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AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ Ecole Doctorale des Sciences de la Vie et de la Santé ED 62 UMR1252 Sciences Economiques et Sociales de la Santé & Traitement de l’Information Médicale (SESSTIM) Thèse présentée pour obtenir le grade universitaire de Docteur Discipline : Pathologie humaine Spécialité : Recherche clinique et Santé publique Caroline ALLEAUME Retour au travail et maintien en emploi après un diagnostic de cancer : des trajectoires socialement différenciées Thèse financée par La Ligue contre le cancer Dirigée par : Patrick PERETTI-WATEL, Directeur de recherche Inserm, IRD, VITROME et Anne-Déborah BOUHNIK, Ingénieure de recherche Inserm, SESSTIM. Soutenue le 30 septembre 2019 devant le jury : Dr Anastasia MEIDANI Université Toulouse Examinatrice Pr Lionel DANY Aix-Marseille Université Examinateur Pr Thomas BARNAY Université Paris-Est Créteil Examinateur Dr Lionel LAFAY Institut National du Cancer Examinateur Dr Virginie RINGA Inserm UMR1018, CESP Villejuif Rapporteuse Pr Olivier L’HARIDON Université de Rennes 1 Rapporteur

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AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ

Ecole Doctorale des Sciences de la Vie et de la Santé – ED 62

UMR1252 Sciences Economiques et Sociales de la Santé & Traitement de

l’Information Médicale (SESSTIM)

Thèse présentée pour obtenir le grade universitaire de Docteur

Discipline : Pathologie humaine

Spécialité : Recherche clinique et Santé publique

Caroline ALLEAUME

Retour au travail et maintien en emploi après un

diagnostic de cancer : des trajectoires socialement

différenciées

Thèse financée par La Ligue contre le cancer

Dirigée par : Patrick PERETTI-WATEL, Directeur de recherche Inserm, IRD, VITROME

et Anne-Déborah BOUHNIK, Ingénieure de recherche Inserm, SESSTIM.

Soutenue le 30 septembre 2019 devant le jury :

Dr Anastasia MEIDANI –Université Toulouse Examinatrice

Pr Lionel DANY – Aix-Marseille Université Examinateur

Pr Thomas BARNAY – Université Paris-Est Créteil Examinateur

Dr Lionel LAFAY – Institut National du Cancer Examinateur

Dr Virginie RINGA – Inserm UMR1018, CESP Villejuif Rapporteuse

Pr Olivier L’HARIDON – Université de Rennes 1 Rapporteur

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Remerciements

Je souhaite adresser ici toute ma gratitude aux personnes suivantes, sans qui ce travail

n’aurait pu être :

L’association La Ligue Nationale Contre le Cancer qui m’a offert deux allocations de

recherche pour conduire ces travaux.

Monsieur Patrick Peretti-Watel*, Directeur de recherche en sociologie, et Madame Anne-

Déborah Bouhnik*, Ingénieure de recherche en biostatistique, qui ont accepté de co-encadrer

ce travail de recherche. Pour leur temps, leurs précieux conseils, leurs lectures approfondies et

leur soutien tout au long de ce travail.

Madame Virginie Ringa, Chargée de recherche en épidémiologie, et Monsieur Olivier

L’Haridon, Professeur en sciences économiques, qui m’ont fait l’honneur de rapporter cette

recherche doctorale. Pour leur intérêt porté à mon travail et leurs précieuses contributions à la

version finale.

Madame Anastasia Meidani, Maîtresse de conférences en sociologie, Monsieur Lionel

Dany, Professeur en psychologie sociale, Monsieur Lionel Lafay, Chargé de projets, et

Monsieur Thomas Barnay, Professeur en sciences économiques, qui m’ont fait l’honneur de

siéger dans ce jury et d’évaluer ma recherche. Pour leur attention et leur bienveillance. Un merci

particulier à Monsieur Lionel Lafay qui a contribué à cette version finale en me faisant part de

ses remarques.

Monsieur Marc-Karim Bendiane (SESSTIM) qui m’a accompagné dans ma démarche de

recherche et dans mes premiers congrès. Merci pour ses encouragements et ses conseils.

Monsieur Alain Paraponaris (AMSE), Monsieur Lionel Dany (LPS), Madame Léa

Restivo (LPS), Madame Bérengère Davin (ORS PACA), Monsieur Julien Mancini (SESSTIM),

Madame Valérie Seror (VITROME), Monsieur Sylvain Besle (SESSTIM), Madame Aline

Sarradon-Eck (SESSTIM), Monsieur Sébastien Cortaredona (SESSTIM), pour leurs

encouragements, nos fructueux échanges et leurs précieux conseils.

L’équipe du SESSTIM qui a permis mon intégration. Merci notamment à Monsieur Roch

Giorgi, directeur de l’unité, pour sa confiance accordée. Merci à mes collègues et mes co-

doctorantes pour leur soutien (à Asmaa, à Adeline et à Rajae). À l’ensemble des membres de

l’équipe CANBIOS. Également à l’équipe administrative et technique qui facilite grandement

l’organisation de notre travail (à Lamia, à Carole, à Laurent, à Zohra, à Najoua et à Priscilla).

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Je remercie également,

Ceux qui furent mes partenaires pour ce travail de recherche. Je remercie Le Cancéropôle

PACA qui nous a attribué un financement spécifique pour mon projet d’enquête qualitative,

ainsi que les partenaires qui l’ont rendu possible : Mme Guelmani du SESSTIM, Pr Duffaut, Pr

Dany, Dr Meurer, Dr Deville et Mme Chapon de l’Assistance Publique des Hôpitaux de

Marseille, Mme Dokoui, Mme Brunel et Dr Tallet de l’Institut Paoli Calmette, Dr Combo-

Cocheme de l’Hôpital privée de Marseille Beauregard, Mme De Wolf, Mme Verrieres, Mme

Estienne et Mr Rachid du Centre Ressource, Mme Damjanovic de La Ligue contre le cancer et

Mme Patoux-Gavaudan de Caire13. Aux ingénieures d’étude qui m’ont accompagnée : Mme

Vila-Masse, Mme Heck et Mme Henin. Ainsi qu’aux membres du groupe VICAN et à l’Institut

National du Cancer pour leur travail et la mise à disposition des données de l’enquête VICAN5.

Samantha Vila* (Udem) et Olivier Joseph* (Céreq) qui m’ont fait l’amitié de lire une

partie de ce travail. Pour leur temps et leurs précieuses remarques.

Ma famille, mes amis pour leur considérable et indéfectible soutien. Je remercie tout

particulièrement Isa* Sophie* et Pauline* qui m’ont accompagnée dans mes derniers moments

de relecture, chassant avec moi les coquilles. Merci pour votre temps, votre extrême attention.

Enfin, tous mes remerciements vont aux répondants aux enquêtes sans qui cette recherche

n’aurait simplement pas pu exister. Pour leur temps, leur intérêt et leurs expériences partagées.

*Si ce document a été enrichi de l’attention portée par les personnes sus-citées, je reste

entièrement responsable des erreurs et maladresses qu’il contient sans doute.

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Sommaire

REMERCIEMENTS .............................................................................................................................................. 2

LISTE DES TABLEAUX, DES FIGURES ET DES ENCADRES ..................................................................... 5

LISTE DES ABREVIATIONS .............................................................................................................................. 8

INTRODUCTION ................................................................................................................................................ 10

PARTIE 1. CADRES CONJONCTUREL, CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE

........................................................................................................................................................... 14

CHAPITRE 1. ELEMENTS DE CONTEXTES DE LA RECHERCHE ........................................................................... 15

CHAPITRE 2. OBJECTIFS ET HYPOTHESES DE LA RECHERCHE .......................................................................... 44

CHAPITRE 3. PRESENTATION DES SUPPORTS METHODOLOGIQUES .................................................................. 52

PARTIE 2. FREINS AU MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER ..................... 75

CHAPITRE 4. MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER : DES REALITES SOCIALEMENT

CONTRASTEES ............................................................................................................................ 76

CHAPITRE 5. PRECARISATION FINANCIERE APRES LE DIAGNOSTIC : UN EFFET « DOUBLE-PEINE » POUR LES

PERSONNES VULNERABLES ...................................................................................................... 111

CHAPITRE 6. VALEUR HEURISTIQUE D’UNE ANALYSE AU PRISME DU GENRE ................................................ 133

CONCLUSION DE LA PARTIE 2 : DE L’INTERET DE L’ANALYSE DE LA VULNERABILITE .................................... 160

PARTIE 3. LEVIER DE LA REPRISE DE L’ACTIVITE PROFESSIONNELLE APRES UN DIAGNOSTIC

DE CANCER : ANALYSE D’UN PROCESSUS BIOGRAPHIQUE ........................................... 166

CHAPITRE 7. LES LEVIERS DU MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER .............................. 167

CHAPITRE 8. MODELE THEORIQUE DU RETOUR AU TRAVAIL APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER : L’APPORT

D’UNE APPROCHE PAR LA MOTIVATION .................................................................................... 195

CHAPITRE 9. LA MOTIVATION, ELEMENT CENTRAL DU PROCESSUS DE RETOUR AU TRAVAIL ........................ 217

CONCLUSION DE LA PARTIE 3 : CONSTRUCTION INDIVIDUELLE ET SOCIALE DE LA VULNERABILITE ............... 247

CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................................ 250

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................. 263

ANNEXES .......................................................................................................................................................... 281

I. DOCUMENTS D’AIDE A LA COMPREHENSION ............................................................................ 283

II. LISTE DES PRODUCTIONS SCIENTIFIQUES REALISEES OU EN COURS .......................................... 307

III. AUTRES PRODUCTIONS ............................................................................................................ 311

ABSTRACT ........................................................................................................................................................ 312

TABLE DES MATIERES .................................................................................................................................. 314

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Liste des tableaux, des figures et des encadrés

Chaque tableau, figure et encadré est numéroté par le numéro du chapitre auquel il

appartient, suivi du chiffre correspondant à son ordre d’apparition dans le chapitre.

Tableaux

Tableau 4.1. Évolution de la situation professionnelle en fonction du statut occupé au moment

du diagnostic, cinq ans auparavant (en %).

Tableau 4.2. Facteurs associés à une réduction du temps de travail ou à la sortie de l’emploi par

rapport à un maintien en situation d’emploi.

Tableau 4.3. Facteurs associés au fait d’appartenir à une transition (versus les autres) parmi les

personnes en emploi au diagnostic (effets marginaux en %).

Tableau 6.1. Facteurs associés à la sortie de l’emploi cinq ans après un diagnostic de cancer.

Figures

Figure 4.1. Situation professionnelle au moment de l’enquête des personnes en emploi au

moment du diagnostic selon la localisation (en %).

Figure 4.2. Situation professionnelle au moment de l’enquête des personnes en emploi au

moment du diagnostic selon la catégorie socioprofessionnelle de l’emploi occupé

(en %).

Figure 4.3. Vue d’ensemble de l’évolution mensuelle des trajectoires professionnelles au cours

des cinq années suivant le diagnostic de cancer (en %).

Figure 4.4. Durée moyenne du premier arrêt-maladie à la suite du diagnostic de cancer selon la

transition ultérieure (en mois).

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Figure 4.5. Délai entre la fin de l’emploi occupé au diagnostic et celui occupé à l’enquête selon

le niveau d’études.

Figure 4.6. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur le caractère

neuropathique des douleurs ressenties.

Figure 4.7. Situation professionnelle au moment de l’enquête des travailleurs indépendant en

emploi au moment du diagnostic selon leur catégorie socioprofessionnelle.

Figure 4.8. Facteurs associés à la sortie d'emploi (chômage, inactivité, arrêts longs) cinq ans

après un diagnostic de cancer.

Figure 5.1. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur les revenus du foyer

au diagnostic et cinq ans après.

Figure 5.2. Facteurs associés à la diminution des revenus disponibles par individu.

Figure 5.3. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur la perception des

individus de leur situation financière.

Figure 5.4. Perception de la variation des revenus selon la variation mesurée pour les personnes

en emploi au diagnostic et cinq ans après.

Figure 7.1. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur des modifications

au travail.

Figure 7.2. Part de recours aux aménagements selon le type proposé et taux d’emploi à cinq ans

associés.

Figure 8.1. Modèle exigences-ressources de Demerouti (2017).

Figure 8.2. Modèle théorique du processus de poursuite de l’activité professionnelle après un

diagnostic de cancer.

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Encadrés

Encadré 1.1. Mesures des Plans Cancer sur la vie professionnelle.

Encadré 5.1 Méthode de prise en compte des réponses partielles sur les revenus : imputation

multiple et « bootstrap ».

Encadré 5.2. Prise en compte des données manquantes : le modèle d’Heckman (Heckman

1979).

Encadré 6.1. Méthode de décomposition de Blinder-Oaxaca pour expliquer les différences de

salaire entre les femmes et les hommes.

Encadré 7.1. Méthode d’appariement par score de propension.

Encadré 7.2. Extraits d’entretiens portant sur la RQTH.

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Liste des abréviations

AAH : Allocation adulte handicapé

ALD : Affection de longue durée

ANACT : Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail

ANDRH : Association nationale des directeurs de ressources humaines

AP-HM : Assistance public des hôpitaux de Marseille

ARACT : Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail

CDD : Contrats à durée déterminée

CDI : Contrats à durée indéterminée

CNAMTS : ex-Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés

PCS : Catégorie socioprofessionnelle

DN(C) : Douleurs neuropathiques (chroniques)

ETM : Exonération du ticket modérateur

IDS : Indice de défavorisation sociale

IJ(SS) : Indemnités journalières (de la Sécurité sociale)

INCa : Institut national du cancer

INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques

INSERM : Institut national de la santé et de la recherche médicale

IPC : Institut Paoli-Calmettes

LMNH : Lymphome malin non-Hodgkinien

MDPH : Maison Départementale des Personnes Handicapées

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MSA : Mutuelle sociale agricole

OMS : Organisation Mondiale de la Santé

PACTE : Programme d’actions cancer toutes entreprises

RQTH : Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé

RSE : Responsabilité sociale des entreprises

RSI : ex-Régime social des indépendants

RUC : Revenus par unité de consommation

SMIC : Salaire minimum de croissance

SST : Services de santé au travail

TPT : Temps partiel thérapeutique

VADS : Voies aérodigestives

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Introduction

« Un homme sur cinq et une femme sur six dans le monde développeront un cancer au

cours de leur vie », estime l’Organisation Mondiale de la Santé (CIRC, 2018). En France, en

2008, trois millions de personnes de plus de 15 ans avaient connu un diagnostic de cancer au

cours de leur vie, soit 6,4 % de la population masculine et 5,3 % de la population féminine

(Colonna et al., 2015). Près de dix ans plus tard, ce chiffre est estimé à près de quatre millions

(INCa, 2019). Première cause de mortalité prématurée depuis 2004, le cancer est au cœur

d’enjeux politiques avec la mise en place des Plans Cancer 2003 – 2007, 2009 – 2013 et 2014

– 2019. Si son incidence demeure particulièrement élevée avec près de 400 000 cas enregistrés

chaque année dans l’hexagone, les progrès médicaux et technologiques réalisés pour son

dépistage aboutissent à des diagnostics de plus en plus précoces : sur 1 000 personnes

diagnostiquées chaque jour, 400 ont moins de 65 ans. De plus, l’amélioration de sa prise en

charge thérapeutique permet aux personnes atteintes de vivre plus longtemps avec la maladie,

et même dans environ 60 % des cas, d’en guérir. Dans les médias comme dans la recherche, de

nouveaux concepts apparaissent : l’« après-cancer » et le « vivre avec un cancer », dans lesquels

la notion de « maladie chronique » (OMS) est fondamentale. C’est donc dans cette réalité que

s’inscrit cette recherche qui vise à enrichir les connaissances sur les conditions de vie des

personnes atteintes de cancer en prenant pour objet un aspect spécifique du quotidien : la vie

professionnelle.

Composante principale de l’objectif 9 du 3ème Plan Cancer, favoriser le retour au travail

et le maintien en emploi après le diagnostic vise à « diminuer l’impact du cancer sur la vie

personnelle » (Plan Cancer 2014-2019). Ces vingt dernières années ont été marquées par

l’augmentation de l’intérêt porté à l’après-cancer ; de nombreuses études réalisées dans

différents champs disciplinaires tels que la santé publique, l’économie, la sociologie ou encore

la psychologie, ont investigué l’impact de la maladie sur les trajectoires professionnelles.

Néanmoins, la plupart de ces travaux restreignent leurs analyses aux femmes atteintes d’un

cancer du sein, du fait de son importante prévalence dans les populations en âge de travailler,

et reposent sur des durées d’observation relativement courtes (de moins de deux ans après le

diagnostic en moyenne). Cette recherche s’inscrit dans le sillage de ces premiers travaux et vise

à étudier l’impact de la maladie sur le maintien en emploi, en proposant une focale à moyen

terme et en essayant d’en comprendre les mécanismes.

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La question du retour au travail et du maintien en emploi des personnes atteintes de cancer

se situe au carrefour de trois disciplines : la santé publique, l’économie et la sociologie. Pour

commencer, cette recherche se situe dans une démarche de santé publique, en ce sens qu’elle

aspire à contribuer à « l'amélioration de l'état de santé de la population et de la qualité de vie

des personnes malades, handicapées et des personnes dépendantes » (Article L1411-1 du Code

de la santé publique). L’essence même de ce travail est ainsi de mener une réflexion sur les

outils disponibles, et ceux à considérer pour faciliter la poursuite de la vie professionnelle de

ces personnes. De plus, nombreux sont les économistes à s’être penchés sur la question du coût

social du cancer. Si les estimations varient fortement en fonction des méthodes utilisées, la

« perte d’utilité sociale » due à la mortalité et à la perte d’employabilité représente des sommes

de plusieurs milliards d’euros pour la société (Amalric, 2007). Ainsi, dans un contexte de

vieillissement démographique, dans lequel le recul de l’âge du départ à la retraite est une

solution adoptée par les politiques publiques, la participation au marché de l’emploi des

personnes atteintes d’une maladie chronique constitue un enjeu de l’économie du travail. Enfin,

il s’agit également d’un objet sociologique du fait du poids des représentations sociales de la

maladie d’une part, et, d’autre part, de l’importance de considérer l’individu comme une entité

évoluant dans différents espaces sociaux (médicaux, professionnels, familiaux etc.) au sein

desquels il interagit avec différentes catégories d’acteurs (soignants, collègues, proches…).

L’appropriation de ce sujet d’étude par les sociologues a permis l’émergence de concepts

permettant de mieux appréhender l’articulation des trajectoires de la maladie avec les

trajectoires professionnelles.

L’analyse des enjeux sociaux du retour au travail après un diagnostic de cancer est au

cœur de cette recherche. Il s’agit de comprendre les difficultés soulevées dans la littérature,

auxquelles font face les personnes atteintes, qui persistent en dépit des dispositifs mis en place

par les pouvoirs publics pour y remédier. Plus spécifiquement, elle poursuit deux objectifs

principaux : 1) mettre en évidence les contrastes socialement marqués de la réalité des

« personnes atteintes d'un cancer » et leurs effets sur le maintien en emploi et 2) caractériser le

processus de reprise ou de maintien du travail en étudiant ses temporalités, ses acteurs et ses

enjeux.

Pour ce faire, nous situons notre investigation dans une démarche transdisciplinaire

puisqu’elle mêle des approches épidémiologiques, sociologiques et économiques du sujet. Sur

le plan méthodologique, cette recherche mobilise des méthodes mixtes prenant appui à la fois

sur des données quantitatives et des données qualitatives. Il nous semble que la complémentarité

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de ces méthodes permet de dresser un panorama au plus près de la réalité, alliant la force

statistique du grand nombre d’observations quantitatives, standardisées et représentatives, à la

richesse et au détail des informations recueillies lors d’entretiens. À cette fin, nous avons dans

un premier temps exploité les données d’une enquête quantitative nationale, conduite par

l’Institut National du Cancer (enquête VICAN5) sur la thématique générale des conditions de

vie cinq ans après un diagnostic de cancer. Bien que conséquente, la partie relative à la vie

professionnelle des personnes concernées ne pouvait rendre compte de manière exhaustive du

sujet ; celle-ci n’ayant par exemple pas traité de la dimension subjective de l’individu vis-à-vis

de son travail. C’est pourquoi, dans un second temps, une enquête qualitative a été réalisée dans

le cadre même de cette recherche, tentant de répondre aux questions soulevées par les premières

analyses des données quantitatives.

Ainsi, toujours dans l’optique de proposer une vision pluridisciplinaire de notre objet

d’étude, l’exposé des résultats de notre recherche suit un cours peu conventionnel en santé

publique puisqu’il est présenté selon un plan thématique, chaque partie présentant un axe de

recherche. Au sein de ces parties, chaque chapitre développe une perspective de recherche issue

d’hypothèses spécifiques formulées à partir d’hypothèses plus générales. Si chacun des

chapitres comporte des études qui ont été, ou ont pour ambition d’être, valorisées

scientifiquement sous forme de communications et de publications listées en annexe, ces

dernières ne pourraient se substituer aux résultats présentés dans le présent document. Ainsi, et

contrairement aux formes valorisées, les chapitres pourront, lorsque cela semblera pertinent,

combiner différentes méthodes et sources de données (qualitative et quantitative) afin de

proposer au lecteur un aperçu global de l’objet étudié. Enfin, s’agissant de la rédaction,

l’écriture inclusive n’a finalement pas été choisie, afin de ne pas alourdir la lecture de ce

document, suffisamment conséquent.

Le déroulement de cette recherche s’effectue selon le plan suivant : une première partie

propose une mise en contexte de la recherche, de son objet d’étude et des partis pris sur les

plans conceptuel et méthodologique, une deuxième partie porte sur l’identification des

principaux freins médicaux et sociaux au maintien en emploi à distance d’un diagnostic de

cancer, tandis qu’en troisième partie, une approche plus individu-centrée est mobilisée afin

d’identifier les leviers de la reprise du travail et du maintien en emploi post-diagnostic.

Plus précisément, la Partie 1 présente dans un premier chapitre les motivations de la

recherche et la conjoncture économique et sociale dans laquelle elle s’inscrit, analysant d’une

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part le contexte de l’étude de la relation cancer-travail dans la recherche en santé et, d’autre

part, la situation socio-économique dans laquelle évoluent les personnes actives, atteintes d’un

cancer en France (chapitre 1). Le deuxième chapitre de cette première partie expose les

principales questions de recherche ainsi que les hypothèses guidant le déroulé de l’étude

(chapitre 2). Le dernier chapitre présente les outils de la recherche, les enquêtes et les

principales méthodes mobilisées pour répondre aux hypothèses précédemment énoncées

(chapitre 3).

Dans la Partie 2 de cet exposé, il s’agit dans un premier chapitre d’étudier les principaux

freins pouvant influer sur le maintien en emploi, en mettant l’accent sur les réalités socialement

contrastées (chapitre 4). Les facteurs individuels, sociaux et médicaux et leurs éventuelles

interactions sont étudiés de manière à identifier les déterminants du maintien en emploi à

distance du diagnostic. En analysant l’évolution de la situation financière des personnes

atteintes de la maladie, le chapitre suivant poursuit l’analyse et invite à élargir la conception du

maintien en emploi afin d’en préciser les conditions (chapitre 5). Le dernier chapitre de cette

deuxième partie porte la focale sur les différences de sexe observées dans une approche

intersectionnelle et suggère une interprétation au prisme du genre (chapitre 6).

La Partie 3, dernière partie de ce travail, expose dans un premier chapitre les principaux

leviers identifiés dans la littérature ainsi que les ressources disponibles en France œuvrant pour

favoriser le retour au travail et le maintien en emploi après le diagnostic de cancer et, dans une

approche par les capacités (Sen, 1992), analyse l’effet spécifique d’un aménagement du travail

(chapitre 7). Dans la continuité de ce cheminement, le retour au travail et le maintien en emploi

sont ensuite appréhendés en tant que parties intégrantes du processus biographique et, en ce

sens, un nouveau modèle théorique mettant au centre de l’analyse la motivation individuelle est

proposé dans le deuxième chapitre de cette troisième partie (chapitre 8). Enfin, le dernier

chapitre est consacré à une application de ce modèle au matériau qualitatif (chapitre 9).

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Partie 1. Cadres conjoncturel, conceptuel et

méthodologique de la recherche

La première partie de cette recherche consiste en une mise en perspective de son sujet.

L’objectif est d’en comprendre les fondements (pourquoi étudier le retour au travail et le

maintien en emploi après un diagnostic de cancer ?), la structure (quels sont les points qui seront

investigués pour rendre compte de ce sujet ?) et les appuis méthodologiques (comment va-t-on

répondre à nos objectifs de recherche ?). Elle est ainsi divisée en trois chapitres, chacun

essayant d’apporter des éléments de réponse à l’une de ces questions. Elle constitue un socle

nécessaire, partie intégrante de ce travail de recherche.

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Chapitre 1. Eléments de contextes de la recherche

L’exploration des études scientifiques réalisées sur la relation entre cancer et travail fut,

de manière tout à fait conventionnelle, l’une des premières démarches effectuées pour ce travail.

La recherche des mots clés concernant le retour au travail et le maintien en emploi associés au

terme « cancer » sur Pubmed1 a donné 2 334 résultats, parmi lesquels 337 études mentionnent

une combinaison de ces mots clés dans leur titre. Après exclusion des trente études utilisant une

autre acception du terme « employment » et de celles portant sur l’emploi des aidants ou des

personnes atteintes d’un cancer durant leur enfance, encore une vingtaine d’études ont dû être

écartées dans la mesure où elles analysaient l’emploi et le cancer sous l’angle des risques de

cancer issus d’une exposition professionnelle. Parmi ces dernières, la quasi-intégralité des

études a été réalisée entre 1970 et 2000 tandis que, parmi les études retenues pour cette

recherche, seules dix-sept sont antérieures aux années 2000 ; la fréquence de ces publications

n’a cessé d’augmenter par la suite et jusqu’à aujourd’hui.

Ce constat témoigne d’une part d’une dichotomie temporelle dans l’approche de la

relation cancer-travail : principalement abordée sous l’angle de l’impact du travail sur le cancer

jusqu’aux années 2000, l’approche s’est finalement inversée pour s’intéresser par la suite à

l’impact de la maladie sur la vie professionnelle. D’autre part, il est révélateur de l’intérêt

croissant porté à l’étude de la poursuite de la vie professionnelle à la suite d’un diagnostic de

cancer. Pour mieux comprendre les éléments contextuels ayant conduit à pareil constat, ce

chapitre est consacré à une présentation de la conjoncture dans laquelle s’inscrit la présente

recherche. Plus précisément, les évolutions des contextes épidémiologique, social et

socioéconomique du cancer sont présentées afin de donner des éléments de cadrage aux

résultats qui seront présentés ensuite.

1 Dernière analyse datant du 03/04/19 « (cancer[Title]) AND ((job retention[Title/Abstract]) OR (return

to work[Title/Abstract]) OR (employment[Title/Abstract])) ».

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1.1. La relation cancer-travail : un objet d’étude récent pour les sciences

sociales

1.1.1. Une relation définie par le contexte épidémiologique de la maladie

« Un cancer survient à partir d'une cellule normale altérée par un certain nombre

d'anomalies – des mutations – qui ne sont pas réparées par les processus habituels. La cellule

devient anormale et, si elle n'est pas détruite, se multiplie pour former une tumeur. »

INCa, site officiel rubrique ‘‘Qu’est-ce qu’un cancer ?’’

En chiffres, le cancer c’est environ 400 000 nouveaux individus diagnostiqués chaque

année en France : 204 600 chez l’homme et 177 400 chez la femme en 2018. Avec 150 000

décès par an, le cancer est la première cause de mortalité chez l’homme (89 600 décès

enregistrés en 2018) et la deuxième chez la femme (après les accidents vasculaires cérébraux,

avec 67 800 décès tous cancers confondus, enregistrés en 2018) (INCa, 2019). Le cancer est

également la première cause de décès prématuré avant 65 ans, aussi bien chez l'homme que

chez la femme. Si ce contexte épidémiologique place le cancer parmi les principaux enjeux de

santé publique en France, il est le fruit de profondes transformations marquées par deux

mouvements : d’abord une forte augmentation de l’incidence et de la mortalité jusqu’en 1985,

puis une importante diminution de cette dernière depuis la fin des années 1980 (Institut de veille

sanitaire2).

2 http://ireps-

picardie.fr/News/News_Cres_OR2S/Newsletter10juinjuil2009/rapp_sci_cancer_mortalite_web.pdf ;

http://invs.santepubliquefrance.fr/publications/2009/estimation_cancer_1980_2005/estimation_cancer

_1980_2005.pdf, consulté le 3 juillet 2019.

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Un nouvel objet d’étude en sciences sociales

L’augmentation conjointe de l’incidence et de la mortalité par cancer jusqu’en 1985 est

principalement due au fait que cette maladie est de mieux en mieux diagnostiquée et donc de

plus en plus recensée3. Forte de ce constat, la recherche pour la lutte contre le cancer s’organise

exclusivement autour de deux axes principaux : la prévention primaire, visant à limiter

l’incidence, et la prévention secondaire, axée sur la thérapeutique, ayant pour objectif d’en

réduire la mortalité. Cette première phase est marquée par l’identification de facteurs de risques

qui permet l’émergence de la prévention en oncologie par la mise en place de politiques

publiques. La mise en cause de l’environnement professionnel comme lieu d’exposition à des

agents pathogènes (amiante, produits chimiques etc.) fut donc l’objet des premières recherches,

nombreuses, ayant porté sur la relation cancer-travail. C’est ainsi qu’ont pu être révélées les

premières inégalités socioprofessionnelles dans le cas du cancer, les études scientifiques

montrant une exposition aux risques socialement différenciées, en défaveur des individus

considérés comme vulnérables selon des critères socioéconomiques.

Par ailleurs, les progrès médicaux permettent en parallèle des diagnostics de plus en plus

précoces et des avancées thérapeutiques incessantes grâce auxquels la mortalité commence à

décliner. En effet, à partir des années 1980, les indicateurs épidémiologiques affichent une

nouvelle tendance, traduite principalement par une constante diminution de la mortalité (-10 %

entre 1980 et 2000) (Hill et Doyon, 2005). En revanche, l’incidence ne cesse d’augmenter

jusqu’en 2005 (+30 % entre 1980 et 2000) du fait notamment d’un dépistage plus systématique

mais également de l’évolution démographique de la population française (augmentation et

vieillissement de la population). Ainsi, l’amélioration considérable de la survie nette face au

cancer est la principale explication à la réduction de la mortalité (mesurée par le nombre de

décès chez les malades rapporté au nombre de nouveaux cas enregistrés dans la population

générale). Ce constat est le fruit d’une meilleure prise en charge, de progrès thérapeutiques ainsi

que d’une précocité des diagnostics permise notamment par le développement du dépistage

3 La connaissance du mécanisme de développement cellulaire anarchique depuis l’avènement de la

théorie cellulaire au XIXème siècle, toujours en vigueur aujourd’hui, a impulsé la recherche dans

l’innovation thérapeutique qui s’est rapidement développée. La lutte contre la maladie s’organise et

s’institutionnalise en France avec notamment la création de La Ligue contre le cancer (en 1918) puis de

la fondation Curie (en 1921) et enfin, avec le développement de services hospitaliers spécialisés ; le

dépistage devient alors plus systématique et les expérimentations thérapeutiques augmentent.

Page 18: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

18

individuel et la mise en place de programmes de dépistage organisé (Cowppli-bony et al., 2016;

Monnereau et al., 2016). Bien que, depuis 2005, l’incidence du cancer soit légèrement en baisse

chez les hommes (en raison notamment de la baisse de l’incidence du cancer de la prostate) et

se ralentisse chez les femmes, l’amélioration de la survie entraîne alors mécaniquement une

augmentation de la prévalence de personnes concernées : le réseau français des registres de

cancer estimait en 2008 à 3 millions le nombre de personnes âgées de 15 ans et plus et résidant

en France ayant connu au moins un diagnostic de cancer au cours de leur vie (dont 1,1 million

pour lesquelles la maladie avait été diagnostiquée au cours des cinq dernières années) (Colonna

et al., 2015) et ce même chiffre à 4 millions en 2019.

L’augmentation de la survie après un diagnostic de cancer et l’allongement de la durée

de vie avec la maladie permettent, à partir des années 2000, l’émergence de nombreuses

recherches en sciences humaines et sociales qui prennent le cancer pour objet d’étude, apanage

jusqu’alors de la médecine. Une partie de ces nouveaux travaux décrit la vie après ou avec le

cancer, et montre ainsi les nombreux bouleversements provoqués par la maladie sur la santé

physique, mais également psychologique, des individus concernés, ainsi que sur différents

aspects de leur vie quotidienne : leurs bien-être social, familial et leur vie professionnelle. Ainsi,

l’appropriation par les sciences sociales du sujet cancer-travail permet d’inverser le regard,

jusqu’alors strictement épidémiologique, portant principalement sur l’impact du travail sur la

santé des individus. La littérature scientifique est aujourd’hui particulièrement prolifique sur

les questions d’impact de la maladie sur la vie professionnelle.

Des objets d’études médicales

Si en moyenne les taux d’incidence et de mortalité ont diminué ces dix dernières années,

ils varient fortement en fonction de la localisation cancéreuse. Les trois cancers les plus

fréquents sont ceux de la prostate, du poumon et du côlon-rectum chez l’homme et ceux du

sein, du côlon-rectum et du poumon chez la femme. L’augmentation de l’incidence de ce

dernier depuis dix ans laisse à penser qu’il deviendra la première cause de mortalité par cancer

chez les femmes (ce qu’il est déjà chez les hommes). En outre, selon la localisation de la tumeur

maligne, la survie nette estimée à cinq ans varie fortement : chez les hommes de 4 % pour le

mésothéliome pleural à 96 % pour le cancer du testicule, et chez les femmes, de 7 % pour le

Page 19: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

19

cancer du pancréas à 98 % pour celui de la thyroïde4. Elle varie également en fonction du stade

de la tumeur (plus elle est diagnostiquée tôt, plus les chances de survie augmentent) et de l’état

de santé général de la personne atteinte (les personnes âgées ou présentant des comorbidités ont

des chances de survie plus faibles). Au regard de ces différences épidémiologiques, en termes

d’incidence et de létalité notamment, la maladie « cancer » cache donc des réalités médicales

très différentes. À ce sujet, le docteur Joseph Gligorov, cancérologue à l’hôpital Tenon à Paris,

interrogé dans l’hebdomadaire Le Journal du dimanche5, explique :

« Il n’y a plus un, mais des cancers du sein, du poumon, du côlon, etc. De ce fait,

les cancers vont possiblement être divisés en plusieurs maladies dont une des

caractéristiques sera la sensibilité à des thérapies ciblées qui agiront parfois sur des

cancers nichés sur deux organes différents mais très proches sur le plan biologique.

Notre horizon, c’est la construction de cartes d’identité biologiques des cancers

permettant leur prise en charge personnalisée. »

« L’horizon » évoqué par ce cancérologue illustre la nouvelle approche dans le développement

des traitements anti-cancéreux : celle d’une médecine personnalisée, appelée « médecine de

précision ». Jusqu’alors, les traitements dits « classiques » du cancer consistaient en une (ou

des) intervention(s) chirurgicale(s) visant à retirer, de manière plus ou moins élargie selon le

stade, la tumeur et les tissus environnants, et/ou en des séances de radiothérapie, l’irradiation

(interne dans le cas de la curiethérapie et externe dans le cas de la radiothérapie externe) ayant

pour objectif de détruire les cellules cancéreuses, et/ou en des injections médicamenteuses de

chimiothérapie conventionnelle, traitement systémique visant à éliminer les cellules

cancéreuses. Au cours des dix dernières années, les nouvelles techniques de séquençage de

l’ADN ainsi que les progrès de la recherche sur la caractérisation des mutations responsables

du développement de la tumeur ont permis l’apparition de deux nouveaux traitements

spécifiquement adaptés aux caractéristiques de la tumeur du patient considéré : les thérapies

ciblées, visant à bloquer la croissance ou la propagation de la tumeur en agissant en amont sur

4 Les taux présentés ici correspondent à la survie nette et non à la survie observée. Il s’agit d’une

estimation de la survie relative qui serait observée en l’absence de décès induit par une cause non liée

au cancer. Selon les localisations, ces taux diffèrent de ceux observés, notamment chez les populations

âgées.

5 Article du 23 septembre 2012 par Anne-Laure Barret, consulté pour la dernière fois le 09/05/2019 à

l’adresse : https://www.lejdd.fr/Societe/Sante/Interview-du-cancerologue-Joseph-Gligorov-Il-n-y-a-

pas-un-mais-des-cancers-559448-3209606.

Page 20: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

20

les causes de la prolifération anormale des cellules, et l’immunothérapie spécifique, visant à

stimuler le système immunitaire du patient afin de renforcer son action de protection. Ainsi,

comme le précise l’INCa, « il n’existe pas un cancer par organe, mais une multitude de sous-

types de cancers présentant chacun des anomalies particulières »6, ce qui se traduit également

par une multitude d’effets secondaires indésirables relatifs à la maladie ainsi qu’à son

traitement.

Quelles que soient les trajectoires de la maladie (Ménoret, 1999), les traitements du cancer

impliquent le plus souvent des périodes d’hospitalisation plus ou moins longues et répétées

selon l’acte prodigué. À la suite du diagnostic de la maladie, l’équipe médicale se réunit pour

établir un plan thérapeutique et le médecin en charge remet alors au patient un calendrier

précisant la nature des traitements, ainsi que les jours et les lieux où ils seront administrés. Dès

l’annonce du diagnostic, la vie de la personne malade est alors rythmée par ce calendrier

médical, prévoyant les périodes de traitement, d’examens de contrôle, de consultations, mais

également les périodes de repos, parties intégrantes du soin. Ce calendrier peut alors s’étendre

sur plusieurs semaines, voire sur plusieurs mois, selon la gravité de la maladie, définie par

différents critères dont la classification internationale TNM7 (taille, extension ganglionnaire,

extension métastatique) est la plus utilisée pour les tumeurs solides.

La coordination de ce nouveau calendrier de soins avec le calendrier quotidien préexistant

peut ainsi devenir un vrai défi pour les personnes malades, en particulier pour les personnes

actives, pour lesquelles le calendrier professionnel doit également s’adapter à ce nouvel

impératif. Le plus souvent, la coordination des différents agendas est impossible, le travail de

soins entrepris par la personne malade requérant une activité à plein temps. Afin de répondre à

ces besoins de disponibilité et de repos, l’enregistrement en arrêt-maladie indemnisé (sur

proposition systématique du médecin), autrement dit l’arrêt de travail pour maladie, est alors la

solution la plus fréquente. Ce dispositif, instauré pour la première fois par une loi de 1928 et

déployé par l’Assurance maladie8, a pour objectif de protéger l’assuré en lui versant des

6https://www.e-cancer.fr/Patients-et-proches/Se-faire-soigner/Traitements/Therapies-ciblees-et-

immunotherapie-specifique/Medecine-de-precision, consulté le 13 juin 2019. 7 Classification fondée sur des critères médicaux tels que la taille de la tumeur, son étendue et la présence

de métastases, permettant d’estimer la gravité de la maladie et donc le taux de survie associé. Pour plus

d’information, voir : https://www.e-cancer.fr/Dictionnaire/C/classification-TNM, consulté le 13 juin

2019. 8 L’article 5 du Code de Sécurité Sociale disposait déjà en 1928 que « si l’assuré ne peut, d’après

attestation médicale, continuer ou reprendre le travail, il a droit, à partir du sixième jour qui suit le début

Page 21: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

21

indemnités journalières destinées à compenser la perte de salaire conséquente à l’arrêt de

travail. En complément, le Code du travail prévoit que tout salarié ayant plus d’un an

d’ancienneté dans l’entreprise a droit à une indemnité complémentaire à celle prise en charge

par la Sécurité sociale9. Ces indemnités sont calculées à partir des revenus bruts du salarié et

lui sont versées tous les quatorze jours à partir d’un délai de carence de trois jours10. Ainsi, le

système légal français permet au salarié malade de se consacrer pleinement à ses soins pour une

durée maximale de trois années, tout en lui garantissant une source de revenus et la conservation

de son emploi (dans l’hypothèse où son état de santé est compatible avec une reprise du

travail)11.

L’absence au travail est donc déterminée par ce « calendrier médical » défini par l’équipe

soignante en fonction de la sévérité de la maladie. Plus celle-ci est grave, plus elle nécessite des

traitements dits « invasifs » et plus les arrêts de travail sont prolongés. Or, certaines études ont

de la maladie ou l’accident, et jusqu’à la guérison ou jusqu’à l’expiration des six mois prévus à l’article

4, à une indemnité par jour ouvrable égale au demi-salaire moyen quotidien. » En 1945, cette durée

maximale de l’arrêt de six mois est étendue, un décret d’application prévoyant en effet que « l'indemnité

journalière peut être servie pendant une période de trois ans », disposition toujours en vigueur

aujourd’hui.

9 L’article L1226-1 du Code du travail, tel qu’issu de la Loi n°2008-596 du 25 juin 2008), en vigueur du

27 juin 2008 au 23 décembre 2015, disposait que : « Tout salarié ayant une année d'ancienneté dans

l'entreprise bénéficie, en cas d'absence au travail justifiée par l'incapacité résultant de maladie ou

d'accident constaté par certificat médical et contre-visite s'il y a lieu, d'une indemnité complémentaire à

l'allocation journalière prévue à l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale, à condition : 1° D'avoir

justifié dans les quarante-huit heures de cette incapacité ; 2° D'être pris en charge par la sécurité sociale ;

3° D'être soigné sur le territoire français ou dans l'un des autres Etats membres de la Communauté

européenne ou dans l'un des autres Etats partie à l'accord sur l'Espace économique européen. Ces

dispositions ne s'appliquent pas aux salariés travaillant à domicile, aux salariés saisonniers, aux salariés

intermittents et aux salariés temporaires. Un décret en Conseil d'Etat détermine les formes et conditions

de la contre-visite mentionnée au premier alinéa. Le taux, les délais et les modalités de calcul de

l'indemnité complémentaire sont déterminés par voie réglementaire. » Depuis le 23 décembre 2015, la

première condition a été complétée de la mention suivante : « 1° D'avoir justifié dans les quarante-huit

heures de cette incapacité, sauf si le salarié fait partie des personnes mentionnées à l'article L. 169-1 du

code de la sécurité sociale » (c’est-à-dire sauf s’il a été « victime d'un acte de terrorisme, blessé ou

impliqué lors de cet acte » ).

10 L’indemnité journalière versée par la Sécurité sociale correspond à 50 % du salaire journalier de base,

calculé sur la moyenne des salaires bruts des 3 derniers mois précédant l’arrêt de travail (12 mois pour

les saisonniers). Ce montant est fixé dans la limite d’un plafond correspondant à 1,8 fois le salaire

minimum légal (Smic). Cette indemnité est majorée en cas de présence d’au moins trois enfants à charge.

11 Le licenciement (hors inaptitude) d’un salarié en raison de son état de santé est considéré comme

discriminatoire et est en ce sens strictement interdit par la loi : « aucun salarié ne peut être sanctionné,

licencié (…) en raison de son état de santé ou de son handicap. » (Article L1132-1 du Code du travail).

Page 22: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

22

montré pour différentes pathologies, que la durée des arrêts de travail était positivement corrélée

aux difficultés rencontrées dans la reprise de l’activité professionnelle (Le Corroller-Soriano et

al., 2008; Sevellec et al., 2015; Barnay et al., 2015b).

Dans ce contexte, pourquoi continuer de parler du cancer au singulier ? Quel est l’apport

heuristique d’une recherche qui se focalise sur « le » cancer et « son » effet sur la vie

professionnelle ?

Une maladie chronique

Considérant les constats épidémiologiques présentés précédemment et l’allongement de

la durée de vie avec un cancer (concernant presque tous le types de cancers), la maladie entre

désormais dans la catégorie des « affections de longue durée qui, en règle générale, évoluent

lentement »12 définies comme maladies chroniques par l’Organisation Mondiale de la Santé

(OMS). Cette définition fait néanmoins débat parmi différents professionnels travaillant sur le

cancer. Pour l’oncologue Mario Di Palma, la chronicité ne fait aucun doute puisque « de plus

en plus de gens vivent avec le cancer ». On constate en effet de plus en plus un « allongement

généralisé de la durée de vie avec un cancer qui ne guérira pas »13. Pour le sociologue Philippe

Bataille, cette chronicité témoigne d’avancées médicales qui ont transformé l’appréhension de

la maladie. Si celle-ci est généralement « installée » dans le discours médical, mais encore très

peu dans la pratique (Ménoret, 1999), elle demeure, dans l’environnement social, qu’un savoir

expérientiel des patients et de leurs proches. Cette mécompréhension de la chronicité est

augmentée par l’organisation médicale, centrée sur la prise en charge de la phase aiguë. Lorsque

le traitement curatif de la maladie est arrêté, le patient ressent souvent un isolement : s’il n’est

plus pris en charge par l’équipe médicale c’est qu’il n’est plus malade, or, il ne se sent pas tout

à fait sain. Le sociologue explique que « les malades du cancer se sentent plus proches de la

notion de handicap » que de celle de maladie chronique (Bataille et Bretonnière, 2016), ce qui

se comprend principalement au regard d’une autre gestion nécessaire de la part des patients :

celle de l’après cancer. En effet, si pour certains la tumeur a disparu, elle a souvent laissé des

séquelles physiques, psychologiques ou sociales qu’il faut appréhender. De nombreuses études

ont recensé les effets secondaires indésirables provoqués par la maladie ou par ses traitements.

12 Extrait de la définition donnée par l’OMS. À retrouver sur le lien :

https://www.who.int/topics/chronic_diseases/fr/, consulté le 4 juillet 2019. 13 Extrait d’une chronique réalisée par Philippe Clouet sur la chronicité du cancer et interrogeant ici le

Pr Mario Di Palma, oncologue. À retrouver sur le lien : https://www.ligue-

cancer.net/vivre/article/41522_le-cancer-une-maladie-chronique, consulté le 4 juillet 2019.

Page 23: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

23

Ainsi, douleurs, fatigue, symptômes dépressifs ou anxieux et troubles psychiques sont autant

de séquelles, souvent à caractère chronique, exprimées par les personnes concernées. Pour

évoquer ce point, certains parlent de « guérison chronique » en ce sens que si la maladie

n’évolue plus, la guérison est multidimensionnelle (guérison dans son corps, dans sa vie sociale,

dans sa vie professionnelle) et s’inscrit généralement dans le temps. Ainsi, quelle que soit la

manière de le qualifier, le cancer intègre une temporalité spécifique, ce qui en fait un objet

d’étude à part entière.

Dans une recherche in situ, réalisée au sein d’un centre anti-cancéreux, la sociologue

Marie Ménoret rend compte de ces « temps du cancer » par la description de trois types de

trajectoire : l’entrée dans la maladie, allant des premiers symptômes au diagnostic de la

maladie ; les trajectoires « ascendantes », de l’entrée en traitement à la rupture biographique

puis à la reconstruction et, enfin, les trajectoires « descendantes », avec une évolution plus ou

moins lente vers la mort lorsque la maladie résiste aux traitements (Ménoret, 1999). Chacune

de ces trajectoires peut s’inscrire dans un temps plus ou moins long selon la sévérité de la

maladie, la spécificité des traitements et les « considérations biographiques et psychologiques

à l’égard du patient ». Le travail biographique du patient peut intervenir au sein des deuxième

et troisième trajectoires. Il consiste en un travail individuel de reconstruction et de mise en

cohérence des parcours personnel et thérapeutique par le malade, qui fait alors appel à des

représentations sociales propres à la maladie « cancer ». L’individu mène ainsi une réflexion

philosophique sur les causes éventuelles de la maladie, ce qui pourrait favoriser la guérison (et

éviter la récidive), mais aussi sur ce qui faciliterait la vie avec le cancer, ses symptômes et/ou

ses séquelles.

Page 24: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

24

1.1.2. Une relation définie par les représentations sociales de la maladie

Un objet de représentations sociales des personnes concernées

D’un point de vue étymologique, le cancer tire son origine du mot latin signifiant

« crabe ». Hippocrate (460-377 avant J-C) avait comparé la maladie tumorale à l’animal du fait

de sa morphologie : « la tumeur est en effet centrée par une forme arrondie et est entourée de

prolongements en rayons semblables aux pattes d’un crabe »14. Cette comparaison, encore

utilisée aujourd’hui, illustre bien les représentations sociales associées à une réalité biologique :

la tumeur est, comme le crabe, silencieuse et insidieuse et se déplace (ou plutôt s’étend) en

contaminant les cellules autour d’elle. De plus, à l’exception du cancer du col de l’utérus et de

la maladie de Hodgkin, les cancers n’ont a priori pas d’origine virale et ne peuvent ainsi pas

s’expliquer par l’attaque d’un agent extérieur, contrairement à d’autres maladies définies

comme chroniques (comme le SIDA, causé par une infection par le VIH). Dans le cas du cancer,

c’est notre propre corps qui se met à reproduire ses cellules de manière anormale, comme s’il

se retournait contre lui-même.

Cette représentation est renforcée par une méconnaissance générale du processus de

développement tumoral. Les caractéristiques biologiques de la maladie, attribuables à toute

forme de tumeur (du sein, du poumon, de la peau ou encore du sang), lui confèrent une identité

propre, pas encore complètement connue des experts scientifiques. En effet, dans la sphère

scientifique, on ne parle pas d’une cause unique qui serait à l’origine de l’apparition de la

maladie mais d’un schéma multifactoriel dont les effets sur l’organisme s’entrecroisent (Derbez

et Rollin, 2016). Plusieurs « facteurs de risque » sont identifiés comme pouvant être

« cancérogènes » tels que la pollution atmosphérique, la consommation de tabac et d’alcool,

une alimentation trop riche, l’exposition au soleil ou encore à des produits toxiques (amiante,

produits chimiques etc.) etc. sans qu’aucun de ces facteurs n’apparaisse comme nécessaire et

suffisant. Ce manque d’identification d’une cause simple, unique et sûre, crée une incertitude

qui participe à la peur15 du cancer : ce dernier peut toucher n’importe qui (même si on s’accorde

à dire que certains profils sont plus à risque que d’autres), à n’importe quel moment du cycle

de vie (enfants, jeunes, adultes et personnes âgées sont concernés) et n’importe où (toutes les

14 http://www.centre-paul-strauss.fr/comprendre-le-cancer/histoire-et-definition, consulté le 4 juillet

2019.

15 Le mot « cancérophobie » a même été intégré au dictionnaire de la langue française pour caractériser

une peur irrationnelle du cancer.

Page 25: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

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régions de France, tous les pays du monde sont concernés). On parle d’ailleurs d’« épidémie de

cancer » (Cicolella, 2007; Guérin et Hill, 2010).

Cette incertitude, mise en avant dans la littérature (Bataille et Bretonnière, 2016), quant

à « l’origine du mal » (Moulin, 2005), conduit les individus à construire des représentations

sociales (Jodelet, 2003; Moscovici, 1961) qui pourront les aider à comprendre, rationaliser et

maîtriser symboliquement leur cancer. En effet, comme le montre l’anthropologue Aline

Sarradon-Eck (Sarradon, 2009), le cancer est généralement défini comme une maladie de

l’individu qui porte alors « le mal en soi ». La recherche étiologique (Herzlich et Pierret, 1984)

amène donc certaines personnes à une introspection, et la survenue d’événements ayant

engendré du stress apparaît comme une des origines possibles de la maladie. Dans cette vision,

développée par la communauté scientifique et par les profanes, le cancer trouve son origine

dans l’histoire individuelle, ou plutôt dans la manière dont celle-ci a été intériorisée par la

personne malade, comme la manifestation biologique d’un mal psychologique. Ces

représentations se construisent alors différemment selon les individus puisqu’elles sont le fruit

d’une mobilisation de leurs connaissances, associée, dans le cadre de la maladie, à leur rapport

au corps d’une part et à la maladie d’autre part. Des études montrent que, pour certains,

« l’origine du mal » (Moulin, 2005) peut, au moins en partie, trouver racine dans

l’environnement professionnel, devenu l’une des premières sources de stress chronique dans

notre société. Ces associations faites entre conditions de travail et survenue de la maladie

peuvent interférer sur la manière d’appréhender la reprise du travail (Tarantini et al., 2014). Ces

études soulignent l’importance de prendre en compte les représentations du cancer par les

personnes malades dans une recherche portant sur l’impact de la maladie sur leur vie

professionnelle.

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Un objet de représentations sociales en population générale

En raison de l’importante prévalence des cas de cancers en France, la maladie est bien

connue de la population générale qui, elle aussi, développe des représentations sociales « du »

cancer. En effet, les résultats de l’enquête Baromètre Cancer16 montrent que 100 % des

personnes interrogées situent le cancer parmi les trois maladies les plus graves et sept personnes

sur dix le placent en première position (Beck et Gautier, 2012). De plus, ces mêmes résultats

montrent que presqu’une personne sur deux associe directement le cancer au champ lexical de

la mort. Ces représentations rappellent que malgré l’avancée de la médecine dans le domaine

de la cancérologie (Derbez et Rollin, 2016), les taux de mortalité restent de l’ordre de 40 % en

moyenne, pouvant atteindre jusqu’à 70 % voire 80 % (selon la distance au diagnostic à laquelle

on se situe) pour certaines localisations. Cette réalité n’échappe pas à la population générale

d’autant que depuis les années 70, rappeler que « le cancer tue » fut le principal fer de lance des

campagnes de prévention en santé publique. Le mot « cancer » reste, jusqu’à présent, associé à

une maladie mortelle, particulièrement redoutée puisqu’il est souvent représenté comme

conduisant à une mort lente et tragique, d’un mal qui « ronge »17, opposée à la « belle mort »

généralement définie comme rapide et indolore. La préférence de certains, et notamment des

médias, pour la locution « longue maladie »18 témoigne de cette peur du cancer. Une étude

italienne a d’ailleurs analysé les représentations de la maladie dans le cinéma (De Fiore et al,

2014) et a montré les importantes divergences avec la réalité : les malades y sont le plus souvent

jeunes, ils sont atteints de formes bien spécifiques laissant peu de séquelles visibles (outre la

perte de cheveux avec chimiothérapie), le cancer du sein y étant très peu représenté. Les

malades décèdent très vite après le diagnostic et très rares sont les films qui évoquent l’« après-

cancer ». Par ailleurs, souvent caractérisé de fléau (Pinell, 1992), l’adjectif est devenu une

caractéristique intrinsèque au mot « cancer » qui est aujourd’hui souvent repris comme

16 Réalisée par l’Inpes en 2010, cette enquête nationale a interrogé un échantillon représentatif de 4 000

personnes âgées de 15 à 85 ans en population française au sujet de leurs connaissances et comportements

concernant les facteurs de risque connus du cancer, ainsi que sur leurs représentations de la maladie et

des malades (Beck et Gautier, 2012). 17 Définition du mot cancer par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) :

« ulcère rongeant ». 18 « Qu’on arrête d’avoir peur du mot ‘cancer’ ! L’expression ‘longue maladie’, c’est stupide… »

explique le 12 novembre 2018 au quotidien Le Parisien le présentateur d’une grande chaîne de télévision

en France Jean-Pierre Pernaut qui a souhaité évoquer publiquement son cancer de la prostate. Si la

démarche a été saluée par de nombreuses associations, l’emploi de la périphrase demeure très courant.

http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/jean-pierre-pernaut-je-reviens-avec-la-peche-12-11-2018-

7941303.php, consulté le 18/05/2019.

Page 27: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

27

métaphore pour évoquer les maux qui rongent la société, tels que le chômage, le racisme ou

encore le terrorisme. Ceci illustre davantage les représentations sociales négatives que la

maladie inspire, encore aujourd’hui19.

Des représentations qui se retrouvent dans la sphère professionnelle

Ainsi, la maladie « cancer » fait l’objet de représentations sociales qui suscitent la peur,

par son association fréquente avec la mort, représentations qui se retrouvent naturellement au

sein des entreprises, microcosmes sociaux. Les employeurs, les responsables, les collègues, les

employés, les clients, et plus largement l’ensemble des acteurs de l’entreprise, ont eux-mêmes

des représentations sociales qui diffèrent selon leurs connaissances et leurs expériences de la

maladie. Ces représentations ont pour conséquence d’impacter les comportements individuels,

certains développant par exemple des stratégies d’évitement de la personne malade, voire de

rejets et d’exclusion, liées à une peur de la maladie ou à une peur de « mal faire », de ne pas

avoir la réaction adaptée face à la personne concernée. De plus, s’ajoute souvent le facteur

émotionnel : la proximité de la relation entretenue entre un salarié (quel que soit son statut) et

la personne malade peut également impacter les comportements du salarié en question, en proie

à ses propres émotions (Cuddy et al., 2007). Lors d’un colloque portant sur la thématique

« Cancer et travail »20, la psychologue du travail Julie Daul a montré comment la prise en

compte des émotions du personnel d’une entreprise pouvait permettre un meilleur

accompagnement des collaborateurs atteints de cancer. Ainsi, les représentations de la maladie

ont un effet spécifique dans le milieu de l’entreprise, pouvant avoir un impact direct sur les

comportements à l’égard des personnes atteintes et donc sur la reprise d’activité et le maintien

en emploi de celles-ci. Sur ce point, une étude a comparé les croyances de salariés atteints d’un

cancer et de cadres dirigeants non malades, vis-à-vis de l’impact de la maladie sur l’emploi.

Elle a montré que ces derniers étaient plus inquiets que les salariés malades, craignant

19 Voici quelques exemples pour illustrer les différentes utilisations et utilisateurs de ces métaphores

dans la sphère publique :

- Laurent Wauquiez, alors ministre des Affaires européennes, déclarait sur la radio française Europe 1

le 09 mai 2011 que « l'assistanat est aujourd'hui l'un des vrais cancers de la société française », ce à

quoi le sociologue Pr Nicolas Duvoux répondait quelques jours plus tard : « Le vrai cancer de la

société française, c'est le chômage de longue durée » ;

- « Comme un cancer qui rejaillit sans qu’on sache où et quand » : amorce d’un dossier consacré au

terrorisme par Paris Match, le 22 Décembre 2016 ;

- Enfin, François Fillon, candidat aux élections présidentielles, déclarait le 16 janvier 2017 lors de sa

visite au Mémorial de la Shoah, « Il est nécessaire aujourd’hui de (…) lutter contre l’antisémitisme

et le racisme qui continuent d’être une forme de cancer pour notre humanité ». 20 Colloque organisé à Nantes par le réseau SHS du Cancéropôle Grand Ouest, les 28 et 29 mars 2019.

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davantage un impact négatif du cancer sur le travail, évoquant par exemple des difficultés de

contrôle des symptômes sur le lieu de travail ainsi que la peur d’une mécompréhension par les

collègues (Grunfeld et al., 2010).

Par ailleurs, le cancer est souvent associé à une situation d’incertitude pouvant être liée,

comme on l’a vu précédemment, à l’absence de cause définie de manière unique de la maladie

mais également aux zones d’ombre de la période de traitements ; la fin de la phase curative

n’est pas toujours connue, elle est fonction de la réponse aux traitements, définie lors des

résultats des examens de contrôle. Or, comme le rappellent le sociologue Lionel Pourtau et ses

coauteurs, « les entreprises ne détestent rien autant que l’incertitude (Pingaud et Gourc, 2004 ;

Gourc, Bougaret et Lacoste, 2004). La limitation des incertitudes est au cœur des stratégies de

gestion de projet » (Pourtau et al., 2011). Ils montrent alors, en s’appuyant sur des entretiens,

que le salarié peut être victime de discrimination, que les intentions de l’employeur soient

louables (volonté de protéger le salarié en lui dégageant des responsabilités par exemple) ou

non (volonté d’évincement pour faire avancer un projet par exemple). L’employeur, ou le

responsable hiérarchique selon la taille et l’organisation de l’entreprise, doit en effet faire face

à une incertitude quant à la continuité du poste occupé par la personne malade : combien de

temps la personne sera-t-elle absente ? Pourra-t-elle continuer son activité de manière efficace ?

Les réponses à ces questions semblent essentielles à l’employeur qui doit préserver la

performance de l’entreprise. Pourtant, la réponse n’est pas toujours simple, voire n’existe pas

selon les cas.

Proposant une sociohistoire du cancer, l’ouvrage Sociologie du cancer (Derbez et Rollin,

2016) montre comment une maladie individuelle incurable fut transformée en un problème de

santé publique, objet incontournable des politiques de santé contemporaines, avec le National

Cancer Act aux Etats Unis dans les années 1970 et la mise en place du premier Plan Cancer en

2003 en France. Si cet ouvrage souligne le caractère socialement construit du cancer, il révèle

également comment la maladie modifie l’environnement social des individus. De nombreuses

recherches se sont intéressées aux aspects sociaux modifiés par la maladie : qualité de vie,

relations patient-soignant, rapports de couple, rapports familiaux, rapport au corps de

l’individu, identité sociale, rapport à l’emploi... et ce, quelle que soit la localisation tumorale.

Ainsi, les chercheurs en sciences sociales affirment l’intérêt « du » cancer en tant qu’objet

d’étude singulier, un objet chargé de représentations négatives développées à la fois par les

personnes malades, leurs proches et la population générale, qui doit être pris en compte pour

étudier les transformations qu’il implique.

Page 29: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

29

1.2. Impact du cancer sur la vie professionnelle

1.2.1. Etat des lieux

Dans la majorité des cas, les personnes diagnostiquées d’un cancer interrompent leur

activité professionnelle pour entreprendre « leur travail de soin » ; le suivi des traitements

nécessite généralement leur enregistrement en arrêt-maladie. Par la suite, la plupart des

personnes concernées souhaite reprendre une vie professionnelle, étape perçue comme un retour

à une vie « normale », à une vie sociale, où la maladie n’est plus au centre du calendrier. En

effet, outre sa dimension financière souvent nécessaire pour subvenir aux besoins individuels,

l’emploi a de surcroît un rôle de structure sociale, par le statut qu’il offre ainsi que les relations

sociales qu’il génère. Il est l’un des piliers de l’organisation de la société, « il structure de part

en part non seulement notre rapport au monde, mais aussi nos rapports sociaux. » (Méda, 1995).

D’après les enquêtes sur les valeurs des européens (Eurobaromètre rapport Commission

européenne, 201221), ces derniers placent le travail en troisième position des valeurs jugées les

plus importantes pour leur bonheur après la santé et l’amour (il est même devant l’amour pour

les hommes). Ainsi, le retour au travail et le maintien en emploi semblent être des enjeux

économiques mais également sociaux importants pour les personnes en âge d’être actives.

L’impact négatif du cancer sur l’emploi : un processus empreint d’inégalités sociales

« Il y a 10 % de taux d'emploi en moins chez les personnes atteintes d'un cancer [par

rapport à la population générale] ». Tel est le constat en France du rapport de synthèse des

recherches de l’appel à projets de la Fondation ARC et de l’INCa réalisé en 2006 (Situations de

travail et trajectoires professionnelles des actifs atteints de cancer. Rapport de synthèse des

recherches de l’appel à projets lancés en 2006 par la Fondation ARC et l’INCa, 2012).

Il précise également que « cette perte d'emploi varie en fonction du temps écoulé depuis le

diagnostic, puisque les chances de maintien dans l'emploi diminuent les quatre premières

années après le diagnostic, puis augmentent, chez les hommes comme chez les femmes ». De

plus, ce rapport met en évidence un effet socialement différencié du cancer sur la vie

professionnelle, en défaveur des travailleurs occupant des emplois dits « d’exécution » qui,

21 http://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/archives/eb/eb77/eb77_value_fr.pdf, consulté le

16/05/2019.

Page 30: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

30

d’une part, perdent davantage en employabilité22 du fait de la nature-même de l’activité

(demandes physiques importantes notamment) et, d’autre part, accèdent moins souvent aux

dispositifs d’aménagement visant à accompagner et donc à favoriser le retour au travail. Enfin,

ce rapport soulève le manque de connaissance des dispositifs mobilisables de la part des

travailleurs mais aussi des médecins, des acteurs de l’entreprise (ressources humaines par

exemple) et des partenaires sociaux, ce qui conduit à une sous-utilisation de ces dispositifs ; par

exemple, la visite de pré-reprise, pourtant largement recommandée par les instances médicales,

n’a lieu qu’une fois sur quatre en Île-de-France. Ces premiers résultats ont été confirmés par les

études françaises ultérieures. La détérioration de la vie professionnelle constatée deux ans après

le diagnostic est alors principalement caractérisée par une diminution du taux d’activité, une

diminution du taux d’emploi et par une augmentation du taux de chômage parmi un échantillon

représentatif de la population atteinte d’un cancer en France23 (INCa, 2014).

A la lecture des différents articles publiés sur le sujet en France mais également à

l’international24, deux approches semblent avoir principalement été documentées dans la

littérature scientifique : d’une part, le recensement des facteurs médicaux, professionnels et

sociodémographiques qui influencent le retour au travail ; d’autre part, l’évaluation des

interventions mises en place pour favoriser ce retour au travail. Par ailleurs, parmi les personnes

qui ne reviennent pas en emploi à la suite d’un diagnostic de cancer, deux profils se distinguent

: ceux qui perdent leur emploi et se retrouvent au chômage (le taux de chômage est trois fois

supérieur chez ces personnes par rapport à la population générale comparable) et ceux qui

partent en retraite anticipée (à âge et sexe donnés, les personnes atteintes de cancer ont un sur-

22 La notion d’employabilité peut renvoyer à différentes acceptions selon les courants économiques et

sociaux et selon la période étudiée. Dans le présent contexte, l’emploi de cette notion renvoie à la

définition canadienne proposée en 1994 : « l’employabilité est la capacité relative que possède chaque

individu d’obtenir un emploi satisfaisant compte tenu de l’interaction entre ses caractéristiques propres

et le marché de l’emploi » (Hassen et Hofaidhllaoui, 2012). Il semble important de préciser la coloration

donnée à cette notion ici, car cette définition s’inscrit dans un courant économique selon lequel il

s’agirait d’adapter l’individu au marché du travail et, pour les employeurs, d’accompagner cette

adaptation. Ainsi, dans cette phrase, le salarié « exécutant » perd davantage en employabilité lorsque la

maladie atteint sa santé physique et par conséquent sa performance professionnelle, source de sa

condition d’emploi. 23 Plus précisément, la population à l’étude dans cette enquête (enquête VICAN2) est représentative des

personnes âgées de 18 à 82 ans, résidant en France métropolitaine, diagnostiquées d’un cancer parmi les

douze localisations les plus prévalentes en France et enregistrées pour cela en Affections de Longues

Durée (ALD) chez l’un des trois régimes d’Assurance maladie obligatoires les plus communs en France

(Bouhnik et al., 2015; INCa, 2014). 24 Littérature anglophone et francophone uniquement.

Page 31: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

31

risque relatif de retraite anticipée) (Boer et al., 2009; Carlsen et al., 2008; Mehnert, 2011;

Noeres et al., 2013; Spelten et al., 2002; Taskila-Åbrandt et al., 2004).

En outre, la reprise du travail après un diagnostic de cancer a également fait l’objet de

nombreux travaux en sociologie, qui ont notamment mis en évidence les potentiels

bouleversements induits par le cancer dans la vie des individus, leur quotidien et leurs

aspirations (Ménoret, 1999, Waser, ; Vidal-Naquet 2014), impactant ainsi directement leur vie

professionnelle.

Cancer et travail biographique : reconsidération du rapport à l’emploi et au travail

La reconstruction individuelle après le diagnostic d’un cancer passe, pour certaines

personnes, par un travail biographique. Celles-ci entreprennent une réflexion puis des

démarches pour retrouver « une vie normale » sur les plans personnel, social et professionnel.

Or, penser le travail, c’est penser l’emploi. Nous reprenons ici la distinction conceptualisée par

les sociologues André-Clément Decouflé et Margaret Maruani, qui nous semble essentielle à

l’appréhension de notre recherche, entre le travail « compris comme l’activité de production de

biens et de services, et l’ensemble des conditions d’exercice de cette activité » et l’emploi «

entendu comme l’ensemble des modalités d’accès et de retrait du marché du travail ainsi que la

traduction de l’activité laborieuse en termes de statuts sociaux » (Découflé et Maruani, 1987).

Cette distinction postule l’idée que « le statut de l’emploi structure le statut du travail et

contribue ainsi à la définition du statut social, de la stratification et des classes sociales »

(Maruani et Reynaud, 2004).

Dans son ouvrage Faire avec le cancer dans le monde du travail, le sociologue Pierre

Vidal-Naquet (Vidal-Naquet, 2009) reprend cette distinction et s’intéresse plus spécifiquement

à l’impact de la maladie sur le rapport des individus à l’emploi, notamment en termes de sens

et de sécurité de celui-ci. L’auteur choisit d’aborder cette thématique à travers différentes

expériences individuelles et présente dans l’ouvrage une partie des entretiens conduits en 2008

auprès de 30 personnes ayant vécu un diagnostic de cancer. Il évoque ainsi les différentes

trajectoires suivies par les individus sur le plan professionnel, qu’il définit à travers quatre

figures d’intégration professionnelle modélisées par Serge Paugam (Paugam, 2007), dont le

découpage tient compte de la différence entre le rapport à l’emploi et le rapport au travail, soit :

l’« intégration assurée », qui désigne une situation d’emploi sécurisée et une satisfaction dans

le travail ; l’« intégration incertaine », qui représente une satisfaction dans le travail mais une

absence de sécurité d’emploi ; l’« intégration laborieuse », qui regroupe les individus sécurisés

Page 32: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

32

dans leur emploi mais qui n’éprouvent pas de satisfaction dans leur travail ; et enfin,

l’« intégration disqualifiante » qui désigne une situation professionnelle précaire définie par

une absence de sécurité d’emploi et une insatisfaction vis-à-vis du travail exercé.

Ainsi, l’auteur montre comment le cancer peut (ou non) faire évoluer ces situations.

Tandis que dans certains cas, ces situations sont confirmées (outre les événements successifs

engendrés par la maladie, la trajectoire professionnelle est linéaire et la maladie n’aura alors été

qu’une « parenthèse » au sein de cette trajectoire), certaines situations se fragilisent (se

maintiennent mais seulement au prix de laborieux efforts), se dégradent (« l’épreuve du cancer

peut également faire basculer » certaines personnes d’une intégration à l’autre), voire se

détériorent (situations difficiles qui se précarisent à cause de la maladie). Dans le cas de ces

deux dernières trajectoires, le cancer apparait comme le point de « rupture » de la trajectoire

professionnelle des individus. La représentation d'un travail rémunéré change après un cancer,

le retour au travail résulte alors d’un processus de planification et de prises de décisions

respectant à la fois l'empressement à travailler et la considération des difficultés liées aux effets

secondaires (Stergiou-Kita et al., 2014).

Page 33: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

33

L’annonce du cancer, un événement de rupture biographique

C’est le sociologue Michael Bury qui, pour la première fois, en 1982 évoque la rupture

biographique (« biographical disruption ») qu’engendre une maladie chronique dans la

trajectoire d’un individu (Bury, 1982). Le système individuel, c’est-à-dire les postulats et les

comportements de chacun, est bouleversé, l’individu mobilise alors les ressources à sa

disposition pour s’adapter et faire face à cet événement. Si le concept de rupture biographique

a été critiqué par la suite, il demeure pertinent non pas dans l’analyse des points précis de

rupture mais dans la conception globale de la biographie d’un individu pour comprendre la

manière dont celui-ci réagit (Herzlich, 1998). Le sociologue Michaël Voegtli rappelle d’ailleurs

que « la maladie n’est pas seulement imposée, mais aussi vécue, et que les bouleversements

qu’elle peut provoquer sont à relier avec la question de la mobilisation, par l’acteur, des

ressources à sa disposition » (Voegtli, 2004). Il invite ainsi ceux qui s’intéressent notamment à

la carrière des individus atteints d’une maladie chronique à porter leur attention sur trois

éléments : le déroulement de la maladie, la mobilisation des ressources et le travail de mise en

cohérence réalisé par l’acteur. S’appuyant sur différentes études présentes dans la littérature, il

explique que « l’important n’est peut-être donc pas tant de s’intéresser à la rupture que

d’envisager la manière dont elle s’inscrit dans la carrière de l’acteur ».

Dans une approche biographique de l’analyse des bifurcations, la sociologue Valentine

Hélardot s’inscrit dans la proposition de Voegtli et étudie l’articulation entre parcours

professionnels et histoires de santé en s’intéressant aux « moments de rupture » comme parties

du parcours individuel, aux successions des différentes phases qu’ils créent et aux interactions

entre les différentes sphères de vie (Hélardot, 2006). Elle propose pour cela, la définition

suivante :

« Une « bifurcation » est une modification brutale, imprévue et durable de

l’articulation biographique entre la sphère de la santé et celle du travail, pour autant

que cette modification soit désignée par les acteurs concernés comme un point de

basculement donnant lieu à une distinction entre un « avant » et un « après » ».

(Hélardot, 2006, p.66).

Par l’analyse d’entretiens semi-directifs, l’auteur plaide ainsi pour une approche de

l’interaction entre travail et santé sous l’angle des bifurcations, en ce sens qu’elle permet de

prendre en compte la logique individuelle, nécessaire à la compréhension de son parcours.

Page 34: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

34

Afin de prendre en compte ces éléments dans le cadre de notre recherche, il semble ainsi

essentiel de contextualiser l’acteur dans son environnement institutionnel. Ainsi, pour

comprendre comment les individus envisagent leur retour au travail et leur maintien en emploi

après un diagnostic de cancer, voici quelques éléments de contexte sur le marché de l’emploi

et du travail en France.

1.2.2. Contexte de l’évolution récente du marché du travail

Précarisation de l’emploi en France

Le marché de l’emploi a connu de profondes transformations ces cinquante dernières

années, marquées notamment par une baisse de la croissance (dont les points culminants sont

les chocs pétroliers de 1974 et 1979, la récession de 2008-2009) ayant entraîné des pertes

d’emploi massives25 et, par voie de conséquence, une forte hausse du taux de chômage26.

Oscillant entre 8 et 10 % depuis le milieu des années 70, le taux de chômage français se situe

parmi les plus élevés en Europe. Les emplois précaires ont alors doublé entre 1980 et 2000 (5 %

des actifs étaient en contrat à durée déterminée ou en contrat d’intérim en 1980 contre 12 % en

2000), de même que la part d’emplois à temps partiel qui représentait 7 % de la population

active en 1975 contre 16 % en 2012, proportion stable jusqu’à aujourd’hui (Beck et Vidalenc,

2018). L’évolution des emplois à temps partiel cache deux réalités bien différentes : pour

certains, le travail à temps partiel concrétise le choix de travailler moins pour consacrer plus de

temps à d’autres sphères de vie (familiale, personnelle) tandis que pour d’autres, il s’agit d’un

choix contraint par le marché de l’emploi. En effet, d’après l’enquête emploi de 2011, près d’un

tiers des salariés à temps partiel souhaiterait travailler à temps plein et occupe donc un sous-

emploi par défaut (faute d’avoir trouvé un emploi à temps plein), cette proportion étant stable

25 Impact d’autant plus important que ces événements interviennent à la suite de transformations

sociales : une augmentation démographique augmente de fait la part de population active et une entrée

massive des femmes sur le marché du travail. 26 Le taux de chômage est un indicateur fréquemment utilisé en économie pour rendre compte de la

conjoncture du marché du travail en France. Défini en 1982 par le Bureau International du travail (BIT)

comme le nombre de personnes « en âge de travailler (15 ans ou plus) qui [répondent] simultanément à

trois conditions : être sans emploi, c'est à dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant une

semaine de référence ; être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ; avoir cherché

activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois

mois. » (Insee Définitions, 2016) rapporté au nombre de personnes actives en France. Il s’agit d’une

définition internationale qui ne correspond, de ce fait, pas nécessairement aux bénéficiaires d’allocations

chômage tels que prévu par le système d’Assurance sociale français. Il témoigne d’une « dégradation

du marché du travail » (OFCE).

Page 35: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

35

d’après les enquêtes plus récentes (Beck et Vidalenc, 2018; Pak, 2013). Ces transformations

témoignent d’une précarisation du marché du travail qui n’est pas sans conséquence sur le

rapport à l’emploi des individus, de plus en plus à la recherche de sécurité et de stabilité

professionnelles.

De nouvelles organisations dans les entreprises

Outre le marché de l’emploi, le travail a également connu de profondes transformations

depuis les années 1960. La récession des années 70/80, associée au contexte de mondialisation,

perçu comme contexte concurrentiel se développant depuis les années 1990, et l’essor des

nouvelles technologies ont entraîné une transformation des besoins des entreprises mais aussi

des attentes des travailleurs. Le besoin d’« entreprises flexibles27 » a été présenté initialement

comme la solution à la crise économique en France, offrant liberté aux travailleurs et marge de

manœuvre aux entreprises (Pollert et Erbes-Seguin, 1989; Silvestre, 1986). Cette recherche de

liberté a conduit à une transformation des relations sociales au travail ainsi qu’à une hausse des

demandes physiques et psychologiques du travail nécessitant une capacité d’adaptation

constante et générant un manque de sécurité important (Lallement, 2008; Valeyre, 2007). Ces

changements économiques et sociaux sont ainsi résumés par Antoine Valeyre :

« Face aux limites, tant économiques que sociales, rencontrées par les organisations

tayloriennes/fordiennes du travail, de multiples innovations organisationnelles ont

été mises en œuvre depuis une trentaine d’années. Elles visent à améliorer les

performances économiques et productives des entreprises confrontées à un

environnement de marché plus instable et plus diversifié, à une concurrence

exacerbée et mondialisée et à une demande plus exigeante en termes de variété, de

qualité, de délais, de réactivité et de vitesse de renouvellement des produits. Elles

visent également à prendre en compte l’aspiration à plus d’autonomie et d’initiative

dans le travail qu’expriment de nombreux salariés dans un contexte d’élévation des

niveaux de formation et, tout au moins dans les années 1970, à répondre à un rejet

croissant des conditions de travail associées aux organisations

27 La flexibilité des entreprises en termes de volume de travail (flexibilité quantitative, variation du

nombre de salariés et du temps de travail en fonction de l’activité), de rémunérations (variation des

salaires) et d’organisation (d’une part flexibilité fonctionnelle renforçant l’autonomie des salariés et leur

polyvalence, d’autre part, externalisation vers la sous-traitance) a longtemps fait débat : solution contre

la crise pour les uns, nouvelle forme de précarisation et d’aliénation pour les autres.

Page 36: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

36

tayloriennes/fordiennes du travail, qui se manifeste par une montée de

l’absentéisme, du turnover et des conflits sociaux. » (Valeyre, 2007, p.37).

Ces transformations ont abouti à une segmentation du marché du travail avec d’un côté les

personnes peu qualifiées auxquelles on offre des emplois dans des conditions de plus en plus

précaires, et, de l’autre, les plus diplômés pour qui la sécurité de l’emploi demeure une réalité

(Bevort et al., 2006).

Allongement de la durée de travail : zoom sur l’emploi des séniors

Le cancer est une maladie qui survient en moyenne tardivement dans la carrière

professionnelle d’un individu. Par exemple, parmi les 20-54 ans atteints de cancer, le dépistage

de la maladie a eu lieu après 45 ans dans plus de 60 %28 des cas (61 % pour les femmes et 69 %

pour les hommes). Ces personnes sont donc en majorité dans une phase avancée de leur carrière

et sont très peu concernées par les problématiques d’entrée sur le marché du travail (telles que

les embauches en contrat précaire de plus en plus fréquentes). Ils sont en revanche directement

impactés par les réformes du système de retraite. En effet, pour faire face à la croissance

démographique et au vieillissement de la population française, le système de solidarité sociale

a fait l’objet de plusieurs réformes depuis les années 1990. La durée de cotisations nécessaire

pour un départ à la retraite à taux plein est progressivement allongée, passant de 37,5 à 40 puis

41 années en 2012 et jusqu’à 43 années prévues pour 203529. Dans le même temps, l’âge

minimum légal pour un départ à la retraite recule de 60 à 62 ans en 2012. Néanmoins, pour

ceux n’ayant pas atteint la durée de cotisation nécessaire, un départ en retraite à taux plein est

possible à partir de 65 ans puis 67 ans à partir de 2010. Enfin, pour les personnes présentant un

handicap, un départ anticipé en retraite à taux plein est possible selon certaines conditions de

28 Calculs réalisés à partir d’une extraction de données sur l’incidence du cancer (les localisations les

plus courantes) estimée en 2012, disponibles sur le site de l’INCa : http://lesdonnees.e-

cancer.fr/Themes/epidemiologie/Incidence-mortalite-nationale/Incidence-et-mortalite-estimees-par-

classe-d-age-pour-toutes-les-localisations-cancereuses-en-2012/Incidence-estimee-en-2012-par-classe-

d-age-et-par-sexe2#donnees. 29 L’augmentation de la durée de cotisation passe de 37,5 à 40 années à partir de 1993 pour la majorité

des salariés (Réforme Balladur : loi du 22 juillet 1993), à partir de 2004 pour les fonctionnaires (Réforme

Fillon : loi du 21 août 2003) et à partir de 2008 pour les salariés des régimes spéciaux des établissements

publics à caractère industriel et commercial gérant un service public et pour les professions à statut

(Réforme des régimes spéciaux loi en vigueur au 1er juillet 2008). La Réforme Fillon prévoit également

une augmentation de cette durée à partir de 2009 pour atteindre 41 ans en 2012, durée dont l’allongement

est encore prévu de manière progressive, à partir de 2020, au fil des générations jusqu’à atteindre 43 ans

en 2035 (Réforme Woerth : loi du 9 novembre 2010). Pour plus d’information : https://www.vie-

publique.fr/actualite/dossier/retraites-2019/differentes-reformes-retraites-1993-2014.html

Page 37: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

37

durée de cotisation mais également de taux d’incapacité permanente, celui-ci devant être d’au

moins 50 %. Ainsi, globalement, la ligne politique est au recul de l’âge de départ à la retraite,

ce qui implique un vieillissement des travailleurs.

La situation d’emploi des séniors est spécifique en France. Elle se caractérise par un

« décrochage particulièrement marqué » du taux d’activité à partir de l’âge de 55 ans (Govillot

et Rey, 2013). Si le taux d’activité des 50-54 ans est supérieur à la moyenne européenne, celui

des 55-59 ans y est similaire (en moyenne de 17 points inférieur à celui des 50-54 ans) tandis

que celui des 60-64 ans est l’un des plus faibles d’Europe30. Néanmoins, les réformes

d’assurance sociale, en termes de retraite notamment, conduisent depuis les années 2000 à une

augmentation progressive du taux d’activité des personnes âgées de plus de 55 ans, plus

importante pour les femmes que pour les hommes. Cette augmentation se traduit à la fois par

une hausse du nombre de personnes dans cette tranche d’âge en emploi, mais aussi du nombre

de chômeurs qui souhaiteraient retravailler. Parmi ces personnes âgées de 55 à 59 ans en non-

emploi qui aspireraient à travailler, les deux tiers sont d’anciens ouvriers ou employés. À

l’inverse, parmi celles de cette tranche d’âge qui sont en emploi, la majorité occupe des

fonctions de cadres, de professions intermédiaires ou des activités indépendantes et est plus

diplômée. La probabilité de retrouver un emploi diminuant avec l’âge, on constate qu’après 60

ans, les personnes transitent plus souvent du chômage vers l’inactivité que vers l’emploi.

Néanmoins, le taux de retour à l’emploi augmente pour les 50-59 ans et certains d’entre eux

retrouvent un emploi, le plus souvent à temps partiel, ce que les auteurs expliquent

principalement par l’offre de travail (« avec l’âge, les personnes recherchent de plus en plus un

emploi à temps partiel », (Govillot et Rey, 2013)) mais également par la demande (les contrats

aidés plus faciles d’accès sont souvent proposés à temps partiel). Pour résumer, « on observe

plutôt une tendance à l’augmentation du sous-emploi avec l’âge » en population française, ce

qui témoigne de la précarisation des travailleurs séniors, plus particulièrement des plus

vulnérables sur le marché du travail, qui doivent travailler plus longtemps et sont plus exposés

à des difficultés pour retrouver un emploi en cas de perte ou de démission.

Se posent alors des questions d’aptitude (ou plutôt d’inaptitude) au travail : par exemple,

les personnes ayant une santé altérée du fait d’une maladie chronique, mais n’étant pas tout à

30 D’après cette étude, en 2011, le taux d’activité des 50-54 ans en France est de 86 % (contre 82 % en

moyenne dans l’UE des 27). Il est de 69 % chez les 55-59 ans (contre 67 % en moyenne dans l’UE des

27) et de 20 % chez les 60-64 ans (contre 33 % en moyenne dans l’UE des 27) (source : Eurostat,

extraction du 31 août 2012)(Govillot et Rey, 2013).

Page 38: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

38

fait inaptes, devront continuer de travailler si elles ne veulent pas subir une pénalité sur leur

pension.

La reprise du travail : bien plus qu’un enjeu économique

D’après les enquêtes européennes comportant un volet « valeur du travail », réalisées

entre 1981 et 2008 pour les European Values Surveys (EVS) et entre 1990 et 2015 (du moins

avec la France) pour l’International Social Survey Programme (ISSP), les français

entretiennent une ambiguïté spécifique dans leur rapport au travail (Davoine et Méda, 2009,

2008; Méda, 2017; Méda et Vendramin, 2013). Cette spécificité française se traduit, d’une part,

par un attachement très important au travail, considéré comme une source nécessaire au

développement des capacités et à l’accomplissement personnel. Cette vision serait associée au

système hiérarchique sur lequel repose notre société, fondé sur un principe méritocratique, et

serait renforcée par un contexte d’insécurité professionnelle inhérent à une conjonction de fort

taux de chômage par exemple ; « c’est (…) le fait que le travail soit un véritable statut social

qui pourrait expliquer les investissements dont celui-ci est l’objet » (Davoine et Méda, 2009).

D’autre part, les français sont plus souvent insatisfaits de leur salaire et de leur temps de travail,

se déclarant plus souvent « stressés » voire « épuisés » par le travail et voulant accorder plus de

temps à leur famille. Ils semblent à la recherche d’un juste équilibre, puisque la plupart d’entre

eux déclare néanmoins qu’ils « continueraient à travailler même s’ils n’avaient pas besoin

d’argent ». À travers ces enquêtes, les auteurs mettent en avant la spécificité française au regard

de la valeur travail et montrent que celle-ci est la même pour les femmes que pour les hommes,

malgré des conditions de travail qui se dégradent, et ce, particulièrement pour les femmes.

Au regard de notre sujet de recherche, ce constat pose de nombreuses questions : comment

la maladie chronique transforme-t-elle ce rapport spécifique au travail ? Comment les individus

concilient-ils soins, activité professionnelle et vie familiale ?

Page 39: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

39

1.2.3. Politiques publiques mises en place

Promotion de la santé au travail

Depuis la loi n°46-2195 du 11 octobre 194631 relative à l’organisation des services

médicaux du travail, toutes les entreprises32 doivent avoir un service médical du travail assuré

par un médecin du travail dont le rôle, dans un premier temps « exclusivement préventif »,

« consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment

en surveillant les conditions d’hygiène au travail, les risques de contagion et l’état de santé des

travailleurs ». Son décret d’application33 prévoit néanmoins la mise en place de la visite de

reprise après un arrêt de travail pour évaluer l'aptitude du salarié à reprendre son poste et les

éventuels besoins d'adaptation (Fantoni-Quinton, 2016). La Convention n°161 de

l’Organisation Internationale du Travail sur les fonctions des services de médecine au travail,

adoptée en 198534, ajoute au principe de surveillance de la santé des salariés celui de

l’adaptabilité du travail au travailleur. Il ne s’agit alors plus seulement d’identifier la capacité

des personnes en situation de handicap ou d’invalidité à travailler mais également l’adaptation

de l’environnement professionnel à tous les travailleurs pour optimiser leur employabilité. En

2002 (article 193 issu de la Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale35), ces

services médicaux du travail sont renommés dans le Code du travail en « services de santé au

travail » (SST) permettant ainsi d’inclure dans un seul service la participation de professionnels

non-médicaux tels que les psychologues, les assistants sociaux, les ergonomes ainsi que des

professionnels plus spécialisés dans le secteur d’activité concerné. Cependant les objectifs visés

par ces services ne sont pas atteints et de nombreux plans ont été mis en place pour endiguer la

désinsertion professionnelle36, et ainsi favoriser le maintien en emploi, des travailleurs ayant

connu une dégradation de leur état de santé (Fantoni-Quinton, 2016). Aussi, l’avancée de la

31 Dans les premiers temps, l’application de cette loi se matérialise par l’exercice de médecins non

spécialistes du travail qui, à temps partiel, interviennent dans les entreprises. La profession

s’institutionnalise dans les années 1970 avec notamment l’obligation en 1979 de détenir un « Certificat

d’Etudes Spéciales » (CES) pour exercer en entreprise et la reconnaissance de cette profession en tant

que « spécialité » en 1982 (Dubernet et al., 2001 ; Buzzi et al., 2006). 32 La loi du 28 juillet 1942 du régime de Vichy avait déjà instauré cette obligation mais seulement pour

les entreprises de plus de 50 salariés. 33 http://www.senat.fr/rap/l10-232/l10-2326.html, consulté le 27/10/2016. 34http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_ILO_CODE:C161,

consulté le 27/10/2016. 35https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000408905&categorieLien

=id, consulté le 27/10/2016. 36 http://www.senat.fr/rap/l10-232/l10-2326.html, consulté le 27/10/2016.

Page 40: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

40

question de la relation travail-santé, et plus particulièrement du maintien en emploi, sur le plan

juridique, résulte principalement de l’appropriation du sujet par les études en sciences sociales.

Le maintien en emploi d’une personne atteinte de cancer : un objectif des Plans cancer

Première cause de mortalité prématurée avant 65 ans, le cancer est au cœur des enjeux

sanitaires, politiques et sociaux. Il devient une priorité nationale avec la mise en place de trois

plans successifs en France sur les périodes 2003-2007, 2009-2013 et 2014-2019. Dès le premier

Plan, la problématique de l’impact de la maladie sur la vie professionnelle est intégrée aux

objectifs (cf. Encadré 1.1).

Ajouté aux enjeux épidémiologiques et sociaux développés précédemment, le cancer

constitue également un enjeu économique majeur pour nos sociétés. Sa prise en charge annuelle

représente 10 % des dépenses de l’Assurance maladie (16,1 milliards d’euros, dont 13,5

milliards pour le seul régime général). Ceci inclut d’une part, la prise en charge thérapeutique

en ville et hospitalière (appelée à croître encore du fait du surcoût lié aux nouveaux traitements)

(Pajares y Sanchez et Saout, 2017) et, d’autre part, les indemnités (journalières ou d’invalidité)

versées par l’Assurance maladie pour compenser la perte de revenus consécutive à une

incapacité de travail temporaire ou permanente (Revel, 2015). Ainsi, en plus des coûts liés aux

dépenses publiques élevées en matière de santé qu’il engendre, l’emploi des actifs atteints de

cancer est un enjeu économique important, particulièrement dans un contexte de réforme du

système social par le recul de l’âge de la retraite. Or, pour favoriser l’emploi des travailleurs

malades, la qualité de vie sur le lieu d’activité professionnelle est garante de la préservation de

la santé au travail et ainsi de la pérennité du fonctionnement de notre système social de

redistribution et des réformes mises en place par le gouvernement (sur l’allongement de la durée

de travail avant la retraite notamment). Les autorités l’ont compris, il ne s’agit donc pas

seulement de promouvoir l’emploi des personnes atteintes de cancer mais de favoriser leur

maintien en activité conjointement à leur qualité de vie au travail.

Ainsi, en 2003, par le lancement du premier Plan cancer 2003-2007, le gouvernement

impulse la recherche dans le but de lutter contre l’une des principales causes de mortalité en

France. Dans cette optique, de nombreuses enquêtes sont réalisées, et notamment une première

enquête nationale française menée en 2004 - 2005 sur les conditions de vie des personnes

atteintes d’un cancer, deux ans après le diagnostic (Le Corroller-Soriano et al., 2008).

Professionnellement, une personne sur six déclare une baisse de ses revenus attribuable au

cancer, deux ans après le début de la maladie. Les difficultés pour contracter un crédit sont

Page 41: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

41

également soulevées. Ainsi, pour la première fois en France, d’autres facteurs que ceux liés à

la contrainte des traitements ou à la fatigue physique sont identifiés pour étudier la qualité de

vie des personnes atteintes de cancer (Le Corroller-Soriano et al., 2008). Ces résultats

confirment la nécessité de documenter plus amplement les conditions de vie après un diagnostic

de cancer, et la mise en place des deux Plans suivant relance la recherche sur cette thématique

et inscrit la réalisation d’enquêtes supplémentaires comme priorité nationale. C’est dans ce

cadre que seront lancées les enquêtes VICAN2 (INCa, 2014), visant à documenter sur les

conditions de vie deux ans après un diagnostic de cancer, puis VICAN5 (INCa, 2018), comme

prolongement de la précédente, visant à décrire les conditions de vie cinq ans après le

diagnostic.

Page 42: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

42

Encadré 1.1. Mesures des Plans Cancer sur la vie professionnelle

Plan Cancer 2003-2007 (Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées et

Ministère de la recherche et des nouvelles technologies, 2003), « Mesure 55. Améliorer les

dispositifs de maintien dans l’emploi, de retour à l’emploi, et de prise de congé pour

accompagner un proche. Favoriser l’insertion professionnelle, le maintien dans l’emploi et le

retour à l’emploi pour les patients atteints du cancer ou d’une autre maladie invalidante » :

- « Prolonger, lorsqu’ils existent, les délais d’intégration dans l’emploi (en particulier

l’emploi public), en cas d’arrêt pour longue maladie, à l’image de ce qui existe pour les congés

maternité. »

- « Améliorer et assouplir les conditions d’arrêt-maladie en cas d’affection de longue

durée comme le cancer, en permettant la reconstitution d’un nouveau délai d’indemnisation de

trois ans si pendant les trois précédentes années le patient a travaillé au moins douze mois

continus ou discontinus. »

- « Développer l’information sur les dispositifs de maintien dans l’emploi financés par

l’AGEFIPH pour les patients dont le cancer a provoqué une diminution des capacités

professionnelles. Mettre à disposition des réseaux de soins, des associations de patients, etc…,

un support d’information conçu spécifiquement à cette intention, et qui contiendra en particulier

les coordonnées des points d’information existants sur ces dispositifs de maintien dans

l’emploi. »

Plan Cancer 2009-2013 (INCa et al., 2009), « Mesure 29. Lever les obstacles à la réinsertion

professionnelle des personnes atteintes de cancer » :

- « Action 29.1. Étudier les moyens de lever les obstacles au maintien dans l’emploi ou à

la réinsertion professionnelle des personnes atteintes de cancer et de leurs aidants naturels. »

- « Action 29.2. Délivrer une information spécifique aux malades atteints de cancer sur

les facilités que leur offre la loi pour une insertion ou une réinsertion professionnelle. »

- « Action 29.3. Faire entrer les personnes atteintes de cancer dans la liste des publics

prioritaires pour bénéficier des prochains contrats aidés dans le cadre de l’extension du RSA

(Revenu de solidarité active). »

Page 43: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

43

Encadré 1.1. Mesures des Plans Cancer sur la vie professionnelle (suite)

Plan Cancer 2014-2019 (Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées et

Ministère de la recherche et des nouvelles technologies, 2003), « Objectif 9. Diminuer l’impact

du cancer sur la vie personnelle » :

- « Action 9.4. Parfaire l’offre de solutions adaptées à chaque situation personnelle des

personnes atteintes de cancer. »

- « Action 9.5. Responsabiliser l’entreprise dans toutes ses composantes sur l’objectif de

maintien dans l’emploi ou la réinsertion professionnelle. »

- « Action 9.6. Progresser dans la coordination territoriale des différents acteurs qui

interviennent pour le maintien dans l’emploi ou son accès. »

- « Action 9.7. Valoriser le travail réalisé sur le maintien dans l’emploi pour le faire

connaître et le développer. »

En conclusion, le cancer apparaît comme un objet socialement construit, appréhendé au

regard de la temporalité observée et des acteurs qu’il met en relation, ce qui, en plus de

contribuer à l’enrichissement des connaissances sur le sujet, permet d’envisager des actions en

termes de politiques publiques. C’est cette « spécificité culturelle » [Saillant, 1990] de la

pathologie qui génère le regroupement des maladies caractérisées par la prolifération de

tumeurs malignes sous le nom unique de « cancer ». Elle justifie la distinction avec les autres

maladies chroniques et, a fortiori, les autres maladies en général, dans l’étude de ses

conséquences sociales et professionnelles. De plus, cette étude de la vie professionnelle ne peut

s’abstraire du contexte du marché du travail français qui, on l’a vu, a connu de profondes

transformations ces dernières années. Malgré les politiques publiques mises en place pour

favoriser la reprise du travail et le maintien en emploi après un diagnostic de cancer, des

difficultés perdurent, et ce, particulièrement pour les personnes initialement les plus vulnérables

sur le marché du travail. Un effet double-peine semble s’illustrer à travers les différentes études

pour ces personnes, premières victimes à la fois des transformations économiques et sociales

du travail et de l’emploi, et de l’impact de la maladie sur leur santé et leur employabilité. La

présente recherche s’inscrit dans la lignée des travaux interrogeant l’effet du cancer sur la

reprise du travail et le maintien en emploi présentés ci-dessus. Le chapitre suivant en précise

les objectifs détaillés.

Page 44: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

44

Chapitre 2. Objectifs et hypothèses de la recherche

Le chapitre précédent a permis de situer notre objet de recherche, Le retour au travail et

le maintien en emploi après un diagnostic de cancer, dans le contexte épidémiologique de la

maladie d’une part, et, dans les contextes social et économique dans lesquels il est étudié ici

d’autre part. Ces éléments ont particulièrement orienté cette recherche et constituent le

fondement même des objectifs qu’elle poursuit. C’est pourquoi, à l’aune de ce cadre

conjoncturel, nous présentons dans un premier temps dans ce chapitre les définitions retenues

pour orienter nos travaux et, dans un second temps, les objectifs et les hypothèses que nous

avons formulés afin de répondre aux différentes questions que le premier chapitre a fait

émerger.

2.1. Définitions du sujet

Si la notion de cancer ne présente pas de difficulté majeure quant à sa définition, les

notions de travail, d’emploi et d’activité, au cœur de cette recherche, peuvent être sujettes à

différentes interprétations. C’est pourquoi il semble essentiel de commencer cet exposé de notre

recherche par une présentation claire des définitions retenues pour ces notions.

- Le travail correspond à l’activité professionnelle. Tel qu’il est entendu dans cette

recherche, la notion de travail ne comprend que les activités rémunérées ; en sont

alors exclus le travail domestique et l’activité bénévole.

Le retour au travail (ou la reprise du travail) désigne le fait d’exercer à nouveau une activité

professionnelle, à la suite d’un arrêt-maladie par exemple. À l’inverse, le maintien au travail

(ou le maintien en activité) correspond à une situation continue d’activité professionnelle,

désignant ainsi les personnes n’ayant pas interrompu leur travail, pendant le traitement de la

maladie par exemple.

- L’emploi désigne le statut professionnel d’un actif occupé. Il regroupe les

individus salariés et en activité professionnelle indépendante.

Le maintien en emploi caractérise en ce sens le maintien dans une situation active d’emploi,

quelle que soit l’activité occupée (on peut ainsi s’être maintenu en emploi mais avoir changé

Page 45: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

45

de travail). De même, une personne peut s’être maintenue en emploi sans avoir repris le travail

(période d’arrêt-maladie notamment ou situation de « placardisation »).

Le retour en emploi indique la reprise d’une activité professionnelle après une période de non-

emploi (chômage ou inactivité). Cette notion suppose que l’individu ait quitté (ou perdu)

l’emploi qu’il occupait au diagnostic.

Ces notions seront mobilisées tout au long du présent document au regard des définitions

exposées ici.

2.2. Questions de recherche et hypothèses

2.2.1. Questions et objectifs de recherche

Etant donné la conjoncture socioéconomique du marché de l’emploi et du travail décrite

dans le premier chapitre, nous souhaitons interroger ici l’effet de la survenue d’une maladie

chronique telle que le cancer sur la poursuite d’une activité professionnelle. Dans une société

mondialisée, où la concurrence a transformé les systèmes d’activité en exigeant toujours plus

de rendements et donc de performances de la part des travailleurs (salariés et non-salariés),

comment les personnes malades, dont les performances ont pu être altérées durablement,

continuent-elles leurs trajectoires professionnelles ? Quels sont les déterminants d’une

modification de leur trajectoire professionnelle ? Quelle réalité traduit une modification de

trajectoire : faut-il en favoriser la linéarité (c’est-à-dire une trajectoire continue dans l’emploi) ?

La littérature scientifique en France portant sur des données quantitatives fait état d’une

majorité de personnes qui reste dans le même emploi après un diagnostic de cancer quand

beaucoup d’études qualitatives insistent sur la rupture biographique que peut constituer

l’annonce de la maladie, comment expliquer ce constat a priori paradoxal ? La rupture

biographique est-elle nécessairement synonyme de bifurcation, entendue comme modification

nette de la trajectoire professionnelle ? C’est à toutes ces questions que la présente recherche

tentera d’apporter des éléments de réponses.

Page 46: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

46

Pour cela, celle-ci poursuit deux objectifs principaux.

Le premier objectif est de mettre en évidence les contrastes socialement marqués de la

réalité des « personnes atteintes d'un cancer » et leurs effets sur le maintien en emploi.

En effet, le sous-emploi des personnes atteintes d’un cancer par rapport à la population générale

et l’effet « double-peine » sur des populations disposant des caractéristiques les moins

favorables sur le marché de l’emploi avant la maladie sont les deux principaux constats des

récentes études françaises sur la poursuite de la vie professionnelle post-diagnostic de cancer

(INCa, 2014; Institut national du cancer, 2012; La Ligue nationale contre le cancer, 2014). C’est

donc dans la lignée de ces travaux que s’inscrit cette recherche qui souhaite ainsi documenter

les freins et les leviers au retour au travail et au maintien en emploi après un diagnostic de

cancer à partir des données nationales les plus récentes sur le sujet. Cet objectif principal se

décline en trois sous-objectifs :

➢ Explorer les trajectoires professionnelles post-diagnostic sur un temps plus long, afin

d’investiguer les différentes formes que prend la vie professionnelle après l’annonce

de la maladie, et ce à distance du diagnostic, pour ainsi permettre une meilleure

compréhension de l’effet du cancer sur la pérennité de l’activité professionnelle.

➢ Mettre en évidence les profils sociodémographiques et cliniques des individus les

plus vulnérables face aux difficultés rencontrées pour le retour au travail et le

maintien en emploi après un diagnostic de cancer, en identifiant par exemple les

déterminants sociodémographiques et médicaux d’une modification de la trajectoire

professionnelle.

➢ Interroger la pertinence de la seule utilisation du taux de retour au travail comme

principal indicateur de dégradation de la situation professionnelle, en montrant

notamment l’intérêt de la mobilisation d’autres indicateurs objectifs tels que les taux

d’emploi à temps de travail réduit, de précarisation financière mais aussi subjectifs

tels que la perception de l’impact de la maladie.

Page 47: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

47

Le second objectif principal est de caractériser le processus de reprise ou de maintien du

travail en étudiant ses temporalités, ses acteurs et ses enjeux.

Pour les personnes actives occupées, la question de la poursuite du travail se pose dès

l’annonce de la maladie dans le contexte d’incertitudes décrit dans le premier chapitre.

Lorsqu’ils sont utilisés, les arrêts-maladie par exemple sont temporaires et la date de reprise est

généralement conditionnée aux résultats des examens médicaux de contrôle. Le premier

chapitre a également mis en lumière le travail biographique de reconstruction individuelle que

peut entraîner le diagnostic d’un cancer durant lequel la situation professionnelle est souvent

reconsidérée. Ces dimensions traduisent le caractère processuel de la reprise du travail que ce

second objectif vise à mieux caractériser. Celui-ci se décline en deux sous-objectifs :

➢ Analyser comment les personnes atteintes de cancer abordent la reprise du travail,

les enjeux qu’elles se représentent et les motivations qu’elles formulent.

➢ Etudier la place de la personne malade dans la décision de reprise du travail en regard

aux acteurs évoqués précédemment, et notamment les éventuelles stratégies

développées par l’intéressée pour s’impliquer ou non dans le processus de reprise.

2.2.2. Délimitation du sujet

Après la définition de notre objet de recherche et la présentation de ses objectifs, nous

allons en délimiter le cadre d’analyse. Le premier parti pris est de focaliser cette recherche

exclusivement sur le retour en activité et le maintien en activité ainsi que sur le maintien en

emploi, ce qui, de fait, exclut les personnes qui n’étaient pas en emploi au moment du

diagnostic de la maladie. Du fait de l’âge avancé auquel survient généralement la maladie, la

majorité des personnes en âge d’être actives au moment du diagnostic sont en emploi37, c’est

sur cette majorité que porte notre étude. La problématique d’entrée dans l’emploi (à l’issue

d’une formation par exemple ou d’une période de chômage) n’est pas investiguée dans cette

recherche.

37 D’après l’enquête de l’INCa VICAN2, parmi les personnes âgées de 18 à 57 ans au moment du

diagnostic d’un cancer, 82 % étaient en emploi à cette date (INCa, 2014).

Page 48: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

48

De plus, cette recherche se situe dans une approche émique, c’est donc le point de vue

de la personne malade qui sera étudié ; les autres acteurs pouvant influencer la reprise

professionnelle (tels que les collègues de travail, l’employeur, le personnel soignant, les aidants,

l’entourage familial et les acteurs sociaux) ne seront donc considérés qu’à travers le regard des

personnes concernées par la question du retour au travail et du maintien en emploi après un

diagnostic de cancer.

Enfin, pour les raisons évoquées en introduction sur la pertinence de l’analyse de l’objet

« cancer », nous avons fait le choix de ne pas restreindre davantage la population d’étude en

n’incluant par exemple que les personnes atteintes d’une pathologie spécifique. De même,

toutes les catégories professionnelles ont été étudiées, l’objectif étant d’analyser les similitudes

dans les situations vécues par un groupe hétérogène (en termes de localisations tumorales et de

catégories socioprofessionnelles notamment).

2.2.3. Hypothèses de recherche

Au regard des objectifs présentés ci-dessus, une revue de littérature a permis de formuler

les hypothèses de recherche suivantes :

➢ La première hypothèse est qu’à une distance de cinq années du diagnostic, la vie

professionnelle demeure impactée après un cancer.

Cela suppose notamment que la dégradation professionnelle constatée deux ans après le

diagnostic de la maladie témoigne d’une situation durablement impactée : l’observation de la

situation cinq ans après le diagnostic devrait donc montrer un niveau semblable, voire plus

élevé, de vie professionnelle dégradée. Ainsi, nous supposons ici que, cinq ans après un

diagnostic de cancer, les individus ayant vu leur vie professionnelle dégradée deux ans après le

diagnostic, ne retrouvent pas leurs conditions professionnelles relatives à l’emploi occupé

initialement mais qu’à l’inverse, après deux ans, celles-ci se stabilisent. En ce qui concerne les

personnes pour lesquelles aucune dégradation n’a été observée à deux ans, nous supposons

qu’une partie d’entre eux connaisse une dégradation à moyen terme. Cette hypothèse s’appuie

sur l’idée principale suivante : la durée d’un arrêt-maladie indemnisé (pour les salariés ayant

suffisamment cotisés) est de trois ans, aussi il est probable que de nombreuses personnes seront

finalement déclarées inaptes et enregistrées en invalidité à l’issue de ces trois années d’arrêts.

Page 49: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

49

De plus, compte tenu de la précarisation des emplois à l’embauche et du fait que les personnes

ayant perdu leur emploi au cours des deux premières années sont les plus vulnérables sur le

plan de la santé et de l’emploi, il est donc probable que ces personnes rencontrent des difficultés

à retrouver une activité au même niveau de qualification et/ou de rémunération qu’avant la

maladie.

➢ La deuxième hypothèse de cette recherche est que les personnes ayant les

caractéristiques individuelles et socioéconomiques les plus défavorables avant le

diagnostic sont plus à risque de voir leur vie professionnelle négativement

impactée à la suite du diagnostic de la maladie.

Celle-ci s’appuie sur les précédents constats selon lesquels les personnes les plus impactées par

une perte d’emploi sont celles ayant les caractéristiques individuelles et socioprofessionnelles

les moins favorables. Cependant, nous souhaitons y ajouter une nuance supplémentaire : étant

donné les différences en termes d’emploi et de travail entre les hommes et les femmes, nous

supposons que ces différences se retrouvent dans le processus de reprise d’une activité

professionnelle et de maintien en emploi. Ainsi formulée, l’hypothèse suggère qu’à l’instar

d’autres indicateurs de vulnérabilité au travail (contrat précaire par exemple), le fait d’être une

femme est un critère supplémentaire d’inégalité face au retour au travail et au maintien en

emploi.

➢ La troisième hypothèse est que le taux de retour au travail ou de maintien en

emploi n’est pas suffisant pour caractériser une dégradation de la vie

professionnelle, la mise en inactivité pouvant par exemple être souhaitée et ainsi

témoigner d’une situation jugée favorable par l’individu.

En effet, les études précédentes montrent qu’une majorité de personnes reste en emploi après

un diagnostic de cancer, mais dans quelles conditions ? L’hypothèse s’appuie sur les travaux

ayant montré une précarité financière des personnes atteintes de cancer et suppose que celle-ci

est également présente chez les personnes qui se maintiennent en emploi. Ainsi, nous supposons

que le taux de maintien en emploi ne préfigure pas nécessairement d’une dégradation de la vie

professionnelle et que l’évolution du temps de travail, du changement d’activité ou de statut

conjointement à l’évolution financière sont des indicateurs complémentaires indispensables à

la compréhension du phénomène.

Page 50: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

50

➢ La quatrième hypothèse est que la persistance des difficultés rencontrées en

dépit des dispositifs disponibles pour favoriser le retour au travail témoigne d’un

double effet : une sous-utilisation de ces dispositifs de la part des acteurs

(personnes éligibles mais aussi entreprises par exemple) et une sélection de ces

personnes (auto-sélection ou sélection externe).

On l’a vu dans le premier chapitre, les politiques publiques sur la santé au travail et sur le cancer

ont permis la mise en place de nombreux dispositifs visant à faciliter la reprise du travail.

Pourtant, certaines études françaises ont fait état d’une sous-utilisation de ces outils, qu’en est-

il aujourd’hui ? De plus, cette hypothèse ajoute la nuance suivante : en plus d’une sous-

utilisation, elle présuppose un effet de sélection. En effet, les salariés qui ne font pas de leur

retour au travail une priorité par exemple ou qui ne souhaitent pas rester dans l’entreprise,

pourraient ne formuler aucune demande particulière d’aménagement (auto-sélection). De

même, l’employeur peut être moins prompt à proposer des aménagements aux salariés qu’il ne

souhaite pas conserver, ni à accepter des demandes d’aménagement de salariés dont la

contribution n’est pas jugée essentielle (sélection externe).

➢ La cinquième hypothèse est qu’un individu développe une certaine motivation

face à la reprise du travail (qu’elle soit positive ou négative), déterminante de la

situation professionnelle post-diagnostic.

De nombreux acteurs gravitent autour de la décision de la reprise du travail, tels que le médecin

qui signe les arrêts de travail, le médecin du travail, le médecin conseil, d’autres professionnels

soignants mais aussi des acteurs sociaux ainsi que l’entourage social et familial de la personne

concernée qui constitue une influence, etc. L’hypothèse ainsi formulée présume qu’en dépit de

l’influence de ces différents acteurs, les individus font en sorte de satisfaire à leur

« motivation », c’est-à-dire à leur aspiration.

➢ La sixième hypothèse porte sur le caractère processuel de la reprise du travail

après un diagnostic de cancer, celle-ci s’inscrivant dans une période de temps

parfois longue, nécessitant des adaptations et parfois des allers-retours entre des

périodes de travail et d’arrêt de travail.

Celle-ci découle de l’hypothèse précédente préfigurant différentes temporalités entre la

construction de la motivation à reprendre (ou non) un (son) emploi, les stratégies et éventuelles

Page 51: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

51

démarches à mettre en place pour satisfaire celle-ci et enfin, la reprise en elle-même qui pourrait

ne pas être réussie dès la première fois.

A ce stade de la présentation de la recherche, les hypothèses de recherche sont assez larges

car elles regroupent des hypothèses spécifiques à chaque notion particulière étudiée qui seront

détaillées dans les deuxième et troisième parties relativement au point analysé.

Les trois premières hypothèses interrogent les freins rencontrés pour la reprise du travail

et le maintien en emploi et feront en ce sens l’objet de la Partie 2 : le chapitre 4 présentera la

situation professionnelle des personnes atteintes d’un cancer cinq ans après le diagnostic en

regard avec les résultats observés à deux ans et mettra en avant les différences sociales des

trajectoires professionnelles post-diagnostic ; le chapitre 5 montrera que l’analyse de

l’évolution financière est complémentaire à celle du retour en emploi, apportant un éclairage

indispensable à l’analyse de la dégradation de la vie professionnelle ; enfin le dernier chapitre

de cette deuxième partie, le chapitre 6, poursuivra ces analyses en étudiant spécifiquement les

disparités entre les femmes et les hommes introduites précédemment et ce, au regard du concept

de genre, ajoutant ainsi à l’analyse des inégalités sociales. Les quatrième, cinquième et sixième

hypothèses portent davantage sur la démarche personnelle dans le processus de reprise du

travail interrogeant les ressources individuelles et les enjeux de leur mobilisation, elles seront

en ce sens étudiées dans la dernière partie de cette recherche, la Partie 3. Pour celle-ci, le

chapitre 7 présentera les dispositifs exploitables par les individus, leurs effets sur le maintien

en emploi et les aptitudes de ceux-ci à s’en saisir, tandis que le chapitre 8 présentera la

construction d’un modèle synthétique de compréhension du processus de reprise du travail post-

diagnostic de cancer. Enfin, le chapitre 9, dernier de cette partie, appliquera ce modèle au

terrain, en interrogeant les motivations individuelles, les acteurs de la décision et les différents

éléments constitutifs de ce processus.

L’ensemble de cette recherche porte sur l’exploitation de deux enquêtes, l’une

quantitative et l’autre qualitative, qui sont présentées dans un chapitre à part entière, de manière

à éviter toute lourdeur à la lecture du fait de la répétition des supports d’étude. C’est l’objet du

chapitre suivant.

Page 52: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

52

Chapitre 3. Présentation des supports méthodologiques

Comme évoqué en introduction, nous avons pris le parti de mobiliser pour cette recherche

une méthode mixte permettant de combiner des données quantitatives et des données

qualitatives dans l’objectif d’utiliser la complémentarité de ces méthodes au service de notre

recherche. Si cette méthode est au cœur de débats dans la sphère scientifique qui rendent

difficile sa publication, son apport heuristique n’est plus à démontrer (Guével et Pommier,

2012). La présente recherche s’inscrit dans le cadre d’un protocole de type compréhensif

puisque l’enquête qualitative a succédé aux enquêtes quantitatives (préexistantes à cette

recherche) avec pour objectif d’utiliser les premiers résultats statistiques pour explorer ensuite

plus finement nos hypothèses (Guével et Pommier, 2012). Ainsi, ce chapitre présente les deux

dispositifs, quantitatif et qualitatif, sur lesquels s’appuiera la totalité des résultats présentés dans

les parties suivantes. Pour chacune de ces enquêtes, seront présentés les objectifs, les

populations étudiées ainsi que les méthodes et logiciels d’analyse mobilisés.

3.1. Etude d’une enquête nationale représentative : le dispositif VICAN

3.1.1. Présentation du dispositif

Une volonté politique

Le dispositif d’enquêtes VICAN se place dans la mise à l’agenda politique de la lutte

contre le cancer et les inégalités sociales qui s’y réfèrent. Acronyme de VIe après le CANcer

(VICAN), l’objectif de ce dispositif est en premier lieu de documenter les conditions de vie des

personnes deux (VICAN2) et cinq ans (VICAN5) après un diagnostic de cancer (Bouhnik et

al., 2015). Pour cela, chacune des deux enquêtes VICAN2 et VICAN5 a bénéficié d’un

financement de l’INCa attribué dans le cadre d’un contrat de recherche et développement. Dans

un premier temps, le choix d’un recul de deux années par rapport au diagnostic pour l’enquête

VICAN2 permettait de se situer au-delà de la phase aiguë de la maladie et de sa prise en charge

thérapeutique. Les résultats ayant mis en évidence une importante dégradation de la qualité de

vie des personnes atteintes de cancer sur différents aspects du quotidien (état de santé, vie

professionnelle, sexualité, etc.), l’enquête VICAN5 avait pour objectif d’étudier ces mêmes

conditions de vie dans un temps plus éloigné du diagnostic. Le recul de cinq années a été choisi

car il correspond à la période pour laquelle sont estimées les chances de survie en oncologie.

Page 53: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

53

En moyenne, les institutions, le personnel médical et, par conséquent, les patients, estiment

qu’une rémission complète est envisageable à une distance de cinq années du diagnostic (INCa

201738). Les deux enquêtes VICAN2 et VICAN5 ont été réalisées par l’Institut National du

Cancer (INCa) conjointement avec les principaux régimes d’Assurance maladie obligatoires, la

Caisse nationale d’Assurance maladie et la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, et

le laboratoire de recherche UMR1252 SESSTIM. L’une des principales forces de ces deux

enquêtes consiste en la diversité des sources des données recueillies : données auto-rapportées

(questionnaires patients), données rapportées (questionnaire médical) et données

administratives (données de l’Assurance maladie, bases SNIIRAM).

Le dispositif VICAN (comprenant VICAN2 et VICAN5) a été approuvé par trois comités

éthiques : le Comité Consultatif sur le Traitement de l’Information en matière de Recherche

dans le domaine de la Santé (CCTIRS) (N°11-143), l’Institut de Santé Publique (ISP) (N°C11-

63) et la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) (N°911290). La

confidentialité des données est ainsi assurée pour l’ensemble des participants.

Différentes sources de données

Deux questionnaires patients ont été réalisés : le premier a été administré en 2012 aux

participants de l’enquête VICAN2 et le second entre 2015 et 2016 aux participants de l’enquête

VICAN5. La passation a été réalisée principalement par téléphone. Une alternative en format

papier envoyée par courrier a néanmoins été proposée aux personnes atteintes d’un cancer du

poumon ou des voies aérodigestives supérieures et ayant de ce fait des difficultés à participer à

un entretien téléphonique. Le questionnaire a abordé plusieurs thématiques relatives aux

conditions de vie après un cancer parmi lesquelles se trouvent l’état de santé, les séquelles, le

suivi médical et social, la qualité de vie physique et mentale, la vie professionnelle, la

parentalité et la sexualité. À ce jour, seul le questionnaire patient de l’enquête VICAN2 est

disponible en accès libre sur le site de l’INCa39. Le questionnaire VICAN5 étant similaire à

celui de VICAN2 (puisqu’il s’agit principalement des mêmes thématiques explorées à un

horizon plus lointain du diagnostic) et étant très long, il n’a pas été inclus dans le corps de ce

38 https://www.e-cancer.fr/Patients-et-proches/Se-faire-soigner/Suivi/Remission, consulté le 28 juin

2019. 39 https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Synthese-La-vie-

deux-ans-apres-un-diagnostic-de-cancer-De-l-annonce-a-l-apres-cancer, consulté le 28 juin 2019.

Page 54: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

54

document de recherche. Les informations utilisées pour la construction des variables d’intérêt

seront néanmoins présentées au fil des présentations des études.

Le questionnaire médical a été envoyé par voie postale, après autorisation des

participants, au médecin ayant initié l’enregistrement en Affection Longue Durée (ALD) de la

personne interrogée. Ce questionnaire a permis de renseigner l’histologie du cancer (stade

TNM, taille de la tumeur) et la nature des traitements administrés.

Enfin, l’extraction des données administratives des bases SNIIRAM de l’Assurance

maladie a été réalisée pour l’ensemble des personnes éligibles à l’enquête. Celle-ci a permis la

mobilisation de données objectives concernant la consommation de soins réalisés en médecine

de ville ou en établissement (séjours hospitaliers, actes médicaux, prescription et délivrance

médicamenteuse). Ces informations sont disponibles pour la quasi-totalité des personnes

sélectionnées dans la base de sondage (seuls 20 répondants à l’enquête VICAN5 n’ont pas de

données administratives disponibles).

3.1.2. Population cible

Sur le plan médical, les critères d’éligibilité à l’enquête étaient les suivants :

- être bénéficiaire d’un des trois principaux régimes de l’Assurance maladie

suivants : ex-CNAMTS (Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des

Travailleurs Salariés), ex-RSI (Régime Social des Indépendants) et MSA

(Mutuelle Sociale Agricole)40,

- avoir été diagnostiqué entre 2010 et 2011 d’une tumeur cancéreuse parmi les

douze localisations suivantes : sein (pour les femmes uniquement), poumon,

côlon-rectum, prostate (pour les plus de 52 ans uniquement), rein, vessie (pour les

plus de 52 ans uniquement), voies aérodigestives supérieures, thyroïde (pour les

moins de 52 ans uniquement), lymphome malin Non-Hodgkinien, mélanome,

corps de l’utérus (pour les plus de 52 ans uniquement) et col de l’utérus41.

40 Ensemble, ces trois régimes d’Assurance maladie couvraient en 2010 plus de 90 % de la population

française (INCa, 2014). 41 La population cible a été restreinte aux personnes atteintes de cancer parmi les douze localisations

sélectionnées selon leur fréquence, le taux de survie à deux ans associé, la spécificité des groupes d’âge

concernés et l’intérêt scientifique. Les localisations cancéreuses retenues ont été regroupées selon leur

taux de survie estimé (Bouhnik et al., 2015; Mazeau-Woynar et Cerf, 2010) : quatre dites de « bon

Page 55: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

55

S’agissant des caractéristiques sociodémographiques et professionnelles, les critères

d’éligibilité à l’enquête étaient les suivants :

- être âgé de 18 à 82 ans au moment du diagnostic de la maladie,

- résider en France métropolitaine au moment du diagnostic depuis au moins deux

ans,

- résider dans un logement à caractère privé,

- et maîtriser suffisamment le français pour répondre aux questions.

L’ensemble des personnes éligibles a été contacté par courrier par les régimes partenaires

de l’Assurance maladie qui les invitaient à retourner le formulaire de consentement au

laboratoire de recherche. Seules les personnes volontaires, ayant explicitement signé le

formulaire et dont les critères d’éligibilité avaient été vérifiés, furent invitées à répondre à

l’enquête.

3.1.3. Constitution des échantillons, taux de réponse et représentativité

VICAN2 et VICAN5 sont deux enquêtes transversales. À ce titre, elles ont mobilisé deux

bases de sondage stratifiées sur l’âge : la première réalisée en 2012 et la seconde en 2015. La

stratification sur l’âge des répondants a permis de surreprésenter les plus jeunes afin que ceux-

ci soient suffisamment nombreux pour faire l’objet d’analyses spécifiques, notamment vis-à-

vis de la situation professionnelle (dans la mesure où les cancers surviennent en moyenne à 64

ans chez les femmes et 67 ans chez les hommes, âges auxquels la problématique de l’emploi

n’est plus d’actualité pour une grande majorité de personnes en France). Chaque base de

sondage a donc été stratifiée selon deux groupes : le groupe des personnes âgées de 18 à 52 ans

au moment de l’attribution de l’Exonération du Ticket Modérateur (ETM) et le groupe des

personnes âgées de 53 à 82 ans. Dans chaque groupe, étaient représentées les localisations de

cancer sélectionnées dans l’étude. Seul le cancer de la thyroïde n’était pas représenté dans le

groupe des personnes âgées de 53 à 82 ans et, à l’inverse, seuls les cancers de la prostate et du

corps de l’utérus n’étaient pas représentés dans le groupe des plus jeunes et ce, pour des raisons

de pertinence vis-à-vis des caractéristiques épidémiologiques de la maladie. La sélection a

pronostic » (sein, prostate, thyroïde, mélanome), sept dites de « pronostic intermédiaire » (côlon-rectum,

VADS, vessie, rein, col de l’utérus, endomètre, LNH) et une dite de « mauvais pronostic » (poumon).

Cumulées, elles représentent 88 % de l'incidence globale des cancers en France (Bouhnik et al., 2015;

INCa, 2014).

Page 56: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

56

ensuite été réalisée aléatoirement (par tirage au sort). L’organigramme, disponible en annexe 1,

présente les différentes étapes de la base de sondage jusqu’à la réponse des participants pour

les deux enquêtes. Comme le montre cet organigramme, l’enquête VICAN2 a regroupé 4 347

personnes diagnostiquées d’un cancer en 2010 dont 2 009 personnes ont également participé à

l’enquête VICAN5. Pour cette dernière enquête, 4 174 personnes diagnostiquées entre 2010 et

2011 ont été enquêtées. Les répondants à l’enquête VICAN5 se classent donc selon deux

échantillons : l’échantillon principal, constitué des répondants ayant également participé à

l’enquête VICAN2 (N=2 009) et l’échantillon complémentaire, regroupant les individus

n’ayant pas été interrogés dans le cadre de l’enquête VICAN2 (N=2 165).

Les taux de réponse calculés selon les standards définis par l’American Association for

Public Opinion Research (AAPOR) sont de l’ordre de 33 % pour VICAN2 (33,1 % pour la

strate 1 et 32,2 % pour la strate 2) (INCa, 2014). Ceux de l’enquête VICAN5 sont inférieurs à

cause des faibles taux de réponse de l’échantillon complémentaire (14,7 % pour la strate 1 et

15,2 % pour la strate 2) (INCa, 2018).

La quasi-exhaustivité de la disponibilité des données administratives a permis de définir

un coefficient de pondération attribué à chaque participant permettant d’avoir une population

représentative de la population cible en termes d’âge, de régime d’Assurance maladie et de

localisation de cancer. De plus, un poids de redressement a également été appliqué afin de

prendre en compte les caractéristiques des éligibles non-répondants suivantes : le sexe, l’âge,

le régime d’Assurance maladie, la localisation du cancer, l’indice de désavantage social de la

commune de résidence, l’indicateur d’accessibilité potentielle pour les médecins généralistes,

la catégorie de la commune dans le zonage en aires urbaines, la survenue d’un événement

péjoratif associé à la maladie l’année de l’enquête et la survenue d’un événement péjoratif

associé à la maladie depuis le diagnostic (Bouhnik et al., 2015).

Page 57: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

57

3.1.4. Population à l’étude dans cette recherche

L’objet de cette recherche étant d’enrichir les connaissances sur le processus de retour au

travail et sur le maintien en emploi à distance d’un diagnostic de cancer, la totalité des analyses

portant sur l’enquête VICAN5 a été réalisée sur la population en emploi au moment du

diagnostic et pour cela, seules les personnes pour lesquelles les informations sur la vie

professionnelle étaient disponibles ont été considérées, soit 4 099 personnes sur les 4 174

répondants. Parmi elles, un peu plus de la moitié (54,6 %) étaient en emploi au diagnostic de la

maladie tandis que plus d’un tiers (36,5 %) étaient en retraite, ce qui s’explique principalement

par la réalité épidémiologique de la maladie qui concerne principalement les personnes de plus

de 60 ans. De plus, une grande partie des analyses a également été restreinte aux personnes

âgées de 18 à 54 ans (qui représentent moins de 14,6 % des personnes en situation de non-

emploi au diagnostic). Cette limite d’âge a été choisie de manière à contrôler les flux de sortie

de l’emploi associés au processus naturel de départ à la retraite : ainsi, cinq ans après le

diagnostic, la population d’étude reste sous l’âge légal de la retraite en France.

Le tableau des principales caractéristiques sociodémographiques et professionnelles est

mis à disposition en annexe 2 afin de présenter la population VICAN5 à l’étude dans cette

recherche. Cette population est à prédominance féminine (74,1 %). Plus précisément, la

majorité (51,0 %) de notre échantillon d’étude est constituée de femmes atteintes d’un cancer

du sein. Ceci s’explique par la réalité épidémiologique des cancers sélectionnés dans le cadre

de l’enquête : tandis que le cancer ayant la plus forte incidence et les taux de survie les plus

élevés chez les femmes est le cancer du sein qui survient en moyenne à 60 ans (avec environ

20 % des cas diagnostiqués chez des femmes de moins de 50 ans), il s’agit du cancer de la

prostate chez les hommes, diagnostiqué en moyenne à 70 ans (avec environ 5 % des cas

diagnostiqués chez des hommes de moins de 57 ans) (INCa, 2019). Ces différences expliquent

la prédominance de femmes atteintes d’un cancer du sein et la faible représentation d’hommes

atteints d’un cancer de la prostate (1,2 %) parmi les personnes âgées de 18 à 54 ans au moment

du diagnostic. D’autres localisations de cancer sont très faiblement représentées dans notre

sous-population d’étude (âgée de 18 à 54 ans) parce qu’elles concernent principalement des

personnes âgées. C’est le cas notamment du cancer de la vessie (présent ici dans 0,1 % des cas)

et du cancer du corps de l’utérus (0,1 %). Les autres localisations de cancer représentent entre

3,4 % (poumon) et 10,2 % (thyroïde) de notre population d’étude. La faible représentation du

cancer du poumon en dépit de sa forte incidence s’explique principalement par un faible taux

de survie à cinq ans du diagnostic.

Page 58: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

58

Enfin, en ce qui concerne les caractéristiques de l’emploi occupé au diagnostic, la

distribution des catégories socioprofessionnelles représentées dans notre échantillon est

similaire à celle observée en population générale, bien qu’une surreprésentation des employés

et une sous-représentation des ouvriers soient à noter. Ces différences s’expliquent

principalement par les différences de distribution des deux populations en termes d’âge (notre

population est plus âgée en moyenne du fait de l’âge avancé auquel survient généralement un

diagnostic de cancer).

3.2. Approche qualitative du sujet : l’enquête CAREMAJOB

3.2.1. Présentation de l’enquête

Objectifs et population d’étude

L’enquête CAREMAJOB (acronyme de CAncer : REtour et MAintien au « JOB » pour

travail) a été mise en place de façon à suivre des individus concernés par la problématique de

la reprise ou du maintien d’une activité professionnelle après un diagnostic de cancer dans leur

processus de reprise du travail (prise de décision, préparation, action) afin d’identifier les

différents acteurs impliqués et les enjeux spécifiques de ce processus. L’objectif est ainsi

d’enrichir les connaissances et de compléter les premiers résultats des enquêtes quantitatives

sur les modalités relatives au processus de maintien ou de retour au travail des personnes ayant

été traitées pour un cancer. Plus précisément, les difficultés rencontrées et les leviers mobilisés

ainsi que les représentations individuelles liées à ce processus ont été investigués dans le cadre

de deux séries d’entretiens réalisées à six mois d’intervalle. Le premier entretien a été réalisé à

la fin du traitement initial de la tumeur (hors traitement au long cours de type hormonothérapie

par exemple). Un deuxième rendez-vous a été fixé six mois après le premier, l’objectif étant

d’explorer le processus individuel du retour au travail et du maintien en emploi. Ceci postule

qu’au cours des six mois suivant la fin du traitement initial de la tumeur, la personne atteinte

ait évolué dans sa situation vis-à-vis de la poursuite de sa vie professionnelle : soit qu’elle ait

entrepris des démarches de reprise, soit qu’elle ait avancé dans sa réflexion etc.

Page 59: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

59

Les critères d’inclusion, définis de manière à répondre à l’objectif principal de l’enquête

d’investiguer le processus individuel de reprise du travail après un diagnostic de cancer, sont

les suivants :

- avoir été traité pour un cancer,

- être en période de fin de traitement initial (hors traitement de long cours),

- être âgé entre 18 et 60 ans42,

- être en emploi au moment du diagnostic du cancer,

- et maîtriser suffisamment le français pour participer aux entretiens.

Les personnes recrutées selon ces critères étaient donc enquêtées au sujet de grandes

thématiques, de manière à guider l’entretien tout en permettant le « discours libre » (entretiens

semi-directifs). Ces grandes thématiques avaient pour objectif de suivre le parcours individuel

de l’individu afin de faire ressortir le processus explicatif.

Pour la première série d’entretiens, les grands thèmes étaient les suivants :

- Description de la vie professionnelle avant le diagnostic de la maladie (description

de l’emploi, de l’activité, des conditions de travail, du vécu individuel etc.),

- Description de la maladie (contexte de diagnostic, prise en charge, vécu de la

maladie, gestion avec le planning professionnel),

- Situation professionnelle au moment de l’entretien (description de la situation

professionnelle, du stade de la prise en charge de la maladie, vécu individuel et

anticipation de la situation à venir au cours des prochains mois).

Pour la seconde série d’entretiens, les grandes thématiques étaient :

- Description rétrospective de la situation professionnelle depuis le premier

entretien,

- Présentation des éventuelles démarches entreprises et des éventuels freins

rencontrés,

- Description de la situation professionnelle au moment de l’entretien,

- Retour d’expérience.

42 La limite d’âge a été allongée de trois ans par rapport aux premiers critères proposés sur la plaquette

de présentation disponible en annexe 6.

Page 60: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

60

Ancrage méthodologique

Cette recherche s’est inscrite dans une logique compréhensive, inductive et récursive

(Imbert, 2010). Compréhensive d’abord parce qu’elle vise à décrire le processus de la poursuite

professionnelle post-diagnostic de cancer, d’en comprendre le raisonnement et les acteurs

impliqués. Inductive car les questions et les hypothèses de recherche se sont majoritairement

définies au fil des entretiens. Il ne s’agissait pas de vérifier un raisonnement mais d’en

construire un à partir des discours. Enfin, récursive parce qu’elle a nécessité des allers-retours

avec la grille d’entretien et des remises en question permanentes de l’interprétation. Dans cette

logique, l’analyse a été réalisée en simultané de l’étude. Fondée sur la Grounded Theory (Glaser

et Strauss, 1967), la grille d’entretien a été amorcée en amont puis a été enrichie au fur et à

mesure des entretiens afin que chaque nouvelle hypothèse émergente puisse être directement

approfondie dans les entretiens suivants. Pour permettre cette construction progressive des

hypothèses de recherche, les entretiens semi-directifs sont les plus adaptés puisqu’ils permettent

de questionner des points précis tout en laissant une marge importante de liberté à la personne

enquêtée pour évoquer le sujet de la manière dont elle le souhaite. Aucune hypothèse n’a donc

été préétablie, l’exercice exigeant de faire abstraction des théories existantes sur le sujet

investigué afin de ne pas systématiquement illustrer des catégories d’analyses prédéfinies.

Autorisations administratives

L’Inserm a accepté de se porter responsable de la recherche (N°C16-35) et nous a ainsi

accompagné dans nos démarches administratives suivantes : l’enquête a fait l’objet d’une

déclaration normale auprès de la CNIL (N°1957169 v 0) et a obtenu un avis favorable du

Comité d’évaluation éthique de l’Inserm (CEEI) (N°IRB00003888). En accord avec ces

autorisations, un formulaire d’information et de consentement (cf. annexe 7) a été remis à

l’ensemble des participants à l’enquête et une lecture de ce formulaire a été réalisée avec eux

au début de chaque entretien. De plus, un consentement oral a été systématiquement recueilli

au début de l’enregistrement audio de chaque entretien. Ces derniers ont ensuite été anonymisés

en simultané de leur retranscription sur ordinateur, c’est-à-dire que toute information présentant

un risque d’identification n’a pas été retranscrite (noms, prénoms, hôpital, entreprise

employeur, villes de résidence etc.), afin de garantir la confidentialité des données individuelles

recueillies. À l’exception des données possiblement identifiantes, les entretiens ont été

retranscrits de la manière la plus exhaustive possible (mot à mot tels qu’ils ont été prononcés et

Page 61: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

61

le langage audible mais non verbal a également été retranscrit dans la mesure du possible, tels

que l’émotion, les hésitations, les répétitions, emphase etc.).

Par ailleurs, cette recherche a bénéficié d’un soutien financier de la part du Cancéropôle

PACA (appel à projet SHS) grâce au soutien de la codirectrice de cette thèse, Anne-Déborah

Bouhnik qui a accepté de porter le projet. Cette allocation a permis de financer des

déplacements (lorsque les entretiens avaient lieu au domicile de l’enquêté) ainsi que le

recrutement d’ingénieurs d’étude pour la retranscription informatique des entretiens.

3.2.2. Présentation du terrain d’enquête

Afin d’assurer la confidentialité totale des personnes éligibles, des partenariats ont été

instaurés avec des acteurs travaillant directement avec la population cible. Le recrutement des

participants a ainsi été rendu possible grâce à la participation active des associations suivantes :

La Ligue contre le cancer, Centre ressources et CAIRE13. Ainsi que celle de différents agents

hospitaliers publics tels que le service d’oncologie générale de l’Assistance Public Hôpitaux de

Marseille (AP-HM), et privés tels que les services d’assistance sociale et de radiothérapie à

l’Institut Paoli-Calmettes (IPC), et le service de psycho-oncologie à l’hôpital Beauregard.

Toutes ces institutions sont présentes sur la région Sud.

Collaboration avec des professionnels de santé

Impliquant le recueil en amont de données de santé (seules les personnes atteintes d’un

cancer pour lequel elles ont reçu un traitement étant éligibles), le recrutement des participants

aux entretiens a nécessité la mise en place de partenariats avec des acteurs travaillant

directement avec la population ciblée. La rencontre avec le Pr Lionel Dany, psychosociologue

(AMU), a été déterminante sur ce point. Exerçant pour une partie de son activité dans un service

d’oncologie générale de l’AP-HM, il a permis la collaboration avec ce service dirigé par la

Pr Florence Duffaud. Ce service hospitalier traite des pathologies afférentes à tout type de

cancer survenant chez les adultes. De nombreuses recherches cliniques étant réalisées au sein

de ce service, les membres de l’équipe sont habitués au principe de recrutement de patients pour

la recherche. Après une présentation de ce projet d’enquête lors de leur réunion d’équipe du 2

février 2017, les personnes présentes se sont montrées intéressées et ont par la suite activement

participé au recrutement des patients qu’ils ont vus en consultation de fin de traitement. Leur

rôle consistait à identifier en fonction des consultations de fin de traitement programmées dans

Page 62: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

62

la semaine les patients éligibles à l’enquête (dans la tranche d’âge correspondante et en état

physique de reprendre une activité professionnelle) afin de leur faire part du projet d’enquête

(support de présentation à l’appui, disponible en annexe 6). Ensuite, seules les personnes

intéressées étaient invitées à nous contacter directement pour avoir plus d’information et/ou

participer à l’étude. Ce filtrage par les professionnels a permis de conserver l’anonymat total

des personnes qui ne souhaitaient pas participer (seules les personnes ayant volontairement pris

contact ont été rencontrées). Afin de limiter les biais de sélection pouvant être engendrés par le

filtrage des professionnels, l’intérêt d’interroger des personnes quelles que soient leur origine

sociale, leur activité professionnelle et surtout leurs motivations vis-à-vis du travail leur a

explicitement été présenté43. En parallèle, d’autres professionnels de santé spécialistes ont été

contactés (médecins généralistes, oncologues, radiothérapeutes et psycho-oncologues

notamment) parmi lesquels Dr Agnès Tallet, radiothérapeute à l’IPC, Dr Hélène Carrier,

médecin généraliste et Dr Carole Cumbo-Cocheme, psycho-oncologue à l’hôpital privé

Beauregard ont participé activement au recrutement.

Collaboration avec des services sociaux

Nous avons également contacté de nombreux services sociaux au sein de différents

centres hospitaliers (à Marseille : IPC, Hôpital Saint Joseph, Services ERI et services sociaux

de l’AP-HM, Clinique Bonneveine ; à Aubagne : clinique privée La Casamance). Le service

social du centre de lutte contre le cancer, l’IPC, a été particulièrement actif en la personne de

Liliane Dokoui, responsable du dispositif d’aide à la réinsertion professionnelle. Celle-ci a listé

puis a contacté l’ensemble des personnes qu’elle avait rencontrées dans le cadre de son activité

et qui, selon elle étaient éligibles à l’enquête. À nouveau, le filtrage nécessaire au respect des

conditions de confidentialité des non-répondants a été contrôlé par de nombreuses discussions

avec l’assistante sociale sur les objectifs de l’enquête et les besoins de ne pas sélectionner les

patients en fonction de critères différents de ceux relatifs aux besoins de l’enquête. Liliane

Dokoui a été d’une grande aide dans cette entreprise puisque six des vingt-et-un participants

nous ont contactés par son intermédiaire. Si l’intérêt spécifique de Madame Dokoui pouvait

être lié à la spécialité de sa fonction, les participants qu’elle nous adressa n’étaient pas

systématiquement venus la consulter pour des raisons en lien avec leur activité professionnelle.

43 Par exemple un médecin ayant évoqué le cas de l’un de ses patients qui répondaient à tous les critères

d’éligibilité mais qui ne se posait pas du tout la question du travail, a été encouragé à lui faire part de

l’enquête.

Page 63: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

63

Il s’agissait le plus souvent de personnes en demande d’aide pour la constitution de leur dossier

pour la Maison Départementale des Personnes Handicapée (MDPH) leur permettant d’accéder

à des dispositifs tels que des déductions d’impôts.

Collaboration avec des associations

Enfin, nous avons augmenté nos chances de recrutement en faisant appel à de nombreuses

associations spécialisées dans l’accompagnement de personnes atteintes de cancer, parmi

lesquelles nous avons finalement collaboré avec CAIRE13 basée à Marseille et représentée à

cette occasion par Christine Patoux-Gavaudan, le Centre Ressources basé à Aix-en-Provence

et représenté pour ce projet par Laetitia Dewolf et Soline Verrieres, et le comité départemental

des Bouches-du-Rhône de la Ligue contre le cancer représenté par Biliana Damjanovic qui a

organisé la collaboration avec deux antennes : celle d’Arles et celle de Salon-de-Provence.

Avec ces associations, nous avons fonctionné comme avec les professionnels de santé et les

services sociaux : celles-ci étaient chargées d’identifier les personnes éligibles à l’enquête et de

leur transmettre les informations nécessaires sur l’enquête.

Chaque association a une activité particulière. CAIRE13 par exemple propose un

accompagnement gratuit, spécifiquement et exclusivement adapté aux travailleurs indépendants

pour leurs démarches administratives et leurs difficultés professionnelles. Les personnes

rencontrées par cet intermédiaire étaient donc nécessairement des travailleurs indépendants. Le

Centre Ressources est avant tout un centre de bien être, il propose à ses adhérents des ateliers

sur différents aspects de leur bien-être physique et psychologique et, depuis 2015, un

programme intitulé « D’part » qui consiste en un atelier collectif accompagnant des personnes

malades et/ou des aidants sur la thématique de la reprise du travail. Cet accompagnement

consiste en plusieurs séances lors desquelles ont lieu des moments de parole (initiation aux

techniques de communication non-violente, groupe de parole etc.) et où interviennent des

professionnels bénévoles ayant une expertise sur la question (représentants des systèmes

d’Assurance maladie, chefs d’entreprise, représentants de ressources humaines, anciens

adhérents, médecins du travail, médecins conseil etc.). Les personnes interrogées dans le cadre

de l’enquête qui ont été recrutées par ce centre n’ont pas toutes participé à ce programme mais

étaient toutes adhérentes à l’association. Enfin, la Ligue contre le cancer est une association

nationalement connue dans ce domaine. Si certains comités ont mis en place des programmes

d’action cancer toutes entreprises (PACTE), ce n’était pas le cas des antennes rencontrées.

Celles-ci ne disposaient d’aucun accompagnement spécifique à la question de la vie

Page 64: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

64

professionnelle mais des séances avec des psychologues étaient proposées lors desquelles la

question de la poursuite de la vie professionnelle pouvait être abordée, de même que dans les

groupes de parole collectif.

Ainsi, par sa construction le terrain d’étude a regroupé des profils hétérogènes incluant

des personnes susceptibles d’être actives dans leur reconstruction personnelle à la suite d’un

diagnostic de cancer (comme c’est souvent le cas des personnes ayant un contact régulier avec

des associations telles que le Centre Ressources). De même, si toutes les personnes étaient a

priori en capacité physique de reprendre une activité44, les motivations au regard de la poursuite

professionnelle étaient très diverses. Certaines personnes nous ont par exemple contacté en

précisant qu’elles n’étaient pas sûres d’être « bien placées » pour répondre à l’enquête parce

qu’elles ne rencontraient (ou n’allaient rencontrer) aucune difficulté au travail liée à la maladie,

ou encore parce que reprendre le travail leur semblait pour l’heure impossible. Cependant,

l’intérêt de cette enquête n’était pas de documenter les étapes à suivre pour la reprise du travail

mais plutôt d’interroger le processus décisionnel opéré par l’individu concerné afin d’en

comprendre les rouages. Il était donc particulièrement intéressant de pouvoir interroger des

personnes ayant une manière différente d’anticiper la poursuite de leur vie professionnelle.

3.2.3. Conduite de l’enquête

Difficultés rencontrées

La phase de recrutement a été plus longue qu’initialement prévue et n’a pas entièrement

respecté les objectifs fixés a priori. En effet, alors que nous souhaitions respecter la parité afin

de donner autant la parole aux femmes qu’aux hommes et d’éventuellement en dégager

certaines tendances, seuls 6 participants sur 21 étaient des hommes. Si la forte incidence du

cancer du sein chez les femmes de moins de 60 ans peut en partie expliquer ce résultat cela ne

suffit pas. Liliane Dokoui, assistante sociale à l’IPC, nous a fait part de son sentiment : d’après

son expérience, depuis les différents contacts qu’elle a pris pour cette enquête, les hommes

seraient moins enclins à participer, justifiant leur refus par le fait de n’avoir rien à dire ou de ne

pas vouloir en parler.

44 Il ne s’agit pas ici de rendre compte d’une mesure de la capacité physique. Cela signifie simplement

qu’aucune inaptitude totale n’a été déclarée pour ces personnes, bien que certaines aient fait l’objet

d’inaptitude au poste occupé au moment du diagnostic. Il s’agit d’une appréciation subjective, les

médecins ont pu appliquer un filtre mais cela n’avait pas d’importance spécifique pour cette étude.

Page 65: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

65

Les entretiens réalisés

Le nombre d‘entretiens à réaliser n’avait pas été précisément fixé à l’avance, l’objectif

étant de tester chaque hypothèse émergente dans de nouveaux entretiens. Chacun des

participants ayant fait l’objet d’un entretien approfondi, la survenue de nouvelles hypothèses

s’est rapidement essoufflée et nous avons finalement décidé d’arrêter le recrutement au terme

du vingtième entretien (un vingt-unième a tout de même été réalisé car cette personne nous a

contacté au moment de la relecture de l’entretien précédent). La saturation des données a été

considérée atteinte lorsque toutes les hypothèses soulevées avaient été réinterrogées.

Les entretiens ont finalement été réalisés en face-à-face45 entre mars 2017 et février 2018

auprès de 21 participants résidant en région PACA, en emploi au moment du diagnostic de

cancer et étant, au moment du premier entretien, en fin de traitement. Les personnes ont été

rencontrées à deux reprises pour des entretiens semi-directifs réalisés à six mois d’intervalle de

manière à appréhender le caractère processuel du retour au travail et du maintien en emploi

après un diagnostic de cancer. Les entretiens se sont déroulés, selon la convenance des

participants, à leur domicile ou dans une salle de réunion située dans les locaux du SESSTIM

(au choix sur le site de la Timone, ou de l’IPC). Ils ont duré en moyenne 85 minutes pour la

première série (avec un intervalle de 15 à 166 minutes) et 65 minutes pour la seconde (avec un

intervalle de 26 à 131 minutes).

Chaque entretien a débuté avec une présentation de la recherche et la remise d’une lettre

de présentation relue avec la personne enquêtée. Ses droits en termes de consentement de

participation à la recherche ont été clairement explicités et toutes les informations nécessaires

(accord CNIL, avis comité éthique et mes coordonnées) lui ont été remises afin d’assurer une

liberté totale de retrait de l’étude. Enfin, un consentement oral a été demandé au début de chaque

enregistrement.

Les entretiens se sont ensuite déroulés en commençant systématiquement par la question

suivante : « Pour commencer, pourriez-vous me parler du travail que vous exerciez avant

l’annonce de la maladie ? ». Ils se sont poursuivis au fil de la grille d’entretien déroulée en

fonction du discours de la personne enquêtée. La majorité des matériaux recueillis se rapproche

45 A l’exception d’un entretien : le second réalisé avec Sandrine a été fait par téléphone. Cela lui a été

proposé afin d’assurer la conduite de l’entretien car ayant repris le travail, il lui était difficile de

consacrer un moment en présentiel.

Page 66: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

66

davantage des récits biographiques que des résultats d’enquête car l’objectif était de laisser la

personne « se raconter », parler de son expérience du travail d’une part, de la maladie d’autre

part et la laisser faire éventuellement le lien tel qu’elle se le représentait.

Personnes enquêtées

Finalement, 21 personnes, soit 15 femmes et 6 hommes, ont participé à au moins un

entretien dont 18 ont participé aux deux séries, soit 14 femmes et 4 hommes (3 personnes n’ont

pas participé à la seconde série d’entretiens pour différentes raisons : décès, contact perdu et

indisponibilité). Les principales caractéristiques des participants sont présentées dans le

tableau, disponible en annexe 3. Ils étaient âgés de 25 à 59 ans au moment de l’enquête et ont

tous eu un diagnostic de cancer : douze femmes ont eu un cancer du sein, deux femmes ont eu

un cancer de l’ovaire, une femme et un homme ont eu un lymphome malin non-Hodgkinien, un

homme a eu une tumeur cérébrale, un homme a eu un cancer des sinus, un homme a eu un

cancer du testicule, un homme a eu un cancer de l’estomac et un homme a eu un cancer osseux.

Restitution

A l’issue de l’enquête qualitative CAREMAJOB, deux journées de restitution des

principaux résultats ont été réalisées auprès de membres de l’une des associations ayant

collaboré pour le recrutement des personnes volontaires pour participer à l’enquête, et plus

précisément auprès de membres ayant fait partie d’un groupe spécifiquement consacré au sein

de l’association à l’accompagnement des personnes atteintes de cancer sur la thématique de la

vie professionnelle. Nouvellement inscrits, aucun de ces membres n’avait préalablement

participé à l’enquête. L’objectif de ces journées était d’inclure les personnes concernées par le

sujet d’étude dans l’analyse des discours recueillis de manière à confronter notre analyse à leur

vécu, et à éviter au maximum la surinterprétation et les contre-sens.

Page 67: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

67

3.3. Méthode d’analyses des données

3.3.1. Principales analyses statistiques

Indicateurs transversaux à la recherche

L’enquête VICAN5 est très riche pour décrire la situation des personnes enquêtées

disposant à la fois de variables sociodémographiques, socioéconomiques et des variables de

santé subjectives (données auto-rapportées) et objectives (données administratives). À partir

des informations recueillies, plusieurs indicateurs ont été utilisés afin de contrôler les analyses

sur des variables individuelles, sociales et médicales. Pour ces derniers, les codes extraits des

bases SNIIRAM sont mis à disposition en annexe 4.

Comme discuté dans le premier chapitre de cette première partie, la maladie « cancer »

recouvre des réalités très différentes selon la tumeur (son type et son stade au moment de son

diagnostic) ainsi que selon des caractéristiques individuelles (âge au diagnostic et état de santé

initial notamment). Aussi, l’ensemble des analyses statistiques conduites à partir des données

de l’enquête VICAN5 devra nécessairement prendre en compte le maximum de ces

caractéristiques. L’âge inscrit dans le fichier d’Assurance maladie sera systématiquement

intégré aux analyses et l’état de santé initial des individus sera approximé à partir d’un score de

comorbidités calculé à partir des données objectives de consommations de soins (SNIIRAM).

Pour ajuster nos analyses sur la sévérité de la maladie, différents indicateurs ont pu être pris en

compte : la localisation initiale de la tumeur (parfois classifiée selon trois catégories : « bons

pronostics », « pronostics intermédiaires » ou « mauvais pronostics » définies à partir des taux

de survie moyens associés46), la présence ou non de métastases au diagnostic tel que cela est

codé dans le SNIIRAM, le type de traitement initial reçu (chirurgie, chimiothérapie,

radiothérapie, thérapies ciblées) ainsi que l’évolution péjorative de la maladie au cours des

années suivant son diagnostic. Ce dernier indicateur a également été construit pour les analyses

à partir des données du SNIIRAM tel que présenté ci-après.

46 D’après cette classification réalisée par l’INCa, les cancers de « bons pronostics » comprennent : les

cancers du sein, de la thyroïde, de la prostate, du testicule, la maladie de Hodgkin et le mélanome. Les

cancers de « pronostics intermédiaires » sont : ceux du corps et du col de l’utérus, du rein, de la vessie,

du côlon-rectum, des ovaires, de l’estomac, du larynx, de la bouche et du pharynx ainsi que le myélome.

Enfin, les cancers du poumon, de l’œsophage, du foie ou encore du pancréas sont considérés de

« mauvais pronostics » (INCa, 2010). Dans l’enquête VICAN5, les cancers des voies aérodigestives

supérieures ont été inclus en une localisation et sont considérés comme des cancers de « pronostics

intermédiaires ».

Page 68: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

68

Le score individuel de comorbidités est un indicateur de l’état de santé de l’individu

estimé à partir des données du SNIIRAM, et, plus précisément, des consommations

médicamenteuses témoignant d’une atteinte d’une maladie chronique en plus du cancer (telle

que le diabète par exemple) (Cortaredona et al., 2017). Ce score est disponible pour l’année du

diagnostic du cancer ainsi que pour l’année de l’enquête.

L’évolution péjorative de la maladie est un indicateur de gravité du cancer mesuré par

la survenue d’au moins un épisode péjoratif identifié à partir des données longitudinales du

SNIIRAM. Plus précisément, les personnes ayant été admises dans une unité de soins palliatifs

ou ayant eu un traitement anticancéreux (chimiothérapie, radiothérapie ou thérapie ciblée) à

distance du traitement initial (au minimum 24 mois après le diagnostic) ont été considérées

comme ayant eu au moins un épisode d’évolution péjorative de la maladie (INCa, 2018).

De plus, d’autres indicateurs ont été mobilisés de manière transversale aux études

s’inscrivant dans cette recherche afin de prendre systématiquement en compte à la fois des

caractéristiques individuelles (telles que le statut matrimonial) et des caractéristiques sociales

(telles que l’indice de désavantage social) pouvant influer sur les éventuelles difficultés

rencontrées pour la reprise du travail ou le maintien en emploi. Ces indicateurs ont été construits

de la manière suivante :

La situation matrimoniale renvoie dans cette recherche à un indicateur individuel

renseignant sur la situation conjugale et familiale de la personne enquêtée. Il ne correspond pas

nécessairement à une situation légale mais tend à décrire la réalité conjugale.

La catégorie socioprofessionnelle (PCS) est un indicateur correspondant à la

nomenclature des professions et des catégories socioprofessionnelles créé par l’Insee et souvent

utilisé en économie du travail pour décrire à la fois l’activité occupée, la qualification, le statut

professionnel et la position hiérarchique (PCS-2003, Insee47).

Le statut de travailleur indépendant a été identifié à partir des données déclaratives.

Exploitants agricoles, artisans, commerçants ou encore professionnels libéraux, ces travailleurs

regroupent des catégories socioprofessionnelles particulièrement hétérogènes pouvant exercer

seuls, avec des associés et/ou avec des salariés sous leur responsabilité. Cependant, l’intérêt de

47https://www.insee.fr/fr/metadonnees/pcs2003/categorieSocioprofessionnelleAgregee/1?champReche

rche=true

Page 69: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

69

regrouper ces catégories réside en l’opposition avec les travailleurs salariés qui disposent d’un

système de protection sociale (et notamment d’un régime d’assurance maladie) différent. Ont

ainsi été considérés dans cette étude tous les individus se déclarant « travailleurs indépendants »

ou « chef d’entreprise » afin de pallier les incertitudes sur l’identification du statut par les

régimes d’Assurance maladie obligatoires ; certains pouvant par exemple cumuler une activité

salariée et une autre non-salariée et ainsi être enregistré à la Caisse Nationale des Travailleurs

Salariés (ex-CNAMTS) (exemples du médecin libéral qui travaille également à l’hôpital ou de

l’universitaire développant une activité de conseil).

Le revenu disponible par ménage est un indicateur sur le niveau de ressources des

ménages. Obtenu à partir des déclarations individuelles (questionnaire patient), il comprend

tous les revenus perçus par les membres du ménage : les revenus d’activité48, de propriété et de

prestations sociales. Tel qu’il est entendu dans cette recherche, il doit être distingué de la

définition utilisée par la comptabilité nationale qui y soustrait les cotisations sociales et les

impôts (Insee Définitions, 2018).

Le revenu par unité de consommation (RUC) est un indicateur individuel de mesure

de la situation économique de l’enquêté. Il est calculé à partir de la totalité des revenus

disponibles (ici revenus déclarés) du ménage, divisée par le nombre d’unités de consommation

(UC) du ménage, permettant d’établir le revenu disponible par individus au sein du ménage, en

tenant compte de la composition de celui-ci. Le nombre d’UC est calculé à partir de l’échelle

de l’OCDE par sommation des différents individus du ménage avec un poids différent selon

l’âge : 1 pour le premier adulte du ménage (ici la personne interrogée), 0,5 pour les autres

personnes de 14 ans et plus et 0,3 pour les enfants de moins de 14 ans.

L’indice de désavantage social (IDS) simplifié est un indicateur renseignant sur le degré

de précarité de la zone de résidence. Il tient compte de cinq variables du recensement de la

population réalisé par l’Insee : le revenu fiscal médian, la part des résidences principales en

location, le taux de chômage, la part de personnes de plus de 15 ans sans diplôme et enfin la

part de familles monoparentales. Cet indicateur, disponible pour l’ensemble des personnes de

l’échantillon de l’enquête VICAN, permet d’ajuster les analyses sur le contexte social de la

48 Le terme « salaire » sera également utilisé, par extension, pour faire référence aux revenus d’activités

des salariés et des indépendants.

Page 70: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

70

zone de résidence et de comparer des territoires très différents. Plus le score est élevé, plus le

territoire est considéré comme socialement défavorisé (INCa, 2018).

Analyses statistiques

La population d’étude de cette recherche étant un sous-groupe de la population enquêtée

dans l’enquête VICAN5, la variable de pondération telle qu’elle a été présentée précédemment,

a été standardisée sur la population à l’étude dans cette recherche, soit les 18-54 ans ayant

renseigné leur situation professionnelle occupée au diagnostic et cinq ans après. Plus

précisément la formule utilisée est la suivante :

𝑃′ = 𝑃 × (𝑁

𝑁′)

avec P’ = Poids standardisé, P = Poids initial, N = Taille de la population source, N’ = Taille

de la population du sous-groupe après pondération (INCa, 2014).

L’ensemble des analyses descriptives a fait l’objet d’analyses univariées et bivariées

mobilisant des tests statistiques visant à évaluer la significativité de la comparaison observée.

Deux tests ont principalement été utilisés en fonction de la nature des données comparées : le

test du Khi-Deux pour comparer des proportions et le test de Student pour comparer des

moyennes. Ceux-ci postulent l’hypothèse H0 suivante : les variables comparées suivent une

même loi de probabilité. Si la distance entre les données observées et celles attendues est

supérieure à la distance « seuil » alors on conclut que cette différence n’est pas aléatoire et on

rejette l’hypothèse H0. Le seuil de significativité pour lequel on rejette H0 est systématiquement

précisé dans les tableaux (ou graphiques) correspondants, néanmoins de manière générale, à

l’instar de la plupart des études réalisées en santé publique, le seuil de significativité retenu

pour un rejet de H0 correspond à un risque d’erreur de première espèce de 5 %, c’est-à-dire qu’il

y a un risque de 5 % que H0 ait été rejetée à tort.

Pour décrire les données longitudinales, une série d’analyses avec la méthode

d’estimation non paramétrique de Kaplan Meier a été réalisée. Celle-ci donne une lecture

graphique d’ensemble de la probabilité instantanée de connaître un événement spécifique. Il

calcule ainsi le rapport entre le nombre d’individus qui accèdent à l’événement et ceux qui sont

toujours en attente à l’instant t. Cela signifie que pour chaque date t, on retire dans le calcul de

probabilité d’accéder à l’événement, les individus y ayant accédé. Il permet également de

réaliser des comparaisons par le test du Log Rank associé, qui teste la significativité de l’écart

Page 71: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

71

entre deux courbes de survie en comparant les probabilités de sortie des deux populations

observées à chaque instant t. Il pose l’hypothèse H0 suivante : le cumul des écarts entre les

courbes mesurés à chaque événement est inférieur ou égal à l’écart attendu du fait du hasard.

L’hypothèse H0 est rejetée dès lors que l’écart total mesuré est supérieur à l’écart « seuil ».

En ce qui concerne les analyses multivariées, les plus mobilisées sont les modèles de

régressions linéaires lorsque la variable dépendante est quantitative (comme le salaire par

exemple, cf. chapitre 5), de régressions logistiques binomiales lorsque la variable à expliquer

est catégorielle avec deux modalités (telle que le fait d’être sorti de l’emploi ou non à l’instant

t, cf. chapitre 4) et de régressions logistiques multinomiales lorsque la variable à expliquer est

catégorielle avec plus de deux modalités (comme par exemple la situation professionnelle à

l’enquête : en emploi à temps plein, en emploi à temps partiel ou pas en emploi, cf. chapitre 4).

Pour les modèles de régression logistiques, le plus souvent, nous avons préféré présenter les

effets marginaux afin de permettre une meilleure lecture des résultats. L’effet marginal pour la

variable explicative xi correspond aux variations individuelles spécifiquement liées à l’effet de

la variable xi sur la variable dépendante y, toutes les autres caractéristiques explicatives étant

figées (Afsa, 2016).

Pour toutes les analyses multivariées, les variables explicatives intégrées dans les modèles

sont celles pour lesquelles une relation significative au seuil de 20 % avait été observée avec la

variable d’intérêt en analyses bivariées. En complément, lorsque cela nous a semblé pertinent,

certaines variables de contrôle ont également été « forcées » dans les modèles (incluses même

si aucune relation n’avait été observée en analyses bivariée).

Enfin, pour faciliter la lecture des résultats présentés sous forme de tableaux ou de

graphiques, la population d’étude et une note de lecture ont systématiquement été précisés.

L’effectif est donné par la lettre « N ». L’utilisation du groupe « Np » correspond aux effectifs

pondérés.

Page 72: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

72

3.3.2. Principales analyses qualitatives

L’analyse des entretiens a été réalisée par la même personne qui les a conduits. La

méthode d’analyse choisie pour cette recherche est celle de l’analyse de contenu,

particulièrement répandue en sciences humaines et sociales lorsque l’objectif est, comme ici,

de rendre compte et de comprendre des opinions, et de questionner les représentations

individuelles et les mécanismes d’influence afférents à un objet d’étude (Bardin, 2007; Robert

et Bouillaguet, 1997). Pour cela, les entretiens recueillis ont tous été intégralement retranscrits

sur ordinateur le plus fidèlement possible, sous forme de verbatim intégrant la totalité du

discours, mot à mot, ainsi que les silences prolongés (Poland, 1995). Une première relecture

réalisée simultanément avec une écoute du fichier audio et les notes prises durant l’entretien a

permis d’ajouter aux écrits tous les éléments relevant de la communication non verbale. Cette

première relecture a également permis la vérification de l’anonymat des discours. Les corpus

ont ensuite fait l’objet d’une analyse thématique en continue (Paillé et Mucchielli, 2012) de

manière à identifier les différentes idées évoquées, leurs récurrences et de les catégoriser.

L’analyse a donc consisté en deux grandes phases : une analyse verticale des entretiens

et une analyse horizontale (ou transversale). Pour aider à la compréhension du discours,

l’analyse verticale de chaque entretien a systématiquement débuté par une écoute des

enregistrements simultanée à la lecture des retranscriptions. Cette première étape s’est

accompagnée d’une prise de notes des principaux thèmes relevés dans chaque entretien. À cette

étape, les thèmes relevés sont très proches du discours des personnes, de manière à limiter

l’interprétation (par exemple le vocabulaire utilisé est emprunté au discours). Ensuite, une

seconde étape a consisté en une lecture plus approfondie du document retranscrit et, au fil de la

lecture, les différents thèmes relevés précédemment furent regroupés en catégories. L’analyse

horizontale a quant à elle principalement donné lieu à une comparaison des différents thèmes

et catégories identifiés. Des allers-retours au corpus ont été nécessaires afin de valider les

possibilités de catégorisations de thèmes provenant de différents entretiens, en assurant leur

cohérence thématique. La grille d’analyse a ainsi été enrichie au fil des lectures des entretiens.

Pour faciliter l’analyse des entretiens, chaque participant s’est vu attribué un prénom fictif

associé à l’enregistrement.

Page 73: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

73

De plus, avant la conduite de la seconde série d’entretiens, un résumé des trajectoires

professionnelles de l’individu et de son interprétation donnée dans le premier entretien a été

schématisé afin d’assurer la compréhension du processus. Ainsi, les éventuelles

incompréhensions, incohérences ou manques ont pu être investigués dans le second entretien.

À l’issue de cette seconde série, chacun des entretiens a été analysé selon les deux phases

exposées précédemment. Enfin, pour chaque personne enquêtée, les deux entretiens ont été

minutieusement comparés au regard des thématiques abordées, des éventuels changements de

discours (manières d’évoquer une même thématique, évolution des représentations etc.) et des

allers-retours avec les propos précédemment tenus ont pu être réalisés afin de comprendre le

processus d’évolution de la personne.

Enfin, c’est seulement à l’issue de ces quatre phases d’analyse (verticale puis horizontale

pour chaque série d’entretiens) que les thèmes obtenus ont été conceptualisés grâce notamment

à une mise en regard avec la littérature existante.

Pour faciliter la lecture et la compréhension de nos analyses, celles-ci seront illustrées par

des extraits d’entretiens, lorsque cela nous semblera pertinent. Le symbole [E] permettra

d’identifier les verbatims de l’enquêtrice, il sera pour cela intégré au dialogue et placé au début

de la phrase concernée. Le choix du format en italique pour certaines locutions a pour objectif

de représenter visuellement les termes accentués oralement par les enquêtés.

3.3.3. Logiciels

Pour l’exploitation statistique des enquêtes quantitatives VICAN2 et VICAN5, deux

logiciels de traitement de données ont été utilisés : SAS version 9.4 (SAS Institute, Cary, North

Carolina, USA) et Stata version 12 (Stata Corp., College Station, Texas, USA). En ce qui

concerne l’analyse des données qualitatives, eu égard à l’ampleur du corpus (les 39 documents

informatiques retranscrits représentent chacun 20 pages en moyenne, avec une étendue de 9 à

62 pages), l’analyse thématique n’a pas été réalisée de manière manuscrite, mais informatique

à l’aide du logiciel Microsoft Word. En revanche, aucun logiciel spécifiquement conçu pour

l’analyse de données textuelles n’a été utilisé.

Page 74: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

74

C’est donc à l’aune de ces trois chapitres contextuel, conceptuel et méthodologique, que

la suite de cette recherche pourra être comprise. L’ensemble de ce qui suit consiste en une

présentation des résultats issus de l’exploitation des données présentées ci-dessus, et dont

l’objectif est de répondre aux hypothèses de recherche précédemment énoncées. L’enquête

qualitative ayant été pensée pour éclaircir une partie des zones d’ombre de l’enquête

quantitative, et donc envisagée en complément de l’enquête VICAN5, certains résultats

quantitatifs seront agrémentés de verbatims issus de l’enquête qualitative afin de renforcer, ou

à l’inverse de questionner, certaines interprétations. Il s’agit d’un parti pris pour cette recherche

visant à présenter une démarche mixte, dans le but de proposer une analyse la plus complète

possible de l’objet d’étude. Dans cette logique, les résultats de cette recherche seront présentés

en suivant une logique thématique et non méthodologique. Dans la deuxième partie, seront

exposés les différents freins identifiés, caractéristiques d’une dégradation de la vie

professionnelle post-diagnostic d’un cancer. Enfin, la troisième partie proposera une approche

davantage centrée sur l’individu explorant les leviers disponibles pour faciliter la reprise du

travail et le maintien en emploi, ainsi que les enjeux de leur utilisation dans le processus

biographique que cela représente.

Page 75: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

75

Partie 2. Freins au maintien en emploi après un

diagnostic de cancer

Les constats mis en évidence par la littérature exposée précédemment interrogent sur la

persistance et la nature de l’impact négatif du cancer sur la vie professionnelle. Nous avons

formulé sur ce point trois hypothèses : la première portant sur la constance à cinq ans des

difficultés constatées à deux ans, la deuxième supposant une dégradation plus marquée chez les

populations les plus vulnérables professionnellement avant la maladie et enfin la troisième

évoquant la nécessité d’utiliser d’autres indicateurs complémentaires au taux de retour au travail

pour caractériser l’éventuelle dégradation de la vie professionnelle.

Pour y répondre, la présente partie propose d’explorer les freins à la poursuite d’une

activité professionnelle pour les personnes atteintes d’un cancer à une distance de cinq années

du diagnostic. Dans un premier chapitre (chapitre 4), nous présentons leur situation à cinq ans

du diagnostic à travers l’évolution des critères généraux de l’évolution de l’emploi (taux

d’activité, d’emploi et de chômage, transition vers le non-emploi etc.) mais aussi la

caractérisation des différents profils de transitions professionnelles. Les disparités

socioéconomiques des différentes situations seront ainsi exposées. Le chapitre suivant

(chapitre 5) complète l’analyse avec l’étude spécifique de l’évolution de la situation financière

entre le diagnostic et cinq ans après, montrant ainsi la pertinence de la mobilisation de deux

indicateurs complémentaires : celui de la variation financière et l’indicateur subjectif de la

perception de cette variation. Enfin, dans un dernier chapitre (chapitre 6), une attention

particulière est portée aux disparités entre les hommes et les femmes et, plus particulièrement,

à l’intérêt d’une analyse au prisme du genre pour mieux appréhender les inégalités dans

l’emploi et interroger la pertinence de l’analyse globale comparant femmes et hommes.

L’ensemble de ces trois chapitres utilise les données de l’enquête VICAN5, l’enquête

CAREMAJOB étant, par sa construction, peu propice à une analyse des différences

sociodémographiques et de genre, pour la caractérisation de la vie professionnelle post-

diagnostic de cancer.

Page 76: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

76

Chapitre 4. Maintien en emploi après un diagnostic de cancer :

des réalités socialement contrastées

Après la présentation des ancrages conjoncturels, théoriques et méthodologiques de cette

recherche, cette deuxième partie amorce la présentation des résultats par l’exploration des

principales difficultés rencontrées par les personnes diagnostiquées d’un cancer dans leur vie

professionnelle. Plus spécifiquement, il s’agit de montrer en quoi ces difficultés varient

fortement en fonction des conséquences de la maladie mais également de caractéristiques

individuelles et sociales. Pour ce faire, nous présentons dans ce chapitre la littérature

scientifique ciblée sur ces questions qui, on le verra, étudie le retour au travail et les difficultés

afférentes sur une période d’observation généralement restreinte aux trois premières années

post-diagnostic de cancer. Sont ensuite dévoilés les principaux résultats de recherche qui, par

l’analyse des données de l’enquête VICAN5, démontrent l’intérêt d’une investigation à plus

grande distance du diagnostic, les difficultés perdurant à un horizon de cinq années. Les facteurs

sociodémographiques et cliniques associés à ces difficultés, pertinents à cinq ans du diagnostic,

sont enfin discutés en fonction des différentes transitions professionnelles observées.

4.1. Retour au travail et maintien en emploi après un cancer dans la

littérature

4.1.1. Constat d’une situation professionnelle dégradée après un

diagnostic de cancer

La littérature internationale est riche de publications dont l’objet fut d’étudier le retour au

travail après un diagnostic de cancer. En moyenne, une personne atteinte de cancer a entre 20 %

et 30 % de sur-risque de ne plus être emploi en comparaison avec une personne non-atteinte

d’une maladie chronique, sur une même période (Noeres et al., 2013). Plus précisément, une

récente revue de littérature systématique a recensé les études européennes publiées depuis 2010

sur le sujet et montre la disparité des probabilités de se maintenir en emploi après un diagnostic

de cancer, les taux de retour au travail oscillant entre 60 % et 92 % pour les personnes en emploi

au moment du diagnostic, et entre 39 % et 77 % pour les personnes en âge d’être actives

(Paltrinieri et al., 2018). De même, dans sa revue de littérature, Mehnert a estimé que le taux de

retour à l’emploi après un diagnostic de cancer était en moyenne de 40 % six mois après le

diagnostic, 62 % après douze mois, 73 % après dix-huit mois et 89 % après 24 mois (Mehnert,

2011).

Page 77: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

77

Dans le contexte français, plusieurs études conduites par Eichenbaum-Voline

(Eichenbaum-Voline et al., 2008), par Joutard (Joutard et al., 2012), mais aussi plus récemment

par l’Observatoire sociétal des cancers (La Ligue nationale contre le cancer, 2014), par l’INCa

(INCa, 2014) et par Barnay (Barnay et al., 2015b), trouvent que la maladie peut être à l’origine

d’une dégradation de la situation professionnelle deux ans après le diagnostic, estimant qu’en

moyenne près d’un quart de la population en emploi au moment du diagnostic ne l’est plus deux

ans après.

4.1.2. Facteurs associés à une sortie de l’emploi

Des revues de littérature systématiques permettent la mise en parallèle des différents axes

de recherche mobilisés dans ces travaux portant spécifiquement sur l’étude des facteurs associés

au non-retour au travail après un diagnostic de cancer. Pour éviter l’éventuel biais engendré par

la comparaison de populations trop hétérogènes résultant du nombre important d’études portant

sur une seule localisation cancéreuse (avec une prédominance des études portant sur les femmes

atteintes d’un cancer du sein), Paltrinieri et ses coauteurs ont récemment publié une revue de la

littérature ciblée sur le retour au travail après un cancer en Europe en analysant plusieurs

localisations de cancer (Paltrinieri et al., 2018). Les facteurs identifiés comme étant associés au

retour au travail après un cancer sont relativement similaires à ceux identifiés par les revues

précédentes.

Les auteurs les identifient selon trois catégories fondées sur la Classification

Internationale du Fonctionnement49 : les facteurs personnels, les facteurs relatifs à

l’environnement professionnel et ceux relatifs à la maladie. Parmi les facteurs personnels, les

femmes reviennent moins en emploi que les hommes, les plus âgés sur le marché du travail

(généralement les plus de 50 ans) sortent plus souvent de l’emploi et les personnes ayant au

moins un enfant à charge ou vivant en couple poursuivent plus souvent leur activité

professionnelle contrairement aux personnes seules (célibataires, veuves). Des niveaux

d’études et de revenus élevés sont également des facteurs positivement associés au retour au

travail. Les facteurs négatifs relatifs à l’environnement professionnel identifiés sont le fait

d’occuper au diagnostic un emploi demandant un effort physique ainsi que le sentiment de faire

49 Créée par l’Organisation Mondiale de la santé (OMS), cette classification des fonctionnements des

individus permet d’identifier les difficultés que ceux-ci rencontrent dans leurs activités du quotidien.

Cette échelle donne des outils standardisés (elle a été traduite et validée dans plusieurs langues) pour

rendre compte de handicaps, les mesurer et évaluer les besoins associés (OMS, 2001).

Page 78: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

78

l’objet de discrimination ou du moins de percevoir un manque de soutien au travail (de la part

de collègues ou de l’employeur), et ce, particulièrement chez les femmes. Enfin, les facteurs

liés au cancer sont le pronostic initial qui, lorsqu’il est bon, est positivement associé à un

maintien en emploi et, à l’inverse, le fait d’avoir des métastases, d’être atteint d’un cancer du

poumon ou d’une tumeur de stade avancé, le fait d’avoir été traité par chimiothérapie et de

conserver des séquelles sont des facteurs négativement associés au retour au travail. À

l’exception du sentiment de discrimination, dont l’effet n’avait été trouvé significatif vis-à-vis

du retour au travail que dans une seule étude (Bouknight et al., 2006 cité dans Taskila et

Lindbohm, 2007), les facteurs identifiés dans cette revue sont en parfaite cohérence avec ceux

identifiés dans les revues précédentes (Boer et al., 2009; Hoving et al., 2009; Spelten et al.,

2002; Taskila et Lindbohm, 2007).

Parmi ces facteurs, ceux de nature médicale ou épidémiologique sont les plus

documentés. En complément à ceux présentés dans les revues ci-dessus, certaines études

relèvent également la durée des traitements reçus (plus ils sont longs, plus le retour au travail

est difficile), et la longueur des arrêts-maladie (qui y est généralement associée) comme ayant

des effets négatifs sur le retour à l’emploi (Barnay et al., 2015a; Chow et al., 2014a; Mehnert

et al., 2013; Sevellec et al., 2015; Spelten et al., 2002). En effet, un court épisode d’arrêt-

maladie est un facteur de maintien dans l’emploi tandis qu’une longue période d’arrêt de travail

pour raison médicale (+ 30 jours) contribue à accroitre le risque de transition d’une situation

active occupée vers du chômage et de l’inactivité (Barnay et al., 2015a). Plus spécifiquement,

Azarkish et ses coauteurs montrent par exemple que l’intensité de la douleur ressentie ainsi que

la présence d’un lymphœdème influent négativement sur le retour en emploi des femmes ayant

été traitées pour un cancer du sein, de même que les patients ayant subi une jejunostomie pour

soigner leur cancer de l’œsophage ont plus de risque de quitter leur emploi que les autres

(Azarkish et al., 2015).

Considérant précisément le départ anticipé en retraite, les facteurs associés relevés dans

la littérature sont : un âge avancé, un niveau d’études faible ainsi qu’un faible niveau de

revenus. Des facteurs médicaux sont également identifiés, tels qu’un stade avancé de la maladie,

la présence de comorbidités ou encore la fatigue, ainsi que des facteurs liés à la santé mentale :

anxiété, dépression et trouble psychologique favorisent la mise en retraite anticipée (Carlsen et

al., 2008; Lindbohm et al., 2014; Singer et al., 2014). Une étude a également montré que le

stress au travail était un facteur de risque fortement associé à un départ anticipé en retraite

(Böttcher et al., 2013).

Page 79: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

79

4.2. Des difficultés qui perdurent : résultats de l’enquête VICAN5

4.2.1. Constat transversal du maintien en emploi

Cinq ans après le diagnostic d’un cancer, on observe une baisse concomitante du taux

d’activité (de 94,2 % à 83,9 %) et du taux d’emploi (de 87,3 % à 75,9 %), soit une diminution

de plus de 10 points, des deux indicateurs. Cette baisse s’accentue avec l’âge : elle est de près

de 20 points pour les 50 ans et plus, de près de 9 points pour les 40-49 ans et enfin de seulement

4 points pour les moins de 40 ans. Dans le même temps, la part de personnes au chômage a

augmenté de 2,2 points (9,5 % des actifs sont chômeurs contre 7,3 % cinq ans auparavant). Or,

sur la même période, le taux de chômage est resté stable en population générale (9,5 % en 2010

et en 2015). À nouveau, l’augmentation de la part de chômage varie selon la tranche d’âge

étudiée : c’est chez les plus jeunes que l’augmentation est la plus forte (+ 4,6 points), suivis des

plus âgés (+ 2,8 points), tandis que l’augmentation n’est que de 1 point pour les 40-49 ans. Pour

les personnes atteintes d’un cancer, la baisse du taux d’emploi coïncide avec une augmentation

de 9 points du taux d’invalidité (0,8 % au diagnostic, 9,3 % cinq ans après). L’inactivité pour

invalidité est plus fréquente chez les plus âgés (16 % chez les 50 ans et plus). Enfin, la part

d’individus à temps partiel a également augmenté de 5 points depuis le diagnostic, concernant

27,8 % des individus en emploi cinq ans après le diagnostic (entre 26 % et 30 % pour les moins

de 40 ans et les 50 ans et plus respectivement) tandis que cette proportion est restée stable en

population générale (18 %).

Une personne sur cinq en emploi au moment du diagnostic ne l’est plus cinq ans après

Parmi les personnes en emploi effectif au diagnostic (c'est-à-dire n’étant pas en arrêt-

maladie de longue durée) et âgées de moins de 55 ans au diagnostic, une sur cinq ne l’est plus

cinq ans après (tableau 4.1). Celles-ci sont en inactivité (avec une prédominance d’inactivité

pour invalidité), au chômage ou en arrêt de longue durée.

Page 80: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

80

Tableau 4.1. Évolution de la situation professionnelle en fonction du statut occupé au moment

du diagnostic, cinq ans auparavant (en %)

Situation professionnelle cinq ans après le diagnostic

Emploi

effectif

Arrêt

long Chômage

Retraite

ou pré-

retraite

Autre

inactivité

Total

ligne

Total

colonne

Sit

uati

on

pro

fess

ion

nel

le

au

dia

gn

ost

ic

Emploi

effectif 80,0 2,4 6,8 1,2 9,6 100 85,9

Arrêt long 40,1 0,0 4,8 7,4 47,7 100 1,4

Chômage 46,7 0,0 27,2 0,0 26,1 100 6,9

Retraite ou

pré-

retraite

3,2 0,0 0,0 89,3 7,5 100 0,4

Autre

inactivité 25,0 0,0 3,2 0,8 71,0 100 5,4

Total 73,8 2,1 8,0 1,5 14,6 100 100

Champ : répondants de l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans au moment du diagnostic (Np=2 124).

Lecture : 80,0 % des individus interrogés dans VICAN5 qui étaient en emploi au moment du diagnostic,

le sont également au moment de l’enquête, cinq ans après.

Si la majorité des personnes en emploi au diagnostic s’est maintenue en emploi cinq ans

après, ce taux diffère selon des caractéristiques sociales et médicales. Le maintien en emploi

varie notamment selon la localisation du cancer (figure 4.1). Les personnes diagnostiquées d’un

cancer du poumon ont vu leur situation professionnelle se dégrader tout particulièrement cinq

ans après le diagnostic, avec une baisse considérable du taux d’emploi et une forte hausse du

chômage : deux personnes sur cinq en emploi ne le sont plus cinq ans après, contre une personne

sur cinq en moyenne. Une grande partie d’entre elles se déclare en invalidité. Les personnes

atteintes d’un cancer des voies aérodigestives supérieures (VADS), d’un cancer colorectal ou

du groupe vessie, rein et prostate50 connaissent également une détérioration de leur situation

professionnelle à cinq ans du diagnostic, avec des taux importants de mise en invalidité. Celles

avec un cancer des VADS ou un cancer colorectal sont également nombreuses à être en arrêt-

maladie de longue durée cinq ans après le diagnostic. Enfin, pour l’ensemble des localisations

considérées, une part non-négligeable d’individus en emploi effectif au diagnostic (6,8 %) est

au chômage cinq ans après (tableau 4.1). Cette part est particulièrement importante (13,0 %)

pour les personnes diagnostiquées d’un cancer de la thyroïde (figure 4.1). Au-delà de la

50 Pour rappel, ces trois localisations cancéreuses ont été agrégées dans les analyses pour pallier les

faibles effectifs de ces groupes liés à la réalité épidémiologique de ces maladies (les cancers de la

prostate, de la vessie et du rein surviennent généralement chez des populations plus âgées qui ne sont

donc, en majorité, plus concernées par ces questions d’emploi).

Page 81: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

81

localisation cancéreuse, la situation professionnelle diffère selon le niveau de séquelles

déclarées (aucune, modérées ou importantes) au moment de l’enquête : le taux d’emploi

diminue avec le niveau de séquelles déclarées et, symétriquement, le taux de chômage, le taux

d’inactivité et le taux d’invalidité augmentent.

Figure 4.1. Situation professionnelle au moment de l’enquête des personnes en emploi au

moment du diagnostic selon la localisation (en %)

Champ : répondants de l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans et en emploi au moment du diagnostic

(Np=1 854).

Lecture : 81,9 % des personnes avec un diagnostic de cancer du sein et en emploi au moment du

diagnostic, étaient toujours en emploi au moment de l’enquête, cinq ans après (12,2 % en temps partiel

qui n’était pas déclaré au diagnostic et 69,7 % avec un temps de travail identique à celui au diagnostic),

tandis que 5,8 % sont au chômage, 2,2 % en arrêt-maladie de longue durée, 6,7 % en invalidité et 3,5 %

inactives (hors invalidité).

Ces résultats descriptifs sont en cohérence avec ceux de la littérature : le cancer recouvre

des réalités très différentes selon la localisation de la tumeur, les personnes atteintes d’un cancer

ayant l’un des taux de survie les plus faibles parmi ceux considérés (poumon, VADS) étant les

plus vulnérables face aux difficultés professionnelles. À l’inverse, les personnes atteintes d’un

des cancers ayant les taux de survie les plus encourageants (mélanome, sein et thyroïde) sont

les plus nombreuses à être en situation d’emploi au moment de l’enquête, soit cinq ans après le

diagnostic. Néanmoins, il nous faut noter que l’ensemble des localisations de cancer sont

concernées par des difficultés professionnelles qui perdurent jusqu’à cinq ans après le

diagnostic, les parts d’invalidité et de chômage chez ces individus en témoignent. La part

particulièrement élevée de chômage chez les personnes atteintes d’un cancer de la thyroïde

(13,0%) interpelle : quelles pourraient être les difficultés spécifiques rencontrées par les

personnes atteintes d’un cancer de la thyroïde - considéré comme « de bon pronostic » avec des

11,2

10,3

11,0

8,5

5,4

9,5

10,9

10,6

12,2

7,5

45,7

56,1

59,4

62,1

69,0

70,8

68,5

72,2

69,7

82,9

2,1

5,1

3,8

5,2

2,3

2,4

2,3

0,8

2,2

0,5

8,9

6,0

8,1

6,3

3,7

8,6

6,8

13,0

5,8

6,4

29,4

16,6

15,5

14,4

12,4

8,2

8,2

0,7

6,7

0,6

2,8

5,9

2,2

3,6

7,2

0,6

3,3

2,9

3,5

2,2

Poumon

VADS

Corps et col de l'utérus

Côlon et rectum

Vessie/Rein/Prostate

LNH

Ensemble

Thyroïde

Sein

Mélanome

Nouveau temps partiel En poste En arrêt maladie long Au chômage En invalidité Autre inactivité

Page 82: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

82

taux de survie estimés à plus de 80 % quel que soit le stade de la tumeur (INCa, 2010) - qui

conduiraient à une part de chômage plus importante par rapport aux autres ? Par ailleurs, si les

cancers du poumon, considérés comme de « mauvais pronostic » et des VADS, de « pronostic

intermédiaire », sont souvent associés à la présence de séquelles invalidantes pouvant nuire à

la poursuite de leur activité professionnelle, ils sont également plus fréquents chez des

populations défavorisées (Bryere et al., 2018) qui, elles-mêmes, quelle que soit la localisation

tumorale, rencontrent plus fréquemment des difficultés à rester en emploi après le diagnostic.

Ainsi, cinq ans après le diagnostic de cancer, la dégradation de la situation professionnelle de

ces personnes tiendrait-elle davantage de la maladie en elle-même ou des caractéristiques

professionnelles et sociales spécifiques dont elles peuvent disposer ?

En effet, l’évolution de la situation professionnelle varie fortement selon la catégorie

socioprofessionnelle de l’emploi occupé au diagnostic (figure 4.2), les emplois dits

d’« exécution » étant plus souvent associés à du non-emploi cinq ans après (p.value < 0,001).

Plus précisément, les ouvriers et les employés se sont significativement moins maintenus en

situation d’emploi que les cadres et autres fonctions supérieures et que les agriculteurs

exploitants. La différence est également statistiquement significative entre les ouvriers et les

professions intermédiaires d’une part et les artisans, commerçants et chefs d’entreprise d’autre

part. En comparaisons descriptives, ces différences de catégories socioprofessionnelles

s’observent au sein de chaque groupe d’individus atteints d’une même pathologie (femmes

atteintes d’un cancer du sein, hommes et femmes atteints d’un cancer du poumon ou des VADS

ou de la thyroïde etc.). Cependant, si des différences de catégories socioprofessionnelles

s’observent au-delà des différences de pathologies (et inversement), les faibles effectifs de

chaque groupe ne nous permettent pas de réaliser des comparaisons statistiques robustes.

Néanmoins, après agrégation des catégories socioprofessionnelles selon la classification

« exécution » versus « encadrement », des différences significatives ont été mesurées pour les

personnes atteintes d’un cancer de la thyroïde : parmi ces dernières les personnes occupant au

diagnostic un emploi d’exécution sont significativement moins en emploi que les personnes

occupant un emploi d’encadrement (76 % pour les premières contre 94 % pour les secondes,

p.value < 0,01).

Page 83: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

83

Figure 4.2. Situation professionnelle au moment de l’enquête des personnes en emploi au

moment du diagnostic selon la catégorie socioprofessionnelle de l’emploi occupé (en %)

Champ : répondants à l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans et en emploi au moment du diagnostic,

hors données manquantes sur la variable de PCS (Np=1 813).

Lecture : 76,4 % des personnes qui occupaient un emploi d’exécution au diagnostic sont en emploi cinq

ans après (11,8 % sont passées à temps partiel et 64,6 % n’ont pas diminué de quotité) tandis que c’est

le cas de 84,3 % en personnes occupant un emploi d’encadrement.

Parmi ceux en emploi à cinq ans, un quart a réduit, voire changé, son activité

professionnelle

Parmi les personnes qui se sont maintenues en situation d’emploi à cinq ans du diagnostic,

13,8 % sont passées d’une activité à temps plein au diagnostic, à une activité à temps partiel

cinq ans après. Plus largement, elles sont 29,5 % à avoir réduit leur temps de travail d’au moins

quatre heures par semaine (ce qui correspond en moyenne à une demi-journée par semaine). De

plus, parmi ces quatre personnes sur cinq en emploi, près d’un quart (24,3 %) ne sont plus dans

le même emploi (qu’elles soient dans la même entreprise mais avec un poste différent ou

qu’elles aient changé d’employeur). Un changement d’emploi peut survenir pour différentes

raisons liées ou non au cancer. La maladie peut entraîner un changement d’activité forcé ou

choisi. Le premier résulte souvent soit d’un licenciement ou d’un non-renouvellement du

contrat professionnel, soit d’une incapacité pour la personne ayant (eu) un cancer de reprendre

son activité à la suite d’une inaptitude (par exemple, une coiffeuse ne pouvant plus lever le bras

à cause d’un lymphœdème persistant, lié à un cancer du sein). D’après la littérature, dans

certains cas, les personnes témoignent d’une remise en question des priorités personnelles

pouvant aboutir à une relégation de l’activité professionnelle au second plan ou, au contraire, à

10,2

11,8

74,1

64,6

2,8

1,8

4,5

8,4

5,6

9,5

2,8

3,9

Encadrement (43,7 %)

Execution (56,3 %)

Nouveau temps partiel En poste En arrêt maladie long

Au chômage En invalidité Autre inactivité

Page 84: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

84

une réorientation valorisant l’épanouissement personnel au travail (Tarantini et al., 2014; Vidal-

Naquet, 2009). En premier résultat, une forte association est observée entre le changement

d’emploi et la réduction du temps de travail : 26,5 % des personnes n’ayant pas changé

d’emploi ont réduit leur temps de travail d’au moins une demi-journée par semaine contre

39,2 % des personnes ayant changé d’emploi (p < 0,001). Deux hypothèses peuvent être

évoquées pour expliquer pareil constat : les personnes souhaitant, ou étant contrainte de, réduire

leur temps de travail, doivent pour cela changer d’activité ou, à l’inverse, voulant, ou contraintes

de, changer d’activité, celles-ci choisissent ou subissent un emploi à temps réduit. De plus, les

moins de 40 ans et les cadres supérieurs semblent être les plus concernés par un changement

professionnel, de même que les personnes ayant déclaré avoir changé de priorité dans la vie

depuis le diagnostic. Ainsi, un profil se dessine : celui d’un cadre, qui a un temps de travail

élevé, un emploi potentiellement stressant, et qui, après un diagnostic de cancer, réévalue ses

priorités et choisit d’adapter son activité professionnelle à sa convenance, en réduisant le

nombre d’heures de travail et en changeant d’activité ou d’employeur. De nombreuses enquêtes

qualitatives ont déjà documenté ce phénomène, mais il est sans doute également fréquent en

population générale, où les cadres et les moins de 40 ans sont également les plus sujets à la

mobilité professionnelle et notamment à la mobilité interne (au sein de l’entreprise) (Dupray et

Recotillet, 2009).

La situation observée à cinq ans du diagnostic illustre-t-elle une situation professionnelle

pérenne ou n’est-elle que la photographie d’une situation amenée à évoluer à court ou moyen

terme ? Pour répondre à cette question, il semble nécessaire d’explorer l’évolution de la

situation professionnelle des personnes atteintes de cancer entre le moment du diagnostic et le

moment de l’enquête. En effet, l’analyse transversale réalisée à deux instants donnés (au

moment du diagnostic et cinq ans après) fournit une image tronquée de l’impact de la maladie

sur l’ensemble de la trajectoire professionnelle et sa dynamique depuis le diagnostic. Par

exemple, nous avons montré que parmi les personnes âgées de 18 à 54 ans en emploi au moment

du diagnostic, quatre sur cinq étaient en emploi cinq ans après (81,6 % au total) mais, parmi

elles, se trouvent des personnes qui ont changé d’emploi (et/ou d’employeur). De plus, la

transition d’un emploi à l’autre n’a pas toujours été immédiate ; elle s’est souvent accompagnée

d’une période de chômage ou d’inactivité. Or, des études internationales menées en population

générale ont fait le constat que l’alternance d’épisodes d’interruptions d’emploi et de chômage

peut entraîner des effets négatifs à la fois sur la carrière professionnelle (Gregg et Tominey,

2005) et sur la santé des individus (Barnay et al., 2015b). Il apparaît donc nécessaire d’explorer

plus finement ces différentes trajectoires.

Page 85: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

85

4.2.2. Analyse longitudinale : description des trajectoires

Différentes trajectoires professionnelles après le diagnostic

Le chronogramme présenté en figure 4.3 donne une vision globale de la situation

professionnelle pour chaque mois de la période observée, soit les cinq années suivant le

diagnostic du cancer. Ce graphique donne à chaque instant t, correspondant au nombre de mois

écoulés depuis le diagnostic de cancer, la répartition globale des individus en fonction de leur

situation professionnelle. Ainsi, le diagnostic, qui survient selon les individus entre 2009 et

2011, est rapidement suivi d’une mise en arrêt-maladie, la part maximale de personnes en arrêt-

maladie étant atteinte trois et quatre mois après le diagnostic où la moitié des individus (50 %)

sont en arrêt (soit 53,7 % des actifs occupés). La part d’individus restant en arrêt-maladie long

est assez faible ; la grande majorité revient progressivement en emploi tandis qu’une part stable

d’environ 10 % des personnes se maintien en arrêt-maladie de longue durée. La part de

personnes en inactivité reste stable au cours du temps (entre 1 % et 2 %) contrairement à celles

des personnes au chômage, à la retraite ou en invalidité qui augmentent progressivement au

cours des cinq années suivant le diagnostic. Une légère augmentation de l’accroissement du

taux d’invalidité est néanmoins perceptible après trois années post-diagnostic, ce qui

correspond à la fin des droits de versement d’indemnités journalières de l’Assurance maladie.

Page 86: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

86

Figure 4.3. Vue d’ensemble de l’évolution mensuelle des trajectoires professionnelles au cours

des cinq années suivant le diagnostic de cancer (en %).

Champ : répondants de l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans et en emploi au moment du diagnostic,

hors données manquantes (Np=1 846).

Lecture : la part de personnes inactives pour invalidité croît progressivement après le diagnostic, jusqu’à

représenter près de 10 % de la population étudiée au terme des cinq années d’observation. À l’inverse,

la part d’emploi diminue à la suite du diagnostic, représentant à cinq ans 80 % des individus. La part de

temps partiel thérapeutique (tpt) augmente progressivement conjointement à la reprise de l’emploi après

un arrêt-maladie de longue durée.

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

DateDiag

+6 mois +1 an +1,5 ans +2 ans +2,5 ans +3 ans +3,5 ans +4 ans +4,5 ans +5 ans

Emploi TPT Arrêt long Chômage Formation Retraite Invalidité Autre inactivité Missing

Page 87: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

87

En moyenne, les personnes en emploi au moment du diagnostic et qui sont dans une

situation professionnelle différente cinq ans après, ont quitté leur emploi au bout de deux ans

(24,7 mois). Parmi elles, les personnes en inactivité hors retraite sont celles qui ont quitté

l’emploi occupé au diagnostic le plus rapidement, notamment en comparaison avec celles qui

sont à la retraite ou au chômage. Parmi chaque situation, les différences de durée de l’emploi

occupé au diagnostic, observées entre les femmes et les hommes sont relativement faibles et ne

sont pas statistiquement significatives.

Zoom sur le (non-)recours aux arrêts-maladie

Les travaux de recherche visant à mieux comprendre le processus de mise en arrêt-

maladie et son impact sur les trajectoires professionnelles sont très récents en France et restent

peu nombreux. Une première étude française conduite par Barnay (2015) sur l’impact des

arrêts-maladie a néanmoins montré que l’occurrence d’arrêts-maladie accentue le risque de

sortir de l’emploi l’année suivante plutôt que de revenir à la situation d’emploi initiale. Plus

précisément, ces arrêts accroissent le risque d’une situation de chômage. Cette étude conclut

que l’effet négatif des arrêts-maladie sur les trajectoires professionnelles est accentué lorsqu’ils

sont de longue durée (à partir d’un mois d’arrêt l’effet négatif est significatif et augmente

ensuite avec la durée). Dans l’étude plus spécifique d’une population ayant eu un diagnostic de

cancer, des travaux révèlent également une association entre un arrêt-maladie de longue durée

et un plus faible maintien en emploi (Le Corroller-Soriano et al., 2008; Sevellec et al., 2015).

À partir des sources administratives (SNIIRAM) de l’enquête VICAN5, plus de trois

personnes sur quatre (77 %) sont identifiées comme ayant eu recours à un arrêt-maladie d’au

moins un mois au cours des cinq années ayant suivi le diagnostic de cancer51. Les indépendants

et les salariés de très petites entreprises ont les taux de recours les plus faibles, de même que

les plus âgés et les individus ayant les caractéristiques médicales les plus favorables (pas

d’épisode d’évolution péjorative, et cancer non traité par chimiothérapie ou radiothérapie).

51 Ce résultat est inférieur à celui observé à partir des déclarations faites au moment de

l’enquête (recueillies par le questionnaire patient) : 86,8 % des individus ont affirmé avoir connu au

moins un arrêt-maladie à la suite du diagnostic de cancer. Cette différence de résultat peut s’expliquer

notamment par la non-prise en compte des arrêts de courte durée (inférieurs à un mois) dans la présente

étude. De plus, certains individus ont pu avoir recours à un arrêt-maladie sans que celui-ci soit pris en

charge par le système de sécurité sociale et sans qu’aucune indemnité journalière ait alors été versée

(exemple de certains groupes de travailleurs indépendants non couverts par le système public en cas

d’arrêt-maladie et se mettant néanmoins en arrêt de travail sans indemnité ou avec indemnisation de la

part d’organismes privés). Ce qui amènerait des personnes à déclarer comme arrêt-maladie des absences

au travail liées à des raisons de santé et expliquerait ainsi la surestimation des données déclaratives.

Page 88: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

88

Pour ceux qui ont eu au moins un arrêt-maladie, le premier arrêt intervient en moyenne

6 mois après le diagnostic et sa durée moyenne est de 10 mois. Plus spécifiquement, les

personnes qui, par la suite, reprennent leur emploi le font à l’issue d’un premier arrêt de 9 mois

en moyenne : de 8 mois pour les reprises classiques et de 12 mois lors d’une reprise à temps

partiel thérapeutique (figure 4.4). Concernant les personnes qui perdent ou quittent leur emploi

et se retrouvent au chômage, la durée du premier arrêt-maladie aura été d’en moyenne 15 mois,

et de 16 mois pour celles qui ont connu une transition vers l’inactivité hors invalidité. La durée

du premier arrêt-maladie est la plus longue lorsque les individus passent ensuite en invalidité :

elle est alors en moyenne de 28 mois, soit presque deux ans et demi d’arrêt.

Figure 4.4. Durée moyenne du premier arrêt-maladie à la suite du diagnostic de cancer selon la

transition ultérieure (en mois).

Champ : répondants à l’enquête VICAN5, en emploi au diagnostic et pour lesquels les données de

consommation de soins étaient disponibles, ayant connu au moins un arrêt-maladie (Np=1 534).

Lecture : les individus qui ont repris l’emploi sans temps partiel thérapeutique à la suite du premier arrêt-

maladie ont connu un premier arrêt de 8,1 mois en moyenne (intervalle de confiance au seuil de 5 % :

7,5-8,6) contre 12,1 mois (11,1-13,2) pour ceux qui ont repris l’emploi avec le dispositif de temps partiel

thérapeutique.

0

5

10

15

20

25

30

35

Reprise emploi Reprise emploi à

temps partiel

thérapeutique

Chômage Inactivité Invalidité

Page 89: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

89

Par ailleurs, les personnes qui n’ont pris aucun arrêt-maladie, sont moins souvent en

emploi à cinq ans du diagnostic : seuls 74,9 % d’entre elles le sont contre 83,3 % des autres

(p.value < 0,001). Parmi celles qui se sont maintenues en activité, c’est-à-dire qui n’ont pas eu

d’arrêt-maladie, et qui ne sont plus en emploi à cinq ans, la sortie de l’emploi occupé au

diagnostic est intervenue en moyenne à un an du diagnostic (13,8 mois). Parmi celles qui sont

en emploi mais qui en ont changé par rapport au diagnostic, elles sont sorties de l’emploi initial

en moyenne deux ans après le diagnostic (21,7 mois après) et ont connu une période

intermédiaire d’environ un an (13,8 mois) avant d’entrer dans l’emploi occupé au moment de

l’enquête.

Identification de cinq principales transitions entre le diagnostic et cinq ans après

Ainsi, cinq grandes transitions ont été observées entre la situation au diagnostic et celle à

l’enquête :

- L’emploi continu (61,8 %) représente les personnes qui se sont maintenues dans

la même activité au même poste entre le diagnostic et l’enquête cinq ans après.

Cette transition concerne plus souvent des personnes âgées de 40 à 49 ans au

diagnostic, diplômées d’au moins un baccalauréat ou équivalant, occupant un

emploi dans le secteur public au diagnostic ou travaillant en indépendant. Elle

concerne également principalement les personnes dont la santé a été le moins

altérée : celles déclarant ne conserver aucune séquelle ou encore n’ayant connu

aucun épisode d’évolution péjorative.

- Le changement d’emploi (19,9 %) caractérise les personnes qui occupent au

moment de l’enquête un emploi différent de celui occupé au diagnostic (poste ou

employeur différent). Elle concerne plus souvent des personnes jeunes ou, à

l’inverse, des personnes de 50 ans et plus, avec peu d’expérience dans l’emploi

considéré au diagnostic, ou encore des personnes ayant un niveau d’études au

moins équivalent au baccalauréat.

- De l’emploi au chômage (6,8 %) regroupe les personnes en emploi au diagnostic

et en recherche d’emploi à l’enquête. Cette transition concerne principalement des

personnes ayant un niveau d’études inférieur au baccalauréat, et en contrat

temporaire au diagnostic.

Page 90: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

90

- L’emploi vers l’invalidité (8,2 %) définit les personnes en emploi au diagnostic

et inactives pour invalidité à l’enquête. Celles-ci avaient plus souvent un état de

santé initial altéré (comorbidités au diagnostic) et ont plus fréquemment connu

une dégradation de leur état de santé en lien avec le cancer (présence de séquelles,

épisode(s) d’évolution péjorative et cancer traité par chimiothérapie). Les

personnes de 50 ans et plus, et celles peu diplômées sont plus concernées.

- L’emploi vers l’inactivité (3,3 %) correspond enfin aux personnes en emploi au

diagnostic et inactives en retraite, en formation ou au foyer au moment de

l’enquête. Les plus âgées (de 50 ans et plus) sont les plus nombreuses à avoir

connu cette transition.

Après la sortie de l’emploi, la transition la plus rapide vers la situation connue au moment

de l’enquête correspond aux personnes qui sont parties à la retraite. Certaines ont néanmoins

connu une phase intermédiaire52 correspondant à une mise en arrêt (que ce soit par

l’intermédiaire d’un arrêt-maladie ou d’une mise en invalidité) avant le passage en retraite. Une

minorité d’enquêtés a perdu son travail, tout en connaissant des phases d’emploi et/ou de

chômage avant la mise en retraite. De même, la mise en inactivité, y compris l’invalidité, est le

plus souvent consécutive à l’emploi. Toutefois, pour quelques-unes des personnes considérées,

l’invalidité n’a pas été consécutive à l’emploi et a fait l’objet d’une demande après une

recherche de travail infructueuse ou une phase d’inactivité. La transition vers la situation de

chômage déclarée au moment de l’enquête a souvent été ponctuée de plusieurs périodes de

formation et d’emploi avant que la personne ne se déclare à la recherche d’un emploi. Une

minorité d’individus déclare également avoir mis à profit une séquence d’inactivité à la suite

de la fin de l’emploi occupé au diagnostic pour se soigner. Enfin, la période précédant le

changement d’emploi a le plus souvent été occupée par un épisode de formation et/ou une phase

de recherche d’emploi avec, pour certains, l’aide des institutions publiques Pôle Emploi ou Cap

Emploi et/ou la mise à profit de certains dispositifs comme le bilan de compétences. Celui-ci a

été plus court pour les personnes ayant un niveau d’études au moins équivalent au baccalauréat

(figure 4.5). De même, les hommes ont été plus rapides que les femmes à entrer dans l’emploi

occupé au moment de l’enquête après la fin de celui occupé au diagnostic.

52 La description des situations professionnelles des individus au cours de la phase intermédiaire (entre

les deux situations occupées aux deux points d’observation, au diagnostic et cinq ans après) a pu être

reconstruite grâce à une question ouverte. En tant que telle, le renseignement de chaque situation n’a été

ni exhaustif ni homogène dans la méthode de déclaration. Aussi, la description donnée ici ne peut être

mesurée statistiquement et a pour seul objectif de renseigner globalement sur cette situation.

Page 91: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

91

Figure 4.5. Délai entre la fin de l’emploi occupé au diagnostic et celui occupé à l’enquête selon

le niveau d’études.

Champ : répondants à l’enquête VICAN5 de moins de 55 ans, ayant quitté l’emploi occupé au moment

du diagnostic au cours des cinq années suivantes et étant à nouveau en emploi à l’enquête, hors données

manquantes (Np=350).

Lecture : un an après la fin de l’emploi occupé au diagnostic, 29 % des personnes ayant un niveau

d’études au moins équivalent au baccalauréat ne sont toujours pas dans l’emploi occupé à l’enquête

contre 56 % de celles ayant un niveau d’études inférieur.

Dans la suite de ce travail nous allons montrer que chacune de ces transitions est associée

à différentes caractéristiques sociodémographiques et médicales.

4.3. Zoom sur les déterminants de la sortie de l’emploi et de la réduction

du temps de travail

4.3.1. Des différences médicales qui perdurent

Comme en témoigne la revue de littérature présentée en introduction de ce chapitre, la

recherche portant sur les facteurs associés au retour au travail et au maintien en emploi après

un diagnostic de cancer fut prolifique ces dernières années et de nombreux facteurs

sociodémographiques, économiques et médicaux ont été identifiés. Néanmoins, la grande

majorité de ces travaux a été réalisée sur une seule localisation de cancer (avec une

prédominance pour les cancers du sein) et a porté sur une période d’observation généralement

inférieure à 3 ans. Pourtant, la persistance de séquelles et de douleurs a été constatée dans la

littérature comme pouvant altérer la qualité de vie des personnes atteintes, sur un temps plus

long (Glare et al., 2014; Green et al., 2011; van den Beuken-van Everdingen et al., 2007). Plus

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

1

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60

Nombre de mois écoulés depuis la fin de l'emploi occupé au diagnostic

Baccalauréat et plus

Inférieur au baccalauréat

Log-rank : p-value < 0,01

Page 92: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

92

spécifiquement, un intérêt particulier a récemment été porté aux douleurs neuropathiques

chroniques (DNC), causées par des lésions du système nerveux. Si peu de recherches ont porté

sur l’analyse de ces douleurs spécifiquement chez les personnes atteintes de cancer, leurs

prévalences sont néanmoins estimées entre 30 et 40 % dans cette population (Bennett et al.,

2012; Oosterling et al., 2016; Roberto et al., 2016), contre 7 à 8 % en population générale

(Bouhassira et al., 2008; Torrance et al., 2006). Engendrées par la tumeur elle-même ou par les

traitements du cancer (chirurgie ou médicaments neurotoxiques), ces lésions persistent

longtemps après leur apparition et causent des douleurs chroniques souvent sous-

diagnostiquées et mal prises en charge (Fallon, 2013; Lema et al., 2010; Treede et al., 2015).

De plus, des recherches non spécifiques aux personnes atteintes de cancer ont montré que les

DNC étaient à l’origine de limitation d’activités sociales (Gálvez et al., 2007; Meyer-Rosberg

et al., 2001; Oosterling et al., 2016), dont l’activité professionnelle (Liedgens et al., 2016;

McDermott et al., 2006; Meyer-Rosberg et al., 2001). Partant de ces constats, nous avons

cherché à explorer les facteurs associés au maintien en emploi à cinq ans d’un diagnostic de

cancer et en particulier l’impact des douleurs neuropathiques chroniques. Nos hypothèses de

recherche sont les suivantes :

- H4.1. La première suppose que les facteurs médicaux et d’état de santé identifiés

dans la littérature comme relatifs à la maladie sont des déterminants du non-

emploi et de la réduction de l’emploi à un horizon de cinq années après un

diagnostic de cancer. Plus spécifiquement, il est supposé que la présence de

douleurs chroniques, dont notamment celles à caractère neuropathique, limite

l’activité professionnelle des personnes ayant eu un diagnostic de cancer les

contraignant à restreindre voire à arrêter leur activité professionnelle.

- H4.2. La seconde suppose que les facteurs socioprofessionnels identifiés dans la

littérature demeurent pertinents pour expliquer le non-emploi et la réduction de

l’emploi à un horizon de cinq années après un diagnostic de cancer. Cela

présuppose que des différences en termes de continuité de l’activité

professionnelle entre les catégories socioprofessionnelles estimées plus

favorables et celles moins favorables sur le marché de l’emploi devraient être

mises en évidence dans nos résultats.

Page 93: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

93

Méthodologiquement, une régression logistique multinomiale a été utilisée à partir des

données de l’enquête VICAN5 pour modéliser : 1) la probabilité de ne plus être en emploi au

moment de l’enquête, soit cinq ans après le diagnostic de cancer et 2) la probabilité d’avoir

réduit son temps de travail entre le diagnostic et l’enquête par rapport au fait d’être en emploi

avec un temps de travail similaire à celui travaillé au moment du diagnostic53.

Pour tester cette première hypothèse, la présence de douleurs neuropathiques a été estimée

à partir du questionnaire patient VICAN5 administré cinq ans après le diagnostic, et comprenant

l’échelle validée du DN4 dans sa forme française validée en sept items (Bouhassira et al., 2005).

Ces derniers consistent en des questions fermées au sujet des symptômes relatifs à ces douleurs

(figure 4.6). Le caractère chronique s’applique aux personnes ayant déclaré souffrir de ces

douleurs depuis plus de trois mois. Ainsi, l’éventuelle présence de douleurs neuropathiques

chroniques a été intégrée au modèle de régression en tant que variable explicative afin d’en

tester l’effet sur les deux probabilités exposées ci-dessus. L’étude portant sur le maintien d’une

activité professionnelle, seules les 1 854 personnes âgées de moins de 55 ans et en emploi au

moment du diagnostic ont été retenues pour les analyses.

Figure 4.6. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur le caractère

neuropathique des douleurs ressenties.

53 L’hypothèse IIA, relative à l’indépendance des alternatives (ou « indépendance par rapport aux choix

non retenus » (Afsa, 2005)) dans le modèle de régression multinomiale, a été testée à partir du test de

Hausman et McFadden (1984). L’hypothèse H0 présumant l’indépendance des options (ne plus être en

emploi, travailler à temps réduit ou travailler à temps équivalent par rapport au diagnostic) n’a pas pu

être rejetée. Si d’un premier abord, les modalités « travailler à réduit » et « travailler à temps non-

réduit » pouvaient paraître proche en comparaison avec la troisième modalité, il semblerait que la

probabilité de choisir chacune de ces trois options soit équivalente, le modèle est donc pertinent.

Page 94: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

94

Moins de 6 personnes sur 10 sont en emploi à temps non-réduit à l’enquête

Il résulte de cette recherche que 18,3 % des personnes à l’étude ne sont plus en emploi

cinq ans après le diagnostic de cancer et, parmi celles qui le sont, 29,6 % sont en emploi à temps

réduit, c’est-à-dire qu’elles ont réduit leur temps de travail par rapport au diagnostic d’au moins

une demi-journée par semaine. Globalement, moins de six personnes sur dix (57,5 %) sont en

emploi non-réduit cinq ans après le diagnostic. Les analyses multivariées, dont les résultats sont

présentés dans le tableau 4.2, ont montré que, toutes choses égales par ailleurs, les hommes ont

une probabilité inférieure aux femmes d’avoir réduit leur temps de travail. Par ailleurs, la

présence d’enfant(s) à charge et le fait d’être en couple défavorisent la sortie de l’emploi

(augmentant ainsi la probabilité de se maintenir en emploi sans réduction de temps de travail).

Cette analyse des facteurs associés à ces situations aboutit à une validation des deux hypothèses

sus-citées : des facteurs médicaux essentiels pour expliquer la situation professionnelle à moyen

termes et des différences socioprofessionnelles qui perdurent cinq ans après le diagnostic de

cancer.

Tableau 4.2. Facteurs associés à une réduction du temps de travail ou à la sortie de l’emploi par

rapport à un maintien en situation d’emploi.

Facteurs associés Emploi réduit Non-emploi

OR [IC95% ±] OR [IC95% ±]

Caractéristiques sociodémographiques

Sexe

Homme 0,70 [0,50 ; 0,96] 1,06 [0,75 ; 1,51]

Femme (réf.) 1 1

Âge au diagnostic

18-39 ans 1,32 [0,98 ; 1,80] 1,46 [0,99 ; 2,15]

40-49 ans (réf.) 1 1

50 ans et plus 1,05 [0,78 ; 1,41] 1,84 [1,35 ; 2 ,52]

Situation matrimoniale

En couple 1,29 [0,98 ; 1,70] 0,73 [0,54 ; 0,97]

Célibataire (réf.) 1 1

Statut familial au diagnostic

Aucun enfant à charge (réf.) 1 1

Au moins un enfant à charge 0,94 [0,71 ; 1,23] 0,53 [0,37 ; 0,75]

Page 95: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

95

Facteurs associés Emploi réduit Non-emploi

OR [IC95% ±] OR [IC95% ±]

Caractéristiques de l’emploi occupé au diagnostic

Secteur d’emploi

Public 0,69 [0,51 ; 0,93] 0,48 [0,34 ; 0,70]

Privé (réf.) 1 1

PCS agrégée

Exécution 1,18 [0,92 ; 1,52] 1,78 [1,32 ; 2,39]

Encadrement (réf.) 1 1

Rémunération 1,01 [1,00 ; 1,02] 1,01 [1,00 ; 1,02]

Temps de travail

Temps plein (réf.) 1 1

Temps partiel 0,52 [0,37 ; 0,72] 1,10 [0,78 ; 1,54]

Statut d’emploi

Salarié (réf.) 1 1

Indépendant 1,50 [1,08 ; 2,08] 0,69 [0,44 ; 1,07]

Caractéristiques médicales

Score de comorbidité au diagnostic 2,35 [1,65 ; 3,35] 2,53 [1,69 ; 3,77]

Pronostic initial de la maladie

Bon (réf.) 1 1

Intermédiaire 0,95 [0,72 ; 1,26] 1,30 [0,94 ; 1,80]

Mauvais 1,47 [0,82 ; 2,64] 2,86 [1,62 ; 5,06]

Traitement initial par chimiothérapie

Oui 1,52 [1,19 ; 1,93] 1,43 [1,08 ; 1,90]

Non (réf.) 1 1

Épisode(s) d’évolution péjorative

Oui 1,17 [0,87 ; 1,58] 2,19 [1,61 ; 2,99]

Non (réf.) 1 1

DNC

Oui 1,58 [1,21 ; 2,06] 2,68 [2,01 ; 3,57]

Non (réf.) 1 1

***p-value < 0,001 ; **p-value < 0,01 ; *p-value < 0,05 ; NS p-value > 0,05.

Champ : répondants à l’enquête VICAN5 de moins de 55 ans et en emploi au moment du diagnostic,

hors données manquantes (N=1 825).

Note : cinq ans après le diagnostic de cancer, les hommes ont moins de chances que les femmes

d’occuper un emploi à temps réduit plutôt qu’à temps plein.

Page 96: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

96

Des séquelles qui impactent la vie professionnelle à moyen terme

Il apparaît premièrement que les caractéristiques médicales impactent à moyen terme

(cinq ans) la vie professionnelle des personnes diagnostiquées d’un cancer. La présence de

comorbidités au moment du diagnostic, une localisation de cancer associée à un pronostic initial

défavorable, la survenue d’au moins un épisode d’évolution péjorative de la maladie ainsi que

le fait d’avoir été traité par chimiothérapie sont autant de facteurs positivement associés à une

sortie de l’emploi (tableau 4.2). En complément, la présence de comorbidité et le traitement par

chimiothérapie sont positivement associés à un temps de travail réduit au moment de l’enquête.

Plus spécifiquement, 28,0 % des personnes présentent des symptômes de douleurs

neuropathiques chroniques cinq ans après le diagnostic de cancer. Ces douleurs sont plus

fréquemment observées chez les femmes atteintes d’un cancer du sein (avec une prévalence de

31,4 %), chez les personnes ayant un niveau d’études inférieur au baccalauréat (34,4 % ont des

DNC contre seulement 23,9 % chez les personnes ayant un niveau d’études supérieur) et chez

les personnes dont le cancer a été traité par chimiothérapie (32,6 % ont des DNC contre 23,0 %

des autres). De plus, la présence de DNC s’est révélée particulièrement corrélée à la fois à un

non-maintien en emploi et à une réduction du temps de travail : 29,2 % des personnes ayant des

DNC ne sont pas en emploi cinq ans après le diagnostic (contre seulement 14,1 % de celles qui

n’en ont pas) et, parmi celles toujours en emploi, 38,9 % ont réduit leur temps de travail (contre

26,7 % de celles qui n’ont pas de DNC). En somme, seules 43,3 % des personnes ayant des

DNC occupent, cinq ans après le diagnostic de cancer, un emploi avec un temps de travail

similaire au diagnostic contre 63,0 % de celles ne présentant pas de DNC. Cette corrélation est

appuyée par l’analyse multivariée présentée dans le tableau 4.2 selon laquelle, toute chose égale

par ailleurs, la présence de DNC augmente d’une part le risque de ne plus être en emploi (OR

= 2,68, IC95% = [2,01 ; 3,57]) et, d’autre part, celui d’avoir réduit son temps de travail par

rapport au diagnostic pour ceux qui se sont maintenus en emploi (OR = 1,58, IC95% = [1,21 ;

2,06])54.

54 Ces analyses ont d’abord été conduites sur une population d’étude restreinte à l’échantillon principal

comprenant les personnes ayant répondu à l’enquête VICAN2 et à l’enquête VICAN5 (n=969 parmi

celles de moins de 55 ans en emploi au diagnostic). Les résultats sont similaires en tous points et ont fait

l’objet d’une publication mise à disposition dans le document des tirés-à-part (n°1). Dans le cadre de

ces analyses, le caractère longitudinal des données recueillies avait également permis de mesurer la

présence de séquelles telles que la fatigue et les DNC notamment, à deux ans du diagnostic et leur effet

sur l’emploi, les résultats obtenus étaient également similaires (la présence de DNC et la présence de

Page 97: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

97

Cette recherche montre une persistance des vulnérabilités individuelles face à l’impact du

cancer sur la vie professionnelle et plaide pour un accompagnement personnalisé. Plus

spécifiquement, elle met en lumière la nécessité de diagnostiquer au plus tôt et de manière

systématique les douleurs à caractère neuropathique chez les personnes atteintes de cancer afin

de limiter la charge économique et sociale que celles-ci peuvent constituer jusqu’à cinq ans

après le diagnostic de la maladie. De plus, depuis la réalisation de cette étude, des chercheurs

ont mis au point une nouvelle option thérapeutique à visée curative (Rivat et al., 2018) et, si les

essais cliniques n’ont pas encore fait leurs preuves, cette possibilité ne fait qu’ajouter à la

nécessité de mieux dépister ces douleurs.

4.3.2. Le cancer révèle des vulnérabilités socioprofessionnelles

Des facteurs qui varient selon la classe d’âge

Les différentes analyses ont montré que certaines caractéristiques socioprofessionnelles

ont un effet sur le maintien en emploi cinq ans après le diagnostic de cancer, qui diffèrent selon

les catégories d’âge. La réalisation de régressions logistiques binomiales stratifiées sur la

catégorie d’âge a mis en évidence les différences de facteurs associés à la sortie d’emploi entre

les individus âgés de 18 à 39 ans, ceux âgés de 40 à 49 ans et ceux âgés de 50 à 54 ans au

moment du diagnostic (les variables explicatives étant les mêmes que celles présentées dans le

tableau 4.2). Si le fait d’occuper un emploi en contrat précaire au diagnostic est, toutes choses

égales par ailleurs, un facteur positivement associé à la sortie de l’emploi chez les moins de 50

ans, il ne l’est pas pour les plus âgés. À l’inverse, seuls ces derniers, observent des différences

significatives de statut d’emploi, les travailleurs indépendants étant plus susceptibles de se

maintenir en emploi par rapport aux salariés.

De plus, le secteur d’activité tertiaire s’est révélé être un facteur protecteur vis-à-vis du

maintien en emploi, chez les plus jeunes seulement. Chez les 40-49 ans (classe d’âge

intermédiaire), le salaire perçu au diagnostic était positivement associé à une sortie de l’emploi,

à l’inverse de l’expérience dans l’emploi occupé au diagnostic. Enfin, le niveau d’études, une

caractéristique individuelle fortement corrélée à la catégorie socioprofessionnelle, s’est trouvée

être la seule caractéristique (en dehors des facteurs médicaux), significativement associée au

fatigue cliniquement significative en 2012 augmentent fortement la probabilité d’avoir réduit, voire

quitté, l’emploi en 2015).

Page 98: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

98

maintien en emploi à la fois pour les moins de 40 ans, pour les 40-49 ans et pour les 50 ans et

plus, en défaveur des moins diplômés, ce qui témoigne d’une persistance d’une certaine

vulnérabilité sociale dont le niveau d’éducation est l’un des marqueurs les plus utilisés en

sociologie et économie du travail. L’indicateur agrégé des catégories socioprofessionnelles

s’est révélé significativement associé au maintien en emploi des 40-49 ans spécifiquement en

l’absence dans le modèle de l’information sur le niveau d’éducation : les emplois dits

d’exécution augmentent le risque de sortie de l’emploi par rapport aux emplois dits

d’encadrement.

Zoom sur une population spécifique : les travailleurs indépendants

La stratification de l’échantillonnage réalisée pour le recrutement des participants à partir

des régimes d’assurance maladie obligatoires (ex-CNAM-TS, ex-RSI et MSA) et ainsi la

surreprésentation de la population des travailleurs indépendants nous permet notamment

d’explorer les éventuelles spécificités de ce groupe de travailleurs. Parmi les répondants à

l’enquête en emploi au diagnostic, 13,3 % ont déclaré être travailleur indépendant au moment

du diagnostic, soit 11,0 % de ceux âgés de 18 à 54 ans (les 89 % restants étant travailleurs

salariés). Si la situation professionnelle des salariés et des indépendants (non-salariés) semble

similaire cinq ans après le diagnostic avec des taux de maintien en emploi non statistiquement

différents (81,1 % pour les premiers et 86,0 % pour les seconds, p.value = 0,079), les

trajectoires professionnelles de ces deux populations diffèrent sur plusieurs points. Par exemple,

considérant le maintien en emploi effectif (c’est-à-dire qu’on adopte la définition du BIT qui

exclut les arrêts-maladie de longue durée du taux d’emploi), une différence significative

apparait entre ces deux groupes de travailleurs : 84,9 % des indépendants sont alors considérés

en emploi au moment de l’enquête (figure 4.7) contre seulement 78,6 % des salariés. Les

personnes sorties de l’emploi sont principalement en situation d’invalidité (autour de 44,5 %

pour les deux types de statut professionnel étudiés), tandis que la seconde situation la plus

fréquente est le chômage pour les salariés (38,6 %) et la retraite pour les indépendants (32,9 %).

Page 99: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

99

Figure 4.7. Situation professionnelle au moment de l’enquête des travailleurs indépendant en

emploi au moment du diagnostic selon leur catégorie socioprofessionnelle55.

Champ : répondants de l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans au moment du diagnostic et en emploi

sous le statut de travailleur indépendant au diagnostic (Np=218).

Lecture : 94,0 % des agriculteurs sont en emploi cinq ans après le diagnostic de cancer, 16,6 % d’entre

eux étant passés d’un temps plein à un temps partiel.

Un premier modèle de régression a montré qu’après ajustement, les travailleurs

indépendants ont une probabilité minorée de 7,5 % par rapport aux salariés de sortir de l’emploi

(figure 4.8). Plus spécifiquement, d’après des analyses stratifiées sur le statut professionnel

(indépendant versus salarié), le niveau d’études (inférieur au baccalauréat), la rémunération

(importante au moment du diagnostic), l’aménagement du travail (absence d’aménagement), le

changement de priorité dans la vie ainsi que la présence de séquelles (importantes voire très

importantes) sont significativement associés à une sortie de l’emploi des travailleurs

indépendants. Pour les travailleurs salariés, à ces facteurs s’ajoutent le sexe (être un homme),

l’âge (avoir plus de 50 ans), la parentalité (ne pas avoir d’enfant), le type de contrat (à durée

déterminée), l’expérience professionnelle (manquer d’expérience dans l’emploi occupé au

diagnostic), le sentiment de discrimination (avoir perçu du rejet ou de la discrimination de la

part des collègues à cause de la maladie), la survenue d’événements péjoratifs liés au cancer

(avoir eu au moins un épisode d’aggravation de la maladie), la présence de séquelles (modérées

voire très modérées) et la fatigue (score de fatigue cliniquement significatif) (figure 4.8).

55 La catégorie socioprofessionnelle donnée ici découle d’un codage des enquêteurs basé sur les

déclarations individuelles des professions occupées. Cela explique la présence de certaines catégories

socioprofessionnelles normalement réservées à la description d’emplois salariés telles que les

professions intermédiaires ou encore les chefs d’entreprise. Ainsi, certaines catégories peuvent résulter

d’erreur d’interprétation (exemple de l’infirmier libéral qui pourrait être codé parmi les professions

intermédiaires par l’enquêteur comme pour les infirmiers salariés) mais ne définissent pas moins des

individus s’étant déclaré « travailleur indépendant ».

10,5

16,7

11,7

17,0

14,8

24,5

6,8

16,6

60,9

55,5

70,2

66,1

70,1

63,4

83,5

77,4

0,6

1,1

6,7

2,2

3

7,9

3,2

28,6

27,8

9,7

4,8

6,2

7,5

3

4,8

4,2

4,6

5,4

3

0% 20% 40% 60% 80% 100%

Autre (4%)

Chefs d'entreprise (3%)

Artisans (29%)

Commerçants et assimilés (29%)

Ensemble (100%)

Professions libérales (10%)

Professions intermédiaires (12%)

Agriculteurs (10%)

Nouveau temps partiel En poste En arrêt maladie long Au chômage En invalidité Autre inactivité

Page 100: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

100

Cependant, ces résultats doivent être interprétés avec précaution : le faible effectif des

travailleurs indépendants qui ne se sont pas maintenus en emploi peut expliquer le nombre

réduit de facteurs associés cités précédemment.

Figure 4.8. Facteurs associés à la sortie d'emploi (chômage, inactivité, arrêts longs) cinq ans

après un diagnostic de cancer.

Champ : répondants à l’enquête VICAN5 de moins de 55 ans, en emploi au moment du diagnostic

(N=1 879).

Lecture : par rapport aux personnes âgées de 40 à 49 ans, les personnes âgées de 50 à 54 ans au moment

du diagnostic de cancer ont, toutes choses égales par ailleurs, une probabilité majorée de plus de 10,8 %

d’être sorties de l’emploi cinq ans plus tard. Cette association n’est significative que pour les travailleurs

salariés.

Analyses : modèles de régressions logistiques binomiales. Ce graphique donne les résultats de trois

modèles : le modèle complet, réalisé sur toute la population d’étude (modèle 1), le modèle 2 ; réalisés

sur les individus en emploi salarié au diagnostic ; et le modèle 3, réalisé uniquement sur les individus

en emploi indépendant au diagnostic. Sont représentés ici uniquement les effets marginaux des variables

statistiquement significatives au seuil de 5 % sur la sortie d’emploi dans au moins un des trois modèles

pour simplifier la lecture et l’interprétation. Les barres non colorées du diagramme correspondent à des

modalités non significatives au seuil de 5 %.

-20 -15 -10 -5 0 5 10 15 20 25

Homme

50-54 ans (vs 40-49 ans)

< baccalauréat ou sans diplôme

Couple sans enfant

Seul sans enfant

Expérience professionnelle - Pour une année

Rémunération au diag - Pour une hausse de 1 000€

Discrimination perçue au travail

Aménagement du poste de travail

Changement de priorité dans la vie depuis le diagnostic

Episode(s) d'évolution péjorative

Séquelles (très) modérées

Séquelles (très) importantes

Fatigue significative

CDI/ Fonctionnaire (vs CDD)

Indépendant (vs salarié)

Effets marginaux (en %)

Modèle 1. Tous (N=1 879) Modèle 2. Salariés (N=1 629) Modèle 3. Indépendants (N=250)

Page 101: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

101

Test : le test LR (test du rapport de vraisemblances), réalisé à partir des estimateurs de vraisemblance

de chaque modèle (-2LL), a permis de confirmer l’écart observé entre les deux sous modèles (modèles

2 et 3) et donc la pertinence de cette stratification (Test LR = 38,2 ; p-value = 0,004).

En outre, à la suite du diagnostic du cancer, le recours aux arrêts-maladie (au moins un

mois indemnisé) a été nettement plus fréquent pour les salariés (80,8 % contre seulement

53,4 % pour les non-salariés, p.value < 0,001). Ce dernier résultat a également été observé à

une distance plus courte du diagnostic, soit deux ans après. Il s’inscrit dans le cadre d’une

recherche impliquant plusieurs pays européens (Torp et al., 2018a)56 qui montre que ce moindre

recours des travailleurs indépendants aux arrêts-maladie n’est pas une spécificité française.

Cette motivation souvent contrainte a déjà été relevée dans la littérature (Rubio et al., 2014) et

peut s’expliquer par la spécificité de l’activité d’indépendant. Alors que pour les artisans et

commerçants, les conditions d’indemnisations journalières sont les mêmes que pour les salariés,

pour les professions libérales la cotisation pour des indemnités journalières dans le cadre

d’arrêts-maladie n’est pas obligatoire et donc pas systématique. En outre, quel que soit le

montant de leurs indemnités, si celles-ci ne sont pas cumulées avec une cotisation de

complémentaire santé, elles ne compensent généralement pas la perte de revenus. Or, dans le

système fiscal français, les indépendants doivent également assurer le paiement des charges

calculées sur leur activité de l’année précédente. Ajoutés aux menaces sur la pérennité de

l’activité en l’absence de son dirigeant, ces éléments constituent de lourdes contraintes,

notamment financières, pouvant fortement inciter au maintien dans l’emploi (Ha-Vinh et al.,

2015).

Par ailleurs, l’effet du sexe et les différences entre les catégories socioprofessionnelles

des indépendants mis en évidence dans la littérature (Ha-Vinh et al., 2014) ne se sont pas révélés

significatifs dans la présente étude. Concernant l’effet de sexe, cela s’explique principalement

par le fait que les différences entre hommes et femmes sont en partie attribuables à d’autres

traits caractéristiques (formation, type d’emploi occupé, etc.). Concernant les catégories

socioprofessionnelles, cela peut être lié à une trop faible précision des estimations réalisées, à

cause d’effectifs insuffisants pour certaines catégories de travailleurs indépendants.

56 La présente étude s’inscrit dans le cadre d’une collaboration avec un réseau européen qui a abouti sur

la publication d’un article dans une revue internationale. Pour plus d’information, voici les références

de l’article : Torp S, Paraponaris A, Van Hoof E, Lindbohm ML, Tamminga SJ, Alleaume C, Van

Campenhout N, Sharp L, de Boer AGEM. Work-Related Outcomes in Self-Employed Cancer Survivors:

A European Multi-country Study. J Occup Rehabil. 2018 Jun 26. DOI: 10.1007/s10926-018-9792-8.

Page 102: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

102

Par ailleurs, d’autres recherches ont montré que la vulnérabilité accrue de cette population

était liée à une grande porosité entre vies professionnelle et personnelle (Dumas et al., 2014),

mais également à la spécificité de l’organisation de l’activité non salariée (Torp et al., 2018b,

2017). La nature souvent solitaire de l’activité et la faiblesse des droits et obligations de leur

statut social conduisent par conséquent à un sentiment d’isolement du travailleur indépendant

et à une détérioration de sa qualité de vie physique et financière.

Ainsi, le maintien plus fréquent en emploi des travailleurs indépendants n’est pas

nécessairement gage d’une moindre dégradation de la vie professionnelle et l’évolution de la

situation financière notamment, doit également être un indicateur à prendre en compte.

4.4. Des facteurs différents selon les transitions

Les différentes trajectoires professionnelles des personnes en emploi au moment du

diagnostic révèlent des profils individuels contrastés. Modéliser par régression logistique

binomiale les probabilités d’appartenance à une transition spécifique plutôt qu’à celle de

l’« emploi continu » prise en référence a permis d’identifier les différents facteurs associés à

chacune d’elles (tableau 4.3). Le premier résultat est qu’avoir eu au moins un aménagement du

travail à la suite du diagnostic est le seul facteur ayant un effet significatif quelle que soit la

transition observée, à l’exception du changement d’emploi : cela augmente (réduit)

systématiquement les probabilités d’être en (non-) emploi au moment de l’enquête.

Se maintenir dans le même emploi

Comparativement aux personnes ayant suivi une autre transition, le maintien dans le

même emploi s’est révélé significativement associé au caractéristiques suivantes : être âgé de

40 à 49 ans, avoir un niveau d’études au moins équivalent au baccalauréat, avoir au moins un

enfant à charge, être professionnellement en contrat durable au diagnostic, être salarié du

secteur public ou encore travailler en tant qu’agriculteur salarié, et avoir des années

d’expérience dans l’emploi occupé à cette date, augmentent la probabilité de s’être maintenu

dans le même emploi entre le diagnostic et cinq ans après. À ces caractéristiques

sociodémographiques et socioprofessionnelles relatives à la situation initiale observée,

s’ajoutent des éléments survenus après le diagnostic. Par exemple, sur le plan professionnel,

avoir connu au moins un aménagement du travail est positivement et très fortement associé à

un maintien dans le même emploi tandis qu’à l’inverse, le fait d’avoir perçu des attitudes de

Page 103: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

103

rejets voire de discriminations au travail y est négativement associé. Enfin, des variables

relatives à l’état de santé initial, les personnes ayant un niveau de comorbidités élevé au

diagnostic ayant une probabilité réduite d’appartenir à cette transition, et à la maladie, la

survenue d’épisode(s) péjoratif(s) du cancer étant fortement négativement associée à la

probabilité d’avoir connu une telle trajectoire demeurent significatives pour expliquer la

transition professionnelle observée entre le diagnostic et cinq ans après.

Occuper à l’enquête un emploi différent du diagnostic

Contrairement aux personnes qui se sont maintenues dans le même emploi, les plus jeunes

ont une probabilité accrue d’avoir changé d’emploi. Professionnellement, le contrat de travail

et l’expérience dans l’emploi occupé sont les deux caractéristiques qui différencient

significativement les personnes ayant changé d’emploi de celles s’étant maintenues dans le

même (la trajectoire interrompue étant favorisée par le manque d’expérience et l’occupation

d’un emploi en contrat temporaire). Enfin, déclarer avoir changé de priorité dans la vie depuis

le diagnostic est également une caractéristique qui augmente la probabilité d’avoir connu la

transition « emploi-autre emploi » plutôt que l’« emploi continu ».

Être au chômage cinq ans après le diagnostic

Contrairement à d’autres transitions, les caractéristiques d’âge et celles relatives à l’état

de santé ou au cancer ne semblent pas être des critères de différenciation des personnes au

chômage par rapport à celles s’étant maintenues dans le même emploi. En revanche, avoir un

niveau d’études inférieur au baccalauréat, occuper au diagnostic un emploi en contrat

temporaire et/ou un emploi dans les secteurs primaires ou secondaires sont significativement

positivement associés à la transition « emploi-chômage » comparativement à la transition de

référence. Inversement, travailler dans le secteur public, avoir des années d’expérience et avoir

eu au moins un aménagement du travail sont des critères négativement associés au fait d’être

au chômage au moment de l’enquête plutôt que dans le même emploi que celui considéré au

diagnostic. Enfin, la perception de rejets ou de discriminations au travail et le fait d’avoir changé

de priorité dans la vie sont positivement associés au fait d’être au chômage plutôt que dans le

même emploi.

Page 104: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

104

Avoir transité vers une situation inactive pour invalidité

Comme cela était attendu, les caractéristiques médicales sont fortement associées au fait

d’être en invalidité cinq ans après le diagnostic de cancer. En effet, la présence de comorbidités

initiales, le fait d’avoir eu un cancer traité par chimiothérapie et d’avoir connu au moins un

épisode d’évolution péjorative de la maladie augmentent significativement la probabilité d’être

en invalidité plutôt que s’être maintenu dans le même emploi. En outre, les personnes les plus

âgées et les moins diplômées ont plus de risque d’être en invalidité au moment de l’enquête

plutôt que dans le même emploi qu’au diagnostic. De même, les personnes en contrat

temporaire au diagnostic ont une probabilité majorée de 10 % par rapport aux autres d’être en

invalidité plutôt que dans le même emploi à l’enquête. Le montant de la rémunération

professionnelle au diagnostic est également un critère associé à l’invalidité : plus il est élevé,

plus la probabilité d’être en invalidité plutôt que dans le même emploi est minorée. Enfin, à

l’instar des résultats observés pour la transition vers le chômage, le sentiment d’avoir été

discriminé ou rejeté au travail et le fait d’avoir changé de priorité dans la vie augmentent la

probabilité d’être, au moment de l’enquête, en invalidité plutôt que dans la transition de

référence, tandis que le fait d’avoir connu au moins un aménagement du travail diminue cette

même probabilité.

De l’emploi au diagnostic vers l’inactivité cinq ans après

Les personnes de plus de 50 ans sont les plus « à risque » de connaître une transition vers

l’inactivité (telle que la retraite ou la situation « au foyer ») plutôt qu’une trajectoire continue

dans l’emploi. En outre, la seule caractéristique professionnelle significativement associée à

cette transition est le montant de la rémunération professionnelle au diagnostic : plus celui-ci

est élevé, plus la probabilité d’être inactif plutôt que dans le même emploi est augmentée. En

termes de perception, les résultats sont les mêmes que ceux observés dans les modèles

considérant le chômage et l’invalidité : le sentiment d’avoir été victime de rejets ou de

discriminations au travail et le fait d’avoir changé de priorité dans la vie augmentent

significativement la probabilité d’être en inactivité plutôt que dans le même emploi.

Ainsi, d’après ces premiers résultats, il semble que les personnes ayant les caractéristiques

les plus favorables se maintiennent le plus souvent dans la même activité professionnelle. À

l’inverse, les individus ayant les caractéristiques les moins favorables au diagnostic sont plus

susceptibles de suivre des transitions vers le non-emploi. En complément, le changement de

priorité dans la vie à la suite du diagnostic et le sentiment de rejet voire de discrimination au

Page 105: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

105

travail se sont révélés être des facteurs négativement associés à une trajectoire continue

d’emploi et à l’inverse, positivement associés aux transitions de non-emploi. Cette association

entre un sentiment de stigmatisation et une situation de chômage ou d’inactivité peut également

résulter d’une rationalisation a posteriori de l’individu pour expliquer sa transition

professionnelle.

En conclusion de ces modèles, il est intéressant de noter d’une part que les caractéristiques

liées à la maladie ou plus largement à l’état de santé ne sont pas nécessairement en première

ligne pour expliquer la sortie de l’emploi si celle-ci ne se fait pas vers l’invalidité. D’autre part,

le changement d’emploi semble majoritairement résulter d’un changement souhaité par

l’individu, jeune, qui a encore de longues années avant la fin de sa vie professionnelle (il ne

semble pas résulter nécessairement d’une inaptitude professionnelle, les caractéristiques de la

maladie n’étant pas significatives) mais semble plus accessible aux personnes ayant un niveau

d’éducation similaire à celui des personnes qui se sont maintenues dans le même emploi, c’est

à dire au moins équivalent au baccalauréat. De plus, s’il est possible que la réponse à la variable

sur le changement de priorité résulte d’une relativisation a posteriori, il semble, dans cette

optique, plus probable que cette information permette d’expliquer le changement d’emploi.

Tableau 4.3. Facteurs associés au fait d’appartenir à une transition (versus les autres) parmi les

personnes en emploi au diagnostic (effets marginaux en %).

Facteurs associés

Transitions professionnelles

Emploi

continu

Emploi-

autre

emploi

Emploi-

chômage

Emploi-

invalidité

Emploi-

inactivité

Sexe

Homme NS NS NS NS NS

Femme (réf.) 1 1 1 1 1

Âge au diagnostic

18-39 ans -9,7*** 7,6** NS NS NS

40-49 ans (réf.) 1 1 1 1 1

50 ans et plus -6,4* NS NS 6,0*** 4,6***

Niveau d’études

Sans diplôme ou < au baccalauréat -5,0* NS 6,8*** 8,4*** NS

≥ baccalauréat (réf.) 1 1 1 1 1

Statut familial au diagnostic

Aucun enfant à charge (réf.) 1 1 1 1 1

Au moins un enfant à charge 6,1* NS NS -5,3* NS

Page 106: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

106

Facteurs associés

Transitions professionnelles

Emploi

continu

Emploi-

autre

emploi

Emploi-

chômage

Emploi-

invalidité

Emploi-

inactivité

Catégorie socioprofessionnelle au diagnostic

Artisan – commerçant –

professions libérales NS NS NS NS

Agriculteur indépendant – Chef

d’entreprise NS NS NS NS

Employé NS NS NS NS NS

Agriculteur salarié 21,5* NS NS NS NS

Professions intermédiaires NS NS NS NS NS

Ouvriers NS NS NS NS NS

Cadres supérieurs (réf.) 1 1 1 1 1

Contrat de travail au diagnostic

Contrat temporaire

(CDD/Saisonnier) -21,1*** 15,5*** 9,6*** 10,2* NS

Contrat durable

(CDI/Fonctionnaire) (réf.) 1 1 1 1 1

Secteur d’emploi au diagnostic

Public 7,9** NS -5,0* NS NS

Privé (réf.) 1 1 1 1 1

Secteur d’activité au diagnostic

Primaire / Secondaire NS NS 4,2* NS NS

Tertiaire (réf.) 1 1 1 1 1

Expérience dans l’emploi occupé au diagnostic (en nombre d’années)

Pour une année en plus 0,5*** -0,5*** -0,4*** NS NS

Rémunération au diagnostic

Pour 1000 € en plus NS NS NS -0,9* 0,5**

A connu au moins un aménagement du poste de travail depuis le diagnostic

Non (réf.) 1 1 1 1 1

Oui 12,2*** NS -7,2*** -16,3*** -4,2***

Discrimination perçue sur le lieu de travail

Non (réf.) 1 1 1 1 1

Oui -8,0* NS 6,2** 6,8** 4,3**

A changé de priorité dans la vie depuis le diagnostic

Non (réf.) 1 1 1 1 1

Oui -12,6*** 7,3** 3,2* 7,0*** 4,7***

Page 107: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

107

Facteurs associés Transitions professionnelles

Emploi

continu

Emploi-

autre

emploi

Emploi-

chômage

Emploi-

invalidité

Emploi-

inactivité

Évolution péjorative de la maladie depuis le diagnostic

Non (réf.) 1 1 1 1 1

Oui -9,8*** NS NS 8,1*** NS

Traitement initial par chimiothérapie

Non (réf.) 1 1 1 1 1

Oui NS NS NS 4,9** NS

Score de comorbidité au moment du diagnostic

Pour une augmentation de 1 point -10,2** NS NS 14,1*** NS

***p-value < 0,001 ; **p-value < 0,01 ; *p-value < 0,05 ; NS p-value > 0,05.

Champ : répondants à l’enquête VICAN5 en emploi au moment du diagnostic (N=1 879).

Note : les personnes âgées de moins de 40 ans au moment du diagnostic ont une probabilité minorée de

9,7 % par rapport aux 40-49 ans de connaître une trajectoire continue d’emploi.

Analyses : régressions logistiques binomiales non pondérées. Chaque transition est comparée à la

première « emploi continu », prise en référence, à l’exception de la régression modélisant la probabilité

d’appartenir à cette transition « emploi continu » pour laquelle la population de référence correspond à

l’agrégation des autres. Sont présentés ici les effets marginaux.

Page 108: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

108

4.5. Synthèse des résultats et conclusion

Les références des productions scientifiques relatives à cette étude sont les suivantes :

- Alleaume C, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Cortaredona S, Seror V, Peretti-Watel

P. Chronic neuropathic pain negatively associated with employment retention of

cancer survivors: evidence from a national French survey. J Cancer Surviv. 2018

Feb;12(1):115-126. doi: 10.1007/s11764-017-0650-z. Epub 2017 Oct 4 (article

publié).

- Alleaume C, Bousquet P-J, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P, Bendiane M-K. La

reprise d’activité cinq ans après un diagnostic de cancer. La Revue du Praticien.

2019 Avril n°69 :449-453.

- Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V,

Vernay P. Situation professionnelle cinq ans après un diagnostic de cancer. La vie

Les principaux points à retenir dans ce chapitre sont :

- Cinq ans après le diagnostic d’un cancer…

- …la situation professionnelle est dégradée par rapport au diagnostic :

le taux d’activité et le taux d’emploi ont diminué, tandis que le taux de

chômage et le taux d’invalidité ont augmenté sur la même période ;

- …une personne sur cinq en emploi au moment du diagnostic ne l’est

plus, les plus concernées étant les plus vulnérables, c’est-à-dire les

personnes ayant les caractéristiques socioprofessionnelles les moins

favorables sur le marché du travail mais aussi celles ayant les

caractéristiques médicales témoignant d’une santé altérée par le cancer ;

- …si quatre personnes sur cinq sont toujours dans l’emploi, parmi elles,

les taux d’emplois réduits et de changements d’emploi sont

importants ;

- …les travailleurs indépendants se distinguent des travailleurs

salariés par des taux d’emploi plus élevés mais également des taux de

recours aux arrêts-maladie particulièrement faibles ce qui interroge sur

la précarité de leur situation.

Page 109: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

109

cinq ans après un diagnostic de cancer (Ch11). INCa, juin 2018. Issn : 978-2-

37219-382-5 (chapitre d’ouvrage publié).

- Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V.

Trajectoires professionnelles après un diagnostic de cancer (Ch12). INCa, juin

2018. Issn : 978-2-37219-382-5 (chapitre d’ouvrage publié).

- Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V.

Recours aux arrêts-maladie et au temps partiel thérapeutique après un diagnostic

de cancer (Ch13). INCa, juin 2018. Issn : 978-2-37219-382-5 (chapitre d’ouvrage

publié).

- Colloque VICAN5 valorisation scientifique INCa 2018. Valorisation des données

des études VICAN2 & VICAN5 en économie et sociologie de la santé – Vie

professionnelle & ressources financières cinq ans après un diagnostic de cancer

(communication orale).

▪ Cette présentation a été adaptée la même année pour deux autres

communications orales invitées : Journée Prévention de la Désinsertion

Professionnelle (PDP) à la CARSAT Sud-Est et Journée de l’Axe 5 du

Cancéropôle Nord-Ouest « Cancers, Individu et Société ».

- Colloque du Cancéropôle PACA 2016. Alleaume C, Bouhnik A-D, Rey D,

Bendiane M-K, Peretti-Watel P. Impact of the disease on job retention among

cancer survivors five years after diagnosis: evidence from the French VICAN

Survey (teasing poster).

- European Society for Medical Oncology (ESMO) Congress 2016. Alleaume C,

Bouhnik A-D, Bendiane M-K, Rey D, Seror V, Peretti-Watel P. Factors affecting

job retention amongst cancer survivors five years after diagnosis: evidence from

the French VICAN survey (discussion poster).

- World Cancer Congress 2016. Alleaume C, Davin B, Bouhnik A-D, Bendiane M-

K, Rey D, Seror V, Peretti-Watel P. Impact of working time reduction on job

retention among cancer survivors five years after diagnosis: evidence from the

French VICAN Survey (E-poster).

- 8ème Colloque du Cancéropôle PACA 2017. Alleaume C, Bendiane M-K,

Bouhnik A-D, Cortaredona S, Seror V, Peretti-Watel P. Impact des Douleurs

Neuropathiques Chroniques (DNC) sur le maintien en emploi après un diagnostic

de cancer (poster).

Page 110: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

110

Ainsi, ce premier chapitre de la deuxième partie a montré que la question du retour au

travail et du maintien en emploi après un diagnostic de cancer est une problématique avant tout

sociale qui reflète des inégalités sociales préexistantes et en révèle d’autres. Des profils

spécifiques de vulnérabilité ont pu être identifiés parmi lesquels les personnes atteintes de

maladies entraînant des séquelles parfois invalidantes et sous-diagnostiquées, les travailleurs

indépendants pour qui le faible taux de recours aux arrêts-maladie interroge sur leur qualité de

vie au travail, ainsi que les personnes disposant d’un niveau d’études peu élevé pour qui la

probabilité de sortir de l’emploi est plus importante que la moyenne. De plus, des différences

de sexe ont également été repérées à plusieurs reprises dans ce chapitre avec notamment un

maintien en emploi plus fréquent chez les femmes. Par ailleurs, l’analyse spécifique des

différentes transitions professionnelles effectuées entre le diagnostic et cinq ans après a mis en

lumière différents résultats dont notamment, le fait que les personnes ayant un niveau de salaire

élevé au moment du diagnostic ont une probabilité accrue d’être inactives à l’enquête. Ce

constat interroge quant aux préférences individuelles vis-à-vis de la poursuite de l’activité

professionnelle mais également au sujet du confort financier des différentes situations :

l’inactivité serait-elle une situation préférable à l’emploi mais dont le choix serait offert aux

plus aisés uniquement ? En ce sens, l’évolution de la situation financière entre le diagnostic et

cinq ans après pourrait nous apporter un éclairage supplémentaire sur la poursuite de la vie

professionnelle après un diagnostic de cancer. C’est l’objet du chapitre suivant.

Page 111: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

111

Chapitre 5. Précarisation financière après le diagnostic : un effet

« double-peine » pour les personnes vulnérables

Les résultats exposés précédemment ont montré qu’une part importante des personnes en

emploi au moment du diagnostic de cancer ont, cinq ans plus tard, quitté l’emploi ou réduit leur

temps de travail. Considérant que l’activité professionnelle constitue la première source de

revenus de la plupart des ménages, la réduction et, a fortiori, la perte de cette activité, peuvent

générer une perte financière considérable en l’absence de compensation. Ce constat nous amène

à interroger l’évolution des revenus des ménages dans lesquels un individu est atteint de cancer.

A l’instar du chapitre 4, celui-ci s’appuie sur les données recueillies lors de l’enquête nationale

VICAN5, qui nous permettent d’explorer la situation financière des personnes à un horizon de

cinq années du diagnostic, au regard de l’évolution de leur situation professionnelle. Pour cela,

nous proposons, dans ce chapitre, de présenter une revue de littérature sur cette question dans

laquelle, nous le verrons, la participation française fait défaut. L’étude de l’évolution de la

situation financière des personnes atteintes de cancer à partir de l’exploitation de l’enquête

quantitative VICAN5 sera ensuite exposée. Enfin, un troisième point portera spécifiquement

sur l’analyse des informations portant sur la perception individuelle de l’évolution des revenus

du ménage après un diagnostic de cancer.

5.1. Revue de littérature

5.2.1. Un sujet peu documenté en France

Sur la thématique de la santé financière des personnes atteintes d’un cancer, la littérature

scientifique française paraît peu documentée. À l’international en revanche, des études ont

montré que les personnes atteintes de cancer sont plus susceptibles de déclarer des difficultés

financières par rapport à la population générale. Après le diagnostic, une diminution des

revenus professionnels annuels a été observée dans différents pays. Celle-ci a été estimée entre

7 % pour la Norvège (Syse et Tønnessen, 2012) et jusqu’à 40 % aux Etats-Unis (Zajacova et

al., 2015). Plus récemment, une étude canadienne (Jeon, 2017) a mis en évidence, par

l’observation d’un groupe contrôle composé de personnes ayant des caractéristiques socio-

professionnelles semblables à celles étudiées et n’ayant jamais été diagnostiquées d’un cancer,

que les revenus des personnes atteintes avaient diminué de 10 % au cours des trois années

suivant le diagnostic et que cette diminution était socialement différenciée. Plus précisément,

Page 112: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

112

le niveau d’éducation s’est trouvé être le facteur le plus souvent associé à une diminution des

revenus après un diagnostic de cancer (Jeon, 2017; Mehnert, 2011; Syse et al., 2008; Syse et

Tønnessen, 2012).

Par ailleurs, les différences interpays s’expliquent principalement par le régime

d’assurance sociale en vigueur. En France, l’enregistrement du cancer parmi les affections de

longue durée (ALD) permet l’exonération du ticket modérateur et ainsi la suppression des frais

de santé associés au traitement de la maladie. Du dépistage à l’accompagnement thérapeutique,

ainsi que des frais de transport, la quasi-totalité des dépenses sont prises en charge par

l’Assurance maladie sans que cela ne nécessite une avance des frais par la personne concernée.

Malgré la subsistance de restes à charge liés notamment aux dépassements d’honoraires, à la

consommation de soins de confort et aux frais engendrés par certains produits non entièrement

remboursés par l’Assurance maladie, le principal impact financier du cancer semble plus

indirect. En effet, les résultats de l’enquête VICAN2 (INCa, 2014) ont souligné la précarisation

des individus ayant réduit, voire arrêté, leur activité professionnelle initiale deux ans après le

diagnostic.

5.2.2. Précarité financière et vulnérabilité sociale : mobilisation de la

théorie des causes fondamentales

Pour expliquer les corrélations persistantes entre le statut socioéconomique et les taux de

mortalité, les sociologues Link et Phelan proposent de considérer cet indicateur comme une

« cause fondamentale » des disparités en santé dans le monde (Link et Phelan, 1995; Phelan et

al., 2004). Ainsi, quel que soit le contexte socioéconomique du pays étudié ou la période

historique dans laquelle se place l’observation, la théorie des causes fondamentales

(« fundamental cause theory ») suggère de systématiquement tenir compte du statut

socioéconomique des individus ou des groupes étudiés. Le postulat associé est que la

persistance de ces disparités socioéconomiques en dépit de la diversité des contextes observés,

tient principalement d’un « réseau de ressources » telles que « l’argent, le savoir, le prestige, le

pouvoir, des liens sociaux bénéfiques, qui protègent la santé » comme l’explique la sociologue

Debra Umberson (Annandale et al., 2013). Ainsi, à l’instar de ce que le sociologue Pierre

Bourdieu appelle le « capital »57, les individus sont pourvus de ressources inégales, dépendantes

57 En effet, dans cette liste on peut associer l’argent au capital économique, le savoir au capital culturel,

les liens sociaux bénéfiques au capital social et le pouvoir au capital symbolique.

Page 113: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

113

de leur statut socioéconomique, qui les protègent ou à l’inverse les exposent à des risques

sanitaires.

Dans la lignée de cette théorie des causes fondamentales, des études ont mis en évidence

une importante corrélation entre les difficultés économiques des individus atteints de cancer et

la dégradation de leur qualité de vie (Fenn et al., 2014; Short et Mallonee, 2006; Timmons et

al., 2013), ce qui constituerait pour eux une double-peine. En effet, un statut socioéconomique

peu élevé apparaît comme un facteur de développement de stratégies d’adaptation (« coping

strategies ») peu appropriées, par exemple dans le cas de douleurs chroniques, vecteur

d’inégalités de santé (Barbareschi et al., 2008; Roth et Geisser, 2002). Ces stratégies

d’adaptation désignent « l'ensemble des efforts cognitifs et comportementaux destinés à

maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent les

ressources de l'individu » (Lazarus et Folkman, 1984). Conceptualisées dans le domaine de la

psychanalyse puis de la psychologie, ces stratégies ont un rôle modérateur de l’effet délétère du

stress sur la santé (Koleck et al., 2003). Cet effet a également été retrouvé dans l’analyse

spécifique du retour au travail après un diagnostic de cancer (Eberl-Marty, 2013).

Dans la lignée de ces recherches, ce chapitre58 vise à explorer l’évolution des revenus

entre le moment du diagnostic de cancer et cinq ans après. Pour ce faire, il repose sur l’analyse

de l’enquête VICAN5. Fondées sur la revue de littérature exposée précédemment, les

hypothèses investiguées sont les suivantes :

- H5.1. La persistance des effets néfastes du cancer et des séquelles, consécutives à la

maladie et aux traitements, sur la vie professionnelle de certaines personnes cinq ans

après le diagnostic présage une durabilité des difficultés financières rencontrées par

celles-ci. Les personnes sorties de l’emploi ou ayant réduit leur temps de travail

feraient alors face à une diminution de leurs revenus.

- H5.2. La théorie des causes fondamentales (Link et Phelan 1995), largement

mobilisée dans la littérature en sciences sociales pour montrer la constante association

entre facteurs socioéconomiques et inégalités de santé, nous amène à formuler

l’hypothèse selon laquelle la vulnérabilité sociale prédisposerait les individus à un

impact négatif de la maladie sur leur situation financière.

58 Cette étude s’appuie sur des travaux ayant fait l’objet de trois types de valorisation scientifique : un

article soumis à une revue internationale (tiré-à-part n°3), un chapitre d’ouvrage et une présentation

orale en colloque international.

Page 114: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

114

- H5.3. En revanche, pour les personnes ayant maintenu une même durée de travail,

cette étude présume qu’aucune diminution significative de revenus ne devrait être

observée.

5.2. Evolution de la situation financière à cinq ans du diagnostic

5.2.1. Défis méthodologiques dans la considération des données

financières et résultats descriptifs.

Traitement des données manquantes et des données partielles

Pour répondre aux hypothèses formulées précédemment, il nous a fallu dans un premier

temps faire face à deux défis méthodologiques : la prise en compte des données manquantes et

celle des données partielles. En effet, parmi les 4 174 personnes interrogées, 576 personnes

présentaient des données manquantes concernant leur situation financière, et plus précisément

le montant de leurs revenus ; soit 13,8 % des personnes interrogées n’ont pas souhaité, ou n’ont

pas su, renseigner ces informations en ne répondant pas à l’une des questions d’intérêt

présentées en figure 5.1. Respectivement 11,1 % et 9,6 % n’ont pas répondu à ces questions

renseignant sur leur situation financière au diagnostic et à l’enquête. Si la proportion de non-

réponse semble élevée, elle est concordante avec la littérature selon laquelle la part de non-

réponse aux questions portant sur les revenus varie entre 4,6 % et 23,9 % selon le sujet de

l’enquête. Pour pallier ces difficultés, les investigateurs utilisent généralement une question

catégorielle comme cela a été fait dans VICAN5 (Little et Rubin, 1987; O’Prey, 2008).

Figure 5.1. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur les revenus du foyer

au diagnostic et cinq ans après.

Au diagnostic :

Page 115: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

115

Cinq ans après :

En outre, les individus qui n’ont pas répondu à ces questions présentent des

caractéristiques sociodémographiques spécifiques. En effet, les hommes sont davantage non-

répondants que les femmes (16,9 % d’hommes n’ont pas répondu contre 11,9 % de femmes),

de même que les personnes âgées de 50 ans et plus (17,5 % d’entre elles n’ont pas répondu

contre seulement 8,8 % des 40-49 ans et 6,1 % des moins de 40 ans). Les personnes seules et

celles qui travaillaient au diagnostic ont été moins répondantes : 23,2 % des personnes seules

contre 9,2 % des personnes en couple et 19,2 % des personnes en emploi contre 9,2 % de celles

qui ne travaillaient pas au diagnostic. En conséquence, les analyses réalisées sur l’évolution des

revenus doivent tenir compte de la spécificité des non-répondants. Néanmoins, en l’absence de

données plus précises permettant d’estimer ces revenus, aucune imputation n’a été réalisée sur

cette population. Leurs caractéristiques ont donc été prises en compte dans les facteurs

d’ajustement des modèles à partir d’une méthode qui sera décrite plus tard dans ce chapitre,

lors de la présentation des résultats (pour la méthode, voir encadré 5.2 sur le modèle

d’Heckman).

Par ailleurs, parmi les 3 598 répondants, 26,4 % ont fourni une information partielle de

leurs revenus en répondant uniquement à la question catégorielle (et non à la question ouverte),

que ce soit pour la situation au diagnostic ou celle à l’enquête. Le revenu exact de ces individus

a ainsi été estimé à l’aide de la méthode de l’imputation multiple sur échantillons simulés (voir

encadré 5.1).

Page 116: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

116

Encadré 5.1. Méthode de prise en compte des réponses partielles sur les revenus :

imputation multiple et « bootstrap »

L’objectif de ce travail étant de mesurer la part d’individus ayant connu une variation de

leurs revenus entre le diagnostic et l’enquête, seuls des montants exacts de revenus pouvaient

être exploités. Aussi, pour prendre en compte les réponses partielles (en tranches de revenus),

nous avons utilisé une méthode combinant imputation multiple et estimation par bootstrap

(Little et Rubin, 1987; Rubin, 2004; Schomaker et Heumann, 2018). Ainsi, pour chaque tranche

de revenu, nous avons réalisé une régression linéaire afin d’estimer, pour les personnes ayant

renseigné le montant exact de leur revenu exclusivement, les montants moyens des revenus en

fonction de caractéristiques individuelles (sexe, âge, situation familiale, niveau d’études,

situation de logement, situation professionnelle) et sociales (zone de résidence, IDS). Cent

régressions ont été réalisées sur cent échantillons simulés à partir du groupe des répondants,

pour chaque tranche de revenus. Cette multiplication des estimations avait pour objectif de

diminuer le « bruit statistique » (les marges d’erreur) lié à l’imputation (Rubin, 2004). La

moyenne de ces estimateurs a été identifiée pour chaque caractéristique explicative et celle-ci

a ensuite été imputée aux individus ayant ces mêmes caractéristiques dans le groupe des

répondants partiels en fonction de leur tranche de revenu déclarée.

Les variables intégrées dans la régression linéaire expliquant le revenu pour chaque

tranche déclarée sont les suivantes : le sexe, l’âge, l’IDS, la situation familiale, le nombre de

personnes dans le foyer, la situation de logement, la zone de résidence, le niveau d’études, la

situation professionnelle, le type d’allocation perçue et l’aisance financière ressentie. Celles-ci

diffèrent légèrement en fonction des tranches étudiées. Par exemple, la variable renseignant sur

la perception du RSA n’a été incluse que dans les modélisations effectuées pour les tranches de

revenu les plus modestes. De plus, pour le montant du revenu estimé au moment de l’enquête,

le montant du revenu perçu au moment du diagnostic a été ajouté à l’équation.

Enfin, des analyses de sensibilité ont été conduites afin de contrôler la robustesse des

estimations. Pour cela, la distribution des montants exacts des revenus post-estimation du

groupe des répondants partiels a été comparée à celle du groupe des répondants.

Page 117: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

117

Cinq ans après le diagnostic, un cinquième des personnes interrogées a connu une

diminution de ses ressources

Au moment du diagnostic, la situation financière était légèrement inférieure à celle

observée en population générale la même année : le revenu médian disponible par individu au

sein des ménages des personnes atteintes d’un cancer était de 1 400 € par mois contre 1 610 €

estimés en population générale par l’Insee59. D’un point de vue méthodologique, une variation

de plus (ou moins) 10 % entre les revenus déclarés au moment du diagnostic et ceux déclarés

au moment de l’enquête, a été considérée comme significative d’une augmentation (ou

diminution). Au deçà de ces 10 %, les montants déclarés ont été considérés semblables. Cette

proportion a été subjectivement choisie de manière à, d’une part, limiter les biais de

mémorisation et, d’autre part, prendre en compte l’inflation économique estimée autour de 2 %

par an en France (Insee, 2018). Ainsi, cinq ans après le diagnostic, un quart des personnes

interrogées (26,4 %) a connu une diminution des revenus mensuels totaux du foyer tandis que

trois sur dix (30,2 %) ont connu une augmentation et enfin, quatre personnes sur dix (43,5 %)

ont gardé des revenus stables. Rapporté à l’unité de consommation, 20,5 % ont déclaré au

moment de l’enquête des revenus par unité de consommation (RUC) au moins 10 % inférieurs

à ceux perçus au diagnostic, près de la moitié des personnes a eu une augmentation (46,7 %) et

le tiers restant (32,7 %) n’a eu aucun changement. Les personnes les plus concernées par une

telle diminution sont celles ayant connu une sortie de l’emploi en général et, en particulier,

étant, au moment de l’enquête, en situation de chômage ou d’inactivité professionnelle. Plus

précisément, considérant à présent les transitions professionnelles, la proportion de personnes

ayant connu une diminution est particulièrement importante chez celles étant passées d’une

situation d’emploi à une situation d’inactivité hors retraite ou invalidité (au foyer), parmi

lesquelles 71,3 % ont connu une baisse, suivies des personnes initialement en emploi puis à la

retraite au moment de l’enquête (prévalence d’une diminution des revenus de 44,2 %) ou au

chômage (parmi lesquelles 41,6 % ont eu une baisse). De plus, la diminution de revenus a

également concerné 36,4 % des personnes en emploi ayant transité vers de l’inactivité pour

invalidité, 23,8 % de celles ayant changé d’emploi ou d’employeur, 17,6 % de celles s’étant

maintenues en emploi et enfin 12,1 % des personnes s’étant maintenues en situation d’inactivité

(retraite ou au foyer). En revanche, celles ayant changé d’emploi et celles qui se sont maintenues

59 Insee, Les niveaux de vie en 2010, Carine Burricand, Cédric Houdré, Eric Seguin, division Revenus

et patrimoine des ménages, cf. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1283651, consulté le 4 juillet 2019.

Page 118: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

118

dans la même activité sont également nombreuses (respectivement 50,3 % et 52,3 %) à avoir

eu une augmentation.

Conformément aux études réalisées précédemment vis-à-vis des facteurs associés à une

sortie de l’emploi, les personnes les plus négativement impactées financièrement cinq ans après

un diagnostic de cancer sont celles âgées entre 51 et 62 ans, conservant des séquelles

importantes voire très importantes de la maladie et/ou de sa prise en charge. S’ajoutent

également les personnes ayant connu une séparation matrimoniale, les professionnels

indépendants artisans, commerçants et chefs d’entreprise et les personnes ayant un RUC élevé

par rapport à la moyenne de la population au moment du diagnostic. Pour les personnes toujours

en situation d’emploi au moment de l’enquête ayant réduit leur temps de travail, cette réduction

s’est avérée significativement associée à une diminution des revenus du travail ainsi qu’à une

diminution du RUC. Ces résultats confirment la première hypothèse selon laquelle les

personnes les plus impactées dans leur activité professionnelle (impact se traduisant par une

sortie de l’emploi ou une réduction du temps de travail) sont également les plus sujettes à une

diminution de leurs revenus. Néanmoins, ces premiers résultats descriptifs montrent également

une situation moins attendue qui infirme l’hypothèse 5.3 : les personnes qui se sont maintenues

en situation professionnelle a priori favorable, toujours en emploi cinq ans après le diagnostic,

ont également (à 17,6 %) connu une diminution de leur revenu disponible par individu. Dans la

suite de notre recherche, nous nous intéressons ainsi spécifiquement à ces individus, ayant

connu une détérioration de leur situation financière alors même que leur situation

professionnelle semble avoir été préservée.

5.2.2. Une diminution qui s’observe également chez les personnes qui se

sont maintenues en emploi

Revenu disponible par individu et revenu du travail : des stratégies de compensation ?

Parmi les personnes en emploi au diagnostic et cinq ans plus tard, une diminution

significative des revenus individuels disponibles a été observée pour 17,6 % d’entre elles. Plus

spécifiquement, elles sont 23,5 % à avoir connu une baisse de leurs revenus du travail. L’écart

ici observé suggère un rééquilibre dans l’apport de revenus dans le foyer, puisque 5,9 % des

individus ont connu une baisse des revenus du travail sans que celle-ci n’entraîne une baisse

des revenus par UC de leur foyer. Cette compensation peut-être le fruit de contributions des

membres du foyer (par exemple le conjoint qui augmente son temps de travail pour compenser

la baisse) ou bien l’objet d’un apport supplémentaire, qu’il s’agisse de pensions (familiales ou

Page 119: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

119

individuelles telles que des pensions complémentaires d’invalidité par exemple) ou d’apports

d’autres natures (immobilier etc.). L’absence de données sur ces questions ne nous permet pas

d’analyser davantage ces éventuels éléments de compensation.

Pour les personnes ayant connu une baisse des revenus du travail, la réduction du temps

de travail en est la principale explication. Fortement associée à des caractéristiques de la

maladie, telles que le pronostic du cancer, le fait d’avoir été traité par chimiothérapie ou

éprouver de la fatigue, la réduction du nombre d’heures travaillées constitue le levier le plus

fréquemment utilisé lors de la reprise de l’activité professionnelle afin de tenir compte des

capacités physiques et intellectuelles réduites à la suite des séquelles de la maladie et de ses

traitements. Cependant, cette réduction ne suffit pas à expliquer la totalité de la baisse de

revenus observée. Les travailleurs indépendants au moment du diagnostic sont également plus

nombreux que les salariés à avoir déclaré des revenus professionnels et des revenus du foyer

diminués par rapport au moment du diagnostic (34 % versus 23 % pour les revenus

professionnels et 42 % versus 32 % pour les revenus du foyer rapportés à l’unité de

consommation) sans baisse du temps de travail. Ceci peut notamment s’expliquer par le

fonctionnement de l’activité non salariée qui nécessite de répondre aux demandes d’une

clientèle régulière, pouvant se tourner vers un autre professionnel en l’absence du travailleur

malade. En effet, pour les indépendants, la réduction de l’activité de l’entreprise n’a pas

nécessairement pour conséquence une réduction de leur temps de travail. Il est par exemple

possible de supposer que, face à la nécessité de réduire son effectif (en licenciant un salarié)

pour pallier le manque financier, le travailleur indépendant doive compenser la charge de travail

perdue, sans se rémunérer davantage. Pour les salariés, le changement d’entreprise et/ou

d’emploi s’est souvent accompagné d’une diminution des revenus, les personnes concernées (à

la suite d’un départ volontaire ou non) retrouvant dans un quart des cas un emploi moins

rémunéré.

Facteurs associés à une diminution du revenu disponible par individu

Afin d’approfondir davantage ces corrélations envisagées de manière descriptive, nous

avons exploré les facteurs associés à une baisse du revenu disponible par individu entre le

diagnostic et l’enquête, s’agissant uniquement des individus en emploi aux deux dates. L’intérêt

de cette analyse est de dépasser l’étude réalisée dans le chapitre précédent des facteurs associés

à la sortie de l’emploi, première cause de baisse des revenus, afin de comprendre ce qui

influence la diminution des revenus pour les personnes n’étant pas sorties de l’emploi.

Page 120: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

120

A partir des résultats des analyses descriptives, nous avons, dans un premier temps, fait

l’hypothèse d’une relation d’endogénéité entre la réduction du temps de travail et la baisse du

revenu disponible par individu60 : la baisse du temps de travail entraînerait une baisse de la

rémunération fixe et ainsi une baisse systématique du revenu disponible. Cette relation

tautologique impliquerait un phénomène d’hétérogénéité inobservée qui biaiserait les

estimations. Nous avons ainsi modélisé la diminution des revenus en tenant compte de cette

endogénéité par la méthode des variables instrumentales. Pour cela, nous avons utilisé un

modèle à variable dépendante qualitative à deux équations : un modèle probit bivarié récursif.

La première équation vise à expliquer la probabilité d’occuper un emploi (différent ou non) à

temps de travail réduit par rapport à celui occupé au diagnostic. La seconde équation porte sur

la probabilité d’avoir un revenu disponible diminué par rapport au diagnostic. Les variables

explicatives de chacune des deux équations ne sont pas communes61. Nous supposons ainsi que

les termes d’erreurs des deux équations suivent une loi normale bivariée. La variable

dépendante de la première équation est incluse comme variable explicative dans la seconde

(modèle récursif). Cependant, cette analyse ne s’est pas avérée statistiquement pertinente

(indicateur non significatif : p.value du rho > 0,05) et seule l’équation de probit simple fut

finalement retenue.

De plus, comme expliqué précédemment, la réponse aux variables d’intérêt (montants des

revenus au diagnostic et cinq ans après) s’est révélée discriminante dans la mesure où 13,8 %

de l’ensemble des enquêtés, et plus spécifiquement 9,4 % des personnes en emploi aux temps

d’observation, n’ont pas renseigné les informations nécessaires. Afin de prendre en compte cet

60 Une relation d’endogénéité correspond à une forte corrélation entre une variable explicative (en

l’occurrence la réduction du temps de travail) d’un modèle et le terme d’erreur du modèle, qui violerait

l’hypothèse d’indépendance (ou orthogonalité). 61 La première équation modélise la probabilité d’avoir réduit son temps de travail d’au moins 4h par

semaine à partir des variables suivantes : l’interaction entre le sexe et la localisation du cancer agrégée

selon son caractère sexué, l’âge, le statut matrimonial, le fait d’avoir au moins un enfant à charge, le

milieu de résidence, la catégorie socioprofessionnelle, le fait d’avoir changé d’emploi et/ou

d’employeur, le score de comorbidité initial (au diagnostic), avoir reçu un traitement par chimiothérapie,

avoir connu au moins un épisode d’évolution péjorative du cancer et la durée du premier arrêt-maladie.

La seconde équation modélise quant à elle la variable dépendante qui nous intéresse ici, la probabilité

d’avoir eu une diminution de son revenu mensuel disponible, à partir des caractéristiques suivantes : le

fait d’occuper un emploi à temps de travail réduit à l’enquête, la variable d’interaction entre le sexe et

la localisation du cancer agrégée selon son caractère sexué, l’âge, le statut matrimonial, le fait d’avoir

au moins un enfant à charge, le milieu de résidence, les conditions de logement au diagnostic (locataire,

hébergé ou propriétaire), le statut professionnel au diagnostic (indépendant ou salarié), le niveau de

revenu disponible au diagnostic, le fait d’avoir changé d’emploi et/ou d’employeur et la durée du

premier arrêt-maladie.

Page 121: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

121

effet de sélection dans nos analyses et ainsi limiter le biais induit, nous avons modélisé

l’équation probit de diminution des revenus en deux étapes selon la procédure d’Heckman

présentée dans l’encadré 5.2 ci-après. En résultat, la correction du biais de sélection s’est avérée

pertinente, la réponse aux variables d’intérêt ayant fait l’objet d’une sélection négative. La

figure 5.2 présente les principaux résultats (significatifs) des modèles avec et sans prise en

compte de l’effet de sélection selon Heckman62.

Encadré 5.2. Prise en compte des données manquantes : le modèle d’Heckman (1979)

Les individus n’ayant pas renseigné les informations nécessaires à la construction de

l’indicateur principal de cette étude (le montant des revenus, que ce soit au diagnostic ou au

moment de l’enquête) présentent des caractéristiques dont la répartition n’est pas aléatoire. Cet

effet de sélection des individus dans leur déclaration des revenus peut entraîner un biais dans

l’analyse des facteurs associés au fait d’avoir eu une baisse de revenus. En effet, répondre à des

questions sur les revenus peut relever d’un choix qui peut être corrélé à la variation de revenus

(on peut supposer que certaines personnes souhaitent cacher leur confort ou à l’inverse leur

inconfort financier par désirabilité sociale ou encore qu’il leur est difficile de répondre du fait

de la part variable de leurs revenus comme c’est quelques fois le cas de certains travailleurs

indépendants ou intérimaires etc.). Nous avons donc cherché à corriger ce biais. Pour cela, nous

avons mobilisé la méthode du modèle d’Heckman (Heckman, 1979) et avons ainsi estimé ce

biais potentiel dans une équation probit réalisée en deux étapes avec l’équation principale visant

à identifier les facteurs associés à la diminution de revenus. L’intérêt de ce modèle est

d’intégrer, dans le calcul des estimateurs de la seconde équation, le biais estimé dans la première

en procédant en deux étapes. Ainsi, soit (2) le modèle de diminution des revenus entre le

diagnostic et l’enquête, celui-ci n’est observable que lorsque w, l’indicatrice de réponse aux

questions d’intérêt, est égal à 1. La première équation, celle de sélection, s’écrit donc telle que :

(1) wi = Zi α + ui avec wi = { 0 𝑠𝑖 𝑤∗ ≤ 0 1 𝑠𝑖 𝑤∗ > 0

.

Zi correspond ici aux variables indépendantes de coefficients α et ui est le terme d’erreur

suivant une loi normale.

62 Pour une présentation de la totalité des résultats, voir le tableau 2 de l’article « Inequality in income

change among cancer survivors five years after diagnosis: Evidence from a French national

survey. » disponible en tiré à part (n°3).

Page 122: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

122

Encadré 5.2. Prise en compte des données manquantes : le modèle d’Heckman (1979)

(suite).

La seconde équation de régression prend alors la forme suivante :

(2) y1i = Xiβ + βλ��i+ ei + βλ(��i - λi)

= Xiβ + βλ��i+ ei*

= [Xi ��i] [β

βλ] + ei

*

= Xi*β*+ ei

*.

λi et ��i représentent ici respectivement le ratio de Mills et l’inverse du ratio de Mills,

prenant tous deux en compte dans leur calcul Zi et α définis ci-dessus. Xi correspond aux

variables indépendantes de coefficients β et ei est le terme d’erreur suivant une loi normale. Il

est à noter que ceci suppose que les termes d’erreurs des deux équations sont indépendants

(Heckman, 1979; Protopopescu et al., 2009).

Dans notre cas d’analyse, les variables indépendantes Zi de la première équation incluent

des informations sociodémographiques (le genre, l’âge, le statut matrimonial, la présence

d’enfant(s) à charge et le niveau d’éducation), des informations relatives à l’emploi occupé au

diagnostic (statut professionnel salarié ou indépendant, catégorie socioprofessionnelle

agrégée), une information subjective portant sur la perception de son confort financier et enfin

des informations relatives à la santé (l’évolution du cancer et la présence de comorbidités). De

plus, l’échantillon d’appartenance (principal ou complémentaire) a également été intégré dans

l’équation de sélection afin de contrôler le délai écoulé entre le diagnostic et l’année de réponse

(les individus de l’échantillon principal ayant répondu en 2012 et ceux de l’échantillon

complémentaire en 2016). L’hypothèse est que les personnes ayant été interrogées cinq ans

après sur leurs revenus perçus au diagnostic (échantillon complémentaire) présentaient un

risque plus élevé de ne pas répondre en raison du biais de mémoire, par rapport aux personnes

ayant été interrogées deux ans après le diagnostic.

Enfin, l’analyse du coefficient correspondant à l’inverse du ratio de Mills permet, dans le

cas où celui-ci serait significativement différent de 0, de conclure à une sélection positive

lorsque le coefficient est positif, et à une sélection négative dans le cas contraire. Cela signifie

que sans la correction du biais par la méthode d’Heckman en deux étapes, les coefficients β

auraient été surestimés ou, à l’inverse, sous-estimés selon que le coefficient soit respectivement

positif ou négatif. En l’occurrence, nos résultats auraient été sous-estimés.

Page 123: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

123

Figure 5.2. Facteurs associés à la probabilité de connaître une diminution des revenus

disponibles par individu.

Champ : répondants à l’enquête VICAN5 de moins de 55 ans, en emploi au moment du diagnostic et

cinq ans après (N=1 636).

Lecture : par rapport aux personnes âgées de 50 ans et plus, les personnes âgées de moins de 40 ans au

moment du diagnostic de cancer ont, toutes choses égales par ailleurs, une probabilité minorée d’avoir

connu une diminution de leur revenu cinq ans plus tard. Cette association n’est significative qu’après

prise en compte de l’effet de sélection lié à la non-réponse.

Analyses : modèles de régressions probit binomiales. Ce graphique donne les résultats de deux modèles :

le premier modèle, réalisé uniquement sur la population ayant répondu au moins partiellement aux

questions portant sur les revenus perçus au diagnostic et à l’enquête (modèle 1), et le second modèle,

réalisé sur l’ensemble de la population d’étude prenant en compte les non-répondants dans une première

équation de sélection par la méthode d’Heckman (modèle 2). Sont représentés ici uniquement les

coefficients estimés des variables statistiquement significatives au seuil de 5 % sur la diminution de

revenu dans au moins un des deux modèles, pour simplifier la lecture et l’interprétation. Les barres non

colorées du diagramme correspondent à des modalités non significatives au seuil de 5 %.

-2 -1,5 -1 -0,5 0 0,5 1

Homme

< 40 ans (vs 50 ans et plus)

En couple

Enfant(s) à charge

Baisse de l'UC

Niveau d'étude < bac

Locataire de son logement

Zone rurale

CSP Artisan, commerçant (vs cadre sup)

Travail à temps partiel

Niveau de revenus faible

Niveau de revenus intermédiaire

Changement d'emploi

Réduction du temps de travail

Durée de l'arrêt maladie (pour 1 semestre)

Traitement initial par chimiothérapie

Episode(s) d'évolution péjorative

Coefficients estimés

Modèle 1. Probit simple sans sélection (N=1 483) Modèle 2. Probit avec selection Heckman (N=1 636)

Page 124: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

124

Ainsi, après prise en compte de l’effet de sélection et ajustement sur différentes

caractéristiques individuelles, sociales et médicales, on observe que les femmes présentent un

risque accru de connaître une diminution de leur revenu disponible entre le moment du

diagnostic et cinq ans après par rapport aux hommes, et cela, qu’elles aient été ou non

diagnostiquées d’un cancer sexué. Des analyses complémentaires stratifiées sur le genre

permettent d’ajouter à l’analyse de la différence femmes-hommes que l’effet de la situation

matrimoniale est genré. En effet, dans ces analyses (dont les résultats ne sont pas présentés ici

par soucis de concision), l’effet négatif du fait d’être en couple plutôt que seule sur la probabilité

de connaître une diminution de revenus s’est révélé significatif uniquement dans le modèle

réalisé chez les femmes. Les femmes seules au moment de l’enquête avaient donc une

probabilité majorée de connaître une diminution de leurs revenus relativement aux femmes en

couple, association non significative chez les hommes.

Par ailleurs, comme le montre la figure 5.2, les artisans, les commerçants et les

professionnels libéraux avaient un risque plus élevé de connaître une diminution de leur revenu

disponible par rapport aux travailleurs appartenant à d’autres catégories socioprofessionnelles.

Ce résultat est cohérent avec ceux des travaux précédemment réalisés au Canada (Lauzier et al.,

2010) et en Norvège (Torp et al., 2017) sur l’évolution des revenus, respectivement six mois et

un an après le diagnostic d’un cancer. L’enquête montre ainsi la vulnérabilité spécifique des

travailleurs indépendants vis-à-vis de l’impact du cancer sur la vie professionnelle. Les

hypothèses susceptibles d’expliquer les difficultés rencontrées par les travailleurs non-salariés

sont liées au manque de couverture sociale obligatoire pour les professions libérales, à la

variabilité du revenu de référence sur lequel est basé le calcul des indemnités journalières

versées en cas d’arrêt-maladie, et enfin, à la nature même de l’organisation nécessitant le plus

souvent la présence du travailleur en question pour en assurer l’activité et conserver sa clientèle,

pour ainsi permettre la pérennisation de l’entreprise (Ha-Vinh et al., 2015, 2014; Jeon, 2017;

Lauzier et al., 2010; Zajacova et al., 2015).

Une diminution des revenus qui intervient à plus de deux ans du diagnostic

L’enquête VICAN permet également de visualiser, pour une partie de la population

interrogée, un point intermédiaire à deux ans du diagnostic. L’analyse spécifique de

l’échantillon principal ayant répondu aux deux enquêtes VICAN2 et VICAN5 a permis de

montrer que la baisse du revenu disponible par individu, observée à cinq ans, est intervenue

majoritairement après les deux premières années post-diagnostic ; pour 53,7 % cette diminution

Page 125: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

125

intervient au cours des trois années suivantes (ceux-ci ayant jusqu’alors conservé des revenus

stables). Cependant, parmi les 20,5 % des individus pour lesquels une diminution du revenu

disponible par individu avait déjà été constatée à deux ans du diagnostic, seulement 37,0 % ont

récupéré, cinq ans après le diagnostic, une situation financière au moins similaire à celle

observée au moment du diagnostic. Pour les 63,0 % des individus toujours concernés par cette

baisse, un tiers a eu une nouvelle baisse entre la première et la seconde enquête (réalisées

respectivement à deux puis cinq ans du diagnostic) tandis que la majorité a déclaré cinq ans

après le diagnostic des revenus disponibles par individu au moins similaires à ceux déclarés

deux ans après le diagnostic de cancer.

5.3. Les mesures subjectives de l’évolution des revenus et de la situation

financière : un complément aux mesures objectives

La variation mesurée des revenus à partir des montants déclarés apporte des éléments

d’information nécessaires à la compréhension de l’évolution de la vie professionnelle après un

diagnostic de cancer. Ces données présentent néanmoins des limites relatives aux biais de

déclaration, et ne représentent pas réellement le pouvoir d’achat des individus, dans la mesure

où elles ne contiennent aucune information sur les taux d’imposition, ni sur l’évolution des

dépenses des individus. Pour compléter ces données, il nous a ainsi semblé que la mobilisation

de données subjectives pourrait s’avérer fructueuse en termes de compréhension.

Ces mesures sont fréquemment utilisées par l’Insee pour rendre compte des conditions de

vie avec « l’idée que la mesure de la performance économique et du progrès social ne peut

exclusivement reposer sur le suivi d’indicateurs économiques objectifs » (Kranklader et

Schreiber, 2015).

Le questionnaire patient de l’enquête VICAN5 comporte des informations subjectives,

relatives à la perception des personnes interrogées sur leur situation financière, concernant plus

précisément, leur aisance, la variation de leurs revenus, ainsi que l’impact perçu de la maladie

dans l’évolution de leurs revenus du travail. Les informations utilisées ici ont été recueillies à

partir des questions présentées en figure 5.3. Pour faciliter l’analyse et assurer la puissance

statistique dans chaque groupe, certaines questions ont été simplifiées, telles que celle portant

sur la situation financière déclarée, en agrégeant les modalités « c’est juste, il faut faire

attention », « vous y arrivez difficilement » et « vous ne pouvez pas y arriver sans faire de

dettes ». De même, les modalités de réponse à la question sur la variation des revenus depuis le

Page 126: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

126

diagnostic ont été agrégées en trois catégories : « ont augmenté », « n’ont pas changé » et « ont

diminué ». Le sentiment d’une diminution des revenus du travail causée par la maladie a été

recodé en « oui » ou « non ».

Figure 5.3. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur la perception des

individus de leur situation financière.

5.3.1. Aisance financière

La perception des ressources disponibles est un indicateur différent du montant des

revenus déclarés, puisqu’il tient compte du pouvoir d’achat perçu par les individus. Cinq ans

après le diagnostic d’un cancer, la situation financière ressentie par les personnes de notre

échantillon, âgées de moins de 55 ans et en emploi, est quelque peu meilleure que celle décrite

en population française : 52,4 % de ces individus se sentent peu à l’aise financièrement (36,0 %

déclarent que « c’est juste, il faut faire attention » et 16,4 % que c’est difficile après

regroupement des modalités « vous y arrivez difficilement » et « vous ne pouvez pas y arriver

sans faire de dettes ») contre 57 % (respectivement 41 % et 16 %) des personnes résidant en

France métropolitaine, en emploi et interrogées dans le cadre de l’enquête Budget de famille

2011 (Kranklader et Schreiber, 2015). Cependant, cet écart peut s’expliquer aisément par la

structure de la population ayant connu un diagnostic de cancer et vivant cinq ans après,

différente de celle de la population générale, notamment en termes d’âge et de sexe.

Nous avons comparé l’aisance financière déclarée à deux ans et cinq ans du diagnostic

pour les personnes ayant répondu aux deux enquêtes VICAN2 et VICAN5 uniquement

(correspondant à l’échantillon principal) et les déclarations se sont révélées quasiment

identiques aux deux dates (51,8 % ont déclaré se sentir peu à l’aise financièrement en 2012,

deux ans après le diagnostic, contre 51,9 % en 2015). Si ces proportions sont identiques, elles

cachent néanmoins une autre réalité : celle du passage des individus d’une situation à l’autre.

Page 127: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

127

En effet, la moitié seulement des répondants (53,4 %) a choisi le même item pour caractériser

la situation financière deux et cinq ans après le diagnostic.

Sur l’ensemble de l’échantillon, l’aisance financière perçue dépend particulièrement de

la situation professionnelle occupée. Ainsi, les personnes qui se sentent le moins à l’aise

financièrement sont principalement les bénéficiaires du RSA, de prestations sociales liées à la

maladie ou à l’invalidité et les chômeurs (96,0 % des personnes au RSA, 79,4 % des personnes

en invalidité et 77,2 % des chômeurs se disent peu à l’aise financièrement). De même, cet

inconfort financier a particulièrement été perçu par les personnes pour lesquelles une

diminution du revenu disponible a été observée (63,1 % d’entre elles ont déclaré se sentir peu

à l’aise financièrement contre 45,6 % de celles dont le revenu par UC est resté stable depuis le

diagnostic et 50,3 % de celles dont le revenu a augmenté). Enfin, cette perception est partagée

par des personnes en emploi aux deux dates d’observation (au moment du diagnostic et cinq

ans après), parmi lesquelles près de la moitié (47,3 %) a déclaré être peu à l’aise financièrement.

Plus spécifiquement, au moment de l’enquête, un indépendant sur cinq (20,5 %) et un salarié

sur sept (14,8 %) précisent à propos de leur situation financière, que « c’est difficile » ou « ne

pas pouvoir y arriver sans faire de dettes ». Parmi ceux qui sont toujours en activité, 15,6 % des

indépendants et 11,9 % des salariés déclarent ces mêmes difficultés financières. Ceci confirme

le résultat constaté précédemment d’une précarisation financière des travailleurs indépendants

en dépit d’un maintien plus fréquent en emploi.

Page 128: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

128

5.3.2. Variation perçue

Plus d’un tiers des personnes interrogées (35,2 %) déclare avoir connu une diminution de

ses revenus depuis le diagnostic du cancer. Cette proportion, reflétant les perceptions des

personnes concernées, est supérieure à la baisse mesurée précédemment à partir des revenus

déclarés et rapportés à l’unité de consommation (soit 20,5 %). Cet écart entre les mesures

quantitative et subjective est plus important parmi les personnes qui étaient au chômage lors du

diagnostic (64,2 % indiquant une baisse de leurs revenus et 25,0 % ayant eu une baisse de leurs

revenus) que pour les personnes en emploi au diagnostic (respectivement 41,6 % et 25,7 %).

La perception de l’évolution des revenus est particulièrement dépendante de l’aisance

financière déclarée. C’est parmi les personnes percevant leur situation financière comme

difficile, voire impossible sans faire de dettes, que la perception d’une diminution des revenus

est la plus fréquente. Elle l’est beaucoup moins chez les répondants se déclarant, à cinq ans du

diagnostic, financièrement à l’aise. Chez ces derniers, la part des personnes ayant perçu une

augmentation de leurs revenus y est plus importante.

Parmi les personnes en emploi au diagnostic et à l’enquête, près d’un tiers (31,6 %) a

déclaré avoir perçu une diminution de ses revenus disponibles, ce qui est supérieur à la part

objective mesurée précédemment (17,6 %). Une hypothèse pour expliquer ces écarts détaillés

en figure 5.4 est que ceux-ci résulteraient d’une diminution conséquente du pouvoir d’achat.

Par exemple, une augmentation des dépenses liées au cancer (telles que les restes-à-charge

évoqués en introduction de ce chapitre) pourrait avoir entraîné une diminution des ressources

disponibles sans que les revenus n’aient diminué. Une diminution du pouvoir d’achat

conséquente à l’augmentation d’autres dépenses, indépendantes de la maladie, pourrait

également être à l’origine de cet écart.

Figure 5.4. Perception de la variation des revenus selon la variation mesurée pour les personnes

en emploi au diagnostic et cinq ans après.

12 2136

14 2628

5140

47 42

60

28 24 29 32

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Diminution Aucun

changement

Augmentation Données

manquantes

Ensemble

Augmentation perçue Aucun changement perçu Diminution perçue

Page 129: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

129

5.3.3. Variation des revenus professionnels et impact perçu de la maladie

Ecart entre la mesure objective et la mesure subjective

Parmi les personnes en emploi aux deux dates d’observation, trois sur dix (29,2 %) ont

déclaré que la maladie fut à l’origine d’une diminution de leurs revenus du travail. Cette

diminution a été précédemment mesurée (à partir des montants déclarés) pour 23,5 % d’entre

elles. Plus spécifiquement, parmi celles ayant déclaré une situation financière difficile (« vous

y arrivez difficilement » – « vous ne pouvez pas y arriver sans faire de dettes »), plus de la

moitié (55,6 %) estime que la maladie est à l’origine d’une diminution de ses revenus du travail

contre seulement 18,6 % de celles qui se déclarent « à l’aise » ou « ça va ». C’est également le

cas de six personnes sur dix pour qui une baisse du salaire a été mesurée précédemment. La

surreprésentation des personnes ayant déclaré que le cancer fut à l’origine d’une diminution des

revenus du travail, par rapport à celles pour lesquelles une diminution a été mesurée à partir des

montants déclarés, peut être expliquée par une rationalisation de la part de l’individu a

posteriori. En effet, de même que le sentiment de pénalisation au travail du fait de la maladie

peut résulter d’une réflexion postérieure à un événement jugé négatif (licenciement, refus de

promotion etc.) (Paraponaris et al., 2010), la perception d’un impact négatif de la maladie sur

les revenus peut par exemple être provoquée par le sentiment d’avoir perdu une occasion de

promotion. Cette rationalisation a posteriori peut amener la personne à penser qu’elle aurait dû

être augmentée, que cela n’a pas été le cas certainement à cause de sa maladie et qu’ainsi, celle-

ci lui a fait perdre une source de revenu supplémentaire.

Analyses longitudinales

En 2012, deux ans après le diagnostic de cancer, 26,6 % des personnes de l’échantillon

principal en emploi au diagnostic et à l’enquête ont mentionné que la maladie fut à l’origine

d’une diminution de leurs revenus du travail. Celles-ci sont également les plus nombreuses à

ne plus être en emploi trois ans plus tard, soit en 2015. En effet, 80,8 % de ces personnes sont

en emploi à cinq ans du diagnostic contre 91,4 % des personnes n’ayant pas fait état d’une

diminution de leurs revenus professionnels du fait de la maladie (p.value < 0,001). Ce constat

est confirmé par la réalisation d’une régression logistique binomiale estimant les facteurs

associés à un maintien dans l’emploi en 2015 spécifiquement pour les personnes interrogées à

deux et cinq ans du diagnostic et en emploi en 2010 et 2012. En effet, après ajustement sur les

Page 130: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

130

caractéristiques identifiées dans le chapitre précédent63 comme ayant un effet significatif sur le

maintien en emploi, le fait d’avoir mentionné un impact de la maladie sur les diminutions des

revenus du travail occupé en 2012 augmente significativement (de 6,1 % par rapport au profil

de référence proposé n’ayant pas mentionné cet impact) la probabilité de ne pas être en emploi

en 2015 (OR [IC 95 %] = 1,75 [1,11 ; 2,76]).

Ainsi, la mesure subjective de la variation des revenus du ménage s’est avérée légèrement

différente de la mesure calculée à partir du montant des revenus déclarés et, en ce sens, être un

outil de mesure de la santé financière pertinent car complémentaire à la mesure effectuée dans

la sous-partie précédente. En effet, la part de diminution perçue est supérieure à celle calculée,

de 10 points de pourcentage. L’information recueillie ici est subjective, aussi, la

surreprésentation de la baisse des revenus mensuels peut résulter du ressenti de l’enquêté vis-

à-vis d’une baisse éventuelle de son pouvoir d’achat. Dans le cas de revenus mensuels stables,

une hausse des dépenses liées à la maladie par exemple amènerait la personne concernée à

déclarer une baisse de revenus, expliquant alors l’écart entre la mesure quantitative et la mesure

subjective. L’aisance financière est également complémentaire car elle dépend fortement du

niveau de vie initial des individus. Par exemple, des personnes vivant confortablement au

moment du diagnostic et qui connaissent une perte de revenus importante (exemple du cadre

qui perd son emploi) auront beaucoup de difficultés à maintenir le niveau de vie initial (payer

un loyer ou un crédit élevé, etc.) et considéreront alors que leur situation financière est difficile.

À l’inverse, des personnes ayant un niveau de vie plus modeste qui ne connaissent pas de

diminution de revenus à la suite du diagnostic, pourront se sentir plus facilement à l’aise, à

partir du moment où elles sont en capacité de maintenir leur niveau de vie. Enfin, comment

expliquer que la part d’individus déclarant que la maladie a été à l’origine d’une diminution de

leur revenu du travail soit supérieure à la part des personnes pour lesquelles une telle diminution

(liée ou non à la maladie) a été calculée ? La forte corrélation entre cette perception et le

sentiment d’avoir été pénalisé au travail du fait de la maladie (association qui n’existe pas avec

la diminution calculée), conduit à formuler l’hypothèse suivante : la perception d’un impact de

la maladie sur la diminution des revenus du travail peut être induite par le sentiment d’avoir été

63 L’ajustement a été réalisé à partir de caractéristiques sociodémographiques (le sexe, l’âge, le niveau

d’études, la situation matrimoniale et la présence d’enfant(s) à charge), socioprofessionnelles (la

rémunération professionnelle perçue au diagnostic, le type de contrat de travail, le statut professionnel,

le secteur d’activité, avoir eu un aménagement du travail au cours des deux premières années, déclarer

en 2012 avoir fait l’objet de discrimination au travail) et médicales (le traitement initial par

chimiothérapie, la présence d’épisode(s) d’évolution péjorative et la fatigue cliniquement significative

en 2012), mais aussi sur le changement d’entreprise entre le diagnostic et la première enquête (en 2012).

Page 131: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

131

pénalisé à cause de la maladie, que ce soit par la conviction de rater une opportunité de

promotion ou par celle d’avoir perdu des primes liées à l’activité.

5.4. Synthèse des résultats et conclusion

Les références des productions scientifiques relatives à cette étude sont les suivantes :

- Alleaume C, Bendiane M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. Income change inequality

among cancer survivors five years after diagnosis: Evidence from a French national

survey (article soumis, en révision à PLos One).

- Alleaume C, Joutard X, Lafay L, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V. Evolution des

revenus cinq ans après le diagnostic d’un cancer (Ch10). INCa, juin 2018. Issn : 978-2-

37219-382-5 (chapitre d’ouvrage publié).

- European Cancer Congress 2017. Alleaume C, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-

Watel P. Evolution of resources 2 and 5 years after cancer diagnosis: evidence from the

French VICAN surveys (communication orale).

- Colloque VICAN5 valorisation scientifique INCa 2018. Valorisation des données des

études VICAN2 & VICAN5 en économie et sociologie de la santé – Vie professionnelle

& ressources financières cinq ans après un diagnostic de cancer (communication orale).

Les principaux points à retenir dans ce chapitre sont :

- Cinq ans après le diagnostic, un cinquième des personnes interrogées a connu

une diminution de ses revenus du foyer rapportés à l’unité de consommation,

- Les artisans, les commerçants et les professionnels libéraux ont un risque plus

élevé de connaître une diminution de leur revenu disponible,

- Les femmes représentent une population particulièrement vulnérable face à

une diminution des revenus après un diagnostic de cancer,

- La mesure subjective de l’impact de la maladie sur les revenus donne le

constat d’une situation financière plus dégradée que celle déterminée par la

mesure calculée à partir des montants déclarés.

Page 132: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

132

Après les résultats du précédent chapitre, celui-ci apporte un éclairage complémentaire

en mettant notamment en évidence la précarisation de la situation financière de certaines

personnes qui se sont maintenues en situation d’emploi, parmi lesquelles on retrouve plus

particulièrement les femmes et les travailleurs indépendants. Si des éléments de réponse ont pu

être conjecturés pour le cas des indépendants, la disparité homme-femme nous semble devoir

être plus précisément analysée. Pour rappel, le constat a été fait d’un taux de maintien en emploi

plus élevé chez celles-ci et, paradoxalement, également une dégradation de la situation

financière plus fréquente. La complexité de ces différences, augmentée par l’importante

quantité de facteurs de confusion, relatifs par exemple à la maladie, mais également à des

différences socioprofessionnelles, nous a poussés à focaliser la suite de notre recherche sur

l’intérêt d’une analyse spécifique de ces différences de genre. C’est l’objet du chapitre suivant.

Page 133: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

133

Chapitre 6. Valeur heuristique d’une analyse au prisme du genre

La prise en compte du genre défini comme le « sexe social », complémentaire au « sexe

biologique », en tant que facteur de variation dans la recherche en santé des populations n’est

pas récente. Elle a évolué depuis les premiers travaux consacrés à la thématique genre et santé,

qui datent de la fin du XXème siècle. À l’origine, cette préoccupation a été particulièrement

motivée par les revendications féministes qui, outre les différences entre les femmes et les

hommes, avaient mis en lumière la marginalisation de celles-ci dans les travaux de recherche.

Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de militer pour une mise en lumière des difficultés

rencontrées par les femmes mais plutôt de se détacher de l’idée selon laquelle la santé masculine

serait une référence normative implicite et de prendre en compte les spécificités de chacun afin

de mieux décrire les inégalités en santé. Cette nouvelle approche a notamment permis de faire

émerger des inégalités sociales plus marquées chez les hommes en termes de mortalité et de

morbidité (Hunt et Macintyre, 2000). Dans cette recherche, les différences entre les hommes et

les femmes sont nombreuses, à commencer par les différences biologiques qui impliquent des

différences épidémiologiques : certains cancers sont sexués (ils touchent des organes sexués ou

se développent différemment selon le sexe pour des raisons hormonales par exemple). De plus,

des différences d’ordre social ont cours tout au long de l’histoire de la prévention en santé (en

prévention primaire, secondaire, tertiaire et quaternaire). C’est pourquoi, ce chapitre est

consacré à l’analyse spécifique des liens entre genre et santé dans l’étude de l’impact d’un

cancer sur la vie professionnelle, deux sujets (cancer et vie professionnelle) qui, on le verra,

sont empreints de la notion de genre. Une première partie de ce chapitre porte donc sur une

revue de littérature visant à illustrer les liens entre genre et travail d’une part, et genre et cancer

d’autre part, afin d’affirmer l’intérêt d’une approche de type « gender studies » dans les

recherches s’intéressant à la poursuite de la vie professionnelle après un diagnostic de cancer.

Les résultats de l’exploitation de l’enquête VICAN5 seront ensuite présentés et le rôle du genre

sera discuté à l’aune de ces résultats. Sur ce point, il nous faut préciser que la nature des données

de l’enquête VICAN5 restreint notre étude à une approche binaire des rapports de genre selon

un modèle hétéro-spécifique.

Page 134: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

134

6.1. Maladie sexuée et différences de sexe au travail : un effet de genre ?

6.1.1. Genre et travail

« Le principe de payer le même salaire pour le même travail quel que soit le sexe n’a pas

toujours été la norme légale » rappelle Dominique Meurs dans son ouvrage Hommes/Femmes.

Une impossible égalité professionnelle ? (Meurs, 2014). Il a en effet fallu attendre 1951 pour

voir ce principe énoncé pour la première fois dans la convention n° 100 de l’Organisation

internationale du travail (OIT) dans un objectif de lutte contre les discriminations fondées sur

le genre. Aujourd’hui, ce principe est soutenu par l'article 157 du traité sur le fonctionnement

de l’Union européenne (UE) et par la loi française n°2014-873 pour l’égalité entre les femmes

et les hommes. Le genre constitue désormais un critère essentiel dans l’analyse de la vie

professionnelle depuis que celui-ci a été montré comme étant générateur d’inégalités sociales.

Pourtant, d’après l’édition 2018 des tableaux de l’économie française établis par l’Institut

national de la statistique et des études économiques (Insee), des inégalités salariales liées au

genre persistent sur le marché de l’emploi (de Plazoala et Rignols, 2018). Plus précisément,

celle-ci révèle que les femmes perçoivent des revenus professionnels inférieurs de 24 % en

moyenne à ceux des hommes. À caractéristiques professionnelles comparables, l’écart s’élève

à 8 % (Collet et al., 2017). Les facteurs qui expliquaient autrefois ces inégalités ne sont plus

valables aujourd’hui : les femmes sont désormais plus éduquées que les hommes et il n’existe

plus aucun métier strictement réservé à un genre. L’accès différencié aux fonctions les plus

rémunérées est aujourd’hui le principal facteur d’inégalité de genre au travail. Toujours selon

l’Insee, les femmes sont en effet plus souvent en situation de sous-emploi (9,5 % contre

seulement 3,5 % des hommes), celles-ci occupant notamment près de quatre emplois à temps

partiel sur cinq (de Plazoala et Rignols, 2018). De même, elles sont minoritaires parmi les

fonctions d’encadrement. Les femmes ont en effet souvent un accès plus limité aux fonctions

élevées dans la hiérarchie par rapport aux hommes, aussi bien en début de carrière, avec un

accès plus restreint aux promotions (principe du plancher collant), qu’en fin de carrière

puisqu’elles rencontrent de nombreux obstacles dans l’accès à des fonctions à haute

responsabilité (le fameux plafond de verre) (Guionnet et Neveu, 2009; Marry, 2008). Ces

notions de plancher collant et de plafond de verre sont souvent utilisées pour rendre compte

des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes (Alber, 2013; Joseph et

Lemière, 2005; Laufer, 2008, 2003, 2001; Laufer et Fouquet, 2001) : malgré un niveau

d’éducation moyen plus élevé, les femmes représentent 42 % des cadres en France en 2016 (ce

Page 135: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

135

qui traduit néanmoins une progression puisqu’elles représentaient 31 % des cadres en 1995)

(Insee 201864), et seulement 19 % des postes à hautes responsabilités sont occupés par des

femmes en 2015 (Insee 201865). Ainsi, s’intéresser au devenir professionnel de femmes et

d’hommes en France, comme c’est le cas ici après un diagnostic de cancer, nécessite la prise en

compte des spécificités de genre qui préexistent à la maladie.

6.1.2. Genre et cancer

La tenue des assises interdisciplinaires et internationales sur la thématique « cancer et

genre – autour des inégalités sociales de santé » en novembre 2017 est, à notre connaissance,

une première en France et a été suivie de près (quelques jours après) par la journée « recherche

et santé - Sexe et genre dans les recherches en santé : une articulation innovante » organisée par

l’Inserm. Ces journées s’inscrivent dans le cadre d’un intérêt croissant de l’objet cancer en

sciences humaines et sociales et témoignent de la pertinence d’une analyse au prisme du genre

dans les recherches en santé et plus précisément de l’expérience de la maladie de cancer. La

mobilisation de la sociologie du genre est indispensable à la compréhension du cancer en tant

qu’objet social, notamment pour étudier les différents rapports sociaux qui rythment le

quotidien des patients tout au long de l’histoire naturelle du cancer, tels que le rapport aux

comportements de santé, celui aux soins, aux professionnels de santé ou encore le rapport à son

propre corps. Dans son intervention aux assises interdisciplinaires, la philosophe Brigitte

Esteve-Bellebeau définit trois temps dans la maladie : l’annonce, la réparation et la guérison.

C’est au cours de cette deuxième phase, la réparation, qu’elle explique que l’expérience de la

maladie, et plus particulièrement des traitements, conduit les patients à « s’abandonner », « à

disparaître » afin de ne laisser que l’identité médicale. Cette altération se fait dans toutes les

facettes de l’identité et notamment les rapports individuels à sa masculinité ou féminité peuvent

être perturbés par les effets des traitements (chute des cheveux, ablation d’attribut sexué,

stérilité). Sur cette question, des études ont principalement été réalisées auprès de femmes

atteintes d’un cancer du sein. Outre la modification de l’image du corps, la sociologue Anastasia

Meidani montre, à travers la réalisation d’entretiens, comment les rapports de genre peuvent

également être modifiés par le cancer. Elle explique que la « mise entre parenthèse du genre »

évoquée par Brigitte Esteve-Bellebeau transforme l’image de ces femmes et hommes atteints

d’un cancer qu’elle résume ainsi : « des femmes fortes et des hommes affaiblis par la maladie ».

64 https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303378?sommaire=3353488, consulté le 27/05/2019. 65 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381342, consulté le 27/05/2019.

Page 136: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

136

De plus, le cancer, par la fatigabilité et les douleurs qu’il suscite, implique la modification de

la répartition des tâches et des rôles au sein du ménage. Aussi, le cancer semble modifier

certains paradigmes sociaux ce qui justifie l’intérêt d’une analyse genrée.

6.1.3. Quelle place pour le genre dans la relation cancer-travail ?

Le genre est devenu en sciences sociales une variable incontournable dans l’analyse de

phénomènes sociaux. Comme évoqué précédemment, en économie et sociologie du travail, la

division sexuée des tâches, les écarts de salaire entre hommes et femmes, la moindre

qualification des emplois féminins, les phénomènes de plafond de verre et de plancher collant

sont autant de principes fondamentaux à prendre en compte dans l’analyse. Pourtant, s’il semble

aujourd’hui acquis dans le domaine des sciences sociales que le travail a un sexe (Le sexe du

travail, 1984), sa prise en compte dans les recherches n’est pas systématique. L’analyse genrée

des cancers professionnels a récemment permis de montrer que les études scientifiques portaient

jusqu’alors essentiellement sur l’analyse d’emplois à dominance masculine, l’impact des

conditions de travail sur les cancers féminins étant ainsi largement négligé, ce qui aboutissait à

des pratiques de prévention des risques professionnels centrées sur les emplois masculins. Ces

recherches ont ainsi mis en évidence les processus d’invisibilisation des femmes, notamment

dans la reconnaissance de l’origine professionnelle d’un cancer : plus souvent à temps partiel,

celles-ci sont considérées comme moins exposées, et, plus spécifiquement pour les conjointes

collaboratrices, par exemple dans le milieu de l’agriculture, l’exposition n’est pas considérée

comme relevant de l’environnement professionnel (Lippel, 2015; Paiva, 2016, 2012; Zahm et

Blair, 2003). Ainsi la valeur heuristique du genre est-elle importante dans l’analyse du cancer

et ce regard doit être mobilisé dans tout ce qui constitue l’histoire sociale du cancer, y compris

dans l’analyse des conditions de vie après le diagnostic. Elle reste le plus souvent mobilisée

pour expliquer les différences de santé entre les femmes et les hommes par les différences de

statut de chacun dans la sphère domestique et dans la sphère professionnelle, comme c’est le

cas dans l’exemple présenté précédemment mais également dans de nombreuses études (Hunt

et Macintyre, 2000). Mais qu’en est-il de l’impact genré d’une santé altérée sur les indicateurs

socioprofessionnels ou plus largement, sur la vie professionnelle des personnes concernées ? Si

la notion de genre est de plus en plus développée dans la recherche sur l’impact du travail sur

la santé, très peu d’études se sont intéressées à l’intérêt d’une analyse genrée dans l’impact de

la maladie sur la vie professionnelle post-diagnostic. Aussi, comment étudier le maintien en

emploi et la reprise du travail sans porter une attention spécifique aux éventuelles différences

de sexe ?

Page 137: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

137

Si peu de recherches ont spécifiquement porté sur les différences de mécanismes de retour

au travail et de maintien en emploi après un diagnostic de cancer, certaines ont néanmoins

relevé des différences de sexe sur cette question. Par exemple, une étude coréenne a montré que

si le fait d’être une femme augmente le risque de perdre son emploi, être un homme augmente

le risque d’avoir fait l’objet de discrimination et d’un départ forcé (Park et al., 2010). Une revue

internationale a également montré que les hommes ont une probabilité plus grande de reprendre

leur emploi après un diagnostic de cancer par rapport aux femmes (Mehnert, 2011). En ce qui

concerne la littérature française, une enquête sur le rôle du service de santé au travail dans le

retour et le maintien dans l'emploi de salariés atteints de cancer constate une part plus

importante de changement d’entreprise chez les hommes, ce que les auteurs expliquent

notamment par une charge physique plus importante et des déplacements plus fréquents dans

les activités professionnelles masculines. À l’inverse, les femmes ont plus souvent accès aux

dispositifs d’aménagement tels que le temps partiel thérapeutique, la modification des horaires

ou l’aménagement du poste de travail (Fau-Prudhomot et al., 2012). De plus, une étude

comparant la population atteinte de cancer à la population générale en France a observé une

différence genrée des effets défavorables de l’âge, qui conduit plus souvent les hommes de plus

de cinquante ans à une prise de retraite anticipée, ce qui, pour les auteurs, témoigne des

difficultés plus importantes rencontrées par les hommes par rapport aux femmes (Centre

d’études de l’emploi et du travail (France), 2016).

Le recours aux arrêts-maladie semble également différencié : alors que les femmes sont

significativement plus souvent en arrêt-maladie que les hommes un et deux ans après la

survenue du cancer, cette situation s’inverse ensuite, les hommes sont alors significativement

plus souvent en arrêt-maladie quatre et cinq années post-diagnostic (Barnay et al., 2015b). De

plus, d’autres études se sont intéressées aux différences femmes-hommes dans le processus de

retour au travail, et montrent que les hommes reprennent plus vite l’emploi que les femmes avec

38 % des femmes et 53 % des hommes qui sont de retour sur le marché du travail après six

mois. Ce résultat est renforcé lorsque ces personnes sont en couple (Malavolti et al., 2008;

Marino et al., 2013). Si les traitements reçus expliquent une partie de ces écarts, le retour plus

rapide au travail des hommes renverrait également, selon les auteurs, à une plus forte pression

sociale sur le retour au travail (voir Crompton, 1999, pour un modèle du « male breadwinner »).

Ce constat est néanmoins inversé avec l’âge : à un âge avancé, les femmes reprennent plus

souvent et plus vite l’emploi que les hommes (Marino et al., 2013). L’étude spécifique d’une

population de travailleurs indépendants a montré que les hommes ont un risque de cessation

Page 138: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

138

d’activité supérieur aux femmes (Ha-Vinh et al., 2014). Enfin, les résultats présentés dans les

chapitres précédents ont également soulevé des différences entre les hommes et les femmes. Il

a en effet été montré que, si les femmes se maintiennent plus souvent en emploi cinq ans après

un diagnostic de cancer, celles-ci ont également plus fréquemment une précarisation de leur

situation financière. Pour celles et ceux qui ne sont plus en emploi cinq ans après le diagnostic,

les femmes sont plus souvent en situation de chômage tandis que les hommes sont plus souvent

en invalidité (cf. Chapitre 4).

A l’aune de ces différents constats, l’objectif de ce qui suit est d’enrichir les connaissances

sur les différences entre les hommes et les femmes en termes de maintien en emploi cinq ans

après un diagnostic de cancer. Il s’agit d’approfondir les premiers résultats exposés

précédemment en termes de rapport de genre.

6.2. Avoir un cancer et être une femme : un cumul des handicaps au

travail ?

6.2.1. Approche par la théorie de l’intersectionnalité

Les recherches exposées précédemment ont montré que le genre et le cancer sont deux

facteurs qui influencent indépendamment les inégalités sur le marché du travail. Cependant,

lorsqu’ils se combinent, ces facteurs créent une nouvelle identité de femme ou d’homme malade

dans laquelle l’identité masculine et féminine et les rapports de genre associés peuvent être

modifiés. Compte tenu de la revue de littérature présentée ci-dessus, on peut se demander si la

survenue d’un cancer entraînerait une redéfinition des inégalités de genre sur le marché de

l’emploi, et auquel cas, de quelle manière ? Quelles différences entre les femmes et les hommes

pourraient expliquer un maintien en emploi plus fréquent de celles-ci ? C’est à ces questions

que la présente recherche tente d’apporter des éléments de réponse en décrivant la situation

professionnelle de femmes et d’hommes ayant été diagnostiqués d’un cancer.

Dans cette perspective, la théorie de l’intersectionnalité, développée par la professeure de

droit Kimberlé Crenshaw dans le cadre de l’analyse des rapports de dominations et des

inégalités, apporte un éclairage spécifique à notre analyse (Crenshaw, 1991). D’après l’auteure,

les caractéristiques individuelles et/ou sociales ne s’additionnent pas mais se combinent pour

créer de nouvelles identités et donc de nouvelles réalités sociales. Dans l’étude spécifique des

violences faites aux femmes aux Etats-Unis, et notamment celle des violences conjugales,

Page 139: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

139

Crenshaw interroge les catégories globalisantes telles que le genre et la couleur de peau en tant

que groupes identitaires exclusifs. Ainsi, elle identifie la spécificité du combat des femmes

noires, expliquant leur marginalisation face aux combats plus généraux menés par les femmes

blanches d’un côté et par les personnes d’origine africaine ou d’Amérique latine de l’autre.

Cette étude souligne la nécessité de tenir compte à la fois du genre et de la couleur de peau dans

l’analyse des violences conjugales puisque les femmes noires, à l’intersection de deux

caractéristiques sujettes à des discriminations, vivent ces violences différemment des autres

femmes. Une organisation systémique invisibilise les violences subies par ces femmes en ne les

recensant pas statistiquement ; seule une analyse spécifique de ce groupe de personnes a pu

mettre en évidence ce phénomène d’invisibilisation.

C’est alors le point de départ de la théorie de l’intersectionnalité qui fut par la suite

largement reprise dans le monde entier, le plus souvent dans le cadre de recherches féministes

et même militantes féministes. Il nous semble que le cœur de cette théorie tient dans l’extrait

suivant : « Cette focalisation sur les intersections de la race et du genre vise uniquement à mettre

en lumière la nécessité de prendre en compte les multiples sources de l’identité lorsqu’on

réfléchit à la construction de la sphère sociale » (Crenshaw et Bonis, 2005). Il s’agit ainsi

d’interroger les catégories globalisantes afin de faciliter la mise en lumière des difficultés

rencontrées par des groupes spécifiques. Ainsi, la mobilisation de cette théorie dans le cadre de

ce travail de recherche n’a pas une visée militante ni même féministe mais a pour objectif de

rappeler que la population d’étude est constituée de personnes et non pas de cancers66, qui ont

une identité de genre notamment qui, on l’a vu en première partie de cet exposé, est soumise à

des représentations sociales spécifiques, et ce, particulièrement au sein de l’environnement

professionnel.

Appliqué à notre étude, il s’agit donc de comprendre dans quelle mesure être une femme

et avoir été diagnostiquée d’un cancer représentent-ils des handicaps sociaux qui se cumulent

ou au contraire qui se compensent vis-à-vis de la situation professionnelle. La maladie

chronique a-t-elle un effet sur la vie professionnelle différencié selon le genre ? La lutte des

femmes contre la maladie et notamment contre son impact sur leur vie professionnelle est-elle

de même nature que celle des hommes ? Comment l’interaction genre et localisation de cancer

66 Référence aux publicités médiatisées par l’INCa en 2011 : « ‘‘A chaque fois que je me retrouve devant

cancer, je ne sais pas quoi lui dire.’’ ‘‘Je suis une personne, pas un cancer.’’ ; La recherche sur les

cancers avance, changeons de regard ».

Page 140: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

140

se traduit-elle dans le cadre de l’analyse du maintien en emploi ? La catégorie du genre est-elle

suffisante pour traduire les différences sexuées constatées dans le retour au travail post-

diagnostic de cancer ? Les femmes et les hommes atteints de maladie sexuée mènent-ils un

combat différent de leurs homologues atteints d’une tumeur dont la localisation n’est pas

sexuée ?

De ces questions, découlent les hypothèses de recherche suivantes :

- H6.1. Le cancer touchant indifféremment les hommes et les femmes, et impactant plus

particulièrement les activités manuelles et physiques (cf. Chapitre 1), telles que celles

des ouvriers, parmi lesquels les hommes sont plus souvent représentés, impliquerait une

dégradation plus importante de la situation professionnelle des hommes qui se traduirait

par une réduction plus fréquente de leur activité voire une sortie de l’emploi plus

fréquente.

- H6.2. Les différences de statut socioéconomique ont particulièrement été mises en

lumière dans les chapitres précédent, celles-ci devraient être un facteur déterminant à la

fois pour les hommes et pour les femmes pour traduire les difficultés professionnelles

étudiées.

- H6.3. Les localisations cancéreuses sexuées font l’objet d’une attention spécifique dans

la littérature (particulièrement le cancer du sein chez les femmes), il est attendu, du fait

notamment de la longue durée des traitements et des représentations sociales associées

au cancer du sein, que les femmes atteintes d’un cancer sexué diffèrent des autres.

D’un point de vue méthodologique, nous avons mobilisé pour explorer ces hypothèses,

les données recueillies dans le cadre de l’enquête VICAN5. Cette étude est un prolongement

des résultats présentés précédemment qui ont fait émerger des différences entre les hommes et

les femmes. Pour rappel, ces premières analyses concluaient sur un constat paradoxal en

première lecture : à la fois un maintien en emploi plus fréquent des femmes et une plus grande

précarisation de leur situation financière. Il s’agit, dans ce chapitre, d’investiguer plus finement

ces différences femmes-hommes afin de répondre aux hypothèses énoncées ci-dessus. Les

indicateurs utilisés pour mesurer les différences entre les hommes et les femmes sont les

suivants : taux de maintien en emploi cinq ans après le diagnostic, part de réduction du temps

de travail dans les cinq ans suivant le diagnostic, part de cadres supérieurs au moment du

diagnostic et cinq ans après, évolution des écarts de salaire entre ces deux dates et perception

de l’impact de la maladie sur la vie professionnelle. Des modèles de régressions logistiques

Page 141: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

141

stratifiés selon le genre ont également été réalisés afin de tester les éventuelles différences dans

les facteurs associés au maintien en emploi pour chacun des indicateurs.

6.2.2. Résultats de l’enquête VICAN : des disparités femmes-hommes dans

l’évolution de la situation professionnelle.

L’objectif de ce travail est donc de reprendre et d’approfondir les différences femmes-

hommes exposées dans le chapitre précédent, notamment en ce qui concerne le maintien en

situation d’emploi cinq ans après un diagnostic de cancer, et d’explorer le rôle du genre dans

l’aspect sexuellement différencié des facteurs en jeu. Ce travail s’appuie également sur des

analyses secondaires ayant ciblé particulièrement les différences de genre parmi les personnes

diagnostiquées d’un cancer non sexué67 (hors cancers du sein, cancers de l’utérus et cancers de

la prostate) dont l’objectif est de tester la sensibilité des résultats obtenus précédemment et de

souligner la visibilité des différences hommes-femmes.

Recours aux arrêts maladie plus fréquent chez les femmes

A l’instar de travaux issus de la revue de littérature sur l’accès aux arrêts-maladie entre

le diagnostic de cancer et deux ans après (INCa, 2014; Le Corroller-Soriano et al., 2008),

l’analyse des arrêts-maladie au cours des cinq années suivant le diagnostic montre de multiples

différences entre les hommes et les femmes. Premièrement, les femmes ont eu plus

fréquemment recours que les hommes à un arrêt-maladie : 67,0 % des hommes ont perçu des

indemnités journalières pour arrêt-maladie pendant au moins un mois, soit 30 jours consécutifs,

contre 80,5 % des femmes. Cette différence est particulièrement importante pour les cadres

supérieurs, parmi lesquels 41,8 % des hommes n’ont pris aucun arrêt-maladie d’une durée au

moins égale à un mois contre seulement 19,8 % des femmes. Cette différence ayant été observée

en moyenne seulement, il n’est pas possible de conclure sur l’origine de cette différence :

relève-t-elle d’une différence liée au type de cancer ? Si cela ne semble pas être le cas du fait

notamment des écarts de moyenne observés (écarts non significatifs) entre les hommes et les

femmes atteints d’un même cancer, le manque d’effectif d’hommes dans certaines catégories

de localisation de cancer limite considérablement la comparaison statistique. Cette différence

de sexe relève-t-elle d’une différence de choix en termes de carrière professionnelle : par

exemple, les hommes cadres seraient-ils plus réticents à prendre un arrêt-maladie de peur de

67 Cette étude a été soumise pour publication dans un ouvrage collectif Genre et cancer.

Page 142: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

142

compromettre leur carrière, considération moins présente chez les femmes ? Ou relève-t-elle

plutôt d’une différence de choix en termes de charge familiale ? Si ces résultats sont

concordants avec ceux trouvés en population générale (Chaupain et al., 2007), les données ne

nous permettent pas de répondre à ces interrogations. Par ailleurs, parmi ceux qui ont eu au

moins un mois d’arrêt-maladie, les hommes reprennent plus rapidement leur emploi que les

femmes : six mois après le diagnostic 55,6 % des hommes avaient repris le travail contre

seulement 43,8 % des femmes. À un an du diagnostic, l’écart persiste : 74,7 % des hommes

avaient repris le travail contre seulement 63,4 % des femmes. Enfin, être un homme s’est avéré

l’un des facteurs réduisant la probabilité d’avoir eu au moins un arrêt-maladie à la suite du

diagnostic de cancer, toutes choses égales par ailleurs.

Après un diagnostic de cancer, maintien plus fréquent des femmes en emploi : un résultat

des inégalités de genre ?

D’après l’enquête VICAN5, parmi les personnes âgées de 18 à 54 ans au moment du

diagnostic d’un cancer, cinq ans après, les hommes sont en moyenne plus souvent en situation

d’inactivité pour invalidité que les femmes (cf. chapitre 4). Ces dernières sont, quant à elles,

plus fréquemment au chômage. Ce résultat s’explique en partie par un effet d’âge : les personnes

les plus jeunes transitent plus souvent vers du chômage, leur carrière est encore longue, elles

sont donc nombreuses à rechercher un nouvel emploi tandis que les plus âgées transitent plus

souvent vers une situation d’inactivité pour invalidité en attendant d’atteindre l’âge légal de

départ à la retraite par exemple. Les hommes de notre échantillon étant en moyenne plus âgés

que les femmes, il n’est pas surprenant de les retrouver plus souvent en invalidité et, à l’inverse,

de retrouver plus souvent les femmes en situation de chômage. Cependant, les différences d’âge

ne suffisent pas à expliquer ces écarts. En effet, pour les personnes âgées de 50 à 54 ans au

moment du diagnostic (moyenne d’âge d’environ 51 ans pour les femmes et pour les hommes),

la part de femmes au chômage et la part d’hommes en invalidité restent significativement plus

élevées que celles respectives des hommes au chômage et des femmes en invalidité. En outre,

l’écart observé entre les hommes et les femmes en invalidité, au moment de l’enquête, disparaît

dès lors que la population d’analyse est restreinte à ceux ayant déclaré conserver d’importantes

séquelles de la maladie et de sa prise en charge. Pour les autres (hommes et femmes n’ayant

déclaré aucune séquelle ou ayant déclaré conserver des séquelles modérées), l’écart est

statistiquement significatif.

Page 143: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

143

Ainsi, comment expliquer que, dans une société dans laquelle les femmes ont plus

tendance à être écartées de la vie active par divers processus sociaux (Maruani, 2017), cinq ans

après un diagnostic de cancer, celles-ci soient plus souvent en emploi que les hommes ? Ou, à

l’inverse, comment interpréter le sous-emploi constaté des hommes par rapport aux femmes ?

L’enregistrement en inactivité pour invalidité est le plus souvent irréversible et est conditionné

par un état de santé dégradé. Ainsi, comment expliquer une part d’invalidité plus importante

chez les hommes que chez les femmes à état de santé similaire68 ?

Le constat d’un maintien en emploi plus fréquent pour les femmes rappelle celui déjà

énoncé par Marino et ses coauteurs (Marino et al., 2013) selon lequel, à partir d’un certain âge,

les femmes reprennent plus souvent et plus rapidement leur emploi que les hommes. Le système

de compensation sociale (indemnités journalières pour arrêt-maladie ou invalidité) étant un

dispositif destiné à compenser la perte de salaire induite par une réduction de la capacité de

travail résultant d’une maladie ou d’un accident, le montant de la pension versée dépend des

revenus de l’activité professionnelle de l’individu. Or, l’économiste Thomas Barnay montre, à

partir de données issues d’une enquête de l’Insee, que « la dégradation de la santé conduit à

anticiper l’âge de cessation d’activité, après prise en compte des contraintes financières et

familiales » (Barnay, 2008, 2005), et ce, plus particulièrement en cas de cancer pour les

hommes (Barnay et al., 2010). Pour l’auteur, ce résultat concorde avec une volonté déclarée des

personnes ayant subi une dégradation de leur état de santé de quitter plus tôt la vie active

(Barnay, 2008). Compte tenu des inégalités de parcours professionnels entre les femmes et les

hommes en France, il n’est pas surprenant de retrouver ces inégalités en fin de carrière et

notamment dans l’accès à la retraite. Par exemple, des études ont montré que les femmes

perçoivent une pension de retraite moyenne nettement inférieure à celle des hommes et, étant

donné leurs trajectoires professionnelles plus souvent interrompues (études plus longues,

congés maternité, chômage) - impliquant des interruptions également dans leurs cotisations –

ainsi que les différences de rémunération en défaveur des femmes, celles-ci doivent travailler

plus longtemps pour valider le nombre de trimestres nécessaires à l’obtention d’une pension de

68 Ce résultat a été ajusté en fonction des niveaux de séquelles et de comorbidité. Plus

généralement, dans l’étude VICAN5, aucune différence n’a pas pu être observée dans la dégradation de

la qualité de vie physique des femmes et des hommes atteints d’un cancer non-sexué, à l’exception des

personnes atteintes d’un cancer de la thyroïde avec, dans ce dernier cas, un écart observé en défaveur

des femmes.

Page 144: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

144

retraite complète (Bonnet et Hourriez, 2012; Dares, 2015; Lanquetin et al., 2004; Morin et

Remila, 2013; Rosende et Schoeni, 2012).

A la lecture de ces résultats et compte tenu des différences de genre en population

générale sus-explicitées, l’une des hypothèses que l’on peut avancer ici est que le départ vers

l’inactivité moins fréquent chez les femmes serait un résultat des parcours professionnels

différenciés aboutissant à une compensation financière moins importante, voire insuffisante,

pour les femmes qui seraient ainsi plus souvent contraintes à se maintenir actives (en emploi

ou au chômage).

Une deuxième hypothèse serait que les possibilités de reclassement professionnel

s’avéreraient, par la spécificité des secteurs d’activités masculins, plus rares pour les hommes

que pour les femmes, ce qui conduirait plus souvent les premiers à opter pour un départ pour

inaptitude. Cependant, cette hypothèse va à l’encontre des conclusions de Lanquetin, Letablier

et Périvier selon qui, « les cellules de reclassement fonctionnent sur le modèle traditionnel :

l’homme doit impérativement retrouver un emploi, la femme pourra toujours retourner à la

maison, ce que, découragée, elle finit par faire » en complément de leur constat de moindre

accès à la formation des femmes (Lanquetin et al., 2004).

Enfin, une troisième hypothèse tiendrait d’une différence de sexe dans l’auto-désignation

du niveau de santé de chacun. En ce sens, une étude réalisée à partir des enquêtes « Handicaps,

incapacités, dépendances » (HID) montrent qu’« à âge, incapacités, aides et limitation

équivalents, les femmes se déclarent au final 30 % de fois moins souvent handicapées que les

hommes ». Cette différence genrée dans l’« auto-attribution d’un handicap » pourrait-elle

amener les hommes à s’enregistrer plus souvent en invalidité que les femmes ? Ce phénomène

d’auto-attribution est, d’après les auteurs, très lié aux différences de genre dans la

reconnaissance sociale d’une invalidité qui, d’après cette étude, est plus fréquente chez les

hommes que chez les femmes, pour les personnes âgées de 30 ans et plus. Les auteurs ajoutent,

en se basant sur l’enquête « Vie quotidienne et santé » (VQS), que d’une part, à âge fixé, les

femmes font moins de demande d’invalidité et, d’autre part, lorsqu’elles le font, leur demande

est moins souvent acceptée. Ces résultats qui, d’après les auteurs, témoignent d’une « gestion

sociale du handicap différente entre les hommes et les femmes » font écho aux résultats

présentés ci-dessus et soulèvent la question suivante : dans le cas spécifique de la maladie de

cancer, l’invalidité plus fréquente chez les hommes résulterait-elle d’une différenciation genrée

des représentations sociales de la maladie ? Les données disponibles ne nous permettent

Page 145: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

145

malheureusement pas d’aller plus loin sur cette question. Des études supplémentaires pourraient

analyser les différences hommes-femmes dans le recours et l’accès aux dispositifs de

reconnaissance de l’invalidité et plus largement du handicap.

Il est à noter que les différences observées ont été constatées en moyenne. Par exemple,

aucune différence de sexe n’a pu être mise en évidence au sein de chaque catégorie. En effet,

si les hommes de profession intermédiaire et les ouvriers ou agriculteurs salariés au diagnostic

sont plus souvent sortis de l’emploi que leurs homologues féminins, le manque d’effectif dans

ces catégories limite les comparaisons statistiques.

Effets de l’âge et de la situation familiale différents entre les hommes et les femmes : la

distribution de l’offre de travail au sein du couple en question

Contrairement à l’étude réalisée par Halima Bassem et ses coauteurs (Centre d’études de

l’emploi et du travail (France), 2016), l’effet délétère de l’âge sur l’emploi n’a été observé que

pour les femmes, pour lesquelles le risque de ne plus être en emploi cinq ans après un diagnostic

de cancer est plus élevé après 50 ans (tableau 6.1). En analyse descriptive, ce constat portait à

la fois sur les hommes et sur les femmes. C’est seulement l’intégration de la variable « présence

d’enfant(s) à charge », très corrélée à l’âge, qui fait disparaître pour les hommes l’effet de l’âge

sur le maintien en emploi à cinq ans dans une régression logistique. Ce résultat est stable, quelle

que soit la population d’étude (population d’étude complète, ou restreinte à l’échantillon

principal, ou aux personnes atteintes d’un cancer non-sexué). Il semble donc que pour les

hommes, l’âge seul ne soit pas un facteur de sortie d’emploi, il ne l’est que lorsque ces derniers

n’ont plus d’enfant à charge. Sinon, la présence d’enfant(s) à charge est prioritaire dans la

décision de maintien sur le marché de l’emploi.

Les études françaises montrent qu’une fois en couple, les hommes disposent d’une

meilleure « rentabilité » sur le marché du travail (meilleure rémunération et postes plus élevés)

(Insee, 2017; Morin et Remila, 2013) tandis que les femmes sont plus nombreuses dans les

emplois à temps partiels (souvent plus précaires) et ont ainsi plus tendance à réduire leur offre

de travail à la naissance d’un enfant (Allard et al., 2002; Dupray et Nohara, 2013; Lollivier,

2001). Dans notre cas d’analyse, ce n’est pas l’effet d’une naissance qui est étudié mais celui

de la situation familiale (situation matrimoniale et présence d’enfants à charge) dans le contexte

spécifique d’une carrière professionnelle possiblement ébranlée par la survenue d’une maladie

chronique telle que le cancer. Il en résulte que le fait d’être en couple et la présence d’au moins

un enfant à charge ont un effet significatif uniquement chez les hommes, favorisant leur

Page 146: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

146

maintien en emploi. Ceci corrobore les résultats de l’étude de Marino et ses coauteurs qui

avaient montré que les hommes mariés retournaient plus vite au travail que les femmes mariées,

pour qui la probabilité de retourner au travail augmente avec la durée de l’arrêt-maladie (Marino

et al., 2013). Les auteurs expliquent cette différence significative par un écart entre le salaire et

les indemnités de compensation versées pendant l’arrêt-maladie plus grand pour les hommes

que pour les femmes, qui auraient ainsi un intérêt financier moindre à reprendre leur activité.

Au regard de ces différents résultats et des travaux évoqués en introduction du présent

paragraphe, nous pouvons supposer qu’en tant que principaux contributeurs financiers aux

revenus du foyer, les hommes en ménage ayant des enfants à charge sont plus souvent contraints

que les hommes célibataires ou sans enfant à charge de se maintenir en emploi. Cette hypothèse

est appuyée par l’analyse descriptive suivante : quatre hommes sur dix disposent d’un salaire

contribuant au moins à 70 % des revenus du foyer contre moins d’une femme sur quatre. Cet

arbitrage ne semble en revanche pas pertinent pour expliquer le maintien en emploi des femmes

dont plus de la moitié (53,4 %) disposent d’un salaire participant à moins de 50 % des revenus

globaux du ménage (contre seulement 21,7 % des hommes).

Des facteurs de sortie d’emploi au-delà du sexe

En plus des facteurs spécifiques aux femmes et aux hommes, d’autres sont transversaux

aux analyses stratifiées (tableau 6.1). Par exemple, un niveau d’études au moins équivalent au

baccalauréat est un facteur qui s’est avéré systématiquement et significativement en faveur du

maintien en emploi après un diagnostic de cancer, pour les femmes comme pour les hommes,

quelle que soit leur catégorie socioprofessionnelle. De même, les caractéristiques médicales

telles que le type de traitement reçu ou la présence d’épisode(s) d’évolution péjorative ou encore

la présence de séquelles importantes sont des facteurs significativement associés à une sortie

de l’emploi après un diagnostic de cancer, et ce, quel que soit le sexe des individus concernés.

Page 147: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

147

Tableau 6.1. Facteurs associés à la sortie de l’emploi cinq ans après un diagnostic de cancer.

Facteurs associés

Modèle 1.

Ensemble des

personnes en

emploi au

diagnostic

(N=1 887)

Modèle 2.

Ensemble des

personnes en

emploi au

diagnostic

(N=1 887)

Modèle 3.

Femmes

(N=1 406)

Modèle 4.

Hommes

(N=481)

OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%]

Genre

Hommes 1,38 [1,01 ;

1,88]*

Femmes (réf.) 1

Localisation selon le genre

Hommes tout cancer

1,41 [1,01 ;

1,97]*

Femmes cancers

féminins

1

Femmes cancers

communs

1,05

[0,76 ; 1,45]

Âge au diagnostic

18-39 ans 1,17 [0,79 ;

1,71]

1,16 [0,79 ;

1,71]

1,39 [0,90 ;

2,14]

0,50 [0,20 ;

1,30]

40-49 ans (réf.) 1 1 1 1

50-54 ans 1,91 [1,43 ;

2,55]***

1,91 [1,43 ;

2,55]***

2,20 [1,54 ;

3,14]***

1,46 [0,87 ;

2,45]

Niveau d’études au diagnostic

Inférieur au bac 2,35 [1,76 ;

3,13]***

2,34 [1,75 ;

3,12]***

2,51 [1,79 ;

3,54]***

1,96 [1,10 ;

3,49]*

Equivalent ou > au bac 1 1 1 1

Situation conjugale au moment de l’enquête

Couple 0,72 [0,55 ;

0,96]*

0,72 [0,55 ;

0,96]*

0,90 [0,64 ;

1,26]

0,42 [0,25 ;

0,73]**

Seul (réf.) 1 1 1 1

Page 148: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

148

Facteurs associés

Modèle 1.

Ensemble des

personnes en

emploi au

diagnostic

(N=1 887)

Modèle 2.

Ensemble des

personnes en

emploi au

diagnostic

(N=1 887)

Modèle 3.

Femmes

(N=1 406)

Modèle 4.

Hommes

(N=481)

OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%]

Enfant(s) à charge au moment de l’enquête

Oui 0,60 [0,42 ;

0,84]**

0,60 [0,42 ;

0,84]**

0,84 [0,56 ;

1,25]

0,26 [0,12 ;

0,53]***

Non (réf.) 1 1 1 1

Milieu de résidence

Urbain (réf.) 1 1 1 1

Rural 1,05 [0,79 ;

1,40]

1,06 [0,79 ;

1,41]

1,02 [0,72 ;

1,45]

1,21 [0,70 ;

2,07]

Niveau de rémunération du foyer au diagnostic

Elevé 1,39 [0,99 ;

1,94]

1,39 [0,99 ;

1,95]

1,60 [1,06 ;

2,40]*

0,96 [0,51 ;

1,80]

Autre (réf.) 1 1 1 1

Catégorie socioprofessionnelle au diagnostic

Agriculteur indépendant

/ Chef d’entreprise

0,48 [0,19 ;

1,21]

0,48 [0,19 ;

1,21]

0,32 [0,09 ;

1,14]

0,74 [0,18 ;

3,14]

Artisan / Commerçant /

Profession libérale

0,97 [0,56 ;

1,68]

0,99 [0,57 ;

1,71]

1,25 [0,65 ;

2,42]

0,43 [0,15 ;

1,25]

Profession intermédiaire 1,05 [0,70 ;

1,57]

1,05 [0,70 ;

1,58]

1,07 [0,64 ;

1,80]

1,04 [0,49 ;

2,19]

Cadre supérieur (réf.) 1 1 1 1

Employé 1,09 [0,73 ;

1,65]

1,09 [0,73 ;

1,65]

1,15 [0,70 ;

1,88]

1,45 [0,51 ;

4,13]

Ouvrier / agriculteur

salarié

1,19 [0,76 ;

1,85]

1,19 [0,77 ;

1,86]

1,59 [0,85 ;

2,97]

0,89 [0,45 ;

1,76]

Contrat au diagnostic

CDI /Fonctionnaire 1 1 1 1

CDD/ Intérim (réf.) 2,68 [1,85 ;

3,89]***

2,68 [1,85 ;

3,89]***

2,85 [1,89 ;

4,31]***

2,30 [0,87 ;

6,11]

Page 149: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

149

Facteurs associés

Modèle 1.

Ensemble des

personnes en

emploi au

diagnostic

(N=1 887)

Modèle 2.

Ensemble des

personnes en

emploi au

diagnostic

(N=1 887)

Modèle 3.

Femmes

(N=1 406)

Modèle 4.

Hommes

(N=481)

OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%]

Secteur d’emploi au diagnostic

Privé (réf.) 1 1 1 1

Public 0,57 [0,40 ;

0,81]**

0,57 [0,40 ;

0,81]**

0,57 [0,38 ;

0,85]**

0,55 [0,24 ;

1,25]

Expérience dans l’emploi occupé au diagnostic (en années)

Pour une année en plus 0,99 [0,97 ;

1,00]*

0,99 [0,97 ;

1,00]*

0,99 [0,97 ;

1,00]

0,99 [0,96 ;

1,01]

Traitement initial par chimiothérapie

Non (réf.) 1 1 1 1

Oui 1,29 [0,99 ;

1,69]

1,30 [0,99 ;

1,71]

1,33 [0,96 ;

1,83]

1,23 [0,73 ;

2,08]

Évolution péjorative de la maladie depuis le diagnostic

Non (réf.) 1 1 1 1

Oui 2,11 [1,59 ;

2,80]***

2,09 [1,57 ;

2,79]***

1,99 [1,40 ;

2,82]***

2,70 [1,61 ;

4,53]***

Score de comorbidité au diagnostic

Non (réf.) 1 1 1 1

Oui 2,26 [1,58 ;

3,23]***

2,25 [1,57 ;

3,22]***

1,83 [1,19 ;

2,83]**

3,98 [1,98 ;

8,00]***

***p-value < 0,001 ; **p-value < 0,01 ; *p-value < 0,05.

Champ : répondants à l’enquête VICAN5 en emploi au moment du diagnostic (N=1 887).

Note : les hommes ont plus de risque que les femmes (plus 38 %) de ne plus être en emploi à l’enquête.

Analyses : régressions logistiques binomiales non pondérées. Sont présentés ici les odds ratio.

Test : le test LR (test du rapport de vraisemblances), réalisé à partir des estimateurs de vraisemblance

de chaque modèle (-2LL), a permis de confirmer l’écart observé entre les deux sous modèles (modèles

3 et 4) et par là même la pertinence de cette stratification (Test LR = 35,6 - p-value = 0,008).

Page 150: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

150

6.2.3. Des conditions de maintien en emploi différentes selon le sexe :

étude des personnes toujours en emploi à cinq ans du diagnostic

Après un diagnostic de cancer, le temps partiel reste l’apanage des femmes… au détriment

des hommes ?

En France, le travail à temps partiel reste globalement l’apanage des femmes (quatre

emplois à temps partiel sur cinq sont occupés par des femmes) : 30,6 % d’entre elles occupent

un emploi à temps partiel contre seulement 7,7 % des hommes (Insee, 2017). Cette réalité

sociale se retrouve dans notre échantillon d’analyse au moment du diagnostic ainsi que cinq ans

plus tard (bien que la part d’hommes à temps partiel ait largement augmenté entre les deux

dates). Cinq ans après le diagnostic de cancer, les personnes en emploi sont nombreuses à avoir

diminué leur temps de travail. Les femmes, initialement plus souvent à temps partiel, ont plus

fréquemment réduit leur quotité de travail (elles sont 13,9 % contre seulement 9,4 % chez les

hommes), tandis que les hommes ont généralement réduit leur temps réel de travail tout en se

maintenant à temps plein. Les femmes comme les hommes sont généralement satisfaits de leur

modification de temps de travail : seulement 11,2 % versus 14,1 % respectivement ne s’en

disent pas satisfaits et l’écart de proportion n’est pas statistiquement significatif ce qui,

contrairement au constat fait en population générale selon lequel les hommes sont plus

nombreux en proportion à subir leur temps partiel de travail (Pak, 2013), ne révèle aucune

différence entre ces deux groupes en termes de temps de travail subi ou choisi (Maruani, 2011;

Moulin, 2016). Alors que la prévalence de temps partiel chez les femmes est généralement

associée à la présence d’enfant(s) à charge en population générale, cette corrélation n’a pas été

observée ici. Ainsi, la persistance de cet écart entre les hommes et les femmes en ce qui

concerne la mise à temps partiel malgré la survenue de la maladie ne peut s’expliquer

exclusivement par un impact genré de la structure familiale (Laufer, 2014). De plus, cet écart

constaté entre les femmes et les hommes est particulièrement significatif chez les personnes

exerçant une activité d’encadrement au diagnostic : les femmes cadres réduisent plus souvent

leur temps de travail que les hommes cadres. Ajouté au constat selon lequel les hommes ont

significativement moins recours au temps partiel thérapeutique que les femmes69, cela nous

amène à questionner l’acceptabilité du temps partiel masculin sur le marché du travail ; les

hommes sont-ils moins prompts à demander un temps partiel du fait de sa faible prévalence

69 Sur ce point, voir chapitre 7 du présent document ou le chapitre 13 tiré de l’ouvrage collectif La vie

cinq ans après un cancer de l’INCa (2018).

Page 151: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

151

parmi les hommes en population générale ? Les employeurs seraient-ils moins enclins à

proposer ou à accepter une réduction de quotité chez leurs salariés hommes plutôt que chez

leurs salariées femmes ?

Les écarts de PCS et les écarts de salaire entre les hommes et les femmes restent stables :

signe d’un impact indifférencié du cancer ?

Parmi les personnes âgées de 18 à 54 ans au diagnostic en emploi aux deux temps

d’observation, la part de personnes exerçant une profession de cadre supérieur au moment de

l’enquête a légèrement augmenté depuis le diagnostic pour les hommes comme pour les

femmes : 34,7 % pour les premiers (contre 31,4 % au diagnostic) et 16,6 % pour les secondes

(contre 15,6 % au diagnostic). La différence de genre reste significative au seuil de 0,01 %, et

ce, quel que soit le niveau d’études. De même, si l’écart se resserre légèrement, il reste

néanmoins statistiquement différent entre les femmes et les hommes atteints d’un cancer non-

sexué. Cependant, bien que l’augmentation de la part de cadres soit plus marquée pour les

hommes que pour les femmes, celle-ci est faible et n’est pas statistiquement significative. Enfin,

cette catégorie socioprofessionnelle favorise le maintien en emploi aussi bien pour les hommes

que pour les femmes.

Au moment du diagnostic de la maladie, les femmes percevaient un revenu professionnel

mensuel moyen de 1 631 €, contre 2 381 € pour les hommes. Cinq ans après le diagnostic, le

même écart s’observe pour les personnes qui se sont maintenues en emploi : 1 652 € en

moyenne pour les femmes et 2 401 € pour les hommes. Ainsi, la maladie ne semble avoir ni

augmenté ni diminué les écarts de salaire observés entre les hommes et les femmes. Ce résultat

s’observe aussi bien en moyenne (à partir des personnes en emploi au diagnostic et de celles en

emploi cinq ans après séparément) que pour la population en emploi aux deux dates. Une

analyse par la méthode des différences de différences70 après appariement de la population

d’étude sur des caractéristiques socioprofessionnelles ainsi que sur les localisations du cancer

70 Pour cette analyse, la période considérée est le moment du diagnostic (salaires mesurés au diagnostic

et à l’enquête) et le « traitement » est le sexe de l’individu. Ainsi, parmi les personnes en emploi au

diagnostic et à l’enquête, diagnostiquées d’un cancer non-sexué et qui ont été appariées sur des

caractéristiques socioprofessionnelles (soit l’âge, le statut familial, le niveau d’études, le statut

professionnel, la catégorie socioprofessionnelle et l’évolution péjorative de la maladie), la différence

avant-après diagnostic des différences de salaires entre les femmes et les hommes est de 0,060

(p.value=0,515).

Page 152: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

152

confirme la non-significativité de l’écart homme-femme dans l’évolution du salaire entre le

moment diagnostic et de l’enquête.

Par ailleurs, la différence de salaire observée aux deux dates ne semble pas toujours

explicable par des facteurs socioprofessionnels. En effet, la mise en place de la méthode

statistique Blinder-Oaxaca (encadré 6.1) montre que 41,2 % seulement (34,4 % après prise en

compte de l’effet de sélection de la participation au marché du travail) de l’écart observé au

diagnostic est expliqué par les caractéristiques sociodémographiques et professionnelles telles

que l’âge, la situation familiale, l’IDS, le milieu de résidence, le niveau d’études, le type de

contrat de travail, le nombre d’années d’expérience, la catégorie socioprofessionnelle, le secteur

d’emploi et le temps de travail (les écarts sont similaires au moment de l’enquête). En

population française, la part expliquée est de l’ordre de 80 % et de 50 % lorsque la population

d’étude est réduite aux salariés à temps plein (Meurs et Ponthieux, 2000). Le manque de

précision des données disponibles dans l’enquête ne nous permet pas de mesurer précisément

la part de discrimination dans l’écart de salaire entre les femmes, la part expliquée donnée

précédemment étant certainement sous-estimée par ce manque de données. Néanmoins,

l’objectif de ce travail n’est pas de mesurer précisément les différences entre les hommes et les

femmes mais plutôt d’analyser leur potentielle évolution entre le moment du diagnostic et de

l’enquête. Or, les écarts de salaire moyen mesurés au diagnostic et à l’enquête sont très

semblables (respectivement 41,2 % et 39,8 % sans effet de sélection et 34,4 % et 36,2 % avec).

De même, la part expliquée de l’écart salarial est la même entre le diagnostic et l’enquête. Ces

résultats ne nous permettent pas de confirmer ou d’infirmer un impact différencié du cancer sur

le salaire des hommes et des femmes.

Page 153: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

153

Encadré 6.1. Méthode de décomposition de Blinder-Oaxaca (1973) pour expliquer les

différences de salaire entre les femmes et les hommes

D’importants écarts de salaire ont été constatés entre les hommes et les femmes au

moment du diagnostic et cinq ans après. Cependant, comme nous l’avons vu en introduction de

ce chapitre, les différences hommes-femmes sur le marché du travail résultent le plus souvent

de différences professionnelles : la répartition des deux sexes étant différentes selon le secteur

d’activité, le secteur d’emploi, la catégorie socioprofessionnelle etc. Aussi, la méthode de

décomposition proposée à la fois par Blinder (Blinder, 1973) et Oaxaca (Oaxaca, 1973) consiste

à estimer indépendamment les équations de salaire des femmes et des hommes et d’en déduire

la part « expliquée » et la part « inexpliquée » de l’écart. La première étant relative aux

différences sociodémographiques et professionnelles entre les hommes et les femmes et la

seconde étant relative à la seule appartenance à un des deux sexes (ou du moins à des

caractéristiques non observables corrélées au sexe), une fois ces caractéristiques fixées. La part

inexpliquée correspond, lorsque le modèle est bien estimé, à une mesure de la discrimination

liée au genre. Cependant, celle-ci est souvent surestimée par la non-prise en compte de certaines

variables non observées, voire non-observables. La méthode de décomposition de Blinder-

Oaxaca permet d’estimer le niveau de salaire des femmes si elles avaient les mêmes

caractéristiques que les hommes. Ainsi, soit 𝑌𝐻 = 𝛼𝐻 + 𝛽𝐻𝑋 l’équation de salaire des hommes

et 𝑌𝐹 = 𝛼𝐹 + 𝛽𝐹𝑋 l’équation de salaire des femmes, on a :

(𝑋𝐻𝑘 − 𝑋𝐹𝑘

)��𝐻𝑘 comme mesure de l’écart expliqué et

∑ 𝑋𝐹𝑘 𝑘

𝑘=0 (��𝐻𝑘 − ��𝐹𝑘) comme mesure de la contribution des variables à l’écart inexpliqué

(Maillard et Boutchenik, 2018).

Pour prendre en compte les différences d’accès à certaines professions bien spécifiques,

Brown, Moon et Zoloth (Brown et al., 1980) ont proposé d’enrichir la méthode précédente en

intégrant dans la décomposition de l’écart de salaire moyen la ségrégation des emplois par sexe

estimée par la probabilité d’occuper telle ou telle profession (Meng et Meurs, 2001). Cette

méthode n’a néanmoins pas pu être mises en place ici, en intégrant les probabilités d’être dans

une catégorie socioprofessionnelle spécifique, à cause de la taille restreinte de notre échantillon

d’analyse.

Page 154: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

154

Encadré 6.1. Méthode de décomposition de Blinder-Oaxaca (1973) pour expliquer les

différences de salaire entre les femmes et les hommes (suite)

La décomposition de l’écart a été réalisée en aval de la prise en compte de l’effet de

sélection de la participation au marché du travail (Meurs et Ponthieux, 2000). Plusieurs modèles

ont ainsi été testés : a) l’écart de salaire mesuré au diagnostic tenant compte de la probabilité

estimée d’être en emploi à cette date, b) l’écart de salaire mesuré à l’enquête tenant compte de

la probabilité estimée d’être en emploi à cette date, c) l’écart de salaire mesuré au diagnostic

tenant compte de la probabilité estimée d’être en emploi à la fois au diagnostic et à l’enquête,

d) l’écart de salaire mesuré à l’enquête tenant compte de la probabilité estimée d’être en emploi

à la fois au diagnostic et à l’enquête, e) l’écart de salaire mesuré au diagnostic tenant compte

de la probabilité estimée d’être dans le même emploi au diagnostic et à l’enquête, f) l’écart de

salaire mesuré à l’enquête tenant compte de la probabilité estimée d’être dans le même emploi

au diagnostic et à l’enquête, g) l’écart de salaire mesuré au diagnostic sans estimation d’effet

de sélection et h) l’écart de salaire mesuré à l’enquête sans estimation d’effet de sélection. Dans

les modèles concernés, l’estimation de l’effet de sélection (être en emploi) a été réalisée à l’aide

d’un modèle Probit, avec estimation de l’inverse du ratio de Mills intégrée dans l’équation de

salaire selon la méthode de correction en deux étapes d’Heckman (cf. Encadré 5.2), équation

effectuée selon la méthode de Blinder (Blinder, 1973) et Oaxaca (Oaxaca, 1973).

L’éventuelle hétéroscédasticité du modèle a été contrôlée.

Ainsi, le manque de données disponibles et la taille restreinte de notre échantillon d’étude

ne nous permettent ni de confirmer ni d’infirmer l’hypothèse d’un impact différencié de la

maladie sur les femmes et les hommes en termes d’évolution de carrière (évolution de la part

de cadre) ni en termes d’évolution de salaires.

Précarisation générale de la situation des femmes

Dans le chapitre précédent, un des constats exposés fut la précarisation de la situation

financière plus fréquente chez les femmes par rapport aux hommes parmi la population qui se

maintien en emploi. Si une partie de cette différence s’explique par une réduction du temps de

travail plus souvent formalisée chez les femmes (elles ont en effet plus souvent réduit leur

quotité de travail, tandis que les hommes ont généralement réduit leur temps réel de travail tout

en se maintenant à temps plein), elle reste pertinente toutes choses égales par ailleurs. En effet,

parmi les personnes en emploi au diagnostic et cinq ans après, et après ajustement sur

Page 155: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

155

différentes caractéristiques sociodémographiques et professionnelles dont notamment l’âge, la

situation familiale, le niveau d’études, la catégorie socioprofessionnelle et le temps de travail,

les femmes ont une probabilité plus importante que les hommes de voir leurs revenus diminuer

à la suite du diagnostic d’un cancer. De plus, l’effet négatif d’être en couple plutôt que seule

sur la probabilité de connaître une diminution s’est révélé significatif uniquement pour le sous-

échantillon des femmes.

A la lecture d’autres travaux réalisés sur ce sujet, notre hypothèse initiale était contraire

aux résultats obtenus. Les hommes étant les principaux soutiens financiers d’un foyer

(« breadwinner ») et les femmes étant plus impliquées dans les activités domestiques (et

notamment l’activité de soins des membres de la famille) (Fontaine et al., 2007) et étant donné

que l’indicateur utilisé prend en compte les revenus du foyer rapportés a posteriori au niveau

individuel, on aurait pu s’attendre à une précarisation plus importante des hommes malades,

leur activité professionnelle serait en effet impactée ainsi que celle de leur conjointe qui

choisirait de travailler moins pour s’occuper de leur partenaire tandis que dans les foyers avec

une femme malade, seuls les revenus de celles-ci seraient impactés. Cette hypothèse était

soutenue par les travaux réalisés par Syse et ses coauteurs en Norvège (Syse et al., 2009), selon

lesquels les revenus des femmes connaissaient une diminution, que ce soit elles ou leurs

conjoints qui soient atteints d’un cancer, tandis que les revenus des hommes ne diminuaient que

dans le cas où eux-mêmes étaient malades. Cependant, les résultats du présent travail traduisent

à l’inverse une précarisation plus importante des foyers dans lesquelles les femmes sont

atteintes de cancer (sachant qu’aucune information sur la santé du conjoint n’est disponible

dans l’enquête).

Différence de perception selon le sexe

Plus d’une femme sur dix s’étant maintenue en emploi à cinq ans du diagnostic (10,5 %)

a déclaré avoir fait l’objet de rejet ou de discrimination à cause de la maladie de la part de

collègues de travail contre seulement 5,8 % des hommes (p-value < 0,05). De même, les

femmes sont plus nombreuses que leurs homologues masculins à s’être senties pénalisées au

travail à cause de la maladie : respectivement 21,3 % contre 11,5 % (p-value < 0,001).

Financièrement, même constat : plus de trois femmes sur dix (31,1 %) ont déclaré au moment

de l’enquête que la maladie a été à l’origine d’une diminution de leurs revenus du travail contre

22,0 % des hommes (p-value < 0,01). Enfin, 12,0 % des femmes se disent insatisfaites de

l’emploi qu’elles occupent au moment de l’enquête contre 5,9 % des hommes (p-value < 0,001).

Page 156: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

156

Ce résultat est en contradiction avec le constat réalisé en population générale selon lequel les

femmes se déclarent davantage satisfaites que les hommes dans leur emploi (Hauret et

Williams, 2017). Bien que cette insatisfaction des femmes ne soit pas associée à leur

changement d’emploi (p-value = 0,988), elle s’est avérée positivement corrélée à une réduction

du temps de travail d’au moins quatre heures (p-value < 0,05) et à une mise à temps partiel (p-

value < 0,01). De même, 30,1 % des femmes ayant réduit leur temps de travail au cours des

cinq années suivant le diagnostic ont déclaré au moment de l’enquête avoir été pénalisées au

travail contre 17,4 % de celles n’ayant pas réduit leur temps de travail (p-value < 0,001).

Ces résultats contrastés entre les hommes et les femmes sont d’autant plus marquants

qu’ils ne peuvent s’expliquer par la catégorie socioprofessionnelle occupée au diagnostic

(aucune différence n’a été observée en termes de discrimination ou de pénalisation perçue entre

les personnes exerçant une activité d’encadrement ou d’exécution au diagnostic). Il est

néanmoins difficile de conclure à une causalité directe entre la baisse du temps de travail et le

sentiment de pénalisation. En effet, ne disposant d’aucun repère temporel précis, ce sentiment

peut être l’objet d’une rationalisation individuelle a posteriori (Paraponaris et al., 2010). Ces

résultats sont analogues à ceux de Paraponaris et ses coauteurs qui montrent, dans leur étude

sur le maintien en emploi deux ans après un diagnostic de cancer, que la mesure de l’impact de

la discrimination perçue au travail était différente pour les femmes et pour les hommes. D’après

leurs analyses, le sentiment de discrimination serait endogène pour expliquer la sortie de

l’emploi pour les femmes uniquement : la simultanéité des causes (si la discrimination subie a

pu causer la sortie de l’emploi, cette dernière peut également être à l’origine d’un sentiment de

discrimination) constitue un biais dans le calcul des estimateurs. Cependant, l’étude VICAN

nous permet, par la nature longitudinale de l’échantillon principal, de contourner ce problème

d’endogénéité. En effet, l’analyse spécifique de cet échantillon de personnes ayant répondu aux

deux enquêtes réalisées à une distance de deux ans et cinq ans du diagnostic, permet de pallier

cette difficulté méthodologique. Les résultats montrent que les personnes ayant déclaré s’être

sentie pénalisée au travail deux ans après le diagnostic sont plus nombreuses à avoir diminué

leur temps de travail cinq ans après le diagnostic, ce résultat n’étant significatif que pour les

femmes. Cependant, la non-significativité des tests réalisés pour la sous-population des

hommes est nécessairement liée au moins en partie aux très faibles effectifs d’hommes ayant

déclaré avoir été pénalisés.

Page 157: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

157

6.3. Spécificité des femmes atteintes d’un cancer du sein

6.3.1. Le cancer du sein aurait un impact spécifique sur la vie

professionnelle

Les femmes atteintes d’un cancer du sein représentant 55,6 % de notre échantillon, une

analyse de sensibilité excluant celles-ci a été réalisée afin, d’une part, de tester la robustesse de

nos principaux résultats exposés précédemment et, d’autre part, de mettre en application la

théorie de l’intersectionnalité : les femmes atteintes de cancer ont-elles toutes les mêmes

difficultés dans leur vie professionnelle, quel que soit le cancer ? C’est donc l’hypothèse H6.3

qui est testée ici.

Ainsi, des différences significatives ont été observées entre les femmes atteintes d’un

cancer du sein et les autres femmes de la population d’étude. Des corrélations observées jusqu’à

présent ne se sont plus révélées significatives : aucune différence n’a été observée entre les

hommes et les femmes en ce qui concerne la diminution de temps de travail (ni en quotité, ni

en heures réelles travaillées). La situation vis-à-vis du changement d’emploi s’inverse : parmi

les personnes atteintes d’un cancer non-sexué, les hommes sont plus nombreux que les femmes

à avoir changé d’emploi. En revanche, à l’instar des travaux réalisés par Ben Halima et al.

(2016), aucune différence n’a été observée entre les deux groupes de femmes en termes de

maintien en emploi et de transition professionnelle. Enfin, des différences significatives ont été

observées vis-à-vis de la perception d’avoir été discriminé ou rejeté par des collègues de travail,

de s’être senti pénalisé au travail à cause du cancer ou encore que la maladie ait été à l’origine

d’une diminution des revenus du travail : les femmes atteintes d’un cancer du sein sont

spécifiquement plus susceptibles d’avoir perçu un impact négatif de la maladie sur leur vie

professionnelle par rapport aux autres femmes qui elles, ne se distinguent pas des hommes sur

ce point.

Ce dernier résultat met en lumière une spécificité du cas des femmes atteintes d’un cancer

du sein qui ne semble pas s’expliquer à partir d’indicateur de gravité de la maladie, mais

tiendrait plus de la réalité sociale de cette pathologie. Cette étude soulève ainsi la nécessité de

prendre en compte la pluralité des cancers, en plus de leur niveau de gravité estimé, pour

analyser la vie professionnelle post-diagnostic. Si elle reste indispensable à l’étude d’une

certaine réalité sociale, la catégorie « femme » ne semble en l’occurrence pas suffisante pour

rendre compte des difficultés rencontrées par les personnes dans le retour au travail et le

maintien en emploi après un diagnostic de cancer.

Page 158: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

158

6.4. Synthèse des résultats et conclusion

Les références des productions scientifiques relatives à cette étude sont les suivantes :

- Alleaume C, Peretti-Watel P. Maintien en emploi après un diagnostic de cancer ;

l’intérêt d’une analyse au prisme du genre. Cancer et Genre (soumis, ouvrage collectif).

- Congrès International des Sociologues de Langue Française 2016. Alleaume C,

Bouhnik A-D, Bendiane M-K, Rey D, Davin B, Seror V et Peretti-Watel P. Inégalités

de genre sur le marché du travail en France : quand la maladie s’en mêle (communication

orale).

- Seminar of the European Trade Institute 2017. Alleaume C, Bouhnik A-D, Bendiane

M-K, Rey D, Davin B, Seror V and Peretti-Watel P. Gender inequality on employment

in France: when cancer interferes. First results from the French VICAN Surveys

(communication orale invitee).

- Assises du Cancer et du Genre 2017. Alleaume C, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P.

Conditions de vie après un diagnostic de cancer : quelle place au genre ?

(communication orale).

Les principaux points à retenir dans ce chapitre sont :

- De nombreuses différences femmes-hommes ont été mises en évidence en ce

qui concerne la situation professionnelle post-diagnostic de cancer. Ainsi, à âge,

niveau d’études et catégories socioprofessionnelles contrôlées, les différences

suivantes ont été observées : recours aux arrêts-maladie plus fréquent chez les

femmes, reprise de l’activité professionnelle plus rapide chez les hommes, une

situation familiale particulièrement importante pour expliquer le maintien en

emploi des hommes seulement, les hommes sont plus nombreux que les femmes

à avoir changé d’emploi et enfin, parmi ceux qui ne sont plus en emploi à

l’enquête, les hommes sont plus souvent en invalidité et les femmes sont plus

souvent au chômage.

- Si les femmes se sont plus souvent maintenues en emploi, elles ont

paradoxalement plus souvent connu des difficultés financières.

- Les femmes atteintes d’un cancer du sein se distinguent des autres : elles ont

plus souvent perçu un impact négatif du cancer sur leur vie professionnelle par

rapport aux autres et ont plus souvent changé d’emploi à la suite du diagnostic.

Page 159: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

159

En conclusion de ce chapitre, la notion de « genre » s’avère heuristiquement féconde pour

l’analyse du retour au travail et du maintien en emploi après un diagnostic de cancer, en ce sens

qu’elle permet de mieux appréhender les différences de sexe au-delà d’un rapport inégalitaire.

Nous avons par exemple montré que si certains facteurs, notamment de nature médicale,

influaient de la même manière la sortie de l’emploi pour les femmes et les hommes atteints de

cancer, d’autres sont plus spécifiques. Par exemple, l’âge semble un facteur pertinent pour

expliquer la probabilité de sortie de l’emploi des femmes alors que celui-ci sera évincé au profit

de l’éventuelle présence d’enfant(s) à charge, qui semble être un déterminant plus important

pour les hommes seulement. Ce résultat plaide en faveur des identités intersectionnelles : la

probabilité de se maintenir en emploi pour une femme âgée de plus de 50 ans ne résulte pas de

la simple addition des effets associés au fait d’être une femme d’une part et d’avoir plus de

50 ans d’autre part, mais d’une combinaison de ces facteurs.

De plus, les différences de situations des personnes sorties de l’emploi (chômage chez les

femmes et invalidité chez les hommes) semblent traduire des réalités sociales différentes vécues

par chacun des deux sexes du fait de leur appartenance sociale à un genre. Enfin, la spécificité

des femmes atteintes d’un cancer du sein, en particulier vis-à-vis de l’impact négatif perçu de

la maladie sur la vie professionnelle, interroge sur les origines de cette spécificité : est-ce la

longueur des traitements qui impliquent des arrêts de travail plus longs et ainsi un impact sur la

vie professionnelle plus important ? Sont-ce plutôt les représentations sociales associées à

l’atteinte d’un organe sexué et de ce fait à l’atteinte de la féminité pour certaines qui altèrent

ainsi les relations professionnelles ? L’absence de données spécifiques et la faible

représentation de certaines catégories (des hommes notamment mais aussi des femmes atteintes

d’un cancer du col de l’utérus par exemple) limitent notre recherche et ne permettent pas de

répondre aux nouvelles interrogations ainsi posées en cette fin de chapitre. De même, comme

cela a été dit en début de chapitre, notre analyse s’est restreinte à une approche binaire de la

notion de genre, notamment du fait de la nature de nos données. Ce chapitre aura néanmoins

permis de mettre en exergue la complexité des différences de sexe en termes d’évolution de la

situation professionnelle, au regard de la notion de genre. Complémentaire aux précédents, il

contribue à présenter les situations de vulnérabilités face au retour au travail et maintien en

emploi après un diagnostic de cancer.

Page 160: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

160

Conclusion de la Partie 2 : de l’intérêt de l’analyse de la vulnérabilité

Le terme « vulnérable » est souvent revenu au fil de cette deuxième partie. Couramment

employé dans la littérature, nous nous le sommes approprié pour évoquer les difficultés accrues

rencontrées par les populations disposant des caractéristiques les moins favorables sur le

marché du travail. Cette « vulnérabilité » s’est avérée particulièrement associée à un impact

plus important de la maladie sur les trajectoires professionnelles. Mais de quoi parle-t-on

lorsqu’on emploie ce vocable ?

Identification des populations à risque

D’après les définitions consensuelles, la vulnérabilité tiendrait d’une inconscience du

risque ou d’une incapacité à y faire face. Lors du séminaire « Santé dégradée – Santé négociée :

le travail en question ? » organisé par le Laboratoire interdisciplinaire de sociologie

économique (Lise) du CNAM en décembre 2016, la notion de « vulnérabilité humaine » se

place au cœur de la journée de conférences et de débats portant sur la question de l’activité

professionnelle avec une « santé altérée » (accident ou maladie chronique). La psychologue du

travail Dominique Lhuilier reprend la définition donnée auparavant, qui attribue à la

vulnérabilité la notion de « réduction des capacités à faire face [aux risques] » et ajoute que sa

mesure conduirait alors à « évaluer le capital d’adaptation face au risque ou face aux contraintes

de l’environnement » de chaque individu. Or, justement, dans cette « société du risque », il

apparaît nécessaire de « détecter et d’accompagner les populations à risque ». « Détecter »,

identifier, c’est ce que nous nous sommes attachés à faire dans la deuxième partie de cette

recherche.

Synthèse des principaux résultats

Si les populations à risque de cancer en fonction de l’emploi occupé ont largement été

documentées dans la littérature scientifique, les recherches portant sur l’identification des

populations à risque d’une détérioration de leur vie professionnelle à la suite d’un cancer sont

plus récentes et moins nombreuses dans le contexte français. Ainsi, les trois chapitres de cette

deuxième partie répondent à nos trois hypothèses de départ, présentées dans le chapitre 2.

Page 161: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

161

Pour rappel, la première était formulée ainsi : la dégradation professionnelle constatée

deux ans après le diagnostic de la maladie témoigne d’une situation durablement impactée,

l’observation de la situation cinq ans après le diagnostic devrait donc montrer un niveau

semblable, voire plus élevé, de vie professionnelle dégradée. En effet, les deux premiers

chapitres montrent que les difficultés professionnelles constatées à deux ans du diagnostic ont,

dans la majeure partie, perduré trois ans plus tard. Il semblerait ainsi que l’impact du cancer sur

la vie professionnelle puisse survenir à moyen terme. Ceci peut s’expliquer notamment par les

temporalités des différentes phases de protection sociale ; l’arrêt-maladie, par exemple, peut

durer jusqu’à trois ans, à la suite duquel une pension d’invalidité est proposée si la personne ne

souhaite pas ou n’est pas dans la capacité de reprendre une activité professionnelle. Cette

trajectoire décrit une sortie de l’activité trois années après le diagnostic de la maladie et explique

en partie les taux d’activité et d’emploi plus faibles dans VICAN5 par rapport à VICAN2

(INCa, 2014).

De plus, ces trois chapitres apportent un nouvel éclairage en ce qui concerne les personnes

vulnérables sur le plan professionnel face à un diagnostic de cancer et répondent ainsi à la

deuxième hypothèse. Celle-ci supposait que les personnes pour lesquelles la vie professionnelle

a été la plus impactée négativement sont celles ayant les caractéristiques socioéconomiques les

plus défavorables avant le diagnostic. En effet, les plus âgés sur le marché du travail, les

personnes ayant un contrat précaire au moment du diagnostic, les travailleurs indépendants et

les personnes qui conservent le plus de séquelles de la maladie (douleurs, fatigue, scores de

qualité de vie physique et mentale faibles) sont des populations particulièrement exposées à une

dégradation de leur situation professionnelle à la suite d’un diagnostic de cancer, dégradation

que nous avons identifiée par une sortie de l’emploi mais aussi par une précarisation de celui-

ci entre le diagnostic et l’enquête. En ce qui concerne les différences femmes-hommes, le

chapitre 6 a montré l’apport heuristique d’une approche par le genre et a souligné la complexité

des interprétations possibles.

Cette complexité illustre l’insuffisance du taux de retour au travail comme seul critère

d’une dégradation de la vie professionnelle, ce qui nous amène à la quatrième hypothèse. Celle-

ci présumait que le taux de retour au travail ou de maintien en emploi n’est pas suffisant pour

caractériser la dégradation de la vie professionnelle, la mise en inactivité pouvant être

souhaitée et ainsi témoigner d’une situation jugée favorable. Si, au premier abord, les femmes

semblent se trouver dans une situation plus favorisée avec un taux de maintien plus élevé en

emploi et un meilleur accès aux dispositifs de retour au travail, leur précarisation financière

Page 162: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

162

plus fréquente interroge sur le processus de maintien en emploi. De nombreuses différences

entre les femmes et les hommes ont été mises en évidence dans ce chapitre, celles-ci témoignant

de la complexité de l’analyse liée à son aspect multidimensionnel. De même, le chapitre 5 a

souligné l’intérêt de considérer l’évolution de la situation financière en parallèle de la trajectoire

professionnelle, montrant notamment que les travailleurs indépendants, bien que plus souvent

en emploi, présentaient également plus souvent une dégradation de leur revenu du travail, signe

d’une dégradation de la vie professionnelle.

Limites de ces études

Avant la poursuite de l’analyse des principaux résultats de cette Partie 2, il nous faut en

considérer les principales limites. La première tient dans le design de l’enquête VICAN5,

utilisée dans ces trois chapitres. Ayant pour objectif de documenter sur les conditions de vie

deux (pour l’échantillon principal uniquement) et cinq ans après un diagnostic de cancer, la

population cible fut restreinte aux individus atteints d’un cancer et toujours en vie cinq années

après le diagnostic. Ainsi, les caractéristiques des personnes décédées dans cet intervalle n’ont

pas été prises en compte dans cette recherche. Or, considérant la corrélation entre certaines

caractéristiques socioéconomiques et la survie après un cancer (Woods et al., 2006), certaines

de ces caractéristiques pourraient être sous-représentées dans notre population d’étude

(Paraponaris et al., 2010). Néanmoins, celle-ci demeure représentative des personnes

diagnostiquées d’un cancer entre 2010 et 2011 et en vie cinq ans après.

Une deuxième limite qu’il nous semble important de présenter ici est l’absence, dans nos

analyses, de « population contrefactuelle », c’est-à-dire d’une population comparable à notre

population d’étude sur le plan des caractéristiques socioprofessionnelles, mais n’ayant pas

connu de diagnostic de cancer. Il nous est de ce fait impossible dans cette recherche d’imputer

la dégradation professionnelle constatée au seul fait du cancer. En effet, comment affirmer que

la population générale n’a pas connu pareil constat en l’absence de données longitudinales

adaptées ? Il n’existait, au moment de ces analyses71, aucune enquête en population générale

dont la vie professionnelle avait été observée sur une période de cinq années (les enquêtes

emploi de l’Insee suivant seulement sur deux ans une même population). Ainsi, lorsque nous

affirmons dans le chapitre 4 que la situation professionnelle est particulièrement dégradée pour

71 La réalisation d’une telle enquête a vu le jour depuis mais la mise à disposition des données ne fut pas

compatible avec le calendrier de réalisation de la présente recherche.

Page 163: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

163

les populations les plus vulnérables initialement, telles celles ayant un faible niveau d’études,

nous pourrions supposer qu’en fin de carrière, un accroissement des inégalités professionnelles

se produise en population générale, dû notamment à une sortie de l’emploi plus courante chez

ces populations. De même, il est probable qu’en population française, une partie de la

population (non-atteinte de cancer) ait connu une précarisation de sa situation financière au

cours de la même période que celle observée dans le chapitre 5. Cependant, nous faisons

l’hypothèse qu’en l’absence d’un diagnostic d’une maladie grave comme le cancer, la vie

professionnelle des personnes ayant des caractéristiques semblables à celles de notre population

d’étude (majoritairement avancée dans la carrière) n’a pas été particulièrement perturbée. Cette

hypothèse est étayée par les constats réalisés par l’Insee en population française métropolitaine,

selon lesquels les taux d’activité, d’emploi et de chômage sont restés en moyenne relativement

stables entre 2010 et 2015 (de Plazoala et Rignols, 2017). Plus précisément, le taux d’emploi a

augmenté chez les seniors (hommes et femmes âgés entre 55 et 59 ans) tandis qu’il s’agit de la

population la plus impactée dans nos résultats. De plus, dans cette recherche, la majorité des

individus sortis de l’emploi est, au moment de l’enquête, en situation d’inactivité pour

invalidité, ce qui est moins fréquent en population générale. Enfin, la part d’emploi à temps

partiel n’a que très peu évolué en population française entre 2010 et 2015 (de Plazoala et

Rignols, 2017).

S’il nous semble nécessaire de garder ces points à l’esprit afin de ne pas surinterpréter

nos résultats, ces derniers n’en demeurent pas moins pertinents sous l’angle de la présente

recherche et, plus précisément, de cette deuxième partie, visant à caractériser les populations

les plus vulnérables face à une dégradation de la situation professionnelle après un diagnostic

de cancer.

La maladie révèle les vulnérabilités

Outre la catégorie socioprofessionnelle dont les analyses tiennent compte, le niveau

d’études est une information qui reste significativement pertinente pour expliquer le maintien

en emploi cinq ans après un diagnostic de cancer. Considérant qu’en moyenne le cancer est une

maladie qui survient à un âge plutôt avancé (moyenne globale à 65 ans, INCa ; moyenne de

notre échantillon restreint à 45 ans), la personne concernée se trouve généralement dans une

situation professionnelle pouvant être caractérisée de stable (majorité de contrat à durée

indéterminée et expérience dans l’emploi occupé). Aussi, le niveau d’études serait davantage

un reflet du statut social de l’individu. Le cancer aurait ainsi pour effet d’accentuer les inégalités

Page 164: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

164

entre les groupes sociaux, en révélant la vulnérabilité de leur situation. Des études ont montré

par exemple que les personnes aux statuts socioéconomiques les plus modestes sont moins

promptes à s’impliquer dans leur parcours de soins (Boveldt et al., 2014; Mancini, 2018; Muscat

et al., 2016), ayant souvent une connaissance limitée de leurs droits. On peut dès lors supposer

que ces personnes ont moins connaissance des dispositifs auxquels elles pourraient prétendre

pour favoriser leur maintien en emploi. Par ailleurs, de nombreuses études mettent en lumière

l’employabilité réduite des personnes ayant un faible niveau d’études et, a fortiori, de diplôme

(Konle-Seidl, 2017; Prouet et Rousselon, 2018; Rhun et Pollet, 2011). Ajoutée à un risque plus

important de sortir de l’emploi, la perspective d’avoir moins de chances d’en retrouver un au

même niveau de qualification constitue une « double-peine » qui accentue la vulnérabilité des

personnes peu diplômées. Enfin, les difficultés rencontrées par les personnes de plus de 50 ans

pour retrouver un emploi sont une contrainte qui s’ajoute à celle sus-évoquée. Ainsi, outre les

conséquences négatives de la maladie sur l’emploi, le cancer semble révéler des inégalités

sociales préexistantes dont l’impact avait été jusqu’alors contenu par la performance et

l’expérience professionnelle.

De l’assistance à l’accompagnement

Dans son intervention au séminaire « Santé dégradée – Santé négociée : le travail en

question ? » évoqué précédemment, le philosophe Guillaume Leblanc revient sur les différents

« âges » de l’approche de la question sociale de la vulnérabilité. Tandis qu’au XIXème siècle,

la question était abordée principalement sous l’angle de l’assistance aux personnes vulnérables

(avec notamment la mise en place d’un service national de médecine gratuite pour les indigents

à la fin du siècle), au XXème siècle, se sont largement développés des systèmes d‘assurance

visant majoritairement à prévenir la situation de fragilité. Ainsi, la conceptualisation de la

vulnérabilité était jusqu’alors largement influencé par les positions d’Auguste Comte et de

Claude Bernard, qui se sont appliqués à définir le normal pour le premier et le pathologique

pour le second. Ces visions complémentaires impliquent ainsi que le pathologique est une

modification du normal (état de référence auquel il faudrait revenir) et doit ainsi être

« maîtrisé » et « corrigé ». Aujourd’hui, en revanche, l’approche de la vulnérabilité rejoint

davantage la vision développée par Canguilhem (1966), qui ne définit plus le pathologique

selon une modification quantifiable de l’état normal mais comme un état différent, disposant

d’une normativité qui lui est propre. Dès lors, une personne vulnérable n’est plus seulement une

personne fragile, se définissant strictement par son « caractère déficitaire », ayant vu sa santé

Page 165: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

165

altérée, mais dispose également d’un « caractère capacitaire » ; être vulnérable, c’est avoir la

capacité de se sortir d’une situation de fragilité. Le « Nouvel âge » est alors à

l’accompagnement des personnes vulnérables. Cette vision influence grandement notre

approche des conditions de vie.

Par ailleurs, pour la psychologue du travail Lhuilier, malgré un caractère capacitaire

reconnu, la notion de vulnérabilité apparaît encore, d’une part, comme un « critère distinctif »

visant à différencier la personne apte de la personne fragile, renforçant ainsi les rapports de

dominations, et, d’autre part, comme un « principe explicatif » visant à mettre en cause et à

responsabiliser l’individu vulnérable.

Dans ce contexte, comment les individus usent-ils de leurs capacités pour aborder leur

reprise ou leur maintien d’activité et leur maintien en emploi ? En quoi peut consister leur

« caractère capacitaire » et quelle est la place du risque de stigmatisation ? Plus précisément,

quelles sont les ressources dont ils disposent et quels sont les enjeux de leur mobilisation ?

Comment les individus envisagent-ils en ce sens la reprise de l’emploi (lorsqu’ils sont en arrêt-

maladie notamment), et comment prennent-ils (ou non) leur décision ? Ce sera l’objet de la

partie suivante. Pour cela, la Partie 3 ciblera la réflexion sur l’individu, ses ressources et ses

contraintes. La maladie semble en effet révéler les vulnérabilités individuelles, comme si la

lumière était tout à coup pointée sur ces caractéristiques individuelles et sociales, déterminantes

des ressources individuelles et des capacités de chacun à affronter un événement traumatique

(altérant la santé) comme peut l’être un diagnostic de cancer.

Page 166: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

166

Partie 3. Levier de la reprise de l’activité

professionnelle après un diagnostic de cancer :

analyse d’un processus biographique

D’après les résultats de l’enquête VICAN5 présentés dans la partie précédente de cette

recherche, plus de la moitié (54,1 %) des personnes en emploi au diagnostic a connu une

modification de sa situation professionnelle que ce soit en termes de sortie de l’emploi, de

changement d’emploi ou encore de réduction du temps de travail. Si des facteurs individuels,

socioprofessionnels et médicaux de ces changements ont pu être mis en évidence montrant

notamment le caractère cumulatif de la charge cancer aux vulnérabilités professionnelles, ce

type de matériau ne nous permet pas de comprendre plus finement le cheminement des

individus ayant abouti à ces changements d’ordre professionnel. De même, l’observation d’une

situation continue (maintien dans le même en emploi, avec le même temps de travail) ne permet

pas de conclure à l’absence de changement et a fortiori à l’absence de bifurcation. En effet, une

réduction de l’implication au travail n’est pas toujours mesurable alors qu’elle pourrait être le

signe d’un impact de la maladie sur le rapport au travail ou sur le changement de priorités,

témoin de l’existence d’une bifurcation professionnelle.

Ainsi, cette troisième partie a pour objectif principal de compléter les résultats précédents

en investiguant les ressources individuelles et d’explorer plus finement les angles morts

soulignés dans la partie précédente afin de comprendre comment le cancer peut entraîner de

telles divergences dans les trajectoires professionnelles post-diagnostic et, plus précisément,

d’analyser ce qui se joue en amont de ces transitions. Pour cela, le chapitre 7, analysera les

moyens mobilisables pour favoriser le maintien en emploi des individus puis le chapitre 8

proposera un modèle théorique synthétisant les différents éléments en jeu dans le processus de

retour au travail et de maintien emploi post-diagnostic de cancer, modèle qui sera, dans un

dernier chapitre, le chapitre 9, illustré au regard de l’analyse des données recueillies lors de

l’enquête qualitative CAREMAJOB.

Page 167: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

167

Chapitre 7. Les leviers du maintien en emploi après un diagnostic

de cancer

L’objectif de ce chapitre est d’analyser les leviers du maintien en emploi après un diagnostic

de cancer. Pour cela, nous recensons dans un premier temps les ressources identifiées par la

littérature et celles proposées par les pouvoirs publics afin de contextualiser notre recherche au

regard de celles existantes ou expérimentées. En deuxième point, nous proposons de poser la

focale sur les dispositifs d’aménagement du travail recommandés par les autorités françaises,

étudiant les modalités de recours ainsi que leurs effets sur le maintien en emploi. Enfin, des

initiatives locales et nationales sont présentées afin d’alimenter la réflexion sur les leviers à

mobiliser pour faciliter la poursuite de la vie professionnelle. Nous verrons dans quelle mesure

celles-ci peuvent être complémentaires aux ressources disponibles.

7.1. Résultats de recherches interventionnelles et dispositifs disponibles en

France : état des lieux des ressources pour favoriser le maintien en

emploi

7.1.1. Interventions en faveur du maintien en emploi : revue de littérature

Le constat des difficultés rencontrées par les personnes atteintes de cancer s’agissant de

leur situation professionnelle a conduit des équipes de recherche à explorer les interventions

qui pourraient être mises en place pour pallier ces difficultés. Des revues internationales ont

recensé les études sur ce sujet. La première revue (Tamminga et al., 2010) identifie les

interventions selon le modèle proposé par la Classification internationale du fonctionnement et

du handicap (CIH) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2001), qui distingue les

interventions visant à améliorer la structure et le fonctionnement du corps par la pratique

d’activités physiques notamment, celles ciblées sur les facteurs environnementaux, telles que

des heures de travail réduites permettant un retour progressif à l’emploi, une formation

professionnelle ou encore un échange entre un professionnel de santé et l’employeur pour

optimiser les conditions du retour en emploi, et enfin les interventions centrées sur des facteurs

personnels, telles que les mesures d’encouragement, d’information, de conseils ou encore de

discussions thématiques en groupe.

Page 168: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

168

Une deuxième revue (de Boer et al., 2015, 2011) propose une autre classification fondée

non plus sur les conditions d’implantation (sur qui ou quoi l’intervention est menée) mais sur

le domaine d’application. Les interventions peuvent être psycho-éducatives (telles que les

activités de conseils, d’éducation, d’enseignement de technique d’adaptation et de solution de

problème réalisées par des professionnels qualifiés), professionnelles (pouvant cibler le salarié,

comme des actions de coaching professionnel ou de réadaptation, mais également

l’environnement de travail telles que les aménagements du travail, ou encore des actions visant

à améliorer la communication entre ou avec les collègues, les supérieurs et les professionnels

de santé), physiques (programmes d’activités physiques et/ou de rééducation de certaines

fonctions physiques), médicales ou pharmacologiques (interventions médicales et/ou

médicamenteuses), et enfin multidisciplinaires (combinant des interventions psycho-

éducatives, professionnelles, physiques et médicales).

En termes de résultats, seules les interventions multidisciplinaires, focalisées au niveau

individuel selon la première classification et combinant des approches psycho-éducatives,

professionnelles, physiques et médicales pour la seconde, semblent avoir montré leur efficacité

sur le retour au travail, celle-ci se traduisant principalement par un taux de retour au travail

supérieur par rapport aux individus ayant eu une prise en charge classique. Quelle que soit la

classification choisie, la conclusion de ces différentes revues est unanime : elles constatent un

manque de données sur le sujet et plus particulièrement un manque d’études portant sur des

interventions dont l’intérêt exclusif est la reprise ou le maintien d’une activité professionnelle.

Par analogie, elles soulignent la pauvreté de la littérature scientifique sur l’évaluation des

différentes interventions réalisées, notamment vis-à-vis du maintien en emploi, la plupart se

focalisant principalement sur le retour au travail dans une courte période (un à deux ans

maximum après le diagnostic). Elles relèvent également l’absence d’étude évaluant l’efficacité

des interventions réalisées en milieux de travail et montrent que la majorité des interventions

est réalisée en milieu hospitalier, par des professionnels de santé. Les auteurs concluent en ce

sens sur la nécessité d’explorer des interventions spécifiquement ciblées sur l’environnement

professionnel dont l’efficacité a pu être démontrée dans le cadre d’autres pathologies (Franche

et al., 2005; Varekamp et al., 2006).

La revue la plus récente (Caron et al., 2017) soulève également la difficulté d’évaluer les

interventions professionnelles et l’inadéquation des protocoles expérimentaux, suggérant, pour

de futures études, l’utilisation de protocoles mixtes mobilisant une double approche quantitative

et qualitative. Cette revue ajoute la nécessité de développer des théories d’intervention en amont

Page 169: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

169

de leur mise en place, théories absentes dans l’ensemble des articles étudiés. Enfin, ces

différentes revues soulignent également l’absence de directives globales mise en évidence par

la diversité des interventions poursuivant le même objectif.

7.1.2. Présentation des dispositifs nationaux en France

En France, de nombreux dispositifs nationaux ont été mis en place ces dernières années

pour lutter contre la désinsertion professionnelle des personnes présentant un handicap. Un

tableau recensant ces différents dispositifs et leurs conditions de mises en place est disponible

en annexe 8 afin de donner un aperçu des ressources disponibles. Comme le montre ce tableau,

certains dispositifs consistent en des compensations financières de l’arrêt de travail impliqué

par la maladie et ses traitements, telles que les indemnités journalières de la Sécurité sociale

(IJSS), les indemnités complémentaires, l’allocation Adulte handicapé (AAH), la pension

d’invalidité, tandis que d’autres permettent une reconnaissance administrative telle que la

reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), favorable, voire nécessaire, à la

mise en place de dispositifs financiers ou fonctionnels, et enfin des dispositifs fonctionnels sur

l’environnement professionnel sont également prévus tels que la visite de pré-reprise, les

dispositifs d’aménagement de poste et l’autorisation d’absence, afin de faciliter la reprise de

l’activité.

Cependant, si les deux premières catégories sont prévues pour tous, sous conditions

d’éligibilité, par des organismes sous l’égide de l’Etat, les dispositifs portant sur

l’environnement professionnel font l’objet d’une simple recommandation des autorités et n’ont

aucune obligation de mise en place. Par exemple, l’aménagement du travail est un dispositif

largement recommandé par la loi française (Code du travail, Article L1226-2) dans l’objectif

d’assurer une prise en charge adaptée des différentes séquelles afférentes au cancer comme

celles évoquées précédemment et ainsi de limiter la désinsertion professionnelle en limitant

notamment le licenciement et l’absentéisme. Si dans certaines entreprises (en particulier dans

de grandes entreprises) ce dispositif est inscrit dans la convention collective, il demeure, dans

les faits, difficile d’en contrôler l’instauration. Enfin, si l’objectif premier des dispositifs de

maintien en emploi portant sur l’environnement professionnel, tels que les aménagements du

travail, est de pallier des handicaps physiques ou psychiques, la qualification en tant que

travailleur handicapé n’est pas nécessaire à leur mise en place.

Page 170: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

170

Ainsi, comment expliquer que, dans ce contexte où tant de dispositifs sont disponibles

spécifiquement pour favoriser le retour au travail et le maintien en emploi des personnes ayant

subi une altération de leur santé, des difficultés, telles que l’augmentation du taux de chômage

et la précarisation financière énoncées dans la deuxième partie de cette recherche, perdurent ?

Malgré l’existence de ces dispositifs et l’important recours à ceux-ci (Duguet et Clainche,

2016; Fau-Prudhomot et al., 2012; INCa, 2014), très peu ont fait l’objet de recherches

scientifiques visant à analyser leur efficacité. En France, une seule étude a montré l’impact

positif du recours à un aménagement sur un retour plus précoce au travail après un arrêt-maladie

lié au traitement d’un cancer (Duguet et Clainche, 2016). Ainsi, pour répondre à la question

précédente, ce chapitre s’inscrit dans la continuité de ces travaux et analysera plus finement les

dispositifs d’aménagement du travail en mobilisant la théorie des capabilités de Sen. Le parti

pris de mobiliser spécifiquement cette théorie nous a semblé s’inscrire dans la continuité

naturelle de notre réflexion sur la pertinence de notre sujet d’étude : après un diagnostic de

cancer, le maintien en emploi est-il un idéal, un objectif à atteindre ? S’ils le voulaient, les

individus concernés seraient-ils capables de reprendre leur activité ? Et, dans le cas contraire,

seraient-ils capables de ne pas reprendre ? Pour apporter des éléments de réponse, la deuxième

partie de cette recherche a porté sur les freins au maintien en emploi argumentant sur la disparité

des situations semblant défavorables aux individus les plus vulnérables sur le marché du travail.

Au cours de ce travail d’analyses statistiques, nous nous sommes interrogés également sur les

mécanismes pouvant expliquer un départ vers l’inactivité pour invalidité plus fréquent pour les

hommes que pour les femmes à âge et état de santé a priori similaires. De même, comment

expliquer le départ en inactivité autre que la retraite et l’invalidité des personnes ayant un niveau

de revenus particulièrement élevé au moment du diagnostic ? Ces réflexions nous ont conduit

à interroger la liberté individuelle dans les conditions de poursuite de leur vie professionnelle.

L’approche par les capabilités développée par l’économiste Armatya Sen permet de tenir

compte des disparités de ressources individuelles dans la considération du « fonctionnement »,

c’est-à-dire du phénomène observé, en l’occurrence la poursuite professionnelle.

Page 171: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

171

7.2. L’aménagement du travail : un outil pour égaliser les capabilités ?

7.2.1. Ancrage théorique : l’approche par les capabilités de Sen

« la norme de l’intervention publique dans l’ordre social sera donc l’égalité des capabilités :

si une telle égalité est bien instaurée, l’ensemble des modes de vie entre lesquels les individus

arbitreront en toute responsabilité est le même pour tous ».

(Gamel, 2007, p.143)

Malgré l’investissement des autorités pour proposer des dispositifs d’aménagement du

travail afin de garantir une reprise progressive de l’activité professionnelle après un diagnostic

de cancer, les trois chapitres précédents ont montré les inégalités individuelles,

socioprofessionnelles et médicales dont fait toujours l’objet la question de la reprise et du

maintien d’une activité professionnelle post-diagnostic. Comme nous l’avons vu

précédemment, nous sommes en présence de personnes dont la capacité à accomplir leur tâche

professionnelle a été altérée. Elles doivent ainsi s’adapter à leurs nouvelles capacités ainsi qu’à

celles demandées par leur activité professionnelle. Au vu de ces constats, notre question de

recherche est la suivante : l’aménagement du travail constitue-t-il un outil pour adapter et

égaliser les capacités individuelles ? Au-delà de la question de l’égalité, cette question nous

renvoie à la notion d’équité selon laquelle l’adaptation des ressources mises à disposition pour

favoriser le retour au travail et le maintien en emploi en fonction des besoins individuels

permettrait de lutter contre les inégalités sociales et économiques mises en évidence dans les

trois chapitres de la partie précédente (vulnérabilité accrue des personnes de statut

socioéconomique modeste).

Cette question fait écho à la théorie de Sen, l’approche par les capacités72, en ce sens

qu’elle amène à étudier les latitudes d’actions des personnes atteintes d’un cancer pour faciliter

leur reprise professionnelle à la suite d’un arrêt-maladie. La théorie développée par Sen s’inscrit

en réponse à la théorie de la justice développée par Rawls qui prône l’égalité des « biens sociaux

premiers » pour tous (Rawls, 1982). Pour Sen, l’égalité sociale tient davantage des capacités

des individus à accéder à leurs biens premiers et à mobiliser les ressources à leur disposition

pour ce faire. Cette théorie prend en compte une notion inexplorée par la première : le handicap.

72 Le néologisme « capabilités » est également utilisé indifféremment pour exprimer en français la notion

de « capabilities » développée par Sen (Sen, 2012, 1992).

Page 172: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

172

Analyser les capacités individuelles c’est tenir compte, pour chacun, des différences de moyen

pour satisfaire les biens premiers notamment. Ainsi, comme l’illustre la citation de l’économiste

Claude Gamel présentée ci-dessus, extraite d’un numéro spécial de la revue Formation emploi

sur l’approche par les capacités, il s’agit pour Sen de garantir une liberté laissée aux acteurs

pour choisir l’option qu’ils préfèrent pour atteindre leur objectif. La théorie oppose d’une part

les capacités et les fonctionnements (« capabilities » et « functionings »73) et d’une autre, les

capacités et les ressources (« ressources »).

Si tous les individus souhaitent la même combinaison de fonctionnements et s’ils

disposent tous des mêmes ressources matérielles et formelles, des inégalités pourront apparaitre

dans les capacités de chacun à convertir ses ressources en fonctionnement. Robeyns (2000)

identifie deux types de facteurs de conversion : les caractéristiques personnelles (conditions

physiques et mentales, compétences individuelles etc.) et les caractéristiques sociales

(infrastructures, politiques publiques, normes sociales etc.) (Robeyns, 2000). Parmi cette

dernière catégorie, Bonvin et Farvaque (2007) distinguent les facteurs de conversion sociaux

(normes sociales, contexte politique etc.) et environnementaux (tels que les infrastructures)

(Bonvin et Farvaque, 2007). Il est essentiel d’étudier précisément ces facteurs de conversion

car ils sont le seul moyen de mise en œuvre d’une capacité. L’intérêt de cette approche est

illustré par Sen dans l’exemple suivant : Sen considère deux individus qui, tous deux, ne

satisfont pas leur fonction première de se nourrir correctement. Si le résultat (le fonctionnement

effectif) est le même - tous les deux souffrent de la faim - le processus est totalement différent.

En effet, tandis que le premier individu est victime de la famine en Afrique, le second a décidé

d’entreprendre une grève de la faim devant l’ambassade de Chine pour protester contre

l’occupation au Tibet. Les deux individus ne peuvent être pris sur un plan d’égalité puisque

dans le premier cas, la personne ne dispose pas des capacités nécessaires à faire un choix en

toute liberté, contrairement au second. Cet exemple est repris dans l’article de Robeyns pour

argumenter sur l’intérêt de l’approche par les capacités en tant que modèle de pensée fondé sur

la notion de liberté (Robeyns, 2000).

Si, dans l’idéal, « l’analyse empirique des capabilités suppose de reconstituer, pour

chaque personne, l’ensemble des alternatives concrètes qui s’offrent à elle, c’est-à-dire

l’étendue des possibilités réelles – et non formelles – qui lui sont offertes » (Lambert et Vero,

2007 p.59), de nombreuses études font état de l’impossibilité de rendre compte de manière

73 « Capability is a set of vectors of functionings, reflecting the person’s freedom to lead one type of life

or another » (Sen, 1992, p.40).

Page 173: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

173

exhaustive de la capacité d’une personne, ce qui constitue l’une des principales limites opposées

à l’application de cette théorie (Lambert et Vero, 2007). L’objectif de ce chapitre est donc plus

modeste et porte sur l’analyse spécifique des dispositifs disponibles pour favoriser le maintien

en emploi et le retour au travail.

Dans ce cadre, nous faisons le postulat suivant : après un diagnostic de cancer, les

personnes atteintes sont confrontées à un choix avant tout personnel de reprendre ou non leur

activité professionnelle et, le cas échéant, dans quelles conditions. Nous faisons l’hypothèse

que si ce choix peut effectivement être contraint par différents facteurs dont ceux évoqués

précédemment, la volonté individuelle reste déterminante dans la décision finale. Ainsi, si le

contexte de la décision était idéal au sens de Sen (donc non contraint), alors le résultat observé

(en l’occurrence la situation professionnelle) serait le fruit d’un choix reposant uniquement sur

des critères de préférences individuelles. Dans cette optique, la sortie de l’emploi résulterait

d’un choix personnel.

Ce postulat nous permet de questionner la norme sociale selon laquelle la reprise de

l’activité professionnelle telle qu’elle était exercée avant le diagnostic de cancer serait l’objectif

à atteindre. En effet, comme en témoignent les revues de littérature présentées dans le chapitre

4, l’indicateur le plus utilisé pour évaluer l’impact du cancer sur la vie professionnelle est le

taux de reprise de l’emploi occupé. Très peu d’études interrogent la satisfaction des individus

vis-à-vis de leur nouvelle situation professionnelle.

L’analyse suivante portera particulièrement sur le dispositif des aménagements du travail

sous l’angle de l’approche des capacités : tous les individus ont-ils accès aux aménagements ?

Ceux qui y ont accès ont-ils, tous, la même capacité de les mobiliser ? Quelle est la place de ce

dispositif dans le choix personnel d’une reprise de l’activité professionnelle ? Pour répondre à

ces questions, nous formulons l’hypothèse suivante :

- H7.1. Etant donné l’absence d’obligation et de systématisation de l’offre

d’aménagement du travail de la part d’une entreprise pour un salarié ayant eu un

diagnostic de cancer, et à l’aune des résultats apportés par la revue de littérature,

d’importantes disparités sont attendues dans le recours aux aménagements selon les

profils socioprofessionnels des individus. L’hypothèse est que les individus ayant

recours à un tel dispositif font l’objet d’une sélection en amont : de leur propre

initiative et/ou de celle de leur hiérarchie (manager ou employeur). Les personnes

vulnérables, ayant une situation professionnelle initiale moins favorable, seraient

Page 174: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

174

ainsi moins disposées à demander de tels dispositifs. De même, celles-ci se verraient

proposer ces aménagements moins fréquemment.

Pour répondre à cette hypothèse, nous nous appuierons dans un premier temps sur les

données de l’enquête VICAN5 pour, d’une part, documenter le recours aux aménagements du

travail dans une population concernée par la reprise d’activité après un diagnostic de cancer et

les éventuelles spécificités des caractéristiques individuelles, sociales et médicales associées et,

d‘autre part, évaluer leur effet sur le maintien en emploi. Dans un second temps, les données

recueillies dans le cadre de l’enquête qualitative CAREMAJOB seront mobilisées pour apporter

un éclairage complémentaire.

Les variables relatives à la présence d’aménagements ont été construites à partir des

questions présentées en figure 7.1. Les types d’aménagements explorés dans cette étude portent

uniquement sur le poste de travail, le temps de travail et les horaires. D’autres catégories étaient

disponibles mais n’ont pas fait l’objet d’analyses approfondies pour les raisons suivantes : la

proposition « condition de travail » était sujette à une trop grande hétérogénéité d’interprétation,

et les modifications en termes de lieu de travail et de sécurité ont été peu choisies par les

participants, les faibles effectifs associés ne permettaient ainsi pas la poursuite des analyses. De

plus, un regard spécifique est également porté sur le temps partiel thérapeutique, un dispositif

d’aménagement du temps de travail temporaire visant à favoriser le maintien en emploi.

Par ailleurs, au fil des résultats obtenus et lorsque cela est pertinent, des discours extraits

des entretiens réalisés dans le cadre de l’enquête qualitative CAREMAJOB sont également

mobilisés pour appuyer notre propos. Les extraits sélectionnés ont pour objectif de compléter

les résultats de l’exploitation de l’enquête VICAN5 en apportant un éclairage supplémentaire,

nécessaire à l’analyse des capacités individuelles à se saisir des aménagements dans l’objectif

de reprendre une activité professionnelle, ainsi qu’à l’analyse du choix individuel. L’objectif

est donc de déterminer dans quelle proportion les personnes ont eu recours à ces dispositifs, si

les possibilités d’accès et de recours à ceux-ci sont égales pour tous et, enfin, dans quelle mesure

favorisent-ils, ou non, le maintien en emploi à un horizon de cinq années post-diagnostic.

L’alternance des analyses de données quantitatives et qualitatives permet d’apporter un

éclairage plus complet au sujet abordé, les témoignages venant, dans la mesure du possible

introduire ou, à l’inverse, compléter les résultats statistiques de l’enquête nationale.

Page 175: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

175

Figure 7.1. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur des modifications

au travail.

7.2.2. L’aménagement du travail, un dispositif d’accès socialement

différencié

Parmi les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête VICAN5, âgées de 18 à 54 ans

au diagnostic et qui étaient en emploi salarié au moment du diagnostic de cancer, 61,2 % ont

connu au moins un aménagement du travail au cours des cinq années suivant le diagnostic

(figure 7.2). Parmi celles qui n’ont pas eu d’aménagement, 19,0 % aurait souhaité en avoir.

L’aménagement le plus souvent mobilisé concerne la durée travaillée : la moitié des personnes

interrogées (49,2 %) a modifié au moins temporairement son temps de travail au cours des cinq

premières années suivant le diagnostic (figure 7.2).

Page 176: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

176

Figure 7.2. Part de recours aux aménagements selon le type proposé et taux d’emploi à cinq ans

associés.

Champ : répondants de l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans et en emploi salarié au moment du

diagnostic (Np=1 629).

Lecture : 61,2 % des salariés interrogés dans VICAN5 qui étaient en emploi au moment du diagnostic,

ont disposé d’au moins un aménagement du travail, que ce soit en termes de type de poste, d’horaires

ou de durée de travail, au cours des cinq années qui ont suivi le diagnostic. Parmi eux, 89,7 % sont en

emploi au moment de l’enquête (contre 77,8 % de ceux qui n’ont eu aucun de ces aménagements,

p.value < 0,001).

Comme attendu, les personnes ayant conservé des séquelles de la maladie ont plus

souvent bénéficié d’un tel aménagement (63,2 % contre 56,9 % de celles qui ont déclaré ne

garder aucune séquelle, p.value < 0,05). Cependant, moins de la moitié des personnes ayant

déclaré conserver d’importantes séquelles deux ans après le diagnostic et étant toujours en

emploi au moment de l’enquête, a bénéficié d’au moins un aménagement du travail. De plus,

cet accès s’est avéré différencié selon le genre, la profession, le statut d’emploi et le secteur

d’activité. Les femmes sont significativement plus nombreuses que les hommes à avoir eu

recours à au moins un aménagement du travail au cours des cinq années ayant suivi le diagnostic

et ce, qu’il s’agisse d’un aménagement de type de travail, de durée ou encore d’horaires de

travail. Les personnes ayant une activité professionnelle d’encadrement ont aussi plus souvent

bénéficié d’un aménagement en termes de temps de travail que les personnes exerçant une

activité d’exécution. De même, les travailleurs du secteur public ont plus souvent eu au moins

un aménagement, notamment en termes de temps et/ou d’horaires, en comparaison avec ceux

travaillant dans le secteur privé. Enfin, les personnes employées en contrat à durée indéterminée

(fonctionnaire, CDI) ont plus souvent eu un aménagement du travail que les personnes en

contrat temporaire (CDD, contrat saisonnier, contrat d’intérim ou temporaire et contrat

d’apprentissage), notamment en termes de temps et d’horaires de travail.

35,5 % 41,5 %49,2 %

61,2 %

88,9 % 90,2 % 90,5 % 89,7 %82,9 % 81,4 % 79,8 % 77,8 %

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

Type de poste Horaires Durée Au moins un

% de recours Taux d'emploi avec aménagement Taux d'emploi sans aménagement

Page 177: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

177

Si ces résultats confirment l’hypothèse 7.1 sur un accès socialement différencié aux

dispositifs existants, ils soulèvent différentes questions en termes d’inégalités d’accès à ces

dispositifs : y aurait-il un effet de sélection impliquant que seuls les salariés que l’entreprise

souhaite conserver et ceux qui souhaitent reprendre le travail au sein de cette même entreprise

auraient accès à ces aménagements ? Y aurait-il un défaut d’information socialement orienté

qui privilégierait notamment les personnes occupant un métier d’encadrement ? Les écarts

constatés entre les secteurs d’emploi résulteraient-ils des différences d’obligations légales

appliquées au secteur privé et au secteur public ?

Si nous ne disposons pas des éléments factuels nécessaires pour répondre à ces questions,

il nous semble opportun de poursuivre la réflexion à l’aide de témoignages des personnes

concernées. Lors des entretiens menés dans le cadre de l’enquête CAREMAJOB, au sujet des

dispositifs pouvant favoriser le maintien en emploi, certaines personnes ont déploré le manque

général d’information autour des dispositifs disponibles :

« Si il y avait pas eu l’association jamais j’aurais su que je pouvais avoir droit à

ça [enveloppe pour recruter du personnel pour l’aider dans son activité

indépendante].(…). Ah sinon, jamais j’aurais su qu’il y avait ces choses-là,

comment ? Qui vous le dit ? » Rémi.

« Pour avoir l’information je pense qu’il y a un petit problème là-dessus. Vous

savez moi je trouve qu’à ce niveau-là il y a vraiment un gros problème parce que

si ce n’est pour la…, tout simplement même pour le complément de salaire, tous

ces… parce que au-delà de 6 mois vous n’êtes plus payés par votre employeur.

Personne te dit rien. (…) » Emilie, 46 ans, clerc de notaire.

Il est évident qu’un défaut d’information peut nuire au recours aux dispositifs de retour

au travail, ce qui constitue pourtant une ressource nécessaire à la capacité d’un individu de

choisir librement, par exemple en décidant d’entreprendre telle démarche pour accéder à tel

dispositif. Il est cependant difficile de dire si le manque d’information est socialement

différencié. Ces deux personnes ont finalement eu les informations nécessaires grâce aux

associations respectives qu’elles ont contactées. Peut-être est-ce là que se joue la différence ?

Sur ce point, les résultats des enquêtes VICAN2 et VICAN5 montrent qu’au cours des deux

premières années suivant le diagnostic, 6 % des personnes concernées ont été en contact avec

une association de malades, c’est le fait de 10,9 % si on étend la période d’observation à cinq

années post-diagnostic (INCa, 2018, 2014). Or ces contacts se sont avérés socialement

Page 178: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

178

différenciés : les femmes y ont eu significativement plus recours que les hommes, de même que

les personnes jeunes par rapport aux plus âgées. De plus, à âge et genre ajustés, les personnes

diplômées de l’enseignement supérieur ont significativement plus souvent été en contact avec

une association de malades. Il nous faut cependant préciser qu’aucune différence n’a été

observée selon la situation financière mesurée ou perçue. Cette corrélation pourrait ainsi

expliquer le recours plus fréquent aux dispositifs d’aménagement des femmes par rapport aux

hommes. De plus amples études seraient néanmoins nécessaires pour confirmer ou infirmer

cette hypothèse.

Enfin, pour revenir aux résultats de l’enquête VICAN5, l’importante corrélation positive

entre le fait d’avoir bénéficié d’un aménagement et le fait d’être en emploi cinq ans après le

diagnostic de cancer alimente ces questionnements : 89,7 % des personnes ayant bénéficié d’au

moins un aménagement sont en emploi à cinq ans contre seulement 77,8 % de celles qui n’ont

eu aucun aménagement, p.value < 0,001 (figure 7.2). En outre, cette corrélation reste

significative à type de contrat de travail identique.

7.2.3. Un outil de maintien en emploi ?

Ainsi, une corrélation statistique significative a été constatée entre le recours à au moins

un aménagement de travail de type horaires, temps de travail ou type de poste et le maintien en

emploi cinq ans après le diagnostic. La première difficulté rencontrée dans l’interprétation de

ces résultats concerne l’absence de données temporelles relatives aux conditions de mises en

place de ces dispositifs : quand ont-ils été mis en place ? Combien de temps ont-ils duré ? Ces

informations n’ont pas été recueillies dans l’enquête. Nous pouvons dès lors supposer que

l’aménagement a eu lieu au moment de l’enquête ce qui de fait induit une source importante

d’endogénéité : seules les personnes en emploi à l’enquête ont eu un aménagement du travail à

cette date. Néanmoins, cette supposition est peu probable si l’on considère que l’aménagement

est censé être mis en place dans l’objectif de favoriser la reprise du travail après un arrêt-

maladie. Or, la reprise du travail a principalement eu lieu au cours des trois premières années

suivant le diagnostic de cancer comme cela a été présenté dans le chapitre 4.

Ainsi, pour la suite de notre recherche, nous faisons le postulat que l’aménagement est

survenu au cours des trois premières années à la suite du diagnostic de cancer. Cette hypothèse

est soutenue par deux éléments. Le premier est que, parmi les personnes de l’échantillon

principal interrogées à la fois deux et cinq ans après le diagnostic qui ont eu un aménagement

Page 179: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

179

du travail, 71,1 % l’ont eu au cours des deux premières années. De plus, l’analyse spécifique

de cette sous-population permet de s’affranchir de la source d’endogénéité supposée dès lors

qu’elle offre la possibilité de considérer uniquement les aménagements ayant été mis en place

au cours des deux premières années suivant le diagnostic. Cette analyse confirme la corrélation :

parmi les personnes en emploi salarié deux ans après le diagnostic, 94,0 % de celles qui ont eu

au moins un de ces aménagements sont en emploi à cinq ans, contre seulement 84,4 % de celles

qui n’en ont pas eu (p.value < 0,001). Le second élément en faveur de notre hypothèse concerne

le dispositif spécifique du temps partiel thérapeutique. Celui-ci étant proposé par la Sécurité

sociale, les données précises de sa survenue et de la durée de l’indemnisation associée sont

disponibles dans les bases SNIIRAM de l’Assurance maladie. Cela nous permet d’affirmer que,

lorsque celui-ci a été mis en place, ce fut, dans 95 % des cas, au cours des trois premières années

post-diagnostic.

Par ailleurs, partant du constat d’un accès inégal aux aménagements du travail observé

précédemment, une nouvelle source d’endogénéité se dessine : et si les personnes ayant eu

recours à au moins un de ces aménagements étaient également les plus susceptibles de se

maintenir en emploi ? Cette question s’inscrit dans la continuité de l’hypothèse 7.1 présentée

précédemment, l’objectif est donc à présent de prendre en compte ce potentiel effet de sélection

afin d’estimer l’effet propre du recours à l’aménagement sur le maintien en situation d’emploi

à cinq ans du diagnostic de cancer. Ainsi, l’hypothèse testée dans cette étude est la suivante :

- H7.2. Au sujet des personnes n’ayant eu recours à aucun des aménagements du travail

proposé : si celles-ci avaient disposé d’au moins un de ces aménagements, alors leur

probabilité d’être en emploi au moment de l’enquête aurait été supérieure.

Pour tester cette hypothèse, nous avons choisi de contrôler l’effet de sélection constaté

précédemment en utilisant la méthode de l’appariement par score de propension, dont la

méthodologie est présentée dans l’encadré 7.1. L’objectif est ainsi d’estimer l’effet du recours

à un aménagement pour des populations ayant des caractéristiques comparables (de cette

manière l’effet estimé ne pourra être attribuable aux caractéristiques également associées au

maintien en emploi).

Page 180: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

180

Encadré 7.1. Méthode d’appariement par score de propension

Partant du postulat de l’existence d’une double corrélation entre, d’une part, certaines

variables sociodémographiques (le sexe, l’âge et le niveau d’éducation), professionnelles (la

catégorie socioprofessionnelle, le contrat de travail, le secteur d’emploi et la taille de

l’entreprise) et médicales (le score de comorbidités au diagnostic et le type de traitement reçu

pour le cancer) et l’accès aux aménagements du travail et, d’autre part, ces mêmes

caractéristiques avec le fait d’être en emploi cinq ans après le diagnostic, il était nécessaire de

contrôler cette double causalité supposée. En effet, celle-ci constitue une source d’endogénéité

qui entrainerait des biais dans l’estimation de l’effet du recours à un aménagement du travail

sur le maintien en emploi à cinq ans. D’après notre hypothèse 7.1 traitée précédemment, cette

double causalité serait due à un effet de sélection : une auto-sélection de la part du salarié et

une sélection externe relative à l’employeur. Ainsi, pour traiter ce biais d’endogénéité induit

par cette sélection et en l’absence de variables instrumentales performantes, le parti fut pris

d’utiliser la méthode d’appariement afin de mesurer l’effet d’un aménagement du travail sur

une population d’étude comparable. Cette méthode consiste à créer deux groupes ayant les

caractéristiques sociodémographiques identifiées comme jouant à la fois sur le recours aux

aménagements et sur le maintien en emploi, identiques.

Ainsi, nous avons apparié deux sous-groupes de la population interrogée dans le cadre de

l’enquête VICAN5 : l’un ayant bénéficié d’un aménagement (n=927) et l’autre pas (n=587).

Etant donné les effectifs limités de nos groupes, ceux-ci ont été appariés selon la méthode du

score de propension estimé par régression logistique pour chaque individu sur la base des

variables sociodémographiques suivantes : le genre et le niveau d’éducation ; des variables

professionnelles relatives à l’emploi occupé au diagnostic telles que le type de contrat, le secteur

d’emploi, la taille de l’entreprise et la catégorie socioprofessionnelle dans son format agrégé ;

et les variables médicales suivantes : le score de comorbidités évalué au diagnostic et le fait

d’avoir été traité pour le cancer par chimiothérapie. Ainsi, deux individus de chaque groupe ont

été appariés par la méthode des plus proches voisins, définis par la distance de Mahalanobis,

avec un critère de Caliper fixé à 0,005 (Austin, 2011). La propriété d’équilibre étant respectée,

la moyenne du taux d’emploi de chaque groupe a ensuite été estimée et ce, pour 1000

simulations d’échantillon (méthode du bootstrap) (Becker et Ichino, 2002), ce qui a permis de

définir un écart-type ainsi qu’un intervalle de confiance estimé au seuil de 95 %.

Page 181: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

181

Encadré 7.1. Méthode d’appariement par score de propension (suite)

Cette méthode a permis l’estimation des effets de plusieurs variables sur le maintien en

emploi à cinq ans : 1) l’effet d’avoir eu au moins un des aménagements tels que le type de poste,

la durée ou les horaires de travail, 2) l’effet d’avoir eu spécifiquement un aménagement du type

de poste, 3) l’effet d’avoir eu spécifiquement un aménagement de la durée et enfin 4) l’effet

d’avoir eu spécifiquement un aménagement des horaires de travail.

Enfin, les résultats de ces différentes estimations valident notre hypothèse 7.2 : le recours

à au moins un aménagement du travail tel que le type de poste, la durée, les horaires ou plus

spécifiquement le temps partiel thérapeutique, quel qu’il soit, augmente la probabilité d’être en

emploi au moment de l’enquête, jusqu’à 17 points de pourcentage pour le fait d’avoir eu au

moins un de ces aménagements. En d’autres termes, la méthode utilisée ici nous permet

d’avancer l’affirmation selon laquelle le recours à au moins un des aménagements du travail

considérés (type de poste ou durée de travail ou horaires) aurait permis au groupe contrôle

d’afficher un taux d’emploi à 89 % (contre 72 % actuellement parmi les individus ayant été

inclus dans l’appariement).

De plus, des analyses supplémentaires visant initialement à explorer la sensibilité des

premiers modèles a permis d’observer plus finement le processus positif de l’aménagement sur

l’emploi. Premièrement, si le taux de recours à ces dispositifs a été constaté inégal entre les

hommes et les femmes (avec une prévalence plus importante chez les femmes), l’ampleur de

l’effet estimé s’est également avérée sexuée. La stratification des analyses selon le sexe des

personnes interrogées a montré que la présence d’au moins un aménagement augmente de 13,6

points de pourcentage le taux de maintien en emploi chez les femmes tandis qu’il l’augmente

de 16,3 points chez les hommes. Cependant, du fait du faible effectif de la population masculine

analysée, ces différences ne sont pas statistiquement significatives, ce qui limite l’interprétation

de ces résultats et de nouvelles études devraient être réalisées pour comprendre ces différences.

Deuxièmement, une nouvelle stratification des analyses, cette fois en fonction du recours aux

arrêts-maladie après le diagnostic de cancer, a montré que l’effet de l’aménagement sur le

maintien en emploi à cinq ans était plus élevé pour les personnes n’ayant eu aucun arrêt

comparativement à celles ayant eu au moins un mois d’arrêt-maladie (l’augmentation constatée

du taux d’emploi avec l’aménagement était respectivement de 17,5 contre 9,3). Ce dernier

résultat indique que l’aménagement du travail permet, à ceux qui le souhaitent, de se maintenir

en activité, pendant les traitements par exemple, sans que cela n’impacte (ou du moins de

Page 182: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

182

manière limitée) leur maintien en emploi sur le long terme. En plus d’être un outil de retour au

travail, l’aménagement devient alors un outil important pour ceux qui souhaiteraient ne pas

s’arrêter de travailler (de même que pour ceux qui y seraient contraints pour diverses raisons).

Ainsi, si l’aménagement du travail est un outil précieux pour le maintien en emploi des

travailleurs, le recours à celui-ci semble faire l’objet d’une sélection sociale en défaveur des

populations les plus vulnérables.

7.2.4. A quel prix ?

« Si les individus souhaitent de tels aménagements, les obtiennent et que ceux-ci leur

permettent de retourner au travail, c'est au prix d'un certain inconfort quant aux conséquences

qu'ils anticipent sur leur trajectoire professionnelle » (Chassaing et al., 2011). C’est ainsi que

les auteurs d’un rapport de recherche français sur les dispositifs d’aménagement des conditions

de travail et sur les ressources mobilisées pour « travailler avec un cancer » expliquent la

corrélation qu’ils observent entre le recours à ces dispositifs et un sentiment de pénalisation au

travail déclaré deux ans après le diagnostic. En ce sens, une dernière hypothèse a orienté notre

recherche :

- H7.3. Il est attendu que certains de ces dispositifs, comme la RQTH par exemple, font

écho à des représentations sociales auxquelles les individus ne souhaitent pas

s’identifier, notamment de peur que cela nuise à la poursuite de leur carrière. Aussi,

certaines personnes, et notamment les plus jeunes pour qui la carrière reste à faire,

pourraient choisir de ne pas avoir recours à ce type de dispositif.

L’enquête VICAN5 sur laquelle porte la majorité de nos analyses dispose également de

cette information et le constat est le même : parmi les salariés âgés de 18 à 54 ans et en emploi

au diagnostic et cinq ans plus tard, 22,2 % de ceux qui ont eu au moins un des trois

aménagements du travail considérés ont déclaré s’être senti pénalisé à cause de la maladie

contre seulement 10,6 % de ceux n’ayant pas eu d’aménagement (p.value < 0,001). Plus

précisément, parmi ceux ayant eu un aménagement, 12,6 % ont déclaré avoir été pénalisé par

leur employeur, 4,7 % par leurs collègues (ou associés pour les indépendants) et 4,9 % se sont

sentis pénalisés à la fois par leur employeur et leurs collègues de travail.

De plus, si les données quantitatives sont particulièrement restreintes sur le sujet, les

entretiens de CAREMAJOB ont permis de mettre en lumière le phénomène suivant : la

Page 183: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

183

mobilisation des dispositifs disponibles pour faciliter le maintien en emploi des salariés a fait

l’objet d’une forme de balance bénéfices-risques pour certaines personnes interrogées. Cela a

pu se manifester sous différentes formes, le poids des représentations sociales dans la

reconnaissance en qualité de travailleur handicapé a par exemple constitué un frein pour

certains comme le montre l’encadré 7.2 alors que pour d’autres, cela a été le moyen de « faire

reconnaître » ses difficultés ou encore d’assurer ses arrières74. Parmi les 21 personnes

interrogées dans le cadre de l’enquête, presque la moitié (10 personnes) a entrepris de déposer

un dossier auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) afin

d’obtenir une qualification de travailleur handicapé. Cette demande a en grande majorité été

motivée par une stratégie de protection vis-à-vis de l’emploi et les personnes qui ont entrepris

la démarche ne se définissent pas toujours comme « handicapée » comme l’illustre le discours

de Mathilde (cf. Encadré 7.2).

L’expérience de Clémence est singulière à ce propos puisqu’elle est conseillère en

mobilité professionnelle depuis de nombreuses années et a donc souvent été confrontée à la

prise en charge de personnes reprenant le travail à la suite d’un accident ou d’une maladie

invalidante. Contrairement à ce qu’elle a toujours proposé aux personnes qu’elle a encadrées,

Clémence refuse de faire une demande de RQTH, ce qu’elle justifie par une peur d’être

discriminée. La « discrimination » dont semble avoir été souvent témoin Clémence peut

résulter de la stigmatisation qu’implique l’étiquette de « travailleur handicapé ». Dès lors,

comme le montre Goffman (Goffman, 1973) dans ces travaux sur le handicap et surtout sur les

interactions sociales, le travailleur change d’échelle de normalité. Une fois son handicap

stigmatisé, l’individu peut faire l’objet d’un discrédit et voir sa qualité de travailleur performant

remise en question. Dans le cadre de stigmates corporels invisibles, comme cela peut être le cas

à la suite d’un cancer, l’individu devient responsable de l’information qu’il donne à ce sujet

(ou, à l’inverse, qu’il dissimule) et donc acteur principal de l’image qu’il renvoie au sein de son

environnement professionnel. Pour reprendre les termes de Goffman75, les personnes observées

dans le cadre de ce travail sont principalement des acteurs dont la capacité à accomplir leur

74 La reconnaissance en qualité de travailleur handicapé permet notamment d’accéder aux emplois dédiés

spécifiquement à ces personnes. En effet, depuis la loi de 1987, renforcée par la loi de 2005 prévoyant

une pénalité financière en cas de manquement, les entreprises françaises de plus de 20 salariés sont

tenues de recruter des personnes en situation de handicap et ce dans un quota d’au moins 6 % de leur

effectif. L’accès à ces quotas peut ainsi constituer un bénéfice pour les personnes atteintes de cancer qui

cherchent un emploi. 75 Goffman, « La présentation de soi » dans La mise en scène de la vie quotidienne. Traduit de l’anglais

par A. Accardo.

Page 184: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

184

tâche ou à garder la face a été altérée ; certains acceptent et assument le changement tandis que

d’autres feront leur possible pour « ne pas perdre la face ». Aussi, la peur de la stigmatisation

est un critère pris en compte dans la balance bénéfices-risques du recours à un dispositif tel que

la RQTH, ce qui confirme l’hypothèse 7.3.

De plus, certaines personnes ont également exprimé leurs inquiétudes quant à utiliser

l’ensemble de leurs droits trop vite, impliquant ainsi de ne plus pouvoir y recourir en cas de

récidive de la maladie :

« j’ai demandé un congé longue maladie parce que je savais très bien que le congé

longue durée on peut l’avoir qu’une fois. Et comme le cancer on n’est pas sûr que

ça récidive pas, j’ai préféré prendre un congé longue maladie. » Florence, 50 ans,

responsable formation.

- « Voilà, j’avais gardé 3 mois [de temps partiel thérapeutique] la première fois

[au diagnostic de la maladie] parce que tout le monde voulait que je continue

‘fin… que je continue à me reposer, que je reprenne plus tard. Mais je m’étais

dit : « on ne sait jamais » et j’ai bien fait apparemment [évoque sa récidive]…

- Vous l’aviez fait dans cette idée-là ?

- Oui. Oui et puis bon, je me sentais de reprendre aussi… hein…

euh…j’étais…j’étais suffisamment en forme pour reprendre mais, je l’avais fait

avec cette idée-là quand même. En me disant que bon… vu qu’on m’avait dit

que c’était un cancer qui récidivait beaucoup… j’ai prévu. » Claudine, 55 ans,

institutrice.

Pour d’autres, la balance bénéfice-risque a plutôt porté sur les concessions que certains

aménagements pouvaient nécessiter (selon leur anticipation) ;

« Un poste de travail aménagé c’est-à-dire euh… tout simplement on me

proposerait un poste de travail dans un… presque un cagibi… (…) Je veux pas faire

la fine bouche j’ai un très beau…, jusqu’à maintenant j’avais un très beau bureau

avec baie vitrée (…). Bah là si je demande un mi-temps thé… euh une reprise à mi-

temps je serais pas dans mon bureau. Parce que quelqu’un va l’occuper, donc… il

y a un problème de place donc on va me… m’attribuer un moins confortable,

voyez ? » Emilie.

Page 185: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

185

Encadré 7.2. Extraits d’entretiens portant sur la RQTH

Sandrine, 36 ans, agent territorial. « - (…) remplir le dossier MDPH, pour être reconnue comme

travailleur handicapé par rapport au bras. Parce que dans la fonction publique quand même si

on fait pas ces démarches-là, qu’on n’est pas très carrée après bon bah… on n’est pas reconnue

quoi. (…) -Vous pensez que cette qualification est importante pour cette reprise ? - Oui, au

moins je veux dire c’est reconnu que voilà, que j’ai pas retrouvé la totalité de mon bras quoi

hein. »

Mathilde, infirmière libérale. « (…) elle [l’assistante sociale] m’avait dit ‘‘il faudrait quand

même penser à voir pour une MDPH’’, tout ça… je lui ai dit ‘‘mais attendez ! Je ne suis pas

handicapée moi !’’… (…) et puis petit à petit je me suis rapprochée d’elle… bon mon bras j’ai

une capsulite… je me suis dit bon l’employeur il est pas tenu de me garder pendant ad vitam

aeternam sur la longue maladie (…) alors elle m’a expliqué : (…) c’est que ce que je pouvais

faire avant d’être malade, j’arrivais à moins le faire après mon opération voilà… et c’était de

cette façon-là qu’il fallait que j’aborde le sujet… pas en me voyant handicapée parce que pour

moi je le suis pas, je suis toujours pas dans tous les cas. ».

Charlotte, 44 ans, infirmière libérale. « On s'est approprié des mots qui sont difficilement

entendables quand on a été actif toute notre vie, notamment être « handicapé », « invalide »...

Enfin voilà, c'est des mots qui sont assez durs, parce que moi, quand on me parle de quelqu'un

qui est handicapé, c'est vraiment sur la mobilité, ou une pathologie psychiatrique... mais pas

une pathologie comme nous. Donc on s'est approprié ces mots, on se les est appropriés. »

Clémence, 38 ans, conseillère en mobilité professionnelle. « Moi, je n'ai pas voulu faire la

démarche de reconnaissance de travailleur handicapé, parce que je n'y arrive pas

psychologiquement, et parce que, justement, j'ai tellement entendu de discrimination à ce

sujet... je peux pas le faire ! ».

Il semblerait ainsi en effet que le recours aux dispositifs disponibles pour favoriser le

maintien en emploi des personnes ayant connu un diagnostic de cancer fasse l’objet d’un calcul

par les individus mettant en balance les bénéfices qu’ils en retireraient (principalement en

termes de préservation de leur santé par une reprise progressive) et les risques qu’un tel recours

pourrait constituer, que ce soit sur la poursuite de la carrière ou même sur le renoncement d’un

certain confort de travail (comme c’est le cas pour Emilie par exemple). En outre, en amont

d’une telle décision, des inégalités ont été montrées suggérant que tous les individus ne

Page 186: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

186

disposent pas de la même liberté de décision. Ainsi, des interventions devraient être mises en

place pour pallier les inégalités recensées précédemment issues pour certains d’un manque de

ressources (tels que le manque de connaissance sur leurs droits, les contraintes financières, les

difficultés liées aux séquelles de la maladie et de ses traitements ou encore le manque de soutien

social).

Cependant la théorie des capacités ne s’en tient pas au principe d’égalité des ressources

disponibles mais identifie des inégalités dans la capacité à transformer ces ressources à

disposition en outils pour accéder au « mode de vie » souhaité. C’est pourquoi, des

interventions devraient également être réalisées sous la forme de formation individuelle pour

que chacun soit capable de disposer des mêmes ressources et surtout de les mobiliser de la

même manière. Ainsi, une fois tous ces obstacles contrés et le contexte de la prise de décision

rééquilibré, le choix finalement opéré « ne pourra alors impliquer aucune injustice susceptible

de compensation, chacun ayant pu exercer son libre arbitre dans des conditions équitables »

(Gamel, 2007).

7.3. Des initiatives locales et nationales

Fort du constat des difficultés rencontrées par les personnes atteintes de cancer pour

reprendre leur vie professionnelle au-delà des dispositifs disponibles, de nombreux acteurs ont

mis en place, de leur propre initiative, des actions locales et proposent, pour certains, un

accompagnement spécifique pour les personnes diagnostiquées d’un cancer, pour d’autres, des

actions de prévention au sein de l’environnement professionnel. Il ne s’agit pas de faire ici un

inventaire des initiatives locales sur le sujet, néanmoins il nous semble opportun de présenter

certaines de ces initiatives, afin de voir ce qu’elles ont en commun dans ce qu’elles proposent

et d’interroger l’efficacité de ces actions au regard de la littérature scientifique sur le sujet.

7.3.1. Des interventions auprès des personnes malades

Des associations proposent d‘accompagner des personnes diagnostiquées d’un cancer

dans leurs questionnements au sujet de leur vie professionnelle. Le Centre Ressource propose

dans le cadre de son programme D’PART un accompagnement en groupe animé par une

psychologue et une assistante sociale : chaque semaine les personnes inscrites sont invitées à

se retrouver, à partager leur expérience, leurs questionnements et leurs inquiétudes et,

régulièrement, des professionnels (médecins du travail, chefs d’entreprise et médecins conseil

Page 187: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

187

de l’Assurance maladie) interviennent dans ces groupes pour faire part de leur expertise.

L’association CAIRE13 propose un accompagnement exclusivement réservé aux travailleurs

indépendants : un groupe de soutien, ainsi qu’un diagnostic précis des difficultés rencontrées

par les personnes afin de proposer un accompagnement personnalisé grâce aux services de

bénévoles ayant différentes expertises (experts comptables, avocats, assureurs, banquiers etc.).

La plateforme digitale Allo Alex propose quant à elle une ligne téléphonique consacrée à

l’écoute des personnes malades se posant des questions sur leur vie professionnelle et à

l’information sur les ressources disponibles pour favoriser le maintien et la reprise de l’activité

professionnelle. De plus, certaines actions ne sont pas spécifiques à la thématique de l’emploi :

par exemple, la Ligue contre le cancer propose des ateliers d’écoute et de soutien lors desquels

peut être abordé le sujet de la vie professionnelle. Enfin, des centres hospitaliers proposent des

services sociaux dédiés ou non à l’accompagnement de personnes atteintes de cancer vis-à-vis

de leur vie professionnelle, services coordonnés par des assistants sociaux ou des médecins (par

exemple dans les espaces de rencontres et d’information dédiés au cancer, ERI). Ils mettent

notamment à disposition des personnes malades, des brochures éditées par l’INCa et par les

services régionaux de l’Assurance maladie.

Ainsi, la totalité des interventions décrites ci-dessus comportent au moins (voire

seulement) une action d’information, ce qui, ajouté aux extraits d’entretiens de notre enquête

qualitative, témoigne une fois de plus de la persistance de la méconnaissance générale des

ressources disponibles visant à favoriser le maintien en emploi et le retour au travail après un

diagnostic de cancer. Ce point rejoint les constats soulevés dans la littérature scientifique

(Tamminga et al., 2010). De plus, l’action de l’association CAIRE13 qui, à notre connaissance,

est la seule à apporter un soutien spécifique aux travailleurs non-salariés en France (elle est

d’ailleurs référencée à l’INCa à ce titre), semble pallier un manque important en France (Ha-

Vinh et al., 2014).

Enfin, dans un tout autre registre, l’Université des patients propose depuis 2009 aux

personnes ayant connu un diagnostic de cancer de reconnaître l’expérience de la maladie et de

la valoriser en expertise « au service de la collectivité ». Plusieurs formations diplômantes, du

diplôme universitaire au master, sont, chaque année, dispensées à plus de 90 ex-patients à Paris,

Marseille et Grenoble. L’objectif de ces formations est de renforcer et compléter le savoir

expérientiel des patients sur l’éducation thérapeutique ou la démocratie sanitaire. Les diplômés

peuvent ainsi intégrer des emplois de « patients experts », d’accompagnement de malades de

cancer au sein de centres de soins ou encore de conseils au sein de structures de santé publique

Page 188: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

188

jusqu’à de grandes instances de santé. La pérennisation d’une telle offre de formation témoigne

du besoin des personnes diagnostiquées d’un cancer de valoriser leur expérience de patient dans

leur quotidien et, a fortiori, dans leur vie professionnelle. Ce besoin s’illustre également à

travers les interventions d’autres organismes présentés précédemment qui proposent par

exemple un accompagnement des personnes ayant des projets de reconversion, ainsi qu’à

travers le recours au dispositif de bilan de compétence.

7.3.2. Des interventions auprès des entreprises

L’initiative la plus médiatisée visant à améliorer l’accompagnement du retour au travail

est celle du « Club des entreprises » coordonné conjointement par des acteurs publics comme

l’INCa, l’ANACT et son réseau local l’ARACT et des acteurs privés tels que l’ANDRH. Il

s’agit d’une charte rédigée par différents acteurs experts des domaines concernés (sphères

professionnelle, médicale et relationnelle) qui recense l’ensemble des « bonnes pratiques » à

suivre pour prévenir les difficultés et accompagner le retour d’un salarié atteint de cancer.

Toutes les entreprises sont libres d’adhérer au Club en signant la Charte, s’engageant ainsi à

diffuser et à faire appliquer les principes énoncés76. Si certains principes énoncent des actions

concrètes à mettre en place (comme la nécessité d’informer le salarié sur la visite de pré-reprise

ou encore la nomination d’un référent qui sera son point de contact), d’autres sont des principes

beaucoup plus larges sans précision sur les démarches concrètes à mettre en œuvre (comme par

exemple la formation des référents aux entretiens de retour ainsi que l’accompagnement des

managers).

76 La charte prévoit les onze engagements suivants : « 1. Maintenir un lien en proposant au salarié absent

de le tenir au courant de l’actualité et des évolutions de l’entreprise afin de lui permettre de conserver

un sentiment d’appartenance ; 2. Informer et sensibiliser le salarié sur l’intérêt de la visite de pré-reprise

afin de lui permettre d’exprimer ses attentes et de construire avec lui, le cas échéant, son nouveau projet

professionnel ; 3. Construire avec le salarié un parcours de maintien ou de reprise en adéquation avec

son projet (constituer une équipe pluridisciplinaire, nommer un référent dans l’entreprise, systématiser

l’entretien de reprise, répertorier et faire connaître aux salariés l’ensemble des partenaires) ; 4.

Sensibiliser et informer les acteurs de l’organisation concernés sur les effets des pathologies cancéreuses

et leurs conséquences au travail ; 5. Former les référents aux entretiens de retour à l’emploi et à

l’accompagnement des managers ; 6. Accompagner les managers dans la gestion du collectif de travail

impacté par cette nouvelle organisation ; 7. Mettre à disposition des salariés des offres d’associations de

patients et d’usagers du système de santé ; 8. Diffuser auprès de l’ensemble des salariés des outils

d’information et de promotion de la santé ; 9. Mettre en œuvre des actions concrètes de promotion de la

santé en s’appuyant sur les différents acteurs ; 10. Établir un bilan annuel avec suivi des actions ; 11.

Participer au Club des entreprises pour échanger sur les bonnes pratiques et faire le point sur les

différentes actions mises en place. » Au 21 mars 2019, 41 entreprises en sont signataires.

Page 189: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

189

Cette démarche visant à proposer aux entreprises de mettre en avant leur responsabilité

sociétale (RSE), a également été choisie par des associations telles que La Ligue contre le

cancer qui a créé le label « Label Ligue Entreprise », symbole de leur soutien à la cause, et

Cancer@Work qui propose aux entreprises de signer une Charte actant leur engagement moral.

En parallèle, d’autres acteurs mettent en place des actions au niveau local. L’emploi du

terme local ne fait pas référence ici à une action qui serait disponible sur un territoire spécifique

mais plutôt à des actions mises en place par des groupes privés (associations) ou généralement

par des individus ou des groupes d’individus qui, de leur propre initiative, ont construit leurs

propres programmes d’intervention. Si, de ce fait, le contenu et la forme de l’intervention

diffèrent d’un acteur à l’autre, de nombreuses similitudes ont pu être observées. Pour

commencer, toutes les associations et organismes étudiés proposant des interventions dans le

milieu professionnel dans le but d’améliorer les conditions de reprise d’un salarié malade

s’accordent sur l’objectif suivant : changer positivement le regard porté sur le cancer en

entreprise77. D’autres acteurs proposent des conférences visant à informer et sensibiliser sur la

maladie de cancer, les traitements et leurs effets secondaires, sur l’aspect chronique des

séquelles et sur les difficultés souvent rencontrées lors de la reprise d’un salarié, ainsi que des

actions d’accompagnement d’une personne malade dans sa reprise du travail (voir à ce sujet La

Ligue contre le cancer, projet PACTE et Entreprise et Cancer). De plus, à l’instar du premier

axe de la Charte INCa, « accompagner le salarié dans le maintien et le retour en emploi » est

un enjeu central des interventions locales. Le Programme d’Actions Cancer Toutes Entreprises

(PACTE) de La Ligue ainsi que l’association Entreprise et Cancer proposent sur ce point des

actions ciblées au plus près des entreprises pour répondre à leurs besoins particuliers (à ceux

des entreprises et à ceux du salarié malade).

Au cours d’un entretien téléphonique, la présidente de l’association Entreprise et Cancer,

Nathalie Vallet-Renart, nous a présenté les actions qu’elle et son équipe mènent quel que soit

le statut hiérarchique du salarié, « quelle que soit l’activité de l’entreprise, quelle que soit la

taille de l’entreprise » et ce, dans toute la France. Si la plupart des entreprises qui font appel à

l’association sont « des grosses PME », employant au moins quelques centaines de salariés, il

77 Dans la Charte de l’INCa, l’un des axes porte sur « les démarches de formation et d’information [qui]

apparaissent essentielles pour inverser positivement le rapport à la maladie et accompagner de manière

efficace les salariés ». Pour La Ligue, la formulation utilisée est la suivante : « La Ligue contre le cancer

vous accompagne pour lever les tabous et changer le regard porté sur le cancer et sur les personnes

touchées par cette maladie ». Cancer@Work s’engage à « faire évoluer les savoirs et les représentations

liés au cancer en entreprise » etc.

Page 190: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

190

arrive que de petites entreprises, de moins de dix salariés, soient également demandeuses d’un

accompagnement, généralement personnalisé. D’après son expérience, les grandes entreprises

mettent bien en place les dispositifs recommandés par les autorités, les principales difficultés

étant davantage de l’ordre de l’organisation en cas d’absence du salarié mais également de

rapports humains. Selon elle, une grande partie de la manière dont va se passer la reprise du

travail dépend avant tout de la relation initiale entre la personne malade et son entreprise, une

personnification regroupant l’ensemble des relations que le salarié a au sein de l’entreprise

(manager, employeur, collègue etc.). Elle précise :

« Là, juste avant vous, j’ai eu une entreprise qui m’a dit ‘‘voilà on a une femme qui

vient de terminer sa chimiothérapie, qui va démarrer ses rayons et euh… elle veut

reprendre son activité professionnelle pendant ses rayons mais à temps partiel

thérapeutique… ben aidez-nous à comprendre là où il faut qu’on soit vigilant, ce

qu’on peut faire pour elle, est-ce que vous pouvez l’accompagner pour peut-être

aussi lui expliquer certaines choses, est-ce que vous pouvez appeler le

manager…’’… voilà l’entreprise dit ‘‘on a envie que ça se passe du mieux possible

pour tout le monde, on a imaginé faire déjà ça, ça et ça mais aidez-nous et dites-

nous si on peut faire d’autres choses’’. (…) Nous notre objectif c’est de leur dire

aussi, quand ils réintègrent un salarié, c’est de leur dire attention, les gens qui

reviennent après un cancer souvent ont envie de revenir, très envie et ils

fonctionnent avec l’envie et pas forcément avec la réalité de leur énergie donc il

faut les accompagner, c’est-à-dire veiller, faire des points réguliers pour voir

comment ça se passe et qu’ils ne se mettent pas tout seul en surrégime et donc qu’ils

n’aillent pas vers un burnout qui refait un arrêt-maladie et qui fait que la personne

pour la récupérer après c’est encore plus long. Donc on est très là-dessus de dire il

vaut mieux prendre un petit peu plus de temps et faire bien attention plutôt que

vouloir à tout prix que ça redémarre et partir dans un mur ». Nathalie Vallet-Renart.

Si elle n’a, au moment de l’entretien, jamais entendu parler des autres initiatives réalisées

par des acteurs sociaux dans le même sens, elle évoque l’idée de développer un partenariat avec

d’autres structures.

Page 191: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

191

En conclusion, ce que proposent ces acteurs apparaît être un complément nécessaire aux

dispositifs existants, les actions étant principalement constituées d’un accompagnement

personnalisé, centré sur l’individu. Les interventions présentées ci-dessus visent des champs

très peu, voire pas du tout, investis dans le cadre du processus classique de reprise d’une activité

professionnelle après un diagnostic de cancer. Le besoin de « changer le regard », exprimé par

l’ensemble des acteurs proposant des interventions dans l’entreprise rappelle la campagne

publicitaire lancée par l’INCa en 2011 : « Je suis une personne, pas un cancer. ». Ces actions

témoignent de la persistance des représentations négatives liées au cancer dans nos sociétés et,

a fortiori, dans nos entreprises. Enfin, qu’elles soient réalisées auprès de personnes malades ou

d’entreprises, la grande majorité de ces interventions entrent dans la catégorie des

« interventions professionnelles », identifiée par De Boer et ses coauteurs (de Boer et al., 2015,

2011), ciblant à la fois le salarié, comme des actions de coaching professionnel ou de

réadaptation, mais également l’environnement de travail, telles que les aménagements du

travail, ou encore des actions visant à améliorer la communication entre ou avec les collègues,

les supérieurs et les professionnels de santé. Pour rappel, les revues de littératures

internationales présentées en introduction de ce chapitre s’accordaient sur une absence d’étude

portant sur ce type d’intervention et sur leur évaluation (Caron et al., 2017; de Boer et al., 2015,

2011; Tamminga et al., 2010). Ainsi, une collaboration entre chercheurs et acteurs de terrain,

semble nécessaire pour évaluer l’action de chacune de ces interventions, d’en évaluer la relative

efficacité ainsi que la capacité de diffusion.

Page 192: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

192

7.4. Synthèse des résultats et conclusion

Si le manque de précisions concernant les circonstances d’aménagement du travail

(instigateurs, date de survenue, durée, connaissance de leur existence par le salarié etc.)

limite les conclusions sur les conditions de l’effet de ces dispositifs sur le maintien en

emploi, nous pouvons néanmoins retenir de ce chapitre les points suivants :

- Le recours à au moins un aménagement du travail en termes de poste, de durée

et/ou d’horaires après un diagnostic de cancer est positivement corrélé au

maintien en emploi à un horizon de cinq années : 90 % d’entre eux sont en

emploi à l’enquête contre seulement 78 % de personnes en emploi au diagnostic

n’ayant eu aucun de ces aménagements du travail ;

- En plus de facteurs de santé (traitements reçus, présence de séquelles etc.)

déterminant les besoins d’adaptation des individus touchés par un cancer, le

recours aux dispositifs d’aménagement du travail semble également soumis à une

sélection en faveur des personnes ayant les caractéristiques socioprofessionnelles

les plus favorables sur le marché du travail (telles que les professions

d’encadrement, les salariés du public et les travailleurs en contrat pérenne). Les

ressources disponibles ne semblent donc pas équitables du fait notamment

d’un défaut d’information ;

- Après prise en compte des principales caractéristiques corrélées au phénomène

de sélection, la corrélation positive entre le recours à au moins un

aménagement du travail, quel qu’il soit, et la probabilité d’être encore en

emploi cinq ans après le diagnostic de cancer demeure significative ;

- Les capabilités nécessaires à la transformation des ressources en

fonctionnement ne sont pas les mêmes pour tous. En l’occurrence, l’utilisation

des dispositifs disponibles pour faciliter le maintien en emploi des salariés a fait

l’objet d’une forme de balance bénéfices-risques par les personnes concernées.

Ces derniers ont fait un calcul mettant en balance d’une part le risque de

discrimination, le risque de marginalisation, le risque de récidive impliquant de

ne pas utiliser tous leurs droits et, d’autre part, le bénéfice principal de

préservation de la santé physique et mentale.

Page 193: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

193

Les références des productions scientifiques relatives à cette étude sont les suivantes :

- Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. Positive

impact of workstation layouts on maintenance in employment among five-year cancer

survivors. (article soumis, en revision à Supportive Care in Cancer) ;

- Alleaume C. « Emploi et cancer : expérience du handicap et aménagement du travail »

dans Gros K. et Lefranc G., Emploi et handicap : de la culture de la responsabilité

sociale à l’émergence de nouvelles formes de travail. Editions Législatives ESF. Juin

2019 (chapitre d’ouvrage, sous presse) ;

- Colloque du Réseau SHS Cancéropôle Nord-Ouest « Cancer et travail » 2019. Alleaume

C, Paraponaris A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. L’aménagement du

travail après un diagnostic de cancer, un dispositif favorable au maintien en emploi à un

horizon de 5 années (communication orale) ;

- 12th European Public Health Conference 2019. Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane

M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. The positive effect of workplace accommodations

on employment five years after a cancer diagnosis (communication orale) ;

- European Society for Medical Oncology (ESMO) Congress 2018. Alleaume C,

Paraponaris A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. Workstation layouts

after a cancer diagnosis: who, what, when and how? (poster) ;

- Colloque Cancéropôle PACA 2018. Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane M-K,

Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. Workstation layouts after a cancer diagnosis (teasing

poster).

Pour conclure ce chapitre, de nombreux dispositifs sont disponibles en France, pourtant,

leur recours socialement différencié met en relief l’impact des inégalités sociales et

professionnelles sur la santé individuelle. S’il ne s’agit pas ici de l’impact des conditions du

travail sur la santé (études dont la littérature est abondamment pourvue), ce sont les conditions

du travail et de l’emploi qui semblent néanmoins déterminer l’accès à des dispositifs de santé

au travail qui, de plus, s’avère particulièrement efficace sur le maintien en emploi à moyen

terme. Le manque de systématisation et d’obligation de proposition des aménagements

constitue un frein à l’égalisation des capabilités individuelles en ce qui concerne la décision de

la poursuite de la vie professionnelle. Soumises à la volonté et à la capacité de l’entreprise de

mettre en place de tels dispositifs, les droits des individus sont informels et inégalitaires.

Page 194: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

194

Ainsi, à l’aune de ce travail de revue de littérature sur l’intervention et de revue d’actions

de terrain, il nous semble nécessaire d’étudier de plus près la multitude d’actions mises en place

par les acteurs sociaux (publics ou privé) et de collaborer en vue de définir plus précisément les

critères d’évaluation des interventions, en évaluer l’intérêt et enfin de proposer leur diffusion.

Par ailleurs, ces interventions remettent au centre de leurs actions l’individu, ses envies, ses

capacités et ses besoins, ce qui nous amène à notre tour à orienter la suite de nos réflexions non

plus sur les différences sociales des groupes d’individus mais sur les différences individuelles

intégrant une dimension sociale, afin d’en analyser l’impact dans le processus de maintien et

de retour en emploi. En effet, l’approche par les capabilités mobilisée dans ce chapitre est

« individualiste au plan normatif » (Robeyns et al., 2007) en ce sens qu’elle s’intéresse aux

structures et plus largement à l’environnement dans lequel évolue l’individu seulement en

fonction de l’importance que cela revêt pour l’individu. Elle s’intéresse non pas à la société

mais à l’individu confronté à « un choix social ». Ainsi, dans ce premier chapitre de la troisième

partie de cette recherche, nous avons choisi de faire état des principaux leviers d’ordres social

et structurel, en portant un intérêt particulier à l’aménagement du travail, qui interviennent dans

le retour au travail et le maintien en emploi après un diagnostic de cancer. Aussi, si l’ensemble

des barrières identifiées en Partie 2 sont levées (grâce notamment à la généralisation

systématique des leviers recensés dans ce chapitre), alors la situation professionnelle observée

après un diagnostic de cancer ouvrirait le spectre des libertés pour l’individu concerné. C’est

donc dans la continuité de cette réflexion que le chapitre suivant propose d’explorer davantage

le parcours biographique de l’individu, dans ses volontés exprimées et ses éventuelles

démarches pour sa reprise du travail.

Page 195: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

195

Chapitre 8. Modèle théorique du retour au travail après un

diagnostic de cancer : l’apport d’une approche par la motivation

« c’est en partant de ce qu’éprouve l’acteur, et de comment il l’éprouve, qu’il s’agit de

rendre compte des grands défis structurels d’une société »

(Martuccelli, 2015, p.55)

C’est d’un article écrit par le sociologue Danilo Martuccelli (Martuccelli, 2015) et portant

sur la notion d’épreuve et, plus précisément définissant l’« épreuve-défi » qu’est issue la

citation ci-dessus. Pour l’auteur, décrire la structure sociale ne suffit plus à comprendre une

société, il faut dépasser les positions sociales et professionnelles des individus et analyser les

processus d’individuation à travers les épreuves auxquelles ceux-ci sont confrontés au cours de

leur vie.

A l’instar de l’approche proposée par le sociologue, dans ce chapitre, nous portons un

intérêt spécifique à l’individu et, plus particulièrement, à sa perception de son expérience du

rapport cancer-travail. L’objectif est d’explorer davantage le processus décisionnel de

l’individu dans la poursuite de son activité professionnelle.

À ce propos, dans son ouvrage Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France

contemporaine, Martuccelli réalise une centaine d’entretiens (auprès de femmes et d’hommes

de différents statuts sociaux) à partir desquels il étudie notamment le travail, en tant que grand

domaine institutionnel auquel tous les individus sont confrontés en France (Martuccelli, 2006).

L’« épreuve-type » qu’il identifie à partir du travail est le rapport « vertu-récompense » et plus

précisément le besoin de réalisation d’un individu à travers le travail et la récompense qu’il en

retire. De plus, certaines recherches (Bakker et Demerouti, 2017; Wrzesniewski et Dutton,

2001) montrent que les travailleurs disposent de ressources au travail qu’ils peuvent augmenter

de manière significative afin d’atténuer certaines tensions (qui peuvent émerger des conditions

de travail à l’instar de celles évoquées précédemment) en étant proactifs. Cela s’applique-t-il à

l’étude de la reprise du travail après un diagnostic de cancer ? Si c’est le cas, comment se

construit et s’affirme cette proactivité dans une décision de reprise du travail ?

Nous pouvons envisager plusieurs formes de prise de décision. La première, d’ordre

chronologique porterait sur le recours à un arrêt de travail. Dans cette recherche, nous avons

pris le parti de porter une attention particulière à la reprise du travail (et donc de considérer

Page 196: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

196

exclusivement les personnes qui ont eu un arrêt-maladie). C’est donc sur ce point que porte

l’objet de la décision étudiée dans ce chapitre. Le retour au travail après un diagnostic de cancer

s’inscrit dans un processus résultant de l’interaction entre l’acteur principal (la personne

atteinte), sa maladie et son environnement social, familial et professionnel. Notre investigation

s’inscrit dans la pensée des travaux menés par le sociologue Andrew Abbott (Abbott, 2001) qui

s’est attaché à prôner une prise en compte de la topographie du contexte, ainsi que de son

caractère mouvant et interactif. L’objet d’étude devient alors un « événement » évolutif parmi

tout un réseau d’événements contingents en interaction. Il ne s’agit donc pas d’étudier quels

sont les éléments associés à telle ou telle forme d’événement (retour au travail ou non) mais de

décrire par quel mécanisme ceux-ci aboutissent à tel résultat. Notre question d’étude est donc

la suivante : dans quelle mesure la reprise du travail résulte-t-elle d’une décision et quelle place

prend la personne atteinte de cancer dans ce processus ?

Nous postulons qu’un individu confronté à un diagnostic de cancer envisage la poursuite

de son activité professionnelle d’abord par la reprise du travail et non par la question du

maintien en emploi, telle qu’elle a été abordée dans la Partie 2 de cette recherche, qui suppose

une anticipation à plus long terme. Pour étudier les circonstances décisionnelles de la reprise

du travail, nous proposons, en première partie de ce chapitre, un état des lieux de la littérature

scientifique sur la thématique et les modèles théoriques mobilisés puis, au regard de ces

constats, un nouveau modèle théorique plaidant pour la prise en compte de la motivation

individuelle dans le processus de reprise sera exposé en seconde partie.

8.1. Modèles théoriques du rapport santé et travail

8.1.1. Approche individuelle de la relation cancer et travail

Comme cela a été évoqué dans le premier chapitre de cette recherche, le cancer peut

constituer une rupture dans la trajectoire professionnelle des individus. Dans son ouvrage Faire

avec le cancer dans le monde du travail (Vidal-Naquet, 2009), le sociologue Pierre Vidal-

Naquet s’intéresse aux rapports des individus à l’emploi et au travail qu’ils occupaient au

moment du diagnostic. Il évoque ainsi les besoins de sécurité et d’épanouissement des individus

sur le plan professionnel et montre comment ces besoins peuvent évoluer en fonction de

l’expérience de la maladie. Par exemple, une « intégration assurée » alliant satisfaction au

travail et sécurité de l’emploi, peut être « confirmée » lorsque le salarié bénéficie de beaucoup

de soutien de la part de son employeur et de ses collègues de travail. Elle peut également être

Page 197: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

197

« fragilisée » par une altération de l’état de santé limitant la bonne pratique de l’activité.

L’auteur identifie également des points de « basculement » défavorable d’une intégration à

l’autre dans le cas par exemple d’un désinvestissement au travail ou d’un licenciement. À

l’inverse, la situation peut s’améliorer lorsque l’environnement de travail est favorable.

Dans une revue de littérature consacrée aux études qualitatives sur le retour au travail

après un diagnostic de cancer, Stergiou-Kita et ses coauteurs présentent une synthèse de 39

articles anglophones dont les résultats sont classés selon quatre catégories : l’expérience du

travail, la planification de la reprise, les facteurs associés au succès de la reprise et la

communication autour de la maladie (Stergiou-Kita et al., 2014).

A travers l’expérience du travail, les auteurs évoquent les différentes sources de

motivation que les individus ont pour reprendre le travail : la distraction, dans le sens où la

reprise permettrait à l’individu de se concentrer sur autre chose que la maladie et lui donnerait

ainsi un sentiment de contrôle ; « le retour à la normale » motiverait l’individu à fermer la

parenthèse de la maladie ; le travail-thérapie tel que nous l’avons évoqué précédemment, la

reprise devenant un moyen de lutter contre la maladie (Tarantini et al., 2014) ; les besoins

financiers ; et la réévaluation de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle,

fortement liée au sens que l’individu attribue à son travail.

Pour ce qui est de la planification de la reprise, plusieurs éléments sont exposés : la date

de la reprise, la disposition à reprendre qui tient compte à la fois du parcours de chaque individu

et des capacités de chacun, de son sens de la responsabilité et de la loyauté envers son

environnement professionnel. La planification concerne également la compréhension des

droits, notamment en termes d’indemnisation, ainsi que les considérations financières qui

peuvent constituer une pression à reprendre le travail rapidement, et enfin leur perception du

soutien social reçu que ce soit de la part de leur environnement professionnel (en termes de

soutien émotionnel et d’aménagement du travail) ou de la sphère personnelle. Les auteurs de la

revue insistent sur l’importance du « rôle actif » de la personne malade dans la planification de

sa reprise et sur les besoins d’étudier les facteurs liés à « la prise de décision ».

Parmi les facteurs associés à un bon retour au travail, les auteurs de la revue identifient

neuf barrières et leviers, parmi lesquels quatre sont des facteurs personnels : les symptômes et

les séquelles afférant à la maladie, la capacité individuelle à travailler et à réaliser les tâches

professionnelles, la capacité des individus à faire face à des perturbations émotionnelles

(anxiété, stress) et enfin la motivation de chacun à reprendre le travail. De plus, trois de ces

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198

facteurs concernent l’environnement du travailleur, qu’il soit professionnel, social et familial

ou lié aux professionnels de santé, avec le soutien social et l’aménagement professionnel. Les

deux derniers facteurs concernent la nature du travail : le type de travail occupé et plus

précisément la demande physique et psychologique de l’activité, et sa flexibilité (latitude

professionnelle).

Enfin, la dernière catégorie identifiée par les auteurs concerne la communication autour

de la maladie, les stratégies et les calculs développés par les individus auprès de leur famille,

leurs amis, leurs supérieurs hiérarchiques et leurs collègues de travail, pour obtenir du soutien

sans être stigmatisés.

En conclusion de cette revue, les auteurs insistent sur l’importance de considérer le

caractère chronique du cancer qui évolue et fait évoluer l’état de santé des individus et, en

conséquence, leur aptitude à travailler. Ils soulignent ainsi la nécessité d’informer, d’éduquer

la population, les managers et les professionnels de santé sur la maladie, ses symptômes et sa

gestion en entreprise et plaident pour un suivi régulier des personnes qui reprennent le travail

après un diagnostic de cancer.

Cet accompagnement, c’est notamment ce que propose l’association Entreprise et cancer

mentionnée dans le chapitre précédent pour son activité auprès des salariés qui reprennent le

travail après des traitements pour un cancer. Nous citions sa présidente, Nathalie Vallet-Renart

qui explique : « les gens qui reviennent après un cancer souvent ont envie de revenir, très envie

et ils fonctionnent avec l’envie et pas forcément avec la réalité de leur énergie donc il faut les

accompagner, c’est-à-dire veiller (...) qu’ils ne se mettent pas tout seuls en surrégime et donc

qu’ils n’aillent pas vers un burn-out ». L’emploi répété du mot « envie » traduit la motivation

exprimée par les individus que nous évoquions précédemment et qui nous semble de première

importance pour parler de la décision de la reprise. Aussi, si le terme générique « santé

mentale » n’est presque jamais employé, les notions de stress, d’anxiété, voire de « burn-out »

sont souvent utilisées comme des barrières à la reprise du travail après un diagnostic de cancer.

Ces mots témoignent de la charge mentale que constitue la maladie et en l’occurrence de sa

gestion dans la sphère professionnelle. Considérant de plus que, pour certains, l’environnement

professionnel est un facteur de causalité de la maladie78, « travail-menace » (Tarantini et al.,

2014), la notion de santé mentale nous semble être d’un apport heuristique pour notre recherche.

78 Nous faisons ici référence à la fois aux personnes atteintes d’un cancer d’origine professionnel et à

celles qui attribue, au moins en partie, l’origine de la maladie à leur environnement professionnel.

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Les études que nous venons de mobiliser sont toutes pertinentes pour comprendre certains

facteurs du processus de retour au travail ou retour en emploi après un diagnostic de cancer,

cependant, elles ne permettent pas de comprendre le lien entre les conditions de travail et la

santé mentale. Or, tout comme le dit Mme Vallet-Renart, Présidente d’Entreprise et Cancer, et

comme nous venons de l’expliquer, la relation entre le travail et la santé mentale est un aspect

important dont il faut tenir compte pour appréhender le retour au travail ou en emploi après un

arrêt-maladie de longue durée. Pour ce faire, certains modèles théoriques permettent de

comprendre comment les conditions de travail peuvent avoir un impact sur la santé mentale des

travailleurs. Dans la section qui suit, nous présentons ces modèles.

8.1.2. Modèles théoriques du rapport entre les conditions de travail et la

santé mentale des travailleurs pour une meilleure compréhension de

la motivation professionnelle post-diagnostic de cancer

Depuis plus de quarante ans, des études mettent en évidence le lien entre les conditions

de travail et la santé mentale des travailleurs. Trois grands modèles prédominent dans la

littérature : le modèle demande-contrôle-soutien de Karasek et Theorell (1990), le modèle

efforts-récompenses de Siegrist (1996) et le modèle demande-ressources de Demerouti (2001).

Ces modèles permettent de montrer que certaines caractéristiques de l’organisation du travail

telles que les exigences psychologiques, les exigences physiques, le manque de latitude, et

certaines caractéristiques relatives à l’individu et à ses ressources telles que le déséquilibre entre

les efforts fournis par le travailleur et les récompenses perçues, pourraient se révéler des sources

de tensions chroniques pouvant contribuer au développement de certains troubles de santé

mentale (pour une synthèse des connaissances, voir : Ibrahim et Ohtsuka, 2012; Lesener et al.,

2019; Stansfeld et Candy, 2006). Le stress engendré par ces différentes sources de tensions

résulterait d’un déséquilibre entre la demande inhérente à l’emploi et les capacités (ou

capabilités) dont dispose l’individu (Lazarus et Folkman, 1984).

Ces modèles d’impact des conditions de travail sur la santé mentale constituent une base

essentielle à la compréhension de l’impact de l’environnement professionnel sur la motivation

de la personne à reprendre son activité. En effet, les individus atteints d’un cancer en âge d’être

actifs ont, le plus souvent, une histoire professionnelle, ils occupaient pour la plupart un emploi

au moment du diagnostic et leur appréhension de la reprise ou du maintien de cette activité est

conditionnée par le rapport qu’ils entretenaient avec cet emploi et cette activité.

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Le modèle demande-contrôle-soutien de Karasek et Theorell (1990)

Karasek fut l’un des premiers à proposer un modèle de compréhension du rôle de

l’environnement professionnel sur l’état de santé mentale des travailleurs. En 1979, il propose

le modèle demande-contrôle (« job demand-control model » ou « job strain model »), modèle

bidimensionnel expliquant qu’un déséquilibre entre les demandes psychologiques de l’emploi

occupé (charge de travail exigée, contrainte organisationnelle sur le temps d’exécution par

exemple) et la latitude décisionnelle dont dispose l’individu (participation aux décisions,

capacité de contrôle sur son activité, autonomie et utilisation de ses compétences) conduit à une

augmentation de la charge mentale du travailleur, traduite notamment par du stress et/ou une

insatisfaction au travail (Karasek, 1979). À l’inverse, des exigences professionnelles élevées

associées à une importante latitude décisionnelle favoriseraient le développement personnel de

l’individu au travail et seraient ainsi plus souvent associées à des situations de bien-être.

Ce modèle est agrémenté par la suite et prend une nouvelle dimension : le soutien social.

Il devient le modèle demande-contrôle-soutien (« job demand-control-support model ») de

Karasek et Theorell (Karasek et Theorell, 1992). Les auteurs corrigent ainsi une des limites

majeures fortement reprochées au modèle précédent de Karasek. Le nouveau modèle postule

que la pression professionnelle que l’individu peut subir par le fait de l’interaction entre la

demande psychologique et la latitude professionnelle peut être modérée par un soutien au travail

important, qu’il provienne des collègues de travail ou bien de l’employeur. A contrario,

l’absence de soutien au travail augmenterait les risques de troubles psychologiques en cas de

demandes psychologiques plus importantes que la latitude individuelle.

Cependant, si l’effet positif du soutien social fut démontré dans la littérature, ce n’est

pas le cas de son rôle modérateur dans la relation demande-contrôle. Largement validé dans la

littérature, ce modèle propose un effet d’interaction et suppose que les trois dimensions se

combinent pour avoir un effet sur la santé mentale du travailleur. Cependant, les synthèses des

connaissances portant sur le modèle de Karasek et Theorell montrent que les effets d’interaction

entre la demande, le contrôle et le soutien sont rarement soutenus empiriquement (Häusser et

al., 2010; Ibrahim et Ohtsuka, 2012; Stansfeld et Candy, 2006). En revanche, la majorité des

études recensées dans ces revues s’accorde sur l’effet additif des dimensions du modèle, les

demandes psychologique et physique pouvant avoir un impact sur la santé mentale, y compris

en présence d’une autonomie importante.

Page 201: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

201

Le modèle effort-récompense de Siegrist (1996)

En 1996, le sociologue Siegrist propose un modèle qui permet d’expliquer d’autres

composantes des conditions de travail qui ne sont pas prises en compte par le modèle de Karasek

et Theorell. Dans ce modèle, le stress au travail est expliqué en fonction de deux dimensions :

les efforts et les récompenses (Siegrist, 1996).

Ce modèle effort-récompense (« effort-reward imbalance ») illustre l’hypothèse selon

laquelle un déséquilibre entre les efforts fournis par le salarié et les récompenses qu’il en retire

constituerait un facteur de risque pour sa santé. Le sur-engagement ou le surinvestissement au

travail (effort intrinsèque) traduit ainsi un besoin de reconnaissance du salarié (Siegrist, 2005,

2001) et si celui-ci n’est pas satisfait, cela pourrait entraîner une détresse psychologique

importante. De même, les salariés contraints de fournir d’importants efforts pour répondre à

une forte charge de travail et/ou à de nombreuses responsabilités (efforts extrinsèques) et qui

seraient peu récompensés (par exemple par la rémunération, l’estime des collègues et/ou de

l’employeur, le sentiment d’auto-efficacité ou encore la perspective de promotion ou de

sécurité) sont les plus à risque d’effets délétères sur leur santé. À l’instar du modèle de Karasek

et Theorell, le modèle de Siegrist donne lieu à la construction d’une échelle psychosociale (« the

Effort-Reward Imbalance Questionnaire ») largement utilisée dans les enquêtes quantitatives

portant au moins en partie sur l’impact de l’environnement professionnel sur la santé mentale

des individus, y compris dans le contexte français (Niedhammer et al., 2000). Si on lui reproche

souvent d’être trop simpliste (Demerouti et Bakker, 2007; Tsutsumi et Kawakami, 2004), ses

hypothèses ont largement été validées par la littérature (Jones et Kinman, 2008).

Le modèle demandes-ressources de Demerouti (2001)

En 2001, Demerouti et ses coauteurs proposent un modèle (Demerouti et al., 2001) inspiré

à la fois de celui de Karasek et Theroell et de celui de Siegrist : le modèle exigence-ressources

(« job demands ressources model ») présenté dans la figure 8.1 (Bakker et Demerouti, 2017).

D’après ce modèle, l’ensemble des caractéristiques professionnelles peuvent être catégorisées

dans l’une des deux dimensions suivantes : les demandes professionnelles ou les ressources

professionnelles. Celui-ci postule qu’une importante charge de travail associée à un manque de

ressources disponibles serait un facteur de risque à la fois de stress et d’usure professionnelle

puisque cela entraînerait une hausse de l’effort à fournir concomitante à une baisse de la

motivation. Résultat, l’altération de la santé combinée à une diminution de la motivation

entraînerait une baisse de la performance. Il ajoute les ressources personnelles qui, à l’instar

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202

des ressources professionnelles, ont un rôle direct sur l’engagement au travail. D’une part les

salariés motivés sont plus susceptibles de prendre des initiatives professionnelles, ce qui

augmente le niveau de ressources professionnelles et personnelles, qui deviennent moteurs de

motivation et favorisent ainsi la performance. D’autre part, le stress au travail peut entraîner

des comportements d’auto-sabotage, ce qui conduit à une augmentation des exigences

professionnelles et renforce ainsi le stress.

Figure 8.1. Modèle exigences-ressources de Demerouti (201779).

Ces trois modèles nous invitent à penser la question du rapport de l’individu à son activité

professionnelle à travers différentes caractéristiques liées à l’organisation même du travail telles

que la demande physique, la demande psychologique, la latitude décisionnelle, la présence de

soutien social au travail, les ressources organisationnelles (liées aux politiques de l’entreprise)

et la présence de reconnaissance, ainsi qu’à travers des caractéristiques liées à l’individu

notamment ses ressources personnelles et sa perception de son activité : le sens qu’il lui donne,

la reconnaissance qu’il perçoit et ses capacités à surmonter les difficultés. Pour cela, ces

éléments sont pris en compte dans notre recherche pour penser le mécanisme de reprise du

travail dans le cadre particulier d’un diagnostic de cancer, source de tension supplémentaire que

l’individu doit affronter.

79 A la suite du modèle proposé en 2001, Demerouti et ses collaborateurs ont continué à améliorer la

représentation schématique du modèle « Job Demands-Resources ». La version proposée ici est la

dernière en date.

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203

La mobilisation de ces modèles dans notre recherche nous amène à formuler les

hypothèses suivantes :

- H8.1. La première hypothèse concerne la motivation individuelle, identifiée comme un

facteur personnel de succès de la reprise du travail après un diagnostic de cancer

(Stergiou-Kita et al., 2014). Nous supposons dans cette recherche que, plus qu’un

facteur associé, la motivation constitue un élément central de la reprise du travail. Elle

déterminerait les conditions de reprise d’un individu quel que soit son environnement

professionnel.

- H8.2. La motivation d’un individu à reprendre le travail résulte d’un processus évolutif

de construction individuelle. À l’image du modèle de Demerouti, la motivation serait

influencée par les ressources personnelles, les ressources professionnelles mais aussi

par la santé mentale des individus, éléments contingents à la tension entre les demandes

professionnelles, les ressources et les capacités de contrôle personnelles. S’ajouteraient

spécifiquement dans notre cas d’analyse les éléments relatifs à la maladie.

- H8.3. Comme dans le modèle de Siegrist, nous supposons que l’équilibre entre les

efforts fournis et la récompense perçue est un élément important du rapport des

individus au travail, a fortiori dans un contexte marqué par une rupture biographique

comme peut l’être la maladie. Ainsi, un déséquilibre dans la balance effort-récompense

devrait s’avérer explicatif d’un changement professionnel radical.

- H8.4. Une multitude d’acteurs, principalement de la sphère médicale, intervient lors du

retour au travail des individus. Cependant, nous faisons l’hypothèse que la motivation

individuelle reste le fil directeur du processus de reprise guidant l’interaction avec ces

acteurs impactant la prise de décision. Ainsi, au-delà des caractéristiques

sociodémographiques et économiques des individus dont l’effet a notamment été

montré dans la Partie 2 de cette recherche, la motivation des individus permet

d’expliquer les stratégies que ceux-ci adoptent en vue de la poursuite de leur vie

professionnelle.

Pour étayer ces hypothèses, la suite de ce chapitre est consacrée à la présentation d’un

modèle schématique du processus de retour au travail, lequel accorde une place centrale à la

motivation individuelle. L’ensemble des déterminants supposés de ce processus sont exposés

de façon détaillée.

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204

8.2. Modèle théorique « Processus motivation - reprise du travail » après

un diagnostic de cancer

8.2.1. Le diagnostic de cancer, un point de bifurcation ?

Dans le chapitre 1, nous avons fait état de la littérature sur le phénomène de rupture

biographique post-diagnostic de cancer. L’expérience de la vulnérabilité individuelle et sociale

peut entraîner un point de rupture dans le parcours biographique : les envies et les priorités

changent, les besoins de chacun se modifient ou prennent plus de place et surtout les attentes

personnelles et professionnelles sont (ré)interrogées. Pour certains, la maladie entraîne une

« bifurcation biographique » telle qu’elle a été définie par le sociologue Michel

Grossetti (Grossetti, 2009) : « un processus dans lequel une séquence d’action comportant une

part d’imprévisibilité produit des irréversibilités qui concernent des séquences ultérieures »

(p.147). Le cancer est un événement imprévisible (bien que la présence de certains facteurs

augmente les risques) et a des conséquences qui peuvent être irréversibles sur le plan de la santé

(séquelles physiques et mentales laissées par la maladie et/ou ses traitements) mais également

sur différents pans de la vie personnelle et professionnelle (perte d’emploi, etc.).

Parmi les participants à l’enquête quantitative VICAN5, 61,4 %80 des personnes de moins

de 55 ans en emploi au diagnostic ont déclaré avoir changé de priorités dans la vie depuis la

maladie. Si cette notion n’a pu être explorée plus précisément, elle fait écho aux résultats de

l’enquête qualitative CAREMAJOB, lors de laquelle nombreuses étaient les personnes ayant

également manifesté un changement de priorités comme nous allons le montrer ici.

Contrairement à une analyse classique des trajectoires de vie sous l’angle des bifurcations,

les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête avaient pour seul point commun le fait

d’avoir été diagnostiquées d’un cancer alors qu’elles étaient en emploi. La présence d’une

bifurcation dans leur parcours n’a été initialement qu’une hypothèse fondée sur les enjeux de

santé et de conditions de vie post-diagnostic impliqués par la maladie, largement documentés

80 La population d’étude, c’est-à-dire les personnes âgées de moins de 55 ans au moment du diagnostic,

se distingue de l’ensemble de la population sur cette question puisqu’en moyenne 44,2 % des 4 174

personnes interrogées dans VICAN5 ont déclaré avoir changé de priorité depuis le diagnostic contre

plus de 60 % parmi celles de moins de 55 ans (61,5 % globalement et 61,4 % de celles en emploi au

diagnostic). La différence de moyenne dans ces deux populations (population totale et population de

moins de 55 ans) s’est avérée statistiquement significative.

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205

dans la littérature. Pour l’ensemble des personnes interrogées lors des entretiens (N=21), la vie

professionnelle a été modifiée de manière temporaire ou permanente créant ainsi sur le plan

professionnel un avant et un après cancer. Néanmoins, peut-on toujours parler de bifurcation ?

Une bifurcation professionnelle a été observée selon deux schémas : contrainte par la

maladie ou choisie par l’individu. Par exemple, lorsque la gravité de la maladie entraîna une

altération de l’état de santé qui se trouva en conséquence incompatible avec la nature de

l’activité professionnelle occupée avant le diagnostic, comme ce fut le cas pour Clotilde (qui

ne peut plus porter de charges lourdes ni lever le bras, son activité de mise en rayon devenant

ainsi impossible). À l’inverse, pour Quentin, la bifurcation fut un choix personnel. Il a préféré

quitter le secteur du commerce international, domaine dans lequel il faisait son stage au moment

du diagnostic, pour le secteur de la restauration. Cette situation de rupture professionnelle a été

observée pour neuf personnes parmi les vingt-et-une interrogées. Cependant, l’analyse plus

précise de chaque trajectoire révèle qu’en plus de ces neuf personnes, six autres ont connu des

modifications parfois importantes de leurs conditions de travail. En outre, cinq personnes se

trouvaient au moment de l’enquête, en phase aiguë de la maladie, rendant dès lors l’analyse

inefficiente sur ce point.

Pour l’ensemble des cas, ces observations ponctuelles de la situation professionnelle

occupée au moment du diagnostic puis entre le diagnostic et la seconde phase de l’enquête

CAREMAJOB, sont racontées par les individus concernés à travers une mise en cohérence de

chaque étape en fonction de leurs motivations. En effet, le processus de reprise est

systématiquement évoqué en regard des motivations individuelles. Par exemple, certains

justifient leur reprise par une volonté de combattre la maladie, d’autres, à l’inverse, expliquent

la prolongation de leur arrêt de travail par un besoin de se recentrer et préserver sa santé. Dans

l’ensemble des entretiens, les actions entreprises ou non pour reprendre le travail sont toujours

expliquées, justifiées, « mises en cohérence » (Voegtli, 2004). C’est pourquoi, nous souhaitons

considérer la motivation comme un élément central du modèle de la reprise du travail.

Par ailleurs, les résultats exposés dans les chapitres précédents ont montré que la reprise

du travail telle qu’elle fut observée notamment à une distance de cinq années du diagnostic, ne

s’est, dans la plupart des cas, pas opérée de manière instantanée. Nous avons en effet montré

par exemple qu’un quart des salariés avaient eu une reprise progressive requérant un temps

partiel thérapeutique (chapitre 7). De même, pour les personnes ayant changé d’emploi, une

phase intermédiaire a souvent eu lieu entre la situation occupée au diagnostic et celle observée

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206

à l’enquête (chapitre 4). Ainsi, il semble essentiel de considérer la poursuite professionnelle

comme un processus pouvant aboutir au bout de quelques jours pour certains (comme pour la

retraite par exemple) à quelques années pour d’autres. Nous faisons néanmoins le postulat que

l’« aboutissement » intervient systématiquement, que ce soit dans l’emploi ou dans l’inactivité

(retraite ou invalidité notamment).

Ainsi, pour la suite de notre analyse, nous retenons une acception large de la motivation

afin d'en délimiter les contours. Nous considérons la motivation comme un processus évolutif,

issu d’une construction identitaire. À l’inverse de la réaction, la motivation se définit au fil des

étapes contingentes de compréhension de la maladie, d’acceptation de son nouvel état de santé

et d’appréhension de la reprise du travail. Elle peut se modifier en fonction des expériences

individuelles de la maladie d’une part et du travail d’autre part. Elle est le fil directeur du

processus de reprise du travail.

8.2.2. Modèle synthétique du retour au travail après un diagnostic de

cancer : pour une prise en compte du processus

Dans la littérature portant spécifiquement sur le retour au travail avec une maladie

chronique, les différents modèles disponibles (Caron et al., 2013, Chow et al., 2014) portent le

plus souvent sur les facteurs qui y sont associés. Peu de travaux tiennent compte du caractère

dynamique du retour au travail et aucun n’accorde une place centrale à la motivation de

l’individu. Ainsi, comme le montre la figure 8.2 ci-dessous, la version schématisée proposée

représente la reprise du travail comme un processus dynamique visant la stabilité de la situation

professionnelle. Celle-ci peut s’observer par un retour à la situation initiale - c’est-à-dire une

reprise de l’emploi occupé au diagnostic dans les mêmes conditions - ou à travers un

changement radical, tel que la sortie du marché du travail pour un départ à la retraite par

exemple ou un enregistrement en inactivité pour invalidité, ou encore tel qu’un changement

d’emploi. En revanche, le chômage, s’il peut être de longue durée, est de notre point de vue une

situation intermédiaire dont l’objectif est l’emploi, il ne peut en ce sens être considéré comme

une situation « stable ». De plus, la stabilité supposée de la situation n’est pas analogue à

l’irréversibilité de la situation et ne constitue pas en ce sens une variable binaire de la forme :

retour à la situation initiale versus bifurcation. En effet, il peut s’agir également d’un retour à

l’activité occupée au diagnostic de manière réduite. Cette réduction se définit par une

diminution du temps de travail par exemple ou encore par une baisse de l’investissement.

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207

Ces modifications, moins visibles que les bifurcations, n’en sont pas moins des marques

de l’impact de la maladie sur la vie professionnelle des individus. Celles-ci témoignent de la

motivation des individus qui, selon nous, peut être classée en trois grandes catégories : 1) la

volonté de « fermer la parenthèse », c’est-à-dire de reprendre sa vie personnelle et

professionnelle initiale, 2) la volonté de redéfinir ses priorités et généralement préserver sa

santé, et 3) la reconsidération de ses attentes professionnelles, notamment de l’adéquation avec

ses valeurs personnelles. À l’image du schéma présenté en figure 8.2, cette motivation serait le

fruit d’interactions entre différentes dimensions individuelles et sociales telles que le contexte

économique et social, les caractéristiques de l’individu concerné, les caractéristiques de la

maladie et les caractéristiques de l’environnement professionnel dans lequel il était au moment

du diagnostic.

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208

Figure 8.2. Modèle théorique du processus de poursuite de l’activité professionnelle après un

diagnostic de cancer.

Page 209: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

209

Contexte économique et social

L’environnement dans lequel évoluent les individus est particulièrement important pour

comprendre dans quelles dispositions ils sont amenés à faire des choix de vie. Dans leur modèle,

Caron et ses coauteurs avaient intégré « les politiques, les procédures et les facteurs

économiques » (Caron et al., 2013). En l’occurrence, l’état du marché de l’emploi et du travail

et le système de solidarité sociale en place semblent particulièrement importants pour

comprendre les motivations des individus. On postule ainsi qu’une personne évoluant dans une

société caractérisée par un très faible taux de chômage et par une offre importante et variée

d’emplois, serait peu contrainte pour envisager la poursuite de sa vie professionnelle après un

diagnostic de cancer : la peur de ne pas retrouver un emploi à son niveau de compétence serait

moindre et les possibilités de reconversion sembleraient plus abordables. À l’inverse, une

société caractérisée par un taux de chômage important et une forte concurrence dans l’offre de

travail pourrait restreindre les choix des individus qui prendraient alors plus de risque s’ils

quittaient leur emploi. Si ces considérations sont plausibles dans leur globalité, elles dépendent

également fortement du travail et de l’emploi occupé (secteur d’activité, niveau de qualification,

etc.). Par ailleurs, le contexte social est également un élément décisif dans la construction de la

motivation à reprendre. En effet, l’existence en France d’un système de solidarité sociale traduit

par des cotisations obligatoires reversées sous formes d’indemnités de compensation en cas

d’arrêt de travail pour raison de santé permet d’accorder un temps consacré exclusivement au

travail de soins. Dans des pays où ce système de solidarité n’existe pas, les durées d’absence au

travail après un diagnostic de cancer sont généralement plus courtes (Amir et al., 2007;

Stergiou-Kita et al., 2014). De même, les sociétés caractérisées par un faible niveau de

protections sociales (revenu de solidarité, allocations de chômage etc.) pourraient amener les

individus à rechercher plus souvent une reprise du travail plus rapide. Enfin, la loi française

impose un quota minimum de salariés présentant un handicap pour toute entreprise de plus de

20 salariés, ce qui peut faciliter l’emploi des personnes atteintes de cancer, dont la situation est

éligible à la qualification de travailleur handicapé.

Page 210: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

210

Caractéristiques individuelles

Caractéristiques sociodémographiques. De nombreuses études ont soulevé la disparité

des probabilités de se maintenir en emploi après un diagnostic de cancer selon les

caractéristiques individuelles (Mehnert, 2011; Paltrinieri et al., 2018; Spelten et al., 2002;

Taskila et Lindbohm, 2007). Ainsi, un âge avancé et un niveau d’études faible sont des

caractéristiques sociodémographiques positivement associées à la sortie de l’emploi. De même,

la situation familiale, comme la présence d’enfant(s) à charge est un facteur favorable pour la

reprise pour les hommes uniquement.

Connaissances. On suppose qu’en fonction de leur niveau de connaissances de la

maladie, sur ses symptômes et ses séquelles, les individus auront une motivation à reprendre

différente. Par exemple, les connaissances sur les facteurs de risque de la maladie pourront

freiner certaines personnes à s’exposer à ces facteurs de risque pour travailler (exposition

professionnelle ou encore exposition à des chutes ou des accidents durant le transport etc.).

Les croyances personnelles. Aux caractéristiques démographiques et

socioéconomiques dont les effets ont été analysés dans la première partie de cette recherche, le

modèle proposé par Chow et al. (Chow et al., 2014b) ajoute les croyances personnelles vis-à-

vis du rapport au travail qui se trouve modifié à l’épreuve de la maladie. Dans le modèle proposé

ici, nous distinguons les croyances personnelles, relatives à la maladie, à la perception du risque

et à l’environnement professionnel, et les croyances normatives, relatives aux normes sociales

intériorisées par l’individu. Sans explication médicale sur les causes du cancer, la plupart des

personnes atteintes développent de multiples théories étiologiques visant à comprendre ce que

l’anthropologue Pierre Moulin nomme « l’origine du mal » (Moulin, 2005). Parmi ces

différentes théories, celle de la psychogénèse est massivement partagée malgré l’absence de

validation scientifique (Sarradon, 2009). Or, les pressions psychologiques et physiques mises

en cause se rapportent souvent à celles subies au sein de l’environnement professionnel. La

croyance selon laquelle le diagnostic du cancer constituerait un signal d’alarme sur la

dangerosité de la situation est particulièrement associée à un recul de la reprise du travail, à un

désengagement professionnel, voire à une volonté de sortir de la vie active (Tarantini et al.,

2014). De plus, les croyances liées à l’emploi peuvent également avoir un rôle dans la

construction de la motivation individuelle. Les personnes qui anticipent les réactions et les

actions qui pourraient être mise en place (ou non) au sein de l’environnement de travail tiennent

compte de ces croyances dans la construction de leur motivation.

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211

Les croyances normatives. La pression sociale de la bonne conduite à tenir est souvent

un facteur à prendre en compte pour analyser un comportement individuel. Dans notre cas

d’étude, les croyances sur ce que l’individu concerné pense être le bon comportement à tenir

(parce qu’il pense que les autres agissent comme tel ou parce qu’il pense que c’est le

comportement qu’on attend de lui) peuvent être des caractéristiques associées à la motivation

que la personne aura vis-à-vis de la suite de sa vie professionnelle, pour répondre à un principe

de désirabilité sociale.

État de santé. La présence de comorbidités (diabète, troubles psychiques etc.) constitue

un élément d’augmentation du risque de sortie de l’emploi après un diagnostic de cancer.

Ajoutée au cancer, elle contribue à l’altération de la santé physique et mentale de la personne

malade. De plus, au-delà des comorbidités, l’état de santé initial perçu est également un facteur

à prendre en compte dans la motivation des individus à reprendre le travail. En effet les

personnes se sentant en mauvais état de santé auront plus de risques de connaître une mauvaise

expérience de la maladie et de vouloir préserver leur santé, redéfinissant ainsi leurs priorités.

Capacité de contrôle. Elle traduit la capacité individuelle à faire face aux difficultés

rencontrées, en l’occurrence la maladie, et à ses éventuels impacts sur la vie professionnelle.

Cette notion peut être appariée à celle des stratégies d’adaptation évoquées dans le chapitre 5,

et est relative aux caractéristiques sociodémographiques d’un individu.

Soutien social. Le soutien social et familial a souvent été cité dans la littérature comme

favorisant la reprise du travail (Berry, 1993; Spelten et al., 2002; Stergiou-Kita et al., 2014;

Taskila et al., 2007, 2006; Taskila et Lindbohm, 2007). Si aucun effet de causalité sur le

maintien en emploi n’a pu être mis en évidence dans la partie précédente (chapitre 4), nous

supposons que celui-ci a néanmoins un effet modérateur sur les difficultés rencontrées.

Caractéristiques médicales

Les caractéristiques médicales ayant un impact sur le retour au travail ont été largement

renseignées dans la littérature scientifique (Alleaume et al., 2018; Chow et al., 2014b; Mehnert

et al., 2013; Paltrinieri et al., 2018). En concordance avec ces résultats, les caractéristiques

référencées dans ce modèle se divisent en deux catégories : celles de la maladie et celles

afférentes aux traitements.

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212

La maladie. Comme souligné dans la première partie, et plus particulièrement dans le

chapitre 4, la nature du cancer est la première caractéristique associée au retour au travail. Les

personnes atteintes d’un cancer dit « de mauvais pronostic » (INCa, 2010), comme le cancer du

poumon, ont plus de risque de ne pas reprendre leur activité du fait de la gravité de la maladie

et des risques de séquelles qui y sont associés. Quelle que soit sa localisation, un stade avancé

de la tumeur au diagnostic et une évolution péjorative de la maladie par la suite sont deux

facteurs de risque de sortie de l’emploi.

Ses traitements. D’après la littérature portant sur le sujet, la quasi-totalité des travaux

identifie la chimiothérapie comme ayant un effet négatif sur le maintien en emploi (Paltrinieri

et al., 2018). La durée des arrêts-maladie dans le cas d’un traitement par chimiothérapie est

généralement plus longue et les effets secondaires – parmi lesquels la fatigue et les troubles

cognitifs sont les plus souvent cités - sont très fréquents. Dans le cas spécifique du cancer du

sein, la chirurgie non conservatrice a également été associée à des taux de maintien en emploi

plus faibles que la chirurgie conservatrice. Ce résultat peut s’expliquer par la gravité de la

maladie, par les temporalités souvent très longues de la reconstruction lorsqu’elle a lieu, par

une altération de l’image du corps qui y est souvent associée mais également par la présence de

douleurs neuropathiques chroniques dont la prévalence est plus importante parmi les personnes

ayant subi ce type de chirurgie. Enfin, la radiothérapie a également été identifiée comme

associée à une sortie de l’emploi chez les hommes atteints d’un cancer colorectal (Chow et al.,

2014a). La durée des traitements et la présence d’effets secondaires définissent le caractère

chronique de la maladie (exemple de l’hormonothérapie prescrite sur dix ans ou de la fatigue

souvent conséquente de la chimiothérapie pouvant devenir chronique).

L’ensemble des caractéristiques médicales citées ici témoigne d’une altération des

capacités physiques et mentales des individus ce qui peut avoir diverses conséquences. Cela

peut à la fois induire une incapacité à exercer l’activité professionnelle telle qu’elle était

occupée avant le diagnostic (inaptitudes) mais aussi une altération de la motivation, elle-même

gage de la performance dans l’exercice de l’activité comme cela a été modélisé par Demerouti

(Bakker et Demerouti, 2017).

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213

Environnement professionnel et caractéristiques de l’emploi occupé avant le diagnostic

L’environnement professionnel regroupe différentes dimensions, ayant chacune un effet

spécifique sur le processus de reprise : les caractéristiques de l’entreprise, les caractéristiques

de l’emploi et celles liées au travail, c’est-à-dire à l’activité professionnelle.

Caractéristiques de l’entreprise. La taille de l’entreprise définie par le nombre de

salariés qu’elle emploie, est un indicateur de sa capacité d’adaptation matérielle et humaine

(aménagement de poste, remplacement, offre de formation). En effet, les petites entreprises

disposent d’une marge de manœuvre réduite pour remplacer un salarié absent. Parfois, il est

difficile de compenser la charge de travail de celui-ci tant son savoir-faire peut être unique au

sein de l’entreprise. Le secteur d’activité auquel elle appartient influence également ce qui

pourra être mis en œuvre pour le salarié : la loi prévoit notamment une obligation de

reclassement pour tout salarié du secteur public en cas d’inaptitude. Enfin, la politique de

gestion des ressources humaines en termes de fidélisation de son équipe par exemple est

déterminante dans les moyens que l’entreprise pourrait mettre en place pour conserver son

salarié. Ceci est particulièrement lié à la taille de l’entreprise, mais également à l’emploi occupé

et, plus spécifiquement, au niveau de qualification nécessaire à son affectation. Par exemple,

dans le cas d’emplois peu qualifiés, une entreprise peu soucieuse de la fidélisation de son

personnel ou n’ayant pas les ressources nécessaires, sera plus encline à remplacer le salarié

malade limitant ainsi les possibilités de réintégration de ce dernier au même poste qu’avant la

maladie.

Caractéristiques du travail. La demande physique, la demande psychologique, la

latitude décisionnelle, la présence de soutien social au travail et la présence de reconnaissance

des pairs ou de la hiérarchie constituent des éléments essentiels à la compréhension des

conditions de travail d’un individu. Ils sont, en tant que tels, pris en compte dans cette recherche

dans la relation entre l’environnement professionnel et la motivation d’une part et celle entre

l’environnement professionnel et la reprise d’activité d’autre part. En effet, cela a été soulevé

précédemment, le manque de reconnaissance au travail est un des facteurs clés dans l’altération

de la santé mentale des travailleurs (Demerouti et al., 2001; Siegrist, 1996) et, en ce qui nous

concerne, dans la manière dont la personne appréhende sa reprise. Dans notre cas d’analyse, ce

besoin de reconnaissance est double : il porte à la fois sur la reconnaissance du travail effectué,

ainsi que sur la reconnaissance de l’expérience vécue en tant que malade du cancer. De plus,

l’adéquation des compétences individuelles à l’activité occupée au diagnostic peut également

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214

influencer la motivation : si le travailleur n’est pas à l’aise dans son activité du fait de ses

compétences, l’absence au travail pendant le traitement d’un cancer peut participer au

développement d’une motivation très modérée pour la reprise.

Caractéristiques de l’emploi. Les conditions d’emploi du travailleur sont déterminantes

à la fois sur sa motivation à reprendre et sur la reprise en elle-même. Sur ce point, les différences

entre les travailleurs salariés et les travailleurs non-salariés ont été spécifiquement documentées

dans les deux premiers chapitres de la deuxième partie de cette recherche (chapitres 4 et 5). La

couverture sociale associée au statut d’emploi incite plus ou moins la personne à reprendre son

activité en fonction des compensations financières reçues pour la perte de salaire relative à

l’arrêt de travail. De même, le statut professionnel et les conditions de rémunérations associées

peuvent impacter la motivation à reprendre plus ou moins rapidement l’activité. Par exemple,

les cadres supérieurs disposent souvent d’une part variable dans leur salaire (primes, avantages

en nature etc.), or les indemnisations relatives à l’arrêt de travail total ou partiel sont calculées

exclusivement à partir de la part fixe de cette rémunération, il est donc fréquent que certains

perdent une part financière non négligeable lorsqu’ils sont en arrêt-maladie (en fonction des

complémentaires sociales auxquelles ils ont éventuellement cotisé).

Intersections des dimensions sociales, médicales et individuelles

Comme le montre le schéma (figure 8.2), ces trois dimensions s’entrecroisent et c’est le

fruit de leur intersection qui définit la motivation d’un individu à poursuivre sa vie

professionnelle. Ainsi, nous supposons qu’une même altération de la santé physique et mentale

entraînée par la maladie n’aura pas les mêmes conséquences sur la motivation selon les

caractéristiques de l’individu, ou encore selon ses caractéristiques professionnelles. Sur la

figure 8.2, la double-flèche A reliant les caractéristiques médicales et les caractéristiques

individuelles représente l’expérience individuelle de la maladie ; la double-flèche B reliant les

caractéristiques individuelles et les caractéristiques professionnelles représente le rapport au

travail et à l’emploi de l’individu et, enfin, la double-flèche C reliant les caractéristiques

médicales et les caractéristiques professionnelles représente l’adéquation entre l’éventuelle

altération de l’état de santé d’un individu et son environnement professionnel.

Ainsi ces dimensions entrent en interaction et construisent autant de situations que

d’intersections possibles. Notre modèle théorique s’inscrit en ce sens dans une approche

Page 215: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

215

intersectionnelle81, chaque intersection créant de nouvelles identités qui façonnent la motivation

individuelle. Le résultat de ces trois types d’interactions est présenté ci-dessous.

L’expérience de la maladie (flèche A). La manière dont l’individu vit ou a vécu la

maladie est très importante pour comprendre sa motivation face à la reprise du travail comme

l’explique Voegtli (Voegtli, 2004). Selon les caractéristiques de la tumeur et, en fonction des

connaissances de l’individu, ses croyances relatives à la maladie, celui-ci aura une expérience

différente. Par exemple, une femme atteinte d’un cancer des ovaires qui serait informée du

risque important de récidive associé à cette pathologie aurait plus de risque de développer une

peur de la récidive. Elle sera alors plus encline à vouloir se protéger, à préserver sa santé, et

donc à ménager ses forces reconsidérant ainsi ses priorités et sa motivation d’investissement

personnel au travail. De plus, une maladie nécessitant une intervention chirurgicale mutilante

(telle que la mastectomie pour le cancer du sein ou la laryngectomie pour le cancer du larynx

etc.) peut entraîner une détérioration de l’image du corps qui, en fonction du rapport au corps

de la personne concernée et en fonction de son rapport aux autres, pourrait entraîner un

sentiment de stigmatisation.

Rapport au travail et à l’emploi (flèche B). Ces deux notions sont fortement liées,

néanmoins si un changement du rapport à l’emploi entraîne nécessairement un changement du

rapport au travail, l’inverse n’est pas systématique. Le rapport à l’emploi se définit

principalement par l’objectif d’occupation d’une activité professionnelle : alimentaire,

d’épanouissement, social. D’après Vidal-Naquet, le rapport au travail « s’inscrit dans un

processus c’est-à-dire se construit et se transforme au fil du temps aussi bien sous l’effet de

facteurs internes à l’univers professionnel que de facteurs qui lui sont externes » (Vidal-Naquet,

2009, p.205). En reprenant les termes du sociologue, nous envisageons le rapport au travail

comme un objet individuel, qui évolue en fonction de trois dimensions principales : « l’acte de

travail » c’est-à-dire la nature de l’activité, les valeurs et le sens qu’y accorde l’individu, la

« rétribution que le travail procure » ou les récompenses (« reward » dans Siegrist, 1996) et le

« cadre social dans lequel s’effectue l’acte de travail », c’est-à-dire les relations sociales tissées

avec les collègues, la hiérarchie et/ou les clients et prestataires lorsque c’est applicable.

81 Nous faisons ici référence à la théorie de l’intersectionnalité présentée dans le chapitre 6 (Partie 2).

Développée par Kimberlé Crenshaw en 1991, traduite en 2005, celle-ci suppose que les différentes

caractéristiques sociales de l’individu ne se cumulent pas en termes d’effet discriminatoire par exemple,

mais se mêlent pour créer de nouvelles identités individuelles (Crenshaw, 1991; Crenshaw et Bonis,

2005).

Page 216: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

216

Ainsi, celui-ci peut évoluer après le diagnostic d’un cancer. L’absence au travail,

l’incertitude du retour, les représentations sociales associées à la maladie etc. sont autant de

facteurs pouvant altérer les relations sociales au travail. De même, dans un contexte où la charge

de travail de la personne absente a été reportée sur les autres travailleurs, si la personne malade

a préféré communiquer le moins possible sur sa maladie, invisibilisant le plus possible ses

séquelles et/ou ses symptômes, ces difficultés peuvent ne pas être comprises par le collectif de

travail. Un sentiment d’injustice peut alors se manifester chez les collègues de travail assurant

la charge de travail supplémentaire, ce qui entraînerait une altération des relations sociales au

travail. Par ailleurs, la peur de la mort peut conduire à une remise en question des attentes

personnelles de la vie en général et de la vie professionnelle en particulier. En fonction de l’acte

de travail, mais aussi des caractéristiques de l’individu, le rapport au travail peut en être changé.

Par exemple, une personne proche de l’âge de la retraite qui occupe une activité à laquelle elle

n’accorde pas de valeur ou d’intérêt spécifique, pourrait être amenée à se distancer de son

activité en s’impliquant moins ou en prolongeant son arrêt jusqu’à la retraite. À l’inverse, une

personne en début de carrière, dans les mêmes circonstances médicales et professionnelles,

pourrait être plus facilement amenée à vouloir changer d’activité.

Adéquation santé - environnement professionnel (flèche C). Les symptômes et les

séquelles afférents à la maladie n’ont pas le même impact selon l’activité professionnelle

occupée par la personne malade. Par exemple, un ouvrier du bâtiment sera a priori plus

handicapé par une impossibilité à porter des charges lourdes qu’un salarié cadre en entreprise.

De même, une aide-soignante pourrait être déclarée inapte à son activité du fait d’un

lymphœdème qu’elle conserve à son bras à la suite de son cancer du sein, tandis qu’une

psychologue pourrait plus facilement adapter son activité.

Les dimensions individuelles, médicales et professionnelles interagissent sans

qu’aucune hiérarchie ne semble pouvoir être définie. Ces trois dimensions constituent la

personne atteinte de cancer qui envisage sa poursuite professionnelle, ce qui multiplie les

identités intersectionnelles. Par exemple, le sentiment de culpabilité qu’un salarié a pu ressentir

vis-à-vis de son absence au travail (parce que la charge de travail a été reportée sur les collègues)

peut l’inciter à s’investir davantage pour récupérer sa place dans l’entreprise et décharger les

autres. Mais, dans le cas où la personne a peur de la récidive, ce qui la pousserait davantage à

préserver sa santé et modérer son investissement professionnel, elle réaliserait alors un

compromis pour répondre à ses différentes considérations.

Le chapitre suivant vise à tester empiriquement ce modèle théorique.

Page 217: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

217

Chapitre 9. La motivation, élément central du processus de retour

au travail

Au regard des modèles proposés dans la littérature pour analyser la reprise du travail après

un diagnostic de cancer, l’originalité de notre approche consiste à appréhender le retour au

travail comme une construction de l’individu, un processus dans lequel la motivation occupe

une place centrale.

Dans ce chapitre, nous proposons de confronter notre modèle théorique présenté dans le

chapitre 8 à l’analyse des entretiens réalisés auprès de personnes en emploi au moment du

diagnostic du cancer. Pour cela, l’ensemble de ce chapitre repose exclusivement sur

l’exploitation des données qualitatives recueillies lors des entretiens semi-directifs de l’enquête

CAREMAJOB. Pour rappel, la population d’étude a été rencontrée à deux reprises et est

constituée de quinze femmes et de six hommes, tous âgés entre 25 et 60 ans, en fin de traitement

pour un cancer (pour davantage d’information sur les caractéristiques de la population d’étude,

voir le tableau descriptif disponible en annexe 5).

9.1. La motivation : fruit de construits sociaux et individuels

9.1.1. L’expérience de la maladie, un principe explicatif de la motivation

Lorsque nous présentons lors de la première journée de restitution, nos résultats

concernant les séquelles exprimées par les participants aux entretiens comme étant parfois

invalidantes et conservées à distance du diagnostic de la maladie, une personne du premier

groupe de restitution précise : « Non, on ne sait pas tout ça [fait référence à la persistance de

séquelles] quand on commence les traitements mais heureusement ! C’est comme une relation

de couple, heureusement qu’on ne sait pas tout dès le départ sinon on n’irait pas ! ». D’autres

personnes sont d’accord, le vocabulaire guerrier est très présent dans cette partie de la

restitution, on parle beaucoup de « combat », de « lutte » puisqu’il s’agit de « combattre la

maladie ». Ainsi, les participantes82 expliquent qu’il est important d’apprendre au fur et à

82 Pour rappel, deux journées de restitutions des principaux résultats de l’enquête CAREMAJOB ont été

réalisées auprès de membres de l’association Centre Ressources (antennes d’Aix-en-Provence et de

Montélimar) et plus précisément auprès de membres ayant fait partie du groupe « D’part »,

Page 218: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

218

mesure parce que, selon elles, le trop plein d’informations au départ pourrait annihiler l’espoir

de guérison, nécessaire à l’entreprise d’un tel combat. Ce vocabulaire témoigne de l’expérience

de la maladie qu’a la personne concernée et cristallise parfois l’état d’esprit déterminant de la

motivation exprimée vis-à-vis de la poursuite professionnelle. Deux profils ont été rencontrés

lors des entretiens : les personnes pour lesquelles la reprise du travail constitue un moyen de

lutte contre la maladie, pour « fermer la parenthèse » et revenir à la situation initiale, et celles

qui « acceptent » l’impact de la maladie sur leur quotidien et décident de « s’adapter » à leur

nouvelle vie.

« Je veux que la parenthèse [de la maladie] soit fermée »

On retrouve chez ces personnes ce que Stergiou-Kita et ses coauteurs catégorisent dans

« l’expérience du travail » (Stergiou-Kita et al., 2014). La reprise du travail est souvent motivée

par la lutte contre le cancer dont elle devient un outil supplémentaire. La reprise prend alors la

forme d’une distraction, d’une thérapie ou encore d’un moyen de reprise de contrôle sur sa vie.

L’exemple de Béatrice83 illustre bien cette motivation. Elle se définit comme « une battante »,

« quelqu’un qui résiste » et la reprise du travail constitue pour elle une étape essentielle pour

reprendre sa vie d’avant comme elle l’explique ci-dessous :

« J’ai hâte de reprendre le travail parce que je veux que ça soit une parenthèse dans

ma vie et que la parenthèse elle soit fermée. (…) je… n’ai pas voulu me mettre en

grande maladie. Euh parce que c’est une grande maladie certes, mais dans ma tête

c’est une parenthèse donc je ne veux pas une étiquette dessus qui dise que je suis

étiquetée cancer grande maladie (…) Alors tout le monde me dit ‘‘oui comment tu

vas faire ? Tu devrais faire un mi-temps thérapeutique’’ prrrrt Non ! Mi-temps

thérapeutique ça veut dire encore euh… ? Bah je suis malade ! (…) je ne veux pas

que cette maladie ait le dessus sur moi. » Béatrice, 59 ans, 1er entretien.

spécifiquement consacré à l’accompagnement sur la thématique de la vie professionnelle. L’objectif de

ces journées était d’inclure les personnes concernées par le sujet d’étude dans l’analyse des discours

recueillis de manière à confronter mon analyse à leur vécu, et à éviter au maximum la surinterprétation

et les contre-sens. La première journée évoquée ici a été réalisée à Aix-en-Provence et a réunis 15

femmes des groupes « D’Part » et 2 professionnelles de l’association. 83 Atteinte d’un cancer du sein, Béatrice décide de reprendre son travail après un arrêt-maladie de six

mois seulement, soit moins d’un mois après sa dernière séance de radiothérapie, en dépit de ses douleurs

persistantes.

Page 219: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

219

Dans cet exemple, nous pouvons voir la motivation de Béatrice mais également le fait qu’elle

considère la maladie comme temporaire, telle « une parenthèse ». De plus, elle déploie des

stratégies pour renforcer cette momentanéité et rejeter l'étiquette de malade, qui, à l’inverse,

l’entérinerait. Cela renvoie aux représentations sociales du cancer, à la peur d’une

stigmatisation du fait de la maladie qui exclurait la personne malade de la norme à travers le

processus d'étiquetage décrit par Becker (Becker, 1985).

De même, lors de notre première rencontre, Clémence, soignée pour un cancer des

ovaires, revient rétrospectivement sur les premiers temps de son arrêt-maladie, période durant

laquelle elle avait demandé à son chef le matériel nécessaire pour faire du télétravail, pensant

être absente six mois tout au plus.

« (…) à l’époque j’avais besoin de sentir que voilà, j’étais encore dans le coup et

que j’étais encore présente et que j’étais encore au courant… (…) C’était très

important. Je n’imaginais pas que ça durerait aussi longtemps mais au moins c’était

l’idée de dire il va y avoir un après quoi. Je pense que sur le coup de la maladie qui

prend toute la place et comme mon travail comptait beaucoup pour moi avant...

(…) je pense vraiment que voilà j’avais besoin que mon travail soit là quoi. La

maladie prenait tout mais quelque part voilà quand je pensais au professionnel ça

m’aidait à me dire ‘‘il y aura un après cancer’’ » Clémence, 38 ans, 1er entretien.

Comme nous le voyons dans l’extrait, ce maintien en semi-activité par le biais du télétravail

était important pour elle dans la mesure où il l’aidait « à se sentir dans le coup ». Cette forme

d’aménagement du travail dans ce cas-ci, est un moyen de lutter contre la maladie et d’avoir

“un après cancer”. L’expression “après cancer” est très importante puisqu’elle témoigne du

caractère temporel, comme une sorte de parenthèse, de la maladie et de la volonté des

participants à fermer la parenthèse.

Pour d’autres personnes interrogées, il ne s’agit pas tant de lutter contre la maladie en tant

que telle mais contre ses effets négatifs sur la vie personnelle et notamment contre l’isolement

social qu’elle engendre. Dans nos sociétés, la place sociale des individus est principalement

garantie par le statut professionnel qui structure les relations sociales (Castel, 2013; Méda,

1995). Ainsi, reprendre son travail, c’est en quelque sorte retrouver son identité sociale et sortir

de l’environnement fermé, cloisonné entre le domicile et les centres de soins.

Page 220: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

220

Bien que ce discours soit marginal parmi ceux recueillis lors de l’enquête CAREMAJOB,

la notion qui y est rattachée n’en est pas moins importante et est largement documentée dans la

littérature (Stergiou-Kita et al., 2014; Tarantini et al., 2014). Ce rôle distrayant (au sens de

distraction face à la maladie) et social de la reprise du travail permet ainsi d’envisager la vie

sans la maladie, ce qui apparaît comme une étape du « travail biographique » (Ménoret, 1999),

soit de reconstruction individuelle.

Par ailleurs, la présence de séquelles liées à la maladie et ses traitements impose à la

plupart des personnes enquêtées de repenser leur vie d’avant et de s’adapter, la parenthèse qui

se ferme n’est alors plus celle de la maladie mais celle de la vie antérieure au diagnostic.

« J’ai fait le deuil de ma vie d’avant » : accepter une nouvelle échelle de normalité

Les personnes confrontées à la chronicité de la maladie et de ses effets ne peuvent (plus)

envisager le cancer comme une parenthèse. Concernant ces séquelles, les personnes enquêtées,

comme celles des groupes de restitution, font part de la grande fatigabilité dont elles font l’objet,

même à distance des traitements (pour celles du groupe de restitution). Elles s’accordent sur

une précision : la fatigue est chronique mais n’est pas constante, elle survient par phases ce qui

est très difficile à anticiper, et donc à gérer.

Cette prise de conscience de la chronicité constitue ainsi une nouvelle étape pour les

personnes concernées qui ne se sentent, pour certaines, plus vraiment malades mais pas encore

tout à fait guéries. On retrouve ainsi les différentes temporalités de la maladie définies par

Ménoret (Ménoret, 1999). Ces personnes doivent alors s’adapter à leur nouvel état de santé,

l’échelle de mesure sur ce point a changé, la normalité ne correspond désormais plus à celle

considérée avant la maladie. Pour certaines, les conséquences semblent irréversibles, il s’agit

alors d’un travail de deuil de sa vie antérieure à la maladie comme l’illustre l’extrait suivant,

issu de l’entretien réalisé avec Rémi :

« Tu sais comme le deuil ? Putain je te jure c’est exactement pareil ! C’est

exactement comme faire le deuil. Tu sais le deuil, quand tu fais le deuil, c’est

d’abord c’est la colère, hein ? Tu as la colère, ensuite tu as la culpabilité, ensuite tu

as le chagrin ou dans un ordre différent c’est-à-dire le déni et puis, à la fin tu as

l’acceptation. Et une fois que tu as accepté bah t’as fait le deuil et tu peux passer à

autre chose. Bah une maladie comme ça c’est un peu pareil. D’abord tu vois, t’es,

t’en veux à tout le monde quoi, ‘‘c’est quoi cette connerie… pourquoi j’ai ça ?’’

Page 221: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

221

ensuite tu vas mourir et tout. Enfin, tu as le chagrin mortel tu vas mourir nani nana,

ensuite tu passes à l’étape de, bon bah tu te soignes, tu vas mieux ‘fin tu vois que

finalement bon bah t’es pas mort. Tu vois ? Toutes ces étapes et puis au bout d’un

moment t’as accepté tati tata et puis tu te dis : ‘‘bon et tu fais quoi maintenant ?’’

Bah il te faut des projets quoi, si t’as pas de projet, tu vois je pense que si tu n’as

pas de projet, malade comme ça sans projet tu t’effondres. (…) moi j’ai fait le deuil

de ma vie d’avant. J’ai une nouvelle vie, qu’il faut que je m’adapte aujourd’hui

maintenant j’ai une maladie, j’ai une plaie, je peux pas m’en séparer c’est comme

ça. Il faut que je vive avec. Et bah, adapte-toi et trouve-toi une vie avec. » Rémi, 43

ans, 1er entretien.

Rémi est atteint d’un cancer inopérable dont les symptômes sont chroniques et particulièrement

handicapants. Située au cerveau, la tumeur entraîne notamment des troubles de l’équilibre et

des paralysies partielles. Il lui faut donc apprendre à vivre avec sa maladie, ce qui nécessite un

besoin d’adaptation constant. « S’adapter », selon lui, est le maître mot de son expérience : « en

fait finalement quand t’es prêt à t’adapter ça va tout seul, tu trouves les solutions ». Ainsi,

douleurs, fatigabilité et symptômes contraignants sont le quotidien de nombreuses personnes à

la suite d’un diagnostic de cancer. Cette nouvelle échelle de santé nécessite des adaptations

dans plusieurs pans de leur vie, et notamment dans leur vie professionnelle.

Ce vocabulaire exprimant les étapes du deuil a été utilisé à plusieurs reprises lors des

entretiens, le terme « acceptation » revenant particulièrement. Il illustre tout à fait le caractère

processuel de l’après diagnostic de cancer, comme l’exprime Clémence : « C'est compliqué de

se dire qu'on sera plus comme avant, mais en même temps, ça évolue tout le temps ». L’état de

santé évolue sur le plan physique mais également sur le plan mental. Lors de ce processus

d’acceptation, l’individu passe par des phases de reconstructions identitaire, individuelle et

sociale, qui participent à l’appréhension de la problématique professionnelle, à la construction

de sa motivation. Ces personnes apprivoisent leur nouvel état de santé au fur et à mesure. Avec

le temps, elles découvrent leurs forces et leurs faiblesses et apprennent à faire de nouveau

confiance à leur corps, ce qui peut prendre un certain temps. Elles apprennent ainsi à vivre avec

la maladie.

Page 222: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

222

Modifier sa trajectoire professionnelle pour donner du sens à la maladie

À l’instar de ce que l’on trouve dans la littérature, l’attribution de la survenue de la

maladie au travail est généralement associée à une volonté de réorientation de sa vie

professionnelle. C’est le cas de Christine, selon qui le diagnostic de la maladie est un symptôme

de son surinvestissement personnel dans son activité d’infirmière libérale :

« C’est impossible, je peux pas. Je peux pas reprendre le libéral comme euh...

avant. C’est pas possible. Même si j’ai la forme, c’est complètement stupide. C’est

pas parce que… au contraire ça m’aurait à rien servi d’avoir cette maladie pour

reprendre complètement comme avant, c’est complètement stupide, c’est parce que

je pense que c’est lié. C’est quand même… si j’ai eu ça, c’est quand même pas…

c’est parce que j’ai trop travaillé, j’étais trop fatiguée, plus peut-être d’autres

paramètres mais ça ça y a contribué ça…, ça a contribué au fait que j’étais malade

je pense. » Christine, 57 ans, 1er entretien.

La motivation de Christine est très claire lors de cette première rencontre : elle souhaite se

réorienter professionnellement et a déjà entrepris des démarches en ce sens (bilan de

compétence, candidatures à des postes salariés et demande d’inscription à une formation).

L’important pour elle est de donner du sens à la survenue de sa maladie qui eut l’effet d’un

signal d’alarme sur son surinvestissement professionnel. Dans cette logique, reprendre son

activité professionnelle serait « stupide », ce serait nier le signal envoyé par son corps et la

maladie n’aurait eu alors aucun sens, soit, plus précisément, « ça aurait à rien servi d’avoir cette

maladie ».

9.1.2. S’apprivoiser et adapter sa reprise

L’adéquation entre l’état de santé et les caractéristiques du travail pour lequel la reprise

est envisagée, peut être une source de stress pour les personnes, qui découvrent au fur et à

mesure les capacités de leur corps et nécessite ainsi des adaptations, qu’elles soient officielles

et organisées, comme le recours à un temps partiel thérapeutique par exemple, ou officieuses et

souples comme la réduction de son investissement professionnel.

Page 223: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

223

La peur de ne pas être à la hauteur

Dans ce contexte d’apprivoisement de soi, la reprise du travail apparaît comme une étape

de test et peut être en ce sens anxiogène ; « Déjà que le premier jour, je pense que ça va être un

stress inévitable... je pense que je vais avoir l'impression d'attaquer un nouveau boulot ! »

anticipe Charlotte, infirmière libérale. En effet, ils sont nombreux à s’interroger, comme

Vincent : « la question c’est… est-ce que mon corps va suivre quoi ? ». Certains déclarent

partager ces mêmes craintes vis-à-vis de leurs compétences, de leur capacité à réintégrer leur

poste de travail tels que Jeanne, enseignante de lettres en collège, qui a l’impression d’avoir

« perdu beaucoup de neurones » et qui se demande si elle est « toujours capable de leur parler

[aux élèves] correctement », ou Dominique, secrétaire de direction, qui « doute de [ses]

capacités » ou encore Laure, préparatrice en pharmacie, qui « angoisse » à l’idée d’être face à

sa clientèle alors qu’elle cherche constamment ses mots. Cette peur de ne pas être à la hauteur

est analogue à la prise de conscience de la chronicité de la maladie par l’altération de sa santé

physique et/ou mentale.

Préserver sa santé et savoir s’adapter

Ces personnes abordent leur reprise professionnelle avec une même motivation : celle de

préserver leur santé. Une fois l’étape de la reprise passée, une nouvelle routine s’instaure, dans

laquelle elles s’adaptent et aménagent leur travail en fonction de leur état de santé, comme

Sandrine, agent d’entretien, qui s’octroie des pauses lorsqu’elle en ressent le besoin ou Rémi,

photographe indépendant, qui rentabilise ses déplacements et n’accepte désormais que des

missions suffisamment conséquentes. Si pour Sandrine, l’emploi semble avant tout alimentaire

et social, pour Rémi, c’est un projet de vie, il en est passionné. Pourtant, le constat est le même :

ils ont redéfini leurs priorités, et même s’ils reprennent leur activité avec plaisir, celle-ci ne doit

pas se faire au détriment de leur santé. On retrouve ici une composante essentielle du modèle

proposé récemment par Demerouti et Bakker : le « job crafting » (Bakker et Demerouti, 2017).

Qu’il soit salarié ou indépendant, le travailleur modèle son activité professionnelle, ou plus

précisément ses conditions de travail, afin d’améliorer son bien-être au travail.

De plus, si c’est une étape de se reconnaître changé après la maladie et de s’adapter à son

« nouveau soi », c’en est une autre de le faire comprendre aux autres. En effet, le manque de

reconnaissance de la fatigue chronique, accru par son invisibilité, par exemple de la part de leur

entourage social et professionnel, semble particulièrement affecter les personnes interrogées,

davantage que le manque de reconnaissance dont peut faire preuve l’environnement médical.

Page 224: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

224

Ainsi, l’expérience de la maladie est propre à l’individu qui réagit en fonction des

caractéristiques de sa maladie et de ses caractéristiques propres. Cette expérience est un

processus qui évolue avec le temps et fait avancer les personnes concernant leur motivation à

reprendre le travail.

9.1.3. Rapport au travail et à l’emploi, troisième élément constitutif de la

motivation

En parallèle de l’expérience individuelle de la maladie, le rapport à l’emploi et au travail

de l’individu vis-à-vis de son activité professionnelle occupée au diagnostic est fondamental

pour comprendre sa motivation à reprendre cette activité. Sur ce point, notre enquête entre en

résonnance avec les travaux de recherche menés par Chassaing et Waser (Chassaing et Waser,

2010), en ce que le temps de l’arrêt de travail est propice à un questionnement philosophique et

personnel sur ses choix et ses besoins, notamment en ce qui concerne l’adéquation entre la vie

personnelle et professionnelle. Le sens du travail et le rôle du soutien social sont notamment

des éléments que l’on retrouve souvent dans nos entretiens à l’instar de cette étude. Néanmoins,

notre recherche s'en distingue par certains aspects et principalement par l’analyse du rapport au

travail à travers l’équilibre (ou plutôt le déséquilibre) entre l’investissement individuel et la

reconnaissance perçue. Le soutien social est, dans cette approche, étudié comme un éventuel

modérateur des effets négatifs de ce déséquilibre.

Donner du sens à son travail

La période de l’arrêt de travail (pendant l’arrêt-maladie) peut être propice à une

reconsidération des attentes personnelles et professionnelles. Elle permet d’octroyer du temps

à la réflexion, au cours duquel certaines personnes philosophent sur la vie et font le bilan de

celle qu’ils ont vécue jusqu’à aujourd’hui. Pour beaucoup, la nature de l’activité professionnelle

et la place de celle-ci dans la société constituent des considérations importantes pour leur bien

être personnel. Or, le monde du travail s’est vu largement transformé ces deux dernières

décennies, la recrudescence d’emplois n’ayant aucune utilité directe pour la société, qualifiés

de « bullshits jobs » par l’anthropologue David Graeber (Graeber, 2018, 2013), est en

contradiction avec la quête de sens et le besoin d’utilité qui semblent exacerbés à la suite de

l’expérience d’un événement traumatique comme le diagnostic d’un cancer.

Page 225: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

225

L’expérience de Quentin, qui, avant la maladie, avait entrepris des études de commerce

international et était en stage en entreprise au moment du diagnostic, est particulièrement

éclairante sur ce point. Lors de la récidive de son cancer osseux, il quitte son stage et trouve un

travail dans le secteur de la restauration. Il explique avoir « pris du recul » et avoir réalisé le

manque de sens de son activité antérieure, ayant ainsi préféré exercer une activité plus concrète,

c’est-à-dire dont l’intérêt est visible (il donne des exemples d’activités utiles telles que remplir

les rayons d’un supermarché ou encore nourrir les gens à travers le secteur de la restauration).

La maladie semble ainsi l’avoir fait réfléchir sur ses attentes professionnelles, le besoin

d’exercer une activité « utile » est prédominant dans son discours ;

« j’avais déjà eu des expériences où j’avais bossé vraiment et après là quand je suis

retourné ré-envoyer des mails toute la journée ouais ça m’a saoulé. Après s’il y

avait pas eu la maladie, je dis pas que j’aurais pas continué parce que le salaire est

intéressant, la boite est intéressante. Mais bon... La maladie a fait que j’ai réalisé

que c’était pas mon truc quoi. Je préfère gagner moins et faire un truc qui me plait

maintenant que… qu’essayer de grimper dans la société. Voilà du coup j’ai

complètement changé de ce point de vue-là. » Quentin, 25 ans, 1er entretien.

Quentin n’est pas le seul à vouloir donner du sens à son travail. Trois des quatre personnes

interrogées qui travaillaient en accompagnement de personnes malades, formulent un besoin de

valoriser, de mettre à profit leur expérience de la maladie. Mathilde, aide-soignante, Christine,

infirmière et Clémence, conseillère en mobilité professionnelle, expliquent par exemple que la

maladie les a rendues « plus dans l'empathie », elles se sentent plus à même de comprendre les

patients (pour les soignantes), et/ou les salariés qu’elle accompagne (dans le cas de Clémence,

pour leur réinsertion professionnelle). Cette dernière ajoute :

« Je me rends compte que je peux appréhender mon métier encore mieux, parce que

du coup j’ai été de l’autre côté. Et finalement…, bon après faut accepter les erreurs

hein… parce que du coup je me dis ‘‘papapa tout ce que j’ai fait à certaines

personnes… mais les paroles que j’ai pu dire et tout…’’. Mais je ne pouvais pas

imaginer ! Et je me dis demain matin quand j’accompagnerai quelqu’un qui revient

après une longue maladie, je pense que je serai plus à même de comprendre ce qu’y

s’y passe parce que j’ai… voilà. J’ai été de l’autre côté » Clémence, 38 ans, 2nd

entretien.

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226

Le besoin d’utilité formulé ici par ces personnes est différent de celui exprimé par Quentin, il

s’agit principalement d’utiliser l’expérience de la maladie dans leur emploi qui par nature sont

des emplois dont l’utilité est largement reconnue dans la société. C’est une forme d’acceptation

de leur nouvelle vie et la reprise du travail constitue dans ce cas un moyen de la valoriser à

travers leur activité professionnelle.

Un déséquilibre entre investissement et reconnaissance, facteur de bifurcation

professionnelle

Parmi les vingt-et-une personnes rencontrées, quatre ont connu leur diagnostic de cancer

pendant une phase de restructuration de l’entreprise et, plus précisément, de fusion de plusieurs

services ou sites de l’entreprise. Ce contexte fut une période très stressante pour les salariés

concernés, car cela s’est accompagné d’une charge de travail supplémentaire, d’une réduction

des effectifs par licenciement ou encore de mutations du personnel. Dans ces quatre cas, un

sentiment de danger pour leur santé a été exprimé. Tandis que pour Karine, cette situation a

entraîné des difficultés dans la reprise du travail qu’elle a finalement pu surmonter, les

situations professionnelles de Dominique, Florence et Béatrice se sont détériorées et elles ont

entrepris des démarches de bifurcations professionnelles (reconversion et/ou rupture

conventionnelle).

Pour Florence, les conditions de travail initiales étaient particulièrement stressantes du

fait de sa position de « tampon entre la direction et les vendeurs ». La situation s’est

particulièrement dégradée pendant son arrêt-maladie durant lequel l’entreprise l’a convoquée à

deux expertises médicales de contrôle. Elle est fortement blessée par la démarche : « comme si

j’allais au cinéma quoi en fait. Je l’ai très très très mal pris ». À la suite de cette seconde

expertise, le comité médical de l’entreprise lui explique que l’arrêt de travail signé par le

médecin expert primera sur celui fait par son oncologue. Elle est sommée de se rendre au travail

le jour même où elle est hospitalisée pour le retrait du port-à-cath. Elle estime avoir subi « du

harcèlement » et se sent trahie du fait de la dépersonnalisation de la relation et du manque de

considération de sa personne et de son état. Elle réalise alors le déséquilibre entre son

investissement personnel au travail et la considération qu’on lui en fait.

Page 227: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

227

Sa motivation à reprendre son travail s’amenuise ainsi rapidement, comme l’illustre cet

extrait :

- « Maintenant je vais droit à l’essentiel si vous voulez. Je choisis euh je choisis un

travail selon mes aspirations et [mon entreprise] ne correspond plus du tout à mes

aspirations.

- [E] C’est l’expérience de la maladie qui vous a… ?

- Oui. (silence) Je me suis vraiment focalisée sur l’essentiel en fait. Je me suis

rendue compte que cette boîte, contrairement à ce qu’elle prononce, d’ailleurs

quand on le met haut et fort c’est qu’on n’est pas…, ce n’est pas une entreprise

humaine. Voilà. En fait je me dis ‘‘si je reste dans cette boîte, je vais récidiver’’ »

Florence, 50 ans,1er entretien.

L’expérience de Florence met en lumière un élément dont l’importance a été soulevée dans de

nombreux entretiens : un déséquilibre entre les efforts fournis par le salarié et les récompenses

qu’il en retire, ne serait-ce qu’en termes de reconnaissance. Ce débalancement semble s’avérer

déterminant sur la volonté de réintégrer ou non son emploi. Ce déséquilibre, repris dans notre

modèle à partir de celui développé par Siegrist présenté dans le chapitre 8 (Siegrist, 1996), a

été soulevé dans la plupart des discours des personnes souhaitant ou ayant entrepris une

démarche de réorientation professionnelle. Quentin, par exemple, pointe particulièrement ce

manque de reconnaissance et explique avoir été déçu par l’activité qu’il occupait au diagnostic

et pour laquelle « on n’est jamais récompensé ». Le déséquilibre entre l’effort fourni au travail

et le manque de reconnaissance est donc ici à l’origine d’une réduction de la motivation à

reprendre cette activité.

Pour Dominique, la situation était délétère bien longtemps avant le diagnostic de la

maladie. Des restructurations au sein de son entreprise avaient contribué à une forte dégradation

de ses conditions de travail et à une augmentation de son stress, comme elle l’explique dans

l’extrait suivant :

- « (…) le fait de retourner là-bas. Ça ça m’angoisse, ça m’a angoissé et ça

m’angoisse énormément.

- [E] Par rapport à l’ambiance de travail ?

- Par rapport à l’ambiance de travail et ce que c’est devenu. Et puis aussi, retrouver

la, la société comme juste avant que je sois malade. C’est comme si je me re-

balançais au moment du diagnostic.

Page 228: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

228

- [E] Comme refaire un pas en arrière ?

- Ouais. Parce que j’étais mal dans mon travail.

- [E] Qu’est-ce qui vous rendait mal ?

- Bah… j’avais quand même beaucoup d’amis proches quand même dans la société

qui ont été licenciés quand même tous au fur et à mesure. À la fin j’avais

quasiment plus de… personnes enfin plus de relations avec grand monde. Et

euh… et mon poste il avait diminué comme une peau de chagrin (…) Dans cette

entreprise, c’est impo… j’arrive pas, j’arrive pas. Dès que je… j’imagine y

retourner, là avec la date limite là [qui approche]…, bah là je suis repartie, je

redors plus je suis dans un état mais… c’est, c’est pas croyable quoi. (…) J’associe

tellement ce que j'ai vécu dans ce travail... la placardisation que j'ai vécue dans ce

travail... à mort ! Maladie, mort ! C'est trop fort, quoi ! J'ai à peine accepté le

reclassement, que derrière après, je disais : mais non, c'est pas possible, je peux

pas ! » Dominique, 49 ans, 1er entretien.

Dans certains cas, l’association travail-maladie est plus complexe. Par exemple, si

Clémence estime que son travail, ou plutôt son grand investissement dans son travail, est à

l’origine de la survenue de la maladie, elle déclare également beaucoup aimer son activité et

son collectif de travail. Sa réaction est donc moins radicale que celles exprimées par Christine

ou Dominique. Au début de la maladie, elle fait même une demande auprès de sa hiérarchie

pour être toujours mise au courant de l’actualité de l’entreprise. Finalement, l’arrêt lui fait

prendre du recul vis-à-vis de son travail et elle remet en question son investissement.

« J’étais très investie, je pense même que je travaillais trop et que j’étais limite…

limite. Je pense que voilà, si ce n’était pas un cancer, le burnout aurait pu être pas

loin aussi. Je pense que voilà, j’étais pas… avec le recul hein. Quand on a du temps

pour y réfléchir, je pense que… ça prenait trop de place. Et je m’épuisais dans mon

travail et euh… (…) et après ce que j’ai pris conscience aussi c’est que je me

définissais beaucoup par mon métier. C’est-à-dire que quand on m’a dit que je suis

malade je me suis dit ‘‘je n’existe plus, je suis plus là, je n’ai plus d’existence, je

ne suis plus rien’’ un moment je me le suis dit. (…) ’fin voilà je me suis

repositionnée en disant mais euh voilà j’ai passé ma vie à penser boulot, vivre

boulot, bon en même temps quand on fait un métier qu’on aime, voilà… c’est pas

évident hein. » Clémence, 38 ans, 1er entretien.

Page 229: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

229

Aussi, son investissement important dans son travail, potentiellement source d’une dégradation

de sa santé selon elle, est lié à son affection pour celui-ci. La balance effort-récompense

(Siegrist, 1996), jusqu’alors plutôt équilibrée puisqu’elle fait part à de nombreuses reprises de

la reconnaissance dont elle jouissait au sein de son collectif de travail, est tout à coup ébranlée

par la mise en jeu d’un nouvel élément : sa santé. Cette ambivalence a ainsi construit sa

réflexion, à la suite de laquelle sa motivation de reprise est finalement modérée : elle souhaite

reprendre son activité mais en restreignant son investissement afin de préserver sa santé.

Par ailleurs, les entretiens ont également révélé que le besoin de reconnaissance n’est pas

limité à la relation avec les efforts fournis au travail. Une nouvelle forme absente dans la

littérature est évoquée par différents participants à l’enquête : le besoin d’être reconnu eu égard

aux efforts fournis pour reprendre le travail, malgré les difficultés liées à la maladie. Sur ce

point, Karine, qui reprend son activité de secrétaire technique à la suite d’un cancer du sein, a

mal vécu sa première reprise qui n’avait pas du tout été anticipée :

« Je le vivais mal. De pas… être reconnue en tant que quelqu’un qui revient et qui

a envie de travailler et qui revient de loin et… qui revient et qui a passé des épreuves

difficiles. Si elle revient c’est parce qu’elle a envie de reprendre et je pensais que

ça allait être valorisé ou euh… bien perçu, en tout cas reconnu. (…) En fait je me

dis : toi tu prends sur toi pour reprendre mais au boulot ils font rien pour t’accueillir

donc pourquoi ? Il y a un espèce de…. De ouais de décalage entre nous ce qu’on

met dans la reprise et ce qu’on attend de l’employeur et ce que l’employeur nous

donne ou est prêt à nous donner ou met en place lui… enfin là en l’occurrence il a

rien mis en place. » Karine, 42 ans, 2nd entretien.

« Mais, le boulot qu'elle faisait [sa collègue dont le contrat n’a pas été renouvelé]

... ben, mon cadeau de bienvenue, ça a été de récupérer son travail ! Voilà ! Donc

quand on parle de retour à l'emploi, alors, soit on est regardé d'un air bizarre, soit

on fait comme s'il ne vous était rien arrivé et que vous rentrez d'un séjour, peut-être,

de villégiature... et vous devez être opérationnelle ! Donc moi, dans mon retour, on

ne m'a pas ménagée du tout ! Et encore moins maintenant ! Parce que la peau de

chagrin... tic, tac, tic, tac ! Et ils ont licencié à tour de bras tous les CDD... voilà.

Les CDI sont déplacés. Et donc moi, on me dit : ‘‘on va te déplacer’’ » Béatrice, 59

ans, 2nd entretien.

Page 230: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

230

Cette reprise fut très difficile pour Karine et Béatrice, qui se sont senties très seules face

à la restructuration de leur entreprise dont elles ne connaissaient pas les modalités. Dans les

deux cas, le médecin du travail a finalement signé un nouvel arrêt, un mois après la reprise pour

Karine, et quatre mois après pour Béatrice. Même constat pour David, qui a moins mal vécu la

maladie du fait de son stade peu avancé et de la relative légèreté des traitements reçus, mais qui

a eu besoin de faire reconnaître à son entourage professionnel ce qu’il avait vécu. Il en a même

« joué », selon ses propres mots.

Le soutien social au travail, un modérateur de l’effet négatif de la maladie sur le rapport

au travail ?

L’appréhension de la dimension chronique de la maladie et des séquelles est très difficile

pour les personnes concernées qui doivent sans cesse s’adapter, mais également l’expliquer à

leur entourage. Cette étape est importante car elle est déterminante du soutien social reçu, que,

dans notre modèle, nous considérons également comme un élément influençant la motivation.

En effet, lorsque l’entourage ne comprend pas les difficultés auxquelles doit faire face la

personne atteinte de cancer, il devient moins attentionné et certaines peuvent alors vivre une

« exclusion sociale », comme Thierry qui a préféré taire sa maladie dans son environnement

personnel comme professionnel. Ses relations professionnelles étaient déjà conflictuelles au

moment de l’annonce de la maladie, cette distance a par la suite entériné ces tensions. À

l’inverse, d’autres ont choisi de tenir informé leur entourage de leur état de santé. Rémi par

exemple, communiquait régulièrement avec ses clients sur son état de santé par l’intermédiaire

d’un réseau social. En tant qu’indépendant, il était important pour Rémi de conserver sa

clientèle, le réseau social lui a permis d’informer tout en gardant ses distances, comme il

l’explique dans l’extrait suivant :

« (…) sinon les gens ils vous appellent en permanence, nanani il faut répondre, c’est

pas le bon moment alors vous répondez pas. Du coup, ‘‘ah j’ose plus l’appeler nia

nia ni’’, ah non ! Les réseaux sociaux c’est parfait quoi. On dit juste ce qu’il faut,

l’essentiel, les gens ils comprennent et voilà. » Rémi, 43 ans, 1er entretien.

Grâce à cela, les relations professionnelles de Rémi se sont maintenues à distance et ses clients

étaient tenus informés de sa reprise d’activité.

Page 231: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

231

C’est également un moyen d’entretenir des relations avec ses collègues de travail et de se

tenir informé de l’évolution de la vie de l’entreprise. Vincent apportait chaque mois ses arrêts

de travail en main propre afin de discuter avec ses équipes. C’est ainsi qu’il a appris que la

secrétaire et d’autres salariés se mobilisaient en interne pour obtenir l’ouverture d’un poste,

plus adapté à l’état de santé de Vincent.

Pour certains, la communication avec les autres a été moins aisée. Plusieurs personnes

ont fait part de leurs difficultés à faire comprendre à leur entourage que leur état de santé était

modifié et que si, en apparence, rien ne semblait avoir changé, ils devaient néanmoins

désormais faire face à des contraintes physiques invisibles. Pour Clémence, convaincre son

entourage c’est démontrer, c’est-à-dire expliquer, détailler son quotidien marqué par les

séquelles :

« quand vous avez fini la chimio ‘‘bah alors ? C’est reparti’’. En fait, c’est comme

une grippe pour eux. Eux ils ont la grippe ils sont par terre, ils prennent un

médicament, et puis 2 jours après c’est reparti comme en 40. Donc ils se disent

‘‘elle a un cancer, elle fait sa chimio, puis au bout de 2 trucs, c’est bon’’ (…) Même

moi, je le comprenais pas donc, l’expliquer aux autres, c’est un peu compliqué. (…)

mon collègue, qui est responsable des ressources humaines, donc voilà,

concrètement qui m’a dit ‘‘mais pourquoi tu reviens pas ? Qu’est-ce que t’attends ?

tu fais quoi ? tu fais quoi chez toi ?’’ Voilà, il comprenait pas. Et donc il a fallu que

je lui décrive mes douleurs, mes souffrances, ce que me coûtait le fait de me lever,

de me laver, mes essoufflements enfin cet état, que lui ne voit pas. Et je lui ai dit

‘‘comment tu veux que je vienne travailler en étant comme ça ?’’ en ayant

clairement la diarrhée 5 fois par jour enfin voilà je lui ai dit ‘‘tu me vois aller au

bureau dans cet état-là ? tu veux la réalité ?’’ et là il me dit ‘‘mon dieu !’’ il me dit

‘‘tu sais j’ai eu untel dans mon service, je me demandais après son cancer qu’est-

ce qu’il foutait je pensais qu’il était chez lui et qu’il me prenait pour un con, mais

en fait à aucun moment j’ai pu imaginer que…’’ » Clémence, 38 ans, 1er entretien.

À travers l’exemple donné dans cet extrait par le collègue de Clémence, travaillant dans

les ressources humaines, on remarque en effet que, ajoutée au manque de visibilité des

symptômes de la maladie, l’absence d’explication peut entraîner dans l’environnement

professionnel une incompréhension chez les pairs mais surtout au sein de la hiérarchie et ainsi

constituer une source de tension sociale.

Page 232: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

232

À l’inverse, de nombreuses personnes ont fait part de l’important soutien social qu’elles

ont reçu de la part de leur environnement professionnel. Ce soutien peut être une source de

motivation à reprendre le travail, comme pour Béatrice par exemple, qui, lors de nos deux

rencontres, évoque à plusieurs reprises ses collègues de travail qu’elle qualifie de

« fantastiques », elles qui l’« attendent avec impatience ». Ce soutien constitue la preuve-même

que la personne malade a échappé à la « mort sociale » (Moulin, 2005) pouvant être engendrée

par le cancer. Pourtant, si lors de notre première rencontre Béatrice parle en effet de ses

collègues de travail comme d’une motivation pour reprendre, celles-ci ne constituent cependant

pas un soutien lorsque la situation tourne mal avec sa hiérarchie. La restructuration qui a lieu

dans son entreprise au moment de sa reprise, la conduit finalement à une mise en arrêt-maladie

puis à une rupture conventionnelle. Ses bons rapports sociaux avec ses collègues de travail ne

semblent en aucun cas avoir modéré cette dégradation de sa situation professionnelle.

Ainsi, il apparaît que l’interaction des différents éléments contextuels relatifs à l’emploi

occupé au diagnostic, à la maladie mais également à des caractéristiques individuelles, participe

à la réflexion, et donc à la construction de la motivation de la personne atteinte de cancer vis-

à-vis de sa reprise d’activité professionnelle. Cette motivation peut être le fruit à la fois d’une

intériorisation de la recherche étiologique, mais également des rapports que la personne

construit avec son corps, avec la maladie et avec son environnement professionnel. Néanmoins,

l’individu n’est pas seul dans l’organisation de sa reprise du travail, celle-ci nécessitant

l’intervention de plusieurs acteurs. Dès lors, comment la motivation individuelle trouve-t-elle

sa place pour influencer le retour au travail ?

9.2. Décision de reprise : quelle place à la motivation individuelle ?

9.2.1. Confrontation de la logique profane à la logique médicale

Lorsqu’une personne est en arrêt-maladie, celle-ci a l’interdiction d’exercer son activité

professionnelle. Cet arrêt est signé par un médecin à l’issu d’un entretien avec le patient pour

une durée donnée (généralement un, trois ou six mois selon le cancer) et peut être reconduit

autant de fois que nécessaire selon la pathologie, mais surtout l’état de santé de l’individu. Lors

de cet entretien, il s’agit donc pour le médecin de juger l’état de santé de son patient afin de

conclure notamment sur sa capacité à exercer une activité professionnelle.

Page 233: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

233

« C’est le médecin qui donne son feu vert »

Telle fut la réponse de Vincent, chef de chantier, qui explique qu’il aimerait reprendre

après l’été, mais cette décision dépendra principalement de son oncologue. Ce type de réaction

était attendu dans l’enquête, considérant que l’arrêt de travail est, le plus souvent, conditionné

par la poursuite des traitements, eux-mêmes dépendants des résultats des examens médicaux.

Indépendamment de leur état de santé, plusieurs personnes ont tenu ce discours. Selon Karine,

ce fut la raison de l’échec de sa reprise. Elle explique que, lors de la prise de décision, elle ne

se sentait pas prête, qu’elle a été « poussée » par son médecin généraliste à qui elle a « fait

confiance ». Si Karine semble avoir plié devant le discours médical, certaines personnes ont

plutôt une attitude a priori passive vis-à-vis de leur reprise. C’est le cas de Sandrine qui

explique ne pas s’être posé la question car elle attendait la chirurgie de reconstruction et que

« pour [elle], c’était planifié comme ça ». Elle ajoute ne pas avoir été incluse dans la prise de

décision relative aux prolongations de son arrêt maladie, réalisées par l’oncologue :

« Début novembre je l’ai vue [l’oncologue], et c’est là qu’elle m’a fait le papier

pour reprise à mi-temps thérapeutique. Elle m’a demandé comment ça allait tout ça

machin, et elle m’a dit ‘‘bon début d’année…’’ fin voilà, février. Je lui ai dit ok.

Puis elle m’a fait les papiers. » Sandrine, 36 ans, 1er entretien.

Néanmoins, la suite de ce premier entretien a montré que ce qui pouvait passer dans un premier

temps pour une attitude passive vis-à-vis de la reprise de son activité professionnelle, était en

fait principalement lié à sa motivation, elle était en accord avec le médecin et se sentait

suffisamment en forme physiquement. Elle explique ensuite comment elle a agi pour reprendre

dans les conditions qu’elle souhaitait, ce qui sera explicité ultérieurement.

Le cas Clémence est tout autre. Elle explique n’avoir jamais évoqué sa situation

professionnelle avec le personnel soignant, à l’exception de son médecin généraliste qui, selon

elle, n’était pas impliqué dans la réflexion. Pour l’illustrer, elle relate leurs rendez-vous relatifs

aux renouvellements de son arrêt-maladie :

« C’est comment vous dire… c’était comme si vous alliez… je sais pas moi, chez

l’écrivain public quoi : ‘‘bonjour’’, ‘‘bonjour madame, vous venez pourquoi ?’’

‘‘Ben mon arrêt de travail arrive à…’’ ‘‘Ah bon ? Bon… on repart pour un mois ?’’

‘‘…’’ ‘‘on repart pour un mois allez au revoir madame ». Cinq minutes, montre en

main, voilà (rire). » Clémence, 38 ans, 1er entretien.

Page 234: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

234

De plus, au moment de la reprise, lorsque l’arrêt-maladie a duré plus de 30 jours consécutifs,

une visite de reprise est organisée avec le médecin du travail qui a la compétence spécifique

d’évaluer les capacités d’un salarié au regard de l’activité qu’il souhaite occuper, il lui délivre

alors un certificat d’aptitude pour cette activité. Pourtant, malgré l’obligation régie par l’Article

R4624-22 du Code du Travail (Décret n°2012-135 du 30 janvier 2012 - art. 1), certaines

personnes interrogées déclarent n’avoir jamais vu le médecin du travail.

Les médecins sont donc des acteurs importants de la décision de reprise, en tant que

signataires des arrêts-maladie. Néanmoins, leur implication n’est pas systématique, laissant

souvent les personnes assumer seules cette décision.

Une affaire de négociation

Si le médecin tient ainsi le rôle de « juge » dans la décision de la reprise professionnelle

de ses patients, certaines personnes interrogées ont fait part de leurs « négociations » avec le

personnel soignant afin de reprendre comme elles le souhaitent. Béatrice par exemple explique

lors de notre premier entretien ne pas avoir laissé le choix à son médecin en lui présentant un

argumentaire bien ficelé sur ses conditions de reprise, qu’elle a anticipées. De même, Claudine,

institutrice en milieu spécialisé, explique son rendez-vous avec son oncologue :

« je l’ai rencontré [l’oncologue] en octobre. Et donc moi à ce moment-là je ne

pensais qu’à une chose, c’était reprendre le travail et, lui voulait me reprolonger,

me faire finir l’année euh… en maladie et, je n’ai pas voulu donc euh… on a négocié

(rire) et j’ai demandé une reprise pour janvier. » Claudine, 59 ans, 1er entretien.

À l’instar de Claudine, Rémi souhaitait reprendre son activité rapidement. Dans le cadre de sa

négociation avec son oncologue, Rémi a fait des efforts pour répondre aux principales exigences

de son médecin (démarches administratives et prise de poids), comme il l’explique dans l’extrait

suivant :

« Donc je la [l’oncologue] vois régulièrement pour le suivi de l’évolution de la

tumeur etc. etc. etc. et au mois de janvier je lui dis : ‘‘eh bien moi je voudrais

reprendre le travail début mars’’, elle me dit : ‘‘mais comment vous faites pour

reprendre le travail ? Vous pouvez pas conduire, vous pouvez pas ci, vous pouvez

pas là’’, j’ai dit : ‘‘bah je peux pas reconduire, regardez, moi je me suis fait un statut

de travailleur handicapé je vais avoir une subvention pour conduire [embaucher un

chauffeur] nani nana’’ Le docteur elle me regarde elle me dit : ‘‘vous savez que à

Page 235: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

235

mon avis vous devriez pas reprendre le travail’’, je dis ‘‘qu’est-ce que vous en

savez ? Moi je sens que je vais mieux’’, elle me dit : ‘‘vous pesez 65 kilo monsieur,

vous pouvez pas reprendre le travail à 65 kilo’’, ‘‘ah ! il faut que je reprenne du

poids ? ok !’’ je me suis inscrit à une salle de sport et je fais du sport 3 fois par

semaine à fond pour reprendre du poids et j’ai continué à faire les papiers. Et du

coup elle me dit : ‘‘ouais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Moi je peux

pas vous interdire de travailler. Moi je vous le déconseille mais je peux pas vous

l’interdire’’, bon bah très bien, alors je retravaille. (…) je voulais le faire [l’arrêt-

maladie] jusqu’au 1er mars mais l’oncologue elle m’a dit ‘‘1er mars c’est pas

possible’’, ‘‘pourquoi c’est pas possible ?’’ ‘‘Non 1er mars là je veux vous faire les

derniers examens, faut absolument qu’on vérifie 2-3 petites choses. Reprenez pas

le travail comme ça, vous êtes plus à 15 jours près, faites-vous faire un arrêt au

moins jusqu’au 20’’, bon bon allez ça va ! ». Rémi, 43 ans, 1er entretien.

Cette phrase objectée par Rémi à son médecin : ‘‘qu’est-ce que vous en savez ? Moi je sens que

je vais mieux’’ illustre parfaitement la mise en opposition de la logique médicale à la logique

profane et ainsi l’impact de la motivation individuelle sur la décision de reprise. Selon lui, il

sait mieux que son médecin quelle est sa capacité à reprendre le travail puisqu’il ressent son

corps, ses limites et ses forces. Cette discordance rappelle les tensions évoquées par le

sociologue Patrick Peretti-Watel et ses coauteurs qui montrent comment, deux ans après le

diagnostic d’un cancer, certaines personnes confrontent leurs sentiments de guérison au point

de vue médical (Peretti-Watel et al., 2008). De plus, au-delà de la confrontation des points de

vue, ces négociations traduisent la dimension processuelle de la décision de la reprise du travail.

Rémi entreprend différentes démarches, souvent sur un temps plutôt long (l’activité sportive et

le régime strict qu’il s’est imposé ont nécessité du temps avant qu’il ne reprenne du poids) pour

avoir l’accord de son médecin quant à la reprise de son activité professionnelle.

A l’inverse, pour certains, la négociation s’est faite dans l’objectif de ne pas reprendre le

travail. Pour faire entendre son impossibilité de reprendre son activité en raison de son état de

santé, Clotilde a par exemple dû faire un recours contre la décision du médecin-conseil de

l’Assurance maladie.

Ainsi, si le médecin (qu’il s’agisse du médecin généraliste, du médecin du travail, de

l’oncologue etc.) est un acteur généralement prépondérant dans la reprise du travail, puisqu’il

en est le juge, ces témoignages montrent que les individus concernés prennent une part

Page 236: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

236

importante dans la décision de reprise, certains décidant de négocier avec le médecin voire de

contester son avis en faisant un recours, ce qui peut engendrer un processus parfois long.

9.2.2. L’entourage : un soutien plus qu’un acteur de la décision

Les participants aux entretiens étaient majoritairement d’accord sur l’importance du

soutien social, qu’il provienne de l’entourage proche (conjoint, famille, amis) mais aussi de la

sphère professionnelle (collègues, responsables, employeur). Se sentir soutenu c’est à la fois se

sentir en confiance pour faire son cheminement personnel mais également être reconnu au sein

d’un collectif, y conserver son identité sociale.

En outre, l’entourage est très présent dans le processus décisionnel vis-à-vis de la reprise

d’activité, comme cela a déjà été montré dans d’autres études (Tarantini et al., 2014), que ce

soit dans la volonté de préserver la personne malade et/ou de lui redonner le moral. Ce constat

se retrouve également dans nos entretiens comme dans l’exemple de Béatrice qui nous explique

en riant que son mari l’avait menacée de l’« attacher au radiateur » si elle travaillait pendant

son arrêt-maladie, ou encore dans le cas de Charlotte qui se dit stressée par son fils, qui la pousse

à reprendre un travail. Pour Clémence aussi, l’entourage exerce une pression sociale comme

une injonction à reprendre une vie normale. Néanmoins, si ces personnes peuvent être une

source de motivation, ou à l’inverse de stress, elles ne semblent pas réellement influencer la

décision de l’éventuelle reprise d’activité et de sa temporalité. Certes, Béatrice ne se rend pas

au travail pendant son arrêt-maladie satisfaisant ainsi la volonté de son mari, néanmoins

lorsqu’il a été question de la reprise effective, personne n’aurait pu entraver sa décision. De

même, si Charlotte est blessée par le comportement de son fils, sa réaction est principalement

la recherche du dialogue, elle reprendra quand elle se sentira suffisamment en forme et cela,

elle doit réussir à l’expliquer à son fils.

Page 237: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

237

9.2.3. Le patient acteur principal de sa poursuite professionnelle

Une plus grande liberté de décision pour « une maladie légitime » ?

David a un cancer du testicule, dit de « bon pronostic » en ce sens que les taux de survie

à cinq ans sont estimés entre 90 % et 100 %, pour lequel il a été mis en arrêt de travail afin de

subir une opération chirurgicale curative ainsi qu’une chimiothérapie adjuvante. La question de

la durée de son arrêt s’est posée avec l’interne en médecine qui le suivait. Lors de l’entretien,

David confie avoir pu, sur ce point, profiter des représentations sociales du cancer. Il explique :

« Mais, avec cette maladie, j’ai l’impression qu’on se sent davantage légitime à

s’arrêter. Vous voyez ce que je veux dire ? Je sais pas si c’est… ‘fin là je pense que

c’est pertinent de le dire, en tout cas je crois que moi je me suis senti… plus

légitime… (…) par rapport à …, au rapport qu’on peut avoir avec le mot « cancer »,

déjà on se sent légitime, et en plus autour de soi et les proches, et même si on en

parle un peu au… et ben il y a tout qui légitime, il y a tout le monde qui vous dit

‘‘repose-toi, prends soin de toi… l’important c’est la santé…’’, vous voyez ce que

je veux dire ? Et puis là on m’a pas emmerdé pendant mes… ou peu pendant le

temps de la chimio quoi. » David, 43 ans, 2nd entretien.

Pour illustrer son propos, David donne le contre-exemple d’une pathologie bien plus

douloureuse et contraignante à son sens qu’il a eu quelques années plus tôt et pour laquelle

l’arrêt avait été plus strict et surtout moins respecté par son entourage professionnel (pourtant

identique). Il explique également avoir beaucoup culpabilisé lors de ce précédent arrêt, ce qui

ne fut pas le cas pour celui induit par son cancer, alors même qu’il se sentait en meilleure forme

physique. Il ajoute avoir profité de cette légitimité, en avoir joué, pour avoir de la

reconnaissance de la part de ses collègues de travail. Cet entretien est intéressant car il fait écho

à une intervention des sociologues Anita Meidani et Arnaud Alessandrin à laquelle nous avons

assisté lors des Assises du Cancer et du Genre84 : un homme interrogé sur sa maladie expliquait

être devenu « un malade de luxe » depuis son diagnostic de cancer. Il justifie cela en expliquant

qu’il est atteint, depuis de nombreuses années, du VIH et d’une pathologie cardiaque

particulièrement handicapante, et qu’il n’avait jusqu’alors pas la même prise en charge. Ainsi,

les représentations sociales du cancer, synonyme de maladie grave quel qu’il soit, semblent lui

84 Déjà évoqué dans le chapitre 6, ce séminaire s’est tenu à Toulouse en novembre 2018.

Page 238: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

238

conférer une certaine légitimité dont il ne disposait pas auparavant. Celle-ci laisserait ainsi

potentiellement une liberté plus grande que pour d’autres pathologies, s’agissant de

l’implication de chacun dans la prise de décision, relative à ses conditions de vie.

Dans le cadre plus spécifique de la décision relative à la poursuite de l’activité

professionnelle, David a par exemple « profité » de son arrêt-maladie plus long que nécessaire

(selon lui) pour s’adonner à d’autres activités (il a notamment monté son autoentreprise).

Des calculs bénéfices-risques

Dans un comportement que nous qualifierons de « procéduralement rationnel » pour

reprendre la conception simonienne (Simon ; Quinet 1994), les individus réalisent un calcul

bénéfice-risque avant de définir les actions à entreprendre pour leur retour au travail. D’après

les entretiens, trois dimensions principales sont mises en balance : la préservation de leur santé,

leur bien-être social et leur confort financier. Ce calcul n’est cependant pas immuable puisqu’il

est soumis au processus de motivation de l’individu et donc aux différentes dimensions qui s’y

réfèrent. Les personnes disposent en effet d’une rationalité limitée : elles n’ont a priori jamais

fait auparavant l’expérience d’une reprise du travail après un diagnostic de cancer et ne

connaissent généralement pas la totalité des dispositifs existants pour la faciliter, ni les réels

bénéfices ou risques de leur utilisation. Ce calcul varie donc selon l’état de connaissance des

individus, des expériences qu’ils ont pu avoir par le passé et des ressources dont ils disposent.

Il varie également en fonction de l’état de santé de la personne.

Pour Sandrine par exemple, qui s’estime en bonne santé, la préservation de celle-ci est

importante et doit être prise en compte dans les modalités de poursuite de sa vie professionnelle.

Cependant, cela ne doit pas se faire aux dépens de sa situation financière. Ainsi, elle a fait le

choix de reprendre le travail à 90 % à la suite du temps partiel thérapeutique, afin de prendre

en compte à la fois son état de fatigue et sa situation financière (d’après son calcul, la perte

salariale consécutive à la diminution du temps de travail à 90 % est acceptable compte tenu du

temps de repos que cela lui accorde). D’autres exemples allant dans ce sens ont été présentés

dans le chapitre 7 (cf. sous-partie 7.2.4) et montrent en effet que le recours aux dispositifs,

notamment d’aménagement, n’est pas naturel (c’est-à-dire qu’il ne répond pas à une logique

universelle) : il n’est pas systématique et résulte d’une réflexion, parfois même d’un calcul, de

la part de la personne concernée.

Page 239: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

239

Ainsi, lorsque les individus sont amenés à négocier avec les médecins, développant par

exemple des calculs stratégiques en termes d’aménagement ou autres, c’est dans un objectif

précis : reprendre ou non l’activité dans des conditions spécifiques. Cet objectif est donc

construit en amont de cette décision : c’est ce que nous avons appelé jusqu’à présent « la

motivation ».

9.3. Processus de reprise : des allers-retours parfois nécessaires

9.3.1. Evolution de la motivation au fil des mises en actions

Une ouverture des possibles puis… un retour à la réalité pour certains

La réalisation des deux entretiens à six mois d’intervalle a permis, dans la quasi-totalité

des cas, de suivre l’évolution de l’état d’esprit des personnes au fil de leur expérience de la

relation cancer-travail. À chaque rencontre, il était demandé aux enquêtés de « raconter leur

histoire » de manière à suivre leur parcours mais également leur perception de leur expérience.

Nous avons ainsi pu observer les réactions des individus face à des événements imprévus (tels

qu’une rechute de la maladie, ou une mauvaise expérience de la reprise) et leur manière de les

rationaliser. Cette sous-partie est donc le fruit de cette observation longitudinale.

Pour la sociologue Claire Bidart (Bidart, 2006), l’« ouverture des possibles » constitue

une étape nécessaire de la bifurcation. Elle suit la phase de doutes ayant provoqué une remise

en question de différents paramètres de la vie d’un individu et précède celle de la décision et de

l’action, c’est-à-dire de la bifurcation. Si nous avons en effet retrouvé cette étape chez

l’ensemble des personnes ayant connu une bifurcation professionnelle dans notre enquête, elle

fut plus largement énoncée par une majorité des personnes interrogées (16 sur 21), qu’elles

entreprennent finalement une démarche de bifurcation ou non.

En effet, plusieurs personnes sont finalement contraintes par la réalité de leur état de santé

ou par celle du marché du travail par exemple. Prenons l’exemple de Clotilde, licenciée pendant

son arrêt-maladie de son emploi de cheffe de rayon dans un supermarché, qui explique que cela

peut être l’occasion de se lancer dans la vente. Pourtant, trois ans après son diagnostic, les effets

secondaires de ses traitements sont particulièrement handicapants et elle ne peut alors envisager

une reprise d’activité professionnelle pour le moment.

Page 240: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

240

Entre le premier et le second entretien avec Fabien, un de ses examens de contrôle révèle

qu’une reprise des traitements est nécessaire. Finalement, la phase aiguë de la maladie n’est pas

encore terminée, sa priorité est donc de se soigner, se préserver. Naturellement, la reprise de

son activité professionnelle, et plus précisément son projet de reconversion, est remis à plus

tard. Sa réflexion est alors tout à fait différente par rapport au premier entretien. Alors qu’il était

important pour lui de voir aboutir son projet professionnel, pour changer de vie, il lui semble

finalement plus bénéfique de conserver son emploi dans l’armée qui lui offre une bonne

couverture sociale. Cette fois, l’activité professionnelle importe peu, la sécurité de l’emploi

présente de plus grands avantages au regard de sa nouvelle situation.

La recherche de l’équilibre entre ce qui est voulu par l’individu et les possibilités

effectives dont il dispose est donc un processus qui prend du temps, l’acteur compose en

fonction de ses connaissances, de ses croyances (construites notamment par son expérience) et

de son entourage pour aboutir à la situation la plus adaptée à ses besoins et à ses envies. Cela

nécessite également parfois des allers-retours et des négociations avec les autres (comme on l’a

vu précédemment vis-à-vis du personnel soignant) mais aussi avec soi-même.

En effet, pour certaines des personnes rencontrées, le souhait de changer radicalement de

situation professionnelle n’a pas toujours été réalisable tel qu’il fut exprimé initialement. Par

exemple, Christine ne souhaitait pas du tout reprendre son activité professionnelle estimant que

son surinvestissement personnel au travail était à l’origine de la survenue de la maladie. Elle a

alors entrepris des démarches de reconversion qui se sont finalement révélées infructueuses

(réponses négatives, voire aucune réponse, à ses différentes candidatures). Or, ses droits de

couverture sociale relatifs à son arrêt-maladie arrivant à leur fin, sa situation financière et donc

son niveau de vie, étaient tout à coup menacés. L’intégration de cette nouvelle information

associée à l’expérience de ses échecs à trouver l’activité professionnelle qu’elle désirait a

finalement modifié son approche et la reprise de son activité initiale d’infirmière libérale lui

sembla alors la solution la plus adaptée. Cependant, cette reprise fit l’objet d’une négociation

intérieure vis-à-vis de son souhait premier de préserver sa santé et son envie de changement en

fut modérée, elle a finalement choisi de reprendre son activité libérale pour s’assurer une

situation financière suffisante mais avec un temps de travail réduit de moitié pour protéger sa

santé. L’expérience de sa tentative de reconversion n’en fut néanmoins pas vaine puisqu’elle

lui a finalement permis de faire « un point sur [elle]-même ». Mais cela a également modifié

son propos vis-à-vis de son activité comme le montre l’extrait ci-après.

Page 241: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

241

« Mais en fait, après, j'ai organisé ma vie, donc... je fais mes 6, 8 jours par mois, le

reste du temps, soit je vais au sport faire de la musculation pour mon genou, soit je

vais faire des petites randonnées... Donc j'organise ma vie, maintenant. (…) ça n'est

pas difficile. Au contraire, je me mets encore plus à la place du patient, et je sais

pas... je comprends encore mieux les choses... J'ai une autre patiente qui a été

atteinte d'un cancer du sein, que je vois de temps en temps. Là, elle a été opérée

récemment – pas du sein, ailleurs. Donc je suis retournée la voir. Et c'est vrai que

vous comprenez mieux ce qu'elle vous explique. (…) Donc après, je pense que c'est

pareil pour la reprise du travail, les patients en face de moi... Voilà, je fais avec et

au contraire, je pense que ma maladie a fait que je suis encore plus dans l'empathie.

Je me mets un peu plus à leur place, à dire : ouais, c'est vrai que d'être malade...

Tous les gens qui sont malades autour de moi, maintenant... avant, j'étais plutôt dans

la prise de recul, mais là, je me dis : ben oui, c'est vrai que c'est dur, la souffrance !

J'ai une patiente qui souffre beaucoup, je lui dis : je sais ce que c'est, la souffrance !

» Christine, 57 ans, 2nd entretien.

Dans cet extrait, le discours de Christine est très différent de celui recueilli lors du premier

entretien (cf. 9.1.1). Sa réaction face à la maladie fut dans un premier temps de chercher

l’origine de sa survenue et de la rejeter. Elle a entrepris de nombreuses démarches pour se

réorienter professionnellement avant de reprendre finalement son travail. Ce revirement n’est

pas incohérent dans la mesure où dès le premier entretien Christine expliquait aimer son activité

professionnelle, c’est son investissement personnel qu’elle remettait en question. Ainsi, la

solution pour satisfaire sa motivation de préservation fut finalement de modérer cet

investissement, en l’occurrence en diminuant son temps de travail.

Expérience de l’échec

Le processus du retour au travail et du maintien en emploi est donc dynamique, il évolue

au regard des différentes informations dont l’individu prend connaissance comme cela fut le

cas pour Christine. Mais ces allers-retours peuvent également résulter d’une mauvaise

expérience de la reprise amenant à reconsidérer les choses et parfois même transformant a priori

complètement la motivation première. C’est le cas de Béatrice dont l’enthousiasme de reprendre

son travail illustré précédemment (cf. 9.1.1), s’est finalement évanoui lors de l’expérience de

sa reprise. Le contexte de restructuration dans lequel elle reprend son travail fut un véritable

choc pour Béatrice. Quatre mois après sa reprise, elle retourna voir le médecin qui lui signa un

Page 242: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

242

arrêt-maladie puis elle fit finalement la demande de son licenciement. Outre le contexte

structurel difficile de l’entreprise, c’est le manque de reconnaissance ressenti que l’on retrouve

largement dans son discours et qui semble être à l’origine du changement radical de sa

motivation vis-à-vis de son investissement professionnel :

« Donc la reprise du travail a été chouette dans un premier temps, parce que j'étais

très contente de reprendre, et je dirais, j'ai très vite déchanté ! Alors, pas parce que

mon travail me fait déchanter, non, parce que j'aime mon job ! Mais, c'est dans les

conditions... et vous êtes confrontée à quelqu'un qui a été embauché pour faire le

nettoyage et pour faire la réorganisation. On comprend très bien qu'elle compatit à

votre état... mais qu'elle n'en a rien à faire ! Parce que c'est la boîte et c'est le chiffre,

qui vont passer en premier ! (…) J'ai pas envie de donner ma santé à un employeur

qui en définitive n'en a rien à faire, et qui, dans tous les cas, s'il ferme son secteur,

il me larguera. Parce que c'est l'économie qui compte et c'est pas le reste ! (…) C'est

bête, parce que j'aime ce que je fais. Mais, j'aime pas la façon dont on nous le fait

faire. On nous utilise, on nous pompe, on nous ponctionne... (…) On relativise pas

mal, de quelle priorité on fait passer en premier : si c'est son travail ou si c'est soi.

J'ai choisi de me faire passer en premier. Alors, peut-être qu'avant, j'aurais fait

passer mon travail en premier. » Béatrice, 59 ans, 2nd entretien.

L’expérience du manque de reconnaissance et du manque de considération semble sonner le

glas de son enthousiasme à reprendre le travail. Si dans un premier temps le travail pouvait tenir

lieu de thérapie, lui permettant de « tourner la page », il constitue à présent une menace pour sa

santé. À l’inverse de Béatrice, Karine n’était pas très motivée vis-à-vis de sa reprise du travail

qu’elle trouvait un peu prématurée, néanmoins elle a déclaré avoir fait confiance à son médecin

généraliste comme cela fut précédemment évoqué. Cependant, l’expérience de sa reprise

entraîna une dégradation de son état de santé jusqu’à ce qu’au bout d’un mois le médecin du

travail insiste pour la déclarer inapte provisoirement. Par la suite, c’est dans un premier temps

la rencontre avec une association de personnes atteintes de cancer qui lui a permis de prendre

connaissance du dispositif de pré-reprise puis, grâce à cette visite avec le médecin du travail,

elle a pu partir de son expérience précédente pour identifier ce qui n’allait pas et mieux anticiper

cette seconde reprise (se reposer les jours non travaillés et donc fixer les rendez-vous médicaux

les autres jours notamment). Cependant à nouveau sa reprise n’a pas été anticipée par son

employeur ce qui ajoute à sa première frustration :

Page 243: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

243

« Mais là vous savez j’en suis à un point où je me dis ‘‘pourquoi j’ai repris quoi ?

Pourquoi j’ai pas profité de mes enfants ? de l’été, du mois de juillet qui arrive ils

vont être en vacances moi je vais être obligée de les faire garder à droite à gauche’’

et je me dit ‘‘mais t’es trop bête quoi tu aurais dû prolonger ton arrêt-maladie et

profiter encore de tout l’été et reprendre en septembre en mi-temps thérapeutique

et t’aurais fait ce que t’as pu et voilà quoi’’. En fait je me dis ‘‘toi tu prends sur toi

pour reprendre mais au boulot ils font rien pour t’accueillir donc pourquoi ?’’ il y a

un espèce de de…. Ouais de décalage entre nous ce qu’on met dans la reprise et ce

qu’on attend de l’employeur et ce que l’employeur nous donne ou est prêt à nous

donner ou met en place lui… enfin là en l’occurrence il a rien mis en place. Il a rien

mis en place en janvier et il a rien mis en place en juin. C’est ça qui est décevant en

fait c’est la répétition de la non-anticipation. » Karine, 2nd entretien.

L’analyse de ces allers-retours permet de mieux comprendre les dispositions dans

lesquelles se trouve la personne vis-à-vis de sa reprise du travail et montre l’importance de

saisir l’ensemble de ces éléments et leurs interactions afin de lutter contre la désinsertion

professionnelle après un diagnostic de cancer.

Page 244: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

244

9.4. Synthèse des résultats et conclusion

Les principaux points à retenir dans ce chapitre sont :

- Toutes les personnes interrogées dans l’enquête CARMAJOB ont relaté leur

expérience de la relation cancer-travail en regard avec ce que nous avons nommé

ici leur motivation. C’est-à-dire que chaque discours était empreint des besoins

de chacun, de leur envie et l’ensemble des démarches mises en place a été réalisé

en cohérence avec cette motivation ;

- L’expérience de la maladie et le rapport au travail et à l’emploi sont deux

éléments déterminants de la construction de la motivation. Relativement aux

caractéristiques de la maladie et de l’individu atteint, le premier concerne

l’attitude adoptée face à la maladie : le combat, l’acceptation et l’adaptation, et la

volonté de donner du sens à la maladie. Le second dépend des caractéristiques

individuelles en interaction avec les caractéristiques professionnelles. En

l’occurrence, le déséquilibre entre les efforts fournis par le travailleur et la

reconnaissance qu’il en retire est fortement lié à une reconsidération des attentes

personnelles et professionnelles conduisant à une bifurcation professionnelle ;

- En plus de la reconnaissance liée au travail effectué, la reconnaissance de la

motivation à reprendre constitue en soi un besoin fort exprimé par les

salariés interrogés ;

- Si la décision de reprise du travail est avant tout liée à une décision médicale (non-

reconduction de l’arrêt-maladie), la motivation individuelle s’exprime à travers

les négociations et les calculs opérés par les individus ;

- Enfin, la reprise du travail apparaît comme un processus pouvant être plus ou

moins long selon le processus de construction de la motivation et celui de la mise

en action. De mauvaises expériences de la reprise conduisent à des retours en

arrêt-maladie et participent à un allongement de la durée du processus.

Page 245: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

245

Les références des productions scientifiques relatives à cette étude sont les suivantes :

- Alleaume C. « Emploi et cancer : expérience du handicap et aménagement du travail »

dans Gros K. et Lefranc G., Emploi et handicap : de la culture de la responsabilité

sociale à l’émergence de nouvelles formes de travail. Editions Législatives ESF. Juin

2019 (chapitre d’ouvrage, sous presse) ;

- Colloque du Réseau SHS Cancéropôle Nord-Ouest « Cancer et travail ». Alleaume C,

Paraponaris A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. L’aménagement du

travail après un diagnostic de cancer, un dispositif favorable au maintien en emploi à un

horizon de 5 années (communication orale) ;

- European Society for Medical Oncology (ESMO) Congress. Alleaume C, Paraponaris

A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. Workstation layouts after a cancer

diagnosis (poster).

À divers degrés et pour différentes raisons, les personnes rencontrées dans le cadre de

l’enquête ont été actives dans leur processus de reprise de l’emploi en développant plusieurs

stratégies. Nos résultats en ce sens rejoignent les propos de la sociologue Valentine Hélardot

(Hélardot, 2006) selon qui : « l’événement donnant lieu à une bifurcation ne relève pas

initialement d’une décision personnelle, pour autant les individus ne sont pas passifs : ils

accompagnent le changement par un ensemble d’ajustements matériels et symboliques. »

(p.67). Dans ce chapitre, nous avons confronté notre matériau au modèle théorique proposé

dans le chapitre précédent (chapitre 8) dans lequel l’individu est un agent actif, motivé,

disposant d’une marge de manœuvre relative à son environnement social et professionnel et à

sa maladie.

Selon leur état de santé, les personnes enquêtées dans CAREMAJOB ont exprimé leurs

motivations et leurs stratégies pour les réaliser. Au-delà de leur état de santé, les entretiens ont

montré l’importance du rapport au travail et à l’emploi relatif à l’environnement professionnel

occupé au diagnostic. Le cancer semble être un révélateur de difficultés préexistantes ou

latentes. Lorsqu’elles n’étaient initialement pas très bonnes, les relations sociales se sont

détériorées après la maladie. Dans le cas de conditions de travail jugées stressantes et délétères,

la maladie est apparue comme un signal d’alarme et a favoriser la bifurcation professionnelle.

À l’inverse, lorsque la personne accordait beaucoup de valeurs et de sens à son activité, la

Page 246: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

246

reprise était facilitée par la motivation du travailleur. Dans ces interactions, le soutien social fut

un élément catalyseur de la volonté de reprise lorsque celle-ci était présente mais n’a pas semblé

être un levier de poids dans l’une ou l’autre des directions. A contrario, la présence de

comportements jugés déplaisants par le travailleur (jusqu’au harcèlement moral pour certains),

- ce qui est différent du manque de soutien puisqu’il s’agit ici de nuisances volontaires - prend

une dimension particulièrement importante au moment de la reprise et peut s’avérer décisif pour

le non-retour au travail, déséquilibrant de manière très importante la balance effort-récompense

et dégradant fortement la qualité sociale du travail.

Ainsi, si certains éléments de notre modèle présenté dans le chapitre 8 n’ont pas pu être

testés au regard de notre enquête, tels que les croyances personnelles et normatives notamment

ou encore les caractéristiques de l’entreprise, il nous semble pertinent d’analyser le retour au

travail et à l’emploi post-diagnostic de cancer en tenant compte de l’interaction des

caractéristiques sociales, médicales, professionnelles et individuelles afin de comprendre

comment l’intersection de ces différents facteurs peut influencer les motivations individuelles

et expliquer, en partie, le processus de reprise. Ces résultats nous ont également montré que le

temps (de la maladie mais aussi celui de la reprise) était un indicateur essentiel de

l’appréhension du processus qui devrait être plus systématiquement pris en compte dans les

enquêtes qualitatives notamment.

Page 247: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

247

Conclusion de la Partie 3 : construction individuelle et sociale de la

vulnérabilité

La vulnérabilité au service des « capabilités »

Synthèse des principaux résultats

Quel est l’intérêt d’une mobilisation du concept de vulnérabilité ? Ces approches de la

vulnérabilité permettent d’une part, une portée critique puissante par la généralisation de la

personne vulnérable, quelle que soit la nature de son altération, et d’autre part, une portée

politique pouvant donner lieu à des obligations sociales. En ce sens, faire l’« éloge de la

vulnérabilité », selon Lhuilier, permettrait de mettre en visibilité cet état en tant que différence,

et ainsi de développer le pouvoir d’agir des politiques publiques. L’enjeu est ainsi de « tenir

ensemble singularisation des normes et valeurs et de développer l’approche collective des

conditions du travail de santé ».

C’est bien ce caractère capacitaire que nous avons souhaité mettre en évidence dans cette

troisième partie. La théorie des capabilités de Sen, présentée dans le chapitre 7, permet

d’aborder les facteurs qui favorisent, ou au contraire limitent, la reprise ou le maintien d’une

activité professionnelle en tant que ressources pouvant être à la disposition des individus, et

surtout d’insister sur le fait que ces ressources ne seraient mobilisables que par le biais de

facteurs de conversion internes ou externes à l’individu. Ce dernier développe des stratégies,

des calculs coûts-bénéfices, l’amenant à refuser son enregistrement en qualité de travailleur

handicapé en raison de la stigmatisation que cela engendre, et ce, malgré les bénéfices qu’un

tel dispositif peut apporter en termes de maintien en emploi. Ou encore, cela l’amène à

aménager ses modalités de travail avec, par exemple, une réduction de son temps de travail, de

manière à limiter sa perte de revenu tout en lui permettant de préserver sa santé. Cependant, le

chapitre 7 a également montré que ces dispositifs pouvaient faire l’objet d’une inégalité d’accès

des individus, les plus vulnérables sur le marché du travail étant les moins susceptibles d’en

disposer. Le manque de ressources (informations, accès aux médecins du travail etc.) est une

hypothèse envisagée pour expliquer ces inégalités. Ainsi, ce chapitre confirme la quatrième

hypothèse exposée dans la première partie de cette recherche (chapitre 2) sous la forme

suivante : la persistance des difficultés rencontrées en dépit des dispositifs disponibles pour

favoriser le retour au travail témoigne d’un double effet : une sous-utilisation de ces dispositifs

Page 248: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

248

de la part des acteurs (personnes éligibles mais aussi entreprises par exemple) et une sélection

de ces personnes (auto-sélection ou sélection externe). Le phénomène d’auto-sélection constaté

s’explique en partie par la peur des individus d’être stigmatisés et/ou de perdre des avantages.

Le phénomène de sélection des entreprises peut quant à lui s’expliquer par la structure de celle-

ci (le nombre restreint de salariés pouvant par exemple limiter la flexibilité des aménagements)

ainsi que par les caractéristiques socioprofessionnelles des individus. Compte tenu de l’effet

positif de ces dispositifs sur le maintien en emploi à moyen terme, il apparaît nécessaire que

chacun puisse choisir librement d’en disposer ou non.

Au-delà du recours à ces dispositifs, la reprise du travail est en elle-même apparu comme

un sujet de réflexion pour les individus concernés. Les stratégies individuelles évoquées lors

des entretiens dépendent principalement des motivations individuelles, ce qui nous a amené à

proposer dans le chapitre 8 un nouveau modèle écologique du retour au travail après un

diagnostic de cancer. L’application des modèles théoriques de santé au travail de Karasek et

Theorell, de Siegrist et de Demerouti a permis de considérer la relation entre travail et santé

mentale dans le cas spécifique d’un après diagnostic de cancer, et d’une rupture biographique

contingente. Ainsi, dans le chapitre 9, la confrontation du modèle aux entretiens recueillis lors

de l’enquête CAREMAJOB montre que la reprise de l’activité professionnelle fait le plus

souvent l’objet d’un processus à la fois dans la construction de la motivation professionnelle,

dans les démarches entreprises pour y répondre, et enfin, dans les allers-retours consécutifs aux

éventuels échecs rencontrés pour la satisfaction de la motivation, impliquant une évolution de

celle-ci. Ces résultats corroborent notre sixième et dernière hypothèse formulée en début de

recherche (chapitre 2), portant sur le caractère processuel de la reprise du travail après un

diagnostic de cancer, celle-ci s’inscrivant dans une période de temps parfois longue,

nécessitant des adaptations et parfois des allers-retours entre des périodes de travail et d’arrêt

de travail. Les expériences des personnes rencontrées illustrent les différentes dimensions

prises en compte pour appréhender la question de la reprise d’activité, et surtout la place de

l’individu concerné, en tant qu’acteur de cette décision. Le caractère longitudinal de l’enquête

a mis en lumière la nécessité de considérer le temps comme unité centrale du processus : la

stabilisation de la situation professionnelle prend généralement du temps et l’effet intrinsèque

de chaque dimension (individuelle, médicale et sociale) dépend de la temporalité dans laquelle

il est observé.

Page 249: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

249

Limites de ces études

La construction de l’enquête quantitative VICAN5 ayant été réalisée en amont de la

réalisation de la présente recherche, certains éléments n’ont pas pu être investigués.

Notamment, aucune échelle psychosociale permettant de renseigner sur le caractère stressant

de l’activité professionnelle exercée lors du diagnostic n’avait été incluse, et les capacités

individuelles à se saisir de certaines ressources n’ont pas été questionnées. Sur ces points,

l’enquête qualitative CAREMAJOB apporte des éléments de compréhension, mais aucune

conclusion ne peut être formulée quant à l’effet propre des conditions de travail initiales sur le

maintien en emploi à distance du diagnostic.

Par ailleurs, il est possible que le recrutement des personnes enquêtées ait fait l’objet d’un

biais de sélection dans la participation aussi bien à l’enquête VICAN5 qu’à l’enquête

CAREMAJOB. En effet, on peut supposer que les personnes ayant souhaité répondre à ces

enquêtes se soient senties particulièrement concernées par un impact négatif de la maladie,

touchant spécifiquement à la reprise professionnelle s’agissant des enquêtés de CAREMAJOB.

Si les données recueillies ont été redressées à partir de certaines caractéristiques des non-

répondants dans l’enquête quantitative, aucune information sur ceux-ci n’était connue pour

l’enquête qualitative. On peut dès lors présumer que les personnes recrutées par l’intermédiaire

de milieux associatifs spécialisés dans l’aide au retour au travail étaient particulièrement

investies dans ce questionnement et éventuellement plus susceptibles d’avoir rencontré des

difficultés spécifiques lors de ce processus. Néanmoins toutes les personnes enquêtées n’ont

pas été rencontrées par cet intermédiaire, certaines ayant été recrutées au sein de services

hospitaliers.

Page 250: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

250

Conclusion générale

Laurent Boghossian85

Extraite d’une facilitation graphique augmentée réalisée par Laurent Boghossian, cette

phrase tient lieu de conclusion de la table ronde intitulée « Pourquoi un patron n’a pas le droit

d’avoir le cancer ? ». Le choix de l’auteur nous a semblé être une conclusion idoine pour ce

travail de recherche. Le cancer apparaît comme révélateur des vulnérabilités (définies par

l’adéquation entre la fragilité et l’aptitude à survivre) et des ressources individuelles et sociales.

Pour expliciter ce point, nous proposons de reprendre ici les principaux résultats de ce travail

doctoral.

Synthèse des résultats

L’approche écologique et interactionniste adoptée dans cette recherche pour analyser

l’impact du cancer sur la vie professionnelle permet d’appréhender les dynamiques interactives

des freins (liés à la maladie, tels que la présence de séquelles, de DNC, liés aux conditions de

travail, celles des professions d’exécution et des contrats temporaires notamment, ou encore à

des caractéristiques sociales telles qu’un âge avancé ou un faible niveau d’études) et des leviers

(comme les aménagements du travail par exemple) identifiés. Cela répond ainsi, au moins en

partie, aux besoins formulés par de Moor et ses coauteurs (de Moor et al., 2018) pour mieux

comprendre les différentes formes de l’emploi après un diagnostic de cancer. Nous abordons

ainsi le processus de reprise d’activité et de maintien en emploi en tenant compte à la fois du

poids du social (aussi bien du contexte social qui permet ou non de faciliter la reprise que de

l’entourage de l’individu), des spécificités individuelles (dépendantes des caractéristiques

85 Extrait d’une facilitation graphique augmentée réalisée par Laurent Boghossian lors de la table ronde

intitulée « Pourquoi un patron n’a pas le droit d’avoir le cancer ? » et organisée à Marseille par

l’association CAIRE13 le 05/12/2018. La facilitation graphique augmentée consiste en la réalisation

d’un dessin concomitante au déroulé d’une conférence, et dont l’objectif est de marquer les moments

forts de l’événement et d’en synthétiser les principaux résultats.

Page 251: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

251

individuelles et des envies personnelles) et de données cliniques (sur la maladie et ses

traitements).

La première observation faite à partir de l’enquête nationale VICAN5 peut sembler

encourageante : quatre personnes sur cinq sont toujours en emploi cinq ans après le diagnostic

de cancer. Néanmoins, les résultats de notre recherche nous amènent à pondérer cette

interprétation : d’une part, le taux de chômage a augmenté de plus de deux points parmi les

actifs au diagnostic et ce, particulièrement pour les personnes disposant des caractéristiques

socioéconomiques les moins valorisées et, d’autre part, parmi les personnes qui se sont

maintenues en situation d’emploi, trois sur dix ont déclaré que la maladie a été à l’origine d’une

diminution de leur revenu professionnel. En effet, au-delà des disparités médicales attendues –

les personnes dont la santé a été particulièrement altérée du fait de la maladie et de ses

traitements sont les plus concernées par des difficultés professionnelles –, les résultats de nos

analyses confirment les inégalités sociales de maintien en emploi relatives aux caractéristiques

socioprofessionnelles des personnes au moment du diagnostic de la maladie. Le cancer renforce

le poids des inégalités sociales et économiques sur les conditions d’emploi.

Le niveau d’éducation est apparu comme un « facteur de conversion » essentiel à la

mobilisation de ressources. Accorder un « caractère capacitaire » au sujet vulnérable, c’est

reconnaître qu’il dispose de ressources et permettre de penser les actions à mettre en place pour

favoriser les facteurs de conversion. Avec cette approche par les capacités (Sen, 1992), la

question principale n’est plus d’adapter l’individu vulnérable à son environnement social mais

d’aménager la société en fonction des (nouvelles) capacités de cet individu, ne pas le soumettre

à des normes impossibles et analyser ce dont il est capable à partir de sa situation, quelle qu’elle

soit. C’est aussi plaider pour une analyse plus fine de l’« hétérogénéité humaine » dans

l’aptitude à convertir les ressources en « fonctionnements » mais également dans les

aspirations, notamment professionnelles. En effet, penser la poursuite d’une activité après un

diagnostic de cancer nécessite de prendre en compte les nouvelles capacités des individus. La

théorie des causes fondamentales de Link et Phelan (Link et Phelan, 1995) a été évoquée dans

le chapitre 5 pour montrer que les caractéristiques socioéconomiques, telles que le niveau

d’éducation, constituaient des facteurs essentiels à l’analyse des difficultés individuelles,

notamment car ils renvoient à des stratégies d’adaptation (« coping strategies ») (par exemple

actives versus passives) facilitant ou non la confrontation à la maladie et à ses conséquences.

Ces « facteurs de conversion » devraient être systématiquement analysés dans les travaux de

recherche.

Page 252: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

252

Dans son étude sur l’intérêt de l’application de la théorie de Sen en économie féministe,

Robeyns (2007) explique : « comme les femmes sont discriminées sur le marché du travail, il

sera plus difficile à une femme d’utiliser son diplôme pour réaliser tous ces fonctionnements,

comparée à un homme avec le même diplôme ». Cela nous renvoie aux différences observées

dans le chapitre 6 entre les hommes et les femmes : comment expliquer le résultat paradoxal

selon lequel les femmes se maintiennent plus souvent en emploi que les hommes et que,

parallèlement, elles subissent plus souvent des difficultés financières ? Celles-ci disposeraient-

elles de facteurs de conversion réduits du fait de la discrimination qu’elles peuvent subir en

milieu professionnel ? Pour expliquer ce résultat, nous avons formulé des hypothèses à partir

du contexte socio-économique différent entre les hommes et les femmes (pour rappel, les

femmes ayant plus souvent des interruptions de carrières, elles cotiseraient moins que les

hommes et auraient ainsi le droit à des prestations sociales inférieures à celles des hommes qui

ont plus souvent une carrière professionnelle linéaire) qui, à l’aune de l’approche par les

capacités, nous amène à formuler l’interprétation suivante : le maintien en emploi des femmes

serait le signe d’un choix contraint en réponse à une nécessité financière relative à ces inégalités

sociales.

Après un événement traumatique comme peuvent l’être le diagnostic d’un cancer et les

traitements associés, les aspirations professionnelles peuvent évoluer et les modèles de

participation au marché du travail, fondés sur la maximisation des revenus devraient alors

prendre en compte des dimensions de bien-être relatives à une préservation de sa santé par

exemple. Aussi, l’approche par la théorie des capabilités conduit à la question suivante : dans

quelle mesure la poursuite de l’activité professionnelle est un choix « en toute liberté » et/ou

est contrainte par l’environnement dans lequel l’individu prend sa décision ? En effet, nos

analyses (Partie 3) ont montré que compte tenu des contraintes sociales et médicales que

pouvaient rencontrer les individus dans leur reprise du travail post-diagnostic de cancer, ceux-

ci faisaient preuve d’initiatives, de stratégies (telles que des négociations de la date de reprise

avec le personnel soignant ou un recours aux aménagements) pour satisfaire leurs volontés.

Implications en santé publique

Avant toutes choses, il nous faut préciser qu’est paru récemment le 5ème rapport au

Président de la République relatif au Plan cancer 2014-2019 (2019) et, vis-à-vis des avancées

réalisées contre l’impact du cancer sur la vie professionnelle, celui-ci présente les trois éléments

suivants : l’extension du droit à l’oubli, l’augmentation du nombre d’entreprises signataires de

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253

la Charte INCa des « 11 engagements pour améliorer l’accompagnement des salariés touchés

par un cancer et promouvoir la santé » et en parallèle l’augmentation des membres du Club des

entreprises « cancer et emploi » et enfin le développement de l’engagement de l’Assurance

maladie dans la prévention de la désinsertion professionnelle notamment par la mise en place

« dès 2019 » d’expérimentations locales visant la prévention de « la désinsertion

professionnelle articulée autour de la médecine du travail et des employeurs ».

Pour un accompagnement personnalisé

Cette thèse invite à tenir compte des processus sociaux de production du handicap

« cancer » qui, par son statut de maladie grave, légitime le plus souvent l’arrêt de travail mais

dont la chronicité semble encore peu reconnue : on l’a vu notamment à travers certains extraits

d’entretiens, le cancer on en meurt ou on en guérit, comme « une grosse grippe ». Cette dualité

empêche de penser la vie avec un cancer, une réalité pourtant de plus en plus présente. Ainsi,

le modèle théorique présenté dans le chapitre 8 propose de se défaire de cette dualité en

appréhendant la reprise comme un processus dans lequel la motivation individuelle tient une

place importante et est influencée par une multitude de facteurs en interaction. En résultat de

cette recherche, nous souhaitons insister sur le critère capacitaire des individus avec pour

objectif non pas de responsabiliser mais d’impliquer et d’accompagner les personnes

concernées dans la reconstruction de leur vie professionnelle post-diagnostic de cancer. En ce

sens, la thèse que nous souhaitons soutenir ici porte sur la nécessité de proposer un

accompagnement personnalisé des personnes atteintes de cancer dans leur retour au travail.

Nous avons discuté dans le chapitre 3 des difficultés rencontrées pour le recrutement

des participants à l’enquête CAREMAJOB. Nous pensons que l’une des explications tient du

manque d’anticipation des personnes concernées. Cela a été évoqué, certaines personnes nous

ont contacté en nous mettant en garde sur le fait qu’elles n’étaient pas particulièrement

concernées car la poursuite de la vie professionnelle ne constituait pas un problème dans leur

cas puisqu’elles allaient bientôt reprendre. Les entretiens réalisés avec ces personnes se sont

pourtant révélés riches d’informations et le suivi à six mois a montré que des complications

dans le processus de poursuite professionnelle étaient survenues après leur reprise. Ainsi, nous

pensons que le retour au travail est souvent peu anticipé dans ses modalités, ce qui constitue

une difficulté majeure de la reprise puisque cela entraîne des déceptions et des désillusions. La

motivation du travailleur à reprendre est ainsi progressivement altérée, ce qui participe

davantage à une dégradation de la vie professionnelle. C’est pourquoi l’accompagnement doit

Page 254: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

254

être personnalisé et doit intervenir précocement. La visite de pré-reprise nous semble sur ce

point un outil indispensable pour organiser le retour au travail d’un salarié et devrait, selon

nous, être rendue obligatoire dans toutes les entreprises. Une campagne d’information au sein

des entreprises et des services de santé (médecin traitant notamment) apparaît également

nécessaire pour favoriser l’accessibilité à ce dispositif.

De plus, les entretiens réalisés avec des salariées de l’éducation nationale ont révélé que

la rencontre avec un médecin du travail n’était pas systématique, même après une année passée

en arrêt-maladie. Pour certaines, la réunion d’un conseil ayant étudié leur dossier à distance a

suffi à autoriser leur reprise. Ce phénomène mérite d’être quantifié et des efforts doivent être

menés pour le pallier.

Pour une spécification des indicateurs

Si les recherches en santé publique et les politiques publiques semblent principalement

évaluer l’impact de la maladie à travers les taux de retour en emploi et les taux de chômage, les

résultats de cette recherche plaident pour une intégration de nouveaux indicateurs évaluant

notamment la précarisation financière des travailleurs et la satisfaction vis-à-vis des

changements (ou non-changements) effectués. Cette mesure implique de repenser les outils

d’enquêtes et les catégories utilisées qui ne permettent pas, le plus souvent, de mesurer des

situations hybrides (telles que le cumul d’un emploi et d’une allocation chômage ou

d’invalidité, le dispositif même de retraite progressive, ou le cumul de plusieurs activités

professionnelles par exemple).

Perspectives de recherche

Enquêter par cohortes

La mobilisation de données de cohorte, comportant des informations à la fois sur les

carrières professionnelles des individus et sur leur histoire de santé permettrait de capter plus

finement l’impact propre du cancer, en comparant une population atteinte avec une population

contrôle, non concernée par cette maladie. De plus, cela permettrait d’identifier l’effet

spécifique de cette maladie sur les trajectoires professionnelles, en comparaison avec d’autres

maladies chroniques. Le projet d’appariement des données de la CNAV (Assurance retraite) et

de la CNAM (Assurance maladie) est en ce sens prometteur.

Page 255: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

255

Favoriser la recherche interventionnelle

Au regard des nombreux travaux de recherche ayant permis d’enrichir les modèles de

compréhension des freins et des leviers du maintien en emploi et du retour au travail après un

diagnostic de cancer (auxquels, on l’espère, cette recherche a participé), il nous semble que les

futures recherches devraient privilégier une approche interventionnelle. Peu nombreuses en

France, ces études permettent de tester la pertinence de modèles expérimentaux dans l’objectif

de définir le plus adapté aux populations ciblées. Si certains travaux de ce type sont en

expérimentation actuellement, il nous paraît plus opportun d’engager des études d’évaluation

de dispositifs existants. Une liste non-exhaustive mais néanmoins fournie de dispositifs locaux

ou nationaux, privés ou publics, existant pour favoriser le retour au travail après un diagnostic

de cancer, a été présentée dans le chapitre 7. La collaboration entre les acteurs de terrain et les

acteurs de recherche pourrait être heuristiquement féconde pour identifier les

accompagnements les plus efficaces en termes de poursuite de l’activité professionnelle. Il

s’agirait alors d’évaluer l’efficacité, le coût et la capacité de diffusion des dispositifs proposés

par des associations, des partenaires sociaux ou médicaux, de manière régulière, à leurs

adhérents, cotisants ou patients. Cela permettrait de faire face à l’un des enjeux majeurs de la

recherche appliquée, la course au temps. En effet, la recherche exige un temps suffisamment

long, pour mettre en place, adapter et évaluer les interventions publiques, qui ne coïncide plus

avec le rythme des politiques publiques, instaurées et réformées régulièrement. L’évaluation de

dispositifs existants offre la possibilité de cibler une mesure ancrée dans le paysage, déjà mise

en place et adaptée à la demande. Il nous semble que ce point devrait constituer une priorité des

financeurs publics.

Quid des actifs non occupés et des inactifs au moment du diagnostic ?

Cela a été présenté dans le deuxième chapitre de cette recherche, l’un des partis pris

initiaux fut de restreindre la population d’étude aux actifs occupés au moment du diagnostic de

cancer afin d’explorer les notions de maintien et de retour au travail (l’arrêt de travail faisant

référence à l’arrêt-maladie). En complément, des études devraient être spécifiquement

conduites sur les populations actives non-occupées au moment d’un diagnostic de cancer. En

effet, des études montrent l’impact négatif du chômage de longue durée sur la probabilité de

reprendre un emploi (Decreuse et Paola, 2002; Nichols et al., 2013). En contexte de recherche

d’emploi, l’arrêt-maladie suspend les droits d’assurance chômage afin de percevoir les droits

d’assurance maladie (les indemnités journalières remplacent l’allocation chômage le temps de

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256

l’arrêt). La recherche d’emploi est alors impossible pour ces chômeurs qui devront se réinscrire

à l’issue de leur arrêt-maladie. Ainsi, on peut faire l’hypothèse que la durée prolongée de cette

recherche d’emploi et l’altération de la santé, souvent afférente au diagnostic d’un cancer,

constituent des barrières majeures dans la réinsertion professionnelle des chômeurs. De plus,

dans la mesure où les salariés des instituts sociaux de type Pôle Emploi n’ont pas de formation

médicale et ne disposent pas systématiquement de connaissance sur la maladie, ses symptômes

et ses séquelles, comment pourraient-ils alors accompagner des travailleurs atteints d’une

maladie chronique dans leur démarche de recherche d’emploi adapté ? Si d’autres structures

existent (telles que Cap emploi par exemple), celles-ci sont réservées aux personnes disposant

d’une reconnaissance de travailleur handicapé.

De même, peu d’études s’intéressent à l’insertion dans l’emploi après le diagnostic de

cancer, chez les populations en formation initiale par exemple, ou en inactivité (personnes au

foyer n’ayant jamais travaillé) au moment du diagnostic. Le diagnostic d’un cancer chez les

adolescents et jeunes adultes (AJA) peut entraîner des difficultés spécifiques sur la vie

professionnelle qui n’ont pas été étudiées dans notre recherche, cela devrait faire l’objet

d’études ad hoc.

Un sujet ancré dans l’actualité

Transformation du travail et de l’emploi dans nos sociétés

Selon des études fortement médiatisées et réalisées par des groupes privés, plus de la

moitié des salariés en France estiment que le « sens au travail » se dégrade86, et près d’un salarié

sur cinq estime faire un « bullshit job »87. Dans une conjoncture où la question de

l’épanouissement au travail prend la forme d’une quête du Graal, et dont la question du sens est

une composante nécessaire, le besoin d’exercer une activité d’utilité sociale et celui de valoriser

86 Etude réalisée par le cabinet indépendant Deloitte, Observatoire du Capital Humain : « Sens au travail

ou sens interdit ? Pour s’interroger enfin sur le travail. », publiée en décembre 2017. Pour plus

d’information : https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/talents-et-ressources-humaines/articles/etude-

sens-au-travail.html, consulté le 21 juin 2019. 87 Etude réalisée par le groupe Randstad, cabinet de conseil en ressources humaines, intitulée « Etude

Randstad sur le sens au travail » et publiée en avril 2019. Pour plus d’information :

https://www.grouperandstad.fr/wp-content/uploads/2019/04/randstad-cp-sens-travail-vf.pdf, consulté

le 21 juin 2019.

Page 257: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

257

son expérience de la maladie pourraient devenir plus en plus présents et nécessiteraient alors

une adaptation des entreprises, de plus en plus confrontées à des salariés « intransigeants » sur

leurs conditions de travail. L’apparition de théories en psychologie sociale, largement reprises

dans la presse, formalisant le mal-être des travailleurs en quête de sens (après le « burn-out »,

pointant un épuisement professionnel lié à un déséquilibre avec les attentes individuelles du

travail et la réalité, et le « bore-out » représentant les méfaits de l’ennui au travail sur la santé

des travailleurs, le « brown-out » fut théorisé pour évoquer l’impact du manque de sens au

travail sur la santé : démobilisation, baisse de l’estime de soi, etc.) mais également de

professions autour de l’accompagnement au développement personnel et notamment au

travail88, témoignent de cette quête du sens et de l’épanouissement professionnel dont

l’injonction est dénoncée par certains sociologues et psychologues (Eva Illouz et Edgar

Cabanas, 2018). Ces débats ajoutent aux réflexions sur la place du travail dans la construction

identitaire des individus qui, par leur statut social notamment, ont des conceptions différentes

du « bonheur » au travail (Baudelot et Gollac, 2002). Comment ce phénomène retentit-il sur les

travailleurs touchés par une maladie chronique ?

En premier élément de réponse, nous souhaitons revenir ici sur la métaphore de la fable

de la grenouille dans l’eau chaude89, utilisée dans ce contexte par une participante au premier

groupe de restitution des résultats de l’enquête CAREMAJOB. En prenant pour référence cette

fable, cette personne explique avoir vécu l’arrêt-maladie faisant suite au diagnostic d’un cancer

« comme si on [l’]avait sortie de la marmite » et qu’elle se retrouvait à l’extérieur, observant ce

bain toujours bouillonnant. Exclue de cette société active en ébullition, elle a réalisé qu’elle ne

souhaitait plus retourner dans cette marmite, dangereuse pour sa santé (ce que Clément

Tarantini et ses coauteurs nomment le « travail-maladie », Tarantini et al., 2014). La métaphore,

reprise ensuite par plusieurs participants des deux groupes de restitution, traduit pour certains

88 De nombreuses professions portant sur cette thématique ont vu le jour ces dernières années telles que

les coachs de vie, de développement professionnel les coachs professionnels, les « chiefs happiness

officer » etc. La naissance de ces professions est notamment supportée par la recrudescence des études

statistiques montrant qu’un salarié « heureux » est plus performant. 89 D’après la fable dont les origines remontent à des expériences menées au XIXème siècle, une

grenouille plongée dans une marmite bouillante en ressortirait immédiatement d’un bond pour éviter

une mort certaine. En revanche, si la grenouille est plongée dans une marmite d’eau froide que l’on

chauffe progressivement, celle-ci s’habituerait, s’adapterait au changement de conditions et finirait par

mourir ébouillantée sans avoir tenté de s’échapper. Bien que l’expérience scientifique soit largement

controversée, l’histoire de cette grenouille perdure en tant que métaphore d’une accoutumance à un

environnement auquel on s’attache, car il y fit bon vivre (la grenouille était confortable dans une eau à

peine tiède), même si la situation se dégrade continuellement.

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258

une relation causale entre l’activité bouillonnante, stressante de l’emploi et la survenue ou la

gravité de la maladie. Le bain qui bouillonne progressivement illustre une société toujours en

train de courir de plus en plus vite, qui ne s’arrête jamais et qui mène les individus à

l’épuisement professionnel90. Ainsi, la sortie du bain, par l’arrêt de travail, est une prise de recul

qui donne du temps propice au questionnement, à la réalisation d’un bilan de sa vie

professionnelle et, sans établir nécessairement de lien entre la maladie et l’activité antérieure,

constitue une ouverture des possibles. La reconsidération des priorités, le besoin de se

questionner sur ses attentes professionnelles et de valoriser son expérience de la maladie, tels

qu’ils ont été présentés dans le chapitre 9 sont des éléments qui façonnent avec le temps la

décision de la reprise professionnelle et de ses conditions. On peut ainsi supposer que ce type

de réflexion prendra de plus en plus d’ampleur en regard avec le contexte professionnel exposé

ci-dessus.

Pour autant, nous l’avons vu, la bifurcation biographique n’est pas nécessairement

synonyme de rupture professionnelle et celle-ci peut passer tout à fait inaperçu si l’unique

critère de jugement est le retour en emploi par exemple. La Partie 2 a montré que le changement

d’activité ou d’employeur, la réduction du temps de travail, l’évolution des revenus sont autant

de marqueurs complémentaires d’une modification de la trajectoire professionnelle. En

conclusion de cette recherche, il ne s’agit pas de généraliser ces changements en choix

individuels, ceux-ci pouvant résulter, comme expliqué dans la Partie 2, d’une précarisation des

conditions de travail que les individus ont probablement subie.

Or la société devra faire face à l’intégration de salariés ayant une nouvelle forme de

productivité dans un contexte où l’exigence de performance est de plus en plus forte. Le

développement à toutes les entreprises des plans de gestion prévisionnelle des emplois et des

compétences91 (GPEC), telle qu’elle est encouragée par le spécialiste en sciences politiques

90 Le deuxième groupe de participants avaient pour leur dernière séance illustré leur parcours depuis

l’intégration du groupe associatif sous différentes formes : dessins, chansons, frise chronologique ou

encore discours. Une chanson choisie par une participante illustre également la métaphore du bain

bouillonnant : « ♫ Le monde est trop pressé, Le monde va trop vite, Alors j’ai décidé, Aujourd’hui de

me transformer, Il faut toujours courir, Jamais le temps de vivre, Toujours aller plus haut, Moi j’en ai

vraiment plein le dos, Je fais le gros dos, (…) Et je suis un escargot ♪ ». 91 Le Code du travail français impose aux entreprises de plus de 300 salariés (et aux entreprises de la

communauté européenne employant 150 salariés en France) qu’un plan de GPEC soit négocié tous les

trois ans avec les partenaires sociaux (Loi du 18 janvier 2005, dite « loi Borloo » : articles L. 320-2 et

L. 320-3 du Code du Travail). L’objectif est de prévoir l’évolution d’une entreprise afin

d’« accompagner le changement ». Offres de formation, recrutement, accompagnement dans l’évolution

des carrières internes et externes sont une partie de ce dispositif. Pour plus d’information, voir le site du

Page 259: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

259

économiques Carmelo Zizzo (Zizzo, 2019)92, pourrait-il être une solution à la désinsertion

professionnelle des travailleurs atteints de cancer ? D’après l’auteur, « La GPEC réarme

l’importance pour les entreprises de lier stratégie et gestion des ressources humaines et le rôle

central des salariés comme facteur clé de développement et d’innovation. ». En effet, en

focalisant sur les compétences individuelles des salariés en interne mais aussi en pré-

recrutement, cela garantirait l’employabilité des travailleurs. Si en 2015 un quart des entreprises

privées était engagé dans cette démarche de manière systématique, une généralisation du

dispositif permettrait par exemple d’accompagner les salariés atteints de cancer dans leur projet

de reconversion, mais également d’adapter l’entreprise à une absence pour maladie prolongée.

Cela permettrait aussi par exemple de reconnaitre de nouvelles compétences. L’Université des

patients évoquée dans le chapitre 7 propose de qualifier l’expertise acquise par l’individu dans

son expérience de patient. De même, dans nos entretiens, plusieurs personnes ont fait état de

nouvelles capacités (ou du moins de développement de celles-ci) liées à l’expérience de la

maladie qu’elles souhaiteraient mettre à profit dans leur activité professionnelle. On pourrait

alors imaginer que le GEPC devienne un outil de construction ou d’ajustement de poste adapté

à ces nouvelles compétences.

La reconnaissance de ces nouvelles compétences et l’attention qui devrait être portée à

l’individu, à ses besoins, ses envies, ses nouvelles aspirations, ne doivent néanmoins pas se

faire au détriment de leur professionnalité. Dans son ouvrage La comédie humaine du travail,

De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale, la sociologue Danièle

Linhart alerte ses lecteurs sur la « métamorphose identitaire des salariés », dans laquelle les

nouvelles techniques de management ciblent la sur-humanisation des salariés et, par analogie,

la négation de leur professionnalité (Linhart, 2015). En effet, l’auteur montre comment

Ministère du Travail : https://travail-emploi.gouv.fr/emploi/accompagnement-des-mutations-

economiques/appui-aux-mutations-economiques/article/gestion-previsionnelle-de-l-emploi-et-des-

competences-gpec, consulté le 17 juin 2019. 92 L’auteur reprend l’approche définie par Zarifian (2005) selon laquelle « la gestion des compétences

constituerait le lien entre la stratégie de l’entreprise et l’organisation du travail (c’est-à-dire les attentes

vis-à-vis des salariés). Plus précisément, il s’agirait de « l’ensemble des moyens permettant d’identifier,

évaluer et reconnaître les compétences, mais aussi d’articuler évaluation régulière de ces dernières et

mise en place de formations au sens large ». (…) la GPEC peut s’appuyer sur des dispositifs de formation

dits « classiques » (plan de formation, compte personnel de formation, validation des acquis de

l’expérience, bilan de compétences, congé individuel de formation) mais également mobiliser des outils

plus généraux de gestion des ressources humaines tels que l’entretien professionnel, le tutorat ou encore

le contrat de professionnalisation ».

Page 260: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

260

l’attention portée à l’humain par les « managers » et les employeurs, est devenue source de

souffrance au travail.

Dans une époque marquée par le développement continu des nouvelles technologies

associé à l’avènement d’une société concurrentielle, l’organisation du travail est alors empreinte

de « changements perpétuels » et adaptabilité, endurance et engagement sont désormais les

qualités essentielles du travailleur idéal. Ce dernier est donc évalué sur ses compétences

humaines, qui prévalent sur son expertise professionnelle, amenée à être rapidement obsolète

sans capacité d’adaptation. Le « processus d’individualisation »93 qui marque cette organisation

moderne du travail peut ainsi entraîner un sur-engagement de l’individu et une désillusion

lorsque celui-ci n’entre plus dans le cadre imposé. Sur ce point, l’extrait suivant fait

particulièrement écho à nos entretiens :

« Alors qu’on leur faisait croire qu’ils étaient précisément au centre des

préoccupations managériales, que l’entreprise s’intéressait non seulement à leurs

compétences mais aussi à leur personne, voilà qu’ils deviennent transparents dès

qu’ils cherchent à trouver des ajustements entre leur vie privée et personnelle. »

(p.124)

C’est exactement ce que disent avoir vécu Florence, Béatrice et Clémence qui, à leur

retour de l’arrêt-maladie pour le traitement de leur cancer, sont devenues « transparentes » voire

gênantes pour leur hiérarchie dès lors que leurs qualités professionnelles ont été affectées

(lorsque Florence a dû prolonger son arrêt, que Béatrice n’a pu assumer son importante charge

de travail et Clémence occuper son poste à temps partiel thérapeutique). Dans le chapitre 9,

nous avons alors évoqué le déséquilibre entre les efforts fournis par l’individu et les

récompenses reçues qui, selon l’auteure, semble être une conséquence des nouvelles gestions

managériales modernes.

Ainsi, dans cette logique de course effrénée à la performance dans laquelle l’individu doit

s’engager et toujours s’adapter pour survivre en entreprise, comme la grenouille qui en oublie

de sauter de la marmite, le cancer devient un signal d’alarme faisant prendre conscience aux

individus de la détérioration des conditions de travail. De plus en plus nombreux à revenir en

93 L’auteure donne différents exemples de cette individualisation du travail tels que la polyvalence des

salariés contraints d’évoluer dans des environnements changeants, les augmentations individuelles de

primes et de salaires favorisant la compétition entre salariés, et les entretiens individuels évaluant le

travail de l’individu niant de fait la part du collectif.

Page 261: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

261

emploi, toute profession confondue, les travailleurs atteints de cancer pourraient-ils participer

à une redéfinition de l’organisation du travail dans laquelle la recherche de performance ne

serait pas conditionnée à une abnégation de soi ?

Evolution du système de protection sociale

La généralisation du dispositif d’emploi accompagné par la loi du 8 août 201694 fait suite

au succès des initiatives locales sur ce point et témoigne de la volonté politique de favoriser

l’emploi des travailleurs handicapés en France. Ce dispositif pourrait favoriser le maintien en

emploi des travailleurs atteints d’un cancer qui seraient accompagnés selon leurs besoins, dans

leur recherche d’emploi, dans la détermination de leur projet professionnel, dans leur accès à la

formation et dans l’adaptation de leur poste de travail95. Néanmoins, il faut noter que la loi

précise que « ce dispositif (…) peut être sollicité tout au long du parcours professionnel par le

travailleur handicapé et, lorsque celui-ci occupe un emploi, par l'employeur » (Article 52, loi

du 8 août 2016). Or, dans le cas où les volontés du salarié ne correspondent pas aux besoins de

l’employeur, dans quelle mesure le dispositif peut-il être mis en place ? De plus, on l’a vu dans

le chapitre 7, la qualification de travailleur handicapé n’est pas automatique et peut ne pas être

souhaitée par les personnes concernées qui craignent d’être « étiquetées » et ainsi

« stigmatisées ».

En outre, concernant l’évolution du système de protection sociale français, le début

d’année 2018 a été marqué par une mesure phare du « Plan Indépendant » lancé par le

gouvernement96 : la suppression du RSI, le régime social des indépendants, qui seront alors

progressivement intégrés au régime général (la nouvelle organisation est prévue d’être effective

pour 2020). Depuis 2019, l’assurance maladie des travailleurs indépendants est gérée par la

94 Voir sur ce point l’Article 52 de la loi du 8 Août 2016 (dite « loi Travail ») qui prévoit notamment que

« Les travailleurs handicapés reconnus au titre de l'article L. 5213-2 peuvent bénéficier d'un dispositif

d'emploi accompagné comportant un accompagnement médico-social et un soutien à l'insertion

professionnelle, en vue de leur permettre d'accéder et de se maintenir dans l'emploi rémunéré sur le

marché du travail. Sa mise en œuvre comprend un soutien et un accompagnement du salarié, ainsi que

de l'employeur. » (Art. L. 5213-2-1.-I).

Disponible sur :https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032983213&

categorieLien=id, consulté le 02/05/2019. 95 Les modalités du dispositif sont détaillées plus amplement sur le site du Ministère du travail, cf.

https://travail-emploi.gouv.fr/emploi/emploi-et-handicap/article/emploi-et-handicap-le-dispositif-de-l-

emploi-accompagne (consulté le 02/05/2019). 96 Décret d’application 2018-174 du 9 mars 2018 relatif à l’article 15 de la loi n°2017-1836 du 30

décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.

Page 262: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

262

CPAM. Si cela constituait un espoir d’accéder à de nouvelles formes de prestations sociales

calquées sur celles des salariés, le dossier de presse de la réforme est clair : « La réforme ne

modifie pas les droits des travailleurs indépendants : les pensions de retraite, les

remboursements de soin, les indemnités journalières restent inchangées. Elle est également sans

incidence sur les taux de cotisation. » (ACOSS et al., 2017). L’accès de ces travailleurs à une

médecine du travail souhaité par de nombreux acteurs de l’accompagnement après-cancer ne

fait l’objet d’aucune mention dans cette réforme. Néanmoins, la mise en place de cette nouvelle

organisation est progressive et des adaptations vont être nécessaires au fil de l’eau, ce qui offre

la possibilité d’expérimenter ce type de mesure. De plus, la Sécurité sociale pour les

indépendants propose le programme « Prévention Pro Indépendants » (déjà proposé

ponctuellement par le RSI par secteur d’activité) qui offre une prise en charge à 100 % d’une

consultation médicale visant la prévention des risques professionnels. À quand la prise en

charge d’une consultation visant la reprise d’activité après le diagnostic d’une maladie

chronique ?

Néanmoins, à partir du 1er novembre 2019 entrera en vigueur la réforme sur l’Assurance

chômage présentée par le gouvernement le 18 juin de la même année. Celle-ci prévoit une

assurance pour tous les travailleurs indépendants (commerçants, artisans, entrepreneurs,

professions libérales et agriculteurs non-salariés) ; une indemnisation de 800 € mensuelle leur

sera versée pendant six mois dès lors que ceux-ci peuvent justifier d’un revenu annuel minimum

de 10 000 € sur les deux dernières années. Cela constituera un complément pour tous les

travailleurs indépendants atteints de cancer qui se verront confrontés à une liquidation judiciaire

(du fait ou non de la maladie).

Le retour au travail et le maintien en emploi constituent ainsi des sujets d’actualité amenés

à évoluer au regard des changements structurels de notre société et méritent d’y porter une

attention particulière. Le bon fonctionnement de notre système social de redistributions, dont

les réformes tendent vers l’allongement du nombre d’années de travail, en dépend.

Page 263: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

263

Bibliographie

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ACOSS, l’Assurance Maladie, l’Assurance Retraite, RSI, 2017. La réforme du régime de

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aussi. (Dossier de presse).

Afsa, C., 2016. Le modèle Logit. Théorie et application. Document de travail « Méthodologie

Statistique ».

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La note d’analyse 7.

Page 281: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

281

Annexes

Page 282: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

282

Page 283: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

283

I. Documents d’aide à la compréhension

I.1. Présentation des participants aux enquêtes

Annexe 1. Organigramme VICAN

Page 284: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

284

Annexe 2. Principales caractéristiques de la population VICAN5 à l’étude

(% col.)

Tous

(Np = 2 321)

Âgés de 18 à 54 ans

(Np = 2 132)

Caractéristiques sociodémographiques au diagnostic

Sexe

Femme 74,1 80,1

Homme 25,9 19,9

Âge : Moyenne 46,8 44,2

18-39 ans 17,6 21,3

40-49 ans 45,7 55,3

50 ans et plus 36,7 23,4

Situation matrimoniale

En couple avec enfant(s) à charge 23,5 28,0

En couple sans enfant à charge 60,6 56,2

Seul avec enfant(s) à charge 1,5 1,8

Seul sans enfant à charge 14,4 14,0

Zone de résidence

Urbain 74,4 75,0

Rural 25,6 25,0

Niveau d’études

Aucun diplôme 8,0 5,9

Diplôme inférieur au baccalauréat 32,5 33,7

Diplôme au moins équivalent au baccalauréat 59,5 60,4

Caractéristiques professionnelles au diagnostic

Catégorie socioprofessionnelle

Agriculteurs exploitants 2,4 1,9

Artisans, commerçants et chefs d’entreprise 9,0 7,8

Cadre supérieur 18,8 17,2

Professions intermédiaires 23,8 24,7

Employés 32,8 34,9

Ouvriers 10,6 11,1

Donnée manquante 2,6 2,4

Secteur d’emploi

Public 20,9 21,9

Page 285: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

285

Privé 77,4 76,5

Donnée manquante 1,7 1,6

Conditions d’emploi

Fonctionnaire 12,4 12,9

Contrat à durée indéterminée 58,9 60,9

Contrat à durée déterminée (y compris contrat

d’intérim et contrat d’apprentissage)

11,4 12,0

Indépendant 15,2 12,5

Donnée manquante 2,1 1,6

Temps de travail

Temps plein 76,6 75,5

Temps partiel 21,4 22,6

Donnée manquante 2,0 1,9

Caractéristiques médicales

Localisation

Sein 51,0 55,6

Poumon 3,7 3,4

Côlon-rectum 7,7 7,1

VADS 4,4 4,2

Prostate 6,6 1,2

Vessie 0,7 0,1

Rein 3,6 3,8

Thyroïde 8,4 10,2

Mélanome 6,1 6,6

LMNH 4,4 4,4

Col de l’utérus 3,0 3,4

Corps de l’utérus 0,4 0,1

Traitement initial par chimiothérapie

Oui 48,7 52,1

Non 51,3 47,9

Traitement initial par radiothérapie

Oui 59,3 62,4

Non 40,7 37,6

Episode(s) d’évolution péjorative

Oui 21,0 19,3

Non 79,0 80,7

Page 286: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

286

Etat de santé à l’enquête

Etat de santé perçu

Très bon 21,2 21,2

Bon 41,8 42,0

Moyen 28,3 27,9

Mauvais 7,0 7,1

Très mauvais 0,9 1,1

Donnée manquante 0,8 0,7

Fatigue clinique

Oui 54,6 58,1

Non 45,4 41,9

Séquelles perçues

Très importantes 6,5 6,6

Importantes 18,2 18,3

Modérées 28,7 29,2

Très modérées 16,6 16,3

Aucune 29,4 29,0

Donnée manquante 0,6 0,6

Page 287: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

287

Annexe 3. Principales caractéristiques des participants à l’enquête

CAREMAJOB

Prénoms

et âge au

1er

entretien

Situation

familiale

Localisation

(délai depuis

le

diagnostic)

Situation professionnelle

Au diagnostic Au 1er entretien Au 2nd

entretien

Clotilde,

43 ans

En couple, 3

enfants dont

1 à charge

Sein

(2 ans et

demi)

Arrêt-maladie,

cheffe de rayon

supermarché, CDI

Licenciée, Arrêt-

maladie Invalidité

Sandrine,

36 ans

En couple, 1

enfant à

charge

Sein

(2 ans)

Agent d’entretien,

fonctionnaire

Arrêt-maladie,

reprise

imminente

TPT,

nouveau

contrat à

temps partiel

Mathilde,

50 ans

En couple,

sans enfant

Sein

(3 ans)

Aide-soignante,

CDI

Licenciée, Arrêt-

maladie Invalidité

Jeanne,

38 ans

Célibataire, 1

enfant à

charge

Sein

(1 an)

Enseignante en

collège,

fonctionnaire

Arrêt-maladie,

reprise prévue

Arrêt-

maladie

prolongé

Claudine,

55 ans

En couple,

sans enfant

Ovaire

(récidive)

(1 an)

Enseignante

spécialisée,

fonctionnaire

A repris en TPT2

Nouveau

contrat à

temps partiel

Fabien,

32 ans

En couple, 1

enfant à

charge

Sinus

(1 an)

Pompier dans

l’armée de l’air,

CDD

Arrêt-maladie,

en reconversion

Arrêt-

maladie

prolongé,

projet de

reconversion

avorté

Rémi,

43 ans

En couple, 1

enfant à

charge

Cerveau

(1 an)

Photographe

indépendant

A repris à temps

réduit

Activité

réduite

Christine,

57 ans

Célibataire, 1

enfant

LMNH1

(2 ans et

demi)

Infirmière libérale Arrêt-maladie,

en reconversion TPT

Page 288: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

288

Clémence,

38 ans

En couple,

sans enfant

Ovaire

(2 ans)

Conseillère en

mobilité

professionnelle et

en formation,

fonctionnaire

A repris en TPT

TPT,

négocie un

aménageme

nt

Dominique,

48 ans

En couple, 1

enfant

Sein

(3 ans)

Assistante de

direction, CDI

Arrêt-maladie,

développe son

activité ind. de

coaching

Arrêt-

maladie

prolongé

Florence,

50 ans

En couple, 1

enfant à

charge

Sein

(2 ans)

Coordonnatrice

de formation,

fonctionnaire

Arrêt-maladie +

formation de

reconversion

Laure,

52 ans

Célibataire,

sans enfant Sein (2 ans)

Préparatrice en

pharmacie, CDI Arrêt-maladie

Arrêt-

maladie

Quentin, 25

ans

En couple,

sans enfant

Osseux

(récidive)

(2 ans)

Stage en

commerce

international

Livreur,

préparateur

pizzeria, non

déclaré

Livreur,

serveur autre

restaurant,

non déclaré

Béatrice,

59 ans

En couple,

sans enfant

Sein

(1 an)

Secrétaire dans un

centre de

formation, CDI

Arrêt-maladie,

reprise

imminente

Arrêt-

maladie

après échec

de la reprise,

en

licenciement

Emilie,

46 ans

En couple, 1

enfant à

charge

Sein

(2 ans)

Clerc de notaire,

CDI

Arrêt-maladie,

reprise prévue

Arrêt-

maladie

prolongé

Page 289: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

289

Laurent,

39 ans

Célibataire,

sans enfant

LMNH

(2 ans)

Chargé de

développement

pour une

mutuelle, CDD

Arrêt-maladie,

en procès contre

son employeur,

cherche un

emploi

Monte son

activité en

indépendant

Charlotte,

44 ans

En couple,

en instance

de divorce, 3

enfants à

charge à mi-

tps

Sein

(2 ans) Infirmière libérale

Arrêt-maladie,

reprise prévue

A la

recherche

d’un emploi

Karine,

42 ans

En couple, 2

enfants à

charge

Sein

(1 an et

demi)

Secrétaire

technique dans un

théâtre, CDI

Après l’échec

d’une 1ère

reprise, vient de

reprendre à

nouveau à TPT

TPT,

envisage

d’augmenter

la quotité

travaillée

Lucie,

59 ans

Célibataire,

sans enfant

Sein

(récidive)

(1 an et

demi)

Surveillante de

nuit et animatrice,

CDD

Arrêt-maladie Invalidité

David,

43 ans

En couple, 1

enfant à

charge

Testicule

(6 mois)

Chef de projet

industriel, CDI

Arrêt-maladie,

développe un

projet

d’autoentreprise

A repris son

poste mais

ne fait plus

les

déplacement

s

Vincent,

58 ans

En couple,

sans enfant

Estomac

(1 an)

Chef de chantier,

CDI

Arrêt-maladie,

négocie une

reprise aménagée

Page 290: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

290

I.2. Supports méthodologiques

Annexe 4. Codes SNIIRAM utilisés pour la construction de certains

indicateurs médicaux (INCa, 2018)

Page 291: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

Annexe 5. Grille d’entretien de l’enquête CAREMAJOB

Thèmes Questions

Emploi occupé au moment du

diagnostic

Description Pour cela, pourriez-vous commencer par me parler du travail que vous occupiez

avant le diagnostic de votre maladie ?

De quoi s’agissait-il, etc. (relancer pour avoir toutes infos sur l’emploi occupé)

Quelles sont les circonstances dans lesquelles vous en êtes arrivé à exercer ce métier ?

Condition de travail Comment étaient vos conditions de travail ?

-> Quelles étaient vos horaires généralement ?

-> Estimiez-vous exercer un métier dangereux ?

-> Diriez-vous qu’il est difficile physiquement ? Psychologiquement ?

Rapport au travail Que représentait-il pour vous à cette époque/ avant le diagnostic de la maladie ? Quelle

place tenait-il dans votre vie de tous les jours ?

Cancer

Contexte du diagnostic Si cela vous convient, je souhaiterais à présent aborder la maladie qui vous a été

diagnostiquée…

Dans quelles circonstances celle-ci a-t-elle été diagnostiquée ? (symptômes, lors d’une

visite de routine, dépistage organisé, dépistage individuel…)

Prise en charge Comment s’est organisée la prise en charge ? Quels traitements avez-vous suivis ?

Pendant combien de temps ? Avez-vous été hospitalisés pendant plusieurs jours ?

Gestion de la maladie avec le

travail

Avez-vous continué de travailler à l’annonce de la maladie ? Combien de temps ? En

avez-vous parlé à votre employeur ? A vos collègues ?

Perception du cancer Qu’est-ce que signifie pour vous le cancer ? Votre vision a-t-elle changé depuis le

diagnostic ? Pour quelle raison ? Comment votre entourage a-t-il réagi à l’annonce ? Et

si cela n’avait pas été un cancer mais plutôt une maladie du… (sein/poumon etc.),

Page 292: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

292

comment l’auriez-vous vécu ? Pensez-vous que votre entourage aurait réagi

différemment ? De quelle manière ?

Situation pro au moment de

l’enquête

Description Où en êtes-vous aujourd’hui vis-à-vis de votre situation professionnelle ?

Si n’est plus en emploi : pour quelle(s) raison(s) ne travaillez-vous plus à … ? Cela fait

combien de temps ? Aviez-vous gardé des contacts avant la fin de cet emploi avec

l’employeur ? Savez-vous comment l’entreprise avait pallié votre absence ? Vous ont-

ils proposé des aménagements de poste ou d’horaires ? Avez-vous été en relation avec

le médecin du travail ? Quel rôle a-t-il joué ?

Quelle est votre situation actuelle ? (recherche d’emploi ? retraite anticipée ? etc.) Cela

vous convient-il ?

Si a changé d’emploi : pour quelle(s) raison(s) ne travaillez-vous plus à … ? (était-ce

votre volonté ?) Quelle est votre situation actuelle ? (type de travail, contrat de travail

etc). Depuis quand travaillez-vous à … Avez-vous rencontré des difficultés pour

retrouver un emploi ? Si oui : Lesquelles ? Si non : pourriez-vous développer sur les

circonstances ?

Si toujours en emploi : avez-vous connu des périodes d’arrêt-maladie ? Pendant

combien de temps environ ? Avez-vous gardé contact avec des personnes de l’entreprise

lors de ces périodes d’arrêt ? Avec qui ? Qu’avez-vous pensé de ces échanges ? Avez-

vous rencontré des difficultés pour vous maintenir en emploi ? Si oui : Lesquelles ? Si

non : pourriez-vous développer ?

Si toujours en emploi et en arrêt-maladie : depuis combien de temps êtes-vous en

arrêt ? Avez-vous gardé contact avec des personnes de l’entreprise ? Pensez-vous

reprendre votre travail ?

Page 293: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

293

Si oui : pour quelle(s) raison(s) ? Comment envisagez-vous votre retour au

travail ? (Cela vous fait-il peur ou au contraire vous languissez-vous cette

reprise ?) Selon vous si le contexte avait été différent (par exemple pas de

besoins financiers etc.) envisageriez-vous ce retour différemment ? Comment

pensez-vous vous y prendre ?

Si non : pour quelle(s) raison(s) ?

Rapport au travail/emploi Diriez-vous que la maladie a eu un impact sur votre vie professionnelle, quel qu’il soit ?

Lequel ?

Diriez-vous que votre rapport à votre vie professionnelle a changé depuis le diagnostic ?

Comment ?

Perspectives professionnelles

Comment imaginez-vous votre vie professionnelle pour l’année qui arrive ?

Comment comptez-vous vous y prendre ?

Avez-vous eu/prévu d’avoir recours à un dispositif quel qu’il soit ayant pour objectif

de vous maintenir en emploi ? (seulement si cela semble être la volonté du patient).

Si oui : lequel ? comment en avez-vous eu connaissance ?

Si non : Avez-vous eu connaissance de l’existence de tels dispositifs comme

par exemple le mi-temps thérapeutique, l’aménagement du poste du travail, la

mise en invalidité ou encore la qualification handicap ?

Page 294: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

294

Soutien

Avez-vous été entouré pendant la maladie ?

Que pense votre entourage de votre situation professionnelle ? Vous ont-ils incité à

reprendre plus rapidement ou au contraire à arrêter ? Avez-vous (eu) des avis contraires

à ce sujet ? Quels impacts ont-ils (eu) sur votre réflexion ?

Retro Selon vous, comment aurait pu/pourrait être amélioré votre retour/maintien au travail ?

Page 295: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

Annexe 6. Support de présentation distribué aux personnes éligibles à

l’enquête CAREMAJOB

295

Page 296: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

296

Annexe 7. Formulaire d’information et de consentement

FORMULAIRE D’INFORMATION ET DE

CONSENTEMENT

RECHERCHE NON INTERVENTIONNELLE

Patients volontaires

Retour et maintien en emploi des personnes atteintes de cancer :

enquête qualitative processuelle

CAREMAJOB

VERSION N°2.0 DU 09/06/2016

Organisme responsable : Inserm ITMO Santé Publique Pôle Recherche Clinique (PRC) Biopark, Bâtiment A 8 rue de la Croix Jarry 75013 Paris

Responsable de la recherche :

Doctorante, Caroline ALLEAUME

Dirigée par Patrick PERETTI-WATEL et Anne-Déborah

BOUHNIK

Fonction : Doctorante contractuelle

Unité Inserm d’affiliation : UMR 912 SESSTIM

Adresse : 27 Bd Jean Moulin, 13385 Marseille cedex 5.

Tel : 04.91.32.47.99 / 06.10.43.00.89

Email : [email protected]

N° Gestionnaire N°CEEI N°CNIL

C 16-35 IRB00003888 1957169 v 0

Page 297: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

297

1. INFORMATION A L’ATTENTION DU PARTICIPANT

Madame, Monsieur,

Nous vous proposons de participer à la recherche intitulée :

Maintien et retour en emploi des personnes atteintes de cancer : enquête qualitative

processuelle (CAREMAJOB)

L’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm) est gestionnaire de

cette recherche.

Le doctorant-chercheur Caroline ALLEAUME ( 06.10.43.00.89 / 04.91.32.47.99 / E-

mail : [email protected]) en charge de la recherche est à votre disposition pour vous

présenter la recherche et la façon dont vous pouvez y participer, pour répondre à toutes vos

questions et pour vous expliquer ce que vous ne comprenez pas.

1. INFORMATION

Ce document a pour but de vous fournir les informations écrites nécessaires à votre

décision. Nous vous remercions de le lire attentivement. N’hésitez pas à poser des questions à

la personne en charge de la recherche si vous voulez plus d’informations. Vous pouvez prendre

le temps pour réfléchir à votre participation à cette recherche, et en discuter avec votre médecin

traitant et vos proches. En fin de document, si vous acceptez de participer à cette étude, la

personne en charge de la recherche vous demandera lors de l’entretien de confirmer oralement

votre souhait de participer à cette recherche.

2. CONSENTEMENT

Votre participation est volontaire : vous êtes libre d’accepter ou de refuser de participer à

cette recherche.

Si vous décidez de participer, sachez que vous pourrez retirer à tout moment votre

consentement à la recherche, sans encourir aucune responsabilité ni aucun préjudice de ce fait.

Nous vous demanderons simplement d’en informer la personne en charge de la recherche. Vous

n’aurez pas à justifier votre décision.

3. CADRE GENERAL ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE

Page 298: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

298

Cette enquête a pour objectif d’enrichir les connaissances sur les modalités relatives au

processus de maintien ou au retour au travail des personnes ayant été traitées pour un cancer.

Les difficultés et les leviers que vous avez pu rencontrer ainsi que les représentations

individuelles liées à ce processus seront investigués, ce qui permettra de mieux comprendre les

enjeux associés et documentera la recherche.

4. DEROULEMENT DE LA RECHERCHE

Deux séries d’entretiens seront enregistrés à deux temps différents avec votre accord et

retranscrits de manière totalement anonyme. Le premier entretien sera réalisé auprès des

personnes sélectionnées lorsque celles-ci seront en fin de traitement (bientôt terminés, ou

terminés depuis moins d’un mois). Le second entretien sera réalisé 6 mois après le premier afin

de suivre la personne enquêtée dans son processus de retour ou de maintien (ou non) de

l’emploi.

Chaque entretien sera d’une durée variable relative à chaque participant. Une durée

moyenne prévue est de 45 minutes.

Durée de votre participation : 2 fois 45 minutes en moyenne avec 6 mois d’intervalle.

Le lieu et la date de chaque entretien sera défini en fonction de vos préférences et de vos

disponibilités, en accord avec la responsable de la recherche.

5. CONFIDENTIALITE ET TRAITEMENTS DES DONNEES INFORMATISEES

Dans le cadre de cette recherche à laquelle l’Inserm vous propose de participer, un

traitement de vos données personnelles va être mis en œuvre pour permettre d’analyser les

résultats de la recherche au regard de l’objectif de cette dernière.

A cette fin, les données seront recueillies puis analysées par Caroline ALLEAUME. Ces

données seront complètement anonymes.

Vous disposez également d’un droit d’opposition à la transmission des données couvertes

par le secret professionnel susceptibles d’être utilisées dans le cadre de cette recherche et d’être

Page 299: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

299

traitées. Ces droits s’exercent auprès du chercheur qui vous suit dans le cadre de la recherche

et qui vous connait par l’intermédiaire du pseudonyme que vous aurez donné auparavant.

Les résultats de cette recherche peuvent être présentés à des congrès ou dans des

publications scientifiques. Cependant, vos données personnelles ne seront aucunement

identifiables car aucune donnée identifiante ne sera conservée.

Vous pourrez, si vous le souhaitez, être tenu(e) au courant des résultats globaux de cette

recherche, en contactant directement Caroline ALLEAUME au numéro 06.10.43.00.89. La

personne responsable de la recherche pourra alors vous expliquer quels auront été les principaux

résultats de l’enquête ainsi que les retombées de l’étude.

Ce projet a reçu un avis favorable du comité d’évaluation éthique de l’Inserm,

IRB00003888 le 7 juin 2016.

Page 300: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

Annexe 8. Tableau récapitulatif des dispositifs disponibles en France

Aides Définition Provenance Profil

concerné Montant d’indemnisation

Durée

maximale

Carenc

e Conditions d’obtention Article de loi

Pour ceux restent en emploi pendant les traitements :

Autorisation

d’absence

Le salarié a le droit

à des journées

d’absences pour

traitements

médicaux

Employeur Salariés - - -

Article L1226-5

du Code du

travail

Modifié par LOI

n°2015-1702 du

21 décembre

2015 - art. 59

(V)

Indemnités

journalières de

la Sécurité

sociale (IJSS)

Indemnités versées

pour compenser la

perte de salaire

éventuelle lors des

arrêts maladie. Ces

derniers permettent

de prendre du

temps pour se

soigner tout en

conservant sa place

chez son

employeur.

Assurance

maladie

CNAMTS,

MSA

Salariés et

certains

indépenda

nts

(artisans,

commerça

nts,

industriels)

50% de la rémunération brut

de base (moyenne des 3

derniers mois) sous plafond

66,66% de ce même montant à

partir du 31ème jour si au

moins 3 enfants à charge

(100% du salaire la 1ère année

pour les fonctionnaires avec

ancienneté d’au moins 3 ans

puis 50% les deux années

suivantes)

3 ans

3 jours (0

pour les

fonctionn

aires)

• Arrêt-maladie de moins

de 6 mois : Avoir

travaillé 200 heures au

cours des 3 dernières

mois.

• Arrêt-maladie de plus de

6 mois : Avoir travaillé

800 heures au cours des

12 derniers mois dont 200

heures les 3 derniers.

Article L321-1

Modifié par LOI

n°2015-1702 du

21 décembre

2015 - art. 59

Indemnités

journalières

complémentaire

Employeur Salariés

90% de la rémunération brutes

les 30 premiers jours puis

66.66% du même montant les

30 jours suivants.

Part plus importante selon les

conventions collectives

7 jours

(peut être

diminué

selon les

conventi

ons

• Avoir au moins 1 an

d’ancienneté dans

l’entreprise

Article L323-3-1

du Code de la

sécurité sociale

Page 301: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

301

A ce montant sont déduis les

IJSS et indemnités des

régimes de prévoyance de

l’employeur.

Chaque durée est augmentée

de 10 jours par tranche de 5

ans d’ancienneté

collectiv

es)

Article L1226-1

/ D1226-1 à

D1226-8 du

Code du travail

Allocation pour

adulte

handicapé

(AAH)

CDAPH Tous

• 80% des revenus de base

(moyenne 3 derniers mois)

s'ils sont inférieurs à 30%

du Smic mensuel brut.

• 40% des revenus de base

s'ils sont supérieurs à 30%

du Smic mensuel brut.

Le montant de l'AAH est

recalculé tous les 3 mois

5 ans Ne pas avoir atteint l’âge

de la retraite

Article R821-4-1

Créé par Décret

n°2010-1403 du

12 novembre

2010 - art. 1

Reprise d’activité après un arrêt

Aménagement

du poste de

travail

Adaptation du poste

de travail occupé

pour optimiser la

reprise d’activité

Accord

employeur –

employé et

médecin du

travail

Salariés - - - Aucune

Article L4121-2

du Code du

travail

Pension

d’Invalidité

partielle

Indemnités

permettant de

compenser une

perte de revenu liée

à une réduction de

sa capacité de

travail

Assurance

maladie

(CNAMTS,

MSA, RSI)

Tous

30% de la rémunération brut

moyenne des 10 meilleures

années d’activité.

Peut être complétée par une

allocation supplémentaire

d’invalidité (ASI) selon les

revenus du ménage.

Capacité de travail réduite

d’au moins 2/3

Ne pas avoir atteint l’âge

de 65 ans

Indemnités

journalières

(Mi-temps

thérapeutique)

Indemnités qui

compensent la perte

de revenus liée à

une réduction

Assurance

maladie

(CNAMTS,

MSA, RSI)

Tous

Montant du salaire perdu par

la réduction du temps de

travail.

4 ans

auxquelles

on déduit

la durée

Ne pas être dans le cas

d’une convention

collective qui prévoit déjà

le maintien complet du

Article L323-3

du Code de la

sécurité sociale

Page 302: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

302

temporaire de la

quotité de temps de

travail

des

indemnités

journalière

s perçues

en arrêt-

maladie

complet

salaire dans le cadre d’une

reprise en mi-temps

thérapeutique

Allocation pour

adulte

handicapé

(AAH)

CDAPH

• 80% des revenus de base

(moyenne 3 derniers mois)

s'ils sont inférieurs à 30%

du Smic mensuel brut.

• 40% des revenus de base

s'ils sont supérieurs à 30%

du Smic mensuel brut.

Le montant de l'AAH est

recalculé tous les 3 mois

5 ans Ne pas avoir atteint l’âge

de la retraite

Article R821-4-1

Créé par Décret

n°2010-1403 du

12 novembre

2010 - art. 1

Page 303: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

I.3. Compléments d’information

Annexe 9. Glossaire

Allocation chômage (AC). Également appelé allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE),

l’allocation chômage est un revenu de remplacement versé aux personnes actives,

involontairement privées d’emploi et en recherche d’emploi. Elle est octroyée sous justification

d’une période minimale de travail et cesse au moment du début d’une nouvelle activité

professionnelle. (Pour plus d’information cf. https://www.service-

public.fr/particuliers/vosdroits/N178).

Allocation d’adulte handicapée (AAH). Aide financière attribuée aux personnes de plus de

20 ans résidant en France justifiant d’un taux d’incapacité au moins égal à 50 % et d’une

restriction durable d’accès à un emploi ne pouvant être compensée par des mesures

d'aménagement du poste de travail. Cette allocation est octroyée sous conditions de ressources.

(Pour plus d’information cf. https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F12242).

Allocation personnalisée d’autonomie (APA). Aide financière réservée aux plus de 60 ans

dépendants, c’est-à-dire ayant un déficit d’autonomie pour réaliser certaines activités du

quotidien nécessitant l’intervention d’un tiers. (Pour plus d’information cf.

https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F10009).

Inactivité. Les personnes inactives sont celles qui ne sont ni en emploi ni au chômage :

étudiantes, retraitées, hommes et femmes au foyer et personnes en incapacité de travailler.

Invalidité. Situation d’inactivité consécutive à un accident ou à une maladie invalidante d’une

personne de moins de 60 ans reconnue par l’Assurance maladie comme en incapacité

permanente de travailler.

Pension d’invalidité. Une pension d’invalidité est versée lors de la reconnaissance par le

médecin du travail d’une incapacité de travail résultant d’un accident ou d’une maladie

d’origine non-professionnelle et conduisant à la perte d’au moins deux tiers des revenus

initiaux. Cette pension a pour objectif de compenser la perte de rémunération observée. La

pension est calculée sur la base d'un revenu annuel moyen, obtenue à partir des 10 meilleures

années de rémunération soumises à cotisations (dans la limite du plafond de la Sécurité Sociale,

Page 304: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

304

soit 3 170 € par mois en 2015). Son montant est défini en fonction de la catégorie d’invalidité,

c’est-à-dire du niveau d’incapacité constaté.

Revenu de Solidarité Active (RSA). Ce revenu assure aux personnes sans ressource un niveau

minimum de revenu calculé selon la composition du foyer. (Pour plus d’information cf.

https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N19775).

Revenu par unité de consommation (RUC). Totalité des revenus (ici revenus déclarés) du

ménage divisé par le nombre d’unités de consommation (UC) du ménage, permettant d’établir

le revenu disponible par individus au sein du ménage, tenant compte de la composition de celui-

ci. Le nombre d’UC est calculé à partir de l’échelle de l’OCDE par sommation des différents

individus du ménage avec un poids différent selon l’âge : 1 pour le premier adulte du ménage

(ici la personne interrogée), 0,5 pour les autres personnes de 14 ans et plus et 0,3 pour les enfants

de moins de 14 ans. (Pour plus d’information cf.

https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1802).

Secteur d’activité économique :

- Primaire : le secteur primaire regroupe l’ensemble des activités d’exploitation des

ressources naturelles (agriculture, pêche, forêts, mines, gisements,…).

- Secondaire : le secteur d’activité secondaire regroupe l’ensemble des activités consistant

en une transformation plus ou moins élaborée des matières premières (industries

manufacturières, construction, travaux publics, infrastructures,…).

- Tertiaire : le secteur d’activité tertiaire couvre un vaste champ d’activités qui va du

commerce à l’administration, en passant par les transports, les activités financières et

immobilières, les services aux entreprises, les services aux particuliers, l’éducation, la santé et

l’action sociale.

Seuil de pauvreté. En France, la pauvreté d’un individu ou d’un ménage est définie de façon

relative (en fonction des revenus perçus par l’intégralité de la population) et non absolue comme

aux Etats-Unis par exemple (vivre avec moins qu’un niveau considéré de revenu) : un individu

est considéré comme pauvre lorsque son niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. La

définition retenue dans ce chapitre pour ce « seuil » est celle de l’Institut national de la

statistique et des études économiques (Insee) selon lequel une personne est considérée pauvre

dès lors qu’elle perçoit moins de 60 % du niveau de vie médian de la population (60 % du

Page 305: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

305

niveau de vie que la moitié de la population la plus modeste ne parvient pas à avoir). (Pour plus

d’information cf. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1283651).

Taux d’activité. Rapport entre le nombre d’actifs (actifs occupés et chômeurs) et l’ensemble

de la population correspondante (actifs et inactifs).

Taux d’emploi. Rapport pour une classe d’individus entre le nombre d’individus de cette classe

(en général d’âge) ayant un emploi et le nombre total d’individus de la même classe.

Taux de chômage. Part des actifs sans emploi dans la population active (constituée des actifs

en emploi et sans emploi).

Temps partiel thérapeutique (Tpt). Dispositif prévu par la loi (article L323-3 du Code de la

sécurité sociale) mis en place pour favoriser le rétablissement d’une personne après une maladie

ou un accident. Il propose aux personnes concernées de réduire leur temps de travail tout en

garantissant une compensation de la perte de salaire associée par l’Assurance maladie. Cette

réduction du temps de travail peut être mise en place quelle que soit la quotité souhaitée

(passage à 80 %, 40 % etc.).

Page 306: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

306

Annexe 10. Version détaillée du modèle « Motivation – Reprise du travail »

Page 307: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

307

II. Liste des productions scientifiques réalisées ou en cours

Annexe 11. Articles de revues

➢ Alleaume C, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Cortaredona S, Seror V, Peretti-Watel P.

Chronic neuropathic pain negatively associated with employment retention of cancer

survivors: evidence from a national French survey. J Cancer Surviv. 2018

Feb;12(1):115-126. doi: 10.1007/s11764-017-0650-z. Epub 2017 Oct 4.

o Tiré à part n°1.

➢ Alleaume C, Bousquet P-J, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P, Bendiane M-K. La reprise

d’activité cinq ans après un diagnostic de cancer. La Revue du Praticien. 2019

Avril n°69 :449-453.

o Tiré à part n°2.

➢ Alleaume C, Bendiane M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. Income change

inequality among cancer survivors five years after diagnosis: Evidence from a French

national survey (soumis).

o Tiré à part n°3.

➢ Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. Positive

impact of workstation layouts on maintenance in employment among five-year

cancer survivors (soumis).

o Tiré à part n°4.

➢ Torp S, Paraponaris A, Van Hoof E, Lindbohm M-L, Tamminga S-J, Alleaume C,

Van Campenhout N, Sharp L, de Boer AGEM. Work-related outcomes in self-

employed cancer survivors: a European multi-country study. J Occup Rehabil. 2018

Jun 26. doi: 10.1007/s10926-018-9792-8.

Page 308: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

308

Annexe 12. Autres publications

Compte rendu d’ouvrage

➢ Alleaume C, Compte-rendu de lecture de l’ouvrage de Derbez B. et Rollin Z.,

Sociologie du cancer, Revue française de sociologie 2017, n°58-1.

Chapitres d’ouvrage collectif

➢ Alleaume C, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Courtois E, Delorme T, Janah A, Morin

L, Peretti-Watel P. Les douleurs récentes et leurs traitements. (Ch7). INCa, juin 2018.

Issn : 978-2-37219-382-5.

➢ Alleaume C, Joutard X, Lafay L, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V. Evolution

des revenus cinq ans après le diagnostic d’un cancer (Ch10). INCa, juin 2018. Issn :

978-2-37219-382-5.

➢ Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V,

Vernay P. Situation professionnelle cinq ans après un diagnostic de cancer. La vie

cinq ans après un diagnostic de cancer (Ch11). INCa, juin 2018. Issn : 978-2-37219-

382-5.

➢ Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V.

Trajectoires professionnelles après un diagnostic de cancer (Ch12). INCa, juin 2018.

Issn : 978-2-37219-382-5.

➢ Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V.

Recours aux arrêts-maladie et au temps partiel thérapeutique après un diagnostic de

cancer (Ch13). INCa, juin 2018. Issn : 978-2-37219-382-5.

➢ Alleaume C. « Emploi et cancer : expérience du handicap et aménagement du

travail » dans Gros K. et Lefranc G., Emploi et handicap : de la culture de la

responsabilité sociale à l’émergence de nouvelles formes de travail. Editions

Législatives ESF. Juin 2019 (sous presse).

➢ Alleaume C, Peretti-Watel P. Maintien en emploi après un diagnostic de cancer :

l’intérêt d’une analyse au prisme du genre (soumis).

Page 309: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

309

Annexe 13. Communications

Communications affichées

➢ 8ème Colloque du Cancéropôle PACA 2017. Alleaume C, Bendiane M-K,

Bouhnik A-D, Cortaredona S, Seror V, Peretti-Watel P. Impact des Douleurs

Neuropathiques Chroniques (DNC) sur le maintien en emploi après un diagnostic

de cancer

➢ European Society for Medical Oncology (ESMO) Congress 2018. Alleaume

C, Paraponaris A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. Workstation

layouts after a cancer diagnosis: who, what, when and how?

Communications affichées commentées

➢ Colloque du Cancéropôle PACA 2016. Alleaume C, Bouhnik A-D, Rey D,

Bendiane M-K, Peretti-Watel P. Impact of the disease on job retention among

cancer survivors five years after diagnosis: evidence from the French VICAN

Survey.

➢ European Society for Medical Oncology (ESMO) Congress 2016. Alleaume

C, Bouhnik A-D, Bendiane M-K, Rey D, Seror V, Peretti-Watel P. Factors

affecting job retention amongst cancer survivors five years after diagnosis:

evidence from the French VICAN survey.

➢ World Cancer Congress 2016. Alleaume C, Davin B, Bouhnik A-D, Bendiane

M-K, Rey D, Seror V, Peretti-Watel P. Impact of working time reduction on job

retention among cancer survivors five years after diagnosis: evidence from the

French VICAN Survey.

➢ Colloque Cancéropôle PACA 2018. Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane M-

K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. Workstation layouts after a cancer diagnosis.

Communications orales scientifiques

➢ Congrès International des Sociologues de Langue Française 2016. Alleaume C,

Bouhnik A-D, Bendiane M-K, Rey D, Davin B, Seror V and Peretti-Watel P.

Inégalités de genre sur le marché du travail en France : quand la maladie s’en mêle.

➢ Seminar of the European Trade Institute 2017. Alleaume C, Bouhnik A-D,

Bendiane M-K, Rey D, Davin B, Seror V and Peretti-Watel P. Gender inequality on

Page 310: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

310

employment in France: when cancer interferes. First results from the French VICAN

Surveys (communication invitée).

➢ Assises du Cancer et du Genre 2017. Alleaume C, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P.

Conditions de vie après un diagnostic de cancer : quelle place au genre ?

➢ European Cancer Congress 2017. Alleaume C, Bendiane M-K, Bouhnik A-D,

Peretti-Watel P. Evolution of resources 2 and 5 years after cancer diagnosis: evidence

from the French VICAN surveys.

➢ Colloque VICAN5 valorisation scientifique INCa 2018. Valorisation des données

des études VICAN2 & VICAN5 en économie et sociologie de la santé – Vie

professionnelle & ressources financières cinq ans après un diagnostic de cancer

➢ Colloque du Réseau SHS Cancéropôle Nord-Ouest « Cancer et travail » 2019.

Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P.

L’aménagement du travail après un diagnostic de cancer, un dispositif favorable au

maintien en emploi à un horizon de 5 années.

➢ 12th European Public Health Conference 2019. Alleaume C, Paraponaris A,

Bendiane M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. The positive effect of workplace

accommodations on employment five years after a cancer diagnosis.

Page 311: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

311

III. Autres productions

Annexe 14. Communications orales de valorisation (invitations)

➢ 2019, 2018 Intervention DIU « Référent Handicap », Université Paris est Créteil

(UPEC).

➢ 2018 Journée Prévention de la Désinsertion Professionnelle (PDP) à la CARSAT

Sud-Est.

➢ 2018 Table ronde GEFLUC/SEM.

➢ 2018 Table ronde CAIRE13/GIMS.

Page 312: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

312

Abstract

Return to work and continued employment after a cancer diagnosis: socially

differentiated trajectories.

Each year, 355,000 new individuals are diagnosed with cancer in France and nearly half

of them are in working age. As survival rates has increased for most cancers, more and more

people face decisions about return to work. International literature have estimated return to

work rate between 60 % and 92 % (Paltrinieri et al., 2018). This rate was found to vary

according to sociodemographic features, occupational characteristics, and clinical aspects

related to the worker’s health status and the type of disease. Despite the increasing interest of

study in social and medical sciences, most of the French studies are carried out in a short period

of observation (lower than two years after diagnosis) and among a specific population (breast

cancer survivors are the most documented).

In this context, this doctoral research aims to 1) explore the continuation of working life

after a cancer diagnosis in a medium-term period, identifying factors associated with a

deterioration of the professional life, and 2) study the mechanism of return to work and job

retention, focusing on an individual approach.

To that end, this research proposes a mixed approach using two kinds of data:

quantitative, from the French national VICAN5 survey, conducted in 2015/2016 by the French

National Institute of Cancer; and qualitative, from the CAREMAJOB survey, carried out in

2017/2018 for this doctoral project. The VICAN 5-year cross-sectional survey questioned life

conditions of cancers survivors diagnosed in 2010/2011. The longitudinal CAREMAJOB

survey aimed to complete these data, focusing on return to work after cancer diagnosis. For that

purpose, two round of semi-directive interviews were conducted among cancer patients

employed at diagnosis with six-month intervals. They were asked about their intention to return

to work, and the envisaged mechanism of return.

Our results support those of the literature: individuals considered as the most vulnerable

(those with a low socioeconomic status and those with a poorer health status) were less likely

to still be employed five years after a cancer diagnosis. In addition, this research highlights the

needs to consider other indicators to report the continuation of professional life after a cancer

diagnosis such as: the part of working time reduction, occupational change, and financial well-

Page 313: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

313

being. Furthermore, the individual approach emphases the active role of the patient in the return

to work process. Following subjective experiences of their disease and professional life before

diagnosis, the individual set up strategies in order to go back to work according to their

motivation. Nevertheless, the individual capacity to remain employed may be undermined by

socio-differentiated access to arrangements, such as workplace accommodations which has

been found to be strongly associated with continued employment at middle term.

Consequently, this thesis called for personalized support of cancer survivors, which need

to come early in their return to work process, in order to take into consideration their motivation,

and to face social inequalities, found to be barriers for their continued employment. More

specifically, more attention must be paid to self-employed workers, women, individuals with a

lower socioeconomic status, and those who had poorer working conditions before diagnosis.

Key words: Cancer survivors, Return to work and job retention, Career paths, Social

inequalities.

Page 314: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

314

Table des matières

REMERCIEMENTS .............................................................................................................................................. 2

SOMMAIRE ........................................................................................................................................................... 4

LISTE DES TABLEAUX, DES FIGURES ET DES ENCADRES ..................................................................... 5

LISTE DES ABREVIATIONS .............................................................................................................................. 8

INTRODUCTION .................................................................................................................................................10

PARTIE 1. CADRES CONJONCTUREL, CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE

............................................................................................................................................................14

CHAPITRE 1. ELEMENTS DE CONTEXTES DE LA RECHERCHE ............................................................................15

1.1. La relation cancer-travail : un objet d’étude récent pour les sciences sociales ..............................16

1.1.1. Une relation définie par le contexte épidémiologique de la maladie ........................................................... 16

Un nouvel objet d’étude en sciences sociales ............................................................................ 17

Des objets d’études médicales ................................................................................................... 18

Une maladie chronique .............................................................................................................. 22

1.1.2. Une relation définie par les représentations sociales de la maladie ............................................................. 24

Un objet de représentations sociales des personnes concernées ................................................ 24

Un objet de représentations sociales en population générale ..................................................... 26

Des représentations qui se retrouvent dans la sphère professionnelle ........................................ 27

1.2. Impact du cancer sur la vie professionnelle .....................................................................................29

1.2.1. Etat des lieux ............................................................................................................................................... 29

L’impact négatif du cancer sur l’emploi : un processus empreint d’inégalités sociales ............. 29

Cancer et travail biographique : reconsidération du rapport à l’emploi et au travail ................. 31

L’annonce du cancer, un événement de rupture biographique ................................................... 33

1.2.2. Contexte de l’évolution récente du marché du travail ................................................................................. 34

Précarisation de l’emploi en France ........................................................................................... 34

De nouvelles organisations dans les entreprises ........................................................................ 35

Allongement de la durée de travail : zoom sur l’emploi des séniors .......................................... 36

La reprise du travail : bien plus qu’un enjeu économique ......................................................... 38

1.2.3. Politiques publiques mises en place ............................................................................................................ 39

Promotion de la santé au travail ................................................................................................. 39

Le maintien en emploi d’une personne atteinte de cancer : objectifs des Plans cancer .............. 40

Page 315: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

315

CHAPITRE 2. OBJECTIFS ET HYPOTHESES DE LA RECHERCHE ...........................................................................44

2.1. Définitions du sujet ..........................................................................................................................44

2.2. Questions de recherche et hypothèses ..............................................................................................45

2.2.1. Questions et objectifs de recherche ............................................................................................................. 45

2.2.2. Délimitation du sujet ................................................................................................................................... 47

2.2.3. Hypothèses de recherche ............................................................................................................................. 48

CHAPITRE 3. PRESENTATION DES SUPPORTS METHODOLOGIQUES ...................................................................52

3.1. Etude d’une enquête nationale représentative : le dispositif VICAN ...............................................52

3.1.1. Présentation du dispositif ............................................................................................................................ 52

Une volonté politique ................................................................................................................ 52

Différentes sources de données .................................................................................................. 53

3.1.2. Population cible ........................................................................................................................................... 54

3.1.3. Constitution des échantillons, taux de réponse et représentativité ............................................................... 55

3.1.4. Population à l’étude dans cette recherche .................................................................................................... 57

3.2. Approche qualitative du sujet : l’enquête CAREMAJOB .................................................................58

3.2.1. Présentation de l’enquête ............................................................................................................................. 58

Objectifs et population d’étude .................................................................................................. 58

Ancrage méthodologique ........................................................................................................... 60

Autorisations administratives .................................................................................................... 60

3.2.2. Présentation du terrain d’enquête ................................................................................................................ 61

Collaboration avec des professionnels de santé ......................................................................... 61

Collaboration avec des services sociaux .................................................................................... 62

Collaboration avec des associations........................................................................................... 63

3.2.3. Conduite de l’enquête .................................................................................................................................. 64

Difficultés rencontrées ............................................................................................................... 64

Les entretiens réalisés ................................................................................................................ 65

Personnes enquêtées .................................................................................................................. 66

Restitution ................................................................................................................................. 66

3.3. Méthode d’analyses des données .....................................................................................................67

3.3.1. Principales analyses statistiques .................................................................................................................. 67

Indicateurs transversaux à la recherche ..................................................................................... 67

Analyses statistiques .................................................................................................................. 70

3.3.2. Principales analyses qualitatives ................................................................................................................. 72

3.3.3. Logiciels ...................................................................................................................................................... 73

Page 316: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

316

PARTIE 2. FREINS AU MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER ......................75

CHAPITRE 4. MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER : DES REALITES SOCIALEMENT

CONTRASTEES .............................................................................................................................76

4.1. Retour au travail et maintien en emploi après un cancer dans la littérature ...................................76

4.1.1. Constat d’une situation professionnelle dégradée après un diagnostic de cancer ........................................ 76

4.1.2. Facteurs associés à une sortie de l’emploi ................................................................................................... 77

4.2. Des difficultés qui perdurent : résultats de l’enquête VICAN5 ........................................................79

4.2.1. Constat transversal du maintien en emploi .................................................................................................. 79

Une personne sur cinq en emploi au moment du diagnostic ne l’est plus cinq ans après. .......... 79

Parmi ceux en emploi à cinq ans, un quart a réduit, voire changé, son activité professionnelle 83

4.2.2. Analyse longitudinale : description des trajectoires .................................................................................... 85

Différentes trajectoires professionnelles après le diagnostic...................................................... 85

Zoom sur le (non-)recours aux arrêts-maladie ........................................................................... 87

Identification de cinq principales transitions entre le diagnostic et cinq ans après .................... 89

4.3. Zoom sur les déterminants de la sortie de l’emploi et de la réduction du temps de travail .............91

4.3.1. Des différences médicales qui perdurent ..................................................................................................... 91

Moins de 6 personnes sur 10 sont en emploi non-réduit à l’enquête ......................................... 94

Des séquelles qui impactent la vie professionnelle à moyen terme ........................................... 96

4.3.2. Le cancer révèle des vulnérabilités socioprofessionnelles ........................................................................... 97

Des facteurs qui varient selon la classe d’âge ............................................................................ 97

Zoom sur une population spécifique : les travailleurs indépendants .......................................... 98

4.4. Des facteurs différents selon les transitions ...................................................................................102

Se maintenir dans le même emploi .......................................................................................... 102

Occuper à l’enquête un emploi différent du diagnostic ........................................................... 103

Être au chômage cinq ans après le diagnostic .......................................................................... 103

Avoir transité vers une situation inactive pour invalidité......................................................... 104

De l’emploi au diagnostic vers l’inactivité cinq ans après ....................................................... 104

4.5. Synthèse des résultats et conclusion ...............................................................................................108

CHAPITRE 5. PRECARISATION FINANCIERE APRES LE DIAGNOSTIC : UN EFFET « DOUBLE-PEINE » POUR LES

PERSONNES VULNERABLES .......................................................................................................111

5.1. Revue de littérature ........................................................................................................................111

5.2.1. Un sujet peu documenté en France ............................................................................................................ 111

5.2.2. Précarité financière et vulnérabilité sociale : mobilisation de la théorie des causes fondamentales .......... 112

5.2. Evolution de la situation financière à cinq ans du diagnostic ........................................................114

5.2.1. Défis méthodologiques dans la considération des données financières et résultats descriptifs.................. 114

Traitement des données manquantes et des données partielles ................................................ 114

Cinq ans après le diagnostic, un cinquième des personnes interrogées a connu une diminution de

ses ressources........................................................................................................................... 117

Page 317: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

317

5.2.2. Une diminution qui s’observe également chez les personnes qui se sont maintenues en emploi .............. 118

Revenu disponible par individu et revenu du travail : des stratégies de compensation ? ......... 118

Facteurs associés à une diminution du revenu disponible par individu ................................... 119

Une diminution des revenus qui intervient à plus de deux ans du diagnostic .......................... 124

5.3. Les mesures subjectives de l’évolution des revenus et de la situation financière : un complément aux

mesures objectives .......................................................................................................................................125

5.3.1. Aisance financière ..................................................................................................................................... 126

5.3.2. Variation perçue ........................................................................................................................................ 128

5.3.3. Variation des revenus professionnels et impact perçu de la maladie ......................................................... 129

Ecart entre la mesure objective et la mesure subjective ........................................................... 129

Analyses longitudinales ........................................................................................................... 129

5.4. Synthèse des résultats et conclusion ...............................................................................................131

CHAPITRE 6. VALEUR HEURISTIQUE D’UNE ANALYSE AU PRISME DU GENRE .................................................133

6.1. Maladie sexuée et différences de sexe au travail : un effet de genre ? ...........................................134

6.1.1. Genre et travail .......................................................................................................................................... 134

6.1.2. Genre et cancer .......................................................................................................................................... 135

6.1.3. Quelle place pour le genre dans la relation cancer-travail ? ...................................................................... 136

6.2. Avoir un cancer et être une femme : un cumul des handicaps au travail ? ....................................138

6.2.1. Approche par la théorie de l’intersectionnalité .......................................................................................... 138

6.2.2. Résultats de l’enquête VICAN : des disparités femmes-hommes dans l’évolution de la situation

professionnelle. ....................................................................................................................................... 141

Recours aux arrêts maladie plus fréquent chez les femmes ..................................................... 141

Après un diagnostic de cancer, maintien plus fréquent des femmes en emploi : un résultat des

inégalités de genre ? ................................................................................................................ 142

Effets de l’âge et de la situation familiale différents entre les hommes et les femmes : la

distribution de l’offre de travail au sein du couple en question ............................................... 145

Des facteurs de sortie d’emploi au-delà du sexe ...................................................................... 146

6.2.3. Des conditions de maintien en emploi différentes selon le sexe : étude des personnes toujours en emploi à

cinq ans du diagnostic. ............................................................................................................................ 150

Après un diagnostic de cancer, le temps partiel reste l’apanage des femmes… au détriment des

hommes ? ................................................................................................................................. 150

Les écarts de PCS et les écarts de salaire entre les hommes et les femmes restent stables : signe

d’un impact indifférencié du cancer ? ...................................................................................... 151

Précarisation générale de la situation des femmes ................................................................... 154

Différence de perception selon le sexe .................................................................................... 155

6.3. Spécificité des femmes atteintes d’un cancer du sein .....................................................................157

6.3.1. Le cancer du sein aurait un impact spécifique sur la vie professionnelle .................................................. 157

6.4. Synthèse des résultats et conclusion ...............................................................................................158

Page 318: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

318

CONCLUSION DE LA PARTIE 2 : DE L’INTERET DE L’ANALYSE DE LA VULNERABILITE .....................................160

Identification des populations à risque .......................................................................................................160

Synthèse des principaux résultats ............................................................................................................................ 160

Limites de ces études ............................................................................................................................................... 162

La maladie révèle les vulnérabilités ............................................................................................................163

De l’assistance à l’accompagnement ....................................................................................................................... 164

PARTIE 3. LEVIER DE LA REPRISE DE L’ACTIVITE PROFESSIONNELLE APRES UN DIAGNOSTIC

DE CANCER : ANALYSE D’UN PROCESSUS BIOGRAPHIQUE ............................................166

CHAPITRE 7. LES LEVIERS DU MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER ...............................167

7.1. Résultats de recherches interventionnelles et dispositifs disponibles en France : état des lieux des

ressources pour favoriser le maintien en emploi.........................................................................................167

7.1.1. Interventions en faveur du maintien en emploi : revue de littérature ......................................................... 167

7.1.2. Présentation des dispositifs nationaux en France ...................................................................................... 169

7.2. L’aménagement du travail : un outil pour égaliser les capabilités ? .............................................171

7.2.1. Ancrage théorique : l’approche par les capabilités de Sen ........................................................................ 171

7.2.2. L’aménagement du travail, un dispositif d’accès socialement différencié ................................................ 175

7.2.3. Un outil de maintien en emploi ?............................................................................................................... 178

7.2.4. A quel prix ? .............................................................................................................................................. 182

7.3. Des initiatives locales et nationales ...............................................................................................186

7.3.1. Des interventions auprès des personnes malades....................................................................................... 186

7.3.2. Des interventions auprès des entreprises ................................................................................................... 188

7.4. Synthèse des résultats et conclusion ...............................................................................................192

CHAPITRE 8. MODELE THEORIQUE DU RETOUR AU TRAVAIL APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER : L’APPORT

D’UNE APPROCHE PAR LA MOTIVATION .....................................................................................195

8.1. Modèles théoriques du rapport santé et travail .............................................................................196

8.1.1. Approche individuelle de la relation cancer et travail ............................................................................... 196

8.1.2. Modèles théoriques du rapport entre les conditions de travail et la santé mentale des travailleurs pour une

meilleure compréhension de la motivation professionnelle post-diagnostic de cancer ........................... 199

Le modèle demande-contrôle-soutien de Karasek et Theorell (1990) ..................................... 200

Le modèle effort-récompense de Siegrist (1996) ..................................................................... 201

Le modèle demandes-ressources de Demerouti (2001) ........................................................... 201

8.2. Modèle théorique « Processus motivation - reprise du travail » après un diagnostic de cancer ...204

8.2.1. Le diagnostic de cancer, un point de bifurcation ? .................................................................................... 204

Page 319: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

319

8.2.2. Modèle synthétique du retour au travail après un diagnostic de cancer : pour une prise en compte du processus

................................................................................................................................................................ 206

Contexte économique et social ................................................................................................ 209

Caractéristiques individuelles .................................................................................................. 210

Caractéristiques médicales ....................................................................................................... 211

Environnement professionnel et caractéristiques de l’emploi occupé avant le diagnostic ....... 213

Intersections des dimensions sociales, médicales et individuelles ........................................... 214

CHAPITRE 9. LA MOTIVATION, ELEMENT CENTRAL DU PROCESSUS DE RETOUR AU TRAVAIL .........................217

9.1. La motivation : fruit de construits sociaux et individuels...............................................................217

9.1.1. L’expérience de la maladie, un principe explicatif de la motivation ......................................................... 217

« je veux que la parenthèse [de la maladie] soit fermée » ........................................................ 218

« J’ai fait le deuil de ma vie d’avant » : accepter une nouvelle échelle de normalité .............. 220

Modifier sa trajectoire professionnelle pour donner du sens à la maladie ............................... 222

9.1.2. S’apprivoiser et adapter sa reprise ............................................................................................................. 222

La peur de ne pas être à la hauteur ........................................................................................... 223

Préserver sa santé et savoir s’adapter ....................................................................................... 223

9.1.3. Rapport au travail et à l’emploi, troisième élément constitutif de la motivation ....................................... 224

Donner du sens à son travail .................................................................................................... 224

Un déséquilibre entre investissement et reconnaissance, facteur de bifurcation professionnelle

................................................................................................................................................. 226

Le soutien social au travail, un modérateur de l’effet négatif de la maladie sur le rapport au

travail ? .................................................................................................................................... 230

9.2. Décision de reprise : quelle place à la motivation individuelle ? ..................................................232

9.2.1. Confrontation de la logique profane à la logique médicale ....................................................................... 232

« C’est le médecin qui donne son feu vert » ............................................................................ 233

Une affaire de négociation ....................................................................................................... 234

9.2.2. L’entourage : un soutien plus qu’un acteur de la décision ......................................................................... 236

9.2.3. Le patient acteur principal de sa poursuite professionnelle ....................................................................... 237

Une plus grande liberté de décision pour « une maladie légitime » ? ...................................... 237

Des calculs bénéfices-risques .................................................................................................. 238

9.3. Processus de reprise : des allers-retours parfois nécessaires ........................................................239

9.3.1. Evolution de la motivation au fil des mises en actions .............................................................................. 239

Une ouverture des possibles puis… un retour à la réalité pour certains ................................... 239

Expérience de l’échec .............................................................................................................. 241

9.4. Synthèse des résultats et conclusion ...............................................................................................244

CONCLUSION DE LA PARTIE 3 : CONSTRUCTION INDIVIDUELLE ET SOCIALE DE LA VULNERABILITE ................247

La vulnérabilité au service des « capabilités » ...........................................................................................247

Synthèse des principaux résultats ............................................................................................................................ 247

Page 320: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

320

Limites de ces études ............................................................................................................................................... 249

CONCLUSION GENERALE .............................................................................................................................250

Synthèse des résultats ..................................................................................................................................250

Implications en santé publique ....................................................................................................................252

Pour un accompagnement personnalisé ................................................................................................................... 253

Pour une spécification des indicateurs ..................................................................................................................... 254

Perspectives de recherche ...........................................................................................................................254

Enquêter par cohortes .............................................................................................................................................. 254

Favoriser la recherche interventionnelle .................................................................................................................. 255

Quid des actifs non occupés et des inactifs au moment du diagnostic ?................................................................... 255

Un sujet ancré dans l’actualité ...................................................................................................................256

Transformation du travail et de l’emploi dans nos sociétés ..................................................................................... 256

Evolution du système de protection sociale ............................................................................................................. 261

BIBLIOGRAPHIE ..............................................................................................................................................263

ANNEXES ...........................................................................................................................................................281

I. DOCUMENTS D’AIDE A LA COMPREHENSION .............................................................................283

I.1. Présentation des participants aux enquêtes ...................................................................................283

Annexe 1. Organigramme VICAN ........................................................................................................... 283

Annexe 2. Principales caractéristiques de la population VICAN5 à l’étude (% col.) ............................... 284

Annexe 3. Principales caractéristiques des participants à l’enquête CAREMAJOB ................................ 287

I.2. Supports méthodologiques .............................................................................................................290

Annexe 4. Codes SNIIRAM utilisés pour la construction de certains indicateurs médicaux (INCa, 2018)

.............................................................................................................................................. 290

Annexe 5. Grille d’entretien de l’enquête CAREMAJOB ........................................................................ 291

Annexe 6. Support de présentation distribué aux personnes éligibles à l’enquête CAREMAJOB ........... 295

Annexe 7. Formulaire d’information et de consentement......................................................................... 296

Annexe 8. Tableau récapitulatif des dispositifs disponibles en France ..................................................... 300

I.3. Compléments d’information ...........................................................................................................303

Annexe 9. Glossaire ................................................................................................................................. 303

Annexe 10. Version détaillée du modèle « Motivation – Reprise du travail » ........................................... 306

II. LISTE DES PRODUCTIONS SCIENTIFIQUES REALISEES OU EN COURS ...........................................307

Annexe 11. Articles de revues .................................................................................................................... 307

Annexe 12. Autres publications ................................................................................................................. 308

Compte rendu d’ouvrage ......................................................................................................... 308

Chapitres d’ouvrage collectif ................................................................................................... 308

Page 321: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

321

Annexe 13. Communications ..................................................................................................................... 309

Communications affichées ....................................................................................................... 309

Communications affichées commentées .................................................................................. 309

Communications orales scientifiques ...................................................................................... 309

III. AUTRES PRODUCTIONS .............................................................................................................311

Annexe 14. Communications orales de valorisation (invitations) .............................................................. 311

ABSTRACT .........................................................................................................................................................312

Page 322: Retour au travail et maintien en emploi après un ...

Retour au travail et maintien en emploi après un diagnostic de cancer : des trajectoires

socialement différenciées

Chaque jour en France, plus de quatre-cents personnes actives ou en âge de l’être apprennent qu’elles ont un cancer.

Or, plusieurs études françaises et internationales mettent en lumière l’impact négatif de la maladie sur la vie

professionnelle, ce qui positionne le sujet du retour au travail et du maintien en emploi après le diagnostic d’un cancer

au cœur d’enjeux sociaux, mais aussi politiques puisqu’il constitue un des objectifs du 3ème Plan Cancer. En moyenne,

ces études estiment que près d’un quart de la population en emploi au moment du diagnostic ne l’est plus deux ans

après. Ce taux varie entre 8 % et 40 % selon les études et les pays mais également selon les caractéristiques

socioprofessionnelles et médicales des populations enquêtées (Paltrinieri et al., 2018). Malgré un intérêt grandissant

des sciences sociales et médicales pour ce sujet, la plupart des études françaises s’intéressent à des populations

restreintes (parmi lesquelles les femmes atteintes d’un cancer du sein sont les plus représentées) sur des périodes

d’observation relativement courtes (inférieures à 2 ans du diagnostic). Dans ce contexte, cette recherche doctorale a

pour objectif de participer à la compréhension des difficultés rencontrées par les personnes atteintes de cancer dans

la poursuite de leur vie professionnelle en dépit des dispositifs mis en place par les pouvoirs publics. Afin d’apporter

une vision complète du sujet, cette recherche se veut transdisciplinaire : elle s’inspire de théories de santé publique,

sociologique mais également économique, et mobilise des méthodes mixtes alliant analyses quantitatives et

qualitatives. Ces analyses reposent exclusivement sur deux sources de données : l’enquête nationale VICAN5,

conduite par l’Institut National du Cancer et l’enquête CAREMAJOB réalisée dans le cadre de ce travail doctoral.

VICAN5 est une enquête transversale réalisée par questionnaires auprès de personnes diagnostiquées d’un cancer en

2010/2011 et interrogées sur leurs conditions de vie cinq ans après, tandis que CAREMAJOB est une enquête

longitudinale pour laquelle deux séries d’entretiens semi-directifs ont été réalisés à six mois d’intervalle auprès de

personnes en emploi au moment du diagnostic de leur cancer. Nos résultats corroborent ceux de la littérature : les

personnes ayant les caractéristiques socioéconomiques les moins favorables sont les plus vulnérables face au

maintien en emploi à distance du diagnostic. En complément, cette recherche soutien l’intérêt de considérer des

indicateurs complémentaires au taux de retour au travail pour caractériser la situation professionnelle post-diagnostic,

tels que les parts d’emplois réduits et de changements de poste ou encore l’évolution de la situation financière. En

outre, l’approche individuelle souligne le rôle actif du patient tout au long du processus de retour au travail.

L’intersection subjective de ses expériences, de la maladie et du travail, construit progressivement sa motivation à

reprendre une activité professionnelle. Néanmoins, la capacité individuelle à se maintenir en emploi peut être altérée

par l’accès socialement différencié aux dispositifs d’aide, tels que les aménagements du travail qui, d’après nos

résultats, favorisent le maintien en emploi à moyen terme. Dans une perspective de politiques publiques, cette thèse

plaide pour un accompagnement personnalisé des personnes atteintes de cancer qui doit être réalisé précocement

dans le processus de retour au travail, et ce, afin de prendre en considération simultanément les inégalités

socioprofessionnelles et les motivations individuelles. Plus précisément, une attention spécifique doit être portée aux

travailleurs indépendants, aux femmes, aux individus disposant d’un faible statut socioéconomique et à ceux ayant

des conditions de travail délétères avant même la survenue de la maladie.

Mots clés : Cancer, Retour au travail et maintien en emploi, Trajectoires professionnelles, Inégalités sociales.