Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

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H H O O R R I I Z Z O O N N S S D D I I P P L L O O M M A A T T I I Q Q U U E E S S DOSSIER | LES NEGOCIATIONS ENVIRONNEMENTALES INTERNATIONALES Automne 2012 1

description

De la rencontre entre les attentes d’un public non-spécialiste des problématiques touchant à nos programmes et des recherches de fond menées par de jeunes étudiants de formation et d’origines différentes, naîtra, nous l’espérons, une dynamique d’échanges, dépassant le cadre purement universitaire de la réflexion sur les mutations de l’ordre international, et dont la revue Horizons diplomatiques sera le vecteur. Pour cela, cette jeune revue aura besoin de l’enthousiasme et du soutien de tous ses lecteurs, membres ou non de Youth Diplomacy, pour créer et faire perdurer les conditions d’un échange d’idées véritablement pluraliste, contradictoire et transpartisan.

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HHOORRIIZZOONNSS

DDIIPPLLOOMMAATTIIQQUUEESS

DDOOSSSSIIEERR || LLEESS NNEEGGOOCCIIAATTIIOONNSS

EENNVVIIRROONNNNEEMMEENNTTAALLEESS IINNTTEERRNNAATTIIOONNAALLEESS

Automne

2012

1

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2

HORIZONS DIPLOMATIQUES

Directrice de publication

Raluca SCHUMACHER, Vice-présidente de Youth Diplomacy

Conseil éditorial

Lucas BRUNET, Directeur de programme « Mondialisation et environnement »

Claire CALMELS, Directrice de programme « Gouvernance ou gouvernement européen »

Iris DELAHAYE, Directrice de programme « Géopolitique de l’eau »

Thomas FRIANG, Président de Youth Diplomacy

Nicolas JUPILLAT, Directeur de programme « Affaires politiques et de sécurité »

Luc PIERRON, Directeur de programme « Questions sociales de la mondialisation »

Stéphane ROUSSELET, Secrétaire Général de Youth Diplomacy

Matthieu SOULE, Directeur de programme « Relations internationales et nouvelles technologies »

Youth Diplomacy

Youth Diplomacy est un think tank dont l’objectif est de donner à la jeunesse française des clés de

lecture transpartisanes de la mondialisation. La citoyenneté s’exprime aujourd’hui dans un contexte de

plus en plus globalisé que les parcours scolaires ne permettent pas toujours d’appréhender.

Modestement, Youth Diplomacy souhaite offrir une réponse à cette carence, sur la base du partage de

connaissances par ses conférences, ses publications et sa capacité à permettre aux jeunes de se rendre à

des Sommets internationaux en tant qu’acteurs ou observateurs.

Adresse : 79, Avenue de la République, 75011 Paris

Mails : [email protected]

Contribuez : [email protected]

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3

SSOOMMMMAAIIRREE

Editorial ................................................................................................................................................... 4

DOSSIER | LES NEGOCIATIONS ENVIRONNEMENTALES INTERNATIONALES

Grand Entretien : « Négociations pour le climat, On piétine… » ........................................................... 6

Hyderabad et l’orchestration des négociations de la convention sur la diversité biologique ................ 13

Les négociations climatiques : opportunité pour revoir les modes de coopération internationale ? ..... 22

Human rights and climate change: towards the emergence of environmental human rights? .............. 30

VARIA | SYRIE, OBAMACARE

Enjeux et problématiques d’une intervention militaire en Syrie : l’impossible transposition du modèle

libyen ..................................................................................................................................................... 38

Obamacare : « Highway to Health ? »................................................................................................... 45

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4

EEDDIITTOORRIIAALL

Lancer une revue est toujours une aventure

intellectuelle. A travers sa nouvelle

publication, Horizons diplomatiques,

l’association Youth Diplomacy fait le pari qu’il

existe une place, dans le paysage intellectuel

français, pour les revues dont le but est de

permettre aux jeunes de s’exprimer sur des

thèmes variés, dans une logique d’ouverture,

en prenant un regard original et en soulevant

des questions pertinentes.

De la rencontre entre les attentes d’un public

non-spécialiste des problématiques touchant à

nos programmes et des recherches de fond

menées par de jeunes étudiants de formation et

d’origines différentes, naîtra, nous l’espérons,

une dynamique d’échanges, dépassant le cadre

purement universitaire de la réflexion sur les

mutations de l’ordre international, et dont la

revue Horizons diplomatiques sera le vecteur.

Pour cela, cette jeune revue aura besoin de

l’enthousiasme et du soutien de tous ses

lecteurs, membres ou non de Youth Diplomacy,

pour créer et faire perdurer les conditions d’un

échange d’idées véritablement pluraliste,

contradictoire et transpartisan.

L’option éditoriale qui a présidé au choix de

consacrer ce numéro inaugural de la revue

Horizons diplomatiques aux questions de

changement climatique et d’érosion de la

biodiversité, est à mettre en rapport avec les

grands événements internationaux concernant

l’environnement et le développement durable –

Conférence Rio+20, la Conférence des Parties

à la Convention sur la Diversité Biologique

(COP11 CBD) – et auxquels Youth Diplomacy

a participé. Aussi l’objet principal de ce

premier dossier et de ses varia, échos des

récentes élections américaines et de

l’interminable conflit syrien, n’est-il

pas anodin. C’est dans la perspective de ces

grands jalons internationaux que doit être situé

le choix du thème de notre dossier et la

cohérence des problématiques des articles qui

le structurent. Ces articles sont aussi un

prélude aux futurs événements de l’agenda

environnemental, dont notamment la 18ème

conférence des parties (COP 18), qui aura lieu

fin novembre 2012 au Qatar.

Et puisque, comme le fait remarquer Jean

Jouzel, au-delà du problème du réchauffement

climatique, le message des scientifiques a du

mal à passer au grand public, le grand entretien

de ce premier numéro, gage de l’ouverture de

Youth Diplomacy et de son investissement

dans cette communication plurielle, est réservé

à cet ancien Vice-président du GIEC et prix

Nobel de la Paix en 2007.

Notes de la rédaction

Ont participé à ce numéro : Lucas Brunet,

Michael Ravier, Clémence Granveau,

Morgane Dussud, Romain Aby et Luc Pierron.

Les opinions exprimées ici ne relèvent que de

la responsabilité des auteurs des articles et en

aucun cas des institutions auxquelles ils sont

rattachés.

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DDOOSSSSIIEERR || Les négociations environnementales internationales

Coordonné par Lucas Brunet

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GGRRAANNDD EENNTTRREETTIIEENN :: «« NNEEGGOOCCIIAATTIIOONNSS PPOOUURR LLEE CCLLIIMMAATT,, OONN

PPIIEETTIINNEE…… »»

Grand Entretien avec JEAN JOUZEL par Michael RAVIER

Ce texte est né de la retranscription d’un entretien réalisé en septembre 2012 avec M. Jean Jouzel,

Vice-président du groupe scientifique du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution

du climat). L’entretien a été réalisé par Michael Ravier, membre adhérent de Youth Diplomacy,

spécialisé dans les problématiques du développement durable et de l'environnement.

Youth Diplomacy - Cet été, les Etats-Unis

ont connu une sécheresse historique,

entrainant une flambée des cours

alimentaires. En Arctique, un nouveau

record a été franchi dans la fonte des

glaces - certains prédisent qu’elles

pourraient entièrement disparaître durant

l’été à partir de 2016. Cela, alors que le

phénomène El Nino, censé amplifier les

effets du réchauffement, ne sera pas de

retour avant plusieurs mois. L’emballement

de la machine climatique a-t-il atteint un

point de non-retour ?

Jean Jouzel : J’estime que le réchauffement

constaté correspond à peu près à la trajectoire

envisagée il y a une vingtaine d’années, à

savoir un gain moyen de deux dixièmes de

degrés par décennie. Il est vrai que certains

indicateurs de réchauffement pointent une

accélération, mais d’autres peuvent aussi

suggérer l’inverse. Il faut prendre ces

indicateurs dans leur ensemble, et à une

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échelle décennale et globale. On observe tout

de même au quotidien des phénomènes très

visibles, particulièrement dans les régions

arctiques, où le réchauffement est environ deux

fois plus rapide que la moyenne globale. En un

demi-siècle, la région Arctique a perdu une

surface enneigée équivalente à cinq fois la

France, au moment de la fin de l’hiver. Cela

favorise l’absorption des rayons lumineux et

donc le réchauffement, au détriment de leur

réfléchissement.

Cet été, plusieurs événements de grande

ampleur ont été constatés. Au Groenland, un

bloc de glace grand comme deux fois Paris

s’est détaché de la plateforme de Petermann.

D’ailleurs, 97% de la surface du Groenland

montrait des signes de fonte en juillet, tandis

que seules les côtes étaient touchées il y vingt

ans. Et puis, dans l’Océan Arctique, la surface

glacée minimale a atteint un nouveau record à

la mi-août, battant le niveau constaté en 2007.

Et la fonte se poursuit encore jusqu’à la mi-

septembre. On se retrouve aujourd’hui avec

une surface de moins de quatre millions de

km², contre sept à huit millions, il y a un demi-

siècle.

Youth Diplomacy : On lit souvent que le

réchauffement semble plus rapide que

prévu. Du fait de la composition très large

du GIEC, ses prévisions ne sont-elles pas

nécessairement conservatrices ?

Jean Jouzel : Cela dépend sur quoi. Il est vrai

que le GIEC n’avait pas prévu une

augmentation aussi rapide de la concentration

de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. La

fonte de l’Arctique à la fin de l’été est

également beaucoup plus rapide que ne

l’avaient prévu les modèles climatiques. Je ne

pense pas que la glace disparaitra

complètement l’été en 2016…Mais d’ici 2040

ou 2050, c’est quasiment certain.

D’un autre côté, si l’on observe la température

moyenne globale entre 2003 et 2012, on

constate qu’elle n’a pas sensiblement

augmenté, bien que dans son ensemble, la

dernière décennie ait été la plus chaude qu’on

n’ait jamais connue. De même, l’élévation du

niveau de la mer, cette année, semble avoir été

plus faible que prévue. On voit donc que par

rapport aux prévisions du GIEC, certains

indicateurs peuvent évoluer plus rapidement et

d’autres plus lentement.

Youth Diplomacy : La conférence de

Durban sur le climat, en décembre dernier,

s’est donné pour objectif de trouver d’ici à

2015 un accord global contraignant qui ne

sera activé qu’en 2020. Quel fut votre

sentiment à l’issue de cette conférence, et

votre opinion a-t-elle évolué depuis ?

Jean Jouzel : Du point de vue des

négociateurs, la conférence est un succès. Ils

n’ont pas totalement tort : les Etats-Unis se

sont toujours opposés au principe d’un accord

contraignant, jusqu’à ce que les Chinois

donnent leur accord. Après quoi, les Etats-Unis

devaient suivre. Ce n’était pas gagné

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d’avance…Nathalie Kosciusko-Morizet1 était

très heureuse de l’issue des négociations.

Mais en tant que climatologue, force est de

constater qu’on est loin du compte. En 2009, à

Copenhague, les Etats avaient signé un accord

visant à ne pas dépasser un réchauffement de

2°C. Pour cela, il faudrait que les émissions

globales stagnent puis baissent dès 2020. Or,

elles n’ont jamais augmenté aussi rapidement

qu’au cours de la dernière décennie. A horizon

2020, il faut craindre un dépassement de 15%

des émissions par rapport aux objectifs.

Youth Diplomacy : En décembre aura lieu

la 18e Conférence des Parties à Doha, au

Qatar. Ce mois d’août, une conférence

préliminaire a eu lieu à Bangkok. Que nous

dit-elle sur le contenu à venir des

négociations, et sur la capacité des Etats à

s’entendre ? Quels éléments peuvent

permettre de débloquer les points

bloquants?

Jean Jouzel : Il semblerait que cette conférence

préliminaire n’ait pas permis d’avancer. La

principale difficulté vient du fait que certains

Etats estiment que l’accord de Durban leur a

été arraché de force, et veulent faire machine

arrière. On piétine…Mais c’est le propre des

négociations dans les phases préliminaires.

L’accord est prévu pour 2015 et ne se fera

probablement pas avant. D’autant plus que les

1 Nathalie Kosciusko-Morizet a été Ministre de

l’Ecologie, du Développement durable, des

Transports et du Logement de la France entre 2010

et 2012.

négociateurs souhaitent s’appuyer sur le 5e

rapport du GIEC, qui sera publié en 2013 pour

le volet scientifique et en 2014 pour

l’ensemble des autres volets et le rapport de

synthèse.

Youth Diplomacy : Lors de la conférence de

Durban, l’Europe a unilatéralement décidé

de maintenir son adhésion au protocole de

Kyoto, même après son expiration, cette

année. Au-delà du geste symbolique, qu’est-

ce que cela traduit dans la stratégie de

l’Union ?

Jean Jouzel : L’Europe a mis sur la table les

objectifs qu’elle s’était déjà imposés, à savoir

une réduction de 20% de ses émissions à

l’horizon 2020, par rapport au niveau de 1990.

Nous sommes en bonne voie : rien qu’en 2011,

les émissions ont baissé de 2,5%. L’idée d’une

baisse de 30% a également été suggérée par

l’Europe, mais uniquement si d’autres Etats

l’accompagnent. Ce qui n’est pas le cas.

Youth Diplomacy : La France a rejoint en

juillet l’initiative Clinton, qui vise à réduire

en priorité les émissions de gaz à effet de

serre les plus puissants et les plus nocifs

pour la santé, comme le méthane et les

particules. Le Canada a également rejoint

l’initiative, après avoir claqué la porte au

protocole de Kyoto. Cette démarche est-elle

un pas en avant, ou un coup de poignard

dans le dos des négociations globales ?

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Jean Jouzel : J’ai bien peur que nous soyons

dans le second cas de figure. Certes, il est plus

facile d’agir sur les émissions de méthane et

d’aérosols, et les actions proposées par ce plan

sont indispensables. Mais je me méfie de la

stratégie américaine consistant bien souvent à

éviter le problème. En l’occurrence, la

réduction des émissions de CO2, indispensable

à l’objectif des 2°C.

Youth Diplomacy : Cette initiative est

lancée au moment où le développement des

gaz de schiste bat son plein aux Etats-Unis.

N’est-ce pas paradoxal ?

Jean Jouzel : De nombreuses techniques

permettent de réduire les émissions de

méthane. J’ai récemment appris qu’en

modifiant l’alimentation du bétail, on pouvait

réduire leurs rejets de 20%, ce qui est loin

d’être négligeable. Les gaz de schistes sont

parfois présentés aux Etats-Unis comme une

alternative plus vertueuse que le charbon pour

le climat. Il est vrai que le méthane offre une

concentration énergétique double. Cependant,

les techniques d’extraction employées

produisent également des rejets, d’où un bilan

pour le climat potentiellement aussi mauvais

que celui du charbon. L’idée que le gaz de

schiste puisse être un progrès en termes de

lutte contre le réchauffement climatique reste

donc largement à prouver.

Youth Diplomacy : De toute évidence, les

espaces de négociation internationale ne

suffisent pas à rendre nos civilisations

durables. Selon vous, quels acteurs doivent

être la force motrice pour aller vers un

mode de développement plus durable ?

Jean Jouzel : Le développement sera

réellement durable lorsqu’il deviendra

économiquement durable. Or, les énergies

fossiles restent relativement bon marché. Aux

Etats-Unis, le prix du gaz a été divisé par trois.

On peut tout de même espérer faire évoluer les

choses par des initiatives locales et régionales.

Les villes travaillent à la maîtrise de l’énergie,

et c’est dans leur intérêt, sur le plan

énergétique, mais aussi vis à vis de la cohésion

sociale. En ce moment, j’enchaîne d’ailleurs

les inaugurations de plans climats, et certaines

localités comme Fribourg sont exemplaires.

Certaines entreprises jouent également le jeu.

Mais des normes et réglementations au niveau

des Etats restent indispensables pour impulser

une marche forcée vers une « société bas

carbone ».

Youth Diplomacy : Malgré le diagnostic

quasi-unanime des scientifiques, beaucoup

de citoyens continuent de douter de la

réalité du changement climatique et de son

origine humaine. Le scandale du Heartland

Institute a récemment démontré que des

personnalités influentes étaient payées par

des intérêts privés pour minimiser la réalité

du réchauffement. Qui porte la

responsabilité de ce parasitage de

l’information scientifique ?

Jean Jouzel : L’ultralibéralisme est opposé à

toute réglementation. Il porte donc

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naturellement en son sein la négation du

changement climatique, puisque accepter sa

réalité revient à admettre la nécessité de

réglementations. C’est ce que les républicains,

et certains instituts qui leurs sont liés, arborent

en soutenant des chercheurs sceptiques dans

leurs travaux.

On observe parfois des revers chez ces

groupements d’intérêt, comme ce fut le cas

pour la Fondation Charles G. Koch (du nom de

deux frères américains milliardaires de

l’industrie pétrolière et proches du Tea Party),

qui finançait le scientifique Richard Muller. Ce

dernier a d’abord dénoncé des erreurs dans la

synthèse des climatologues du GIEC. Puis,

après avoir mené ses propres estimations, il a

déclaré être arrivé aux mêmes conclusions.

En France, je pense que la démarche de Claude

Allègre, au travers de son « écologie

d’avenir»2, est en fait une « écologie

réparatrice » : « tant pis si nous faisons ces

erreurs, on les réparera après ». Or, il y a une

telle inertie dans le système climatique qu’on

fait aujourd’hui des erreurs qui auront des

conséquences dans cinquante ans ; il ne sera

plus temps de les réparer. La véritable écologie

doit être préventive : nous devons anticiper nos

erreurs.

Youth Diplomacy : Comment pouvons-nous

lutter contre cette désinformation ?

2 Ecologie d’avenir a été fondée par le scientifique

et universitaire Claude Allègre, ancien ministre

chargé de l’éducation nationale et membre de

l’Académie des sciences.

Jean Jouzel : Les sceptiques ont droit à la

parole, c’est le principe de la démocratie.

Malheureusement, ils bénéficient plus

facilement de l’écoute du public, car ils disent

ce que nous voulons tous entendre :

« continuez, il n’y a rien à changer à notre

mode de vie et de développement ». En tant

que scientifique, j’estime que mon rôle est

d’analyser la situation et de dire les choses

telles qu’elles sont, sans catastrophisme. C’est

ce que je fais en m’appuyant d’ailleurs très

largement sur les rapports du GIEC.

Youth Diplomacy : Le GIEC avait fait il y a

quelques années l’objet d’une polémique

suite à une fuite d’e-mails, alimentant les

théories de complot des climatologues.

Quels enseignements le GIEC a-t-il tiré de

cet épisode ? Quel travail a été fait sur sa

transparence ?

Jean Jouzel : Le « climategate » a fait suite à la

subtilisation d’e-mails provenant des travaux

de l’équipe du chercheur Philip Johns, de

l’Université de Greenwich. Le travail de

l’équipe concernée consiste à faire la synthèse

des données existantes, ce qui implique

notamment de corriger certains biais

statistiques. Certains extraits, pris hors

contexte, suggéraient une forme de tricherie.

Par exemple, un e-mail concernant l’épaisseur

des anneaux d’arbres propose de procéder à

une correction pour prendre en compte des

facteurs intervenant spécifiquement sur la

période récente, ce qui se trouve être une

méthode d’ajustement parfaitement

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11

documentée dans les revues scientifiques.

Toute cette affaire a fait beaucoup de bruit…

On a beaucoup moins parlé des trois audits

indépendants qui ont conclu qu’il n’y avait pas

eu de manipulation de données.

Pour autant, il arrive que le GIEC fasse des

erreurs. Ce fut le cas pour des estimations de

production de glace en Himalaya, qui

s’appuyaient sur de la littérature dite grise

(publication sans comité de lecture), en

l’occurrence des articles de journaux. Un audit

a donc été mené par l’InterAcademy Council,

suite à quoi la gouvernance du GIEC a été

renforcée et des mesures ont été prises pour

prévenir les conflits d’intérêts. Il faut rappeler

que l’organisme s’était constitué il y a vingt

ans, de façon relativement souple. Je pense que

cette évolution est tout à fait logique et

bénéfique.

Youth Diplomacy : Les débats sur les

questions de l’environnement rassemblent

généralement les mêmes groupes de

personnes déjà convaincues. Comment

intéresser l’ensemble de la population, et

notamment les jeunes ?

Jean Jouzel : Je suis attaché aux conférences

grand public, mais il est vrai qu’elles

rassemblent souvent des gens convaincus.

J’interviens aussi dans des émissions plus

grand public comme « C dans l’air », et les

climatologues ont parfois droit à la parole au

journal télévisé. Mais de façon générale, au-

delà du problème du réchauffement climatique,

je constate que le message des scientifiques a

du mal à passer au grand public.

Malheureusement, de moins en moins

d’émissions télévisées s’intéressent à la

science. Il reste quelques bonnes émissions

radio. Mais pour une bonne partie de la

population – et nous compris -, il sera toujours

difficile d’entendre que nous devons changer

de mode de développement. L’information

dans les écoles est une chose très importante.

Youth Diplomacy : Merci à vous !

Jean Jouzel : Merci en tout cas à Youth

Diplomacy de s’investir dans cette

communication !

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RESUME

Jean Jouzel est climatologue au CEA de Saclay, où il devient directeur de recherches en 1995. Il est

connu du public pour son rôle au sein du groupe scientifique du GIEC, le Groupe d’experts

intergouvernemental sur l’évolution du climat, dont il devient Vice-président en 2002 et avec lequel il

partage le prix Nobel de la Paix 2007. Dans cet entretien, M. Jean Jouzel replace dans leur contexte les

événements climatiques qui ont marqué l’été, en particulier la rapide fonte du Pôle Nord. Il partage

également son analyse des laborieuses négociations internationales sur le climat. En tant que Vice-

président du groupe scientifique du GIEC, il s’exprime sur ce qu’il considère être sa mission

d’information du public et dénonce les propos dangereusement rassurants de certains scientifiques et

personnalités dites « climatosceptiques ».

Mots-clés : Climat, Arctique, Durban, Doha, GIEC

ABSTRACT

Jean Jouzel is a long-time climatologist and Research Director at the Center for Atomic Alternative

Energies (CEA) of Saclay. Famous for his leadership on the United Nation's International Panel on

Climate Change (IPCC), he was nominated Vice President of the organization's scientific group in

2002, and therefore shared the 2007 Nobel Peace Prize with his co-workers. In this interview, M. Jean

Jouzel gives us an overview of the dramatic climatic events that took place over this summer,

particularly regarding the historical melt of Arctic sea ice. He also shares his analysis of the

preliminary negotiations on climate change that took place in September. And as representative of the

IPCC, he denounces the climate skeptics for their dangerous and irresponsible campaigns.

Keywords: Climate, Arctic, Durban, Doha, IPCC

Page 13: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

13

HHYYDDEERRAABBAADD EETT LL’’OORRCCHHEESSTTRRAATTIIOONN DDEESS NNEEGGOOCCIIAATTIIOONNSS DDEE LLAA

CCOONNVVEENNTTIIOONN SSUURR LLAA DDIIVVEERRSSIITTEE BBIIOOLLOOGGIIQQUUEE

Par Lucas BRUNET et Sylvain BOUCHERAND

Lucas Brunet est licencié de biologie à l'UPMC (Paris VI) et réalise un double master en Sciences et

Politiques de l'Environnement à l'UPMC et Sciences Po Paris. Engagé dans différents projets

associatifs au sein de Sciences Po Environnement (Paris+20, Forêt Sciences Po), Lucas Brunet a

également une expérience de recherche en ONG (BLOOM) et en instituts de recherche (IDDRI, IRD,

MNHN). Rapporteur de la Commission sur l'Environnement lors du Youth20, organisé par la

Présidence mexicaine du G20 à Puebla en mai 2012, Lucas Brunet dirige actuellement le programme

« Mondialisation et Environnement » au sein de l’association Youth Diplomacy.

Sylvain Boucherand, ingénieur RSE et Biodiversité chez B&L évolution, innove pour réintégrer

l’entreprise et l’économie au sein des écosystèmes du monde du vivant.

« C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,

À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits,

Que ton cœur écoutait le chant de la Nature

Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits »

A. Rimbaud

La biosphère imprègne profondément

le paysage et l'histoire de la planète Terre. Elle

fut, à certaines périodes, affectée par des crises

singulières. Cinq crises majeures de disparition

d'un grand nombre d'espèces rythment ainsi

l'histoire de la biodiversité de notre planète. Le

tempo de la disparition des espèces,

habituellement lent, s'accélère dans ces

périodes jusqu'à devenir infernal. Ordovicien,

Dévonien, Permien, Trias et Crétacé se

terminent par cette frénésie ; la disparition et la

perte d'un gigantesque nombre d'espèces

caractérise nos classifications géologiques,

témoin de leur impact profond et bouleversant.

L'humanité connaît aujourd'hui une

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14

sixième extinction massive d'espèces3 et en est

très probablement responsable. Plusieurs

facteurs sont habituellement attribués à cette

nouvelle crise d'extinction de l'Holocène : la

modification des habitats, le changement

climatique, les espèces envahissantes, la

surexploitation des ressources et les

pollutions4.

Pour répondre à ces enjeux croissants

d'ampleur mondiale, la convention pour la

diversité biologique (CBD) fut signée au

sommet de la Terre en 1992 avec les deux

autres conventions des Nations Unies sur le

changement climatique (CCNUCC) et sur la

désertification (CCNUD). Entrée en vigueur à

la fin de l'année 1993, la convention pour la

diversité biologique s'est progressivement

imposée dans le domaine du droit international

de l'environnement et regroupe aujourd'hui 193

États parties. Cette convention se fixe trois

objectifs principaux : conserver la biodiversité,

utiliser de manière durable ses composants et

partager équitablement et avec justice les

bénéfices issus de l'exploitation des ressources

génétiques.

La négociation de l'avant dernière

Conférence des Parties à la convention (COP

10, Nagoya, 2010) avait réussi à atteindre les

différents objectifs fixés et, ainsi, à redonner

une forme d'espoir et de vie au

multilatéralisme environnemental, notamment

3 J. A. Thomas, et al., “Comparative Losses of

British Butterflies, Birds, and Plants and the Global

Extinction Crisis”, Science 303, 1879 (2004). A.D.

Barnosky et al., “Has the Earth's sixth mass

extinction already arrived ?”, Nature 471, 2011.

4 Millennium Ecosystem Assessment, 2005.

après l'échec de la conférence de Copenhague

(COP 15 UNFCCC, Copenhague, 2009). La

dernière Conférence des Parties à la CBD,

ayant lieu tous les deux ans, vient de s'achever

en Inde à Hyderabad (COP 11, Hyderabad, du

8 au 19 octobre 2012). Quels ont été ses enjeux

et ses résultats ? Sommes-nous toujours face à

une apparente réussite des négociations

multilatérales environnementales dans le

domaine de la biodiversité ?

Une symphonie naturelle

La COP 10 de Nagoya, point d'orgue

de l'année internationale de la biodiversité

(2010) et annonciateur de la Décennie des

Nations Unies sur la biodiversité (2011-2020),

a permis des avancées importantes dans

plusieurs domaines, adoptant le fameux

package de Nagoya. Un protocole pour l'accès

aux ressources génétiques et pour le partage

des avantages issus de leur utilisation fut ainsi

accepté : le Protocole d'Accès et de Partage des

Avantages (APA) ou Protocole de Nagoya. Il

permet notamment de lutter contre le pillage

des ressources génétiques par certaines

entreprises ou firmes pharmaceutiques en

définissant des conditions d'accès et en

établissant des règles pour le partage des

bénéfices entre les utilisateurs et les

fournisseurs de ces ressources. Ce protocole

représente aussi une avancée importante dans

la reconnaissance du droit des populations

locales en considérant les savoirs écologiques

locaux associés à ces ressources génétiques.

Page 15: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

15

Un plan stratégique pour lutter contre

l'érosion de la biodiversité a aussi été adopté,

comprenant les vingt Objectifs d'Aichi. Ces

objectifs ambitieux visent à stopper l'érosion

de la biodiversité, initialement fixé pour 2002

par les Nations Unies, et proposent notamment

d'éliminer ou de réformer les subventions

néfastes à la biodiversité (objectif 3) ou de

protéger, d'ici 2020, 17% des espaces terrestres

et 10% des espaces marins (objectif 11). Mais

la question vitale des financements pour

parvenir à la mise en place de ces stratégies

n'avait pu être complètement tranchée.

Dès lors, parvenir à un accord sur les

mécanismes de financement internationaux

pour la protection de la biodiversité constituait

un des enjeux principaux de la Conférence

d'Hyderabad. Le protocole APA, voté à

Nagoya, n'avait aussi été ratifié que par un très

faible nombre d'États (le Gabon, la Jordanie, la

République Populaire Démocratique du Laos,

le Mexique, le Rwanda et les Seychelles),

malgré l'ensemble conséquent d'États

signataires (92).

La conférence d'Hyderabad devait

donc constituer un autre temps fort dans les

négociations internationales pour la protection

de la biodiversité : passer de l'apport de

nouvelles idées et de nouveaux textes (policy

making) à la question des conditions de leur

application (implementation). La COP 11 a

permis l'adoption d'un certain nombre de

décisions, au total de 33, qui répondent aux

problèmes non résolus de Nagoya.

Tout d'abord, il convient de constater

que le problème du financement, refrain

classique des négociations internationales dans

le domaine de l'environnement, cristallise

l'opposition entre les Pays Développés à

Économie de Marché (PDEM) (UE, Japon

etc.) et les Pays En Développement (PED).

Certes, les PED sont prêts à accepter certains

changements dans leur développement, tâche

d'autant plus nécessaire qu'ils sont les

détenteurs d'une majeure partie de la

biodiversité, mais ils réclament en contrepartie

une aide des PDEM du fait du principe de

responsabilités communes mais différenciées

de la conférence de Rio 92 et de la coopération

Nord-Sud. Le groupe G77/Chine et le Mexique

ont ainsi souligné la nécessité de parvenir à la

mise en place d'un tel mécanisme pour

exécuter leurs engagements5. Ce centre

névralgique des négociations a occupé la plus

grande partie de l'agenda et du temps de la

conférence. Un compromis fut cependant

trouvé le lendemain de la date officielle de

clôture.

Si les PDEM ont finalement accepté

d'augmenter leurs flux de financement liés à la

biodiversité, en les doublant d'ici 2015 et en les

maintenant à ce niveau jusqu'à 2020, ils ont

obtenu que la performance de l'utilisation de

ces fonds soit évaluée en accord avec les

Objectifs d'Aichi. Ce compromis très

important, fixant pour la première fois un

5 “Summary of the Eleventh Conference of the

Parties to the Convention on Biological Diversity”,

Earth Negotiation Bulletin, International Institute

for Sustainable Development, Volume 09, Number

595 - 22 October 2012.

Page 16: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

16

objectif financier chiffré en faveur de la

biodiversité, oppose la difficulté pour les

PDEM de s'engager financièrement en

contexte de crise économique et financière et

la volonté des PED de conserver leur

souveraineté sur l'utilisation de ces ressources.

Les PED ont d'ailleurs précisé que ce type de

monitoring pour l'utilisation des ressources

financières ne devait s'étendre à d'autres

accords environnementaux et était spécifique

aux forts problèmes de financement de la

biodiversité.

D'autres avancées significatives ont été

enregistrées, notamment dans le domaine de la

désignation d'aires marines protégées, étape

nécessaire pour parvenir aux Objectifs d'Aichi,

grâce à la description de nombreuses aires

marines écologiquement et biologiquement

représentatives (EBSA). De nouvelles

guidelines ont aussi été adoptées pour la

conduite des évaluations d'impacts sur

l'environnement dans les espaces marins au-

delà des juridictions nationales, contribuant à

accentuer l'importance actuelle de ce sujet

normalement débattu au sein de l'Assemblée

Générale des Nations Unies et abordé sans

solution à Rio+20.

Néanmoins, peu de solutions ont été

trouvées pour répondre aux autres enjeux.

L'opposition entre les PED et les PDEM au

sujet l'établissement d'indicateurs pour évaluer

la gestion de REDD+ et ses conséquences

demeurent. Les PED soutiennent en effet

qu'une évaluation est déjà conduite par les pays

au niveau national et que le coût de son

établissement desservirait l'intérêt de la

sauvegarde d'autres espaces forestiers. En fait,

les délégués refusent que les compétences de la

CBD empiètent sur ce sujet actuellement

débattu au sein de la CCNUCC. La

considération de l'effectivité de ce mécanisme

d'un point de vue écologique serait pourtant

nécessaire. De même, d'autres sujets comme la

géo-ingénierie et la biologie de synthèse ont

été repoussés à la prochaine COP.

L'objectif majeur de la COP reste

cependant atteint avec le fort compromis pour

la mise en place d'un mécanisme de

financement. Le concert des Nations a donc

fonctionné, résonnant comme une symphonie

naturelle où chaque participant, tout comme

chaque être vivant, occupe une place

primordiale dans l'élaboration du tout. Dans

cette même dynamique de réussite, plusieurs

pays ont annoncé la ratification du protocole

de Nagoya comme la France pour 20136,

accompagnée progressivement par l'ensemble

de l’UE7.

Cacophoniques échos

Finalement, face aux capacités des

dernières COP CBD (Nagoya et Hyderabad) à

répondre aux enjeux fixés, on peut s’interroger

6 Discours Delphine Batho, Ministre de l'Écologie,

du Développement durable et de l'Énergie,

Hyderabad 2012.

7 Proposal for a Regulation of the European

Parliament and of the Council on Access to Genetic

Resources and the Fair and Equitable Sharing of

Benefits Arising from their Utilization in the Union,

European Commission, Brussels, October 2012.

Page 17: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

17

sur les raisons de tels succès, du moins

apparents et sur ces prétendues preuves du bon

fonctionnement du multilatéralisme

environnemental.

Tout d'abord, il convient de constater

que les COP s'adressent à des problèmes plus

spécialisés et plus techniques que les grandes

conférences comme celle de Rio+20 qui

peinent actuellement à sortir de simples

déclarations formelles de principe. Les enjeux

peuvent donc être négociés de manière plus

précise et plus appropriée et la place

primordiale des groupes de scientifiques

comme l'Organe subsidiaire chargé de fournir

des avis scientifiques, techniques et

technologiques de la CBD augmente la qualité

des informations disponibles.

Le contexte du déroulement des deux

COP pourrait aussi jouer un rôle important

dans le succès de ces négociations. L'échec de

la conférence de Copenhague sur le

changement climatique (COP 15 CCNUCC)

avait précédé la COP 10 de Nagoya, où les

différents délégués s'étaient acharnés pour

parvenir à l'accord sur ce package, tous

désirant croire et prouver que le

multilatéralisme environnemental n'était pas

mort. De même, la conférence d'Hyderabad

suit la conférence de Rio+20, perçue par un

grand nombre d'acteurs comme n'ayant pas

réussi à redonner un nouveau souffle à la

gouvernance mondiale du développement

durable et de l'environnement. On peut donc

penser que le fort compromis obtenu pour la

mobilisation des ressources financières était

aussi une preuve de l'existence d'une

coopération toujours possible entre les PED et

les PDEM.

De plus, la faible médiatisation de ces

COP, inférieure à celles sur le climat, est un

atout. Elle laisse une marge de manœuvre

primordiale aux négociateurs et évite de

cristalliser leurs positions à cause d'une

pression nationale trop forte, pouvant mener à

des échecs complets comme pour la très

médiatisée COP de Copenhague (COP 15).

L'absence des États Unis comme État Partie à

la CBD enlève aussi un poids non négligeable

aux négociations. Cependant, si ces

négociations semblent être de réels succès, une

analyse approfondie révèle en fait d'importants

manques et la persistance de certaines

faiblesses8.

Des faiblesses au niveau des textes

persistent et les rendent partiellement

inappropriés. Le protocole de Nagoya APA ne

tranche pas sur un certain nombre de sujets

importants comme l'implication des produits

dérivés des ressources biologiques ou

génétiques, sa relation avec d'autres

instruments internationaux sur l'échange de

ressources génétiques comme pour les vaccins

au sein de l'OMS et la mise en place de

mécanismes de surveillance de sa bonne

application.

Certains objectifs, bien que

nécessaires, ne semblent pas pouvoir être

atteints et pourraient donc illustrer des

8 Billé, R et al. (2012), “The 11th Conference of

the Parties to the CBD: a return to normalcy in

Hyderabad?”, Policy Briefs, n° 14/2012, IDDRI,

2012.

Page 18: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

18

décisions prises sans réel apport

complémentaire à leur bonne application ou

sans réelle considération de la complexité des

problèmes. Ainsi, l'objectif 3 d'Aichi portant

sur la réforme et la suppression des

subventions néfastes à la biodiversité ne

pourrait être atteint, même avec l’opportunité

offerte par la crise économique, pour des

raisons de coût politique trop important à

porter.

Enfin, l'accroissement des ressources

financières des PDEM pour les PED ne

pourrait former qu'une simple déclaration de

principe face aux réels besoins. De 2014 à

2018, la mise en œuvre des objectifs d'Aichi

dans les PED pourrait en effet demander de 74

à 191 milliards de dollars, somme très

différente des cinq milliards de dollars par an

d'aide supplémentaire qui sera apportée suite à

la décision d'Hyderabad.

Les négociations des COP CBD

affichent ainsi, par leur apparent succès,

certaines touches d'optimisme dans le

multilatéralisme environnemental qui semble

bloqué pour certains, voire inefficace et mort

pour d'autres. Mais, si les négociations des

COP CBD présentent certaines originalités qui

pourraient expliquer leur réussite, elles ne

semblent pas pouvoir pleinement répondre au

problème de l'érosion de la biodiversité,

notamment au sujet de la mobilisation des

financements. Finalement, le réel succès de ces

négociations pourrait aussi provenir du

manque de clarté des objets négociés et de

l'absence d'engagements vraiment

contraignants.

Néanmoins, le chant de ces

conférences rejoint et épouse celui de la

biodiversité. Certes, les avancées sont lentes et

majoritairement non substantielles, mais les

problèmes se construisent progressivement et

la capacité évolutive du vivant reste non

immuable dans le temps. La conservation

pourrait ainsi parvenir à son objectif de

préservation du vivant, sans pour autant

« mettre sous cloche » ce qu'elle protège. Reste

seulement le problème du tempo : la vitesse

des décisions pourra-t-elle répondre à la

vertigineuse disparition des espèces ?

Page 19: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

19

ZOOM : Les problèmes de financement de la protection de la biodiversité,

par Sylvain BOUCHERAND

Afin de stopper la perte de

biodiversité, la stratégie adoptée a été la

création de « zones protégées ». Il s’agit de

« zones clairement délimitées

géographiquement, reconnues, dédiées et

gérées à l’aide d’outils notamment légaux,

dans le but de permettre une conservation sur

le long-terme de la nature et des services

écologiques associés ainsi que leurs valeurs

culturelles »9.

En 2011, la surface des zones protégées

atteignait environ 12% du total des terres et

0,5% de la surface totale des océans. Bien que

cela représente une augmentation de 60%

depuis les années 1990, il reste à faire des

efforts considérables pour atteindre en 2020 les

objectifs de surfaces en zones protégées de

respectivement 17% et 10%.

Les études montrent que l’on dépense

actuellement environ 0,8 milliards de dollars

pour gérer ces aires protégées. Cependant, rien

que pour la gestion de base des sites et leur

gestion administrative, le coût estimé serait de

près de 1,8 milliards de dollars en 2004 et

devrait être supérieur aujourd’hui. Ce manque

de financement ne permet pas de développer

des projets et activités qui sortent de la gestion

basique des sites et qui seraient pourtant

nécessaire dans une perspective de

conservation de la biodiversité. Ceci sans

9 Voir http://www.uicn.org/.

compter que la création de nouvelles zones

protégées devrait coûter plus de 9 milliards de

dollars par an !

Il est pourtant extrêmement rentable d’investir

dans ces zones. Il a par exemple été démontré

qu’à Madagascar, la gestion du réseau d’aires

protégées coûtant 18 millions de dollars par an

et générerait plus de 20 millions de dollars par

an en valeur de non consommation directe,

usages indirects et valeur de non-usage.

Il semble donc pourtant clair que le bon

fonctionnement des écosystèmes génère des

bénéfices et bienfaits considérables à notre

société, bien plus élevés que les besoins en

financement nécessaires à leur gestion.

Page 20: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

BILBIOGRAPHIE

Articles

BARNOSKY A.D. et al., “Has the Earth's Sixth Mass Extinction Already Arrived?”, Nature 471,

Mars 2011, http://www.nature.com/nature/journal/v471/n7336/full/nature09678.html

BILLE R. et al., “The 11th Conference of the Parties to the CBD: a return to normalcy in

Hyderabad?”, Policy Briefs, n° 14/2012, IDDRI, 2012, http://www.iddri.org/Publications/La-11e-

Conference-des-Parties-a-la-CDB-retour-a-la-normale-a-Hyderabad.

BRUNER A. et al., “Financial Costs and Shortfalls of managing and Expanding Protected-Area

Systems in Developing Countries”, BioScience, Vol. 54, Issue 12, December 2004.

FEGER C., PIRARD R., Assessing funding needs for biodiversity: Critical issues (IDDRI)

JAMES A. et al., “Can we Afford to Conserve Biodiversity?”, Bioscience, January 2001, 51, 2001.

THOMAS J.A., et al.,“Comparative Losses of British Butterflies, Birds, and Plants and the Global

Extinction Crisis”, Science 303, 1879, 2004.

Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on Access to Genetic

Resources and the Fair and Equitable Sharing of Benefits Arising from their Utilization in the Union,

European Commission, Brussels, October 2012.

“Summary of the Eleventh Conference of the Parties to the Convention on Biological Diversity”,

Earth Negotiation Bulletin, International Institute for Sustainable Development, Volume 09, Number

595 - 22 October 2012.

Sites

The Convention on Biological Diversity, 1992, http://www.cbd.int/convention/.

International Union for Conservation of Nature, www.iucn.org.

Institute for European Environmental Policy, www.ieep.eu.

Millennium Ecosystem Assessment, 2005.

Objectifs d'Aichi, Plan stratégique 2011-2020, http://www.cbd.int/sp/targets/.

Protocole d'Accès et de Partage des Bénéfices (Protocole de Nagoya), http://www.cbd.int/abs/.

Page 21: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

21

RESUME

Face à la sixième crise globale d'extinction de la biodiversité, des solutions internationales sont

proposées par le multilatéralisme environnemental, notamment à travers la Convention pour la

Diversité Biologique. Une analyse des avancées des deux précédentes conférences des parties à cette

convention permet d'identifier un changement de dynamique, l'objet des négociations passant de

l’apport de nouvelles idées, à la réflexion sur les conditions de leur application. Nous discutons dans

cet article du succès apparent des négociations sur la biodiversité, en opposition avec les difficultés

générales du multilatéralisme environnemental. L'adoption du package de Nagoya et le compromis sur

les questions de financement de la protection de la biodiversité d'Hyderabad illustrent cette tendance.

Mots-clés : Convention pour la Diversité Biologique, extinction, financement, Hyderabad,

négociations.

ABSTRACT

Faced with the sixth global biodiversity extinction crisis, international solutions are proposed by

environmental multilateralism, mainly through the Convention on Biological Biodiversity. An analysis

of the last two conferences of the State parties’ achievements highlights a change in the negotiation

process dynamic, the object of the negotiations shifting from the mere input of new ideas to the

conditions of their implementation. We shall discuss the reasons for the biodiversity negotiations'

apparent success, which goes against the current trend in environmental multilateralism, primarily

focusing on the adoption of the Nagoya package and the Hyderabad's compromise on biodiversity

conservation funding.

Keywords: Convention on Biological Diversity, extinction, funding, Hyderabad, negotiations.

Page 22: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

22

LLEESS NNEEGGOOCCIIAATTIIOONNSS CCLLIIMMAATTIIQQUUEESS :: OOPPPPOORRTTUUNNIITTEE PPOOUURR RREEVVOOIIRR

LLEESS MMOODDEESS DDEE CCOOOOPPEERRAATTIIOONN IINNTTEERRNNAATTIIOONNAALLEE ??

par Clémence GRANVEAU

Clémence Granveau est actuellement en Master II de Relations Internationales à l'Institut d’Études

Politiques de Lille. Elle est l’auteur d'un mémoire de recherche consacré au Forum Mondial de l'Eau

de Marseille 2012 : « De la coopération à la confrontation. Regards sur le sixième Forum Mondial de

l'Eau ».

« Les accords internationaux en écopolitique ne

constituent pas des fins en eux-mêmes, mais initient des

processus1»

Philippe Leprestre

Suite à la conférence de Rio+20 en juin

dernier, de nombreuses voix se sont élevées

pour manifester leur déception quant à ce qui

est apparu comme un échec de la communauté

internationale à renouveler l’engagement

1Philippe Lepresle, Protection de l'environnement

et relations internationales. Les défis de

l'écopolitique mondiale, Paris, Armand Colin,

2005, p. 194.

politique à long terme en faveur du

développement durable. En effet, les dernières

grandes conférences internationales sur le

climat ont échoué à prendre des engagements

concrets. Désormais il ne suffit plus de mettre

en place une dynamique internationale de

coopération sur le climat, mais de s'entendre

sur la mise en place d'un régime international

climatique véritablement contraignant. Depuis

la conférence de Rio en 1992, puis l'adoption

du Protocole de Kyoto en 1997, le contexte

international et les enjeux des négociations ont

évolué à un point tel que la question

Page 23: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

23

environnementale englobe les principaux défis

du siècle : gestion des ressources naturelles,

sécurité et paix internationale, échanges

économiques entre autres. Les négociations à

ce sujet se heurtent à des obstacles

particulièrement complexes.

L’analyse des négociations climatiques

de Rio 1992 à Rio 2012 souligne que ces

dernières se trouvent aujourd’hui dans une

impasse. Toutefois, des solutions existent et

elles impliquent, entre autres, de revoir le

processus même des négociations, sur la forme

comme sur le fond. Cet article se propose donc

de revenir sur les écueils et problèmes

rencontrés lors des négociations climatiques de

Rio 1992 à Rio 2012, leur étude permettant

ensuite d'élaborer plusieurs stratégies visant à

donner un nouvel élan à la coopération

internationale sur le climat.

Les négociations climatiques victimes

d’obstacles inhérents à la coopération

internationale

Les négociations climatiques sont

soumises aux mêmes procédés que toute

négociation internationale, et connaissent les

mêmes étapes dans leur déroulement. Elles

passent par des phases de conflit structuré –

problem solving2, et de conflit non structuré –

2 « Dans laquelle les parties prenantes partagent

des valeurs et des objectifs collectifs mais ne sont

pas d'accord sur les instruments à utiliser ». Voir

Sophie Thoyer, « Dynamique des négociations

internationales environnementales : jeux d'acteurs

et interactions verticales. Le cas des négociations

sur la biodiversité », Idées pour le débat,

n°07/2002, IDDRI, 2003, disponible en ligne

problem finding3. En effet, les premières

négociations climatiques relevaient du problem

finding dans la mesure où les Etats parties

n’étaient pas d’accord sur le diagnostic de la

situation, c’est-à-dire sur les conséquences

avérées du changement climatique et leur

véracité scientifique. Aujourd’hui, ces derniers

essaient de structurer le conflit en tentant de

définir les valeurs et le cadre d’un régime

international du climat.

Cela implique premièrement des

étapes d'apprentissage4 dans lesquelles les

parties prenantes doivent établir les objectifs et

instruments sur lesquels portera la négociation

(par exemple, la réduction des émissions de

gaz à effet de serre (GES) par un système de

crédit carbone), ensuite des étapes de

coordination, visant à déterminer les modalités

pratiques, ainsi que les objectifs et instruments

(la structure du marché, l’allocation des permis

et crédits etc.). A ce jour, les Etats se trouvent

face à des conflits « semi structurés 5» : les

parties trouvent un accord sur les objectifs ou

sur les instruments, mais ne parviennent pas à

une solution complète.

Dès la fin des années 1970,

l'environnement devient une préoccupation

politique6. Le Sommet de la Terre, en 1992, a

marqué la nécessité de mettre en place un

http://www.iddri.org/Publications/Collections/Idees

-pour-le-debat/id_0207_thoyer.pdf

3

« Dans lesquelles les parties prenantes ne

convergent pas sur le diagnostic de la situation, les

valeurs sous-jacentes et les objectifs restant à

définir », Sophie Thoyer, Op.cit.

4 Ibid.

5Ibid.

6 Avec la publication en 1962 du livre de Rachel

Carson, Silent Spring (Houghton Mifflin, 1962), et

la tenue de la première conférence des Nations

Unies sur le Climat à Genève, en 1979.

Page 24: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

24

cadre de négociations mondiales pour la

sauvegarde de la planète. Suite à cette prise de

conscience, l’adoption de la Convention-cadre

des Nations Unies sur le changement

climatique à Rio en 1992, puis du protocole de

Kyoto en 1997, ont marqué les débuts de la

coopération internationale sur le climat.

Toutefois, cette démarche n’est pas allée sans

heurts ; en effet, si le Protocole de Kyoto fut

signé en 1997, il n’est entré en vigueur qu’en

2005, soit après que les cinquante-cinq pays

requis l’aient effectivement ratifié. On

distinguera donc ici les conférences

internationales sur le climat des conférences

des parties, chargées de négocier les modalités

d'application effective des engagements signés

et ratifiés par les Etats.

Le Protocole expirant en 2012, les

Etats se sont préoccupés dès 2002 de l’

« après-Kyoto », et ont ainsi ouvert un cycle de

conférences qui a commencé à Montréal en

2005, et qui se poursuit encore aujourd’hui. La

conférence de Bali de 2007 a abouti à une

feuille de route formalisant les points de

négociation pour la conférence de Copenhague

de 2009. Néanmoins, la quinzième Conférence

des parties (COP) n’a pas permis l’émergence

d’un nouvel accord faute de consensus entre

les Etats. En effet, la déclaration de

Copenhague affirmait la nécessité de limiter le

réchauffement planétaire à 2°C par rapport à

l’ère préindustrielle, mais ne comportait aucun

engagement chiffré de réduction des émissions

de GES. A Durban, en 2011, les Etats sont

parvenus à adopter une feuille de route pour un

accord prévoyant d’établir d’ici à 2015 un

pacte global de réduction des émissions de

GES, dont l'entrée en vigueur est prévue à

l'horizon 2020. Ce texte englobait pour la

première fois tous les pays dans la lutte contre

le réchauffement climatique, notamment les

plus gros pollueurs, parmi lesquels la Chine,

l'Inde et les Etats-Unis. Néanmoins, il ne

prévoyait ni contrainte juridique, ni hausse du

niveau des mesures pour réduire les émissions.

La déclaration précisait également de rallonger

la durée du Protocole de Kyoto, créant ainsi

des tensions entre l’Union Européenne,

favorable à cette disposition, et le Canada, le

Japon, ou encore la Russie, opposés à cette

mesure. Un groupe de travail chargé d’étudier

les solutions à mettre en œuvre d’ici à 2020 y

fut également créé. Ce dernier s’est réuni à

Bonn en 2012, avant le sommet mondial de

Rio, au mois de juin, afin de préparer le

document qui sera négocié en 2015 par les

Etats parties au Protocole.

Nous envisagerons ici le processus

des négociations climatiques, dont les

conférences internationales sur le climat ne

donnent qu'une photographie à un instant « t ».

Les déclarations finales signées par les chefs

d’Etat et représentants de gouvernements ne

reflètent pas les processus de négociations

informelles en amont et en aval de chaque

conférence. Celles-ci ont pourtant un rôle

essentiel dans la mise en œuvre des accords et

préparation des documents de travail.

De Rio 1992 à Rio 2012, plusieurs

facteurs sont venus influencer les

négociations ; certains sont exogènes

(catastrophes naturelles, incidents industriels),

d'autres relèvent du contexte international ou

encore d'un changement de perception des

Page 25: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

25

acteurs selon les opportunités qui se sont

présentées à eux, ou un changement subit. A ce

titre, le retrait des États-Unis du Protocole de

Kyoto, l'entrée de la Russie, l'influence

croissante du groupe scientifique du GIEC7,

mais aussi les transformations économiques

ont largement influencé le déroulement et

l'avancée des discussions sur le climat8.

L'étude des négociations et leurs résultats

permettent d'identifier plusieurs blocages qui

empêchent l'établissement de cibles chiffrées

favorisant la mise en place d'un régime

climatique international contraignant.

Premièrement, l'arène de négociation

pour la mise en place d'une coopération

internationale en faveur du climat est souvent

utilisée comme un espace de discussion pour

d'autres revendications : principalement une

redite des négociations Nord/Sud au sujet des

aides au développement9. Qu'il s'agisse des

ressources naturelles ou de droits d'émissions

et d'exploitations, l'environnement est un

terrain d'affrontement qui dépasse la

sauvegarde de l'atmosphère : les États parties

se montrent réticents à l’idée de perdre des

parts de marché ou de céder sur leur

souveraineté. A l'heure actuelle les

négociations sont paralysées par plusieurs

types d' « affrontements » entre pays. D'une

7 Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le

Climat.

8 A titre d'exemple, le retrait des États-Unis a

permis à l'Union Européenne de s'affirmer comme

leader des négociations à Bonn et à Marrakech.

L'entrée de la Russie suite aux négociations menées

par l'UE a largement contribué à atteindre les 55%

d'émissions nécessaires à l'entrée en vigueur du

Protocole.

9 Voir Andrew Jordan, « Financing the UNCED

Agenda : The Controversy over Additionality »,

Environment, 36, 1994, p.16-20, 26-34.

part selon le rapport de forces économiques,

entre économies développées et économies

émergentes, et d'autre part entre États engagés

en faveur du climat pour des motifs

idéologiques, et les parties prenantes pour

lesquelles il n'est pas question de remettre en

cause les fondements du modèle économique

actuel. L’exemple de la Bolivie en est

l’illustration car les négociations sur le climat,

et particulièrement la définition de l’économie

verte, constituent autant de moments pour

invoquer la nécessité de revoir le système

capitaliste actuel. Ce débat précis permet par

exemple à l’Etat bolivien de se positionner

comme modèle et leader d’une économie

alternative plus respectueuse de la planète.

La question de l'équité10

constitue

également une pierre angulaire des

négociations climatiques. La responsabilité

« commune mais différenciée » des pays est

reconnue depuis 1992, mais la répartition de

l'effort pose un problème majeur. En effet, les

États-Unis demandent une application

conjointe de certains outils et instruments

prévus (comme les mesures de réduction des

GES), tandis que les économies émergentes ou

en développement s'y opposent. C’est

notamment la raison pour laquelle ont été créés

les Mécanismes de Développement Propre.

Comme l'expliquent Sandrine Maljean-Dubois

10 « L'équité est un principe invoqué pour justifier

un traitement juridique différencié des États du

Nord et des États du Sud, lequel traitement

différencié se concrétise notamment par une

allocation différenciée des charges et des coûts »,

Sophie Maljean-Dubois, Mathieu Wemaëre, La

diplomatie climatique .Les enjeux d'un régime

international du climat, Paris, Editions A. Pedone,

2010, p.153.

Page 26: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

26

et Mathieu Wemaëre11

, « les pays en

développement l'envisagent sous l'angle du

partage équitable de l'espace de

développement, et donc du budget carbone,

tandis que les pays développés, eux, le voient

principalement comme un problème technico-

économique qui peut être résolu notamment en

recourant aux marchés et au financement

international ».

Enfin, un élément décisif est à l'origine

de l'impasse actuelle des négociations

climatiques : l'aversion à la contrainte. Les

États se montrent effectivement peu disposés à

s’engager et cela pour plusieurs raisons : les

intérêts économiques figurent évidemment en

première ligne, mais le droit de gestion des

ressources naturelles (contrôle des bassins,

accès aux ressources) ou encore la délimitation

des frontières motivent également leur refus.

Par conséquent, les parties prenantes ne sont ni

en mesure de coopérer entre elles, et encore

moins capables de coordonner leurs actions.

Si l'incertitude scientifique est une des

raisons principales du manque de contraintes et

d'engagements concrets dans la Convention

Cadre, les travaux du GIEC et les scénarios

élaborés par de nombreuses autres institutions

ont largement réduit la part d'incertitude des

négociateurs et leur ont permis de négocier à

partir d'objectifs et d'échéances

scientifiquement fondés. Les États oscillent

néanmoins entre posture défensive et aversion

commune : au pire, ils préservent leur intérêt

au détriment de l'intérêt commun, au mieux ils

11 Sophie Maljean-Dubois, Mathieu Wemaëre, Op.

cit., p.153.

agissent pour éviter un résultat12

plus que pour

œuvrer en faveur d'un objectif13

. L'écueil de

l'attitude défensive est d'alimenter le conflit, de

réduire la confiance mutuelle et, par

conséquent, de conduire à la défaite. Par

ailleurs, le défi posé par l’aversion commune

est celui de la coordination, puisque les États

choisissent tous en fonction des autres. Dans

ce cas de figure, « les États choisissent des

stratégies, pas des résultats14

», ce qui

explique la faible avancée des négociations.

Le climat, « laboratoire » de la refonte de

la coopération mondiale ?

Plusieurs solutions peuvent être

envisagées pour que les négociations

climatiques débouchent sur un accord

satisfaisant pour les années à venir, c'est-à-dire

un texte qui implique toutes les parties

prenantes, imposant des objectifs chiffrés, ainsi

qu’une réelle observance.

Pour atteindre ces objectifs, une

révision des moyens dits classiques de

coordination internationale pourrait être

envisagée. Premièrement, les négociations

pourraient se situer hors-cadre onusien. A ce

titre, l’émergence d’un multilatéralisme à

moindre échelle – régionale, ou de « club »,

représente l’occasion de mettre en place des

12 A savoir le dépassement du seuil limite de 2° C

du réchauffement climatique.

13

Il s’agit d’une réduction significative des

émissions de gaz à effet de serre et d’une réelle

transition.

14

Philippe Lepresle, Protection de l'environnement

et relations internationales. Les défis de

l'écopolitique mondiale, Paris, 2005, Armand

Colin, p. 288.

Page 27: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

27

négociations et des systèmes contraignants

effectifs. En effet, les valeurs et/ou intérêts

communs de certains clubs – le G8, le G20, ou

organisations régionales peuvent favoriser

l’émergence d’un consensus entre Etats et

permettre ainsi un gain de temps tant dans les

négociations que dans la mise en œuvre et le

suivi des mesures contraignantes15

.

Il serait également possible d'envisager

des solutions autres qu'inhérentes au format

des négociations. Si jusque-là les États parties

aux négociations sont si réticents, c'est qu'ils

n'ont de cesse de repousser l'échéance : les

accords de Marrakech et de Bonn ont éliminé

toute question conflictuelle des déclarations

finales, ce qui explique leur apparent succès16

.

Par ailleurs, la déclaration de Durban repousse

l'entrée en vigueur d'un nouveau texte à 2020.

Par conséquent, les intérêts économiques

pourraient être utilisés comme des moteurs de

négociation, et non plus comme des freins

majeurs. On pourrait alors suggérer d’établir

un prix pour le CO2, et de répercuter celui-ci

sur le coût de l’énergie.

En se référant au rapport Stern sur

l’économie du changement climatique, on

observe que de nombreux arguments

conduisent à envisager l’internalisation des

coûts dans le processus de décision politique.

15 Voir James P Muldoon Jr., JoAnn Fagot, Aviel,

Richard Reitano, Earl Sullivan (Eds.), The New

Dynamics of Multilatralism: Diplomacy,

International Organzations and Global

Governance », Westview Press, 2010. 16

En effet, les points de discorde à l’origine de

l’échec du sommet de La Haye sont exclus des

discussions à Bonn et Marrakech : les mécanismes

de Kyoto, les puits de carbone, l’observance, les

transferts technologiques et l’aide aux pays en

développement.

Ainsi, une meilleure coopération sur le climat

contribuerait à pérenniser l’économie

mondiale, voire à en ouvrir de nouvelles

perspectives. Toutefois, il n’est pas garanti que

l’intégralité des éléments composant le régime

climatique – et a fortiori, l’environnement dans

sa globalité, seraient ainsi couverts. Quoiqu’il

en soit, la gestion de la contrainte climatique

ne pourra être construite sans revoir la

gouvernance économique mondiale, ni

indépendamment du commerce mondial.

Quelle que soit l'issue des futures

négociations attendues à la 18ème

conférence

des parties à la CCNUCC17

à Doha en 2012,

force est de constater qu’il importe plus que

jamais de donner un nouveau souffle aux

négociations internationales sur le climat.

C’est dans cette optique qu’il apparaît alors

pertinent de revoir autant les modes de

négociations que le cadre des discussions. La

question environnementale apparaît alors

comme un terrain favorable à la mise en place

de modes de coopération novateurs, plus

flexibles et efficaces dans la mise en place et le

suivi des actions.

Ce nouvel élan importe d’autant plus

que les échecs successifs ternissent l’image de

la politique du climat, qui vient à manquer de

soutien auprès de la société civile. Les parties

prenantes ont donc désormais à charge de

trouver sur quelles valeurs et quels principes

poser les bases du régime climatique global de

l’après Kyoto.

17

Convention Cadre des Nations Unies sur le

Changement Climatique.

Page 28: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

BILBIOGRAPHIE

LEPRESLE P., Protection de l'environnement et relations internationales. Les défis de l'écopolitique

mondiale, Armand Colin, Paris, 2005.

MALJEAN-DUBOIS S., WEMAËRE M., La diplomatie climatique .Les enjeux d'un régime

international du climat, Editions A. Pedone, Paris, 2010.

OUAHRON A., « Les négociations sur le climat : un bref retour sur l'histoire », Flux, 2002/2 n° 48-49,

p. 100-106.

CORNUT P., « Petit historique de la Convention climat et des négociations climat », Les Cahiers de

Global Chance, n°8, Juillet 1997.

THOYER S., « Dynamique des négociations internationales environnementales : jeux d'acteurs et

interactions verticales. Le cas des négociations sur la biodiversité », Idées pour le débat, n°07/2002,

IDDRI, 2003.

Page 29: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

29

RESUME

Depuis plusieurs années, les négociations climat peinent à aboutir sur des engagements forts et

contraignants, pourtant nécessaires à la « sauvegarde de la planète ». Si la conférence de Rio en 1992 a

initié une dynamique internationale essentielle (mise en place de protocoles sectoriels, de conventions

régionales et internationales), les Etats ne sont pas parvenus à mettre en place une politique climatique

globale efficace; de fait, les négociations n’en sont que plus enlisées dans les conflits d’intérêts. Les

échecs successifs de Copenhague, Durban et enfin Rio 2012 à s'engager dans cette voie soulignent

l'impasse dans laquelle se trouvent actuellement les négociations. Cet article se propose donc

d'analyser les raisons de ce blocage, pour dégager plusieurs solutions, parmi lesquelles une

reconfiguration des modes de coopération internationale multilatérale.

Mots-clés : Climat, Négociations, Multilatéralisme, Rio, Environnement

ABSTRACT

The failure of global climate negotiations has become well-acknowledged: so far, states have not

succeeded in reaching any binding agreement aiming at “saving the planet”. Despite the dynamic set

up by the Rio conference in 1992 – implementation of global conventions, sectorial agreements and

regional treaties, the global climate policy has proved to be a tricky issue to address and negotiations

have become more and more embroiled in conflicts of interest. The successive setbacks of the

Copenhagen, Durban and finally the Rio 2012 conferences are all but the umpteenth proof of the

current need of renewal, not to say a boost, of international cooperation on climate change. Therefore,

this article intends to study the reasons of this stalemate, so as to highlight potential solutions. We will

particularly focus on the reshaping of global climate negotiations, both in form and content.

Keywords: Climate, Negociations, Multilatralism, Rio, Environment

Page 30: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

30

HHUUMMAANN RRIIGGHHTTSS AANNDD CCLLIIMMAATTEE CCHHAANNGGEE:: TTOOWWAARRDDSS TTHHEE

EEMMEERRGGEENNCCEE OOFF EENNVVIIRROONNMMEENNTTAALL HHUUMMAANN RRIIGGHHTTSS??

Par Morgane DUSSUD

Après des études en relations internationales à l'Institut d'Études Politiques de Lyon, Morgane Dussud

est actuellement engagée dans un Master Erasmus Mundus sur la pratique des droits de l'homme,

organisé conjointement par les universités de Göteborg (Suède), Tromsø (Norvège), et Roehampton

(Londres, UK). Ses domaines actuels de recherches sont les droits de l'homme et les enjeux humains

liés au réchauffement climatique.

In 1969, U Thant, the United Nations

Secretary General at the time, declared that

“[f]or the first time in the history of mankind,

there is arising a crisis of worldwide

proportion involving developed and

developing countries – the crisis of the human

environment”1. This pioneer statement

initiated a global approach to environment and

human rights that was about to gradually

1 United Nations, Problems of the Human

Environment: Report of the Secretary General,

United Nations Document E/4667, 1969.

emerge at the international level during the

following decades.

The Universal Declaration of Human

Rights2, adopted on December 10

th 1948

represents the first attempt to recognize

inherent rights to all human beings, “without

distinction of any kind, such as race, color,

sex, language, religion, political or other

opinion, national or social origin, property,

2 The full text can be accessed here (last accessed

September 2012):

http://www.un.org/en/documents/udhr/index.shtml.

Page 31: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

31

birth or other status”3. Since then, human

rights have been crystallized into a bill of

rights4 that covers two generations of human

rights5, respectively civil and political rights

and economic, social and cultural rights. The

perception of the environment has evolved

tremendously, to finally meet human rights

concerns. This article aims at demonstrating

that the acceleration since the late 1980s of the

development of both fields, which first

emerged as two distinct disciplines, coincided

with an integration of the related concerns and

strategies.

After drawing up an historical

overview of the convergence of those concerns

within international fora, this article will

present the existing approaches to the linkage

between environment and human rights. These

different theories will potentially provide

different grounds for the creation of

environmental human rights.

Historical background: forty years to

bridge the gap between environmental

and human rights concerns

The 1972, the United Nations

3 Article 2 of the UDHR (1948), Article 2(1) of the

International Covenant on Civil and Political Rights

(ICCPR, 1966) and Article 2(2) of the International

Covenant on Economic, Social and Cultural Rights

(ICESCR, 1966). 4 The Bill of Rights is composed of the UDHR, the

ICESCR, the ICCPR and its two Optional

Protocols. 5 Karel Vasak, "Human Rights: A Thirty-Year

Struggle: the Sustained Efforts to give Force of

Law to the Universal Declaration of Human

Rights", The UNESCO Courier 30:11, November

1977.

Conference on Human Environment in

Stockholm recognized for the first time the

connection between environment and

development. During the 1970's and the

1980's, the awareness of environmental

consequences of human activities (pollution,

desertification) and the risks for the future

(scarcity of resources, rise of sea level) led to a

shift from purely environmental concerns to

new strategies combining environment and

development. A sustainable approach to

development was designed and reached a peak

in 1992 with the Earth Summit in Rio6.

The 1990's initiated another phase

during which concerns regarding the survival

of the planet and human responsibilities

became stronger. Political actors, meeting at

the 1997 Kyoto Conference of the Parties of

the UNFCCC7, raised the issue of global

warming and agreed for the first time on the

need to cut the greenhouse gas emissions. A

relative consensus concerning the link between

a safe and healthy environment and the

enjoyment of human rights has emerged during

the 2000's. The consequences of environmental

degradation on human well-being call for the

protection of the earth, on which livelihoods

rely. The United Nations Environment

Programme8 and the Office of the High

Commissioner for Human Rights (OHCHR)

organized conjointly in 2009 an Expert

6 United Nations Conference on Environment and

Development (UNCED), held in June 1992 in Rio

de Janeiro, Brazil. 7 United Nations Framework Convention on

Climate Change: http://unfccc.int/2860.php (last

accessed September 2012). 8 United Nations Environment Programme:

http://www.unep.org/ (last accessed October 2012).

Page 32: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

32

Meeting on the theme “The New Future of

Human Rights and Environment: Moving the

Global Agenda Forward”. It followed several

eventful Human Rights Council resolutions9,

recognizing human rights and environment as

priority concerns for development, and

recalling the obligations and responsibilities of

the States under Human Rights treaties and

multilateral environmental agreements.

A consensus on the provision of the linkage

between human rights and environment

Human rights and the environment are

now more interconnected than ever. Whereas

the existence of a link between those two fields

is quite broadly accepted, its nature is still

highly debated. Climate change consequences

are felt mainly in the poorest countries in the

world. Their vulnerability to climate-change

related events and the lack of means to tackle

violations of human rights are mutually

reinforcing10

. The focus has been for more than

twenty years on developing policies and legal

instruments to counter environmental abuses

per se, rather than to protect human beings

from the consequence of environmental issues.

However, since the 2000's, rights-based

approaches to climate change have been

9 See resolutions 7/23 (March 2008) and 10/4

(March 2009) on human rights and climate change,

6/27 on adequate housing as a component of the

right to an adequate standard of living, 2/104 on

human rights and access to water and 2005/60 on

human rights and environment as part of

sustainable development.

10

Stephen Humphreys, Human rights and Climate

Change, Cambridge University Press, 2010.

arising, but international adaptation policies11

have focused on compensation and correction

rather than on prevention of human rights

violations.

Alan Boyle12

identifies three

approaches to this linkage. The first one relies

on empowerment of individuals and

communities through participation,

information and access to justice regarding

environmental concerns. This approach is

based on the 1998 Aarhus Convention on

Access to Information, Public Participation in

Decision-making and Access to Justice in

Environmental Matters13

, which aimed at

reinforcing the global environmental

governance14

. A second approach argues in

favor of collective environmental rights to

11

Barry Smit, Olga Pilifosova, Third IPCC

Assessment Report Climate Change 2001: Working

Group II: Impacts, Adaptation and Vulnerability,

2001, Chapter 18 “Adaptation to Climate Change in

the Context of Sustainable Development and

Equity”. According to this report, “Adaptation

refers to adjustments in ecological, social, or

economic systems in response to actual or expected

climatic stimuli and their effects or impacts.”

http://www.grida.no/publications/other/ipcc_tar/

(last accessed September 2012) 12

UNEP High Level Experts Meeting on the New

Future of Human Rights and Environment: Moving

the Global Agenda Forward, Meeting Document,

Alan Boyle, Human Rights and the Environment: A

Reassessment, 2008. This paper can be accessed

here:

http://www.unep.org/environmentalgovernance/Eve

nts/HumanRightsandEnvironment/tabid/2046/langu

age/en-US/Default.aspx (last accessed September

2012). 13

The full text of the UNECE Convention on

Access to Information, Public Participation in

Decision-making and Access to Justice in

Environmental Matters (Aarhus Convention) can be

accessed here:

http://www.unece.org/env/pp/treatytext.html (last

accessed September 2012). 14

This multilateral agreement has been warmly

welcomed because it was designed in strong

collaboration with numerous NGOs. Moreover, it is

legally binding for the States that have ratified it.

Page 33: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

33

decide upon the protection and management of

natural resources. The third approach defends

an individual right to a safe and healthy

environment along the line of any other human

rights recognized in the bill of rights. The last

approach is “less popular”, despite powerful

arguments already provided by the existing

international legal instruments. Yet, it is worth

engaging into this debate that could lead to a

reconciliation of environment and human

rights concerns. This is why this approach will

be explored further in the last part of this

article.

A controversial approach to a human

right to a safe and healthy environment

For a long time, environment and

human well-being or wealth have been seen as

two opposite norms. The industrialization

process, thanks to which economic human

rights for instance (right to work15

) have been

fulfilled, is also blamed for the

overexploitation of natural resources (water

pollution, deforestation). Because the third

approach to environmental human rights is

based on the belief that a healthy environment

is a prerequisite to the fulfillment of human

rights, a human-centered approach to

environment could reconcile those fields by

15

International Covenant on Economic, Social and

Cultural Rights, 1966, Part III, Article 6(1)

stipulates “The States Parties to the present

Covenant recognize the right to work, which

includes the right of everyone to the opportunity to

gain his living by work which he freely chooses or

accepts, and will take appropriate steps to

safeguard this right.” The full text can be accessed

here: http://www2.ohchr.org/english/law/cescr.htm

(last accessed October 2012)

recognizing their interdependence.

The international environmental

mobilization has been very slow to show

remarkable results. Even if there is hope that it

will prove to be effective soon, human beings

are suffering from the consequences of

environmental degradation right now.

Moreover, the structure of the international

human rights law has been successfully

existing for a longer time, therefore I would

argue that environmental human rights should

be defended, in a medium term perspective,

through the international human rights

instruments rather than through the

environmental law procedures.

The rights-based approach to

environmental protection has yet being

subjected to strong critics. For instance,

Dupuy16

argues that a third generation of

human rights would dissipate the movement of

protection of the two previous generations of

rights or that the constitution of environmental

human rights is “unnecessary regarding the

extent to which international environmental

law has already developed”.

In this context, it might be asked

whether the international recognition of a

human right to a healthy environment (or to

environmental protection) would bring more

than what already exists. And I would reply

positively, mainly because of a major benefit

among many: the international petition

procedure17

. If such a right was recognized

16

Pierre-Marie Dupuy in René-Jean Dupuy, The

Right to Health as a Human Right, R.J.Dupuy

editions, 1979. 17

The international petition procedure, also known

as the individual complaint procedure, allows

Page 34: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

34

internationally, it will give the power to those

suffering from environmental degradation to

bring up their complains to the international

level and to put pressure on governments

reluctant to prevent or stop environmental

abuses. International petitions might not be

enough to address violations initiated by

private companies. However, it will open a

dialogue and put the issue on the agenda, and it

is thus compatible with the first approach to

environmental rights. It would initiate a new

way of dealing with environmental

consequences at the human level, by allowing

a bottom-up response to a global issue and

engaging all actors, individuals included, into a

dialogue.

Over the last forty years, we have been

witnessing a change in focus, from a concern

for the environmental consequences of human

activities to a stronger awareness of human

rights violations due to climate change related

events. Whereas there is an international

recognition of the link between human rights

and the environment, its characteristics are still

debated. Even if “the environment is not going

to be better protected thanks to a rights-based

anyone to bring a complaint alleging a violation of

treaty rights to the body of experts set up by the

treaty. The Office of the United Nations High

Commissioner for Human Rights recalls that “[i]t is

through individual complaints that human rights are

given concrete meaning. In the adjudication of

individual cases, international norms that may

otherwise seem general and abstract are put into

practical effect. When applied to a person's real-life

situation, the standards contained in international

human rights treaties find their most direct

application.” OUNHCHR, Human Rights Treaty

Bodies, Individuals Communications,

http://www2.ohchr.org/english/bodies/petitions/indi

vidual.htm (last accessed October 2012).

approach”18

, human rights are likely to be

better protected if the international human

rights law covers the consequences of climate

change related events on human beings.

Thus, we are far from a merge of

international environmental law and

international human rights law, and this may

be for the best. The ultimate goal remains the

protection of the human dignity and

livelihoods, and the international community

has to be extremely careful while designing

instruments not to throw itself into utopian

theories that would not survive the reality test.

18

Günther Handl, in Augusto Cançado Trindade,

Human Rights, Sustainable Development and the

Environment, A.C.Trindade editions, 1992, p. 117.

Page 35: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

TRINDADE Augusto Cançado, Human Rights, Sustainable Development and the Environment,

A.C.Trindade editions, 1992.

DUPUY René-Jean, The Right to Health as a Human Right, R.J.Dupuy editions, 1979.

HUMPHREYS S., Human rights and Climate Change, Cambridge University Press, 2010.

Articles

VASAK K., “Human Rights: A Thirty-Year Struggle: the Sustained Efforts to give Force of Law to the

Universal Declaration of Human Rights", The UNESCO Courier 30:11, November 1977.

Rapports

SMIT B., PILIFOSOVA O., Third IPCC Assessment Report Climate Change 2001: Working Group

II: Impacts, Adaptation and Vulnerability, 2001, Chapter 18, “Adaptation to Climate Change in the

Context of Sustainable Development and Equity”, http://www.grida.no/publications/other/ipcc_tar/.

United Nations Environmental Program (UNEP) High Level Experts Meeting on the New Future of

Human Rights and Environment: Moving the Global Agenda Forward, Meeting Document, Alan

Boyle, Human Rights and the Environment: A Reassessment, 2008,

http://www.unep.org/environmentalgovernance/Events/HumanRightsandEnvironment/tabid/2046/lang

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United Nations, Problems of the Human Environment: Report of the Secretary General, United

Nations Document E/4667, 1969.

Traités Internationaux

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http://www2.ohchr.org/english/law/ccpr.htm.

International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights, 1966.,

http://www2.ohchr.org/english/law/cescr.htm.

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in Environmental Matters (Aarhus Convention), http://www.unece.org/env/pp/treatytext.html.

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Universal Declaration on Human Rights (UDHR), 1948,

http://www.un.org/en/documents/udhr/index.shtml.

Page 36: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

36

RESUME

On observe depuis les années 1970 un rapprochement des droits de l'homme et du droit

environnemental à l'échelle internationale. Après avoir évolué pendant plusieurs décennies de manière

distincte, ces deux champs sont aujourd'hui clairement imbriqués. Bien que l'impact dramatique des

catastrophes climatiques sur les conditions de vie des populations locales soit indéniable, il n'en

demeure pas moins que la nature du rapprochement entre changement climatique et droits de l'homme

est loin de faire consensus. En s'appuyant sur les différentes théories existantes relatives à ces deux

disciplines, cet article se donne pour objectif de brosser un portrait général des lignes de fracture et de

convergence entre les droits de l'homme et les préoccupations environnementales. Il s'interroge

également sur la pertinence d'une reconnaissance de droits de l'homme environnementaux en tant que

nouvelle branche des droits de l'homme.

Mots-clés: Environnement, Droits de l'homme, Droit international, Nations Unies, changement

climatique.

ABSTRACT

After evolving as two contemporaneous but distinct disciplines, human rights and environmental law

have been converging at the international level since the mid-70s, and are today clearly

interconnected. Despite the recognition of the inextricable link between – often brutal – climate

change related events and human suffering, the nature of such linkage is still highly debated. Different

approaches are opposing, regarding both the link between both disciplines and the potential

recognition of environmental human rights. Building on the abundant international literature (mainly

connected to the United Nations' activities), this article aims at providing the reader with an overview

of the gaps and points of convergence between human rights and environmental concerns.

Keywords: Environment, Human rights, International Law, Unites Nations, Climate Change

Page 37: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

37

VVAARRIIAA ||

Enjeux et problématiques d’une intervention militaire en Syrie : l’impossible transposition du modèle libyen

Obamacare : « Highway to Health ? »

Page 38: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

38

EENNJJEEUUXX EETT PPRROOBBLLEEMMAATTIIQQUUEESS DD’’UUNNEE IINNTTEERRVVEENNTTIIOONN MMIILLIITTAAIIRREE

EENN SSYYRRIIEE :: LL’’IIMMPPOOSSSSIIBBLLEE TTRRAANNSSPPOOSSIITTIIOONN DDUU MMOODDEELLEE LLIIBBYYEENN11

Par Romain ABY

Romain Aby est doctorant à l’Institut Français de Géopolitique (IFG). Sa thèse porte sur l’analyse

géopolitique des intérêts français dans les pétromonarchies du golfe. Conseiller Moyen-Orient pour

Diploweb.com, il est également animateur du compte de veille géopolitique sur les États arabes

http://whosin.com/pg/whois/20294123/romain+aby

1 Note de la rédaction : cet article ne prend pas en considération les événements survenus dans la crise syrienne

depuis octobre 2012.

Page 39: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

La Syrie qui vit depuis le début 2011

dans un état de crise permanente, a vu les

contestations populaires se transformer en

véritable guerre civile. Le régime de Bachar el-

Assad, qui a opté pour la poursuite d’une

répression sanglante, a transformé la Syrie en

véritable champ de bataille où l’on compte

environ 30.000 morts à la mi-septembre 2012

et plus de 250.000 réfugiés1 répartis sur les

États voisins. La répression qui a atteint un

niveau de barbarie jusque-là inconnu dans la

dynamique des révoltes arabes, n’a guère

entrainé une intervention militaire, à l’image

de celle qu’a connue la Libye en mars 2011.

Le conflit en Syrie étant en pleine

évolution, les enjeux géopolitiques et les

acteurs sont si nombreux qu’il est

particulièrement difficile de mener une analyse

complète de la situation qui ne cesse d’évoluer

au quotidien. Dans une démarche de

compréhension, il est toutefois intéressant de

revenir sur les principales dynamiques qui ont

rendu l’idée d’une intervention sur le modèle

libyen caduque.

Les instances internationales dans le rôle

du paralytique

Si la décision d’intervenir

militairement dans un État dépendait

uniquement de considérations humanitaires ou

morales, alors la Syrie aurait depuis plusieurs

mois déjà suivi le modèle libyen. Lorsque

1 « Syrie : bombardements et combats à Alep »,

L’orient-Le Jour, 11 septembre 2012.

l’Otan est intervenue pour aider les forces

rebelles libyennes, trois conditions étaient

réunies. En effet, la coalition pouvait

s’appuyer sur un fort support politique à

l’échelle régionale, une sanction légale du

Conseil de sécurité de l’ONU2, ainsi qu’une

stratégie militaire qui semblait correspondre

aux spécificités du terrain libyen. La Syrie est

très loin de correspondre à ce modèle comme

nous allons le voir par la suite. La véritable

complexité du dossier syrien est qu’il est

multiscalaire, donc qu’il se déroule à plusieurs

échelles. Il y a indéniablement l’échelle locale,

avec une guerre civile qui n’est plus réellement

contestable sur le plan sémantique, mais aussi

une échelle régionale avec l’implication plus

ou moins marquée des États voisins dans le

conflit syrien. Pour finir, il y a une échelle

internationale du conflit, avec des dynamiques

politiques contradictoires qui s’expriment dans

les instances internationales. À la différence de

la Libye, le régime de Bachar el-Assad compte

des alliés qui campent sur leurs positions et qui

n’hésitent pas à apporter au régime une aide

diplomatique et militaire. Ainsi, l’appui

politico-militaire de l’Iran et les doubles vetos

russo-chinois, qui se sont enchainés en octobre

2011 puis février et juillet 20123, sont de

nature à augmenter la capacité de résistance du

régime d’el-Assad.

La recherche de solutions sur le plan

diplomatique au sein des instances

2 La résolution 1973 du Conseil de sécurité des

Nations unies a été adoptée le 17 mars 2011. 3 « Syrie : la Russie et la Chine mettent leur veto à

la résolution des occidentaux à l’ONU », Le

Huffington Post, 19 juillet 2012.

Page 40: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

40

internationales et l’implication de certaines de

ces puissances étrangères dans le conflit

militaire en Syrie sont de nature à alimenter

une contradiction frappante. Les acteurs sont si

nombreux, et leurs intérêts si différents qu’il

est difficile d’envisager une résolution

diplomatique. Ainsi, la Russie tient absolument

à conserver ses intérêts stratégiques dont sa

base navale de Tartous. De plus, l’Iran et le

Hezbollah appuient militairement et

politiquement le régime. Les rebelles reçoivent

quant à eux une aide financière et militaire

d’États arabes comme l’Arabie Saoudite et le

Qatar, ainsi que d’États comme la Turquie, les

États-Unis et certains États européens4. La

présence de djihadistes opérant sur le territoire

syrien rajoute une densité d’acteurs très

souvent hors de contrôle et constituant autant

de petites milices fonctionnant de manière

autonome. Dans un environnement aussi

complexe, les solutions diplomatiques ont

enregistré des échecs répétitifs, que ce soit les

résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ou

les tentatives de médiation internationale.

Ainsi, l’émissaire des Nations unies et de la

Ligue des États arabes, Kofi Annan a mis un

terme à sa mission de médiation après environ

six mois d’impasse. Au rythme où vont les

choses, son successeur Lakhdar Brahimi

semble également se diriger vers un échec

retentissant.

Un temps évoquée, la solution « à la

yéménite » a semblé avoir les faveurs des

responsables américains et russes, qui y

4 B. M. Jenkins, « Syrian scenarios », RAND

corporation, 7 août 2012.

voyaient un moyen d’écarter Bachar el-Assad,

tout en conservant la structure de l’État intacte

et de facto les intérêts russes et américains en

Syrie. Néanmoins, il est primordial de préciser

que les vetos russes et chinois ne pourraient à

eux seuls expliquer l’inaction de la

communauté internationale. Si prompte à agir

quelques mois plus tôt sur le terrain libyen,

celle-ci est d’une stérilité inquiétante dans le

cas syrien. Il est donc apparent que ce veto

russo-chinois tombe à pic pour justifier cet

échec diplomatique de grande ampleur.

C’est évidemment cette impasse

diplomatique qui ouvre la porte à une

intervention militaire en Syrie, ou plutôt à un

débat sur l’utilité ou non d’une telle démarche.

L’opération en Libye s’est avérée plus longue

et plus coûteuse que les estimations initiales,

sans compter qu’adapter le modèle libyen à la

Syrie est un non-sens au vu du degré de

complexité radicalement diffèrent des deux

dossiers. Les calendriers des différents acteurs

semblent également peu propices à cette

intervention. Les États-Unis qui sortent de

deux interventions pour le moins délicates en

Afghanistan et en Irak ne semblent pas prêts à

s’engager militairement. À cela, il faut ajouter

l’élection présidentielle américaine qui a

transformé toute intervention militaire en Syrie

en véritable risque électoral. Les États

européens dans un contexte de crise

économique ne sont pas en mesure d’assumer

le poids financier et politique d’une nouvelle

intervention, alors que leur opinion publique

reste focalisée sur les défis économiques

internes. Le Qatar qui occupait la présidence

Page 41: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

41

tournante de la Ligue des États arabes jusqu’en

mars 20125 a dorénavant laissé la place à l’Irak

qui mène une diplomatie sous influence

iranienne et de facto pro-Assad.

Les tractations diplomatiques qui sont

nécessaires à la mise en branle de toute

intervention de cette importance semblent

sérieusement lacunaires, à cela il faut ajouter

l’absence frappante d’État ou de groupe

d’États qui prendrait les devants lors de cette

mission. Pour faire simple, personne ne semble

vouloir prendre la tête de cette coalition. Pour

les raisons évoquées précédemment, une

intervention multinationale menée par la

France et la Grande-Bretagne, assistée par les

États-Unis semble totalement improbable pour

la Syrie.

Le véritable défi opérationnel d’une

intervention en Syrie

Au-delà de l’aspect diplomatique qui

constitue un véritable frein à toute intervention

militaire en Syrie, force est de constater que

cette entreprise serait sur le plan opérationnel

d’une grande complexité. La densité de

population6 en Syrie dépasse les 110 hab./km

2

alors qu’en Libye l’on ne compte que 3,6

hab./km2. Ce facteur géographique rend toute

frappe aérienne risquée en termes de pertes

civiles.

5 N. Kern and M. M. Reed, « Why the Arab League

summit matters», Middle East Policy Council, 15

mars 2012. 6 Voir le site Perspective monde de l’Université de

Sherbrooke, http://perspective.usherbrooke.ca/.

De plus, neutraliser les infrastructures de

défense anti-aériennes nécessiterait une action

d’envergure et donc nécessairement coûteuse

sur le plan financier voire même humain, avec

des unités spéciales déployées sur le sol pour

aider au guidage des frappes. Au vu de la

qualité des systèmes de défense anti-aériens

syriens7, il est probable que cet assaut initial se

solde par la perte de nombreux aéronefs de la

coalition. Entre 2009 et 2010, la Syrie a

dépensé pas moins de 264 millions de dollars

afin de renforcer ce secteur défensif8. Il n’est

par ailleurs pas certain qu’une mission suffise

à détruire toutes les cibles potentielles, et

quand bien même, la présence de matériels

portatifs continuera de faire peser un danger

sur les aéronefs de la coalition. Sur un tel

théâtre d’opérations le nombre de 27.000

sorties9 aériennes menées en Libye semble

totalement insuffisant.

Très rapidement après les premières

phases de l’assaut, une autre problématique

devra être prise en compte. Les armes

chimiques que le régime syrien a accumulées

depuis la fin des années 1970 constituent une

problématique à part entière. La Syrie n’étant

pas signataire de la convention sur

l’interdiction des armes chimiques, la

constitution des stocks et leur évolution dans le

temps s’est faite dans l’opacité la plus totale.

7 Notamment des batteries de fabrication russe SA-

17. 8 M. Clarke, « A collision course for intervention »,

Syria crisis briefing, Royal United Services

Institute for Defense and Security Studies, 25 juillet

2012. 9 Ibid.

Page 42: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

42

Selon certains rapports d’instituts spécialisés10

,

la Syrie possèderait des agents chimiques aussi

variés que le gaz moutarde, le vésicant, le

tabun, le sarin ainsi que le gaz vx. Les

estimations portant sur la quantité semblent

osciller autour de 1.000 tonnes qui seraient

réparties sur pas moins de cinquante sites

différents. L’enjeu de la sécurisation de ces

armes est une priorité dans le cadre d’une

intervention militaire sur le sol syrien. En effet,

d’après des spécialistes11

cette opération de

sécurisation des armes chimiques nécessiterait

environ 75.000 hommes qui seraient chargés

d’assurer la sécurité des entrepôts. La capture

des sites doit bien évidemment se faire avec

précision afin d’éviter tout accident qui

pourrait s’avérer catastrophique pour les

populations qui vivent à proximité. L’objectif

principal est de mettre la main sur un stock,

qui pourrait être utilisé par le régime contre sa

propre population en cas extrême, ou qui

pourrait être atteint lors d’accrochages entre

les forces de régime et les rebelles, voire même

atterrir entre les mains du Hezbollah ou des

combattants djihadistes. De plus, les éléments

cités précédemment ne sont que des points de

départ d’une intervention plus large qui

assurerait la chute de Bachar el-Assad mais

aussi la sécurisation du pays dans la phase de

transition politique. Le nombre de militaires

engagés au sol dans la phase de stabilisation

pourrait s’élever à 300.000 selon Michael

10

Ibid. 11

A. Nicoll, « Unease grows over Syria’s chemical

weapons», IISS Strategic Comments, août 2012.

Codner12

. Dès lors, l’intervention militaire en

Syrie semble totalement improbable.

Si l’option diplomatique est un échec

après presque deux ans de conflit et que la

solution militaire directe est peu adaptée aux

spécificités de la Syrie, il y a néanmoins des

alternatives. Ainsi, un soutien militaire

multiforme serait bien plus efficace. Celui-ci

reposerait sur le renforcement des

encouragements financiers à la défection, une

augmentation des sanctions économiques

contre le régime et une cyberguerre accrue qui

viserait les systèmes de communication du

régime ainsi que les systèmes militaires.

Selon Isabelle Feuerstoss,

géopoliticien spécialiste de la Syrie, c’est le

renforcement du réseau de mouchards qui

permettrait de pénétrer de façon décisive les

communications internes au niveau

décisionnel. À cela il faut ajouter la nécessité

de mettre fin à la suprématie aérienne du

régime. Si aucune intervention militaire directe

n’est envisagée et donc qu’aucune zone

d’exclusion aérienne n’est installée, il faut

impérativement fournir aux rebelles les

capacités de défense anti-aériennes portatives,

qui leur permettront de rééquilibrer un rapport

de force jusque-là à leur total désavantage.

Cette démarche doit néanmoins s’accompagner

d’une identification complexe des groupes de

12

M. Clarke, « A collision course for

intervention », Syria crisis briefing, Royal United

Services Institute for Defense and Security Studies,

25 juillet 2012.

Page 43: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

43

rebelles, afin de réduire le risque de

détournement de ces armes13

.

Au vu des points cités précédemment,

l’intervention militaire directe en Syrie semble

peu probable, en raison d’obstacles

diplomatiques et militaires. Néanmoins, dans

le cas d’un enlisement du conflit certains

scénarios peuvent aboutir à une implication

militaire d’un État tiers. La mise en danger des

stocks d’armes chimiques pourrait entrainer

l’intervention d’Israël afin d’éviter que ceux-ci

ne tombent entre les mains du Hezbollah. Les

États-Unis ont également menacé le régime

syrien que toute utilisation contre les civils

ouvrirait la porte à une intervention. Quand

bien même ces scénarios-catastrophes

devenaient réalité, la Syrie répond à des

dynamiques bien différentes de la Libye. Pour

sortir le peuple syrien de la crise, la

communauté internationale ferait mieux

d’opter pour une clairvoyance politique qui

reste préférable à une intervention militaire.

13

Entretien de l’auteur avec Isabelle Feuerstoss,

Docteur en géopolitique, spécialiste de la Syrie, le 6

octobre 2012.

Page 44: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

RESUME

Après vingt mois de contestation et plus de 30.000 morts, le conflit syrien a progressivement évolué

vers un enlisement politique et militaire. Les groupes rebelles, qui sont engagés dans une lutte

méthodique pour le contrôle du territoire syrien, n’arrivent pas à défaire définitivement le régime de

Bachar el-Assad. Cette confrontation longue et violente bénéficiant d’une exposition médiatique

internationale a ouvert de nombreux débats sur la nécessité et la faisabilité d’une intervention militaire

en Syrie. Le précédent libyen, qui avait entrainé en mars 2011 le vote de la résolution 1973 au Conseil

de sécurité de l’ONU, autorisant une intervention militaire, n’a guère été transposé au cas syrien. Bien

évidemment, la Syrie et la Libye répondent à des dynamiques tout à fait différentes. Dans un souci de

compréhension, il est primordial d’aborder certains des nombreux aspects qui expliquent la singularité

du dossier syrien et son impossible comparaison au modèle libyen.

Mots-clés : Syrie, Libye, Géopolitique, Bachar el Assad, Intervention militaire

ABSTRACT

After twenty months of revolt and more than 30.000 deaths, the Syrian conflict gradually evolved into

a political and military stalemate. The rebel groups, which are engaged in a methodical fight for the

control of the Syrian territory, have failed to overthrow the regime of Bachar el-Assad so far. This

long and violent confrontation is benefiting from the exposure of international media numerous

debates on the necessity and feasibility of a military intervention in Syria. The precedent of UN

Security Council resolution 1973 voted in March 2011 and authorizing a military intervention was

hardly transposed into the Syrian case. Obviously, Syria and Libya have little in common. In the

interest of clarity, it is essential to analyze some of the many characteristics which account for the

specificity of the Syrian case and the reasons why it greatly differs from the situation in Gadhafi’s

Libya.

Keywords: Syria, Libya, Geopolitics, Bachar Al Assad, Military intervention

Page 45: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

45

OOBBAAMMAACCAARREE :: «« HHIIGGHHWWAAYY TTOO HHEEAALLTTHH ?? »»

AANNAALLYYSSEE DDUU SSYYSSTTEEMMEE DDEE SSAANNTTEE AAMMEERRIICCAAIINN AA LL’’AAUUNNEE DDEE LL’’AASSSSUURRAANNCCEE MMAALLAADDIIEE

FFRRAANNÇÇAAIISSEE

Par Luc PIERRON

Après l'obtention d'un M2 de Droit de la protection sociale et des expériences en cabinet d'avocats,

Luc Pierron poursuit ses études en doctorat de droit social à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas.

Chargé des questions liées à l'Europe, la sécurité sociale et la santé au sein du cabinet de la

Présidence du groupe MGEN, il exerce en parallèle une activité d'enseignement à l'Université Paris 1

Panthéon-Sorbonne. Depuis 2012, Luc Pierron dirige également le programme Questions sociales de

la mondialisation au sein de Youth Diplomacy.

“Of all the forms of inequality, injustice in health care is

the most shocking and inhumane”

Martin Luther King Jr., 25 mars 1966,

National Convention of the Medical Committee for

Human Rights, Chicago

Si beaucoup s’en souviennent comme

un accomplissement emblématique du premier

mandat de B. Obama1, la réforme du système

de santé2 a surtout cristallisé les débats des

récentes élections présidentielles américaines.

Considérée par certains comme le symbole

1 E. J. Dionne Jr., « Yes, they made history »,

Washington Post, March 22, 2010,

http://goo.gl/VR0nO >. 2 Patient Protection and Affordable Care Act ou

PPACA (H.R. 3590).

Page 46: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

46

d’un État dépassant ses prérogatives et

s’immisçant toujours plus dans la liberté

individuelle, il n’est pas étonnant que cette loi

ait heurté la culture de la responsabilité qui

règne aux États-Unis3.

En apparence pourtant, la cause

défendue semble noble : offrir une vraie

alternative à ceux qui ne peuvent bénéficier

d’une couverture abordable autrement. Ainsi,

cette réforme participe du bien-être individuel

et collectif de la population, et en cela

constitue un facteur incontesté de cohésion

sociale4. L’investissement dans la santé est

aussi rentable à d’autres titres, puisqu’il exerce

un impact positif sur la demande, la production

et l’emploi et est générateur d’activité

économique et de croissance5.

Par-delà les clivages idéologiques, le

financement des dépenses de santé représente

donc un véritable levier économique et social.

En dépit du progrès qu’elle représente et de sa

forte couverture médiatique, la réforme du

système de santé américain n’en reste pas

3 P. Bernard, « Une réforme phare devenue un

handicap pour Obama », Le Monde Géo et

politique, 9 janvier, 2012, < http://goo.gl/x2tJh >. 4 R. Boarini, A. Johansson et M. Mira d’Ercole,

« Les indicateurs alternatifs du bien être », Cahiers

statistiques de l’OCDE, sept. 2006. 5 P. Aghion, P. Howitt et F. Murtin, « Le bénéfice

de la santé, un apport des théories de croissance

endogène », Revue de l’OFCE, n°112, p. 88-118 ;

CMH, Macroeconomics and Health : Investing in

Health for Economic Development, Report of the

Commission on Macroeconomics and Health,

Genève, OMS, 2001 ; Y. Kocoglu et D.R. De

Albuquerque, « Santé et croissance économique de

long terme dans les pays développés : une synthèse

des résultats empiriques », Economie publique,

n°24-25, p. 41-72 ; J. Macinko, B. Starfield et L.

Shi, « The contribution of primary care systems to

health outcomes in OECD countries », Health

Services Research, vol. 38, n°3, p. 819-854.

moins méconnue, voire incomprise, en France.

Si plusieurs raisons militent pour ce postulat,

la principale découle des conceptions sur

lesquelles chaque modèle social repose. Là où

la sécurité sociale à la française s’est organisée

autour d’un socle public et obligatoire de

protection, la couverture américaine est basée

sur la liberté et une forte implication de

l’assurance privée. Trop différents pour être

appréhendés de façon globale, ces systèmes ne

devraient pouvoir être étudiés qu’à travers une

démarche empirique. Plusieurs auteurs s’y sont

déjà essayés6. Par ailleurs, B. Obama n’ayant

jamais souhaité proposer de restructuration

radicale du système7, rien ne prédispose à ce

qu’une dynamique pousse ces modèles à

converger.

Pourtant, il y a loin entre la vision que

certains se font d’un système de santé

américain où seules règnent les compagnies

d’assurance et la réalité où s’enchevêtrent

dispositifs étatiques et aides à l’accès à une

couverture privée. À y regarder de plus près, il

apparaît même que certains mécanismes

institués dans les deux pays sont assimilables

en tout point, transcendant ainsi les idées

reçues.

6 P. Morvan, « La réforme Obama : une nouvelle

assurance obligatoire de santé aux États-Unis », Dr.

soc., n°6, 2011, p. 704-713 ; C. Prieur, « La

réforme du système de santé aux États-Unis »,

Pratique et organisation des soins, vol. 42, n°4,

2011, p. 265-275 ; C. Rifflart et V. Touzé, « La

réforme du système d’assurance santé américain »,

Lettre de l’OFCE, n°321, 2010. 7 F. Vergniolle de Chantal, « Quelle réforme de

l’assurance maladie aux Etats-Unis ? », CERI,

2009.

Page 47: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

47

Si apporter un éclairage nouveau à

cette relative proximité s’avère indispensable

(II), elle ne peut se faire sans rappeler au

préalable le fonctionnement des systèmes

d’assurance santé aux États-Unis et en France

(I).

La divergence des logiques

Comme beaucoup d’autres États

européens, la France a adopté une organisation

dans laquelle l’assurance maladie est liée au

travail et dont les prestations sont financées par

des cotisations sociales, proportionnelles aux

salaires et partagées entre salariés et

employeurs8. Ce système fait coexister

plusieurs régimes obligatoires, appelés régimes

de base, qui diffèrent selon la profession

exercée9 ou la catégorie à laquelle le

travailleur appartient10

. Tous ont vocation à

garantir des risques similaires (maladie,

maternité, invalidité et décès), même si les

cotisations à verser ou les modalités de

couverture peuvent différer.

Autour de ces régimes légaux

obligatoires, qui ne constituent qu’un socle

appelé service public de la sécurité sociale,

gravitent des régimes complémentaires

relevant de l’assurance privée. De tels

mécanismes ont pu se développer par le fait

8 Ce type de système est dit « bismarckien », par

opposition au modèle anglo-saxon dit

« beveridgien » qui vise les régimes universels,

gérés par une caisse unique et financés par l’impôt. 9 C’est le cas du régime agricole.

10 Selon qu’il est salarié, fonctionnaire ou

indépendant, un travailleur est affilié soit au régime

général, soit au régime spécial de la fonction

publique, soit au régime social des indépendants.

que les remboursements versés par l’assurance

maladie ne suffisent pas toujours pour couvrir

intégralement les dépenses de santé. Ces

garanties supplémentaires ont alors vocation à

compléter les prestations servies par la sécurité

sociale et permettent une prise en charge

améliorée. Ainsi, leur diffusion représente un

enjeu important pour maintenir l’accès aux

soins. Elles peuvent être souscrites soit

collectivement, pour toute une entreprise ou

pour l’ensemble d’un secteur d’activité, soit

individuellement, par toute personne

intéressée. Aujourd’hui, ce n’est d’ailleurs pas

moins de 94 % de la population française qui

est couverte par une complémentaire santé11

.

Alors que notre modèle social est

souvent assimilé à une pyramide cumulant

plusieurs strates de couverture, le système de

santé américain s’en distingue

fondamentalement. Aux États-Unis, la prise en

charge publique de la couverture santé

intervient, non en tant que socle du dispositif,

mais comme un simple filet de sécurité. Là où,

en France, une mosaïque de régimes

obligatoires permet de couvrir les travailleurs

de manière universelle, les garanties accordées

par l’État fédéral et les États fédérés ne jouent

qu’un rôle de palliatif pour certaines catégories

de personnes considérées comme vulnérables.

En l’absence de toute assurance

maladie obligatoire, ce sont les mécanismes

d’assurance privée, souscrits en fonction du

11

M. Perronnin, A. Pierre, T. Rochereau, « La

complémentaire santé en 2008 : une large diffusion

mais des inégalités d’accès », Questions

d’économie de la santé, IRDES, 2011.

Page 48: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

48

libre arbitre de chacun, qui constituent la pierre

angulaire du système de santé. Cette réalité se

retrouve dans les chiffres, puisqu’en 2011, ce

n’est pas moins de 63,9 % de la population

américaine qui était couverte par une assurance

privée, alors que seulement 32,2 % a bénéficié

d’une assurance santé gouvernementale12

.

Alors que la sécurité sociale française

bénéficie d’un véritable monopole, le système

de santé américain obéit aux lois du marché, ce

qui permet aux organismes assureurs de se

livrer une concurrence exacerbée qui s’exerce

tant au niveau des primes d’adhésion, que des

prestations versées ou des différentes options

proposées. Le financement des garanties n’est

alors plus proportionnel aux salaires, comme

c’est le cas dans le système français, mais

dépend de l’assureur, de l’entreprise où

travaille le salarié, ainsi que de l’étendue de la

couverture, qui peut aller du minimum requis à

des soins de confort et de bien-être.

Lorsqu’ils sont couverts par une

assurance privée, les Américains le sont en

grande majorité par adhésion à un plan

d’entreprise (employer-sponsored health

plans), c’est-à-dire à un contrat d’assurance lié

à leur emploi et préalablement négocié par leur

employeur quant à son contenu (prestations

servies) et à son coût (montant de la prime).

Parallèlement, la possibilité d’une participation

de l’entreprise au financement de la prime peut

être négociée pour que le salarié n’en conserve

qu’un reliquat à sa charge. Ces contributions

de l’employeur et du salarié bénéficient

12

US Census Bureau, Income, Poverty, and Health

Insurance Coverage in the United States, 2011.

d’ailleurs d’avantages fiscaux non

négligeables13

qui jouent un rôle majeur dans

la diffusion de l’assurance santé aux États-

Unis.

Un dernier point fait profondément

différer la sécurité sociale française du système

de santé américain. Alors qu’en France, tous

les régimes de base reposent sur une obligation

d’adhésion, aux États-Unis, un assuré peut

toujours résilier le contrat négocié par son

employeur et choisir lui-même ses garanties

auprès d’un autre assureur. Comme nous le

verrons, la réforme menée par B. Obama n’a

pas totalement bouleversé cette philosophie

libertarienne.

Si à première vue, tout porte à

considérer que les fondements des systèmes

français et américain d’assurance maladie sont

traversés par de profonds clivages, l’existence

de mécanismes de financement des dépenses

de santé connexes remet en cause ce postulat.

La convergence des instruments

Bien que les innovations apportées par

la réforme du système de santé menée par B.

Obama aient rapproché les modèles sociaux

des États-Unis et de la France, d’autres

dispositifs, qui ont préexisté à cette nouvelle

loi, participent également de cette connexité.

Tel est notamment le cas de la prise en

charge publique de la couverture santé. Même

13

Par exemple, les entreprises bénéficient d’une

réduction d’impôt égale au maximum à 50 % des

contributions qu’elles versent à l’organisme

assureur.

Page 49: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

49

si cette modalité de financement ne constitue

qu’un filet de sécurité, elle assure aux plus

précaires le bénéfice de prestations minimales.

Multiforme, cette couverture publique des

dépenses de santé recouvre principalement

deux programmes institués par le président

Johnson en 1965 : Medicaid et Medicare14

.

Participant des politiques de lutte

contre la pauvreté, Medicaid permet de faire

bénéficier les ménages dont les revenus

n’excèdent pas 133 % du seuil de pauvreté

fédéral15

d’un panier minimal de soins, dont le

financement est assuré par le budget fédéral et

celui des États.

Institué en parallèle, Medicare est

destiné aux personnes âgées de plus de 65 ans

et aux personnes handicapées dans l’incapacité

de travailler. L’idée est alors de faire

bénéficier ces dernières d’une assurance

minimale contre l’hospitalisation (Part A),

dont le coût est supporté par les employeurs,

les salariés et des abondements de l’État

fédéral. Cependant, Medicare ne se limite pas

à ce socle de base, une assurance médicale

complémentaire facultative (Part B) y ayant

été annexée. Remboursant les seuls soins

ambulatoires16

, elle est financée pour partie par

les assurés, le reste de la prime étant couvert

14

Pour rappel, en 2011, Medicaid couvrait 50,8

millions de personnes et Medicare 46,9 millions. 15

En 2011, le seuil de pauvreté fédéral (ou Federal

Poverty Level) était de 908 $ par mois pour une

personne seule et 1 863 $ pour une famille de

quatre personnes, par exemple. 16

Les soins ambulatoires (ou soins de ville)

comprennent les soins effectués en cabinet de ville,

en dispensaire, centres de soins ou lors de

consultations externes d’établissements hospitaliers

publics ou privés. Les dépenses de biens médicaux

(médicaments par exemple) ne sont pas inclues.

par une subvention de l’État fédéral. Enfin,

pour permettre aux personnes âgées de

bénéficier d’une garantie optimale et complète,

notamment contre les dépenses de

médicament, un dernier volet optionnel de

couverture a été institué en 2006 (Part D). Si

les bénéficiaires de Medicaid voient leur prime

intégralement prise en charge, le reste des

assurés doivent payer une somme

supplémentaire pour adhérer à ce type de

contrat (Prescription drug plan). Une fois cette

police souscrite, leurs frais médicaux sont

couverts à hauteur de 75 % jusqu’à un plafond

de 2 700 $ (coverage limit). Au-delà et jusqu’à

un seuil d’alerte de 6 200 $ (catastrophic

coverage threshold), l’assuré paie l’intégralité

de ses dépenses. Ce n’est qu’après avoir

franchi cette limite, marquant la fin de la zone

de non-remboursement souvent nommée le

« doughnut hole », que les frais sont à nouveau

pris en charge à hauteur de 95 %17

.

Si le principe d’égal accès aux soins

constitue l’une des priorités des politiques

sociales françaises, il a pourtant fallu attendre

1999 avant que des mécanismes de couverture

maladie à destination des populations les plus

précaires soient institués. Non plus liés à

l’exercice d’une activité professionnelle, ces

dispositifs, recouverts par le terme générique

de couverture maladie universelle (CMU)18

,

permettent notamment à une personne de

bénéficier de prestations, sur un simple critère

17

Le « doughnut hole » a vocation à disparaître

complètement en 2020. 18

R. Lafore, « La CMU, un nouvel îlot dans

l’archipel de l’assurance maladie », Dr. soc., 2000,

p. 21-29.

Page 50: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

50

de résidence stable et régulière sur le territoire

français.

Plus étendue dans son périmètre

d’intervention et plus généreuse sur le plan des

prestations, la CMU octroie le bénéfice de

garanties bien plus larges que celles assurées

par les programmes publics américains. Il n’en

demeure pas moins que les philosophies

poursuivies sont identiques dans les deux cas.

Là où le socle de base de la CMU garantit à

tous une prise en charge minimale des

dépenses de santé19

, son second volet de

couverture20

permet aux personnes dont les

ressources ne dépassent pas un certain

plafond21

de bénéficier d’une assurance

complémentaire santé gratuite. En

conséquence, que ce soit dans l’un ou l’autre

des modèles, on retrouve toujours cette

nécessité pour l’État de faire bénéficier les

personnes les plus vulnérables de

remboursements minimaux au titre de leurs

frais médicaux et pharmaceutiques. Ce constat

s’étend d’ailleurs bien au-delà de la seule prise

en charge publique de la couverture santé

depuis la réforme de 2010.

Malgré les programmes Medicaid et

Medicare, plus de 50 millions de personnes

(soit 16,3 % de la population) n’ont bénéficié

19

Gratuite pour les plus démunis, l’adhésion au

premier niveau de la CMU devient la contrepartie

d’une cotisation pour les personnes disposant de

revenus annuels supérieurs à 9 000 €. 20

Appelé CMU-C pour couverture maladie

universelle complémentaire. 21

Le plafond de ressources a été fixé à 650 € pour

une personne seule ; il est majoré de 50 % pour la

2è personne composant le ménage (970 €) et de 30

% pour les 3è et 4

è ; au-delà, le plafond est majoré

de 260 € par personne supplémentaire.

d’aucune assurance maladie en 2010 aux États-

Unis22

. Or, pour la grande majorité, ce

renoncement à l’assurance est dû à la

possession de revenus trop élevés pour relever

de la couverture publique, mais trop

insuffisants pour s’acquitter des primes

réclamées pour adhérer à ce type de contrat.

Certains ménages modestes se retrouvent dans

une situation identique en France, lorsqu’ils

n’ont pas les moyens de souscrire une

couverture complémentaire à l’assurance

maladie.

Sans intervention des pouvoirs publics,

ces familles se retrouveraient à devoir financer

seules une grande partie de leurs dépenses de

santé, voire la totalité du coût de leur assurance

privée. Or, ces montants peuvent rapidement

représenter un effort financier important,

surtout pour des personnes qui se situent juste

au-dessus des plafonds de prise en charge

publique. C’est d’ailleurs pourquoi ces

dernières recourent en général moins aux

soins, alors même qu’elles se déclarent

davantage en mauvaise santé que les personnes

qui bénéficient d’une couverture.

Conscients de cette urgence sociale,

les pouvoirs publics français et américain ont

instauré des mécanismes visant à

subventionner le financement d’une assurance

privée, afin de limiter les barrières financières

à l’accès et ainsi faciliter la diffusion de ces

contrats. Ainsi, depuis la réforme du système

22

US Census Bureau, « Income, Poverty, and

Health Insurance Coverage in the United States:

2011 », rapport disponible sur le site

http://goo.gl/ZZxed.

Page 51: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

51

de santé, les individus et les familles dont les

ressources dépassent le seuil de ressources de

Medicaid, sans excéder 400 % du seuil de

pauvreté fédéral, ont droit à un crédit d’impôt

(subsidy). Dégressive, cette aide a vocation à

limiter le reliquat de prime d’assurance à un

certain pourcentage du revenu fiscal du

ménage. De la même façon, ceux dont le

niveau de vie se situe juste au-dessus du

plafond de la CMU-C bénéficient également

d’un crédit d’impôt appelé aide à l’acquisition

d’une complémentaire santé (ACS).

Constituant de véritables « chèques santé », les

sommes octroyées sont directement imputées

sur la prime d’adhésion versée à l’organisme

assureur. Là encore, le parallélisme entre les

deux systèmes est aisé à établir.

Cette convergence des instruments se

retrouve également dans le contenu même des

contrats d’assurance privée souscrits. Alors

que la liberté contractuelle a pendant

longtemps régné sans partage sur ce marché

hautement concurrentiel, les pouvoirs publics

français et américain sont au fur et à mesure

intervenus pour lui imposer des entraves.

La principale innovation engendrée par

la réforme du système de santé américain

consiste en la mise en place dans chaque État

d’une sorte de « bourse aux polices

d’assurance » où la transparence et la

concurrence sont renforcées : le Health Benefit

Exchange (ou Exchange). Ce dernier donne

aux individus et aux entreprises la possibilité

de comparer, à un guichet unique, les garanties

et le montant des primes proposés par les

différentes compagnies d’assurance. Une

habilitation étant nécessaire, les organismes

assureurs n’ont pas tous vocation à opérer sur

l’Exchange. Aussi, seuls ceux qui proposent

des contrats comprenant certaines « prestations

essentielles » (qualified health plans) pourront

être agréés.

De la même manière, cette nouvelle loi

interdit de pratiquer des discriminations (à

raison du sexe ou de l’état de santé) ou des

tarifs plus élevés à l’encontre d’individus

présentant des maladies antérieures

(preexisting medical conditions), tout comme

l’utilisation de la technique de la rescission.

Dorénavant prohibée de tous les plans

d’assurance, cette dernière consiste en la

recherche de la moindre anomalie dans le

questionnaire accompagnant le contrat souscrit

en vue de l’annuler rétroactivement dès que

l’assuré contracte une pathologie.

Si l’offre française d’assurance ne

bénéficie pas d’une bourse spécifique pour les

contrats de couverture complémentaire, ces

derniers n’en sont pas moins réglementés dans

leur contenu. De la même façon qu’aux États-

Unis depuis la réforme menée par B. Obama,

l’assurance privée en France est

instrumentalisée pour poursuivre des objectifs

de santé publique et limiter les excès du

marché libre. C’est d’ailleurs pourquoi les

logiques de prestations essentielles et de non-

sélection médicale existent aussi dans ce pays,

sous la forme de contrats dits « solidaires et

responsables ». Pour bénéficier de cette

labellisation, ces derniers doivent couvrir des

garanties minimales et prendre en charge la

participation de l’assuré à des prestations de

Page 52: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

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prévention jugées prioritaires. De la même

manière, ils interdisent de rembourser les

sommes restées à charge pour responsabiliser

les assurés, mais aussi de pratiquer une

sélection médicale ou de déterminer les

cotisations selon l’état de santé de l’assuré.

Dans une approche beaucoup plus

prospective, c’est enfin sur les systèmes

d’incitations-sanctions (ou bonus-malus)

applicables à l’assurance privée que les

modèles sociaux français et américains tendent

à converger. Là où en France certains, dont la

Cour des comptes fait partie23

, mènent des

réflexions sur l’institution d’une

complémentaire santé obligatoire, les États-

Unis ont déjà mis en place des dispositifs

fortement incitatifs, relevant de l’obligation.

Au travers de l’Exchange, les entreprises

employant au moins 50 salariés doivent

souscrire une assurance santé au profit de leur

personnel (employer mandate), à défaut de

quoi elles risquent une pénalité (shared

responsibility payment) de 2 000 $ par

travailleur non couvert. Même ceux qui ne

peuvent bénéficier d’un plan d’assurance

d’entreprise restent tenus de souscrire une

assurance santé à titre individuel (individual

mandate), sous peine d’encourir eux aussi une

amende (penalty) du montant le plus élevé

entre 695 $ et 2,5 % de leur revenu. En

revanche, puisqu’aucune poursuite pénale n’est

encourue contre celui qui ne s’en acquitte pas,

cette pénalité doit être vue comme une taxe. Si

la liberté dans le choix de l’organisme assureur

23

Cour des comptes, « Le régime d’assurance

maladie obligatoire d’Alsace-Moselle », rapport

disponible sur le site http://goo.gl/8BK4X .

est maintenue, celle de s’assurer a dorénavant

un prix.

En définitive, si avec leur réforme les

démocrates n’ont pas décidé de bâtir un tout

nouveau système, mais préféré construire sur

l’existant, il n’en demeure pas moins que

l’éloignement idéologique prôné par une

grande majorité d’auteurs tend aujourd’hui à

s’effacer. Ne serait-ce pas avant tout parce que

l’efficacité d’un instrument de politique de

santé publique transcende les clivages

politiques ? En dépit de la forte hostilité

qu’elle a pu rencontrer, cette réforme n’en

constitue pas moins un mal nécessaire qui aura

de véritables répercussions économiques et

sociales pour la population américaine.

Participant du droit à la sécurité sociale et du

droit à la santé, il n’y a aucun doute sur le fait

que cette réforme constitue un réel pas en

avant pour les droits de l’Homme aux États-

Unis.

Page 53: Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012

RESUME

Les systèmes français et américain d’assurance maladie recouvrent des réalités bien distinctes. A

l’inverse du modèle français qui s’est organisé autour d’un socle public et obligatoire de protection, la

couverture américaine est basée sur la liberté et une forte implication de l’assurance privée. Si de

profondes oppositions demeurent, les deux poursuivent le même but : garantir le financement des

dépenses de santé et l’accès aux soins. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que certains mécanismes

se retrouvent dans les deux modèles. La récente réforme du système de santé américain participe de ce

rapprochement.

Mots-clés : Réforme du système de santé américain, Obamacare, régime français d’assurance

maladie, programmes publics de couverture, assurance privée

ABSTRACT

The French and American health insurance systems have little in common. In contrast to the French

model, centered on public and mandatory protection, the U.S. healthcare coverage is based on freedom

and a strong involvement of private insurance companies. Even though stark oppositions remain, both

systems have the same goal: to ensure the universal access to healthcare through adequate financing.

Therefore, it comes as no surprise that both systems tend to gradually converge, especially since the

latest reform has been introduced in the U.S.

Keywords: U.S. health-care reform, Obamacare, French Health Insurance scheme, federal-state

benefits programs, private insurance

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4

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Une revue trimestrielle éditée en ligne par

1