Postes diplomatiques et consulaires. Contrôle - Cour des comptes
Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012
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Transcript of Revue Horizons diplomatiques n°1 - Automne 2012
HHOORRIIZZOONNSS
DDIIPPLLOOMMAATTIIQQUUEESS
DDOOSSSSIIEERR || LLEESS NNEEGGOOCCIIAATTIIOONNSS
EENNVVIIRROONNNNEEMMEENNTTAALLEESS IINNTTEERRNNAATTIIOONNAALLEESS
Automne
2012
1
2
HORIZONS DIPLOMATIQUES
Directrice de publication
Raluca SCHUMACHER, Vice-présidente de Youth Diplomacy
Conseil éditorial
Lucas BRUNET, Directeur de programme « Mondialisation et environnement »
Claire CALMELS, Directrice de programme « Gouvernance ou gouvernement européen »
Iris DELAHAYE, Directrice de programme « Géopolitique de l’eau »
Thomas FRIANG, Président de Youth Diplomacy
Nicolas JUPILLAT, Directeur de programme « Affaires politiques et de sécurité »
Luc PIERRON, Directeur de programme « Questions sociales de la mondialisation »
Stéphane ROUSSELET, Secrétaire Général de Youth Diplomacy
Matthieu SOULE, Directeur de programme « Relations internationales et nouvelles technologies »
Youth Diplomacy
Youth Diplomacy est un think tank dont l’objectif est de donner à la jeunesse française des clés de
lecture transpartisanes de la mondialisation. La citoyenneté s’exprime aujourd’hui dans un contexte de
plus en plus globalisé que les parcours scolaires ne permettent pas toujours d’appréhender.
Modestement, Youth Diplomacy souhaite offrir une réponse à cette carence, sur la base du partage de
connaissances par ses conférences, ses publications et sa capacité à permettre aux jeunes de se rendre à
des Sommets internationaux en tant qu’acteurs ou observateurs.
Adresse : 79, Avenue de la République, 75011 Paris
Mails : [email protected]
Contribuez : [email protected]
3
SSOOMMMMAAIIRREE
Editorial ................................................................................................................................................... 4
DOSSIER | LES NEGOCIATIONS ENVIRONNEMENTALES INTERNATIONALES
Grand Entretien : « Négociations pour le climat, On piétine… » ........................................................... 6
Hyderabad et l’orchestration des négociations de la convention sur la diversité biologique ................ 13
Les négociations climatiques : opportunité pour revoir les modes de coopération internationale ? ..... 22
Human rights and climate change: towards the emergence of environmental human rights? .............. 30
VARIA | SYRIE, OBAMACARE
Enjeux et problématiques d’une intervention militaire en Syrie : l’impossible transposition du modèle
libyen ..................................................................................................................................................... 38
Obamacare : « Highway to Health ? »................................................................................................... 45
4
EEDDIITTOORRIIAALL
Lancer une revue est toujours une aventure
intellectuelle. A travers sa nouvelle
publication, Horizons diplomatiques,
l’association Youth Diplomacy fait le pari qu’il
existe une place, dans le paysage intellectuel
français, pour les revues dont le but est de
permettre aux jeunes de s’exprimer sur des
thèmes variés, dans une logique d’ouverture,
en prenant un regard original et en soulevant
des questions pertinentes.
De la rencontre entre les attentes d’un public
non-spécialiste des problématiques touchant à
nos programmes et des recherches de fond
menées par de jeunes étudiants de formation et
d’origines différentes, naîtra, nous l’espérons,
une dynamique d’échanges, dépassant le cadre
purement universitaire de la réflexion sur les
mutations de l’ordre international, et dont la
revue Horizons diplomatiques sera le vecteur.
Pour cela, cette jeune revue aura besoin de
l’enthousiasme et du soutien de tous ses
lecteurs, membres ou non de Youth Diplomacy,
pour créer et faire perdurer les conditions d’un
échange d’idées véritablement pluraliste,
contradictoire et transpartisan.
L’option éditoriale qui a présidé au choix de
consacrer ce numéro inaugural de la revue
Horizons diplomatiques aux questions de
changement climatique et d’érosion de la
biodiversité, est à mettre en rapport avec les
grands événements internationaux concernant
l’environnement et le développement durable –
Conférence Rio+20, la Conférence des Parties
à la Convention sur la Diversité Biologique
(COP11 CBD) – et auxquels Youth Diplomacy
a participé. Aussi l’objet principal de ce
premier dossier et de ses varia, échos des
récentes élections américaines et de
l’interminable conflit syrien, n’est-il
pas anodin. C’est dans la perspective de ces
grands jalons internationaux que doit être situé
le choix du thème de notre dossier et la
cohérence des problématiques des articles qui
le structurent. Ces articles sont aussi un
prélude aux futurs événements de l’agenda
environnemental, dont notamment la 18ème
conférence des parties (COP 18), qui aura lieu
fin novembre 2012 au Qatar.
Et puisque, comme le fait remarquer Jean
Jouzel, au-delà du problème du réchauffement
climatique, le message des scientifiques a du
mal à passer au grand public, le grand entretien
de ce premier numéro, gage de l’ouverture de
Youth Diplomacy et de son investissement
dans cette communication plurielle, est réservé
à cet ancien Vice-président du GIEC et prix
Nobel de la Paix en 2007.
Notes de la rédaction
Ont participé à ce numéro : Lucas Brunet,
Michael Ravier, Clémence Granveau,
Morgane Dussud, Romain Aby et Luc Pierron.
Les opinions exprimées ici ne relèvent que de
la responsabilité des auteurs des articles et en
aucun cas des institutions auxquelles ils sont
rattachés.
DDOOSSSSIIEERR || Les négociations environnementales internationales
Coordonné par Lucas Brunet
6
GGRRAANNDD EENNTTRREETTIIEENN :: «« NNEEGGOOCCIIAATTIIOONNSS PPOOUURR LLEE CCLLIIMMAATT,, OONN
PPIIEETTIINNEE…… »»
Grand Entretien avec JEAN JOUZEL par Michael RAVIER
Ce texte est né de la retranscription d’un entretien réalisé en septembre 2012 avec M. Jean Jouzel,
Vice-président du groupe scientifique du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution
du climat). L’entretien a été réalisé par Michael Ravier, membre adhérent de Youth Diplomacy,
spécialisé dans les problématiques du développement durable et de l'environnement.
Youth Diplomacy - Cet été, les Etats-Unis
ont connu une sécheresse historique,
entrainant une flambée des cours
alimentaires. En Arctique, un nouveau
record a été franchi dans la fonte des
glaces - certains prédisent qu’elles
pourraient entièrement disparaître durant
l’été à partir de 2016. Cela, alors que le
phénomène El Nino, censé amplifier les
effets du réchauffement, ne sera pas de
retour avant plusieurs mois. L’emballement
de la machine climatique a-t-il atteint un
point de non-retour ?
Jean Jouzel : J’estime que le réchauffement
constaté correspond à peu près à la trajectoire
envisagée il y a une vingtaine d’années, à
savoir un gain moyen de deux dixièmes de
degrés par décennie. Il est vrai que certains
indicateurs de réchauffement pointent une
accélération, mais d’autres peuvent aussi
suggérer l’inverse. Il faut prendre ces
indicateurs dans leur ensemble, et à une
7
échelle décennale et globale. On observe tout
de même au quotidien des phénomènes très
visibles, particulièrement dans les régions
arctiques, où le réchauffement est environ deux
fois plus rapide que la moyenne globale. En un
demi-siècle, la région Arctique a perdu une
surface enneigée équivalente à cinq fois la
France, au moment de la fin de l’hiver. Cela
favorise l’absorption des rayons lumineux et
donc le réchauffement, au détriment de leur
réfléchissement.
Cet été, plusieurs événements de grande
ampleur ont été constatés. Au Groenland, un
bloc de glace grand comme deux fois Paris
s’est détaché de la plateforme de Petermann.
D’ailleurs, 97% de la surface du Groenland
montrait des signes de fonte en juillet, tandis
que seules les côtes étaient touchées il y vingt
ans. Et puis, dans l’Océan Arctique, la surface
glacée minimale a atteint un nouveau record à
la mi-août, battant le niveau constaté en 2007.
Et la fonte se poursuit encore jusqu’à la mi-
septembre. On se retrouve aujourd’hui avec
une surface de moins de quatre millions de
km², contre sept à huit millions, il y a un demi-
siècle.
Youth Diplomacy : On lit souvent que le
réchauffement semble plus rapide que
prévu. Du fait de la composition très large
du GIEC, ses prévisions ne sont-elles pas
nécessairement conservatrices ?
Jean Jouzel : Cela dépend sur quoi. Il est vrai
que le GIEC n’avait pas prévu une
augmentation aussi rapide de la concentration
de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. La
fonte de l’Arctique à la fin de l’été est
également beaucoup plus rapide que ne
l’avaient prévu les modèles climatiques. Je ne
pense pas que la glace disparaitra
complètement l’été en 2016…Mais d’ici 2040
ou 2050, c’est quasiment certain.
D’un autre côté, si l’on observe la température
moyenne globale entre 2003 et 2012, on
constate qu’elle n’a pas sensiblement
augmenté, bien que dans son ensemble, la
dernière décennie ait été la plus chaude qu’on
n’ait jamais connue. De même, l’élévation du
niveau de la mer, cette année, semble avoir été
plus faible que prévue. On voit donc que par
rapport aux prévisions du GIEC, certains
indicateurs peuvent évoluer plus rapidement et
d’autres plus lentement.
Youth Diplomacy : La conférence de
Durban sur le climat, en décembre dernier,
s’est donné pour objectif de trouver d’ici à
2015 un accord global contraignant qui ne
sera activé qu’en 2020. Quel fut votre
sentiment à l’issue de cette conférence, et
votre opinion a-t-elle évolué depuis ?
Jean Jouzel : Du point de vue des
négociateurs, la conférence est un succès. Ils
n’ont pas totalement tort : les Etats-Unis se
sont toujours opposés au principe d’un accord
contraignant, jusqu’à ce que les Chinois
donnent leur accord. Après quoi, les Etats-Unis
devaient suivre. Ce n’était pas gagné
8
d’avance…Nathalie Kosciusko-Morizet1 était
très heureuse de l’issue des négociations.
Mais en tant que climatologue, force est de
constater qu’on est loin du compte. En 2009, à
Copenhague, les Etats avaient signé un accord
visant à ne pas dépasser un réchauffement de
2°C. Pour cela, il faudrait que les émissions
globales stagnent puis baissent dès 2020. Or,
elles n’ont jamais augmenté aussi rapidement
qu’au cours de la dernière décennie. A horizon
2020, il faut craindre un dépassement de 15%
des émissions par rapport aux objectifs.
Youth Diplomacy : En décembre aura lieu
la 18e Conférence des Parties à Doha, au
Qatar. Ce mois d’août, une conférence
préliminaire a eu lieu à Bangkok. Que nous
dit-elle sur le contenu à venir des
négociations, et sur la capacité des Etats à
s’entendre ? Quels éléments peuvent
permettre de débloquer les points
bloquants?
Jean Jouzel : Il semblerait que cette conférence
préliminaire n’ait pas permis d’avancer. La
principale difficulté vient du fait que certains
Etats estiment que l’accord de Durban leur a
été arraché de force, et veulent faire machine
arrière. On piétine…Mais c’est le propre des
négociations dans les phases préliminaires.
L’accord est prévu pour 2015 et ne se fera
probablement pas avant. D’autant plus que les
1 Nathalie Kosciusko-Morizet a été Ministre de
l’Ecologie, du Développement durable, des
Transports et du Logement de la France entre 2010
et 2012.
négociateurs souhaitent s’appuyer sur le 5e
rapport du GIEC, qui sera publié en 2013 pour
le volet scientifique et en 2014 pour
l’ensemble des autres volets et le rapport de
synthèse.
Youth Diplomacy : Lors de la conférence de
Durban, l’Europe a unilatéralement décidé
de maintenir son adhésion au protocole de
Kyoto, même après son expiration, cette
année. Au-delà du geste symbolique, qu’est-
ce que cela traduit dans la stratégie de
l’Union ?
Jean Jouzel : L’Europe a mis sur la table les
objectifs qu’elle s’était déjà imposés, à savoir
une réduction de 20% de ses émissions à
l’horizon 2020, par rapport au niveau de 1990.
Nous sommes en bonne voie : rien qu’en 2011,
les émissions ont baissé de 2,5%. L’idée d’une
baisse de 30% a également été suggérée par
l’Europe, mais uniquement si d’autres Etats
l’accompagnent. Ce qui n’est pas le cas.
Youth Diplomacy : La France a rejoint en
juillet l’initiative Clinton, qui vise à réduire
en priorité les émissions de gaz à effet de
serre les plus puissants et les plus nocifs
pour la santé, comme le méthane et les
particules. Le Canada a également rejoint
l’initiative, après avoir claqué la porte au
protocole de Kyoto. Cette démarche est-elle
un pas en avant, ou un coup de poignard
dans le dos des négociations globales ?
9
Jean Jouzel : J’ai bien peur que nous soyons
dans le second cas de figure. Certes, il est plus
facile d’agir sur les émissions de méthane et
d’aérosols, et les actions proposées par ce plan
sont indispensables. Mais je me méfie de la
stratégie américaine consistant bien souvent à
éviter le problème. En l’occurrence, la
réduction des émissions de CO2, indispensable
à l’objectif des 2°C.
Youth Diplomacy : Cette initiative est
lancée au moment où le développement des
gaz de schiste bat son plein aux Etats-Unis.
N’est-ce pas paradoxal ?
Jean Jouzel : De nombreuses techniques
permettent de réduire les émissions de
méthane. J’ai récemment appris qu’en
modifiant l’alimentation du bétail, on pouvait
réduire leurs rejets de 20%, ce qui est loin
d’être négligeable. Les gaz de schistes sont
parfois présentés aux Etats-Unis comme une
alternative plus vertueuse que le charbon pour
le climat. Il est vrai que le méthane offre une
concentration énergétique double. Cependant,
les techniques d’extraction employées
produisent également des rejets, d’où un bilan
pour le climat potentiellement aussi mauvais
que celui du charbon. L’idée que le gaz de
schiste puisse être un progrès en termes de
lutte contre le réchauffement climatique reste
donc largement à prouver.
Youth Diplomacy : De toute évidence, les
espaces de négociation internationale ne
suffisent pas à rendre nos civilisations
durables. Selon vous, quels acteurs doivent
être la force motrice pour aller vers un
mode de développement plus durable ?
Jean Jouzel : Le développement sera
réellement durable lorsqu’il deviendra
économiquement durable. Or, les énergies
fossiles restent relativement bon marché. Aux
Etats-Unis, le prix du gaz a été divisé par trois.
On peut tout de même espérer faire évoluer les
choses par des initiatives locales et régionales.
Les villes travaillent à la maîtrise de l’énergie,
et c’est dans leur intérêt, sur le plan
énergétique, mais aussi vis à vis de la cohésion
sociale. En ce moment, j’enchaîne d’ailleurs
les inaugurations de plans climats, et certaines
localités comme Fribourg sont exemplaires.
Certaines entreprises jouent également le jeu.
Mais des normes et réglementations au niveau
des Etats restent indispensables pour impulser
une marche forcée vers une « société bas
carbone ».
Youth Diplomacy : Malgré le diagnostic
quasi-unanime des scientifiques, beaucoup
de citoyens continuent de douter de la
réalité du changement climatique et de son
origine humaine. Le scandale du Heartland
Institute a récemment démontré que des
personnalités influentes étaient payées par
des intérêts privés pour minimiser la réalité
du réchauffement. Qui porte la
responsabilité de ce parasitage de
l’information scientifique ?
Jean Jouzel : L’ultralibéralisme est opposé à
toute réglementation. Il porte donc
10
naturellement en son sein la négation du
changement climatique, puisque accepter sa
réalité revient à admettre la nécessité de
réglementations. C’est ce que les républicains,
et certains instituts qui leurs sont liés, arborent
en soutenant des chercheurs sceptiques dans
leurs travaux.
On observe parfois des revers chez ces
groupements d’intérêt, comme ce fut le cas
pour la Fondation Charles G. Koch (du nom de
deux frères américains milliardaires de
l’industrie pétrolière et proches du Tea Party),
qui finançait le scientifique Richard Muller. Ce
dernier a d’abord dénoncé des erreurs dans la
synthèse des climatologues du GIEC. Puis,
après avoir mené ses propres estimations, il a
déclaré être arrivé aux mêmes conclusions.
En France, je pense que la démarche de Claude
Allègre, au travers de son « écologie
d’avenir»2, est en fait une « écologie
réparatrice » : « tant pis si nous faisons ces
erreurs, on les réparera après ». Or, il y a une
telle inertie dans le système climatique qu’on
fait aujourd’hui des erreurs qui auront des
conséquences dans cinquante ans ; il ne sera
plus temps de les réparer. La véritable écologie
doit être préventive : nous devons anticiper nos
erreurs.
Youth Diplomacy : Comment pouvons-nous
lutter contre cette désinformation ?
2 Ecologie d’avenir a été fondée par le scientifique
et universitaire Claude Allègre, ancien ministre
chargé de l’éducation nationale et membre de
l’Académie des sciences.
Jean Jouzel : Les sceptiques ont droit à la
parole, c’est le principe de la démocratie.
Malheureusement, ils bénéficient plus
facilement de l’écoute du public, car ils disent
ce que nous voulons tous entendre :
« continuez, il n’y a rien à changer à notre
mode de vie et de développement ». En tant
que scientifique, j’estime que mon rôle est
d’analyser la situation et de dire les choses
telles qu’elles sont, sans catastrophisme. C’est
ce que je fais en m’appuyant d’ailleurs très
largement sur les rapports du GIEC.
Youth Diplomacy : Le GIEC avait fait il y a
quelques années l’objet d’une polémique
suite à une fuite d’e-mails, alimentant les
théories de complot des climatologues.
Quels enseignements le GIEC a-t-il tiré de
cet épisode ? Quel travail a été fait sur sa
transparence ?
Jean Jouzel : Le « climategate » a fait suite à la
subtilisation d’e-mails provenant des travaux
de l’équipe du chercheur Philip Johns, de
l’Université de Greenwich. Le travail de
l’équipe concernée consiste à faire la synthèse
des données existantes, ce qui implique
notamment de corriger certains biais
statistiques. Certains extraits, pris hors
contexte, suggéraient une forme de tricherie.
Par exemple, un e-mail concernant l’épaisseur
des anneaux d’arbres propose de procéder à
une correction pour prendre en compte des
facteurs intervenant spécifiquement sur la
période récente, ce qui se trouve être une
méthode d’ajustement parfaitement
11
documentée dans les revues scientifiques.
Toute cette affaire a fait beaucoup de bruit…
On a beaucoup moins parlé des trois audits
indépendants qui ont conclu qu’il n’y avait pas
eu de manipulation de données.
Pour autant, il arrive que le GIEC fasse des
erreurs. Ce fut le cas pour des estimations de
production de glace en Himalaya, qui
s’appuyaient sur de la littérature dite grise
(publication sans comité de lecture), en
l’occurrence des articles de journaux. Un audit
a donc été mené par l’InterAcademy Council,
suite à quoi la gouvernance du GIEC a été
renforcée et des mesures ont été prises pour
prévenir les conflits d’intérêts. Il faut rappeler
que l’organisme s’était constitué il y a vingt
ans, de façon relativement souple. Je pense que
cette évolution est tout à fait logique et
bénéfique.
Youth Diplomacy : Les débats sur les
questions de l’environnement rassemblent
généralement les mêmes groupes de
personnes déjà convaincues. Comment
intéresser l’ensemble de la population, et
notamment les jeunes ?
Jean Jouzel : Je suis attaché aux conférences
grand public, mais il est vrai qu’elles
rassemblent souvent des gens convaincus.
J’interviens aussi dans des émissions plus
grand public comme « C dans l’air », et les
climatologues ont parfois droit à la parole au
journal télévisé. Mais de façon générale, au-
delà du problème du réchauffement climatique,
je constate que le message des scientifiques a
du mal à passer au grand public.
Malheureusement, de moins en moins
d’émissions télévisées s’intéressent à la
science. Il reste quelques bonnes émissions
radio. Mais pour une bonne partie de la
population – et nous compris -, il sera toujours
difficile d’entendre que nous devons changer
de mode de développement. L’information
dans les écoles est une chose très importante.
Youth Diplomacy : Merci à vous !
Jean Jouzel : Merci en tout cas à Youth
Diplomacy de s’investir dans cette
communication !
12
RESUME
Jean Jouzel est climatologue au CEA de Saclay, où il devient directeur de recherches en 1995. Il est
connu du public pour son rôle au sein du groupe scientifique du GIEC, le Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat, dont il devient Vice-président en 2002 et avec lequel il
partage le prix Nobel de la Paix 2007. Dans cet entretien, M. Jean Jouzel replace dans leur contexte les
événements climatiques qui ont marqué l’été, en particulier la rapide fonte du Pôle Nord. Il partage
également son analyse des laborieuses négociations internationales sur le climat. En tant que Vice-
président du groupe scientifique du GIEC, il s’exprime sur ce qu’il considère être sa mission
d’information du public et dénonce les propos dangereusement rassurants de certains scientifiques et
personnalités dites « climatosceptiques ».
Mots-clés : Climat, Arctique, Durban, Doha, GIEC
ABSTRACT
Jean Jouzel is a long-time climatologist and Research Director at the Center for Atomic Alternative
Energies (CEA) of Saclay. Famous for his leadership on the United Nation's International Panel on
Climate Change (IPCC), he was nominated Vice President of the organization's scientific group in
2002, and therefore shared the 2007 Nobel Peace Prize with his co-workers. In this interview, M. Jean
Jouzel gives us an overview of the dramatic climatic events that took place over this summer,
particularly regarding the historical melt of Arctic sea ice. He also shares his analysis of the
preliminary negotiations on climate change that took place in September. And as representative of the
IPCC, he denounces the climate skeptics for their dangerous and irresponsible campaigns.
Keywords: Climate, Arctic, Durban, Doha, IPCC
13
HHYYDDEERRAABBAADD EETT LL’’OORRCCHHEESSTTRRAATTIIOONN DDEESS NNEEGGOOCCIIAATTIIOONNSS DDEE LLAA
CCOONNVVEENNTTIIOONN SSUURR LLAA DDIIVVEERRSSIITTEE BBIIOOLLOOGGIIQQUUEE
Par Lucas BRUNET et Sylvain BOUCHERAND
Lucas Brunet est licencié de biologie à l'UPMC (Paris VI) et réalise un double master en Sciences et
Politiques de l'Environnement à l'UPMC et Sciences Po Paris. Engagé dans différents projets
associatifs au sein de Sciences Po Environnement (Paris+20, Forêt Sciences Po), Lucas Brunet a
également une expérience de recherche en ONG (BLOOM) et en instituts de recherche (IDDRI, IRD,
MNHN). Rapporteur de la Commission sur l'Environnement lors du Youth20, organisé par la
Présidence mexicaine du G20 à Puebla en mai 2012, Lucas Brunet dirige actuellement le programme
« Mondialisation et Environnement » au sein de l’association Youth Diplomacy.
Sylvain Boucherand, ingénieur RSE et Biodiversité chez B&L évolution, innove pour réintégrer
l’entreprise et l’économie au sein des écosystèmes du monde du vivant.
« C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits,
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits »
A. Rimbaud
La biosphère imprègne profondément
le paysage et l'histoire de la planète Terre. Elle
fut, à certaines périodes, affectée par des crises
singulières. Cinq crises majeures de disparition
d'un grand nombre d'espèces rythment ainsi
l'histoire de la biodiversité de notre planète. Le
tempo de la disparition des espèces,
habituellement lent, s'accélère dans ces
périodes jusqu'à devenir infernal. Ordovicien,
Dévonien, Permien, Trias et Crétacé se
terminent par cette frénésie ; la disparition et la
perte d'un gigantesque nombre d'espèces
caractérise nos classifications géologiques,
témoin de leur impact profond et bouleversant.
L'humanité connaît aujourd'hui une
14
sixième extinction massive d'espèces3 et en est
très probablement responsable. Plusieurs
facteurs sont habituellement attribués à cette
nouvelle crise d'extinction de l'Holocène : la
modification des habitats, le changement
climatique, les espèces envahissantes, la
surexploitation des ressources et les
pollutions4.
Pour répondre à ces enjeux croissants
d'ampleur mondiale, la convention pour la
diversité biologique (CBD) fut signée au
sommet de la Terre en 1992 avec les deux
autres conventions des Nations Unies sur le
changement climatique (CCNUCC) et sur la
désertification (CCNUD). Entrée en vigueur à
la fin de l'année 1993, la convention pour la
diversité biologique s'est progressivement
imposée dans le domaine du droit international
de l'environnement et regroupe aujourd'hui 193
États parties. Cette convention se fixe trois
objectifs principaux : conserver la biodiversité,
utiliser de manière durable ses composants et
partager équitablement et avec justice les
bénéfices issus de l'exploitation des ressources
génétiques.
La négociation de l'avant dernière
Conférence des Parties à la convention (COP
10, Nagoya, 2010) avait réussi à atteindre les
différents objectifs fixés et, ainsi, à redonner
une forme d'espoir et de vie au
multilatéralisme environnemental, notamment
3 J. A. Thomas, et al., “Comparative Losses of
British Butterflies, Birds, and Plants and the Global
Extinction Crisis”, Science 303, 1879 (2004). A.D.
Barnosky et al., “Has the Earth's sixth mass
extinction already arrived ?”, Nature 471, 2011.
4 Millennium Ecosystem Assessment, 2005.
après l'échec de la conférence de Copenhague
(COP 15 UNFCCC, Copenhague, 2009). La
dernière Conférence des Parties à la CBD,
ayant lieu tous les deux ans, vient de s'achever
en Inde à Hyderabad (COP 11, Hyderabad, du
8 au 19 octobre 2012). Quels ont été ses enjeux
et ses résultats ? Sommes-nous toujours face à
une apparente réussite des négociations
multilatérales environnementales dans le
domaine de la biodiversité ?
Une symphonie naturelle
La COP 10 de Nagoya, point d'orgue
de l'année internationale de la biodiversité
(2010) et annonciateur de la Décennie des
Nations Unies sur la biodiversité (2011-2020),
a permis des avancées importantes dans
plusieurs domaines, adoptant le fameux
package de Nagoya. Un protocole pour l'accès
aux ressources génétiques et pour le partage
des avantages issus de leur utilisation fut ainsi
accepté : le Protocole d'Accès et de Partage des
Avantages (APA) ou Protocole de Nagoya. Il
permet notamment de lutter contre le pillage
des ressources génétiques par certaines
entreprises ou firmes pharmaceutiques en
définissant des conditions d'accès et en
établissant des règles pour le partage des
bénéfices entre les utilisateurs et les
fournisseurs de ces ressources. Ce protocole
représente aussi une avancée importante dans
la reconnaissance du droit des populations
locales en considérant les savoirs écologiques
locaux associés à ces ressources génétiques.
15
Un plan stratégique pour lutter contre
l'érosion de la biodiversité a aussi été adopté,
comprenant les vingt Objectifs d'Aichi. Ces
objectifs ambitieux visent à stopper l'érosion
de la biodiversité, initialement fixé pour 2002
par les Nations Unies, et proposent notamment
d'éliminer ou de réformer les subventions
néfastes à la biodiversité (objectif 3) ou de
protéger, d'ici 2020, 17% des espaces terrestres
et 10% des espaces marins (objectif 11). Mais
la question vitale des financements pour
parvenir à la mise en place de ces stratégies
n'avait pu être complètement tranchée.
Dès lors, parvenir à un accord sur les
mécanismes de financement internationaux
pour la protection de la biodiversité constituait
un des enjeux principaux de la Conférence
d'Hyderabad. Le protocole APA, voté à
Nagoya, n'avait aussi été ratifié que par un très
faible nombre d'États (le Gabon, la Jordanie, la
République Populaire Démocratique du Laos,
le Mexique, le Rwanda et les Seychelles),
malgré l'ensemble conséquent d'États
signataires (92).
La conférence d'Hyderabad devait
donc constituer un autre temps fort dans les
négociations internationales pour la protection
de la biodiversité : passer de l'apport de
nouvelles idées et de nouveaux textes (policy
making) à la question des conditions de leur
application (implementation). La COP 11 a
permis l'adoption d'un certain nombre de
décisions, au total de 33, qui répondent aux
problèmes non résolus de Nagoya.
Tout d'abord, il convient de constater
que le problème du financement, refrain
classique des négociations internationales dans
le domaine de l'environnement, cristallise
l'opposition entre les Pays Développés à
Économie de Marché (PDEM) (UE, Japon
etc.) et les Pays En Développement (PED).
Certes, les PED sont prêts à accepter certains
changements dans leur développement, tâche
d'autant plus nécessaire qu'ils sont les
détenteurs d'une majeure partie de la
biodiversité, mais ils réclament en contrepartie
une aide des PDEM du fait du principe de
responsabilités communes mais différenciées
de la conférence de Rio 92 et de la coopération
Nord-Sud. Le groupe G77/Chine et le Mexique
ont ainsi souligné la nécessité de parvenir à la
mise en place d'un tel mécanisme pour
exécuter leurs engagements5. Ce centre
névralgique des négociations a occupé la plus
grande partie de l'agenda et du temps de la
conférence. Un compromis fut cependant
trouvé le lendemain de la date officielle de
clôture.
Si les PDEM ont finalement accepté
d'augmenter leurs flux de financement liés à la
biodiversité, en les doublant d'ici 2015 et en les
maintenant à ce niveau jusqu'à 2020, ils ont
obtenu que la performance de l'utilisation de
ces fonds soit évaluée en accord avec les
Objectifs d'Aichi. Ce compromis très
important, fixant pour la première fois un
5 “Summary of the Eleventh Conference of the
Parties to the Convention on Biological Diversity”,
Earth Negotiation Bulletin, International Institute
for Sustainable Development, Volume 09, Number
595 - 22 October 2012.
16
objectif financier chiffré en faveur de la
biodiversité, oppose la difficulté pour les
PDEM de s'engager financièrement en
contexte de crise économique et financière et
la volonté des PED de conserver leur
souveraineté sur l'utilisation de ces ressources.
Les PED ont d'ailleurs précisé que ce type de
monitoring pour l'utilisation des ressources
financières ne devait s'étendre à d'autres
accords environnementaux et était spécifique
aux forts problèmes de financement de la
biodiversité.
D'autres avancées significatives ont été
enregistrées, notamment dans le domaine de la
désignation d'aires marines protégées, étape
nécessaire pour parvenir aux Objectifs d'Aichi,
grâce à la description de nombreuses aires
marines écologiquement et biologiquement
représentatives (EBSA). De nouvelles
guidelines ont aussi été adoptées pour la
conduite des évaluations d'impacts sur
l'environnement dans les espaces marins au-
delà des juridictions nationales, contribuant à
accentuer l'importance actuelle de ce sujet
normalement débattu au sein de l'Assemblée
Générale des Nations Unies et abordé sans
solution à Rio+20.
Néanmoins, peu de solutions ont été
trouvées pour répondre aux autres enjeux.
L'opposition entre les PED et les PDEM au
sujet l'établissement d'indicateurs pour évaluer
la gestion de REDD+ et ses conséquences
demeurent. Les PED soutiennent en effet
qu'une évaluation est déjà conduite par les pays
au niveau national et que le coût de son
établissement desservirait l'intérêt de la
sauvegarde d'autres espaces forestiers. En fait,
les délégués refusent que les compétences de la
CBD empiètent sur ce sujet actuellement
débattu au sein de la CCNUCC. La
considération de l'effectivité de ce mécanisme
d'un point de vue écologique serait pourtant
nécessaire. De même, d'autres sujets comme la
géo-ingénierie et la biologie de synthèse ont
été repoussés à la prochaine COP.
L'objectif majeur de la COP reste
cependant atteint avec le fort compromis pour
la mise en place d'un mécanisme de
financement. Le concert des Nations a donc
fonctionné, résonnant comme une symphonie
naturelle où chaque participant, tout comme
chaque être vivant, occupe une place
primordiale dans l'élaboration du tout. Dans
cette même dynamique de réussite, plusieurs
pays ont annoncé la ratification du protocole
de Nagoya comme la France pour 20136,
accompagnée progressivement par l'ensemble
de l’UE7.
Cacophoniques échos
Finalement, face aux capacités des
dernières COP CBD (Nagoya et Hyderabad) à
répondre aux enjeux fixés, on peut s’interroger
6 Discours Delphine Batho, Ministre de l'Écologie,
du Développement durable et de l'Énergie,
Hyderabad 2012.
7 Proposal for a Regulation of the European
Parliament and of the Council on Access to Genetic
Resources and the Fair and Equitable Sharing of
Benefits Arising from their Utilization in the Union,
European Commission, Brussels, October 2012.
17
sur les raisons de tels succès, du moins
apparents et sur ces prétendues preuves du bon
fonctionnement du multilatéralisme
environnemental.
Tout d'abord, il convient de constater
que les COP s'adressent à des problèmes plus
spécialisés et plus techniques que les grandes
conférences comme celle de Rio+20 qui
peinent actuellement à sortir de simples
déclarations formelles de principe. Les enjeux
peuvent donc être négociés de manière plus
précise et plus appropriée et la place
primordiale des groupes de scientifiques
comme l'Organe subsidiaire chargé de fournir
des avis scientifiques, techniques et
technologiques de la CBD augmente la qualité
des informations disponibles.
Le contexte du déroulement des deux
COP pourrait aussi jouer un rôle important
dans le succès de ces négociations. L'échec de
la conférence de Copenhague sur le
changement climatique (COP 15 CCNUCC)
avait précédé la COP 10 de Nagoya, où les
différents délégués s'étaient acharnés pour
parvenir à l'accord sur ce package, tous
désirant croire et prouver que le
multilatéralisme environnemental n'était pas
mort. De même, la conférence d'Hyderabad
suit la conférence de Rio+20, perçue par un
grand nombre d'acteurs comme n'ayant pas
réussi à redonner un nouveau souffle à la
gouvernance mondiale du développement
durable et de l'environnement. On peut donc
penser que le fort compromis obtenu pour la
mobilisation des ressources financières était
aussi une preuve de l'existence d'une
coopération toujours possible entre les PED et
les PDEM.
De plus, la faible médiatisation de ces
COP, inférieure à celles sur le climat, est un
atout. Elle laisse une marge de manœuvre
primordiale aux négociateurs et évite de
cristalliser leurs positions à cause d'une
pression nationale trop forte, pouvant mener à
des échecs complets comme pour la très
médiatisée COP de Copenhague (COP 15).
L'absence des États Unis comme État Partie à
la CBD enlève aussi un poids non négligeable
aux négociations. Cependant, si ces
négociations semblent être de réels succès, une
analyse approfondie révèle en fait d'importants
manques et la persistance de certaines
faiblesses8.
Des faiblesses au niveau des textes
persistent et les rendent partiellement
inappropriés. Le protocole de Nagoya APA ne
tranche pas sur un certain nombre de sujets
importants comme l'implication des produits
dérivés des ressources biologiques ou
génétiques, sa relation avec d'autres
instruments internationaux sur l'échange de
ressources génétiques comme pour les vaccins
au sein de l'OMS et la mise en place de
mécanismes de surveillance de sa bonne
application.
Certains objectifs, bien que
nécessaires, ne semblent pas pouvoir être
atteints et pourraient donc illustrer des
8 Billé, R et al. (2012), “The 11th Conference of
the Parties to the CBD: a return to normalcy in
Hyderabad?”, Policy Briefs, n° 14/2012, IDDRI,
2012.
18
décisions prises sans réel apport
complémentaire à leur bonne application ou
sans réelle considération de la complexité des
problèmes. Ainsi, l'objectif 3 d'Aichi portant
sur la réforme et la suppression des
subventions néfastes à la biodiversité ne
pourrait être atteint, même avec l’opportunité
offerte par la crise économique, pour des
raisons de coût politique trop important à
porter.
Enfin, l'accroissement des ressources
financières des PDEM pour les PED ne
pourrait former qu'une simple déclaration de
principe face aux réels besoins. De 2014 à
2018, la mise en œuvre des objectifs d'Aichi
dans les PED pourrait en effet demander de 74
à 191 milliards de dollars, somme très
différente des cinq milliards de dollars par an
d'aide supplémentaire qui sera apportée suite à
la décision d'Hyderabad.
Les négociations des COP CBD
affichent ainsi, par leur apparent succès,
certaines touches d'optimisme dans le
multilatéralisme environnemental qui semble
bloqué pour certains, voire inefficace et mort
pour d'autres. Mais, si les négociations des
COP CBD présentent certaines originalités qui
pourraient expliquer leur réussite, elles ne
semblent pas pouvoir pleinement répondre au
problème de l'érosion de la biodiversité,
notamment au sujet de la mobilisation des
financements. Finalement, le réel succès de ces
négociations pourrait aussi provenir du
manque de clarté des objets négociés et de
l'absence d'engagements vraiment
contraignants.
Néanmoins, le chant de ces
conférences rejoint et épouse celui de la
biodiversité. Certes, les avancées sont lentes et
majoritairement non substantielles, mais les
problèmes se construisent progressivement et
la capacité évolutive du vivant reste non
immuable dans le temps. La conservation
pourrait ainsi parvenir à son objectif de
préservation du vivant, sans pour autant
« mettre sous cloche » ce qu'elle protège. Reste
seulement le problème du tempo : la vitesse
des décisions pourra-t-elle répondre à la
vertigineuse disparition des espèces ?
19
ZOOM : Les problèmes de financement de la protection de la biodiversité,
par Sylvain BOUCHERAND
Afin de stopper la perte de
biodiversité, la stratégie adoptée a été la
création de « zones protégées ». Il s’agit de
« zones clairement délimitées
géographiquement, reconnues, dédiées et
gérées à l’aide d’outils notamment légaux,
dans le but de permettre une conservation sur
le long-terme de la nature et des services
écologiques associés ainsi que leurs valeurs
culturelles »9.
En 2011, la surface des zones protégées
atteignait environ 12% du total des terres et
0,5% de la surface totale des océans. Bien que
cela représente une augmentation de 60%
depuis les années 1990, il reste à faire des
efforts considérables pour atteindre en 2020 les
objectifs de surfaces en zones protégées de
respectivement 17% et 10%.
Les études montrent que l’on dépense
actuellement environ 0,8 milliards de dollars
pour gérer ces aires protégées. Cependant, rien
que pour la gestion de base des sites et leur
gestion administrative, le coût estimé serait de
près de 1,8 milliards de dollars en 2004 et
devrait être supérieur aujourd’hui. Ce manque
de financement ne permet pas de développer
des projets et activités qui sortent de la gestion
basique des sites et qui seraient pourtant
nécessaire dans une perspective de
conservation de la biodiversité. Ceci sans
9 Voir http://www.uicn.org/.
compter que la création de nouvelles zones
protégées devrait coûter plus de 9 milliards de
dollars par an !
Il est pourtant extrêmement rentable d’investir
dans ces zones. Il a par exemple été démontré
qu’à Madagascar, la gestion du réseau d’aires
protégées coûtant 18 millions de dollars par an
et générerait plus de 20 millions de dollars par
an en valeur de non consommation directe,
usages indirects et valeur de non-usage.
Il semble donc pourtant clair que le bon
fonctionnement des écosystèmes génère des
bénéfices et bienfaits considérables à notre
société, bien plus élevés que les besoins en
financement nécessaires à leur gestion.
BILBIOGRAPHIE
Articles
BARNOSKY A.D. et al., “Has the Earth's Sixth Mass Extinction Already Arrived?”, Nature 471,
Mars 2011, http://www.nature.com/nature/journal/v471/n7336/full/nature09678.html
BILLE R. et al., “The 11th Conference of the Parties to the CBD: a return to normalcy in
Hyderabad?”, Policy Briefs, n° 14/2012, IDDRI, 2012, http://www.iddri.org/Publications/La-11e-
Conference-des-Parties-a-la-CDB-retour-a-la-normale-a-Hyderabad.
BRUNER A. et al., “Financial Costs and Shortfalls of managing and Expanding Protected-Area
Systems in Developing Countries”, BioScience, Vol. 54, Issue 12, December 2004.
FEGER C., PIRARD R., Assessing funding needs for biodiversity: Critical issues (IDDRI)
JAMES A. et al., “Can we Afford to Conserve Biodiversity?”, Bioscience, January 2001, 51, 2001.
THOMAS J.A., et al.,“Comparative Losses of British Butterflies, Birds, and Plants and the Global
Extinction Crisis”, Science 303, 1879, 2004.
Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on Access to Genetic
Resources and the Fair and Equitable Sharing of Benefits Arising from their Utilization in the Union,
European Commission, Brussels, October 2012.
“Summary of the Eleventh Conference of the Parties to the Convention on Biological Diversity”,
Earth Negotiation Bulletin, International Institute for Sustainable Development, Volume 09, Number
595 - 22 October 2012.
Sites
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International Union for Conservation of Nature, www.iucn.org.
Institute for European Environmental Policy, www.ieep.eu.
Millennium Ecosystem Assessment, 2005.
Objectifs d'Aichi, Plan stratégique 2011-2020, http://www.cbd.int/sp/targets/.
Protocole d'Accès et de Partage des Bénéfices (Protocole de Nagoya), http://www.cbd.int/abs/.
21
RESUME
Face à la sixième crise globale d'extinction de la biodiversité, des solutions internationales sont
proposées par le multilatéralisme environnemental, notamment à travers la Convention pour la
Diversité Biologique. Une analyse des avancées des deux précédentes conférences des parties à cette
convention permet d'identifier un changement de dynamique, l'objet des négociations passant de
l’apport de nouvelles idées, à la réflexion sur les conditions de leur application. Nous discutons dans
cet article du succès apparent des négociations sur la biodiversité, en opposition avec les difficultés
générales du multilatéralisme environnemental. L'adoption du package de Nagoya et le compromis sur
les questions de financement de la protection de la biodiversité d'Hyderabad illustrent cette tendance.
Mots-clés : Convention pour la Diversité Biologique, extinction, financement, Hyderabad,
négociations.
ABSTRACT
Faced with the sixth global biodiversity extinction crisis, international solutions are proposed by
environmental multilateralism, mainly through the Convention on Biological Biodiversity. An analysis
of the last two conferences of the State parties’ achievements highlights a change in the negotiation
process dynamic, the object of the negotiations shifting from the mere input of new ideas to the
conditions of their implementation. We shall discuss the reasons for the biodiversity negotiations'
apparent success, which goes against the current trend in environmental multilateralism, primarily
focusing on the adoption of the Nagoya package and the Hyderabad's compromise on biodiversity
conservation funding.
Keywords: Convention on Biological Diversity, extinction, funding, Hyderabad, negotiations.
22
LLEESS NNEEGGOOCCIIAATTIIOONNSS CCLLIIMMAATTIIQQUUEESS :: OOPPPPOORRTTUUNNIITTEE PPOOUURR RREEVVOOIIRR
LLEESS MMOODDEESS DDEE CCOOOOPPEERRAATTIIOONN IINNTTEERRNNAATTIIOONNAALLEE ??
par Clémence GRANVEAU
Clémence Granveau est actuellement en Master II de Relations Internationales à l'Institut d’Études
Politiques de Lille. Elle est l’auteur d'un mémoire de recherche consacré au Forum Mondial de l'Eau
de Marseille 2012 : « De la coopération à la confrontation. Regards sur le sixième Forum Mondial de
l'Eau ».
« Les accords internationaux en écopolitique ne
constituent pas des fins en eux-mêmes, mais initient des
processus1»
Philippe Leprestre
Suite à la conférence de Rio+20 en juin
dernier, de nombreuses voix se sont élevées
pour manifester leur déception quant à ce qui
est apparu comme un échec de la communauté
internationale à renouveler l’engagement
1Philippe Lepresle, Protection de l'environnement
et relations internationales. Les défis de
l'écopolitique mondiale, Paris, Armand Colin,
2005, p. 194.
politique à long terme en faveur du
développement durable. En effet, les dernières
grandes conférences internationales sur le
climat ont échoué à prendre des engagements
concrets. Désormais il ne suffit plus de mettre
en place une dynamique internationale de
coopération sur le climat, mais de s'entendre
sur la mise en place d'un régime international
climatique véritablement contraignant. Depuis
la conférence de Rio en 1992, puis l'adoption
du Protocole de Kyoto en 1997, le contexte
international et les enjeux des négociations ont
évolué à un point tel que la question
23
environnementale englobe les principaux défis
du siècle : gestion des ressources naturelles,
sécurité et paix internationale, échanges
économiques entre autres. Les négociations à
ce sujet se heurtent à des obstacles
particulièrement complexes.
L’analyse des négociations climatiques
de Rio 1992 à Rio 2012 souligne que ces
dernières se trouvent aujourd’hui dans une
impasse. Toutefois, des solutions existent et
elles impliquent, entre autres, de revoir le
processus même des négociations, sur la forme
comme sur le fond. Cet article se propose donc
de revenir sur les écueils et problèmes
rencontrés lors des négociations climatiques de
Rio 1992 à Rio 2012, leur étude permettant
ensuite d'élaborer plusieurs stratégies visant à
donner un nouvel élan à la coopération
internationale sur le climat.
Les négociations climatiques victimes
d’obstacles inhérents à la coopération
internationale
Les négociations climatiques sont
soumises aux mêmes procédés que toute
négociation internationale, et connaissent les
mêmes étapes dans leur déroulement. Elles
passent par des phases de conflit structuré –
problem solving2, et de conflit non structuré –
2 « Dans laquelle les parties prenantes partagent
des valeurs et des objectifs collectifs mais ne sont
pas d'accord sur les instruments à utiliser ». Voir
Sophie Thoyer, « Dynamique des négociations
internationales environnementales : jeux d'acteurs
et interactions verticales. Le cas des négociations
sur la biodiversité », Idées pour le débat,
n°07/2002, IDDRI, 2003, disponible en ligne
problem finding3. En effet, les premières
négociations climatiques relevaient du problem
finding dans la mesure où les Etats parties
n’étaient pas d’accord sur le diagnostic de la
situation, c’est-à-dire sur les conséquences
avérées du changement climatique et leur
véracité scientifique. Aujourd’hui, ces derniers
essaient de structurer le conflit en tentant de
définir les valeurs et le cadre d’un régime
international du climat.
Cela implique premièrement des
étapes d'apprentissage4 dans lesquelles les
parties prenantes doivent établir les objectifs et
instruments sur lesquels portera la négociation
(par exemple, la réduction des émissions de
gaz à effet de serre (GES) par un système de
crédit carbone), ensuite des étapes de
coordination, visant à déterminer les modalités
pratiques, ainsi que les objectifs et instruments
(la structure du marché, l’allocation des permis
et crédits etc.). A ce jour, les Etats se trouvent
face à des conflits « semi structurés 5» : les
parties trouvent un accord sur les objectifs ou
sur les instruments, mais ne parviennent pas à
une solution complète.
Dès la fin des années 1970,
l'environnement devient une préoccupation
politique6. Le Sommet de la Terre, en 1992, a
marqué la nécessité de mettre en place un
http://www.iddri.org/Publications/Collections/Idees
-pour-le-debat/id_0207_thoyer.pdf
3
« Dans lesquelles les parties prenantes ne
convergent pas sur le diagnostic de la situation, les
valeurs sous-jacentes et les objectifs restant à
définir », Sophie Thoyer, Op.cit.
4 Ibid.
5Ibid.
6 Avec la publication en 1962 du livre de Rachel
Carson, Silent Spring (Houghton Mifflin, 1962), et
la tenue de la première conférence des Nations
Unies sur le Climat à Genève, en 1979.
24
cadre de négociations mondiales pour la
sauvegarde de la planète. Suite à cette prise de
conscience, l’adoption de la Convention-cadre
des Nations Unies sur le changement
climatique à Rio en 1992, puis du protocole de
Kyoto en 1997, ont marqué les débuts de la
coopération internationale sur le climat.
Toutefois, cette démarche n’est pas allée sans
heurts ; en effet, si le Protocole de Kyoto fut
signé en 1997, il n’est entré en vigueur qu’en
2005, soit après que les cinquante-cinq pays
requis l’aient effectivement ratifié. On
distinguera donc ici les conférences
internationales sur le climat des conférences
des parties, chargées de négocier les modalités
d'application effective des engagements signés
et ratifiés par les Etats.
Le Protocole expirant en 2012, les
Etats se sont préoccupés dès 2002 de l’
« après-Kyoto », et ont ainsi ouvert un cycle de
conférences qui a commencé à Montréal en
2005, et qui se poursuit encore aujourd’hui. La
conférence de Bali de 2007 a abouti à une
feuille de route formalisant les points de
négociation pour la conférence de Copenhague
de 2009. Néanmoins, la quinzième Conférence
des parties (COP) n’a pas permis l’émergence
d’un nouvel accord faute de consensus entre
les Etats. En effet, la déclaration de
Copenhague affirmait la nécessité de limiter le
réchauffement planétaire à 2°C par rapport à
l’ère préindustrielle, mais ne comportait aucun
engagement chiffré de réduction des émissions
de GES. A Durban, en 2011, les Etats sont
parvenus à adopter une feuille de route pour un
accord prévoyant d’établir d’ici à 2015 un
pacte global de réduction des émissions de
GES, dont l'entrée en vigueur est prévue à
l'horizon 2020. Ce texte englobait pour la
première fois tous les pays dans la lutte contre
le réchauffement climatique, notamment les
plus gros pollueurs, parmi lesquels la Chine,
l'Inde et les Etats-Unis. Néanmoins, il ne
prévoyait ni contrainte juridique, ni hausse du
niveau des mesures pour réduire les émissions.
La déclaration précisait également de rallonger
la durée du Protocole de Kyoto, créant ainsi
des tensions entre l’Union Européenne,
favorable à cette disposition, et le Canada, le
Japon, ou encore la Russie, opposés à cette
mesure. Un groupe de travail chargé d’étudier
les solutions à mettre en œuvre d’ici à 2020 y
fut également créé. Ce dernier s’est réuni à
Bonn en 2012, avant le sommet mondial de
Rio, au mois de juin, afin de préparer le
document qui sera négocié en 2015 par les
Etats parties au Protocole.
Nous envisagerons ici le processus
des négociations climatiques, dont les
conférences internationales sur le climat ne
donnent qu'une photographie à un instant « t ».
Les déclarations finales signées par les chefs
d’Etat et représentants de gouvernements ne
reflètent pas les processus de négociations
informelles en amont et en aval de chaque
conférence. Celles-ci ont pourtant un rôle
essentiel dans la mise en œuvre des accords et
préparation des documents de travail.
De Rio 1992 à Rio 2012, plusieurs
facteurs sont venus influencer les
négociations ; certains sont exogènes
(catastrophes naturelles, incidents industriels),
d'autres relèvent du contexte international ou
encore d'un changement de perception des
25
acteurs selon les opportunités qui se sont
présentées à eux, ou un changement subit. A ce
titre, le retrait des États-Unis du Protocole de
Kyoto, l'entrée de la Russie, l'influence
croissante du groupe scientifique du GIEC7,
mais aussi les transformations économiques
ont largement influencé le déroulement et
l'avancée des discussions sur le climat8.
L'étude des négociations et leurs résultats
permettent d'identifier plusieurs blocages qui
empêchent l'établissement de cibles chiffrées
favorisant la mise en place d'un régime
climatique international contraignant.
Premièrement, l'arène de négociation
pour la mise en place d'une coopération
internationale en faveur du climat est souvent
utilisée comme un espace de discussion pour
d'autres revendications : principalement une
redite des négociations Nord/Sud au sujet des
aides au développement9. Qu'il s'agisse des
ressources naturelles ou de droits d'émissions
et d'exploitations, l'environnement est un
terrain d'affrontement qui dépasse la
sauvegarde de l'atmosphère : les États parties
se montrent réticents à l’idée de perdre des
parts de marché ou de céder sur leur
souveraineté. A l'heure actuelle les
négociations sont paralysées par plusieurs
types d' « affrontements » entre pays. D'une
7 Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le
Climat.
8 A titre d'exemple, le retrait des États-Unis a
permis à l'Union Européenne de s'affirmer comme
leader des négociations à Bonn et à Marrakech.
L'entrée de la Russie suite aux négociations menées
par l'UE a largement contribué à atteindre les 55%
d'émissions nécessaires à l'entrée en vigueur du
Protocole.
9 Voir Andrew Jordan, « Financing the UNCED
Agenda : The Controversy over Additionality »,
Environment, 36, 1994, p.16-20, 26-34.
part selon le rapport de forces économiques,
entre économies développées et économies
émergentes, et d'autre part entre États engagés
en faveur du climat pour des motifs
idéologiques, et les parties prenantes pour
lesquelles il n'est pas question de remettre en
cause les fondements du modèle économique
actuel. L’exemple de la Bolivie en est
l’illustration car les négociations sur le climat,
et particulièrement la définition de l’économie
verte, constituent autant de moments pour
invoquer la nécessité de revoir le système
capitaliste actuel. Ce débat précis permet par
exemple à l’Etat bolivien de se positionner
comme modèle et leader d’une économie
alternative plus respectueuse de la planète.
La question de l'équité10
constitue
également une pierre angulaire des
négociations climatiques. La responsabilité
« commune mais différenciée » des pays est
reconnue depuis 1992, mais la répartition de
l'effort pose un problème majeur. En effet, les
États-Unis demandent une application
conjointe de certains outils et instruments
prévus (comme les mesures de réduction des
GES), tandis que les économies émergentes ou
en développement s'y opposent. C’est
notamment la raison pour laquelle ont été créés
les Mécanismes de Développement Propre.
Comme l'expliquent Sandrine Maljean-Dubois
10 « L'équité est un principe invoqué pour justifier
un traitement juridique différencié des États du
Nord et des États du Sud, lequel traitement
différencié se concrétise notamment par une
allocation différenciée des charges et des coûts »,
Sophie Maljean-Dubois, Mathieu Wemaëre, La
diplomatie climatique .Les enjeux d'un régime
international du climat, Paris, Editions A. Pedone,
2010, p.153.
26
et Mathieu Wemaëre11
, « les pays en
développement l'envisagent sous l'angle du
partage équitable de l'espace de
développement, et donc du budget carbone,
tandis que les pays développés, eux, le voient
principalement comme un problème technico-
économique qui peut être résolu notamment en
recourant aux marchés et au financement
international ».
Enfin, un élément décisif est à l'origine
de l'impasse actuelle des négociations
climatiques : l'aversion à la contrainte. Les
États se montrent effectivement peu disposés à
s’engager et cela pour plusieurs raisons : les
intérêts économiques figurent évidemment en
première ligne, mais le droit de gestion des
ressources naturelles (contrôle des bassins,
accès aux ressources) ou encore la délimitation
des frontières motivent également leur refus.
Par conséquent, les parties prenantes ne sont ni
en mesure de coopérer entre elles, et encore
moins capables de coordonner leurs actions.
Si l'incertitude scientifique est une des
raisons principales du manque de contraintes et
d'engagements concrets dans la Convention
Cadre, les travaux du GIEC et les scénarios
élaborés par de nombreuses autres institutions
ont largement réduit la part d'incertitude des
négociateurs et leur ont permis de négocier à
partir d'objectifs et d'échéances
scientifiquement fondés. Les États oscillent
néanmoins entre posture défensive et aversion
commune : au pire, ils préservent leur intérêt
au détriment de l'intérêt commun, au mieux ils
11 Sophie Maljean-Dubois, Mathieu Wemaëre, Op.
cit., p.153.
agissent pour éviter un résultat12
plus que pour
œuvrer en faveur d'un objectif13
. L'écueil de
l'attitude défensive est d'alimenter le conflit, de
réduire la confiance mutuelle et, par
conséquent, de conduire à la défaite. Par
ailleurs, le défi posé par l’aversion commune
est celui de la coordination, puisque les États
choisissent tous en fonction des autres. Dans
ce cas de figure, « les États choisissent des
stratégies, pas des résultats14
», ce qui
explique la faible avancée des négociations.
Le climat, « laboratoire » de la refonte de
la coopération mondiale ?
Plusieurs solutions peuvent être
envisagées pour que les négociations
climatiques débouchent sur un accord
satisfaisant pour les années à venir, c'est-à-dire
un texte qui implique toutes les parties
prenantes, imposant des objectifs chiffrés, ainsi
qu’une réelle observance.
Pour atteindre ces objectifs, une
révision des moyens dits classiques de
coordination internationale pourrait être
envisagée. Premièrement, les négociations
pourraient se situer hors-cadre onusien. A ce
titre, l’émergence d’un multilatéralisme à
moindre échelle – régionale, ou de « club »,
représente l’occasion de mettre en place des
12 A savoir le dépassement du seuil limite de 2° C
du réchauffement climatique.
13
Il s’agit d’une réduction significative des
émissions de gaz à effet de serre et d’une réelle
transition.
14
Philippe Lepresle, Protection de l'environnement
et relations internationales. Les défis de
l'écopolitique mondiale, Paris, 2005, Armand
Colin, p. 288.
27
négociations et des systèmes contraignants
effectifs. En effet, les valeurs et/ou intérêts
communs de certains clubs – le G8, le G20, ou
organisations régionales peuvent favoriser
l’émergence d’un consensus entre Etats et
permettre ainsi un gain de temps tant dans les
négociations que dans la mise en œuvre et le
suivi des mesures contraignantes15
.
Il serait également possible d'envisager
des solutions autres qu'inhérentes au format
des négociations. Si jusque-là les États parties
aux négociations sont si réticents, c'est qu'ils
n'ont de cesse de repousser l'échéance : les
accords de Marrakech et de Bonn ont éliminé
toute question conflictuelle des déclarations
finales, ce qui explique leur apparent succès16
.
Par ailleurs, la déclaration de Durban repousse
l'entrée en vigueur d'un nouveau texte à 2020.
Par conséquent, les intérêts économiques
pourraient être utilisés comme des moteurs de
négociation, et non plus comme des freins
majeurs. On pourrait alors suggérer d’établir
un prix pour le CO2, et de répercuter celui-ci
sur le coût de l’énergie.
En se référant au rapport Stern sur
l’économie du changement climatique, on
observe que de nombreux arguments
conduisent à envisager l’internalisation des
coûts dans le processus de décision politique.
15 Voir James P Muldoon Jr., JoAnn Fagot, Aviel,
Richard Reitano, Earl Sullivan (Eds.), The New
Dynamics of Multilatralism: Diplomacy,
International Organzations and Global
Governance », Westview Press, 2010. 16
En effet, les points de discorde à l’origine de
l’échec du sommet de La Haye sont exclus des
discussions à Bonn et Marrakech : les mécanismes
de Kyoto, les puits de carbone, l’observance, les
transferts technologiques et l’aide aux pays en
développement.
Ainsi, une meilleure coopération sur le climat
contribuerait à pérenniser l’économie
mondiale, voire à en ouvrir de nouvelles
perspectives. Toutefois, il n’est pas garanti que
l’intégralité des éléments composant le régime
climatique – et a fortiori, l’environnement dans
sa globalité, seraient ainsi couverts. Quoiqu’il
en soit, la gestion de la contrainte climatique
ne pourra être construite sans revoir la
gouvernance économique mondiale, ni
indépendamment du commerce mondial.
Quelle que soit l'issue des futures
négociations attendues à la 18ème
conférence
des parties à la CCNUCC17
à Doha en 2012,
force est de constater qu’il importe plus que
jamais de donner un nouveau souffle aux
négociations internationales sur le climat.
C’est dans cette optique qu’il apparaît alors
pertinent de revoir autant les modes de
négociations que le cadre des discussions. La
question environnementale apparaît alors
comme un terrain favorable à la mise en place
de modes de coopération novateurs, plus
flexibles et efficaces dans la mise en place et le
suivi des actions.
Ce nouvel élan importe d’autant plus
que les échecs successifs ternissent l’image de
la politique du climat, qui vient à manquer de
soutien auprès de la société civile. Les parties
prenantes ont donc désormais à charge de
trouver sur quelles valeurs et quels principes
poser les bases du régime climatique global de
l’après Kyoto.
17
Convention Cadre des Nations Unies sur le
Changement Climatique.
BILBIOGRAPHIE
LEPRESLE P., Protection de l'environnement et relations internationales. Les défis de l'écopolitique
mondiale, Armand Colin, Paris, 2005.
MALJEAN-DUBOIS S., WEMAËRE M., La diplomatie climatique .Les enjeux d'un régime
international du climat, Editions A. Pedone, Paris, 2010.
OUAHRON A., « Les négociations sur le climat : un bref retour sur l'histoire », Flux, 2002/2 n° 48-49,
p. 100-106.
CORNUT P., « Petit historique de la Convention climat et des négociations climat », Les Cahiers de
Global Chance, n°8, Juillet 1997.
THOYER S., « Dynamique des négociations internationales environnementales : jeux d'acteurs et
interactions verticales. Le cas des négociations sur la biodiversité », Idées pour le débat, n°07/2002,
IDDRI, 2003.
29
RESUME
Depuis plusieurs années, les négociations climat peinent à aboutir sur des engagements forts et
contraignants, pourtant nécessaires à la « sauvegarde de la planète ». Si la conférence de Rio en 1992 a
initié une dynamique internationale essentielle (mise en place de protocoles sectoriels, de conventions
régionales et internationales), les Etats ne sont pas parvenus à mettre en place une politique climatique
globale efficace; de fait, les négociations n’en sont que plus enlisées dans les conflits d’intérêts. Les
échecs successifs de Copenhague, Durban et enfin Rio 2012 à s'engager dans cette voie soulignent
l'impasse dans laquelle se trouvent actuellement les négociations. Cet article se propose donc
d'analyser les raisons de ce blocage, pour dégager plusieurs solutions, parmi lesquelles une
reconfiguration des modes de coopération internationale multilatérale.
Mots-clés : Climat, Négociations, Multilatéralisme, Rio, Environnement
ABSTRACT
The failure of global climate negotiations has become well-acknowledged: so far, states have not
succeeded in reaching any binding agreement aiming at “saving the planet”. Despite the dynamic set
up by the Rio conference in 1992 – implementation of global conventions, sectorial agreements and
regional treaties, the global climate policy has proved to be a tricky issue to address and negotiations
have become more and more embroiled in conflicts of interest. The successive setbacks of the
Copenhagen, Durban and finally the Rio 2012 conferences are all but the umpteenth proof of the
current need of renewal, not to say a boost, of international cooperation on climate change. Therefore,
this article intends to study the reasons of this stalemate, so as to highlight potential solutions. We will
particularly focus on the reshaping of global climate negotiations, both in form and content.
Keywords: Climate, Negociations, Multilatralism, Rio, Environment
30
HHUUMMAANN RRIIGGHHTTSS AANNDD CCLLIIMMAATTEE CCHHAANNGGEE:: TTOOWWAARRDDSS TTHHEE
EEMMEERRGGEENNCCEE OOFF EENNVVIIRROONNMMEENNTTAALL HHUUMMAANN RRIIGGHHTTSS??
Par Morgane DUSSUD
Après des études en relations internationales à l'Institut d'Études Politiques de Lyon, Morgane Dussud
est actuellement engagée dans un Master Erasmus Mundus sur la pratique des droits de l'homme,
organisé conjointement par les universités de Göteborg (Suède), Tromsø (Norvège), et Roehampton
(Londres, UK). Ses domaines actuels de recherches sont les droits de l'homme et les enjeux humains
liés au réchauffement climatique.
In 1969, U Thant, the United Nations
Secretary General at the time, declared that
“[f]or the first time in the history of mankind,
there is arising a crisis of worldwide
proportion involving developed and
developing countries – the crisis of the human
environment”1. This pioneer statement
initiated a global approach to environment and
human rights that was about to gradually
1 United Nations, Problems of the Human
Environment: Report of the Secretary General,
United Nations Document E/4667, 1969.
emerge at the international level during the
following decades.
The Universal Declaration of Human
Rights2, adopted on December 10
th 1948
represents the first attempt to recognize
inherent rights to all human beings, “without
distinction of any kind, such as race, color,
sex, language, religion, political or other
opinion, national or social origin, property,
2 The full text can be accessed here (last accessed
September 2012):
http://www.un.org/en/documents/udhr/index.shtml.
31
birth or other status”3. Since then, human
rights have been crystallized into a bill of
rights4 that covers two generations of human
rights5, respectively civil and political rights
and economic, social and cultural rights. The
perception of the environment has evolved
tremendously, to finally meet human rights
concerns. This article aims at demonstrating
that the acceleration since the late 1980s of the
development of both fields, which first
emerged as two distinct disciplines, coincided
with an integration of the related concerns and
strategies.
After drawing up an historical
overview of the convergence of those concerns
within international fora, this article will
present the existing approaches to the linkage
between environment and human rights. These
different theories will potentially provide
different grounds for the creation of
environmental human rights.
Historical background: forty years to
bridge the gap between environmental
and human rights concerns
The 1972, the United Nations
3 Article 2 of the UDHR (1948), Article 2(1) of the
International Covenant on Civil and Political Rights
(ICCPR, 1966) and Article 2(2) of the International
Covenant on Economic, Social and Cultural Rights
(ICESCR, 1966). 4 The Bill of Rights is composed of the UDHR, the
ICESCR, the ICCPR and its two Optional
Protocols. 5 Karel Vasak, "Human Rights: A Thirty-Year
Struggle: the Sustained Efforts to give Force of
Law to the Universal Declaration of Human
Rights", The UNESCO Courier 30:11, November
1977.
Conference on Human Environment in
Stockholm recognized for the first time the
connection between environment and
development. During the 1970's and the
1980's, the awareness of environmental
consequences of human activities (pollution,
desertification) and the risks for the future
(scarcity of resources, rise of sea level) led to a
shift from purely environmental concerns to
new strategies combining environment and
development. A sustainable approach to
development was designed and reached a peak
in 1992 with the Earth Summit in Rio6.
The 1990's initiated another phase
during which concerns regarding the survival
of the planet and human responsibilities
became stronger. Political actors, meeting at
the 1997 Kyoto Conference of the Parties of
the UNFCCC7, raised the issue of global
warming and agreed for the first time on the
need to cut the greenhouse gas emissions. A
relative consensus concerning the link between
a safe and healthy environment and the
enjoyment of human rights has emerged during
the 2000's. The consequences of environmental
degradation on human well-being call for the
protection of the earth, on which livelihoods
rely. The United Nations Environment
Programme8 and the Office of the High
Commissioner for Human Rights (OHCHR)
organized conjointly in 2009 an Expert
6 United Nations Conference on Environment and
Development (UNCED), held in June 1992 in Rio
de Janeiro, Brazil. 7 United Nations Framework Convention on
Climate Change: http://unfccc.int/2860.php (last
accessed September 2012). 8 United Nations Environment Programme:
http://www.unep.org/ (last accessed October 2012).
32
Meeting on the theme “The New Future of
Human Rights and Environment: Moving the
Global Agenda Forward”. It followed several
eventful Human Rights Council resolutions9,
recognizing human rights and environment as
priority concerns for development, and
recalling the obligations and responsibilities of
the States under Human Rights treaties and
multilateral environmental agreements.
A consensus on the provision of the linkage
between human rights and environment
Human rights and the environment are
now more interconnected than ever. Whereas
the existence of a link between those two fields
is quite broadly accepted, its nature is still
highly debated. Climate change consequences
are felt mainly in the poorest countries in the
world. Their vulnerability to climate-change
related events and the lack of means to tackle
violations of human rights are mutually
reinforcing10
. The focus has been for more than
twenty years on developing policies and legal
instruments to counter environmental abuses
per se, rather than to protect human beings
from the consequence of environmental issues.
However, since the 2000's, rights-based
approaches to climate change have been
9 See resolutions 7/23 (March 2008) and 10/4
(March 2009) on human rights and climate change,
6/27 on adequate housing as a component of the
right to an adequate standard of living, 2/104 on
human rights and access to water and 2005/60 on
human rights and environment as part of
sustainable development.
10
Stephen Humphreys, Human rights and Climate
Change, Cambridge University Press, 2010.
arising, but international adaptation policies11
have focused on compensation and correction
rather than on prevention of human rights
violations.
Alan Boyle12
identifies three
approaches to this linkage. The first one relies
on empowerment of individuals and
communities through participation,
information and access to justice regarding
environmental concerns. This approach is
based on the 1998 Aarhus Convention on
Access to Information, Public Participation in
Decision-making and Access to Justice in
Environmental Matters13
, which aimed at
reinforcing the global environmental
governance14
. A second approach argues in
favor of collective environmental rights to
11
Barry Smit, Olga Pilifosova, Third IPCC
Assessment Report Climate Change 2001: Working
Group II: Impacts, Adaptation and Vulnerability,
2001, Chapter 18 “Adaptation to Climate Change in
the Context of Sustainable Development and
Equity”. According to this report, “Adaptation
refers to adjustments in ecological, social, or
economic systems in response to actual or expected
climatic stimuli and their effects or impacts.”
http://www.grida.no/publications/other/ipcc_tar/
(last accessed September 2012) 12
UNEP High Level Experts Meeting on the New
Future of Human Rights and Environment: Moving
the Global Agenda Forward, Meeting Document,
Alan Boyle, Human Rights and the Environment: A
Reassessment, 2008. This paper can be accessed
here:
http://www.unep.org/environmentalgovernance/Eve
nts/HumanRightsandEnvironment/tabid/2046/langu
age/en-US/Default.aspx (last accessed September
2012). 13
The full text of the UNECE Convention on
Access to Information, Public Participation in
Decision-making and Access to Justice in
Environmental Matters (Aarhus Convention) can be
accessed here:
http://www.unece.org/env/pp/treatytext.html (last
accessed September 2012). 14
This multilateral agreement has been warmly
welcomed because it was designed in strong
collaboration with numerous NGOs. Moreover, it is
legally binding for the States that have ratified it.
33
decide upon the protection and management of
natural resources. The third approach defends
an individual right to a safe and healthy
environment along the line of any other human
rights recognized in the bill of rights. The last
approach is “less popular”, despite powerful
arguments already provided by the existing
international legal instruments. Yet, it is worth
engaging into this debate that could lead to a
reconciliation of environment and human
rights concerns. This is why this approach will
be explored further in the last part of this
article.
A controversial approach to a human
right to a safe and healthy environment
For a long time, environment and
human well-being or wealth have been seen as
two opposite norms. The industrialization
process, thanks to which economic human
rights for instance (right to work15
) have been
fulfilled, is also blamed for the
overexploitation of natural resources (water
pollution, deforestation). Because the third
approach to environmental human rights is
based on the belief that a healthy environment
is a prerequisite to the fulfillment of human
rights, a human-centered approach to
environment could reconcile those fields by
15
International Covenant on Economic, Social and
Cultural Rights, 1966, Part III, Article 6(1)
stipulates “The States Parties to the present
Covenant recognize the right to work, which
includes the right of everyone to the opportunity to
gain his living by work which he freely chooses or
accepts, and will take appropriate steps to
safeguard this right.” The full text can be accessed
here: http://www2.ohchr.org/english/law/cescr.htm
(last accessed October 2012)
recognizing their interdependence.
The international environmental
mobilization has been very slow to show
remarkable results. Even if there is hope that it
will prove to be effective soon, human beings
are suffering from the consequences of
environmental degradation right now.
Moreover, the structure of the international
human rights law has been successfully
existing for a longer time, therefore I would
argue that environmental human rights should
be defended, in a medium term perspective,
through the international human rights
instruments rather than through the
environmental law procedures.
The rights-based approach to
environmental protection has yet being
subjected to strong critics. For instance,
Dupuy16
argues that a third generation of
human rights would dissipate the movement of
protection of the two previous generations of
rights or that the constitution of environmental
human rights is “unnecessary regarding the
extent to which international environmental
law has already developed”.
In this context, it might be asked
whether the international recognition of a
human right to a healthy environment (or to
environmental protection) would bring more
than what already exists. And I would reply
positively, mainly because of a major benefit
among many: the international petition
procedure17
. If such a right was recognized
16
Pierre-Marie Dupuy in René-Jean Dupuy, The
Right to Health as a Human Right, R.J.Dupuy
editions, 1979. 17
The international petition procedure, also known
as the individual complaint procedure, allows
34
internationally, it will give the power to those
suffering from environmental degradation to
bring up their complains to the international
level and to put pressure on governments
reluctant to prevent or stop environmental
abuses. International petitions might not be
enough to address violations initiated by
private companies. However, it will open a
dialogue and put the issue on the agenda, and it
is thus compatible with the first approach to
environmental rights. It would initiate a new
way of dealing with environmental
consequences at the human level, by allowing
a bottom-up response to a global issue and
engaging all actors, individuals included, into a
dialogue.
Over the last forty years, we have been
witnessing a change in focus, from a concern
for the environmental consequences of human
activities to a stronger awareness of human
rights violations due to climate change related
events. Whereas there is an international
recognition of the link between human rights
and the environment, its characteristics are still
debated. Even if “the environment is not going
to be better protected thanks to a rights-based
anyone to bring a complaint alleging a violation of
treaty rights to the body of experts set up by the
treaty. The Office of the United Nations High
Commissioner for Human Rights recalls that “[i]t is
through individual complaints that human rights are
given concrete meaning. In the adjudication of
individual cases, international norms that may
otherwise seem general and abstract are put into
practical effect. When applied to a person's real-life
situation, the standards contained in international
human rights treaties find their most direct
application.” OUNHCHR, Human Rights Treaty
Bodies, Individuals Communications,
http://www2.ohchr.org/english/bodies/petitions/indi
vidual.htm (last accessed October 2012).
approach”18
, human rights are likely to be
better protected if the international human
rights law covers the consequences of climate
change related events on human beings.
Thus, we are far from a merge of
international environmental law and
international human rights law, and this may
be for the best. The ultimate goal remains the
protection of the human dignity and
livelihoods, and the international community
has to be extremely careful while designing
instruments not to throw itself into utopian
theories that would not survive the reality test.
18
Günther Handl, in Augusto Cançado Trindade,
Human Rights, Sustainable Development and the
Environment, A.C.Trindade editions, 1992, p. 117.
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A.C.Trindade editions, 1992.
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Articles
VASAK K., “Human Rights: A Thirty-Year Struggle: the Sustained Efforts to give Force of Law to the
Universal Declaration of Human Rights", The UNESCO Courier 30:11, November 1977.
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II: Impacts, Adaptation and Vulnerability, 2001, Chapter 18, “Adaptation to Climate Change in the
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United Nations Environmental Program (UNEP) High Level Experts Meeting on the New Future of
Human Rights and Environment: Moving the Global Agenda Forward, Meeting Document, Alan
Boyle, Human Rights and the Environment: A Reassessment, 2008,
http://www.unep.org/environmentalgovernance/Events/HumanRightsandEnvironment/tabid/2046/lang
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in Environmental Matters (Aarhus Convention), http://www.unece.org/env/pp/treatytext.html.
United Nations Framework Convention on Climate Change, http://unfccc.int/2860.php.
Universal Declaration on Human Rights (UDHR), 1948,
http://www.un.org/en/documents/udhr/index.shtml.
36
RESUME
On observe depuis les années 1970 un rapprochement des droits de l'homme et du droit
environnemental à l'échelle internationale. Après avoir évolué pendant plusieurs décennies de manière
distincte, ces deux champs sont aujourd'hui clairement imbriqués. Bien que l'impact dramatique des
catastrophes climatiques sur les conditions de vie des populations locales soit indéniable, il n'en
demeure pas moins que la nature du rapprochement entre changement climatique et droits de l'homme
est loin de faire consensus. En s'appuyant sur les différentes théories existantes relatives à ces deux
disciplines, cet article se donne pour objectif de brosser un portrait général des lignes de fracture et de
convergence entre les droits de l'homme et les préoccupations environnementales. Il s'interroge
également sur la pertinence d'une reconnaissance de droits de l'homme environnementaux en tant que
nouvelle branche des droits de l'homme.
Mots-clés: Environnement, Droits de l'homme, Droit international, Nations Unies, changement
climatique.
ABSTRACT
After evolving as two contemporaneous but distinct disciplines, human rights and environmental law
have been converging at the international level since the mid-70s, and are today clearly
interconnected. Despite the recognition of the inextricable link between – often brutal – climate
change related events and human suffering, the nature of such linkage is still highly debated. Different
approaches are opposing, regarding both the link between both disciplines and the potential
recognition of environmental human rights. Building on the abundant international literature (mainly
connected to the United Nations' activities), this article aims at providing the reader with an overview
of the gaps and points of convergence between human rights and environmental concerns.
Keywords: Environment, Human rights, International Law, Unites Nations, Climate Change
37
VVAARRIIAA ||
Enjeux et problématiques d’une intervention militaire en Syrie : l’impossible transposition du modèle libyen
Obamacare : « Highway to Health ? »
38
EENNJJEEUUXX EETT PPRROOBBLLEEMMAATTIIQQUUEESS DD’’UUNNEE IINNTTEERRVVEENNTTIIOONN MMIILLIITTAAIIRREE
EENN SSYYRRIIEE :: LL’’IIMMPPOOSSSSIIBBLLEE TTRRAANNSSPPOOSSIITTIIOONN DDUU MMOODDEELLEE LLIIBBYYEENN11
Par Romain ABY
Romain Aby est doctorant à l’Institut Français de Géopolitique (IFG). Sa thèse porte sur l’analyse
géopolitique des intérêts français dans les pétromonarchies du golfe. Conseiller Moyen-Orient pour
Diploweb.com, il est également animateur du compte de veille géopolitique sur les États arabes
http://whosin.com/pg/whois/20294123/romain+aby
1 Note de la rédaction : cet article ne prend pas en considération les événements survenus dans la crise syrienne
depuis octobre 2012.
La Syrie qui vit depuis le début 2011
dans un état de crise permanente, a vu les
contestations populaires se transformer en
véritable guerre civile. Le régime de Bachar el-
Assad, qui a opté pour la poursuite d’une
répression sanglante, a transformé la Syrie en
véritable champ de bataille où l’on compte
environ 30.000 morts à la mi-septembre 2012
et plus de 250.000 réfugiés1 répartis sur les
États voisins. La répression qui a atteint un
niveau de barbarie jusque-là inconnu dans la
dynamique des révoltes arabes, n’a guère
entrainé une intervention militaire, à l’image
de celle qu’a connue la Libye en mars 2011.
Le conflit en Syrie étant en pleine
évolution, les enjeux géopolitiques et les
acteurs sont si nombreux qu’il est
particulièrement difficile de mener une analyse
complète de la situation qui ne cesse d’évoluer
au quotidien. Dans une démarche de
compréhension, il est toutefois intéressant de
revenir sur les principales dynamiques qui ont
rendu l’idée d’une intervention sur le modèle
libyen caduque.
Les instances internationales dans le rôle
du paralytique
Si la décision d’intervenir
militairement dans un État dépendait
uniquement de considérations humanitaires ou
morales, alors la Syrie aurait depuis plusieurs
mois déjà suivi le modèle libyen. Lorsque
1 « Syrie : bombardements et combats à Alep »,
L’orient-Le Jour, 11 septembre 2012.
l’Otan est intervenue pour aider les forces
rebelles libyennes, trois conditions étaient
réunies. En effet, la coalition pouvait
s’appuyer sur un fort support politique à
l’échelle régionale, une sanction légale du
Conseil de sécurité de l’ONU2, ainsi qu’une
stratégie militaire qui semblait correspondre
aux spécificités du terrain libyen. La Syrie est
très loin de correspondre à ce modèle comme
nous allons le voir par la suite. La véritable
complexité du dossier syrien est qu’il est
multiscalaire, donc qu’il se déroule à plusieurs
échelles. Il y a indéniablement l’échelle locale,
avec une guerre civile qui n’est plus réellement
contestable sur le plan sémantique, mais aussi
une échelle régionale avec l’implication plus
ou moins marquée des États voisins dans le
conflit syrien. Pour finir, il y a une échelle
internationale du conflit, avec des dynamiques
politiques contradictoires qui s’expriment dans
les instances internationales. À la différence de
la Libye, le régime de Bachar el-Assad compte
des alliés qui campent sur leurs positions et qui
n’hésitent pas à apporter au régime une aide
diplomatique et militaire. Ainsi, l’appui
politico-militaire de l’Iran et les doubles vetos
russo-chinois, qui se sont enchainés en octobre
2011 puis février et juillet 20123, sont de
nature à augmenter la capacité de résistance du
régime d’el-Assad.
La recherche de solutions sur le plan
diplomatique au sein des instances
2 La résolution 1973 du Conseil de sécurité des
Nations unies a été adoptée le 17 mars 2011. 3 « Syrie : la Russie et la Chine mettent leur veto à
la résolution des occidentaux à l’ONU », Le
Huffington Post, 19 juillet 2012.
40
internationales et l’implication de certaines de
ces puissances étrangères dans le conflit
militaire en Syrie sont de nature à alimenter
une contradiction frappante. Les acteurs sont si
nombreux, et leurs intérêts si différents qu’il
est difficile d’envisager une résolution
diplomatique. Ainsi, la Russie tient absolument
à conserver ses intérêts stratégiques dont sa
base navale de Tartous. De plus, l’Iran et le
Hezbollah appuient militairement et
politiquement le régime. Les rebelles reçoivent
quant à eux une aide financière et militaire
d’États arabes comme l’Arabie Saoudite et le
Qatar, ainsi que d’États comme la Turquie, les
États-Unis et certains États européens4. La
présence de djihadistes opérant sur le territoire
syrien rajoute une densité d’acteurs très
souvent hors de contrôle et constituant autant
de petites milices fonctionnant de manière
autonome. Dans un environnement aussi
complexe, les solutions diplomatiques ont
enregistré des échecs répétitifs, que ce soit les
résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ou
les tentatives de médiation internationale.
Ainsi, l’émissaire des Nations unies et de la
Ligue des États arabes, Kofi Annan a mis un
terme à sa mission de médiation après environ
six mois d’impasse. Au rythme où vont les
choses, son successeur Lakhdar Brahimi
semble également se diriger vers un échec
retentissant.
Un temps évoquée, la solution « à la
yéménite » a semblé avoir les faveurs des
responsables américains et russes, qui y
4 B. M. Jenkins, « Syrian scenarios », RAND
corporation, 7 août 2012.
voyaient un moyen d’écarter Bachar el-Assad,
tout en conservant la structure de l’État intacte
et de facto les intérêts russes et américains en
Syrie. Néanmoins, il est primordial de préciser
que les vetos russes et chinois ne pourraient à
eux seuls expliquer l’inaction de la
communauté internationale. Si prompte à agir
quelques mois plus tôt sur le terrain libyen,
celle-ci est d’une stérilité inquiétante dans le
cas syrien. Il est donc apparent que ce veto
russo-chinois tombe à pic pour justifier cet
échec diplomatique de grande ampleur.
C’est évidemment cette impasse
diplomatique qui ouvre la porte à une
intervention militaire en Syrie, ou plutôt à un
débat sur l’utilité ou non d’une telle démarche.
L’opération en Libye s’est avérée plus longue
et plus coûteuse que les estimations initiales,
sans compter qu’adapter le modèle libyen à la
Syrie est un non-sens au vu du degré de
complexité radicalement diffèrent des deux
dossiers. Les calendriers des différents acteurs
semblent également peu propices à cette
intervention. Les États-Unis qui sortent de
deux interventions pour le moins délicates en
Afghanistan et en Irak ne semblent pas prêts à
s’engager militairement. À cela, il faut ajouter
l’élection présidentielle américaine qui a
transformé toute intervention militaire en Syrie
en véritable risque électoral. Les États
européens dans un contexte de crise
économique ne sont pas en mesure d’assumer
le poids financier et politique d’une nouvelle
intervention, alors que leur opinion publique
reste focalisée sur les défis économiques
internes. Le Qatar qui occupait la présidence
41
tournante de la Ligue des États arabes jusqu’en
mars 20125 a dorénavant laissé la place à l’Irak
qui mène une diplomatie sous influence
iranienne et de facto pro-Assad.
Les tractations diplomatiques qui sont
nécessaires à la mise en branle de toute
intervention de cette importance semblent
sérieusement lacunaires, à cela il faut ajouter
l’absence frappante d’État ou de groupe
d’États qui prendrait les devants lors de cette
mission. Pour faire simple, personne ne semble
vouloir prendre la tête de cette coalition. Pour
les raisons évoquées précédemment, une
intervention multinationale menée par la
France et la Grande-Bretagne, assistée par les
États-Unis semble totalement improbable pour
la Syrie.
Le véritable défi opérationnel d’une
intervention en Syrie
Au-delà de l’aspect diplomatique qui
constitue un véritable frein à toute intervention
militaire en Syrie, force est de constater que
cette entreprise serait sur le plan opérationnel
d’une grande complexité. La densité de
population6 en Syrie dépasse les 110 hab./km
2
alors qu’en Libye l’on ne compte que 3,6
hab./km2. Ce facteur géographique rend toute
frappe aérienne risquée en termes de pertes
civiles.
5 N. Kern and M. M. Reed, « Why the Arab League
summit matters», Middle East Policy Council, 15
mars 2012. 6 Voir le site Perspective monde de l’Université de
Sherbrooke, http://perspective.usherbrooke.ca/.
De plus, neutraliser les infrastructures de
défense anti-aériennes nécessiterait une action
d’envergure et donc nécessairement coûteuse
sur le plan financier voire même humain, avec
des unités spéciales déployées sur le sol pour
aider au guidage des frappes. Au vu de la
qualité des systèmes de défense anti-aériens
syriens7, il est probable que cet assaut initial se
solde par la perte de nombreux aéronefs de la
coalition. Entre 2009 et 2010, la Syrie a
dépensé pas moins de 264 millions de dollars
afin de renforcer ce secteur défensif8. Il n’est
par ailleurs pas certain qu’une mission suffise
à détruire toutes les cibles potentielles, et
quand bien même, la présence de matériels
portatifs continuera de faire peser un danger
sur les aéronefs de la coalition. Sur un tel
théâtre d’opérations le nombre de 27.000
sorties9 aériennes menées en Libye semble
totalement insuffisant.
Très rapidement après les premières
phases de l’assaut, une autre problématique
devra être prise en compte. Les armes
chimiques que le régime syrien a accumulées
depuis la fin des années 1970 constituent une
problématique à part entière. La Syrie n’étant
pas signataire de la convention sur
l’interdiction des armes chimiques, la
constitution des stocks et leur évolution dans le
temps s’est faite dans l’opacité la plus totale.
7 Notamment des batteries de fabrication russe SA-
17. 8 M. Clarke, « A collision course for intervention »,
Syria crisis briefing, Royal United Services
Institute for Defense and Security Studies, 25 juillet
2012. 9 Ibid.
42
Selon certains rapports d’instituts spécialisés10
,
la Syrie possèderait des agents chimiques aussi
variés que le gaz moutarde, le vésicant, le
tabun, le sarin ainsi que le gaz vx. Les
estimations portant sur la quantité semblent
osciller autour de 1.000 tonnes qui seraient
réparties sur pas moins de cinquante sites
différents. L’enjeu de la sécurisation de ces
armes est une priorité dans le cadre d’une
intervention militaire sur le sol syrien. En effet,
d’après des spécialistes11
cette opération de
sécurisation des armes chimiques nécessiterait
environ 75.000 hommes qui seraient chargés
d’assurer la sécurité des entrepôts. La capture
des sites doit bien évidemment se faire avec
précision afin d’éviter tout accident qui
pourrait s’avérer catastrophique pour les
populations qui vivent à proximité. L’objectif
principal est de mettre la main sur un stock,
qui pourrait être utilisé par le régime contre sa
propre population en cas extrême, ou qui
pourrait être atteint lors d’accrochages entre
les forces de régime et les rebelles, voire même
atterrir entre les mains du Hezbollah ou des
combattants djihadistes. De plus, les éléments
cités précédemment ne sont que des points de
départ d’une intervention plus large qui
assurerait la chute de Bachar el-Assad mais
aussi la sécurisation du pays dans la phase de
transition politique. Le nombre de militaires
engagés au sol dans la phase de stabilisation
pourrait s’élever à 300.000 selon Michael
10
Ibid. 11
A. Nicoll, « Unease grows over Syria’s chemical
weapons», IISS Strategic Comments, août 2012.
Codner12
. Dès lors, l’intervention militaire en
Syrie semble totalement improbable.
Si l’option diplomatique est un échec
après presque deux ans de conflit et que la
solution militaire directe est peu adaptée aux
spécificités de la Syrie, il y a néanmoins des
alternatives. Ainsi, un soutien militaire
multiforme serait bien plus efficace. Celui-ci
reposerait sur le renforcement des
encouragements financiers à la défection, une
augmentation des sanctions économiques
contre le régime et une cyberguerre accrue qui
viserait les systèmes de communication du
régime ainsi que les systèmes militaires.
Selon Isabelle Feuerstoss,
géopoliticien spécialiste de la Syrie, c’est le
renforcement du réseau de mouchards qui
permettrait de pénétrer de façon décisive les
communications internes au niveau
décisionnel. À cela il faut ajouter la nécessité
de mettre fin à la suprématie aérienne du
régime. Si aucune intervention militaire directe
n’est envisagée et donc qu’aucune zone
d’exclusion aérienne n’est installée, il faut
impérativement fournir aux rebelles les
capacités de défense anti-aériennes portatives,
qui leur permettront de rééquilibrer un rapport
de force jusque-là à leur total désavantage.
Cette démarche doit néanmoins s’accompagner
d’une identification complexe des groupes de
12
M. Clarke, « A collision course for
intervention », Syria crisis briefing, Royal United
Services Institute for Defense and Security Studies,
25 juillet 2012.
43
rebelles, afin de réduire le risque de
détournement de ces armes13
.
Au vu des points cités précédemment,
l’intervention militaire directe en Syrie semble
peu probable, en raison d’obstacles
diplomatiques et militaires. Néanmoins, dans
le cas d’un enlisement du conflit certains
scénarios peuvent aboutir à une implication
militaire d’un État tiers. La mise en danger des
stocks d’armes chimiques pourrait entrainer
l’intervention d’Israël afin d’éviter que ceux-ci
ne tombent entre les mains du Hezbollah. Les
États-Unis ont également menacé le régime
syrien que toute utilisation contre les civils
ouvrirait la porte à une intervention. Quand
bien même ces scénarios-catastrophes
devenaient réalité, la Syrie répond à des
dynamiques bien différentes de la Libye. Pour
sortir le peuple syrien de la crise, la
communauté internationale ferait mieux
d’opter pour une clairvoyance politique qui
reste préférable à une intervention militaire.
13
Entretien de l’auteur avec Isabelle Feuerstoss,
Docteur en géopolitique, spécialiste de la Syrie, le 6
octobre 2012.
RESUME
Après vingt mois de contestation et plus de 30.000 morts, le conflit syrien a progressivement évolué
vers un enlisement politique et militaire. Les groupes rebelles, qui sont engagés dans une lutte
méthodique pour le contrôle du territoire syrien, n’arrivent pas à défaire définitivement le régime de
Bachar el-Assad. Cette confrontation longue et violente bénéficiant d’une exposition médiatique
internationale a ouvert de nombreux débats sur la nécessité et la faisabilité d’une intervention militaire
en Syrie. Le précédent libyen, qui avait entrainé en mars 2011 le vote de la résolution 1973 au Conseil
de sécurité de l’ONU, autorisant une intervention militaire, n’a guère été transposé au cas syrien. Bien
évidemment, la Syrie et la Libye répondent à des dynamiques tout à fait différentes. Dans un souci de
compréhension, il est primordial d’aborder certains des nombreux aspects qui expliquent la singularité
du dossier syrien et son impossible comparaison au modèle libyen.
Mots-clés : Syrie, Libye, Géopolitique, Bachar el Assad, Intervention militaire
ABSTRACT
After twenty months of revolt and more than 30.000 deaths, the Syrian conflict gradually evolved into
a political and military stalemate. The rebel groups, which are engaged in a methodical fight for the
control of the Syrian territory, have failed to overthrow the regime of Bachar el-Assad so far. This
long and violent confrontation is benefiting from the exposure of international media numerous
debates on the necessity and feasibility of a military intervention in Syria. The precedent of UN
Security Council resolution 1973 voted in March 2011 and authorizing a military intervention was
hardly transposed into the Syrian case. Obviously, Syria and Libya have little in common. In the
interest of clarity, it is essential to analyze some of the many characteristics which account for the
specificity of the Syrian case and the reasons why it greatly differs from the situation in Gadhafi’s
Libya.
Keywords: Syria, Libya, Geopolitics, Bachar Al Assad, Military intervention
45
OOBBAAMMAACCAARREE :: «« HHIIGGHHWWAAYY TTOO HHEEAALLTTHH ?? »»
AANNAALLYYSSEE DDUU SSYYSSTTEEMMEE DDEE SSAANNTTEE AAMMEERRIICCAAIINN AA LL’’AAUUNNEE DDEE LL’’AASSSSUURRAANNCCEE MMAALLAADDIIEE
FFRRAANNÇÇAAIISSEE
Par Luc PIERRON
Après l'obtention d'un M2 de Droit de la protection sociale et des expériences en cabinet d'avocats,
Luc Pierron poursuit ses études en doctorat de droit social à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas.
Chargé des questions liées à l'Europe, la sécurité sociale et la santé au sein du cabinet de la
Présidence du groupe MGEN, il exerce en parallèle une activité d'enseignement à l'Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne. Depuis 2012, Luc Pierron dirige également le programme Questions sociales de
la mondialisation au sein de Youth Diplomacy.
“Of all the forms of inequality, injustice in health care is
the most shocking and inhumane”
Martin Luther King Jr., 25 mars 1966,
National Convention of the Medical Committee for
Human Rights, Chicago
Si beaucoup s’en souviennent comme
un accomplissement emblématique du premier
mandat de B. Obama1, la réforme du système
de santé2 a surtout cristallisé les débats des
récentes élections présidentielles américaines.
Considérée par certains comme le symbole
1 E. J. Dionne Jr., « Yes, they made history »,
Washington Post, March 22, 2010,
http://goo.gl/VR0nO >. 2 Patient Protection and Affordable Care Act ou
PPACA (H.R. 3590).
46
d’un État dépassant ses prérogatives et
s’immisçant toujours plus dans la liberté
individuelle, il n’est pas étonnant que cette loi
ait heurté la culture de la responsabilité qui
règne aux États-Unis3.
En apparence pourtant, la cause
défendue semble noble : offrir une vraie
alternative à ceux qui ne peuvent bénéficier
d’une couverture abordable autrement. Ainsi,
cette réforme participe du bien-être individuel
et collectif de la population, et en cela
constitue un facteur incontesté de cohésion
sociale4. L’investissement dans la santé est
aussi rentable à d’autres titres, puisqu’il exerce
un impact positif sur la demande, la production
et l’emploi et est générateur d’activité
économique et de croissance5.
Par-delà les clivages idéologiques, le
financement des dépenses de santé représente
donc un véritable levier économique et social.
En dépit du progrès qu’elle représente et de sa
forte couverture médiatique, la réforme du
système de santé américain n’en reste pas
3 P. Bernard, « Une réforme phare devenue un
handicap pour Obama », Le Monde Géo et
politique, 9 janvier, 2012, < http://goo.gl/x2tJh >. 4 R. Boarini, A. Johansson et M. Mira d’Ercole,
« Les indicateurs alternatifs du bien être », Cahiers
statistiques de l’OCDE, sept. 2006. 5 P. Aghion, P. Howitt et F. Murtin, « Le bénéfice
de la santé, un apport des théories de croissance
endogène », Revue de l’OFCE, n°112, p. 88-118 ;
CMH, Macroeconomics and Health : Investing in
Health for Economic Development, Report of the
Commission on Macroeconomics and Health,
Genève, OMS, 2001 ; Y. Kocoglu et D.R. De
Albuquerque, « Santé et croissance économique de
long terme dans les pays développés : une synthèse
des résultats empiriques », Economie publique,
n°24-25, p. 41-72 ; J. Macinko, B. Starfield et L.
Shi, « The contribution of primary care systems to
health outcomes in OECD countries », Health
Services Research, vol. 38, n°3, p. 819-854.
moins méconnue, voire incomprise, en France.
Si plusieurs raisons militent pour ce postulat,
la principale découle des conceptions sur
lesquelles chaque modèle social repose. Là où
la sécurité sociale à la française s’est organisée
autour d’un socle public et obligatoire de
protection, la couverture américaine est basée
sur la liberté et une forte implication de
l’assurance privée. Trop différents pour être
appréhendés de façon globale, ces systèmes ne
devraient pouvoir être étudiés qu’à travers une
démarche empirique. Plusieurs auteurs s’y sont
déjà essayés6. Par ailleurs, B. Obama n’ayant
jamais souhaité proposer de restructuration
radicale du système7, rien ne prédispose à ce
qu’une dynamique pousse ces modèles à
converger.
Pourtant, il y a loin entre la vision que
certains se font d’un système de santé
américain où seules règnent les compagnies
d’assurance et la réalité où s’enchevêtrent
dispositifs étatiques et aides à l’accès à une
couverture privée. À y regarder de plus près, il
apparaît même que certains mécanismes
institués dans les deux pays sont assimilables
en tout point, transcendant ainsi les idées
reçues.
6 P. Morvan, « La réforme Obama : une nouvelle
assurance obligatoire de santé aux États-Unis », Dr.
soc., n°6, 2011, p. 704-713 ; C. Prieur, « La
réforme du système de santé aux États-Unis »,
Pratique et organisation des soins, vol. 42, n°4,
2011, p. 265-275 ; C. Rifflart et V. Touzé, « La
réforme du système d’assurance santé américain »,
Lettre de l’OFCE, n°321, 2010. 7 F. Vergniolle de Chantal, « Quelle réforme de
l’assurance maladie aux Etats-Unis ? », CERI,
2009.
47
Si apporter un éclairage nouveau à
cette relative proximité s’avère indispensable
(II), elle ne peut se faire sans rappeler au
préalable le fonctionnement des systèmes
d’assurance santé aux États-Unis et en France
(I).
La divergence des logiques
Comme beaucoup d’autres États
européens, la France a adopté une organisation
dans laquelle l’assurance maladie est liée au
travail et dont les prestations sont financées par
des cotisations sociales, proportionnelles aux
salaires et partagées entre salariés et
employeurs8. Ce système fait coexister
plusieurs régimes obligatoires, appelés régimes
de base, qui diffèrent selon la profession
exercée9 ou la catégorie à laquelle le
travailleur appartient10
. Tous ont vocation à
garantir des risques similaires (maladie,
maternité, invalidité et décès), même si les
cotisations à verser ou les modalités de
couverture peuvent différer.
Autour de ces régimes légaux
obligatoires, qui ne constituent qu’un socle
appelé service public de la sécurité sociale,
gravitent des régimes complémentaires
relevant de l’assurance privée. De tels
mécanismes ont pu se développer par le fait
8 Ce type de système est dit « bismarckien », par
opposition au modèle anglo-saxon dit
« beveridgien » qui vise les régimes universels,
gérés par une caisse unique et financés par l’impôt. 9 C’est le cas du régime agricole.
10 Selon qu’il est salarié, fonctionnaire ou
indépendant, un travailleur est affilié soit au régime
général, soit au régime spécial de la fonction
publique, soit au régime social des indépendants.
que les remboursements versés par l’assurance
maladie ne suffisent pas toujours pour couvrir
intégralement les dépenses de santé. Ces
garanties supplémentaires ont alors vocation à
compléter les prestations servies par la sécurité
sociale et permettent une prise en charge
améliorée. Ainsi, leur diffusion représente un
enjeu important pour maintenir l’accès aux
soins. Elles peuvent être souscrites soit
collectivement, pour toute une entreprise ou
pour l’ensemble d’un secteur d’activité, soit
individuellement, par toute personne
intéressée. Aujourd’hui, ce n’est d’ailleurs pas
moins de 94 % de la population française qui
est couverte par une complémentaire santé11
.
Alors que notre modèle social est
souvent assimilé à une pyramide cumulant
plusieurs strates de couverture, le système de
santé américain s’en distingue
fondamentalement. Aux États-Unis, la prise en
charge publique de la couverture santé
intervient, non en tant que socle du dispositif,
mais comme un simple filet de sécurité. Là où,
en France, une mosaïque de régimes
obligatoires permet de couvrir les travailleurs
de manière universelle, les garanties accordées
par l’État fédéral et les États fédérés ne jouent
qu’un rôle de palliatif pour certaines catégories
de personnes considérées comme vulnérables.
En l’absence de toute assurance
maladie obligatoire, ce sont les mécanismes
d’assurance privée, souscrits en fonction du
11
M. Perronnin, A. Pierre, T. Rochereau, « La
complémentaire santé en 2008 : une large diffusion
mais des inégalités d’accès », Questions
d’économie de la santé, IRDES, 2011.
48
libre arbitre de chacun, qui constituent la pierre
angulaire du système de santé. Cette réalité se
retrouve dans les chiffres, puisqu’en 2011, ce
n’est pas moins de 63,9 % de la population
américaine qui était couverte par une assurance
privée, alors que seulement 32,2 % a bénéficié
d’une assurance santé gouvernementale12
.
Alors que la sécurité sociale française
bénéficie d’un véritable monopole, le système
de santé américain obéit aux lois du marché, ce
qui permet aux organismes assureurs de se
livrer une concurrence exacerbée qui s’exerce
tant au niveau des primes d’adhésion, que des
prestations versées ou des différentes options
proposées. Le financement des garanties n’est
alors plus proportionnel aux salaires, comme
c’est le cas dans le système français, mais
dépend de l’assureur, de l’entreprise où
travaille le salarié, ainsi que de l’étendue de la
couverture, qui peut aller du minimum requis à
des soins de confort et de bien-être.
Lorsqu’ils sont couverts par une
assurance privée, les Américains le sont en
grande majorité par adhésion à un plan
d’entreprise (employer-sponsored health
plans), c’est-à-dire à un contrat d’assurance lié
à leur emploi et préalablement négocié par leur
employeur quant à son contenu (prestations
servies) et à son coût (montant de la prime).
Parallèlement, la possibilité d’une participation
de l’entreprise au financement de la prime peut
être négociée pour que le salarié n’en conserve
qu’un reliquat à sa charge. Ces contributions
de l’employeur et du salarié bénéficient
12
US Census Bureau, Income, Poverty, and Health
Insurance Coverage in the United States, 2011.
d’ailleurs d’avantages fiscaux non
négligeables13
qui jouent un rôle majeur dans
la diffusion de l’assurance santé aux États-
Unis.
Un dernier point fait profondément
différer la sécurité sociale française du système
de santé américain. Alors qu’en France, tous
les régimes de base reposent sur une obligation
d’adhésion, aux États-Unis, un assuré peut
toujours résilier le contrat négocié par son
employeur et choisir lui-même ses garanties
auprès d’un autre assureur. Comme nous le
verrons, la réforme menée par B. Obama n’a
pas totalement bouleversé cette philosophie
libertarienne.
Si à première vue, tout porte à
considérer que les fondements des systèmes
français et américain d’assurance maladie sont
traversés par de profonds clivages, l’existence
de mécanismes de financement des dépenses
de santé connexes remet en cause ce postulat.
La convergence des instruments
Bien que les innovations apportées par
la réforme du système de santé menée par B.
Obama aient rapproché les modèles sociaux
des États-Unis et de la France, d’autres
dispositifs, qui ont préexisté à cette nouvelle
loi, participent également de cette connexité.
Tel est notamment le cas de la prise en
charge publique de la couverture santé. Même
13
Par exemple, les entreprises bénéficient d’une
réduction d’impôt égale au maximum à 50 % des
contributions qu’elles versent à l’organisme
assureur.
49
si cette modalité de financement ne constitue
qu’un filet de sécurité, elle assure aux plus
précaires le bénéfice de prestations minimales.
Multiforme, cette couverture publique des
dépenses de santé recouvre principalement
deux programmes institués par le président
Johnson en 1965 : Medicaid et Medicare14
.
Participant des politiques de lutte
contre la pauvreté, Medicaid permet de faire
bénéficier les ménages dont les revenus
n’excèdent pas 133 % du seuil de pauvreté
fédéral15
d’un panier minimal de soins, dont le
financement est assuré par le budget fédéral et
celui des États.
Institué en parallèle, Medicare est
destiné aux personnes âgées de plus de 65 ans
et aux personnes handicapées dans l’incapacité
de travailler. L’idée est alors de faire
bénéficier ces dernières d’une assurance
minimale contre l’hospitalisation (Part A),
dont le coût est supporté par les employeurs,
les salariés et des abondements de l’État
fédéral. Cependant, Medicare ne se limite pas
à ce socle de base, une assurance médicale
complémentaire facultative (Part B) y ayant
été annexée. Remboursant les seuls soins
ambulatoires16
, elle est financée pour partie par
les assurés, le reste de la prime étant couvert
14
Pour rappel, en 2011, Medicaid couvrait 50,8
millions de personnes et Medicare 46,9 millions. 15
En 2011, le seuil de pauvreté fédéral (ou Federal
Poverty Level) était de 908 $ par mois pour une
personne seule et 1 863 $ pour une famille de
quatre personnes, par exemple. 16
Les soins ambulatoires (ou soins de ville)
comprennent les soins effectués en cabinet de ville,
en dispensaire, centres de soins ou lors de
consultations externes d’établissements hospitaliers
publics ou privés. Les dépenses de biens médicaux
(médicaments par exemple) ne sont pas inclues.
par une subvention de l’État fédéral. Enfin,
pour permettre aux personnes âgées de
bénéficier d’une garantie optimale et complète,
notamment contre les dépenses de
médicament, un dernier volet optionnel de
couverture a été institué en 2006 (Part D). Si
les bénéficiaires de Medicaid voient leur prime
intégralement prise en charge, le reste des
assurés doivent payer une somme
supplémentaire pour adhérer à ce type de
contrat (Prescription drug plan). Une fois cette
police souscrite, leurs frais médicaux sont
couverts à hauteur de 75 % jusqu’à un plafond
de 2 700 $ (coverage limit). Au-delà et jusqu’à
un seuil d’alerte de 6 200 $ (catastrophic
coverage threshold), l’assuré paie l’intégralité
de ses dépenses. Ce n’est qu’après avoir
franchi cette limite, marquant la fin de la zone
de non-remboursement souvent nommée le
« doughnut hole », que les frais sont à nouveau
pris en charge à hauteur de 95 %17
.
Si le principe d’égal accès aux soins
constitue l’une des priorités des politiques
sociales françaises, il a pourtant fallu attendre
1999 avant que des mécanismes de couverture
maladie à destination des populations les plus
précaires soient institués. Non plus liés à
l’exercice d’une activité professionnelle, ces
dispositifs, recouverts par le terme générique
de couverture maladie universelle (CMU)18
,
permettent notamment à une personne de
bénéficier de prestations, sur un simple critère
17
Le « doughnut hole » a vocation à disparaître
complètement en 2020. 18
R. Lafore, « La CMU, un nouvel îlot dans
l’archipel de l’assurance maladie », Dr. soc., 2000,
p. 21-29.
50
de résidence stable et régulière sur le territoire
français.
Plus étendue dans son périmètre
d’intervention et plus généreuse sur le plan des
prestations, la CMU octroie le bénéfice de
garanties bien plus larges que celles assurées
par les programmes publics américains. Il n’en
demeure pas moins que les philosophies
poursuivies sont identiques dans les deux cas.
Là où le socle de base de la CMU garantit à
tous une prise en charge minimale des
dépenses de santé19
, son second volet de
couverture20
permet aux personnes dont les
ressources ne dépassent pas un certain
plafond21
de bénéficier d’une assurance
complémentaire santé gratuite. En
conséquence, que ce soit dans l’un ou l’autre
des modèles, on retrouve toujours cette
nécessité pour l’État de faire bénéficier les
personnes les plus vulnérables de
remboursements minimaux au titre de leurs
frais médicaux et pharmaceutiques. Ce constat
s’étend d’ailleurs bien au-delà de la seule prise
en charge publique de la couverture santé
depuis la réforme de 2010.
Malgré les programmes Medicaid et
Medicare, plus de 50 millions de personnes
(soit 16,3 % de la population) n’ont bénéficié
19
Gratuite pour les plus démunis, l’adhésion au
premier niveau de la CMU devient la contrepartie
d’une cotisation pour les personnes disposant de
revenus annuels supérieurs à 9 000 €. 20
Appelé CMU-C pour couverture maladie
universelle complémentaire. 21
Le plafond de ressources a été fixé à 650 € pour
une personne seule ; il est majoré de 50 % pour la
2è personne composant le ménage (970 €) et de 30
% pour les 3è et 4
è ; au-delà, le plafond est majoré
de 260 € par personne supplémentaire.
d’aucune assurance maladie en 2010 aux États-
Unis22
. Or, pour la grande majorité, ce
renoncement à l’assurance est dû à la
possession de revenus trop élevés pour relever
de la couverture publique, mais trop
insuffisants pour s’acquitter des primes
réclamées pour adhérer à ce type de contrat.
Certains ménages modestes se retrouvent dans
une situation identique en France, lorsqu’ils
n’ont pas les moyens de souscrire une
couverture complémentaire à l’assurance
maladie.
Sans intervention des pouvoirs publics,
ces familles se retrouveraient à devoir financer
seules une grande partie de leurs dépenses de
santé, voire la totalité du coût de leur assurance
privée. Or, ces montants peuvent rapidement
représenter un effort financier important,
surtout pour des personnes qui se situent juste
au-dessus des plafonds de prise en charge
publique. C’est d’ailleurs pourquoi ces
dernières recourent en général moins aux
soins, alors même qu’elles se déclarent
davantage en mauvaise santé que les personnes
qui bénéficient d’une couverture.
Conscients de cette urgence sociale,
les pouvoirs publics français et américain ont
instauré des mécanismes visant à
subventionner le financement d’une assurance
privée, afin de limiter les barrières financières
à l’accès et ainsi faciliter la diffusion de ces
contrats. Ainsi, depuis la réforme du système
22
US Census Bureau, « Income, Poverty, and
Health Insurance Coverage in the United States:
2011 », rapport disponible sur le site
http://goo.gl/ZZxed.
51
de santé, les individus et les familles dont les
ressources dépassent le seuil de ressources de
Medicaid, sans excéder 400 % du seuil de
pauvreté fédéral, ont droit à un crédit d’impôt
(subsidy). Dégressive, cette aide a vocation à
limiter le reliquat de prime d’assurance à un
certain pourcentage du revenu fiscal du
ménage. De la même façon, ceux dont le
niveau de vie se situe juste au-dessus du
plafond de la CMU-C bénéficient également
d’un crédit d’impôt appelé aide à l’acquisition
d’une complémentaire santé (ACS).
Constituant de véritables « chèques santé », les
sommes octroyées sont directement imputées
sur la prime d’adhésion versée à l’organisme
assureur. Là encore, le parallélisme entre les
deux systèmes est aisé à établir.
Cette convergence des instruments se
retrouve également dans le contenu même des
contrats d’assurance privée souscrits. Alors
que la liberté contractuelle a pendant
longtemps régné sans partage sur ce marché
hautement concurrentiel, les pouvoirs publics
français et américain sont au fur et à mesure
intervenus pour lui imposer des entraves.
La principale innovation engendrée par
la réforme du système de santé américain
consiste en la mise en place dans chaque État
d’une sorte de « bourse aux polices
d’assurance » où la transparence et la
concurrence sont renforcées : le Health Benefit
Exchange (ou Exchange). Ce dernier donne
aux individus et aux entreprises la possibilité
de comparer, à un guichet unique, les garanties
et le montant des primes proposés par les
différentes compagnies d’assurance. Une
habilitation étant nécessaire, les organismes
assureurs n’ont pas tous vocation à opérer sur
l’Exchange. Aussi, seuls ceux qui proposent
des contrats comprenant certaines « prestations
essentielles » (qualified health plans) pourront
être agréés.
De la même manière, cette nouvelle loi
interdit de pratiquer des discriminations (à
raison du sexe ou de l’état de santé) ou des
tarifs plus élevés à l’encontre d’individus
présentant des maladies antérieures
(preexisting medical conditions), tout comme
l’utilisation de la technique de la rescission.
Dorénavant prohibée de tous les plans
d’assurance, cette dernière consiste en la
recherche de la moindre anomalie dans le
questionnaire accompagnant le contrat souscrit
en vue de l’annuler rétroactivement dès que
l’assuré contracte une pathologie.
Si l’offre française d’assurance ne
bénéficie pas d’une bourse spécifique pour les
contrats de couverture complémentaire, ces
derniers n’en sont pas moins réglementés dans
leur contenu. De la même façon qu’aux États-
Unis depuis la réforme menée par B. Obama,
l’assurance privée en France est
instrumentalisée pour poursuivre des objectifs
de santé publique et limiter les excès du
marché libre. C’est d’ailleurs pourquoi les
logiques de prestations essentielles et de non-
sélection médicale existent aussi dans ce pays,
sous la forme de contrats dits « solidaires et
responsables ». Pour bénéficier de cette
labellisation, ces derniers doivent couvrir des
garanties minimales et prendre en charge la
participation de l’assuré à des prestations de
52
prévention jugées prioritaires. De la même
manière, ils interdisent de rembourser les
sommes restées à charge pour responsabiliser
les assurés, mais aussi de pratiquer une
sélection médicale ou de déterminer les
cotisations selon l’état de santé de l’assuré.
Dans une approche beaucoup plus
prospective, c’est enfin sur les systèmes
d’incitations-sanctions (ou bonus-malus)
applicables à l’assurance privée que les
modèles sociaux français et américains tendent
à converger. Là où en France certains, dont la
Cour des comptes fait partie23
, mènent des
réflexions sur l’institution d’une
complémentaire santé obligatoire, les États-
Unis ont déjà mis en place des dispositifs
fortement incitatifs, relevant de l’obligation.
Au travers de l’Exchange, les entreprises
employant au moins 50 salariés doivent
souscrire une assurance santé au profit de leur
personnel (employer mandate), à défaut de
quoi elles risquent une pénalité (shared
responsibility payment) de 2 000 $ par
travailleur non couvert. Même ceux qui ne
peuvent bénéficier d’un plan d’assurance
d’entreprise restent tenus de souscrire une
assurance santé à titre individuel (individual
mandate), sous peine d’encourir eux aussi une
amende (penalty) du montant le plus élevé
entre 695 $ et 2,5 % de leur revenu. En
revanche, puisqu’aucune poursuite pénale n’est
encourue contre celui qui ne s’en acquitte pas,
cette pénalité doit être vue comme une taxe. Si
la liberté dans le choix de l’organisme assureur
23
Cour des comptes, « Le régime d’assurance
maladie obligatoire d’Alsace-Moselle », rapport
disponible sur le site http://goo.gl/8BK4X .
est maintenue, celle de s’assurer a dorénavant
un prix.
En définitive, si avec leur réforme les
démocrates n’ont pas décidé de bâtir un tout
nouveau système, mais préféré construire sur
l’existant, il n’en demeure pas moins que
l’éloignement idéologique prôné par une
grande majorité d’auteurs tend aujourd’hui à
s’effacer. Ne serait-ce pas avant tout parce que
l’efficacité d’un instrument de politique de
santé publique transcende les clivages
politiques ? En dépit de la forte hostilité
qu’elle a pu rencontrer, cette réforme n’en
constitue pas moins un mal nécessaire qui aura
de véritables répercussions économiques et
sociales pour la population américaine.
Participant du droit à la sécurité sociale et du
droit à la santé, il n’y a aucun doute sur le fait
que cette réforme constitue un réel pas en
avant pour les droits de l’Homme aux États-
Unis.
RESUME
Les systèmes français et américain d’assurance maladie recouvrent des réalités bien distinctes. A
l’inverse du modèle français qui s’est organisé autour d’un socle public et obligatoire de protection, la
couverture américaine est basée sur la liberté et une forte implication de l’assurance privée. Si de
profondes oppositions demeurent, les deux poursuivent le même but : garantir le financement des
dépenses de santé et l’accès aux soins. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que certains mécanismes
se retrouvent dans les deux modèles. La récente réforme du système de santé américain participe de ce
rapprochement.
Mots-clés : Réforme du système de santé américain, Obamacare, régime français d’assurance
maladie, programmes publics de couverture, assurance privée
ABSTRACT
The French and American health insurance systems have little in common. In contrast to the French
model, centered on public and mandatory protection, the U.S. healthcare coverage is based on freedom
and a strong involvement of private insurance companies. Even though stark oppositions remain, both
systems have the same goal: to ensure the universal access to healthcare through adequate financing.
Therefore, it comes as no surprise that both systems tend to gradually converge, especially since the
latest reform has been introduced in the U.S.
Keywords: U.S. health-care reform, Obamacare, French Health Insurance scheme, federal-state
benefits programs, private insurance
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4
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VVAARRIIAA || SSYYRRIIEE,, OOBBAAMMAACCAARREE
Une revue trimestrielle éditée en ligne par
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