Rev Jurifis Info N° 2

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1 2 e numéro – mars/avril mars/avril mars/avril mars/avril 2009 2009 2009 2009 SOMMAIRE ACTUALITES Les recommandations de l’Atelier de concertation sur la gestion domaniale et foncière des 22, 23 et 24 janvier 2009 à Sélingué (Mali) (P 2) ETUDES Brèves observations sur le risque juridique du mandataire social dans l’OHADA (P 4) Quelques précisions sur le sort des engagements de la caution décédée dans l’OAHDA (P 10) CHRONIQUES La société créée de fait dans l’OHADA – Commentaire de l’Arrêt CCJA 04/11/2004, n° 31 ; Ayant droit de B. c/ Madame A (P 12) Le refus de renouvellement pour « motif grave et légitime » à l’encontre du locataire sortant (OHADA) – Note sous Arrêt Cour d’appel de Dakar (Chambre civile et commerciale) 07/04/2005, n° 384 ; Mme Antoinette LECOINTRE c/ Mr Mamadou WOURY DIALLO (P 23) Nul n’ignore que le tiers saisi qui ne donne pas sur le champ les renseignements que la loi lui fait obligation de fournir au créancier saisissant, s’expose à être déclaré comme garant du débiteur – Note sous Arrêt CCJA 27/01/2005, n° 09/2005, Sté AFROCOM –CI c/ CITIBANK (P 27) INFORMATIONS PRATIQUES Informations pratiques sur la distribution des dividendes fictifs dans l’espace OHADA (P 31) L’abus de biens sociaux dans l’espace OHADA : ce que les patrons ne pourront plus faire (P 32) Des dispositions de droit malien en matière de résiliation de contrat de distribution (P 35) Dix questions pratiques sur le fonctionnement des sociétés commerciales de l’OHADA (P 36) LU POUR VOUS Le rejet de la théorie de la chose implicitement jugée (P 37) Consécration limitée de la règle de l’estoppel en matière procédurale (P 38) Portée de la réouverture des débats (P 39) Définition par la Cour de cassation de l’autorité de la chose jugée (P 39) Dans ce second numéro, la Revue Jurifis Info présente les recommandations de l’Atelier de concertation sur la gestion domaniale et foncière qui s’est tenu les 22, 23 et 24 janvier 2009 à Sélingué (Mali) - En vue d’adapter le cadre légal du système domanial et foncier au contexte actuel de développement socio-économique et à la réalité administrative d’une part, et assurer une meilleure sécurité aux transactions en la matière, le Gouvernement de la République du Mali, s’est engagé, à entreprendre d’importantes réformes dans ce secteur. Il était surtout question pour les participants lors de cette rencontre, de poser un diagnostic sans complaisance des lacunes et insuffisances constatées dans le dispositif législatif et réglementaire du Foncier au Mali, de sorte à aboutir sur des propositions de solutions pour la mise en œuvre d’une nouvelle politique domaniale et foncière. Pour tout renseignement ou pour recevoir la Revue Jurifis Info par e-mail, écrivez à [email protected] Consultez La Revue en ligne : www.jurifis.com Quartier Hamdallaye, ACI 2000, face Nouvelle Ambassade des USA - BP E 1326 Bamako/Mali Tél : (+223)20.23.40.24/20.23.53.96/20.22.53.97 - Fax (+223) 20.22.40.22

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2e numéro – mars/avrilmars/avrilmars/avrilmars/avril 2009 2009 2009 2009

SOMMAIRE

ACTUALITES

Les recommandations de l’Atelier de concertation sur la gestion

domaniale et foncière des 22, 23 et 24 janvier 2009 à Sélingué

(Mali)

(P 2)

ETUDES

Brèves observations sur le risque juridique du mandataire social

dans l’OHADA

(P 4)

Quelques précisions sur le sort des engagements de la caution

décédée dans l’OAHDA

(P 10)

CHRONIQUES

La société créée de fait dans l’OHADA – Commentaire de l’Arrêt

CCJA 04/11/2004, n° 31 ; Ayant droit de B. c/ Madame A

(P 12)

Le refus de renouvellement pour « motif grave et légitime » à

l’encontre du locataire sortant (OHADA) – Note sous Arrêt Cour

d’appel de Dakar (Chambre civile et commerciale) 07/04/2005, n°

384 ; Mme Antoinette LECOINTRE c/ Mr Mamadou WOURY

DIALLO

(P 23)

Nul n’ignore que le tiers saisi qui ne donne pas sur le champ les

renseignements que la loi lui fait obligation de fournir au

créancier saisissant, s’expose à être déclaré comme garant du

débiteur – Note sous Arrêt CCJA 27/01/2005, n° 09/2005, Sté

AFROCOM –CI c/ CITIBANK

(P 27)

INFORMATIONS PRATIQUES

Informations pratiques sur la distribution des dividendes fictifs

dans l’espace OHADA

(P 31)

L’abus de biens sociaux dans l’espace OHADA : ce que les patrons

ne pourront plus faire

(P 32)

Des dispositions de droit malien en matière de résiliation de

contrat de distribution (P 35)

Dix questions pratiques sur le fonctionnement des sociétés

commerciales de l’OHADA

(P 36)

LU POUR VOUS

Le rejet de la théorie de la chose implicitement jugée

(P 37)

Consécration limitée de la règle de l’estoppel en matière

procédurale

(P 38)

Portée de la réouverture des débats

(P 39)

Définition par la Cour de cassation de l’autorité de la chose jugée

(P 39)

Dans ce second numéro, la Revue Jurifis Info présente les recommandations de l’Atelier de concertation sur la gestion domaniale et foncière

qui s’est tenu les 22, 23 et 24 janvier 2009 à Sélingué (Mali) - En vue d’adapter le cadre légal du système domanial et foncier au contexte

actuel de développement socio-économique et à la réalité administrative d’une part, et assurer une meilleure sécurité aux transactions en la

matière, le Gouvernement de la République du Mali, s’est engagé, à entreprendre d’importantes réformes dans ce secteur.

Il était surtout question pour les participants lors de cette rencontre, de poser un diagnostic sans complaisance des lacunes et insuffisances

constatées dans le dispositif législatif et réglementaire du Foncier au Mali, de sorte à aboutir sur des propositions de solutions pour la mise en

œuvre d’une nouvelle politique domaniale et foncière.

Pour tout renseignement ou pour recevoir la Revue Jurifis Info par e-mail, écrivez à [email protected]

Consultez La Revue en ligne : www.jurifis.com

Quartier Hamdallaye, ACI 2000, face Nouvelle Ambassade des USA - BP E 1326 Bamako/Mali Tél : (+223)20.23.40.24/20.23.53.96/20.22.53.97 - Fax (+223) 20.22.40.22

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Les recommandations de l’Atelier de concertation sur la gestion domaniale et foncière des 22, 23 et 24 janvier

2009 à Sélingué (Mali)

Bérenger MEUKE

Avocat Collaborateur Principal

Jurifis Consult

Bouréma SAGARA

Avocat Associé

Jurifis Consult

En vue d’adapter le cadre légal du système domanial et foncier au contexte actuel de développement socio-économique et à la réalité administrative d’une part, et assurer une meilleure sécurité aux transactions en la matière, le Gouvernement de la République du Mali, s’est engagé, à entreprendre d’importantes réformes dans ce secteur. C’est dans cette perspective que sous l’initiative du Ministère du Logement, des Affaires Foncières et de l’Urbanisme, avec la collaboration du Cabinet d’Avocats Jurifis Consult, s’est tenu du 22 au 24 janvier 2009 à Sélingué, un atelier de concertations et de réflexion.

Cet atelier qui s’inscrivait dans le cadre de la poursuite des préparatifs des Etats Généraux du Foncier, dont les assises locales et régionales ont eu lieu du 30 juin au 23 janvier dernier sur l’ensemble de l’étendue du territoire nationale, a regroupé d’une part, les professionnels du droit (magistrats, avocats, notaires, huissiers, commissaires priseurs, juristes de banque) et, d’autre part, les experts immobiliers notamment les géomètres-experts, les urbanistes et les promoteurs immobiliers. Il était surtout question pour les participants lors de cette rencontre, de poser un diagnostic sans complaisance des lacunes et insuffisances constatées dans le dispositif législatif et réglementaire du Foncier au Mali, de sorte à aboutir sur des propositions de solutions pour la mise en œuvre d’une nouvelle politique domaniale et foncière au Mali. Ainsi, plusieurs thématiques ont été débattues par les participants parmi lesquelles on peut citer :

- La « problématique de conciliation du droit moderne et du droit coutumier : difficultés pratiques » ; - La « la gestion des contentieux liés au foncier » - Les « difficultés d’exécution des décisions de justice en matière foncière au Mali » - La « constitution des sûretés immobilières bancaires » - Les « rôle, limites et responsabilités du géomètre expert dans la gestion domaniale et foncière » - L’« effectivité des droits réels immobiliers » - Les « actes touchant l’immobilier et la publication foncière »

A l’issue des débats, les participants ont dégagé un certain nombre de préoccupations, qui, après exposé et débats ont permis la proposition de plusieurs recommandations. I- Sur la problématique liée à la conciliation du droit moderne et du droit coutumier

Il s’agit notamment des difficultés liées à :

- l’absence de définition claire de la notion de droit coutumier foncier - la diversité des droits coutumiers fonciers, leur interprétation divergente par les parties au niveau des tribunaux - la diversité des moyens de preuves coutumières - la non maîtrise des différentes coutumes par les juges et assesseurs - l’absence de statut concernant les chefs coutumiers - la situation éparse des jurisprudences en matière coutumière - l’absence de texte d’application du Code Domaniale et Foncier en matière d’exercice des droits coutumiers fonciers - l’absence de document administratif établissant la propriété foncière coutumière Parmi les recommandations faites, on peut noter : - la définition précise du droit coutumier foncier - l’identification des grands systèmes fonciers coutumiers du Mali - la combinaison des dispositions du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale et celles du Code Domanial et Foncier dans

l’administration de la preuve en matière de droits fonciers coutumiers - la formation des juges et assesseurs pour la prise en compte des pratiques coutumières - la définition d’un statut de chef coutumier - la codification de la jurisprudence en matière foncière coutumière - l’adoption des textes d’application du Code Domanial et Foncier, s’agissant du constat des droits coutumiers fonciers - l’expérimentation du système des registres et carnets de terre pour les autorités administratives et les titulaires de droits fonciers

coutumiers II- Sur la gestion des contentieux liés au foncier

Les difficultés identifiées ont surtout un rapport avec l’importance des questions coutumières dans la gestion des contentieux, la méconnaissance par certains assesseurs des coutumes et enfin, la multiplication des conflits fonciers.

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Les participants ont donc recommandé la transcription des coutumes, la désignation des assesseurs sur la base de critères plus sélectifs et le renforcement de la collaboration entre autorités judiciaires et administratives. III- Sur les difficultés d’exécution des décisions de justice en matière foncière au Mali

L’exécution des décisions de justice sans recourir au visa du parquet a été recommandée pour faire face aux lenteurs constatées. VI- Sur la constitution des sûretés immobilières bancaires Plusieurs difficultés ont été identifiées. C’est notamment le cas de celles liées :

- à la constitution des garanties en rapport avec la nature des titres donnés en garantie - à l’immatriculation au même moment des copies originales et du duplicata des titres fonciers - au coût des frais de formalisation de l’hypothèque - aux règles de provisionnement qui grèvent les fonds propres des banques et les possibilités de financement de l’économie

Les participants ont alors recommandé : Pour le législateur, la révision des émoluments et droits dus aux notaires et greffiers, la généralisation des avantages en matière de financement de l’habitat et enfin la définition d’une procédure générale et rapide de transformation des titres précaires en titre foncier. Pour le service des Domaines, la mise à jour régulière des registres et livres fonciers, la diligence dans le processus de création des titres fonciers et enfin la sanction de l’Etat par action récursoire quant aux agents impliqués dans les cessions irrégulières de titres fonciers. Pour les services de la justice, le respect des délais légaux de procédure, afin d’éviter les cas récurrents d’annulation. Pour les auxiliaires de justice, la pleine observation de conseil à l’égard des parties, la réduction des frais de garantie et des frais exorbitants de mutation dans le cas des ventes doublées de substitution de pouvoirs. Pour les autorités bancaires, la reconnaissance de la valeur marchande des titres précaires et leur caractère intrinsèque de garantie de remboursement eu égard à la faculté de transformation en titre foncier et enfin, la révision des durée et taux de provisionnement. V- Sur le rôle, les limites et les responsabilités du géomètre expert dans la gestion domaniale et foncière

Les intervenants ont recommandé la systématisation de l’Assurance Responsabilité Civile Professionnelle pour les professionnels du domaine du foncier, la généralisation de l’application d’un taux identique pour les actes consécutifs au financement de l’immobilier et enfin, la collaboration entre les différents services techniques impliqués dans la procédure d’immatriculation des terres. VI- Sur l’effectivité des droits réels immobiliers

Les intervenants ont soulevé des lacunes en rapport avec :

- la discordance entre les dispositions des articles 88 et 61 du Code Domanial et Foncier, faisant respectivement du droit de superficie un droit réel immobilier et un droit meuble

- la persistance de la délivrance des Lettres d’Attributions en lieu et place des Concessions Urbaines d’Habitation (CUH) et Concessions Rurales d’Habitation (CRH)

- l’absence d’harmonisation entre le Code Domanial et Foncier et les Actes Uniformes de l’OHADA, s’agissant de l’exercice des droits réels immobiliers

- la précarité des droits d’usage et d’habitation, délivrés sur les terrains affectés aux collectivités territoriales A leur sens, il semble donc qu’il faille tout d’abord harmoniser d’une part, les articles 61 et 88 du Code Domanial et Foncier et, d’autre part, les dispositions de ce Code avec celles de l’OHADA. Ensuite, ils ont opté pour une uniformisation des Concessions Urbaines et Rurales d’Habitation au niveau de l’ensemble des collectivités territoriales. Enfin, ils ont proposé la révision du cadre juridique de l’affectation du domaine privé immobilier de l’Etat, en vue de la délivrance de titres définitifs en lieu et place des titres précaires. VII- Sur les actes touchant l’immobilier et la publication foncière

Les intervenants ont relevé des difficultés tenant:

- au rôle du cadastre dans la gestion domaniale et foncière - à la procédure de délivrance des duplicata des titres fonciers - à la dispersion entre plusieurs départements ministériels, des services techniques chargés du foncier - à la multiplicité des autorités concédantes

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Aussi, il a été recommandé la finalisation du projet de mise en place du cadastre, la clarification de la procédure de délivrance du duplicata et de la copie du titre foncier, la réduction au strict minimum du nombre des autorités concédantes et enfin, le regroupement au sein d’un même département ministériel des services techniques intervenant dans l’accomplissement des formalités de délivrance des titres de propriété, notamment les Directions des Domaines et de l’Urbanisme et l’IGM. Il s’agissait donc pour les participants à ces concertations professionnelles, de jeter les bases d’une réflexion d’ensemble sur la gestion domaniale et foncière au Mali en vue de la mise en place d’un régime juridique plus accessible au citoyen. Les recommandations consensuelles faites lors de cet atelier s’inscrivent à n’en pas douter dans une logique de sécurisation foncière et de stimulation des investissements au Mali. Il ne nous reste plus qu’à souhaiter que l’ensemble de ces recommandations soient prises en compte dans le cadre de l’organisation des assises nationales des Etats Généraux du Foncier.

Brèves observations sur le risque juridique du mandataire social dans l’OHADA

Bérenger MEUKE

Avocat Collaborateur Principal

Jurifis Consult

Très souvent, la tendance est de croire à tort que la personnalité juridique de l’entreprise couvre les risques et responsabilités personnelles des dirigeants qui en exercent la direction. La globalisation des problèmes relatifs à l’activité des entreprises et des difficultés juridiques qui en sont la conséquence vont de pairs avec une évolution de la législation qui doit imposer plus de charges et de responsabilités aux entreprises et à leurs dirigeants. Ce constat n’a pas échappé aux rédacteurs de l’AUSC de l’OHADA qui ont mis en relief les mandataires sociaux qui font désormais l’objet d’une attention particulière des autorités judiciaires africaines lorsque les activités de leurs entreprises les amèneront à être en contradictions avec les normes légales. Dorénavant dans l’espace OHADA, les personnes qui entendent s’engager comme dirigeant dans une société commerciale, qu’elles aient la qualité d’associé ou non, doivent se poser la question des risques juridiques qu’elles sont susceptibles d’encourir. Cette interrogation est à n’en pas douter très pertinente à la lueur de la complexité croissante de l’environnement économique en Afrique. Le principe selon lequel l’associé d’une société à risque limité (SARL, SA) ne perd que ce qu’il a apporté à la société ne doit pas faire oublier les conséquences parfois très lourdes, de la responsabilité de ceux qui ont fait leur affaire de la direction et de la gestion. Dès lors qu’on distingue nettement la personnalité juridique de la société de celle des membres qui la composent, le risque juridique se manifeste essentiellement par le danger pour le mandataire social de voir sa responsabilité engagée. Cette responsabilité est directement proportionnelle aux pouvoirs qu’il dispose dans le cadre de ses fonctions ; plus il sera puissant au sein de la société, plus le risque juridique sera important. Deux catégories de responsabilité cohabitent généralement ; la responsabilité pénale et la responsabilité civile. Si la première est la plus connue, compte tenu de la peur d’une privation judiciaire de liberté, elle ne doit pas occulter la seconde qui est tout aussi considérable, car plus vaste

1 et parfois même plus redoutable.

Notre objectif dans cette analyse n’est pas d’énumérer l’ensemble des responsabilités encourues par les dirigeants sociaux. Il est surtout question d’apporter quelques éléments de réponses aux difficultés juridiques que peut poser cette problématique au cours de la vie sociale. Si lorsqu’il s’agit d’entreprises in bonis le risque encouru par le mandataire social est considérable, s’agissant d’entreprises en difficulté ce risque s’accroît et devient très important.

1 Voir sur la problématique de la responsabilité des dirigeants sociaux, Willy James NGOUE « La mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants de sociétés

anonymes en droit OHADA » ; Ohadata D-05-52

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I- Un risque considérable dans les entreprises saines

Il est de principe que la responsabilité du dirigeant soit fondée sur la faute. Envers la société, les associés et les tiers, ce dernier est responsable des fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions et qui ont pu causer un préjudice à autrui. Quels sont les dirigeants concernés ?

L’AUSC de l’OHADA a opté pour un régime de responsabilité commun aux dirigeants de SARL et SA. Le régime de responsabilité des gérants de SARL prévu à l’article 330 est le même que celui des administrateurs de SA prévu à l’article 740. Il n’existe donc aucun régime spécifique de responsabilité dans les SA, pour le président directeur général, le président du conseil d’administration ou l’administrateur général et le ou les directeurs généraux administrateurs qui sont responsables en tant qu’administrateur dans des conditions identiques que les autres administrateurs. Quant aux directeurs généraux non-administrateurs, L’AUSC n’a prévu aucune disposition particulière. On peut en déduire qu’étant donné que les articles 465 et 480 précisent que c’est soit le président directeur général, soit le président du conseil d’administration, qui assume sous sa responsabilité, la direction générale de la société, ce dernier devra répondre des agissements du directeur qui l’assiste, et qui est désigné sur sa proposition. Cependant, ceci n’exclut pas totalement toute possibilité pour que le directeur général voie sa responsabilité engagée. Même non-administrateur, ce dernier reste responsable des fautes qu’il commet dans l’exécution de son mandat. Il faut préciser qu’il n’y aura pas à faire de distinction particulière entre le dirigeant de droit et le dirigeant de fait, ce dernier étant d’ailleurs très souvent sanctionné par les juges français

2.

Comment mettre en œuvre cette responsabilité ?

Le juge africain aura à apprécier si le mandataire social est responsable des fautes qui lui sont reprochées. Il devra décider de l’éventuelle condamnation qui en résulte si ce dernier est reconnu responsable. Cette condamnation consistera dans l’attribution de dommages et intérêts dont il fixera le montant. S’il faut au préalable une faute, il est important de démontrer un préjudice et le lien causalité. La faute – Aux termes de l’article 330, « les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers les tiers, soit

des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit aux violations des statuts,

soit aux fautes commises dans leur gestion ».

L’article 740 dispose quant à lui que, « les administrateurs ou l’administrateur général selon le cas, sont responsables individuellement ou

solidairement envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés

anonymes, soit des violations des dispositions des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ». Ces deux textes posent clairement que le mandataire social risque de voir sa responsabilité engagée en cas d’inobservation des dispositions législatives ou réglementaires, en cas de violation des dispositions du pacte social et en cas de faute gestion. Tout comme son homologue français, le législateur de l’OHADA a procédé par une énumération descriptive et non limitative. Cette option bien qu’imprécise, a le mérite d’englober l’ensemble des agissements dommageables susceptibles d’être commises par un mandataire social dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions. Le juge africain devra donc constater la faute au vu des éléments de preuve qui lui seront fournis. S’il lui sera plus évident d’apprécier l’agissement dommageable du dirigeant en cas de violation de la loi ou du pacte social, plus délicate sera son appréciation dès lors qu’il faudra relever une faute de gestion. Les infractions relatives à l’AUSC de l’OHADA et au pacte social ne soulèvent pas de difficultés majeures, dans la mesure où dès lors qu’il est établi matériellement qu’un agissement est contraire à la loi ou aux statuts, la responsabilité du dirigeant est engagée.

2 Cass com, 9 nov 1993 ; D 1995, somm. 79 (Ayant relevé qu’un franchiseur détenait les documents comptables, sociaux et bancaires nécessaires à la gestion d’une société franchisée, avait conservé la signature bancaire de celle-ci, préparait tous les documents administratifs et les titres de paiement signé ensuite par le franchisé, établissait les déclarations fiscales et sociales, contrôlait l’embauche du personnel, avait participé à la poursuite d’une activité déficitaire du franchisé bien qu’il connaissait par la détention des documents comptables en sa possession, l’insuffisance de trésorerie, une Cour d’appel peut en déduire que l’immixtion du franchiseur dans la gestion de la société franchisée dépassait les obligations du contrat de franchise et que le franchiseur était le dirigeant de fait du franchisé et avait commis de faute ayant contribué à l’insuffisance d’actif tout en engageant sa responsabilité). Voir aussi Cass com 2 juil 1991 ; D 1991 somm. 139 (cassation pour violation des articles 2249 du Code civil, ensemble de l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967, de l'arrêt qui déclare prescrite l'action dirigée contre la banque dirigeant de fait d'une société en liquidation des biens, alors qu'il existe une solidarité légale entre la personne morale et son représentant permanent pour la responsabilité prévue à l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967, et qu'il s'ensuit, en l'espèce, que l'action engagée dans le délai légal contre le dirigeant de droit a interrompu la prescription à l'égard du dirigeant de fait).

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Nombreuses sont les infractions susceptibles d’être commises en violation de l’AUSC. C’est très souvent que les dirigeants risqueront d’engager leur responsabilité en cas de non-respect des dispositions de l’AUSC concernant les assemblées générales, le conseil d’administration, les conventions réglementées, l’annulation de la société ou les délibérations intervenant après sa constitution. Ce sera aussi le cas si des irrégularités sont constatées dans l’établissement des comptes sociaux, si des dividendes fictifs sont distribués

3 ou si

comme l’a retenu le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, l’actif social est utilisé à des fins illicites4.

Plusieurs infractions peuvent aussi découler de la violation du pacte social, parmi lesquels on peut citer ; le non-respect des dispositions limitant les pouvoirs du conseil d’administration ou prévoyant une affectation précise des bénéfices sociaux réalisés. Quant à la faute de gestion plus difficile à établir, il est vain de vouloir dresser une liste d’infractions possibles. La faute de gestion suppose une appréciation sur le comportement qu’aurait dû avoir un dirigeant diligent

5. Le juge africain a un pouvoir

d’appréciation qu’il mettra en œuvre selon les circonstances de l’espèce à lui soumis. Etant moins une question de légalité que d’opportunité, il n’existe pas de critères objectifs permettant d’établir ce qui est constitutif d’une gestion saine, la bonne ou la mauvaise gestion étant insuffisante pour établir la qualité de la gestion sociale. Le juge africain devra alors comparer le comportement du dirigeant en cause avec celui qu’aurait eu un dirigeant diligent et placé dans les mêmes circonstances. Il n’est pas important que l’agissement soit intentionnel ou frauduleux, une simple négligence ou imprudence devrait suffire. De même, la faute de gestion au sens étroit du terme, tout comme la violation des obligations de discrétion ou de fidélité, l’absence d’information, de surveillance ou de contrôle devraient permettre sa constitution. En revanche, comme l’a souhaité et exprimé le législateur de l’OHADA

6, L’intérêt social doit être en la matière, la boussole du juge africain

7.

Précisons tout de même qu’en cas de pluralité de dirigeant, le juge devra décider si la condamnation est conjointe ou solidaire et, le cas échéant, déterminer la part contributive de chacun

8.

Le préjudice – Pour demander réparation, la personne qui s’estime victime doit apporter la preuve du dommage subi. Ce dommage peut résider dans un préjudice financier, dans un manque à gagner ou dans un préjudice politique. L’évaluation du préjudice se heurte très souvent à des difficultés dues à l’imbrication des actes de gestion. Le préjudicie financier généralement subi par les actionnaires peut aussi bien découler d’une publication inexacte par les dirigeants, des états financiers de synthèse dans le dessein de réduire les dividendes distribués

9, que des dispositions de l’article 894 sur les agissements qui

peuvent entraver l’exercice du droit préférentiel de souscription10

, de la méconnaissance du principe d’égalité entre actionnaires en cas de réduction du capital social comme le prévoit l’article 896 ou encore des agissements prévus à l’article 893 en cas d’augmentation de capital. Le préjudice politique, peut quant à lui résulter de l’empêchement pour un actionnaire de participer à une assemblée générale comme le prévoit l’article 892

11. C’est le cas lorsqu’il y a suppression illicite par les dirigeants du droit de vote de l’actionnaire

12 ou lorsque ce dernier

est empêché de poser les questions écrites comme le prévoit les articles 157 et 158. Le lien de causalité – Pour que le juge retienne la responsabilité du mandataire social, le demandeur doit faire la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Les faits litigieux étant très souvent invoqués plusieurs années après qu’ils aient été commis, la preuve du lien de causalité n’est pas aisée à rapporter. Il devient alors difficile d’apprécier leur portée exacte surtout quand ils sont mêlés à un grand nombre d’autres facteurs qui ont influé le destin de la société. Quelles sont les personnes susceptibles d’engager l’action en responsabilité ?

Il faut distinguer selon que la demande en réparation émane de la société elle-même, des associés ou des tiers. Dans tous les cas, l’action en responsabilité sera prescrite après trois ans à compter du fait dommageable ou, s’il a été dissimulé, de sa révélation. Toutefois, si le fait est qualifié de crime, la prescription est de dix ans

13.

3 Aux termes de l’article 890, « encourent une sanction pénale, les dirigeants sociaux qui, en l’absence d’inventaire ou au moyen d’inventaire frauduleux, auront

sciemment, opéré entre les actionnaires ou les associés la répartition de dividendes fictifs ». 4 TGI Ouagadougou, 10 janv 2000 : OHADATA J-05- 248 5 Vr sur la faute de gestion, notre article, « La notion d’opération de gestion au sens de l’article 159 de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales et le groupement d’intérêt économique de l’OHADA : réflexion à la lumière du droit français » : OHADATA D-05-57 6 Aux termes de l’article 891 « encourent une sanction pénale le gérant de la société à responsabilité limitée, les administrateurs, le président directeur général, le directeur général, l’administrateur général ou l’administrateur général adjoint qui, de mauvaise foi, font des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savaient contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles, matérielles ou morales, ou pour favoriser une autre personne morale dans laquelle ils étaient intéressés, directement ou

indirectement ». 7 Vr dans ce sens, notre précédent article ; « De l’intérêt social dans l’AUSC de l’OHADA » : www.juriscope.org 8 Vr alinéa 2 article 165, alinéa 2 article 330 et alinéa 2 article 740 9 Vr F. ANOUKAHA , A . CISSE, N. DIOUF, J. NGUEMBOU, P-G. POUGOUE, M. SAMB « Sociétés commerciales et GIE » ; Juriscope 2002, Avant-

propos de J. DAVID 10 C’est notamment le cas de la méconnaissance par les dirigeants du droit préférentiel de souscription, de l’inobservation par ces derniers du délai d’exercice de ce droit ou encore de la distribution par eux de nouvelles actions sans tenir compte du principe de proportionnalité. 11 Vr Tribunal de Première Instance Abidjan, 21 juin 2001., Jugement n° 1245 : OHADATA J-02-19 12 Vr Tribunal Régional Niamey 23 avril 2001, Ordonnance de référé n° 070/TR/NY/2001 : OHADATA J-02-35

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7

La société – Lorsque par la faute du dirigeant elle a subi un dommage, la société a qualité pour agir. Cette action sociale « ut universi » est exercé par les représentants légaux de la société généralement lorsqu’il s’agit de nouveaux dirigeants qui ont un reproche à faire aux anciens dirigeants ou par le liquidateur en cas de dissolution. Il ne sera pas surprenant que les dirigeants en fonction négligent d’intenter cette action qui en fait est contre eux-mêmes. Voilà pourquoi le législateur africain a favorisé l’exercice de l’action sociale « ut singuli » exercer par les associés eux-mêmes au nom de la société

14. Cette

seconde hypothèse sera sans doute le cas le plus fréquent de mise en cause. Les tiers – En principe, l’écran de la personnalité morale permet très souvent au dirigeant de se mettre à l’abri contre les actions intempestives des tiers. Mais il faut alors que ce dirigeant n’ait pas dépassé les limites du pouvoir à lui confier. Généralement, lorsque la société est solvable la responsabilité personnelle du dirigeant ne sera qu’exceptionnellement mise en cause. Il sera plus satisfaisant pour la victime de mettre en cause la société in bonis, d’autant plus que le dirigeant n’est en fait qu’un organe de la société au nom duquel il agit. Les Tribunaux africains devront dans ce cas, retenir la responsabilité du dirigeant dès lors qu’il commet une faute personnelle, séparable de son mandat et extérieur à son exécution. Il ne devrait donc y avoir aucune impossibilité à engager la responsabilité d’un dirigeant qui a commis une infraction pénale ou dont la faute est extérieure à la conclusion ou à l’exécution d’un contrat passé par la société. Les associés – Comme le tiers, l’associé qui estime que par son agissement fautif, un dirigeant lui a causé un préjudice personnel, peut en demander réparation. Il en sera par exemple de l’associé qui a subi un préjudice propre du fait qu’il a payé les honoraires d’un expert judiciaire nommé à la suite de fautes du gérant. Cet associé peut poursuivre le recouvrement contre ce dernier, qui est le responsable réel, nonobstant l’utilité de cette nomination pour la société

15.

Il faut aussi préciser que pour empêcher toute entrave à l’exercice des actions en responsabilité, le législateur a prévu à l’article 168 de l’AUSC qu’est réputé non écrite, toute clause du pacte social ayant pour effet de subordonner l’exercice de l’action sociale à l’avis préalable ou à l’autorisation de l’assemblée ou qui comporterait par avance renonciation à l’exercice de cette action. De même, l’article 169 du même Acte poursuit en précisant qu’aucune décision de l’assemblée générale, d’un organe de gestion, de direction ou d’administration ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les dirigeants sociaux pour faute commise dans l’accomplissement de leur fonction.

II – Un risque aggravé dans les entreprises en difficulté

L’ouverture d’une procédure collective à l’égard d’une société peut avoir des conséquences diverses à l’égard du dirigeant social. Alors même que ce dernier n’aura commis aucune faute, le Tribunal pourra juger que l’intérêt social commande une limitation de ses pouvoirs au profit de l’administrateur judiciaire ou encore, justifie son éviction et la cession forcée des droits sociaux qu’il détient dans la société. C’est ainsi que d’une part, la décision qui prononce le redressement judiciaire emporte, de plein droit, assistance obligatoire du dirigeant social pour tous les actes concernant l’administration et la disposition de ses biens

16 et d’autre part, celle qui prononce la liquidation

judiciaire des biens emporte, de plein droit, dessaisissement pour ce dernier de l’administration et de la disposition de ses biens17

. En revanche, en cas de faute du dirigeant social, et compte tenu de la nature de celle-ci, le législateur de l’OHADA prévoit que le juge pourra prononcer des sanctions pénales, des sanctions civiles ou encore, la faillite personnelle prévue à l’article 196 de L’AUPC avec pour effet l’ensemble des interdictions de l’article 203, y compris celle de faire le commerce, de diriger, gérer, administrer ou encore contrôler une entreprise commerciale.

13 Article 164 14 Article 167 15 CA paris, 10 juill 1991 ; D 1991, Inf Rap. 121 16 Article 52 alinéa 1 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif (AUPC). 17 Article 53 alinéa 2 du même Acte.

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Cependant, l’ensemble de ces sanctions qui atteignent le dirigeant social dans sa personne, ses droits et sa dignité, n’est qu’une partie du dispositif répressif de l’AUPC. D’autres sanctions viennent en complément et sont parfois plus redoutables en ce qu’elles visent directement le patrimoine du dirigeant. Il en est ainsi de l’action en comblement de passif de l’article 183 de l’AUPC et de l’action en extension de la procédure collective de l’article 189 de l’AUPC

18, tout en précisant que les dirigeants sociaux doivent se mettre à l’abri des infractions

assimilées à la banqueroute des articles 230 et suivants. Peut-on alors faire une application cumulative de ces diverses actions ?

Action civile et action pénale - En général, ces deux actions n’ont pas à être exclusives l’une de l’autre. Rien à priori n’empêcherait le juge africain de cumuler une action pénale à l’instar d’une banqueroute simple ou frauduleuse et une action civile en comblement de passif. On pourrait très bien aussi admettre que l’extension de la procédure collective à un dirigeant social n’empêcherait pas le juge de retenir sa responsabilité pénale.

Actions civiles – En revanche, en matière civile, les diverses actions tendant à engager la responsabilité des dirigeants sociaux ne sauraient se cumuler. Il suffit pour s’en convaincre de se rendre compte que l’action en comblement de passif et l’action en extension de procédure, ont des effets concurrents sur le patrimoine du dirigeant. De même, si une entreprise fait l’objet d’une procédure collective, les fautes de gestion du dirigeant ne sont pas poursuivies sur le fondement du dispositif propre au droit des sociétés commerciales tel que prévu par l’AUSC. On pourrait toutefois, imaginer en cas de faute personnelle et détachable des fonctions du dirigeant, que l’action soit fondée sur un dispositif tiré de l’AUPC et qu’un créancier ayant subi un préjudice distinct de celui des autres créanciers puisse agir personnellement sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile. Quelles distinctions entre ces diverses actions ?

Aux termes de l’alinéa 1

er article 183 de l’AUPC, « lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation des biens d'une personne morale fait

apparaître une insuffisance d'actif, la juridiction compétente peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif,

décider, à la requête du syndic ou même d'office, que les dettes de la personne morale seront supportées en tout ou en partie, avec ou sans

solidarité, par tous les dirigeants ou certains d'entre eux (…) » c’est l’action en comblement de passif. Nature juridique - Cette action est une application de l’action en responsabilité dans le cadre des procédures collectives et d’apurement du passif. Etant donné qu’elle permet de mettre à la charge du dirigeant le passif social, cette action en réparation nécessite l’existence d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité. Mise en œuvre – Il est impératif pour intentée une telle action, qu’une insuffisance d’actif résulte de la faute de gestion du dirigeant. La faute du dirigeant doit donc être prouvée et peut résulter d’un fait positif

19, d’une négligence

20 ou même d’une abstention de ce dernier

par une simple attitude passive. Les juges français n’hésitent pas à retenir la faute du dirigeant notamment lorsque celui-ci avait fait des choix d’investissement inadaptés ou excessifs compte tenu des conditions prévisibles de financement

21, lorsqu’il avait créé une insuffisance d’actif et avait poursuivi une

exploitation déficitaire22

ou lorsqu’il ne démontrait pas avoir apporté à la gestion sociale toute la diligence nécessaire23

. Dés lors qu’il existe une présomption de faute et une présomption de causalité entre la faute et le dommage, il appartient au dirigeant de s’en dégager en démontrant qu’il a apporté toutes les diligences nécessaires à la gestion sociale. Il ne semble en revanche pas nécessaire que cette faute soit la cause exclusive de l’insuffisance d’actif, il suffirait juste d’établir qu’elle y a contribué. Sanctions – En cas d’action en comblement de passif, le Juge dispose d’une simple option de prononcer la condamnation du dirigeant en cause, sans en être tenu de le faire.

18 Si ces deux actions peuvent donc être engagées à l’égard des dirigeants défaillants, en parlant de dirigeant sans autres précisions, le législateur de l’OHADA entend bien viser de manière générale les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non. Il n’y aurait dans ces conditions, aucune impossibilité à y inclure, de simples administrateurs, des représentants permanents des personnes morales dirigeants, ou même encore des liquidateurs. 19 C’est le cas d’un recours excessif à des concours bancaires ou encore la poursuite d’activité déficitaire. 20 C’est le cas d’une déclaration tardive de cessation des paiements 21 Cass com, 19 mars 1996 – Arrêt n° 589 – Pourvoi 94-12 004 22 Cass com 14 mai 1991 – Arrêt n° 755 / Cass com 17 oct 1995 – Arrêt n° 1592 6 Pourvoi 94-18 113 23 Cass com 10 mai 1989 – Arrêt n° 693 / Cass com 7 février 1992 – Arrêt n° 2 »

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L’alinéa 1er

de l’article 183 de l’AUPC prévoit que le Tribunal pourra condamner le dirigeant à supporter « tout ou partie » des dettes sociales. Aucune règle de proportionnalité entre la faute et le montant de la condamnation ne s’impose donc au juge qui peut moduler le montant de la condamnation, contrairement au dispositif relatif au droit commun de la responsabilité civile selon lequel les dommages et intérêts couvrent l’entier préjudice. Ainsi, il peut arriver que le dirigeant soit condamné à supporter la totalité des dettes sociales, alors même que sa faute n’est la cause que d’une partie de ces dettes. Il serait toutefois souhaitable que le juge africain fasse preuve de mesure en ne condamnant les dirigeants fautifs dans cette hypothèse qu’à un comblement partiel du passif. L’action en extension de la procédure ressort quant à elle de l’alinéa 1

er de l’article 189 de l’AUPC qui dispose qu’ « en cas de redressement

judiciaire ou de liquidation des biens d’une personne morale, peut être déclaré personnellement en redressement judiciaire ou en liquidation

des biens, tout dirigeant qui a, sans être en cessation des paiements lui-même :

• exercé une activité commerciale personnelle, soit par personne interposée, soit sous le couvert de la personne morale masquant ses

agissements ;

• disposé du crédit ou des biens de la personne morale comme des siens propres ;

• poursuivi abusivement, dans son intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements

de la personne morale.»

Nature juridique – Contrairement à la précédente action, celle-ci n’a pas pour objectif la réparation d’un préjudice. Elle vise à réprimer un comportement répréhensible. C’est surtout une sanction que le Tribunal peut prononcer à l’encontre d’un dirigeant contre lequel peut être relevé l’un des faits visés à l’article 189. Le dirigeant doit avoir disposé des biens de la société comme des siens propres, avoir fait des actes de commerce dans son propre intérêt sous le couvert de la société ou avoir poursuivi dans son intérêt personnel, une exploitation déficitaire conduisant à la cessation des paiements. Les conditions de mise en œuvre – Elles sont assez différentes de celles de l’action précédente. Le juge est autorisé à prononcer cette sanction dès qu’il pourra constater de façon objective la commission par le dirigeant, d’un des faits visés et réprimés par l’AUPC. Sanctions - Comme dans la précédente action, le juge dispose également d’une simple option de prononcer la condamnation du dirigeant en infraction, sans être tenu de le faire.

Cependant, il semble que les terminologies « extension de la procédure » utilisé par le législateur de l’OHADA pour désigner le dispositif répressif de l’article 189 ne correspondent pas tout à fait à la réalité. Il faut remarquer que la procédure ouverte à l’encontre du dirigeant fautif est une procédure distincte de celle dont la société fait déjà l’objet.

Cette nouvelle procédure comprend alors d’une part le passif personnel du dirigeant en cause et d’autre part celui de la société en cessation des paiements. Par conséquent, le dirigeant fautif est appelé, comme dans l’action en comblement de passif, à rembourser tout ou partie du passif social. Dans de telles conditions, le juge ne pourrait limiter la sanction à certain quantum, le dirigeant devant en principe s’acquitter de la totalité du passif social. Le juge n’aurait donc pas en cas d’extension de procédure, le même pouvoir d’appréciation que lorsqu’il condamne le dirigeant au comblement du passif, puisqu’il n’a pas la possibilité de moduler le poids de la sanction. En définitive, En acceptant un mandat social, le dirigeant social accepte aussi de prendre le risque de voir sa responsabilité civile et pénale engagée. Les chefs d’entreprises de l’espace OHADA doivent désormais être vigilants et rigoureux dans l’administration et la gestion des affaires dont ils ont la charge. Mais face à l’importance du risque, il est peut être venu le temps pour eux de se protéger en recourant à des assurances responsabilité civile et professionnelle qui, même si elles ne permettent pas d’éviter la mise en œuvre de leur responsabilité, peuvent parer aux conséquences financières de celle-ci.

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Quelques précisions sur le sort des engagements de la caution décédée dans l’OHADA

Bérenger MEUKE

Avocat Collaborateur Principal

Jurifis Consult

Les sûretés sont les moyens accordées au créancier par la loi ou la convention des parties pour garantir l’exécution des obligations. Parmi ces sûretés, le cautionnement est celle qui reçoit de plus en plus la faveur des créanciers qui y trouvent une garantie peu complexe tant dans sa formation que ses modalités. Pourtant, la combinaison du droit du cautionnement et du droit successoral peut parfois réserver de bien étranges surprises. Le cautionnement est défini par l’Acte Uniforme portant organisation des sûretés en son article 3, comme un contrat par lequel la caution s’engage envers le créancier qui accepte, à exécuter l’obligation du débiteur si celui-ci n’y satisfait pas lui-même. La caution ne sera alors tenue de payer la dette qu’en cas de non paiement du débiteur principal.

Mais quel est le sort de l’engagement pris par la caution au cas où elle venait à décéder ?

Il est de principe bien établi que, le patrimoine du de cujus passe à son héritier après sa mort. Il en découle que la caution transmet à son héritier l’ensemble de ses engagements. Supposons dans un premier temps qu’une personne se porte caution pour son ami lors de l’achat d’une automobile. Au décès de cette personne (caution), son héritier devra-t-il supporter le paiement de l’automobile si l’acquéreur devenait défaillant ? Supposons ensuite qu’une personne se porte caution lors de la location d’une maison pour un de ses fils. Au décès de cette personne (caution), son héritier devra-t-il supporter les loyers impayés par le locataire dans le cas ou celui-ci ne les règle plus ? L’application au contrat de cautionnement du principe de la succession aux dettes du de cujus mérite alors qu’on s’y attarde un instant. Dans le premier cas, il s’agit de cautionnement de dettes présentes et déterminées, l’héritier de la caution est tenu pour la dette de l’acquéreur puisqu’elle existait déjà au jour du décès. L’engagement de garantie est transmis au décès de la caution à ses ayants cause universels ou à titre universel (héritiers et légataires autres que les légataires particuliers). En revanche, dans le second cas, il s’agit d’un cautionnement de dettes futures et indéterminées, comme les loyers à venir, la réponse appelle alors plus de nuances. Est-ce que les héritiers de la caution doivent garantir le paiement de toutes les dettes du débiteur principal couvertes par le cautionnement, y compris celles qui n’auraient pris naissance qu’après le décès de la caution, comme les loyers à venir, ou bien si l’obligation transmise a pour seul objet les dettes déjà nées au moment du décès ? Pendant longtemps, la Cour de cassation française a estimé que l’obligation des héritiers de la caution ne se limitait pas aux dettes existant au jour de son décès mais s’étendait également aux dettes nées postérieurement

24.

La même chambre commerciale de la Cour de cassation française devait opéré un revirement complet deux ans plus tard en posant dans un arrêt de principe que, les héritiers de la caution décédée doivent garantir le paiement des dettes du débiteur principal qui étaient déjà nées au moment du décès mais, en revanche, n’ont pas à garantir le paiement des dettes du débiteur principal nées après le décès de la caution

25.

C’est cette dernière position de la jurisprudence française qui a été retenue par les rédacteurs de l’Acte Uniforme. En précisant à l’alinéa 3 de l’article 25 de l’Acte Uniforme que, « les engagements de la caution (…) passent à ses héritiers uniquement pour

les dettes nées antérieurement au décès de la caution », le législateur de l’OHADA va plus loin que son homologue français en tranchant définitivement le débat et en donnant à l’arrêt de principe de 1982 une force désormais incontestable.

24 Cour de cassation, Chambre commerciale 14 novembre 1980 25 Voir Cass com, 29 juin 1982 ; n° Juris Data 1982 – 701754 – R.T.D Civ 1983, P. 354 obs Rémy

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La caution ne transmet pas d’engagements à son héritier pour les dettes nées après son décès. Cette position du législateur semble logique dans la mesure où dans le cadre d’un cautionnement successif et général, le décès de la caution ne devrait avoir un effet extinctif qu’à l’égard des dettes futures non encore nées. En conséquence, les héritiers ne sont tenus qu’au paiement des seules dettes garanties qui étaient nées à la date du décès de la caution. Dès lors que la dette du débiteur principal a pris naissance avant le décès de la caution, l’héritier reste tenu et ne peut se soustraire à l’exécution de l’obligation de paiement. On pourrait donc déjà conclure que si le décès de la caution a un effet extinctif dans le cas d’un cautionnement de dettes futures et indéterminées, au sens de dettes non existantes mais éventuellement appelées à naître dans l’avenir, il ne produit pas le même effet dans le cas d’un cautionnement de dettes présentes et déterminées, au sens de dettes existantes.

Mais à partir de quel moment nait la dette de la caution ?

Il faut distinguer l’exigibilité de la dette de la caution de sa naissance. Si l’on excepte l’hypothèse de la stipulation à son profit d’un terme plus éloigné que celui fixé au débiteur principal

26, la dette accessoire de

la caution devient en principe exigible au moment même où l’est la dette principale. C’est à partir de ce moment que la caution peut être poursuivie. La question de l’exigibilité de la dette de la caution trouve donc sa réponse, en principe, dans le caractère accessoire du cautionnement. Il va de soi que le créancier ne peut pas poursuivre la caution alors que sa créance n’est pas exigible. Il ne faudrait pas en revanche y comprendre que la dette de la caution nait à partir de son exigibilité. L’engagement de payer la dette est transmis aux héritiers si la dette a pris naissance avant le décès de la caution, même si elle n’était pas encore exigible à cette date. Supposons qu’une personne se porte caution pour l’octroi d’un prêt à la société dont il a la gestion. Six mois après son décès, la société traverse des difficultés financières et ne parvient plus à régler les échéances.

L’héritier du de cujus est-il tenu au remboursement ?

La déchéance du terme prévue à l’article 13 de l’Acte Uniforme, quelle qu’en soit sa cause, a pour effet de rendre la dette exigible. Toute déchéance du terme même postérieure au décès de la caution n’a pour conséquence que l’exigibilité de la dette et non sa naissance. S’agissant alors de dette à terme, le terme n’affecte que l’exigibilité de l’obligation de remboursement et non son existence, de sorte que la dette existe dès la formation du contrat de prêt. Une dette devenue exigible seulement après le décès de la caution peut avoir sa naissance antérieurement au décès, soit à la date de l’engagement du débiteur principal et de la caution

27.

Les dispositions de l’article 25 de l’Acte Uniforme ne requièrent donc pas que l’obligation de la caution soit exigible lors du décès de celle-ci, mais seulement qu’elle ait pris naissance antérieurement au décès. La naissance de la dette de la caution remonterait à la date de formation du contrat principal, soit à la remise des fonds au débiteur principal et à l’engagement de la caution. L’obligation de règlement résultant d’un prêt ou d’une ouverture de ligne de crédit notamment est ainsi maintenue après le décès de la caution, passant à ses héritiers

28, mais non l’obligation de couverture résultant de la garantie d’un compte bancaire par exemple

29.

L’obligation de règlement, s’agissant de dettes par hypothèses nées avant le décès, doit indiscutablement être considérée comme transmise aux héritiers, même si ces dettes ne deviennent exigibles que postérieurement. Telle est, au demeurant, la solution résultant du droit commun de la transmission passive. Tandis que l’obligation de couverture

30 doit être considérée comme éteinte par le décès de la caution. Elle répond à la considération que si

les obligations se transmettent, le lien contractuel est dénoué par le décès. Comment d’ailleurs le de cujus pourrait-il transmettre à ses héritiers des dettes qui n’existaient pas au jour de son décès ?

26 Voir J – Cl. Civil Code, Art 2011 à 2043, Fasc. 30, ou Notarial Répertoire V° cautionnement, Fasc. 30 27 Voir en droit français, Cass. 1re civ, 20 juill 1994 : JCP N 1995. 652 note L. LEVENEUR / Cass 1re civ, 10 juin 1997 : Bull civ 1997, I, n° 194 28 Vr par exemple, C. A Riom 11 janv 1995 : Juris-data n° 041245 29 Voir M. CABRILLAC et C. MOULY, Droit des sûretés : Litec, 7e éd 2004, n° 167 et 184 30 Vr M. Cabrillac, Obligation de couverture, obligation de règlement et cautionnement du solde du compte courant, Mélanges Mouly, Litec, 1999, tome 2, p. 293

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Il revient alors dès à présent aux juridictions de l’espace OHADA d’entériner l’idée émise par C. MOULY dans sa thèse de doctorat en ce qu’il faut distinguer entre obligation de règlement et obligation de couverture pour apporter une solution à la problématique du sort des engagements de la caution décédé

31.

Le décès de la caution et, plus généralement, toute transmission universelle du patrimoine d’une caution devraient donc être considérés comme des causes d’extinction de l’obligation de couverture de la caution, au même titre que la résiliation de l’engagement, l’arrivée du terme ou que l’extinction de l’obligation principale.

La société créée de fait dans l’OHADA

Commentaire de l’ Arrêt CCJA 04/11/2004, n° 31, Ayant droit de B. c/ Madame A

CHRONIQUE OHADA (*)

Bakary DIALLO

Docteur en droit privé

Juriste Collaborateur Externe

Jurifis Consult L’hypothèse de la société créée de fait compte au nombre des principes du droit OHADA jusque là insuffisamment explorés. Elle démontre en effet, qu’il est permis de déduire maintes conséquences juridiques d’un ensemble de faits juridiques ; qu’il est possible d’assimiler une situation informelle en une situation tout à fait formelle.

Lorsque l’on considère la spécificité des pratiques commerciales en Afrique, la question ne manque pas d’intérêt. La question de l’existence d’une société créée de fait est souvent au cœur du contentieux entre concubins. L’incertitude de ses contours est propice pour les plaideurs qui y voient un moyen efficace d’obtenir satisfaction à leurs frustrations juridiques. L’arrêt rapporté, fournit un exemple intéressant d’une hypothèse d’application de la société créée de fait entre concubins. L’imbrication des patrimoines des concubins durant leur vie commune entraîne nécessairement la question de la liquidation de leurs intérêts pécuniaires au moment de la rupture du concubinage. Classiquement, la jurisprudence accueille assez favorablement le recours à la société créée de fait comme moyen d’obtenir la liquidation de la dite société et le partage du boni. L’espèce concerne un couple de concubins ayant partagé une vie commune qui a engendré l’acquisition d’un important patrimoine immobilier au nom propre du concubin (feu B). Après le décès de ce dernier, l’absence de vocation successorale ab intestat a laissé la concubine survivante (Madame A.) dans une situation de précarité. Confrontée aux héritiers de son ex compagnon, elle prend alors l’initiative de l’instance aux fins de voir reconnaître l’existence d’une société créée de fait entre elle et son ex concubin. Le Tribunal de Première Instance d’ Abidjan saisi du litige fit droit à la demande en procédant à cette reconnaissance. Sur appel des héritiers de feu B, la Cour d’Appel d’Abidjan infirma le jugement en ordonnant l’expulsion de madame A de la villa qu’elle occupait. Econduite en appel, Madame A forma un pourvoi en cassation devant – la Cour Suprême d’ Abidjan. Malgré l’exception d’incompétence en vertu de l’article 18 du traité OHADA soulevée par les ayants droit de feu B, la Cour Suprême par arrêt du 08 mai 2003 rend une décision de cassation qui désavoue la Cour d’ Appel d’ Abidjan. En effet, elle conclue à la reconnaissance d’une société créée de fait entre dame A et feu B et ordonne par conséquent la liquidation de la dite société et le partage du boni. C’est ici que réside l’intérêt principal de l’espèce. Car les ayants droit de feu B qui ont vainement soulevé l’incompétence de la Cour Suprême d’ Abidjan en matière de contentieux des Actes uniformes se tournent naturellement vers le juge communautaire afin que celui ci déclare l’arrêt du 08 mai 2003 nul et non avenu sur le fondement de l’article 18 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique. C’est donc un pourvoi tendant à l’annulation pur et simple de l’arrêt attaqué. Puisque la controverse juridique au cœur du litige était celle de savoir si une société créée de fait au sens de l’article 864 et suivant de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique avait réellement existé entre Monsieur B et Madame A. Si le juge communautaire devait estimer que la Cour Suprême de Côte d’ Ivoire s’est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction serait réputée nulle et non avenue, autrement dit, on devrait considérer qu’elle n’a jamais eu lieu.

31 Vr Les causes d’extinction du cautionnement, Bibl. de droit de l’entreprise, préf. M. Cabrillac, 1980, n° 352

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13

Or, poser la question de l’existence de la société créée de fait c’est immanquablement évincer en l’espèce la compétence de la Cour Suprême. La CCJA ayant constaté que Madame A. a introduit auprès du Tribunal de Première Instance une demande dont l’intitulé ne faisait pas de doute : « assignation en liquidation de la Société de fait », action introduite sur le fondement de l’article 866 de l’ AUDSCGIE, fondement sur lequel la Cour d’ Appel d’Abidjan a aussi rendu son arrêt du 26 juillet 2002. De sorte que selon le juge communautaire, la Cour Suprême n’avait pas compétence pour examiner le pourvoi formé par Madame A. (première partie). Bien que la CCJA n’ait pas évoqué l’affaire afin de se prononcer sur la question de la caractérisation de la société créée de fait au sens de l’Acte Uniforme, nous prenons le parti, pour un intérêt purement théorique d’envisager le régime particulier de la société créée de fait, puisque les juges du fond semblent ne pas en avoir la même interprétation (seconde partie).

I – L’INCOMPETENCE DES COURS SUPREMES NATIONALES

DANS LE CONTENTIEUX DES ACTES UNIFORMES.

En matière de recours en cassation dirigés contre les Actes Uniformes, le juge communautaire réaffirme sans réelle surprise la compétence exclusive, voire d’ordre public de la CCJA. Il convient de rappeler le critère retenu par le législateur africain pour la compétence dévolue à la CCJA dans l’ application et l’interprétation des Actes Uniformes ( A) d’une part, et d’ autre par la portée du recours prévu par l’article 18 de l’ Acte Uniforme ( B).

A- L’application et l’ interprétation des Actes Uniformes,

critère de compétence de la CCJA.

Tout litige dans lequel l’invocabilité du droit OHADA est effective doit être directement tranché en cas de cassation par la CCJA. C’est une compétence exclusive (1). Dans le cas qui nous occupe l’invocation de l’Acte Uniforme portant droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUDSCGIE) est manifeste. Mais, cette première condition si elle est nécessaire, elle n’est pas pour autant suffisante. En effet, l’insertion de l’AUDSCGIE en droit interne (Ivoirien) doit aussi être constatée (2).

1-La compétence exclusive de la CCJA en matière de cassation.

Le contentieux relatif aux Actes Uniformes issus du Traité OHADA est gouverné par deux principes essentiels. D’ abord, le contentieux des Actes Uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des Etats Parties (art. 13 du Traité OHADA). Ainsi , dans l’affaire évoquée Madame A. a pu porter le litige devant le Tribunal de Première Instance d’ Abidjan , une action tendant à voir reconnaître l’existence d’ une société créée de fait entre elle et son ex compagnon conformément aux dispositions de l’ article 864 et suivants portant droit uniforme sur les sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique du Traité OHADA . Ensuite, la CCJA assure dans les Etats Parties l’interprétation et l’application communes du Traité

32 , des règlements pris pour son

application et des Actes Uniformes (article 14 alinéa 1 du Traité de l’OHADA.) Pour répondre au souci de sauvegarde de la logique du système OHADA, le législateur africain n’a pas voulu compromettre l’exigence d’égalité devant les règles de droit (devant « la loi » au sens matériel le plus extensif). En effet, une divergence des jurisprudences nationales risque de porter atteinte à cette exigence d’égalité de traitement. « Un droit uniforme appelle une jurisprudence uniforme » avait relevé avec justesse M De LAFOND

33. Les compétences, ainsi dévolues à la CCJA

soulignent donc parfaitement la spécificité du droit OHADA et son caractère supranational. Cette supranationalité se traduit essentiellement par l’attribution de certaines compétences traditionnelles des juridictions suprêmes nationales à la juridiction commune. Le mécanisme réalisé par l’OHADA est assez inédit

34.

L’originalité de ce mécanisme est d’autant plus renforcée qu’il est accompagné du pouvoir de la CCJA de statuer, après cassation sur le fond, sans renvoyer à une juridiction d’appel nationale de l’Etat Partie concerné, en évoquant l’affaire. Ce pouvoir d’évocation entraîne donc la substitution de la CCJA aux juridictions nationales de dernier ressort, en cas de cassation. Mais, de manière surprenante, rien n’est prévu dans le Traité ou le Règlement en ce qui concerne les cas d’ouverture à cassation que peuvent invoquer les parties. En effet, l’article 28 du Traité expose simplement que le recours doit indiquer « Les Actes Uniformes ou les Règlements prévus par le Traité dont l’application dans l’affaire justifie la saisine de la Cour ».

32 Voir à ce propos notre article : Bakary Diallo « la Cour de Justice et d’Arbitrage ( CCJA) et le contentieux des Actes Uniformes » Penant numéro 850. p, 22..45. 33 Tristian Gervais de LAFOND « Le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique » Gazette du palais, 21 septembre 1995 p 2. 34 Djibril Abarchi , « La supranationalité de l’ OHADA », Revue burkinabé de Droit, n° 39- 40 spécial, p .51.

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14

Cette omission a fait dire à certains auteurs que la CCJA constitue une juridiction de troisième degré habilitée à juger en droit et en fait35

. Un mélange en quelque sorte, des attributions d’une Cour de cassation et d’une Cour d’Appel. Ses arrêts ont autorité de chose jugée et force exécutoire dans les territoires des Etats Parties au même titre que les décisions des juridictions nationales (art.20 du Traité).

Les juridictions suprêmes des Etats Parties se voient ainsi dessaisies de leurs compétences traditionnelles dans toute matière ayant été l’objet d’un Acte Uniforme. La controverse juridique se rapportait en l’espèce en l’existence ou non d’une société créée de fait entre les ex concubins. Le dispositif de l’arrêt de la Cour Suprême ne laisse ainsi aucun doute sur la nature de la question juridique examinée. La Cour Suprême casse et annule la décision de la Cour d’Appel d’ Abidjan et évoquant l’arrêt elle dit : « qu’il a existé une société de fait entre dame A. et feu

B. » Or le législateur OHADA a prévu les cas d’application des sociétés créées de fait. L’Acte Uniforme portant société commerciales et GIE définit les hypothèses de sociétés créées de fait : société déduite du comportement des parties (article 864) ; société constituée au mépris des formalités légales (865). Encore faut-il que l’Acte Uniforme en cause ait intégré l’ordonnancement juridique de l’Etat dans lequel est né le litige

36. A défaut, les

conditions de compétence de la CCJA ne sont pas réunies, et elle doit se déclarer incompétente. Dans ce cas, la compétence est dévolue à la juridiction suprême nationale.

37

2- L’insertion de l’AUDSCGIE en droit interne Ivoirien.

L’article 9 du Traité précise que « les Actes Uniformes entrent en vigueur quatre- vingt dix jours après leur adoption sauf particulières d’entrée en vigueur prévues par l’Acte Uniforme. Ils sont opposables trente jours francs après leur publication au journal officiel des Etats parties ou par tout moyen approprié ». Le problème souvent soulevé dans le contentieux des Actes Uniformes est le moment de la détermination de leur insertion dans l’ordre juridique interne des Etats parties. La détermination de ce moment est d’importance car elle marque le début de leur opposabilité non seulement aux Etats parties mais aussi aux particuliers. En l’absence de cette entrée en vigueur, l’Acte Uniforme n’est pas applicable, ou plus exactement le contentieux ne peut être soumis à la connaissance de la CCJA. La CCJA a dès ses premiers arrêts affirmé ce principe

38 « attendu qu’il ressort de l’examen des pièces du dossier que l’ Acte Uniforme portant

organisation des procédures simplifiées de recouvrement entré en vigueur le 10 juillet 1998 n’ avait pas intégré l’ ordre juridique interne du

Tchad au moment où les juges du fond étaient saisi du contentieux et qu’il ne pouvait être applicable …Que dès lors, les conditions de

compétence de la CCJA en matière contentieuse, telles que précisées à l’article 14, n’étant pas réunies…il échet de se déclarer incompétent ». Pour que la CCJA connaisse des pourvois, il faut que l’Acte Uniforme soit applicable au moment où commence l’instance

39.

Or, l’Acte Uniforme portant sur le droit des sociétés commerciales et du GIE, entré en vigueur le 1er

janvier 199840

ayant intégré l’ordre juridique interne de la République de Côte d’ Ivoire aux dates des exploits introductifs de l’instance, il était applicable au contentieux soulevé. Dans une affaire antérieure la CCJA s’était déclarée incompétente et a renvoyé devant la Cour suprême de Côte d’Ivoire les demandeurs d’un pourvoi dès lors qu’à la date de l’exploit introductif d’instance, « l’Acte uniforme portant le droit commercial général, entré en vigueur le

1er

janvier 1998, n’avait pas intégré l’ordre juridique interne de la République de Côte d’Ivoire »41

.

Par application du même principe le recours en cassation doit être déclaré irrecevable, dès lors que « l’affaire ne soulève pas une question

relative au contentieux de l’application des Actes Uniformes et Règlements de l’OHADA, mais relève plutôt de la compétence du juge du fond

et non de celle du juge des référés »42

.

Dans la même logique, le recours en cassation, devant la CCJA doit être déclaré irrecevable, dés lors qu’il n’indique ni les Actes Uniformes ni les Règlements prévus par le traité dont l’application dans l’affaire justifie la saisine, comme l’exige l’article 28- 1 al.- 2 du Règlement de procédure de ladite Cour

43.

35 J. Issa – Sayegh et J. Lohoues- Oble, OHADA : l’harmonisation du droit des affaires, Bruylant , 2002, p. 170. 36 Bakary Diallo op. , cit p 25 et 26 37 CCJA arrêts N °s 01 janvier 2002 , in Juris OHADA N ° 2/ 02 p. 14 ; 01 et 03 / 2001, in Juris OHADA N° 1/ 02 p. 8 et 11). 38 CCJA , n ° 001/ 2001, 11 octobre 2001. 39 CCJA n° 3/ 2001, 11 octobre 2001. 40 J. O. n ° 1, 2 et 3 du 1er octobre 1997. 41 CCJA 29 avril 2004 , affaire Société UNIMAT c/ SODIREP in Juris ohada , n ° 2/ 2004 , p 57 , note anonyme. 42 CCJA 27/01/ 2005 , SGBCI c/ Ayants droit de T. M, le Juris - OHADA, n ° 1/ 2005 , janvier- mars 2005, p 10. CCJA 17/ 06/ 2004 , Juris OHADA n° 31/04 , p 27. 43 CCJA . 22 décembre 2002 ( Société Mobil OIL- CI c/ S.M , le Juris OHADA n° 1 / 2003 , janvier – mars 2003, p. 17, Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° spécial , janvier 2003, p. 10.

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On l’aura donc compris, le critère objectif pour la détermination de la compétence de la CCJA est la mise en œuvre du droit unifié OHADA à travers les Actes uniformes. Dans notre espèce, l’Acte Uniforme visé en première Instance puis devant la Cour Suprême de Côte d’ Ivoire concernait le droit des Sociétés commerciales et du Groupement d’intérêt économique dans la mesure où le litige portait sur la caractérisation de la société créé de fait entre Madame A. et feu B. Il apparaît que dans le pourvoi objet de nos commentaires la compétence de la CCJA pour connaître de la procédure de cassation ne souffre, d’aucun doute. Mais, lorsqu’en dépit de la compétence du juge communautaire, une juridiction nationale de cassation saisie a rendu une décision, la CCJA peut toujours être saisie d’un recours en annulation sous certaines conditions.

B- Le recours en annulation. Les recours juridictionnels sont généralement présentés selon une certaine logique. Celle qui procède de l’article 18 du traité permet de contourner l’obstacle d’un arrêt rendu par une juridiction Suprême nationale en totale méconnaissance des règles de compétences en matière de cassation (1). Cette forme de recours témoigne surtout d’un réel malaise des juridictions suprêmes nationales évincées du mécanisme de l’OHADA (2).

1- Le principe de la procédure d’annulation prévue par l’article 18.

La CCJA est saisie en cassation soit directement par l’une des parties à l’instance (c’est l’hypothèse la plus fréquente) soit sur renvoi d’une juridiction nationale statuant en cassation, saisie d’une affaire soulevant des questions relatives à l’application des Actes Uniformes (seuls quelques arrêts de renvoi sont parvenus à la CCJA). La compétence exclusive de la CCJA sur les juridictions nationales emporte deux conséquences notables. D’abord les juridictions nationales de cassation saisies d’un litige où l’application d’un Acte Uniforme est en cause doivent suspendre l’examen de la question lorsqu’en même temps la CCJA est saisie de la question. Il faut souligner cependant que la saisine de la Cour commune, n’arrête pas les procédures d’exécution déjà engagées. La procédure ne peut reprendre qu’après que la CCJA se soit déclarée incompétente pour connaître l’affaire

44.

Lorsque la CCJA est incompétente et si, surtout cette incompétence est manifeste, la Cour commune peut la soulever d’office. Elle peut aussi être soulevée in limine litis par toute partie au litige comme l’a fait en l’espèce Madame A. dans l’instance auprès de la CCJA, dans ce cas la CCJA se prononce, sur l’exception ainsi soulevée, dans les trente jours. Ensuite, lorsque la CCJA est saisie, à la fois, par un pourvoi en cassation formé devant elle et par un arrêt de renvoi rendu par la Cour Suprême d’un Etat partie, saisie elle- même d’un pourvoi en cassation formé contre le même arrêt, il y a lieu de joindre les deux procédures et, en cas d’incompétence de la CCJA , de renvoyer la procédure de la Cour Suprême nationale

45.

Dans le cas en espèce la CCJA a été saisie en application de l’article 18 du Traité, directement par une partie (les héritiers de feu B) après avoir soutenu en vain l’incompétence de la Cour Suprême de Côte d’ Ivoire statuant en cassation sur pourvoi de Madame A.

Le recours prévu par l’article 18 permet ainsi à la partie en instance de saisir la CCJA dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée. En conséquence le recours introduit, est immédiatement signifié par le greffier en chef, à toutes les autres parties à la procédure devant la juridiction nationale. Chacune des parties peut, dans un délai de trois mois à compter de la signification du recours, présenter un mémoire. L’article 18 du traité institue donc un recours en annulation sous la condition que l’incompétence de la juridiction nationale de cassation ait été soulevée. Si l’incompétence de la juridiction nationale est reconnue, la décision par elle rendue et qui a été attaquée, est réputée nulle et non avenue. Dans ce cas, les parties se retrouvent dans l’état où elles étaient avant l’intervention de la décision de la juridiction suprême nationale, qui s’est à tort déclarée compétente. Autrement dit, dans l’espèce rapportée c’est l’arrêt de la Cour d’ Appel d’Abidjan qui retrouve son plein effet.

44 Cependant cette règle n’affecte pas les poursuites d’exécution, ce qui est conforme au principe selon lequel un pourvoi en cassation ne suspend pas l’exécution des décisions rendues en dernier ressort. Et pourtant la Cour Commune semble affirmer que l’article 32 de l’Acte Uniforme abroge les dispositions nationales relatives aux procédures d’exécution .cf. CCJA , N° 2/ 2001, 11 octobre 2001. Cette position du juge communautaire est l’une des plus décriée par les commentateurs. Comment concilier cet arrêt qui semble abroger les lois nationales relatives à l’exécution des décisions de justice avec l’article 16 qui affirme la validité des dites lois nationales, voire leur compatibilité avec le droit OHADA en général ? 45 CCJA arrêt n ° 3 / 2001 du 11 octobre 2001 Affaire Emile WAKIM c/ IAMGOLD AGEM .

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Et conformément à l’article 52.4 du Traité, dans les deux mois à compter de la signification de l’arrêt de la CCJA qui annule la décision de la Cour Suprême nationale, toute partie peut saisir le juge communautaire d’un recours en cassation contre la décision du juge du fond ( la Cour d’ Appel) dans les conditions prévues par l’ article 14 du Traité et aux articles 23 à 50 du même texte. Concrètement Madame A. qui s’est irrégulièrement pourvue en cassation devant la Cour Suprême Ivoirienne contre l’arrêt de la Cour d’ appel d’ Abidjan lui refusant la qualité d’associée de fait, dispose d’ une seconde chance pour saisir la CCJA dans un délai de deux mois. Sans quoi, le juge communautaire ne peut évoquer l’affaire en se prononçant sur le fond du litige. C’est le lieu de regretter , que le Règlement de procédure n’ait pas permis le recours en cassation en même temps que le recours en annulation de la décision contestée de la juridiction

46 . C’est encore une occasion de plus manquée pour la CCJA de se prononcer sur le fond

d’une affaire en donnant son interprétation de la règle de droit en cause. Pour l’essentiel, les conditions d’application de l’article 18 du Traité OHADA ont été déjà rappelées à plusieurs reprises par la haute juridiction

47.

La CCJA ne peut être saisie d’un recours contre une décision rendue par une juridiction nationale statuant en cassation, en application de l’article 18 du traité OHADA, qu’à la condition que l’incompétence de ladite juridiction ait été au préalable soulevée devant celle-ci ; à défaut, le recours doit être irrecevable

48.

Aussi, « le recours, exercé devant la CCJA contre une décision d’une juridiction nationale statuant en cassation, doit être déclaré irrecevable

dès lors que l’incompétence de ladite juridiction n’a pas, au préalable, été soulevée devant celle-ci »49

.

2- Le malaise des juridictions Suprêmes nationales. La présente affaire témoigne par ailleurs, d’un malaise qui anime les juridictions supérieures nationales. La compétence exclusive de la CCJA relativement au contentieux des Actes Uniformes semble se heurter à une forme de résistance des Cours Suprêmes nationales. Ces dernières continuent allégrement à connaître un volume important de ce contentieux au mépris des règles de compétences édictées par le Traité OHADA. Il faut certes le déplorer, mais, comment ne pas comprendre la frustration de ces magistrats

50 mis à l’écart d’un droit unifié

et moderne qui balaie des pans entiers de domaines jusqu’ici jalousement préservés par la souveraineté judiciaire. C’est cette frustration qui explique la position de la Cour Suprême du Niger dans un arrêt

51 où le litige portait à la fois sur des questions de

droit uniforme et de droit interne.

Dans de pareils cas, en présence d’acte mixte52

, la logique commande que l’on rende à la CCJA ce qui lui appartient, et à la juridiction nationale ce qui lui revient. Mais, le fractionnement d’un litige n’est pas toujours possible car l’interdépendance des questions est telle qu’on ne peut déterminer par avance par quelle solution de droit on devrait commencer. Alors, on aurait pu imaginer que la CCJA puisse se prononcer par le biais d’une procédure de question préjudicielle. La procédure préjudicielle se déroulerait en trois temps :

1- Le juge national décide de surseoir à statuer et de renvoyer la question d’interprétation à la CCJA. 2- Saisie de la question la CCJA, qui garde sa compétence exclusive, dit le droit ; 3- Le juge national en fait application au litige et rend une décision qui éteint le contentieux.

Or, cette procédure a été écartée par le législateur africain. Aussi, la Cour Suprême du Niger a semblé suggérer à sa manière la réponse à la question posée. En procédant à une relecture de l’article 18 du Traité. Elle a d’abord considéré que l’article 18 du traité aux termes duquel « une partie qui, après avoir soulevé l’incompétence d’une juridiction a,

dans un litige, méconnu la compétence de la CCJA, peut saisir cette dernière, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la

décision attaquée » signifie que la compétence n’est pas exclusive. La Cour suprême laisse penser que la compétence est partagée entre les juridictions suprêmes nationales et la CCJA. Ensuite, elle déclare que lorsque le recours est fondé de façon prépondérante non sur la violation d’un Acte uniforme, mais, sur les règles ne faisant pas l’objet d ’ une harmonisation du droit par le traité , la Cour suprême n’avait pas à renvoyer devant la CCJA . Cette construction théorique ne manque pas d’attrait mais, elle ne peut être opérante.

46 J. Issa- Sayegh, op, cit. p , 189. L’ auteur parle à juste titre de perte de temps inutile . 47 CCJA N ° 09 du 24 avril 2003 in le Juris ohada n° 2/ 2003 – p 29. 48 CCJA 17 juin 2OO4, affaire : A. c / la société générale de banques en Côte d’ Ivoire dite SGBCI 2 . Monsieur S.S le Juris OHADA, n ° 3/ 2004, juillet – octobre 2004, p 27, note. 49 CCJA .27/ 01/ 2005 , M.C.C.K et S.C.K c / La société ECOBANK , le Juris OHADA n° 1/ 2005 , janvier – mars 2005 ,p. 16. CCJA , arrêt n° 009/ 2003 du 24 avril 2003 ( H.c/ D. ) , Le Juris – OHADA n° 2/ 2003, avril- juin 2003 , p 29 , note anonyme. 50 Par principe les mieux formés et les plus compétents au niveau national. 51 Cour Suprême du Niger 16 août 2001. 52 Acte relevant à la fois du droit interne et du droit OHADA.

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En effet, à supposer que cette notion de prépondérance vienne à être retenue ; qui sera compétent pour son appréciation ? La Cour suprême nationale ou la CCJA ? Et en cas de divergences d’interprétation sur une question considérée comme mineure par la juridiction nationale, mais prépondérante pour la CCJA quelle opinion l’emportera ? En l’absence d’un Tribunal des conflits calqué sur le modèle français , la CCJA est seule compétente pour déterminer les compétences résiduelles des Cours suprêmes nationales et les matières rentrant dans le champs d’application de l’ OHADA . Elle est ainsi juge et partie des conflits de compétences avec les juridictions nationales de cassation. La CCJA a en quelque sorte « la compétence de ses compétences ». La mise à l’écart des juridiction nationales de cassation n’est pas une solution satisfaisante

53. Il est urgent de réfléchir sur les moyens de faire

entrer ces juridictions dans le mécanisme OHADA, et s’assurer ainsi de leur pleine collaboration. Dés l’abord, l’intérêt pratique de cet arrêt n’apparaît pas avec évidence. En effet, que l’arrêt de la Cour Suprême d’ Abidjan soit frappé de nullité et déclaré non avenu. Cette solution s’impose naturellement à la lecture des articles 14, 15 et 18 du Traité OHADA. A la réflexion, l’enjeu de la discussion réside ailleurs au plan de la qualification puis des effets du concept de société créée de fait. Nous l’avons souligné plus haut, pour des raisons de procédures la CCJA ne s’est pas prononcée sur cette question juridique débattue par les juridictions du fond. La controverse ne manquait pourtant pas d’intérêt théorique.

Le droit OHADA à l’instar des grands systèmes juridiques

54 étrangers prévoie les cas d’applications de la société créée de fait. C’ est parce qu’

ici, comme partout ailleurs le droit même s’il a vocation à le faire, ne peut saisir toutes les relations humaines, afin de les concilier , et cette impossibilité s’explique par la carence « naturelle » du droit.

Il existe en effet, une dimension intermédiaire entre le fait et le droit où évoluent des situations « hybrides » ou informelles qui différent en fonction de leur degré d’imprégnation juridique. C’est cet aspect théorique que nous nous proposons d’aborder à présent.

II- LA SOCIETE CREEE DE FAIT OU LA PREPONDERANCE DU FAIT

SUR LE DROIT.

Bien que les deux formulations soient proches, par « société créée de fait », il ne faut pas nécessairement comprendre « société de fait ». Les deux notions sont, en effet, fréquemment employées comme synonymes. Cela a encore été le cas dans l’espèce rapportée (la Cour Suprême d’ Abidjan évoquant l’arrêt de la Cour d’ Appel qu’elle venait de cassé « Dit qu’il a existé une société de fait entre dame A. et feu B. »). Mais, les deux expressions désignent des situations différentes. La société créée de fait est une société variante de la société de fait ; mais à l’inverse de la société de fait qui est une société de droit dégénérée ( art. 115 et 253), où il y a eu véritablement volonté de créer une société mais que celle-ci est devenue « de fait » en dépit d’une cause de nullité entachant ses modalités de constitution ( pour des raisons de fond ou de formes) ; la société créée de fait est souvent voulue « de fait » par les parties. Il s’agit alors, d’une société dans laquelle les associés ou l’associé unique ( si elle est unipersonnelle) n’ont jamais voulu respecter les formalités juridiques, en l’ occurrence ils n’ont pas rédigé un acte de société

55 . N’étant pas immatriculée, la

société n’a pas la personnalité juridique, pas d’existence légale Mais, si les deux expressions reflètent des réalités différentes les conséquences juridiques n’en sont pas moins similaires. De sorte que la distinction n’a qu’un intérêt théorique.

En effet, les actions judiciaires tendant à faire constater l’existence d’une société créée de fait ou d’une société de fait supposent dans tous les cas que soit établi un ensemble de faits ou de circonstances dont l’observation va permettre au juge de présumer l’existence d’un contrat de société. Dans l’espèce rapportée, les faits indiquent que l’on est sans aucun doute dans l’hypothèse d’une société créée de fait entre ex concubins. C’est donc un instrument idéal pour obtenir une satisfaction face à une frustration causée par le vide juridique. En effet, la société créée de fait se caractérise surtout par sa nature contentieuse car elle n’existe et ne trouve d’intérêt qu’au sein d’un tribunal, arbitrant les requêtes des plaideurs. La société créée de fait n’est révélée que pour être liquidée, elle est la société d’un instant.

53 Bakary Diallo op.cit p, 35 54 La plupart des Etats étrangers admettent qu’une société puisse être créée de fait sans que les associés en aient manifesté l’intention. La société simple de droit Suisse, la « società di fatto » italienne, la « BGB Gesellschaft » allemande ou le « partnerschip » des pays de « common law » sont ainsi utilisés dans des hypothèses analogues. 55 J.ISSA- SAYEGH, PAUL- GERARD POUGOUE, FILIGA .MICHEL SAWADOGO, OHADA : Traité et Actes Uniformes commantés et annotés 2 e édition 2002 Juriscope.

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La notion de la société créée de fait émerge ainsi d’un faisceau d’indices laissé à l’appréciation souveraine du juge. Mais une fois caractérisée, le résultat est automatique la reconnaissance d’une société créée de fait emporte sa liquidation et le partage des biens entre les associés de fait selon la technique sociétaire de la SNC (art 868). Imprécision et approximation caractérisent la société créée de fait. Ainsi exclusivement factuelle, le recours tendant à la reconnaissance de l’existence d’une société créée de fait est tantôt né de la frustration juridique d’une concubine

56 (A) ; qui trouve là un habile moyen de

combler l’absence de régime matrimonial, tantôt celui d’un créancier aux abois (B), désireux d’adjoindre des codébiteurs solidaires à leur débiteur initial, pour faire face au fléau de l’insolvabilité.

A- Recours né de la frustration juridique d’une concubine.

Enoncées dans l’article 4 de l’AUDSCGIE, les deux composantes du contrat de société sont en réalité au nombre de trois si l’on tient compte de l’affectio societatis consacrée unanimement par la doctrine et la jurisprudence (1). Mais, en l’espèce il semble que la démonstration de la réunion des trois éléments envisagée cumulativement n’a pas été faite (2).

1- Les éléments constitutifs de la société créée de fait.

Dans l’espèce rapportée, l’objet prétendu de la société créée de fait porte sur une entreprise en bâtiment, sur un important patrimoine immobilier et des comptes bancaires. La concubine déboutée et chassée de la villa qu’elle occupait aux Deux- Plateaux les Perles par les juges de la Cour d’ Appel, considère qu’elle a concouru à l’acquisition par son compagnon de l’ensemble de cette fortune. Précisons d’abord que l’admission d’une société créée de fait entre concubins dans le cas d’une acquisition d’un important patrimoine immobilier n’est pas inconcevable. On peut regretter que la CCJA

57 n’ait pas eu l’occasion de préciser en l’espèce les exigences de preuves à fournir. Mais elles sont en réalité

fort connues puisque le législateur africain permet la preuve par tout moyen de la société de fait (art. 867). S’agissant des rapports entre concubins, quels éléments de preuve doit apporter le concubin demandeur, et par là – même, quelles sont ses chances de succès ? La difficulté dans le cas d’un couple vivant maritalement, comme c’est le cas en l’espèce, est on ne peut plus difficile à résoudre. La participation aux pertes et les apports d’un concubin peuvent- ils se confondre avec la contribution aux charges du ménage ? Existe- il un critère objectif d’appréciation de l’affectio societatis

58 ?

La société créée de fait bénéficie de la définition contractuelle

59 donnée par le législateur africain OHADA au contrat de société lequel est

appréhendé de manière exclusivement juridique puisque l’assimilation avec une SNC est totale (art 868 de l’AUDSCGIE). La preuve de l’existence d’une société créée de fait suppose donc la démonstration de la réunion des trois éléments constitutifs envisagés cumulativement. En conséquence, la « la mise en commun d’apports »

60 , et la participation aux bénéfices et aux pertes, ou la réalisation

d’une économie sont autant de critères qui doivent être corroborés par la manifestation d’un affectio societatis caractérisé. L’affectio societatis reflète bien une volonté de collaboration intéressée. Il procède de cette identité d’intérêts qui convergent vers un but unique : la réalisation et le partage de gains. Doit- on considérer dès lors que le législateur africain a contribué à affaiblir le sens du mot bénéfice en admettant que la recherche d’économies à travers la structure d’un GIE puisse en faire partie ? De notre point de vue, il s’agit plus d’un enrichissement que d’un affaiblissement de la notion de bénéfice. En effet en élargissant la notion de bénéfice le législateur OHADA a apporté une modernisation importante rendue nécessaire par la pratique moderne et africaine du droit des sociétés. Cette modernisation permet notamment, l’entrée de la société en participation et le GIE dans la catégorie des sociétés de droit commun. Ces formes d’organisation permettent souvent de supporter en commun des frais d’exploitation.

56 En France un volumineux contentieux relatif aux sociétés créées de fait est , on le sait généré par les rapports conflictuels d’après concubinage . Voir en particulier Philipe Merle , Droit commercial. Sociétés commerciales, Précis Dalloz, 2003 , 9e éd., n° 616. 57 N’ayant pas pu évoquer l’affaire, elle n’avait pas à se prononcer sur cette qualification. 58 Les deux composantes du contrat de société sont en réalité au nombre de trois si l’on tient compte de l’affectio societatis consacré unanimement par la

jurisprudence et la doctrine . C’est la raison pour laquelle l’affectio societatis ne fait pas l’objet d’une définition légale. Voir à ce propos Denis Pernot, la

société sans personnalité morale, thèse , Université de Franche- Comté , 1988 , n° 49, p. 67. 59 Une nouvelle définition plus complète de la société commerciale est retenue par le législateur OHADA dans l’Acte Uniforme portant les sociétés commerciales et GIE en son article 4 : la société commerciale est une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes affectent à une activité des biens en numéraire ou en nature, dans le but d’en partager les bénéfices ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Les associés s’engagent à contribuer aux pertes dans les conditions prévues par l’Acte Uniforme. La société commerciale doit être créée dans l’intérêt commun des associés. 60 A ce propos il est à noter que le législateur africain a innové par rapport au droit français en substituant l’ancienne formule de « mise en commun de

quelque chose » par celle de « d’affecter à une activité… » plus compatible semble –t-il avec l’idée de société unipersonnelle. Mais cela ne bouleverse pas

fondamentalement le critère de « mise en commun d’apport » c’est pourquoi ne retenons la formule.

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Dans ces sociétés, les associés procèdent à la répartition des charges entre eux dont il découle une économie et non un partage effectif de gains. L’ouverture du concept vers l’économie ne défavorise pas les intérêts des plaideurs de la société créée de fait, au contraire elle sert dans de nombreux cas où le partage de gains n’est pas palpable, s’agissant davantage d’une mise en commun de fonds pour supporter des charges engendrées par un ménage de concubins notamment. La consécration du critère l’économie par le législateur OHADA en tant que catégorie de bénéfices nous semble donc louable à deux égards. Tout d’abord, parce que l’essence traditionnelle et historique de la société n’est pas mise à mal puisque le fait de pratiquer une économie revient à un enrichissement indirect, en effet c’est autant d’argent qui n’est pas décaissé par les associés. La vocation d’effectuer des profits en tant que cause efficiente de la société est ainsi préservée. Ensuite, parce que l’entrée de l’économie au côté du bénéfice participe d’un effort tout autant louable de démocratisation de la société commerciale et de rapprochement du droit des réalités africaines, permettant qu’elle soit utilisée à des fins encore plus diversifiées dans le cadre de la pratique contemporaine du droit des sociétés. La qualification sociétaire repose uniquement sur des faits constitués par les actes effectués par des individus. Révélateurs de simples attitudes, les juges leur font pourtant produire des conséquences juridiques en réponse aux appels de l’équité, car ils sont créateurs d’apparence. Loin de toute considération juridique, les parties ont effectué certains actes sans pour autant, avoir l’intention de leur faire produire les conséquences propres aux règles du droit des sociétés. Comme l’a indiqué la Cour de cassation française dans un de ses dispositifs « leurs intérêts s’étaient mêlés en dehors de tout pacte social »

61

2- L’absence de caractère cumulatif des éléments constitutifs

de la société créée de fait dans l’espèce.

C’est en effet l’intention des parties qui se révèle au final litigieuse au moment de la qualification juridique de la relation unissant les protagonistes. La mise en commun d’apports doit se faire de manière concrète, une simple cohabitation prolongée des concubins, la seule participation aux dépenses du ménage, sont manifestement insuffisantes pour constituer de tels apports. Toutefois, en règle générale le juge peut se montrer souple lorsque la démonstration de l’existence d une entreprise commune est en cause comme dans l’espèce rapportée. Des éléments plus convaincants devraient cependant être rapportés tels que la participation active de la concubine (Madame A.) à la vie de l’entreprise. Or, Madame A. soutient qu’elle avait laissé entièrement la gestion du patrimoine immobilier à feu B. qui agissait seul et dans le cadre de cette gestion, tous les biens immobiliers acquis ont été mis au nom de feu B. Il n’y a donc pas eu de collaboration égalitaire des concubins au sein de l’exploitation commerciale. Dès lors, seul le concubin feu B. assumait les risques et le financement des opérations commerciales. Pour tenter une explication à sa relative passivité la concubine avance l’argument de sa situation « d’épouse soumise conformément à la tradition et surtout à la religion musulmane ».

Or, dans les sociétés commerciale, les associés ne sont pas subordonnés les uns des autres. C’est ainsi que le lien social se distingue du lien salarial. L’affectio societatis engendre normalement l’incompatibilité entre lien social et le lien de subordination. Même si dans certains cas l’indépendance qui oppose l’associé et le salarié est susceptible de degré

62. Nous pensons que la seule soumission au chef de famille est

incompatible avec la reconnaissance d’une société créée de fait entre membres d’une même famille.

Par contre la requalification de ce lien en contrat de travail est parfaitement envisageable, par ailleurs d’autres solutions alternatives existent

63 également.

La contribution aux pertes est la conséquence du partage des gains. En effet, l’aventure sociale traduit, un aléa que les associés acceptent de courir ensemble lorsqu’ils entrent en société. Madame A. devrait faire la preuve que la mise en commun d’apports a parallèlement généré soit une participation aux pertes et bénéfices soit à la réalisation d’une économie. Cette preuve aurait permis de supposer un tant soi peu, une volonté de s’associer et par déduction l’affectio societatis.

61 Cass. Com., 19 octobre 1959, D. 1960. 62 Les associés par exemple, qui effectuent des apports en industrie peuvent recevoir des directives de la société et inversement, un salarié qui occupe un poste à responsabilités ou qui effectue une tâche de nature intellectuelle jouit fréquemment de beaucoup d’indépendance dans l’exécution de sa mission. 63 Bien que le concubinage soit une situation de fait produisant des conséquences juridiques, le droit positif persiste généralement à le différencier du mariage qui est une situation de droit. Mais il n’est pas sûr que le recours à la société créée de fait soit la solution la plus indiquée pour pallier l’absence de règles juridiques dans les relations pécuniaires entre concubins. D’ autres modèles juridiques pourraient être envisagés qui permettent d’appréhender des situations purement factuelles. Tel est le cas du mariage putatif qui produit les mêmes effets qu’une union matrimoniale valablement contractée. La communauté de fait pourrait être pareillement invoquée. La théorie de l’enrichissement sans cause cette hypothèse offre au concubin qui s’est appauvri le moyen d’agir en répétition de l’indu à l’encontre de celui qui s’est enrichi. Il s’agit là , d’autant de règles subsidiaires.

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Mais, on serait tenté de déduire au vu des faits rapportés dans l’espèce que tous les éléments constitutifs du contrat de société n’étaient pas réunis dans cette affaire. L absence de caractère cumulatif de ces éléments et la manifestation concrète de l’affectio societatis fait douter de l’existence de société créée de fait entre les ex concubins. La volonté de collaborer existe et doit exister dans toutes les sociétés commerciales car elle est un état voulu et non subi, elle ne peut être imposée à des personnes qui n’ont pas consenti à s’associer. C’est précisément cette incohérence qui peut être relevée à l’égard de la concubine Madame A., qui à aucun moment n’a manifesté ce lien social par un acte juridique qui traduirait l’existence de son consentement au pacte social. Dans la présente affaire, il semble que la Cour Suprême d’Abidjan se livre à un raisonnement par induction pour apprécier la réunion des éléments constitutifs du contrat de société. Si la règle fixée par le législateur OHADA est la preuve par tous moyens (art. 868 de l’AUDSCGIE), il convient de remarquer que cette liberté de preuve sera plus ou moins délicate à rapporter selon les espèces envisagées. La Cour Suprême semble procéder à une confusion volontaire entre la règle probatoire supportée par l’associé et celle incombant au tiers au pacte social. Si, dans le premier cas, les trois éléments constitutifs du contrat de société doivent être constatés, isolément, dans le second cas , une appréciation globale suffit. Or, dans le dispositif de l’arrêt de la Cour Suprême d’ Abidjan on serait tenté de se demander si le juge suprême n’applique pas la même règle probatoire à ces deux situations.

On pourrait penser qu’elle apprécie de la même manière la preuve de l’existence d’une société créée de fait et la preuve de l’apparence d’une telle forme sociale. Elle a donc tendance à se rapprocher d’une appréciation globalisante. Rappelons, que seuls les tiers (créanciers) bénéficient du système probatoire assoupli de la théorie de l’apparence dans le contentieux des sociétés créées de fait. A ce propos , ce formidable moyen dont disposent les créanciers pour étendre leurs poursuites à d’autres débiteurs plus solvables, nous amène à une interrogation qui n’est pas simplement académique et mérite une véritable réflexion que nous ne pouvons mener dans le cadre étroit de ce commentaire : l’ application subsidiaire des règles gouvernant le droit des sociétés est elle le meilleur moyen de combler les insuffisances du droit des sûretés ?

B- Recours né de la frustration juridique d’un tiers. Le recours à la technique sociétaire dans un domaine qui lui est parfaitement étranger, c'est-à-dire dans le cadre des relations entre créancier et débiteurs en dehors de tout lien social peut paraître surprenant. Mais, le jeu de la théorie de l’apparence le rend non seulement possible mais efficace (1).

Le contentieux de la société créée de fait est essentiellement le contentieux de sa liquidation. La liquidation est l’issue fatale de la caractérisation sociale. Cependant, la systématisation d’une telle solution par la jurisprudence appelle pour notre part une réflexion (2).

1- La théorie de l’apparence et préservation opportune des intérêts des créanciers insatisfaits.

L’émergence de la notion jurisprudentielle d’associé de fait sert considérablement les intérêts des tiers créanciers. En réalité ce sont eux qui ont le plus à gagner dans ce système probatoire de l’apparence. En effet, lorsque l’action est diligentée par un tiers, c'est-à-dire dans la plupart des cas un créancier du défendeur, afin d’étendre ses poursuites contre d’autres débiteurs solidaires, le législateur africain instaure un régime de faveur. Ainsi c’est précisément à ce moment qu’intervient la rencontre, pleine de promesses, entre la société créée de fait et la notion d’apparence car c’est bien d’une « apparence de société » dont il est question et non d’une « apparence de contrat de société ». Le recours à la théorie de l’apparence pour un créancier intéressé permet indirectement de renforcer le principe de sécurité pour les créanciers qui se heurtent à l’insolvabilité réelle ou organisée de leur débiteur. Il apparaît alors comme un recours subsidiaire pour combler les lacunes du droit des sûretés ou pour s’adapter à certaines réalités locales. L’application de la technique sociétaire dans ce domaine particulier est assez curieux il faut le dire. Concrètement, selon le créancier le défendeur aurait créé, par son comportement, une apparence trompeuse d’existence d’un lien social avec un tiers.

Le recours à la qualification de société créé de fait est extrêmement attrayant pour les créanciers aux abois car, il repose sur un mécanisme relativement facile à mettre en œuvre, fondé sur la notion d’apparence. Face à un débiteur récalcitrant, il n’y a pas meilleure solution que d’en poursuivre un autre, présentant souvent de meilleures garanties de paiement. Au lieu de se contenter d’une action contre son seul débiteur initial, le créancier pourra grâce à la qualification de société créée de fait poursuivre indifféremment chacun des pseudo- associés de fait au titre de sa créance.

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Le dispositif est alors imparable : l’application de cette technique, conséquence directe de la qualification d’associé de fait du défendeur, permet mécaniquement d’invoquer la solidarité entre associés des dettes nées de l’activité de la société. Le créancier insatisfait se trouve, de facto investi du droit de poursuite au titre de sa créance impayée, à l’associé de fait nouvellement qualifié de tel par le juge. La charge de la preuve n’est pas de même nature si l’action est diligentée par une personne qui se prétend associé de fait à l’égard d’une autre. Celui qui se prétend membre d’une société de fait est bien mal à l’aise car, il peut se trouver dans l’impossibilité matérielle de rapporter la preuve d’un instrumentum qui n’existe pas.

Tandis que le créancier étranger à la société en tant que tiers, bénéficie d’un allègement du fardeau de la preuve puisqu’il lui suffit de prouver la simple apparence de société sans avoir à rapporter la preuve de la constitution des éléments matériels du contrat de société. Le créancier est donc délié de l’obligation d’avoir à prouver qu’il a existé entre les associés une mise en commun d’apports, une contribution aux pertes ou un partage des bénéfices, mais surtout la délicate preuve de l’affectio societatis. En vérité l’apparence permet au tiers créancier de se dispenser de telles investigations. C’est une réalité visible qui s’impose du premier coup d’œil, à un observateur qui estimera de bonne foi que les faits dans leur matérialité sont suffisamment explicites par eux-mêmes pour qu’il ne ressente pas la nécessité de poursuivre son examen plus avant

64.

Grâce à cette absence de difficulté probatoire à l’égard du tiers créancier, cette technique sociétaire apparaît comme une redoutable arme pour lutter contre le fléau de l’insolvabilité

65. Cette technique permet d’obtenir gain de cause là où le droit des sûretés peut échouer.

En cela la théorie des sociétés créées de fait et des sociétés de fait offre des perspectives d’une compensation financière rapide car la qualification sociétaire permet d’obtenir, à de brefs délais, les sommes escomptées

66. Le recours à la société créée de fait est

indéniablement un formidable dispositif de plaidoirie pour les demandeurs démunis d’autres moyens juridiques. Cependant, si cette théorie de la société créée de fait se justifie par la sécurité des tiers et des transactions elle souffre au moins de deux tempéraments. D’ une part, le recours à la qualification sociétaire ne peut être que subsidiaire, lorsque tous les recours contre le débiteur principal sont restés infructueux. D’ autre part, le tiers créancier qui a recours à cette théorie doit être de bonne foi. Il s’agit de la croyance légitime qu’il avait au moment de contracter

67. Le tiers créancier doit être animé de la croyance ferme à l’apparence extérieure de la situation dans laquelle étaient les parties,

bien qu’elle corresponde à une représentation erronée de la réalité. Mais, la seule erreur ne suffit pas pour être constitutive de bonne foi, encore faut il qu’elle soit légitime, c'est-à-dire qu’elle n’ait pas pu être évitée par son auteur. En définitive, la bonne foi réside dans le fait que l’auteur de cette croyance n’est pas en mesure d’accéder d’une manière ou d’une autre à la réalité. C’est ainsi que certains personnages peuvent se trouver ainsi enfermés dans un piège, celui de l’assistance apportée par une personne, dans l’exercice de sa profession, aux associés de société. C’est pour cette raison que le banquier a suscité à lui seul en France un abondant contentieux.

68

L’hypothèse dans laquelle le banquier du débiteur en faillite est contraint par les créanciers de participer au remboursement de ses dettes lorsque ceux-ci arguent de son immixtion dans la gestion de l’entreprise en liquidation pour justifier sa qualité d’associé de fait, n’est pas une hypothèse d’école elle est assez courante. Le banquier est- il un simple prêteur de fonds ou est il devenu associé de fait ? La jurisprudence française a répondu à cette question de façon générale il y a société créée de fait lorsque le banquier « a subordonné le

maintien ou le renouvellement d’une avance à une modification dans la gestion de l’entreprise de son client »69

, c’est également le cas lorsqu’ un prêt permet une prise de contrôle directe d’une société, il est alors considéré comme un investissement par les tribunaux

70.

64 Voir à ce propos L. LEVENEUR, Situations de fait et droit privé, Thèse , Paris, LGDJ, 1988. L’auteur a recensé dans sa thèse , les différentes situations de faits qui mettent en scène ce rapport. 65 Qui dans bien des cas , il faut le reconnaître est plus organisée que réelle. 66 D’ autres moyens comme la responsabilité civile en vue d’obtenir des dommages et intérêts, du contrat de travail ou de l’enrichissement sans cause, sont beaucoup moins aisés à mettre en pratique car ils supposent les aléas d’une action judiciaire dont les plaideurs ne sont pas certains de sortir vainqueurs. Or cet aléa dans le contentieux de la société créée de fait est moins marqué en raison de l’automatisme de l’application de la règle de droit revendiquée dès lors que la qualification sociale a été retenue. 67 FAGES ( B) , Le comportement du contractant, Thèse P U AIX- Marseille, 1997 68 MORIN ( G) La sécurité des tiers dans les transactions immobilières, Ann. Fac. Aix, t.2. DE JUGLART ( M) et DEBOISSY ( F), Cours de droit commercial , Les sociétés commerciales , éditions Montchrestien , 8er édition, 1988. COZIAN ( M) , VIANDIER ( A) et DEBOISSY ( F)- Droit des sociétés, Litec, 14er édition, 2001. 69 Y. Guyon , Droit des affaires, T. I, Droit commercial général et société n ° 126 et s. 70 Cass. Com., 29 février 1994, JCP. 1994 , VI 1450 ; Rev. Sociétés 1994, p.467, note Pariente.

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En revanche, la qualification de société créée de fait est rejetée lorsque les initiatives du banquier s’inscrivent dans l’exécution des prêts consentis sans jamais qu’il y ait de confusion entre ses propres intérêt et ceux du client débiteur

71 .

Classiquement, la société créée de fait disparaît de façon simultanée à sa révélation. Cette issue tragique à la révélation doit elle être considérée comme inéluctable dans le contexte particulier africain ?

2- La liquidation de la société créée de fait une issue fatale ?

La constance avec laquelle la jurisprudence lie la qualification de la société créée de fait à sa liquidation à de quoi surprendre. De fait il est difficile de relever ne serait ce qu’une seule décision ne prononçant pas la liquidation après avoir procédé à la qualification de la société créée de fait. Le scénario est à chaque fois identique. Toutes les fois qu’une société créée de fait est constatée la liquidation du boni est prononcée. Cela a été aussi le cas dans l’espèce rapportée.

Dans la jurisprudence française la société créée de fait disparaît de façon concomitante à sa révélation

72. Son existence est établie en effet,

soit pour liquider les rapports des associés qui cessent leur coopération73

, soit pour désintéresser le tiers créancier qui demande l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à l’encontre des associés de fait

74.

Les caractéristiques de la société créée de fait telles qu’elles se présentent dans la jurisprudence française rendent impossible l’application de l’analyse aux activités informelles ou semi- informelles en Afrique. Cette impossibilité se manifeste principalement, à notre sens, par l’absence de survie de la société créée de fait après sa révélation. Or nous pensons que le juge africain devrait répugner à prononcer la dissolution d’un « entité morale » pour ne pas anéantir le tissu économique local. Le sauvetage théorique de la société créée de fait suppose donc, pour le juge africain, un travail sur la recherche des possibilités de la doter d’une existence juridique postérieure à sa révélation. Dans tous les cas où ce maintien est possible et que les protagonistes le souhaitent.

Cette recherche peut- elle aller jusqu’à aboutir à une régularisation ou officialisation judiciaire de la situation informelle ? Nous le souhaitons, car nulle part dans les articles de l’AUDSCGIE consacrés à la société créée de fait, le législateur africain ne semble faire de la liquidation de ladite société l’issue fatale de l’opération de caractérisation. Il se contente juste de dire notamment dans l’article 868 de l’AUDSCGIE « Lorsque l’existence d’une société de fait est reconnue par le jug , les règles de la société en nom collectif sont applicables aux associés ». La systématisation de la liquidation est en conséquence une œuvre purement prétorienne du juge. Toutefois, une telle automaticité est surprenante et à bien des égards peut être fâcheuse. La liquidation systématique des sociétés créées de fait serait particulièrement destructrice pour le tissu économique africain.

La liquidation s’entend juridiquement de l’ensemble des opérations préliminaires au partage d’une indivision quelle qu’en soit l’origine, succession ou dissolution de société. Elle consiste à payer le passif sur les éléments d’actifs, à convertir en argent liquide tout ou partie de ces éléments afin que le partage puisse être effectué. Ainsi la liquidation renvoie à une opération de conversion en liquidités à des fins de partage. Au sens strict du droit des sociétés, la liquidation est la conséquence d’une dissolution ou d’une annulation et consiste en une succession d’opération tendant vers un unique but, la disparition définitive de la personne morale.

Militer pour le maintient de l’activité économique de la société créée de fait suppose d’abord de procéder à une clarification. Il y a des causes de dissolutions volontaires et naturelles

75. Ces types de causes objectives portent virtuellement en elles certains événements de

nature à rendre impossible le maintien du lien social. Tel est par exemple, le cas de l’espèce rapportée où l’un des associés de fait décède entraînant ainsi l’extinction du pacte social. C’est aussi le cas lorsque le recours est le fait d’une personne qui se prétend associé de fait, le maintien de l’activité n’a pas de sens car le « pacte social » se trouve fragilisé. La mésentente entre les associés ébranle l’une des composantes essentielles du contrat social : l’affectio

societatis. Il serait en effet, illusoire de maintenir une société contre la volonté des associés. En revanche, lorsque l’action tendant à la reconnaissance de l’existence d’une société créée de fait émane d’un tiers intéressé. Il paraît choquant de systématiser la liquidation alors même qu’ il existe des moyens moins radicaux de désintéresser le créancier. La créance peut simplement être prise en compte dans le passif de la société et permettre ainsi d’engager la responsabilité des associés le plus largement possible ; sans qu’il soit besoin de procéder à la liquidation. Le recours par un des associés de fait est un signe tangible d’une mésintelligence entre associés de nature à paralyser le bon fonctionnement social. Tandis que, la liquidation suite à l’intervention d’un tiers créancier est pour le moins surprenante puisqu’ à l’évidence elle ne fait pas suite à un trouble du pacte social et n’ébranle aucun des éléments matériels du contrat social.

71 Cass. com., 5juin 1993, arrêt n° 1119 D. 72 Y. Guyon , op. cit. 73 CANIN( P) , La mésentente entre associés, cause de dissolution judiciaire anticipée des sociétés, Dr . Sociétés 1988, p 4. 74 CABRILLAC ( M) et VIVANT ( M) , Faillite, règlement judiciaire, liquidation des biens, suspension provisoire des poursuites. 75 Il s’agit de la survenance d’un terme, de l’extinction de l’objet social, une disparition volontaire décidée par les associés eux-mêmes etc.

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La société créée de fait ne naît pas avec le litige, elle apparaît brutalement au cœur du procès. Il peut également lui survivre. Il nous paraît extrêmement critiquable que les juges la placent de facto en marge du droit commun en ne recherchant pas les véritables moyens de sa survie. Il n’est point besoin de rappeler l’absence de toute intervention juridique dans le processus atypique de formation de la société créée de fait, n’obéissant qu’à un ordre informel. En effet l’AUDSCGIE n’édicte aucune règle relative à la constitution de la société créée de fait de nature en cas d’inobservation, à entraîner sa nullité et sa liquidation.

Les sociétés créées de fait émergent sans avoir à respecter l’ombre d’une règle juridique, aucun formalisme, aucune négociation entre les parties, aucune publicité à l’égard des tiers ; uniquement des relations humaines désordonnées qui emportent de lourdes conséquences juridiques seulement par leur existence. Il semble donc que la jurisprudence africaine ne devrait pas imposer le triomphe de la liquidation. Il appartient à la CCJA de fixer ce travail de caractérisation, car la flexibilité de cette notion donne à penser, en tout cas à espérer que la jurisprudence africaine peut et doit se démarquer de la jurisprudence française.

Le refus de renouvellement pour « motif grave et légitime » à l’encontre du locataire sortant (OHADA)

Note sous Arrêt Cour d’appel de Dakar (Chambre civile et commerciale) 07/04/2005, n° 384, Mme Antoinette

LECOINTRE c/ Mr Mamadou WOURY DIALLO

Bakary DIALLO

Docteur en droit privé

Juriste Collaborateur Externe

Jurifis Consult Le refus de renouvellement pour "motif grave et légitime" à l'encontre du locataire sortant, de l'article 95 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général demeure l'hypothèse la plus fréquente de refus sans indemnité d'éviction ; mais sa mise en œuvre semble être contrariée par la règle de la mise en demeure préalable imposée par le législateur. A cet égard, l'arrêt ci - dessus reproduit n'est pas sans intérêt théorique. Manifestement, par l’espèce rapportée (arrêt inédit, rendu par la chambre civile et commerciale de la Cour d’appel de Dakar le 7 avril 2005), la juridiction d’appel sénégalaise entend tirer toutes les conséquences des dispositions édictées par l’article 95 de l’Acte uniforme. Mais, jusqu'à quel point cette position est-elle défendable ? Un bailleur (Mr Mamadou WOURY DIALLO) avait délivré un congé avec refus de renouvellement sans offre de paiement de l’indemnité d’éviction à son locataire (Mme Antoinette LECOINTRE) et soutenait qu’il était sous l’empire de l’article 95 de l’ AUDCG qui autorise le bailleur à ne pas payer d’indemnité d’éviction en cas de motif grave et légitime du preneur. Il reprochait principalement au preneur d’avoir sous- loué les locaux sans son autorisation en violation de l’article 89 de l’AUDCG. Les premiers juges avaient estimé que la sous- location sans autorisation du bailleur rentrait dans la définition du motif grave et légitime et qu’il y avait lieu de faire échec à la demande de paiement de l’indemnité d’éviction du locataire. Mais, faisant une application littérale de l’article 95 de l’Acte uniforme, la cour d’appel considère qu’il ne suffit pas que le locataire ait commis des fautes graves ; encore faut-il qu’il n’ait pas régularisé deux mois après l’envoi d’une mise en demeure le sommant de se mettre en conformité avec les stipulations du bail. En effet, l’exigence d’une mise en demeure préalable a été introduite, à l’article 95 de l’AUDCG dans les termes suivants : « … ce motif ne

pourra être invoqué que si les faits se sont poursuivis ou renouvelés plus de deux mois après la mise en demeure du bailleur, par acte

extrajudiciaire, d’avoir à les faire cesser.. ». Cette disposition est particulièrement favorable au locataire, exonéré des fautes qu’il a pu commettre s’il met fin au manquement dans les deux mois qui suivent. C’est donc à une interprétation littérale de l’article 95 de l’A U que s’attache la cour d’appel qui aboutit à une infirmation partielle du jugement rendu par le Tribunal Régional de Dakar le 17 avril 2001. Mais, cet arrêt peut laisser perplexe. Dans nombre d’hypothèses, il parait admis, en effet, que la notification préalable de la mise en demeure ne soit pas requise. Précisément, parmi ces hypothèses, la sous-location sans autorisation du bailleur revient le plus souvent comme le prototype de situation irréversible conduisant à rendre inutile la mise en demeure.

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En supposant, effectivement, qu’une telle initiative ait été prise en l’espèce par le bailleur en temps opportun, et ce à l’encontre du locataire, aurait-il pu aboutir à régulariser l’infraction qui est définitivement réalisée ? Prise à la lettre, cette motivation est pour le moins curieuse. En quoi la signification d’une mise en demeure aurait-elle était déterminante ? L’infraction de la sous- location sans agrément et du défaut d'information du bailleur par le locataire principal ayant déjà été commise. Pour l’essentiel, on retiendra qu’un manquement grave du locataire a pour conséquence le refus de renouvellement du bail sans indemnité d’éviction (I). Mais cette faculté est soumise à un formalisme certain (II).

I - LA SANCTION D’UN MANQUEMENT GRAVE DU LOCATAIRE.

Le bailleur est en droit de refuser le renouvellement du bail sans indemnité d’éviction du locataire lorsque ce dernier a commis des manquements graves. Il en est ainsi en cas de sous- location (A) qui de ce fait doit être distinguée de la location- gérance (B). A- La sous- location un motif grave et légitime.

La sous- location, c’est l’opération par laquelle le locataire principal consent un sous- contrat à un tiers sur tout ou partie des locaux. Cette opération suscite, a priori, la méfiance du législateur car elle pourrait constituer un acte de spéculation effectué par un commerçant qui n’exploite plus le fonds de commerce. C’est pourquoi, l’article 89 de l’Acte uniforme pose le principe de l’interdiction de sous - louer. Cette prohibition n’est, toutefois, pas absolue. En effet, les cocontractants peuvent convenir dans le contrat de bail cette possibilité. La faculté de sous - louer peut figurer dans le bail ou faire l’objet d’un accord ultérieur, donné au moment de l’acte de sous -location ou de manière indépendante. Rien dans l’espèce rapportée ne semble indiquer que l’on est dans ce cas de figure. Le strict respect de l’article 89 de l’A U justifierait l’accomplissement d’une formalité tendant à porter à la connaissance du bailleur « par tout moyen écrit » pour l’informer de l’intention de sous- louer. Le preneur doit apporter la preuve d’actes positifs manifestant, sans ambiguïté, la volonté du bailleur d’agréer le sous- locataire. Admis à s’exonérer de l’indemnité d’éviction par l’article 95 de l’ AUDCG s’il « justifie » d’un motif « grave et légitime », le bailleur, lui, doit apporter la preuve du motif invoqué dans le congé et de son caractère de gravité. Mais un seul motif suffit puisque le texte emploie le singulier. L’article 95 de l’AUDCG prend la peine de définir la notion de « motif grave et légitime » qui doit consister « soit dans l’inexécution par le locataire d’une obligation substantielle du bail, soit encore dans la cessation de l’exploitation du fonds de commerce. ». On pourrait en déduire que le motif grave et légitime doit porter sur une faute contractuelle matérialisant la violation du contrat. Mais, l’infraction peut consister en un acte suffisamment grave et imputable au preneur à condition de se rattacher par un lien étroit avec l’exécution du bail commercial. Dans l’espèce analysée le bailleur fait état d’une sous- location effectuée sans son autorisation en totale violation de l’article 89 de l’Acte uniforme. Donc de la violation d’une interdiction légale de sous- location et de l’inexécution de l’obligation d’information qui incombe au preneur. Pour tenter de s’expier de ces difficultés, le locataire qualifie cette opération de location gérance. Qu’en est-il réellement ? B- Location- gérance ou sous- location ?

A vrai dire, il n'est pas surprenant que le locataire principal, pour éluder une interdiction de sous- louer, tente de dissimuler une sous- location illicite sous un contrat d’appellation différente et notamment une location - gérance. La location gérance doit soigneusement être distinguée de la sous- location. Il est d’autant nécessaire de bien distinguer les deux types de contrats que l’un et l’autre sont soumis, chacun en ce qui le concerne à des législations spécifiques qui poursuivent des finalités et sont animées de logiques différentes. Notamment la législation des baux commerciaux cherche à assurer au locataire une stabilité du lien contractuel, ce qui n’est absolument pas le cas du droit de la location - gérance qui admet le caractère temporaire ou transitoire de la relation, et donc ne reconnaît aucun droit au renouvellement au locataire -gérant. La location - gérance, encore appelée parfois gérance libre (par opposition à la gérance salariée) est définie comme « une convention par

laquelle le propriétaire du fonds de commerce en concède la location à un gérant qui l’exploite à ses risques et périls » article 106 al.3 de l’AUDCG. Le contrat porte sur le fonds, universalité incorporelle et non sur les locaux dans lesquels le fonds loué est exploité. Si bien que, la location gérance porte sur un fonds de commerce, bien meuble incorporel, alors que le sous- bail porte sur un immeuble dans lequel le fonds est exploité. Reste que, pour qu’il ait location- gérance il faut que le contrat ait bien porté sur le fonds, et non sur la seule mise à disposition du local par celui qui en dispose aux termes d’un bail commercial. Ce qui compte ici, c’est la réalité des relations qui se nouent entre les parties et non pas les clauses abstraites, parfois volontairement ambiguës de l’instrumentum. L’objectif pour le locataire est de faire échec aux clauses du bail commercial qui, le plus souvent, interdisent la simple sous -location ou plus exactement est prohibée par le législateur OHADA sauf stipulation contraire du contrat. C’est évidement au bailleur qu’il revient d’apporter la preuve d’une telle simulation.

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Néanmoins, la démonstration est relativement aisée. Car le juge peut s’appuyer en l’espèce sur la présomption selon laquelle toute occupation de l’immeuble loué par un tiers moyennant une contrepartie s’analyse comme une sous-location. Le bailleur pourra se contenter d’établir ces éléments pour obtenir la requalification. Les faits de l’espèce tels que rapportés ne nous permettent pas de pousser plus loin l’analyse, mais, en la matière l’appréciation souveraine des juges du fonds fait la loi. Ce n’est pas parce que les parties ont expressément intitulé leur convention « contrat de location gérance » que les tribunaux n’ont pas le pouvoir de requalifier celle-ci en contrat de sous- location

76.

Dans le cas en espèce, ni le Tribunal Régional ni la Cour d’appel n’a retenu la qualification de location gérance à la place de la sous location. L’argument du preneur était, en effet, irrecevable. Le propriétaire qui fait la preuve, par tous moyens de l’existence d’une véritable sous- location peut obtenir le refus de renouvellement sans paiement d’indemnité d’éviction. Mais, dans tous les cas, ce refus obéit à un formalisme certain, qui participe au besoin de protection de la propriété commerciale. Ainsi, à peine de nullité le congé pour refus de renouvellement doit être précédé d’une mise en demeure

II- L’OBLIGATION DE PRINCIPE DE PROCEDER A UNE MISE DEMEURE.

Il ne suffit pas que le locataire ait commis une faute grave, encore faut-il qu’il n’ait pas régularisé après l’envoi d’une mise en demeure le sommant de se mettre en conformité avec les stipulations du bail (A). Sinon il s’exposera au paiement de l’indemnité d’éviction (B). A- Sanction du manquement étroitement encadrée: la nécessité d'une mise en demeure.

Il est apparu aux yeux de la cour d’appel qui a infirmé sur ce point le jugement du Tribunal régional hors classe de Dakar que l’obligation de mise en demeure est un formalisme à peine de nullité. Car elle estime « malvenu » - pour un bailleur se prévalant d’un motif grave et légitime qui n’a pas procédé à une mise en demeure « de refuser le paiement de l’indemnité d’éviction ». L’article 95 de l’AUDCG impose, en effet, ce formalisme de mise en demeure comme une mesure de protection qui conditionne l’invocation de ce motif grave et légitime par la réalisation de cet acte extrajudiciaire. En d'autres termes, le bailleur ne pourra se prévaloir de « l’infraction » que si elle s’est poursuivie ou renouvelée plus de deux mois après la mise en demeure d’avoir à la faire cesser. Ainsi, c’est l’absence de régularisation après mise en demeure qui cristallise la faute, et ferme le refus de renouvellement sans indemnité d’éviction. Cette règle sévère pour le bailleur exprime la volonté très claire du législateur de protéger le commerçant contre les conséquences du refus de renouvellement du bailleur, le droit au bail étant le véritable substratum de la propriété commerciale. En effet, que l’immeuble loué dans lequel il exerce son activité ait de l’importance pour le commerçant, rien n’est plus certain. Que le refus de renouvellement du bail entraîne une perte de la clientèle, élément essentiel du fonds de commerce, et par là, porte atteinte à l’existence même du fonds, cela ne fait aucun doute. Dans le cas en espèce la cour d’appel consacre l’impossibilité de se prévaloir du motif grave et légitime en l’absence de mise en demeure. La cour d’appel tire toutes les conséquences des exigences de l’article 95 de l’Acte uniforme. Le bailleur n’est pas en droit de se prévaloir des manquements commis, et devra payer l’indemnité d’éviction s’il refuse le renouvellement du bail, ou, à défaut, le paiement de l’indemnité d’éviction, tant que le locataire peut mettre fin au manquement constaté. Le refus de renouvellement pour motif grave et légitime suppose qu’une mise en demeure ait été notifiée pour que l’infraction invoquée cessât. Dans le cas particulier, faute pour le bailleur d’avoir procédé à cette formalité la cour d’appel rappelle comme une évidence l’obligation de paiement de l’indemnité d’éviction qui doit réparer le préjudice causé par le refus. Le locataire n’a pas obtenu le renouvellement de son bail, mais, il doit recevoir une somme qui le remplit de son droit de manière équivalente. La mesure du préjudice est le fonds de commerce lui- même, et, accessoirement, la valeur du droit au bail. La motivation des juges d’appel montre que la protection va au fonds, et non directement à la personne du locataire. Le statut se veut très protecteur des intérêts du locataire sans ignorer ceux du bailleur. L’indemnité de remplacement, qui doit être égale à la valeur marchande du fonds de commerce, est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond. C’est ce qui ressort des termes de l’article 94 al.2 de l’ AUDCG « À défaut d’accord sur le montant de cette indemnité, celle-ci est fixée par la juridiction compétente en tenant compte notamment du montant du chiffre d’affaire, des investissement réalisés par le preneur, et de la situation géographique du local. » Le juge recherchera la valeur du fonds de commerce comme s’il devait être vendu, selon les usages de la profession considérée.

76 Cass 3 ° civ. 23mai 1995 Bull. civ.III n° 53.

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Pour ce faire, il tient habituellement compte du chiffre d’affaires et des bénéfices réalisés par le locataire, tels qu’ils résultent des déclarations fiscales, si bien qu’en cas de fraude, le locataire sera pénalisé. En l’espèce le preneur soutenait que le montant de son chiffre d’affaires s’élevait à 67.000.000 CFA, sans en apporter la preuve. Les juges d’appel ne lui accorderont finalement que 5.000.000 CFA. Toutefois, se pose, de manière latente, la question de savoir si l’exigence d’une mise en demeure préalable est utile lorsque le dommage est définitivement réalisé. Comme cela semble être le cas pour une sous- location sans autorisation du bailleur. B- La neutralisation de l’obligation de procéder à la mise demeure.

En vertu de l’article 95 de l’AUDCG lorsque le preneur a commis une infraction au bail, le bailleur refusant de renouveler le contrat sans paiement d’indemnité doit au préalable et par acte d’huissier, mettre en demeure son cocontractant. Et ce n’est qu’en cas de persistance ou de renouvellement de l’infraction plus de deux mois après cette mise en demeure que la rupture sera consommée. Sur l’appréciation et l’application d’un motif grave et légitime malgré la définition donnée par le législateur les tribunaux devraient garder toute leur liberté d’appréciation. Bien que, les fautes contractuelles ne fassent l’objet d’aucune distinction par le législateur, il y a lieu de considérer différemment les infractions à caractère instantané, des infractions de nature continue. Dans les cas d’infractions instantanées on estime que la mise en demeure est inutile car la situation créée est irréversible : l’omission d’appeler le bailleur à concourir à l’acte de sous- location

77 ou le défaut de formalité préalable à la cession du bail

78. Ces infractions sont

définitivement commises et leurs conséquences ne sont plus susceptibles d’être réparées par le locataire. Tandis que dans les cas d’infractions continues, telles que le non- paiement des loyers, l’inexécution de l’obligation d’entretien, l’absence provisoire d’exploitation, le non respect de la destination des lieux il est normal en revanche de se montrer strict : la mise en demeure préalable est obligatoire et doit se conformer aux prescriptions de l’article 95 de l’AUDCG. Le refus de renouvellement suppose, en effet, que le grief reproché au locataire se soit renouvelé plus de deux mois après la mise en demeure. Si le preneur a mis fin à l’infraction dans le délai, le bailleur ne peut plus invoquer le motif sans une nouvelle mise en demeure, même en cas d’infraction répétitive, tels des retards réitérés dans le paiement des loyers. Lorsque, à l’inverse, le preneur ne s’est pas exécuté, le bailleur bénéficie du droit de mettre fin aux relations contractuelles sous réserve de l’appréciation du juge. Lorsque la faute du locataire crée une situation irréversible comme en l’espèce la sous- location sans autorisation du bailleur qui est l’exemple type

79, celle-ci n’est susceptible d’aucune régularisation, la mise en demeure ne paraît pas nécessaire, la régularisation étant

impossible. La jurisprudence française fait d’ailleurs largement application de cette théorie dite des infractions irréversibles pour limiter l’exigence de la mise en demeure

80. A cet égard l’un des arrêts de la cour de cassation retenant nettement cette théorie est particulièrement révélateur

puisque dans son attendu la cour précise « il n’est pas possible pour le preneur de réparer les conséquences et les effets de son infraction »81

. Ainsi à chaque fois qu’une tentative de réparer l’infraction sera vaine, celle-ci étant irréversible ou instantanée, le bailleur se verra dispensé de l’obligation de mise en demeure. La jurisprudence doit rester purement casuistique sur ce point. Mais il faut que la faute soit suffisamment grave pour faire obstacle à la poursuite des relations contractuelles. A l’encontre du locataire principal qui aurait consenti une sous- location interdite, sans solliciter l’autorisation du bailleur devrait s’appliquer la sanction du refus de renouvellement pour motif grave et légitime, sans nécessairement recourir à la formalité de mise en demeure. L’infraction commise par le locataire ne pouvait être réparée ; la mise en demeure préalable au congé était inutile. On peut se demander si sur ce point précis l’arrêt de la cour d’appel ne serait pas voué à la censure de la CCJA si celle-ci avait été saisie dans une procédure de pourvoi en cassation. Dans tous les cas d’infractions irréversibles, une mise en demeure serait fatalement inutile, aucune mise en demeure ne pouvant produire d’effets, le dommage étant définitivement réalisé. Qui plus est, la faute du locataire en l’espèce est double : d’abord il s’est comporté comme s’il était le propriétaire et à donner lui- même en location les locaux pris à bail à un tiers sans aviser le véritable propriétaire des lieux ; ensuite il s’est livré à une spéculation en triplant le montant du loyer pour son seul bénéfice (un loyer de 310.000 fca alors que le bail principal n’était que de 90.000 fca). A ce propos, on pourra ajouter que le bailleur découvrant l’existence d’une sous- location aurait pu en sus du refus de renouvellement sans indemnité demander et obtenir un dédommagement financier (par le biais d’une action judiciaire en révision du loyer). Cette action pouvant s’exercer concomitamment sans préjudice de l’action en non renouvellement.

77 Civ.3 ; 2 novembre 1982, Bull. civ. III n° 210, Rev. Loyers 1983, p.45. 78 Civ.3 13 décembre 1973, Bull. civ.III n° 112. 79 Voir en droit français Civ. 3, 13 mars 1991, Loyer et copr. 1991, n° 343, obs. Ph.- H. BRAULT.Civ. 3, 29 nov. 1995, RDI 1996, p. 624, obs. J. DERRUPE; Civ; 3, 9 juill. 2003, D, 2003, p. 2239, obs. Y. ROUDET . 80 Voir Cour d’appel. Paris 10 juillet 1990, Loyers et copr. 1990 n° 479. 81Civ.3 13 mars 1991, Rev. loyers 1991, p.283. Rev. Loyers 1991, p.283, JCP 1991 , éd .N.I,n° 2059, p.641, obs. MONEGER).

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Quoi qu’il en soit, cet arrêt de la cour d’appel de Dakar qui opte pour une interprétation littérale de l’article 95 de l’AUDCG est assez critiquable. Mais, il ne s’agit là qu’un arrêt d’une cour d’appel, ayant toute l’allure d’une solution d’espèce. Reste à savoir si pour l’avenir la CCJA compte désavouer cette position des juges du fond. Et faire sienne la théorie des infractions irréversibles. Néanmoins, les praticiens seraient bien inspirés pour l’heure de délivrer systématiquement une mise en demeure, s’ils entendent se prévaloir d’un motif grave et légitime de refus de renouvellement, même - et peut être surtout- si cette mise en demeure est vouée à rester lettre morte.

Nul n’ignore que le tiers saisi qui ne donne pas sur le champ les renseignements que la loi lui fait obligation de

fournir au créancier saisissant, s’expose à être déclaré comme garant du débiteur

Note sous Arrêt CCJA 27/01/2005, n° 09/2005, Sté AFROCOM –CI c/ CITIBANK

Bakary DIALLO

Docteur en droit privé

Juriste Collaborateur Externe

Jurifis Consult

Nul n’ignore que le tiers – saisi qui ne donne pas sur- le champ les renseignements que la loi lui fait obligation de fournir au créancier saisissant, s’expose à être déclaré comme garant du débiteur. Mais, tout le problème parfois réside dans l’identification de ce tiers – saisi, la discussion autour de cette notion ne peut pas être vaine. L’arrêt rapporté permet l’occasion d’utiles précisions sur la notion de tiers- saisi dans une procédure de saisie- attribution

82 de créances et

de la nature et l’étendue de la sanction encourue en cas de défaillance de l’obligation de déclaration instituée par l’art. 156 de l’AUPRSRVE. En la circonstance, une banque (CITIBANK) se voyait reprocher d’avoir émis une déclaration « inexacte » en tant que tiers- saisi. En effet, la CITIBANK avait adressé un document au créancier saisissant (la Société AFROCOM) « aux fins de rectification de déclaration » pour lui signifier qu’il y avait erreur sur l’identité du titulaire du compte saisi ; et que Monsieur D N, le véritable débiteur, ne détenait pas de comptes courants dans ses livres. Sur le fondement de l’article 156 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE), le créancier prétendait malgré tout, obtenir la condamnation de la banque au paiement des causes de la saisie pour manquement à son obligation de renseignement. La réponse est venue d’elle-même. En appel puis devant la haute cour communautaire : dès lors qu’une erreur a été commise de bonne foi par le banquier sur l’identité du débiteur vis-à-vis de qui il n’a aucune obligation, il ne peut pas être condamné à garantir les causes de la saisie, parce qu’il ne peut tout simplement pas être qualifié de tiers- saisi. Il faut compter avec les homonymies

83 trompeuses

84 dont le présent arrêt nous offre un aperçu. On ne peut pas tolérer, en effet, que des

poursuites soient engagées à l’encontre d’une personne autre que celle qui est formellement visée dans le titre exécutoire. Le juge d’appel qui a eu à connaître de cette affaire n’a pas été dupe de cette confusion et a infirmé le jugement rendu par le Tribunal de première instance d’Abidjan qui a condamné la Citibank en tant que tiers – saisi au paiement des causes de la saisie. Et à juste raison semble –t-il puisque la CCJA ne l’a pas désapprouvé. La saisie – attribution confère, il est vrai, au créancier saisissant toutes les prérogatives d’un créancier direct du tiers saisi. Il lui appartient donc de mettre en œuvre tous les droits dont il dispose pour vaincre la résistance du tiers - saisi. De là, la nécessité de préciser qui peut juridiquement avoir cette qualité. C’est cette qualification juridique que la CCJA refuse de reconnaître à la banque dans l’arrêt commenté. Autant il peut sembler normal de sanctionner un tiers dans son refus de collaborer aux procédures d’exécution qui sont une partie intégrante au cours de la justice.

82 Contrairement à la saisie- arrêt, la saisie- attribution est réservée aux créanciers, munis d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible (art. 153). Cette disposition fait de la saisie- attribution une saisie à fin d’exécution, différente de la saisie – arrêt qui avait une nature hybride. La saisie – attribution ne porte que sur des créances de sommes d’argent, à l’exclusion des créances de livraison de meubles corporels. 83 En Afrique le nom véhicule un sens ethnoculturel profond. Le nom est un signe d’appartenance à un clan à une ethnie de sorte qu’il n’est pas rare de voir dans une même famille élargie plusieurs personnes portant le même nom et prénom. 84 Le nom n’est pas selon nous, un élément d’identification suffisant dans le contexte africain.

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Autant, certaines formes de responsabilités automatiques et forfaitaires peuvent conduire à des résultats excessifs et injustes. C’est ainsi que l’article 156 de l’AUPSRVE qui impose au tiers- saisi de faire « sur le champ à l’huissier une déclaration sur l’étendue de ses obligations à

l’égard du débiteur » peut générer des abus en faisant de lui un coobligé accessoire. La solution de cet arrêt est heureuse dans cette perspective, puisque la CCJA évite en quelque sorte cette perversion. Les dispositions sévères de l’article 156 de l’AUPSRVE ne sont pas applicables au défendeur au pourvoi, qui n’a pas la qualité de tiers -saisi, lorsqu’une erreur a été commise de bonne foi sur les identités par celui-ci. Le tiers- saisi est donc celui qui, au moment où la saisie est pratiquée, doit une somme d’argent au débiteur saisi. Reste qu’il serait utile pour l’analyse de s’interroger sur la notion de tiers- saisi (I) et sur la nature de la sanction encourue en cas d’inobservance de l’obligation de déclaration qui incombe au banquier ainsi sollicité (II).

I - LE TIERS -SAISI DANS LA SAISIE -ATTRIBUTION.

Il était tentant pour l’auteur du pourvoi d’obtenir du juge communautaire la qualification de la CITIBANK comme tiers- saisi (A), car cela aurait eu pour conséquence l’attribution directe de la créance poursuivie à son profit (B).

A- Le tiers- saisi est –il le débiteur du débiteur saisi ? De manière générale on peut convenir que le tiers est par définition celui qui n’est pas partie au contentieux qui oppose deux plaideurs. Cependant la notion de tiers recouvre des réalités fort différentes dans les procédures civiles d’exécution. En effet, certains tiers qui ne sont pas parties à la procédure stricto sensu peuvent y être impliqués parce que détenteurs de biens du débiteur ou redevables d’une créance du débiteur, ils seront visés par la mesure, car celle-ci sera pratiquée entre leurs mains. C’est le cas le plus souvent des banquiers. Il s’agit alors des tiers détenteurs ou de tiers- saisis. Ils sont un peu moins étrangers ou tiers véritables. Il n’est pas déraisonnable de faire peser sur eux une obligation de renseignement et de communication. L’un des obstacles aux voies d’exécution forcée est constitué, en effet, par la difficulté éprouvée par le créancier puis l’huissier de retrouver le débiteur et les circuits des richesses attachés à celui-ci. L’huissier porteur d’un titre tentera d’abord d’obtenir directement de l’administration fiscale l’adresse des organismes auprès desquels un compte est ouvert au non du débiteur. S’il obtient cette information il entreprend alors les diligences nécessaires aux fins de saisie. On reconnaît là, le caractère tripartite de cette voie d’exécution. Le tiers- saisi est bien malgré lui le troisième personnage à côté du créancier et de son débiteur saisi. Le créancier saisissant va « bloquer » une somme correspondant au montant de sa créance sur le débiteur saisi entre les mains du tiers- saisi. Tout se passe comme si la relation entre créancier saisissant et le tiers- saisi devenait plus importante dans sa construction juridique que la relation créancier/ débiteur, alors qu’elle ne devrait être que résiduelle. Il est vrai que pour le créancier la tentation est grande de trouver un moyen habile de faire du tiers- saisi sinon un débiteur bien plus solvable du moins le garant du débiteur saisi. Le tiers- saisi est « le débiteur du débiteur ». Cette définition courante

85 , veut dire que la qualification de tiers- saisi n’a de sens que lorsque

le débiteur saisi répond bien à l’identité de la personne qui détient une créance sur ce tiers. Ce qui en l’espèce n’était pas le cas car la banque dans sa déclaration rectificative avance l’argument décisif d’une erreur sur la personne .Le débiteur saisi n’avait pas de compte ouvert à la Citibank. Le juge communautaire relève en passant que l’auteur du pourvoi ne conteste d’ailleurs pas sérieusement que la Citibank n’est pas tiers- saisi au sens de l’article 156. Il a suffit alors à la banque de déclarer qu’elle n’était redevable d’aucune somme d’argent envers Monsieur D N le débiteur saisi pour qu’il cesse d’être un tiers- saisi pour être tiers au contentieux. La condition sine quo non pour qu’on puisse parler de tiers - saisi, c’est donc la réalité d’une créance du débiteur saisi sur un tiers (employeur, banque etc.) Il est de la nature même de la procédure de saisie- attribution qu’elle ne soit exercée qu’à l’encontre du débiteur et sur sa propre créance de sommes d’argent. Ce qui, d’ailleurs, conditionne les caractéristiques qu’ exige la loi dans le libellé de l’acte de saisie destinée à l’exercice des droits du créancier : titre exécutoire

86 ayant force exécutoire, détail de la créance exigible, provision pour les intérêts à échoir…

Le tiers- saisi doit limiter sa déclaration à l’huissier à l’étendue de ses obligations. La déclaration n’a d’intérêt que lorsqu’elle commence par une reconnaissance de l’existence d’une créance au profit du saisi. Elle est alors destinée à faire connaître au saisissant l’étendue de la créance.

85 Roland TENDLER, Les voies d’exécution, coll Université Droit, ed ellipses. 1998. Serge GUINCHARD et Tony MOUSSA, Droit et Pratique des voies d’exécution. Dalloz Action 2004 /2005. 86 Sur l’exigence d’un titre exécutoire, un juge – Abidjan, Civ. et com., n° 441, 4 avril 2000 – a considéré qu’il n’existait, pas en la cause, de titre exécutoire pour non respect des formalités de l’article 81- 26, alinéa 2, du Code du travail qui prévoit les conditions dans lesquelles un jugement social acquiert l’autorité de la chose jugée. Dans le même sens est, Abidjan, Civ, n° 226, 15 février 2000 ; est nulle la saisie- attribution pratiquée pour défaut de titre exécutoire et doit être ordonnée la mainlevée de la dite saisie.

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Visiblement, dans le cas qui nous occupe, cette créance était inexistante. Monsieur D N le débiteur saisi n’était pas un client de la Citibank. Et ce fait était incontesté par le créancier saisissant. Cela seul suffit à le disqualifier de sa qualité de tiers- saisi selon la CCJA. B- Comment s’opère l’effet attributif ?

L’attribution de la créance saisie au créancier saisissant n’est guère que la première étape de la saisie- attribution. Comme toute saisie elle ne s’achève que par le paiement par le tiers- saisi. Dans un premier temps, le créancier est investi du droit du débiteur à l’encontre du tiers saisi et devient créancier de ce dernier. Cette attribution suffit à le protéger contre les autres créanciers. Mais, comme tout créancier il voudra se faire payer par le tiers- saisi. Par hypothèse les saisies pratiquées auprès de tiers- saisis (une banque en l’occurrence dans le cas d’espèce) sont une garantie de solvabilité. Mais, puisque tout débiteur du débiteur peut être tiers- saisi, on ne saurait être trop prudent de s’assurer toujours de cette solvabilité. Dans le seul cadre de l’action en paiement émanant du créancier contre le tiers- saisi, ce dernier n’est plus un tiers au contentieux, mais devient défenseur. L’article 154 de l’Acte uniforme contient des dispositions novatrices. En effet, dans la saisie – arrêt, traditionnelle, l’acte de saisie opérait simplement un blocage des fonds entre les mains du tiers, le transfert de propriété ne se produisait qu’avec le jugement ou l’ordonnance de validité. Actuellement, l’instance en validité n’est plus nécessaire pour le créancier qui, muni d’un exécutoire constatant l’existence de sa créance, signifie directement au tiers- saisi qui devient personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation (art.154) un acte de conversion de la saisie –arrêt en saisie- attribution informant

87 le tiers que la demande de versement des sommes saisies

– arrêtées par le créancier entraîne attribution immédiate à son profit. C’est cet effet essentiel qui justifie la nouvelle appellation. Les nouvelles dispositions prévoient un cantonnement automatique, contrairement au droit antérieur où le cantonnement était un incident de la saisie. Puisque la saisie- attribution opère immédiatement le transfert d’un patrimoine à un autre, cette période transitoire n’existe plus. Il en résulte pour le tiers – saisi qu’à concurrence des sommes réclamées, il a cessé d’être débiteur du débiteur saisi dès la signification de l’acte. Ici réside la seconde particularité de la réforme, dans le fait que la saisie de l’ AUPRSVE est limitée uniquement au montant exact des sommes pour lesquelles elle a été pratiquée ainsi que tous ses accessoires (art.77- 4 et 154) contrairement au système antérieur dans la plupart des Etats –parties qui bloquait toutes les créances du débiteur trouvées entre les mains d’un tiers, quelque modique que fût la créance cause de la saisie. Le souci est d’éviter de ruiner l’économie du débiteur. Ainsi, dès sa signification, la créance quitte, à due concurrence, le patrimoine du saisi, les créanciers de ce dernier ne peuvent plus prétendre à aucun droit sur elle, à moins naturellement que la saisie ne soit ultérieurement annulée.

II- LA SANCTION DE L’OBLIGATION DE DECLARATION.

La saisie- attribution des comptes bancaires révèle des difficultés spécifiques qu’il convient de souligner. En effet l’obligation faite au banquier de répondre sur le champ (A) est elle-même génératrice d’approximations voire d’erreurs assimilables à des motifs légitimes d’exonérations de responsabilités (B). A- L’obligation de répondre « sur le champ ». Le principe légal posé par le législateur OHADA est le reflet de l’obligation générale de concours et de renseignements de tous les tiers, lorsqu’ils en sont légalement requis. Mais pour le tiers- saisi, s’y ajoutent des obligations plus spécifiques sanctionnées, dans le principe de la condamnation possible, au paiement des causes de la saisie

88

Dès l’acte de saisie, en effet, le tiers- saisi doit en principe faire sa déclaration à l’huissier ou à l’agent d’exécution sur l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur. L’art. 156 réunit dans un seul acte l’ancienne obligation de renseignements à la charge du débiteur au moment de l’acte de saisie et la déclaration affirmative faite auparavant par le tiers au cours de l’instance en validité. L’article 156 de l’AU dispose que « le tiers saisi est tenu de déclarer au créancier l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur ainsi que

les modalités qui pourraient les affecter et, s’il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures… » En application de ce texte, le tiers, auquel l’acte de saisi a été régulièrement signifié, est tenu d’informer le saisissant de l’état de ses relations juridiques avec le débiteur au jour de la saisie : l’existence et l’étendue de son obligation à l’égard du débiteur, les modalités qui peuvent assortir cette dernière, ainsi que les opérations qui auraient pu l’affecter (saisie antérieure, cession de créance ou délégation…). Il doit également communiquer à l’huissier « copie des pièces justificatives »

89.

87 Informer signifie ici que le tiers- saisi n’a pas le droit de discuter cette conversion. Il doit s’exécuter contrairement à l’ancien système qui lui reconnaissait le droit de contester l’existence de la créance saisie- arrêtée. 88 Article 156 de l’AUPRSVE. 89 Idem

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En principe, la réponse doit être instantanée selon l’art 156 de l’AUPSRVE. C’est l’obligation de répondre « sur- le- champ »90

. L’exigence d’une réponse immédiate peut paraître rigoureuse. Mais pour le législateur il n’y a rien de choquant dans la formule puis qu’il part du principe que le tiers – saisi ne peut ignorer s’il est ou non débiteur. Plus spécialement dans le cas d’une banque comme la Citibank, il est toujours possible, l’informatique aidant, de connaître à tout instant l’état d’un compte. Et par mesure de précaution sûrement de la part du législateur on a estimé que, lorsqu’il s’agit par exemple du commerce de l’argent, cette instantanéité est d’autant plus nécessaire que les crédits sont choses volatiles et qu’il suffit d’un ordre de virement du débiteur saisi pour vider un compte largement approvisionné en un trait de raison. Et ainsi organiser son insolvabilité. Il reste que, dans certaines hypothèses, la fourniture des renseignements requis exige parfois pour le tiers – saisi des recherches plus ou moins complexes qui rendent difficile une réponse exacte « sur –le- champ ». C’est à ce genre de difficultés que la Citibank s’est trouvée confrontée dans le cas en espèce. Il est à craindre que certains créanciers cherchent à tirer profit de ce texte pour conjurer la solvabilité chancelante de leur débiteur en guettant la moindre défaillance du tiers – saisi pour faire dériver sur lui l’obligation à la dette et se ménager ainsi à bon compte un garant plus solide. La solution de ces difficultés se trouve dans une appréciation libérale des juges des causes exonératoires ou du motif légitime. Ce sont les juges de la Cour d’appel d’Abidjan qui ont considéré « l’erreur commise de bonne foi » comme cause exonératoire. Même si l’argument n’a pas été repris par la CCJA, qui s’est contentée de disqualifier la Citibank comme tiers- saisi, il n’est pas sans intérêt de le soulever. Car cette disqualification prend sa source dans cette cause. B- : Cause exonératoire : l’erreur de bonne foi.

A travers la solution de l’arrêt rapporté, on peut dire que pour le juge communautaire les sanctions édictées par l’art. 156 « Toute

déclaration inexacte, incomplète ou tardive expose le tiers saisi à être condamné au paiement des causes de la saisie, sans préjudice d’une

condamnation au paiement de dommages- intérêts. », sont dépourvues de tout automatisme. Dans chaque cas d’espèce, et si du moins la demande lui en est faite, il appartient au juge d’apprécier si le tiers- saisi qui a manqué aux obligations que lui impose la loi n’était pas en mesure de se prévaloir d’un motif légitime susceptible de le faire échapper à toute sanction. L’enjeu n’est pas négligeable. Il est impérieux de trouver un équilibre certain entre la nécessaire coopération du tiers – saisi , sans laquelle aucune saisie de créance n’est possible, et le fait qu’il n’est pas toujours facile de répondre dans l’instant à l’huissier de justice sans procéder d’abord à des recherches plus ou moins approfondies. S’il est en effet, légitime de sanctionner la mauvaise volonté et, surtout, la réponse dilatoire qui permet de faire disparaître les actifs du débiteur,- ce qui, on peut en convenir facilement, en des temps de monnaie électronique, ne présente pas de difficulté majeure- il ne faut pas non plus que les difficultés réelles que peut rencontrer le tiers- saisi conduisent à le transformer en garant du débiteur. Ce qui met à l’abri de la censure la décision de la Cour d’appel d’Abidjan objet du pourvoi qui a admis « l’erreur de bonne foi sur l’identité du

débiteur » comme cause exonératoire de responsabilité. Avec une grande sagesse selon nous, la CCJA ne l’a pas désapprouvé. Il est rare qu’un tiers- saisi puisse déclarer à l’instant avec exactitude, « l’étendue de ses obligations ». Dans le cas d’un établissement bancaire qui enregistre des opérations débitrices ou créditrices de manière successives, la déclaration est encore plus complexe parce que ces opérations ne s’inscrivent pas sur le compte en temps réel. Avant la saisie le débiteur a pu tirer des chèques présentés au paiement dont le montant n’a pas encore été débité sur le compte. Une période de liquidation est nécessaire pour connaître le solde exact au jour de la saisie, le solde apparent ne reflétant pas nécessairement la réalité

91 . Sans doute, les techniques informatiques ont –elles accéléré les

opérations de banque : on peut ainsi, connaître l’état de son compte en consultant un distributeur automatique de billets ou Internet ! Mais pour certaines opérations complexes, on ne peut pas échapper à la nécessité d’un délai. Vaut- il mieux alors, avoir « sur l’instant » une réponse imprécise qui serait annulée ou bien rectifiée ou affinée ultérieurement, au risque d’être considérée comme inexacte ou mensongère par comparaison avec celle recueillie à l’instant même de la signification ? C’est le risque semble –t-il qu’a couru la Citibank dans notre cas d’espèce. Et avec raison puisque le juge d’appel a reconnu qu’il a pu commettre « une erreur d’identification avec bonne foi ». On doit dès lors admettre que la suspicion est d’autant moins fondée que la banque ne disposait semble – t-il que d’un nom, et pour les personnes physiques l’adresse faute de pérennité n’étant généralement pas déterminante pour s’engager après une recherche plus ou moins sommaire sur la réalité, puis l’ampleur des sommes appartenant à son client. Au surplus si le prétendu tiers – saisi ne doit rien, ou ne connaît pas le débiteur, la réponse instantanée est facteur circonstanciel atténuant. Doit – on lire le texte comme de nature contraventionnelle ? C’est sur le champ, sauf motif légitime, et rien d’autre ; ou bien plutôt : sur-le- champ, si possible, et en tout cas à très bref délai ?

90 Selon l’art 156 de l’AUPRSVE le tiers- saisi est tenu de fournir sur le champ à l’huissier les renseignements. 91 Même ici, la réponse que fournit une banque à son client ne l’engage pas, au sens où elle ne constitue pas un engagement de lui devoir le solde créditeur indiqué. Seul l’arrêté de compte écrit constitue le document opposable. Encore que ce document s’accompagne habituellement de la mention sauf erreur ou omission ou réserves d’écritures en germe.

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Si l’on considère la position de l’arrêt commenté, on peut dire de façon générale que la garantie du tiers- saisi ne peut être mise en cause que sous certaines conditions :

- d’ abord, la garantie n’est due que si le tiers- saisi est tenu d’une obligation à l’égard du débiteur saisi ; s’il n’est tenu de rien, une négligence de sa part pourrait sans doute lui valoir une condamnation à des dommages- intérêts dans les conditions de droit commun, si du moins elle a causé un préjudice au créancier, mais elle ne peut pas entraîner une condamnation à garantie. Il serait en effet illogique de mettre en cause la garantie du tiers – saisi alors que ce dernier n’est redevable de rien. - ensuite, tous les manquements n’entraînent pas nécessairement l’application de la garantie de l’article 156 : cette sanction n’est applicable que si le tiers s’est abstenu de toute déclaration. Si en revanche celle-ci est incomplète, inexacte ou mensongère, le tiers – saisi est peut être exposé à une condamnation à des dommages- intérêts à la hauteur du préjudice subi par le créancier saisissant, mais il ne peut pas être condamné à garantir les causes de la saisie.

En somme, le tiers - saisi entre les mains duquel est pratiquée une saisie- attribution qui ne satisfait pas à l’obligation légale de déclaration, n’encourt, s’il n’est tenu au jour de la saisie à aucune obligation envers le débiteur, qu’une condamnation au paiement des dommages et intérêts. Il n’échappe donc pas à toute sanction. Mais, elle prend la mesure dans le préjudice subi par le saisissant et à condition qu’il trouve sa cause dans la faute commise. A vrai dire, sur le plan strict de la responsabilité civile, la cause exonératoire se confond en fait avec l’appréciation de la faute. Sans doute qu’en cas d’inexactitudes le tiers- saisi peut être condamné mais uniquement si le créancier établi l’existence d’un grief. La solution de l’arrêt est satisfaisante sur le plan des principes. Les juridictions doivent interpréter la disposition de l’art. 156, sans s’attacher aux règles d’une interprétation littérale, mal adaptées à la réalité. Nul ne se plaindra ici que, l’équité coïncide avec le droit. Ne sanctionner le tiers que dans sa négligence caractérisée ou attitude mensongère tel doit être l’enseignement principal de cet arrêt.

Informations pratiques sur la distribution des dividendes fictifs dans l’espace OHADA

Bérenger MEUKE

Avocat Collaborateur Principal

Jurifis Consult

Le bénéfice distribuable est le résultat de l’exercice, augmenté du report bénéficiaire et diminué des pertes antérieures ainsi que des sommes portées en réserve en application de la loi ou des statuts. Tout dividende distribué en violation des règles de l’article 144 de l’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales (approbation préalable des états financiers de synthèse et constatation de l’existence de sommes distribuables) constitue un dividende fictif. La constatation de l’existence de sommes distribuables implique :

• l’établissement d’états financiers de synthèse donnant une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice et de la situation de la société,

• l’imputation préalable sur les bénéfices des pertes des exercices antérieurs, s’il en existe,

• la dotation des comptes de réserve légale et statutaire si les statuts en prévoient,

• les dotations à des réserves facultatives,

• en cas de prélèvements sur les réserves, une décision expresse de l’assemblée indiquant les postes de réserves sur lesquels ces prélèvements sont effectués.

La constitution du délit de distribution de dividendes fictifs nécessite au sens de l’article 889 de l’Acte Uniforme l’absence d’inventaire ou l’utilisation d’un inventaire frauduleux. L’inventaire est un document décrivant et valorisant les créances, les dettes et les éléments du patrimoine de la société. On pourrait assimiler à un inventaire tout état suffisamment complet pour permettre aux actionnaires ou associés d’apprécier la composition de l’actif et du passif social (balances semestrielles ou annuelles, ainsi que tout document équivalent, tel que bilan ou document comptable). Le délit de distribution de dividendes fictifs est le plus souvent le corollaire d’une publication d’états financiers de synthèse infidèles. En effet, l’absence totale d’inventaire à la base d’une distribution illicite de dividendes est rare, et celle-ci s’opère plus généralement sur la base d’un inventaire volontairement altéré. L’inventaire frauduleux sera ainsi généralement caractérisé par des états financiers de synthèse infidèles. La constitution de ce délit nécessite ensuite la distribution d’un dividende entre les actionnaires ou associés.

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On pourrait considérer qu’il ne suffit pas que le droit des actionnaires ou associés au dividende leur soit acquis par la décision de l’assemblée générale de mettre ce dividende en paiement pour qu’il puisse être considéré comme distribué, encore faut-il que l’organe dirigeant de la société l’ait mis en paiement. Dés lors, le délit n’est pas constitué s’il n’est pas donné suite à la décision de répartition du dividende voté par l’assemblée générale. La distribution doit avoir été effectuée de mauvaise foi, c’est-à-dire sciemment, par les auteurs pour que le délit soit caractérisé. Cette mauvaise foi consiste dans la connaissance du caractère fictif des dividendes ou de l’inexactitude de l’inventaire, des comptes sociaux ou des conditions dans lesquelles la répartition d’un dividende a été effectuée. La mauvaise foi de l’administrateur doit se situer à la date de la confection du bilan.

La répression du délit : les sanctions pénales sont lourdes !

A titre d’auteurs principaux, l’Acte Uniforme vise les gérants de sociétés à responsabilité limitée, de sociétés en nom collectif et de sociétés en commandite simple, le président, l’administrateur général, les directeurs généraux de sociétés anonymes, ainsi que les dirigeants de fait. A titre de complices, peuvent également être poursuivis les directeurs, les membres du conseil d’administration, les commissaires aux comptes, les chefs comptables ou même tout tiers à l’administration de la société qui ont apporté leur concours à la commission du délit. La prescription du délit est de trois ans à compter de la mise à disposition du dividende aux actionnaires ou associés. Une action civile peut être engagée par les victimes de l’infraction si elles ont subi un préjudice personnel direct découlant de la distribution illicite du dividende.

L’abus de biens sociaux dans l’espace OHADA : ce que les patrons ne pourront plus faire

Bérenger MEUKE

Avocat Collaborateur Principal

Jurifis Consult

Les forces vives, aujourd’hui, sont les capitaines d’industrie qui partent sans relâche à la conquête des marchés et du monde, pour le rayonnement de leur entreprise. Le législateur de l’OHADA encadre nos fougueux entrepreneurs afin de réprimer des agissements contraires à l’intérêt social. Ainsi, le délit d’abus de biens sociaux éclaire la route tel un phare qui rappelle à ces navigateurs qu’il ne faut pas confondre leur patrimoine propre avec celui de l’entreprise. L’abus de biens sociaux frappe, en général, au nom de la société, les dirigeants qui détournent l’intérêt de l’entreprise vers leur intérêt personnel. Le droit OHADA considère l’entreprise comme une personne indépendante ; abuser de la personne, fut-elle morale, c’est une faute pénale. Les dirigeants d’entreprise n’ont pas tort d’avoir le sentiment d’être de plus en plus sous surveillance. Les condamnations pour abus de biens sociaux augmentent régulièrement dans l’espace OHADA, sans parler des autres chefs d’accusation moins répandus, mais qui fleurissent comme jamais : infraction à la législation boursière, escroquerie, abus de confiance, banqueroute, favoritisme, etc. Il est évident que cette fureur judiciaire déforme l’image des dirigeants : le grand public ne faisant guère de distinction entre les manquements bénins et les délits graves, les montages réalisés dans l’intérêt de l’entreprise et les malversations qui ne servent que son patron. Aujourd’hui, tout le monde, au moins en théorie, est menacé. L’abus de biens sociaux commence avec la lettre à grand-père glissé dans le courrier de la société ou le coup de fil aux enfants en vacances que l’on passe de son bureau sans imaginer un instant que l’on devrait utiliser son téléphone personnel ou encore le stylo à bille pris sur son bureau que l’on glisse dans sa poche en rentrant chez soi. Tous les dirigeants de sociétés de capitaux (SA, SARL) sont concernés ; seul l’entrepreneur individuel, dont le patrimoine personnel se confond par définition avec celui de son entreprise, peut encore disposer de ses biens comme il l’entend. Dès lors qu’ils sont sociaux, ces biens-là ne vous appartiennent plus. Même si vous possédez, via des prête-noms, 100% des parts de votre SARL. En la volant, ce n’est pas vous-même, mais une personne morale, que vous volez. D’après les dispositions de l’article 891 de l’Acte Uniforme relatif aux sociétés commerciales, l’abus de biens sociaux suppose la réunion de quatre éléments.

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• L’usage d’un bien social ou du crédit de la société

Les biens sociaux sont tous les éléments, mobiliers ou immobiliers, du patrimoine de la société, tandis que, le crédit social est la confiance qui s’attache à la société en raison de son capital, de la nature des affaires et de sa bonne marche. C’est aussi la capacité d’emprunter ou le fait de constituer des garanties (l’abus sera par exemple caractérisé dès lors que la société cautionnera un emprunt contracté par la maîtresse du dirigeant).

• Cet usage doit être contraire à l’intérêt social92

Il faudrait que cet usage entraîne pour la société un risque sans contrepartie raisonnable de gains. En revanche, il n’est pas nécessaire que la société ait subi un préjudice, l’éventualité serait suffisante. En aucun cas donc, le patron ne doit mettre à la charge de la société ses dépenses personnelles. Le dirigeant qui augmente inconsidérablement sa rémunération ou abuse des remboursements de frais prend vraiment des risques, dans le cas où surviendrait une procédure collective d’apurement du passif.

• Pour qu’il y ait abus de biens sociaux, il faut qu’il y ait poursuite d’un intérêt personnel direct ou indirect. Celui-ci peut

être d’ordre pécuniaire, professionnel ou même moral.

L’exemple classique est l’acquisition par la société d’un véhicule ou d’un local appartenant jusqu’alors au dirigeant, à un prix excessif (très supérieur à sa valeur à l’argus ou, au prix moyen du mètre carré dans le quartier). Un autre délit qui pourra aussi être épinglé est celui consistant aux opérations désavantageuses pour la société et menées dans le seul but de maintenir des relations amicales avec un tiers (c’est le cas par exemple lorsque vous offrez un cadeau coûteux à la fille de votre principal client pour son mariage, ou encore lorsque vous effacer une facture litigieuse dans le seul dessein de garder de bonnes relations avec le client concerné).

• Le dirigeant doit avoir agi de mauvaise foi, c’est-à-dire avoir eu conscience que ce qu’il faisait était contraire à l’intérêt

de la société. L’indice de cette intention délictuelle pourrait résider dans le fait de n’avoir pas demandé l’accord du conseil d’administration. Ce qui ne signifie pas que toute convention approuvée par le conseil d’administration béni-oui-oui vous protègera en toutes circonstances. La notion d’abus de biens sociaux ne doit cependant pas se confondre avec celle d’acte anormal de gestion, même si elle recouvre dans neuf cas sur dix les mêmes agissements coupables. La première est une notion pénale et la seconde une notion fiscale. Si par exemple le fisc vous accuse d’avoir offert un cadeau à un intermédiaire dont vous souhaitez taire le nom (ce qui arrive fréquemment), vous serez redressé pour acte anormal de gestion et la somme incriminée sera réintégrée dans les profits, ce qui augmentera l’impôt sur les sociétés. Mais ceci n’empêchera pas, quelques semaines plus tard, le parquet de vous accuser pour les mêmes actes litigieux, d’abus de biens sociaux et de vous infliger une amende, voire dans les cas les plus graves, de vous jeter en prison. Il y a néanmoins des domaines où le parquet pourra se montrer plus compréhensif que le fisc. C’est le cas notamment lorsque les actes anormaux concernent des transferts à l’intérieur d’un groupe de sociétés. Pour le fisc en général, favoriser une filiale et en pénaliser une autre dans l’intérêt global du groupe pour éviter que la première ne dépose le bilan, ce qui rejaillirait sur l’image du groupe, est un acte anormal de gestion qui conduit inévitablement à un redressement fiscal. Le parquet en revanche n’y verra forcément pas un abus de biens sociaux, et pourra même considérer sous certaines conditions, qu’il s’agit d’une politique d’ensemble. La Cour de cassation française avait ainsi rappelé dans l’affaire ROZENBLUM, que l’acte contraire à l’intérêt d’une société peut être justifié si l’on se trouve en présence d’un groupe économique fortement structuré et si les sacrifices demandés à l’une des sociétés du groupe ont bien été réalisés dans l’intérêt du groupe pour la poursuite d’une politique globale cohérente et enfin, si ces sacrifices ne font pas courir à la société concernée des risques sans contreparties suffisantes

93.

Les peines encourues en cas d’abus de biens sociaux sont assez lourdes. Les magistrats considèrent en effet que le coût social des abus pour la collectivité est exorbitant : manque à gagner pour le fisc et services sociaux, mais aussi destruction d’emplois lorsque la société finit par déposer son bilan. Mais pour les patrons, c’est très vite oublier que ces emplois et ce manque à gagner n’existeraient pas s’ils n’avaient pas créé et développé eux-mêmes ces entreprises qu’on les accuse d’avoir volé.

92 Sur la notion d’intérêt social, Voir notre article « De l’intérêt social dans l’AUSC de l’OHADA » ; Rev PENANAT 2007, Revue de droit des pays d’Afrique – 117e année, n° 860 P. 338 93 Voir Cass crim 4 fév 1985 ; Dalloz 1985, III, 478

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Comment le parquet découvre t-il un abus de biens sociaux ?

Les informations proviennent généralement de plusieurs sources. - Les enquêtes ouvertes suite aux défaillances d’entreprises - Les dénonciations des associés ou ex-associés du dirigeant - Les commissaires aux comptes qui sont normalement tenus de faire part à la justice de toutes entorses à la loi qu’ils repèrent dans les

comptes de leurs clients - Le fisc et les services sociaux - Les lettres anonymes et les délations de tous genres, qui sont souvent plus nombreuses qu’on le croit. (heureusement que le parquet

dispose de l’opportunité des poursuites, et ne s’amuse pas à déclencher des enquêtes à la moindre présomption) Pour se défendre face à une accusation d’abus de biens sociaux, il faut donc prouver sa bonne foi et montrer que l’acte incriminé n’était pas contraire à l’intérêt social. L’idéal est évidemment de ne pas prendre de risque. Mais qui n’en prend pas ? Nul n’est à l’abri. Toute personne qui reçoit un appel de sa femme au cours d’un entretien dans son bureau lui dit « je te rappelle dans cinq minutes » et le fait tout naturellement avec le combiné posé sur son bureau en oubliant son téléphone personnel.

Les abus fréquemment observés

• Le salaire excessif du dirigeant (le caractère excessif est apprécié en fonction de la situation financière de la société)

• Le salaire versé à l’épouse ou à un proche du dirigeant par la société (hors de proportion avec le travail effectivement fourni)

• Les voyages non directement liés à l’activité professionnelle (prise en charge par la société du billet d’avion de l’épouse ou de la

maîtresse du dirigeant par exemple)

• Les comptes courants débiteurs (même si le compte courant est renfloué par la suite, l’avance momentanée consentie par la société à

son dirigeant devrait constituer, de fait, un abus de biens sociaux)

• Les contraventions payées par la société (même s’il s’agit d’un véhicule de la société, les amendes pénales sont en effet des sanctions

personnelles)

• L’entretien par la société d’une résidence appartenant au dirigeant sous prétexte que les réunions de travail ou des séminaires s’y

déroulent une fois par an

• Les factures de taxis ou de restaurant datées de jours non ouvrables et payés par la société (sauf justification particulière)

Quelques conseils

Dès que vous constatez que vous vous êtes rendu coupable d’un abus de biens sociaux, régularisez la situation et le parquet pourra ne pas vous poursuivre. Etre de bonne foi n’est pas suffisant, encore faut-il pouvoir justifier que la dépense a été engagée dans l’intérêt de la société ; - indiquez toujours sur les factures de restaurants le nom de vos invités, ainsi que celui de leur société, - prenez des photos lors des réceptions que vous organisez aux frais de la société pour recevoir des clients à votre domicile, - gardez une trace matérielle (rapport de mission, fax, etc.) du travail effectué par vos proches lorsqu’ils sont rémunérés par l’entreprise

sans être présents au quotidien, - lorsque vous voyagez, conservez tous les documents susceptibles de prouver que vos déplacements avaient un but professionnel (fax de

vos correspondants locaux, carte de visite, etc.), surtout si la visite n’a débouché sur aucun contrat ! - n’achetez ou ne vendez pas directement votre voiture à votre société (passez par l’intermédiaire d’un garagiste, cela évitera qu’on vous

accuse d’avoir surestimé ou sous-estimé son prix), - rémunérez-vous par des bénéfices plutôt qu’en salaires,

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Des dispositions de droit malien en matière de résiliation de contrat de distribution

Bérenger MEUKE

Avocat Collaborateur Principal

Jurifis Consult

En principe, l’extinction du contrat de distribution obéit aux règles classiques d’extinction de tout contrat.

L’environnement juridique malien ne comporte aucun texte spécifique régissant la distribution en tant que telle. Aussi, la résolution d’engagements en droit malien dans le cadre d’un contrat de distribution passe par la combinaison de plusieurs textes épars, dont chacun est lié soit directement ou indirectement au domaine de la distribution. C’est le cas notamment:

� De la Loi N° 87-31/ANRM du 29 août 1987 fixant le Régime Général des Obligations au Mali, avec les articles 21 et suivants relatifs aux effets et résiliations des conventions et des contrats,

� De l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif au droit commercial, avec les articles 210 et suivants, largement inspirés de la

Convention sur la vente internationale des marchandises du 11 avril 1980, s’agissant surtout de la formation du contrat,

� Du Décret N° 92- 133/P-CTSP réglementant la liberté des prix et de la concurrence,

� De l’Ordonnance N° 92-021/P-CTSP instituant la liberté des prix et de la concurrence qui s’applique à toutes les activités de production, de distribution et de service, et qui qualifie d’abus de position dominante, le fait de suspendre sans justification valable les livraisons habituellement faites aux partenaires,

� De la Loi N° 01-079 du 20 août 2001 portant Code pénal au Mali.

Indépendamment de cet arsenal législatif, le droit malien n’exclut pas, en cas de silence du législateur à emprunter aux droits étrangers, notamment le droit français dont il s’inspire assez largement. Ainsi, il serait de l’ordre du possible en droit malien de s’aligner sur des décisions de justice qui constituent une jurisprudence constante et bien établie, découlant de l’application des articles 1101 et suivants du Code civil français, L. 422-6 et suivants du Code de commerce français ou encore de la Circulaire Dutreil du 16 mai 2003 relative à la négociation commerciale entre fournisseurs et distributeurs. On peut alors déduire que, si l’environnement juridique malien n’a pas une législation spécifique en matière de distribution, le droit malien dispose néanmoins de mécanismes propres lui permettant de résoudre les difficultés liées à la rupture d’un contrat de distribution. Reste simplement à préciser que, si les parties ont le droit de résilier le contrat de distribution ou de ne pas le renouveler à terme en observant un délai de préavis, encore faut-il que l’exercice de ce droit ne dégénère pas en abus, sous peine de devoir indemniser le préjudice occasionné au cocontractant.

Dix questions pratiques sur le fonctionnement des sociétés commerciales de l’OHADA

Bérenger MEUKE

Avocat Collaborateur Principal

Jurifis Consult

1- Un commissaire aux comptes peut-il démissionner ?

A la lecture de l’Acte Uniforme relatives aux sociétés commerciales, aucune disposition ne s’oppose à la démission du commissaire aux comptes. Ce dernier peut démissionner quel qu’en soit le motif et la forme. Il importe cependant qu’il le fasse à bon escient. Toute démission abusive et intempestive qui provoquerait un dommage à la société l’exposerait à une demande en réparation.

2- Faut-il l’agrément des associés quand il y a succession d’un associé ?

Dans les SA, nonobstant le principe de la libre transmissibilité posé par l’article 764 de l’Acte Uniforme, les statuts peuvent prévoir certaine limitations. Cependant, ces limitations ne peuvent s’opérer en cas de succession. La clause d’agrément à l’égard des héritiers est donc illicite (article 765 – 3°). En revanche, dans les SARL, l’Acte Uniforme précise qu’en cas décès d’un associé, les statuts peuvent prévoir que son héritier ou son successeur ne deviendra associé qu’après avoir été agréé dans les conditions qu’ils fixent (article 321).

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Quant à la SNC, si les statuts prévoient non seulement la continuation de la société en cas de décès de l’un des associés mais aussi la continuation avec les héritiers, ces derniers doivent être agréés à l’unanimité des associés survivants.

3- Une société peut-elle se porter caution d’une autre société ?

En principe, une personne morale peut se porter caution des dettes d’une autre personne morale. Le cautionnement est alors dans ce cas soumis à une juxtaposition des règles du droit commerciale et du droit civil. Cependant, dans la pratique, il faut distinguer selon le type sociétaire. Dans la SA par exemple, les cautions souscrites par la société pour des engagements pris par des tiers doivent faire l’objet d’une autorisation préalable du conseil d’administration (article 449).

4- Un administrateur peut-il contracter à des fins personnelles un emprunt auprès de sa société ?

En principe, un administrateur ne peut pas contracter un emprunt auprès de sa société sous quelque forme que ce soit (article 450). En revanche, cette interdiction ne s’applique pas aux personnes morales membres du conseil d’administration. Il est alors dans ce cas appliquées à l’opération les dispositions propres aux conventions réglementées prévues aux articles 438 à 448.

5- Un associé peut-il emprunter en son nom pour le compte de la société ?

Si une telle opération est concevable légalement, il faut toutefois remarquer qu’elle n’aura d’effet qu’entre l’associé et le prêteur. Dans la pratique, il revient à l’associé de mettre les fonds à la disposition de la société sous la forme qui lui convient : apport, compte courant, etc.

6- Une SARL doit-elle recourir à un commissaire aux apports en cas d’augmentation du capital en nature

En cas d’augmentation de capital par des apports en nature, un commissaire aux apports doit être désigné par les associés dès lors que la valeur de l’apport est supérieure à cinq millions (5. 000 000) de francs CFA. Ce commissaire aux apports peut également être nommé par le président de la juridiction compétente à la demande de tout associé, peu important le nombre de parts qu’il représente (article 363).

7- Quelle est la limite de la participation réciproque directe entre les sociétés ?

Une SA ou une SARL ne peut posséder d’actions ou de parts sociales d’une autre société si celle-ci détient une fraction de son capital supérieure à 10% (article 177). En revanche si une société autre qu’une SA ou une SARL a, parmi ses associés, une SA ou une SARL détenant une participation à son capital supérieure à 10%, elle ne peut détenir d’actions ou de parts de cette société.

8- Dans quel délai peut-il y avoir autorisation tacite de cession de parts sociales dans une SARL ?

L’Acte Uniforme prévoit à l’article 317, une procédure particulière pour les cessions de parts de SARL au cours de laquelle de multiples formalités de notification doivent être respectées préalablement à l’autorisation de cession. L’autorisation tacite de cession n’est acquise que passé un délai de 3 mois à compter de la dernière notification prévue à l’alinéa 2 de l’article 319.

9- Quelles sont les conséquences du non-respect des dispositions régissant l’ordre du jour des AG dans les SA ?

Il est de principe que l’assemblée générale ne délibère que sur les questions inscrites à l’ordre du jour (article 522) faute de quoi l’assemblée est réputée nulle de plein droit. Or, elle peut délibérer valablement sur la révocation des membres du conseil d’administration ou le cas échéant de l’administrateur général et procéder à leur remplacement sans que cette question ait été portée à l’ordre du jour.

10- Une SARL, filiale d’une autre société, peut-elle consentir des prêts ou des avances à sa société mère ?

L’article 356 fait interdiction aux gérants et associés de SARL de contracter des emprunts auprès de la société, de se faire consentir des découverts par elle ou de lui faire cautionner des engagements souscrits par eux à l’égard des tiers. Les actes passés en contravention de cette disposition sont frappés de nullité absolue. Cependant, cette interdiction ne s’applique qu’aux associés personnes physiques de la SARL, de sorte que cette règle n’empêche pas les opérations de trésorerie au sein d’un groupe de sociétés auquel participe la SARL.

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Cette faculté s’accompagne des précautions posées par la procédure dite des conventions réglementées (articles 350 à 355), puisque ces conventions relèvent rarement d’opérations courantes conclues à des conditions normales. Dans la pratique, une avance, un prêt consentis à la société mère seront soumis à un contrôle à posteriori exercé par la collectivité des associés (sauf ceux ayant conclu la convention) sur rapport du gérant de la SARL ou du commissaire aux comptes.

Rejet de la théorie de la chose implicitement jugée Ass. plén., 13 mars 2009, F-P+B+R+I, n° 08-16.033

L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.

Commentaire de L. Dargent -

« La chose jugée est le théâtre d'une tension permanente entre le souci de voir simple en s'en tenant formellement aux chefs du dispositif, et le souci non moins légitime de ne pas ruiner la logique même de la décision » (Perrot, RTD civ. 1995. 961; Adde not. Normand, L'étendue de la chose jugée au regard des motifs et du dispositif, BICC 2004, hors série n° 3, p. 14).

S'il résulte ainsi de l'article 480 du code de procédure civile que seules les énonciations sont revêtues de l'autorité de la chose jugée (sur les

étapes de la réforme, V. not. Normand, préc. p. 14), cette conception formaliste n'est pas reçue sans nuance par la jurisprudence (V. not. Normand,

préc.) qui, marquée par des disparités entre les chambres de la Cour de cassation et une certaine réticence des juges du fond, laisse place à des « notions adventices qui sous des noms variés (motifs décisoires, antécédent logique, suite nécessaire, chose jugée implicite) ont pour objectif de reconstituer un ensemble cohérent et qui, par delà la lettre même de la décision, s'efforcent d'en sauvegarder l'unité intellectuelle » (Perrot,

préc. ; Adde not. Perrot, RTD civ. 1975. 597 ; ibid. 1980. 416 ; ibid. 1982. 662). Mais cela n'est alors possible qu'« au prix dans chaque cas d'espèce, d'une recherche constamment renouvelée qui oblige à des analyses aléatoires dans un domaine où la certitude devrait être la règle d'or » (Perrot, préc.).

C'est cette approche réaliste de la détermination du siège de l'autorité de la chose jugée que condamne solennellement, la Cour de cassation dans son arrêt du 13 mars 2009 rendu en assemblée plénière, formation que rendait nécessaire l'opposition des juges du fond à la doctrine que la haute juridiction avait exprimée dans un précédent arrêt de renvoi (art. L. 431-6 COJ).

Pour déclarer irrecevables, à l'occasion d'un litige relatif à l'exécution d'un bail commercial, les demandes d'une partie en raison de l'autorité de la chose jugée attachée à un précédent jugement rendu dans une autre instance, l'arrêt d'appel jugeait en l'espèce que si dans le cadre de la première procédure le tribunal n'a pas expressément dit dans son dispositif qu'il rejetait les demandes reconventionnelles du preneur, il n'en demeure pas moins vrai qu'en disant, dans ce même dispositif, ces demandes mal fondées et en faisant intégralement droit à la demande du bailleur, le premier jugement avait « implicitement mais nécessairement » statué sur les mêmes demandes. Se prononçant sur avis non conforme du premier avocat général, la Cour de cassation, au visa des articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile, censure les juges d'appel au motif que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.

Dans l'attente de l'avis du premier avocat général pour une analyse plus approfondie de la solution et de sa portée, on relèvera que la solution est d'importance dès lors que jusque-là, la jurisprudence ne manifestait « aucune répugnance à l'égard de la chose implicitement jugée » (Normand, préc., p. 20 ; Adde. not. Guinchard, Ferrand et Chainais, Procédure civile, Dalloz 2008, n° 222 ; Civ. 2e, 22 mai 1995, Bull. civ. II, n° 150 ; RTD civ. 1995. 961, obs. (crit.) Perrot jugeant que « si l'autorité de la chose jugée s'attache seulement au dispositif et non aux motifs, elle s'étend à tout ce qui a été implicitement jugé comme étant la conséquence nécessaire du dispositif » ; Soc. 4 mars 2003, n° 01-40.535 ; contra not. L’arrêt de renvoi Civ. 3e, 7 déc. 2004,

n° 03-17.446) dès lors qu'était respecté le principe du contradictoire (Civ. 1re, 1er juill. 1997, Bull. civ. I, n° 219 ; RGDP 1998. 318, obs. Wiederkher ; Adde

les réf. cités par Normand, préc. p. 21, note 1 ; Civ. 2e, 7 mars 2002, Bull. civ. II, n° 34 ; D. 2002. Somm. 2022, obs. Granet ; JCP 2002. IV. 1668), le risque étant en effet que sur l'implicite qui a autorité de la chose jugée et qui interdit de ce fait au plaideur d'introduire une nouvelle action, ce plaideur n'ait pu faire valoir sa cause équitablement (Guinchard, Ferrand et Chainais, préc. ; Adde not. Normand, préc. p. 21).

À l'inverse, la Cour de cassation ne fait référence, dans son arrêt, ni aux motifs ni au fait que les demandes reconventionnelles ont été soumises au premier juge, semblant rejeter ainsi l'idée même d'une « application raisonnable de la chose implicitement jugée » (Normand,

préc.). Dans le même sens d'une application très rigoureuse de la lettre de l'article 480 du code de procédure civile, on relèvera que le tribunal avait bien examiné les exceptions soulevées par le demandeur au pourvoi et qu'il les avait jugées mal fondées dans son dispositif. Seul faisait défaut dans ce même dispositif les conséquences d'une telle appréciation, à savoir l'affirmation du rejet de ces demandes. Ainsi, au-delà d'une maladresse rédactionnelle, il n'y avait donc aucun doute sur la volonté du premier juge de statuer sur les demandes litigieuses dans le sens de leur rejet et en toute logique, juger les demandes mal fondées devaient nécessairement conduire à les rejeter.

Par ailleurs, comme le laisse entendre le communiqué de la Cour de cassation et la formulation de l'attendu de principe dénué de toute différenciation, la solution semble de portée générale et vaut tout autant « rappel » du rejet de la théorie des motifs dits « décisifs », définis classiquement comme constituant le soutien nécessaire du dispositif (sur une vue plus nuancée des solutions en la matière, V. not. Normand, préc. p.

15 s.), comme celle des motifs « décisoires », qualificatif désignant habituellement des éléments de la décision exprimés par les juges dans les motifs de leur jugement, alors qu'ils auraient dû l'être dans son dispositif (sur l'abandon complet de la prise en considération des motifs décisoires, V.

not. Normand, préc. p. 15).

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Consécration limitée de la règle de l'estoppel en matière procédurale

Ass. plén. 27 février 2009, P+B+R+I, n° 07-19.841

Sans exclure l'application de la règle dite de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui, ou estoppel, en matière procédurale, l'Assemblée plénière entend montrer que la Cour de cassation se réserve le droit d'en contrôler les conditions d'application.

Commentaire de X. Delpech

« Nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ». Ce principe, issu du droit anglais où il est connu sous le nom d'estoppel, tend à irriguer notre droit (pour une présentation complète, dans une optique de droit comparé, V. B. Fauvarque-Causson [sous la dir. de], La confiance légitime et

l'estoppel, SLC, 2007). Une partie de la doctrine française l'a adopté en le désignant sous la formule particulièrement heureuse de principe de

cohérence (D. Houtcieff, Le principe de cohérence en matière contractuelle, 2001, PUAM). Nos tribunaux ne sont pas demeurés insensibles à ces sirènes juridiques d'Outre-manche et ont ainsi consacré ce principe à la fois en matière contractuelle, notamment, en droit bancaire, à propos de la mise en œuvre d'une convention d'unité de compte (Com. 8 mars 2005, Bull. civ. IV,

n° 44 ; D. 2005. AJ. 883, obs. Delpech ; ibid. Pan. 2843, obs. Fauvarque-Cosson), mais également processuelle, dans un domaine particulier, toutefois, celui de la procédure arbitrale. La Cour de cassation a, d'ailleurs, expressément visé, à cette occasion et pour la première fois « la règle de l'estoppel » (Civ. 1re, 6 juill. 2005, Bull. civ. I, n° 302 ; D. 2005. Pan. 3050, obs. Clay, et 2006. Jur. 1424, note Agostini ; Rev. arb. 2005. 993, note Pinsolle ; JDI

2006. 608, note Behar-Touchais ; pour une autre application en matière d'arbitrage, V. Civ. 1re, 11 juill. 2006, Bull. civ. I, n° 369 ; D. 2006. IR. 2052, obs. Delpech). Pour que la boucle soit bouclée, encore fallait-il que la Cour de cassation s'y réfère en procédure civile. C'est chose faite avec l'arrêt du 27 février 2009, rendu de surcroît par sa formation la plus solennelle, à savoir l'Assemblée plénière (laquelle, on le sait, a également consacré il y a

peu l'obligation de concentration des moyens, qui est, comme l'estoppel, l'application d'un principe de droit processuel plus large, la loyauté procédurale, Ass.

plén., 7 juill. 2006, Bull. ass. plén., n° 8 ; D. 2006. Jur. 2135, note Weiller ; RTD civ. 2006. 825, obs. Perrot ; JCP 2007. II. 10070, note Wiederkehr). Là encore, la référence à l'estoppel est expresse et le fondement légal – d'ordre procédural – auquel les hauts magistrats le rattachent est tout à fait logique : les fins de non-recevoir (art. 122 c. pr. civ.). L'idée est la suivante : doit être sanctionné par l'irrecevabilité (de la demande la plus récente) celui qui demande à ses adversaires, devant deux juridictions différentes, une chose et son contraire, cela en soutenant en même temps deux positions incompatibles. Mais en même temps qu'elle s'y réfère, la Cour de cassation entend « se réserver … le droit d'en contrôler les conditions d'application » (communiqué de presse de la Cour de cassation). En d'autres termes, il s'agit d'une notion de droit à part entière, dont la mise en œuvre n'est donc pas abandonnée à l'appréciation souveraine des juges du fond. En même temps, parce qu'elle casse l'arrêt d'appel qui avait déclaré les demandes nouvelles irrecevables, la Cour de cassation entend ainsi limiter le champ d'application de la règle de l'estoppel, comme si cet arrêt, en réalité, ne signait que la victoire à la Pyrrhus de l'estoppel. Il est, en effet, permis de douter que cet arrêt constitue une véritable consécration de cette théorie d'origine anglaise. Il vise, certes, l'estoppel, mais uniquement dans l'attendu qui résume l'arrêt d'appel qu'il casse ; nulle part de référence à ce principe dans le visa de l'arrêt, ni dans le chapeau qu'il l'accompagne. La Cour de cassation se contente de consacrer sa version francisée (une partie ne peut « se contredire au

détriment d'autrui ».), conformément aux vœux, d'ailleurs, du premier avocat général Régis de Gouttes. Malgré la cassation, ce principe de non-contradiction fait bel et bien partie du droit positif, mais, s'il est établi, cela ne suffit pas forcément à déclarer la demande irrecevable (il « n'emporte pas nécessairement fin de non-recevoir »).

C'est dire qu'une contradiction d'une partie au procès peut entraîner une fin de non-recevoir, mais pas toujours. Quand en est-il ainsi ? À la vérité, tout dépend des circonstances, et à cet égard, l'attendu de la Cour de cassation nous fournit quelques indices, en quelque sorte négatifs, dont la liste n'est pas limitative (en témoigne l'utilisation de l'adverbe « notamment »). Il ne saurait y avoir contradiction, en particulier, si les actions engagées par le même demandeur ne sont pas « de même nature ». Ici, la première demande tendait à obtenir l'exécution forcée de la prestation prévue par le contrat sous astreinte, tandis que par la deuxième (celle qui a été rejetée) visait, quant à elle, à obtenir des dommages-intérêts (une troisième avait même pour objet la nullité ou la

résolution de la vente ainsi que la condamnation à des dommages-intérêts). Il en est de même si les demandes ne sont pas « fondées sur les mêmes conventions » : là encore, les demandes différentes reposaient sur des contrats distincts de livraisons de récepteurs numériques de télévision. Il en est ainsi, en dernier lieu, parce que les actions « n'opposaient pas les mêmes parties », ou, pour être tout à fait précis, si le demandeur était toujours le même, à savoir l'acheteur déçu, les défendeurs ne l'étaient pas. Le premier défendeur était le fabricant des matériels de réception, tandis que le second était un fournisseur qui s'était approvisionné chez ce même fabricant.

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Portée de la réouverture des débats Cass civ 2

e, 19 févr 2009, n° 07-19.504

Commentaire de L. DARGENT

La réouverture des débats emporte révocation de l'ordonnance de clôture lorsque l'affaire est renvoyée à la mise en état. Par cet arrêt du 19 février 2009, la Cour de cassation opère une distinction entre la décision de réouverture des débats accompagnée d'un renvoi à la mise en état et celle qui n'est pas assortie d'un tel renvoi. La haute juridiction y rejette un pourvoi dirigé contre un arrêt qui avait fait droit à des demandes, formulées postérieurement à un arrêt avant-dire-droit qui n'avait pas expressément révoqué l'ordonnance de clôture, alors que le pourvoi arguait que la réouverture des débats ordonnée par le premier arrêt, sur le fondement de l'article 444 du code de procédure civile, pour permettre aux parties de conclure sur un point précis, n'avait pas emporté révocation de l'ordonnance de clôture, de sorte que les parties ne pouvaient formuler de nouvelles de demandes. Ainsi, si la réouverture des débats n'emporte pas révocation de l'ordonnance de clôture et laisse l'affaire au stade du jugement (art. 430 s. c. pr.

civ. ; Civ. 2e, 14 mai 1997, Bull. civ. II, n° 144 ; 9 nov. 2000, Bull. civ. II, n° 149 ; 10 mars 2004, n° 02-14.971, Dalloz jurisprudence ; Civ. 1re, 20 mai 2003, n° 01-

01.071, Dalloz jurisprudence ; Com. 19 juin 2001, n° 98-18.616, Dalloz jurisprudence), à l'inverse, lorsque la réouverture des débats s'accompagne expressément d'un renvoi à une audience de mise en état, l'affaire revient à la phase d'instruction, ce qui conduit à l'application des dispositions régissant celle-ci (art. 763 s. et 910 s. c. pr. civ.). Les parties retrouvent en conséquence le droit de déposer de nouvelles conclusions et de présenter de nouvelles demandes jusqu'à ce qu'une nouvelle clôture soit ordonnée (V. Communiqué de la Cour de cassation).

Définition par la Cour de cassation de l’autorité de la chose jugée

Communiqué relatif à l’arrêt n° 575 rendu le 13 mars 2009 par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (pourvoi n° 08-16.033)

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui avait déclaré irrecevables les demandes d’une partie en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à un précédent jugement rendu dans une autre instance. Selon l’arrêt d’appel, ce premier jugement avait, " implicitement mais nécessairement ", statué sur les mêmes demandes.

La Cour de cassation a rappelé que l’autorité de chose jugée n’avait lieu qu’à l’égard de ce qui avait fait l’objet d’un jugement et avait été tranché dans le dispositif.

Dès lors que le premier jugement n’avait pas expressément statué, dans son dispositif, sur les demandes formées par le plaideur, aucune autorité de chose jugée ne pouvait lui être attachée de ce chef.

La Cour de cassation marque ainsi son attachement à une solution privilégiant la sécurité juridique. Elle consacre une nouvelle fois le rejet de la théorie des motifs dits "décisifs", définis classiquement comme constituant le soutien nécessaire du dispositif, comme celle des motifs "décisoires", qualificatif désignant habituellement des éléments de la décision exprimés par les juges dans les motifs de leur jugement, alors qu’ils auraient dû l’être dans son dispositif.

Cet arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation est également l’occasion de rappeler l’intérêt tout particulier qui s’attache à une

rédaction suffisamment précise du dispositif des jugements, dont dépend la détermination de l’étendue de l’autorité de la chose jugée.

Cet arrêt a été rendu sur avis non conforme du premier avocat général.