Roberge, J., Sénéchal, Y. (2005) « À propos de Morale et sociologie de Patrick Pharo »

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    Jonathan Roberge et Yan SnchalSociologie et socits, vol. 37, n 1, 2005, p. 261-266.

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    propos de Morale et sociologiede Patrick Pharo : dbat avec lauteur / Concerning

    Morality and Sociology by Patrick Pharo. : Debate with the Author

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    propos de Morale et sociologiede Patrick PharoDbat avec lauteur

    jonathan roberge yan snchalDpartement de sociologie cole pratique des hautes tudesUniversit de Montral Ve Section Sciences religieusesC. P. 6128, Succursale Centre-ville 45-47, rue des colesMontral (Qubec), Canada H3C 3J7 75005 Paris, FranceCourriel : [email protected] Courriel : [email protected]

    i la morale trs prsente ds les dbuts de la sociologie a peu peu t dlais-se par la suite, elle na cependant jamais cess de questionner le statut et les prsup-

    poss de la discipline. Cest peut-tre ce qui explique le renouveau actuel dune certainesociologie de la morale ou de lthique, si ce nest plus gnralement lmergence de nou-veaux problmes sociaux, politiques et philosophiques partir de la Seconde Guerre mon-diale les nouvelles possibilits biogntiques notamment. Avec son plus rcent livre

    intitulMorale et sociologie. Le sens et les valeurs entre nature et culture1, Patrick Pharosinscrit dans ce mouvement de recrudescence en proposant rien de moins quune redfi-nition de la raison pratique : comment passe-t-on de la rgle abstraite laction plus con-crte ? Comment, autrement dit, passe-t-on de prceptes gnraux leur application danstel ou tel cas particulier ? Ce qui, pour Pharo, doit dterminer le contenu de la morale et sacomprhension relve dabord et avant tout de considrations logiques et smantiques.Cette mthode et ce quelle implique sont ainsi ce qui constituent le cur du prsent dbatauquel a accept de participer lauteur.

    1. Patrick Pharo,Morale et sociologie. Le sens et les valeurs entre nature et culture, Paris, Gallimard, Coll.Folio essais, 2004, 417 pages.

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    Le problme initial du livre concerne lopacit du sens et des valeurs, non pas quilssoient sans fondements, mais parce quil est problmatique de les infrer et, a fortiori, deles objectiver. Quest-ce donc quun fait moral alors quil ne peut tre rductible auxchoix individuels et pas davantage une quelconque entit simposant de lextrieur?Cest ds lors la sociologie qui trouve sa dfinition mme dans les rponses quelle apporteau comment et au pourquoi de ce fait moral (que lauteur amalgame avec lthique). Pharoconsidre dans les chapitres 2, 3 et 4 les traditions importantes que sont les thories socio-culturelles, actionnistes et naturalistes. La premire allant de Durkheim Bourdieu en pas-sant par Garfinkel incite penser un rapport troit entre la contrainte sociale et ladhsiondes sujets et ce, au dtriment toutefois de leurs capacits rflexives. Les approches action-nistes qui, elles, sont surtout dans le sillage de Weber pensent que le sens et les valeursmergent dans la pratique, cest--dire dans linteraction, le dialogue et les contraintes de

    la rationalit. Le naturalisme, enfin et quant lui, insiste sur les mcanismes biologiqueset neurologiques pour expliquer lthologie morale ; ce qui semble lauteur difficile sanstre impossible. Progression par paliers donc, cest surtout de retenir certaines grandespostures mthodologiques qui intresse Pharo alors quil entreprend llaboration duneautre sociologie morale.

    Cest plus particulirement dans les chapitres 5 et 6 que Pharo livre sa mthode sman-tique dinterprtation, quil applique la culture et laction. Ce sont les ordres logiquesdobjectivit qui ne cessent dimporter : Toutes les questions que lon peut se poser propos dune sociologie morale [] dpendent donc dune clarification des contenus

    conceptuels et normatifs inhrents aux faits sociaux. (p.246

    ) Par des tests de correspon-dances et de cohrences normatives par exemple, il doit sagir de dcouvrir la moralitdune action travers ses donnes sensibles, la logique des termes descriptifs et surtoutladquation de ceux-ci avec celles-l. Ces outils conceptuels et smantiques auxquelssajoute de facto le principe de non-contradiction reprsentent ainsi ce qui doit permettrede comprendre les conditions de traductibilit interculturelle. Cest galement ce qui doitrendre compte, selon Pharo, des conditions dentente lintrieur dun mme espacesocial. Il y a bel et bien une smantique des actes civils ; entre autres, par lvitement de lasouffrance indue et par la manire dont celle-ci contribue llaboration dune morale au

    moins minimale. Aussi, est-ce le cadre logique de cette petite morale qui permet unepure des distorsions du jugement pratique et qui, de la sorte, se pose en tant que condi-tion de possibilit pour que les individus puissent devenir raisonnables. Et cest ainsi quele sociologue de la morale cherche amender sa propre normativit en mettant toujoursde lavant les capacits rflexives des individus.

    Jonathan Roberge/Yan Snchal :

    Il faut dire demble tout le bien que lon peut penser dun travail sociologique qui osedialoguer avec la philosophie. Cette dmarche est dautant plus imprative chez Patrick

    Pharo quil assoit sa mthode dune sociologie morale sur le travail des concepts. Se donneainsi voir une smantique interprtative se proposant dobjectiver ce quil y a de moraldans les faits sociaux par lentremise des rigueurs du langage. Mais la question que lonpeut se poser est de savoir si cette logique des noncs est une dimension suffisante pour

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    en arriver une sociologie consquente du fait moral. En dautres termes, est-ce qu tropinsister sur les possibilits de la logique, on nest pas en train de sous-estimer tout qui-voque, toute possibilit de mcomprhension et dincomprhension relles ? Est-ce quenfin de compte, et pour le dire encore autrement, les individus peuvent sentendre ou par-tager des contenus de significations au-del de leurs formes objectives ?

    Patrick Pharo :

    Initialement, jai envisag le recours la logique comme un moyen de traiter les incerti-tudes de linterprtation sociologique, telles quelles dcoulent du modle wbrien de lasociologie comprhensive. Le but ntait pas de faire disparatre les quivoques, mais plu-tt de les clarifier en prenant appui sur les significations de termes dactes, sentiments, rela-tions, qualits mieux dfinis. Dune certaine faon, Weber avait montr la direction en

    indiquant que lorsque nous comprenons une opration arithmtique, par exemple 1 + 1 = 2,notre comprhension nest pas dordre psychologique, mais logique, car le sens de lop-ration arithmtique est en principe le mme pour tout le monde. Jai fait une hypothsedu mme ordre sur le rle des significations du langage ordinaire, en minspirant notam-ment de certains travaux issus de la philosophie analytique de laction et des sentimentsmoraux (Anscombe ou Davidson). Daprs moi, nous savons quun sujet promet, injurie,compatit, respecte, trompe, abandonne, ressent de la gratitude, de la tristesse, etc., par sesmanifestations extrieures et par les signes quil utilise, mais aussi et mme surtout parceque nous avons tous un sens commun et rflexif du langage qui sert de base notre com-

    prhension courante. videmment, les termes de chaque mot dun langage nont pasexactement le mme sens que leurs quivalents dans un autre langage ; et mme pour lesusagers dune mme langue, il y a des diffrences individuelles sensibles dans la compr-hension de chaque terme. Mais les diffrences sont moins importantes, mon avis, que lacommunaut conceptuelle que nous tirons des informations dun monde naturel et socialqui, dans ses structures fondamentales, est le mme pour tout le monde. Et, si nous yrflchissons, nous parvenons toujours rapprocher les diffrents sens conus et expri-ms par des sujets diffrents, y compris lorsquils sont issus de cultures diffrentes. Jai faitbeaucoup defforts thoriques pour essayer de rendre crdible mon hypothse, mais il me

    semble quil en existe dj, par le fait, une sorte de dmonstration clatante donne par lecaractre universel de lart cinmatographique, qui offre chacun de nous un accs imm-diat la vie la plus singulire de nimporte quel sujet humain vivant dans nimporte quelleculture et montr par un cinaste de nimporte quelle nationalit. Lexemple me sembleintressant, en particulier parce quon peut se battre sur des interprtations et des valua-tions, mme et surtout propos dun film ce qui est le grand plaisir des critiques savantsou vulgaires. Mais ces batailles ne concernent jamais quun seul et mme film que tout lemonde a vu et largement compris lidentique quant la narration, aux vnementsmajeurs, au rle des personnages Et si on compare les points qui font problme ceux

    qui simposent la comprhension commune, on saperoit que ces derniers sont infini-ment plus nombreux. Le logicien W. Quine, dont je ne partage pas toutes les conceptionspistmologiques, avait cependant un mot particulirement appropri pour dsigner cette

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    communaut du sens commun: lobvie, ce que tout le monde sait dj par vidence. Cest cela que je pense quand je propose une dmarche smantique pour la sociologie.

    Cette logique des noncs est-elle une dimension suffisante pour en arriver unesociologie consquente du fait moral? Ma rponse est que cette dimension est certaine-ment ncessaire, pour les tres rflexifs que nous sommes, mais pas suffisante. Les termesdu langage ordinaire ont, pour une grande part, un sens moral, et si lon admet une com-munaut de sens des termes daction, de sentiment, de qualit, on doit admettre aussiune communaut de leur sens moral. Et de fait, nous savons distinguer les sentimentsmoraux entre eux : piti, respect, admiration, humilit, nous savons distinguer les ver-tus entre elles : courage, temprance, gnrosit ou par rapport aux vices ; et nous fai-sons la diffrence entre les justifications et les excuses, les compliments et les reproches,les vengeances et les punitions, etc. Il me semble dailleurs que, lorsquon sy intresse dun

    point de vue moral, la smantique des termes sociaux sapparente en grande partie cequon appelle lthique des vertus qui, dune certaine faon, se fonde aussi sur le type dedescription quon peut donner des postures pratiques. Nanmoins, je pense que la sman-tique nest quune partie, la plus formelle, de ce que nous avons en tte lorsque nous pen-sons la morale. cela sajoute une dimension substantielle, qui tient au sens que nousavons du plaisir et de la souffrance, et une dimension procdurale, qui tient au sens quenous avons de la justice. Il y a videmment des liens entre la smantique morale et cesdeux autres dimensions, puisque le langage peut, par dfinition, se rapporter tout. Maisce nest pas seulement par la logique que nous pouvons rendre compte par exemple de notre

    rejet de la souffrance indue et de lhumiliation. Nous avons besoin ici dautres notions,comme celle dune commune humanit vivante et souffrante, laquelle tout sujet moralappartient.

    Jonathan Roberge/Yan Snchal :

    Vous analysez la situation des socits contemporaines comme tendant vers une sculari-sation de la morale. Tout se passe, dune part, comme si vous aviez pris acte des courantssociologiques et philosophiques des annes 1960 et 1970 ayant annonc la fin des religions.Et, dautre part, il semble bien la lecture de votre ouvrage que vous pensez possible de

    faire reposer le lien civil, et donc en quelque sorte les rapports politiques, sur la base de cequi est ou pourrait tre une certaine morale commune. Notre interrogation se situe trsprcisment au point de jonction de la morale, de la religion et du politique. Nous vou-drions savoir sil nest pas trop difficile de rflchir les rapports de la morale et de la reli-gion en les sparant dune grande distance conceptuelle et de rflchir les liens entre lamorale et le politique en assimilant le second la premire. Est-ce donc que les trois con-cepts soient gale distance les uns des autres ou si plutt la religion et le politique dpendenten fin de compte de la morale ?

    Patrick Pharo :

    Je nassimile pas le politique la morale. Je pense au contraire quil y a des justificationsqui sont bonnes pour le politique, mais qui ne rsistent pas une critique morale. Parexemple, il me semble quil y a des cas o le politique doit recourir la guerre, et il y a de

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    bonnes raisons pour cela. Mais jai le plus grand mal juger moraux des actes qui reposentsur la tromperie ou la force brute et qui portent atteinte des innocents, ce qui est le casde toutes les guerres, mme si les actes guerriers peuvent avoir dautre part des cons-quences favorables pour le plus grand nombre. Selon moi, un acte quon peut justifierpolitiquement nest pas forcment un acte dont tous les aspects sont moralement justi-fiables. Mais cela ne veut pas dire que le politique devrait se faire sans morale. La moraleest un lment du choix pour lequel il faut militer, mais malheureusement il y en adautres. Je crois quon pourrait dire des choses analogues sur lconomie ou la gestionpublique de la criminalit qui, lune et lautre, sont immorales plus dun titre, mais dontles dcisions peuvent tre justifiables, dans leurs propres sphres.

    Quant au mouvement de scularisation thique de la religion, qui me semble tre unfait incontestable, il soulve plusieurs problmes. En premier lieu, je ne me prononce pas

    sur la fin des religions . Aujourdhui, cest manifestement faux, demain je nen saisrien. Je crois quil faudrait surtout comprendre ce quest la religion. Si on la voit commeune expression du mouvement de rationalisation de la socit et des images du monde, cequi tait la thse de Weber, elle nest sans doute pas prs de steindre, mme si on peut esp-rer que ses formes non rationnelles (les dogmes, la magie, les rituels et les interdits vains,injustes ou cruels) pourraient elles-mmes dcliner. Ce qui sest pass dans les tempsmodernes, cest lmergence dune thique sculire qui sest spare des religions, sanspour autant que ces dernires renoncent leurs prtentions thiques, ce qui suscite aujour-dhui pas mal de conflits. Dun autre ct, la morale dmocratique moderne les liberts de

    base, lgale dignit des personnes, la responsabilit collective pour le sort des plus faibles a eu tendance, non sans raison, sacraliser certains de ses principes lgalit des sexes oule rejet de lesclavage, par exemple. Le caractre nouveau de cette morale sculire tientcependant au fait quelle accepte en principe de se soumettre des tests et des principes derationalit, et en particulier un principe de rfutabilit, un principe de communicabilit,un principe dinformation objective. Dans le prolongement de ce mouvement, lidal seraitpeut-tre que les religions soient scularises au point de devenir de simples expressionsou particularismes dune mme morale dmocratique et humanitaire. Mais on en estloin, et il y a peut-tre des lments dispositionnels de lesprit et du comportement humains

    qui rendent la chose assez peu probable, comme par exemple la vulnrabilit aux biaiscognitifs ou la captivit de la volont par la perception et les objets dsirables.

    Jonathan Roberge/Yan Snchal :

    Votre livre a indniablement lambition de redonner sa place la philosophie et lthiquedans la thorie sociologie (p. 353) en vue de thmatiser une nouvelle orientation derecherche. Si le projet est vaste, cest aussi parce quil est en quelque sorte conscient quila lhorizon de lui-mme des projets et des orientations autres au rang desquels vient lamtaphysique. Ce qui nous intresse ce propos serait de vous voir prciser dans quelle

    mesure une telle interrogation mtaphysique est ncessaire ou sil est possible den fairelconomie en disant quelle nest pas du ressort direct de la sociologie. En dehors dunevritable interrogation mtaphysique, est-il imaginable selon vous que lon puisse en arri-

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    ver comprendre les incertitudes dernires de la condition humaine, den arriver pou-voir choisir dans laction et faire face la guerre des dieux ?

    Patrick Pharo :

    On sait que la logique, et en particulier la logique moderne, a un lien troit avec la mta-physique prise au sens ancien des premiers principes , puisquelle traite de ce quonpeut dire de ce qui est. Si la sociologie comprhensive doit sinspirer de la logique, elledevra donc sintresser aussi la mtaphysique et en particulier lontologie, ce que jaidailleurs beaucoup fait moi-mme, de faon un peu dconcertante pour mes collguessociologues. On pourrait ajouter que la sociologie morale, dans la mesure o elle porte surle sens de laction et de la vie, est ipso facto une sociologie de la mtaphysique ; et enfin quele thme de lobjectivit du sens et des valeurs, dont le statut ne peut pas tre purement

    observationnel, pose indiscutablement une question de type mtaphysique. La prise encharge mthodique de ces problmes mtaphysiques de sens et dobjectivit apparatdonc bien en effet comme lalternative srieuse au thme de la guerre des dieux.

    Ceci dit, la mtaphysique a aujourdhui mauvaise presse du fait de ses anciens rapportslouches avec la thologie et les arrire-mondes inaccessibles la dmonstration scientifi-que. Et, autant que je sache, les recherches mtaphysiques contemporaines nchappent ce soupon que parce quelles sont troitement associes aux mathmatiques et la phi-losophie de la logique, ce qui leur confre un caractre hautement technique et spcialis.En fait, toutes les vritables disciplines de recherche sinscrivent aujourdhui dans un ge

    de la science qui pose chacune delles des contraintes trs fortes de rfutabilit et decohrence, y compris bien sr celles qui, comme les mathmatiques et la mtaphysique,ne sont pas observationnelles, ou qui, comme la sociologie et les autres sciences humaines,ne le sont quen partie. La sociologie, quant elle, ne me parat pas spcialement quipepour avoir un apport majeur dans le domaine de la mtaphysique, alors que son apporten philosophie morale a toujours t important, compte tenu de ses propres objets. On peutnanmoins conseiller aux sociologues de suivre plus attentivement lvolution des recher-ches dans le domaine de la mtaphysique et de la philosophie de lesprit et de sen inspirer,le cas chant, sils veulent chapper lempirisme naf ou linsignifiance. Une question

    essentielle ici me semble tre celle du statut de la raison et des concepts, dont certains tra-vaux mtaphysiques cherchent aujourdhui prciser les conditions logiques a priori deformulation (les clauses dites mtasmantiques), tandis qu linverse un large groupe detravaux issus des sciences cognitives sefforce den montrer le caractre fonctionnel etmodulaire faonn au cours de lvolution naturelle. Les rationalistes, mme sils sont assezmodrs, auront tendance comme moi sympathiser avec la premire tendance. Mais ilne peut pas y avoir de dogme sur ce point, pas plus que sur dautres; et si le rationalistedoit faire autant defforts pour dmontrer lautonomie de lordre de la raison par rapportaux simples donnes sensibles, cest parce quil nest pas du tout sr davoir raison contre

    le naturaliste extrme. Et il doit au moins concder celui-ci que lordre de la raison, de lalogique ou des entits abstraites doit lui-mme avoir une place dans la nature. Laquelle?Jespre quon en saura plus sur ce point lavenir. Et cela, comme les tudes naturalistes,sera certainement trs utile lapprofondissement de la thorie sociologique.