures et demie. Une forme basse courait le long du trottoir, un peu courte dans le matin gris, et les deuxpans gaux d'un cache-nez d'enfant lui battaient les genoux. Ce n'tait pas une petite fille, pourtant, qui se htait dans la rue,poussait une porte brune, et, avec un soupir, traversait la cour. Tout le monde connaissait dans le quartier la bonne des demoisellesSouris. Elle n'tait pas plus haute qu'un enfant de douze ans, encore qu'elle et dpass depuis longtemps la quarantaine. A cettedisgrce, elle joignait celle de se prnommer Thodore, qui passe en gnral pour un prnom masculin, bien qu'il ait t port parune vierge martyrise. Elle gardait toujours dans ses cheveux un ruban rouge et elle n'avait jamais voulu en donner la raison. Pourachever l'tranget de son destin.. Thodore tait marie, et son mari n'tait pas d'une taille beaucoup plus leve que la sienne.

    Tous les matins, elle quittait leur commune maison de nains, le trop grand lit de confection achet aux Galeries Barbes, pour allerprendre son service chez les demoiselles Souris. Le mari de Thodore tait parti trois heures, car il tait employ par la Ville deParis pour le ramassage des ordures mnagres. Il rentrerait vers midi. Quand Thodore regagnerait sa maison, dix heures dusoir, il serait endormi depuis longtemps. Aussi le connaissait-elle peu, et et-elle risqu de ne pas savoir qui il tait dans la journes'ils n'taient parvenus, cinq ou six fois par an, se rserver un aprs-midi commun de repos. Il se peut qu'une pareille forme devie favorise l'amour romanesque, mais la naine Thodore n'y voyait gure qu'une perscution supplmentaire du destin, et

    emportait, chaque matin, de la considration de soli sort, une ardente mlancolie.Il y avait bientt cinq ans qu'elle servait de bonne tout faire la pension Souris. Le mtier tait dur, mais rapportait beaucoupd'argent, et Thodore tait navement avide. Sans enfants, elle aurait pu vivre avec son nain, et passer des aprs-midi sa taille,

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    menus et peut-tre ravissants. L'appt du gain avait spar le mnage, et elle avait prfr laver sans rpit la vaisselle despensionnaires et aider Mlle Souris l'ane faire la cuisine. Par malheur, les pensionnaires devenaient rares. Des quatre chambresprtes tre loues, deux seulement taient vraiment occupes. O tait le temps de la prosprit o la pension Souris devaitinstaller des locataires sur le divan de la salle manger. Il parat que c'tait la faute in Cartel, la chute du franc, aux craintes destroubles. Mais le nain, qui tait socialiste, disait que c'tait tout simplement la faute aux bourgeois. Heureusement, il restaitquelques fidles clibataires qui logeaient au dehors et venaient prendre leur repas la pension. Mlle Souris d'ailleurs leurprocurait leurs chambres, et grce un rseau serr de complicits, ne donnait d'adresse pour se loger qu' condition qu'on vntdner chez elle. Mme Paris, o il semble que la libert est plus facile, ces moeurs sont assures d'un relatif succs, car il fautcompter avec le dsir de n'tre pas seul et de trouver un semblant de famille.

    - Quand je suis entre ici, songeait Thodore en ouvrant les volets de la salle manger, il y avait dj M. Snque et M. Pentecte.Le second est l depuis dix ans, m'a dit Mademoiselle.

    Elle haussa les paules en pensant lui car elle tenait Auguste Pentecte pour un vieux fou. Il devait vivre de petites rentes. Quant M. Snque, il tait horloger, et possdait dans le quartier une petite boutique, ou plutt un recoin dans un angle de murs, o ilrparait plus de montres qu'il n'en vendait. Toutefois, la pense de Thodore se nuanait de considration, car M. Snque taitgnreux dans des pourboires.

    Depuis son entre en fonction, la naine avait vu passer diverses figures, qui ne s'attardaient presque jamais longtemps. UnArmnien-Russe, aux mtiers mal dfinis, apparaissait frquemment, disparaissait, se disputait avec Mlle Agathe, qui il faisait

    peur et qui l'adorait, oubliait de payer, oubliait de manger, et finissait pourtant, au bout de l'anne, par tre peu prs en rgle.Thodore n'aimait pas Madranian, qui se moquait de sa petite taille et cl son nom, et ne manquait jamais de lui demander desallumettes, plaisanterie que la naine n'avait jamais comprise.

    La chambre verte tait occupe depuis plus d'un an par une belle personne automnale, que la servante jugeait en elle-mme depetite vertu. Il n'y avait vrai dire cette accusation d'autre fondement que le fait pour Lontine Gorgiase de sortir parfois le soir,de possder de nombreux kimonos, de rire fort et de se lever tard.

    La chambre jaune tait celle des Singer. Thodore n'avait pas encore d'opinion sur eux. Elle n'en avait pas d'avantage sur Patrice.

    - Si j'avais de l'argent, songeait Thodore en elle mme, ce n'est pas ici que je voudrais habiter...

    Thodore avait de l'argent, mais par prudence et par habitude, mme quand elle se parlait elle-mme, elle commenait par

    supposer le contraire. Et l'on peut accorder que la pension Souris tait modeste. Les bnfices qu'en retirait la propritaire n'taientpas considrables. Elle devait payer patente, et seule la mansutude des contrleurs ne l'obligeait point afficher dans la salle manger l'affiche sur l'ivresse dans les lieux publics que lui imposait la loi pour pouvoir vendre du vin. Elle comptait ses repas cinqfrancs aux pensionnaires, sans le vin, et la chambre deux cent cinquante francs. On voit que le luxe lui tait svrement interdit.

    tait-il utile pour Thodore de prendre son travail six heures et demie du matin? Il arrivait assez souvent la naine de se poseravec amertume cette question. Mlle Agathe ne se levait qu' sept heures et demie. En elle-mme, Thodore pensait qu'il auraitsuffi d'arriver la mme heure: elle rangeait mthodiquement les chaises le long du mur, remontait la pendule, et se mettait soupirer, les bras croiss sur son balai raccourci.

    Patrice savait que lorsqu'elle avait prpar le caf, fortement mlang de chicore, entrait Mlle Agathe, l'ane. La cadette, MlleConstance, tait employe dans une imprimerie, et avait son appartement elle, qu'elle se refusait quitter. Mlle Agathe tait unepetite dame fane, de cinquante-cinq ans, qui n'avait pas d tre laide et promenait au-dessus de, la ruine prmature de son visage(elle tait vieille depuis vingt ans) un petit nez dlicieux. Des yeux gris, une voix douce et un peu teinte, un air de frayeurrpandu sur ses traits, ne l'empchaient pas d'tre fort entendue dans la conduite conome de son mnage.

    Thodore ne l'aimait pas, mais qui aimait Thodore?

    Elles se saluaient, suivant un crmonial qui ne variait point, changeaient de menus propos sur la temprature, puis, Mlle Agathedclarait:

    - Vous me servirez dans la salle manger.

    Thodore ne s'y habituait point. Elle connaissait sa condition de servante, et admettait qu'on lui donnt des ordres. Mais ellen'avait point de got pour le luxe, et ne comprenait pas qu'on fit des crmonies inutiles. A cette heure matinale, ou Mlle Agathe

    arrivait en peignoir dteint, un petit chou ple de cheveux sur le sommet de la tte, il tait antidmocrate au premier chef deprendre ses distances ds l'aube, et de se faire servir.

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    Pourtant, la naine apportait peu d'instants aprs un plateau ddor la salle manger et installait le djeuner devant Mlle Agathe,qui avait pris place dans un vaste fauteuil oreillettes, lequel lui servait de trne et o elle se perdait un peu. Mlle Souris djeunaitseule, chaque jour, tendait de la pointe d'un couteau avare un peu de beurre sur du pain grill. Thodore commenait d'plucherdes pommes de terre. On mangeait des pommes de terre tous les jours la pension Souris. Aprs le djeuner, la nainecomparaissait devant Mlle Agathe, qui lui donnait les indications pour lit journe, et lui indiquait le menu. C'tait une minutesouvent dsagrable pour la servante, qui s'entendait alors reprocher ses mfaits de la veille, et mme voquer par anticipation sesmfaits futurs.

    Patrice racontait; tout cela Catherine, et lui expliquait que la naine Thodore dtestait sans doute tout le monde, et qu' laprochaine rvolution, elle assassinerait Mlle Agathe.

    - On croit toujours, lui disait-il, que les rvolutionnaires assassinent parce qu'il sont mus par de grands principes, de grandeshaines de grandes envies. Qu'ils assassinent les aristocrates, les banquiers, les oppresseurs. Pas du tout: ils assassinent leursvoisins. Ils assassinent le monsieur qui a la T. S. F., ou qui fait du bruit le soir quand il enlve ses chaussures. Ils assassinent aussileurs patrons, quand ce sont de petits patrons. La naine Thodore assassinera Mlle Agathe parce que, lorsqu'il y a au menu desctelettes, Mlle Agathe exige qu'elle apporte la sienne sur la table, la force la manger froide, et en profite pour en coupertoujours un petit morceau. Je m'empresse d'ajouter qu'il est extrmement rare de voir des ctelettes figurer dans les repas de lapension Souris.

    Catherine, qui considrait, autant que Patrice, ce mets comme rserv aux tables luxueuses, s'amusait d'entendre ces rcits, et se

    faisait cl la pension o vivait son camarade une image bizarre, o, sous les regards haineux d'une naine, tout un monde depassions et d'trangets donnait libre cours ses instincts.

    - Ce n'est pas cela, objectait Patrice plus raisonnable. C'est un endroit un peu triste, un peu sale, un peu ennuyeux, comme toutesles pensions. J'y suis all par hasard. J'y suis rest parce que je m'y amuse, et que des gens ont toujours plus d'intrt qu'on ne lecroit, condition qu'ils ne soient pas des intellectuels, ce qui n'est heureusement pas le cas.

    Mais il n'empchait point Catherine, et lui-mme, s'il tait sincre, de tenir la maison de la rue Saint-Jacques pour un de ces lieuxtranges que Paris cache parfois tous les yeux, et o il abrite sans doute le plus profondment ses secrets.

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    IV

    LES MYSTRES DE PARIS

    Patrice invita Catherine, deux on trois fois, dans cette cour parisienne qui prenait pour lui et pour elle apparence de jardin. Avantque la nuit tombt tout fait, il mettait sur un phonographe un peu raill quelques disques, des tangos, des blues, et la blmait deprfrer cette musique une plus haute. Mais lui-mme, s'il tait franc, s'avouait qu'il mettait beaucoup plus de lui-mme dans cesfaciles chansons, marques de l'anne qui passe, que dans tout ce qui est ternel.

    Lorsque juillet s'avana, Patrice n'avait plus gure de raison de demeurer Paris. Il donnait pour vivre des cours dans uneinstitution libre de Passy, et gnralement, la fin de juillet, il partait pour les Charentes, ou habitait son oncle. Il lui tait arrivaussi de s'engager comme surveillant dans une colonie de vacances, deux annes de suite, l'le d'Olron. Cette anne, il nepensait rien de prcis, il n'avait pas beaucoup d'argent, et son oncle, vieux mdecin fantasque, pas davantage. C'est Catherine quilui proposa de continuer jusqu'au mois d'aot leurs voyages dans Paris.

    - Je vais tous les ans, dit-elle, dans un village o habite ma grand'mre. C'est deux ou trois kilomtres de la mer, et nous nousamusons beaucoup. Il nous arrive d'y aller presque tous, bien que nous n'ayons jamais assez de place. Presque toujours pourtantmes parents trouvent le moyen d'emporter un ou deux enfants en Normandie, chez des amis eux. Naturellement, je ne peux pasvous inviter. Ma grand'mre n'a pas d'argent, personne n'a d'argent dans ma famille, et surtout elle n'a pas de place pour vous

    loger.

    Patrice fut heureux qu'elle y et song, n'en dit rien, et demanda seulement des renseignements complmentaires sur la plage. Ilaimait se figurer les lieux o vivait Catherine.

    - C'est une grande plage trs laide, que j'aime beaucoup. Il n'y a pas d'arbres, mais un sable merveilleusement fin. Le jour o jen'irai plus, ce sera vraiment la fin de mon enfance, de ma jeunesse. Le 15 aot, ma plage est impossible. On y vient de tout lepays, en carriole, en automobile, et les gens y plantent des tentes et des cabanes de bois. Cela dure trois jours pendant lesquels ilsse font la cuisine en plein air. C'est horriblement laid, horriblement sale, et tous ces gens sont bien vulgaires. Mais j'aimebeaucoup ma plage.

    Il voyait tomber la chaleur sur la longue tendue de sable jaune, et, dans les vapeurs qui montent du sol l't, une ligne demontagnes, d'un bleu plus fonc sur le bleu de la mer. Il fermait les yeux, il respirait son bras, et son odeur de pain frais, et il

    songeait dj sa propre enfance, et il tait heureux sentir presque les larmes lui monter aux yeux.

    - Tous les soirs, ajoutait Catherine, nous dnons au bord de la mer. Puis, nous restons trs longtemps dehors, quand il fait beau.Nous rentrons pied, d'habitude. Ce n'est pas loin et le tramway cote douze sous. Je vous parlerai de ma plage. Il faudra bien,une anne, trouver le moyen d'y venir.

    Une anne... Elle pensait donc un avenir assez durable. Il la remercia d'un regard.

    - Mais pour le moment, il faut rester Paris. Est-ce que vous croyez que ce sera commode?- On s'arrangera.

    S'arranger est le mot de passe qui ouvre le plus de royaumes de l'esprit aux pauvres. Depuis son enfance, Patrice tait habitu s'arranger. Il rflchit longuement, il fit de profonds calculs, vendit des livres, de vieux complets, un pardessus dont il n'auraitaucun besoin, pensait-il, quand il serait soldat. Il alla hardiment chercher des fiches au Palais de Justice o il devait inscrire le nomdes plaidants et leur affaire, pour cinquante francs le mille et travailla quatre ou cinq heures le soir. Ainsi passerait-il ces troissemaines de vacances Paris avec Catherine, en attendant son dpart. Il se sentait entran, sans qu'il y fit trop attention, et parfoisil avait envie de se rebeller, de protester contre la place dcidment trop importante que prenait la jeune fille dans sa vie. Mais iln'avait pas, au fond de lui, de respect humain, et son amour de sa propre libert n'tait pas si grand qu'il voult lui sacrifier jusqu'son plaisir.

    M. Snque lui fit un jour des confidences.

    - Je ne sais pas si vous savez, lui dit-il, que j'ai t mari. J'ai t mari avec la femme d'Auguste Pentecte, il y a maintenant vingtans.- La femme de... ?

    - Oui, c'est moi qui l'ai pouse le premier. Nous habitions cte cte, moi horloger, et lui grainetier, Belleville. C'tait une bellefille, elle s'appelait Anas. Au bout d'un an, je me suis aperu qu'elle prfrait la graineterie l'horlogerie. Je n'ai pas insist,monsieur, elle est alle vivre avec mon voisin, et nous avons divorc. Je ne les dtestais pas. Nous ne nous voyions plus,simplement, parce que cela n'aurait pas t convenable. C'tait quelquefois difficile : quand on est voisins, on a si souvent de petits

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    services se rendre. Et j'ai fini par dmnager. Je sais venu habiter ici, et j'ai lou une petite boutique en planches, dans la rueGarancire, en face d'une boutique de cordonnier. Les affaires n'ont pas march trs bien, mais j'avais un peu d'argent, et puisqueAnas n'tait plus l, je vis de peu, vous savez. J'avais tout de mme laiss mon adresse Auguste. Un jour, le lendemain mme del'armistice, il est venu me trouver. J'ai compris qu'Anas l'avait quitt. Les femmes taient folles a ce moment-l, monsieur. Elletait devenue la matresse d'un Amricain, elle est partie. Nous ne savons pas ce qu'elle est devenue. Je ne crois pas qu'il l'aitemmene en Amrique. Bien que 'ait t une belle fille. Ils n'en ont pas comme a en Amrique, il aurait d la garder. J'aiconseill Auguste de vendre sa graineterie, on faisait alors de belles affaires. Il vit ici depuis ce temps-l, il n'a pas beaucoup debesoins non plus, nous nous distrayons parler d'Anas. Nous ne sommes pas malheureux.

    - Et la radiesthsie ?- a le distrait. Moi j'ai les russites, et lui sa baguette de coudrier. Il s'amuse dcouvrir des sources. Il est all en province, voussavez, et il a trouv de l'eau dans des proprits. On l'a pay. Mais c'est surtout une distraction. Bien qu'il soit trs capable, aufond. J'ai beau me moquer de lui, je suis bien sr que ce n'est pas un farceur. Il est en correspondance avec des personnes trssavantes, et mme des prtres. Vous voyez d'ailleurs que c'est un homme instruit, bien quilibr, et qui se porte trs bien.

    Auguste Pentecte, en effet, petit homme barbiche, jouissait d'une sant robuste, faisait des kilomtres dans Paris, et racontaitfrquemment les exploits sportifs de sa jeunesse. Quant son quilibre moral, Patrice se permettait quelquefois d'en douter.Rcemment, il avait obtenu une lettre de recommandation auprs du directeur d'un service municipal, qui il dsirait proposer ungrand plan de piscines modernes. Ces propositions risquaient dj de paratre assez folles, et l'ancien grainetier n'avait en tout casaucun titre pour les raliser. Il est vrai qu'il se faisait fort de faire jaillir des sources d'eau chaude en plein Bois de Boulogne. Mais

    par malheur il aggrava son cas en se prsentant ce directeur d'une manire trange. Il avait entendu dire que cet homme tait unprotecteur des sports, et il voulut lui montrer que, lui non plus, il n'tait pas un de ces savants sdentaire, ennemis de tout exercice.Et, pour le mettre en got, il ne trouva rien de mieux que de faire son entre dans le bureau sur les mains. La lettre derecommandation ne servit rien, et on l'conduisit avec une politesse un peu prcipite. C'est lui-mme qui raconta samsaventure table, devant les convives, qui manqurent prir d'touffement et de fou rire dans leur serviette, l'exception de M.Snque, qui trouvait toute chose naturelle de la, part, de son ami.

    Les plaintives demoiselles Souris coutaient leurs commensaux avec un sourire dfinitivement fix sur leurs lvres, prtes toutaccepter pourvu que ces excentricits n'eussent pas lieu dans leur salle manger, et que surtout la note ft ponctuellement rgle ala fin du mois. C'est ainsi que Patrice faisait son apprentissage des cocasseries de l'existence.

    Il n'tait pas jusqu' Lontine qu'il ne considrt avec quelque sympathie. Elle n'tait pas trs sduisante peut-tre, assez forte,surtout en ce temps de femmes minces, mais elle amusait Patrice lorsqu'elle prenait un air penseur et las de femme qui a beaucoup

    vcu. Elle possdait une grande collection de chles des Antilles, dont elle vendait tantt l'un, tantt l'autre. On ne savait pas trsbien de quoi elle vivait, depuis qu'elle tait l. Elle parlait toujours mystrieusement d'un travail qui devait l'attendre, s'attristaitparfois ses souvenirs de la Martinique et terrifiait un peu les demoiselles Souris, qui se demandaient si leur honnte maisonn'allait pas tourner en mauvais lieu par la prsence de cette femme de perdition. Mais Patrice ne se sentait pas si mcontent quecela de sentir qu'elle le regardait avec une gourmandise non dguise. Par ailleurs, elle chantait, d'une voix grave, assez belle, et illui arrivait de se laisser aller des romances sentimentales, au rpertoire de Mistinguett et de Damia. Devant ces paves, danscette salle manger Henri II o se perptuaient Paris d'honorables traditions provinciales, c'tait peut-tre assez ridicule, maisPatrice gotait d'infinies volupts ce ridicule. Pourtant, il n'et pas voulu que Catherine ft l, et lorsqu'elle vint, il s'arrangeatoujours pour lui faire viter Lontine. En quoi il jugeait mai son amie, car elle se serait sans doute amuse. Mais c'tait peut-trece qu'il ne voulait pas.

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    V

    LES DOUBLURES DU DESTIN

    Catherine ne connaissait pas Saint-Germain de Charonne.

    - D'ailleurs, vous n'tes pas trop coupable, lui dit Patrice avec indulgence. Personne ne connat Saint-Germain. Je l'ai dcouvertpar hasard, un jour que je m'tais tromp d'autobus en allant Romainville, une sance de prparation militaire. Puisque nouspassons nos vacances Paris, nous irons ensemble.

    Ils partirent du Chtelet, par un de ces matins de juillet un peu gris, un peu frais, qui font dj songer l'automne. Ils virent mi-cte, soudain, se dtacher la petite glise, avec son clocher et son coq, pave merveilleuse d'un ancien village. Sur sa butte, entredes maisons modernes, elle seule conserve le souvenir des bourgs de banlieue, parmi les lilas, et des anciennes peines deshommes. On a largi la place, devant elle, on y monte toujours par des degrs de pierre o, dans le Charonne villageois, il devaitfaire beau voir les grands mariages et les premires communions. Mais les choses n'ont pas tant chang, mais on oublie vite leshautes maisons de briques rouges pour cette tour de pierre grise, rpare au ciment, pour cet enclos qui domine la rue, et d'omontent des arbres et des croix. Elle seule, en effet, je crois bien, Paris, a gard son petit cimetire envahi d'herbes, son cimetirede campagne o il n'y a dj plus de place pour les futurs morts. Ils y errrent un instant entre les tombes, et s'arrtrent devant laplus importante, surmonte d'une statue en bicorne, sous laquelle repose Bgue, dit Magloire, peintre en btiment , qui fut aussi

    nous dit son inscription, patriote, pote, philosophe, et secrtaire de M. de Robespierre . Du faubourg Antoine, on dut venir ici,assez facilement, au temps des pavs de Paris et des barricades.

    Un petit garon les accompagnait, qui ils parlrent. Il pouvait bien avoir sept ou huit ans.

    - Qu'est-ce que tu fais l?- J'ai un rendez-vous, dclara-t-il avec une certaine importance,

    Il les suivait pourtant, se retournant de temps autre. Puis il se mit courir, et revint en tenant par la main une petite fille de songe, trs blonde, avec de grosses joues roses, et qui portait un tablier carreaux bleus. Il l'embrassa avec prcaution, comme fontles enfants, en cartant ses cheveux avec ses mains.

    - C'est ta fiance? demanda Catherine.

    - Parfaitement. Vous aussi, vous tes fiancs.

    Il n'interrogeait pas. Il affirmait et Catherine et Patrice se mirent rire, peine gns. Les enfants maintenant les prcdaient, avecun murmure de source, et semblaient ne pas s'occuper d'eux. Pourtant, ils ne les quittaient pas. Patrice voulut les interroger.

    - Qu'est-ce que font tes parents? demanda-t-il au petit.- ils sont partis pour toute la journe. Les siens aussi. Nous sommes en vacances de parents. Mon frre travaille.- Mais qui s'occupe de vous?

    Le petit haussa les paules avec un certain mpris, dsigna vaguement une maison, et dclara

    - Une femme.

    Des soucis aussi pratiques lui paraissaient coup sr tout fait vains.

    - Nous aussi, dit Catherine, nous sommes en vacances de parents. Mais est-ce qu'elle va vous donner manger ?- Elle a prpar quelque chose dans la cuisine. Nous ne la verrons pas. Elle a d aller boire.

    Il disait cela avec une grande philosophie comme une des choses les plus banales de ce monde. Ne pas voir ses parents, tre confi une femme oublieuse et un peu ivrognesse, cela devait arriver tous les jours.

    - Tout l'heure, on ira chercher ce qu'elle a prpar et on mangera ici. Un cimetire, c'est comme un jardin. Vous devriez djeuneravec nous.

    Patrice et Catherine sourirent. Pourquoi ne se laisseraient-ils pas tenter? Il allait tre prs de midi. Qui sait si l'glise ne sonnerait

    pas l'anglus ? Si dans le beau quartier populaire le village n'allait pas ressusciter, avec les retours des champs, le bruit deschevaux, le chant des coqs? En tout cas, on oubliait Paris ici, cette ville si facile oublier, dans n'importe lequel de ses jardinsclos, au dtour d'un mur ou d'une rue.

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    - Mais on ne nous dira rien de djeuner dans le cimetire?

    Le petit rpta :

    - Un cimetire, c'est comme un jardin. Mais avant, vous devriez aller visiter l'glise.

    Il les accompagna, les fit entrer dans la chapelle troite et courte, rpare sans art toutes les poques. Lui-mme n'y pntrapoint.

    - Je suis communiste, expliqua-t-il.- Et alors ? Tu n'aimes pas le cur ?- Oh ! ce n'est pas un mauvais homme. Mais ce n'est pas mes ides.

    Il conservait toujours la mme gravit, et la petite fille hochait la tte en ayant l'air de dire qu'il faut respecter les ides deshommes. Elle-mme pntra dans la chapelle avec les jeunes gens, et fit une gnuflexion devant lautel.

    - Comment t'appelles-tu? demanda Catherine.- Catherine.

    Elle haussa les sourcils avec tonnement.

    - Et lui?- Patrice.

    Les jeunes gens n'osrent plus rire, un peu mus, malgr eux, d'une concidence charmante. Patrice surtout n'tait point un prnomsi commun pour qu'ils eussent pu esprer rencontrer ainsi leur double l'ombre de Saint-Germain de Charonne. Patrice osacaresser doucement la main de Catherine, pour la premire fois.

    Ensemble ils allrent vers la maison de la femme qui tait charge pour la journe de garder les deux enfants. Dans le couloir,le petit Patrice se mit genoux, passa la main par un trou rond qui servait de chatire an bas de la porte, et tira une ficelle opendait une bobine.

    - C'est trs simple. Comme a on peut ouvrir sans avoir de clef. Vous pouvez entrer.

    Ils entrrent directement dans une cuisine assez grande et assez propre, qui ressemblait bien plus aux cuisines de village qu'auxcuisines de Paris, et, sur la table en toile cire, dcouvrirent en effet un petit paquet, qui devait tre le dner des deux enfants. Ilsles aidrent dnombrer leurs richesses : deux quignons de pain, deux cornichons, deux tablettes de chocolat, deux oeufs durs.

    - Drle de menu, dit Patrice,- Pourquoi ? dit Patrice. C'est moi qui lui ai demand les cornichons. Elle est si bte qu'elle les aurait oublis. Vous devriez alleracheter des oeufs durs et venir avec nous.

    Patrice acheta des oeufs durs au plus proche bistro, deux petits pains, un peu de jambon, des pches une voiture de fruits, etdeux sucettes pour les enfants. Puis ils regagnrent le cimetire, et s'assirent aux pieds du philosophe. Des nuages couraient au-dessus d'eux, cachaient et dcouvraient tour tour le soleil. Il rgnait un silence parfait, un silence villageois, l'heure o dnentles paysans, o les travaux sont abandonns. C'tait Paris, pourtant, Paris autour d'eux invisible, vingt mtres derrire cet arbre etce mur bas, vingt mtres derrire ce clocher paradoxal : mais ils n'entendaient mme pas sa respiration de grosse ville animale,ils avaient t emports hors de son espace, ils riaient avec leurs doubles enfantins dans un jardin campagnard d'o l'ide mme dela mort avait t exorcise.

    - a vous arrive souvent de rester tout seuls ?- Pas trs souvent. Nos parents sont toujours l. Mais des fois, ils vont en banlieue, le dimanche, et ils ne nous emmnent pas.Alors la femme nous garde.- Ce n'est pas dimanche aujourd'hui.- Mon pre travaille et ne rentre pas djeuner. Ma mre est alle chez sa cousine de banlieue qui est malade- Et toi, Catherine- C'est pareil.- Tu as aussi une cousine de banlieue qui est malade ?

    - Non, c'est la mme. Mais ma mre a accompagn la mre de Patrice. Elle trouve qu'il vaut mieux tre deux. Une autre anne,elles taient parties quatre, de la rue, pour la soigner. C'est trs amusant, quand il y a quelqu'un de malade, Nous, on nous laissetoujours ici.

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    Ils s'informrent ainsi des coutumes tranges qui semblaient rgir la rue de Bagnolet, et le village de Saint-Germain. Aussiprcautionneux que des citadins aux champs, qui ne voudraient tout de mme pas dire trop de btises, ils dcouvraient que chaquevillage de Paris a ses moeurs, ses lois, sa flore et sa faune, Ils n'ignoraient pas que Vaugirard est le pays des popes russes et deschat gris, qu'Auteuil est le bourg des chiens friss, Saint-Sulpice celui des dvotes et des chats jaunes, Sainte-Genevive celui desenfants patins et des chiens noirs et blancs sans race ; ils dcouvraient ici des chats roux, des chiens hauts sur pattes, des enfantabandonns, des gardiennes volages, et ils avaient autant de scrupules gnraliser qu'un gographe consciencieux son premierdbarquement dans une le inconnue. Jamais ils n'auraient pens qu'on attrait pu organiser une malade-partie si pleine d'animationet, probablement de gaiet. Mais il faisait beau. Pourquoi chercher autre chose ? Sur les tombes, dans l'amiti paisible de la mort,aussi tranquilles que les Arabes dans leurs cimetires aux stles arrondies, ils rompaient le pain, et mordaient dans les pches juteuses, et s'essuyaient les mains aux herbes. Ami de la nature, le philosophe en culotte courte et en bicorne devait sentirs'veiller son ancienne me sensible.

    Les enfants s'amusrent beaucoup lorsqu'ils apprirent que les deux jeunes zens s'appelaient aussi Patrice et Catherine.

    - Alors, vous allez vous marier- Et pourquoi ?- Parce que nous, nous nous marierons un jour. Quand nous serons grands.- Tu te marieras l'glise, Patrice ?- Si a fait plaisir Catherine. Parce que Catherine est croyante.

    Il lui caressa la tte avec un geste protecteur.

    - Et qu'est-ce que tu feras comme mtier ?- Je ne sais pas. Je pense qu' ce moment-l la socit capitaliste bourgeoise n'existera plus. Je n'aurai pas vu a.- Qui te l'a dit ?- Mon pre est militant. Il le sait.

    Patrice n'osa trop rpliquer. Il fut attrist, pourtant, une seconde, de l'avenir de cet enfant, et il songeait tant de possibilits pourabriter, aider, cette plante pousser. Mais il faisait un clair soleil au-dessus de Saint-Germain, et il prfrait regarder son double etcelui de Catherine qui leur promettaient un bonheur enfantin.

    - Je vais aller chercher de l'eau, annona le petit Patrice. On crve de soif ici.

    Il revint avec une bouteille et deux cornets de papier blanc.

    - C'est le gardien du cimetire qui me les a donns. Je suis bien avec lui parce que je l'aide fermer les portes le soir.- Il n'y arriverait pas sans toi ?- Je ne pense pas.

    Lorsqu'ils eurent bu dans les cornets de papier blanc, le petit Patrice, qui faisait preuve d'autorit, leur proposa de visiter lequartier. Ils s'en allrent, les enfants devant, eux derrire, comme tant de familles franaises, ouvrires ou bourgeoises, ledimanche aprs-midi. Comme elles, ils ne parlaient peu prs pas, laissant seulement les enfants gazouiller devant eux, lessurveillant de l'oeil au moment de traverser les rites. Pour d'autres, ce n'aurait pas t un quartier bien pittoresque que cette limitede Charonne et de Bagnolet. Tantt de hautes maisons neuves, tantt de basses btisses enserrant un coin de jardin, un arbrepauvre et pel. Mais ils l'aimaient dj, comme ils aimaient tout Paris, ses maisons industrielles, ses souvenirs de village, ville nonacheve, ville sans harmonie, et par l mme vivante.

    Vers quatre heures, ils s'arrtrent la terrasse d'un petit caf, burent des limonades avec les enfants. Ce n'tait pas dimanche, etpourtant d'autres familles se promenaient sur le large boulevard, au pied du talus du chemin de fer, avec des voitures d'enfants, desbavardages, des grands sacs de toile cire la main. Les deux petits, trs sages sur leur chaise de fer, jouaient pigeon-vole mi-voix, et gotaient de temps autre leur boisson avec une paille. trange journe, trange famille qu'ils formaient ainsi, par un deces miracles de la chance que crent parfois, pour ceux qui en sont dignes, les grandes cits.

    - Il faut rentrer, maintenant, finit par dire le petit Patrice.

    Dociles, ils les ramenrent la maison de leur invisible gardienne, toujours absente, et le petit refit sa besogne de chat pour ouvrirla porte.

    - Quand vous reviendrez, leur dit-il, vous n'aurez qu' venir ici. Regardez bien le numro. Vous nous demanderez. S'il n y apersonne vous tirerez la bobine de la ficelle et vous entrerez.

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    - Au revoir, petit Chaperon Rouge.

    Patrice et Catherine restrent silencieux jusqu'au Chtelet, o ils se sparrent.

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    VI

    CHARMES

    Catherine revint pourtant, aprs neuf heures du soir, retrouver son ami. A la pension Souris, o l'on dnait tt, tous taient encore table. tant dans l'un de ses jours de gnrosit, Mlle Souris l'ane avait fait circuler de grands verres d'eau frache o elle avaitvers une goutte d'une liqueur bizarre et conomique, qui tenait de la fleur d'oranger et de l'alcool de menthe. C'est ce qu'unpensionnaire de jadis avait un jour nomm avec une ironie non dguise : Votre cocktail. Depuis, les demoiselles Souris, quin'y voyaient point malice, proposaient de temps autre (rarement il est vrai) leur cocktail et on n'osait pas le leur refuser.

    M. Snque s'tait mis en tte, depuis quelque temps dj, darranger pour elle un poste de T. S. F. Nous avons oubli qu' cettepoque la T. S. F. de famille tait encore l'tat embryonnaire, et presque aussi cocasse que l'automobile en 1910. On discutaitencore des mrites compars des postes galne et des postes cadres, des couteurs et du haut-parleur. Les journauxhumoristiques taient pleins d'histoires comiques sur le poste qui refusait toujours obstinment de marcher quand il y avaitquelqu'un et qui fonctionnait si bien quand il n'y avait personne. On s'invitait pour couter la T. S. F. au milieu d'un fracaspouvantable et de crissements indestructibles. Les amateurs forcens n'entendaient d'ailleurs jamais un morceau entier, mais leuraiguille courait de ville en ville, de contre en contre : Je puis avoir Florence, Bruxelles, Madrid, Nuremberg, Vienne,Londres... La nuit, j'ai Moscou, j'ai New-York. L'auditeur forc n'avait lui, que des grsillements peu prs semblables, et on luidisait toujours que la veille encore on avait attrap , sans doute par ruse, et comme au vol, un si beau concert allemand. Mais

    aujourd'hui, avec l'orage qui se prparait...

    Nous avons oubli tout cela, aujourd'hui que la T. S. F. a pris les proportions d'un flau bien organis; mais tout cela a t et adonn sa couleur un temps, le temps des robes courtes, des bars, des cocktails, des voitures dos carr, des meubles nus, letemps qui se croyait si loin de tous les ridicules, et si protg du danger de vieillir.

    M. Snque qui venait d'apporter son poste avec une modestie de triomphateur, ne manqua aucun des rites alors obligatoires. Unconcert de chats emplit bientt la salle a manger pendant que pench comme un sorcier sur sa marmite de sons, le vieil hommeremuait des aiguilles diverses, et marmottait des noms de capitales. Il avait pass l'aprs-midi installer une antenne, vrifier desaccumulateurs. Il offrait ses couteurs, les arrachait pour vrifier un bruit, grle pavillon indpendant qui servait de haut-parleur,reli par un fil la bote magique, ne naissaient que des sons entrecoups, qui parfois s'unissaient en accords plaintifs, peut-tresemblables ceux des violons.

    Un peu crisps, Catherine et Patrice coutrent quelques instants ces tentatives de sauvage. Mlle Souris semblait trouver naturellesles visites de la jeune fille, qui lui inspirait confiance, bien qu'elle ft de moeurs puritaines et de temprament souponneux. Lesdeux jeunes gens songeaient surtout, an milieu des cris suraigus de l'instrument, leur journe Saint-Germain de Charonne et leurs doubles enfantins et amicaux. Pourtant, ils finirent par sortir, par gagner au dehors la nuit tide.

    Le Luxembourg ferme ses portes avec le soir, ils auraient pourtant aim un jardin, ils suivaient la Seine, en remontant vers Notre-Dame. Chacun d'eux gotait cette minute de leur vie, le bonheur provisoire qui leur tait accord avant les dcisions del'existence. Mais sans vouloir se l'avouer l'un l'autre ni eux-mmes, ils ne pensaient qu'aux paroles prononces cet aprs-midipar les deux enfants, et se demandaient s'ils devaient y avoir un conseil, une prmonition. Autour d'eux la nuit tait belle, et devantNotre-Dame noire sur le ciel ros, pour la premire fois, et comme des enfants, ils s'embrassrent sur les joues.

    Plus tard, il le savait ds prsent, lorsqu'il songerait cette poque, qui lui apparaissait dj avec ses couleurs anciennes, sescouleurs dsutes, il se rappellerait jamais, pensait-il, les journes o fondit sur lui, glac, brlant, essouffl, le premier amour.Lui-mme aurait-il pu se dfinir, tre dfini ? Ils taient deux prnoms (mme pas de noms pour eux), deux jeunes gens sansidentit. Il n'tait qu'une ombre, et elle n'tait qu'une ombre et tous deux taient deux fantmes sans trait, sans ligne, sans paisseurni limite, simplement deux instants de la jeunesse incarne. Dans son univers cocasse, avec de petits fantoches fabuleux, il avaitlaiss s'introduire une vivante ; et elle-mme n'abritait plus dans sa famille de funambules lyriques, an milieu des bataillesd'enfants, la mme tranquillit et les mmes rves. Mais tous deux, la nuit, retirs dans leurs domaines personnels, dans ce quiavait t leurs domaines personnels, ils restaient les yeux ouverts, et sans pense, parce qu'ils ne pensaient mme pas un visage,ni un nom, mais une absence.

    Alors quand ils se retrouvaient, camarades comme aux premiers jours, ils jetaient des amarres autour de leurs barques, ils seracontaient ple-mle tout un pass confus et puril, ils essayaient aussi, pendant qu'ils y taient, d'agripper un peu d'avenir, et

    ainsi espraient-ils se faire mieux connatre l'un l'autre et mieux se confondre. Et puis aussi, ils se promettaient quelques plaisirslgers, des promenades, des jeux, des livres, de la musique, afin de chercher fonder sur la fragilit, qui est toujours la plusdurable. Il finissait par reconstruire toute l'enfance de Catherine, par l'imaginer aussi clairement que s'il y avait pris part, et ill'entourait alors de maisons familires, de soleil sur l 'eau, de sel marin, d'toiles dans le ciel, de vignes bleues et de collines.

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    La maison o habitait la grand'mre de Catherine, il le savait, se trouvait dans une petite rue, en face de l'glise. Haute et troite,elle ne comportait que deux pices par tage. Par malheur la grande pice du second n'avait jamais pu tre termine. Elle s'tendaitsous une terrasse, mal construite sans doute prodigieusement irrparable, et lorsqu'il pleuvait, la pluie coulait flots dans lachambre. Cela avait t une des grandes joies de l'enfance de Catherine. Vers minuit au mois d'aot, il n'tait pas rare qu'un oragetorrentiel clatt. Les enfants, qui couchaient dans les grands lits de bois chous comme des barques travers cette espce degrenier, non tapiss, aux briques de cloison apparentes, se rveillaient en sursaut. Pendant quelques minutes, ils conservaient unpeu d'espoir. Mais bientt la premire goutte d'eau traversait le plafond. Il fallait alors se lever. L'lectricit tait presque toujourscoupe en temps d'orage. On allumait alors des bougies et des lampes ptrole, toute la maison commenait de grouiller commeune ratire. On tendait des sacs sur le plancher, et on rquisitionnait tous les seaux, les cuvettes, les casseroles. Une longueexprience avait appris o se trouvaient les gouttires les plus redoutables. On disposait au-dessous d'elles les rcipients les plusimportants. Puis, la plupart du temps, on se recouchait, et l'on coutait les sons diffrents de la pluie, graves dans les bassinesvides, aigus dans les bassines pleines, amortis sur les sacs et cristallins sur l'mail. Depuis toujours, cette chambre se nommaitdans le jargon familial la chambre qu'il pleut .

    Au dbut d'aot pourtant les pluies sont rares, et Catherine et Monique pouvaient s'en emparer en paix. Par deux fentres, ellesavaient vue sur un peu de ciel et sur le clocher de l'glise. La chambre-qu'il-pleut tait de beaucoup la pice la plus are et la plusagrable de la maison, bien qu'assez torride. Les mouches elles-mmes, terreur du village, n'y montaient qu' regret, prfrant lesruisseaux de la rue. Et dans les dbuts d'aprs-midi solennels et chauds des terres du midi, l'ombre des volets ferms, dans lapice raye par un rayon de poussire dore, Monique et Catherine se racontaient mi-voix des histoires comiques et inventaient

    les lgendes de leur famille et de leur enfance. Mais qu'il tait difficile de faire comprendre cela Patrice

    Lui-mme, oublieux de son enfance, qui ne l'intressait gure, et presque persuad qu'il n'en avait pas eu, prfrait retrouver pourelle les chroniques de la pension Souris. Ainsi changeaient-ils, dfaut de plus considrables prsents, les cadeaux illusoires dutemps qui passe, et des dcors qui les entouraient. La naine Thodore continuait de paratre Catherine un objet trange, une sortede magot oriental, dont elle avait un peu peur.

    - C'est une femme fatale, expliqua Patrice.- Une femme fatale ?- Parfaitement. C'est peut-tre pour cela qu'elle a un ruban rouge dans les cheveux. Elle a tromp une fois son mari, tout le mondel'a su la pension, Et avec un Chinois.

    - A cause de la taille ?- Pas du tout. C'tait un Chinois du Nord, et il parait que dans le Nord, on en trouve de trs grands. En tout cas, celui-l tait uncolosse. Il tait serveur dans un restaurant de la rue Cujas, et il venait l'attendre aprs son service. Un jour le mari de la naine, quiavait t prvenu par une lettre anonyme, comme dans le plus grand monde, a quitt son travail et il est venu lui aussi. Cela a faitun grand tapage. Le Chinois s'est mis hurler, mais il faut croire que la taille ne sert rien. Le nain lui a donn un coup de canneau-dessous du genou (je n'invente rien) et le grand diable jaune est tomb comme une masse. Des commres sont alles prvenirle commissariat, des agents sont arrivs, 'a t affreux. Les demoiselles Souris taient terrifies. Moi, j'tais mort de rire.

    - Et Thodore?- Elle tait la fentre, son petit balai la main, et je n'ai jamais vu personne avoir l'air plus heureux. Une reine de tournoi. Quandson mari est entr dans la maison, il n'osait rien lui dire. Elle l'a regard, avec un indicible mlange de mpris et d'admiration, ellea tendu son balai a l'une des demoiselles Souris sans un mot, et elle est partie sans mme laver sa vaisselle. Le lendemain, elle estrevenue, elle ne s'est, pas excuse, on ne lui a rien demand, et on n'a jamais revu le Chinois. C'est ce qu'on appelle un drame ducoeur.

    Patrice lui racontait cela dans une petite salle de la rue Boissy-d'Anglas o il tait all quelquefois danser. Le jazz cette poquedevenait langoureux, aprs une crise de barbarie relative, et sur les guitares hawaennes, les noirs raclaient leurs airs nervants.Dans le secret de la pension Souris, Catherine avait enseign Patrice les lments du charleston. Il haussait les paules, dclaraitcette danse ridicule, mais enfin il avait fini par l'apprendre. En conscience, il frappait ses talons l'un contre l'autre devant Catherinequi riait. Ils taient presque seuls d'ailleurs, cette poque de l'anne, o quelques vieilles misses encore venaient prendre leur thet leurs toasts dans le salon du premier tage. Mais tout tait trs bien puisqu'ils visitaient Paris. La veille au soir, ils avaientmang du bortsch et des blinis an K'nam, et puis ils taient all voir jouerl'Orphe de Jean Cocteau dans une salle peu prs vide.Penchs au dernier balcon du Thtre des Arts, sur leurs bancs poussireux, ils regardaient une ravissante jeune fille en robe rosequi tait la Mort - et qui devait mourir bientt en effet - manier ses appareils lectriques. Patrice imitait la voix de Georges Pitofflorsqu'en pull-over et pantalon blanc, il cartait les paroles d'Eurydice :

    - Ne me parle pas de la lune ! Je suis le hirophante du soleil.

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    Et ils riaient tous deux, parce que l'oracle avait fait une prdiction acrostiche, dont, les initiales formaient une plaisanterie decollgien : Madame Eurydice Reviendra Des Enfers. Ils ne prenaient pas trs au srieux ces oscillations entre le mysticisme et lamystification, mais c'tait leur temps, cela, leur jeunesse, leur plaisir, et ils se chuchotaient que Ludmilla attendait un bb, et queJean Cocteau n'tait peut-tre pas aussi srieusement converti que le pauvre Maritain voulait bien le croire, et que la Mort seprnommait Mireille et qu'elle crivait des contes et des pomes, et que l'ange Heurtebise tait joli garon et que Jean Hugo quiavait fait les dcors, tait l'arrire-petit-fils du pote, qu'ils tenaient par ailleurs pour un vieux bouffon barbu.

    En sortant, il lui rcitait une page de Claudel qu'il aimait, et qu'elle finissait, elle aussi, par savoir par coeur :

    Et voil que quelqu'un est toujours l, partageant mme son lit quand il dort, et la jalousie le presse et l'enserre.

    Il tait oisif et il faut qu'il travaille tant qu'il peut,

    Insouciant et voici linquitude,

    Et ce qu'il gagne nest pas pour lui. et il ne lui reste rien.

    Et il vieillit pendant que ses enfants grandissent.

    Et la beaut de sa femme o est-elle ?

    Elle passe sa vie dans la douleur et elle n'apporte que cela avec elle.

    Et qui aura ce courage, qu'il l'aime ?

    Et l'homme n'a point d'autre pouse, et celle-l lui a t donne, et il est bien qu'il l'embrasse avec des larmes et des baisers.

    Et elle lui donnera de l'argent polir qu'il l'pouse.

    On leur disait aussi que la jeunesse de ce temps passait sa vie dans les bars, courait les routes en auto, se droguait et jetait l'argentpar les fentres : ils n'avaient pas d'argent, ils buvaient de l'eau, ils ne savaient pas conduire, et ils n'avaient d'autres vices que lespices d'avant-garde, les acteurs russes et les films absolus.

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    VII

    LA CROIX DU SUD

    Vers le 10 aot, Catherine allait quitter Paris pour retrouver sa plage mditerranenne. Patrice s'en irait aussi, c'tait leur dernire journe. Elle avait prvenu qu'elle ne rentrerait pas dner chez elle, il avait dit aux demoiselles Souris de ne pas l'attendre. Lapension d'ailleurs tait peu prs vide, et la naine Thodore n'avait plus servir que les deux vieilles filles, M. Pentecte, M.Snque et l'inamovible Mlle Gorgiase. On laissait la fentre ouverte, et les moucherons tournoyaient autour de la suspensionverdtre, en forme de couronne carolingienne. Avec amertume, Mlle Agathe songeait que la morte-saison tait venue etqu'il fallait mme louer le Seigneur d'avoir conserv quelques convives autour de sa table. L'air tait moite, le soir tait tomb. M.Pentecte, qui devenait volontiers sarcastique, plaisanta l'absence de Patrice.

    - On sait bien, dit-il, o il a pass la journe. Cette jolie tudiante n'y est coup sr pas trangre.- C'est une jeune fille bien convenable, assura l'une des demoiselles Souris.- Et c'est un jeune homme parfait, rpondt l'autre.- Nous n'en avons jamais dout, dirent en choeur M. Snque et M. Pentecte.- Il faut bien laisser parler son coeur, admit avec une indulgence pleine de lassitude la femme fatale.

    Il y eut un silence, peut-tre rprobateur.

    - Ne l'avez-vous pas entendu rentrer dans sa chambre, tout l'heure ? reprit M. Snque.- Je ne crois pas, On peut aller voir, dit Mlle Souris l'ane.- Gardez-vous-en bien. Ce serait indiscret, et comme dit si bien mademoiselle, il faut laisser parler son coeur. Etes-vous bien srqu'il y soit seul ?- Oh ! monsieur- Mais en tout bien tout honneur, mademoiselle.

    M. Pentecte tendit travers la table une dextre conciliatrice.

    - Que l'on ne discute point en vain. La science nous met une arme entre les mains, ou plutt un admirable instrumentd'investigation, Donnez-moi le rond de serviette de ce jeune homme.

    Tout le monde avait dj devin qu'il avait saisi une fois encore l'occasion d'une exprience de radiesthsie. On lui tendit le rondde serviette, il tira du fil de sa poche. On n'osait pas le contrarier, et puis, il faisait chaud, le dner tait fini, pourquoi ne pas laisserle vieil homme se distraire comme il l'entendait ? C'tait l'heure et la saison o l'on croit aux miracles par lassitude, et o, pourvuqu'on ne doive pas se lever, on accorde tout ce qu'ils dsirent aux fakirs, aux dmarcheurs, aux potes et aux inspecteursd'assurances. La femme fatale commena mme de raconter des histoires de tables tournantes, mais M. Pentecte la reprit avecsvrit : les tables tournantes n'avaient aucune valeur scientifique.

    - Et vous croyez que le rond de serviette ? ...- Vous allez voir.

    Il dessina un carr sur un papier blanc, qui reprsentait la chambre de Patrice, et il commena de promener au-dessus le rond deserviette suspendu un fil. Il se tenait debout, sa barbiche en avant, ses lunettes releves sur son front, docteur Faust de pensionde famille. Une petite lueur verte errait sur ses verres : ce n'tait pas le gnie, ni le dmon, ni l'me d'un dfunt, c'tait le reflet dela suspension.

    - L'exprience que je ralise l, dclara-t-il, est de mon invention. Vous ne la trouverez dcrite dans aucun manuel classique deradiesthsie. Il faut pour cela possder un fluide particulier, que je me fais fort de pouvoir diriger volont. Mais ce n'est pasdonn tout le monde.

    Il manait du petit homme une forte autorit, et tout le monde s'accouda la table pour le regarder faire. Personne n'aurait eu l'idede demander monter tout simplement dans la chambre de Patrice, et, vrai dire, on ne savait mme pas trs exactement ce quecherchait M. Pentecte. Pour des esprits vritablement curieux d'ailleurs, le rsultat importe peu, et seule la mthode a de l'intrt.

    A une des extrmits du carr, le pendule se mit remuer, de faon irrgulire, comme s'il avait t pouss par le vent.

    - Nous devons nous trouver ici prs de la fentre, dclara avec gravit l'officiant. Il y a de l'air.

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    Il fit au crayon bleu un trait, qui indiquait la fentre. Puis il continua de promener son pendule. A l'extrmit oppose, il indiquaqu'il sentait un frmissement. Au bout du fil, le rond de bois se mit en effet tressauter, puis, au bout de quelques secondes, sousles yeux de tous, se balana, lentement, rgulirement, en oscillations assez amples.

    - Je vous prends tmoin que je ne bouge pas.

    On acquiesa d'autant plus aisment qu'on avait vu assez souvent M. Pentecte se livrer des expriences analogues, et que,quelle qu'en soit l'explication, on ne pouvait videmment l'accuser de tricher.

    - La personne que nous cherchons se tient cette place, qui doit tre la place du lit. Par rapport la fentre, cela me parat assezvraisemblable.

    Avec prcaution, il promena son pendule dans son espace imaginaire. Ici, il remuait, ici il ne remuait plus. Entre le lieu o pouvaitse trouver le corps couch de Patrice et le mur, il dlimita un espace vide.

    - Y a-t-il un espace entre le lit et le mur- Non.- Donc, nous devons supposer que le jeune homme est couch sur un ct du lit. A ct de lui, son pendule ne remue plus. Qu'y a-t-il ct de lui ? Le vide ou... quelqu'un ?

    On ne rpondait pas. A force d'insistance, on finissait par voir, dans la chambre de Patrice, un jeune corps de vingt ans, tendudans la chaleur de la soire. A ct de lui, on imaginait vite un autre jeune corps, aisment reconnaissable, et sans le dire tous ceuxqui taient runis autour de cette table se sentaient mus. Par conomie, Mlle Agathe n'allumait cette heure de la journe qu'uneseule des lampes de la suspension. Elle clairait faiblement la barbiche de M. Pentecte, le pendule magique, le papier blanc, et sa lueur verdtre, il n'tait pas malais de reconstituer une fable, une lgende du premier tage. Mlle Gorgiase poussa un soupircar elle tait romanesque. Le pendule se mit osciller encore.

    - Attention.

    Il se livrait en effet d'tranges manoeuvres. Il ne tournait point, il ne se balanait pas rien plus de faon rgulire et sur une lignedroite. Mais il allait, dans le sens du lit, de la tte au pied, puis il s'arrtait, et il se balanait une fois, aussi rgulirement, de droite gauche. Ainsi formait-il une croix.

    - Je n'ai vu cela que rarement, murmurait M. Pentecte.

    Une dizaine de fois, le pendule dessina ainsi la croix dans l'espace.

    - Qu'est-ce que cela signifie ? osa finalement demander Mlle Agathe.

    M. Pentecte s'assit, reposa son fil sur la table, carta le papier blanc o il avait dessin peu peu l'image idale de la chambre dePatrice , abaissa ses lunettes sur ses yeux, et rpondit avec une trs petite voix :

    - Les auteurs discutent beaucoup sur ce point, mademoiselle. On appelle ce signe, parfois, la Croix du Sud. Pour les uns, ilsignifie... l'amour, et pour les autres, il signifie que la personne ou l'objet que l'on recherche n'est pas l... est absent...

    On aurait d rire, demander s'il y avait l une dfaite. Mais il ajouta avec un peu de prcipitation :

    - A votre place, j'irais tout de mme voir tout de suite dans la chambre.

    Patrice et Catherine taient bien tendus l'un ct de l'autre, vtus et immobiles. La porte n'tait pas ferme. Mlle Agathe et M.Snque entrrent dans la chambre en s'excusant haute voix. Les jeunes gens ne bougrent pas. On s'approcha, et l'on vit qu'ilstaient vanouis.

    Il fut trs difficile, lorsqu'on les eut rveills, de savoir ce qui s'tait pass. A la fin de la journe, Catherine avait suivi Patricedans sa chambre, et ils s'taient tendus l'un ct de l'autre. Ils ne s'taient point touchs. Mais longuement ils taient rests ainsi,immobiles, tremblant un peu, sans mme approcher leur main l'un de l'autre. Leurs yeux taient ferms. Elle ne savait rien du

    trouble qui l'avait envahie et qui la possdait, se tenir ainsi tout prs de ce garon qui ne voulait d'elle rien autre que sa prsence.Il ne savait mme pas ce qu'il pouvait en attendre, et il luttait de toutes ses forces contre le dsir de s'approcher d'elle, de sentir sachaleur, ft-ce travers ses vtements, d'apaiser et de fondre sa propre fivre. Il serait vain de croire qu'il ne pensait point davantage, mais il ne voulait pas cder. Dans l'approche de deux corps vtus, il y a quelque chose de magique et d'insparable des

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    premiers moments de l'amour : la rsistance, la tentation, la honte, le regret, l'espoir se mlent dans cette treinte factice etprovisoire, o les obstacles lgers symbolisent tant de barrires plus irrductibles. Et comme elle tait pure, elle ne devina pointquand il bougea un peu, et se dtendit, qu'il avait atteint au plus fort de son dsir, qu'il l'avait prise en songe, et qu'il s'apaisait. Au-dessus d'eux-mmes tournoyaient, en un nuage leurs tentations, et ils fermaient les yeux, et ils taient rouges. Et si tendus taient-ils pour s'approcher sans se toucher, pour se fondre sans s'atteindre, plus spars par ce peu d'air entre eux que par l'pe de puretde la lgende que soudain, au mme instant, quelque chose se rompit en eux-mmes, et que, comme l'avait devin le vieux fou, ilsne furent plus prsents.

    Patrice devait souvent songer que, vct-il cent ans, et et-il plus d'aventures que l'homme aux mille et trois, jamais il n'atteindraitplus compltement la ralisation du rve masculin qu'en ces minutes d'anantissement total, cette possession dans la puret.

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    II - LETTRES

    Pauline, je verrai quun autre vous possde

    CORNEILLE,Polyeucte (acte II, scne I)

    I

    Patrice Catherine

    Florence, le 3 novembre 1927.

    Mon coeur, voici ma premire lettre italienne. Vous voulez bien que je vous appelle mon cur ? On s'appelait ainsi dans dessicles qui me plaisent et on s'appelait mme ainsi dans les romans d'avant-guerre. Quelle situation plus digne d'un roman d'avant-guerre que la mienne ? Me voici Florence, comme un personnage de M. Bourget, et prcepteur dans une famille, comme unpersonnage d'Octave Feuillet, cette fois. Il me reste sduire la matresse de maison, pouser sa fille, semer l'anarchie parmiles domestiques, me rvolter lors d'une visite bien-pensante, accumuler sur ma table de travail les ouvrages pais dessociologues et des chambardeurs politiques. Hlas ! mon coeur, je n'ai aucune vocation pour ce genre de passe-temps, et M. GuidoCajuolo n'a plus de femme, puisqu'il est veuf, et il n'a pas de fille. Il a seulement deux gamins de douze et treize ans, qui portent

    un petit bonnet de police comme j'en portais un moi-mme autrefois (c'tait pendant la guerre), et chemise noire comme monsieurleur pre. Je leur apprends le franais, mon cur ; ils le parlent d'ailleurs aussi bien que moi, si ce n'est mieux, et aussi l'histoire ettoutes sortes de choses.

    Je n'aurais jamais souponn qu'aux temps o nous vivions, cela pouvait servir quelque chose d'tre rput hostile (est-cetellement vrai, mon Dieu ?) au gouvernement de notre pays. Je vous ai manque Paris, la semaine dernire, et tout s'est fait sivite que je n'ai pu vous raconter les raisons de mon dpart. Vous ne m'avez vu qu'en glorieux uniforme, et bien peu : sept, huitfois, au cours de cette anne mortelle, et je sais si peu ce que vous tes, ce que vous faites. Mais vous m'avez fait jurer, voillongtemps dj, de ne jamais parler srieusement, et de me contenter de rire quand je vous crivais.

    A peine libr, je suis all la Sorbonne, voir ce vnrable barbu, un peu franc-maon, un peu fripouillard, que connat mononcle. Pourquoi aprs tout ne me trouverait-il pas une situation ? J'en doutais fort, je vous l'avoue : j'ai bien des camarades quipassent l't, parfois l'anne Genve. M. Briand aura au moins servi cela : il suffit, je crois bien, de le demander, pour trehberg, nourri, pay, au bord du lac, condition qu'on ait quelque vague titre d'Universit. On trouvera cela comique, plus tard.Mais il faut aussi annoncer discrtement qu'on ne veut point de mal la Socit des Nations et au rgime. Je ne sais pourquoi ; jen'ai pas cette rputation. Je dis : je ne sais pourquoi car mes convictions ne sont pas si bien assises. Le barbu s'est frott la barbe,m'a considr avec l'tonnement que peut avoir un ethnologue devant un objet rituel non class, et m'a soudain demand :

    - Savez-vous l'italien ?

    J'ai hsit une seconde ; j'aurais bien jur savoir l'italien, le chinois, et mme les mathmatiques, qui me sont encore plustrangres, Mais je suis honnte, je lui ai dit non.

    - Peu importe, aprs tout, a-t-il dit aprs rflexion, puisqu'il s'agit d'enseigner le franais.

    Je tremblais d'moi. Il m'a dclar alors, en termes discrets, qu'on venait tout justement de le charger de trouver un jeuneprcepteur franais pour une famille de Florence. J'ai trs bien compris qu'on avait sollicit de ne point recevoir d'ennemi dclardu rgime italien. Mon brave homme n'a gure qu'une clientle de socialistes, comme lui, de futurs chefs de cabinet dans unministre du Cartel. Il croyait se souvenir que je n'tais point dans ses ides : je le lui assurai, avec toute la fermet et toute ladlicatesse dont je suis capable, mon cher coeur. Nous changemes des propos nbuleux et nuancs sur la difficult qu'il y a juger des gouvernements humains ; il me laissa entendre qu'il tait tolrant ; je lui donnai croire que l'enthousiasme de lajeunesse ne me permettait pas encore d'accder sa hauteur de vues il fut satisfait, et ne comprit point que j'avais vu son pige ilcrut tenir son ractionnaire patent, logea dans un coin de sa mmoire que je ne pourrais jamais lui servir rien en France, mais ilme promit aussitt un bel avenir toscan. Seulement, il fallait partir tout de suite. Tout de suite, ou il ne rpondait de rien, ou onenverrait en Italie un sicaire de Moscou, un juif, un socialiste, un normalien, un neveu de Paul-Boncour. J'ai fait ma valise, et jesuis parti, sans vous revoir, mon coeur.

    Me voici pour une anne dans cette ville que j'aime depuis toujours, avant de la connatre, et que je ne vous dcrirai pas. Il faut

    pourtant que vous sachiez que ma chambre donne sur l'Arno, ce qui n'est pas considr comme une faveur, car on craint ici l'eau etla fivre. Mais je vois le Ponte-Vecchio charg de ses basses maisons d'orfvres, je vois aussi la tour du Palais Vieux, et le Dme.C'est novembre, et il fait un temps doux et fin comme certains jours de printemps. Hier, j'ai pass l'aprs midi San Miniato, dansle petit cimetire d'o l'on domine la ville. Il y avait un peu de brume, mais elle surgissait si merveilleusement, dans sa grisaille,

  • 8/8/2019 Robert Brasillach - Les Sept couleurs

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    dans sa lumire ! Je ne vous parlerai pas des peintres, ni des muses, parce que vous m'accuseriez de vous copier un catalogue. Jevous dirai seulement ce que j'ai vu ici de plus beau : d'abord les personnages aux joues rebondies, aux cheveux blonds et enrouls,aux vtements de broderies, qui, dans un paysage plein d'animaux, d'arbres, de roches et de clochers, accompagnent les RoisMages dans les fresques que Benozzo Gozzoli a peintes pour le palais Riccardi ; et aussi les images de San Marco, si violentes, sihardiment chappes au monde, que Fra Angelico a dessines avec du bleu et de l'or.

    Voil, mon cur : ici, je serai un garon sage, qui l'on a donn bien