RÉPONSE DU CANADA À L’ÉTAT ISLAMIQUE EN IRAQ ET AU LEVANT (EIIL)

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RÉPONSE DU CANADA À L’ÉTAT ISLAMIQUE EN IRAQ ET AU LEVANT (EIIL) Rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international Le président Dean Allison MARS 2015 41 e LÉGISLATURE, DEUXIÈME SESSION

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RÉPONSE DU CANADA À L’ÉTAT ISLAMIQUEEN IRAQ ET AU LEVANT (EIIL)Rapport du Comité permanent des affairesétrangères et du développement international

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  • RPONSE DU CANADA LTAT ISLAMIQUE EN IRAQ ET AU LEVANT (EIIL)

    Rapport du Comit permanent des affaires trangres et du dveloppement international

    Le prsident Dean Allison

    MARS 2015

    41e LGISLATURE, DEUXIME SESSION

  • Publi en conformit de lautorit du Prsident de la Chambre des communes PERMISSION DU PRSIDENT Il est permis de reproduire les dlibrations de la Chambre et de ses comits, en tout ou en partie, sur nimporte quel support, pourvu que la reproduction soit exacte et quelle ne soit pas prsente comme version officielle. Il nest toutefois pas permis de reproduire, de distribuer ou dutiliser les dlibrations des fins commerciales visant la ralisation d'un profit financier. Toute reproduction ou utilisation non permise ou non formellement autorise peut tre considre comme une violation du droit dauteur aux termes de la Loi sur le droit dauteur. Une autorisation formelle peut tre obtenue sur prsentation dune demande crite au Bureau du Prsident de la Chambre. La reproduction conforme la prsente permission ne constitue pas une publication sous lautorit de la Chambre. Le privilge absolu qui sapplique aux dlibrations de la Chambre ne stend pas aux reproductions permises. Lorsquune reproduction comprend des mmoires prsents un comit de la Chambre, il peut tre ncessaire dobtenir de leurs auteurs lautorisation de les reproduire, conformment la Loi sur le droit dauteur. La prsente permission ne porte pas atteinte aux privilges, pouvoirs, immunits et droits de la Chambre et de ses comits. Il est entendu que cette permission ne touche pas linterdiction de contester ou de mettre en cause les dlibrations de la Chambre devant les tribunaux ou autrement. La Chambre conserve le droit et le privilge de dclarer lutilisateur coupable doutrage au Parlement lorsque la reproduction ou lutilisation nest pas conforme la prsente permission. Aussi disponible sur le site Web du Parlement du Canada ladresse suivante : http://www.parl.gc.ca

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  • RPONSE DU CANADA LTAT ISLAMIQUE EN IRAQ ET AU LEVANT (EIIL)

    Rapport du Comit permanent des affaires trangres et du dveloppement international

    Le prsident Dean Allison

    MARS 2015

    41e LGISLATURE, DEUXIME SESSION

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    COMIT PERMANENT DES AFFAIRES TRANGRES ET DU DVELOPPEMENT INTERNATIONAL

    PRSIDENT

    Dean Allison

    VICE-PRSIDENTS

    Paul Dewar

    Marc Garneau

    MEMBRES

    Lois Brown Romeo Saganash

    Peter Goldring Gary Ralph Schellenberger

    Laurie Hawn Bernard Trottier

    Hlne Laverdire

    AUTRES DPUTS AYANT PARTICIP

    David Anderson Nina Grewal

    GREFFIRE DU COMIT

    Joann Garbig

    BIBLIOTHQUE DU PARLEMENT

    Service dinformation et de recherche parlementaires

    Allison Goody

    Brian Hermon

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    LE COMIT PERMANENT DES AFFAIRES TRANGRES ET DU DVELOPPEMENT

    INTERNATIONAL

    a lhonneur de prsenter son

    HUITIME RAPPORT

    Conformment au mandat que lui confre larticle 108(2) du Rglement, le Comit a tudi la raction du Canada face la violence, aux perscutions religieuses et aux bouleversements perptrs en Iraq, en Syrie et dans la rgion par ltat islamique en Iraq et au Levant (EIIL) et a convenu de faire rapport de ce qui suit :

  • vii

    TABLE DES MATIRES

    RPONSE DU CANADA LTAT ISLAMIQUE EN IRAQ ET AU LEVANT (EIIL) ....... 1

    TUDE DU COMIT ................................................................................................... 1

    A. Introduction ......................................................................................................... 1

    B. Aperu ................................................................................................................ 1

    ESSOR DE LEIIL ........................................................................................................ 3

    A. Origines .............................................................................................................. 3

    B. Expansion de lEIIL en Syrie et en Iraq ............................................................... 4

    C. Contexte rgional ............................................................................................... 7

    IDOLOGIE DE LEIIL ............................................................................................... 11

    CONSQUENCES DE LESSOR DE LEIIL .............................................................. 15

    A. Les pratiques barbares de lEIIL ....................................................................... 15

    B. Une crise humanitaire ....................................................................................... 18

    C. Destruction de la diversit ................................................................................ 22

    RPONSE LESSOR DE LEIIL ............................................................................. 23

    A. Rponse internationale ..................................................................................... 23

    B. Rle du Canada ................................................................................................ 26

    C. Besoin de freiner lavance de lEIIL ................................................................ 29

    CONTEXTE STRATGIQUE ET VOIE SUIVRE .................................................... 31

    LUTTE CONTRE LE TERRORISME ......................................................................... 34

    A. Sources de financement de lEIIL ..................................................................... 34

    B. Recrutement ..................................................................................................... 36

    C. Discours anti-radicalisation ............................................................................... 38

    RENFORCEMENT DE LIRAQ .................................................................................. 40

    A. Lhritage de mfiance et dexclusion ............................................................... 41

    B. Rforme du secteur de la scurit .................................................................... 42

    C. Rforme de la gouvernance ............................................................................. 45

    D. Reconstruction et rconciliation ........................................................................ 46

    RPONDRE AU CONFLIT EN SYRIE ...................................................................... 48

    A. Crise humanitaire prolonge ............................................................................. 49

    B. Solution politique .............................................................................................. 50

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    CONTRER LEXTRMISME AU MOYEN-ORIENT ................................................... 52

    A. Gouvernance .................................................................................................... 52

    B. Libert de religion ............................................................................................. 54

    CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS ............................................................... 56

    ANNEXE A : LISTE DES TMOINS .............................................................................. 61

    ANNEXE B : LISTE DES MMOIRES .......................................................................... 65

    DEMANDE DE RPONSE DU GOUVERNEMENT ...................................................... 67

    RAPPORT SUPPLMENTAIRE DU NOUVEAU PARTI DMOCRATIQUE DU CANADA ................................................................................................................. 69

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    RPONSE DU CANADA LTAT ISLAMIQUE EN IRAQ ET AU LEVANT (EIIL)

    TUDE DU COMIT

    A. Introduction

    Le Comit permanent des affaires trangres et du dveloppement international de la Chambre des communes ( le Comit ) a tudi la violence, les perscutions et les bouleversements perptrs en Iraq, en Syrie et dans la rgion par ltat islamique en Iraq et au Levant (EIIL)1, de mme que la rponse du gouvernement du Canada2. Le Comit a entendu divers tmoins, dont les ministres des Affaires trangres et de la Dfense nationale du Canada, des reprsentants ministriels, des universitaires, des reprsentants de groupes de rflexion et dorganisations de secours humanitaire, de mme que des dirigeants dorganisations religieuses et communautaires. La dernire runion o le Comit a reu des tmoins sest tenue le 17 fvrier 2015.

    B. Aperu

    Ltude du Comit a permis de mettre en lumire tout le malheur caus par lEIIL, une organisation terroriste dont les actions et les mthodes sont contraires aux droits de la personne, la dignit humaine et au droit international. Lidologie qui sous-tend lEIIL est un affront aux principes les plus lmentaires de libert individuelle et de tolrance. Le groupe constitue une menace existentielle pour tous ceux qui se trouvent sur son territoire daction.

    Lhon. John Baird, qui tait alors ministre des Affaires trangres3, a dcrit brivement lEIIL lors de sa comparution devant le Comit en janvier 2015. Il a alors dit que le groupe prsente tous les attributs dun culte, voire dun culte de la mort . En effet, comme la exprim le ministre, ceux qui nadhrent pas sa vision de lislam, sa vision du monde sont des ennemis4 . LEIIL a tu des gens pour la seule raison quils faisaient partie dun certain groupe ou quils taient dune certaine confession. Dautres ont t forcs de fuir sans rien pouvoir emporter. Si on le laisse faire, lEIIL risque de dtruire la diversit ethnique et religieuse de la Syrie et de lIraq. De plus, lEIIL menace la stabilit de la rgion, car il attire lui les combattants extrmistes et cherche faire des adhrents ailleurs quen Syrie et en Iraq, tout en se moquant des frontires et de la souverainet de

    1 Les tmoins qui ont comparu devant le Comit ont utilis diffrentes appellations pour dsigner ltat

    islamique en Iraq et au Levant (lEIIL) : ltat islamique en Iraq et en Syrie/ ltat islamique en Iraq et al-Sham (EIIS), Daech ou tat islamique (EI). Par souci duniformit, lacronyme EIIL sera utilis dans le prsent rapport, sauf lorsque les propos dun tmoin sont rapports directement.

    2 Chambre des communes, Comit permanent des affaires trangres et du dveloppement international (FAAE), Procs-verbal, 2

    e session, 41

    e lgislature, 4 novembre 2014.

    3 Lhonorable John Baird a dmissionn de son poste de ministre des Affaires trangres du Canada au dbut de fvrier 2015 et de celui de dput en mars 2015. Dans le prsent rapport, M. Baird sera appel le ministre Baird .

    4 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 29 janvier 2015.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6762682&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6846230&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

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    ces deux pays. En bref, ltude du Comit a confirm que lEIIL est une organisation malveillante qui doit tre vaincue.

    Des tmoins ont parl des mesures que la coalition internationale oppose lEIIL dont fait partie le Canada prend pour attnuer les souffrances provoques par lEIIL, pour freiner lavance du groupe et affaiblir ses capacits, et pour prparer les forces de scurit locales regagner le territoire captur par lEIIL. Les efforts se sont aussi concentrs sur la perturbation des sources de recrutement et de financement de lEIIL et sur la mise en lumire de la vraie nature du groupe.

    Vaincre lEIIL sur le terrain en Syrie et en Iraq savre une tche complexe. Pour quil soit possible de lcarter des centres de population et dliminer la base de soutien quil peut y trouver, il faudra faire des progrs lgard denjeux sociaux plus larges. En fin de compte, une victoire dfinitive sur lEIIL exigera une rforme de la gouvernance et du secteur de la scurit en Iraq, de mme que la formation et le dploiement de forces de scurit iraquiennes efficaces, responsables et capables de reprendre et de conserver des territoires dans toutes les rgions de lIraq, soit les rgions sunnites, chiites et kurdes. Mis part le besoin de dfaire lEIIL sur le terrain en Syrie, il faudra aussi rsoudre politiquement le conflit dans ce pays, qui entre dans sa cinquime anne. Pour tre durable, la solution devra apparatre lgitime tous les Syriens et tenir compte des facteurs qui ont contribu lexplosion de la violence et la poursuite des combats depuis 2011. En Syrie aussi bien quen Iraq, il faut mettre en place une gouvernance inclusive afin dassurer la stabilit et la cohsion nationales et de mettre fin aux conflits et aux troubles civils, lesquels pourraient tre propices, ventuellement, un retour en force de lEIIL ou la formation dautres groupes extrmistes sa place.

    Les tmoignages fournis au Comit ont permis den savoir plus long sur les diffrents aspects du dfi que prsente lEIIL, et sur ce quil faut faire pour venir bout du groupe. Les tmoins ont aussi parl, plus particulirement, de la situation politique et de la scurit en Iraq et en Syrie, ainsi que de lextrmisme violent en gnral. Le prsent rapport traite surtout des conclusions principales de ltude du Comit sur lEIIL; il vise aussi recommander des manires dorienter la politique trangre du Canada sur le sujet.

    Le rapport commence par un rsum des circonstances qui ont men lessor de lEIIL en Syrie et en Iraq et des consquences que le groupe a fait subir aux habitants de ces deux pays. Il est ensuite question de la rponse lEIIL sous les angles international et canadien, puis du contexte stratgique dans lequel nous devons envisager la menace que fait peser lEIIL; cette section explique ce quil faut faire pour pouvoir vaincre ce groupe, et pourquoi il faut le faire. Les dernires sections du rapport portent sur les mesures prendre cet gard, qui se divisent en deux volets : dune part, la lutte contre le terrorisme, et dautre part, le traitement du contexte politique et social en Iraq et en Syrie, les deux pays o lEIIL est actuellement prsent. Aprs quelques observations finales sur le besoin dappuyer de bonnes pratiques de gouvernance et la libert religieuse dans lensemble du Moyen-Orient, on trouvera les recommandations du Comit.

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    ESSOR DE LEIIL

    A. Origines

    LEIIL est parfois appel ltat islamique en Iraq et en Syrie, ltat islamique en Iraq et al-Sham, ltat islamique (EI) ou Daech. Il sagit dun groupe djihadiste sunnite aux ambitions expansionnistes, considr lchelle mondiale5, y compris par le Canada6, comme une organisation terroriste. De sa base actuelle en Syrie et en Iraq, lEIIL vise tablir, puis tendre, un califat fond sur une idologie radicale et linterprtation littrale du droit de la charia. Ce califat remplacerait les gouvernements nationaux en place aujourdhui.

    LEIIL na pas pris naissance soudainement en 2014, anne o il a occup une place centrale dans les mdias. Les incarnations prcdentes du groupe y compris ses fondateurs et des membres de premier plan se sont manifestes en Jordanie et en Afghanistan, puis en Iraq, ds 1999. De 2004 2006 environ, le groupe sappelait Al-Qada en Iraq (AQI) et tait dirig par Abou Moussab al-Zarqaoui. Pendant les annes les plus violentes de linsurrection en Iraq, aprs linvasion du pays par les tats-Unis, en 2003, AQI a commis de nombreux attentats contre des membres du personnel gouvernemental et international et des civils iraquiens; le groupe a, notamment perptr des attentats suicides dvastateurs qui, dans de nombreux cas, ciblaient la communaut chiite dIraq. En juin 2006, al-Zarqaoui a t tu par larme amricaine7.

    Le groupe est nanmoins demeur actif et a pris le nom, plus tard en 2006, dtat islamique dIraq (EII). Cependant, il a essuy de lourdes pertes durant le Sahwa (le Rveil sunnite), qui a concid avec larrive dun plus grand nombre de militaires amricains en Iraq en 2007. Le Rveil concerne la priode o des conseils tribaux dArabes sunnites ont t crs lchelle locale; ces conseils ont souvent apport leur collaboration aux forces amricaines dans la lutte contre la violence perptre par lEII, prenant mme les armes contre ce dernier8. Ces milices ont pu ainsi limiter linfluence et lespace de manuvre de lEII dans lOuest de lIraq, o le groupe tait solidement tabli.

    LEII a toutefois pu se regrouper lorsque larme amricaine a commenc rduire sa prsence, puis quelle sest retire compltement en dcembre 2011. Cette mme anne, le groupe, men dornavant par Abou Bakr al-Baghdadi, a commenc tendre son territoire dinfluence la Syrie, sautoproclamant par le fait mme tat islamique en Iraq et al-Sham en avril 2013. En fvrier 2014, il a t annonc que, aprs des mois de

    5 Conseil de scurit des Nations Unies, S/RES/2170 (2014), adopte par le Conseil de scurit le

    15 aot 2014.

    6 Scurit publique Canada, Entits inscrites actuellement.

    7 Charles Lister, Profiling the Islamic State, Brookings Doha Center, novembre 2014, pp. 78.

    8 Ibid., p. 9.

    http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2170%20%282014%29http://www.publicsafety.gc.ca/cnt/ntnl-scrt/cntr-trrrsm/lstd-ntts/crrnt-lstd-ntts-fra.aspx#2005http://www.brookings.edu/research/reports2/2014/12/profiling-islamic-state-lister

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    diffrends, lEIIL stait spar du noyau central dAl-Qada et de son groupe affili en Syrie, Jabhat al-Nosra (aussi appel le Front al-Nosra9).

    B. Expansion de lEIIL en Syrie et en Iraq

    la fin de 2014, lEIIL contrlait et menaait une partie apprciable de la Syrie et de lIraq. Pour comprendre comment cette organisation, qui tait au dpart un groupe terroriste insurg misant sur les attentats cibls, a pu conqurir de vastes territoires o il a impos son idologie et son pouvoir, il faut se rappeler la situation qui existait la mme poque dans les deux pays. En Syrie, lEIIL a pu se regrouper et a pris de lexpansion dans un contexte de conflit arm prolong. En Iraq, il a profit de la dtrioration de la situation politique et de laggravation de la violence sectaire, qui affligeaient de nombreuses rgions du pays.

    Lessor de lEIIL en Syrie a t favoris, dune part, par le fait que la guerre civile y avait cr des zones non gouvernes et des vides de pouvoir et, dautre part, par la radicalisation croissante des forces de plus en plus domines par les groupes islamistes et extrmistes opposes au rgime du prsident Bachar el-Assad. Le soulvement civil contre le rgime Assad, qui a dbut en 2011, a dgnr peu peu pour devenir, en 2013-2014, un conflit sectaire de plus en plus destructeur, o aucun compromis nest possible. ce sujet, le ministre Baird a fait remarquer au Comit que ltat islamique est le rsultat direct de la guerre du prsident Assad contre son propre peuple. Il a cr les conditions propices ltablissement de ce groupe et il porte une grande partie du blme10.

    En mars 2014, lEIIL avait essuy quelques revers en Syrie, et il avait t refoul de certaines rgions du Nord par diffrents groupes de lopposition. Il avait cependant pu renforcer sa base doprations situe dans le gouvernorat de Raqqa, dans lEst du pays. En avril 2014, il a tendu sa sphre dinfluence au gouvernorat de Deir ez-Zour, situ prs de celui de Raqqa et limitrophe de lIraq11.

    En mme temps, LEIIL a galement renouvel sa prsence en Iraq, et plus particulirement dans le gouvernorat dAnbar, situ dans lOuest du pays. Le groupe terroriste a alors tir parti dun contexte de relations de plus en plus tendues entre les communauts sunnites et le gouvernement central de Bagdad, domin par les chiites et dirig par le premier ministre de lpoque, Nouri al-Maliki. La violence sectaire na pas cess de sintensifier tout au long de 2013 en Iraq, et le gouvernement a ragi aux

    9 Ibid., p. 1213. Comme lindique lquipe de lONU charge de surveiller lapplication des sanctions

    imposes Al-Qada ainsi quaux personnes et aux entits qui y sont lies, les tensions entre Al-Qada/Jabhat al-Nosra et lEIIL portaient essentiellement sur la question du commandement et sur les objectifs stratgiques qui devraient tre prioritaires (local, rgional ou international), plutt que sur des divisions idologiques fondamentales . Voir le rapport de lquipe dappui analytique et de surveillance des sanctions cre par la rsolution 1526 (2004) de lONU, relatif la menace que reprsentent ltat islamique en Iraq et au Levant et le Front al-Nosra pour le peuple du Levant, prsent conformment au par. 22 de la rsolution 2170 (2014). Conseil de scurit des Nations Unies, S/2014/815, 14 novembre 2014, par. 11.

    10 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 9 septembre 2014.

    11 Lister, Profiling the Islamic State, 2014, pp. 1314.

    http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/2014/815&referer=http://www.un.org/sc/committees/1267/monitoringteam.shtml&Lang=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6690807&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.brookings.edu/research/reports2/2014/12/profiling-islamic-state-lister

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    manifestations et aux dsordres croissants observs dans les rgions sunnites du pays en imposant des mesures de scurit trs svres. Par ailleurs, en 2012-2014, lEIIL a men des campagnes qui visaient deux objectifs bien prcis. Dabord, il a attaqu des prisons dIraq afin de librer les membres du groupe qui y taient dtenus, et ainsi de grossir ses rangs. Ensuite, il a cherch intimider et affaiblir les forces de scurit locales, en usant, notamment dassassinats cibls12.

    Au dbut de janvier 2014, lEIIL faisait flotter son drapeau noir Falloujah, ville de lOuest de lIraq. Ce symbole illustrait bien la menace que le groupe fait peser sur la stabilit et lintgrit territoriale du pays. Sur la scne internationale, les vnements en Iraq ont toutefois t clipss, dune certaine faon, par laggravation du conflit en Syrie. Lchec des pourparlers de paix tant attendus de Genve II , en fvrier 2014, de mme que la fragmentation des forces de lopposition et la poursuite des bombardements aveugles, par le rgime Assad, des secteurs occups par lopposition, ont cr limpression que le conflit tait inextricable.

    Lattention du monde sest de nouveau porte sur lIraq lorsque lEIIL, dcid ne plus se cantonner sa base de lEst de la Syrie et sa prsence dans lOuest de lIraq, a dferl sur le Nord de lIraq en juin 2014, prenant ainsi le contrle dun territoire comprenant la deuxime ville du pays, Mossoul. LEIIL a aussi pris la ville de Tikrit13, mettant la main sur du matriel militaire et des actifs financiers en cours de route. Matre ds lors dun vaste territoire chevauchant la Syrie et lIraq, lEIIL sest autoproclam califat le 29 juin 2014, al-Baghdadi devenant par le fait mme calife . Le groupe dclarait alors que, dornavant, il sappellerait l tat islamique14 .

    LEIIL est ensuite pass loffensive dans le Nord de lIraq; le territoire administr par le Gouvernement rgional du Kurdistan (GRK) se trouvait ainsi menac. Une bonne part des minorits religieuses et ethniques de lIraq sont tablies, en fait, dans le Nord du pays. Lorsque lEIIL a balay la rgion, au dbut daot 2014, beaucoup dont des yzidis, des chrtiens et des shabaks ont t tus, et des milliers nont eu dautre choix que fuir. Dans un rapport concernant la situation sur le plan politique et en matire de scurit en Iraq, prsent au Conseil de scurit des Nations Unies (ONU) par le Secrtaire gnral, il est indiqu que ces minorits ont fui par crainte de gnocide15 .

    En raction la menace de plus en plus pressante que lEIIL reprsente pour Erbil, capitale du GRK, et pour les populations minoritaires de lIraq, les tats-Unis ont commenc, le 8 aot 2014, effectuer des frappes ariennes cibles sur le groupe

    12 Ibid., p. 1112.

    13 Ministre des Affaires trangres, du Commerce et du Dveloppement (MAECD), Le Canada condamne les attaques et les enlvements violents en Iraq , Communiqu, 11 juin 2014.

    14 Lister, Profiling the Islamic State, 2014, p. 4.

    15 Premier rapport du Secrtaire gnral prsent en application du paragraphe 6 de la rsolution 2169 (2014), Conseil de scurit des Nations Unies, S/2014/774, 31 octobre 2014, par. 19.

    http://www.international.gc.ca/media/aff/news-communiques/2014/06/11b.aspx?lang=frahttp://www.international.gc.ca/media/aff/news-communiques/2014/06/11b.aspx?lang=frahttp://www.brookings.edu/research/reports2/2014/12/profiling-islamic-state-listerhttp://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/2014/774http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/2014/774

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    terroriste. De laide humanitaire vitale a aussi t parachute sur les monts Sinjar16 lintention des yzidis, encercls cet endroit par les forces de lEIIL, qui sont dtermines liminer les membres de ce groupe minoritaire, quil voit comme des infidles ou des blasphmateurs.

    la suite de lavance rapide de lEIIL, qui a atteint les quartiers priphriques de la capitale iraquienne de Bagdad, lattention internationale sest tourne de plus en plus vers la dynamique politique en Iraq17. Tout au long de lt 2014, lunit nationale du pays et la capacit de ltat dorganiser la dfense de lIraq contre les incursions de lEIIL ont suscit questions et proccupations. Le premier ministre, Nouri al-Maliki, tait alors devenu la cible de critiques soutenues : on laccusait davoir aliment les tensions sectaires et les divisions rgionales dans le pays, en marginalisant, par exemple la minorit sunnite, peu reprsente dans les institutions politiques et les forces de scurit. Le ministre Baird a indiqu au Comit, ce sujet, que les tribus et les chefs sunnites dIraq taient de plus en plus dus par le gouvernement excessivement discriminatoire de Bagdad . LEIIL en a profit et a combl ce vide18 .

    Sous la gouverne de Nouri al-Maliki, lautoritarisme avait tendance saccentuer, et le pouvoir, se personnaliser19. Qui plus est, le gouvernement avait laiss la corruption et le sectarisme sincruster dans les forces de scurit de lIraq, entachant ainsi leur professionnalisme et leur efficacit oprationnelle. Jamais le phnomne na-t-il t aussi manifeste que lors de la droute apparente de larme devant lavance de lEIIL sur Mossoul, une attaque pourtant mene par un contingent assez modeste. Larme na alors pas seulement perdu la ville; elle a abandonn du matriel militaire et des armes que lEIIL a rcuprs et utiliss plus tard au cours de ses offensives dans dautres rgions du pays.

    Le premier ministre Nouri al-Maliki a dmissionn le 14 aot 2014. Un nouveau gouvernement dunit nationale, dirig par Hader al-Abadi, un chiite, et des vice-premiers ministres sunnite et kurde, a t asserment le 8 septembre 2014. Les deux derniers postes du Cabinet, ceux de ministre de la Dfense et de ministre de lIntrieur, ont t approuvs le 18 octobre 201420.

    16 Des appareils amricains, britanniques et italiens ont parachut de laide aux civils pris au pige sur les

    monts Sinjar. En outre, la mission suivante, qui visait librer la ville iraquienne dAmerli, assige par lEIIL, et apporter de laide humanitaire durgence sa population, a t mene par les forces militaires des tats-Unis, du Royaume-Uni, de lAustralie et de la France. Voir dpartement dtat amricain, Building International Support to Counter ISIL, note aux mdias, bureau du porte-parole, Washington, 19 septembre 2014.

    17 MAECD, Le ministre Baird proccup par larrt du processus parlementaire en Iraq , Communiqu, 7 juillet 2014; et MAECD, Le Canada salue la nomination du premier ministre dsign de lIraq , Communiqu, 15 aot 2014.

    18 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 9 septembre 2014.

    19 Toby Dodge et Becca Wasser, The Crisis of the Iraqi State , dans Middle Eastern Security, the US Pivot and the Rise of ISIS, Adelphi Series, 54:447448, 2014, pp. 2231.

    20 Premier rapport du Secrtaire gnral prsent en application du paragraphe 6 de la rsolution 2169 (2014), Conseil de scurit des Nations Unies, S/2014/774, 31 octobre 2014, par. 10.

    http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2014/09/231886.htmhttp://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2014/09/231886.htmhttp://www.international.gc.ca/media/aff/news-communiques/2014/07/07b.aspx?lang=frahttp://www.international.gc.ca/media/aff/news-communiques/2014/08/15a.aspx?lang=frahttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6690807&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/2014/774http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/2014/774

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    Le 10 septembre 2014, le prsident amricain Barack Obama a annonc la stratgie de son gouvernement, qui visait amoindrir et ventuellement dtruire21 lEIIL, une organisation que la Central Intelligence Agency des tats-Unis estimait alors compter de 20 000 31 500 combattants22. Le prsident a indiqu que les frappes ariennes iraient au-del de la protection de ses propres troupes et missions humanitaires afin datteindre les cibles de lEIIL tandis que les forces iraquiennes passeraient loffensive23. En mme temps, ladministration amricaine saffairait former une large coalition internationale destine liminer la menace pose par lEIIL.

    C. Contexte rgional

    Lmergence de lEIIL et, plus gnralement, la question de lextrmisme islamiste doivent tre envisages non seulement dans les contextes iraquien et syrien, mais aussi sous langle rgional. En effet, dans de nombreux pays du Moyen-Orient et de lAfrique du Nord, la situation politique stagne depuis des annes; ce problme sajoute celui du marasme conomique dans certains cas. Au cours des dernires dcennies, mis part quelques exceptions, les peuples de la rgion ont vcu dans des variantes de deux modles de gouvernance extrmes : lautoritarisme et lislamisme politique. Paralllement ce phnomne, les rivalits et la concurrence stratgique entre les puissances rgionales ont aggrav les fractures religieuses et encourag les replis identitaires sur des bases confessionnelles.

    Lors de sa comparution devant le Comit, Ellen Laipson, prsidente-directrice gnrale du Stimson Center, a mentionn un certain nombre de points de rfrence historiques qui, selon elle, sont utiles quand il sagit de mettre en contexte la monte de lEIIL. Notons, par exemple la rvolution de 1979 en Iran, qui a men la fondation de la Rpublique islamique dIran, et lassassinat du prsident gyptien Anouar el-Sadate, en 1981. Mme Laipson a fait remarquer que cet assassinat montrait bien que ceux qui taient considrs, lpoque, comme tant des musulmans pacifiques et qui sappelaient des Frres musulmans, avaient t contests et supplants par une forme politique dislam beaucoup plus violente et extrmiste en gypte, qui tait, aprs tout, le bastion de la pense arabe et islamique24 . Mis part ces vnements prcis, elle a fait valoir que, de manire plus gnrale, deux projets ont chou : celui du monde occidental visant btir un monde arabe qui avait des institutions de type occidental, et celui du monde arabe visant laborer une idologie moderniste, positive et constructive pour leurs citoyens25 .

    Geneive Abdo, membre du Stimson Center, a observ que lEIIL sinspirait en partie dun principe djihadiste expos dans un livre crit par les dirigeants dAl-Qada en Iraq et intitul The Management of Savagery. Ce principe veut que le dprissement des tats multiplie les occasions pour les djihadistes . Mme Abdo a dit au Comit que, pour

    21 Maison-Blanche, Statement by the President on ISIL, 10 septembre 2014.

    22 Ken Dilanian, CIA: Islamic State group has up to 31,500 fighters , The Associated Press, 11 septembre 2014.

    23 Maison-Blanche, Statement by the President on ISIL, 10 septembre 2014.

    24 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 5 fvrier 2015.

    25 Ibid.

    http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/09/10/statement-president-isil-1http://bigstory.ap.org/article/cia-islamic-state-group-has-31500-fightershttp://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/09/10/statement-president-isil-1http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=7828857&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 8

    lEIIL, cette situation le dprissement des tats est une possibilit, car en plus de la chute de ltat nation, la majorit des habitants de certains pays arabes nont plus le moindre sentiment dappartenance envers la citoyennet26 . Selon elle, lun des attraits de lEIIL, soit la proclamation du califat, de mme que la capacit du groupe dattirer lui des gens, trouvent une explication dans le sentiment de dfaite et de perte quon observe dans les socits arabes. Mme Abdo a soulign cet gard que bien des musulmans comparent leur position dans le monde ce quelle tait il y a des sicles. Ils ont limpression davoir t vaincus non pas par lOccident, mais bien par leurs propres dirigeants27 .

    Lenvie de changements politiques et conomiques, manifeste dans de nombreux pays arabes, a culmin dans ce quon a appel le Printemps arabe , un mouvement que plusieurs tmoins ont mentionn. Le Printemps arabe a commenc par un acte de dsobissance civile lauto immolation dun vendeur de fruits tunisien, en dcembre 2010 et a donn lieu des manifestations populaires denvergure dans plusieurs pays de la rgion en 2011. Le Printemps arabe a entran la chute des rgimes Ben Ali, Kadhafi et Moubarak, au pouvoir depuis longtemps en Tunisie, en Libye et en gypte, respectivement, et il a t le dclencheur des troubles qui durent toujours en Syrie et au Ymen.

    Mme Laipson a rappel que, dans les premiers temps, un vent doptimisme avait souffl sur le Printemps arabe. Devant le Comit, elle a fait ressortir le contraste entre ce sentiment despoir et latmosphre qui rgne actuellement dans la rgion :

    Quand le Printemps arabe a commenc la fin de 2010 et en 2011, il y a eu une vague despoir quau moins certaines personnes dans le monde arabe taient maintenant prtes tenter de nouveau de moderniser, de libraliser et de dmocratiser les systmes politiques arabes.

    Ce qui ma frapp lors de mes dplacements rcents dans la rgion, cest la vitesse laquelle la dception sest installe, mme chez ceux qui ont appuy les changements en Tunisie, par exemple, avec la venue phmre au pouvoir dun parti islamiste modr, ou le rgne dun an des Frres musulmans en gypte. La dception qui a suivi a provoqu une radicalisation trs rapide de certains jeunes arabes. Il est pour le moins troublant de penser que ceux que le groupe terroriste tat islamique en Iraq et au Levant, ou EIIL, a russi recruter avaient des vises politiques trs diffrentes il y a quelques annes seulement

    28.

    Mme Laipson a nanmoins prcis quil serait difficile de comprendre qui sont les groupes vulnrables au recrutement de ce mouvement radical29 .

    Dans le tmoignage quil a prsent au Comit, le pre Elias Mallon, agent des affaires extrieures la Catholic Near East Welfare Association (tats-Unis), a soutenu que le terme employ pour dsigner les vnements qui se sont produits au Moyen-Orient 26 Ibid.

    27 Ibid.

    28 Ibid.

    29 Ibid.

  • 9

    et en Afrique du Nord pendant cette priode le Printemps arabe tait en soi annonciateur de quelque chose, voire prmonitoire. En effet, au Moyen-Orient, a-t-il expliqu, le printemps nest pas une saison charge doptimisme, comme en Amrique du Nord; cest une priode o la pluie sarrte, o la temprature devient extrmement chaude et o la nature meurt30 . Aux yeux du pre Mallon, le Printemps arabe a abouti une situation foncirement instable avec des pays artificiels, des divisions artificielles et presque pas de sentiment dunit nationale . Dans ce contexte politique rgional des annes de guerre et dinstabilit en Iraq, la dstabilisation de la Syrie , toutes sortes dopportunistes qui avaient plus ou moins toujours t l, ont pu venir combler le vide31 .

    Sami Aoun, professeur titulaire lUniversit de Sherbrooke, a soulign lchec du Printemps arabe comme ambition la modernit, comme ambition la dmocratie librale32 . Il a rappel le besoin de comprendre que lEIIL, malgr ses horreurs et sa barbarie, est hritier des frustrations rgionales et locales, que ce soit en Syrie ou en Iraq33 . cet gard, M. Aoun a indiqu au Comit quil y a, dans la rgion, quelque chose de plus menaant et de plus destructeur que la violence sectaire qui agite prsentement la Syrie et lIraq :

    En Iraq, en Syrie et ailleurs au Moyen-Orient, il y a une guerre de procuration entre les deux grandes puissances de la rgion, soit lArabie saoudite, reprsentative de pouvoirs arabo-sunnites plutt intgristes et plutt antidmocratiques qui ont jou un rle contre-rvolutionnaire lors du Printemps arabe, et lIran qui appuie et travaille au renforcement des communauts chiites et a lambition impriale de dominer cet espace, ce voisinage arabo-musulman

    34.

    Dautres tmoins ont galement attir lattention sur la lutte pour le pouvoir rgional que se livrent lIran et lArabie saoudite, et qui semble influencer de nombreuses variables politiques et de scurit dans la rgion, tout en exacerbant les tensions religieuses.

    propos du contexte dans lequel se rvlent les rivalits rgionales, Payam Akhavan, professeur la facult de droit de lUniversit McGill et au Collge Kellogg de lUniversit dOxford, a laiss entendre que, dans le cas de lIraq, le vide laiss par le dpart de Saddam a t combl par une violence sectaire, les deux parties saffrontant par milices extrmistes interposes le long du foss idologique qui divise les chiites et les sunnites35 . En ce qui concerne la Syrie, M. Akhavan a fait remarquer que le rgime Assad, appuy par la clbre milice shabiha alaouite , suivait une politique dincitation dlibre la violence sectaire en tant que stratgie de survie36 . Il a rappel galement que le rgime Assad profitait du soutien de lIran et du Hezbollah libanais, tandis que la Turquie et lArabie saoudite soutenaient les rebelles islamiques . Selon

    30 FAAE, Tmoignages, 2

    e session, 41

    e lgislature, 20 novembre 2014.

    31 Ibid.

    32 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 3 fvrier 2015.

    33 Ibid.

    34 Ibid.

    35 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 27 novembre 2014.

    36 Ibid.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6783684&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=7822312&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6799228&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 10

    M. Akhavan, on raconte mme que Damas a favoris lessor rapide de ltat islamique en librant des prisonniers et en prenant dautres mesures37 . Dcrivant ltat de la situation la fin de novembre 2014, il a fait valoir que le bombardement de cibles de lEIIL en Syrie avait compliqu les choses, car il a valu aux extrmistes une hausse de leur capital de sympathie et de nouvelles recrues, venant mme parfois des rangs de lArme syrienne libre, auparavant principal mouvement des rebelles et rivale de ltat islamique38 .

    Il existe donc une toile de fond rgionale complexe, o sentrecroisent relations et intrts. M. Akhavan a rsum la situation ainsi : [A]ffirmer que la politique forge dtranges alliances serait un euphmisme. Une dialectique de lextrmisme est en jeu39 . Il a galement prdit que linstrumentalisation cynique et courte vue de lidentit religieuse, par des rgimes qui ont adopt des idologies fondes sur la haine et la discrimination, continuera dchirer la rgion et fournir un terreau fertile la violence sectaire40 .

    Un autre tmoin, Andrew Tabler, agrg suprieur au Washington Institute for Near East Policy, a aussi parl de linfluence et du rle grandissants de lIran dans la rgion, une tendance qui a souvent pour consquence d irriter les lites Arabes sunnites et les pays majorit sunnite. Il a indiqu, ce sujet :

    [D]ans le contexte des soulvements, lIran sest impliqu militairement dans ces milieux grce des milices et la force Al-Qods dans le but de soutenir des rgimes qui, souvent, ont peu de lgitimit, mais ont une lgitimit juridique aux yeux de la communaut internationale.

    Je crois que de manire gnrale, cest ce qui cause tout cela et a entran les soulvements et la raction extrme de ltat islamique qui reprsente, en partie du moins, la raction de la socit sunnite cet empitement sur les territoires arabes

    41.

    Daprs M. Akhavan, un plus grand rapprochement doit tre fait entre lIran et lArabie saoudite pour trouver une solution durable ce problme rgional42 .

    Lors de sa comparution, Mme Laipson a soulign que la rivalit noppose pas simplement les branches sunnite et chiite de lislam; il y aussi une lutte au sein mme de lislam sunnite :

    Nous sommes actuellement tmoins dune volont de tuer dautres musulmans au sein de lEIIL. Il ne sagit pas demble dune guerre entre la civilisation musulmane et lOccident,

    37 Ibid.

    38 Ibid.

    39 Ibid.

    40 Ibid.

    41 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 4 dcembre 2014.

    42 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 27 novembre 2014.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6818398&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6799228&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 11

    mais dabord et avant tout de conflits au sein de la civilisation musulmane, de sunnites qui sont profondment en dsaccord quant au genre de gouvernance quils dsirent

    43.

    Mme Laipson a dit croire que, mme sil reprsente une infime minorit des populations arabes , lEIIL est capable, grce son agressivit, de contraindre des segments bien plus importants de la population sunnite44 . Mme Laipson estime par ailleurs que les acteurs extrieurs, placs devant ces vastes et longs conflits au sein de socits et de communauts , peuvent contribuer attnuer la violence et rassurer un peu ceux dont lidologie est plus modre . Mais elle ne pense pas que nous puissions nous seuls renverser la vapeur de ce qui pourrait tre un conflit intergnrationnel au sein de la civilisation musulmane arabe45 .

    De son ct, M. Aoun a dcrit la situation rgionale comme une guerre intermusulmane, qui est plusieurs niveaux46 . Tout en convenant de la prsence de clivages entre chiites et sunnites, de mme quentre lIran et lArabie saoudite, il a insist sur les rivalits entre les tats de certains pays majoritairement sunnites. Il voit deux camps : dun ct, la Turquie et le Qatar qui soutiennent les Frres musulmans et lislamisme politique , et de lautre, lArabie saoudite et lgypte qui, selon M. Aoun, appuient plutt un autre salafisme politique47 . tant donn la nature de cet affrontement, qui semble mettre en prsence des pays et des socits de lensemble du Moyen-Orient, il sest dit davis que la diplomatie canadienne avait ncessairement une capacit de rponse limite48. Salim Mansur, professeur agrg au dpartement des sciences politiques de lUniversit Western Ontario, a abond dans le mme sens en exprimant lide fondamentale suivante lors de son tmoignage : [I]l nous est impossible de changer le cours de cette guerre quon se livre au sein du monde arabo-musulman. Cest eux quil revient de tirer ces choses-l au clair49 .

    IDOLOGIE DE LEIIL

    Les actes horribles perptrs et encourags activement par lEIIL exposs en dtail dans les sections suivantes trouvent leur explication dans lidologie violente et intransigeante du groupe. Parmi les tmoins qui ont comparu devant le Comit, quelques-uns ont donn leur point de vue sur cette idologie et la vision du monde qui en dcoule, lesquelles transparaissent dans les actions de lEIIL.

    43 FAAE, Tmoignages, 2

    e session, 41

    e lgislature, 5 fvrier 2015.

    44 Ibid.

    45 Ibid.

    46 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 3 fvrier 2015.

    47 Ibid. Un rapport de la Quilliam Foundation, une organisation britannique, dfinit le salafisme comme un

    mouvement puritain sunnite de renouveau religieux, selon qui les musulmans devraient laisser tomber les dcrets thologiques traditionnels et tirer de nouveaux principes religieux directement des sources. Voir Erin Marie Saltman et Charlie Winter, Islamic State: The Changing Face of Modern Jihadism, Quilliam, novembre 2014, p. 6.

    48 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 3 fvrier 2015.

    49 Ibid.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=7828857&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=7822312&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.quilliamfoundation.org/wp/wp-content/uploads/publications/free/islamic-state-the-changing-face-of-modern-jihadism.pdfhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=7822312&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 12

    Mark Gwozdecky, directeur gnral, Moyen-Orient et Maghreb, ministre des Affaires trangres, du Commerce et du Dveloppement (MAECD), a dit au Comit que lEIIL sorganise, se mobilise et progresse sur la base de ladhsion une idologie tordue qui vise liminer des prtendus non-croyants, dsigns comme tous les gens qui refusent de se convertir une forme pervertie de lislam50 . une runion antrieure sur la mme question, Andrew Bennett, ambassadeur, Bureau de la libert de religion, MAECD, avait indiqu : Nous assistons avec lEIIL une vulgaire mascarade, un dtournement sinspirant dune certaine comprhension de lislam qui na rien voir avec cette religion51 .

    Diffrents tmoins ont affirm que, pour bien comprendre lEIIL et la menace quil reprsente, il fallait reconnatre ses objectifs premiers. M. Gwozdecky, par exemple a dit que lEIIL veut,

    crer un tat islamique transnational unique fond sur la charia. Ils veulent recrer le califat qui existait il y a plus de 1 000 ans et qui englobait tous les pays du Moyen-Orient, de lEspagne au sous-continent. Cest lobjectif quils ont nonc

    52.

    Amen sexprimer sur les divers mouvements terroristes islamistes qui ont merg dans plusieurs rgions de la plante au cours des dernires dcennies, Thomas Farr, directeur du Religious Freedom Project lUniversit Georgetown, a dit quils sont motivs par la croyance selon laquelle Dieu les appelle la brutalit et la violence lgard des ennemis de lislam . Il a ajout que, dans le cas particulier de lEIIL, lobjectif consiste conqurir et contrler un territoire afin de mener bien cette mission divine53 .

    Pour ce qui est des objectifs long terme de lEIIL des objectifs troublants, empreints de fanatisme , des tmoins ont soutenu que, mme si les propos tenus par les dirigeants du groupe taient parfois exprims de faon trange, nous aurions tort de les minimiser ou de ne pas en faire de cas. En effet, ils traduisent les vritables convictions de ses membres. Jonathan Dahoah Halevi, du Centre des affaires publiques et de ltat de Jrusalem, a affirm ce sujet :

    Ltat islamique ne laisse aucun doute planer quant son idologie sunnite islamique extrmiste et sa dtermination de mener le djihad sans merci afin de rpandre lislam et la parole dAllah, dabord au Moyen-Orient et ensuite en Europe et en Amrique du Nord

    54.

    M. Halevi a soulign que lidologie de lEIIL nest pas une fantaisie farfelue et bnigne. Il sagit dun vritable plan daction. Selon lui, lEIIL se voit comme un mouvement

    50 FAAE, Tmoignages, 2

    e session, 41

    e lgislature, 27 janvier 2015.

    51 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 9 septembre 2014.

    52 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 27 janvier 2015.

    53 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 9 dcembre 2014.

    54 Ibid.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6840831&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6690807&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6840831&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6827923&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 13

    entirement vou la ralisation de la prophtie de Mahomet afin de prparer la voie pour larrive du messie musulman55 .

    propos du rle de la religion dans la conduite de lEIIL, Mme Abdo a indiqu :

    [C]ertains, surtout au sein des gouvernements, milieux universitaires et mdias occidentaux, hsitent quelque peu envisager srieusement que la religion fasse partie de lattrait et des stratgies de recrutement du groupe. Je pense que cest une erreur.

    Je pense galement que les autorits musulmanes du Moyen-Orient ont tendance dire que le problme na rien voir avec lislam, et quil ne sagit pas vritablement de lislam. Malheureusement, nous en sommes l 30 annes aprs lapparition de groupes islamiques dterminants, comme Al-Qada, qui est n en gypte. Nous sommes obligs de nous rappeler que cest li lislam, car cest la religion en laquelle ces gens croient. Il y a bel et bien un lien avec la religion

    56.

    Sexprimant ensuite sur la rupture entre lEIIL et Al-Qada, deux organisations terroristes djihadistes, Mme Abdo a expliqu que la comptition ne porte pas que sur le pouvoir . En effet, elle repose aussi sur linterprtation de lislam . Dailleurs, selon Mme Abdo, lorsque al-Baghdadi a fond lEIIL, il y a eu une querelle vive entre les dirigeants du groupe et ceux dAl-Qada en raison de leurs divergences profondes57 . Elle a rappel que les convictions profondes de lEIIL apparaissent dans leur traitement des gens sur le terrain; les membres du groupe ne croient mme pas que les chiites sont de vrais musulmans . Elle estime que le dbat porte donc sur linterprtation de lislam, et cest une faon de marginaliser dautres musulmans qui ne font pas partie du groupe, et mme de les tuer58 .

    En rponse une question sur ce mme sujet, M. Farr a convenu quil tait important de sattacher aux dimensions religieuses de lidologie de lEIIL afin de

    55 Ibid. Dans un article paru rcemment dans la revue The Atlantic, Graeme Wood dcrit lEIIL comme une

    organisation dont la vision du monde et les convictions sont profondment millnaristes. Il fait valoir que les observateurs extrieurs commettent au moins deux erreurs dinterprtation sur la nature du groupe. Dabord, ils ont tendance voir le djihadisme comme un bloc monolithique, et appliquer la logique dAl-Qada un groupe qui la clips de manire dcisive. Contrairement Al-Qada, qui est une nbuleuse compose dun rseau diffus de cellules autonomes oprant ici et l sur la plante, lEIIL a besoin dun territoire pour garder sa lgitimit, et dune structure descendante pour le gouverner. La deuxime erreur dinterprtation releve par Graeme Wood consiste, selon les mots de lauteur, en une campagne bien intentionne, mais quand mme trompeuse, qui vise nier la nature religieuse moyengeuse de lEIIL. M. Wood fait remarquer que le comportement de lEIIL semble en bonne partie dpourvu de sens, moins quon lenvisage selon le point de vue dun adhrent sincre qui a accept, aprs avoir bien rflchi, lide dun retour de la civilisation une conception juridique du 7

    e sicle et

    de la ncessit de dclencher lapocalypse. Voir Graeme Wood, What ISIS Really Wants , The Atlantic, mars 2015.

    56 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 5 fvrier 2015.

    57 Ibid. Lors de la mme runion, Daveed Gartenstein-Ross, agrg suprieur la Foundation for Defense of

    Democracies, a parl de lpoque o AQI, lorganisation qui a prcd lEIIL en Iraq, tait dirige par Abou Moussab al-Zarqaoui. Il y avait alors un dbat entre les dirigeants dAQI et ceux dAl-Qada sur des questions stratgiques . M. Gartenstein-Ross a dit au Comit que l approche extraordinairement brutale [dAQI] a non seulement retourn les gens contre eux, mais les a aussi pousss se venger de faon aussi effroyable quAl-Qada .

    58 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 5 fvrier 2015.

    http://www.theatlantic.com/features/archive/2015/02/what-isis-really-wants/384980/http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=7828857&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=7828857&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

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    pouvoir comprendre le dfi que prsente le groupe et les motivations qui animent ses membres :

    coutez-les. Lisez le rcit de leurs actions. Ils naffirment pas quils hassent tout le monde et quils frappent aveuglment le reste du monde, pour essayer de se tailler une petite place au soleil. Ils essaient de fonder un califat et de lutiliser pour propager cette version extrmiste radicale de lislam.

    Faute de le comprendre et de vouloir en discuter sans vouloir offenser limmense majorit des musulmans qui ne pensent pas comme a , nous ne pourrons pas vaincre cet ennemi

    59.

    Dautres tmoins ont soulign que lincapacit de reconnatre et de comprendre la vraie nature de lEIIL nuit au travail qui consiste dterminer les politiques ncessaires pour vaincre le groupe. Comme la exprim Ayad Aldin, ancien reprsentant du Parlement iraquien, devant le Comit : Tant que nous ne confronterons pas lidologie terroriste, nous ne russirons pas arrter la vague de terrorisme qui sabat sur notre monde60 .

    propos de cette idologie, M. Mansur a indiqu ce qui suit :

    LEIIL est aliment par lidologie de lislamisme. LOccident doit sassurer de bien comprendre le sens et les objectifs de cette idologie, comme nous lavons fait lorsque nous avons t confronts au communisme sovitique. Cest essentiel si nous voulons mettre de lavant une stratgie cohrente, plutt que de simples palliatifs, pour contrer lexpansion de lEIIL et les idaux quelle reprsente. Lislamisme est lidologie du djihad arm qui fait la guerre en utilisant tous les moyens disponibles pour faire appliquer la charia dans les pays majorit musulmane et obtenir quelle sapplique aux immigrants musulmans dans les dmocraties occidentales

    61.

    M. Mansur a galement exprim lide que lidologie islamiste de lEIIL peut difficilement tre diffrencie de lidologie wahhabite et salafiste de llite au pouvoir en Arabie saoudite62 . Tarek Fatah, fondateur du Muslim Canadian Congress, a parl de la doctrine de base de lArabie saoudite, le wahhabisme :

    Celle-ci se fonde sur une ide trs simple, selon laquelle la vie sur terre est un passage fugace et la vraie vie commence en fait aprs la mort. Les wahhabites affirment quon devrait voir le monde comme une salle dattente daroport, o lon attend de prendre le vol vers notre destination finale quest le paradis mais seulement aprs un scnario de fin du monde qui narrivera pas avant que le monde entier ne soit dirig par un califat islamique unique et que mme les pierres et les arbres se joignent aux musulmans afin dliminer tous les non-musulmans de la terre, particulirement les juifs

    63.

    59 FAAE, Tmoignages, 2

    e session, 41

    e lgislature, 9 dcembre 2014.

    60 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 3 fvrier 2015.

    61 Ibid.

    62 Ibid.

    63 Ibid.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6827923&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=7822312&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 15

    Selon les mots de M. Fatah, [s]i lon ne comprend pas lennemi, la guerre ne peut que crer des pertes et des dommages dans les rangs de lennemi, et renforcer sa lgitimit au sein de ses adeptes64 .

    CONSQUENCES DE LESSOR DE LEIIL

    A. Les pratiques barbares de lEIIL

    LEIIL met en pratique son idologie extrmiste violente partout o il se trouve. Il viole les droits de la personne de manire brutale, dlibre et systmatique. LEIIL tue des civils et excute des militaires, des journalistes, des travailleurs humanitaires et dautres personnes quil garde prisonniers. Il procde, notamment des dcapitations, une pratique barbare que le groupe filme pour une diffusion publique. Comme le ministre Baird la dit au Comit, lEIIL enregistre ses crimes pour terroriser encore plus ceux quils cherchent assujettir. Leur brutalit, ils la montrent, ils la filment, ils la propagent sur Twitter et ils tirent fiert de la raction quelle provoque65 . Au dbut de fvrier 2015, une vido qui aurait t diffuse par lEIIL montre lexcution horrible dun pilote jordanien qui avait t captur et que le groupe a brl vif dans une cage.

    Dans le tmoignage quil a offert au Comit, Sotirios Athanassoulas, archevque mtropolitain, Mtropole orthodoxe grecque de Toronto, a cit un rapport de novembre 2014 produit par la Commission internationale indpendante charge denquter sur les vnements en Syrie et intitul Rule of Terror: Living under ISIS in Syria66. Il a notamment attir lattention sur les conclusions du rapport, selon lesquelles lEIIL a excut des femmes, de mme que des hommes, pour avoir eu des contacts non approuvs avec un membre du sexe oppos, et utilise en priorit les enfants comme moyen dassurer la loyaut long terme et le respect de son idologie et comme groupe de combattants dvous qui considrent la violence comme un mode de vie67.

    Outre le rapport sur la situation des droits de la personne en Syrie, notons le travail de la Mission dassistance des Nations Unies en Iraq et du Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de lhomme, qui a coproduit trois rapports sur la protection des civils dans le cadre du conflit arm en Iraq. Les rapports portent sur la priode allant du dbut de juin au dbut de dcembre 201468. Ces documents dressent un portrait

    64 Ibid.

    65 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 9 septembre 2014.

    66 Rule of Terror: Living under ISIS in Syria, rapport de la Commission internationale indpendante charge

    denquter sur les vnements en Syrie, Nations Unies, 14 novembre 2014. La Commission a t tablie par le Conseil des droits de lhomme des Nations Unies le 22 aot 2011. Son mandat consiste faire enqute sur toutes les prsumes violations du droit international des droits de la personne commises depuis mars 2011 en Syrie.

    67 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 27 novembre 2014.

    68 Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de lhomme et Bureau des droits de lhomme de la Mission dassistance des Nations Unies pour lIraq (MANUI), Report on the Protection of Civilians in the Non International Armed Conflict in Iraq: 5 June5 July 2014, 18 aot 2014; Report on the Protection of Civilians in Armed Conflict in Iraq: 6 July10 September 2014, 26 septembre 2014; et, Report on the Protection of Civilians in Armed Conflict in Iraq: 11 September10 December 2014, 23 fvrier 2015.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6690807&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/CoISyria/HRC_CRP_ISIS_14Nov2014.pdfhttp://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/IICISyria/Pages/IndependentInternationalCommission.aspxhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6799228&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.ohchr.org/Documents/Countries/IQ/UNAMI_OHCHR_POC%20Report_FINAL_18July2014A.pdfhttp://www.ohchr.org/Documents/Countries/IQ/UNAMI_OHCHR_POC%20Report_FINAL_18July2014A.pdfhttp://www.ohchr.org/Documents/Countries/IQ/UNAMI_OHCHR_POC_Report_FINAL_6July_10September2014.pdfhttp://www.ohchr.org/Documents/Countries/IQ/UNAMI_OHCHR_POC_Report_FINAL_6July_10September2014.pdfhttp://www.uniraq.org/images/humanrights/HRO_PoCReport%2011Sept-10Dec_FINAL_ENG_16Feb2015.pdfhttp://www.uniraq.org/images/humanrights/HRO_PoCReport%2011Sept-10Dec_FINAL_ENG_16Feb2015.pdf

  • 16

    troublant des actions mises au compte de lEIIL en Syrie et en Iraq69, tout en illustrant le climat gnral de violence et dimpunit qui imprgne les deux pays70. Les minorits religieuses et ethniques sont victimes dassimilation et de conversions forces, dimpts discriminatoires et dexpulsions. Des femmes et des filles subissent de la violence sexuelle, sont vendues comme butin de guerre au march et sont dtenues dans des conditions dignes de lesclavage sexuel. Des enfants ont t torturs et tus, ou forcs dassister des excutions ou den commettre eux-mmes. LEIIL cible expressment des professionnels, des journalistes, des dirigeants communautaires et des dfenseurs des droits de la personne, qui risquent dtre enlevs ou assassins. Des lieux de culte et des monuments historiques sont attaqus et dtruits. Dans les rgions domines par lEIIL, les droits et les liberts les plus fondamentaux, comme la libert dexpression, de runion et dassociation sont svrement restreints et bafous.

    Bon nombre de ces questions ont t abordes devant le Comit; le tableau que les tmoins ont bross de lEIIL en est un de barbarie et de cruaut. Comme le ministre Baird la exprim au sujet des crimes perptrs dans les rgions contrles par le groupe, o des centaines de gens la fois font lobjet dexcution sommaire : Pour certains, ce doit tre lenfer71 .

    Bessma Momani, professeure agrge la Balsillie School of International Affairs de lUniversit de Waterloo, a inform le Comit que lEIIL cible non seulement les minorits, mais aussi tous ceux qui sopposent son rgime, y compris des musulmans sunnites72 . Elle a fait valoir que, dans lexpos des faits dnonant lEIIL, il fallait prendre soin de rappeler que le groupe cible tous ceux qui rcusent sa vision trs draconienne et perverse de lislam73 .

    Sintressant au contexte gnral de la rgion, et plus prcisment la situation en Iraq, plusieurs tmoins ont indiqu que les minorits, en particulier, avaient fait lobjet des menaces de lEIIL. Le rvrend Majed El Shafie, fondateur et prsident de One Free World International, sest rendu en Iraq en septembre 2014. En novembre 2014, il a affirm au Comit que son organisation a assist ce que nous croyons tre le dbut dun gnocide . Il a signal que des membres des minorits chrtiennes et yzidies dIraq sont assassins, massacrs et crucifis. On traque leur famille, et on leur donne trs peu doptions : essentiellement, se convertir ou mourir74 .

    69 Dans le troisime rapport des Nations Unies sur lIraq, les deux organisations de lONU qui lont produit font

    remarquer que bon nombre des violations et des abus perptrs par lEIIL peuvent constituer des crimes de guerre, des crimes contre lhumanit, voire des crimes de gnocide. Voir Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de lhomme et Bureau des droits de lhomme de la MANUI, Report on the Protection of Civilians in Armed Conflict in Iraq: 11 September 10 December 2014, p. ii.

    70 Les trois rapports de lONU sur la protection des civils dans le cadre du conflit arm en Iraq exposent galement les violations commises par le personnel des forces de scurit iraquiennes et des forces affilies.

    71 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 29 janvier 2015.

    72 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 20 novembre 2014.

    73 Ibid.

    74 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 27 novembre 2014.

    http://www.uniraq.org/images/humanrights/HRO_PoCReport%2011Sept-10Dec_FINAL_ENG_16Feb2015.pdfhttp://www.uniraq.org/images/humanrights/HRO_PoCReport%2011Sept-10Dec_FINAL_ENG_16Feb2015.pdfhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6846230&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6783684&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6799228&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 17

    Le Comit a reu des renseignements prcis sur le triste sort rserv aux Yzidis dIraq, un petit groupe minoritaire qui pratique une religion ancienne. Vian Saeed, membre du Parlement iraquien et elle-mme yzidie, a parl avec beaucoup dmotion de la situation tragique dans laquelle son peuple a sombr lorsque lEIIL a envahi la rgion des monts Sinjar, dans le Nord de lIraq la terre du peuple yzidi au dbut daot 2014 : Des milliers de yzidis ont t tus, par lEIIL directement, ou, indirectement, par lexil forc, durant leur fuite ou en raison des conditions extrmement difficiles dans les monts Sinjar75. Dans le seul village de Kocho, 700 personnes ont t enleves, surtout des femmes et des enfants gs de 12 ans et moins, tandis que le reste des hommes, environ 1 200, ont t assassins de sang-froid. La ville a t annihile76 .

    Mme Saeed a parl du sort profondment inquitant rserv aux plus de 5 000 femmes, enfants et hommes yzidis enlevs par lEIIL. Au moment de sa comparution, au dbut de dcembre 2014, personne na pu les aider, les trouver ni les ramener chez eux . Elle a ajout que les femmes et les filles yzidies qui ont t enleves par lEIIL pour ensuite tre vendues comme esclaves ont t traites avec une cruaut inimaginable77 . Omar Haider, de Yezidi Human Rights Organization-International, a offert un tmoignage personnel de ces crimes. Il a dit que, lorsque les membres de lEIIL ont captur sa famille, ils ont pris tous les hommes mes trois oncles, mon frre et tous les autres et ont spar les filles, puis les ont vendues en Syrie. Ils ont pris trois de mes surs et les ont vendues en Syrie en tant quesclaves78 .

    une autre runion, M. Gwozdecky, MAECD, a signal quon avait fait tat dun grand nombre dagressions sexuelles, et il est de plus en plus vident que cela fait partie dune campagne dlibre de perscutions contre des groupes religieux minoritaires79 . Au cours de son tmoignage, et aprs avoir fait connatre le prix des femmes et des filles qui ont t vendues comme esclaves par lEIIL, M. Akhavan a estim quon avait raison dappeler lEIIL le "califat du barbarisme", ou simplement un culte de la mort80 .

    Mme Saeed a galement mis en lumire la dstabilisation du peuple yzidi, qui a t forc dabandonner ses communauts du Nord de lIraq et qui se retrouve maintenant sans foyer,

    Cette petite, mais ancienne et fire communaut religieuse, culturelle et historique risque de disparatre compltement. Prs de 90 % des yzidis dIraq soit 400 000 personnes

    75 FAAE, Tmoignages, 2

    e session, 41

    e lgislature, 2 dcembre 2014.

    76 Ibid. Le rvrend Niaz Toma a dit au Comit que, apparemment les combattants de lEIIL avait bel et bien

    reu des instructions sur la manire de traiter diffrentes minorits. Selon le raisonnement de lEIIL, les chrtiens sont dcrits dans le Coran comme les gens du Livre , mais les yzidis sont des blasphmateurs; ils ne croient pas en Dieu . Ainsi, lEIIL pouvait chasser les chrtiens de leur village et confisquer toutes leurs possessions; dans le cas des yzidis, il avait plutt comme instructions de les torturer, de les tuer sauvagement . Voir FAAE, Tmoignages, 2

    e session, 41

    e lgislature,

    27 novembre 2014.

    77 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 2 dcembre 2014.

    78 Ibid.

    79 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 27 janvier 2015.

    80 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 27 novembre 2014.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6810944&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6799228&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6810944&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6840831&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6799228&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 18

    sont maintenant des rfugis dans toute la rgion du Kurdistan. Ils ont quitt leur foyer, en aot, avec absolument rien aucun document, aucun vtement chaud ni article de literie , en plein durant la priode froide. Sans abri, des enfants et des familles entires dorment dans la rue ou sous des tentes de fortune qui ne sont pas appropries

    81.

    Mme Saeed a soulign que tous les gens qui ont t obligs de partir sont partis soudainement, en quelques heures. On leur a dit quils devaient partir ou quils allaient tre tus, et ils nont donc pas pu apporter de vtements, dargent ni rien pour les protger contre les intempries82 .

    Le Comit a aussi t inform des preuves infliges aux chrtiens de lIraq. Rabea Allos a dcrit la situation quon pouvait observer aprs que lEIIL ait pris Mossoul et les villages voisins de la plaine de Ninive, o vit la majorit des chrtiens du pays : En quelques jours, un bassin chrtien qui existait depuis le premier sicle dans cette rgion a disparu. Sauf une poigne dentre eux, tous les chrtiens se sont enfuis pour protger leur vie et leur foi83 . Emmanuel Joseph Mar-Emmanuel, vque du diocse, Diocse du Canada, Apostolic Catholic Assyrian Church of the East, a confirm que lEIIL avait provoqu lexode de milliers de chrtiens qui ont le choix : [o]u bien se convertir lislam, payer la jizya, la taxe coranique perue auprs des non-musulmans, partir, ou se faire dcapiter . Il a expliqu au Comit que, durant cet exode, environ 150 000 chrtiens et dautres gens issus des minorits religieuses ont quitt la ville peu de temps aprs quelle a t prise par lEIIL et se sont rfugis dans la rgion autonome du Kurdistan, essentiellement dans les provinces dErbil et de Dohouk84 .

    Le rvrend Niaz Toma, reprsentant de lglise catholique chaldenne au Canada, a fait remarquer que, mme si tous les groupes minoritaires de lIraq taient victimes de lEIIL, certains souffrent plus que dautres; cest le cas des minorits paisibles, comme les chrtiens, les mandens et les yzidis, qui ne comptent ni sur un systme tribal, ni sur une milice et ne bnficient pas non plus de lappui de partis politiques puissants et efficaces85 . Pour sa part, Carl Htu, directeur national de lAssociation catholique daide lOrient (Canada), a indiqu que les chrtiens de lIraq nont pas, comme les autres, des armes et des tribus, etc.86 .

    B. Une crise humanitaire

    Les actes de violence commis par lEIIL en 2014 ont entran une grave crise humanitaire en Iraq. La situation a t rendue encore plus difficile par la crise humanitaire de grande ampleur qui frappait dj la Syrie et la rgion environnante, une question qui sera aborde dans une section du rapport consacre expressment au conflit en Syrie.

    81 FAAE, Tmoignages, 2

    e session, 41

    e lgislature, 2 dcembre 2014.

    82 Ibid.

    83 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 4 dcembre 2014.

    84 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 9 dcembre 2014.

    85 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 27 novembre 2014.

    86 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 20 novembre 2014.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6810944&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6818398&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6827923&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6799228&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6783684&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 19

    Pour ce qui est de lIraq, Leslie Norton, directrice gnrale, Assistance humanitaire internationale, MAECD, a signal au Comit que le nombre de personnes ayant besoin daide est estim 5,2 millions. De ce nombre, 1,5 million sont considres comme vivant dans des rgions difficiles daccs87. Le Comit a aussi appris que les dplacements massifs de populations caractrisaient la crise humanitaire dans ce pays. Emmanuel Gignac, coordonnateur, Iraq du Nord, Haut-Commissariat des Nations Unies pour les rfugis, a prcis quil y avait eu trois grandes vagues de dplacements en 2014 :

    La premire sest droule de janvier juin et a touch principalement le centre de lIraq. Environ un demi-million de personnes ont t dplaces. La deuxime vague a suivi la chute de Mossoul et a caus le dplacement de 550 000 personnes de plus. La troisime vague a t la plus importante. Elle est survenue pendant loffensive Sinjar et les plaines de Ninive et a ajout 830 000 personnes au nombre des personnes dplaces

    88.

    M. Gignac a dit au Comit que quelque 2,2 millions de personnes, en tout, avaient t dplaces en Iraq. Il a ajout que prs de la moiti dentre elles se trouve dans la rgion du Kurdistan, qui compte quelque 5 millions dhabitants89 .

    Le Comit a galement appris que laccs aux populations dans le besoin posait un problme particulier pour les organisations de secours humanitaire en Iraq. En effet, laccs est trs restreint dans les zones domines par lEIIL. Par exemple, Jane Pearce, directrice de pays, Iraq, Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM), a expliqu que laccs est facile pour son organisation dans la zone kurde, et assez bon partir de Bagdad dans le Sud. Mais, a-t-elle ajout, la rgion qui pose le plus grand problme pour nous tous, et en particulier pour le Programme alimentaire mondial des Nations Unies, cest la zone qui couvre le gouvernorat entre Bagdad et la rgion kurde, car elle est contrle par lEIIL et dautres groupes arms dopposition90 . Plus tt, au cours de la mme runion, Mme Pearce avait indiqu :

    Les affrontements continus, les siges et le dplacement imprvisible de la ligne de front ont souvent empch le PAM de porter secours aux populations de lOuest, du centre et du Nord de lIraq. En mai [2014], la distribution de nourriture dans le gouvernorat dAnbar tait devenue trop dangereuse en raison des combats. Avec la coopration de notre partenaire local, nous avons finalement pu y retourner en octobre 2014

    91.

    Martin Fischer, directeur des politiques Vision mondiale Canada, a fait savoir que son organisation tait aussi incapable daccder aux populations qui se trouvent derrire les lignes de front, pour ainsi dire, juste lextrieur du Kurdistan92 .

    Tel quil est mentionn plus haut, la crise humanitaire iraquienne est aggrave par le conflit dans le pays voisin de la Syrie et par les vagues de dplacements qui en ont

    87 FAAE, Tmoignages, 2

    e session, 41

    e lgislature, 27 janvier 2015.

    88 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 17 fvrier 2015.

    89 Ibid.

    90 Ibid.

    91 Ibid.

    92 Ibid.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6840831&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=7836808&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 20

    dcoul. Selon M. Gignac, de 220 000 230 000 rfugis syriens se trouvent en Iraq, dont une majorit au Kurdistan93. On compte neuf camps de rfugis en Iraq, qui sont tous au Kurdistan sauf un dans le gouvernorat dAnbar, dans une zone contrle par lEIIL. propos des rfugis du camp dAnbar, M. Gignac a dit que son organisation est toujours en mesure de leur offrir de laide, mais de faon trs ponctuelle et pas trs fiable94 .

    Le Comit a appris que la majorit des rfugis et des dplacs en Iraq vivaient lextrieur des camps proprement dits, et que beaucoup habitaient dans des installations temporaires. Ces gens ont d trouver refuge ciel ouvert, dans des immeubles en construction, des btiments publics ou des coles, ou encore dans une communaut prte les accueillir. Il est alors plus difficile de retrouver ces gens et de leur fournir des services. M. Gignac a fait remarquer que les rfugis et les personnes dplaces qui habitent en dehors des camps utilisent, entre autres, les services de sant, les services ducatifs et sanitaires et llectricit , exerant ainsi une pression norme sur les services publics au Kurdistan95.

    Bart Witteveen, directeur des Affaires humanitaires et des urgences Vision mondiale Canada, a dcrit la vie difficile des personnes dplaces qui habitent dans des camps informels :

    Certaines louent des maisons plusieurs familles se retrouvent souvent sous un mme toit et des appartements en mauvais tat un prix trs lev, tandis que nombreuses sont celles qui vivent dans des camps informels forms de structures improvises dans des coles ou des immeubles abandonns. Nombre dentre elles ne sont pas bien protges contre les lments la chaleur en t et le froid, la neige et lhumidit en hiver et ont un accs limit, voire inexistant, leau potable et aux installations sanitaires. En consquence, bien des enfants attrapent des maladies hydriques comme la diarrhe, et lexposition au froid a eu des consquences funestes pour les bbs et les petits enfants

    96.

    M. Fischer, autre reprsentant de Vision mondiale, a soulign que, mme dans les villes, les organisations humanitaires avaient du mal localiser et enregistrer les personnes dplaces, de mme qu leur fournir des services97.

    Les tmoins ont indiqu au Comit que, en gnral, les besoins en aide humanitaire restent considrables en Iraq. Mme Pearce, par exemple a observ que, en raison de la crise, 2,8 millions de personnes taient touches par linscurit alimentaire, y compris les personnes dplaces dans le pays, les communauts qui les accueillent et dautres groupes vulnrables. ce sujet, elle a fait remarquer quune grande partie de la production iraquienne de bl provient du Nord de lIraq, une rgion actuellement instable, et [que] presque toutes les ressources en eau du pays traversent des zones sous le

    93 Ibid.

    94 Ibid.

    95 Ibid.

    96 Ibid.

    97 Ibid.

  • 21

    contrle de lEIIL et de groupes arms affilis, ce qui met en pril la scurit alimentaire de nombreux Iraquiens98 . En outre, Mme Pearce a dit que le conflit avait dsorganis le systme de distribution publique des rations alimentaires dans certaines rgions du pays; les consquences se sont fait sentir sur plus de 4 millions de personnes qui nont pas t dplaces mais dont plus de 50 % de lapport nergtique dpend du systme de distribution.

    Parmi les nombreux besoins en aide humanitaire combler en Iraq, notons particulirement les besoins en abris. En date du 17 fvrier 2015, jour de son tmoignage au Comit, M. Gignac a indiqu que lONU avait amnag 25 camps pour personnes dplaces dans lensemble du pays, et que 10 autres taient en construction. Il a cependant prcis que, ct abris, nous narrivons pas rpondre la demande. La dernire valuation a rvl que 450 000 personnes vivent toujours dans des abris inadquats et quil faut mieux les loger99 .

    Laccs des enfants et des jeunes dplacs lducation pose galement problme. ce sujet, M. Htu soulignait, en novembre 2014, que les enfants rfugis qui ont quitt Mossoul, Ninive et Qaraqosh ne vont pas lcole. Il ny a pas du tout dcole pour eux100 . Le rvrend Toma, pour sa part, a fait valoir que l interruption et larrt de lducation des enfants et des jeunes reprsentent une autre importante proccupation, surtout en raison de lincapacit des coles de la rgion du Kurdistan daccueillir le grand nombre dtudiants dplacs101 .

    tant donn les besoins satisfaire sur le terrain, il faut continuer chercher du financement. M. Gignac a dit au Comit que les organisations internationales daide humanitaire avaient ncessit 474 millions de dollars amricains en 2014 pour rpondre aux besoins des rfugis en Iraq. Or, 43 % de cet argent a pu tre recueilli. Pour ce qui est de la situation des personnes dplaces en Iraq, environ 53 % des 340 millions de dollars amricains requis en 2014 avaient t obtenus. Les carts restent importants102 , comme la estim M. Gignac. Mme Pearce a aussi parl des besoins financiers de son organisation, le PAM. Elle a signal que le PAM doit trouver plus de 420 millions de dollars amricains pour ses efforts en Iraq en 2015. Il a dj reu 200 millions de dollars environ. Mme Pearce a prcis cependant que son organisation a des fonds suffisants pour maintenir [ses] programmes daide financire et de bons dachat alimentaires jusquen mai de cette anne seulement103 .

    98 Ibid.

    99 Ibid.

    100 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 20 novembre 2014.

    101 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 27 novembre 2014.

    102 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 17 fvrier 2015.

    103 Ibid.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6783684&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6799228&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=7836808&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 22

    C. Destruction de la diversit

    Les renseignements que le Comit a reus font craindre la disparition de la diversit dans la rgion. Le Moyen-Orient en gnral, et lIraq et la Syrie en particulier, sont depuis des sicles des terres o se mlent religions, ethnies, cultures et traditions. Lvque Mar-Emmanuel a rappel au Comit que les anciens chrtiens dIraq et de Syrie peuvent retracer leur conversion au christianisme jusquaux aptres104 . Le rvrend Toma a soulign, quant lui, que la chrtient est entre en Iraq au premier sicle105 . En effet, la premire glise a t construite en Iraq en lan 80. Dans son tmoignage, M. Htu a aussi mis en lumire ce trait rgional : Il ny a aucun autre endroit au monde o il y a une aussi grande diversit, o vous avez des musulmans chiites, des musulmans sunnites et divers groupes comme les yzidis dont la religion date davant Jsus-Christ. Vous avez un grand nombre de tribus, de clans, de chrtiens de diffrentes cultures et rgions . Pour lui, ce quoi nous assistons prsentement, cest la destruction de cette diversit106 .

    Si la diversit est en pril en Iraq, ce nest pas seulement en raison des crimes perptrs par lEIIL; cest aussi en raison des tensions religieuses et des pressions exerces contre les groupes minoritaires, qui saccentuent depuis plusieurs annes. Mme Abdo en a parl au Comit :

    Avant 2003, la population chrtienne en Iraq slevait 1,5 million de personnes, ce qui reprsentait 5 % de la population. Or, il ne reste plus que 400 000 chrtiens sur place. Il va sans dire que ce nest pas uniquement attribuable lEIIL, mais bien tout ce qui sest pass l-bas depuis lopration. Mais lEIIL et le conflit entre les chiites et les sunnites ciblent bel et bien les chrtiens. Voil donc une des nombreuses raisons pour lesquelles les chrtiens sont maintenant perscuts dans le monde arabe

    107.

    M. Htu a galement not que, mme si la situation avait empir rcemment, la population chrtienne dIraq tait victimise depuis 10 15 ans. Selon les recherches faites par son organisation et des glises de la rgion, cette population est passe de quelque 1 million de personnes, en 2003, environ 200 000, peut-tre 150 000 . M. Htu a exprim la situation dans les mots suivants : Cela veut dire que toute la population chrtienne est vacue dIraq108 .

    Pour sa part, M. Farr a estim que l existence mme des chrtiens et dautres minorits du Moyen-Orient est aujourdhui menace :

    104 FAAE, Tmoignages, 2

    e session, 41

    e lgislature, 9 dcembre 2014.

    105 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 27 novembre 2014.

    106 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 20 novembre 2014.

    107 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 5 fvrier 2015.

    108 FAAE, Tmoignages, 2e session, 41

    e lgislature, 20 novembre 2014.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6827923&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6799228&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6783684&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=7828857&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6783684&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=F

  • 23

    Nous constatons la disparition des chrtiens et du christianisme en Iraq et en Syrie, un gnocide religieux et culturel qui a des consquences humanitaires, morales et stratgiques terribles pour les chrtiens, pour la rgion et pour nous tous

    109.

    Compte tenu de lexplosion de violence et de brutalit qui a balay le Nord de lIraq rcemment, il est craindre quune partie des membres de ces communauts, mfiants lgard du milieu quils regagneront et dsireux de trouver un foyer plus scuritaire et plus tolrant, choisissent de ne pas rentrer chez eux aprs les combats.

    RPONSE LESSOR DE LEIIL

    A. Rponse internationale

    La menace que lEIIL fait peser sur la stabilit au Moyen-Orient, de mme que les atrocits commises par le groupe, ont suscit de vives ractions lchelle internationale. En aot 2014, les tats-Unis ont lanc une action militaire directe contre lEIIL en Iraq et ont commenc former une coalition de pays disposs liminer la menace terroriste prsente par lEIIL110.

    Cette coalition sappuie sur cinq champs daction , tablis au dpart par les tats-Unis loccasion dune runion tenue en marge du sommet de lOrganisation du Trait de lAtlantique Nord (OTAN) qui a eu lieu en septembre 2014. Des reprsentants britanniques, franais, australiens, allemands, canadiens, turcs, italiens, polonais et danois taient galement prsents111. Les champs daction ont t approuvs par les partenaires de la coalition lors dune runion tenue Bruxelles en dcembre 2014112. Les cinq champs daction de la lutte contre lEIIL sont les suivants :

    1. appuyer les oprations militaires, le renforcement des capacits et linstruction;

    2. stopper lafflux de combattants trangers;

    3. priver lEIIL de ses sources de financement;

    4. sattaquer aux crises humanitaires;

    5. dlgitimer lidologie de lEIIL113.

    109 FAAE, Tmoignages, 2

    e session, 41

    e lgislature, 9 dcembre 2014.

    110 Maison-Blanche, Statement by the President on ISIL, 10 septembre 2014.

    111 Dpartement dtat amricain, Building International Support to Counter ISIL, note aux mdias, bureau du

    porte-parole, Washington, 19 septembre 2014.

    112 Dpartement dtat amricain, Special Presidential Envoy for the Global Coalition to Counter ISIL.

    113 Dpartement dtat amricain, Joint Statement Issued by Partners at the Counter-ISIL Coalition Ministerial Meeting, note aux mdias, bureau du porte-parole, Washington, 3 dcembre 2014. Voir aussi MAECD, Le ministre Baird discute de lIraq en marge du Sommet de Bruxelles , Communiqu photo, Bruxelles (Belgique), 3 dcembre 2014.

    http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=6827923&Mode=1&Parl=41&Ses=2&Language=Fhttp://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/09/10/statement-president-isil-1http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2014/09/231886.htmhttp://www.state.gov/s/seci/http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2014/12/234627.htmhttp://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2014/12/234627.htmhttp://www.international.gc.ca/media/aff/photos/2014/12/03b.aspx?lang=fra

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    Selon le dpartement dtat amricain, plus de 60 pays contribuent maintenant, dune manire ou dune autre, la coalition internationale contre lEIIL114. Sur le plan militaire, un certain nombre de pays participent aux frappes ariennes, pour lesquelles ils ont o