Richard Stallman : Le droit de lire

8/8/2019 Richard Stallman : Le droit de lire

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Le droit de lire - Projet GNU - Free Software Foundation/Fondatio... http://www.gnu.org/philosophy/right-to-read.fr.html

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Le droit de lire

par Richard Stallman

Table des matires

Note de l'auteurRfrencesAutres textes lire

Cet article a t publi dans la parution de fvrier 1997 de Communications of the ACM(volume 40, numro 2).

(extrait de The Road to Tycho, une collection d'articles sur lesantcdents de la Rvolution lunaire, publie Luna City en 2096)

Pour Dan Halbert, la route vers Tycho commena l'universit -- quand Lissa Lenz luidemanda de lui prter son ordinateur. Le sien tait en panne, et moins qu'elle puisseen emprunter un autre, elle chouerait son projet de mi-session. Il n'y avait personned'autre qui elle osait demander, part Dan.

Ceci posa un dilemme Dan. Il se devait de l'aider -- mais s'il lui prtait son ordinateur,elle pourrait lire ses livres. part le fait que vous pouviez aller en prison pour plusieursannes pour avoir laiss quelqu'un lire vos livres, l'ide mme le choqua au dpart.

Comme tout le monde, on lui avait enseign ds l'cole primaire que partager deslivres tait malicieux et immoral -- une chose que seuls les pirates font.

Et il tait improbable que la SPA -- la Software Protection Authority -- manquerait de lepincer. Dans ses cours sur les logiciels, Dan avait appris que chaque livre avait unmoniteur de copyright qui rapportait quand et o il tait lu, et par qui, la Centrale deslicences. (Elle utilisait ces informations pour attraper les lecteurs pirates, mais aussipour vendre des renseignements personnels des dtaillants.) La prochaine fois queson ordinateur serait en rseau, la Centrale des licences se rendrait compte. Dan,comme propritaire d'ordinateur, subirait les punitions les plus svres -- pour ne pasavoir tout tent pour viter le crime.

Bien sr, Lissa n'avait pas ncessairement l'intention de lire ses livres. Elle pourrait nevouloir l'ordinateur que pour crire son projet. Mais Dan savait qu'elle venait d'unefamille de classe moyenne et qu'elle arrivait difficilement payer ses frais de scolarit,


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sans compter ses frais de lecture. Lire les livres de Dan pourrait tre sa seule faond'obtenir son diplme. Il comprenait cette situation; lui-mme avait eu emprunter pourpayer pour tous les articles scientifiques qu'il avait eu lire. (10% de ces frais allaientaux chercheurs qui crivaient ces articles; puisque Dan visait une carrire acadmique,il pouvait esprer que si ses propres articles scientiques taient souvent lus, ilgagnerait un revenu suffisant pour rembourser sa dette.)

Par la suite, Dan apprendrait qu'il y eut un temps o n'importe qui pouvait aller labibliothque et lire des articles de journaux, et mme des livres, sans avoir payer. Il yavait des universitaires indpendants qui lisaient des milliers de pages sanssubventions des bibliothques gouvernementales. Mais dans les annes 1990, lesditeurs aussi bien commerciaux qu' but non lucratif avaient commenc facturerl'accs. En 2047, les bibliothques offrant un accs public gratuit la littraturescientifique n'taient qu'un ple souvenir.

Il y avait des faons, bien sr, de contourner la SPA et la Centrale des licences. Ellestaient elles-mmes illgales. Dan avait eu un compagnon de classe dans son courssur les logiciels, Frank Martucci, qui avait obtenu un outil illgal de dboguage, et l'avaitutilis pour outrepasser le code du moniteur de copyright quand il lisait des livres. Maisil en avait parl trop d'amis, et l'un d'eux l'a dnonc auprs de la SPA pour une

rcompense (des tudiants cribls de dettes pouvaient facilement tre tents par latrahison). En 2047, Frank tait en prison, non pas pour lecture pirate, mais pourpossession d'un dbogueur.

Dan apprendrait plus tard qu'il y eut un temps o n'importe qui pouvait possder desoutils de dboguage. Il y avait mme des outils de dboguage disponibles gratuitementsur des CD ou qu'on pouvait tlcharger du Net. Mais des usagers ordinairescommencrent s'en servir pour outrepasser les moniteurs de copyright, et finalementun juge a dcid que c'tait devenu leur principale utilisation en pratique. Ceci voulaitdire qu'ils taient illgaux; les dveloppeurs de ces dbogueurs furent envoys enprison.

Les programmeurs avaient encore besoin d'outils pour dboguer, bien sr, mais lesvendeurs de dbogueurs en 2047 ne distribuaient que des copies numrotes, etseulement des programmeurs officiellement licencis et soumis. Le dbogueur queDan utilisait dans son cours sur les logiciels tait gard derrire un garde-barrirespcial afin qu'il ne puisse servir que pour les exercices du cours.

Il tait aussi possible de contourner les moniteurs de copyright en installant un noyausystme modifi. Dan apprendrait finalement l'existence de noyaux libres, et mme desystmes d'exploitation entirement libres, qui avaient exist au tournant du sicle.Mais non seulement taient-ils illgaux, comme les dbogueurs, mais vous ne pouviezen installer un, si vous en aviez un, sans connatre le mot de passe de l'usagersuperviseur de votre ordinateur. Or, ni le FBI ni l'Aide technique Microsoft ne vous lervlerait.

Dan conclut qu'il ne pouvait simplement prter son ordinateur Lissa. Mais il nepouvait refuser de l'aider, car il l'aimait. Chaque chance de lui parler le remplissaitd'aise. Et le fait qu'elle l'avait choisi pour demander de l'aide pouvait signifier qu'ellel'aimait aussi.

Dan rsolut le dilemme en faisant une chose encore plus impensable -- il lui prtal'ordinateur, et lui dit son mot de passe. Ainsi, si Lissa lisait ses livres, la Centrale deslicences penserait que c'tait lui qui les lisait. C'tait quand mme un crime, mais laSPA ne s'en rendrait pas compte automatiquement. Ils ne s'en rendraient compte que siLissa le dnonait.

Bien sr, si l'cole devait un jour apprendre qu'il avait donn son propre mot de passe Lissa, ce serait la fin de leurs tudes, peu importe ce quoi le mot de passe aurait


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servi. La politique de l'cole tait que toute interfrence avec ses mcanismes desurveillance de l'utilisation des ordinateurs par les tudiants tait punissable. Iln'importait pas qu'aucun mal n'ait t fait -- l'offense tait de se rendre difficile surveiller par les administrateurs. Ils supposaient que a signifiait que vous faisiezquelque chose d'autre qui tait interdit, et ils n'avaient pas besoin de savoir de quoi ils'agissait.

Les tudiants n'taient habituellement pas expulss pour cela -- pas directement. Ilstaient plutt bannis des systmes informatiques de l'cole, et chouaientinvitablement leurs cours.

Plus tard, Dan apprendrait que ce genre de politique n'a commenc dans lesuniversits que dans les annes 1980, quand des tudiants commencrent trenombreux utiliser des ordinateurs. Avant, les universits avaient une approchediffrente au sujet de la discipline auprs des tudiants; elles punissaient des activitsqui causaient du tort, et non pas simplement celles qui soulevaient des doutes.

Lissa ne dnona pas Dan la SPA. La dcision de Dan de l'aider mena leurmariage, et les amena aussi remettre en question ce qu'on leur avait enseign durantleur enfance au sujet du piratage. Le couple se mit lire sur l'histoire du copyright, sur

l'Union sovitique et ses restrictions sur la copie, et mme sur la Constitution originaledes tats-Unis. Ils dmnagrent Luna, o ils trouvrent d'autres gens qui commeeux avaient pris leurs distances par rapport au bras long de la SPA. Quand la rvolte deTycho commena en 2062, le droit universel de lire devint bientt un de ses butsprincipaux.

Note de l'auteur

Cette note a t mise jour en 2002.

C'est aujourd'hui mme qu'on se bat pour le droit de lire. Mme si cela pourrait prendre50 ans pour que notre faon de vivre actuelle s'efface dans l'obscurit, la plupart deslois et pratiques dcrites prcdemment ont dj t proposes ; plusieurs ont tdcrtes lgalement aux USA et ailleurs. Aux USA, le Digital Millenium Copyright Act(DMCA) de 1998 a tabli la base lgale pour restreindre la lecture et le prt de livresdigitaliss (et d'autres donnes galement). L'Union Europenne a impos desrestrictions similaires dans une directive de 2001 concernant le copyright.

Jusque rcemment, il y avait une exception : l'ide que le FBI et Microsoft garderaientles mots de passe administrateur (root) des ordinateurs personnels et ne vouslaisseraient pas les avoir. Cette ide n'a pas t propose jusqu'en 2002. C'est appelTrusted Computing ou Palladium.

En 2001, le snateur Hollings (disposant de fonds Disney) a propos une loi appele

SSSCA qui exigerait que chaque nouvel ordinateur aie des fonctionnalits obligatoiresde restriction des copies, restrictions que l'utilisateur ne pourrait pas contourner. Aprsle Clipper Chip et d'autres propositions similaires de key-escrow manant dugouvernement US, ceci dmontre une tendance long terme : les systmesinformatiques sont de plus en plus configurs pour donner des absents un puissantcontrle sur les personnes qui utilisent effectivement ces systmes informatiques. LeSSSCA a depuis t rebaptis CBDTPA (on pourrait penser cela comme le ConsumeBut Don't Try Programming Act -- la loi Consommez mais n'essayez pas deprogrammer).

En 2001, les USA ont commenc tenter d'utiliser la proposition de trait Free TradeArea of the Americas (FTAA) pour imposer les mmes rgles tous les pays de

l'hmisphre Ouest. Le FTTA est l'un de ces traits de soi-disant libre commerce,mais rellement conu pour donner aux monde du business un pouvoir croissant sur


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les gouvernements dmocratiques. L'imposition de lois du genre DMCA est typique decet esprit. L'Electronic Frontier Foundation demande aux gens d'expliquer aux autresgouvernements (non amricains) pourquoi ils devraient s'opposer ces projets.

La SPA, qui veut en fait dire Software Publisher's Association, a t remplace dans cerle de police par la BSA (Business Software Alliance). Ce n'est pas aujourd'hui uneforce policire officielle. De faon officieuse, elle se comporte ainsi. Utilisant des

mthodes rappelant celles de l'ex-Union Sovitique, elle invite les gens faire de ladlation l'endroit de leurs collgues et amis; une campagne de terreur orchestre parla BSA en 2001 en Argentine a dvoil des menaces selon lesquelles les genspartageant du logiciel pourraient tre jets en prison.

l'poque o cette histoire a t crite, la SPA menaait de petits fournisseurs d'accs l'Internet, en exigeant qu'ils lui permettent de surveiller tous les usagers. La plupartdes fournisseurs capitulent lorsqu'ils sont menacs, parce qu'ils n'ont pas les moyensde contre-attaquer en cour. (Atlanta Journal-Constitution, 1er octobre 1996, page D3.)Au moins un fournisseur, Community ConneXion Oakland en Californie, a refus lademande et a t rellement poursuivi. Plus tard, la SPA a laiss tomber la plainte,mais elle a obtenu le DMCA, qui lui donne le pouvoir qu'ils recherchaient.

Les politiques universitaires de scurit dcrites prcdemment ne sont pasimaginaires. Par exemple, un ordinateur dans une universit de la rgion de Chicagoaffiche le message suivant quand on s'y branche (les guillemets sont dans l'original --ce qui suit est une traduction) :

"Ce systme est rserv aux usagers autoriss. Les individus qui utilisent cesystme informatique sans autorisation ou au del de leur autorisationpourront faire l'objet d'une surveillance et d'un enregistrement par lepersonnel de toutes leurs activits sur ce systme. Lors de la surveillanced'individus utilisant le systme inadquatement, ou lors d'activits d'entretiendu systme, les activits d'usagers autoriss pourraient aussi tresurveilles. Quiconque utilise ce systme consent expressment une telle

surveillance et est avis que si cette surveillance rvle des indices d'unepossible activit illgale ou violation des rglements de l'Universit, lepersonnel du systme peut fournir ces indices aux autorits de l'Universitet/ou aux forces de l'ordre."

Il s'agit d'une approche intressante face au Quatrime amendement : faire pressionsur presque tout le monde pour qu'il accepte d'avance de renoncer aux droits qu'il leuraccorde.

Rfrences

The administration's "White Paper": Information Infrastructure Task Force,Intellectual Property and the National Information Infrastructure: The Report of theWorking Group on Intellectual Property Rights (1995).An explanation of the White Paper: The Copyright Grab, Pamela Samuelson,Wired, Jan. 1996Sold Out, James Boyle, New York Times, 31 March 1996Public Data or Private Data, Washington Post, 4 Nov 1996. Nous avions un lienvers l'article mais le Washington Post a dcid de faire payer la lecture d'articlessur le web, et nous avons donc choisi de supprimer le lien.Union for the Public Domain -- an organization which aims to resist and reversethe overextension of intellectual property powers.

Cet essai est publi dans Free Software, Free Society: The Selected Essays of Richard


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M. Stallman.

Autres textes lire

Philosophie du projet GNUCopy Protection: Just Say No publi dans Computer World.

La note de l'auteur parle de la bataille pour le droit de lire, et de la surveillancelectronique. La bataille a dj commenc, voici deux liens vers des articles prsentantdes technologies dj dveloppes pour interdire le droit la lecture :

Electronic Publishing: Un article dont le sujet est la distribution de livres sousforme lectronique, et les questions de copyright affectant le droit de lire unecopie.Books inside Computers: Les logiciels pour contrler qui peut lire des livres et desdocuments sur un PC.

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Dernire mise--jour : $Date: 2005/09/29 10:05:51 $ $Author: taz $

Traduction : Pierre Sarrazin

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