reportages D Philippe MASSONNET

Philippe MASSONNETPour en finir avec le miracle chinois

reportages

Depuis trente ans, la Chine connaît une ascension fulgurante et pourtant ce colosse

a les pieds lestés de plomb. Car sa réussite économique, en apparence si irrésistible, a pour fondement un immobilisme politique qui fait à la fois sa faiblesse et sa force.Ce livre démonte minutieusement les rouages du pouvoir qui garantissent la paix sociale en promettant le confort économique ; le maillage serré de contrôle des citoyens, au nom de la construction d’une « société harmonieuse » et prospère. En échangeant les libertés contre un meilleur niveau de vie, le pouvoir chinois fait un pari dangereux. Voilà pourquoi tout ralentissement de la croissance fait peser des risques sociaux et politiques énormes en Chine, et par ricochet au reste du monde.Observateur expérimenté de la Chine où il a vécu pendant quatorze ans, Philippe Massonnet nourrit sans cesse son analyse de faits vécus et d’anecdotes au plus près des réalités, cocasses ou dramatiques. Il détaille les tenants et les aboutissants d’une montée en puissance qui, loin d’être un miracle, ou un conte de fées moderne, prend parfois des allures de cauchemar.

19

9 782809 700213

www.editions-picquier.fr

reportages

Pour

en f

inir

ave

c le

mir

acl

e c

hin

ois

P

hilip

pe M

AS

SO

NN

ET

Philippe Massonnet, né en 1959, est journaliste. De 2002 à 2008, il dirige les bureaux de l’Agence France-Presse (AFP) en Chine, pays qu’il a découvert au début des années 80. Fin connaisseur de la politique chinoise et observateur passionné de la vie quotidienne en Chine, il est l’auteur de La Chine en folie (Philippe Picquier, 1997) et d’un recueil de nouvelles, La Crêperie de Pékin (L’Aube, 2003).

Extrait de la publication

Mep Massonnet-Miracle chinois 19/03/08 12:22 Page 1


Philippe Massonnet

Pour en finiravec le miraclechinois



© 2008, Editions Philippe PicquierMas de VertB. P. 2015013631 Arles cedex

www.editions-picquier.fr

En couverture :© Camille Levert (Camillenchine.com)

Conception graphique : Picquier & Protière

Mise en page : Ad litteram, M.-C. Raguin – Pourrières (Var)

ISBN: 978-2-8097-0021-3ISSN: 1272-0038

REPORTAGES

Collection dirigée parPIERRE-ANTOINE DONNET

DANS LA MÊME COLLECTION

Roger Faligot, L’Empire invisible. Les mafias chinoises.Miyamoto Masao, Japon, société camisole de force.Jean-François Sabouret, Radioscopie du Japon.Philippe Massonnet, La Chine en folie.Pierre Cayrol, Hong Kong, dans la gueule du dragon.Jean-Claude Pomonti, Viêtnam, quand l’aube se lève.Moriyama Takashi, L’Abécédaire du Japon.Francis Christophe, Birmanie, la dictature du pavot.Eamonn Fingleton, Japon, la puissance cachée.Anne Garrigue, Japonaises, la révolution douce.Jean Piel, Corée, tempête au pays du Matin-Calme.Collectif, Asie, les nouvelles règles du jeu.Muriel Jolivet, Homo japonicus.Jean-Claude Buhrer et Claude B. Levenson, Aung San Suu Kyi,demain la Birmanie.Robert Dompnier, Bhoutan, royaume hors du temps.Claude B. Levenson, Tibet, otage de la Chine.Philippe Paquet, L’ABCédaire de la Chine.Anne Garrigue, L’Asie en nous.Claude Arpi, Cachemire, le paradis perdu.Florence Compain et Cyril Payen, Bangkok, la nuit.Frédéric Bobin, Voyage au centre de la Chine.



SOMMAIRE

IntroductionUne Chine incontournable ................................................ 9

I. LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS, LA PLUS GRANDE SECTE AU MONDE ?

Dirigeants, pas gourous ............................................................ 20Adeptes influents .......................................................................... 3175 millions de fidèles, au moins ......................................... 43Les bras armés du régime ....................................................... 51 Adorateurs de tous les pays ................................................... 71

II. LE LIVRE DES RECETTES

Le « socialisme à la chinoise », une dictature moderne ......................................................... 87

Confucius à la rescousse .......................................................... 114Le nationalisme, l’ingrédient indispensable ............... 125Le pari économique,

un pays otage de la croissance ....................................... 145

5



III. UN SYSTÈME SUCRÉ-SALÉ

La construction d’une « société harmonieuse » ....... 177Education, religion et médias dans la ligne ................ 187Des libertés individuelles

comme monnaie d’échange ............................................. 226Le prix à payer ............................................................................... 240

IV. LA CHINE À L’ASSAUT DU MONDE

Le monde harmonieux, selon Pékin ................................. 259Le prix à payer aussi à l’extérieur,

pour les Chinois… et les autres ..................................... 295

Conclusion« Ne mélangeons pas sport et politique ! » ............ 305



REMERCIEMENTS

Ce livre est construit sur un socle de connaissances et d’ex-périences acquises au fil des quatorze années que j’ai passéesen Chine depuis 1984, et plus particulièrement les six der-nières, entre 2002 et 2008, période pendant laquelle j’ai dirigél’Agence France-Presse (AFP) dans ce pays.

Logiquement – et ce n’est pas là que pure forme – je remer-cie mes collègues de l’AFP à Pékin et Shanghai qui ont réaliséun formidable travail ces dernières années, s’efforçant deraconter et d’expliquer, en texte et en images, le plus claire-ment possible et au plus grand nombre, cette montée en puis-sance complexe de la Chine. Pas facile. Alors, chapeau !Certains avaient, comme moi, le regard des « anciens »,d’autres un œil neuf. Cette alchimie m’a beaucoup aidé auquotidien dans la compréhension de la Chine du XXIe siècle etpar conséquent dans la concoction de cet ouvrage.

Merci évidemment aux Chinois et aux étrangers qui m’ontinformé, aidé, guidé, y compris ceux qui ne le savent pas, pourque ce livre prenne de la substance. Une bibliographie en finde volume rend hommage à certains d’entre eux.

Merci de tout cœur à Camille, François et Laurent, précieuxrelecteurs et conseillers.



INTRODUCTION

Une Chine incontournable

8 août 2008 à 20 heures, ou plutôt 8 heures du soircar le chiffre 8 a toute son importance dans cette date.Un chiffre porte-bonheur en Chine, symbole derichesse.

8 août 2008 à 20 heures donc, coup d’envoi des29e Olympiades.

Les Jeux olympiques, c’est avec le Mondial de foot-ball, un événement planétaire qui surgit tous les quatreans. Le plus médiatisé. Le plus télévisé.

Pour la première fois dans l’histoire des Jeux, laChine en est l’organisatrice.

Pour tout pays, être l’hôte des Jeux olympiquesconstitue une reconnaissance internationale exception-nelle, que cela plaise ou non.

En 1980, cela ne plut pas aux Etats-Unis quel’Union soviétique accueillît les JO à Moscou. Et lesEtats-Unis boycottèrent. Quatre ans plus tard, lesSoviétiques boudèrent les Jeux de Los Angeles enreprésailles.

En 2008, tout le monde est au rendez-vous de Pékin.Les Américains, toujours anticommunistes, les Russesqui ne sont plus soviétiques, l’Europe, l’Afrique,l’Amérique latine et l’Asie.

Les appels de quelques organisations non gouver-nentales et d’hommes politiques en Occident à boy-cotter les Jeux de Pékin ont fait long feu. Aucun

9



gouvernement ne s’est d’ailleurs sérieusement posé laquestion, même ceux qui condamnent çà et là et plusou moins fermement les violations des droits del’homme en Chine.

On peut donc être, au XXIe siècle, dictature politiquedepuis 60 ans – dans le livre des records – et plébisci-tée pour organiser les JO, censés symboliser la paix, lafraternité et le rapprochement entre les peuples, maishistoire de gros sous également. Voire surtout de grossous. En choisissant le chiffre 8, les Chinois ne se sontpas trompés !

Moralement, chacun peut penser ce qu’il veut duchoix de Pékin par le Comité international olympiqueen 2001, douze ans après les massacres de Tiananmen.Mais personne ne peut contester que l’octroi des Jeuxà un régime notoirement antidémocratique a repré-senté une victoire politique, économique et diploma-tique de la Chine communiste. Sa première médailled’or d’avant les Jeux.

La preuve que la Chine et son milliard et trois centsmillions d’habitants sont devenus des pièces incon-tournables de l’échiquier international.

Incontournable économiquementLa Chine se place dans le peloton de tête des éco-

nomies mondiales grâce à une croissance phénomé-nale depuis le début des années 1980, égalée paraucun autre pays. Un décollage dû principalement àl’ouverture du pays aux capitaux étrangers en quêtede nouvelles terres d’investissement et de nouveauxdébouchés, à une volonté et un dynamisme de tout unpeuple.

Et la Chine fait peur. Elle n’est plus seulement l’ate-lier de la planète mais un acteur-clé du jeu économiquemondial par ses exportations, ses acquisitions et son

POUR EN FINIR AVEC LE MIRACLE CHINOIS

10



appétit énergétique. De gré ou de force, la Chine estconsidérée par tous comme un partenaire commercial.

Incontournable diplomatiquementMembre permanent du Conseil de sécurité de

l’ONU depuis 1971, la Chine pèse un poids de plus enplus lourd sur la scène internationale conformément àla dimension économique qu’elle est en train d’acqué-rir. Si la prudence est une constante, son activismediplomatique n’a, là encore, aucun égal.

De Londres au Cap, de Washington à Séoul, en pas-sant par Caracas, Jérusalem et Téhéran, on se bat pourvenir en Chine. On se bat pour accueillir la Chine. Etles responsables chinois arpentent le globe pour prê-cher leur bonne parole.

Incontournable militairementSi les statistiques militaires de la Chine sont encore

plus suspectes que celles de son économie, une réalités’impose : l’Armée populaire de libération n’est plus unramassis de gueux au service d’une Longue Marche.

C’est une puissance à l’intérieur d’une puissance,qui se construit à coups de milliards de dollars, enga-gée dans une modernisation qui doit lui permettre derivaliser avec les plus grands pour que le XXIe sièclesoit définitivement chinois.

Incontournable sportivementCertains pourraient penser que placer le sport dans

un carré comprenant l’économie, la diplomatie et ladéfense relève de la légèreté journalistique. Ilsauraient bien tort. Car la puissance d’un pays semesure aussi aux performances des athlètes, n’endéplaise à ceux à qui le sport de compétition donnedes boutons.

11

INTRODUCTION



Les grandes puissances sont des nations sportives.La Chine en est devenue une en peu de temps.

De ce point de vue, l’octroi des JO à Pékin n’a rieneu de choquant.

Et ces Jeux ont rendu la Chine incontournable.

Au XXIe siècle, tous les chemins mènent à Pékin.Terrestres, aériens, maritimes. Le constat est évident.Le monde entier le ressent chaque jour. Plus besoind’en apporter les preuves.

Mais que s’est-il donc passé en si peu d’années pourque le Pays du Milieu devienne le centre du globe? Unmiracle? Ce serait réduire les performances chinoises,les meilleures comme les pires, à la chance. Or lamontée en puissance de la Chine ne doit rien auhasard. Aucune fée ne s’est penchée sur le berceaud’un quart de l’humanité.

Il n’y a pas eu de miracle.La Chine du nouveau siècle, comme celle du siècle

précédent, obéit à des règles. Elle se construit sur desprincipes et un système qui forment une recette totale-ment inédite.

Quels sont donc les ingrédients de cette recette chi-noise? Certains sont connus, d’autres moins. Certainssont des antiquités, d’autres des concepts modernes.Certains sont purement chinois. D’autres universels.

Un mélange explosif.Cette cuisine fait saliver le monde entier. Mais en

Chine, l’addition est parfois salée.




I. LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS,

LA PLUS GRANDE SECTE DU MONDE?

Comment dire?En octobre 2007, je couvrais avec mes collègues de

l’AFP à Pékin le 17e congrès du Parti communiste chi-nois (PCC). Vingt ans après « mon premier congrès »en tant que journaliste. Le quatrième pour moi, duranttrois décennies. Je n’en tire aucune fierté, aucune nos-talgie. Juste des souvenirs extraordinaires. Fabuleusesdécennies ! Trois visages d’une Chine en mouvement.Et quel mouvement !

A quoi ressemblait la capitale chinoise en 1987quand Deng Xiaoping pénétra à pas comptés dans lagrande salle du Palais du peuple, au plafond étoilé derouge, pour dominer de sa petite taille et de sesgrandes idées ce 13e congrès, celui de la bénédictionde l’économie de marché et d’un espoir d’une timidelibéralisation politique qui sera assassiné deux ansplus tard sur la place Tiananmen?

C’était le Pékin des hutong, venelles bordées demaisons de plain-pied mal fagotées, sans toilettes, despetits immeubles de style soviétique aux cuisines ettoilettes communes. Sans chauffage central et sans cli-matisation. Le téléphone public tenu par le gardienmouchard. Un lourd téléphone noir. Le Pékin desvélos « Pigeon Volant », noirs, forcément noirs. Lesvoitures pour la nomenklatura et les étrangers. Desvoitures sombres comme les vêtements des Chinois.

13



Le Pékin des petits métiers et des vendeurs de yaourtsen pots de verre sur des trottoirs étroits de rues étroites.

Les Chinois voyaient avec inquiétude le libéralismepousser du coude l’Etat providence. Les premièresfaillites d’usines, les premiers ouvriers licenciés. Lagarantie de l’emploi, le fameux « bol de riz en fer » sebrisait. Dans les campagnes, la décollectivisationredonnait le moral à 800 millions de paysans qui espé-raient ne plus mourir de faim.

A l’Institut du cinéma de Pékin, les étudiants dis-couraient des heures autour des films de leurs aînésfraîchement diplômés, Zhang Yimou et Chen Kaige,des œuvres aussi esthétiques que politiques. Les pre-mières créations post-Révolution culturelle. On discu-tait de Godard, de Truffaut.

Un jeune écrivain et scénariste, Wang Shuo, bous-culait les codes. L’une des séries télévisées les pluspopulaires avait pour cadre un journal. Drôle et sarcas-tique. Une liberté de ton pour un quotidien incertain etjoyeux à la fois. L’art contemporain sortait des tripesde peintres sans le sou. Des Chinois réfléchissaient,testaient pour la première fois les limites de la libertéd’expression. Où allait leur pays?

Déjà l’Union soviétique s’étiolait. Les intellectuelset les étudiants chinois débattaient de l’avenir dumarxisme. De son passé. Dans les cercles du pouvoirégalement, on se demandait comment faire évoluer laChine. Hu Yaobang, le chef du Parti, avait voulu allertrop vite dans la réforme politique. Il avait été débar-qué en janvier 1987, remplacé par Zhao Ziyang, moinsaudacieux aux yeux de Deng, le patriarche.

A la clôture du 13e congrès, un de mes collèguesenclencha devant moi son magnétophone pour enre-gistrer L’Internationale, jouée par la fanfare del’Armée populaire de libération, installée au balcon

14




près des journalistes étrangers. Il vit mon étonnement.« C’est la dernière fois qu’on l’entend ici », me dit-il.Pari de « China watcher ».

Quel Pékin était-ce, déjà, dans les années 1990?1989 ensanglanté était passé par là. Le Parti avait eu

peur. Pour la première fois depuis 1949, le peuplel’avait défié. Mais le peuple avait eu peur aussi.

La démocratie politique attendrait. Les Chinoisferaient comme leurs dirigeants et leurs enfants : ilsgagneraient de l’argent. Plus facile à gagner que laliberté de citoyen. Place à l’individu. A l’individua-lisme. Seule une poignée de dissidents poursuivront uncombat inégal. Ils seront emprisonnés. Les plusemblématiques exilés de force.

L’individu enfermé dans des appartements d’im-meubles hauts qui encerclent la ville. Les quartiersanciens sont rasés. Les premières expulsions de masse.Déjà des contestations de locataires et de propriétairesspoliés, poussés en banlieue bétonnée. La banlieue chi-noise est née. Dans les quartiers touristiques du centre-ville, les toilettes publiques sont classées, étoiléescomme des hôtels. Il y a même des compétitions de toi-lettes. La Chine prend soin de son image. A sa façon.

Les chantiers, ces chantiers dans lesquels les mani-festants désarmés de 1989 avaient puisé des briquespour jeter aux tanks, sont devenus des tours debureaux qui brillent dans un ciel de plus en plus pol-lué. Le troisième périphérique est achevé. Les pre-miers riches l’étrennent avec des voitures japonaises.Il y a alors moins de dix pompes à essence ouvertes aupublic dans toute la ville. Les enseignes étrangèreséclosent çà et là, le long de rues de plus en plus larges.Les Pékinois « macdonaldisent » la plus célèbre artèrecommerçante, Wangfujing, déjà concurrencée par de

15

I. LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS, LA PLUS GRANDE SECTE DU MONDE ?



nouvelles voies dédiées à la consommation. La mode.Les filles qui se font belles. Les filles qui draguent lespasseports étrangers.

La publicité remplace les slogans politiques. Maoest toujours accroché porte Tiananmen. Son visageimprimé sur les plus gros billets de banque.

L’argent comme obsession. Comme défouloir.Comme bras d’honneur à un passé de privations.L’argent des Chinois et des capitaux étrangers.

La culture, qui avait crû dans les années 1980, enprend un coup. La censure d’après-Tiananmen veille.La télévision et ses séries avec la police du peuple, sesvariétés mièvres comme anesthésiants.

Mais Pékin bouge. Pékin de plus en plus vertical.Ses vélos prennent des couleurs. Ils vont de plus enplus vite. La Chine devient étourdissante.

1992. 14e congrès du PCC. L’Internationale seraencore le genre humain, suggère la fanfare de l’armée.

Qu’est devenue la capitale en ce début de XXIe siècle?Une métropole moderne, bruyante, aux milliers dechantiers, aux grues comme des miradors de la moder-nité, aux six boulevards périphériques ! Pékin et sonarchitecture futuriste. A l’air irrespirable. Embou-teillée. Saturée. Celui qui n’a pas sa voiture est un idiot.

Il y a un restaurant tous les cinq mètres. Et un métroqui commence à ressembler à un métro, avec plusieurslignes et des correspondances. Pour les idiots.

Espèces en voie de disparition : le téléphone publicnoir et le pot de yaourt en verre. Même le téléphonefixe se demande à quoi il sert. Les conversations passentpar la téléphonie mobile. Les engueulades entre amou-reux comme les rendez-vous professionnels.

Pour les étrangers qui ne savaient pas que lesChinois parlaient fort, le téléphone portable est un

16




cauchemar. Le pire du cauchemar est un Pékinois quiparle dans son mobile en conduisant !

1987, 1989 ? Hu Yaobang, le Printemps de Pékin ?Les anciens ne veulent plus en parler, les jeunes gran-dissent dans l’ignorance. Pourtant, ils passent leurtemps sur l’Internet. Des cafés pour la Toile dans tousles quartiers. Des ordinateurs chez tous les Pékinois.

On communique, on surfe, on blogue. On va voirdes films américains. On va en boîte. On s’amuse, ondépense. Ce n’est plus le destin du pays qui est en jeu.C’est le destin personnel. Des artistes contemporainsroulent en Porsche. Imitations japonaises parfois.

Sur l’avenue de la Paix-Eternelle, il ne reste plusgrand-chose de 1987. Comme si La Défense s’étaitinstallée aux Champs-Elysées. L’Arche à la place del’Arc.

En s’approchant de Tiananmen, en cette mi-octobre2007, on aperçoit l’Opéra de Pékin, un nouvel ovniarchitectural. Tout près de la Cité Interdite étouffée parles grappes de touristes étrangers et chinois.

La grande place est un parking. Comme en 1987.Les bus des délégués de province au congrès rutilententre les drapeaux rouges. Ils ne ressemblent en rienaux autocars brinquebalants qui avaient servi de barri-cades et de dortoirs aux manifestants de 1989.

Les voitures des mandarins du Parti sont désormaisallemandes. Et plus luxueuses.

Le ciel est bleu décapant. Je l’ai toujours connuainsi, le ciel, pour les ouvertures des congrès à Pékin.

Sur les marches du Palais du peuple, les représen-tants des « minorités nationales » posent pour lapresse. Les mêmes chapeaux qu’en 1987. Lesmêmes sourires. Les mêmes visages muets. Leslangues se délieront après le discours du camaradeHu Jintao, secrétaire du Parti.

17

I. LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS, LA PLUS GRANDE SECTE DU MONDE ?



Et puis c’est l’ouverture. Je ne suis pas dans la salle.Je regarde le show à la télévision au bureau. Jecherche ce que Hu dit de nouveau.

Le décor est immuable, comme on dit, le cérémo-nial aussi. Les applaudissements des 2 200 déléguéssont coordonnés. Pas de fausse note. L’ancien prési-dent Jiang Zemin, invité sur le podium des hiérarquesen tant que vétéran, se permet une œillade coquine à lajeune femme qui sert le thé. Un écart de retraitépresque libre !

Le lendemain, cette politique spectacle à la chinoisefait la une. Je dis bien La Une. Puisque toutes les unessont identiques. Jusqu’à la photo de Hu Jintao.

Ne cherchez pas un commentaire ou un éditorialdignes de ce nom.

Ne cherchez pas non plus une voix originale oucritique. Durant une semaine où nous entendronschaque jour des délégués, pour ce que le régimeappelle « débats », nous assisterons à un effrayant« jour sans fin ». Comme dans ce film éponyme oùle personnage principal revit chaque jour la mêmejournée.

Les langues se délient donc : les délégués répètenttous, mot pour mot, la même chose ! Ils psalmodientle discours de Hu Jintao. Que ce soit lors des ses-sions des délégations de province ouvertes à lapresse ou lors d’interviews privées. Jamais toutefoisles responsables haut placés ou des délégués occu-pant des fonctions intéressantes ne se prêtent au jeudes questions-réponses. Il n’y a pratiquement que des« élus » de base qui sont de corvée. Les questionssont soumises à l’avance. Ne pas en sortir, sinon ledélégué panique.

Pour les collègues qui découvrent le cirque, le spec-tacle est hallucinant.

18




reportages D Philippe MASSONNET

Documents

Transcript of reportages D Philippe MASSONNET