Revue Flaubert, no 18, 2019...Christophe Ippolito Bouvard et Pécuchet sur leur terre : comment bien...

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Bouvard et Pécuchet et l’agriculture Revue Flaubert, n o 18, 2019 Université de Rouen / Laboratoire CÉRÉdI, Centre Flaubert http://flaubert.univ-rouen.fr/revue/ ISSN (version électronique) 2104-3345 Numéro dirigé par Stéphanie Dord-Crouslé et Éric Le Calvez

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Bouvard et Pécuchet et l’agriculture

Revue Flaubert, no 18, 2019

Université de Rouen / Laboratoire CÉRÉdI, Centre Flaubert

http://flaubert.univ-rouen.fr/revue/ ISSN (version électronique) 2104-3345

Numéro dirigé par

Stéphanie Dord-Crouslé et Éric Le Calvez

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Revue Flaubert, n° 18, 2019

Résumés Bio-bibliographie des auteurs

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Bouvard et PécuchetBouvard et Pécuchet et l 'agriculture et l 'agriculture

Numéro dirigé par Stéphanie Dord-Crouslé et Éric Le Calvez

Avant-propos[Article complet]

Stéphanie Dord-Crouslé, Éric Le Calvez

Flaubert à la ferme[Article complet] [Résumé]

Éric Le Calvez

Le jardin face à Bouvard et Pécuchet[Article complet] [Résumé]

Jeffrey Thomas

L’eau et l’agriculture dans Bouvard et Pécuchet[Article complet] [Résumé]

Abbey Carrico

Flaubert, Bouvard et Pécuchet « devant la divergence des opinions » dans les savoirsagricoles du XIXe siècle [Article complet] [Résumé]

Stella Mangiapane

« Incessamment, ils parlaient de la sève » : Bouvard et Pécuchet pratiquent l’agriculture[Article complet] [Résumé]

Sucheta Kapoor

« Cultiver son jardin » : rêves et délires de l’engrais dans Bouvard et Pécuchet[Article complet] [Résumé]

Florence Vatan

L’agriculture hors de son champ : débordements du chapitre II dans Bouvard et Pécuchet[Article complet] [Résumé]

Christophe Ippolito

Bouvard et Pécuchet sur leur terre : comment bien rater sans savoir pourquoi[Article complet] [Résumé]

Yvan Leclerc

« D’abominables mulets qui avaient le goût de citrouilles » : traduire les causes d’un ratage.Traduction, orthonymie et chaîne de causalités [Article complet] [Résumé]

Florence Pellegrini

Le sottisier agricole de Bouvard et Pécuchet (Flaubert)[Article complet] [Résumé]

Stéphanie Dord-Crouslé

ANNEXES

Bibliographie indicative[Article complet]

Stéphanie Dord-Crouslé, Éric Le Calvez

Pour mémoire : appel à contributions[Article complet]

Stéphanie Dord-Crouslé, Éric Le Calvez

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Résumé

Flaubert à la ferme

Éric Le CalvezProfesseur à Georgia State University (Atlanta, USA)

RésuméPour écrire l’épisode de la visite de la ferme de Faverges, au second

chapitre de Bouvard et Pécuchet, Flaubert s’est rendu à la ferme de Lisors(département de l’Eure) en compagnie de son ami Edmond Laporte, le 17octobre 1874. Il est probable cependant que les notes conservées sur un foliode son Carnet 18 bis ne sont pas des notes de repérage : elles sont bien tropbrèves et l’écriture de Flaubert ne ressemble pas à celle qu’il utilise lorsqu’ilest en repérage, gêné par ses mouvements. S’il en est ainsi, c’est parce quece folio est en fait une sorte de résumé : Flaubert s’est largement inspiréd’un article d’Eugène Marchand intitulé « La ferme de Lisors » et paru enquatre livraisons en février 1874 dans le Journal d’agriculture pratique, dejardinage et d’économie domestique ; cette étude revient sur ce qui aparticulièrement attiré l’attention de Flaubert lors de sa lecture.

AbstractIn order to prepare the episode of the visit to the farm of Count of

Faverges, in the second chapter of Bouvard et Pécuchet, Flaubert went onOctober 17, 1874, to the farm of Lisors, in the Eure department, along withhis friend Edmond Laporte. However, it is likely that the notes preserved onone page of his notebook numbered 18bis were not taken at the farm: theyare too short and Flaubert’s handwriting does not look like the one he useswhen he takes notes on a site. If this is so, it is because the page of thenotebook is in fact a short summary: Flaubert was enormously inspired by anarticle published by Eugène Marchand in four installments in February 1874in the Journal d’agriculture pratique, de jardinage et d’économiedomestique and titled “La ferme de Lisors.” This study examines whatFlaubert considered of prime importance when he read Marchand’s article.

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Revue FlaubertRevue Flaubert, n° 18, 2019 | , n° 18, 2019 | Bouvard et PécuchetBouvard et Pécuchet et et

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Flaubert à la ferme

Éric Le CalvezProfesseur à Georgia State University (Atlanta, USA)

Voir [Résumé]

1 Dans le troisième chapitre de Bouvard et Pécuchet, alors qu’ils sont entrain d’étudier la chimie, à laquelle ils ne comprennent rien, commeFlaubert [1], les deux bonshommes lisent que « la terre comme élémentn’existe pas », ce qui les ébahit « par-dessus tout », indique le narrateur demanière comique (p. 107). Il y a de quoi être étonné en effet : ils ont passéplusieurs années, au cours du second chapitre, à la pratiquer, cette terre, lorsde leurs diverses expériences avec l’agriculture [2] ; diverses car l’agricultureest traitée avec le jardinage et comprend la météorologie et l’arboriculture,pour finir avec l’architecture des jardins puis l’économie domestique.

2 L’agriculture est l’un des domaines qui a nécessité pour l’auteurd’intenses recherches, une énorme documentation, que ce soit sous forme delectures, de renseignements fournis par des tiers, comme d’habitude, etmême lors d’une enquête de repérage en 1874. Comme le dit StéphanieDord-Crouslé, « Pour écrire, il faut connaître ce dont on parle, que celasuppose la visite effective d’une ferme-modèle à Lisors, ou la lectureattentive d’innombrables et indigestes ouvrages d’agronomie. Car de larichesse de la documentation dépend l’impartialité de l’art » [3], et ce,d’autant plus que Flaubert déclare n’y rien connaître [4].

3 Au second chapitre du roman, les deux bonshommes vont donc voir leurferme, située à un kilomètre de distance de Chavignolles où ils ontemménagé. Leur visite est plus que décevante : tous les bâtimentsnécessitent des réparations et le fermier, « Maître Gouy », déprécie lescultures, qui mangent « trop de fumier » tandis que les charrois sont« dispendieux » et que la « mauvaise herbe » empoisonne les prairies, si bienque « ce dénigrement de sa terre atténua le plaisir que Bouvard sentait àmarcher dessus » (p. 68). Les deux bonshommes commencent à toucher à laterre en faisant du jardinage, et comme ils croient s’y entendre, obtenantquelques résultats positifs, ils se disent qu’ils doivent être capables de« réussir dans l’agriculture » ; ainsi « l’ambition les prit de cultiver leurferme » (p. 70). Mais ils ne s’y mettent pas tout de suite ; ils vont d’abordvisiter la ferme du comte de Faverges. C’est une longue scène de trois pages(p. 70-74) qui sert vraiment d’introduction, et même d’embrayeur àl’agriculture dans le récit. En effet cette visite est décisive pour lespersonnages, car la scène se conclut ainsi : « tout ce qu’ils avaient vu lesenchantait. Leur décision fut prise ». C’est-à-dire, commencer l’agriculture ;et l’on sait que ce sera un échec, avec l’incendie des meules qui les rendpresque ruinés avec un déficit de trente-trois mille francs (p. 84-86).

4 Comme c’est souvent le cas avec Bouvard et Pécuchet, la genèse estcomplexe, et l’on n’en présentera ici que brièvement les enjeux et lesprincipes. Flaubert a très tôt l’idée de faire faire à ses deux bonshommes uneexpérimentation sur le terrain : dès le premier scénario de Rouen [5], àl’annonce de l’agriculture et déjà de son échec, « essayent de l’agriculture –essais infructueux et coûteux », il ajoute dans l’interligne : « petite fermeattenante – et ils vont étudier dans une plus gde – Majesté des gdes piècesde blé » (ms. gg10 fo 3), ce qui est confirmé par les scénarios d’ensemble :

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DÉBUT DE LA GENÈSE

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« ils essaient de l’agriculture. font leur apprentissage dans une ferme desenvirons. Les bons paysans » (fo 25) ; Flaubert a alors oublié de recopierl’image visuelle de la majesté des pièces de blé mais elle réapparaîtra sur lescénario suivant : « Agriculture. font leur apprentissage dans une ferme desenvirons. – les bons paysans », avec dans l’interligne : « poésie d’une gdeculture – troupeaux, blés au soleil » (fo 34). Dans l’esprit de Flaubert, àl’origine, ce sont donc des images très positives, quoique clichées ; sur lescénario suivant il écrit d’ailleurs : « Théocrite gâté d’industrialisme » (fo 8),et sur ce même folio la scène germe avec le propriétaire et la temporalité (onne savait pas jusqu’alors si le présent était ponctuel – c’est-à-dire scénique –ou itératif) : « comme ils ne savent pas l’Agriculture, ils vont voir une belleferme des environs chez M. xxx gentilhomme, agronome catholique &polytechnicien. – ils le rencontrent sur ses terres. un soir ». La psychologievient avant l’onomastique : c’est seulement trois scénarios plus tard que lenom du personnage apparaît : « Ils vont voir une belle ferme aux environs àMr de Faverges, agronome. polytechnicien, catholique, chic anglais. lerencontrent sur ses terres, un soir » (fo 37). Après la préparation générale durécit, il reste bien entendu maintenant le plus corsé : le passage à l’écritureavec la phase de documentation.

5 Avant même d’avoir fini la rédaction du premier chapitre (ce qui sera lecas le 12 octobre 1874), Flaubert écrit à son ami Edmond Laporte le8 octobre : « il faut à toute force que j’aille voir la ferme de Lisors » [6] (et ilconvient de souligner l’importance de l’expression « à toute force ») qui estune « ferme modèle » [7]. Comme le rappelle Stella Mangiapane [8], la notionde ferme modèle apparaît au XIXe siècle afin de diffuser le progrès agricole,qu’il s’agisse des constructions ou des pratiques ; Flaubert lui attribued’ailleurs une majuscule en la soulignant dans une lettre à Léonie Brainne :« Demain à huit heures du matin, je prends le chemin de fer pour aller visiterune Ferme modèle » [9]. Quoi qu’il en soit, il pense ne pas devoir y passerplus de trois heures [10] ; en effet, elle est facile d’accès, située à seulementquelques minutes de la gare, rue de l’Église, non loin de la petite rivière quiprend sa source dans la forêt de Lyons, nommée le Fouillebroc. Le17 octobre, Flaubert part donc avec Laporte visiter la ferme de Lisors, dansl’Eure, canton de Lyons-la-forêt. On va dès lors assister à un curieux effetde modélisation avec mise en abyme. Une ferme, qui dans la réalité doitservir de modèle au progrès agricole, va servir de modèle à Flaubert qui vas’en inspirer pour construire, dans la fiction cette fois, la ferme du comte deFaverges qui va elle-même servir de modèle aux deux bonshommes pour leurpropre ferme : c’est infini !

6 Mais pourquoi la ferme modèle de Lisors, en particulier, et non pas, parexemple, celle de Grignon, située à deux pas de Paris (rappelons queFlaubert doit alors se rendre à Paris à cause de la représentation du Sexefaible de Louis Bouilhet) ? Cette ferme modèle est vantée par Bailly deMerlieux dans sa Maison rustique du XIXe siècle [11], ouvrage que Flaubert aamplement utilisé, même pour construire la ferme de Faverges – il a aussiutilisé le Catéchisme d’agriculture de Baudry et Jourdier (Stella Mangiapanel’a démontré dans son article déjà cité). Flaubert a peut-être été stimulé parun compte rendu positif sur la ferme de Lisors publié dans le Nouvelliste deRouen le 23 mars 1874 ; il le connaissait sans doute puisqu’il lisait cequotidien conservateur et était proche de son directeur, Charles Lapierre.Quoi qu’il en soit, cette ferme était fort célèbre : le comte de Valon prononceà son propos un discours élogieux de cinq pages paru dans le Recueil destravaux de la société libre d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres del’Eure en mai 1876 [12] et M. Piquemot y publie aussi un « Rapport de lacommission chargée de visiter la ferme de Lisors », rapport de douze pagestout à fait élogieux également [13] ; mais comme ces deux textes se situenten dehors de notre genèse, Flaubert finissant de travailler sa ferme vers lami-novembre 1874, il convient de les laisser de côté.

Quand il fait un voyage de repérage, comme c’est le cas pour la ferme deLisors, Flaubert prend des notes dans un carnet emporté pour l’occasion. LeCarnet 18 bis contient sur le folio 9 verso des notes relatives à la ferme etPierre-Marc de Biasi, dans son édition des Carnets de travail, suppose qu’ils’agit des notes du repérage en question, prises le 17 octobre, ce qui estvraisemblable [14]. Il est cependant fort possible d’en douter. Tout d’abord, lesnotes ne s’étendent que sur quelques lignes alors que Flaubert écritbeaucoup plus quand il est en repérage, même quand il connaît le lieu (ce quin’est pas le cas ici), comme lors de ses repérages parisiens ; ensuite,l’écriture ne ressemble pas du tout à l’écriture chaotique de Flaubert quand ilprend des notes sur place : il suffit de regarder à ces deux égards les foliosqu’il a utilisés lors du repérage sur le boulevard Bourdon, pour la descriptioninitiale du roman [15]. Il est vrai aussi qu’une quarantaine de pages du carnetont été arrachées, et qu’elles pourraient contenir la suite du repérage, maisaucune page n’est arrachée autour du folio 9 verso, ce qui est troublant.Heureusement, tous les carnets de Flaubert qui se trouvent conservés à la

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Bibliothèque historique de la Ville de Paris ont été numérisés et mis en ligneau printemps 2016 sur la base Gallica de la Bibliothèque nationale de France,ce qui facilite énormément la recherche. Voici le folio en question avec satranscription diplomatique en regard [16] :

(BHVP, « Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France »)

7 Il est clair qu’il s’agit bien de brèves notes de lecture prises très

rapidement, elles sont d’ailleurs peu détaillées et ne comportent aucuneponctuation ou presque. Flaubert semble isoler « turbine » et « eau » dureste des notes (sur le fac-similé on peut d’ailleurs très bien voir que les deuxtermes n’ont pas été écrits au même moment), avec un trait démarcatif, puisil choisit quatre lieux : la « vacherie », la « grange » et deux laiteriesparallèles, l’une pour l’été et l’autre pour l’hiver.

8 Puisqu’on ne possède aucune autre note de lecture concernant Lisors (iln’y en a aucune trace par exemple dans les dossiers de Bouvard etPécuchet), il faut faire des recherches supplémentaires. Il s’agit en fait d’unarticle d’Eugène Marchand, intitulé « La ferme de Lisors » et paru en quatrelivraisons en février 1874 dans le Journal d’agriculture pratique, de jardinageet d’économie domestique [17]. Flaubert a pu y lire qu’un avocat-général àRouen, Achille Pouyer, est devenu propriétaire de la ferme de Lisors en 1868avec l’intention d’en faire un modèle pour exciter l’émulation ; il a commencépar faire des recherches sur les dernières inventions techniques mais n’a paspu commencer les transformations avant 1871, à cause de la guerre franco-prussienne (il a même été arrêté par les Prussiens !). En tout cas la fermedevient vite célèbre car Pouyer reçoit le 14 septembre 1873 une médaille d’orde la Société d’agriculture de l’Eure en l’honneur des travaux d’aménagementqu’il vient de terminer. Cela a certainement attiré l’attention de Flaubert, quise trouvait alors au milieu de ses premières grandes lectures documentairesdont faisait partie l’agriculture, et ce d’autant plus que Pouyer était un amid’Ernest Commanville [18] ; il est fort probable que Commanville a conseillé àl’écrivain d’aller visiter la ferme de Pouyer, et il est même possible qu’il aitarrangé un rendez-vous entre les deux hommes.

9 Flaubert ne suit pas, dans sa prise de notes minimale, l’ordre desinformations que contient l’article d’Eugène Marchand, et l’on est en droit dese demander pourquoi. En étudiant cet article, voici ce que l’on peutremarquer. Ce qui fait la force de la ferme de Lisors, selon Marchand, c’estque Pouyer a obtenu l’autorisation de détourner le Fouillebroc et deconstruire des terrassements pour faire arriver l’eau jusqu’à une turbine, cequi a permis à ce « mince ruisseau » [19], selon Marchand (p. 191), de passerd’un débit de vingt-cinq litres par seconde à un débit de « cinquante litres parseconde ». Marchand déclare que c’est « une telle réussite qu’on peut évaluermaintenant à cinquante litres le débit d’eau dans la turbine, et à quatrechevaux vapeur la force que ce mince filet d’eau développe » (p. 195), etqualifie aussi la turbine de « bijou de précision » (p. 194) qui permet dans ledomaine un « luxe de distribution d’eau » (p. 195). Il élabore ensuite ainsi :

UN ARTICLE DÉCISIF

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« Si les Anglais disent : Time is money… on peut exprimer une penséeanalogue en disant que l’eau, partout, et surtout dans une ferme, c’est del’argent » (ibid.). Turbine et eau (le terme eau est du reste souligné parMarchand) : ce sont les deux facteurs principaux sans lesquels la ferme deLisors n’aurait jamais pu devenir une ferme modèle, et ce sont donc lespremiers éléments que Flaubert note dans son carnet, avant même de parlerdes bâtiments de la ferme.

10 La partie suivante de la ferme que choisit Flaubert sur le folio 9 verso,c’est la vacherie, qu’il qualifie de « hollendaise », avec une fauted’orthographe et sans explication ; Marchand indique que « c’est le systèmehollandais qui a été adopté » (p. 226) et ajoute qu’elle est vraiment« magnifique », et « peut recevoir 45 vaches et plus de 20 veaux » (ibid.).

11 Ensuite, dans le carnet de Flaubert vient la grange. Il note : « toiturearceaux de maçonnerie charpente » et là, il est intéressant de le souligner, ilse trompe, car justement Marchand indique qu’elle est « sans charpente »,c’est de plus ce qui fait son originalité. Voici ce qu’il en dit :

La grange est sans charpente. Au lieu des fermes ordinaires en bois, on aconstruit des arceaux en maçonnerie qui portent le toit et laissent l’espacelibre d’un bout à l’autre du bâtiment. Par ce moyen la circulation est sansobstacles, et il en résulte une notable diminution de main-d’œuvre pour letassement de la récolte et le service de la machine à battre. Cette grange estconstruite en maçonnerie de briques et de cailloux (p. 197).

12 Excepté la charpente, le reste est correct dans le carnet mais moinsdétaillé que dans l’article ; il est clair que pour ces premières notes, Flaubertne s’intéresse pas à tous les détails et surtout pas au résultat ou à la finalitéde la construction.

13 Dans le carnet apparaissent enfin les laiteries parallèles. Marchandexplique que « La laiterie, occupant une place très importante dans le budgetde la ferme de Lisors, a été l’objet des préoccupations de M. Pouyer »(p. 251), et il détaille tous les aménagements qui y ont été faits (comme parexemple la nécessité de détruire la laiterie d’origine, qui était souterraine,donc bien trop humide et ainsi néfaste pour le lait). Un aménagement entrois pièces a été réalisé : « À Lisors, la laiterie se compose de trois pièces :la laiterie d’été, la laiterie d’hiver et la crèmerie, où se trouve la baratte »(p. 252), et Flaubert laisse pour l’instant la crèmerie de côté (elle reviendrabientôt). Il mentionne d’abord la laiterie d’été (et oublie sur le premier jetd’écrire « d’été »), qui est très haute et très vaste, et bien plus importanteque la laiterie d’hiver car les vaches produisent moins de lait en hiver.Flaubert n’écrit que « robinets pr faire nappe d’eau », alors qu’il a pu liredans l’article tous les détails conduisant à la « nappe d’eau » en question,ainsi que leur but, c’est-à-dire qu’il s’agit de rafraîchir l’air, l’été, sansproduire d’odeur pour le bienfait du lait, tandis que les murs, pour luttercontre l’humidité qui pourrait découler de cette nappe constante, ont eux-mêmes été recouverts de ciment. C’est l’un des signes de la modernité et dela réussite de la ferme de Lisors :

Disposant de l’eau à son gré, il a fait attacher au pourtour de la laiterie untuyau en fer, ayant 0m.05 de diamètre intérieur. À ce tuyau ont été adaptés,de deux mètres en deux mètres, des tubes en cuivre percés de petits trous,presque capillaires, par lesquels, à volonté, on fait suinter l’eau. On peutainsi entretenir sur le pavage une très mince nappe liquide dans un étatd’écoulement continuel, se vaporisant par conséquent avec rapidité, etrafraîchissant l’air sans donner d’odeur […]. Les murs de la laiterie ont étéeux-mêmes recouverts d’une chape du même ciment dans une hauteur de0m.50 au-dessus du niveau du sol. (p. 252)

14 Finalement, Flaubert annote la laiterie d’hiver. Il écrit, de manière trèssuccincte encore : « laiterie d’hiver, chauffée par un foyer extérieur », etMarchand en explique la raison, ainsi que le faible coût, autre signe de lamodernité de Lisors : « La laiterie d’hiver est chauffée au moyen d’uncalorifère, placé à l’extérieur, afin qu’aucune poussière ne se mêle à la crème.Cet appareil est d’un chauffage très économique » (p. 252).

15 Notons de plus une remarque qu’a faite Marchand après sa visite, et quia sans doute intéressé Flaubert à l’origine : « l’aménagement intérieur de lagrange, de l’écurie, de la vacherie, et des laiteries a surtout attiré monattention » (p. 197) ; l’écrivain en a retenu, lors de sa prise de notes initiale,une rapide synthèse dans le carnet [20], le folio devenant une sorte de pense-bête pour préparer la visite.

16 Mais il y a plus. L’article d’Eugène Marchand regorge de croquisconcernant la ferme de Lisors ; ainsi Flaubert a pu voir le plan général de laferme (p. 192) :

DES CROQUIS STIMULANTS

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« Plan général de la ferme de Lisors »

(« Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France »)

17 et donc parallèlement la disposition de chacun des éléments oubâtiments de la ferme abondamment décrits et explicités dans l’article, dont,par exemple, la fameuse turbine grâce à laquelle Lisors a acquis son statutde ferme modèle (p. 193) :

« Plan de la turbine et des transmissions »

(« Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France »)

18 ou encore la grange avec ses arceaux en maçonnerie (p. 196) [21] :

« Coupe de la grange »(« Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France »)

19 et même les deux laiteries, qui sont si importantes pour le bon

rendement de la ferme et pour sa réputation (p. 193) [22] :

« Plan de la partie des bâtiments de la ferme contenant le cellier,le pressoir et la laiterie »

(« Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France »)

20 C’est ce qui explique sans aucun doute possible la raison pour laquelleFlaubert déclare à Laporte avoir besoin de ne passer que « deux ou troisheures » à la ferme (dans la lettre citée auparavant), alors que le domaines’étend sur 150 hectares, il faut le souligner ; quand il part pour Lisors,l’écrivain est parfaitement préparé grâce à ce qu’il a lu, et très probablementannoté, puisqu’il était un maniaque de la prise de notes. Y a-t-il eu aussiprise de notes de repérage ? fort probablement ; même s’il est bien préparé,Flaubert annote toujours ce qu’il voit, ne serait-ce que pour s’en souvenirprécisément grâce à un texte personnel qu’il réutilisera ; on peut donc enconclure qu’une partie des manuscrits concernant l’Agriculture a disparu desdossiers de Bouvard et Pécuchet, et peut-être que ces suppositions serontconfirmées un jour par leur réapparition [23].

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Flaubert passe ensuite à l’aménagement du récit de l’épisode sur unscénario, en haut du folio g225(2) fo 86 [24]. Notons que sur le premier jetFlaubert n’écrit que : « Ferme de », « vacherie », « grange », « laiteried’été », « laiterie d’hiver », allant au plus pressé. Ce n’est qu’à la relectureque, tout d’abord, il attribue la ferme à son personnage, « Mr de Faverges »,et insère ensuite les informations provenant du carnet : « Hollendaise »(avec sa faute d’orthographe et une majuscule) pour la vacherie, « arceauxen maçonnerie pr la toiture » pour la grange, « robinets pr faire napped’eau » et « chauffée par un foyer extérieur » pour la laiterie. Ensuite encoreapparaît dans l’interligne la « baratte à la mécanique » ; elle provient del’article de Marchand (p. 252), comme les « cases pour les cochons » [25] et« pour les poules » [26], avec leurs portes « s’ouvrant du dedans et dudehors » [27] (dans l’interligne aussi), dont Flaubert a pu voir les croquis etlire les explications détaillées :

« Petite porte de poulailler, ouverte »(« Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France »)

« Petite porte de poulailler, fermée »(« Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France »)

21 Il en va de même pour les « pentes pour les urines » [28] et les

« charrettes » [29] (en haut du folio). On voit bien parallèlement quel’aménagement du récit va de pair avec l’utilisation d’autres notes de lecture,

PASSAGEÀ

L'ÉCRITURE

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comme celles provenant du Département de l’Oise, à la page 289. 22 On a dit précédemment que Flaubert avait pu lire dans l’article de

Marchand la description de tous les bâtiments ; c’est le moment de revenirsur cette assertion. En fait, Marchand a oublié de décrire les trois bergeries,alors qu’il y avait trois cents moutons à Lisors [30] ; donc on peut être certainque l’ajout concernant les « bergeries » avec leurs « petites ouvertures à rasdu sol » (en haut du folio à droite) vient de la vision de Flaubert et non de salecture.

23 Pour la mise en place initiale de la fiction on est donc en face d’un foliotrès composite : il s’agit à la fois de notes de lecture, de notes fictionnelles(comme « de Mr de Faverges » ou le fait qu’ils « rédigent une lettre pour luidemander la permission » de visiter sa ferme, en haut du folio), et enfin denotes provenant de la visite de l’auteur, comme pour les bergeries oul’« aspect de la cour à la moderne ».

24 Il n’est pas utile de revenir ici sur toutes les phases de la genèse,identiques à celles qui sont basées sur la documentation et qui sont visiblesdans chaque roman de la maturité de Flaubert [31], avec des phénomènesd’intégration, de réécriture, d’insertion ou de rejet du document ; néanmoinsil convient de relever deux des passages de l’article de Marchand qui trouventleur répondant dans le texte de Bouvard et Pécuchet et que nous n’avonsjusqu’ici que mentionnés. Le premier concerne les fameuses portes « dansles cases aux cochons », « pouvant d’elles-mêmes se fermer » chez Flaubert(p. 73) ; Marchand explique que « Une poignée centrale faisant levier […]permet de dégager de leurs mentonnets, scellés dans le mur aux extrémitésdes trappes, ou bien de les y engager, deux fléaux en fer qui servent à tenirces trappes ouvertes ou fermées » (p. 227), agrémentant son texte d’unschéma. Enfin, le deuxième passage est relatif à la vacherie qui, pourMarchand, est « magnifique » (p. 226) ; il la détaille d’ailleurs sur deux pages(p. 226-227), concluant : « On ne peut donc que vanter cette installation :un seul homme suffit au service d’une telle étable, et il est permis d’affirmerque ces avantages se chiffrent, chaque année, par une somme dont lefermier apprécie fort l’importance » (p. 227).

« Plan de la vacherie »(« Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France »)

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25 Notons en particulier la manière de nourrir les vaches :

Au-devant de chaque animal, on a réservé un espace libre suffisant pour qu’ilpasse sa tête et prenne sa nourriture dans l’auge […] placée à ses pieds au-delà de cette séparation. Les vaches s’y prennent très adroitement pourintroduire leurs cornes entre les barreaux ; et le système que je décris a cedouble avantage que les vaches mangent paisiblement et sans attirer sousleurs pieds une partie du fourrage qui s’y trouverait perdu, comme cela arriveavec les râteliers du système ordinaire. (p. 226)

26 ainsi que la façon dont elles sont attachées :

Chaque animal est attaché au moyen de deux chaînes se terminant par unanneau. On introduit dans ces anneaux le piquet de droite et celui de gauche,de telle façon que les anneaux glissent le long des piquets et obéissent auxmouvements de la vache quand elle se lève ou se couche. Les animaux sontainsi maintenus des deux côtés et ne peuvent s’inquiéter entre eux. (ibid.)

27 et, enfin, comment elles sont abreuvées :

pour abreuver le troupeau, on a construit un réservoir en portland, àl’intérieur de la vacherie, de manière que l’eau prenne une températureconvenable et ne glace pas l’estomac des animaux. Quand l’heure est venue,on ouvre un robinet placé en tête de l’auge générale, qui est promptementremplie, et le troupeau tout entier est abreuvé. À l’autre extrémité, un clapetenlève dans un égout l’eau restante. » (p. 227)

28 Bref, il s’agit comme partout à Lisors de privilégier le bien-être desanimaux, et cela n’a pas dû laisser Flaubert indifférent ; il fait de la vacherie(devenue chez lui une « bouverie » tandis que les vaches sont transforméesen bœufs [32]) le « bijou de la ferme », et réutilise dans sa saynète denombreux détails déjà présents chez Marchand :

Des barreaux de bois scellés perpendiculairement dans toute sa longueur ladivisaient en deux sections, la première pour le bétail, la seconde pour leservice. On y voyait à peine, toutes les meurtrières étant closes. Les bœufsmangeaient attachés à des chaînettes et leurs corps exhalaient une chaleur,que le plafond bas rabattait. Mais quelqu’un donna du jour. Un filet d’eau,tout à coup se répandit dans la rigole qui bordait les râteliers. Desmugissements s’élevèrent. Les cornes faisaient comme un cliquetis debâtons. Tous les bœufs avancèrent leurs mufles entre les barreaux etbuvaient lentement. (p. 73-74)

29 L’article d’Eugène Marchand, membre correspondant de la Sociétécentrale d’agriculture, a donc été fort bénéfique pour Flaubert, à plusieurségards. Il a tout d’abord relevé sur un folio de son carnet quelques élémentsdont Marchand avait dit qu’ils l’avaient particulièrement attiré à la ferme deLisors (sans mentionner l’écurie cependant) et, après sa brève visite, acontinué à l’utiliser lors de la rédaction, en même temps que d’autresouvrages ou revues.

30 La genèse initiale de l’épisode de la ferme se définit donc comme unmoment bien particulier où la lecture a supplanté la vision, ou, du moins, oùla vision est surtout venue confirmer la lecture tout en procurant denouveaux détails qui ne se trouvaient pas dans le document ; ce serait donc,sinon un hapax génétique, tout au moins un phénomène assez rare dans lesgenèses flaubertiennes.

[1] Il l’avoue à sa nièce Caroline le 26 juin 1872 : « Quant à la chimie, que jecomprends beaucoup moins bien [que la médecine], ou plutôt pas du tout, jel’ajourne » (Correspondance, éd. Jean Bruneau – et Yvan Leclerc pour le t. V– Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I (1973), t. II (1980),t. III (1991), t. IV (1998), t. V (2007) ; ici t. IV, p. 164. Correspondance seraabrégé dès maintenant en Corr., suivi du tome et de la page dans le corps dutexte pour ne pas multiplier les notes. Ajourner la chimie : c’est ce que ferontles deux bonshommes dans la fiction, après seulement deux pages, préférantpasser à l’étude de l’anatomie (Bouvard et Pécuchet, avec des fragments du« second volume », dont le Dictionnaire des idées reçues, éd. StéphanieDord-Crouslé avec un dossier critique, Paris, Flammarion, « GF », 2011,p. 109. Dès maintenant nous donnerons les références entre parenthèses

NOTES

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dans le corps du texte).

[2] Selon Claude Mouchard, « La terre, dans Bouvard et Pécuchet, s’offre nonseulement comme le support mais comme le thème même de la premièrestation encyclopédique des “deux cloportes”. Plus généralement, la lignehorizontale du sol ne cesse de se faire percevoir, ironique, jusqu’au termeindéfini du livre » (« Terre, technologie, roman : à propos du deuxièmechapitre de Bouvard et Pécuchet », Littérature, no 15, 1974, p. 65 ; enligne).

[3] « La face cachée de l’“impartialité” flaubertienne : le cas embarrassant deJoseph de Maistre », dans Yvan Leclerc, La Bibliothèque de Flaubert.Inventaires et critiques, Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 2001,p. 323 ; en ligne.

[4] « C’est l’histoire de ces deux bonshommes qui copient, une espèced’encyclopédie critique en farce. Vous devez en avoir une idée ? Pour cela, ilva me falloir étudier beaucoup de choses que j’ignore : la chimie, lamédecine, l’agriculture. Je suis maintenant dans la médecine » (lettre àEdma Roger des Genettes, 19 août 1874 ; Corr. IV, p. 559).

[5] Les scénarios de Bouvard et Pécuchet sont conservés à la Bibliothèquemunicipale de Rouen sous la cote ms. gg10, que je ne répéterai pas ici.L’orthographe et les abréviations de Flaubert sont respectées.

[6] Corr. IV, p. 874.

[7] « Il est probable que samedi prochain j’irai avec Laporte voir la fermemodèle de Lisors » (lettre à sa nièce Caroline, 11 octobre 1874, ibid.,p. 877).

[8] « De l’enquête sur le terrain à l’écriture de fiction dans les manuscritsde Bouvard et Pécuchet », dans Éric Le Calvez, Flaubert voyageur, Paris,Classiques Garnier, « Rencontres », 2019, p. 315-330.

[9] Lettre du 15 octobre 1874, Corr. IV, p. 879.

[10] « Il me semble que la visite de Lisors ne doit pas nous demander plusde 2 ou 3 heures » (lettre à Edmond Laporte, 11 octobre 1874, ibid., p. 877).

[11] Charles-François Bailly de Merlieux, Maison rustique du XIXe siècle.Encyclopédie d’agriculture pratique… par une réunion d’agronomes et depraticiens, Paris, Au Bureau, 1835-1844, 4 vol. ; voir les pages 291-293 dupremier volume.

[12] Recueil des travaux de la société libre d’agriculture, sciences, arts etbelles-lettres de l’Eure, Évreux, Société libre d’agriculture, sciences, arts etbelles-lettres de l’Eure, mai 1876, p. XI-XV.

[13] Ibid., p. CVII-CXVIII.

[14] Carnets de travail, éd. Pierre-Marc de Biasi, Paris, Balland, 1988,p. 803 : « Il est assez vraisemblable que ces notes aient été prises lors de lavisite d’une ferme modèle, que Flaubert fit à Lisors le 7 [sic] octobre 1874 ».

[15] Carnet 18 bis, fos 14vo, 14 et 13vo ; ibid., p. 807-808.

[16] Ma transcription ne suit pas celle de l’édition des carnets ; l’italiqueindique les ajouts.

[17] Eugène Marchand, « La ferme de Lisors », Journal d’agriculturepratique, de jardinage et d’économie domestique, vol. 38, 1, février 1874. Envoici les références complètes : 1- 5 février 1874, p. 191-198 ; 2- 12 février1874, p. 225-229 ; 3- 19 février 1874, p. 251-254 ; 4- 26 février 1874,p. 293-297, en ligne. Pour ne pas alourdir le texte de notes, je donneraidorénavant directement la référence des pages entre parenthèses.

[18] Voir la lettre à Ernest Commanville du 8 juin 1877, alors que ce dernierse débat avec ses problèmes financiers : « votre ami Achille Pouyer a la plusgrande influence sur ce Filheul qui peut vous être très utile. Et Lapierre sepropose de voir Pouyer à cet effet » (Corr. V, p. 244), ainsi que celle du11 juin : « Il [Lapierre] me paraît fonder un très grand espoir sur Filheul, etcroit que l’intervention d’A[chille] Pouyer serait très bonne » (ibid., p. 246).

[19] « Ruisseau » est aussi le terme que Flaubert utilisera lors de larédaction, pour aboutir au texte suivant : « Le travail s’y faisait à lamécanique, au moyen d’une turbine, utilisant un ruisseau qu’on avait,exprès, détourné. Des bandelettes de cuir allaient d’un toit à l’autre, et aumilieu du fumier une pompe de fer manœuvrait » (p. 73). Marchand alonguement expliqué le principe du fumier à la ferme de Lisors et de la fosseà purin (p. 228-229), sans toutefois mentionner la « pompe de fer ».

[20] Il a donc oublié l’écurie, ou décidé de la laisser de côté, alors qu’il auraiteu encore de la place pour remplir le folio. Elle sera aussi absente du texte duroman, les chevaux n’y seront vus qu’au travail : « on jetait des bottesvivement dans une longue charrette, attelée de trois chevaux » (p. 71) ;« Un cheval que l’on conduisait à la main traînait un large coffre monté surtrois roues » (p. 72). Voici ce que déclare Marchand à propos de l’écurie :

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« Dans l’écurie, comme dans tous les bâtiments, d’ailleurs, on a installé destrappes, avec échelles en fer, pour atteindre les fourrages. On évite ainsid’employer à l’extérieur, pour monter dans les greniers, des échelles mobilesqui dégradent les murailles, et de jeter ces fourrages sur le sol de la cour oùils ramassent la boue et des graviers qui rebutent les animaux. De plus, leshommes sont à couvert. On a adossé à l’écurie une sellerie, avec une fenêtrepour éclairer la table du bourrelier, et l’on a installé un plancher d’entresol surlequel sont placés les lits des charretiers, qui voient par de larges baies cequi se passe autour des chevaux » (p. 198).

[21] Voir Bouvard et Pécuchet, p. 73 : « La grange était voûtée comme unecathédrale avec des arceaux de briques reposant sur des murs de pierre ».

[22] Ibid. : « La laiterie spécialement les émerveilla. Des robinets dans lescoins fournissaient assez d’eau pour inonder les dalles ; et en entrant, unefraîcheur vous surprenait. Des jarres brunes, alignées sur des claires-voiesétaient pleines de lait jusqu’aux bords. Des terrines moins profondescontenaient de la crème. Les pains de beurre se suivaient, pareils auxtronçons d’une colonne de cuivre, et de la mousse débordait les seaux de fer-blanc, qu’on venait de poser par terre. » Il est clair que le contenu de lalaiterie provient de ce que Flaubert a vu lors de sa visite, ainsi quel’impression de fraîcheur, qu’il a dû lui-même ressentir.

[23] J’ai déjà fait des remarques similaires à propos du dossier concernantles faïences, notes utilisées pour L’Éducation sentimentale et déplacées dansles dossiers de Bouvard et Pécuchet (ms. g226(1) fos 137 et suivants,consultables en ligne : Les dossiers documentaires de Bouvard et Pécuchet,sous la dir. de Stéphanie Dord-Crouslé, 2012-..., ISSN 2495-9979 ; icile fo 137) ; elles traitent de la fabrication, non de l’histoire des faïences ou deleur classification alors que Flaubert a bien annoté de tels ouvrages. Voir ÉricLe Calvez, Genèses flaubertiennes, Amsterdam-New York, Rodopi, « FauxTitre », 2009, p. 282 (voir aussi la reconstitution conjecturale du contenu dudossier « Géologie. Histoire naturelle. Faïences » par Stéphanie Dord-Crouslé).

[24] Stella Mangiapane qualifie ce folio de « plan » dans son article déjàcité ; il est en fait à la limite du plan et du scénario ponctuel puisque leséléments narratifs et descriptifs s’y ébauchent. Tous les scénarios ponctuelset brouillons du roman sont également conservés à la Bibliothèquemunicipale de Rouen sous la cote ms. g225 (9 volumes) et sontconsultables en ligne : Les manuscrits de Bouvard et Pécuchet, CentreFlaubert.

[25] « Il y a huit cases pour les porcs : leurs dimensions sont de 2m50 sur2m84 » (p. 227).

[26] « À Lisors, on élève tout à la fois des poules, des dindes, des oies et descanards. Les poulaillers y sont donc partagés en quatre cases fort bienaménagées, car l’on a eu soin de construire, en maçonnerie de plâtre et debriques, des niches de dimensions spéciales, dans chacune d’elles, pourrecevoir les produits de la ponte et assurer un lieu tranquille aux couveuses »(ibid.).

[27] Voir p. 227-228.

[28] « Le purin seul […] se répand dans le parc aux fumiers, dont les pentesconvergent vers une fosse destinée à recevoir les eaux noires » (p. 228).

[29] Sous la forme des « charretiers » (p. 198).

[30] Les bergeries ne sont mentionnées qu’à propos de l’eau dans l’article deMarchand : « Il y a de l’eau dans l’étable, de l’eau à l’écurie et près de laboulangerie ; de l’eau dans chacune des trois bergeries ; de l’eau dans lacour des porcheries pour alimenter une mare pavée et bordée de grès, où lesporcs se baignent » (p. 196).

[31] Voir le chapitre « Documents et intertextes » dans Éric Le Calvez, LaProduction du descriptif. Exogenèse et endogenèse de L’Éducationsentimentale, Amsterdam-New York, Rodopi, « Faux-Titre », 2002,p. 177- 220.

[32] C’est sur un scénario ponctuel que la transformation commence às’opérer (ms. g225(2) fo 87) ; dès le premier jet Flaubert écrit : « Vacheriehollandaise – les bœufs à l’engrais – on leur donne à boire », peut-être parcequ’il a décidé de représenter des vaches en train de ruminer dans un ajout enhaut du folio : « 3 gdes masures plantées de pommiers – vaches ruminantétalant leurs pies » (voir le texte du roman : « Le régisseur aida Bouvard etPécuchet à franchir un échalier, et ils traversèrent deux masures, où desvaches ruminaient sous les pommiers », p. 73). Flaubert réécrit ensuite plusbas la séquence concernant la vacherie : « Vacherie hollandaise. les bœufs àl’engrais. – on leur donne à boire toutes les cornes entre les barreaux ». Surle premier brouillon, où s’ébauche la rédaction au milieu de séquencesscénariques (ms. g225(2) fo 91vo), Flaubert écrit tout d’abord « Vacherie

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hollandaise », qu’il rature et remplace par « L’étable », et le texte est rédigéde la sorte un peu plus bas : « Mais le bijou de la ferme, le chef d’œuvre deMr le cte c’était la bouverie ». La vacherie a donc disparu, peut-être parceque Flaubert souhaite alors se distinguer de son modèle ou encore associerimplicitement « Bouvard » au motif bovin de la « bouverie », leurs sonoritésse ressemblant ; cette transformation est cependant problématique si l’on serappelle qu’en parlant de Faverges, au début du chapitre, Flaubert avait écritqu’on en « citait les vacheries » (p. 67).

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