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Riccardo Muti, La Partition Patriotique Du Maestro
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18/8/2014 Riccardo Muti, la partition patriotique du maestro
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Riccardo Muti, la partition patriotiquedu maestroLE MONDE | 18.08.2014 15h11 Mis jour le 18.08.2014 17h45 |
Par Annick Cojean (/journaliste/annick-cojean/)
Gestes rebelles (1/6)
Cest un de ces moments qui resteront dans la lgende de lopra. Un
instant de grce, comme on dit parfois. Mais dune ferveur et dune
intensit telles que son souvenir suffit faire natre des larmes aux yeux de
ceux qui vous le racontent, et des regrets chez ceux qui lont rat. Un
instant de communion et de fraternit. Un instant patriotique, ce mot
tellement trange lorsquon parle de musique. Un instant rvolutionnaire.
Ctait imprvisible, encore moins planifiable. Certes, laffiche de ce concert
du 12 mars 2011 lOpra de Rome tait superbe, la distribution
prestigieuse, et la direction du maestro Riccardo Muti prometteuse. Quant
au programme lopra Nabucco, de Giuseppe Verdi , il ne pouvait mieux
convenir un vnement destin clbrer le 150 anniversaire de lunit
italienne.
Lors de sa cration, le 9 mars 1842 la Scala, la population milanaise,
encore sous domination autrichienne, avait reconnu dans cette fresque,
L'opra de Rome, lors de la soire de clbration du 150e anniversaire de l'unit
italienne, en mars 2011. | AFP/CLAUDIO PERI
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18/8/2014 Riccardo Muti, la partition patriotique du maestro
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contant lhistoire des Hbreux rduits lesclavage et lexil, la qute dun
peuple oppress et avide de libert qui rsonnait en eux. Et le Chur des
esclaves , en ralit Va, pensiero , de lacte III, stait vite impos
comme lair de ralliement des rpublicains, frquemment propos pour
servir dhymne national la jeune Italie. Mais, enfin, qui pouvait prdire
que Verdi, par-del les dcennies, ferait se lever toute une salle contre les
dirigeants du pays et au nom dune certaine ide de la culture et dune
patrie perdue ?
Cest l que le geste de Riccardo Muti prend son importance. Muti
lombrageux, Muti le magnifique. Muti qui pour rien au monde naurait
manqu cette soire, dt-il dsobir ses mdecins qui lui recommandaient
le repos aprs un vanouissement au cours dune rptition, et la pose
rcente dun pacemaker. Muti le natif de Naples, couvert de prix,
dhonneurs, et rclam par tous les thtres du monde, dirigeant
lOrchestre symphonique de Chicago mais habitant Ravenne (Emilie-
Romagne), infatigable dfenseur de la musique, militant pour son
enseignement et sa diffusion auprs de toutes les couches sociales, y
compris en prison.
Alors faufilons-nous, ce 12 mars 2011, dans les coulisses de lOpra de
Rome pour observer la salle. Les 1 600 places ont t loues des mois
lavance. Ministres, artistes, industriels, banquiers et personnalits en vue
se congratulent et se pressent lorchestre et dans les premires loges. On
salue la prsence du prsident de la Rpublique, loctognaire Giorgio
Napolitano, mais les sourires se teintent dironie larrive du prsident du
conseil Silvio Berlusconi, englu dans de pitoyables affaires fraude fiscale,
corruption, prostitution et plus rput pour ses soires bunga-bunga
que pour sa passion de lopra. Quimporte. Lvnement se veut
historique. Cest lItalie tout entire que lon clbre ce soir.
QUELQUE CHOSE DE SACR
Solennel, visage ferm, le maire de Rome, Gianni Alemanno, monte sur
scne et, en quelques mots svres, dnonce les coupes dans le budget de
lEtat consacr la culture. Des choix, dit-il, qui mettent en pril des joyaux
du patrimoine italien, des ruines de Pompi aux thtres, orchestres et
opras. Le public ragit avec chaleur. Et, des loges situes tout en haut,
tombent des tracts proclamant : Italie, tu renais dans la dfense du
patrimoine de la culture. La salle est charge dlectricit.
Commence alors Nabucco. Le public est concentr et vibre, Muti le sent
bien. Quand, au troisime acte, retentissent les premires mesures de Va,
pensiero , le silence devient fervent. Comme si, se souvient Muti,
quelque chose de sacr allait arriver. Inexplicable avec des mots. Cette
page dopra ne parle pas la conscience mais lADN secret des Italiens.
Je percevais la tension du public dans mon dos, et jobservais sur scne
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18/8/2014 Riccardo Muti, la partition patriotique du maestro
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lextraordinaire motion du chur qui chantait avec ses tripes et pleurait,
comme les esclaves juifs de Verdi, leur patria si bella e perduta, cette patrie
si belle et perdue. Leur thtre, leurs emplois, leur art risquaient bel et
bien dtre anantis par lobscurantisme de ce gouvernement.
Des cris et une salve dapplaudissements explosent la fin du chant. Bis !
Bis ! Viva Italia ! Viva Verdi ! Encore ! Encore ! Des papiers
tournoient, porteurs de messages patriotiques. Les applaudissements
continuent. Les chanteurs, assis sur la scne, semblent mduss. Bis ! ,
insiste le public. Muti est stupfait. Le chur avait divinement chant,
cest vrai, nous raconte-t-il. Mais pourquoi accorder le bis ces politiciens
qui se bousculaient dans la loge royale et qui assassinaient notre culture ?
Pourquoi leur accorder ce plaisir en faisant comme si tout allait bien, alors
que lre Berlusconi sonnait le glas de nos valeurs et de nos racines ?
Jtais en colre contre eux. En colre ! Et puis je suis de lcole Toscanini :
on ne bisse pas un opra ! On doit respecter le compositeur et la
cohrence de la dramaturgie.
Le public insiste, Muti feuillette ses partitions, jette un regard vers le chur
qui est au bord des larmes. Que vive lItalie ! , crie une voix au-dessus
des applaudissements. Alors le maestro redresse la tte et pivote lentement
vers le public, les avant-bras appuys sur la cloison de la fosse dorchestre.
Je suis daccord avec a : Que vive lItalie. Mais La salle explose de
joie et de hourras. Muti baisse la tte, concentr. Et poursuit, dune voix
grave : Je nai plus 30 ans et jai vcu ma vie. Mais en tant quItalien qui
a beaucoup parcouru le monde, jai honte de ce qui se passe dans mon
pays. Donc, jacquiesce votre demande de bis pour le Va, pensiero. Ce
nest pas seulement pour la joie patriotique que je ressens, mais parce que
ce soir, alors que je dirigeais le chur qui chantait ma patrie, si belle et
perdue, jai pens que si nous continuions ainsi, nous allions tuer la culture
sur laquelle lhistoire de lItalie est btie. Auquel cas, notre patrie elle-
mme serait en effet si belle et perdue.
AU TEMPO, SIL VOUS PLAT
Les acclamations linterrompent. Les chanteurs se redressent un un,
applaudissent tout rompre. Public et scne sont au diapason. Muti
observe, impassible. Puis saisit sa baguette, fait signe lorchestre de se
tenir prt. Les chanteurs reprennent leur position et le silence sinstalle.
Mais Muti se ravise. Bisser, daccord. Encore faut-il que cela ait un sens.
Encore faut-il que chacun fasse siennes les paroles des esclaves, ressente
leur dsespoir et pleure, avec eux, une patrie perdue. Il fallait envoyer un
message la classe politique responsable du dsastre, nous raconte-t-il. Il
fallait leur crier : vous assassinez la culture ! Vous branlez les fondations
du pays de Michel-Ange, de Vinci, de Dante, de Verdi !
Alors, il se tourne nouveau vers le public, rappelle que cela fait des annes
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que lui, Muti ( muets , en italien), parle devant des sourds. Et enjoint
lauditoire de chanter, dun mme lan, avec lorchestre et le chur, dans ce
thtre de la capitale qui, dit-il, est bien notre maison, non ? . Les
applaudissements crpitent. Muti sourit : Mais au tempo, sil vous plat !
La salle tout entire se lve, du parterre au poulailler, tandis que les violons
entament lintroduction. Monte, enfle, le Va, pensiero, sullali dorate
(Va, pense, sur tes ailes dores), crit par le pote Solera, sous la
conduite dun maestro qui regarde le chur et dirige en mme temps le
public. Je ne voulais quand mme pas que cela tourne en dsastre
musical ! Nul dsastre mais, au contraire, un moment magique, dit
Muti. Bourr dmotion. Seul le fond des loges tait clair et je distinguais
toutes ces silhouettes debout, ardentes, la main sur le cur, qui
semblaient dire : Voil qui nous sommes ! 80 % connaissaient les
paroles. Nest-ce pas magnifique ? Des milliers de petits papiers tombent
des dernires loges, les larmes glissent sur le visage du public et des
chanteurs qui, debout, finissent par applaudir, eux aussi, puis par senlacer.
Viva Italia ! Viva Verdi ! Muti, snateur vie !
LE TOUR DU MONDE
Le chef clate de rire lvocation de ce dernier slogan. Non non, cela ne
ma pas gris ! Jtais simplement heureux davoir su saisir loccasion et
transformer le moment. Oh, je ne risquais pas ma vie ! Juste lire dun
mlomane qui aurait pu crier : La ferme maestro ! On est ici pour
entendre de la musique et pas un discours politique ! Une seule
intervention de ce genre et jtais ridicule et le message ruin ! Mais, sur
le coup, il ny a pas pens. Jagissais avec mon cur, conduit par une
force mystrieuse. Et le public, qui est un animal, a peru la justesse de la
situation.
Deux jours aprs, le ministre des finances italien, Giulio Tremonti, est venu
voir le maestro. Les deux hommes ont longuement parl, Muti reprenant
avec force son plaidoyer pour la musique, le maintien des orchestres, le
soutien aux conservatoires et aux nombreux thtres. Cest un homme
cultiv, il comprenait ce que je disais quand jvoquais la musique comme
pilier du temple Italie. Alors, dit Muti, dans la foule de cette soire
exceptionnelle, il a ouvert le portefeuille de son ministre et sest engag
renflouer thtres et opras meurtris .
Le concert du 12 mars 2011, film par Arte, a fait le tour de monde. Et Muti
na cess de relayer le message. De Sarajevo Ground Zero, la musique
unit les hommes comme aucun autre art. Cest une mdecine de lme. Elle
nest pas politique. Mais mon geste, ce soir-l, ltait minemment. Un
artiste vit au milieu dune socit. Pas dans une tour divoire !
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