RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie

14
Communication et langages Graphique et philosophie Pierre Riffard Résumé Comment libérer la pensée philosophique des carcans de la linéarité du discours (qui ignore notre pensée  multidimensionnel le), de la polysémi e des mots (qui brouille leur précision), de la barrière des langues (qui bloque la communication).. . par un emploi judicieux de la graphique, prétend Pierre Riffard. Une théorie à faire entendre à la plupart des philosophes... et pour le plus grand bien de leurs lecteurs. Citer ce document Cite this document : Riffard Pierre. Graphique et philosophie. In: Communication et langages, n°88, 2ème trimestre 1991. pp. 61-73. doi : 10.3406/colan.1991.2298 http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1991_num_88_1_2298 Document généré le 15/10/2015

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Communication et langages

Graphique et philosophiePierre Riffard

Résumé

Comment libérer la pensée philosophique des carcans de la linéarité du discours (qui ignore notre pensée 

multidimensionnelle), de la polysémie des mots (qui brouille leur précision), de la barrière des langues (qui bloque la communication)... par un emploi judicieux de la graphique, prétend Pierre Riffard.

Une théorie à faire entendre à la plupart des philosophes... et pour le plus grand bien de leurs lecteurs.

Citer ce document Cite this document :

Riffard Pierre. Graphique et philosophie. In: Communication et langages, n°88, 2ème trimestre 1991. pp. 61-73.

doi : 10.3406/colan.1991.2298

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GRAPHIQUE

ET PHILOSOPHIE

par Pierre Riffard

Comment

libérer la pensée philosophique

des

carcans

de

la linéarité

du

discours (qui

Ignore

notre pensée

multidimensionnelle), de

la polysémie

des mots (qui

brouille

leur

précision), de la

barrière

des langues

(qui

bloque la

communication)... par un

emploi

judicieux

de la graphique,

prétend Pierre Riffard.

Une théorie à faire entendre à la plupart

des

philosophes...

et

pour le plus

grand bien de leurs lecteurs.

Les

philosophes

ignorent majoritairement la graphique. On ne voit

pas

un seul graphique dans la quasi-totalité

des

œuvres complètes

des

grands philosophes.

Le

canonique

Vocabulaire

technique

et

critique de la

philosophie comporte une entrée « graphique (méthode

ou

représentation)

»,

mais de

graphique point,

sinon

l arbre

de

Porphyre (voir p.

66).

La philosophie ignore la graphique, moins en ce

qu'elle ne la connaît pas, qu'en ce qu'elle ne la reconnaît

pas. Elle

ne

lui accorde en

général qu'un

rôle accessoire,

celui

d'exposition

pédagogique,

ou

qu'un

rôle limité, celui du symbolisme logico-mathémati-

que.

La

philosophie

se

veut

pensée

et soupçonne

la graphique

de

visualiser,

donc

de retomber dans le

domaine

de la perception,

lieu

par

excellence de

l illusion

; elle

lui reproche

aussi de

simplifier

;

elle

tient

la graphique

pour une technique,

pas

pour une méthode, or une

technique ne cherche

que

l efficacité, tandis que la méthode

vise

la

vérité.

Platon

s'en

prend

vigoureusement

à

tous ceux

qui usent

d'images, de

simulacres,

au

lieu

de contempler les originaux, les Idées (La

République,

VI,

510). Heidegger

se

gausse des

« vastes tableaux,

bien compartimentés,

dans lesquels

le monde entier se trouve

empaqueté,

autant

que faire

se

peut, de force, avec

figures

et flèches

»

(Schelling, Gallimard,

1977, p.

55). La philosophie analytique,

de

son

côté,

se prononce pour la langue naturelle, quotidienne (La philosophie

analytique,

Cahiers

de

Royaumont,

éd.

de

Minuit,

p.

104

sq.,

248

sq.).

Cette attitude

de

défiance envers

la

graphique étonne

pour

trois

raisons au moins. Premièrement,

les

philosophes,

souvent formés

aux

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Graphisme

000

.1

8

§

I

3

mathématiques

ou

à

la

sociologie

dite

scientifique, pratiquent

les

diagrammes cartésiens

et

sagittaux,

les courbes

: pourquoi ne

songent-ils

pas

à des graphiques

qualitatifs

pour représenter des

concepts,

des

problèmes,

des

raisonnements ? Deuxièmement,

les

philosophies orientales présentent parfois directement leur conception du

monde sous

forme

graphique :

qu'on

songe aux hexagrammes chinois

du Yi

king,

aux mandata indiens, aux cosmogrammes des penseurs

arabes.

Troisièmement, comment

expliquer

que les

philosophes,

qui

protestent

constamment de leur souci du concret, de

leur

préoccupation

d'être compris,

se limitent,

comme langage,

au seul

discours,

oral

ou

écrit ?

Les

principes de la graphique

À

partir des

travaux

de J.

Bertin,

qui

en

a

fait une

théorie

organisée

(Sémiologie

graphique, 1967),

LE

graphique est

une

représentation,

dans un

plan,

de relations

(ressemblance,

ordre

ou proportion), entre éléments ou

ensembles, au moyen de

tracés. LA

graphique

se

définît donc comme une

technique

qui, par des lignes menées

sur

la

surface

du

papier,

souvent

des

figures

géométriques,

rend

visïbîes

des

rapports

abstraits,

tels

que l inclusion, fa correspondance,

la

succession. Le

miracle de la

graphique est

là ; montrer

concrètement

une

relation

abstraite.

D'un côté l information, de l autre les

moyens.

L information conv

prend

un invariant et des

composantes ; par exemple,

pour le

cours des

actions

en bourse, l invariant, c'est les

actions,

les

composantes ce sont

le

nombre de francs et la

date*

Les

variables

du système

graphique sont

:

les

deux dimensions du

plan, les six aspects

de la

tache, l'élévation.

a)

Les

deux

dimensions du plan

sont

la hauteur

et

la

largeur

:

en

x,

en abscisse, par colonnes donc, on dispose tes objets (A,B..,), et

en y, en

ordonnée, par

lignes

donc,

on dispose les caractères

(1,2...). Voilà le

schéma de

base.

b)

Les six

variables

de la tache

s'ajoutent

: taille

(hauteur,

surface,

nombre de

signes), valeur

(blanc, gris, noir),

grain

(pointillés, stries,

damiers...), couleurs,

orientation, forme enfin (triangle,

« patate ».,.),

c)

La

variable

élévation,

profondeur,

z,

peut

être

donnée

par

la

taille, la valeur,

le

grain.

D'une

part,

il

y

a

trois

types

d implantation. Autrement

dit,

on

utilise

sur

le plan, pour transcrire les données, soit le point,

soit la ligne, soit la

zone : sur une carte, par exemple, on

marquera

la ville par un point, le

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Graphique

et philosophie 63

fleuve

par une

îîgnef

le département

par

une

zone.

D'autre

part,

il

y

a

cinq

types

d imposition, c'est-à-dire façons de disposer les données :

îa

droite, le

cercle,

le semis

(ou nuage), le

semis ordonné,

le

stéréo-

gramme (lequel

donne

une impression de profondeur). On

représentera une inclusion par

deux cercles

concentriques, un planning par une

droite, la

hiérarchie

d'une entreprise par

un

semis

ordonné.

On obtient, en combinant

ces règles,

divers

schémas graphiques

:

colonnes, barres, secteurs, alignements,

courbes, échelles,

cubes,

demi-cercles...

colonne courbe cube secteur

Mais

on

peut classer

ces schémas en

trois

groupes d'imposition»

1)

Premier groupe

de

représentations graphiques :

les

diagrammes.

Le diagramme

établit

des relations entre ensembles

;

il donne les

constructions graphiques

suivantes

: matrices à

l'image

des mots

croisés), alignements parallèles, histogrammes (série

de

rectangles),

«

camemberts

»

(diagrammes

à

secteurs),

chroniques

(barres

hérissées de

points correspondant à

des dates).

,. .

2) Deuxième groupe :

les

réseaux. Le réseau,

lui,

établit

des

relations entre

éléments

d'un

même ensemble ;

les

différentes

constructions

de

réseaux

sont la

matrice

de

type

A.B

/ A.B

(et

non plus

A,B/1,2, l'alignement

rectilîgne, l'organigramme, l arbre, l'inclusion,

te flux (qui visualise

un

processus avec début et fin).

3) Troisième groupe enfin :

les

topographies.

Une

topographie

doit

respecter

les

composantes

spatiales,

car elle calque

l'objet

matériel

;

c'est

donc

un

réseau

ordonné

qui

a

pour

construction

la

carte,

fe plan,

la

coupe, l'élévation; le schéma, l'épure... Soit le

cas

de

l'arbre généalogique:

il

prend

la

ligne

comme implantation, le

semis ordonné

comme imposition, le

réseau

comme

construction,

l'arbre

plus

précisément

comme

représentation.

Il ne faut

pas

oublier l identification externe

:

titre,

légende

(liste des

signes conventionnels),

échelle,

source.

diagramme à secteurs réseau en

arbre

topographie en coupe

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Graphisme

§8

I2

La

philosophie

prend

comme

forme

idéale

le

système,

or

la

graphique constitue

un système,

et

un

système de. représentation.

Comme tout

système L

von

Bertalanffy,

Théorie. générale

des

systèmes,

1968), la graphique

présente des éléments en

interaction.

On

retrouve icî

les grands

concepts

de la systémique

ou

étude

des

systèmes ;

-

complexité : il y a

pluralité

et

diversité des éléments (dimensions

du

plan,

figures

géométriques, etc.) ;

-

totalité

: un graphique forme

un tout

structuré où

l'ensemble est

émergent par rapport aux

parties, subordonnées

aux

lois de

composition

;

- relations :

les

étéments entrent

îes

uns avec

les

autres

en

rapport

(d'opposition» gradation, succession, appartenance,

correspondance»

intersection,

subordination.;.) ;

- autoréglage : les relations forment

un

ensemble dynamique où

les

éléments sont

en

interaction :

les relations

ont des

effets de

*

retour

;

- finalité

: il

y

a

totalité

parce

que

l'ensemble

vise

un

but

(l'information

en

général

et

-

selon le cas - la comparaison, la

division,

révolution

ou

autre),

La graphique s'impose

comme règle de

ré-écriture.

On

obtient

de

fa sorte une

philosophie

explicite, qui

se trouve

acculée au

fameux

critère

d intelligibilité

: peut-on le dire autrement ?

Ou

plutôt : peut-

on

l exprimer autrement ? Car

il

s'agira

d'énoncer une pensée

non

pas simplement avec

des

mots (ou un

ordre) différents

mais dans

un

langage différent, visuel, spatial,

monosémique, géométrique.

On dispose

ici

de

tous

les constituants qui

permettent

une

philosophie moins bavarde et

plus

fogique, logiciste

môme.

C'est bien

ainsi que

la linguistique a

pris un

nouvel

essor : en présentant, en

grammaire

generative (Chomski),

la

phrase

sous

forme

d'un

arbre,

en

offrant

en

analyse componentielle

(Nida)

un tableau

de

présence,

etc.

phrase

syntagmjlnominal

déterminant

i I

e chien

voit

4 le chat

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Graphique et philosophie

65

DE

THALES

DE

MILET

A

LEVI-STRAUSS

Les

historiens

de

la philosophie

s'accordent

à considérer

Thaïes de

Milet (585 av. J.-C.) comme le premier

philosophe

occidental.

Or

il fut

aussi

« le

premier

(...) à avoir inscrit

dans un

cercle

le

triangle

rectangle » (Diogène Laôrce, I, 24). Cela suppose,

non

une

construction

graphique,

mais

déjà

une figure géométrique, donc un tracé

visible

pour

représenter

un espace

abstrait.

Anaximandre

(vers 547

av. J.-C.) est

un

novateur en bien

des

points.

En

philosophie, en particulier, il fut « le premier à user du

terme

de

principe » (A9). Il est aussi le père de la graphique. « Anaximandre,

de

Milet,

élève de

Thaïes,

eut

le

premier

l'audace

de

dessiner

sur

une

planche

la partie habitée

de la

terre »

(Agathémère, Géographie, I, I)

(A6).

Avec Pythagore (vers 532

av.

J.-C), la

graphique

fait partie

intégrante

de la

philosophie.

La

représentation graphique

n'est pas une

illustration

mais une

démonstration.

Elle

ne

rend

pas visible,

elle découvre

et

elle prouve.

Elle

fait œuvre de

vérité.

Le

symbole

même

du

pythago-

risme

est

un graphique

:

la

tetraktys.

représentée comme un

triangle

constitué de dix points, le sommet en haut, un point au centre.

tetraktys

Aetius

rappelle que « pour Pythagore la nature du nombre est la

décade,

... le principe

du

nombre dix est renfermé

dans

le nombre

quatre et dans la

tétrade »

(Opinions, I,

3,

8).

or

cela devient

fort clair

si

l on

dispose

d'un

graphique. D'autre part, Pythagore a fait une

théorie

du gnomon géométrique

et arithmétique,

qui,

selon

Stobée

(Florilège, I,

préf. 3), «

rend corporelles

»

les choses. Le

gnomon est

représenté par

un

angle droit

avec

à l intérieur soit

un

point, soit deux

points ; si

l on ajoute des

points

en

nombre impair à

la première figure

on obtient toujours

un

carré, si

l on

ajoute

des

points en nombre pair à

la seconde

figure

on

obtient toujours

un rectangle. Le

gnomon permet

de

comprendre

les séries.

O-O— Q

O—

O--O--O

O--O

6 O--O--O

6

gnomons

1

I

o

o o

o

o

o

o

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Graphisme

•g

En

bref,

le

concept

central,

chez

Pythagore,

est celui

de

nombre,

et

ce concept n'acquiert

de sens que figuré,

comme graphique, ce qui

établit

un isomorphisme entre géométrie

et

arithmétique : le trois

forme

triangle,

le quatre prend

la figure du

carré.

Au dire d Aristote (Physique,

II,

7), Hippodamos, philosophe vivant

vers 450 av.

J.-C,

s'intéressait

à l'urbanisme,

et il

« inventa

la

division

des villes en

damier ».

Chose remarquable, le plus illustre des

philosophes, Platon, fait

précéder le plus

illustre

de ses

textes,

l'allégorie de la caverne, d'un

discours

fondé

sur la

représentation graphique

(La République, VI,

509

d).

«

Prends, par

exemple, une

ligne

sectionnée

en deux

parties,

qui sont deux segments inégaux, sectionne à nouveau, selon les

mômes

rapports, chacun des

deux segments, celui

du

genre

visible

comme celui

du

genre

invisible.

» Platon

reprend le

concept

pythagoricien de proportion

et

la méthode

pythagoricienne

de

représentation graphique.

Mais

au lieu d'établir des correspondances (quatre /

carré), il

fonde

des analogies

(court /

visible).

a d B

E

c

i i i î

Par

la suite,

la graphique sera~sirrtout utilisée en

logique.

La théorie de

la subordination

des

concepts chez Porphyre

(Isagoge)

n'est

pas

pensable

autrement

que représentée sous forme d'un arbre

-

l'arbre

de

Porphyre :

la substance

se

divise en incorporelle

et corporelle, la

corporelle à

son tour

en inanimée

et animée...

Quand on parle de la

théorie d'Apulée (De

la

philosophie rationnelle) sur

les

rapports entre

les quatre

propositions,

on

se

la représente comme le carré logique

où figurent contraires, subalternes, subcontraires

et

contradictoires.

substance

co corporelle Incorporelle

S corps

co

I I

> animé inanimé

ivant

Arbre

de porphyre

I

sensible non sensible

^ animal

I I

raisonnable non raisonnable

omme

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Graphique

et

philosophie

67

Raymond

Lulle

utilise

la

graphique

dès

son

premier

livre

de

logique,

L'art

abreujada d'atrobar ver/ïaf (1274) (cf. Carreras y Artau, Historia

de la filosofia

espafiola, Madrid,

1939,

1.

1, p. 368). Son

problème

est

le

suivant

: comment,

un sujet

étant donné, trouver tous

les

prédicats

possibles,

ou bien, un prédicat

étant

donné, comment trouver tous les

sujets

possibles ?

Lulle a

l'idée d utiliser une

lettre

de

l'alphabet

pour

chaque

terme ou notion (A =

Dieu,

V =

vertu), de

se

servir

des

couleurs (bleu

=

vertu, rouge

=

vice) ; ensuite

il trace des

figures

géométriques : cercles

concentriques,

triangles..., et il construit des

tables

avec

colonnes.

«

II

convient

de

présenter

des

figures sensibles

avec

lesquelles

il

[le

lecteur]

sache

montrer

les

figures

intellectuelles.

Et par ce moyen on

pourra

ouvrir

et

diriger

son

entendement » (Livre

de

la

contemplation,

chap. 364).

La logique moderne a aussi recours à la

graphique,

qui devient

idéographie. Leibniz écrit

un

De

formae logicae

comprobatione

per

linearum ductu (in Opuscules

et

fragments inédits

de

Leibniz, 1903,

p. 292)

;

il trace des

droites soit

continues

soit

verticales

soit

horizonta le s,

formant

des

rectangles.

Dès 1761, le

mathématicien Euler a

l'idée de donner aux

figures

du syllogisme une représentation par des

cercles (Lettres à une princesse d'Allemagne, 1768

-

1789).

cercles

d Euler

inclusion

réunion

Le

calcul des

classes devenait construction

graph que.

«

Ces

figures

rondes, ou plutôt

ces

espaces (car il n importe quelle figure nous

leur

donnerons) sont

très

propres à faciliter

nos

réflexions

sur

cette

matière

et

à

nous

découvrir

tous

les

mystères

dont

on

se

vante

dans

la

logique » (lettre

35).

Le syllogisme en

Barbara (terme

mnémotechnique de la philosophie scolastique pour l un

des

quatre modes de

la

première figure du syllogisme) s'énonce : tout M est P, or tout S est

M,

donc tout S est P,

et

Euler le

figure

par

trois

cercles

concentriques, le

P

étant à

l extérieur, le

M au

milieu,

le S au

centre. J. Venn

en

1881

(Symbolic Logic) a perfectionné

ce procédé.

Frege

va jusqu'à

affirmer

que la

science justifie le recours à l'idéographie » (Écrits

logiques). La Logique

sans peine 6e Lewis

Carroll (1896)

propose divers

diagrammes,

carrés.

„ , , Disjonction

ftout

C

est

B

BARBARA <

or

tout

D

est C

Ldonc tout D

est B

idéographie

leibnizienne

idéographie

f regienne

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Graphisme

Outre

la logique,

le

second

domaine

de

la

philosophie

le

plus

intéressé par la

graphique

est la sémiotique. On

sait

l'usage

fait

par

Saussure, dans

son Cours

de linguistique générale, de

flèches, schémas,

tableaux; chacun connaît le schéma

cybernétique

de Shannon

(Théorie

mathématique de

la

communication) ;

Greimas

a rendu

célèbre

le

schéma narratologique

(Sémantique structurale), qui

explique

de

façon structurale

la forme générale d'un

conte.

Les

philosophes

commencent à explorer

ce

champ.

Source

d'information Emetteur Récepteur

Destination

Message

Signal

émis

HH

Ht Signal

F reçu

Source

de

bruit

Message

Schéma d un

système général

de communication

(Shannon)

Bachelard, dans La philosophie

de « profil épistémologique »,

connaissance particulière », par

des

mythes par

Lévi-Strauss

ne

tableaux

(Mythologiques : le cru

sa philosophie

sur

un

graphique

du non (1940), a

présenté

la notion

« spectre

notionnel

complet d'une

un

graphique.

L'analyse

structurale

serait

pas possible

sans l'usage de

et le cuit). Raymond Abellio a fondé

qu'il

appelle «

structure

absolue ».

CO

1

A QUELLE CONDITIONS LA GRAPHIQUEEUT-ELLE INTÉRESSER LA PHILOSOPHIE ?n est tenté de répondre qu'un graphique rompt la monotonie de laage

imprimée

en offrant une image plus ou moins esthétique

et

noninéaire. Mais

alors un

graphique

pourrait être remplacé par tout autre

oyen

d illustrer, comme la photographie,

et

il engendrerait uneistraction plus qu'une concentration, comme dans

ces manuels

de

ittérature

où les

dessins

détournent du poème ou dénaturent

le

oème.n revanche, on peut tenir un

graphique

même en

philosophie

omme un excellent argument, s il est donné pour

lui-même,

en place d'unéveloppement. Il ne répète

pas

le discours,

il

donne

en langage

isuel

un condensé de langage discursif.

Marcel

Mauss disait : «

Des

lans,

des

graphiques,

des statistiques pourront remplacer

vantageusement

plusieurs

pages

de texte » (Manuel d'ethnographie, p. 10).l faut

bien voir

ceci

: le graphique

montre ce que

l écriture

démontre,ci le

graphique démontre

en montrant, il n'est

pas

un

objet

exhibé

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Graphique et philosophie

69

comme

preuve

devant

un tribunal

mais une

figure

construite,

un

argument

visualisé.

Les philosophes

(Aristote, Leibniz) distinguent exposition

et

invention.

On peut opposer

les

graphiques

expressifs

aux graphiques

heuristiques. Le graphique n'a pas simplement une valeur

de

visualisation, il

a aussi

une

valeur

de

découverte.

Il ne permet pas

seulement

de voir

ce que l on pense ou

de voir

mieux, il

permet encore

de

penser,

de

produire

une idée.

On peut s interroger

longuement

sur

le

rationalisme d'un auteur

;

la

représentation graphique

sera plus exigeante : il

faudra donner un nombre

fini

de traits

déterminant

le rationalisme

;

ensuite

il

conviendra

de

construire

une table

de

présence.

D'une façon

générale, le langage graphique, comme le

langage

symbolique (au sens du logicien), a cet immense avantage d'être

monosémique.

Il ne supporte pas

l ambiguïté.

Or une saine philosophie

fait

d'abord la chasse

aux polysémies, aux équivoques.

Deuxièmement, le langage

graphique,

comme le langage géométrique,

est

universel. Il

peut

briser

les barrières

des

langues nationales, tout

en

exprimant aussi bien la quantité (par des secteurs) que la qualité (par

des

alignements).

Troisièmement, le langage

graphique,

comme

le

langage

artistique, est esthétique.

Il

s'adresse

d'abord

aux

sens. Il

déploie

dans

le

plan

une

pensée

qui

aura

souvent une

forme

agréable

à

l œil.

Le graphique est

donc

esthétique au sens ancien en ce

qu'il

s'adresse à

la

sensibilité,

et

esthétique au sens moderne en

ce

qu'il

offre une forme

originale.

La philosophie en bandes dessinées n'est

plus

de

la philosophie, tandis

que la

philosophie avec

des graphiques

reste

de la

philosophie. Bien entendu, s il existe une géographie

faite

de

graphiques,

il ne saurait exister

une philosophie faite

de

graphiques. La description d'un sentiment passe par l écriture.

Mais

on rêve

de diagrammes expliquant les hypostases de

Plotin

ou les corps chez

Paracelse.

LES UTILISATIONS LES PLUS PERTINENTES

EN

PHILOSOPHIE

On peut distinguer graphiques qualitatifs

et graphiques

quantitatifs.

Ces

derniers conviennent

surtout

aux sciences

exactes

ou aux

sciences

humaines, friandes de

données chiffrées.

La

philosophie,

elle,

s'exprime mieux par les graphiques

qualitatifs

:

arbres,

inclusions,

stéréogrammes, organigrammes, alignements, coupes, schémas,

matrices et ainsi de

suite. On peut faire

alors des

opérations plus

diverses

et

subtiles

que

la

simple

mesure ou la comparaison de nombres.

La

classification

se prête

bien

à

la

représentation

graphique,

en

particulier

pour les

sciences

et les arts. Et.

Souriau

(La

correspondance

des arts, 1 947) a même

pensé

sa classification

des arts

à partir

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7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie

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Graphisme

I

s

i

d'un

graphique,

un

diagramme à trois

cercles

concentriques divisén sept secteurs. La classification

des

sciences par Guye (Archives dehilosophie, .1919), elle

aussi,

prend

son

sens

quand

on

la

présente

ous forme

d'une construction

matricielle à six entrées, car on voit

lors

sur un tableau les catégories présentes ou absentes danshaque science (cf. Foulquié, Logique, p. 369) ; seule la psychologie,ernière

née des

sciences, utilise

nombre,

espace, temps, matière,

ie

et pensée.

La classification

des

sciences de

Kedroff

(Actes

du

1e congrès de

philosophie

scientifique,

1954) offre un

réseau en

useau

très significatif en

ce

qu'il

met à jour

des

subordinations

à partir

es

sciences naturelles (cf. Piaget, Logique et connaissancecientifique, p. 1 167). On peut toujours

disposer

une

classification

en arbre.

Graphique

de

Souriau

La définition est une sorte de classification, on

comprend

donc qu'elle

admette aisément le traitement graphique.

Une

définition par

étymo-

logie

derivative

peut se présenter sous forme d'arbre, agglutinant les

éléments

lexicaux

:

«

réorganisation

» = préfixe (ré-) + radical (organ

s)

+

suffixe

(-tion).

Une

définition

intrinsèque,

déterminant

le

genre

prochain

et

la

différence spécifique

(Aristote, Seconds

analytiques) prend la

figure de

cercles, comme dans le syllogisme, car ici

encore

on fixe

compréhension

et

extension ;

le

concept

de

« pragmatisme » est l'intersection

de deux

cercles,

celui d'« empirisme »,

celui

d'« utilitarisme », car

il

prend à

l'empirisme

sa théorie de la connaissance et

à

l utilitarisme sa

théorie

de

l'action.

La graphique se révèle particulièrement éclairante

pour exposer

des

processus,

par

exemple

le

matérialisme historique

avec

ses

couches

(forces productives, rapports de production, formes juridiques,

idéologie)

et ses

relations

(déterminations et interactions). Autre

exemple :

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7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie

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Graphique et philosophie

71

la méthode

expérimentale,

avec

ses

moments

(observation,

hypothèse,

contrôle) et sa

circularité («

de

cette expérience résultent

de

nouveaux phénomènes

qu'il

faut observer » : Claude

Bernard).

La philosophie contemporaine recherche souvent

les

isomorphismes.

Là encore

la

graphique peut rendre

de

grands services. Des

alignements

parallèles permettent

de mettre en correspondance les

éléments

d'un

système avec les éléments

d'un

autre système, par

exemple les

traits

de la philosophie scolastique

et

ceux de

l'architecture gothique

(Panofski).

Des réseaux

visualisent

l identité du type

de

relations

combinatoires

entre

deux

ordres

aussi

distincts

que

l ordinateur et le

cerveau.

La loi

de

croissance exponentielle s'applique autant au

développement

des cellules bactériennes qu'au

progrès de

la recherche

scientifique (Bertalanfy) :

un

graphique l établit aussitôt.

D'autres

domaines

se

prêtent au traitement

graphique. Citons

les

tables

de comparaison,

dont

parlait

déjà Francis Bacon

(Novum or-

ganum, II, 11). Cette fois, on peut sur des matrices

établir

des

présences, des absences, des degrés et

donc,

en

second lieu,

comparer,

définir, etc. Pour la seule histoire de

la philosophie, il

serait

intéressant de

voir

les corrélations entre concepts ou doctrines

:

le

concept

d'ordre

est-il

présent

chez

tous

les rationalistes ? Est-il

vraiment

absent chez les anarchistes ou chez les empiristes ?

Platoniciens

Aristotéliciens

Stoïciens

Épicuriens

seule

i

>7 -

f r

-7j

vide continue

i

i

1

i

i

nn

1

i i

éternelle

WÊÊÊÊiï Èï-

La matière

dans

la philosophie grecque

La

succession

des philosophies suppose

qu'on ait

une idée claire

de

la

chronologie

et des

emprunts : Leibniz vient après Descartes

et

Spinoza

mais n'a

subi aucune

influence

de ce

dernier.

Le tableau

chronologique est là-dessus éclairant.

Descartes

Spinoza Malebranche Leibniz

Wolf

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7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie

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Graphisme

Toujours

dans

le

cadre

de

l histoire

des

philosophies, la

barre

avec

repères indique les vides ou les groupements dans le

temps.

D'Hé-

raclite

à Aristote

il

y a pléthore, d Aristote à

Plotin

pénurie

de

métaphysiciens.

Parménide

Platon

Stoïciens

Aristote Plotin

500 400 300 200 100 100 200 300 400 500 600

Certes

une philosophie

demeure

un tout complexe. Cependant, une

représentation schématique peut se révéler extrêmement

utile

pour

simplifier

et

mémoriser,

mais aussi

parce qu'elle

va révéler

l'archi-

tectonique du

système

philosophique :

ses axes,

ses symétries, ses

répétitions.

entendement volonté étendue mouvement

Représentation

schématique

du

dualisme

cartésien

À

ce

point-là,

on

peut opposer deux ou plusieurs représentations

schématiques, comme le fait Caratini (Encyclopédie Bordas, 1 968, t. 3,

p.

13) à propos

des théories de

l'âme

et du corps chez les grands

rationalistes.

Dieu

Dieu

harmonie préétablie

X

00

O

I

S

I

Descartes Spinoza

Malebranche

Leibniz

UN LABYRINTHE

POUR

SE

RETROUVER

La méthode graphique

mériterait l'élaboration d'une nouvelle

théorie

de

l'image. Une représentation graphique est

un labyrinthe

qui sert

non

à

s'égarer

mais

à se

retrouver.

L'imagination a été réhabilitée en

philosophie,

...

grâce

aux

dadaïstes

et

surréalistes.

Il

reste

à

réhabiliter l'image intellectuelle, graphique. La

graphique

peut

jouer

aujourd'hui le rôle qu'avait

autrefois

la rhétorique,

et

doubler

l'argu-

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7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie

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Graphique

et philosophie 73

mentation.

On

peut

fort bien

concevoir

une

philosophie

à

double

voix,

en

partie

discursive, avec mots

et

raisonnements, en

partie

graphique ,

avec diagrammes

et

réseaux.

Mais

les philosophes ne préfèrent-ils pas

secrètement

l'ambiguïté ?

Que resterait-il

de la

phénoménologie

de Merleau-Ponty

si

l on

s'avisait

de la mettre

en système

et de

l'éclairer

de quelque

diagramme ?

Question :

à

quand

l'enseignement

de la graphique pour les

philosophes,

et

pas

seulement

pour les géographes ou les économistes ?

Autre

point : à

côté du langage

discursif, à

côté du langage formel

(logique

ou mathématique), à côté

du langage

graphique, la

philosophie

dispose

aussi

du

langage

typographique, qui

est

le

plus

récent

et

le

moins visible.

La typographie concerne

les caractères

d'imprimerie,

la composition, l'impression. Heidegger écrit Sein biffé,

Derrida

fait imprimer

différance

(avec

un a), Teilhard de

Chardin

use

et abuse des

lettres

capitales,

l'esthétique utilise

les

images, l'alinéa a

chez

Hegel

valeur de moment philosophique, etc. Cela pourrait faire

l'objet d'une prochaine

recherche, intitulée

cette fois :

« Typographie et

philosophie ».

Pierre

Riffard

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