Revoir les paradigmes de la chaîne d’ · PDF fileLA CHAÎNE LOGISTIQUE ......

6

Click here to load reader

Transcript of Revoir les paradigmes de la chaîne d’ · PDF fileLA CHAÎNE LOGISTIQUE ......

Page 1: Revoir les paradigmes de la chaîne d’ · PDF fileLA CHAÎNE LOGISTIQUE ... Dell et Zara sont deux acteurs reconnus comme des modèles dans leur capacité à organiser leur chaîne

Revoir les paradigmes de la chaîne d’approvisionnement

Mondialisation, délocalisation, flexibilité, réactivité aux marchés,

concentration des investissements capacitaires, innovation

technologique incessante et réduction des délais de mise en

marché, compétitivité de la main d’œuvre, projection de

l’incidence du coût de l’énergie sur le marché des transports,

importance croissante du développement durable… : les raisons de

garder la chaîne d’approvisionnement au centre des préoccupations

managériales ne manquent pas. La démonstration récente de la

corrélation existant entre la performance Supply Chain des entreprises et

celle de leurs titres sur les marchés financiers [1] devrait finir de convaincre

les Directions générales de donner à ce domaine l’attention qu’il mérite.

Par Olivier VIDAL, Partner d’Accenture, en charge du Groupe de compétence Supply chain pour la France et le Benelux de 1994 à 2005

LA C

HA

ÎNE

LOG

IST

IQU

E

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • MAI 2006 33

La croissance géographique dans les économiesmatures est coûteuse en investissements. Les paysen développement rapide comme l’Inde et la

Chine, sont devenus des sources d’approvisionnementà moindre coût, mais ne se sont pas encore transformésen marchés pleinement profitables.Dans les pays développées, de nombreux marchés sontsaturés (automobile, équipement des ménages, électro-nique, alimentaire, textile…) et ne trouvent un main-tien des ventes que dans une surenchère technologiqueincessante et une lutte effrénée sur les prix. Le vieillis-

sement des populations, les pertes d’emplois peu quali-fiés dues aux délocalisations ainsi que les flux migra-toires modifient en profondeur les attitudes consumé-ristes du corps social avec de nouveaux comportements« tribaux» et un émiettement sans précédent des ciblesmarketing.Le commerce est embouteillé par la prolifération desoffres et l’intensité événementielle de la communica-tion. L’espace marchand est saturé avec une offre sanscesse plus large de produits. Comment, par exemple,les surfaces de ventes consacrées au livre en France

033-038 Vidal 11/04/06 13:18 Page 33

Page 2: Revoir les paradigmes de la chaîne d’ · PDF fileLA CHAÎNE LOGISTIQUE ... Dell et Zara sont deux acteurs reconnus comme des modèles dans leur capacité à organiser leur chaîne

LA

CH

AÎN

E L

OG

IST

IQU

E

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • MAI 200634

pourraient-elles offrir à chacun des 65 000 titres pro-duits chaque année [2] la même exposition [3] ? Ce fluxreprésente deux fois plus de titres qu’il y a dix ans, soitplus de 200 titres en moyenne par jour.La communication médiatique, la publicité, et la miseen avant à l’interface du consommateur font le succèsd’une offre bien plus que sa qualité intrinsèque. Enconséquence, le soutien des offres par les animations etles lancements nécessite toujours plus de moyens et lesbudgets correspondants sont devenus, de loin, les pre-miers postes de coût des marques nationales.Dans de nombreux domaines, les leviers de croissancetraditionnels s’essoufflent. Les moyens nécessaires pourdévelopper les parts de marché sont fortement infla-tionnistes, les ventes sont plus fragmentées et, donc, lesretours sur investissement plus longs : la réussite est enmoyenne devenue plus difficile et plus incertaine.Que dire alors quand les efforts commerciaux sont obé-rés par des services insuffisamment fiables ? L’histoirerécente du commerce électronique grand public est, surce plan, exemplaire : son développement a, en effet, étéralenti pendant plusieurs années par la qualité de livrai-son approximative des débuts et les risques sur la sécu-risation des paiements.

SORTIR DES INJONCTIONS CONTRADICTOIRES

Il faut bien reconnaître que le management est soumisà une double injonction contradictoire : assumer l’in-certitude croissante des marchés, d’une part, et donneraux marchés financiers des gages de prédictibilité et destabilité, d’autre part. La tentation est alors granded’utiliser les investissements comme une variabled’ajustement, de maintenir la profitabilité aux dépensdes stratégies de développement, et de trouver desmarges de manœuvre à court terme dans une réductiondes coûts tous azimuts notamment dans les domainesindustriels et logistiques, c’est-à-dire dans la chaîned’approvisionnement.Or nous pensons qu’une autre approche de cette chaîneest l’un des leviers accessible pour sortir de ce dilemme.La chaîne d’approvisionnement concentre, en effet,intensité capitalistique et/ou intensité de maind’œuvre, qui peuvent rapidement devenir desdomaines d’inertie pour l’entreprise. Donc, une entre-prise qui aurait développé une forme d’agilité opéra-tionnelle se trouverait beaucoup plus apte à réagir auxévolutions des marchés que ses concurrents, et à utiliserchaque cycle pour développer ses parts de marché.La rentabilisation des actifs – stocks et outils de pro-duction et de distribution – et les temps de cycle dansles processus de planification constituent des facteursd’inertie. Par exemple, un stock doit être utilisé, et c’estseulement après en avoir disposé dans l’ensemble de lachaîne qu’un nouveau produit peut être efficacementsubstitué : il faut tout écouler ou s’en débarrasser auprix de pertes économiques conséquentes.

Or, il est encore fréquent, dans un contexte d’espacesmédiatiques et commerciaux particulièrement encom-brés, de comptabiliser plus de cent jours de stocks dansune chaîne d’approvisionnement de grande consom-mation, depuis les fournisseurs jusqu’au linéaire enmagasin. Puisque développer le chiffre d’affaires nécessite uneanimation forte des marchés, un responsable marketingse trouve alors dans la situation où, sur une rive du lacLéman, il chercherait à créer des vagues qui parvien-draient à la rive opposée du lac, jusqu’au consomma-teur. Plus l’eau est profonde et le lac étendu, plus l’éner-gie à fournir est intense.En fait s’il était possible de diminuer la masse d’eau àtraverser, l’efficacité marketing s’en trouverait accrued’autant.Les stocks sont souvent analysés en gestion comme unfacteur de frais financiers. Cette vision simpliste doit secompléter d’une compréhension dynamique de l’iner-tie associée. Nous souhaitons ici proposer et illustrer les six prin-cipes fondamentaux d’une nouvelle approche de lachaîne d’approvisionnement :– concevoir des stratégies intégrées (produits et ser-vices) ;– privilégier la différenciation retardée et l’ingénierieparallèle ;– travailler les coûts et la flexibilité industrielle enconséquence ;– connaître et développer ses compétences clés pourl’innovation service ;– flexibiliser l’outil de distribution ;– maîtriser l’information, dans sa cohérence et sa struc-ture.

CONCEVOIR DES STRATÉGIES INTÉGRÉES(PRODUITS ET SERVICES)

Dell et Zara sont deux acteurs reconnus comme desmodèles dans leur capacité à organiser leur chaîne d’ap-provisionnement, en créant des effets de résonanceentre leur stratégie marketing et commerciale et leursopérations industrielles et logistiques.Dell, premier fabricant de micro-ordinateur au monde,a de tout temps allié services de vente directe de sesmatériels et stocks très bas dans sa chaîne d’approvi-sionnement.Tous ses concurrents géraient des réseaux de distribu-tion et devaient donc écouler des stocks de produitsfinis de plusieurs dizaines de jours avant tout nouveaumodèle. Dell dans le même temps, grâce à des stocks decomposants de moins de 15 jours et un en-cours trèsfaible de produits finis, offrait souvent, plus tôt que sesconcurrents, des modèles intégrant le flux incessant denouveautés technologiques.Dans un marché du textile dont la production est pourl’essentiel délocalisée, Zara, quant à lui, a mis au point

033-038 Vidal 11/04/06 13:18 Page 34

Page 3: Revoir les paradigmes de la chaîne d’ · PDF fileLA CHAÎNE LOGISTIQUE ... Dell et Zara sont deux acteurs reconnus comme des modèles dans leur capacité à organiser leur chaîne

OL

IVIE

R V

IDA

L

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • MAI 2006 35

un concept commercial original, qui renouvelle chaquemois son assortiment à partir d’une capacité significati-ve de production en Espagne. Zara dispose de stocks deproduits finis inférieurs à 60 jours, soit moitiémoindres que ceux de nombreux concurrents. La rota-tion rapide des assortiments et les services au magasinassociés, ont été mis à profit pour renforcer un com-portement d’achat d’impulsion chez le consommateur :le bouche à oreille aidant, Zara consacre à la publicitéle budget le plus faible du secteur.Les exemples de Dell et de Zara montrent l’intérêtd’élargir une stratégie produit à un concept d’ensembleproduits et services associés et de structurer sa chaîned’approvisionnement en conséquence, pour une gran-de réactivité face à la dynamique des marchés.

PRIVILÉGIER LA DIFFÉRENTIATION RETARDÉE ET L’INGÉNIERIE PARALLÈLE

L’assemblage à la commande des ordinateurs Dell estun exemple caractéristique de différentiation retardée.En conservant des stocks de modules standards àassembler, approvisionnés sur prévisions, Dell mutuali-se ses ressources. Un ordinateur est assemblé au derniermoment après réception de la demande client. La dif-

férenciation retardée est le principal levier permettant àune entreprise de proposer au marché une offre de plusen plus large et très disponible, tout en massifiant sesflux physiques et en réduisant ses stocks.La différenciation retardée est le résultat du développe-ment de produits adaptés, définissant des composantscommuns à un grand nombre de produits et des attri-buts qui permettent la déclinaison d’un produit géné-rique en produits finis. Les ordinateurs sont depuis trèslongtemps conçus de manière modulaire, pour êtreconfigurés à la demande.Zara applique aussi des principes de différenciationretardée dans sa chaîne d’approvisionnement. Pourchacune des quatre saisons, les équipes de stylistesanalysent les défilés de mode et élaborent une librairiede modèles de base simplifiés. Les matières premièressont mutualisées entre les modèles et chaque modèlepeut être différencié par de multiples ajustementsmineurs de la forme, des tissus et des accessoires. Encours de saison, les stylistes font faire évoluer, desemaine en semaine, chaque article de la collection, enfonction des ventes en magasin et d’un plan de renou-vellement. A tout moment, Zara traite donc de la conception deplusieurs vagues de produits avec, en parallèle, un cyclesaisonnier de quatre mois et un cycle hebdomadairecalé sur les ventes en magasin.

Les exemples de Dell et de Zara montrent l’intérêt d’élargir une stratégie produit à un concept d’ensemble produits et services associés et de structurersa chaîne d’approvisionnement en conséquence, pour une grande réactivité face à la dynamique des marchés.

© Peter Lou/SINOPIS-REA

033-038 Vidal 11/04/06 13:18 Page 35

Page 4: Revoir les paradigmes de la chaîne d’ · PDF fileLA CHAÎNE LOGISTIQUE ... Dell et Zara sont deux acteurs reconnus comme des modèles dans leur capacité à organiser leur chaîne

LA

CH

AÎN

E L

OG

IST

IQU

E

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • MAI 200636

Cette conception des produits, qui vise le raccourcisse-ment des temps de cycle de conception et de lancementdes produits, s’apparente à l’ingénierie parallèle bienconnue des laboratoires des entreprises de hautes tech-nologies.L’industrie des ordinateurs personnels a égalementtrouvé à travers la modularité des architectures, lemoyen de séparer le développement relativement courtde chaque ordinateur et les développements plus longsde composants et de cartes diverses, qui évoluent, pourleur part, selon des cycles intergénérationnels.En conclusion, la combinaison des techniques de diffé-rentiation retardée et d’ingénierie parallèle, constitueun levier irremplaçable de souplesse au service d’uned’animation forte des marchés.

TRAVAILLER LES COÛTS ET LA FLEXIBILITÉINDUSTRIELLE EN CONSÉQUENCE

Le développement de la performance de l’outil indus-triel, dans un objectif de compétitivité, est bien enten-du incontournable. Pour autant, la production doits’insérer de manière cohérente dans la chaîne d’appro-visionnement. Dans les exemples de Dell et de Zara, les outils indus-triels sont flexibles et capables d’assembler une largegamme de produits, dans un délai très court, avec descoûts de main d’œuvre concurrentiels pour l’Europe. La réactivité par une implantation régionale a été privi-légiée, au contraire d’une politique systématique dedélocalisation, même si Dell approvisionne d’Asie unelarge part de ses modules à assembler, et Zara, la partiela plus basique de son assortiment.A l’inverse, d’autres acteurs ont préféré optimiser leurperformance par des implantations dans des pays àfaibles coûts de main d’œuvre, et des séries de produc-tion très longues, qui permettent de saturer chaqueligne de production. Fréquemment, ces organisationsont instauré un contrôle drastique des performances.Les investissements sont très faibles et donnent lieu àdes dossiers de justification, comportant des projec-tions de rentabilité détaillées, scrutées par le manage-ment et ses contrôleurs.Or il nous semble ici important de souligner qu’uncontrôle renforcé des coûts et des investissements agitcomme un vecteur de centralisation et dépouille fré-quemment le terrain de ses marges de manœuvre, leprivant à terme de sa capacité d’appréhender rapide-ment la complexité. Des marges de manœuvre localestrop réduites sont synonymes de retards dans la prise dedécision et la résolution de problèmes, de difficultésd’adaptation, d’appauvrissement des capacités organi-sationnelles et, donc, de moindre réactivité.Les meilleurs préfèrent échapper à l’inertie tutélaire ettrouver ailleurs un terrain plus favorable dans lequelexercer leurs talents. Le capital humain s’appauvrit et,dans un cercle vicieux, devient incapable d’adapter

continûment l’outil pour en assurer la performance, lapertinence, et la pérennité. Ces politiques d’entreprise restrictives s’opposent auxlogiques maîtrisées de délégation et de subsidiarité quisont la marque des grandes organisations. Ainsi chezToyota, tout investissement inférieur à un certain mon-tant et allant dans le sens de plus de juste à temps ou deplus de qualité, est approuvé par défaut. La charge de lapreuve a ici été inversée, et c’est pour refuser l’investis-sement qu’il convient alors de fourbir son argumenta-tion.

CONNAÎTRE ET DÉVELOPPER SES COMPÉTENCESCLÉS POUR L’INNOVATION SERVICE

Quelles compétences convient-il de bâtir pour faire desa chaîne d’approvisionnement un outil de conquête àl’instar d’entreprises comme Dell, Zara, ou Toyota ?Le terme compétence signifie ici le résultat de l’appren-tissage collectif d’une organisation : l’agrégation deconnaissances et d’expériences, de méthodes, d’outils etde pratiques, qui dépasse largement les connaissancesde quelques individus. On pourra se référer sur ce sujetà Hamel et Prahalad [4].La chaîne d’approvisionnement n’est pas fonctionnelle,elle est, par essence, transversale.Sa performance résulte d’équilibres à trouver, puis àpréserver sans cesse, entre des priorités fonctionnellescontradictoires. Ainsi, par exemple :– les achats veulent massifier et réduire les besoinsexprimés dans les cahiers des charges au strict nécessai-re pour obtenir les meilleures conditions ;– les bureaux d’études veulent tirer parti du savoir-fairedes fournisseurs et de leur réactivité pour sécuriser lesdélais de mise sur le marché de leurs nouveaux pro-duits ;– la production souhaite minimiser la complexité et leschangements de série. Elle souhaite répondre à unedemande aussi stable, massifiée et connue à l’avanceautant que possible, pour optimiser ses coûts et sesinvestissements ;– le marketing souhaite une grande diversité d’offrespour renforcer l’animation des marchés, trouvant dansl’événementiel produit une solution à l’essoufflementdes ventes :– la logistique souhaite minimiser les stocks par desapprovisionnements en juste à temps, et réduire lescoûts de transport et d’entreposage par la synchronisa-tion des commandes ;– les commerciaux cherchent à vendre le plus possible,utilisant si nécessaire tout l’arsenal promotionnel, lais-sant assez naturellement à l’intendance le soin desuivre.La chaîne d’approvisionnement éprouve en fait degrandes difficultés à trouver son plein essor dans lesentreprises mono-métier : c’est-à-dire, les entreprisesqui doivent leur réussite passée à un tout petit nombre

033-038 Vidal 11/04/06 13:18 Page 36

Page 5: Revoir les paradigmes de la chaîne d’ · PDF fileLA CHAÎNE LOGISTIQUE ... Dell et Zara sont deux acteurs reconnus comme des modèles dans leur capacité à organiser leur chaîne

OL

IVIE

R V

IDA

L

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • MAI 2006 37

de compétences fonctionnelles dominantes, celles quiprivilégient souvent une voie royale comme, parexemple, dans certains cas, le marketing, ou la finance,ou bien encore parfois l’ingénierie, pour accéder à lasphère dirigeante.Une chaîne d’approvisionnement agile nécessite de sor-tir des visions simplistes et de créer des effets de réso-nance entre les différents métiers de l’entreprise, dedonner à chaque relais humain dans l’organisation l’op-portunité d’acquérir une bonne compréhension de sapropre contribution dans l’ensemble de la chaîne etainsi, à son échelle, de faciliter l’écoulement des flux etla recherche permanente du meilleur équilibre. Latransversalité est largement favorisée par le mélanged’expériences et de points de vue différents, par ladiversité des provenances, des expériences et des savoir-faire.Dans un tel contexte, la capacité à fédérer des équipesmultifonctionnelles et à les animer pour favoriser lesprises d’initiatives et l’innovation, devient essentielle. Ils’agit notamment de la gestion par projet, qui devienttout aussi importante que la gestion fonctionnelle ver-ticale, et qui nécessite d’être reconnue et encouragéepar les Directions générales comme une compétenceessentielle de l’entreprise.

FLEXIBILISER L’OUTIL DE DISTRIBUTION

L’externalisation est une tendance lourde en matière delogistique physique. Le plus souvent pour des raisonsde coûts : les conventions collectives de nombreux sec-teurs d’industrie sont plus favorables pour les employésque celles de la logistique et des transports.De même, pourquoi investir une part de capital nonnégligeable, dans des actifs moins stratégiques que, parexemple, dans la recherche et développement ou la pro-duction ?Selon nous, l’externalisation à des prestataires logis-tiques est une bonne solution, pour autant que l’entre-prise donneuse d’ordre, veille à respecter plusieurs prin-cipes stratégiques essentiels.Tout d’abord, le prestataire doit pouvoir offrir à l’en-treprise des économies d’échelle et d’apprentissage aux-quelles elle ne peut accéder par elle-même. Le grandnombre de sites d’entreposage mono-client dans unpays comme la France, permet de constater que ce prin-cipe est souvent ignoré, ce qui explique également queplus d’un contrat d’externalisation sur deux changed’attributaire lors de son renouvellement ;Ensuite, l’entreprise doit conserver une bonne maîtrisedes métiers sous-traités, pour garder toute sa capacité àexploiter des leviers de synchronisation de la chaînedans le périmètre sous-traité, et garantir la qualité desopérations. Un contrat au moins disant, dans un mar-ché de la prestation fortement concurrentiel, aura ten-dance à laisser peu ou pas de marge de manœuvre auprestataire, et donc très peu de latitude d’adaptation

sans renégociation. Une telle relation se traduira, soitpar une grande inflexibilité du prestataire pour suivreles évolutions de l’offre de l’entreprise, soit par desextensions incessantes du périmètre des prestations, quivident de son sens le contrat initial.Enfin, l’entreprise doit s’impliquer dans les investisse-ments nécessaires afin de s’assurer qu’ils sont bienfinancés et réalisés dans des conditions au moins iden-tiques à celles auxquelles elle aurait eu elle-même accès.Par exemple, sur le plan financier, une simple compa-raison de la valorisation boursière des entreprises deprestation cotées à celles des grandes entreprises indus-trielles et commerciales donneuses d’ordres montre queces dernières sont plus attrayantes pour les marchésfinanciers que leurs prestataires potentiels. Ce défautd’attractivité pèse sur le coût d’accès au capital desentreprises de prestation et une stratégie d’externalisa-tion sans discernement pourrait faire reposer des déci-sions d’investissement stratégiques sur le maillon le plusfaible de la chaîne.

MAÎTRISER L’INFORMATION, DANS SA COHÉRENCE ET SA STRUCTURE

Enfin, bien entendu, l’information joue un rôle parti-culièrement important dans le type de chaîne d’appro-visionnement, auquel nous nous sommes ici attachés.Le système de Zara lui permet de réguler ses flux mar-chandise chaque semaine par une remontée des ventesmagasin et d’assurer la cohérence de sa planificationmarchandise avec ses principes de conception produitet de différentiations retardée.Le système de Dell permet de piloter les ventes et lesprix quotidiennement, en fonction des stocks et desengagements pris avec les fournisseurs de modules et enfonction des introductions fréquentes de nouveauxmodèles d’ordinateurs.L’intégration de l’information apportée souvent par lesERP, grands progiciels parmi lesquels SAP est le plusconnu et le plus utilisé, est une condition nécessaire àun fonctionnement flexible et réactif, notamment dufait d’une facilité fortement accrue d’accès à une infor-mation fraîche, cohérente, et partagée.Par contre, rien ne serait encore obtenu si les principesde structuration de l’information et des traitementsassociés n’étaient pas cohérents avec les principes defonctionnement de la chaîne d’approvisionnement. Quelques exemples permettent d’illustrer les enjeuxdans ce domaine.Tout d’abord : un cycle de planification et différentia-tion retardée. Le cycle de planification de l’entreprisevise à caler des ressources dont la disponibilité nécessi-te une anticipation de quelques semaines à plusieursmois. Il s’agit des capacités de production et des appro-visionnements de composants banalisés qui seront,ensuite, différenciés en juste à temps. Un cycle de pla-nification nécessite des prévisions de ventes. Or il est

033-038 Vidal 11/04/06 13:18 Page 37

Page 6: Revoir les paradigmes de la chaîne d’ · PDF fileLA CHAÎNE LOGISTIQUE ... Dell et Zara sont deux acteurs reconnus comme des modèles dans leur capacité à organiser leur chaîne

LA

CH

AÎN

E L

OG

IST

IQU

E

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • MAI 200638

fréquent qu’une entreprise établisse des prévisions men-suelles pour chaque produit fini différencié, au lieu dese limiter au niveau de regroupement correspondantaux modèles de base avant différentiation retardée. Lechoix d’objets de prévision cohérents avec les principesde différenciation retardée diminue la charge adminis-trative de création des prévisions par les commerciaux,augmente mécaniquement la qualité des prévisions et,donc, la qualité de la planification des ressources.Ensuite : la gestion des données techniques et ingénie-rie parallèle. La cohérence nécessaire porte ici sur lesinformations associées aux développements intergéné-rationnels (les modules d’ordinateurs pour Dell, lesmodèles de base pour Zara), et leur mise à dispositionpour accélérer le développement de chaque générationde produits. Une mauvaise capacité à transmettre et re-exploiter cette information aurait une incidence signi-ficative sur les durées de conception de chaque généra-tion de produits et, donc, le délai de mise en marchédes produits de l’entreprise.Troisième exemple : la visibilité sur les ressources pla-nifiées et le pilotage des ventes. Les entreprisesoublient souvent que leurs fonctions commercialesdoivent vendre l’offre disponible et non mettre enavant le catalogue complet de l’offre de manière indif-férenciée. La visibilité sur les ressources disponibles àcourt terme, à travers le système, doit donc permettrede piloter les priorités commerciales au quotidien.Sans cette cohérence, les phénomènes de ruptures etleur incidence sur le service client, les pertes de chiffred’affaires du fait d’une non-disponibilité en magasinainsi que les surcoûts de traitement des crises et de l’ur-gence sont inéluctables. Des ruptures sur l’événemen-tiel produit, lancement ou promotion, ont aussi uneffet marketing indéniable, sur les parts de marché et

l’image de la marque, même si cet effet est difficile-ment mesurable.

LA CHAÎNE D’APPROVISIONNEMENT, LEVIER DE CROISSANCE

Nous avons donc proposé six principes structurantsd’une chaîne d’approvisionnement à même d’en faireun levier de croissance pour l’entreprise. Bien évidemment, il serait excessif de réduire les critèresde réussite d’une entreprise aux seuls développementsde sa chaîne d’approvisionnement. Il nous semble sim-plement que de nombreuses entreprises ont l’opportu-nité de chercher, à travers leurs progrès dans ce domai-ne, un catalyseur qui renforce l’impact de leursinnovations, de leurs offres, de leurs marques, en unmot, de leurs moteurs de développement traditionnels.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Using the Supply Chain To Drive CompetitiveAdvantage, étude 2002 – Accenture, StanfordUniversity, Insead.[2] Sources : SNE (Syndicat national de l’édition),Sofres/Observatoire de l’économie du livre (Centrenational du livre).[3] La constitution de l’offre en Librairie, La voix desLibraires, Syndicat de la librairie française, décembre2001.[4] Garry Hamel, C.K. Prahalad, Competing for theFuture – HBS Press 1994.

033-038 Vidal 11/04/06 13:18 Page 38