RENCONTRES DE L’ABC 2020 « AGROÉCOLOGIE, BIENVEILLANCE …

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AGRONOMIE, ÉCOLOGIE ET INNOVATION. TCS N°107. MARS/AVRIL/MAI 2020 29 A BC RENCONTRES DE L’ABC 2020 « AGROÉCOLOGIE, BIENVEILLANCE ET COMPRÉHENSION » En 2018, la deuxième édition des rencontres de l’agriculture biologique de conservation réunissait 50 personnes. Cette année, 70 personnes se sont inscrites, et toutes les régions étaient représentées. Pour l’équipe organisatrice, c’est l’intelligence collective des paysans qui permettra de tendre plus vite vers « le Graal » d’une agriculture saine et productive dans le respect des sols. La recette des rencontres a permis encore plus cette année de mettre en valeur et de catalyser les compétences natu- relles des agriculteurs : innova- tion, méthode, créativité. Cette recette est unique : un état de l’art avec des intervenants poin- tus en technique et des agricul- teurs pionniers, des ateliers de codéveloppement de solutions entre agriculteurs, animés par des animateurs-facilitateurs, « et de la rigolade, sinon ça ne marche pas », ajoute Quentin Sengers, l’un des organisateurs. Le tout pendant 2 jours dans un lieu fertile et inspirant, la Bergerie nationale de Rambouillet. Jour 1 : état de l’art de l’agriculture bio de conservation La recette de la première jour- née a pour mission d’inspirer et de donner furieusement envie d’apprendre. Dix intervenants en une demi-journée, dont le discours est limité à 15-30 mi- nutes et résumé en slam-poésie par Martine, la facilitatrice en chef : pas le temps de s’assou- pir ; les participants ont le droit à un condensé des plus belles erreurs et réussites de ceux qui souhaitent réunir AB et AC. Pascal Boivin, agronome suisse, pose les bases d’une discussion objective sur la matière orga- nique des sols avec l’exemple de l’application du programme 4 pour 1 000. Les ambitions du programme sont liées aux en- jeux d’atténuation du réchauf- fement climatique en fixant du carbone dans les sols. On peut et on doit aller plus loin sur ces am- bitions puisqu’on observe déjà du 40 pour 1 000 chez certains. L’analyse statistique de tests bêche réalisés avec la méthode Vess, couplée à des analyses de sol, montre qu’une bonne qua- lité structurale correspondrait à un rapport MO/argile autour de 17 % et serait optimale à 24 %. Or, dans le canton de Genève, ce rapport est de 10 %. Il y a donc un déficit de 70 % de matière organique. P. Boivin rappelle que « toutes les proprié- tés intrinsèques de fertilité d’un sol sont proportionnellement liées à son taux de matière organique ». En appliquant le programme 4 pour 1 000 (MO année 2 = MO an- née 1 X 1.004) pendant 30 ans, on gagnerait seulement 13 % de matière organique. Comment y arriver ? « Aujourd’hui on ne sait pas exactement quelle combinaison de facteurs – climat, texture du sol, pratiques – permet de progresser en matière organique, donc de séques- trer du carbone. On décortique plusieurs centaines d’exploitations pour préciser cela. Vaut-il mieux gérer les adventices chimiquement ou mécaniquement ? Quel degré d’humification de la matière orga- nique ? Nos recherches montrent par exemple que l’apport de com- post n’est pas forcément bénéfique pour séquestrer du carbone. » L’agronome rappelle qu’un pay- san peut cocher toutes les cases de l’AC et ne pas stocker assez de carbone, voire en déstocker. « Pourquoi ? Les raisons sont en train d’émerger. » Chaque intervention de 30 min est suivie d’une durée équiva- lente réservée aux échanges avec les participants. C’est la clé pour maintenir une effervescence dans la réflexion. Un agriculteur bio se lance : « La question est comment gérer mes deux impératifs qui sont stocker la matière orga- nique et minéraliser pour apporter la fertilité. En bio, on est obsédé par la minéralisation et on a une énorme trouille des adventices. On gère donc mal nos couverts végétaux. Il faudrait étudier les processus psy- chologiques pour passer ces caps. » « Ce qui anime la vie, c’est un petit courant électrique produit par le soleil » Guillaume Tant, jeune in- génieur agronome du CER France introduit avec cette phrase d’Albert Szent-Györgyi son speech qui va continuer de décompacter les idées reçues. Avec une succession de pho- tos légendées, il rappelle à quel point l’équilibre (et non pas la teneur) des minéraux dans le sol impacte la production de bio- masse. Il remarque par exemple que dans son territoire de travail, la Sarthe, beaucoup de végé- taux sont déficients en bore. Il conseille donc aux agriculteurs de démarrer par une analyse de sols Kinsey-Albrecht « Chaque minéral a son rôle, son intérêt. La question est : est-ce que je les ai tous, sont-ils équilibrés et est- ce que je les assimile correctement dans mon système ? » Quand il explique à un agriculteur féru de semis direct que les 5 éléments piliers à piloter sont Ca, Mg, P, B et S, ce dernier répond « tu sais, ces éléments je n’en ai jamais entendu parler ». Guillaume sait que la fertilité construite depuis de nombreuses années par ce producteur suffit. Dans son cas, pourquoi entrer dans le détail ? L’ingénieur parle de la relation entre le degré Brix des plantes et l’activité du sol : « La pyrale du maïs vient parce qu’il y a un manque de sucres dans la plante, un excès de nitrates et un manque de zinc. Les plantes doivent fabri- quer du sucre en continu pour avoir un système immunitaire puissant. Faire un apport de sucre résout un souci à un moment donné mais ce n’est pas durable. » Il travaille à mettre au point des méthodes inspirées des États-Unis et de l’Australie qui visent à corriger l’équilibre minéral des sols avec un enrobage de graines et des ap- ports foliaires d’oligoéléments et de tisanes, au cas par cas. Créativité des pionniers… et des autres Parmi les agriculteurs « pion- niers » (avec leur humilité ; ce mot les gêne un peu), la sélection Par rapport aux rencontres de 2018, celles de cette année ont été construites pour que les participants repartent avec une autre manière d’appréhender leur problématique pour prendre leur décision.

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AGRONOMIE, ÉCOLOGIE ET INNOVATION. TCS N°107. MARS/AVRIL/MAI 2020 29

■ ABC

RENCONTRES DE L’ABC 2020« AGROÉCOLOGIE, BIENVEILLANCE ET COMPRÉHENSION »En 2018, la deuxième édition des rencontres de l’agriculture biologique de conservation réunissait 50 personnes. Cette année, 70 personnes se sont inscrites, et toutes les régions étaient représentées. Pour l’équipe organisatrice, c’est l’intelligence collective des paysans qui permettra de tendre plus vite vers « le Graal » d’une agriculture saine et productive dans le respect des sols.

■ La recette des rencontres a permis encore plus cette

année de mettre en valeur et de catalyser les compétences natu-relles des agriculteurs : innova-tion, méthode, créativité. Cette recette est unique : un état de l’art avec des intervenants poin-tus en technique et des agricul-teurs pionniers, des ateliers de codéveloppement de solutions entre agriculteurs, animés par des animateurs-facilitateurs, « et de la rigolade, sinon ça ne marche pas », ajoute Quentin Sengers, l’un des organisateurs. Le tout pendant 2 jours dans un lieu fertile et inspirant, la Bergerie nationale de Rambouillet.

Jour 1 : état de l’art de l’agriculture bio de conservationLa recette de la première jour-née a pour mission d’inspirer et de donner furieusement envie d’apprendre. Dix intervenants en une demi-journée, dont le discours est limité à 15-30 mi-nutes et résumé en slam-poésie par Martine, la facilitatrice en chef : pas le temps de s’assou-pir ; les participants ont le droit à un condensé des plus belles erreurs et réussites de ceux qui souhaitent réunir AB et AC. Pascal Boivin, agronome suisse, pose les bases d’une discussion objective sur la matière orga-nique des sols avec l’exemple de l’application du programme 4 pour 1 000. Les ambitions du programme sont liées aux en-jeux d’atténuation du réchauf-fement climatique en fixant du carbone dans les sols. On peut et on doit aller plus loin sur ces am-bitions puisqu’on observe déjà

du 40 pour 1 000 chez certains. L’analyse statistique de tests bêche réalisés avec la méthode Vess, couplée à des analyses de sol, montre qu’une bonne qua-lité structurale correspondrait à un rapport MO/argile autour de 17 % et serait optimale à 24 %. Or, dans le canton de Genève, ce rapport est de 10 %. Il y a donc un déficit de 70 % de matière organique. P. Boivin rappelle que « toutes les proprié-tés intrinsèques de fertilité d’un sol sont proportionnellement liées à son taux de matière organique ». En appliquant le programme 4 pour 1 000 (MO année 2 = MO an-née 1 X 1.004) pendant 30 ans, on gagnerait seulement 13 % de matière organique. Comment y arriver ? « Aujourd’hui on ne sait pas exactement quelle combinaison de facteurs – climat, texture du sol, pratiques – permet de progresser en matière organique, donc de séques-trer du carbone. On décortique plusieurs centaines d’exploitations pour préciser cela. Vaut-il mieux gérer les adventices chimiquement ou mécaniquement ? Quel degré d’humification de la matière orga-nique ? Nos recherches montrent par exemple que l’apport de com-post n’est pas forcément bénéfique pour séquestrer du carbone.  » L’agronome rappelle qu’un pay-san peut cocher toutes les cases de l’AC et ne pas stocker assez de carbone, voire en déstocker. « Pourquoi ? Les raisons sont en train d’émerger. » Chaque intervention de 30 min est suivie d’une durée équiva-lente réservée aux échanges avec les participants. C’est la clé pour maintenir une effervescence dans la réflexion. Un agriculteur

bio se lance : « La question est comment gérer mes deux impératifs qui sont stocker la matière orga-nique et minéraliser pour apporter la fertilité. En bio, on est obsédé par la minéralisation et on a une énorme trouille des adventices. On gère donc mal nos couverts végétaux. Il faudrait étudier les processus psy-chologiques pour passer ces caps. »

« Ce qui anime la vie, c’est un petit courant électrique produit par le soleil »Guillaume Tant, jeune in-génieur agronome du CER France introduit avec cette phrase d’Albert Szent-Györgyi son speech qui va continuer de décompacter les idées reçues. Avec une succession de pho-tos légendées, il rappelle à quel point l’équilibre (et non pas la teneur) des minéraux dans le sol impacte la production de bio-masse. Il remarque par exemple que dans son territoire de travail, la Sarthe, beaucoup de végé-taux sont déficients en bore. Il conseille donc aux agriculteurs de démarrer par une analyse de sols Kinsey-Albrecht « Chaque minéral a son rôle, son intérêt. La question est : est-ce que je les ai tous, sont-ils équilibrés et est-ce que je les assimile correctement

dans mon système ? » Quand il explique à un agriculteur féru de semis direct que les 5 éléments piliers à piloter sont Ca, Mg, P, B et S, ce dernier répond « tu sais, ces éléments je n’en ai jamais entendu parler ». Guillaume sait que la fertilité construite depuis de nombreuses années par ce producteur suffit. Dans son cas, pourquoi entrer dans le détail ? L’ingénieur parle de la relation entre le degré Brix des plantes et l’activité du sol : « La pyrale du maïs vient parce qu’il y a un manque de sucres dans la plante, un excès de nitrates et un manque de zinc. Les plantes doivent fabri-quer du sucre en continu pour avoir un système immunitaire puissant. Faire un apport de sucre résout un souci à un moment donné mais ce n’est pas durable. » Il travaille à mettre au point des méthodes inspirées des États-Unis et de l’Australie qui visent à corriger l’équilibre minéral des sols avec un enrobage de graines et des ap-ports foliaires d’oligoéléments et de tisanes, au cas par cas.

Créativité des pionniers… et des autresParmi les agriculteurs « pion-niers » (avec leur humilité ; ce mot les gêne un peu), la sélection

Par rapport aux rencontres de 2018, celles de cette année ont été construites pour que les participants repartent avec une autre manière

d’appréhender leur problématique pour prendre leur décision.

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30 AGRONOMIE, ÉCOLOGIE ET INNOVATION. TCS N°107. MARS/AVRIL/MAI 2020

■ ABCdes exemples pour cet article a été difficile. Tous sont uniques et extrêmement inspirants : Patrice Le Callonec - Breton passionné par le semis direct de prairies en bio, Félix Noblia - éleveur basque et bio dont le moteur est l’erreur, Alain Peeters - agroé-cologiste belge des pâtures ré-générées, Nicolas Lefebvre - le relay-croppeur de Roumanie, Stéphane Billotte, dont l’exper-tise en préparations naturelles préoccupe, Philippe Nouvel-lon - médaillé d’or du rouleau Faca dans le Tarn, Frédéric Barbot - biodynamiste partisan du mulching de surface en In-dre-et-Loire et David Guy, ex-périmentateur de corridors verts et du machinisme doux dans l’Ouest. « Leur point commun : ils suivent un cahier des charges strict de la bio avec la créativité par défini-tion non stricte de l’AC », résume un participant. « Tout a commencé quand on a fait un essai où la modalité purin d’or-tie était aussi bonne que le meilleur programme fongicide », explique le céréalier S. Billotte, connu pour sa maîtrise des macérations de plantes en grandes cultures1. Il démarre l’AC en 2004 puis, peu à peu, passe aux couverts permanents. « Avec l’observation

des équilibres naturels, je me

pose toujours la question : où est-ce que je suis et où est-ce que je veux aller. J’étais plus proche du bio que du conventionnel, et je voulais va-loriser la production. » Le passage au bio en 2018 et le défi de la gestion des adventices a accéléré l’apprentissage de la compréhen-sion du sol. Le vulpin, plante des sols travaillés, est quand même revenu après des années d’AC. Sur ses sols argilo-calcaires - en manque de calcaire actif - Stéphane a apporté du calcium et le vulpin s’est calmé. « Quand on a mis le doigt sur les macérations et un peu plus de compréhension des lois du vivant, on a réussi à équilibrer peu à peu les sols et les adventices se sont calmées. »  Dans l’interview vidéo réalisée par AgroLeague, Stéphane rappelle les principes d’une macération : extraire les principes actifs d’une plante. « 150 à 200 molécules dif-férentes, contrairement à 4 molé-cules maximum pour une prépara-tion chimique. Les macérations ne peuvent être contournées par la na-ture. C’est un éliciteur de défenses immunitaires qui rend la plante moins sensible aux agressions de l’environnement. » Stéphane est partisan de la stratégie : « J’ai une idée souvent née d’une rencontre, je prends un risque et j’apprends vite », et c’est un peu comme ça

qu’un essai en homéopathie a vu le jour. En mai 2018, juste avant son passage en bio, il prévoit de détruire chimiquement tous ses couverts permanents. Une par-celle est en orge sous couvert de luzerne. La luzerne menace de concurrencer le blé. Il décide malgré tout de laisser 8 hec-tares sans herbicide et au même moment, son collègue Philippe Houdan lui propose d’utiliser sa nouvelle machine pour faire des préparations homéopathiques. « On a décidé de tenter de contrôler la luzerne comme ça. On a préparé différentes dilutions d’homéopathie à partir des parties aériennes de la luzerne. Après application, le ré-sultat était comparable à la parcelle avec herbicide : la luzerne était cal-mée. La différence, c’est que sur la partie traitée, après la récolte de l’orge, la luzerne n’est pas repartie alors qu’après l’homéopathie, elle a redémarré avec vigueur et j’ai même récolté les graines. » « Pour moi l’ABC parfaite c’est ça », dit F. Noblia en montrant son troupeau de Red Angus qui pâture après la moisson du blé. Félix parle plus encore que les autres de ses erreurs, qui sont un moteur clé de son apprentis-sage et de la vitesse d’évolution de son système. Il se passionne pour l’élevage qui, au départ, le rebutait. « Dans un contexte comme celui du Pays basque où il pleut énormément, l’herbe pousse tout le temps. Pourquoi s’embê-ter à désherber des céréales quand on peut transformer l’herbe en viande ? » Plus l’élevage prend de place, plus l’agroforesterie se fait évidente : il plante 400 mûriers blancs, conduits en trogne pour produire du fourrage en période de décrochage de l’herbe, stoc-ker du carbone et améliorer le bien-être du troupeau. Le cœur

de la réflexion sur la ferme au-jourd’hui est la complémentarité élevage/cultures/arbres/bacté-ries. Pour lui, la quantité et le type de bactéries dans le sol sont en lien avec la présence d’ad-ventices. Les thés de compost associés à la panse des ruminants permettent de catalyser la mul-tiplication des bactéries. À en croire Félix, le « E » d’élevage et le « F » de foresterie sont essen-tiels dans l’agroécologie.

ABC…E, F… Régénérative ?Pendant les ateliers techniques thématisés de l’après-midi, on se rend compte que les sujets dépassent l’ABC. Couverts végétaux, plantes compagnes, agroforesterie, rotation… fina-lement tout le monde est dans sa transition (plus ou moins avancée) vers l’agroécologie ou l’agriculture régénérative. « Vous n’êtes pas des agriculteurs, vous êtes des druides  », lance l’un des participants juste après avoir entendu P. Le Callonec présenter quelques exemples de préparations. Le témoignage de S. Billotte a impressionné les novices, qui proposent de créer un ouvrage « Macérations et thés de compost pour les nuls ». L’objectif des ateliers est de faire un tour d’horizon de ce qui se fait en 2020 - essais, ressources, formations - et de catalyser les échanges pour que l’ensemble du groupe reparte avec un ba-gage de connaissances et puisse enchaîner avec la créativité du deuxième jour.

Jour 2 : codévelopper une solution ensemble et sans expert Tout le monde a un rêve : repar-tir chez soi avec une pratique concrète à tester. Comment faire

L’ABC a déjà 5 ansL’anagramme ABC sortait de terre à peu près en 2014, et à dif-férents endroits, sous l’impulsion de plusieurs acteurs clé. En 2014, c’est la première journée Base bio. Quoi de mieux pour

cette première de baptiser le groupe « ABC »? Les rencontres ont lieu chez Jean-Baptiste Drouin, éleveur de chèvres et de Black Angus dans le Loiret. Elles sont suivies en 2015 d’un voyage en Angleterre et en Belgique organisé par Michel Roesch et Adrien Pelletier, à la ren-contre de pointures du bio avec travail du sol réduit, comme Stephen Briggs, Alain Peeters, Emmanuel et Benoît Demassy. En parallèle, le Suisse Maurice Clerc donne une grande place à la conservation des sols au sein de son équipe de l’Institut de recherche en agriculture biologique de Suisse. Il est l’un des intervenants du premier colloque ABC, organisé en 2016 par le Gabb32. Les réflexions et échanges se poursuivent, facilités par les réseaux sociaux et les vidéos partagées massivement par Ver de Terre production. Un groupe WhatsApp a été initié en 2017 par un petit groupe d’agriculteurs bio ou non, de France et de Suisse, réunis à la base à travers des forums comme Agricool. Ce groupe compte aujourd’hui plus de 100 participants, et les échanges sont très (parfois trop) riches. L’application Landfiles, « réseau social des agriculteurs pour l’agroécologie » a désormais son groupe ABC, et permettra peut-être de relever le défi de l’intelligence collective sur les réseaux sociaux. À quelle vitesse aller et après l’ABC, quelle sera la prochaine lettre ? Un F pour l’agroForesterie ? Sur le rythme de chan-gement à adopter, Pascal Boivin l’a bien résumé : « Le bon compromis est celui que l’on a choisi et avec lequel on arrive à vivre. »

Essai d’orge sous couvert de luzerne contrôlé par homéopathie chez Stéphane Billotte. À gauche, la modalité contrôlée par homéopathie, à droite, sans contrôle. La luzerne est « calmée » dans la bande en homéopathie et a permis une moindre compétition avec l’orge. Dans la bande témoin et la bande avec homéopathie, sitôt la récolte de l’orge, la luzerne est repartie et Stéphane a récolté la graine de luzerne.

S. B

ILLO

TTE

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AGRONOMIE, ÉCOLOGIE ET INNOVATION. TCS N°107. MARS/AVRIL/MAI 2020 31

■ ABCquand il y a une telle diversité de cas ? C’est le défi que relèvent les ateliers de codéveloppement. Cinq participants qui, chacun leur tour, exposent leur problé-matique. Il n’y a pas d’expert. Les autres pratiquent l’écoute bienveillante sans interrompre le « client » et posent les bonnes questions, c’est-à-dire des ques-tions auxquelles on n’a pas la ré-ponse soi-même. Olivier, Valéry (de Sologne) et Valéry (de Vendée), Stéphane, Amandine (facilitatrice) et moi formons le groupe. Olivier commence en présentant pendant 5 minutes son système en polyculture-éle-vage : 30 hectares, des cultures annuelles et des prairies. « Je la-boure tous les 5 à 7 ans ; j’aimerais détruire mes couverts et implanter les cultures suivantes en diminuant le travail du sol. » Les questions commencent : « Tu cherches un outil mécanique ou une solution ? » Olivier précise sa demande  : il a besoin de jalons pour trou-ver une solution. Puis chacun expose des solutions possibles s’ils étaient à la place d’Olivier. « Dans ton contexte humide, j’im-planterai un mélange de couvert aéré qui sèche les sols pour pouvoir les faire pâturer », propose l’un des Valery. « Je travaillerai sur l’acti-vité bactérienne pour soulager un sol très argileux. » L’autre Valery enchaîne : « J’ai 60 % d’argile. Si j’étais à ta place, j’arrêterai de labourer en plusieurs étapes. Se-mer en déchaumant, semer dans ton soja à la volée. Mettre un soja derrière pâturage a une dynamique incroyable ! » Suivi de près par Stéphane : « Avec des macéra-tions d’orties et de consoudes, la terre s’organise beaucoup plus ra-pidement en agrégats. Dans un es-sai, là où je n’avais pas mis de purin d’ortie, la bêche ne rentrait pas. »

Après 20 minutes d’échanges encadrés avec bienveillance par Amandine, Olivier résume : « Je retiens que je dois trouver des outils adaptés pour un travail plus super-ficiel et un fissurateur si besoin pour accompagner la transition. Semer des couverts à la volée pour réduire le temps de travail sur soja. Travail-ler sur le type de couverts et accom-pagner avec des macérations. »La méthode du codéveloppe-ment, née au Québec avec le travail de C.  Champagne et A. Payette, est déjà utilisée par beaucoup de grandes entre-prises. La mettre en œuvre dans le monde agricole où il y a beau-coup d’individualisme, même inconscient, est essentiel pour accélérer la diffusion de l’agroé-cologie dans les campagnes.La deuxième journée se termine par un escape game. Le prin-cipe : je m’inscris, en fonction du stade d’évolution de mon projet et de ce dont j’ai besoin, à des ateliers d’échanges (tou-jours facilités) ; je cherche des ressources, j’analyse des risques, je recherche des solutions alter-natives, je mets en place des in-dicateurs, je souhaite capitaliser un essai réussi.

Les rencontres sont une graine : à vous de jouer pour qu’elle pousse « Qu’on soit en AB ou en AC, technicien ou agricultrice, on est tous des humains avec des pro-

blèmes à résoudre. Quand on laisse tomber les préconceptions et qu’on met les cerveaux en-semble, on réalise des choses dont on ne se pensait pas capable, on ouvre des voies nouvelles et on se donne l’allant nécessaire pour se mettre en mouvement : ici réside le génie du collectif au service de l’individuel, explique Quentin. On a créé ces rencontres pour qu’elles ne soient pas juste un événement, mais le début d’une vraie dynamique de réseau pour et par les praticiens. En repartant, le paysan a les cartes en main et les jalons pour se remettre au volant de l’autofertilité de son système. La réussite et la stabilité du réseau

se feront évidemment avec l’aide d’animateur/trices, donnant nais-sance à des groupes et événements satellites qui fonctionnent avec des méthodes de travail similaires. Recréer une dynamique collective et que chacun regagne confiance en soi et en son autonomie de dé-cision, sont essentiels pour faire émerger les innovations ABC… Nous décompactons tous notre tête avant de décompacter les sols, moi le premier. »Dans son contexte personnel, chaque agriculteur choisit, pour différentes raisons, une voie plutôt qu’une autre et parcourt son chemin. La clé de l’agroé-cologie c’est d’avoir une vision, des clés de décision et des outils, pour produire de l’alimentation avec un état d’esprit écolo-gique. Les rencontres de l’ABC permettent de connecter les algorithmes des agriculteurs, d’apprendre en partageant er-reurs et réussites, et de créer ou renforcer dans votre territoire un écosystème de partage dont la fertilité repose sur l’écoute, l’humilité et la transparence.

Opaline LYSIAK, avec l’aide d’Adrien PELLETIER et

Quentin SENGERS

(1) Stéphane Billotte a fait l’objet d’un « Qu’est-il devenu ? » dans TCS 101 de janvier/février 2019.VIDÉO AGROLEAGUE STÉPHANE BILLOTTE : WWW.YOUTUBE.COM/WATCH?V=ZXDKK3TRL7QPOUR RESTER AU COURANT DES PROCHAINS RENDEZ-VOUS : WWW.ICOSYSTEME.COM

Restitution de couverts chez Frédéric Barbot avec un mulching de surface. Pour F. Barbot, le mulching de surface (ici, avec un Horsch Sem Exact) est une technique clé pour la gestion des adventices et la minéralisation, deux enjeux clés du défi AB + AC. Ce travail du sol de surface optimise la digestion du couvert par l’activité biologique, permet une meilleure minéralisation, une gestion du salissement et de l’évapotranspiration. Le semis est sécurisé.

FRÉ

RIC

BA

RB

OT

Scannez ce QR code pour visionner le témoignage du groupe

de codéveloppement auquel participaient Stéphane, Valery et Olivier (lien : https://youtu.be/dgtcFvnkbg0)

Une équipe super-dynamique férue d’innovation«  L’avenir n’est pas ce qui va arriver

c ’ e s t ce que nous allons faire », introduit Quentin avec cette citation. Le projet des rencontres de l’ABC trouve sa fertilité dans une équipe très diverse et réunie par une même vision : déployer des outils pour que les agriculteurs régénèrent leur petit bout de planète. Adrien Pelletier, paysan-boulanger sélectionneur de va-riétés et orienté ABC sur sa ferme, Quentin Sengers, animateur à l’association les Bios du Gers et conseiller indépendant et Martine Compagnon, facilitatrice-poète « en chef », le tout coordonné par Matthieu Archambeaud d’Icosystème. Quentin et Martine ont formé en amont des rencontres une équipe de 20 « facilitateurs ». Ce sont des conseilleurs ou animateurs de groupes innovants agricoles qui souhaitent monter en compétences pour activer l’intelligence col-lective des agriculteurs avec qui ils travaillent. Quatre étudiants du projet Les Agron’Hommes ont participé à l’animation et à la docu-mentation de l’événement, en réalisant des capsules vidéo pendant l’événement. Ces rencontres ont demandé une préparation intense et les fruits récoltés sont magnifiques. Si vous souhaitez utiliser ces pratiques, contactez Adrien Pelletier ou Quentin Sengers.